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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 5 - Témoignages du 26 avril 2001 (séance du matin)


TORONTO, le jeudi 26 avril 2001

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, qui a été saisi de l'étude du projet de loi S-15, Loi visant à donner à l'industrie canadienne du tabac le moyen de réaliser son objectif de prévention de la consommation des produits du tabac chez les jeunes au Canada, se réunit aujourd'hui à 9 h 30 pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Nicholas W. Taylor (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Je déclare la séance ouverte. Nous nous réunissons aujourd'hui à Toronto pour étudier deux sujets: ce matin, le projet de loi S-15, qui est la Loi sur la protection des jeunes contre le tabac, et, cet après-midi, certaines questions touchant à l'énergie.

Ce matin, nous nous intéresserons donc au projet de loi S-15. Je vais prendre quelques minutes pour vous expliquer la démarche que nous allons suivre. Chaque témoin sera invité à nous faire un bref exposé après quoi nous lui poserons des questions.

Au début de la semaine, le comité a entendu des témoins à Vancouver, à Edmonton et à Calgary et, après nos audiences d'aujourd'hui, nous passerons une autre journée à Toronto avant de nous rendre à Montréal.

Ces audiences doivent nous permettre deux choses: nous faire une idée de la façon dont les Canadiennes et les Canadiens perçoivent les questions soulevées par ce projet de loi, et enchaîner sur le travail antérieur réalisé par différents comités du Sénat sur le même thème.

Quand le comité sera convaincu d'avoir reçu suffisamment d'information, il passera l'étude article par article avant de faire rapport au Sénat.

Par la suite, le Sénat pourra éventuellement décider de renvoyer le projet de loi à la Chambre des communes en l'adoptant en troisième lecture. Si les deux Chambres s'entendent sur ce texte, il deviendra loi.

Avant de débuter, je tiens à vous préciser que nous bénéficions de services d'interprétation et que des écouteurs sont mis à votre disposition. Les micros s'ouvriront automatiquement quand vous prendrez la parole, mais s'il y a un petit décalage, je vous invite à appuyer vous-même sur le bouton. Nous suspendrons nos travaux à midi. J'invite nos témoins de même que les sénateurs et le public à visiter l'exposition organisée par des jeunes de Toronto, dans la salle King, au deuxième étage.

Nous allons commencer par accueillir John Garcia d'Action cancer Ontario et Rob Cunningham de la Société canadienne du cancer. Merci beaucoup de vous joindre à nous. Vous pourriez peut-être commencer par nous dire qui vous êtes. Allez-vous faire des exposés distincts ou un exposé commun?

M. John Garcia, directeur, équipe de prévention, Division d'oncologie, Action cancer Ontario: Nous voulions faire des exposés différents.

Le président: Veillez à nous laisser assez de temps pour pouvoir vous poser des questions. Je crois que nous avons une heure en tout avant que les prochains témoins n'arrivent.

M. Garcia: Merci, sénateur Taylor. Je vais commencer. Bonjour et bienvenue à Toronto. Nous sommes très heureux de vous accueillir ici et de vous voir sillonner le pays pour recueillir nos points de vue.

Je devrais peut-être commencer par vous parler un peu de moi-même et de mon bagage, puisque cela pourrai vous aider dans les questions que vous me poserez ensuite.

Je suis actuellement président du Conseil canadien de lutte contre le tabac. Il s'agit du nouveau nom d'une organisation que vous avez peut-être connue, le Conseil canadien sur le tabagisme et la santé, qui avait créé en 1974. Ainsi, depuis 25 ans, cette organisation mène l'action autour de la lutte contre le tabac.

Je suis aussi directeur de l'équipe de prévention, à la Division d'oncologie d'Action cancer Ontario. Action cancer Ontario est un organisme provincial ayant pour mandat conféré par la loi de conseiller le gouvernement de l'Ontario sur les priorités à adopter en matière de prévention du cancer. Comme vous le savez, plus de 80 p. 100 des cancers du poumon sont dus au tabac et un quart au moins, peut-être même 30 p. 100 des cancers sont dus à des produits de l'industrie du tabac. Cette lutte est l'une des grandes priorités de l'organisation.

Jusqu'en janvier de l'année dernière, j'étais le principal conseiller du ministre de la Santé de l'Ontario, M. Witmer, et je travaille actuellement au Bureau du médecin hygiéniste en chef.

De 1994 à 1999, j'ai été vice-président d'une société privée à Washington, D.C., où j'étais chargé d'un projet de démonstration qui constituait l'aboutissement du programme de lutte contre le tabac à fumer de l'Institut national du cancer aux États-Unis. Ce programme, qui est connu sous le nom d'American Smoking Prevention Study ou Étude de prévention du tabagisme, concerne 17 États et a des répercussions sur la vie de 3 millions d'Américaines et d'Américains.

Elle constitue la base d'un important travail de lutte contre le tabac et je serais très heureux de répondre aux questions que vous voudrez bien me poser à ce sujet.

Comme j'ai été directeur de la promotion de la santé en Ontario, je comprends les énigmes que pose la mise en oeuvre de programmes exhaustifs à l'échelle de la province, et même si j'ai porté des casquettes provinciales et nationales, je me propose aujourd'hui de me limiter à l'Ontario.

Je tiens aussi à vous préciser que c'est dans les années 80 que j'ai commencé à travailler sur le dossier du tabac. À l'époque, j'étais employé par la ville de Toronto en qualité de coordonnateur du programme de prévention du tabagisme, qui était une initiative des programmes «génération de non-fumeurs» de Santé Canada.

Soit dit en passant, j'ai deux enfants qui sont à l'université.

J'estime que nous avons trahi cette génération pour ne pas avoir mis en oeuvre la vision que nous avions formulée. Je vois dans le projet S-15 la possibilité de corriger ce problème. Ce sera, d'ailleurs, l'un des thèmes forts de ma présentation aujourd'hui.

Je vais d'abord vous donner un rapide aperçu de ce qui s'est fait en Ontario. Comme vous sillonnez le pays, je suppose que vous voulez, aujourd'hui, principalement entendre parler de cette province qui compte quelque 11 millions d'habitants représentant 38 p. 100 de la population du Canada. Inutile de vous préciser que c'est une très grande province avec plus d'un million de kilomètres carrés. Quatre-vingt pour cent de sa population résident dans les villes, à proximité de la frontière américaine, mais on en trouve aussi beaucoup, soit une personne sur cinq, dans les collectivités rurales.

Environ sept millions et demi d'Ontariens se déclarent de langue anglaise et près d'un demi-million de langue française. Autrement dit tous les autres ne parlent ni l'anglais ni le français comme première langue. L'Ontario abrite plus de 60 cultures et nous sommes fiers de déclarer que les principaux groupes linguistiques de la planète y sont représentés avec les Chinois, les Italiens, les Allemands, les Portugais, les Hindoux, les Iraniens, les Grecs, les Polonais, les Hollandais, les Espagnols et les Ukrainiens. Nous comptons aussi une importante population d'Autochtones, sans doute même la plus importante au pays.

Une province d'une telle taille présente bien sûr d'énormes écarts sur le plan de la répartition des revenus d'emploi, phénomène qui a une incidence sur les taux d'usage du tabac. Si je précise ce contexte, qui met en relief la richesse culturelle de la population ontarienne dans la société canadienne, c'est qu'il représente en même temps un défi de taille pour la mise en oeuvre d'un programme exhaustif et efficace de lutte contre le tabagisme dans l'ensemble de l'Ontario et du Canada.

En second lieu, je tiens à signaler combien les sommes consacrées à la lutte contre le tabac sont insuffisantes. Avant d'avoir récemment ajouté 10 millions de dollars à son programme anti-tabagisme, l'Ontario se targuait d'être le gouvernement provincial le plus généreux à cet égard avec des dépenses de 19 millions de dollars par an pour 11 millions et demi d'habitants.

Vous aurez sans doute entendu parler de la sérieuse controverse qui a éclaté quand nous avons appris, la semaine dernière, que le gouvernement de l'Ontario avait investi davantage pour aider les tabaculteurs à réduire les niveaux de nitrosamine, pour leur permettre de mieux écouler leurs produits sur les marchés internationaux, que dans la lutte contre le tabac.

À l'heure actuelle, le gouvernement de la province investit beaucoup moins dans cette lutte que ne l'avait recommandé son propre groupe d'experts, et vous en entendrez de nouveau parler.

Il faut bien sûr rendre hommage au gouvernement fédéral pour ce qu'il a fait - et rendre à César ce qui appartient à César - sur le plan législatif et sur celui du leadership dans ce dossier. L'imposition des avertissements de santé par le ministre Rock, qui a établi un précédent, est indicative de son leadership et nous sommes bien sûr ravis de l'augmentation des taxes sur le tabac qu'il a annoncée par le ministre le mois dernier.

Malheureusement, cela laisse à l'Ontario la distinction sulfureuse d'être le territoire où l'on vend le plus de produits du tabac, devant toutes les autres provinces et territoires au Canada, devant les pays européens et même devant les États américains. Bien sûr, il est toujours louable de consacrer des fonds à la lutte contre le tabac.

Le président: Excusez-moi de vous interrompre, mais comme nous prenons votre déposition à la main pour la postérité, je vous invite à parler un peu plus lentement.

M. Garcia: Il faut attribuer un crédit considérable au gouvernement fédéral et nous applaudissons au leadership de M. Rock à propos de ses avertissements sanitaires qui ont établi un précédent mondial et de sa décision d'augmenter les taxes. Nous trouvons formidable l'annonce de l'augmentation, à 110 millions de dollars d'ici 2004, des investissements dans la lutte contre le tabac.

Il faut préciser ici qu'il ne s'agit encore que d'une annonce puisque nous ne sommes pas passé aux actes. Nous ne doutons pas de l'intention du gouvernement, mais nous avons déjà assisté à de telles annonces dans le passé et, de l'avis des organisations nationales, les investissements prévus sont nettement inférieurs à ce qui est nécessaire.

Nous sommes tous déterminés à collaborer avec le ministre Rock et avec Santé Canada à la mise en oeuvre du premier véritable programme coordonné et efficace de lutte contre le tabac. Comme je le disais, nous sommes encore préoccupés.

Comme nous évoluons dans ce domaine depuis pas mal de temps déjà, vous voudrez bien pardonner notre cynisme: nous voulons croire que ce programme sera effectivement mis en oeuvre. À partir du milieu des années 80, les gouvernements national et provinciaux ont fait de nombreuses déclarations et l'on a constaté un consensus national quant à la nécessité d'adopter une stratégie nationale efficace de lutte contre le tabac.

Un document d'orientation a été publié en juin 1987, pour ce qui était alors le programme national de lutte contre le tabac; celui-ci a ensuite été révisé pour être transformé en «stratégie nationale». J'ai l'impression qu'à cette époque on s'est rendu compte que l'engagement n'était pas suffisant pour mettre sur pied un véritable programme. On n'avait pas suffisamment investi de ressources pour mettre en oeuvre les orientations énoncées dans ce document.

Récemment, le tout a été révisé pour faire l'objet de la Stratégie nationale pour la réduction du tabagisme qui, comme vous le savez, prévoit la mise en oeuvre d'un plan d'action complet, polyvalent, national, provincial et territorial pour lutter contre le tabac. Cette stratégie comporte plusieurs objectifs et il est notamment question d'essayer d'empêcher les jeunes de commencer à fumer, d'inciter et d'aider les fumeurs à arrêter de fumer, de lutter contre la fumée de tabac ambiante ou secondaire - connue pour être cancérogène chez l'homme - et normaliser les produits de l'industrie du tabac.

À très franchement parler, aucune de ces idées n'est nouvelle. Elles ne sont pas très différentes de celles qui ont été formulées par les organismes scientifiques. Ainsi, c'est le National Cancer Institute qui, au début des années 90, a défini le programme de santé publique des États-Unis de même que l'approche adoptée par le Massachusetts et la Californie et la philosophie retenue par l'Ontario, que la province n'a cependant pas mise en oeuvre. C'est donc la même approche que celle qui avait été adoptée et défendue auprès du Congrès américain par la National Academy of Sciences. Dans son rapport intitulé: «Growing Up Tobacco Free», l'Institute of Medecine suggère d'adopter une approche globale pour prévenir le tabagisme chez les jeunes. Il est question d'augmenter les taxes, de limiter la publicité et la promotion des produits du tabac, de contrôler la fumée secondaire, d'aider les adultes à arrêter de fumer et de parler du tabagisme dans les programmes scolaires. La version canadienne de cette position n'est pas différente.

Tout ce que je veux dire, c'est que nous ne l'avons pas mise en oeuvre. Nous avons élaboré cette vision, mais nous ne sommes pas allés plus loin. Cela ne revient pas à dire que nous n'avons pas connu quelques succès. J'ai parlé tout à l'heure de la Loi contre le tabagisme et la législation ontarienne en la matière est sans doute la plus complète au monde. Des municipalités un peu partout au pays ont adopté des règlements antitabac et l'on constate que le taux de tabagisme commence à diminuer. Cependant, nous aurions pu obtenir de meilleurs résultats et réaliser de meilleurs progrès si nous avions investi davantage et si nous avions mené une lutte plus acharnée contre le tabac.

Force est de constater - et Rob va vous en parler tout à l'heure - que des programmes de lutte contre le tabac ambitieux, complets, intégrés, polyvalents et comportant des objectifs multiples donnent des résultats. Plus on investit et plus on retire d'avantages sur le plan de la santé publique. Ce constat est confirmé par l'Académie nationale des sciences aux États-Unis et se retrouve à la base des recommandations des Centers for Disease Control, les fameux centres américains de lutte contre la maladie et, bien sûr, du projet de loi du sénateur Kenny.

Cela étant posé, ces chiffres se vérifient-ils dans le cas du Canada? Je me propose de vous en parler un peu. Le Conseil canadien de lutte contre le tabac est membre d'une organisation officieuse portant le nom de Campagne nationale d'action contre le tabac et même si nous étions au courant des chiffres émis par les CDC américains, nous voulions nous assurer, avant de comparaître devant votre comité, de pouvoir confirmer ceux prévus dans le projet de loi Kenny.

Nous avons donc essayé d'imaginer ce à quoi devrait ressembler un programme complet de lutte contre le tabac et nous en sommes venus à la conclusion qu'il faut adopter l'actuelle politique du gouvernement provincial et du gouvernement fédéral, politique qui est présentée dans le document d'orientation de la Stratégie nationale pour la réduction du tabagisme.

Nous avons étudié le processus qui y est présenté et avons calculé les coûts de la stratégie. Ces chiffres ne sont sans doute pas tous importants, mais nous pensons que ce qui est prévu pour le projet de loi S-15 s'approche de la vérité, même si l'on pêche un peu par optimisme. Nous en sommes arrivés à un minimum de 368 millions de dollars et à un maximum d'environ 725 millions de dollars. Il s'agit, rappelons-le, d'un programme que le gouvernement a déjà adopté en principe, d'une orientation politique.

Il convient de remarquer que cela donne 12 $ par personne pour le scénario minimum et 24 $ par personne pour le scénario maximum. Les chiffres par ensemble de programmes ne sont pas très importants parce que c'est l'organisme indépendant qui va décider de l'affectation des ressources.

Je vous parle de tout cela parce que ces chiffres sont incroyablement semblables à ceux des CDC aux États-Unis. Nous nous sommes livrés à un calcul des coûts à l'échelon macro, nous avons ajouté les résultats et obtenu des données à peu près semblables à celles des centres de lutte contre la maladie. Les CDC américains misent sur 15 à 16 $ US par personne et, après conversion, cela donne environ 25 $ CAN. Nous nous situons donc dans le même ordre de grandeur.

Compte tenu des défis que j'ai mentionnés plus tôt, nous avons besoin de ressources suffisantes pour nous attaquer à cet impressionnant problème de santé. Ce problème est très répandu, il est omniprésent et, plus encore, il a été stimulé par un promoteur très puissant: l'industrie du tabac, qui a favorisé l'assuétude de masse et qui est responsable des conséquences de ce problème.

Il nous faut trouver un antidote puissant. Il n'existe pas de panacée universelle qui nous permettra de mettre un terme à ce problème très répandu et ce serait folie que de penser le contraire, car il n'existe pas d'intervention unique qui puisse avoir un effet quelconque. Nous devons adopter un programme qui s'appuie sur des bases larges afin de corriger les comportements sanitaires et sociaux qui sont à la base de ce problème. Pour réussir, il nous faudra investir davantage.

Je vais replacer tous ces chiffres en perspective, à votre intention. J'y ai déjà réfléchi. Quand j'en ai parlé à des collègues, ils m'ont dit que cela leur semblait beaucoup, mais ce n'est pas le cas quand on songe à ce que nous investissons dans les soins de santé au Canada. L'approche recommandée, qui consiste à passer par une fondation indépendante, nous paraît tout à fait raisonnable.

Je vais d'ailleurs vous en parler brièvement. En Ontario, on peut estimer que 1,1 à 1,5 milliard de dollars des coûts hospitaliers sont directement attribuables aux produits de l'industrie du tabac. Dans toutes les provinces et territoires, ces coûts représentent 6 à 8 p. 100 des dépenses totales en soins de santé.

L'année dernière seulement, le réseau de santé ontarien a dépensé près de 23 milliards de dollars, soit 1 $ par 10 $ investis dans l'économie de la province. Nous avons la chance, au Canada, de pouvoir compter sur un réseau de soins de santé de classe internationale, ce dont tous les Canadiens sont fiers.

À titre de comparaison, sachez que le budget annuel d'exploitation de l'Hôpital des enfants malades est d'environ 345 millions de dollars, que celui de l'Hôpital St. Michael est de 323 millions de dollars et que celui du réseau de santé universitaire, dont font partie trois hôpitaux - Toronto General, Princess Margaret et Toronto Western - a un budget d'exploitation de plus d'un demi-million de dollars. Il est en fait supérieur à 600 millions de dollars. Si l'on ajoute tous ces chiffres, les dépenses pour ces cinq hôpitaux seulement équivalent aux coûts associés à l'usage du tabac en Ontario. Pourtant, les dépenses proposées dans le projet de loi S-15 sont inférieures à 30 p. 100 des dépenses de ces cinq hôpitaux.

Le financement prévu en vertu du projet de loi S-15 est à peu près équivalent à celui qui est nécessaire pour faire fonctionner un seul hôpital au Canada. Soit dit en passant, ces hôpitaux sont administrés par des conseils indépendants. Le projet de loi S-15 recommande l'adoption d'une démarche semblable ce qui, selon nous, devrait aller dans le sens de la prévention.

Je soutiens, par ailleurs, que nous devons tous appuyer l'initiative du gouvernement fédéral. Cette initiative est importante, mais elle ne doit pas nous empêcher d'apporter aussi notre soutien au projet de loi S-15 ni d'applaudir aux investissements du gouvernement provincial à un niveau qui nous permettra de lutter efficacement contre le tabac.

Il n'y a pas lieu, quant à nous, de choisir entre l'initiative du gouvernement fédéral annoncée par M. Rock et le projet de loi Kenny. Nous avons besoin des deux. Nous avons besoin des investissements du gouvernement provincial et du gouvernement fédéral.

Je vais ouvrir une parenthèse. Les Américains, de leur côté, jugent qu'il est imprudent de mettre tous ses oeufs dans le même panier. Plusieurs États, notamment le Minnesota, ont réparti leurs investissements, notamment dans les ministères de la Santé de l'État, dans le secteur privé et dans des fondations privées.

Je tenais à vous dire que nous sommes très heureux de pouvoir vous signaler notre appui à cet important projet de loi. Nous incitons toute la classe politique à nous emboîter le pas, surtout si le tabagisme chez jeunes la préoccupe et qu'elle veut mettre un terme à cette épidémie. Je pense ici aux membres du comité, aux sénateurs et aux députés, notamment à M. Rock. Nous tenons bien sûr à remercier le sénateur Kenny d'avoir pris les rênes en main sur ce plan et nous vous remercions tous de nous avoir invités à ces échanges.

Le président: Je vais peut-être vous poser des questions à tous les deux, quand vous en aurez fini.

M. Rob Cunningham, analyste principal des politiques, Société canadienne du cancer: Je m'appelle Rob Cunningham et je suis analyste principal des politiques, à l'échelon national, à la Société canadienne du cancer. J'ai commencé à travailler dans la lutte contre le tabagisme en 1988; j'ai signé un livre paru sous le titre Smoke and Mirrors: The Canadian Tobacco War qui examine les efforts qu'ont déployés dans le passé l'industrie du tabac et le secteur de la santé pour endiguer l'épidémie de consommation de tabac.

Avril étant le mois du cancer, il est tout à fait approprié que ce comité étudie la principale cause évitable du cancer: le tabagisme. Je tiens à féliciter le comité d'avoir décidé de sillonner le Canada pour recueillir le point de vue des Canadiennes et des Canadiens au sujet de ce projet de loi et à le remercier au nom de la Société canadienne du cancer de nous donner l'occasion de venir exprimer notre appui au projet de loi S-15, Loi sur la protection des jeunes contre le tabac.

Quand on songe au contexte dans lequel intervient ce projet de loi, il faut se dire que nous sommes en présence du seul produit légal au Canada qui est mortel quand on l'utilise de la façon prévue. Nous sommes en présence d'un produit qui est particulièrement toxicomanogène. La très vaste majorité des fumeurs commencent avant l'âge où l'on est responsable et ils continuent par la suite jusqu'à tomber malade et en mourir. Quarante-cinq milles canadiens meurent chaque année de maladies dues au tabagisme.

Je me propose de vous déposer un document que vous pourrez examiner plus tard. Il s'intitule «Compilation of Selected Evidence Regarding the Need for Comprehensive Tobacco Control Programs: A Submission to the Standing Senate Committee on Energy, the Environment and Natural Resources for Use During Consideration of Bill S-15, the Tobacco Youth Protection Act».

Il renferme 45 onglets où l'on prouve que des programmes complets de lutte contre le tabagisme permettent de réduire la consommation et de protéger la santé du public.

Vous y trouverez des documents concernant la Californie, le Massachusetts, l'Oregon et la Floride où il est question des succès remportés grâce à des programmes suivis, entrepris à grande échelle et bien financés.

Vous y trouverez aussi des documents prêchant en faveur de la mise en oeuvre des divers volets d'un programme provincial exhaustif, prévoyant notamment le recours aux moyens de communication de masse, de même que la tenue d'analyses documentaires sur la façon dont cette stratégie peut permettre de réduire le tabagisme. Ailleurs qu'en Amérique du Nord, en Australie par exemple, il a été établi que certaines interventions du genre ont donné d'excellents résultats.

Comme vous pourrez le constater à l'onglet 45, l'Organisation mondiale de la santé recommande que les pays: «adoptent des programmes efficaces de promotion de la santé, d'éducation en matière de santé et d'interruption du tabagisme».

Nous avons plusieurs recommandations à faire, à la suite des succès constatés dans le monde entier. Il ne nous manque plus qu'à passer aux actes.

Il est intéressant de constater que deux des trois grands fabricants de tabac au Canada ont avalisé ce projet de loi, et j'ai encore trouvé une de leur publicité dans la presse ce matin. Le troisième manufacturier, même s'il n'apporte pas son appui sans réserve à cette mesure, a signalé qu'il était disposé à l'appuyer en principe lors de son témoignage devant ce comité, à condition qu'on y apporte certaines modifications.

Aux États-Unis, on a constaté que les programmes de sensibilisation des jeunes permettent de réduire le tabagisme et l'industrie elle-même s'est engagée à poursuivre de telles initiatives. On peut toujours critiquer la qualité du travail des manufacturiers de tabac sur ce plan, mais ceux-ci reconnaissent la valeur de ce genre d'intervention.

C'est ce qu'ils disent dans leurs documents internes et ce qu'a confirmé Robert Parker lors de son témoignage devant un comité du Sénat en avril 1997 à qui on a demandé ce qui pourrait être fait pour éliminer ou réduire le tabagisme chez les jeunes:

On peut faire beaucoup par le biais de la publicité. Il est possible de les informer au sujet des risques du tabac pour la santé. On peut également recourir aux groupes de pairs.

Il faisait allusion au genre de groupes auxquels participaient les jeunes ayant comparu devant le comité à cette époque.

Nous sommes donc dans une situation tout à fait inusitée où tout le monde apporte son appui à une initiative, que ce soit le milieu de la santé publique, les fabricants de tabac ou la population canadienne. Dans ce document que nous vous avons remis, vous trouverez une série de sondages d'opinion dont un a été réalisé l'année dernière à propos du projet de loi S-20, c'est-à-dire le prédécesseur du projet de loi S-15. On a demandé aux Canadiennes et aux Canadiens s'ils appuyaient beaucoup, moyennement ou peu le projet de loi ou s'ils s'y opposaient. Dans l'ensemble, 74 p. 100 se sont déclarés pour et 25 p. 100 contre. Comme il est rare que des projets de loi proposant une intervention du gouvernement fassent l'objet d'un tel appui, je pensais qu'il valait la peine de le souligner.

À propos du type de financement qu'il serait approprié de débloquer au titre de la lutte contre le tabac, il faut se rappeler que le gouvernement fédéral recueille 2,2 milliards de dollars par an sous la forme de taxes sur le tabac, à l'exclusion de la TPS et des recettes supplémentaires que lui rapportera l'augmentation de taxe sur le tabac annoncée il y a quelques semaines.

Il y a également la surtaxe imposée sur les bénéfices déclarés des compagnies de tabac qui rapporte près de 80 millions de dollars par an. Quand cette surtaxe a été introduite le 8 février 1994, à l'époque de la diminution de la taxe sur le tabac, le gouvernement avait annoncé que ces recettes serviraient à financer la plus importante campagne antitabac jamais vue au Canada. Cela ne s'est pas produit et, un an et demi après, après avoir eu de nouveau l'occasion de corriger le tir, la surtaxe a été abaissée à un niveau inférieur à ce qui avait été initialement annoncé.

Ce n'est qu'il y a deux semaines environ que le gouvernement a annoncé une augmentation proportionnelle de cette surtaxe.

Au Canada, les dépenses en soins de santé en tous genres totalisent 80 millions de dollars par an. C'est beaucoup, surtout par rapport au 260 millions de dollars que permettraient de rapporter les prélèvements prévus dans ce projet de loi et quand on sait que le tabac est la première cause évitable de maladie, d'incapacité et de décès.

Nous avons applaudi à l'annonce du gouvernement fédéral, le 5 avril, et nous comptons appuyer le gouvernement dans son action. Il convient de féliciter le ministre des Finances, Paul Martin, d'avoir augmenté la taxe sur le tabac. Cette décision ne sera pas sans effet et nous espérons qu'elle annonce d'autres augmentations, puisque c'est en Ontario et au Québec qu'on trouve les cigarettes les moins chères en Amérique du Nord.

Il faut aussi féliciter le ministre de la Santé, Allan Rock, qui a décidé d'investir davantage dans la lutte contre le tabagisme pour porter cet investissement à 110 millions de dollars. Cette décision, aussi, aura des répercussions et nous l'appuyons.

Nous tenons aussi à réitérer notre appui au projet de loi S-15, que la Société canadienne du cancer appuie activement depuis la présentation de sa version antérieure au Sénat en 1998, puisque nous n'avons pas manqué de voir les avantages que présente le projet de loi S-15 lorsque le gouvernement a fait son annonce du 5 avril. Il y a d'abord la question de la viabilité des actions entreprises. Le prélèvement et la structure sont deux éléments très importants. La prévention est une question à long terme. On se rappellera que les ressources annoncées par le gouvernement en 1994 ont été réduites tout juste un an et demi plus tard, même si le besoin était important, pour ne plus représenter que 10 millions de dollars par an pour l'ensemble de la stratégie pour la réduction du tabagisme.

Nous sommes conscients que les compagnies de tabac font de la planification à long terme. Voilà pourquoi, comme nous l'avons appris à l'expérience et d'après les documents produits par l'industrie, celle-ci cible les jeunes. Elle sait que si elle parvient à les accrocher, ils deviendront des clients fidèles pour les 40 prochaines années et même plus.

L'importance des effets du tabac sur la santé exige une planification suivie; 360 millions de dollars, c'est certainement plus que nous n'en avons jamais investi auparavant et nous nous en réjouissons.

Je ne vais pas revenir sur les propos de M. Garcia. Il vous a clairement démontré que cette somme de 360 millions de dollars ou plus est justifiable et appropriée pour lutter contre le tabagisme.

Troisièmement, je veux vous parler des avantages que présente le recours à un organisme extérieur. Il s'agirait d'un organisme indépendant du gouvernement, disposant de toute la souplesse nécessaire pour agir plus rapidement dans des situations où le gouvernement n'a pas l'habitude d'intervenir.

Je pense que l'existence d'un organisme indépendant permettra d'accélérer la prise de décision et l'adoption de mesures, que cet organisme aura plus de souplesse et qu'il nous permettra de reproduire les bénéfices que nous avons pu constater chez d'autres organismes d'exploitation ou sociétés de la Couronne. Nous avons toujours reconnu au Canada l'avantage que présentait le fait de pouvoir compter dur des organismes indépendants de l'État, et c'est là une autre raison importante pour laquelle nous appuyons ce projet de loi.

Je tiens à féliciter le Sénat et ce comité pour le travail déjà effectué sur ce projet de loi et sur les projets antérieurs et j'exhorte votre comité et le Sénat à y apporter leur appui.

Le président: Avant de passer aux questions, je tiens à présenter au milieu de cette foule assez nombreuse, les élèves de CPO de l'École secondaire Senator O'Connor. J'espère que vous obtiendrez un double crédit pour votre présence.

Nous allons maintenant passer aux questions. Comme la plupart d'entre vous êtes arrivés un peu en retard, je vous rappelle que la procédure habituelle consiste à poser des questions après les témoignages de nos invités. Nous avons eu des rencontres à Vancouver, à Calgary et à Edmonton et nous aurons ensuite une réunion à Montréal. Notre comité fera un rapport au Sénat et, à l'étape de la troisième lecture, il rejettera ou adoptera le projet de loi.

Comme celui-ci est revenu plusieurs fois sous différentes formes, il y a de fortes chances qu'il soit adopté cette fois-ci. Il sera ensuite renvoyé à la Chambre des communes qui l'adoptera ou le rejettera à l'occasion d'un vote. C'est ainsi que les choses fonctionnent.

Le sénateur Banks veut poser une question.

Le sénateur Banks: Merci, monsieur le président. Bonjour messieurs. Je vous remercie de votre présence. J'ai deux questions à vous poser qui s'adressent à vous deux, mais je vais commencer par M. Garcia parce qu'il a parlé en termes très élogieux de l'augmentation des taxes sur les cigarettes et de l'annonce faite à la même époque du déblocage de 98 millions de dollars pour lutter contre le tabagisme.

Il est extrêmement difficile de gouverner sans compter que cette activité est étroitement liée à l'argent. Le gouvernement a toujours un certain montant d'argent à sa disposition que réclament différentes personnes un peu partout au pays, pour des raisons différentes, toutes aussi valables les unes que les autres. Les agriculteurs ont besoin d'argent, les pêcheurs aussi, comme les mineurs, comme les enseignants, mais ils ne peuvent obtenir tout l'argent qu'ils veulent parce qu'il n'est pas possible de hausser les taxes et les impôts autant qu'on le voudrait. On risquerait, sinon, de détruire le pays.

Ainsi, tout le monde doit, le plus souvent, se satisfaire d'un peu moins qu'il le voudrait et parfois même de beaucoup moins. Tous les gouvernements distribuent leur argent, un peu ici et un peu là, pour que tout le monde ait un petit quelque chose, mais c'est généralement toujours beaucoup moins que ce que les gens disent avoir absolument besoin.

C'est une somme considérable, pour la majorité des gens, quand on parle d'investir 98 millions de dollars et peut-être même, comme Rob l'a dit, 110 millions de dollars par an dans ce qui est essentiellement une campagne de marketing. Je sais qu'on va consacrer une partie de cette somme à de la publicité de masse et aussi à essayer de changer l'attitude des gens en recourant à d'autres moyens mais, de façon générale, est-ce que les 98 millions de dollars que l'on prévoit de verser à des publicitaires et à des spécialistes du marketing vont suffire? Va-t-on parvenir à convaincre les gens? Comment va-t-on arriver à convaincre les députés, par l'intermédiaire de leurs électeurs, que cette somme est insuffisante? Il est question de 98 millions de dollars tout de suite. Que se passerait-il si, par exemple, ce projet de loi devait ne pas être adopté? Qu'en pensez-vous? J'ai l'impression que ça fait beaucoup d'argent.

Le président: Nous allons prendre une pause de cinq minutes. Je vous invite à reformuler votre question de façon plus brève, pour que nous puissions la consigner au procès-verbal.

Le sénateur Banks: Ne craignez-vous pas que l'annonce du ministre Rock, soit d'injecter 98 millions de dollars dans un programme de lutte contre le tabagisme, comporte un certain danger?

M. Garcia: Dans votre préambule, vous avez dit que le problème tient en partie à la capacité de hausser les taxes. L'avantage que présentent les taxes sur le tabac tient en partie au fait que les produits du tabac sont toxicomanogènes. L'augmentation du prix sera proportionnellement inférieure à l'augmentation des recettes du gouvernement. Nous avons encore beaucoup de marge pour financer les programmes de lutte contre le gouvernement. Les sociétés productrices de tabac ont elles-mêmes apporté leur appui au projet loi S-15, ce qui veut dire qu'elles sont d'accord avec les chiffres que ce texte annonce et avec l'investissement du gouvernement.

Je dirais qu'un des dangers serait que le gouvernement ne parvienne pas à expliquer aux Canadiens la raison d'être de ce programme. En revanche, j'estime que si les Canadiennes et les Canadiens comprennent vraiment l'ampleur et la gravité du problème et la nécessité d'investir pour le régler, ils seront forcément d'accord avec ce projet de loi. Comme Rob l'a indiqué, 75 p. 100 d'entre eux sont favorables au projet de loi S-15.

Le sénateur Banks: Voici là où je veux en venir. Supposons que je sois médecin et vous patient ayant besoin d'une certaine quantité de médicaments pour guérir. Si vous ne prenez pas tous les médicaments dont vous avez besoin et que vous guérissez pas, ne risque-t-on pas de donner l'impression que c'est le médicament qui ne fonctionne pas? On pourra se dire qu'on a essayé tel ou tel médicament et qu'il n'a pas donné les résultats escomptés.

M. Garcia: Nous sommes loin de la posologie maximale. C'est cela le danger. Nous espérons mobiliser l'appui autour du projet de loi S-15 et régler le problème. Nous espérons aussi obtenir un appui pour l'investissement à l'échelon provincial. C'est cela nature du projet canadien.

Le sénateur Banks: Une autre question, pour M. Cunningham. Vous étiez avec nous le jour où nous étions tous prêts à tomber à bras raccourcis sur les présidents des sociétés productrices de tabac qui avaient été cités à comparaître. Je suis sûr que votre mâchoire s'est décrochée autant que la nôtre quand vous les avez vus s'asseoir et jurer leur appui inconditionnel au projet de loi S-15 dans leurs déclarations liminaires. Il y a des cyniques, au Canada, qui ont trouvé quelque chose d'étrange dans tout cela. Pourquoi donc ces gens-là voudraient-ils contribuer à un effort qui est destiné à réduire leur marché - non pas leur part de marché - mais leur marché global, leurs clients éventuels, leurs clients futurs? Pourquoi pensez-vous qu'ils se sont déclarés en faveur du projet de loi S-15?

Tout à l'heure, vous nous avez dit qu'ils avaient encore dépensé quelques centaines de dollars en publicité aujourd'hui, comme ils l'avaient fait mardi et la semaine précédente. Ils dépensent sans doute un bon million de dollars à se porter tort. Pourquoi donc?

M. Cunningham: Je dirais qu'il y a plusieurs raisons à cela, mais comme je n'assiste pas à leurs réunions de conseil, je ne peux que me livrer à des conjectures. En 1964, les sociétés productrices de tabac se sont engagées, en vertu de leur premier code volontaire, à ne pas faire de publicité auprès des jeunes de 18 ans. Ils ne voulaient pas que les jeunes commencent à fumer. Dans les années suivantes, les manufacturiers ont commencé à faire de la publicité auprès des enfants. Par la suite, ils ont affirmé ne pas vouloir inciter les jeunes à fumer, ne jamais avoir fait de publicité auprès des moins de 18 ans et être tout à fait d'accord avec l'application des lois empêchant la vente de tabac à des mineurs. Et pourtant, pendant toute cette décennie, la Imperial Tobacco a effectué des études de marché, tous les mois, sur des jeunes à peine âgés de 15 ans. Elle continue de nous cacher les résultats de ces recherches aujourd'hui encore.

Moi, je crois que les compagnies de tabac voient un certain avantage sur le plan des relations publiques à s'opposer au tabagisme chez les jeunes, ce qui explique en partie leur décision d'appuyer ce projet de loi. N'oubliez pas que ce comité les a invités à comparaître plusieurs fois en qualité de témoins, mais qu'ils ont toujours refusé, et que ce n'est qu'une fois dûment convoqués qu'ils sont venus devant vous. Voilà le contexte dans lequel il faut situer tout cela. Je crois, par ailleurs, qu'ils étaient tout à fait conscients de ce qui pouvait leur arriver après la comparution, en 1994, des PDG de firmes américaines devant la commission du Congrès à qui ils ont affirmé sous serment que, selon eux, la nicotine n'entraînait pas de dépendance.

Comme ils ne voulaient pas avoir à répéter des déclarations du genre, deux compagnies ont décidé d'annoncer leur appui au projet de loi S-15. C'est très intéressant parce qu'elles s'étaient opposées au projet de loi précédent par la voix de l'Association des manufacturiers canadiens. Une fois qu'ils se sont retrouvés devant le comité et ont été contraints de répondre à certaines questions, ils ont déclaré avoir été pris au dépourvu. On leur a demandé s'ils comptaient effectivement appuyer le projet de loi et s'engager à en favoriser l'adoption. C'est alors que nous avons commencé à voir ces annonces payées.

Si vous me le permettez, je voudrais revenir sur la question que vous avez posée tout à l'heure à M. Garcia. Des États comme la Californie et le Massachusetts ont réservé une partie des recettes dérivées des taxes sur le tabac. Celles-ci sont intouchables, elles ne pourront être réduites par la suite, si bien qu'une partie de l'argent prélevé est effectivement consacrée à la lutte contre le tabagisme. Cette forme de viabilité est très importante et nous savons que, sans une telle détermination, les sommes réservées par le biais du prélèvement annoncé dans le projet de loi S-15 risquent de ne pas être maintenues par les futurs gouvernements au niveau annoncé le 5 avril.

Le sénateur Banks: Merci.

Le sénateur Adams: J'ai une question à poser. Le gouvernement va dépenser plus de 90 millions de dollars par an dans une campagne visant à inciter les gens à arrêter de fumer. Le projet de loi S-15 est plutôt destiné à encourager les jeunes à ne pas commencer à fumer. Depuis 1987, on effectue des recherches visant à aider les fumeurs qui veulent arrêter. Connaissez-vous le pourcentage de gens qui sont davantage préoccupés de la fumée secondaire ces dernières années? Est-ce que l'imposition de zones non-fumeurs dans les restaurants et les bars, surtout dans des villes comme Toronto ou Vancouver, fonctionne?

Les gens qui veulent fumer doivent sortir et on en a beaucoup entendu parler, surtout à Ottawa, où ils doivent sortir par des moins 20 ou des moins 25. J'en vois de plus en plus à l'extérieur des immeubles en train de griller une cigarette. Ils feraient mieux d'arrêter de fumer. Pensez-vous que cela fonctionne?

Il doit certainement exister une formule plus efficace que le projet de loi S-15, que la proposition du gouvernement et que le fait de devoir fumer à l'extérieur.

M. Garcia: Votre question est complexe. Les premières études établissant le lien entre la fumée de cigarette et le cancer du poumon sont vieilles de plus de 15 ans déjà. Avec le temps, nous avons recueilli de plus en plus d'informations. De plus, des avis même très modestes comme l'avertissement du Surgeon General et la reconnaissance des droits des non-fumeurs ont donné des résultats positifs. Dans leurs études, des économistes ont établi que le militantisme a permis de sauver des vies.

Chez les hommes, le nombre de fumeurs a considérablement diminué depuis les années 50 et encore plus depuis 1964. Malheureusement, la courbe s'est un peu redressée à partir des années 90. Nous n'avons pas assisté à l'importante réduction que nous espérions et même si l'on a constaté que le nombre de cancers a commencé à diminuer, essentiellement sous l'effet d'une diminution du nombre de fumeurs chez les hommes, il y a encore beaucoup de chemin à faire. On pourrait améliorer cette situation, et le programme de lutte contre le tabagisme adopté par la Californie a prouvé qu'il est possible de parvenir à une diminution des taux de cancers nettement supérieure à celle enregistrée pour l'ensemble des États-Unis.

En Ontario, même si ces taux sont à la baisse, le nombre de cas a en fait augmenté de 2 à 3 p. 100 par an, si bien que nous avons beaucoup de progrès à faire.

Un bon quart de ces cancers est dû à la consommation de cigarette que nous devrions éliminer entièrement. Dans votre question, vous avez laissé entendre que cette démarche est complexe - et je suis d'accord avec vous - parce qu'on s'attaque aux attitudes de la population et aux changements de normes sociales. Quand on parle de «normalisation», on veut en fait faire en sorte que l'usage du tabac ne soit pas aussi normal dans la société canadienne. Les restrictions imposées sur l'usage du tabac dans les lieux publics, sur les lieux de travail, dans les bars et les restaurants, contribuent à cet effort.

Les études ont établi que les politiques interdisant l'usage du tabac sur les lieux de travail et encourageant les gens à arrêter de fumer peuvent permettre de réduire les taux de tabagisme de 25 p. 100, sans compter que ceux qui continuent de fumer le font moins fréquemment. On parle ici de parents, de membres de famille qui exposent moins les enfants à la maison parce qu'ils fument moins chez eux également. Tout est lié. Voilà pourquoi il faut, dans l'approche retenue pour les jeunes, adopter des programmes de renoncement au tabac, augmenter les taxes et ainsi de suite.

M. Cunningham: Sénateur Adams, je dois vous dire que, quand j'ai eu le plaisir de me trouver au Nunavut pour les cérémonies d'inauguration du territoire, j'ai rencontré le sous-ministre de la Santé qui m'a dit à quel point le problème est grave là-bas. Il estimait que 90 p. 100 des adolescentes fument et que les personnes âgées meurent de plus en plus jeune d'emphysème.

Le sénateur Kenny: Quel pourcentage?

M. Cunningham: Quatre-vingt-dix pour cent. Les personnes âgées, les parents meurent d'emphysème. C'est un territoire très jeune, qui vient juste d'être créé et qui ne dispose pas des ressources nécessaires pour régler ce problème. Je suis certain que le projet de loi S-15 contribuera à améliorer la situation.

Le sénateur Adams: Entre-temps, pendant que le ministère de la Santé se préoccupe des problèmes de fumée secondaire, il y a des gens qui ont le cancer des dents et d'autres types de cancer. Je rencontre parfois des gens qui sortent un paquet de cigarette avec ces photos horribles et je leur demande: «Que pensez-vous de cette photo, de l'avertissement sur la paquet de cigarette?» Ils me répondent «Willie, c'est bien simple, il faut que je fume». Comment convaincre les gens, surtout les jeunes - tout de suite?

Ces deux derniers jours, nous avons entendu dire qu'à Calgary et à Edmonton, les jeunes peuvent se procurer des cigarettes n'importe où. Ils n'ont aucun problème. Comment peut-on arrêter cela? Pourtant, au magasin du coin, il y a des avis qui précisent qu'il faut avoir 19 ans ou 18 ans pour acheter des cigarettes. Cela n'empêche que nous avons des problèmes de ce côté-là.

Dans le Nord, pendant les récréations du matin ou de l'après-midi, on voit les élèves fumer à l'extérieur des écoles. Comment les arrêter? C'est par-là, je crois, qu'il faut commencer.

M. Garcia: Rob voudra peut-être intervenir lui aussi, mais je me dois de relever vos remarques précédentes relativement à l'importance des influences intervenant sur le comportement des fumeurs. Comme je le disais dans mon exposé, le comportement sanitaire des gens est influencé par le contexte social. Pour régler ce problème tout à fait culturel, nous devrons recourir à une batterie d'interventions. Il faut se dire qu'il n'existe pas de remède miracle unique susceptible d'avoir un effet à tout coup.

La bonne nouvelle, en revanche, c'est que les programmes d'éducation en santé publique, qui sont complets et bien financés, donnent des résultats. Nous avons constaté que les programmes de normalisation par les medias de masse, administrés parallèlement avec des programmes communautaires, donnent de bons résultats. Il nous faut simplement obtenir l'engagement politique de les mettre en oeuvre.

Le président: Merci. Je me dois d'indiquer à l'intention des élèves de l'École secondaire Senator O'Connor que le sénateur Kenny vient de l'Ontario, le sénateur Adams du Nunavut - c'est le seul membre bilingue du comité - et que le sénateur Banks vient de l'Alberta. Le sénateur Kelleher et moi-même venons de l'Ontario.

Le sénateur Kenny: Merci, monsieur le président. Pourrait-on demander à M. Garcia d'expliquer un peu mieux au comité ce qu'il entend par programme complet de lutte contre le tabagisme. Nous nous rendons compte que nos collègues à Ottawa sont à la recherche d'un remède miracle. Ils veulent une solution unique. Ils nous demandent: «Que doit-on faire? Voulez-vous un programme de publicité? Voulez-vous un programme scolaire? Dites-nous ce qui vous intéresse et nous l'entreprendrons».

J'aimerais que vous nous décriviez la façon dont se présente, pour vous, un programme complet de lutte contre le tabagisme et précisez-nous à quoi il devrait ressembler au Canada. Si nous avions suffisamment de fonds et si nous étions bien organisés, à quoi ce programme ressemblerait-il?

M. Garcia: Vous venez de poser de nouveau une question très vaste. Il est question d'adopter une approche complète, intégrée en matière de lutte contre le tabagisme, une approche qui nous permettra d'endiguer l'épidémie. Nous devons nous engager résolument envers des objectifs de réduction du tabagisme chez les enfants et les adolescents. Je crois savoir que, récemment, Gerry Bonham a dit qu'on pouvait tout à fait parvenir à un taux de 5 p. 100 chez les jeunes en vertu du projet de loi S-15. Je crois qu'il a raison.

Cependant, pour parvenir à cet objectif, nous devons élaborer des mesures politiques et, par le biais de campagnes de promotion et de publicité, nous devrons sensibiliser la population à l'intérêt que présentent l'application de taxes élevées et l'interdiction de l'usage du tabac dans les lieux publics. Il nous faut entreprendre une campagne dans les mass médias pour dénoncer les crimes et les tromperies de l'industrie du tabac. J'envisage de recourir aux moyens de communication de masse pour dénormaliser l'industrie, le produit et la consommation de tabac.

Nous devrons disposer des ressources nécessaires pour mettre ce genre de programme en oeuvre dans différents secteurs, dans le système scolaire, sur les lieux de travail, dans le réseau de santé, auprès de groupes communautaires et ainsi de suite. Nous devrons élaborer des ressources éducatives et former des spécialistes pour donner des séances d'information. Nous devrons subventionner les collectivités, les organismes de santé publique, les conseils scolaires et ainsi de suite. Comme vous le laissez entendre dans votre projet de loi, il nous faut un système complet de surveillance et de responsabilité pour que la structure soit administrée et gérée en fonction d'objectifs stratégiques et il nous faut aussi disposer d'un mécanisme qui nous permettra de débloquer des ressources supplémentaires, advenant que nous ne parvenions pas à nos objectifs.

Je me rends compte que je viens de vous brosser un tableau à très grands traits, mais c'est là l'essentiel de la stratégie.

Le sénateur Kenny: Je suis heureux de vous voir ici, monsieur Cunningham. Personne d'autre que vous, au cours des 10 dernières années, n'a mieux surveillé ce que fait le gouvernement. Les sociétés du cancer en Amérique du Nord ont cette réputation. Nous avons entendu des témoins de la division californienne de l'American Cancer Society, lors de notre passage à Vancouver. Ils nous ont parlé de leur combat et des difficultés auxquelles ils se heurtent dans cet État.

J'ai cru comprendre que le taux de fumeurs en Californie est d'environ 6,9 p. 100 et, même si nous appliquons des mesures légèrement différentes, c'est tout de même nettement moins que celui enregistré chez nous, qui est de 28 p. 100.

Pourriez-vous, pour le comité, nous parler des bons et des mauvais résultats obtenus par le gouvernement fédéral au cours des 10 dernières années. Qu'a-t-il fait de productif et d'utile et quel genre de promesse n'a-t-il pas respecté ou quel genre de mesure inutile a-t-il pris? Ce faisant, nous aurons une meilleure idée de ce que vous pensez de la situation et de ce qu'en pense aussi la Société canadienne du cancer.

M. Cunningham: Très certainement. Je dirais que le gouvernement a obtenu d'excellents résultats sur le plan législatif au cours des 10 dernières années. Il a imposé certaines restrictions sur la publicité, a imposé de nouveaux avertissements sur les paquets de cigarette - avertissements qui sont les meilleurs du monde - et a adopté une loi pour empêcher la vente de tabac aux mineurs. Il y a bien aussi la Loi sur la santé des non-fumeurs, qui s'applique aux lieux de travail relevant du gouvernement fédéral, mais celle-ci n'a pas été mise à jour depuis 1989 et il serait temps de le faire.

En 1999, le gouvernement a publié un document de travail sur les règlements de promotion, mais n'a rien fait par la suite et nous attendons encore qu'il agisse sur ce plan. La réduction des taxes sur le tabac en 1994 a eu un effet absolument catastrophique sur le tabagisme.

Le sénateur Kenny: Pourriez-vous nous dire quels étaient les niveaux de tabagisme avant cette réduction de taxe, et après?

M. Cunningham: Bien sûr. Avant cela, le gouvernement fédéral n'effectuait pas d'enquête annuelle, mais je crois pouvoir dire que le taux de tabagisme à l'échelle nationale, chez les 15 à 19 ans, était de 21 p. 100 en 1991. Après la réduction des taxes sur le tabac en 1994, on a constaté d'après diverses études que les taux étaient passés à 29 ou 30 p. 100. Il s'agit-là d'une augmentation très marquée qui aura des conséquences tragiques.

Nous avons constaté une augmentation de la consommation par personne chez les adultes, après un très net déclin les années précédentes. La consommation par personne en 1992 était de 40 p. 100 inférieure à celle de 1982. C'était une diminution considérable qui tenait à plusieurs raisons, mais principalement aux taxes élevées sur le tabac, aux restrictions imposées à la publicité et aux avertissements apposés sur les emballages.

Toutefois, on a constaté que les tendances s'étaient inversées après la réduction des taxes sur le tabac. Depuis lors, les mêmes taxes ont augmenté plusieurs fois et l'augmentation du 5 avril est plus importante que certaines qui avaient précédé, et qui tournaient autour de 1,20 à 1,40 $ le carton, entre les deux ordres de gouvernement, pour atteindre 4 $ le carton.

Côté programmation, je crois que le gouvernement a raté des occasions et c'est à ce titre qu'on doit lui accorder une mauvaise note pour les 10 dernières années.

C'est en 1994 qu'il a annoncé sa stratégie de réduction du tabagisme sur une période de trois ans. Celle-ci devait être dotée d'un budget de 60 millions de dollars par an qui n'a cessé d'être réduit ensuite, la première fois à peine un an et demi après l'annonce.

Le sénateur Banks: La surtaxe a-t-elle été réduite également?

M. Cunningham: La surtaxe imposée sur les bénéfices des sociétés productrices de tabac, qui était censée alimenter la Stratégie de réduction du tabagisme, n'a pas été réduite. En fait, les recettes dues à cette surtaxe ont augmenté sous l'effet d'une augmentation des bénéfices des compagnies de tabac dans les années qui ont suivi. Elle a d'abord rapporté 60 millions de dollars, puis elle est passée à environ 80 millions de dollars, tandis que, dans le même temps, les sommes consacrées à la lutte contre le tabagisme ont diminué.

Vous avez demandé à M. Garcia ce à quoi ressemblerait une stratégie complète. Pour l'instant, nous n'avons pas encore, au Canada, de ligne téléphonique pour aider les adultes désireux d'arrêter de fumer.

Le sénateur Kenny: Pourriez-vous prendre un instant pour expliquer au comité comment fonctionne un tel numéro gratuit?

M. Cunningham: Bien sûr. Il s'agit donc d'un numéro que les gens peuvent appeler gratuitement de n'importe où au Canada, même depuis une collectivité rurale ou une collectivité éloignée du Nord, ou depuis n'importe quelle ville, pour obtenir une assistance, des conseils ou des documents et peut-être même des conseils donnés par une infirmière diplômée sur la façon d'arrêter de fumer. Il existe plusieurs formules à ce titre qui ont donné divers résultats, plus ou moins probants, le tout dépendant des ressources et du genre de stratégies adoptées. Dans tous les cas, il s'agit d'un élément tout à fait valable de toute stratégie antitabac.

Le sénateur Kenny: Comment fonctionnerait ce genre de numéro gratuit, si l'on voulait en faire un service de première classe? Parlez-nous de la possibilité de rappeler les interlocuteurs, des vérifications périodiques et ainsi de suite.

M. Garcia: Vous savez, je ne suis pas un expert dans le domaine du renoncement au tabagisme, mais il est essentiellement question, à partir d'une méthode d'évaluation de la consommation, de déterminer dans quelle mesure le fumeur est prêt à s'arrêter. On applique une théorie psychologique appelée «les étapes du changement», selon laquelle on évalue dans quelle mesure chaque fumeur est prêt à s'arrêter et on détermine sa dépendance des produits du tabac. Les services d'aide au renoncement du tabac sont adaptés au niveau de préparation de chacun. En général, il est question d'offrir une thérapie axée sur la maîtrise de soi et le changement de comportement...

Le sénateur Kenny: Excusez-moi, monsieur Garcia, pourriez-vous vous adresser à moi comme si je fumais un paquet de cigarette par jour, et essayez de m'expliquer comment les choses fonctionnent.

M. Garcia: D'abord il y aurait une publicité sur les paquets de cigarette et dans les médias vous indiquant que la consommation de cigarette risque de vous tuer si vous n'arrêtez pas, puisque la moitié des fumeurs meurent prématurément à cause de cette habitude. Si vous vous trouvez dans cette situation et désirez arrêter de fumer, vous pourrez appeler ce numéro. Nous savons que 75 p. 100 des fumeurs ont déjà essayé d'arrêter au moins une fois, mais qu'ils doivent souvent s'y reprendre à plusieurs fois.

À l'autre bout de la ligne, vous serez accueilli par une voix amicale qui pourra vous donner des conseils sur la façon d'arrêter de fumer, sept jours sur sept, 24 heures sur 24. On vous posera des questions sur vos tentatives passées pour déterminer la meilleure méthode dans votre cas et vous donner des conseils pratiques. On vous expliquera les ressources existantes dans votre collectivité pour vous aider à arrêter de fumer et le genre de soutien que vous pourrez recevoir.

Votre interlocuteur ou interlocutrice vous demandera si vous voulez qu'on vous rappelle une semaine ou un mois plus tard pour déterminer où vous en êtes.

M. Cunningham: Il faut se rendre compte d'une chose, c'est qu'une importante proportion de fumeurs, adolescents et adultes, veulent arrêter de fumer et que 40 p. 100 d'entre eux s'y essaient chaque année. Ils veulent être aidés de façon positive, tandis qu'on peut assimiler l'avertissement sur le paquet de cigarette à une méthode négative. Les deux donnent des résultats.

Bien des fumeurs veulent se faire aider et on pourrait y parvenir grâce à un numéro gratuit.

Le sénateur Kenny: Excusez-moi de vous interrompre, mais parlez-nous des éléments qui manquent dans le programme.

M. Cunningham: Nous devons, je crois, nous doter d'une fonction de surveillance qui nous donnera des renseignements annuels détaillés sur ce qui se passe sur le marché et sur les taux de tabagisme dans les différents groupes de la population. Nous n'avons jamais appliqué un tel programme de façon suivie au Canada.

En plus de ce que M. Garcia vous a mentionné - c'est-à-dire le recours aux moyens de communication de masse, aux programmes de sensibilisation à l'école, aux programmes communautaires, aux différents types de programme destinés à favoriser la cessation de l'usage de tabac, hormis la ligne d'assistance gratuite - je dirais qu'il faut accorder des subventions pour réduire les coûts des produits d'aide au renoncement du tabac. Il existe des produits distribués sur ordonnance ou en vente libre.

Il faut effectuer davantage de recherches, parce que nous avons encore beaucoup de choses à apprendre. Nous en savons déjà beaucoup, mais nous pourrions accroître notre connaissance, sans compter que les recherches poussées réalisées un peu partout dans le monde donnent lieu à de nouvelles connaissances que nous pourrions appliquer.

L'évaluation est également très importante et elle va main dans la main avec la recherche. Nous devons apprendre de nos expériences pour ne pas répéter nos erreurs du passé et progresser de façon efficace.

Nous avons besoin d'un plan d'action communautaire. Il se passe beaucoup de choses intéressantes au niveau communautaire, mais les organisations ne disposent pas nécessairement des ressources voulues pour agir.

On devrait confier l'exécution des programmes obligatoires aux unités de santé publique, dans les provinces - ce qui ne se fait actuellement pas au Canada - et déterminer ce qui devrait se faire année après année. Bien sûr, pour que cela soit possible, il faut disposer de ressources.

Le sénateur Kenny: Combien?

M. Cunningham: Cela dépend si l'on parle de toute la stratégie ou simplement des unités de santé publique. Cela dépend si nous voulons adopter des programmes de première catégorie ou des programmes de deuxième catégorie qui, même s'ils sont efficaces, ne seront bien sûr pas aussi bons que les premiers. Je devrai y réfléchir et vous communiquer plus tard ces chiffres en ce qui concerne les unités de santé publique.

Le sénateur Kenny: Et globalement?

M. Garcia: La règle qu'applique a priori le ministère de la Santé de la Californie consiste à consacrer un tiers des fonds à des programmes de mass média - le ministre Rock, lui, en a réservé 40 p. 100 soit un peu plus - un tiers à des interventions de santé publique et un autre tiers à des programmes communautaires.

Le sénateur Kenny: En fait, je voulais avoir une idée du budget par habitant.

M. Garcia: Nous recommandons d'investir 368 à 725 millions de dollars dans un programme national, provincial et local pour que celui-ci soit bien doté.

Le président: M. Cunningham a parlé des restrictions sur la publicité. Est-ce qu'une de vos deux organisations a essayé récemment de pétitionner le gouvernement ou de mobiliser l'opinion publique pour que les fabricants de cigarettes ne puissent pas déduire leurs coûts de publicité des impôts sur le revenu des sociétés? Je trouve étrange qu'on accorde des déductions fiscales à des entreprises qui dépensent de l'argent pour essayer de détourner du droit chemin nos adolescents et d'autres. Cela ne me semble pas très raisonnable. Certains invoquent la libre entreprise mais, à mes yeux, ce n'est pas faire de la libre entreprise que de permettre à quelqu'un de déduire des coûts de publicité pour annoncer un produit néfaste à la santé. Avez-vous fait quelque chose sur ce plan?

M. Cunningham: Oui. Quand le gouvernement envisageait d'adopter sa Loi nationale contre le tabac en 1996, nous l'avons exhorté à supprimer la déduction d'impôt pour les dépenses associées à la commercialisation du tabac. Ces dernières années, plusieurs projets de loi ont été soumis au Congrès américain, qui ne les a pas adoptés, et la même chose s'est produite au Canada. C'est une chose que les compagnies de tabac commercialisent leurs produits, c'en est une autre que les Canadiennes et les Canadiens les subventionnent, par le truchement de leur gouvernement.

Nous sommes favorables à une interdiction complète de la publicité et de la promotion mais, en attendant, nous pourrions très certainement éliminer la déduction pour impôt au titre des dépenses de marketing. Puisque nous avons pu priver les compagnies canadiennes des déductions d'impôts au titre des coûts de publicité dans les magazines américains ou à la télévision américaine, rien ne nous empêche de faire la même chose du côté des compagnies de tabac.

Le sénateur Banks: Ce dossier est relativement nouveau pour moi et je veux être certain de bien comprendre. Tout à l'heure, vous avez dit que le gouvernement a imposé une surtaxe sur les ventes de tabac - je crois que c'était en 1994 - qu'il avait l'intention de se servir de cet argent pour financer des campagnes antitabac mais que, par la suite, même s'il a continué de percevoir cette taxe, il n'a pas appliqué l'argent recueilli aux programmes de lutte contre le tabagisme. Autrement dit, il avait prévu d'investir cet argent d'une certaine façon mais il ne l'a pas fait et s'en est plutôt servi pour l'éducation, pour l'armée ou pour autre chose.

C'est cela?

M. Cunningham: C'est cela. Le gouvernement fédéral a appliqué la surtaxe sur les bénéfices des compagnies de tabac en 1994 et, bien qu'il ait annoncé son intention d'utiliser cet argent d'une certaine façon, il n'a adopté aucune loi visant à destiner ces crédits à la lutte contre le tabagisme. C'est en cela que le projet de loi S-15 est différent.

Le sénateur Banks: Outre le manque général de confiance que la population entretient à l'égard des politiciens, est-ce que c'est un des avantages que vous voyez dans le prélèvement, qui n'est pas une taxe. Voyez-vous un avantage à ce que le projet de loi du sénateur Kenny prévoie que l'argent n'aboutira pas dans les mains du gouvernement et qu'il ne sera donc pas sujet aux aléas de la politique électorale?

M. Cunningham: C'est tout à fait cela, sénateur. Il s'agit-là d'une application législative officielle, comme nous l'avons vu en Californie, au Massachusetts et ailleurs. Il s'agirait d'un prélèvement, pas d'une taxe, et les recettes aboutiraient dans les caisses d'une fondation indépendante. Cette formule est garante de viabilité, elle va nous permettre de planifier, d'élaborer et de mettre des programmes en oeuvre.

M. Garcia: Je ne pense pas qu'aucun de nous ne remette en question l'engagement du ministre Rock. Mais les ministres passent.

Le président: Merci beaucoup. Je veux préciser, à l'intention de notre auditoire, que rien n'empêche un citoyen, dans une démocratie comme la nôtre, d'écrire au premier ministre pour lui dire que le projet de loi S-15 devrait être adopté. D'ailleurs, comme je suis un ancien politicien élu occupant maintenant une charge où l'on m'a nommé, je puis vous dire que si nous ne lisons pas toutes les lettres que nous recevons, il y en a beaucoup qui nous amènent à nous interroger sérieusement sur ce qui se passe.

Si vous voulez envoyer un mot au premier ministre, sachez que vous n'avez pas besoin de commencer par une déclaration d'amour pour lui dire qu'il faut adopter le projet de loi S-15. De plus, vous n'avez pas besoin d'affranchir l'enveloppe. Quand on écrit au premier ministre, il suffit de mettre sa lettre à la poste.

Merci beaucoup de vos témoignages, messieurs.

Avant de passer à nos prochains témoins, vous serez sans doute heureux d'apprendre que, hier soir, le Conseil municipal d'Ottawa a adopté un règlement interdisant la consommation de tabac dans les lieux publics, c'est-à-dire dans les restaurants, les bars et même dans les salles de bingo. Lentement mais sûrement, nous sommes en train de gagner la guerre.

J'accueille maintenant M. Chuck Wolfe.

M. Chuck Wolfe, vice-président exécutif et directeur des opérations, American Legacy Foundation: Merci, sénateurs. Je suis très heureux de me retrouver parmi vous. C'est la troisième fois que je viens au Canada pour parler de lutte contre le tabagisme et des succès que nous avons remporté un peu partout aux États-Unis, surtout en Floride, grâce au programme de prévention du tabagisme chez les jeunes.

Si vous me le permettez, je me propose de revenir très rapidement sur mon témoignage précédent au sujet du programme pilote antitabac en Floride et des efforts que nous avons déployés à cet égard.

Lors de mes deux comparutions précédentes, j'ai attendu la fin pour vous parler de nos réussites, mais je vais faire le contraire aujourd'hui pour vous annoncer qu'après deux années d'administration du programme en Floride, nous sommes parvenus à réduire le nombre de fumeurs chez les élèves de 12 à 14 ans de 54 p. 100. La consommation de tabac a donc été réduite de moitié en deux ans pour ce groupe.

Ceux qui se demandent si ces programmes peuvent donner des résultats n'ont qu'à examiner les chiffres publiés par les CDC, les Centers for Disease Control.

Pendant la même période de deux ans, nous avons infléchi de 20 p. 100 la consommation de tabac chez les adolescents de 14 à 18 ans.

Ces programmes peuvent donner des résultats fantastiques. En Floride, ce sont les jeunes qui l'ont administré. Nous avons un conseil d'administration de 70 membres dont 10 forment un comité de direction, qui a un pouvoir de dépenser. Les membres du conseil déterminent combien il faut dépenser, dans quels secteurs de programme, le ton qu'il faut adopter dans les publicités et le genre de messages à faire passer. Puis, le personnel met leurs recommandations en oeuvre.

Ce faisant, de nombreux élus et fonctionnaires trouvent un peu étrange de confier ainsi la responsabilité de dépenser de l'argent à de si jeunes personnes, surtout qu'elles n'ont même pas le droit de vote. Pourtant, cette formule a donné d'excellents résultats et elle représente la pierre de faîte de ce que nous voulions faire.

Il est indéniable que les jeunes ont voulu relever ce défi avec beaucoup de sérieux et qu'ils ont proposé le programme le plus progressiste que nous ayons connu jusqu'ici. Nous avons obtenu ces résultats parce qu'ils ont estimé qu'il s'agissait de leur programme et qu'ils étaient tout à fait conscients du genre de responsabilité que son administration représentait.

Ils sont intervenus sur cinq plans - le plus important étant celui du marketing sur lequel je reviendrai brièvement plus tard - et ont mis sur pied une campagne antitabac de leur cru, qu'ils ont baptisé «Truth». La campagne Truth, celle de la vérité, a connu des débuts plutôt tendus quand ces jeunes gens et jeunes filles se sont annoncés auprès des compagnies de tabac pour leur expliquer qu'ils étaient plus intelligents et plus rapides que leurs cadres et qu'ils entendaient leur rendre visite plus tard pour leur communiquer un certain message. Ils leur ont indiqué qu'ils en avaient assez des mensonges et des manipulations des compagnies de tabac, qu'ils voulaient les dénoncer et dire la vérité au sujet du tabac. Ils en avaient assez de l'image du fumeur sexy, détendu et rebelle fabriquée par les fabricants de produits de tabac. Ils entendaient parler de la véritable nature de ce produit, qui n'avait rien à voir avec les aspects merveilleux que l'industrie moussait depuis longtemps dans ses campagnes de marketing.

En plus de la campagne de marketing, le conseil a décidé de lancer une campagne d'information auprès des jeunes des deux sexes et de tous les âges. Nous avons effectué une étude de base qui nous a permis de constater que 16 p. 100 des adolescents consommaient déjà du tabac avant d'avoir atteint de 12 ans; nous avons élaboré des instruments de sensibilisation adaptés à différentes classes, pour les écoles intermédiaires et secondaires de la Floride et d'ailleurs.

Pour cela, nous avons créé des documents supplémentaires à utiliser en classe, par exemple des cahiers de lecture comme «The Berenstain Bears Sinister Smoke Rings» pour les première, deuxième et troisième années. Nous avons aussi élaboré de nouveaux programmes en mathématiques, en études sociales et en sciences, principalement parce que les enseignants dans les États travaillent maintenant en fonction des tests plutôt que d'un programme d'enseignement adapté. Nous voulions que ces nouvelles matières se retrouvent dans les tests en question.

Par exemple, en classe de mathématiques, les élèves ont eu l'occasion de plancher sur des problèmes les invitant à calculer les bénéfices réalisés par une compagnie de tabac, de trouver ce que représente un tel bénéfice par cigarette pour un cadre supérieur ou un actionnaire, ou combien l'actionnaire récupère en fonction du nombre de cartons de cigarettes vendus.

Désormais, ces jeunes sont appelés à résoudre des problèmes de mathématiques qui donnent une masse d'informations sur l'industrie du tabac, ce qui nous éloigne donc des programmes traditionnels des classes d'hygiène et de santé.

Dans ces programmes traditionnels, nous avons constaté qu'on apprend aux jeunes que le tabac est mauvais pour la santé, même s'ils savent tous que tel est le cas et que le fait de leur répéter simplement cette réalité ne règle en rien le problème.

En sciences sociales, nous avons inclus des leçons d'éducation civique pour expliquer la façon dont les projets de loi sont adoptés et donner des indications sur la manière de composer avec des lobbyistes très bien payés qui essaient d'empêcher l'adoption de ces lois. En classe de sciences, les élèves sont invités à parler des effets de l'accoutumance au tabac, à la nicotine.

Voilà qui met un terme à ce bref résumé sur les programmes d'enseignement.

C'est en fait à l'échelon communautaire que nous voulons véritablement modifier les comportements de façon durable. À cet égard, nous avons lancé un programme appelé «SWAT», pour Students Working Against Tobacco (Élèves mobilisés contre le tabagisme). On retrouve une section locale de SWAT dans chaque conté de la Floride, et, partout, ces gens-là ont organisé des concerts très intéressants.

Je ne sais si vous avez entendu parler du groupe NSYNC, mais je suppose que beaucoup le connaissent. Il a donné un de ses meilleurs concerts à Miami à l'occasion d'un énorme événement contre le tabagisme. En outre, ce groupe a donné un grand concert pour promouvoir Truth et marquer le début de notre campagne, ce qui nous a beaucoup aidés.

Nous avons organisé d'autres activités communautaires, comme un train qui a sillonné l'État de la Floride pour porter le message de Truth. À chaque arrêt du train de la vérité, nous avons donné un concert qui a permis d'attirer énormément de jeunes dans notre organisation.

Nous avons aussi lancé des programmes axés sur le respect de la loi. En Floride, il est illégal pour les jeunes de moins de 18 ans de posséder du tabac. Plus encore, il est illégal de leur vendre du tabac. C'est ce qui nous a amenés à investir beaucoup dans la formation des détaillants. Nous avons aussi organisé des pressions à l'échelon local pour rappeler aux détaillants que s'ils étaient pris à vendre de la drogue à des mineurs - car il ne faut pas oublier que la vente de cigarettes à des mineurs est assimilée à la vente de tout autre narcotique illégal - ils seraient traités comme des vendeurs de narcotiques. Ceux qui se feraient prendre feraient l'objet d'une dénonciation par la collectivité: «N'achetez plus rien chez X, parce qu'il vend de la drogue à nos enfants».

Cela en a fait tiquer plus d'un, mais nous avons obtenu certains résultats dans quelques collectivités, même si ce n'est pas à l'échelle de l'État.

Enfin, nous avons mis en oeuvre une dimension évaluation et recherche pour nous permettre de recueillir les statistiques par lesquelles j'ai commencé mon exposé. Un organisme extérieur a étudié ce que faisait le programme pour réduire l'usage du tabac, pour ce qui est du processus et de la programmation.

En outre, le sondage des CDC sur la consommation de tabac chez les jeunes a permis d'effectuer les mêmes mesures en Floride, mesures dont les résultats ont été publiés.

J'en ai terminé avec ce bref résumé des cinq secteurs de programme en Floride.

Je vais maintenant vous parler brièvement de l'American Legacy Foundation ainsi que des efforts nationaux qu'elle déploie. L'année dernière, la Fondation a fait connaître le nom Truth dans tout le pays.

Ce projet Truth fait maintenant l'objet d'une vaste campagne de publicité à l'échelle nationale. De nombreux États y adhèrent et il a permis de lancer des programmes à l'échelon communautaire pour appuyer cet effort.

La fondation verse des subventions dans la plupart des États qui ont adhéré, afin de leur permettre de mettre sur pied des sections locales de SWAT - Students Working Against Tobacco - que celles-ci portent ce nom ou un autre.

Je collabore actuellement avec une bonne dizaine d'États à la formulation de leur programme, dont le Montana et Washington, l'Ohio, l'Indiana, la Georgie, le Tennessee. La Georgie et le Tennessee sont deux États producteurs de tabac. Chaque État propose sa propre façon, créative, de bâtir des programmes communautaires.

Les États ont trouvé des manières intéressantes d'administrer ces programmes. Parfois, ils se sont tournés vers des fondations privées, comme l'American Legacy Foundation. L'État de l'Ohio a mis sur pied une fondation sans but lucratif qu'il finance. L'Indiana a lancé un organisme distinct, entièrement indépendant, qui administre le programme de lutte contre le tabac, mais il y a aussi les programmes traditionnels, moins biens financés, des divers ministères de la Santé des États.

Ainsi, il existe à présent toute une gamme de modèles que nous pouvons étudier et nous avons bien sûr constater que ces programmes, qui jouissent d'une certaine liberté pour faire appel aux auditoires à qui ils s'adressent, réussissent mieux que les programmes des ministères.

Je veux parler de programmes comme celui que j'ai décrit en Floride où des jeunes élaborent leurs messages et travaillent sur les véhicules leur permettant d'acheminer ces messages. Les fumeurs adultes devraient être appelés à participer à l'élaboration des programmes de renoncement au tabac les concernant. Ils pourraient expliquer comment ils envisagent d'arrêter de fumer, combien de fois ils ont essayé et ce qui leur permettrait de s'en sortir, plutôt que de leur imposer la pratique exemplaire du moment qui consiste à faire appel à un universitaire pour élaborer un programme antitabac.

Tout le monde dans l'univers de la lutte contre le tabagisme est bien intentionné et est très sérieux, mais tant que vous n'appliquerez pas un modèle d'entreprise à la formulation duquel vos clients auront participé, vous n'atteindrez les mêmes résultats que la Californie et la Floride. Il est très important, dans la formulation d'une campagne de prévention, de faire participer les jeunes et de leur confier la responsabilité du programme. Si vous effectuez des campagnes d'abandon du tabac, axées sur les adultes, ou des campagnes sur la fumée secondaire, comme vous en parliez plus tôt, il vous faudra alors faire participer les fumeurs pour qu'ils parlent de leurs problèmes, de la fréquence à laquelle ils fument et des lieux où ils fument, et les enjeux devront être présentés avec courtoisie aux fumeurs.

Se pose ensuite le problème de ce qu'il est possible de réaliser avec des ressources limitées plutôt que de viser ce qu'il y a de mieux. Prenons l'exemple de l'industrie de l'automobile. Si vous voulez construire le meilleur véhicule loisir travail du monde, vous vous apercevrez que pour y parvenir vous devrez vous emparer de tout le marché. Imaginons que les actionnaires décident de ne vous donner que 10 p. 100 de ce dont vous aurez besoin pour construire le meilleur VLT du monde. Vous vous retrouvez donc à construire un véhicule qui ne représente que 10 p. 100 du meilleur véhicule que vous visiez et vous obtiendrez donc 10 p. 100 des résultats.

Le Montana est un exemple d'État qui dispose de ressources limitées. Le premier crédit était suffisant, mais pas les suivants. Il est très difficile aux gens, là-bas, de savoir s'ils vont pouvoir offrir des programmes de renoncement du tabagisme aux adultes, par exemple, parce qu'ils ne savent pas d'une année sur l'autre s'ils vont avoir suffisamment de fonds. Les gens qui veulent s'arrêter de fumer reçoivent un appui aujourd'hui mais ne l'auront pas demain. Il est très difficile aussi d'organiser une intervention sur le plan médical. Un jour on se dit disposé à traiter le patient et, le lendemain, on lui dit: «désolés, nous ne voulons plus vous voir». Dans de nombreux États américains, les gens qui sont confrontés à de telles incertitudes sur le plan financier ne savent pas comment s'y prendre pour élaborer leurs programmes.

Ils sont tenus d'établir des priorités dans ce qu'ils veulent faire et de déterminer le genre de pratiques exemplaires qu'ils vont devoir appliquer pour obtenir des résultats. Ils doivent se demander s'ils veulent réduire la consommation de tabac chez les jeunes, favoriser l'arrêt du tabac chez les adultes ou lutter contre l'exposition à la fumée secondaire. Les gens doivent faire un choix entre appliquer un seul programme ou les appliquer tous. Si c'est le dernier choix qu'on fait, il faut être assez honnête pour reconnaître le genre de ressources dont on a besoin et, si on ne les a pas, eh bien, il vaut alors mieux ne pas se lancer.

Voilà quelques exemples dont j'ai entendu parler. De nombreux États offrent actuellement d'excellents programmes et je dois dire que la Floride, le Massachusetts et la Californie arrivent en tête de liste. L'Arizona, Washington, le Minnesota et deux ou trois autres États nous donnent aussi quelques bons exemples, et les autres sont en train de se joindre au mouvement.

Voilà qui met un terme à mes remarques liminaires, monsieur le président.

Le sénateur Kenny: Merci, monsieur le président. Bienvenue au Canada, monsieur Wolfe. Je suis heureux de vous y revoir. Tout à l'heure, vous avez parlé de véhicules loisir travail dans lesquels on investirait 10 p. 100 des coûts nécessaires pour mettre au point le meilleur VLT possible, ce qui ne permet de parvenir qu'à 10 p. 100 du résultat visé. J'aimerais que vous nous parliez un peu plus de cela. Si vous investissez 10 p. 100 du coût d'un VLT, vous n'aurez finalement que l'essieu et les deux roues arrière.

M. Wolfe: Je ne vous offrirai très certainement pas le quatre roues motrices qui caractérisent un VLT.

Le sénateur Kenny: Et vous n'aurez peut-être même pas les deux roues avant.

M. Wolfe: Peut-être pas.

Le sénateur Kenny: Ma question en fait est la suivante. Existe-t-il une masse critique pour pouvoir offrir un programme efficace? Dans l'affirmative, dites-nous où se situe cette masse. Si nous dépensons 2 ou 3 $ par personne, nous n'aurons qu'un programme valant 2 ou 3 $ par tête alors que les CDC d'Atlanta recommandent des dépenses variant entre 9 et 22 $ canadiens.

Ne pensez-vous pas que si l'on obtient ne serait-ce qu'une fraction du budget nécessaire, un tiers ou un quart, il est tout de même possible de parvenir à certains résultats?

C'est une question très grave. Est-il raisonnable d'envisager de se lancer avec des ressources limitées et de les augmenter au fur et à mesure dans le temps, ou faut-il d'emblée disposer d'un montant minimum pour atteindre une certaine efficacité?

M. Wolfe: Excellente question à laquelle je vais essayer de répondre en plusieurs étapes. D'abord, je vais vous parler de la question du financement progressif. Il est arrivé que les assemblées législatives de certains États décident de confier 10 p. 100 des sommes nécessaires la première année, pour lancer les programmes, et peut-être 20 p. 100 la deuxième année. Eh bien, aucun de ces États n'a jamais respecté ses engagements. Les responsables des programmes ne parviennent jamais à obtenir la totalité de ce qui leur est promis parce que quelques années après il leur faut convaincre un nouveau groupe de législateurs.

N'oubliez pas que je viens des mondes de l'entreprise et de la politique. Je sais que cette idée du financement progressif est en fait une astuce utilisée par les élus pour faire croire à leurs électeurs, chez eux, qu'ils se sont attaqués à tel ou tel problème, même s'ils n'entendent pas donner suite à leur action.

Il existe effectivement une masse critique. Ne me demandez pas de consulter ma boule de cristal pour vous dire ce à quoi elle correspond ici. Il faudrait que je passe beaucoup de temps au Canada pour comprendre tous les coûts associés à la prestation d'un programme.

En revanche, je peux vous garantir que vous n'atteindrez aucun résultat si vous ne dotez pas entièrement et dès le début les programmes de lutte contre le tabagisme.

Je vais vous donner un exemple tout à fait approprié, qui concerne les organismes législatifs et élus. Quand un directeur de campagne annonce à un candidat ce que son élection va lui coûter, il est très rare que celui-ci l'invite à se contenter de 10 p. 100 de la somme demandée. En général, il s'arrange pour trouver l'argent et pour mener la campagne qui va lui permettre de se faire élire. Je n'ai jamais vu personne agir autrement.

S'il existe une chose qui est plus importante que la possibilité d'élire librement nos représentants, c'est de veiller à la bonne santé de nos adolescents et de les protéger.

Ce faisant, l'idée de dire qu'on ne va dépenser que 10 p. 100 du budget nécessaire n'est pas très solide à mes yeux.

Je ne pense pas que qui que ce soit veuille lancer une campagne sans pouvoir disposer des ressources nécessaires. Vous pouvez toujours décider de ce que vous voulez effectivement financer, par exemple refuser de financer une campagne de renoncement au tabac, renoncer à aider les fumeurs adultes à s'arrêter ou, au contraire, estimer que ce sera là votre seule action. Vous pouvez dire que vous ne vous préoccuperez pas des adolescents, qu'ils pourront continuer de fumer, et de plus en plus.

Si vous devez faire ce genre de choix, dès lors vous ne vous lancerez pas dans une campagne complète et intégrée. Malheureusement, ce sont des choix qu'il faut faire parfois, mais si vous donnez le choix aux gens qui s'occupent de lutte contre le tabagisme, ils préféreront des programmes généralisés et complets, qui sont les seuls à donner des résultats.

Le sénateur Kenny: Je vais vous donner un exemple. Supposons qu'au Canada nous en arrivions à la conclusion qu'il faut 90 millions de dollars pour lancer une campagne de publicité antitabac efficace. Cette campagne aura-t-elle des chances d'être efficace si elle n'est pas coordonnée avec des programmes locaux, d'État ou régionaux, c'est-à-dire avec les autres éléments d'un programme complet?

Ma question en fait est la suivante. Si vous ne pouvez pas mettre en oeuvre les autres éléments du programme, est-ce qu'un seul des éléments que je viens d'énoncer peut donner des résultats?

M. Wolfe: Pouvez-vous vraiment vous passer des autres? C'est la question. La réponse est non. Le fait d'isoler un élément de la campagne et de l'offrir à part de tout le reste ne peut pas donner lieu à des changements de comportement. Ces changements interviennent à l'échelon communautaire. Quand on entreprend un véritable effort soutenu, tout le monde en parle, tout le monde est au courant du problème et tout le monde découvre les raisons pour lesquelles les produits du tabac paraissent sexy, décontractés et rebelles parce que les compagnies de tabac excellent dans le marketing et pas parce que le produit présente une véritable valeur en soi.

C'est ce genre de changement à l'échelon communautaire qu'il faut obtenir. Or, on n'y parvient pas simplement par le biais d'une campagne de publicité aussi bonne soit-elle. Pour changer le choses, il faut être présent sur le terrain. C'est la même chose avec un candidat à une élection qui ne peut espérer se faire élire sur la seule base d'une excellente campagne publicitaire. Il doit être prêt à aller sur le terrain et à rencontrer les électeurs. On obtient des résultats parce que les gens commencent à en parler à l'échelon local.

Le sénateur Kenny: Est-ce que ce serait être trop inquiet ou faire preuve de trop de prudence que de craindre qu'en mettant simplement en oeuvre une bonne campagne de publicité, on ne porte tort à ce que pourrait donner une campagne complète de lutte contre le tabagisme?

M. Wolfe: Il y a des antécédents. Certains ont lancé une campagne antitabac en ne bénéficiant que d'un financement minimal ou d'un financement portant sur une seule catégorie de programme. On en est venu à croire que ces gens-là entretenaient le désir secret d'échouer dans leur tentative. Que ce soit vrai ou pas, on se pose des questions.

Lancer un seul élément de programme sans bénéficier de l'appui de tous les autres revient à engager son armée dans une bataille sans l'appui de la logistique. Ça ne se fait pas, sauf si vous ne voulez pas que vos combattants reviennent indemnes.

Dans la guerre contre le tabagisme, il ne suffit pas d'assurer une couverture aérienne, il faut engager les troupes au sol, autrement dit, il faut pouvoir à la fois entreprendre des programmes de sensibilisation à l'échelon communautaire et offrir des programmes d'abandon du tabac. Et il y a bien sûr un coût qui se rattache à cela.

Si vous ne voulez pas le faire, à un moment donné quelqu'un va dire: «Regardez tout l'argent qu'on dépense dans ces programmes, alors que les taux de consommation du tabac n'ont pas varié». Ce sera bien sûr le cas, puisque le programme n'aura pas été mené à terme.

Le sénateur Kenny: Merci, monsieur Wolfe.

Le président: Je souhaite la bienvenue aux élèves de septième et de huitième année de l'École Holy Angel. Vous assistez à une séance d'un comité sénatorial. Comme vous le savez sans doute, notre Parlement est composé de deux chambres, le Sénat et la Chambre des communes. Nous, nous sommes du Sénat. Ce matin, nous tenons des audiences sur le projet loi S-15 de lutte contre le tabagisme chez les jeunes.

Les projets de loi sont déposés au Sénat ou à la Chambre des communes et celui-ci a commencé au Sénat. Ici, nous recueillons l'opinion du public à propos du projet de loi S-15 et prenons note des améliorations qu'il peut suggérer. Après cela, nous ferons rapport au Sénat à l'étape de la troisième lecture et, si le projet de loi est alors adopté, il sera envoyé à la Chambre des communes.

Votre présence aujourd'hui vous servira de leçon d'éducation civique. Vous pourriez toujours demander à vos enseignants de vous consentir un double crédit pour cela.

Je vais en profiter pour vous présenter les sénateurs membres du comité. Le sénateur Kenny et le sénateur Kelleher qui sont assis tous deux à chaque extrémité, comme des presse-livres, sont de l'Ontario. Je suis le sénateur Taylor et, comme le sénateur Banks, je viens de l'Alberta. Le sénateur Adams est le seul membre du comité à être bilingue. Il parle l'inuktitut et l'anglais. Il vient du Nunavut, tout là haut dans le Nord.

Le sénateur Adams: Je suis heureux de vous revoir, monsieur Wolfe. Notre dernière rencontre à Ottawa remonte à l'automne dernier. Comme j'habite dans l'Arctique et pas en Floride, je me rends bien compte que nous avons deux cultures différentes. Chez nous, nous enregistrons le plus important taux de tabagisme dans la communauté autochtone, puisque plus de 70 p. 100 des jeunes du territoire fument.

Je veux vous parler de la publicité antitabac. Tout le monde sait qu'il est indiqué, sur les paquets de cigarette, que le fait de fumer peut entraîner le cancer et la mort. Pourtant, cela ne semble pas préoccuper les gens. Dans les centres commerciaux et sur les murs des lieux publics, on peut voir des affiches sur le cancer. Peut-être que l'effet est différent en Floride et en Californie, parce que votre climat est plus chaud et que les jours sont plus longs.

Dans l'extrême-Arctique, les jours sont en train de rallonger et à compter de septembre, nous aurons le soleil 24 heures sur 24. Puis, nous ne verrons plus la lumière du jour pendant trois ou quatre mois et c'est peut-être pour cela que les gens fument autant. Je ne sais pas. C'est peut-être une des raisons pour lesquelles autant de nos jeunes sont accoutumés à la nicotine.

Aux États-Unis, est-ce que ce sont surtout les municipalités qui adoptent des règlements pour empêcher les gens de fumer? Est-ce que c'est surtout le gouvernement qui s'en charge et, si oui, comment s'y prend-il?

M. Wolfe: Excusez-moi, vous vouliez savoir si c'est le gouvernement à l'échelon communautaire qui intervient pour empêcher que les jeunes fument?

Le sénateur Adams: Dans les États.

M. Wolfe: Il est intéressant de remarquer une chose à propos de ce que vous venez de dire. La Floride présente une population très variée composée de Portoricains et de Cubains, de même que de visiteurs qui nous viennent d'Allemagne ou du Canada. Différentes cultures cohabitent et cela nous ramène à ce que nous disions au début au sujet de la publicité. Vous pouvez toujours lancer une vaste campagne pour vous adresser massivement à la population, mais cela ne fonctionne pas dans le cas de communautés qui ne parlent pas forcément la même langue et qui n'ont pas forcément les mêmes normes culturelles que celles de la télévision. La «télédiffusion» n'a rien de ciblé.

Il faut être au coeur de la communauté et travailler en fonction des ses normes culturelles pour changer le comportement des gens. Il faut savoir que la «communauté» se définie en terme d'âge et pas simplement en terme de pays d'origine.

Dans les programmes communautaires, il faut tenir compte de la géographie, de l'âge, du sexe et des autres caractéristiques des programmes. Par exemple, l'Oklahoma qui comporte une population importante de Premières nations américaines dans le sud-ouest, essaie de bâtir un programme s'adressant à ces gens-là. Les responsables se sont rendu compte que la seule façon d'y parvenir consiste à mobiliser les Premières nations à l'étape de la conception du programme et pas simplement de monter en chaire et d'adopter un ton académique.

Les exemples du genre abondent aux États-Unis. D'ailleurs, pas plus tard que cette semaine, l'American Legacy Foundation a annoncé un financement supplémentaire de 21 millions de dollars pour que les gens puissent travailler directement en collaboration avec les populations spéciales à la formulation de messages antitabac.

Le sénateur Adams: Pour l'instant, juste quelques organisations disposent d'un financement et cet argent sera plus utilement mis à contribution dans les salles de classe et dans certains lieux publics. Fait-on plus maintenant qu'avant pour promouvoir l'idée que l'usage de la cigarette est mauvais pour la santé? Avez-vous dit que la consommation de cigarette chez les adultes avait été réduit d'environ 54 p. 100?

M. Wolfe: La question de la sensibilisation est une arme à double tranchant. Les messages de Truth ne sont pas donnés en classe, parce que les jeunes ont tendance à se braquer. Nous avons constaté que les messages antitabac communiqués à l'école sont moins efficaces que ceux qui passent à Internet ou à la télévision, qui sont des médias plus décontractés, plus à la mode.

Comme je le disais plus tôt, la façon de faire circuler l'information sur le tabac consiste à donner aux enseignants des mathématiques ou des sciences sociales des documents supplémentaires échappant au cadre traditionnel du programme d'enseignement sur la santé. Il semble que cette formule a donné d'excellents résultats dans certains États.

L'État de Washington a récemment publié une étude sur deux programmes scolaires recommandés par les CDC; celle-ci montre qu'il n'y a pas eu de changement de comportement.

L'État de Floride a constaté la même chose. Il faut veiller, quand on veut faire passer ce genre de message dans une salle de classe traditionnelle, à ne pas dire aux élèves ce qu'ils savent déjà, sinon ils décrochent.

Le sénateur Adams: Certes, mais au moins vous avez des gens qui font la tournée des salles de classe. Je ne sais pas comment fonctionne votre système d'éducation. Certains enseignants pourront toujours dire: «Ne venez pas m'ennuyer, parce que c'est à moi d'enseigner aujourd'hui et pas à vous qui faites campagne pour que les jeunes ne fument pas». Après cela, dès la fin des cours, les élèves rentrent chez eux et se disent qu'ils se fichent bien pas mal qu'on vienne leur dire de ne pas fumer.

J'aimerais savoir comment les choses se passent dans les salles de classe. De là où je viens, dès que les jeunes ont fini les classes, ils se précipitent chez eux pour regarder la télévision. Dites-moi comment cela se passe chez vous.

M. Wolfe: J'hésite, bien sûr, à faire des comparaisons entre les normes appliquées par les jeunes aux États-Unis et les normes culturelles au Canada. Cependant, je peux vous dire qu'il y a une grande vérité: dès que vous demandez à un adolescent de ne pas faire quelque chose, vous pouvez être certain qu'il le fera.

Nous ne disons à personne qu'il ne faut pas fumer. Ce serait en quelque sorte lui donner le «baiser de la mort». Donc, pour que le message soit efficace, il faut habiliter les jeunes et leur donner la possibilité de formuler eux-mêmes leurs propres messages et de bâtir leur propre programme. S'ils sont préoccupés par les questions de tabagisme et qu'ils veulent en apprendre plus, il faut leur donner la possibilité de choisir eux-mêmes et de s'engager. Ils s'engageront automatiquement dès qu'ils apprendront qu'on va leur confier de véritables responsabilités, une véritable autorité sur un budget ou sur un programme et la possibilité de prendre des décisions.

Le sénateur Adams: C'est vrai, ça ne devrait pas être différent de ce que font les Guides ou les Boy Scouts. Dans les territoires, nous avons beaucoup d'organisations de Cadets, de Boy Scouts et de Guides, et ce ne devrait être différent. Il pourrait être intéressant d'explorer cela dans l'avenir.

Le président: Vous m'intriguez quand vous parlez de ces comités de jeunes en Floride à qui l'on confie une campagne de plusieurs millions de dollars. Combien?

M. Wolfe: 70 millions de dollars US.

Le président: Soixante-dix millions de dollars! Et ce sont les jeunes qui décident la façon de dépenser cet argent. Parlez-moi un peu de la composition du conseil. Combien de jeunes y siègent, combien de garçons et de filles et quel âge ont-ils?

M. Wolfe: J'en serai heureux. L'assemblée législative de l'État a adopté un projet de loi portant sur les cinq secteurs de programme que je vous ai décrits, auxquels il a affecté un budget particulier. Nous avons rencontré 600 jeunes lors d'un sommet. Ils nous ont aidés à préciser ce qui devait se faire dans chacun de ces secteurs de programme. Puis, ils ont dressé les paramètres pour la formulation du programme en conséquence, programme que nous avons communiqué aux membres du conseil. Ce conseil est composé de 70 jeunes venant d'un peu partout en Floride, c'est-à-dire d'un représentant pour chacun des 67 comtés.

Le président: Ces jeunes ont été nommés?

M. Wolfe: ils ont été choisis par les autres.

Le président: Par les enfants eux-mêmes?

M. Wolfe: Oui, ils ont décidé de qui devait les représenter au conseil d'administration, comme n'importe quel groupe d'actionnaires élit son président. De plus, il y a trois membres plénipotentiaires.

Au début, le groupe des 70 s'est réuni tous les trimestres puis, les jeunes ont décidé de constituer un comité de direction de 10 membres qui se réunit régulièrement avec le personnel. Nous parlons de relations personnel-actionnaires. Ils sont les patrons et nous sommes le personnel chargé d'appliquer leurs décisions.

L'un des plus beaux exemples s'est produit quand ils ont décidé d'affréter un train pour faire circuler leur message Truth en Floride. Le personnel attentif que nous étions a essayé de trouver un train, mais n'y est pas parvenu. Nous nous sommes dit entre nous que nous allions affréter des autobus à la place. Quand nous avons rencontré le conseil d'administration nous lui avons expliqué que, n'ayant pas trouvé de train, nous pourrions utiliser des autobus. Les jeunes ont demandé à en parler entre eux et sont revenus peu de temps après pour nous dire qu'ils tenaient absolument à avoir un train.

Nous avions fait tout le travail de préparation pour affréter des autobus, les contrats étaient prêts à partir et eux, ils voulaient leur train. Eh bien, ils l'ont eu! Nous avons finalement trouvé un train et avons réservé les voies pour 11 jours. Nous avions 10 voitures «Truth» spécialement repeintes pour le voyage. Comme NSYNC participait à l'événement, nous voulions avoir belle allure et c'est pour cela que nous avons accepté de faire repeindre les wagons. Cela vous montre bien à quel point ces jeunes sont les vrais patrons.

Le président: Quel âge ont-ils? Ils sont au secondaire?

M. Wolfe: Ils sont âgés de 12 à 18 ans. Leurs responsables ont de 15 à 18 ans.

Le sénateur Kenny: Reparlez-nous un peu des résultats.

M. Wolfe: Du programme global? Eh bien, après deux ans, nous avons constaté un déclin de 54 p. 100 de l'usage du tabac dans les écoles intermédiaires et de 20 p. 100 au secondaire, les élèves du secondaire étant âgés de 14 à 18 ans et ceux de l'intermédiaire de 12 à 14 ans.

Le président: Un train fonctionnerait très bien ici, parce que tout est bâti le long de la voie de chemin de fer.

Le sénateur Banks: Je vais enchaîner sur la question précédente du sénateur Taylor. J'ai beaucoup aimé votre analogie à la couverture aérienne et au déploiement des troupes au sol. J'ai aussi beaucoup aimé votre analogie aux actionnaires. Le sénateur Taylor vous a posé une question sur l'orientation du programme. J'ai souvent participé à des campagnes de publicité et de marketing, de même qu'à des campagnes de télédiffusion, à un titre ou une autre, et je comprends bien les sensibilités des créateurs. J'imagine ce qui a pu se passer entre le conseil d'administration que vous nous avez décrit - et je pense que c'est exactement comme cela que les choses doivent se faire - et les publicitaires ou les spécialistes du marketing qui ont sans aucun doute, comme le font toutes les agences, essayé de convaincre le conseil ou les cadres de gestion qu'ils ne comprenaient pas exactement ce dont il s'agissait. Ils ont dû dire «Permettez-nous de vous expliquer comment les choses doivent se faire».

Vous avez déjà dû rencontrer ce genre de tension dans les situations que vous avez décrites. Le conseil d'administration a-t-il toujours remporté la partie? Je le suppose. Je vais aborder la question sous un angle différent, parce que j'ai été directeur de la création dans une agence de publicité et que je me rappelle le genre de dédain que nous entretenions envers le personnel de direction de nos clients, que nous considérions comme des idiots qu'il fallait former et dépouiller de leurs idées stupides. Bien sûr, comme ils signaient les chèques, nous devions nous montrer très prudents.

Que se passait-il quand la tension créatrice montait?

M. Wolfe: Vous venez de mettre le doigt sur un aspect très amusant, c'est vrai. L'idée d'habiliter les jeunes et de leur permettre de s'attaquer à la lutte contre le tabagisme suscite beaucoup d'éloges stériles et paraît très bien. Mais quand on essaie de passer à la pratique, les adultes qui ont l'habitude de tenir les rênes du pouvoir, déclarent que ce n'est pas une bonne idée. Ce n'est pas vraiment d'un train dont vous avez besoin, leur disent-ils, c'est d'un autobus... Mais si vous êtes en face d'un groupe de jeunes déterminés comme ceux que vous aurez, je l'espère, ils vous remettent à votre place en tant que membres du personnel.

Je ne veux pas vous faire croire que tout est toujours tout rose. Il est arrivé, à l'étape de la formulation du concept conseil d'administration-personnel, que les choses soient très difficiles pour les adultes. C'était également très difficile pour les jeunes, parce qu'ils ne s'étaient jamais retrouvés dans ce genre de situation. Très honnêtement, personne ne leur avait jamais dit auparavant: «Voici 70 millions de dollars, faites-en ce que vous voulez». Nous devions être conscients du fait qu'ils ne comprenaient pas quand nous parlions d'actionnaires, de conseil d'administration et de budget. Ils n'arrivaient même pas à concevoir ce que représentaient 70 millions de dollars.

Nous nous sommes donc retrouvés dans la position de formateurs de nos actionnaires.

Le sénateur Banks: Et il y a un danger à cela.

M. Wolfe: Effectivement. On peut vouloir les former à sa main, pour qu'ils fassent ce qu'on veut et il nous a fallu souvent rappeler aux adultes qui participaient à ce projet que ce n'était pas leur programme, que c'était celui des jeunes. Tous les adultes, qu'ils aient été des professionnels de la santé depuis longtemps ou aient fait partie d'ONG s'occupant de lutte contre le tabagisme, ont dû se rappeler cela.

L'agence de publicité est en fait celle qui nous a le plus aidés à réformer notre pensée, parce qu'elle était progressiste. Nous avons eu beaucoup de chance de trouver la bonne agence pour faire ce travail. Il faut dire que nous n'étions pas pris avec un contrat fermé, ce qui nous a permis de nous lancer dans une recherche exempte de toute influence politique. Nous avons retenu une agence très dynamique qui a mis au point une campagne de publicité ayant depuis remporté un prix. Au début, ces gens-là se sont dit: «Nous n'avons jamais fait cela avec un client. Habituellement, nous proposons nos créations, nous tenons compte des réactions et nous modifions un peu notre projet, sans le bousculer de fond en comble». Leur premier concept a paru beaucoup trop extrême pour les jeunes. Ils leur ont dit: «Non, non. Nous ne voulons pas paraître trop vache à ce sujet. Il faut de l'humour, il faut de la légèreté».

C'était là une orientation plutôt arrêtée de la part d'un client et les gens de l'agence ont été formidables parce qu'ils ont complètement repensé leur projet et qu'ils sont revenus avec un message beaucoup plus amusant et plus léger.

Nos partenaires changent, mais le processus d'éducation demeure. Nous avons de la chance de pouvoir travailler avec certaines des meilleures agences de la Floride. Le Nixon Group et Crispin, Porter & Bogusky ont été d'excellentes firmes qui continuent de se consacrer à ce programme et de colporter le message de l'habilitation des jeunes.

Il était très intéressant de se rappeler de ce qui se passait quand les jeunes voulaient une chose et que les gens de l'agence de publicité réagissaient négativement. Les jeunes leur disaient: «Dites-nous comment ça fonctionne. Dites-nous ce que vous faites. Comment faites-vous une publicité?» Puis, nous nous sommes rendu compte que nous avons consacré beaucoup de temps à mettre les publicitaires au courant de ce qu'étaient nos programmes et de la façon dont ils étaient conçus. Il s'agit d'une recette, comme si l'on écrivait un livre scolaire. Comment allez-vous écrire le prochain chapitre sur la campagne Truth? Nous avons abordé ce travail une étape à la fois, au fur et à mesure.

Nous avons appris des leçons dont les autres États peuvent maintenant bénéficier, mais ils devront toujours apprendre aux adultes comment lâcher prise et apprendre aux jeunes comment prendre des décisions.

Le sénateur Banks: Cela semble formidable et j'espère que ce projet de loi va aboutir pour que nous puissions appliquer la même recette.

Je veux vous poser une question technique et je suis sûr que vous êtes la meilleure personne pour y répondre, parce que je crois savoir que vous participez à ce projet depuis le début.

Je ne sais pas s'il y a eu un projet de loi équivalent à celui-ci en Floride mais, si c'est le cas, j'aimerais que vous m'en parliez parce qu'il aura certainement eu une influence sur la conception et la prestation des programmes. On nous a dit qu'au Canada, les fumeurs ont nettement réduit leur consommation de tabac, contrairement aux fumeuses. Il semble d'ailleurs que les courbes des deux sexes sont inversées. On nous a dit aussi qu'il existe des différences d'un sexe à l'autre, chez les jeunes, selon les caractéristiques démographiques et géographiques de notre vaste pays.

Êtes-vous parvenu à concevoir un programme général, une sorte de programme polyvalent «unisexe», ou adaptez-vous votre message à chaque sexe, dans certaines parties de l'État, pour tenir compte de pratiques culturelles différentes?

M. Wolfe: Excellente question qui montre bien votre connaissance de la publicité. En vérité, même au sein d'un État nous devons tenir compte de normes démographiques et culturelles différentes.

En Floride, par exemple, nous nous sommes rendu compte au bout d'un an que nous n'avions fait aucun progrès auprès des jeunes afro-américains consommant des produits du tabac. Bien qu'ils fument nettement moins que les jeunes blancs, nous craignons tout de même de mettre à côté de la plaque dans leur cas.

Nous avons aussi découvert que certains mots de slang passent mieux à Orlando qu'à Miami. Ce faisant, nous avons produit deux publicités dans lesquelles nous avons changé un mot, parce qu'il était mieux accepté dans une partie de l'État que dans l'autre.

Le sénateur Banks: C'est vrai. Par exemple, si je vous disais «Va donc fermer la chapelure à côté des bécosses», vous ne sauriez peut-être pas ce dont je parle.

M. Wolfe: Je crains que non et j'espérerais ne pas avoir provoqué de catastrophe.

Le sénateur Kenny: Eh bien, cela veut dire: «Va donc fermer le robinet à côté de la toilette extérieure au fond du jardin».

M. Wolfe: Excellente remarque. Cela me rappelle deux choses sur lesquelles je veux revenir. Si vous voulez vous lancer dans la bataille contre le tabagisme, vous devez vous attendre à ce que ce soit une longue guerre. Vous ne parviendrez pas à vos résultats en un an ou deux. Il s'agit d'un processus à long terme qui doit être soutenu pendant longtemps, sans interruption.

La Californie est un exemple flagrant qui nous montre que, quand le programme a été interrompu en plein milieu de la dernière décennie, les taux de consommation ont de nouveau grimpé en flèche. C'est tout à fait logique. On ne se lance pas sur le sentier de la guerre sans vouloir aller jusqu'au bout. Si vous devez mener ce combat, vous devrez le faire à long terme ce qui veut dire que vous devrez couvrir toutes les parties du pays, toutes les collectivités, tous les quartiers de chaque collectivité et même chaque groupe démographique. Que le taux de consommation dans une collectivité soit de 70 p. 100 ou 15 p. 100, peu importe, tout le monde devra être appelé à participer à ce combat.

La couverture aérienne qui revient simplement à diffuser un message général ne provoque aucun changement durable. Vous devez engager vos troupes sur le terrain, au niveau des collectivités locales, pour offrir des programmes adaptés, nuancés.

Le sénateur Banks: Une dernière question. Vous venez encore une fois de faire une analogie à la guerre et je vais maintenant vous dire que, selon moi, nous avons perdu la guerre contre les drogues et que nous ne réussirons pas à la façon dont nous nous luttons actuellement.

Êtes-vous en train de dire que la guerre contre le tabagisme, qui est aussi une drogue, peut être gagnée alors qu'on a perdu l'autre?

M. Wolfe: Je prétends que nous sommes en train de la gagner et que nous avons d'excellents exemples de cette victoire.

Soyons justes. La cigarette est un produit légal pour les plus de 18 ans et les États ne veulent pas l'éliminer. Certains voudraient que tel soit le cas, mais ce n'est pas de cela dont je parle. Je parle de la façon dont on peut éviter que les jeunes commencent à consommer ce produit que les grands spécialistes du marketing leur présentent sous les atours d'un produit sexy, cool et rebelle, ce qu'il n'est certainement pas.

La prévention est une chose. Il n'est pas question d'éliminer, d'éradiquer ni d'interdire ce produit, contrairement à ce qui se passe dans le cas de la drogue.

Il y a une différence très nette entre une campagne de prévention, une thérapie de remplacement de la nicotine ou un programme d'abandon du tabac, et l'interdiction ou l'éradication complète d'une drogue.

Le sénateur Banks: Eh bien, continuons l'analogie - ce qui nous amène un peu hors sujet - pour dire que vous êtes en train de gagner la guerre que vous menez.

M. Wolfe: Oui.

Le sénateur Banks: En revanche, j'estime que nous n'avons certainement pas gagné l'autre.

M. Wolfe: C'est vrai. Je ne vais pas commenter ce qui se passe du côté de la guerre contre les drogues. J'ai fait de mon mieux pour faire la part entre les deux aux États-Unis. Mais pour reprendre la même analogie, le tabac a tout de même fait plus de morts que l'autre bataille, si bien qu'il est tout à fait approprié de parler de perte de vies.

Il peut même être approprié d'envisager cet effort sous l'angle d'une lutte pour gagner des parts de marché. C'est tout à fait comme cela que raisonnent nos concurrents, les fabricants de produits du tabac. Dans cette industrie, les gens se disent qu'il faut arracher des parts de marché aux autres.

Pendant longtemps, les entreprises américaines ont réfléchi à la façon d'attirer des gens sur ce marché et de goûter à leurs produits. Si vous raisonnez en termes de part de marché - ce qui est un peu différent du raisonnement habituel adopté dans le domaine de la santé publique - vous estimerez que votre part de marché correspond au nombre de non-fumeurs ou au nombre de jeunes qui ne deviennent pas clients de votre concurrent. La distinction se fait entre celui qui gagne et celui qui perd la bataille pour une part de marché.

Il y a de formidables exemples dans des États comme la Floride, la Californie et le Massachusetts, sur la façon de gagner des parts de marché, même si l'on ne mène pas la lutte depuis longtemps. Il est toujours possible d'arracher des parts de marché au concurrent.

Le président: J'invite les élèves de Holy Angel et de Senator O'Connor à nous poser des questions s'ils le désirent, puisque notre réunion est informelle.

Monsieur Wolfe, vous avez parlé de différences culturelles. Dans l'ouest du Canada, surtout en Alberta hier et avant-hier, on nous a parlé du problème du tabac à mâcher. Par ailleurs, il y a le cow-boy de Marlboro qui propose des cigarettes tout en mâchant de la nicotine. Vous êtes-vous heurté à ce problème dans votre campagne aux États-Unis?

M. Wolfe: La compagnie américaine qui produit du tabac à mâcher a fait un excellent travail de commercialisation de ses produits, surtout lors de rodéos. Il faut bien sûr en tenir compte pour ce qui est de la consommation globale des produits du tabac.

Dans certaines régions des États-Unis, le nombre de garçons à peine âgés de neuf ou dix ans qui consomment du tabac à mâcher est alarmant. Beaucoup transportent même une petite boîte dans leur poche revolver, parce que c'est culturellement acceptable dans leur collectivité; ils veulent que la boîte en question laisse une trace ronde sur leur poche de blue jeans.

Cela montre bien, encore une fois, que de simples publicités ne permettront pas de changer les normes sociales. Ce n'est pas une bonne décision d'affaire que de préparer un message national pour s'attaquer à un phénomène culturel local. Il faut plutôt recourir à des stratégies de marketing «de base», ou «de proximité» dans le cas des rodéos, pour faire passer un message comme il se doit. Autrement dit, vous devrez vous organiser pour être présent lors du rodéo ou conclure un accord avec le plus gros concessionnaire de camionnettes du coin. Tout dépend!

Ce n'est que par des messages culturellement appropriés que l'on peut parvenir à un changement durable.

Le président: Vous savez que nous avons dû mettre de côté certaines images de base-ball. Quelqu'un veut poser une question à l'arrière.

Mlle Agnes Sader, élève, École secondaire Senator O'Connor: Juste une remarque. Je trouve que ce projet de loi est une bonne idée. Il faut protéger les jeunes et il est temps de commencer, mais il est également important de soulever ce problème auprès des très jeunes, parce que moi, j'ai été exposée à la cigarette dès l'âge de cinq ou six ans.

J'ai l'impression que notre société estime qu'il faut garder ces pauvres petits bébés dans l'ignorance alors qu'ils apprennent tout ça très vite et qu'ils s'en font une idée dès leur plus jeune âge.

Il faudrait bâtir un exemple et leur dire exactement ce à quoi ils doivent s'attendre et ce qui se passe.

J'ai déjà vu des publicités du gouvernement sur les effets du tabac. Par exemple, dans une publicité on montrait quelque chose qu'on retirait d'une artère. Personnellement, j'estime que ça n'a aucun effet, parce que les jeunes se fichent pas mal des coûts et de tout le reste. Il y a beaucoup de problèmes de santé et beaucoup de gens tombent malades à cause de la fumée, surtout les baby-boomers, qui arrivent à la fleur de l'âge.

Quand on y pense, on se rend compte que certains groupes d'âge dominent très nettement les autres, comme les enfants, si bien que sous l'effet d'une augmentation du nombre de fumeurs, il y aura une augmentation du nombre de maladies et des coûts de santé. Nous continuerons à payer pour tout cela, d'une façon ou d'une autre. Nous devons payer maintenant en essayant de faire quelque chose tant qu'il y a de l'espoir, ou plus tard, quand il faudra admettre des gens en chaise roulante dans les hôpitaux à cause des effets de la cigarette.

Le président: Voulez-vous réagir à ce commentaire, monsieur Wolfe?

M. Wolfe: Il n'y a rien à ajouter. Vous venez de voir le plus bel exemple d'habilitation de la jeunesse qui puisse vous être donné. N'importe quelle agence de publicité qui s'entretiendrait avec cette jeune fille - dans le cadre ce que l'on appelait avant les groupes témoins - se rendrait vite compte que ces publicités sont sans doute passé à côté.

Je n'ai pas vu toute la campagne, mais je pense que c'est un excellent exemple de ce qu'il faut faire pour livrer des messages appropriés.

Le sénateur Banks: Monsieur Wolfe, nous parlons de publicité et de marketing, tout comme cette jeune demoiselle l'a fait. Avez-vous eu l'occasion de voir les publicités dans les journaux que fait passer l'industrie du tabac au Canada?

M. Wolfe: Je ne vois pas exactement ce dont vous parlez, mais aujourd'hui j'ai vu des publicités de deux compagnies de tabac se déclarant favorables au projet de loi S-15.

Le sénateur Banks: Qu'est-ce que vous en pensez?

M. Wolfe: Je ne sais pas. Nous n'avons jamais vu une telle chose aux États-Unis.

Le président: C'est un peu comme votre premier match de hockey, n'est-ce pas? Ce sont là les deux grandes compagnies de tabac.

M. Wolfe: Eh bien, je dois vous féliciter. S'il s'agit d'un changement d'attitude très sincère, cela veut dire que vous avez obtenu des résultats que le système procédurier américain n'a pas favorisé. Il ne semble pas que les progrès réalisés chez nous soient à ce point exposés publiquement.

Le président: Nous avons une autre question de l'auditoire.

Mlle Roslyn Levy, Youth Tobacco Coalition:: Je voulais répondre à votre place, parce que vous n'êtes pas du Canada. Je fais partie de Youth Tobacco Coalition qui est une organisation de jeunes en Ontario et je peux vous dire qu'après les avoir consultés, nos camarades nous ont dit avoir l'impression que les compagnies les invitent à ne pas fumer. Comme vous l'avez dit ce matin, c'est en fait la meilleure des invitations à commencer à fumer pour un jeune.

M. Wolfe: Effectivement, la vraie réponse se situe dans ce qui se fera par la suite. Est-ce que ces compagnies vont lancer leur propre campagne du type «Réfléchis, ne fumes pas» de Philip Morris aux États-Unis et que beaucoup ont pris en fait comme une incitation à consommer du tabac? Ou s'agit-il d'une publicité qui vous est destinée à vous qui veniez ici pour participer à ces audiences?

Le sénateur Banks: Ce sont des publicités nationales.

M. Wolfe: Est-ce que les compagnies de tabac veulent marquer le fait que vous tenez ces audiences et veulent en profiter pour publiciser leur nom en même temps? Je ne sais pas. Je ne sais pas quel raisonnement stratégique ont adopté les administrateurs de ces sociétés pour en arriver à cette publicité. Si c'est une façon, pour elles, d'indiquer aux jeunes qu'ils ne doivent pas commencer à fumer, alors vous avez raison, ils obtiendront exactement l'effet contraire.

Le président: Un de nos témoins, il y a deux jours je crois, nous a déclaré que cette publicité était destinée à faire passer un message indiquant que l'usage du tabac est un plaisir d'adulte, ce qui est le plus sûr moyen pour que les jeunes s'y essaient. Comme c'est un plaisir d'adulte, vous, les jeunes, n'y avez pas accès.

M. Wolfe: C'est intéressant. Après l'accord de règlement cadre survenu aux États-Unis avec les compagnies de tabac, l'une d'elles a lancé une vaste campagne de publicité en vue d'améliorer son image publique dans laquelle elle parlait de nourrir les sans-abri, d'apporter leurs commissions aux personnes âgées qui demeurent cloîtrées chez elles et ainsi de suite. La compagnie a dépensé plus d'argent pour promouvoir ce qu'elle avait fait plutôt qu'à faire la bonne action annoncée, ce qui montre bien que, parfois, les priorités ne sont pas ce qu'on croit à la lecture des publicités.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Wolfe, de nous avoir fait part de vos vues et merci aussi à notre auditoire. Voilà qui met un terme à la séance de ce matin. Cet après-midi, nous recommencerons à 13 h 30 et accueillerons un autre témoin à propos du projet de loi S-15, de même que des témoins qui viendront nous parler d'énergie. Nous combinerons donc les deux sujets.

La séance est levée.


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