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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 31 - Témoignages du 30 mai 2002


OTTAWA, le jeudi 30 mai 2002

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-10 concernant les aires marines nationales de conservation du Canada, se réunit aujourd'hui à 10 h 09 pour en faire l'examen.

Le sénateur Nicholas W. Taylor (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Chers collègues, nous avons examiné le projet de loi C-10, mais un problème demeure en ce qui concerne la disposition de non-dérogation relativement aux Autochtones.

Aujourd'hui, nous entendons de hauts fonctionnaires du ministère de la Justice qui sont les principaux responsables de la disposition de non-dérogation incluse dans le projet de loi.

Nous avons aussi en main une lettre adressée par le ministre de la Justice à l'honorable Willy Adams en réponse à une lettre que lui avait envoyée celuici et qui avait été cosignée par les sénateurs Sibbeston, Watt, Chalifoux et Gill.

Est-ce que les témoins ont la lettre?

M. William Pentney, chef adjoint, Portefeuille des affaires autochtones, ministère de la Justice: Monsieur le président, je suis accompagné aujourd'hui de M. Charles Price, conseiller juridique principal en matière de droit des Autochtones et d'initiatives stratégiques.

Comme l'a indiqué le président, nous savons que certaines préoccupations ont été soulevées, et notre ministre a rédigé cette lettre pour confirmer qu'il est au courant des préoccupations reliées aux dispositions de non-dérogation, qu'il les traite avec sérieux et qu'il est prêt à examiner la relation entre l'état actuel du droit et ces dispositions.

Il nous serait peut-être utile de prendre un peu de recul face au projet de loi et de vous donner un bref aperçu des faits relatifs aux dispositions de ce genre. Un des points qui a été soulevé dans la lettre et qui a fait l'objet de discussions dans le cadre d'autres mesures législatives est qu'il n'existe de disposition universelle de non-dérogation dans les lois fédérales. Toutefois, il existe quelques modèles.

La disposition actuellement à l'étude a été utilisée dans un certain nombre de lois fédérales et est actuellement considérée comme étant le libellé qui reflète le mieux l'intention du gouvernement en ce qui concerne ce genre de disposition. Cela dit, nous reconnaissons qu'un libellé différent a été utilisé dans des lois antérieures.

De telles dispositions ont en effet été incluses dans un certain nombre de lois depuis la promulgation de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et l'ajout de l'article 25 de la Charte des droits à la réforme constitutionnelle. Nous devons avant tout savoir que l'article 35 confère une garantie ultime et inattaquable aux droits ancestraux et issus de traités. Il s'agit d'une garantie constitutionnelle. Chers sénateurs, aucune mesure prise par le Parlement ne peut changer ce fait.

L'article 35 contient une garantie des droits, mais la Cour suprême a statué que, comme pour l'article premier de la Charte des droits, les droits ancestraux et issus de traités ne sont pas absolus. Ils sont assujettis à un certain nombre de restrictions. Cette précision a été apportée pour la première fois par la Cour suprême dans l'affaire Sparrow. Il est important de comprendre que l'article 35 ne fait pas partie de la Charte des droits. L'article premier de la Charte des droits, soit la clause de restriction raisonnable, ne s'applique pas à l'article 35.

Par conséquent, en 1982, tous les gouvernements et le peuple canadien ont déclaré qu'ils voulaient garantir les libertés et droits fondamentaux, mais qu'ils seraient assujettis aux restrictions raisonnables de l'article premier de la Charte. Celleci prévoit un certain équilibre et, comme vous le savez, la Cour suprême précise régulièrement comment cet équilibre doit être maintenu dans le cadre d'une mesure législative ou d'une orientation en particulier. Imaginons pour un instant que le Parlement décide de supprimer des droits existants et d'ajouter à une loi une disposition permettant plus facilement aux policiers de faire des perquisitions. La cour examinerait cette disposition et statuerait que le Parlement ne peut pas modifier la Constitution et que le mode de révision de la Constitution doit être respecté. Le législateur ne peut pas, de manière unilatérale, rompre l'équilibre prévu par la Charte entre la garantie des droits et leur restriction.

Comme je le disais, l'article 35 n'est pas assujetti à l'article premier de la Charte; il n'y a pas de clause de restriction raisonnable. Le texte de l'article 35, qui est simplement une garantie générale, dit ce qui suit, je crois:

(1) Les droits existants ancestraux ou issus de traités des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés.

La première fois que la Cour suprême a dû interpréter l'article 35, c'est-à-dire dans l'affaire Sparrowde la Colombie- Britannique, elle a statué ce qui suit:

Les peules autochtones vivent dans un pays moderne et complexe. L'État doit parfois pouvoir empiéter sur les droits autochtones et issus de traités.

Dans cet arrêt, la Cour suprême a établi un critère. Je ne vous donnerai pas tous les détails, mais elle a précisé qu'un équilibre devait être atteint entre la garantie des droits ancestraux et issus de traités et les besoins du reste de la société. Elle a statué que la garantie prévue par l'article 35 est assujettie à certaines restrictions.

Nous en venons donc aux dispositions de non-dérogation. En regard de cette protection constitutionnelle coulée dans le béton et de la garantie des droits ancestraux et issus de traités, sous réserve de restrictions raisonnables, le Parlement du Canada promulgue certaines lois qui ont des effets sur les intérêts des peuples autochtones. Les droits ancestraux et issus de traités sont habituellement fondés sur des lieux et des faits précis. Ils ont trait à un groupe particulier, sont fondés sur des faits particuliers et leur reconnaissance exige un certain type de preuve. Nous savons qu'il existe un processus long et complexe d'examen et d'analyse des droits ancestraux et issus de traités.

La Cour suprême a statué que ces droits n'étaient pas absolus et que certaines situations pouvaient en justifier la restriction. Des dispositions de non-dérogation ont été incluses dans des lois avant que la Cour suprême ne précise dans l'affaire Sparrow comment cet équilibre doit être maintenu.

Je n'ai joué aucun rôle dans cette affaire, mais je crois que les faits législatifs indiquent clairement que le gouvernement a voulu adopter le modèle antérieur afin de rappeler à tous l'existence de ces garanties constitutionnelles.

Le gouvernement n'a jamais eu l'intention d'ajouter quoi que ce soit à ces garanties ni d'en retrancher quoi que ce soit puisque, sur le plan constitutionnel, le Parlement ne peut pas agir de la sorte de manière unilatérale et puisqu'il doit respecter le mode de révision de la Constitution. C'est pourquoi ces dispositions ont été ajoutées et, plus tard, à la suite de l'affaire Sparrow, qu'un nouveau modèle a été élaboré. C'est ce modèle qui a été utilisé dans le projet de loi à l'étude.

La loi est en constante évolution. Récemment, dans l'affaire Mitchell, la Cour suprême a précisé une fois de plus en quoi consiste la garantie constitutionnelle des droits ancestraux et issus de traités. À la lumière de cette évolution, le libellé de non-dérogation qui exprime l'intention du gouvernement a aussi évolué. Le libellé que l'on retrouve dans le projet de loi à l'étude reflète le modèle qui selon nous traduit le mieux cette intention.

J'espère que cette explication aidera le comité à étudier les faits entourant ces dispositions et à comprendre pourquoi ces changements ont été effectués. Je répondrai maintenant avec plaisir à vos questions.

Le sénateur Spivak: La Cour suprême a simplement interprété l'article 35 de la Constitution, comme c'est son rôle. Je sais cela.

Pouvez-vous me dire pourquoi on a jugé nécessaire d'ajouter cette disposition de non-dérogation malgré l'existence d'une jurisprudence dans ce domaine et de la Constitution et sachant que l'article 35 n'est pas assujetti à l'article premier de la Charte? Ce sont des mots et, comme tous les mots, ils se prêtent à d'autres interprétations. Vous comprenez ce que je veux dire? Fautil aussi confirmer les autres dispositions de la Constitution dans chaque mesure législative?

M. Pentney: Je ne prétends pas être un expert en matière de législation canadienne; ce serait de la folie de ma part. Je ne crois pas qu'il soit fréquent que des dispositions réitèrent ou rappellent l'existence d'une garantie constitutionnelle. Je peux me tromper, mais d'après ce que je sais de ces dispositions, elles ont été ajoutées à la demande des peuples autochtones qui veulent que leur place dans l'ordre constitutionnel ne soit pas oubliée lorsque des lois sont adoptées.

Le sénateur Spivak: Ils ont peut-être changé d'avis.

J'aimerais maintenant vous poser une question fondamentale: selon vous, n'est-il pas nécessaire que ces dispositions soient incluses dans les lois pour que la garantie constitutionnelle et la jurisprudence soient scrupuleusement observées?

M. Pentney: Sénateur, la meilleure réponse que je puisse vous donner est que les gouvernements ont un choix stratégique à faire en ce qui concerne les dispositions qui doivent être incluses dans les lois.

Le sénateur Spivak: Ce n'est pas nécessaire. Je vous demande votre avis juridique.

M. Pentney: Elles n'ajoutent rien à la garantie constitutionnelle, qui demeure applicable de toute façon et qui peut être invoquée par les peuples autochtones pour contester des lois ou des mesures, qu'elles incluent une disposition de non-dérogation ou non.

Le sénateur Spivak: La Constitution et la jurisprudence procurent-elles une protection suffisante pour les droits des collectivités autochtones? Je comprends pourquoi ils ont demandé que ces dispositions soient ajoutées. C'est une décision politique. Je vous demande si c'est une protection suffisante sur le plan juridique? Êtes-vous de cet avis?

Le sénateur Watt: Un rappel peut être utile.

M. Pentney: Pour renchérir sur ce qu'a dit le sénateur Watt, ce n'est pas une question purement juridique. La loi et la Constitution demeurent applicables, avec ou sans disposition de non-dérogation.

Le sénateur Spivak: Je vous demande votre avis juridique et non votre avis politique.

M. Pentney: J'en suis conscient. D'un point de vue juridique, la garantie constitutionnelle s'applique et cette disposition n'est qu'un supplément. Elle peut servir à d'autres fins, mais avec ou sans elle, la garantie constitutionnelle prévaut.

Puis-je interpréter votre question un peu différemment? Un groupe autochtone désirant faire valoir ses droits en matière de conservation marine n'invoquera pas la disposition de non-dérogation, mais plutôt la Constitution. Toutefois, ce n'est pas à moi de parler en leur nom.

Le sénateur Spivak: Votre réponse est donc affirmative. La Constitution et la jurisprudence prévoient une protection suffisante des droits des Autochtones. Je crois que c'est la question à laquelle les Autochtones veulent obtenir une réponse.

Le président: Je crois qu'on peut comparer cela à celui qui porte seulement un gilet de sauvetage et à celui qui porte le gilet et une ceinture de sauvetage pour être certain de ne pas couler.

Le sénateur Spivak: Cela ne répond pas à la question.

Le président: C'est suffisant pour demeurer à la surface.

Le sénateur Spivak: Je désire savoir si ces dispositions sont nécessaires.

Le président: Ce n'est pas une question de nécessité. Le gilet de sauvetage vous empêchera de couler, mais si vous préférez y ajouter une ceinture, cela peut vous aider.

Le sénateur Spivak: Peut-être bien, mais ce n'est pas la question que j'ai posée. Ma question porte sur le point de vue juridique et constitutionnel.

Le sénateur Sibbeston: J'ai soulevé ce point parce que jusqu'en 1996, le gouvernement a utilisé une disposition de non-dérogation calquée sur l'article 35. Elle était simple et directe.

Toutefois, en 1996, le gouvernement fédéral a commencé à embrouiller les cartes en modifiant le libellé. Il a utilisé les expressions «dans l'application de» et «la protection de». Il a modifié la disposition de non-dérogation habituelle en y ajoutant ces petits mots.

C'est un petit changement sans grandes conséquences, sembletil, mais les fonctionnaires du ministère semblent assez inquiets pour vouloir modifier le libellé. Je trouve cela troublant et je serais porté à croire que le gouvernement désire en quelque sorte changer les droits des Autochtones du pays. Ainsi, il attaquera petit à petit les droits que les peuples autochtones ont acquis dans la Constitution.

Je m'inquiète. Je me préoccupe beaucoup des modifications apportées au libellé. Les tribunaux examineraient certainement les changements apportés au libellé et se demanderaient pourquoi le Parlement a soudainement décidé de les modifier. Les fonctionnaires du ministère de la Justice affirment que ces changements n'ont pas vraiment d'importance et que la Constitution prévaut. La protection des droits des peuples autochtones est prévue par la Constitution, et le Parlement ne peut pas, par des lois comme celle-ci, la changer. C'est la réalité.

Je crois qu'un rappel ne peut effectivement pas nuire. Il serait utile à quiconque lit la loi ou l'utilise. Notre pays n'a pas une réputation très enviable en ce qui concerne ses relations avec les Autochtones, mais nous avons fait de grands progrès récemment. L'ajout de dispositions pour la protection des droits des Autochtones dans la Constitution a marqué un des grands tournants dans ce domaine.

Au fil des ans, j'ai constaté que les Autochtones ont fait de réels progrès grâce aux revendications territoriales et à leur participation au gouvernement, particulièrement dans les Territoires du Nord-Ouest, où je vis. Si vous visitiez le Nord, vous seriez fiers en tant que Canadiens de voir la société que nous bâtissons avec la participation des Autochtones. Tout cela est en partie possible grâce aux progrès réalisés et à la reconnaissance des droits des Autochtones dans notre Constitution.

Je crains que si les fonctionnaires commencent à ajouter des mots ici et là, certains droits des Autochtones seront réduits ou éliminés. Cela n'est même pas nécessaire, alors pourquoi ne pas s'en tenir au libellé que le gouvernement a utilisé jusqu'en 1996?

Ces dispositions ont certainement été très utiles à notre pays. Pourquoi commencer à en modifier le libellé en y ajoutant des expressions comme «la protection de» et «l'application de». Je crois que c'est ridicule et que cela complique les choses pour les Autochtones. D'une certaine manière, je considère que ces changements portent atteinte aux droits des Autochtones de notre pays.

Je suis offensé et bouleversé. Je veux que les choses soient faites correctement. Je veux que la disposition de non- dérogation soit aussi forte et aussi efficace que possible. Je crains vraiment que le nouveau libellé proposé par le gouvernement ne diminue les droits des Autochtones.

Par conséquent, je vous demande d'étudier cette question très attentivement et, si cela est possible, de rétablir dans le projet de loi le libellé d'origine qui a fait ses preuves et dont je ne doute pas de l'efficacité.

Le sénateur Watt: Je veux renchérir sur ce qu'a dit le sénateur Spivak et reprendre à mon compte les inquiétudes du sénateur Sibbeston au sujet du nouveau libellé. Ce libellé n'existe que depuis 1996. Je ne parle pas du libellé précédent puisqu'il était satisfaisant.

On a donc commencé à inclure le nouveau libellé dans certaines mesures législatives en 1996, ce qui nous a paru très étrange. Nous avons donc immédiatement demandé un avis juridique et en avons discuté avec différentes personnes. Nous avons eu l'impression que le nouveau libellé n'était pas satisfaisant parce qu'il ne correspondait pas à l'article 25 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, qui rend étanche l'article 35 dont les droits ne sont pas clairement définis. Comme vous le savez, l'article 35 n'est pas parfait et a besoin d'être précisé. C'est ainsi que les peuples autochtones voient les choses.

Par conséquent, nous devons toujours veiller à ce que les articles 35 et 25 soient étroitement liés. L'un est le bouclier de l'autre.

C'est pourquoi nous ne voulons d'aucune manière ni d'aucune façon laisser croire à la Cour suprême que ces droits peuvent être enfreints. Même si on ne dit pas réellement que c'est ce que le nouveau libellé signifie, cela aura tout de même une signification à double sens. C'est l'interprétation que nous en faisons. C'est ce que nous ont dit des juristes de l'extérieur spécialisés dans le domaine des droits des Autochtones.

Lorsque nous avons rencontré le ministre de la Justice il y a deux jours, il nous a catégoriquement dit qu'il n'était pas d'accord avec ce nouveau libellé. Ce problème est donc réglé. Le ministre préférerait qu'il n'y ait pas de disposition de non-dérogation dans le projet de loi.

Lors de cette réunion, j'ai mentionné que je n'étais pas d'accord, que je croyais que cette disposition ne pouvait pas nuire. Je lui ai dit que si l'article 35 ne le dérangeait pas et qu'il s'agissait d'une reconnaissance constitutionnelle, pourquoi ne pouvait-on pas l'inclure dans chaque mesure législative en tant que rappel. Il n'est pas prêt à aller aussi loin, et c'est là que nous ne sommes pas d'accord.

Le sénateur Spivak a demandé comment serait interprétée la loi si cet article n'y était pas inclus. Je vous demande maintenant pourquoi on ne peut pas reprendre mot pour mot le libellé actuel de l'article 25 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique dans chaque mesure législative en tant que rappel? L'article 25 n'est pas aussi bien défini que la Charte des droits et libertés. C'est la raison pour laquelle nous voulions qu'il soit inclus dans chaque mesure législative traitant des peuples autochtones. Est-ce que vous me suivez?

M. Pentney: Oui.

L'article 25 va à l'encontre d'autres droits de la Charte. Il a été inclus dans la Charte avec plusieurs autres principes interprétatifs stipulant que nous garantissons diverses libertés et divers droits individuels. Ce faisant, nous ne porterons pas atteinte à l'interprétation de ces droits et libertés, ni aux droits ancestraux et issus de traités. Pour ainsi dire, cet article sert dans le contexte de la Charte à faire concorder la garantie des libertés et des droits individuels de tous les Canadiens avec la garantie des droits ancestraux et issus de traités prévue à l'article 35. Il s'agit d'un jeu d'équilibre à l'intérieur de la Charte, mais il n'intervient qu'en ce qui concerne les droits de la Charte.

Comme je le disais plus tôt, la garantie fondamentale correspond à l'article 35 de la Constitution. La situation a évolué de manière à refléter le fait que la Cour suprême a statué que dans certains cas, on peut restreindre les droits ancestraux et issus de traités. La Cour suprême impose de grandes exigences au gouvernement. Ce n'est pas que je veuille induire le comité en erreur. Ce ne sont pas des exigences faciles à satisfaire pour le gouvernement. En vertu de l'article premier de la Charte, il existe un certain nombre d'obstacles et de seuils que doit surmonter le gouvernement pour justifier une transgression de ces droits. La garantie des droits ancestraux et issus de traités de l'article 35, la garantie fondamentale, n'est pas absolue. Dans certaines circonstances, il peut être justifié de limiter ces droits et libertés.

Si j'ai bien compris le but visé par ces dispositions dans le projet de loi à l'étude et dans d'autres mesures législatives, elles doivent servir à rappeler, comme l'ont dit certains sénateurs, l'existence des droits et libertés, la protection inférée par l'article 35. Je ne ferai pas la lecture de la disposition en entier, mais elle stipule qu'aucune disposition de la loi ne portera atteinte à la protection des droits existants ancestraux ou issus de traités des peuples autochtones.

Si l'on s'arrête ici pour se demander ce que statuera un tribunal au sujet de cette protection, on peut s'attendre à ce qu'il examine la jurisprudence et se demande quelle est la protection existante en vertu de l'article 35. Il statuerait qu'il s'agit d'une garantie de droits, mais qu'elle n'est pas absolue. Elle peut être suspendue lorsque le gouvernement peut faire la preuve que c'est justifié.

Les changements apportés au libellé reflètent l'évolution du droit et sont considérés comme étant ceux qui traduisent le mieux l'intention du gouvernement.

J'aimerais maintenant revenir à ce qu'a dit le sénateur Sibbeston tout à l'heure, c'est-à-dire qu'une décision stratégique doit être prise quant à l'ajout d'un rappel et quant au libellé utilisé. Je suis tout à fait d'accord que des choix doivent être faits. Nous respectons les points de vue des sénateurs. Dans sa lettre, le ministre indique qu'à la lumière des préoccupations soulevées et de l'évolution de la jurisprudence, il examinera la relation existante. Il ne cherche aucunement à rejeter ces préoccupations, car nous connaissons pleinement leur importance. Le ministre explique que la relation entre l'état actuel du droit et les dispositions de non-dérogation sera examinée. Il indique aussi qu'il ferait bon accueil à l'opinion des sénateurs sur cette question importante.

Nous ne tentons aucunement de diminuer l'importance de ces préoccupations. C'est une question de droit difficile et complexe, comme le savent certainement tous les sénateurs.

Notre intention est de trouver un libellé qui reflète avec exactitude l'état actuel du droit et d'indiquer que la loi projetée, comme les autres lois pour lesquelles ce libellé a été choisi, ne vise pas à porter atteinte à cette protection.

Le sénateur Watt: J'aimerais répondre au témoin, qui a mentionné qu'il s'agissait d'une décision stratégique qui devait être prise par le gouvernement. Je tiens à dire que nous nous rendons compte que le gouvernement doit arrêter sa politique d'une manière ou d'une autre. Toutefois, nous ne voulons pas que le gouvernement du Canada rejette sa responsabilité première en tant que négociateur de droits tout en mettant à exécution les dispositions négociées.

D'un côté, le peuple autochtone ne veut pas avoir à se retrouver devant les tribunaux chaque fois qu'on enfreint ses droits; ce serait plutôt coûteux. Si c'est la seule solution qui nous est offerte et si nous ne pouvons pas discuter et négocier avec le gouvernement, vous aurez en quelque sorte diminué nos droits.

Nous savons que les droits prévus par l'article 35 ne sont pas absolus, mais nous avons toujours cru que nous pourrions tenir des négociations si ces droits étaient enfreints. Toutefois, si l'on s'en tient à la décision de la Cour suprême du Canada, vous pouvez décider d'établir une nouvelle disposition de non-dérogation qui constituerait une épée à double tranchant puisqu'elle nous ferait perdre toute possibilité de discuter et de négocier. Je ne crois pas que ce soit ce que nous voulions. Je ne crois pas qu'il serait bon pour le pays d'en arriver là. Nous perdrions ainsi des recours que nous devrions avoir.

Nous sommes censés ne pas avoir de relation de dépendance à l'égard de la Cour.

Le président: Sénateur Watt, nous avons d'autres témoins à questionner.

Le sénateur Watt: Cette question traîne depuis longtemps.

Le président: Vos connaissances sont très précieuses, mais il vaudrait peut-être mieux en faire part à un autre moment.

M. Pentney: Ces dispositions ne visent pas à ce que toutes les questions soient portées devant les tribunaux. Si cela peut être utile au comité, nous avons un témoin qui pourrait vous faire l'historique des consultations et des discussions qui se sont tenues avec les peuples autochtones dans le cadre de l'élaboration de ce projet de loi. Ces dispositions ne visent pas à clore le débat, pendant l'élaboration des mesures législatives ou pendant leur mise en application, sur les effets de ces mesures législatives sur les droits des Autochtones. Nous acceptons de participer à de telles discussions.

Le sénateur Watt: Je ne veux pas passer pour un empêcheur de tourner en rond, mais il y a un autre élément important dont nous devrions tenir compte. À une certaine période, les droits dont nous parlons étaient absolus. Quand avez-vous décidé qu'ils ne l'étaient plus? La seule façon d'en arriver à une telle décision est la négociation. Je crois que cette précision était nécessaire.

Le sénateur Banks: Je vais poursuivre dans la même veine, mais sous un autre angle.

Premièrement, j'avoue que mes questions sont influencées par le fait que je suis le parrain de ce projet de loi. J'ai posé quatre ou cinq fois la même question au sujet de l'ancienne et de la nouvelle disposition de non-dérogation, si je peux m'exprimer ainsi. Le changement a été fait en 1996.

Je pose ces questions pour ma propre information. Pourquoi ce changement a-t-il été fait? Corrigez-moi si je me trompe, mais vous avez presque dit aujourd'hui que la disposition a été modifiée à la suite de l'affaire Sparrow, lorsque la Cour suprême a jugé qu'on pouvait limiter ces droits, que ceux-ci n'étaient pas absolus, et que l'intention du gouvernement, comme vous le dites, est d'établir une disposition de non-dérogation conforme à l'opinion de la Cour. N'oubliez pas qu'il s'agit d'une question. L'opinion du gouvernement est que la décision rendre pour la Cour suprême dans l'affaire Sparrow s'applique à tous les droits existants dans toutes les mesures législatives subséquentes. Le nouveau libellé résulte de cette décision. Ai-je bien compris?

M. Pentney: Laissez-moi apporter une précision. Il ne s'agit pas seulement de la décision Sparrow, mais bien d'une série de décisions. J'ai parlé de l'affaire Sparrow parce que c'est la première décision qu'a rendue par la Cour suprême, mais il y en a eu d'autres, et la disposition a évolué au fur et à mesure que le droit et notre compréhension de la garantie constitutionnelle ont changé.

Le sénateur Banks: La disposition n'a pas évolué. Il n'y en a que deux. Avant une date bien précise, la disposition stipulait ceci, et après cette date, elle stipulait cela. Ce fut toujours ainsi; il n'y a eu que deux dispositions. Cette «évolution», comme vous dites, qui a eu lieu en 1996 est en réalité un changement apporté directement par le gouvernement à la suite d'une décision de la Cour suprême confirmant que ces droits ne sont pas absolus. Donc, ce changement sera reflété dans les mesures législatives subséquentes. Est-ce bien exact?

M. Pentney: Je le crois. Je ne peux pas vous parler de toutes les mesures législatives antérieures, mais c'est ce que je comprends de ce changement. Au fur et à mesure que notre compréhension du droit et de la garantie constitutionnelle a évolué, cette disposition a changé.

Le sénateur Banks: Une fois de plus, pour ma propre information, comme pour d'autres éléments de la Charte et je pose en fait la même question que le sémateur Spivak, mais sous un angle quelque peu différent estce que l'ajout d'une disposition de non-dérogation à une mesure législative a des incidences autres que de servir de rappel? Estce que cela ajoute quoi que ce soit aux droits existants en vertu de la Constitution et de la Charte?

M. Pentney: Une disposition de non-dérogation pourrait y faire un ajout si elle était formulée en conséquence et si cela était l'intention visée. D'un point de vue constitutionnel, une pareille disposition n'enlève rien aux droits.

Le sénateur Banks: C'était ma prochaine question. La disposition leur donnerait plus de poids dans l'application de la loi. Elle n'ajouterait rien à la Constitution.

M. Pentney: C'est juste.

Le sénateur Banks: Donc, l'inverse est aussi vrai. Si aucune disposition de non-dérogation est incluse dans une mesure législative, estce que l'application de la Charte en est réduite?

M. Pentney: L'article 35 demeure la garantie fondamentale. Les Autochtones peuvent toujours invoquer cet article s'ils croient que leurs droits ancestraux et issus de traités ont été violés.

Le sénateur Banks: Cela est vrai, peu importe ce que prévoit une mesure législative.

M. Pentney: C'est exact. C'est une garantie constitutionnelle aussi valable que la Charte.

Le sénateur Banks: Outre sa fonction de rappel dans une mesure législative, vous avez dit qu'une telle disposition pouvait aussi être utilisée à d'autres fins. Pouvez-vous nous dire de quelles fins il pourrait s'agir?

M. Pentney: Comme je l'ai dit, elle pourrait servir de protection supplémentaire.

Je vais vous donner un exemple dans tout autre contexte. Le gouvernement pourrait adopter une loi et stipuler que même s'il a à sa disposition un moyen de défense en cas de poursuite, il renonce à l'utiliser. Je crois donc que ces dispositions servent principalement de rappel. Je le répète, je crois que les peuples autochtones ont demandé que cette disposition soit ajoutée parce qu'ils tiennent absolument à ce que leurs droits et libertés ne soient pas oubliés lorsque de telles lois sont prises.

Le président: Sénateur Banks, nous empiétons sur le temps du comité suivant. Comme cette question s'avère plutôt complexe, nous n'effectuerons pas l'étude article par article aujourd'hui.

J'aimerais maintenant lever la séance et vous demander de revenir à notre réunion de mardi prochain, qui devrait commencer à 17 h 30 ou plus tard si le Sénat siège plus longtemps. Nous essayerons de nous organiser pour que ce ne soit pas le cas. Nous pourrons alors poursuivre notre étude et nous aurons plus de temps pour examiner la lettre du ministre et tout le reste.

La séance est levée.


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