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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 24 - Témoignages du 21 février 2002


OTTAWA, le jeudi 21 février 2002

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, saisi du projet de loi C-39, Loi remplaçant la Loi sur le Yukon afin de la moderniser et de mettre en oeuvre certaines dispositions de l'Accord de transfert au Yukon d'attributions relevant du Programme des affaires du Nord et modifiant et abrogeant d'autres lois, ainsi que du projet de loi C-33, Loi concernant les ressources en eau du Nunavut et le Tribunal des droits de surface du Nunavut, se réunit aujourd'hui à 9 h 10 pour examiner lesdits projets de loi.

Le sénateur Nicholas W. Taylor (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Je souhaite la bienvenue à nos témoins de la Nation Kaska ainsi que de la Première nation de Carcross/ Tagish.

Monsieur Porter, vous avez la parole.

M. Dave Porter, négociateur national, Nation Kaska: Au nom de la Nation Kaska, je désire remercier les membres du comité de l'occasion qui nous est donnée ce matin de présenter le point de vue des Kaska sur le projet de loi C-39 et l'Accord de transfert.

Comme vous le savez, le Comité permanent des affaires autochtones, du développement du Nord et des ressources naturelles de la Chambre des communes a refusé à la Nation Kaska la possibilité d'exprimer ses vues sur ce projet de loi historique. Nous ne comprenons toujours pas ce qui a pu motiver cette décision. Quoi qu'il en soit, nous sommes très heureux de pouvoir comparaître devant le comité sénatorial pour vous faire part de nos vues sur cet important projet de loi.

À titre d'information, je précise que la Nation Kaska représente l'une des Premières nations du Canada. Notre territoire traditionnel comprend environ 93 000 milles carrés, et s'étend du nord de la Colombie-Britannique au sud-est du Yukon et à des zones avoisinantes des Territoires du Nord-Ouest.

Le projet de loi C-39 concerne la partie de notre territoire traditionnel qui se trouve au Yukon, soit environ 45 000 milles carrés, ou 25 p. 100 du Territoire du Yukon. Pour les fins de la négociation d'accords sur les revendications territoriales ou de traités avec le Canada, les membres de la Nation Kaska sont représentés par le Conseil déné de Ross River, la Première nation de Liard et le Conseil déné Kaska. En tant que membres de la Nation Kaska, nous cherchons à négocier plusieurs accords connexes, y compris deux accords cadres définitifs touchant les Premières nations du Yukon, deux accords d'autonomie gouvernementale au Yukon, un accord touchant des revendications transfrontalières au Yukon, y compris des dispositions d'autonomie gouvernementale, un accord touchant des revendications transfrontalières dans les Territoires du Nord-Ouest, deux accords de même type en Colombie-Britannique et un traité en Colombie-Britannique.

Je précise que si nos revendications territoriales sont organisées ainsi, ce n'est pas parce que nous l'avons voulu; c'est plutôt la conséquence directe des politiques du Canada en ce qui concerne la négociation d'ententes sur les revendications territoriales et de traités.

En 1867, lors de la création officielle du Canada, notre territoire traditionnel ne faisait pas partie du Canada. Il faisait plutôt partie de l'ancien Territoire du Nord-Ouest, comme il était désigné à l'article 146 de ce qu'on appelait à l'époque l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867. Les 16 et 17 décembre 1867, à l'occasion de la première session de la première législature du Canada, la Chambre des communes et le Sénat ont invoqué de l'article 146 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique et ont adopté conjointement une résolution qui demandait à la Grande- Bretagne de transférer au Canada le contrôle du Territoire du Nord-Ouest, y compris le territoire traditionnel des Kaska, selon les conditions suivantes, et je cite:

[...] lors du transfert des territoires en question au gouvernement du Canada, il sera procédé, selon les principes d'équité qui ont toujours guidé la Couronne britannique dans ses rapports avec les Autochtones, à l'examen et au règlement des demandes d'indemnisation présentées par les tribus indiennes au sujet des terres nécessaires à la colonisation.

S'agissant du transfert au gouvernement canadien de notre territoire traditionnel, le Sénat et la Chambre des communes ont convenu par la suite, en mars 1869, de ce qui suit:

[...] il incombera au gouvernement de prendre toutes les dispositions qui s'imposent pour assurer la protection des tribus indiennes dont les intérêts et le bien-être sont touchés par le transfert.

À l'été de 1870, l'ancien Territoire du Nord-Ouest, y compris une bonne partie du territoire traditionnel Kaska, a été transféré au Canada aux termes des conditions, inscrites dans la Constitution, du Décret en conseil de 1870 sur la terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest. Les Kaska sont d'avis que, par suite des conditions du Décret en conseil de 1870, le Canada a acquis notre territoire traditionnel au Yukon sous réserve des exigences, inscrites dans la Constitution, selon lesquelles les revendications de la Nation Kaska concernant son territoire traditionnel devaient être examinées et réglées avant que nos terres ne soient colonisées par d'autres.

Même si le Décret en conseil de 1870 a donné lieu, après la Confédération, au processus de négociation de traités, et même si la ruée vers l'or du Klondike s'est produite pendant que le processus de négociation des traités battait son plein, le Canada n'a aucunement cherché à conclure un traité avec les Indiens du Yukon, comme on les appelait à l'époque de la ruée vers l'or du Klondike.

Lorsque le processus de négociation de traités post-Confédération a pris fin vers 1930, il n'y a eu aucune autre tentative pour conclure des traités avec les peuples autochtones du Canada avant 1973. Cette année-là, suivant l'arrêt clé de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Calder, le ministre des Affaires indiennes et du Développement du Nord de l'époque, Jean Chrétien, a annoncé officiellement, au nom du gouvernement canadien, l'établissement d'une nouvelle politique touchant les revendications territoriales globales. Les revendications des Indiens du Yukon, y compris les Kaska, étaient les premières revendications territoriales globales à être acceptées en vertu de cette politique.

Aujourd'hui, soit une trentaine d'années après l'acceptation officielle de nos revendications, le Canada ne remplit toujours pas ses obligations envers les Kaska, aux termes du Décret en conseil de 1870, ni ne respecte ses engagements vis-à-vis de notre nation en vertu de la politique annoncée par M. Chrétien en 1973. Or, le Canada se propose maintenant de transférer l'administration et le contrôle du territoire traditionnel non cédé par les Kaska, de même que le droit de bénéficier de son exploitation, à une partie hostile, avant de régler nos revendications de longue date, et sans prendre des mesures pour d'abord protéger nos intérêts.

Les Kaska estiment que les tentatives du Canada pour transférer le contrôle de notre territoire traditionnel au gouvernement territorial du Yukon, sont loin de correspondre à la norme de conduite que doit respecter le Canada dans ses rapports avec les Kaska, et que ces tentatives correspondent à un manquement important des obligations du Canada vis-à-vis de nous, selon la Constitution.

Nos préoccupations concernant le projet de loi C-39, soit l'Accord de transfert d'attributions au Yukon, sont de trois types:

D'abord, ni le projet de loi C-39, ni l'Accord de transfert d'attributions au Yukon ne précisent que le transfert au gouvernement territorial du Yukon de compétence touchant l'administration et le contrôle des territoires du Yukon et du droit de bénéficier de leur exploitation, se fait sous réserve du respect de nos droits, titres et intérêts par rapport au territoire traditionnel que nous n'avons jamais cédé et de l'obligation du gouvernement canadien de protéger nos intérêts relativement à ce territoire.

Deuxièmement, pris ensemble, le projet de loi C-39, le projet d'Accord de transfert d'attributions au Yukon, et le chapitre 25 de l'Accord-cadre définitif du Yukon ont le potentiel de saper toute tentative pour régler de façon juste et équitable les revendications transfrontalières du Conseil déné Kaska au Yukon.

Troisièmement, le projet de loi C-39 est une façon déguisée de permettre au gouvernement territorial du Yukon de rehausser son statut constitutionnel.

En ce qui concerne le premier point que nous avons soulevé tout à l'heure, les Kaska sont d'avis que le projet de loi C-39 et l'Accord de transfert d'attributions ont de graves défauts et qu'il faut les modifier de fond en comble, étant donné qu'ils ne protègent pas nos droits et intérêts fondamentaux et ne respectent pas non plus la lettre et l'esprit des ententes que nous avons négociées et conclues avec le gouvernement territorial du Yukon et le Canada en ce qui concerne le transfert d'attributions.

Par exemple, ni le projet de loi C-39 ni l'Accord de transfert d'attributions ne précisent en termes clairs que le gouvernement fédéral ne transfère au gouvernement territorial du Yukon aucune de ses obligations constitutionnelles en vertu du Décret en conseil de 1870, et de même, ces deux instruments n'explicitent pas non plus qu'on accorde au gouvernement territorial du Yukon de nouvelles compétences touchant l'administration et le contrôle des terres visées par le Décret en conseil de 1870, ni le droit de bénéficier de leur exploitation, tant que le Canada n'aura pas satisfait à ses obligations en vertu du Décret en conseil de 1870.

Tout au long des négociations sur le projet de loi C-39 et l'Accord de transfert d'attributions, nos représentants ont déclaré à maintes reprises que nos droits en vertu du Décret en conseil de 1870 doivent être explicitement protégés, mais le représentant du Canada nous a refusé cette protection. Étant donné que le Canada a obtenu le pouvoir d'adopter de telles lois aux termes du Décret en conseil de 1870, nous sommes très préoccupés par le refus du Canada de confirmer explicitement qu'il ne transfère au gouvernement territorial du Yukon aucune des obligations qu'il a assumées en vertu du Décret en conseil de 1870.

D'ailleurs, nous sommes du même avis que d'autres, y compris le premier ministre du Nunavut, pour dire que l'article de non-dérogation que renferme le projet de loi C-39 est tout à fait inadmissible. Nous avons toujours été d'avis que nos revendications touchant le territoire traditionnel non cédé par les Kaska doivent être réglées avant le transfert au gouvernement territorial du Yukon de l'administration et du contrôle de nos terres, ainsi que du droit de les exploiter.

Comme l'indiquent les documents que nous avons déposés, si les Kaska ont accepté d'entamer des négociations sur un accord de transfert d'attributions, c'est parce qu'ils avaient une entente claire et des accords écrits, conclus avec le gouvernement territorial du Yukon et le Canada, concernant notre droit d'exiger que nos revendications soient réglées avant tout transfert de responsabilités touchant notre territoire traditionnel. Malheureusement, ces accords et ces engagements n'ont été honorés ni par le Canada, ni par le gouvernement du Yukon.

Contrairement aux affirmations du premier ministre Duncan devant le comité permanent de la Chambre des communes le 22 novembre 2001, si les Kaska ont accepté de participer aux négociations sur le transfert des responsabilités, c'est parce qu'il était clairement entendu dès le départ que sans notre consentement, ce transfert d'attributions ne viserait pas le territoire traditionnel non cédé par les Kaska, avant que nos revendications ne soient réglées. Je vous demande à cet égard de vous reporter aux annexes 2, 5 et 6, qui traitent de cette question.

De même, nous avons été amenés à participer aux négociations sur le transfert d'attributions après qu'on nous eut affirmé par écrit que les Kaska, y compris les Kaska représentés par le Conseil déné Kaska, conservent leurs droits et titres autochtones de même que leurs intérêts dans cette proportion du Territoire du Yukon, correspondant à environ un quart de la superficie, qui représente le territoire traditionnel des Kaska. Je vous demande à cet égard de vous reporter aux annexes 3, 4 et 5, qui portent sur la question.

Lorsqu'il s'agissait de se conformer aux conditions explicitées au paragraphe 1(e) du Protocole d'entente de 1998, qui se trouve à l'onglet 7 de notre document, relativement à la nécessité d'incorporer dans l'Accord de transfert d'attributions entre les Kaska et le gouvernement territorial du Yukon une annexe bilatérale précisant que nos droits, titres et intérêts sont protégés, le gouvernement du Yukon, a fait preuve de mauvaise foi en manquant à ses engagements antérieurs et en refusant de réaffirmer sa reconnaissance des droits, titres et intérêts des Kaska, surtout que c'est cette reconnaissance qui nous avait amenés au départ à participer aux négociations.

En ce qui concerne le deuxième point qui est mentionné, il est clair que, pris ensemble, le projet de loi C-39 et l'Accord de transfert d'attributions pourraient porter gravement atteinte aux perspectives du Conseil déné Kaska d'obtenir un règlement juste et équitable par rapport à ses revendications transfrontalières de longue date au Territoire du Yukon. En 1989, le Canada, la Nation Kaska, et le Yukon se sont entendus sur les conditions dans lesquelles la revendication transfrontalière du Conseil déné Kaska concernant le Yukon serait réglée. Cependant, en 1992, sans que les Kaska en reçoivent le moindre avis, le Canada, le gouvernement territorial du Yukon et d'autres ont conclu une entente en vue de modifier le chapitre de l'Accord-cadre définitif du Yukon touchant les revendications transfrontalières du Conseil déné Kaska. De nombreuses modifications ont fait l'objet d'un accord. Je précise que le Canada a accepté notamment que le gouvernement territorial du Yukon puisse opposer son veto au règlement de toute revendication transfrontalière du Conseil déné Kaska touchant une zone relevant de la responsabilité du gouvernement territorial, et bien entendu, le projet de loi C-39 prévoit d'élargir considérablement les pouvoirs du gouvernement du Yukon à l'égard des terres et des ressources.

Nous estimons à cet égard que ce dernier a vraiment fait preuve de mauvaise foi, étant donné que l'entente consistant à modifier le chapitre sur les revendications transfrontalières a été conclue à notre insu et, entre-temps, le Canada refusait d'accorder des crédits au Conseil déné Kaska pour lui permettre de protéger ses intérêts, intérêts dont la légitimité a été reconnue.

Aujourd'hui, pour aggraver les choses, le Canada se propose de transférer au gouvernement territorial du Yukon le territoire traditionnel des Kaska qu'ils ne lui ont jamais cédé. Ainsi le gouvernement territorial aura le droit de veto sur le règlement de nos revendications transfrontalières de longue date. En ce qui nous concerne, cette position est à ce point contraire aux obligations du Canada envers les Kaska, ainsi qu'aux engagements pris de bonne foi concernant la politique sur les revendications territoriales annoncée par M. Chrétien en 1973, que les tribunaux nous donneraient sans doute raison si nous décidions d'intenter une action en justice.

Dans le Protocole de 1998, il a été convenu essentiellement d'élaborer un projet de loi sous forme de modification à la Loi sur le Yukon en vue d'exécuter le transfert au gouvernement territorial des pouvoirs, programmes et responsabilités de type provincial qui font partie du Programme des affaires du Nord au Yukon. Cependant, il semble à présent que le projet de loi, qui devait mettre à exécution l'Accord de transfert d'attributions, y compris les dispositions que nous avons négociées en vue de protéger les intérêts des Premières nations, serve à améliorer, subrepticement, la reconnaissance constitutionnelle dont bénéficie le gouvernement territorial du Yukon.

Les négociateurs des Premières nations ont tous fait valoir que le projet de loi portant exécution de l'Accord de transfert d'attributions ne doit pas servir à des fins de reconnaissance constitutionnelle; que les Premières nations n'ont pas accepté de négocier une reconnaissance constitutionnelle bonifiée dans le contexte du transfert du Programme des affaires du Nord, et que les Premières nations n'ont pas reçu les crédits nécessaires pour participer à une démarche d'évolution constitutionnelle.

En conclusion, les Kaska exhortent le comité à conclure que le projet de loi C-39 et le projet d'Accord de transfert d'attributions sont, de par leur nature, contraires aux obligations que le Canada a contractées envers les Kaska. Nous avons fait beaucoup de progrès dans les 30 ans qui ont suivi l'acceptation par l'actuel premier ministre de la revendication des Kaska, et ce grâce aux politiques qu'il a annoncées lorsqu'il était ministre des Affaires indiennes et du Nord. Ce serait tout à fait contraire à ses politiques que de transférer nos terres non cédées à une partie adverse avant d'avoir réglé nos revendications touchant ces terres par le biais de la démarche convenue. Par conséquent, nous exhortons le comité à recommander que le projet de loi C-39 ne soit pas adopté, ou encore qu'il soit modifié afin de préciser en termes très clairs qu'il ne vise pas le territoire traditionnel des Kaska qu'ils n'ont jamais cédé.

Avant que vous n'ouvriez la période des questions, je voudrais présenter aux membres du comité M. Hammond Dick.

M. Hammond Dick, chef, Nation Kaska: Bonjour.

Le président: Avant d'ouvrir la discussion, j'aimerais vous demander quelques éclaircissements au sujet de votre mémoire. À la page 6, vous parlez d'une partie ouvertement hostile. De qui s'agit-il?

M. Porter: Il s'agit du gouvernement du Yukon, par rapport au contexte du projet de loi et de l'incidence de l'article 25 de l'Accord-cadre définitif du Yukon.

Le président: Plusieurs membres de l'Assemblée législative du Yukon représentent des portions de votre territoire. D'ailleurs, il y a tellement d'électeurs autochtones au Yukon que j'aurais cru que le gouvernement serait assez réceptif aux revendications autochtones.

M. Porter: Par le passé, le gouvernement du Yukon a toujours manifesté sa grande hostilité à l'égard des revendications transfrontalières de Premières nations touchant un territoire situé à l'extérieur du Yukon qui englobent également une partie du Yukon. Une portion du territoire de la Nation Kaska, celui du Conseil déné Kaska, tombe justement dans cette catégorie. Le gouvernement du Yukon a exprimé son opposition au règlement de 1984 touchant la revendication des Inuvialuits du nord du Yukon de même que le règlement de 1992 de la revendication territoriale des Gwich'in des Territoires du Nord-Ouest au Yukon.

C'est à cause de cette opposition qu'on a cru bon de mettre en vigueur l'article 25 de l'Accord-cadre définitif. Pour être précis, l'article 25.5.5. de l'Accord confère au gouvernement du Yukon un droit de veto aux termes de la Constitution sur les intérêts transfrontaliers des peuples autochtones à l'extérieur du Yukon dont les revendications englobent une partie du Territoire du Yukon. C'est parce que le gouvernement du Yukon a insisté que ce changement a été apporté à l'Accord-cadre définitif. Nous n'avons pas participé à ces négociations-là. Il est juste de dire qu'elles ont été contraires à nos intérêts et que, sur le plan politique, elles ont fait obstacle à la réalisation d'un règlement équitable concernant ces intérêts.

Le président: L'opposition concernait essentiellement les droits d'exploitation des richesses minérales et souterraines du Yukon. Je suppose que le gouvernement n'a pas voulu y renoncer?

M. Porter: On peut dire qu'en général, il a conçu ce processus comme étant de nature compétitive, notamment en ce qui concerne nos intérêts. Pour pouvoir justifier notre accusation de négociation de mauvaise foi, vous avez dans la trousse qu'on vous a remise un document signé dans lequel le gouvernement du Yukon accepte de reconnaître que nous avons en tant qu'Autochtones des droits, des titres et des intérêts dans le sud-est du Yukon.

Il ne s'agit pas de droits que nous croyons avoir; le gouvernement du Yukon lui-même a reconnu la légitimité de nos droits et intérêts autochtones. Or lorsque nous avons essayé de conclure une entente bilatérale là-dessus, ce dernier a refusé de le faire et a manqué à sa promesse relativement à cette reconnaissance.

Ce qu'il faut, c'est que le comité fasse comprendre aux parties concernées que ces revendications doivent être réglées, car il s'agit là d'une obligation constitutionnelle.

Le président: Que l'on indique au compte rendu que je souhaite la bienvenue à M. Hammond Dick. J'ai déjà souhaité la bienvenue à vos deux collaborateurs tout à l'heure.

Pour me permettre de mieux comprendre votre mémoire, je voudrais me reporter à la page 12. Vous dites que sans que la Nation Kaska en reçoive le moindre avis, le Canada et le gouvernement territorial du Yukon et d'autres parties ont conclu une entente. Qui sont ces autres parties?

M. Porter: Il s'agit d'autres Premières nations du Yukon.

Le président: Donc, vous estimez, bien que les autres Premières nations l'aient signée, que vous n'avez pas été partie à ce processus?

M. Porter: C'est exact.

Le sénateur Sibbeston: J'ai trouvé les arguments des Kaska fort intéressant. À certains égards, c'est un peu inquiétant, en ce sens qu'il semble y avoir une grande insatisfaction. Vous avez parlé d'hostilité et du fait que le gouvernement a manqué à sa promesse. Vous dites que le gouvernement du Yukon vous est «hostile» et il a aussi été question de mauvaise foi, etc. Ces propos-là ne sont guère rassurants, et c'est une attitude qui n'est pas très constructive, étant donné que nous savons à quel point il est important que les Premières nations entretiennent de bonnes relations avec leur gouvernement. C'est un peu alarmant et je dois dire que je trouve un peu déconcertant de constater que telle est votre perception du gouvernement du Yukon.

Vous nous avez fait part de vos vues sur les négociations et les ententes qui ont été conclues, en expliquant qu'à votre avis le gouvernement du Yukon n'a pas respecté ses engagements, mais j'aimerais savoir où vous en êtes dans vos négociations avec le gouvernement fédéral? En tant que sénateurs, et en tant que comité, nous nous trouvons confrontés à la possibilité de nous mettre d'accord avec vous et de reporter le projet de loi en attendant que vos revendications soient réglées. Il s'agit d'établir le bon équilibre entre les objectifs et aspirations des peuples du Yukon qui souhaitent assumer pleinement leurs responsabilités par le biais de l'autonomie gouvernementale et vos revendications.

Souhaitez-vous que nous reportions le projet de loi en attendant que vos revendications soient réglées? Où en êtes- vous dans ce processus, et quelles sont les chances que cela se produise dans un avenir rapproché?

M. Porter: Pour ce qui est du processus, nous sommes d'accord pour reconnaître qu'il doit y avoir une évolution sur le plan de l'autonomie gouvernementale pour l'ensemble des peuples du Yukon. Nous sommes tout à fait d'accord pour affirmer que ces derniers doivent assumer toutes leurs responsabilités en tant que gouvernement et que les populations locales doivent être à même de prendre des décisions au niveau local concernant les ressources se trouvant sur leur territoire.

Cependant, nous soutenons que le Canada, en tant que pays, au moment d'acquérir les terres qui forment actuellement le Canada par suite du Décret de 1870, a assumé une obligation constitutionnelle à l'endroit des Autochtones, à savoir qu'avant d'autoriser la colonisation de ces terres, il négocierait une entente et conclurait un traité avec eux vu les droits et intérêts qu'ils possédaient à l'égard de ces terres. Le Canada ne s'est pas acquitté de cette obligation.

Nous sommes en train de négocier — avec le Canada et le Yukon — des ententes touchant nos intérêts au Yukon. Le processus de négociation s'est accéléré dernièrement, si bien que nous réalisons des progrès. Le ministre a pris une décision unilatérale qu'il impose aux négociateurs en ce qui concerne la conduite de ces négociations. Il a fixé comme délai le 31 mars 2002. C'est le ministre qui a décidé unilatéralement que les décisions devraient avoir pris fin à cette date-là.

Quant à savoir si nous pourrons conclure les négociations avant cette date, bien que nous ayons fait des progrès, je ne crois pas que nous aurons suffisamment de temps pour nous entendre sur tous les éléments et conclure une entente globale sur toutes les questions qui sont encore en litige. Il y a eu effectivement des progrès, mais je crains qu'on ne soit pas en mesure de respecter le délai — non pas parce que nous ne travaillons pas assez fort, mais tout simplement parce qu'il y a trop d'éléments à régler et que le Canada ne fait pas suffisamment de concessions pour le moment concernant les points qui restent en litige.

Le sénateur Sibbeston: Certaines dispositions de la Loi sur le Yukon prévoient que les terres sur lesquelles portent vos revendications peuvent être reprises par le gouvernement fédéral. Je suis convaincu qu'un plan sera élaboré pour prévoir le transfert de ces terres aux Premières nations une fois que des ententes auront été conclues sur les revendications territoriales.

Ces dispositions de la Loi sur le Yukon vous rassurent-elles jusqu'à un certain point, étant donné que la Loi prévoit bien que les terres peuvent être transférées à nouveau au fédéral, et donc à votre peuple? J'aimerais bien connaître votre réaction.

M. Porter: Je vais demander à notre conseiller juridique, M. Walsh, de vous répondre.

M. Steve Walsh, conseiller juridique, Nation Kaska: Nous comprenons très bien votre question, sénateur Sibbeston, mais ces dispositions prévoyant la reprise des terres ne nous rassure aucunement. Nous estimons que le Canada devrait continuer d'administrer et de contrôler ces terres tant que les revendications n'auront pas été réglées au lieu de nous faire de vagues promesses qu'il ne pourra pas tenir concernant l'éventuelle reprise des terres.

Nous avons eu cette même discussion avec des hauts fonctionnaires du ministère. Je songe, par exemple, à notre discussion avec le sous-ministre adjoint, John Rayner, à l'automne de 1994. Nous parlions du projet de transfert des droits touchant le pétrole et le gaz au Territoire du Yukon. Cette proposition-là comportait des dispositions touchant la reprise des terres. À l'occasion d'une rencontre entre M. Rayner et les dirigeants de la Nation Kaska, nous avons demandé si le gouvernement envisagerait de reprendre les terres si le gouvernement territorial décidait d'accorder des droits à des tiers. Il a été très honnête avec nous, et nous avons bien apprécié sa franchise. Il nous a dit à cet égard que nous ne pouvons pas raisonnablement espérer que le gouvernement fédéral exercera son droit de reprise des terres si l'on accorde à des tierces parties des droits relatifs à ces terres.

Donc, ces dispositions ne nous rassurent aucunement. Nous estimons que le Canada devrait adopter comme ligne de conduite de maintenir son contrôle sur ces terres et de ne transférer aucun droit à une partie adverse tant qu'il ne se sera pas acquitté de ses obligations constitutionnelles envers les Kaska. Voilà donc notre réponse sur la question de la reprise des terres.

Le sénateur Banks: Pourriez-vous nous faire part de vos vues sur cette question très confuse du nouvel article de protection des droits par rapport à l'ancien article? Veuillez nous expliquer en quoi consiste, selon vous, les différences entre les deux. Pourquoi l'actuel article de protection, qui se trouve dans de nombreuses lois du Canada depuis 1995, ne vous donne pas le genre de protection que vous cherchez à l'égard de vos revendications territoriales?

M. Walsh: Sénateur, notre réponse à cette question est en deux volets. D'abord — et c'est le point primordial — la disposition constitutionnelle qui revêt le plus d'importance pour les Premières nations du Yukon qui n'ont pas encore conclu d'entente sur les revendications territoriales n'est pas l'article 35, mais plutôt le Décret en conseil de 1870. Notre grande priorité dans ces négociations était d'obtenir que le Canada s'engage, en termes très clairs, à s'acquitter de ses obligations aux termes du Décret de 1870 au lieu de les transférer au gouvernement territorial.

Nous voulons une garantie absolue concernant le respect par le Canada de ses obligations aux termes du Décret de 1870. En ce qui nous concerne, l'article 35 est tout à fait secondaire et peu utile, puisqu'il ne peut revêtir la même importance pour une Première nation du Territoire du Yukon qui n'a pas encore réglé ses revendications territoriales.

Notre deuxième point est lié au premier. Je vous ai déjà dit que notre priorité était le Décret de 1870, et non l'article 35. Ce n'est qu'en examinant certains des arguments avancés par nos amis du Nunavut et le contenu de la lettre qu'a envoyée le sénateur Sibbeston aux autres sénateurs que nous nous sommes rendu compte que cela soulevait une question juridique que nous avions peut-être négligée. Notre examen nous a permis effectivement de constater que les arguments qu'avançait le sénateur Sibbeston dans sa lettre étaient fort convaincants. Comme le peuple du Nunavut, nous estimons qu'il vaudrait mieux qu'il n'y ait pas d'article de protection du tout plutôt que de nous imposer celui-là.

M. Porter: Ce n'est qu'un article de protection parmi d'autres que nous avons négociés.

M. Walsh: Oui, M. Porter me rappelle un point important. Peut-être aurais-je dû dire que ma réponse serait en trois volets.

Nous avons négocié d'autres dispositions de protection qui n'étaient pas tout à fait satisfaisantes, mais qui figurent néanmoins dans l'Accord de transfert des attributions. Ces dispositions-là ne se trouvent pas dans le projet de loi C-39.

Tout au cours des négociations, nous avons insisté pour qu'on incorpore dans ce projet de loi les dispositions de protection que nous souhaitons avoir, plutôt que d'autres qui ne sont pas utiles. Mais ce n'est pas du tout ce qui s'est produit en fin de compte.

Le sénateur Banks: En ce qui concerne votre revendication, vous vous rendez compte, j'en suis sûr, que la négociation d'accords qui tiendront compte des intérêts de cinq gouvernements est forcément complexe. Pourriez-vous nous décrire brièvement quelles sont les principales pierres d'achoppement dans le cadre de ces négociations qui, d'après vous, ne seront peut-être pas terminées d'ici la fin mars?

M. Porter: L'une des questions que nous examinons actuellement, et qui relève de la responsabilité du gouvernement fédéral, est celle des dispositions de la Loi sur les Indiens à l'article 87. La position du gouvernement fédéral, c'est que l'Accord-cadre définitif enlevait ce droit au Yukon, trois ans après son entrée en vigueur. Nous n'étions pas d'accord avec l'interprétation du gouvernement.

Le sénateur Banks: Est-ce que le gouvernement a refusé de reconnaître l'existence de ces droits au Yukon?

M. Porter: Oui, il a refusé de reconnaître au Yukon les droits inscrits à l'article 87. Nous avons pris la position que le gouvernement faisait erreur. Le gouvernement fédéral nous a donc forcés à aller devant les tribunaux.

Le prochain groupe de témoins que vous allez recevoir a intenté une action, comme nous, et a perdu la première fois, mais a eu gain de cause la deuxième fois. Le tribunal a déterminé, par trois voix contre zéro, que le Canada avait tort.

En interprétant cette décision judiciaire, le Canada a affirmé que la demande ne concernait qu'une réserve. Nous avons répondu que le gouvernement ne pouvait pas avoir le beurre et l'argent du beurre. Le gouvernement a pris sa décision et nous a forcés à soumettre la question aux tribunaux. Les tribunaux ont déterminé que le gouvernement n'avait pas réglé la question. Ainsi nous souhaitons que le Canada nous accorde un traitement aussi juste et équitable que celui qu'il a accordé aux autres, en ce qui concerne l'article 87. Les quatre premières parties à avoir conclu des accords au Yukon ont obtenu que leurs droits en vertu de l'article 87 soient protégés. Ils ont obtenu qu'il y ait une période d'élimination progressive de trois ans aux termes de l'Accord. Or le Canada refuse à présent d'accepter les mêmes conditions pour ceux d'entre nous qui n'avons pas encore conclu d'entente.

Le gouvernement refuse aussi de maintenir le moratoire sur la perception des impôts. Encore une fois, nous avons dû passer devant les tribunaux. Ainsi nous nous sommes adressés à la Cour suprême du Canada le 11 décembre 2001, et nous affirmons à cet égard que le fait de mettre de côté des terres au Yukon à l'intention des Indiens, c'est exactement la même chose que de mettre de côté des réserves à l'intention des Indiens. Mais nous avons dû nous battre jusque devant la Cour suprême du Canada pour faire valoir cet argument.

Le Canada dit que si nous avons gain de cause dans cette affaire, il nous accordera le même traitement. Mais nous ne comprenons pas cette attitude. Cela ne coûterait pas cher au Canada de décider, simplement pour des raisons de justice, de traiter tous les peuples autochtones du Yukon de la même façon, de nous permettre de conclure un accord définitif et de prévoir l'élimination progressive des droits touchant la perception des impôts trois ans plus tard. Jusqu'à présent, le Canada a refusé de le faire.

Il y a aussi plusieurs autres points en litige, notamment celui du gravier au chapitre 17 et d'autres points dans ce même chapitre qui concernent l'exploitation forestière. Il y a aussi un certain nombre de terres spécifiques qui doivent faire l'objet de négociations. Aux termes des chapitres de l'Accord-cadre définitif touchant le gravier et l'exploitation forestière, le gouvernement du Yukon se permet, en ce qui nous concerne, de piloter les négociations, alors que ce n'est pas nécessaire, et de s'opposer aux articles que nous souhaitons y incorporer. C'est comme si le transfert des attributions s'était déjà réalisé au Yukon et que toutes ces mesures relevaient déjà de la responsabilité du gouvernement territorial.

Nous avons donc insisté auprès du ministre pour qu'il exerce ses pouvoirs et ceux de son gouvernement à la table des négociations. C'est au ministre, et non au gouvernement du Yukon qui, de par la Constitution représente une administration subalterne, qu'incombe l'obligation constitutionnelle de régler nos revendications.

Le sénateur Banks: Je ne suis pas sûr que le gouvernement du Yukon soit considéré comme une administration subalterne. Dois-je comprendre, d'après ce que vous avez dit, que dans l'exercice de certains de vos droits, vous demandez que 93 000 milles carrés soient considérés comme une réserve?

M. Porter: Non, pas du tout. Il s'agit de terres qui sont mises en réserve. Lorsqu'on a procédé à la création de réserves au Canada, un certain nombre d'entre elles ont été créées dans tout le Canada, y compris au Yukon, où il existe six réserves. Ensuite le gouvernement a cessé d'en créer. C'est là qu'il a commencé à désigner ces terres comme étant mises de côté à l'intention des Indiens.

L'argument légal que nous avançons, c'est que ces deux désignations reviennent au même, si bien que les terres mises de côté à l'intention des Indiens et les terres réservées à l'intention des Indiens devraient être considérées comme équivalentes.

M. Walsh voudra peut-être vous apporter d'autres précisions sur l'aspect légal de la chose.

M. Walsh: J'ai pas mal d'expérience dans ce domaine, comme mon collègue, M. Joe, d'ailleurs. Vous pourrez peut- être lui poser d'autres questions à ce sujet après son exposé tout à l'heure.

Le Canada n'a pas conclu de traités à l'époque de la ruée vers l'or, même si la ruée vers l'or s'est produite en plein pendant le processus de conclusion des traités. Le Traité 8 découle d'ailleurs directement de la ruée vers l'or.

À mon avis, le Canada a voulu être un peu trop gourmand et a donc décidé de ne pas conclure de traités au Yukon. Il a préféré créer de petites réserves qui étaient toujours complètement éloignées des collectivités blanches et étaient à peine assez grande pour répondre aux besoins des Indiens en matière d'habitation. Le gouvernement voulait que ces terres soient des réserves: il les a désignées des réserves et il les a administrées comme telles.

En 1948, un avocat du ministère de la Justice a émis l'opinion que les décrets en conseil qui avaient permis de créer ces réserves comportaient un défaut. Le gouvernement avait négligé de nommer la bande précise pour qui les réserves avaient été créées. Donc, du jour au lendemain, le gouvernement a adopté la position qu'il n'y avait pas de réserves au Yukon et a maintenu cette position jusqu'en 1970-1971, alors que le ministre des Affaires indiennes de l'époque, M. Chrétien, a décidé qu'il voulait construire un pont sur la route de Skagway. Il se trouve que les assises du pont traversaient le territoire de la Réserve no 4 de la Première nation de Carcross.

Le gouvernement s'est donc repenché sur la question et a décidé qu'il y aurait alors une seule réserve au Yukon. Il a réexaminé à nouveau la question, comme vous le disait M. Porter, et cette fois là, il a décidé qu'il était désormais possible d'interpréter différemment certains décrets en conseil, si bien qu'il y avait six réserves au Yukon. Le gouvernement a continué d'affirmer qu'il y avait six réserves au Yukon jusqu'en 1995.

J'ai obtenu le règlement d'une revendication particulière portant création d'une septième, et j'ai eu gain de cause devant les tribunaux il y a presque un an — ça fera un an le mois prochain — qui ont affirmé qu'il en existe une huitième. À l'heure actuelle, la question des terres mises de côté à l'intention des Indiens est devant la Cour suprême du Canada, ayant fait l'objet de jugements aux autres paliers de l'appareil judiciaire. Selon la décision que rendra cette dernière au cours des 12 ou 13 prochaines semaines, il pourrait y avoir beaucoup d'autres réserves au Yukon. Encore une fois, c'est l'ambiguïté de la position fédérale qui a créé toute cette incertitude concernant les terres des Premières nations.

M. Porter: On parlait d'une terre de 50 milles carrés.

M. Walsh: Même pas. Toutes les réserves reconnues au Yukon ont une superficie inférieure à 2 milles carrés.

M. Porter: Pas les 93...

Le sénateur Christensen: Messieurs, vous savez très bien certainement que nous ne sommes pas des négociateurs. Cette question est extrêmement complexe, comme vous l'avez dit vous-mêmes. Je suis ce dossier depuis plusieurs années, mais malgré tout, je n'en ai pas une parfaite connaissance comme vous devez l'avoir après de longues années de négociation.

Nous sommes saisis du projet de loi C-39 qui touche la Loi sur le Yukon. Nous ne sommes pas saisis de l'Accord de transfert d'attributions qui, comme vous le savez fort bien, a été négocié. Nous examinons par conséquent un projet de loi d'autorisation qui englobera l'Accord de transfert d'attributions et d'autres questions. Dans le cas de la Loi sur le Yukon, le délai n'est pas critique. C'est plutôt dans l'Accord de transfert d'attributions qu'on fixe la date limite de mars 2003.

Je voudrais vous poser quelques questions qui vont nous permettre de faire inscrire au compte rendu tous les chiffres et autres renseignements pertinents. D'abord, combien y a-t-il de Premières nations au Yukon?

M. Porter: L'Accord-cadre définitif reconnaît l'existence de 14 Premières nations au Yukon.

Le sénateur Christensen: Et combien d'entre elles ont conclu des accords-cadres définitifs?

M. Porter: Je pense qu'il y en a huit qui l'ont fait jusqu'à présent.

M. Walsh: Huit accords-cadres définitifs ont été conclus, et sept accords sont déjà en vigueur.

Le sénateur Christensen: Sept font donc l'objet de négociation. La Nation Kaska a-t-elle signé l'Accord-cadre définitif?

M. Walsh: Non. La Nation Kaska a voté contre.

Le sénateur Christensen: Donc, vous ne l'avez pas signé.

M. Walsh: Si nous avons voté contre et refusé de le signer, c'est parce que, comme M. Porter vous l'a expliqué dans son exposé, un marché a été conclu à l'insu de la Nation Kaska pour modifier le chapitre 25 de manière à accorder au gouvernement territorial du Yukon un droit de veto sur toute zone relevant de sa responsabilité. Quand nous avons su que ce marché avait été conclu, pour nous, c'était fini. Nous avons voté non et nous avons aussi intenté tout de suite une action en justice.

Le sénateur Christensen: Donc, vous n'êtes pas l'une des 14 Premières nations qui sont signataires de l'Accord-cadre définitif. Y a-t-il d'autres Premières nations du Yukon qui n'ont pas non plus signé l'Accord-cadre définitif?

M. Walsh: Je crois savoir que la Première nation de Kwanlin Dun a voté contre et s'est retirée du Conseil des Premières nations du Yukon, soit le CPNY, en raison de ses inquiétudes concernant l'Accord-cadre définitif.

Le sénateur Christensen: Douze bandes sont donc représentées par le CPNY.

M. Walsh: Onze bandes le sont, mais cela ne comprend pas les revendications transfrontalières reconnues touchant une portion du Yukon, comme celles du Conseil déné Kaska, des Tlingits de la rivière Tagu ou de certains Métis dénés des Territoires du Nord-Ouest.

Le sénateur Christensen: Et avez-vous eu du succès à l'égard de vos revendications transfrontalières en Colombie- Britannique? Je présume que votre nation englobe des bandes de la Colombie-Britannique, du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest. Où en sont les négociations touchant vos membres au Yukon qui souhaitent avoir des terres en Colombie-Britannique?

M. Porter: Nous attendons que le gouvernement provincial à Victoria organise un référendum. À toutes fins pratiques, le processus de conclusion de traités en Colombie-Britannique est provisoirement suspendu. Tant que M. Campbell et son gouvernement n'auront pas tenu un référendum pour obtenir l'avis de la majorité, les intérêts et les droits d'une minorité ne sont pas pris en compte.

Le sénateur Christensen: Et où en sont vos négociations avec les Territoires du Nord-Ouest?

M. Porter: Dans les Territoires du Nord-Ouest, nous avons créé une table de négociation avec les Dénés et les Métis du Sahtu. Nous avons reçu des crédits du gouvernement fédéral pour tenir ces négociations, comme c'est le cas également des Dénés et des Métis du Sahtu. Un projet d'accord élaboré par les Kaska et les Dénés du Sahtu est actuellement à l'étude, et il reste deux articles qui ne font toujours pas l'objet d'un accord.

Par rapport à ces revendications de 1988, nous, les Kaska, avons déposé une série complète de cartes auprès des autorités canadiennes pour les informer de l'étendue de notre territoire traditionnel et de nos sélections de terres. Nous avons choisi des terres adjacentes au Yukon dans les Territoires du Nord-Ouest. Sans nous consulter, cependant, le Canada a manqué à ses obligations fiduciaires envers nous en décidant de confier aux Dénés et aux Métis du Sahtu la grande majorité de ces terres, par suite de l'accord qu'ils ont conclu. Je précise que je ne reproche rien aux Dénés et aux Métis du Sahtu, qui ont entamé des négociations de bonne foi sans, je le suppose, être au courant des cartes que nous avions déposées auprès des autorités canadiennes. Il reste que le Canada était certainement au courant de ces cartes et a décidé malgré tout de procéder à la conclusion d'un accord.

Nous avons donc condamné le refus du Canada de respecter ses obligations fiduciaires. Nous possédons d'ailleurs une lettre d'un représentant du Canada qui reconnaît que le Canada a effectivement certaines responsabilités et accepte donc de négocier. Nous avons ensuite cherché à faire participer le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, qui nous a répondu qu'il préférerait que les Dénés et les Métis du Sahtu et la Nation Kaska s'entendent avant que les autorités provinciales participent aux pourparlers officiels. Voilà donc où en sont les négociations.

Nous avons un projet d'accord dont certains articles restent encore en litige. Quand ce travail sera terminé, nous envisageons que le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et le gouvernement canadien se joindront aux discussions en vue de régler cette revendication transfrontalière.

Le sénateur Christensen: En 1998, l'Accord sur le protocole de dévolution au Yukon a été conclu. Avez-vous signé cet accord-là? Il visait le gouvernement fédéral, le gouvernement territorial, le CPNY, la Nation Kaska, et qui d'autres étaient concernés?

M. Walsh: Oui, nous l'avons signé. Nous avons participé pleinement aux négociations qui ont débouché sur cet accord, et dans une très large mesure, c'est le non-respect des conditions de cet accord par les deux autres parties qui nous a amenés à nous y opposer.

Les dispositions centrales de ce protocole de 1998 sont reproduites à l'onglet 7 de notre trousse au paragraphe 1. Les principales dispositions touchant les Premières nations qui n'ont pas conclu d'accords touchant leurs revendications territoriales figurent au paragraphe 1 du protocole de 1998. Ce dernier précise que l'Accord de transfert d'attributions explicitera, au paragraphe 1 b):

b) l'intention des parties de mener à bonne fin, étant donné qu'il s'agit de questions de la plus grande priorité, la négociation de tout accord-cadre définitif ou accord d'autonomie gouvernementale qui concerne une Première nation du Yukon et tout accord transfrontalier touchant une partie du Territoire du Yukon.

Mais comme vous l'a expliqué M. Porter, même si ce dossier était censé être la grande priorité du gouvernement, le ministre a décidé que notre mandat prendra fin dans environ cinq semaines. En ce qui nous concerne, ce n'est certainement pas une preuve que le gouvernement considère ce dossier comme sa plus grande priorité.

Le paragraphe d) précise que l'accord de transfert doit inclure des dispositions permettant de protéger les intérêts des nations dont les revendications ne sont toujours pas réglées. À notre avis, l'Accord ne prévoit absolument pas ce genre de protection.

Le paragraphe e) est sans doute celui qui porte le plus gravement atteinte à nos droits. Il y est question de la nécessité d'une entente bilatérale entre le gouvernement territorial du Yukon et les Kaska, qui n'ont pas encore réglé leurs revendications, en vue de protéger nos intérêts. Nous avons signé des ententes avec le gouvernement territorial du Yukon qui prévoient la mise en vigueur progressive des modalités de transfert des attributions et la reconnaissance des droits ancestraux, des titres et des intérêts de la Nation Kaska.

M. Porter l'a bien dit: ce sont ces accords qui nous ont amenés à participer au processus. Mais au moment de négocier le paragraphe 1e), soit l'annexe bilatérale visant à protéger les droits en question, le gouvernement territorial a manqué à sa promesse de reconnaître les droits mêmes qui nous ont fait participer au processus au départ. Maintenant le Canada souhaite lui transférer des pouvoirs ainsi que le droit de bénéficier de l'exploitation de terres et de ressources qui ne lui ont jamais été cédées. Nous ne comprenons absolument pas cette ligne de conduite.

M. Porter: Aux termes de l'article 109, même les provinces ont ce droit.

Le sénateur Christensen: Vous dites que vous avez été à la table principale des négociations durant toute la période de négociation de l'Accord de transfert d'attributions, ou l'ATA.

M. Walsh: C'est-à-dire que nous avons participé à 98 p. 100 des travaux. Nous n'avons pas été présents pour la dernière partie des négociations qui se sont déroulées au cours des derniers mois. Il y a eu un certain nombre de changements fondamentaux.

Je suis sûr que le renseignement suivant intéressera les sénateurs: la définition des terres qui sont transférées, selon l'Accord de transfert d'attributions est différente de celle qui se trouve dans votre projet de loi. À cet égard, il y a un manque de concordance flagrant.

Le sénateur Christensen: Pourquoi n'avez-vous pas assisté à la dernière partie des négociations?

M. Walsh: Nous n'avons même pas été prévenus de la tenue de bon nombre des réunions qui se sont déroulées au cours des derniers mois. Nous étions aussi très mécontents de l'orientation que prenait cet accord. À notre avis, il s'agissait d'un manquement fondamental aux engagements qui nous avaient amenés à participer au processus. Peut- être pourriez-vous demander aux fonctionnaires du ministère pourquoi nous n'avons pas été prévenus de la tenue d'un certain nombre de réunions importantes.

Le sénateur Christensen: Êtes-vous au courant de la résolution adoptée par le Conseil des Premières nations du Yukon et des conditions inscrites dans cette résolution concernant la mise en oeuvre de l'ATA?

M. Walsh: Nous savons que le Conseil a adopté une résolution.

M. Porter: Elle demande que les revendications soient réglées.

Le sénateur Christensen: Elle demande le règlement des revendications à la condition expresse que le transfert des attributions ne se fasse pas avant avril 2003, conformément à l'Accord de transfert d'attributions, parafé par les parties, ce qui prévoit le règlement de toutes les revendications territoriales des Premières nations et la conclusion des accords sur l'autonomie gouvernementale.

M. Walsh: Je crois savoir qu'il y est également question de ratification. D'après ce qu'on m'a dit, le Conseil a adopté une résolution qui précise que son soutien est conditionnel, la condition étant que tous les accords touchant ses membres soient conclus et ratifiés. Parmi ses membres, il y en a encore un certain nombre dont les accords n'ont été ni conclus ni ratifiés.

Le sénateur Christensen: Oui, il y en a trois.

Vous soulevez de nombreuses questions que nous ne manquerons pas d'adresser au ministre lorsqu'il comparaîtra de nouveau devant nous.

Le sénateur Watt: En ce qui concerne la page 4 de votre texte, il serait bon, pour la gouverne de tous, que vous nous apportiez quelques précisions concernant le fait de savoir si la question qui touche le Décret de 1870 sur l'ancien Territoire du Nord-Ouest est traitée dans la Constitution elle-même ou dans des annexes à la Constitution. Moi, je suis du Nord du Québec. Nous avons réglé des revendications en utilisant tous les recours à notre disposition en ce qui concerne les dispositions de la Constitution elle-même et des annexes à la Constitution. Comme j'ai une expérience semblable par rapport à la Loi de 1912 de l'extension des frontières de Québec et de l'Acte de la terre de Rupert, j'aimerais que vous me disiez dans quels termes tout cela est explicité dans la Loi? S'agit-il d'une loi constitutionnelle de 1870?

M. Walsh: Le Décret de 1870 constitue en réalité un Décret impérial. C'est un décret en conseil pris à Londres, en Angleterre, en date du 15 juillet 1870.

Le sénateur Watt: Est-ce une annexe à la Constitution?

M. Walsh: Oui, il fait partie intégrante de la Constitution. Si vous regardez l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, vous verrez qu'on y précise que la Loi constitutionnelle comprend les lois et décrets inscrits à l'annexe, et vous verrez que le Décret en conseil de 1870 sur la terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest est mentionné au point 3 de l'annexe en question. C'est sur cette base que les terres dont vous parliez il y a quelques instants, sénateur — les terres qui constituent actuellement le Nord du Québec, et qui ont été transférées au Nord du Québec par suite de la Loi de 1912 de l'extension des frontières de Québec ont été accordées au Canada, soit conformément au Décret de 1870, le même décret dont il est question ici. La terre qui constitue actuellement la zone du Nord de l'Ontario a été transférée au Canada le même jour par suite du même décret en conseil. Il en va de même pour le Manitoba, la Saskatchewan, l'Alberta, la zone qui correspond maintenant au Territoire du Yukon, aux Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut; tous ces territoires ont été transférés au Canada aux termes du Décret en conseil de 1870.

La partie essentielle du Décret de 1870 est le paragraphe qui commence au bas de la page 3 et se termine au haut de la page 4 de notre texte. Selon nous, le Décret de 1870 représente le fondement historique et constitutionnel du processus de conclusion de traités qui a suivi la Confédération. Ce processus s'est enclenché après le transfert au Canada en 1870 des territoires déjà mentionnés, et ce par suite du Décret en conseil de 1870. Les Traités 1 et 2 ont été conclus en 1871; le Traité 3, en 1873; le Traité 4, en 1874. Ce processus a continué jusqu'en 1877, année où le Traité no 7 touchant la zone située à l'extrême sud-ouest de l'Alberta a été conclu.

Dès 1877, la zone dite fertile et le corridor de construction du CPR ont été ouverts pour permettre au Canada de se conformer aux conditions de l'union avec la Colombie-Britannique. Dès que les terres ont été transférées, conformément à ces textes, le Canada, qui a adopté ces textes, le Canada, à la suite donc de la Confédération, a mis en branle le processus de conclusion de traités. Aucun autre traité n'a été conclu pendant les années 1870, 1880 ou au début des années 1890, même si les Autochtones du Nord écrivaient au gouvernement pour lui demander de conclure des traités avec eux. On leur tuait leur gibier et leurs membres contractaient des maladies qu'ils n'avaient jamais connues auparavant.

Le Père René Fumoleau, prêtre oblat vivant dans les Territoires du Nord-Ouest qui a travaillé avec les Dénés pendant de nombreuses années a écrit un livre intitulé As long as this land shall last: a history of Treaty 8 and Treaty 11, 1870-1939, où il mentionne justement que les Autochtones avaient écrit au gouvernement fédéral pour lui demander de conclure des traités avec eux. Le gouvernement fédéral a refusé, cependant puisqu'il n'avait pas encore besoin de ces terres à des fins de colonisation.

Ce qui a changé la situation, c'était la découverte de l'or du Klondike et la ruée vers l'or. Si le Traité 8 a été négocié, c'est surtout à cause de la ruée vers l'or et le fait que les prospecteurs se dirigeant vers le Klondike depuis Edmonton avaient perturbé les Premières nations en s'y rendant. Lors de la négociation du Traité 8, l'Évêque Bompas du Territoire du Yukon en a entendu parler. Depuis Dawson City, il a écrit au gouvernement au nom de la Première nation qui s'y trouvait, qu'on appelait les Hän, et qui sont maintenant connus sous le nom de Tr'ondëk Hwëch'in, pour demander qu'un traité soit conclu prévoyant des terres de réserve, qui étaient nécessaires étant donné que les Indiens étaient en train d'être déplacés. Dans la réponse reçue par l'Évêque Bompas, nous avons un exemple précoce d'une tentative de la part du gouvernement pour se défiler. Le gouvernement lui a répondu en disant qu'il s'était adressé au mauvais ministère et qu'il devait s'adresser à un autre service. Deux ans plus tard — cela fera 100 ans ce mois-ci — le chef Jim Boss de la région de Whitehorse a décidé de passer par la filière laïque et a donc engagé un avocat pour que ce dernier adresse une pétition au roi pour demander un traité. Il a obtenu le même résultat que l'Évêque Bompas. Le fait d'avoir fait intervenir un avocat n'a rien donné de plus que d'être prêtre. Aucun traité n'a été conclu au Yukon durant le processus de conclusion de traité qui s'est déroulé entre 1870 et 1930. Il s'agit d'une période de 60 ans, et la ruée vers l'or a eu lieu en plein milieu.

À la suite de l'arrêt Calder, qui a choqué le premier ministre Trudeau et son ministre des Affaires indiennes, M. Chrétien, il n'est guère surprenant que la première revendication à être acceptée par la suite ait été celle des Indiens du Yukon, étant donné l'aberration flagrante qui a caractérisé la situation au Yukon en 1898. Des traités étaient en train d'être négociés et conclus tout autour, mais le gouvernement n'a pas cru bon de conclure des traités au Yukon.

Le sujet de la thèse de doctorat du professeur Ken Coates était l'histoire des relations entre les Indiens et les Blancs de 1840 à 1950. Elle s'intitulait Best Left As Indians, qui renvoie à une lettre de bureaucrate fédéral qui se demandait quelle devrait être la politique sur les Indiens au Yukon. L'une des possibilités qu'on avait explorées à l'époque consistait à installer tous les Indiens dans une réserve située au nord de la rivière Peel, soit dans le Nord du Yukon. Mais on a fini par l'exclure, étant donné que les terres qui s'y trouvaient pourraient être riches en minéraux.

Le gouvernement a eu toutes sortes d'idées farfelues, mais en fin de compte, il y a simplement eu quelques petites réserves, dont on a nié l'existence par la suite. C'est pour cela que les revendications des Indiens du Yukon ont été les premières à être acceptées en 1973. À cet égard, le travail du gouvernement du Canada n'est toujours pas fini et le projet de loi dont vous êtes actuellement saisis n'est pas du tout conforme à cette réalité.

M. Porter: Le Canada a admis dans des documents déposés devant les tribunaux que le Décret de 1870 ne s'applique pas au Yukon.

Le président: Je pense que nous avons déjà vidé cette question-là.

M. Porter: Attendez, il y a autre chose.

Le sénateur Watt: Le tableau que vous nous avez dessiné est très clair, et nous permet de bien comprendre votre position.

Dans un sens, vous nous dites que vos revendications devaient être les premières à être réglées, alors que celles du Yukon sont négociées en premier.

Il y a autre chose qui m'intéresse. Pourriez-vous m'indiquer le libellé exact du Décret de 1870 qui justifie votre position? Quel est le texte précis qui démontre que le gouvernement du Canada a l'obligation directe de traiter avec vous?

M. Walsh: Le texte en question se trouve au bas de la page 3 et au haut de la page 4. Ce texte a été adopté par la Chambre des communes et le Sénat les 16 et 17 décembre 2001. L'article 146 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique prévoit que sur la présentation d'une demande conjointe de la part des deux Chambres du Parlement, la Chambre des communes et le Sénat, la Grande-Bretagne peut transférer ces terres.

Le texte qui se trouve au bas de la page 3 et au haut de la page 4 correspond à la principale condition, inscrite dans la Constitution, prévue pour le transfert des terres. Ce texte se lit ainsi:

[...] lors du transfert des territoires en question au gouvernement du Canada, il sera procédé, selon les principes d'équité qui ont toujours guidé la Couronne britannique dans ses rapports avec les Autochtones, à l'examen et au règlement des demandes d'indemnisation présentées par les tribus indiennes au sujet des terres nécessaires à la colonisation.

Voilà la disposition la plus importante. C'est donc sur cette base que nous avons intenté une action contre le Canada.

Le sénateur Sibbeston: Monsieur le président, je suis des Territoires du Nord-Ouest où nous entretenons depuis longtemps des relations avec le gouvernement fédéral. Les Autochtones de cette région ont réalisé beaucoup de progrès dans le cadre de leurs discussions avec le gouvernement territorial. Je suis heureux de pouvoir vous dire que dans les Territoires du Nord-Ouest, les relations entre le gouvernement et les Autochtones sont généralement assez bonnes. Les peuples autochtones ont obtenu des gains importants et ont joué un rôle de chef de file au sein de la société et du gouvernement du Nord. Ils progressent rapidement sur le plan économique et dans tout le secteur des affaires.

Dans les Territoires du Nord-Ouest à l'heure actuelle, je ne sais pas si on entendrait des commentaires comme ceux que vous venez de faire au sujet du fait que votre gouvernement est hostile. La nature de vos rapports avec le gouvernement du Yukon m'intrigue. Quelle est la situation des peuples autochtones du Yukon en ce qui concerne le rapport avec le gouvernement du Yukon? Vous nous donnez l'impression que les rapports entre eux ne sont pas très harmonieux et qu'au Yukon, vous n'êtes vraiment pas très contents de la situation.

Il est essentiel que nous sachions votre position définitive au sujet de ce projet de loi. Êtes-vous sérieux en disant que si le projet de loi visant à remplacer la Loi sur le Yukon est adopté, vos revendications territoriales seront gravement compromises?

M. Porter: Sénateur Sibbeston, en ce qui concerne le ton de notre exposé et le fait que nous ayons parlé de mauvaise foi ou d'hostilité, je dois vous dire qu'à notre avis, ces termes décrivent bien la nature des relations qui ont existé jusqu'à présent entre le gouvernement du Yukon et les peuples autochtones.

Cela dit, je reconnais et je comprends que ces relations ont considérablement évolué au fil des ans et qu'il y a eu une amélioration sur ce plan-là. Nous ne parlons plus de deux solitudes, pour reprendre l'expression qu'on employait dans un passé relativement rapproché pour décrire les relations entre les Canadiens anglais et les Canadiens français.

Cependant, du point de vue du processus de négociation de nos droits autochtones, on peut dire que le processus auquel ont participé le gouvernement du Yukon et les peuples autochtones en a été un de compétition et d'antagonisme. Chacun des accords que nous avons conclus avec le gouvernement du Yukon a été violé en ce qui concerne la négociation d'un règlement juste et équitable.

Dans le sud-est du Yukon, nous possédons des terres potentiellement riches du point de vue des ressources hydroélectriques, gazières et pétrolières qui s'y trouvent et la possibilité d'activités touristiques. Quatre-vingt pour cent des forêts exploitables se trouvent sur notre territoire. La clé de la prospérité économique au Yukon se trouve dans la région du sud-est. Et pour stimuler cette prospérité économique, il faut conclure des ententes avec nous.

Le message que nous désirons vous communiquer aujourd'hui, c'est qu'il doit y avoir un engagement plus soutenu vis-à-vis du règlement de nos revendications. Le Canada a des responsabilités constitutionnelles. Si nous avons réussi ce matin à vous faire passer un message, j'espère que nous vous aurons convaincus que le Canada a effectivement l'obligation constitutionnelle, aux termes du Décret de 1870, de régler cette revendication.

Il reste qu'après 30 ans de négociation, nous constatons qu'il est possible que les revendications du gouvernement du Yukon soient acceptées avant celles des peuples autochtones. C'est fondamentalement injuste.

De plus, le Sénat, en acceptant de participer à un tel processus, ne ferait que perpétuer un tort historique. Afin de faire pression sur toutes les parties, le Sénat peut déclarer que les audiences sur ce projet de loi seront suspendues jusqu'à ce qu'il y ait un règlement. Le Sénat devrait déclarer qu'il souhaite que les parties intéressées reviennent dans six mois pour lui signaler que toutes les revendications en instance ont été réglées au Yukon, ou pour nous dire éventuellement pourquoi cela n'a pas été fait.

Tous les gouvernements, y compris les administrations fédérales et territoriales et nous-mêmes, subiraient ainsi des pressions qui les amèneraient à régler toutes ces revendications. Ce délai est suffisant pour y arriver. Peut-on les régler d'ici le 31 mars? Non. Serait-ce possible d'y arriver dans un délai de six mois à compter du 31 mars? Oui.

Le sénateur Banks: L'observation que je vais vous faire révélera peut-être mon ignorance à l'égard des négociations. Vous avez mené à bien de nombreuses négociations. Moi, aussi, dans d'autres contextes. Mais les négociations, quelle que soit leur durée, ne peuvent aboutir lorsque l'une ou l'autre des parties a un couteau à la gorge.

Vous nous avez clairement expliqué les obligations qui existent. Vos arguments sont d'ailleurs convaincants.

Vous avez fait mention tout à l'heure des accords touchant les revendications transfrontalières. Là je fais allusion à l'Accord-cadre de 1989 signé par différents groupes autochtones, le gouvernement du Canada et le gouvernement du Yukon qui mentionnait la possibilité d'accords transfrontaliers avec la Colombie-Britannique, mais passait sous silence la possibilité de droits transfrontaliers qui seraient liés à la revendication touchant les Territoires du Nord-Ouest. Si je comprends bien, certaines zones des Territoires du Nord-Ouest sont visées par votre revendication actuelle.

Ces droits touchant la zone de la frontière avec les Territoires du Nord-Ouest n'existaient-ils pas avant 1989? Cette revendication a-t-elle été déposée avant 1989? Pourquoi ces droits n'ont-ils pas été inclus dans l'Accord-cadre? Pourquoi les Territoires du Nord-Ouest n'ont-ils pas été visés par l'Accord-cadre de 1989?

M. Porter: Dans la trousse d'information fournie au comité, vous avez à l'onglet 1 une copie de l'Accord-cadre de 1989 auquel fait allusion l'honorable sénateur. Je demande aux membres du comité de se reporter au point 6 à la page 2, où on lit ceci:

6. À moins que les parties n'en décident autrement dans le cadre d'un accord avec la Nation Kaska, les accords conclus avec la Nation Kaska n'influeront aucunement sur les droits ancestraux, les titres et les intérêts, le cas échéant, des membres de la Nation Kaska en Colombie-Britannique et dans les Territoires du Nord-Ouest.

Voilà déjà plusieurs années que nous revendiquons ces terrains.

M. Walsh: Si vous me permettez d'ajouter quelque chose, sénateur, la sélection des terres faites par les Kaska dans les Territoires du Nord-Ouest a été déposée dans le cadre de négociations qui se sont déroulées en 1988 et 1989. À l'époque, des négociations étaient menées hâtivement sur la partie de la revendication qui touchait les Territoires du Nord-Ouest.

Le président: Nous devons conclure de façon à laisser le temps qu'il faut aux représentants de la Première nation de Tagish.

Le sénateur Christensen: Je crois savoir que c'est le Conseil des Premières nations du Yukon, le CPNY qui a demandé et a fait incorporer dans la loi la disposition visant à protéger les droits ancestraux. C'est le Conseil qui a voulu que cet article figure dans le projet de loi. Le CPNY a également insisté pour que la date d'entrée en vigueur des Accords de transfert d'attributions soit reportée et pour qu'on inscrive dans le projet de loi la condition selon laquelle les pouvoirs du Commissaire sont maintenus pendant 10 ans. C'est bien ça?

M. Walsh: Si le CPNY a posé de telles conditions, je ne suis pas au courant. Nous avons été exclus d'une partie des négociations finales et ne pouvons donc nous prononcer sur ce qui a pu s'y produire.

Ce que je peux vous dire, c'est que l'article touchant les 10 ans pose vraiment problème. À l'heure actuelle, aux termes de l'article 4 de la Loi sur le Yukon, le ministre peut demander au Commissaire des Territoires du Yukon de prendre les mesures que le ministre juge appropriées. En ce qui concerne les événements d'octobre 1979, le sénateur Christensen doit en savoir plus long que n'importe qui d'autre.

Les Premières nations du Yukon voulaient que cette disposition soit maintenue dans la Loi sur le Yukon. Elles considèrent que cette dernière les protège contre un gouvernement potentiellement hostile. Si le gouvernement territorial du Yukon ne fait pas son devoir, cet article nous assure au moins une certaine protection. Le Yukon n'en voulait pas. Le Canada a décidé de se plier aux exigences du Yukon. Par conséquent, le compromis accepté par les parties consistait à appliquer cet article pendant 10 ans de plus.

Je vous signale, en passant, que nous n'étions pas d'accord là-dessus.

Le sénateur Christensen: Comme vous l'avez fait valoir le 10 octobre 1979, les commissaires ne font pas nécessairement les quatre volontés du ministre.

Le sénateur Sibbeston vous a posé une question concernant les relations entre vous-mêmes et le gouvernement du Yukon. Moi, je voudrais savoir quelle est la nature des rapports entre votre nation et le Conseil des Premières nations du Yukon?

M. Porter: Je pense qu'on peut surtout dire que nous entretenons des relations respectueuses. Nous collaborons sur certains dossiers. Nous étions d'ailleurs à la table avec les représentants du Conseil pour essayer de négocier une bonne entente.

Même si nous ne faisons pas officiellement partie du CPNY, nous collaborons avec lui, ainsi qu'avec la Première nation de Kwanlin Dun à tout dossier important qui touche le Yukon.

Le sénateur Buchanan: Vous avez dit quelque chose tout à l'heure que je n'ai pas bien compris. Vous dites que les provinces ne possèdent pas les droits qu'on aurait accordés au gouvernement du Yukon. Que voulez-vous dire par là? Les provinces constituent tout de même des organismes souverains aux termes de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique et de la Loi sur le Canada; les territoires sont les territoires. Quel est le parallèle entre les deux?

M. Walsh: Si le Canada voulait adopter une mesure législative comme le projet de loi C-39 pour déléguer ce genre de pouvoirs à une province, ce serait inconstitutionnel.

Le sénateur Buchanan: C'est exact.

M. Walsh: Comme un territoire n'est pas une province, le Canada peut transférer à un territoire des compétences fédérales. En l'occurrence, le pouvoir qui nous préoccupe le plus est celui prévu à l'article 91.24 de la Loi constitutionnelle de 1967 concernant les Indiens et les terres réservées aux Indiens. Il est tout à fait inacceptable que le Canada transfère à autrui l'un quelconque de ces pouvoirs. Le transfert d'attributions devait être lié au Programmes des affaires du Nord, et non à la question des Indiens et des terres réservées aux Indiens.

Pendant toutes les négociations sur le transfert des attributions, nous avons trouvé préoccupant qu'il n'y ait aucune mention expresse du fait que les terres réservées aux Indiens ne sont pas transférées. Nous souhaitions y voir une telle mention. Cela nous semble être juste.

À notre avis, il fallait y inclure la mention qu'aucun des pouvoirs touchant les Indiens n'est transféré par le biais de l'accord. Nous n'avons pas pu convaincre les intéressés d'y inclure cette mention.

Le sénateur Buchanan: De par la Constitution, le gouvernement fédéral ne peut pas faire avec les provinces ce qu'il fait avec les territoires, étant donné qu'il s'agit d'organismes constitutionnels tout à fait différents, bien entendu. Du point de vue du gouvernement du Yukon, ce que fait le fédéral n'a rien d'inconstitutionnel.

M. Walsh: A-t-il le droit de le faire? Oui. Cette façon de faire est-elle conforme à ses obligations constitutionnelles envers mes clients aux termes du Décret de 1870? À notre avis, non.

Le sénateur Buchanan: Je vois ce que vous faites. Vous faites intervenir le Décret de 1870, qui ne fait pas vraiment partie de la Constitution du Canada de 1867 ou de la Loi de 1982 sur le Canada.

M. Walsh: Si, il en fait absolument partie. Il n'y a aucun doute que le Décret fait partie intégrante de la Constitution du Canada. S'il n'en fait pas partie, il faut se demander...

Le sénateur Buchanan: Ça, c'est par rapport aux provinces, au gouvernement fédéral et aux compétences des deux. Cela concerne certainement les territoires, mais non pas les provinces. J'essaie de faire la distinction entre les pouvoirs constitutionnels des provinces, du gouvernement fédéral et des territoires.

M. Walsh: De nos jours, le Décret de 1870 ne s'applique dans aucune des provinces. On peut soutenir que le seul endroit au Canada où ses dispositions ne sont pas encore périmées et le Territoire du Yukon, où aucun accord touchant des revendications territoriales n'est actuellement en vigueur. Donc, j'insiste sur le fait que le Décret fait partie intégrante de la Constitution, et qu'il est violé par les dispositions du projet de loi dont vous êtes saisis.

Le président: Merci infiniment de votre présence. J'espère que quand vous retournerez chez vous et même partout où vous vous arrêterez en traversant le Canada, vous ferez savoir que le Sénat a trouvé le temps d'entendre vos doléances, alors que la Chambre des communes n'a pas cru bon de le faire.

M. Porter: Monsieur le président, en terminant, nous désirons remercier le Sénat d'avoir bien voulu nous entendre. Quand vous lirez le compte rendu des délibérations du comité permanent de la Chambre des communes, vous constaterez que ce dernier a essentiellement traité la question en cinq minutes. Nous avons également noté que dans le cadre de leur tentative pour nous enlever nos droits et nous imposer des obstacles à l'égard de l'exercice de ces droits, les membres du comité de la Chambre trouvaient que cela leur avait donné très soif et ont donc décidé qu'ils avaient droit à une bière en échange de leurs efforts.

Mais sérieusement, nous tenons à vous remercier d'avoir mis à la disposition de gens comme nous l'une des institutions fondamentales du système démocratique canadien.

Le président: Je voudrais souhaiter la bienvenue au prochain groupe de témoins, qui représentent la Première nation de Carcross/Tagish. Monsieur Wedge, vous avez la parole.

M. Mark Wedge, négociateur en chef, Première nation de Carcross/Tagish: Bonjour. Au sein de la Nation de Carcross/Tagish, mon nom traditionnel est Aan Goosh oo — un nom Tlingit issu de la tribu Dèshîtàn, même si j'ai également des ancêtres européens du côté de mon père.

Nous avons un exposé à faire, mais j'avoue ne pas vraiment connaître la procédure à suivre. Soyez donc indulgents si vous constatez que je me trompe parfois.

Dans notre région, nous vénérons les aînés et nous les tenons en haute estime. Je précise, si vous me permettez, que mon attitude vis-à-vis des membres du comité est essentiellement la même. Pour nous, les aînés sont importants et sacrés. Nous sommes donc honorés d'avoir l'occasion ce matin de comparaître devant vous.

Nous demandons à nos ancêtres de veiller sur nous et sur nos collectivités. Nous leur demandons d'aider les peuples dans nos collectivités à suivre le chemin du bien et du sacré. Nous demandons à nos ancêtres de veiller sur nous, de veiller sur notre coeur et notre esprit, de veiller à ce que nos pensées et nos paroles suivent le chemin du bien et du sacré et à veiller à ce que nos efforts profitent à nos collectivités, à notre pays et à notre peuple. Nous vous demandons de veiller sur nous.

Merci de donner cette occasion à la Première nation de Carcross/Tagish, PNCT, de vous faire part de ses préoccupations concernant le projet de loi C-39.

Le territoire traditionnel de notre Première nation chevauche une partie de la Colombie-Britannique, du Yukon et de l'Alaska. Nous sommes en négociation hâtive avec le Yukon et le Canada depuis 1973, et nous espérons lever tous les obstacles importants aux accords définitifs sur l'autonomie gouvernementale d'ici le 31 mars 2002. Une fois conclus, ces accords feront l'objet d'un vote de ratification auquel participeront nos citoyens.

Avant d'aborder les éléments du projet de loi C-39 qui nous semblent préoccupants, nous aimerions nous présenter pour que vous sachiez qui nous sommes et qui nous représentons. La Première nation de Carcross/Tagish est un amalgame de deux Premières nations, les Tlingit et les Tagish. Les deux Premières nations ont adopté une constitution, comme l'expliquait notre chef tout à l'heure, qui permet à chacune de collaborer au sein de la Première nation de Carcross/Tagish, tout en conservant sa langue et ses traits culturels particuliers. Le territoire traditionnel de la Première nation de Carcross/Tagish englobe celui des deux tribus.

La Première nation de Carcross/Tagish fait partie des Dakha, groupe tribal chargé de faire avancer les intérêts communs des nations Tlingit de l'intérieur, dont la Première nation de Carcross/Tagish, la PNCT. À l'heure actuelle, la PNCT s'appuie sur six clans qui constitueront la base de notre gouvernement futur, dans l'exercice de notre droit inhérent à l'autonomie gouvernementale.

Depuis des milliers d'années, les Carcross/Tagish vivent de la terre et de ses ressources. Par le passé, chacun devait travailler fort pour survivre. L'économie traditionnelle, c'est-à-dire la chasse, la pêche, le trappage, la cueillette des herbes médicinales et des fruits — fait encore partie intégrante de notre mode de vie. Chaque année, nous sortons pour profiter de ce que la nature peut nous offrir.

Le respect de la terre et de l'eau, et de tout ce que la nature nous offre fait partie de notre tradition; c'est cette valeur qu'on nous a enseignée, et que nous continuons d'enseigner à nos enfants. Le projet de loi C-39, s'il est adopté avant que nos droits et nos valeurs ne soient fixés, permettra à des nouveaux venus de profiter des avantages et des richesses de notre territoire d'une façon qui contrevient à nos valeurs et à nos droits. Voilà pourquoi nous vous demandons d'écouter brièvement nos doléances face à la démarche et aux détails du projet de loi C-39.

Tout d'abord, pour donner le contexte historique et juridique, signalons que notre nation n'a jamais cédé, ni aliéné, ni vendu, ni convenu d'aliéner quelque partie de son territoire traditionnel que ce soit, et qu'elle n'a non plus jamais été conquise. La Constitution du Canada de 1982 a inscrit à l'article 52 le Décret en conseil sur la Terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest de 1970:

52.(1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérante les dispositions incompatibles de tout autre règle de droit.

(2) La Constitution du Canada comprend:

a) la Loi de 1982 sur le Canada, y compris la présente loi.

b) les textes législatifs et les décrets figurant à l'annexe; et

c) les modifications des textes législatifs et des décrets mentionnés aux alinéas a) ou b).

Le Décret en conseil de Sa Majesté admettant la Terre de Rupert est le troisième élément de l'annexe 1 de la Loi constitutionnelle et contient la disposition suivante:

[...] lors du transfert des territoires en question au gouvernement du Canada, il sera procédé, selon les principes d'équité qui ont toujours guidé la Couronne britannique dans ses rapports avec les Autochtones, à l'examen et au règlement des demandes d'indemnisation présentées par les tribus indiennes au sujet des terres nécessaires à la colonisation.

Nous soutenons que cette obligation constitutionnelle n'est pas remplie et qu'elle suppose un règlement préalable avec toutes les Premières nations du Yukon, y compris la Première nation de Carcross/Tagish, avant le transfert de l'administration et du contrôle de tous «biens réels domaniaux» au gouvernement du Yukon.

Deuxièmement, tant l'Accord sur le protocole de dévolution au Yukon du 23 septembre 1998 que l'Accord de transfert d'attributions du 28 août 2001 contiennent des dispositions garantissant la protection des intérêts «non réglés» des Premières nations, y compris divers articles qui assurent la protection de nos droits. Ainsi, selon les paragraphes 1.3 et 1.6 de l'Accord de transfert d'attributions, l'ATA:

1.3 Les signataires reconnaissent et confirment par les présentes leur intention réciproque de conclure, comme s'agissant d'un sujet de la plus haute priorité au Yukon, la négociation de toute entente portant règlement ou entente d'autonomie gouvernementale qui n'est pas conclue.

1.6 Aucune disposition de l'accord ne saurait être interprétée comme abrogeant ou dérogeant à la protection des droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada découlant de leur reconnaissance et de leur confirmation au titre de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Ces dispositions n'entrent pas en vigueur avec l'adoption du projet de loi C-39, mais y sont reformulées à l'article 3. La PNCT suppose que les obligations constitutionnelles du Canada issues du Décret de 1870 priment sur la Loi sur le Yukon modifiée et tout empiétement pouvant en découler, et que les pouvoirs du Yukon sur les «biens réels domaniaux» sont secondaires par rapport à nos intérêts en droit et en propriété sur notre territoire traditionnel au Yukon. Ainsi l'entrée en vigueur du projet de loi C-39 serait progressive, puisque cette mesure législative ne viserait pas notre territoire traditionnel tant que nos revendications territoriales ne seraient pas réglées et que nous n'aurions pas conclu des accords définitifs sur l'économie gouvernementale.

À ce sujet, nous avons eu gain de cause devant les tribunaux après avoir contesté l'application d'une disposition de l'Accord-cadre définitif qui aurait compromis nos droits d'imposition avant qu'un accord définitif ne soit conclu avec notre nation. La Cour d'appel fédérale a jugé que nos droits d'imposition en vertu de la Loi sur les Indiens continuent à s'appliquer jusqu'à la conclusion de cet accord définitif. Ici le contexte semble le même: si nous n'obtenons pas d'accord définitif avant la mise en oeuvre de l'ATA, ou si cet accord définitif n'est pas ratifié par les membres, nous pourrions nous voir dans l'obligation de recourir aux tribunaux, même si cette solution est loin d'être notre préférence.

Troisièmement, les «biens réels domaniaux» sont transférés à l'administration et au contrôle du commissaire qui peut, avec le consentement du Conseil exécutif, «... jouir de ces biens réels, de leurs fruits et de ses ressources, les aliéner ou, en ce qui touche les ressources, accorder des droits réels dans celles-ci; il peut de plus conserver le produit de l'aliénation».

Le terme «biens réels domaniaux» inclut «...les domaines, droits, titres de propriété ou intérêts que détient Sa Majesté dans les biens réels du Yukon, y compris les services fonciers, les servitudes et les baux». L'ATA a exclu certaines terres comme la Réserve indienne de Carcross, mais qu'arrive-t-il de notre titre autochtone?

La common law ne distingue pas entre les terres des réserves indiennes et celles visées par le titre autochtone, comme Guérin nous l'a appris, et le Canada pourrait avoir involontairement permis au Yukon d'empiéter sur le titre autochtone de notre nation par la vente ou l'aliénation que prévoit la Loi modifiée sur le Yukon. Sans que nous soyons nécessairement d'accord avec ce point de vue, l'empiétement sur titre autochtone de notre nation pourrait effectivement être facilité par la délégation au Yukon de la gestion et maîtrise des droits réels domaniaux.

Quatrièmement, le gouverneur en conseil peut reprendre au Commissaire certaines terres, s'il le juge nécessaire pour le bien-être des Indiens ou des Inuits et la négociation ou la mise en oeuvre d'accords sur les revendications territoriales des peuples autochtones. Mais on ne semble pas envisager le cas où un tribunal jugerait qu'une Première nation du Yukon sans accord définitif aurait un titre autochtone sur la totalité ou une portion de son territoire traditionnel, selon l'arrêt Delgamuukw ou d'autres jugements ultérieurs. Toute utilisation fautive de nos terres dans l'intervalle ouvrirait droit à indemnisation, et à notre avis, les dispositions d'indemnisation en faveur du Canada au paragraphe 64(1) ne garantissent absolument pas que les habitants du Yukon pourront effectivement payer une telle indemnisation.

Enfin, notre situation en tant que partie prenante n'est pas claire pour les fins de l'application de nos droits en vertu de l'ATA ou du projet de loi C-39. Si un contrat relatif aux intérêts de notre nation n'est pas respecté, on ne sait si c'est applicable par une Première nation du Yukon, ou si le Yukon ou le Canada doit demander que nos droits contractuels en vertu de l'Accord de transfert d'attributions soient respectés. Ce dernier peut être considéré comme un accord intergouvernemental et le Yukon et la PNCT n'ont peut-être pas d'autres droits contractuels que ceux prévus dans la loi ou par les tribunaux.

En résumé, la Première nation de Carcross/Tagish ne conteste pas le bien-fondé constitutionnel du contrôle local des terres et des ressources assorti de vastes pouvoirs constitutionnels et contemporains qu'accorde l'ATA, le projet de loi C-39 et les accords définitifs et d'autonomie gouvernementale, mais il faut d'abord respecter les principes fondateurs qui ont emmené le Yukon et nos territoires traditionnels dans le giron du Canada. Ces principes exigent que nos droits comme citoyens du Canada ayant un titre autochtone soient réglés avant que des tiers ne puissent empiéter sur ce titre. Voilà ce que précise le Décret de 1870, décret qui fait partie intégrante de la Constitution du Canada. Le préalable de régler nos droits avant de traiter des questions visées par l'Accord de transfert serait logique pour rationaliser l'évolution constitutionnelle de nos terres ancestrales.

En outre, la Première nation de Carcross/Tagish reconnaît les retombées importantes de l'ATA et du projet de loi C- 39, comme par exemple la protection contre les incendies de forêts et les mesures correctives touchant l'environnement, mais ces retombées ne se concrétiseront qu'après que notre Première nation aura ratifié un accord définitif.

En conclusion, nous avons demandé du temps devant le comité pour exprimer les préoccupations fondamentales de nos citoyens face à l'ATA et au projet de loi C-39. Je tiens donc à remercier le comité de m'avoir permis de faire cet exposé. Je suis maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions.

Le président: L'un des éléments du problème, comme nous l'expliquaient les représentants de la Nation Kaska — et c'est une préoccupation qui me semble légitime — c'est que si le Yukon ou le gouvernement devait conclure une entente avec une tierce partie, il deviendrait difficile de transférer les terres autochtones à la Première nation de Carcross/ Tagish. Avez-vous envisagé d'accepter que le projet de loi soit adopté si nous obtenons l'accord du gouvernement du Yukon pour qu'il évite de grever l'une quelconque des terres concernées en accordant des droits à un tiers avant qu'un accord ne soit signé entre les parties, de façon à faire pression sur le gouvernement et à donner en même temps des assurances à la PNCT qu'au moment où ces terres vous seront transférées, elles ne feront l'objet d'aucune observation découlant d'entente avec une tierce partie?

M. Wedge: Par rapport à cette idée d'abrogation progressive, nous avons discuté de la possibilité de ne pas inclure ces éléments-là si l'accord va être conclu. Nous allons d'abord conclure un accord définitif, nous sommes à deux doigts de conclure cet accord.

Au Yukon, quand nous parlions de ce qu'on appelle la «protection provisoire», c'est-à-dire la protection des terres visées par nos titres et nos droits, le négociateur fédéral nous a dit qu'il ne s'agissait pas de négocier cette protection provisoire, qu'elle serait assurée d'office par le biais d'un décret en conseil. Si cela pose problème, c'est parce que les terres dans lesquelles nous avons des intérêts et qui font actuellement l'objet de négociations sont exclues de cette protection, étant donné que le gouvernement du Yukon et le gouvernement fédéral ont également des intérêts dans ces terres. Si nous avons actuellement du mal à progresser, c'est parce que les outils qu'on nous offre ne nous rassurent pas du tout. Par conséquent, même si nous envisagions de conclure une entente avec le gouvernement du Yukon en vertu de laquelle le gouvernement s'engagerait à n'aliéner aucune de nos terres, dans quelle mesure pourrions nous faire respecter cette entente? Selon notre expérience, les ententes de ce genre ne sont pas toujours respectées. La question de la confiance ne doit donc pas être négligée.

Il va sans dire que nous aimerions conclure ces accords. Nous voulons nous assurer que nos terres seront protégées.

Le président: Je peux comprendre que ce soit votre premier choix. Mais seriez-vous prêt à avaler cette pilule si vous saviez que le gouvernement ne grèverait pas vos terres par le biais d'une entente avec un tiers, mettons, pour autoriser l'exploitation des ressources pétrolières et gazières ou l'exploitation minière?

M. Wedge: Cela ne nous rassurerait pas, car un certain nombre de sites bénéficiant de protection provisoire ont déjà été aliénés. Même une fois que la protection provisoire est établie, on met certains de ces sites à la disposition d'autrui. Nous n'avons pas encore intenté de poursuites à cet égard, parce que nous n'aimons pas être obligés de recourir aux tribunaux. Disons que d'après notre expérience, nos intérêts ne sont pas protégés même lorsque cette protection est prévue par décret en conseil.

Le sénateur Banks: Pourriez-vous nous donner un exemple d'une tierce partie dont les intérêts auraient primé sur les vôtres?

M. Wedge: Dans la partie ouest du lac Bennett, nous avons ce qu'on appelle une zone de protection provisoire. Il s'agit pour nous d'un terrain de chasse traditionnel. Il y a des moutons d'un côté, des chèvres de l'autre et des orignaux entre les deux. À un moment donné, les responsables d'une mine ont décidé d'y mener des opérations de jalonnage et d'exploration, jusqu'à ce qu'on dise non, ce n'est pas normal. Cette zone faisait l'objet d'une protection provisoire. Nous n'avons pas été obligés de prendre d'autres mesures, puisque les responsables de la mine nous ont dit qu'ils s'étaient tout simplement trompés. Il reste que certains travaux ont tout de même été accomplis, si bien que cette situation nous semble fort problématique. Voilà donc un premier exemple.

Le sénateur Banks: Est-ce qu'on a mis un terme à ces travaux quand vous avez protesté?

M. Wedge: Non.

Le sénateur Banks: Y a-t-il une mine dans cette zone qui continue à mener des opérations?

M. Wedge: Non, il n'y a pas eu d'autres travaux d'exploration. Mais même si aucune travail ne se fait actuellement, ces intérêts existent toujours.

Le sénateur Sibbeston: Il est primordial, en ce qui vous concerne et pour la protection de vos droits, que vous sachiez si cette loi vous protège ou non. D'après le projet de loi, et notamment les dispositions qui concernent l'administration des biens réels et des ressources pétrolières et gazières, il est prévu que la gestion et la maîtrise des terres soient transférées au gouvernement du Yukon.

Il est également prévu que certaines terres ou biens réels soient exclus. Le paragraphe 45(2) dit ceci:

(2) Le gouverneur en conseil établit, à la date d'entrée en vigueur du paragraphe (1), la liste des biens réels domaniaux soustraits à la gestion et à la maîtrise du Commissaire.

À prime abord, cette disposition semble prévoir l'exclusion de certains bien réels de manière à les protéger, si jamais les Autochtones ne sont pas d'accord avec l'utilisation prévue.

Est-ce que les dispositions de ce projet de loi vous assurent ce genre de protection? Je sais que vous avez des craintes à cet égard. Mais d'un point de vue purement juridique, les dispositions du projet de loi sont-elles suffisantes pour éviter que les peuples autochtones du Yukon soient dépossédés et moins à même de défendre leurs revendications?

Ce projet de loi contient également des dispositions permettant au gouvernement fédéral de reprendre certains biens qui auraient été transférés au Yukon. J'aimerais entendre votre réaction, pour que nous comprenions un peu mieux la situation et votre position à cet égard.

M. Wedge: Encore une fois, je comprends bien que ces dispositions prévoient ce qu'on appelle une protection provisoire. Il y en a plusieurs qui prévoient ce type de protection. Mais si l'on refuse de préciser en quoi consistent nos droits dans ce projet de loi, nous estimons que ces droits ne sont pas protégés.

En réalité, le gouvernement du Yukon a des droits acquis. Ces zones sont protégées pour le gouvernement du Yukon par voie d'exclusion. Même s'il est possible de les racheter, notre expérience des négociations indique que les aliénations qui concernent une tierce partie sont généralement exclues.

Donc, ces dispositions ne nous rassurent aucunement, car les terres en question qui font l'objet de multiples droits ne sont pas protégées. Deuxièmement, lorsqu'elles le sont, c'est au profit du gouvernement du Yukon, ce qui lui accorde un avantage dans toute négociation. Cela détruit l'équilibre des négociations, et ce n'est pas juste à notre avis car le gouvernement du Yukon a le dessus pour ce qui est de la sélection de certaines zones qui font actuellement l'objet de négociations.

M. Dave Joe, conseiller juridique, Première nation de Carcross/Tagish: Pour répondre à votre brève question par une brève réponse, c'est non. Les garanties que contient le projet de loi C-39 ne nous rassurent guère. Si mon client n'est pas en mesure de conclure un accord définitif, qu'arrive-t-il à ce moment-là?

À mon avis, le gouvernement des Territoires du Yukon a réussi à imposer ses propres revendications territoriales au détriment des intérêts et droits légitimes de mon client. Si cela est vrai, les droits de mes clients ne seraient aucunement protégés par la suite.

Comme nous l'avons déjà affirmé, le Yukon a le droit, du fait d'autrui, d'empiéter sur les droits et titres de mon client. Étant donné qu'il précède le règlement d'une revendication territoriale, on doit supposer que le projet de loi actuel ne nous donne aucune assurance valable.

Le sénateur Sibbeston: M. Wedge a dit qu'il est possible que votre revendication soit réglée d'ici la fin mars de cette année. C'est bien ça?

M. Wedge: Nous espérions finir en mars de cette année. Cela nous laisse cinq semaines. Le ministre qui défend nos intérêts, soit le ministre des Affaires indiennes, a dit qu'il nous rencontrerait pour essayer de nous aider.

Nous sommes donc venus à Ottawa et nous demandons à le rencontrer. Nous continuons d'y travailler, et nous croyons pouvoir conclure un accord. Mais cela suppose une volonté politique de la part de tous les intéressés. Nous avons affirmé que nous avons la volonté politique de mener à bien ce projet. En va-t-il de même pour les administrations fédérale et territoriale?

Il y a trois grandes questions à l'égard desquelles les parties prenantes sont appelées à faire des concessions. Si cela se révèle possible d'ici le 31 mars, nous pourrions obtenir un accord. Sinon, nous trouvons ironique que ce projet de loi garantisse la conclusion de ces accords, alors qu'on nous a dit que les négociateurs n'ont plus aucun mandat au-delà du 31 mars, s'il y a encore des sommes importantes à négocier dans le cadre de ces accords.

Cela nous inquiète, étant donné que le mandat des négociateurs prend fin le 31 mars 2002. On nous a dit que si les points importants qui sont encore en litige ne font pas l'objet d'un règlement, il n'y aura plus de négociations. Ce document indique que nous finirons avant cela. Nous avons aussi la résolution du Conseil des Premières nations du Yukon dont nous sommes membres et que nous appuyons, indiquant que nous ferons le nécessaire pour conclure ces accords.

Nous sommes en quelque sorte dans une situation sans issue. Nous voulons conclure un accord. Nous pensons être à deux doigts de le faire, mais il faudra que les gouvernements concernés prennent des mesures importantes.

Le sénateur Sibbeston: Je voudrais en savoir plus long sur vos rapports avec le gouvernement du Yukon. Dans l'exposé des représentants de la Nation Kaska, certains des termes utilisés nous donnaient l'impression que les relations de cette dernière avec le gouvernement du Yukon n'étaient pas très harmonieuses. Où en êtes-vous avec le gouvernement du Yukon? Quelle est la nature de vos rapports?

Croyez-vous vraiment que si ce projet de loi est adopté par le Sénat et reçoit l'assentiment royal, votre capacité de défendre vos revendications sera compromise? Êtes-vous d'avis que votre position sera gravement affaiblie, de sorte que vos revendications ne seront pas réglées pendant encore des années?

M. Wedge: Oui, tout à fait. Notre situation serait fort difficile. Nos membres sont encore très attachés à la terre, et nous habitons une région qui a une forte incidence sur le sud du Yukon. Son impact est important. Nous commençons déjà à connaître certaines difficultés en ce qui concerne le caribou, et les gens se posent des questions à propos des orignaux. Cet accord comporte des dispositions qui nous permettront de protéger ces intérêts, pas juste pour nous mais pour tous les peuples. Ce sont donc des éléments importants de l'Accord. Si ceux-ci ne sont pas acceptés, nos intérêts seront forcément compromis.

Le sénateur Sibbeston: Participez-vous activement et de façon importante à la vie du Yukon? Est-ce que la région que vous habitez se trouve dans les collines ou à la périphérie, ou êtes-vous en mesure de participer à la société yukonnaise, notamment au niveau du gouvernement? Avez-vous des membres qui font partie du gouvernement? Et est- ce que vos membres participent aussi à la vie économique du Yukon?

M. Wedge: Oui. En fait, nous participons à de grands projets économiques. Il y a des projets touristiques qui ont le potentiel de bénéficier à l'ensemble de la population du Yukon.

Notre peuple habite une zone très riche en ressources minérales qui traverse tout le Yukon. Il est donc très important que les gouvernements entretiennent des rapports avec nous et que nous puissions nous entendre, car c'est dans cette zone que l'exploitation des ressources minérales doit se faire. Il y a beaucoup de tourisme dans le sud du Yukon et nous nous trouvons à proximité d'un certain nombre de grands aéroports.

Vous me demandez si nous participons à la vie du Yukon. En ce qui nous concerne, notre territoire traditionnel est très important. Nous avons rencontré d'autres élus locaux pour leur faire savoir que nous voulons collaborer avec eux. Nous voulons que la situation progresse de manière positive. Nous avons donc travaillé avec plusieurs gouvernements différents. À cet égard, nous essayons de suivre les conseils de nos ancêtres, qui nous ont conseillés d'être respectueux et d'essayer de travailler avec les gens. Nous sommes convaincus de la nécessité de protéger les intérêts des peuples. C'est ce que nous voulons faire. Les accords d'autonomie gouvernementale nous donneront justement l'occasion de travailler de façon positive et constructive dans tous ces domaines.

Voilà pourquoi ces éléments sont tellement critiques et pourquoi nous jugeons primordial que ces accords soient conclus avant que ces autres mesures ne soient adoptées. Une fois qu'elles seront en place, les rapports entre nous seront déséquilibrés. C'est le gouvernement du Yukon qui aura désormais la haute main sur nous.

Le sénateur Watt: Ma question s'adresse à M. Joe. J'avais cru comprendre, d'après ce que disaient les témoins précédents, qu'on avait soumis aux tribunaux la question de l'interprétation du Décret de 1870. Si vous avez gain de cause dans cette affaire — à savoir que le gouvernement du Canada empiète sur vos droits — quelle serait l'incidence d'une telle décision judiciaire sur ce projet de loi s'il est adopté? Est-ce que cela signifierait qu'il faudrait réexaminer toute la question si la Cour suprême du Canada vous donne raison?

M. Joe: Pour reprendre votre exemple, supposons que le projet de loi soit adopté et que le gouvernement du Yukon décide de se dessaisir d'un intérêt minier situé sur le territoire de la PNCT. Si mon client décidait d'intenter une action et si les tribunaux étaient d'avis que le Décret de 1870 nous permet de conserver nos droits par rapport aux terres proprement dites, et que l'action du Canada était donc injustifiée, à ce moment-là, l'utilisation de biens réels situés sur le territoire de mon client ouvrirait droit à indemnisation.

Aux termes du projet de loi dont vous êtes actuellement saisis, le Yukon indemnise la Couronne, du chef du Canada, par rapport à l'utilisation de ces terres, de sorte que les habitants du Yukon seraient tenus d'indemniser la PNCT. Le fait est que les crédits dont dispose le Yukon dans le cadre de l'ATA ne seraient pas suffisants pour nous indemniser. Ce serait tout à fait injuste d'imposer un fardeau aussi lourd aux 30 000 habitants du Yukon. Pour éviter ce problème, il faut d'abord régler nos revendications.

Le sénateur Christensen: Pour les fins du compte rendu, pourriez-vous nous dire si vous êtes l'une des 11 Premières nations qui font partie du CPNY?

M. Wedge: Oui, c'est exact.

Le sénateur Christensen: Vous avez donc fait partie du groupe qui a adopté la résolution du CPNY en octobre. Étiez-vous représentés lors de la négociation de l'Accord sur le protocole de dévolution au Yukon qui a été signé en 1998 ainsi qu'à la table principale des négociations pendant les pourparlers sur le transfert des attributions?

M. Wedge: Il y avait toujours certaines conditions, même à l'égard de ces résolutions.

Conviendrait-il de vous faire distribuer une copie des résolutions adoptées par le Conseil des Premières nations du Yukon?

Le président: Oui.

M. Wedge: Ces résolutions indiquent que nous acceptons ce qui est proposé, à condition que nos accords puissent être menés à bonne fin. Nous avons également dit qu'au cas où il serait impossible de conclure un accord, si l'on décide que ce projet de loi doit être adopté, nous aimerions qu'on envisage de prévoir une disposition d'abrogation progressive. Il s'agirait tout simplement d'exclure nos territoires traditionnels tant que nous n'aurons pas conclu un accord.

Le sénateur Christensen: Est-ce que le CPNY ou une autre Première nation a signé l'Accord de transfert d'attributions?

M. Wedge: C'est intéressant, car au départ, on devait tous signer cet accord. Par la suite, il a été décidé que les Premières nations ne signeraient pas. Leurs noms ne figurent donc pas sur l'Accord.

Le sénateur Christensen: A-t-on enlevé leurs noms ou les Premières nations ont-elles décidé de ne pas signer l'Accord?

M. Wedge: Ce que je sais, c'est que leurs noms ont cessé de figurer sur le texte de l'Accord. Il était impossible de continuer, étant donné que tout le monde n'était pas d'accord. Par conséquent, on a enlevé leurs noms pour indiquer qu'ils ne devaient pas être considérés comme signataires.

Le sénateur Christensen: Mais le CPNY et d'autres étaient représentés à la table des négociations, n'est-ce pas?

M. Wedge: C'est exact.

Le sénateur Christensen: Et ces négociateurs ont-ils parafé l'Accord?

M. Wedge: C'est exact.

Le sénateur Christensen: L'Accord définitif a été conclu en 1973. Il est entré en vigueur à ce moment-là et en 1992, cet accord appelé désormais l'Accord-cadre définitif, en vertu duquel toutes les bandes pouvaient négocier le règlement de leurs propres revendications, a enfin été signé. Est-ce que l'objet de cet accord était de permettre à toutes les Premières nations du Yukon de régler leurs revendications de manière équitable, comme le prévoyait le Décret de 1870, et de réparer les torts causés?

M. Wedge: Ou. L'un des objectifs de l'Accord-cadre définitif était justement de trouver une solution à ce problème.

Le sénateur Christensen: Oui, c'est à dire de réparer les injustices commises.

M. Wedge: La démarche prévue devait nous permettre de trouver une solution. Dans certains cas, on n'a pas demandé aux collectivités de ratifier l'Accord-cadre définitif. Les membres de notre collectivité ont des préoccupations dont nous voulons tenir compte. Nous essayons de voir comment nous pourrions nous conformer à ces paramètres.

Le sénateur Christensen: Est-ce que l'une de vos préoccupations concernait le problème du droit d'imposition?

M. Wedge: Oui. Nous avons dû aller en justice pour nous assurer de protéger nos droits à cet égard.

Le sénateur Christensen: Et à votre avis, il faudra combien de temps encore pour conclure un accord définitif?

M. Wedge: À notre avis, cela peut se faire assez rapidement. Y arriverons-nous avant le 31 mars? La suite des négociations dépend du degré de collaboration. Un certain nombre de questions sont toujours en litige, et à moins que les positions fédérales et territoriales ne changent de façon miraculeuse, je dirais que nous pourrons sans doute conclure un accord d'ici six à huit mois.

Le sénateur Christensen: Les Kaska nous ont dit que si les parties prenantes font preuve de bonne volonté, il serait possible de conclure un accord définitif d'ici six mois.

Vous avez également mentionné que l'Accord de transfert d'attributions prévoit certains avantages pour les Premières nations qui ont signé l'Accord, notamment dans le domaine de l'exploitation forestière. Huit Premières nations l'ont signé et bénéficieront donc de ces avantages dès le règlement de la question de l'Accord de transfert d'attributions. Huit sur 14 en bénéficieront immédiatement. Qu'en pensent-elles? Sont-elles prêtes à attendre si la mise en oeuvre est retardée?

M. Wedge: Elles préféreraient qu'on procède à l'application de l'Accord dans les plus brefs délais. Nous avons toujours dit que si les autres intéressés veulent faire progresser rapidement ce dossier, il suffit de nous exclure et de soustraire nos territoires traditionnels à l'application de l'Accord. Nous n'avons pas signé cet Accord. Aucune de ses dispositions ne vise notre territoire traditionnel. C'est un gros problème, bien entendu. Mais on estime que ce serait une solution équitable. Nous avons accepté cette solution pour ne pas empêcher les Premières nations qui ont conclu des accords de procéder à leur mise en oeuvre. Nous comprenons très bien que ces accords comportent certains avantages et que ces dernières voudraient aller de l'avant. En même temps, elles comprennent très bien notre position, et c'est pour ça que cette résolution a été adoptée en précisant la condition que ces accords soient conclus.

Le sénateur Banks: J'aimerais connaître votre réaction. D'une part, nous avons entendu parler d'intransigeance ou d'occultation de la part des gouvernements concernés pour ce qui est du règlement des revendications territoriales. Mais les témoins qui vous ont précédés et vous-mêmes affirmez qu'il vous serait probablement possible de conclure un accord d'ici six à huit mois. Dites-moi pourquoi vous avez la conviction qu'il sera possible de réaliser, dans un avenir prévisible et bien circonscrit, quelque chose que vous n'avez pas réussi à faire en 30 ans?

M. Wedge: Nous y travaillons très fort. Nous avons constaté à la table des négociations que lorsqu'un projet de loi comme celui-ci progresse très rapidement, le désir de négocier d'autres gouvernements a tendance à changer. Ça peut nous rendre la tâche plus difficile. Mais nous avons convenu de poursuivre ce travail dans le contexte de l'Accord-cadre définitif, qui fixe certains paramètres pour la négociation.

Nous avons fait preuve de créativité en vue de régler les problèmes de fond. Parfois nous avons le choix entre plusieurs options possibles. Parfois ce qu'on nous fait comme contreproposition n'est pas très créatif, et nous devons faire de nouveau appel à notre créativité pour trouver une autre démarche. Ce projet de loi exclut la créativité. Nous savons que nous pourrons conclure un accord. Nous pouvons faire preuve de créativité tout en protégeant les intérêts de tout le monde.

Le sénateur Banks: Mais à condition que nous n'adoptions pas ce projet de loi?

M. Wedge: Ce projet de loi perturbe l'équilibre qui entoure certaines questions qui restent à négocier. Si l'on donne la priorité aux revendications de l'autre partie, les nôtres deviennent moins importantes.

Le sénateur Christensen: Vous avez également une revendication transfrontalière touchant la Colombie-Britannique, n'est-ce pas?

M. Wedge: C'est exact.

Le sénateur Christensen: Mais la vôtre est différente de celle des Kaska en ce sens qu'une partie des membres de la Nation Kaska habitent en Colombie-Britannique et envisagent de présenter une revendication qui englobe une portion du Yukon. Y a-t-il aussi des membres de votre nation qui habitent en Colombie-Britannique?

M. Wedge: Oui.

Le sénateur Christensen: Et que faites-vous pour régler la question transfrontalière?

M. Wedge: Nous sommes semblables aux Kaska en ce sens que nous menons des négociations concernant nos revendications transfrontalières. Nous travaillons de près avec les Tlingit et le Conseil des Tlingit de Teslin, dans le cadre du Da'ak Ka, pour examiner les questions à négocier par rapport à ces autres zones.

De la même manière, l'actuel gouvernement de la Colombie-Britannique n'a aucun désir de faire progresser ce dossier. C'est vraiment un problème, parce qu'il n'existe pour l'instant aucun mandat clair.

L'une des difficultés que nous rencontrons concerne le fait que pour négocier ces questions, nous devons emprunter de l'argent et rembourser notre emprunt. Ainsi nous sommes souvent obligés de consacrer beaucoup de temps à, non pas former, mais informer les autres administrations de ce qu'on fait et de l'état de la situation. Ce n'est pas nécessairement une bonne façon d'utiliser ces crédits, crédits que nous devons emprunter.

Par conséquent, il nous est difficile de tenir des discussions fructueuses dans certains domaines. Il faut qu'on soit à la table, et il faut qu'on négocie, mais il faut aussi que les négociations portent des fruits.

Le président: Nous vous remercions de votre présence. Vous nous avez aidés à comprendre le projet de loi. Merci.

M. Wedge: Je voudrais simplement remercier nos estimés aînés. C'est notre tradition. Nous vous confions la tâche de protéger nos intérêts et de nous donner de bons conseils.

Le président: Je demande aux membres du comité de rester encore quelques minutes pour que nous réglions quelques questions administratives.

Notre budget principal est de 352 000 $. Il nous faut le document que nous examinions l'autre jour. D'après mon souvenir, c'est entre 250 000 $ et 400 000 $. Ce n'est pas un montant inhabituel. D'ailleurs, vous avez la ventilation.

Le sénateur Christensen: C'est pour l'étude sur le réchauffement planétaire?

Le président: Oui. Le poste budgétaire le plus important est de 82 000 $, pour le voyage en avion entre Ottawa et Whitehorse. Voilà donc pour le voyage prévu dans le cadre de l'étude sur le réchauffement planétaire. D'habitude, nous prévoyons chaque année un montant pour nos travaux liés au réchauffement planétaire. L'année dernière, c'était la question de l'OPEP et le voyage à l'étranger pour discuter de questions d'énergie. L'année d'avant, nous sommes allés aux États-Unis. Ce budget-ci concerne notre voyage dans le Nord.

Le budget comprend la participation des personnes habituelles, les frais d'inscription et les frais pour les conférences environnementales, qui représentent la somme d'environ 40 000 $. Les billets d'avion pour les personnes qui participent aux audiences coûteront environ 25 000 $. Comme je vous l'ai déjà dit, le poste budgétaire le plus important est de 108 000 $, pour notre tournée dans le Nord. Cela donne un total d'environ 352 000 $. Je pense que nous pourrons facilement défendre ce budget devant le Comité de régie interne.

Le sénateur Christensen: Ce montant doit nous permettre de terminer notre étude sur l'énergie et de commencer nos travaux relatifs au réchauffement planétaire.

Le président: Ce montant comprend non seulement notre voyage pour étudier un petit peu ce phénomène, mais aussi les frais d'experts qui viendront ici pour nous donner des conférences.

Le sénateur Christensen: Où en sommes-nous dans notre étude sur l'énergie?

Le président: Nous espérons terminer l'étude et rédiger le rapport cette année. Le secteur de l'énergie est inclus. Dans la première partie, nous avions prévu 40 000 $ pour la tenue d'audiences publiques à Vancouver et à Calgary, les droits d'adhésion et des visites, y compris celles des gouverneurs des États du New England, la conférence sur l'hydroénergie, les réunions sur le réchauffement planétaire et l'eau potable.

Nous espérons pouvoir terminer notre étude sur l'énergie cette année car sinon, elle pourrait continuer à tout jamais. Nous sommes à l'étape intermédiaire. La première ébauche du rapport sur la sécurité nucléaire devrait être déposée sous peu devant le comité.

L'un d'entre vous pourrait-il proposer une motion d'approbation?

Le sénateur Adams: J'en fais la proposition.

Le président: Proposé par le sénateur Adams, appuyé par le sénateur Sibbeston.

Le président: Les honorables sénateurs sont-ils d'accord pour adopter la motion?

Les honorables sénateurs: D'accord.

La séance est levée.


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