37-1
37e législature,
1re session
(29 janvier 2001 - 16 septembre 2002)
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Délibérations du Comité sénatorial permanent
des finances nationales
Fascicule 15 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 7 juin 2001 Le Comité sénatorial permanent des finances nationales, auquel a été renvoyé le projet de loi C-18, Loi modifiant la Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces, se réunit aujourd'hui à 15 h 31 pour étudier le projet de loi. Le sénateur Lowell Murray (président) occupe le fauteuil. [Traduction] Le président: La séance est ouverte. Chers collègues, nous sommes saisis du projet de loi C-18 modifiant la Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces, qui a été renvoyé à notre comité après sa deuxième lecture, le 31 mai. Mardi matin, nous avons commencé l'examen de ce projet de loi en entendant des fonctionnaires du ministère des Finances. Nous avons alors eu une discussion sur les transferts fédéraux aux provinces, sous forme d'argent ou de points d'impôt. Cet après-midi, le ministère m'a remis des chiffres plus récents - en fait, à jour - que ceux dont nous nous servions allègrement mardi matin. Je les ai fait verser au compte rendu. Ils se rapportent à l'exercice actuel, 2001-2002. Le total pour le TCSPS est de 34 milliards de dollars, dont 18,3 milliards en transferts de fonds et 15,7 milliards en transferts d'impôt. La péréquation qui fait l'objet de notre discussion d'aujourd'hui équivaut à 10,6 milliards de dollars. La formule de financement des territoires atteint 1,5 milliard de dollars. Le grand total est de 44,9 milliards de dollars, soit 30,4 milliards en transferts monétaires et 15,7 milliards en transferts d'impôt. Nous sommes ravis d'accueillir cet après-midi le ministre des Finances, l'honorable Paul Martin, député depuis 1988 et ministre des Finances depuis 1993. Nous connaissons tous M. Martin. Il est accompagné par ses collaborateurs, que nous connaissons aussi: Susan Peterson, Frank Vermaeten, Barbara Anderson, François Cadieux et Dominique LaSalle. Vous avez la parole, monsieur le ministre. L'honorable Paul Martin, ministre des Finances: Je suis content de rencontrer le comité pour discuter du projet de loi C-18 et pour réitérer qu'aux yeux du gouvernement fédéral, le programme de péréquation et les principes constitutionnels dont il relève sont très importants pour le tissu social canadien. [Français] Dans le cadre de notre fédération, le rôle de la péréquation consiste à veiller à ce que tous les gouvernements provinciaux aient la capacité financière de fournir aux Canadiens et aux Canadiennes des services publics sensiblement comparables, peu importe la richesse relative des différentes régions du pays et les fluctuations économiques qui peuvent les toucher. La péréquation est importante non seulement de par son rôle, mais également de par sa taille. Elle a augmenté d'environ 33 p. 100 depuis notre arrivée au pouvoir en 1993 et elle s'établit actuellement à près de 11 milliards de dollars. Il est important de noter que sa croissance n'a pas été freinée par l'assainissement de nos finances publiques. Elle a continué de s'adapter à l'évolution économique partout au pays. Plus récemment, elle a connu une forte croissance sous l'effet de la vigueur de l'économie de l'Ontario. De plus, les quelque 11 milliards de dollars transférés aux provinces dans le cadre du Programme de péréquation sont versés sans aucune condition. Les provinces bénéficiaires peuvent consacrer cet argent à la réfection des routes, aux hôpitaux, aux écoles, aux personnes handicapées, aux jeunes enfants, aux services aux aînés, aux immigrants, à l'aide juridique, au développement économique ou à n'importe quoi d'autres. Elles ont le choix. [Traduction] Comme vous le savez, le projet de loi C-18 élimine le plafond des paiements de péréquation pour l'exercice 1999-2000, accordant ainsi aux sept provinces bénéficiaires des fonds supplémentaires d'environ 792 millions de dollars. Il importe de signaler que le plafonnement n'empêche nullement la croissance du programme de péréquation. Il ne fait que la restreindre dans le cas inhabituel où elle pourrait dépasser la croissance de l'économie. Autrement dit, le plafond monte chaque année. Le programme de péréquation a aussi un plancher qui protège les provinces contre des diminutions soudaines des paiements, d'une année à l'autre, qui pourraient par exemple être causées par une croissance économique exceptionnelle d'une province ou la diminution de la population d'une province. Lorsque le projet de loi C-18 était à l'étude au Comité des finances de la Chambre des communes, le ministre des Finances du Manitoba a déclaré, notamment: Par le passé, le programme de péréquation s'est avéré un programme de transfert très sérieux et très axé sur l'avenir qui permet à la fédération canadienne de réduire les disparités au pays et qui permet à toutes les régions de se développer avec succès. Il a dit plus tard: La péréquation ne crée pas de dépendance. Elle assure aux provinces les moyens nécessaires à la croissance et à la diversification de leur économie, les rendant ainsi moins dépendantes des transferts du gouvernement fédéral. Voici ce qu'a dit la ministre des Finances de l'Île-du-Prince-Édouard: Le programme canadien de péréquation fait l'envie du monde entier [...] Toutes sortes d'indices nous permettent d'affirmer que notre économie est plus forte. Et plus tard: [...] le programme n'est donc pas un désincitatif, c'est un égalisateur [...] En outre, je suis heureux de vous dire que les données économiques des 20 dernières années confirment l'efficacité du programme de péréquation dans la réduction des disparités entre les provinces. Les gains économiques ont été supérieurs à la moyenne canadienne pour les provinces qui profitent le plus de la péréquation, et on peut en dire autant pour la croissance du revenu réel disponible. C'est un fait méconnu mais particulièrement vrai pour les provinces de l'Atlantique. Il reste bien entendu des écarts, mais avec le temps, ils se comblent plutôt que de s'élargir. On prétend parfois que la péréquation gêne l'expansion économique. Comme on l'a vu, ce n'est certainement pas ce que croient les ministres des Finances de l'Île-du-Prince-Édouard et du Manitoba. Personnellement, j'estime que ceux qui prétendent que la péréquation a un effet désincitatif ne regardent pas là où il faut. [Français] Il est vrai que les paiements de péréquation d'une province baissent à mesure qu'augmentent ses recettes tirées de la mise en valeur des ressources naturelles ou de toute autre forme d'activité économique. Il faut cependant se concentrer sur les citoyens, les citoyennes et les entreprises de la province. Voilà qui sont les vrais gagnants, ceux et celles qui bénéficient des emplois qui suivent le développement économique. [Traduction] J'aimerais faire une deuxième observation à ce sujet. Dans les années 80, le gouvernement fédéral a reconnu les possibilités de la mise en valeur du pétrole et du gaz au large de Terre-Neuve et de la Nouvelle-Écosse. On savait que ce serait coûteux. C'est pourquoi des accords spéciaux ont été signés avec les deux provinces pour suspendre le fonctionnement normal de la péréquation pour une période de transition de 12 ans à Terre- Neuve et de 10 ans en Nouvelle-Écosse. En 1994, une loi a été adoptée confirmant un nouvel accord selon lequel la Nouvelle-Écosse, Terre-Neuve et d'autres provinces qui n'ont qu'une assiette fiscale feraient l'objet d'un traitement particulier dans le cadre du programme de péréquation, pour une période indéfinie. Il ne s'agit pas d'une mesure temporaire. À mesure que les recettes provenant de ces sources augmenteront, la péréquation diminuera moins que pour les autres provinces. Cela démontre bien que le programme de péréquation est déjà adapté pour tenir compte de circonstances particulières, comme en Nouvelle-Écosse et à Terre-Neuve. Dans certaines circonstances, il y a donc une marge de manoeuvre. Cela étant dit, j'insiste sur le fait qu'au bout du compte, le programme doit être équitable pour toutes les provinces, puisque son objectif est de ramener à une norme commune les revenus des sept provinces les moins prospères. En terminant, monsieur le président, parlons du principe selon lequel le programme de péréquation, tout en équilibrant les revenus provinciaux, doit aussi tenir compte des différences de coûts des services publics, d'une province à l'autre. Il s'agit de la question des besoins de dépenses. Les collaborateurs qui m'accompagnent ici aujourd'hui travaillent avec leurs homologues provinciaux de manière constante et régulière, depuis des années. Certaines provinces croient que leur situation particulière les oblige à faire des dépenses publiques supérieures à la norme. Pourtant, au bout du compte, toutes les analyses faites sur la question ont buté sur la difficulté - voire l'impossibilité - de mesurer de manière objective quelles provinces avaient des besoins de services publics supérieurs, ou des coûts plus élevés pour ces services publics. Prenons un exemple: dans certaines provinces, il y a plus de personnes âgées, et les coûts de santé sont plus élevés qu'ailleurs. D'autres provinces comptent davantage de familles à faible revenu, d'immigrants, d'Autochtones, d'enfants ou d'étudiants. On croit par ailleurs qu'il est plus coûteux d'offrir des services à une population disséminée. D'autres encore estiment qu'il est plus coûteux d'offrir des services dans des zones urbaines densément peuplées, où les salaires sont plus élevés. Et ce n'est pas tout! Il faudrait établir des distinctions entre les cas où les coûts plus élevés découlent de besoins plus grands et les cas où ils résultent de choix politiques faits par les gouvernements provinciaux. Vous pouvez voir qu'il est impossible d'adopter une méthode qui devrait tenir compte d'une liste infinie de différences à mesurer et compiler objectivement. [Français] En conclusion, notre gouvernement a toujours considéré le Programme de péréquation comme un aspect essentiel et même un facteur déterminant du Canada actuel. C'est un programme qui est équitable et dont bénéficient les Canadiens et les Canadiennes de partout au pays. [Traduction] La péréquation est un programme efficace qui répond aux besoins en matière de santé, d'éducation et de services sociaux d'une manière essentielle à la qualité de vie des Canadiens et Canadiennes. Il met en pratique les principes d'équité qui comptent tant dans l'idée d'être Canadien. J'encourage tous les sénateurs à adopter le projet de loi, et j'espère qu'ils le feront. Le président: Chers collègues, nous traitons du projet de loi C-18. Le sujet en est la péréquation et, d'une manière plus générale, les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces. Nous n'accueillons pas très souvent le ministre des Finances. Mais j'espère que vous comme lui ne succomberez pas à la tentation de vous écarter du sujet. Étant donné le nombre de sénateurs présents ici aujourd'hui, je vous demande de respecter le sujet à l'ordre du jour.
Le sénateur Bolduc: Monsieur le ministre, nous vous souhaitons la bienvenue. Nous sommes heureux de vous avoir parmi nous aujourd'hui. Il s'agit de votre visite annuelle. Votre présence enrichira beaucoup nos travaux. J'ai récemment lu un livre intitulé The Uneasy Case for Equalization Payments dont l'auteur est M. Dan Usher, professeur d'économie à l'Université Queen's. Dans son ouvrage, M. Usher évalue le programme en fonction de trois facteurs, à savoir l'égalité, l'efficacité et l'équité. Il définit l'équité comme la mesure dans laquelle le programme de péréquation canadien réussit à redistribuer la richesse nationale entre tous les Canadiens. Quant à l'efficacité, c'est la mesure dans laquelle le revenu national, dans le sens large du terme, est plus élevé grâce aux paiements de péréquation qu'il ne le serait autrement. Aux fins de son ouvrage, il définit l'équité comme la mesure dans laquelle le programme correspond à ce que la collectivité estime être juste, indiqué et correspondant à une bonne gestion des affaires publiques. Cet ouvrage, qui comporte 116 pages, conclut que comme pour l'égalité et l'efficacité, il est impossible de dire à coup sûr si le programme canadien de paiements de péréquation atteint l'objectif de l'équité. Je crois que non. Quel est votre avis, monsieur le ministre? M. Martin: M. Usher croit essentiellement que la péréquation entraîne la dépendance. Je pense que c'est inexact et que la péréquation ainsi que l'obligation de fournir dans tout le pays des services en gros comparables dans le domaine de la santé et de l'éducation sont essentiels au développement de notre pays. Les provinces riches, par exemple, tirent parti des excellents programmes éducatifs et établissements d'enseignement qui existent dans certaines des provinces moins nanties. C'est l'essence même d'un pays que d'assurer des services comparables à tous ses citoyens. Sénateur Bolduc, je ne suis donc pas d'accord avec cet aspect-là de la thèse de M. Usher. Le sénateur Bolduc: Abordons la question d'un autre point de vue. Le programme de péréquation coûte environ 10 milliards de dollars, ou 1 p. 100 du revenu national. Si l'on ajoute à cette somme les paiements de transfert qui avoisinent 35 milliards de dollars, cela signifie que ces deux programmes coûtent 45 milliards de dollars, soit le quart du budget fédéral ou le tiers des dépenses au titre des programmes du gouvernement fédéral. Lorsque vous avancez des arguments en faveur de l'égalité et de l'efficacité du programme qui contredisent exactement ceux de M. Usher, vous laissez entendre que les paiements de transfert visent le même objectif que les paiements de péréquation, n'est-ce pas? M. Martin: Oui et non, sénateur. Des paiements de transfert au titre de la santé, de l'éducation et de l'aide sociale, par exemple, qui sont calculés par habitant sont versés à toutes les provinces sans égard à leurs revenus. Par ailleurs, les paiements de péréquation visent un objectif très précis, c'est-à-dire de faire en sorte que les moyens budgétaires des provinces les moins prospères correspondent à ceux des cinq provinces qui constituent la norme. Il est vrai que les paiements de transfert versés aux provinces constituent une partie importante des dépenses gouvernementales fédérales et que les paiements de péréquation représentent pour les provinces récipiendaires une partie importante de leurs revenus provinciaux. Il existe une distinction entre le TCSPS et les paiements de péréquation. Le sénateur Rompkey: Monsieur le ministre, j'appuie le projet de loi C-18 et je demanderai à tous les sénateurs de l'appuyer également. C'est un bon projet de loi. Cela étant dit, j'aimerais aussi discuter du programme tel qu'il existe à l'heure actuelle ainsi que des améliorations qui pourraient y être apportées dans l'avenir. Je crois comprendre que vous êtes prêt à envisager certaines modifications au programme à l'expiration de la période actuelle des paiements. J'en suis fort aise parce que je pense que certaines modifications au programme s'imposent. Monsieur le ministre, il semblerait que ce qu'on considérait autrefois comme une bénédiction est presque maintenant devenue une malédiction. Je sais que vous ne pensez pas que le programme crée une dépendance. Or, je ne vois pas comment, dans les circonstances actuelles, la situation de ma propre province, et peut-être de la Nouvelle-Écosse, peut s'améliorer. Vous avez dit que l'écart entre les provinces s'était amenuisé, mais je pense que cet écart demeure encore considérable. Si l'on compare le revenu de ma province au revenu national, on voit qu'il ne s'est pas beaucoup amélioré depuis 1949. La province s'est développée et la Confédération l'a bien servie à cet égard, mais le Canada aussi s'est développé. Comparativement à celle du reste du Canada, la situation de ma province ne s'est que marginalement améliorée depuis 1949. Dans les circonstances actuelles, je ne vois pas comment la situation pourrait rapidement évoluer. Dans ma province, les coûts sont plus élevés que presque dans toutes les autres provinces. L'an dernier, le coût de l'éducation à Terre-Neuve était de 120 p. 100 supérieur à ce qu'il est dans l'ensemble du pays. Je sais que vous avez dit qu'il était difficile de faire des comparaisons entre les provinces. Je crois cependant qu'elles s'imposent. Je me souviens de l'étude portant sur l'enseignement postsecondaire menée par Al Johnson. Il a pu établir le coût des études postsecondaires dans l'ensemble du pays. À mon avis, s'il n'est pas possible de qualifier les coûts, il est possible de les quantifier. Tant que la province la plus pauvre par habitant au pays doit engager au titre de l'éducation des dépenses de 120 p. 100 supérieures à celles de l'ensemble des provinces, il lui sera très difficile de progresser. Des projets intéressants sont mis en oeuvre dans la province comme à Voisey's Bay et dans le cours inférieur du Churchill, mais ces projets n'aideront pas beaucoup à long terme la population si elle n'est pas instruite. Dans la collectivité autochtone de Sheshatshiu, un seul étudiant a terminé l'école secondaire l'an dernier. Il existe cependant une école secondaire dans cette collectivité depuis 1960. Je sais qu'il s'agit de circonstances spéciales, mais la même chose vaut dans une plus ou moins grande mesure pour d'autres régions du Labrador rural bien que l'avenir devrait être prometteur pour les gens de cette région. Il faut trouver un moyen de permettre aux gens d'acquérir une éducation de qualité sans qu'il leur en coûte autant. Il s'agit d'exploiter nos ressources. Comme vous l'avez fait remarquer, on tient compte de tout cela dans le cas d'Hibernia et dans le cas des ressources de la Nouvelle-Écosse. Au lieu de récupérer en entier les revenus provenant de ces projets, le gouvernement fédéral en récupérera 70 p. 100, mais il en tiendra compte au moment du calcul des paiements de péréquation. Si la province ne récupère que 20 cents ou 30 cents par dollar, elle mettra beaucoup de temps à s'enrichir. Si je ne m'abuse, c'est ce qui est prévu dans le cas de Voisey's Bay. Sur chaque dollar provenant de Voisey's Bay, 80 cents iront au gouvernement fédéral d'une façon ou d'une autre, soit que les revenus seront récupérés, soit qu'ils seront imposés. Voilà la façon dont cela fonctionne à l'heure actuelle. Ce système pose de véritables difficultés. Vous dites que la péréquation n'entraîne pas de dépendance. Nous voulons être dépendants et payer notre part. Nous voulons le faire avec nos propres revenus. À court terme, je ne vois pas comment ce serait possible compte tenu du système actuel. Je vous presse d'envisager de le modifier. Vous avez en terminant fait valoir qu'il est très difficile de modifier le système. Peut-être devrions-nous simplement le supprimer et concevoir un tout nouveau système qui serait juste et équitable pour tous les Canadiens. Compte tenu du système actuellement en place, je ne vois pas comment nous pourrions exploiter ces ressources à notre avantage. M. Martin: On voit certainement, sénateur, que vous avez siégé longtemps à la Chambre des communes. Vous avez posé 15 questions. J'essaierai d'y répondre du mieux possible. Sénateur, vous avez absolument raison de faire remarquer que le programme de péréquation évolue constamment. Dès qu'un accord est signé, les fonctionnaires songent au suivant. C'est exactement ce qui se passe. Je prends bonne note de votre première observation. Si vous me le permettez, sénateur, je répondrai à vos questions dans un ordre légèrement différent de celui où vous me les avez posées. La péréquation vise essentiellement à assurer une capacité budgétaire égale aux provinces. Cette capacité budgétaire repose sur toute une liste de sources. Une exception est faite dans le cas de Terre-Neuve et de la Nouvelle-Écosse pour l'exploitation des ressources naturelles, mais si on allait plus loin, cela reviendrait à dire que les ressources naturelles de certaines provinces sont plus importantes que celles d'autres provinces. Vous conviendrez sans doute avec moi que ce ne serait pas juste. De toute façon, toutes les provinces nous ont dit qu'elles insisteront pour être traitées de la même façon. Il ne sert donc à rien d'y penser. Permettez-moi maintenant de faire plusieurs autres observations. En ce qui touche les avantages que tireront Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse de l'exploitation de leurs vastes ressources naturelles, s'il est vrai que les paiements qui leur seront versés seront modifiés en conséquence, il n'en demeure pas moins que ces projets auront des retombées économiques bénéfiques et créeront des emplois. Les citoyens de Terre-Neuve et de la Nouvelle-Écosse profitent grandement des emplois ainsi créés. Les retombées de ces projets sont énormes. J'en viens maintenant à votre point principal. Je ne suis pas du tout en désaccord avec vous là-dessus. Je ne pense cependant pas que la péréquation soit la solution au problème que vous soulevez. La péréquation n'est pas un outil très polyvalent. Elle vise essentiellement à rendre la capacité budgétaire des provinces égale. Il faudrait lui permettre de le faire. C'est un très bon moyen d'assurer les besoins essentiels des citoyens. Ce n'est pas à dire que les provinces n'ont pas d'autres besoins à combler. Pour combler ces besoins, il faudrait songer à d'autres moyens que la péréquation. Je ne pense pas que le fait que certaines provinces soient plus riches que d'autres indique que la péréquation est un échec. Il faut peut-être attribuer la situation à une mauvaise politique économique, à la géographie, à l'histoire et à beaucoup d'autres facteurs. Au lieu d'avoir recours à un outil aussi grossier que la péréquation, nous devons trouver la cause du problème et y remédier. Prenons les deux exemples que vous avez donnés. Vous avez tout à fait raison en ce qui touche l'éducation. Lorsque le gouvernement a créé la Fondation canadienne pour l'innovation et les chaires de recherche, il a conjugué ces programmes à ce que je considère être une initiative très importante, à savoir la stratégie de développement de l'Atlantique. Cette stratégie tient compte du fait que le Canada atlantique n'aura pas les mêmes occasions que d'autres parties du pays de tirer parti de la création de chaires de recherche ou de la Fondation canadienne pour l'innovation. Elle reconnaît aussi que certaines mesures doivent être prises pour faire face au problème que vous soulevez. Je suis d'accord avec vous. Nous devons nous doter des outils qui conviennent à la tâche. Vous avez aussi donné en exemple les Autochtones. Il ne fait aucun doute, sénateur, que le gouvernement fédéral doit faire davantage pour aider les Canadiens autochtones à poursuivre leurs études. Le problème n'est pas lié à la péréquation. Le gouvernement fédéral a la responsabilité d'intervenir directement dans ce domaine. Le président: Je vais maintenant accorder la parole à un représentant d'une des provinces qui ne touche pas des paiements de péréquation. Le sénateur Tunney: J'ai deux brèves questions à poser. Combien y a-t-il de provinces neutres, c'est-à-dire des provinces qui ne touchent pas de paiements de péréquation, mais qui ne cotisent pas non plus. Voici ma deuxième question: Allez-vous inclure d'autres facteurs dans la formule de péréquation? Je sais qu'il y en a 33. Je me demande si le nombre de facteurs pris en compte augmente, s'il demeure le même ou s'il diminuera. D'autres facteurs sont-ils pris en compte que les facteurs économiques? M. Martin: Sénateur, il n'existe pas de provinces neutres. Il y a des provinces bénéficiaires et nous avons maintenant un rapport de sept à trois. Je ne sais pas si une province pourrait atteindre cet équilibre délicat. Il y a, par contre, des provinces qui sont sur le point de devenir soit bénéficiaires, soit le contraire. Quant à votre question en ce qui concerne la prise en compte d'autres facteurs oui il y en a. À chaque révision, les fonctionnaires examinent les facteurs pour s'assurer qu'ils sont équitables. Je vous donnerai un exemple. Auparavant, ils calculaient les avantages du secteur forestier dans une province en déterminant le nombre d'arbres ainsi que la quantité de fibres ligneuses à la disposition de l'industrie. Grâce à l'amélioration de la technologie, les fonctionnaires ont pu examiner la vraie situation. Dorénavant, ils sont capables de distinguer entre la valeur des diverses forêts et la qualité du bois, un facteur très important pour certaines provinces. Maintenant, il reste à peaufiner ces données. Vous cherchez la simplicité, sénateur Tunney. Je vous comprends tout à fait. Lorsque je suis entré en fonction au ministère, il n'y avait qu'une seule personne qui comprenait la formule. Malheureusement, cette personne a pris sa retraite. Je crois que Frank est la seule personne au Canada qui comprend le système. Nous avons délibérément choisi de donner son poste à un jeune, dans l'espoir qu'il sera ici pendant très longtemps. Le sénateur Tunney: J'ai une question supplémentaire en ce qui concerne la neutralité. Si une province n'est ni bénéficiaire ni cotisante, je comprends mal comment elle ne pourrait pas être neutre. M. Martin: La capacité financière est de l'ordre de 6 000 $. Vous devez donc être au-dessus ou en dessous de la barre. Si vous avez une capacité de 6 000 $, pourriez-vous être neutre? Qu'est-ce qui se passe? Est-ce que les provinces pourraient être neutres? Certaines provinces sont très près de la barre, mais aucune province a réussi à atteindre ce niveau jusqu'au dernier point décimal. Le président: Si vous voulez bien, monsieur Martin, pourriez-vous préciser davantage aux fins du compte rendu? M. Martin: Essentiellement, tout est en fonction de la norme de cinq provinces. Vous vous dites que la moyenne de la norme par habitant des cinq provinces est la capacité de produire 6 000 $ par habitant. Si la capacité de la province se trouve au-dessus de ce seuil, c'est une province cotisante; si elle est en dessous de ce seuil, c'est une province bénéficiaire. L'objectif de la péréquation est de s'assurer que chaque province atteint ce niveau. Le sénateur Finestone: Est-ce qu'il faut vivre de ce montant de 6 000 $? M. Martin: C'est la capacité financière par habitant d'une personne au sein de la province. Le président: Il était question l'autre jour, monsieur Martin, de la Colombie-Britannique et on se demandait si cette province était sur le point de devenir une province bénéficiaire. Nous comprenons cela. J'ai cru comprendre que vous avez dit qu'il y a une autre province qui pourrait bientôt devenir une province cotisante; est-ce bien vrai? M. Martin: Je crois que la Saskatchewan est probablement la province la plus près du seuil, d'un côté comme de l'autre. Le sénateur Moore: Vos propos, dans votre réponse au sénateur Rompkey, m'intéressent. Vous avez dit notamment qu'il faut examiner la situation de diverses façons et ne pas simplement jouer avec la formule de péréquation. Une partie de cet échange portait sur l'enseignement et le coût de l'enseignement à Terre-Neuve. Étant donné que je viens de la Nouvelle-Écosse, c'est un sujet qui m'intéresse vivement. Nous avons établi des programmes tels que les chaires de recherche et les chaires d'excellence, et ainsi de suite, en vertu du financement de contrepartie. Vous savez sans doute que les universités dans la région atlantique du Canada ne disposent pas du même financement dans les autres provinces, quoiqu'on fasse plus que notre part de l'enseignement des jeunes du pays. Nous ne serons pas en mesure de participer pleinement à ces programmes. Par conséquent, nos universités devront se contenter d'installations moindres et faire face à une perte d'étudiants et une perte de chercheurs. Nous ne participons pas, mais nous n'arrivons pas non plus à rejoindre le peloton, un point que le sénateur Rompkey a aussi fait valoir. Que pensez-vous de la possibilité de fonder ces programmes sur des critères plus généraux, où toutes les provinces peuvent participer de façon plus juste et plus équitable, sans dévier de la recherche de l'excellence, mais dans l'égalité des chances. Pourriez-vous nous faire part de vos observations, s'il vous plaît? M. Martin: Sénateur, les arguments que vous et le sénateur Rompkey soulevez sont très pertinents. Étant donné que vous étiez l'un des principaux promoteurs de cette idée d'une stratégie de l'Atlantique, vous savez qu'une partie importante de la stratégie de l'Atlantique reconnaît qu'il existe au pays des régions, dont l'Atlantique, où il est nettement plus difficile d'attirer des partenaires du secteur privé. Si vous voulez établir des règles du jeu équitables et permettre aux établissements d'enseignement de cette région de pouvoir faire concurrence aux autres, c'est ce dont ils vont avoir besoin. Je suis heureux de vous signaler que lorsque j'ai fait part de cette idée aux ministres des Finances des provinces plus riches, ils l'ont reconnu. Quant à ces divers programmes, tels que les chaires de recherche et la Fondation canadienne pour l'innovation, nous devons rechercher l'excellence. Nous devons toutefois reconnaître que les règles du jeu ne sont pas équitables dans certaines régions du pays. De plus, il faut reconnaître qu'il existe de plus petites universités, de plus petits collèges communautaires, et cetera, qui nécessitent des mesures de transition ou une aide spéciale. Le gouvernement est en train d'étudier cette question. Quant au développement régional, on tient compte notamment de la capacité d'offrir une formation aux gens non seulement dans les grands centres mais aussi dans les plus petits. Cela représente un grand pas en avant, un pas que notre pays va faire. Le sénateur Moore: Les gens qui habitent dans ces centres veulent, autant que les autres, rechercher l'excellence. Comme vous l'avez dit, ils veulent simplement des règles du jeu équitables. Ils veulent avoir cette possibilité. M. Martin: C'est de cette façon qu'on y arrivera. Le sénateur Stratton: J'aimerais vous parler des transferts en espèces. Lorsque votre gouvernement a été élu en 1993-1994, les transferts de fonds, d'après ma liste, s'élevaient à 18,810 milliards de dollars. Il n'était pas possible de faire de rattrapage parce que ce montant a été réduit de façon considérable à partir de cette année. Le montant commence à augmenter maintenant et nous allons recevoir plus d'argent lors de la prochaine année financière, n'est-ce pas? M. Martin: C'est exact. Le sénateur Stratton: Depuis environ neuf ans, depuis le moment où votre gouvernement a été élu, nous avons fait face à un manque à gagner, n'est-ce pas? M. Martin: Oui. Le sénateur Stratton: Au Manitoba, ma province préférée, nous avons reçu 761 en 1993-1994. Pour recevoir ce même montant, c'est-à-dire le montant qu'on a reçu en 1993-1994, il va falloir attendre jusqu'en 2004-2005. Est-ce que cela s'explique par une baisse de notre population? Comment est-ce que cela fonctionne? Si je peux m'exprimer ainsi, pourquoi le Manitoba doit-il souffrir pendant encore quelques années? M. Martin: Je ne suis pas certain d'avoir bien compris votre question, sénateur, mais je vais tâcher d'y répondre. Premièrement, dans le cas d'une province comme le Manitoba, il faut tenir compte des transferts et de la péréquation, qui font un ensemble. Comme vous savez, on a réduit le TCSPS en 1995. Je crois que c'est assez clair. Nous n'avons pas réduit la péréquation, et elle a continué d'augmenter. Deuxièmement, je ne crois pas qu'il soit juste de tenir compte des transferts de fonds sans tenir compte des points d'impôt. À l'heure actuelle, certaines provinces demandent des points d'impôt. Il est évident que ces points d'impôt sont très importants pour ces provinces. Ils ont augmenté de façon considérable. Leur valeur a grimpé de beaucoup depuis qu'on les a transférés. En effet, si on prend le Manitoba comme exemple, ou toute autre province, si vous examinez tous les transferts, y compris les points d'impôt et la péréquation, vous constaterez que les transferts n'ont jamais été si élevés. Sénateur, je suis tout à fait prêt à avouer qu'on a réduit le TCSPS initial en 1995. Le sénateur Stratton: La Canada West Foundation vient de publier un rapport qui dit que l'économie ainsi que la population de deux des quatre provinces de l'Ouest s'accroît de façon exponentielle. Malheureusement, l'essor de ces deux provinces se fait sur le dos du Manitoba et de la Saskatchewan. Ces dernières connaissent un déclin graduel et continu depuis le début des années 60. Cette tendance ne change pas et la situation nous préoccupe, tout comme elle préoccupe le sénateur Rompkey dans sa province. Cela devient un cycle de dépendance sans fin. On s'entend pour dire que l'enseignement constitue un enjeu important, mais le Manitoba dispose de deux ressources renouvelables de base: l'hydroélectricité et l'eau. Peut-être que nous devrions vendre notre eau dans le but d'établir des règles du jeu équitables. Cela ne veut pas dire que j'aimerais que cela se produise, mais il faut trouver un moyen de mettre fin à ce déclin graduel et constant qui dure depuis 40 ans - pas nécessairement immédiatement, mais au cours des 10, 20 ou 30 prochaines années. Voyez-vous une telle possibilité? Dans le passé, le Manitoba était une province riche. M. Martin: Le Manitoba, comme vous l'avez signalé, a une capacité hydroélectrique énorme et, étant donné la situation en Amérique du Nord, il faut croire qu'il y aura la possibilité de la mettre en valeur. Je ne serais pas d'accord en ce qui concerne la vente de l'eau. Le sénateur Stratton: Je pensais que vous ne seriez pas d'accord. M. Martin: Il n'y a qu'une seule province qui n'a pas reçu de péréquation, et c'est l'Ontario. On a parfois tendance à oublier que l'Alberta a bénéficié largement de la péréquation, tout comme la Colombie-Britannique. La réponse à votre question est oui. Il y a des hauts et des bas. La solidarité constitue l'essence même de notre pays. Lorsque certains se portent bien et d'autres se portent mal, on reste solidaires. Il est très évident que les gouvernements fédéral et provinciaux doivent travailler ensemble pour s'assurer que les provinces qui se développent moins vite que les autres reçoivent l'aide nécessaire. C'est un aspect dont il faut constamment tenir compte. La péréquation fait partie de la solution, mais ce n'est pas la solution principale. La solution principale, c'est le développement économique et tous les programmes qui visent ce but. Le sénateur Fraser: La péréquation, c'est quelque chose de magnifique. Je n'ai pas l'intention d'attaquer de façon déguisée la péréquation, mais je me pose des questions depuis bien longtemps. Ma question rejoint les propos du sénateur Rompkey, lorsqu'il vous a demandé: devrions-nous simplement l'éliminer et faire autre chose? De nombreux Canadiens oublient que la péréquation fait partie de la Constitution depuis 1982 - et autant que je sache, la péréquation s'y trouve toujours. Sans doute est-elle le seul arrangement fiscal que ce pays a fait inscrire dans la Constitution, et peut-être que c'est le seul qu'un pays ait fait inscrire dans sa constitution. Nous l'avons fait pour enchâsser officiellement notre sens d'obligation mutuelle, qui est certainement une valeur dont les Canadiens sont fiers. Mais est-ce qu'une telle mesure pose des obstacles à la souplesse, à la restructuration et à l'adaptation? Dans quelle mesure est-ce que la péréquation limite les décideurs? M. Martin: Voici une chose, madame le sénateur, au sujet de laquelle des gens raisonnables peuvent avoir une divergence d'opinion. Pour mettre tous les arguments en contexte, premièrement, il y a celui soulevé au début par le sénateur Bolduc. Il faut comprendre que bien des personnes sont contre le concept de la péréquation, qui croient que la péréquation crée une dépendance et n'est pas juste à l'égard des contribuables d'une province à l'autre. Comme je l'ai dit en répondant au sénateur Bolduc, je ne suis pas d'accord avec cette théorie: cependant, de nombreuses personnes le croient. Par ailleurs, il y a ceux - et je crois que ce point de vue abonde dans le sens de votre question - qui croient que la péréquation doit subir un changement draconien pour composer avec ces problèmes en particulier. Encore une fois, je ne crois pas et le gouvernement ne croit pas que ce soit la bonne solution. Il faut permettre à la péréquation de faire le travail qu'elle fait. Les problèmes soulevés par les sénateurs Rompkey et Moore et que vous soulevez vous-même exigent un ciblage. Le sénateur Rompkey a évoqué les problèmes des Innus, qui sont très spécifiques. Les difficultés et les débouchés propres à la Nouvelle-Écosse ou à Terre-Neuve ou à la région de l'Atlantique sont très différents des problèmes et des débouchés de la Saskatchewan ou du Manitoba. Je crois fermement que notre pays doit traiter toutes les provinces équitablement mais reconnaître que, effectivement, les problèmes et les solutions qui existent dans la région de l'Atlantique peuvent être différents de ce que la situation exige dans une province de l'Ouest. Le meilleur exemple que je puisse vous donner est celui-ci: Dans les provinces plus riches, on a tendance à penser qu'un traitement égal pour toutes les provinces signifie qu'on prend les mêmes mesures partout. Si on vient en aide au port de Halifax, la solution choisie ne s'appliquerait pas nécessairement au port de Regina. Dans la province du sénateur Stratton, les Autochtones éprouvent des difficultés différentes des Autochtones de Terre-Neuve. Il faut donc cerner ces problèmes au cas par cas, et éviter d'appliquer une théorie d'ensemble. Le sénateur Fraser: Étant donné les dispositions de la Constitution, voici ce que je veux savoir: vous sentez-vous forcé de maintenir un programme de péréquation qui n'est pas ciblé, selon ce que vous souhaiteriez, et qui est fixé à un niveau donné du PIB, ou suivant un autre barème? Pourrait-on repenser des mesures que l'on qualifierait encore de péréquation mais qui seraient beaucoup plus ciblées? M. Martin: Il y a deux éléments ici. Il faut revenir à votre définition de «forcer». N'oublions pas qu'un programme qui suit le rythme de croissance du PIB est le programme gouvernemental qui prend le plus d'expansion. Les contraintes ne sont pas aussi sévères qu'elles semblent. Aucun de nos programmes ne suit la croissance du PIB. Il est important de le signaler. Par définition, une péréquation ciblée est impossible. Essentiellement, les provinces nous demandent de mesurer leurs capacités fiscales, de leur verser de l'argent et de les laisser l'utiliser comme elles l'entendent. C'est ce que les provinces réclament. Elles ne souhaitent pas de ciblage ou de péréquation. Les provinces disent: «Mesurez la capacité fiscale, donnez-nous l'argent, et nous déciderons comment le dépenser.» Selon moi, on devrait permettre au programme de péréquation d'être modifié par les autorités sur la base de négociations permanentes, mais quant au ciblage, cela se ferait à part. Le président: Je vais aborder cette question sous un angle un peu différent de ce que le sénateur Fraser a fait. À plusieurs reprises, vous avez signalé un point important, à savoir, les conditions sociales qui diffèrent considérablement suivant les régions du pays. Par exemple, la population vieillissante est plus nombreuse en un endroit, il y a plus d'Autochtones en un autre, une autre région accueille plus d'immigrants et dans une autre région, l'anglais est la langue seconde. Ces conditions diffèrent considérablement, et par conséquent, les besoins, et partant, les priorités des gouvernements provinciaux sur le plan social diffèrent considérablement. Est-ce que cela n'est pas un argument en faveur d'un plus grand nombre de programmes comme la péréquation, libres de toute exigence, plutôt que le recours à des programmes sociaux conçus par le gouvernement fédéral? M. Martin: Cela exige probablement un partenariat plus intense entre les deux paliers de gouvernement, sénateur. Tout d'abord, nous considérons un ensemble de problèmes, comme celui des Autochtones dans les réserves et toute la question de la recherche - cela couvre une partie importante de la nouvelle économie. Le gouvernement fédéral a joué le rôle prédominant. Quand on regarde les solutions apportées à certaines questions, on constate qu'il s'agit de domaines pour lesquels le gouvernement fédéral soit a pleine compétence, a la responsabilité, s'est chargé, soit des domaines pour lesquels les provinces recherchent des partenariats. Le président: Comme vous l'avez dit, il est difficile pour le gouvernement fédéral d'adapter divers programmes aux diverses provinces. Il y a un certain temps, nous avons pris une mesure, logique sur le plan fiscal mais non sur le plan politique, alors que nous avons imposé un plafond aux sommes que le gouvernement fédéral versait aux provinces plus riches en vertu du Régime d'assistance publique du Canada. De façon générale, c'était une erreur politique, car cela a presque menacé l'appui des provinces à des mesures comme la péréquation. Je ne vois pas comment on pourrait réserver un traitement différent aux clients des divers programmes sociaux qui relèvent des provinces. M. Martin: Je ne pense pas que cela se manifeste dans les programmes sociaux. Par exemple, le gouvernement fédéral n'exprime aucune préférence quand il verse 45 milliards de dollars aux provinces au titre du TCSPS. L'argent est totalement dépensé suivant le bon vouloir des provinces sauf que, il faut le dire, tout récemment les provinces et le gouvernement fédéral ont convenu que le gros d'une somme de 21 milliards de dollars servirait aux soins de santé et au développement de la petite enfance. Essentiellement, nos transferts aux provinces ne sont assortis d'aucune condition. Nous parlons des domaines pour lesquels des partenariats s'imposent. Le président: Pensez-vous que l'entente sur l'union sociale a donné plus de pouvoir de négociation aux provinces vis-à-vis du gouvernement fédéral? M. Martin: L'union sociale a été l'occasion d'un contexte très propice dans lequel les deux paliers de gouvernement peuvent évoluer. Le sénateur Banks: Avant de poser ma question, je tiens à faire des compliments aux membres de votre personnel qui vous ont précédé. Ils nous ont fourni des renseignements extrêmement utiles. M. Martin: Ils vous en savent gré et ils ne cessent de m'envoyer des notes pour que je ne commette pas de bévue. Le sénateur Banks: Vous êtes sur la sellette, monsieur, parce qu'ils n'ont pas commis de bévue. On a dû faire pression sur le gouvernement, sur vous et sur le premier ministre, pour supprimer le plafond. Le plafond existe pour des raisons de prudence. Je constate qu'il a été supprimé trois années financières successives, puis une quatrième fois en 1993-1994. La suppression du plafond ne se compare-t-elle pas à l'ouverture d'une boîte de Pandore? Est-ce que cela ne signifie pas des difficultés sans pareil pour les planificateurs quand, l'année suivante, le plafond est rétabli? Et que dire des planificateurs provinciaux qui doivent maintenant composer avec un plafond supprimé pendant un an, car c'est tout ce que ce projet de loi opère. Je présume que c'est pour des raisons de ciblage que ce plafond a été supprimé afin que nous puissions répondre à un besoin précis et urgent, qui, vu d'ici, va cesser d'exister à la fin du prochain exercice financier, au moment où l'on fera les comptes. Je pense que vous comprenez l'essentiel de ma question. M. Martin: Il est important de comprendre que le plafond évolue. Le sénateur Banks: Je sais. M. Martin: C'est ainsi. Le plafond ne cesse d'être relevé, de sorte que les provinces comptent sur ce plafond. Les provinces se sont plaintes. Nul doute qu'elles préféreraient nettement qu'il n'y ait pas de plafond. Elles aimeraient également que l'on maintienne un plancher. Il est indéniable qu'elles se plaignent de cela. Vous avez fait allusion à l'incapacité de planifier et c'est un argument que les provinces invoquent mais cela n'a rien à voir avec le plafond. Elles s'en sont plaintes, même quand il n'y avait aucun danger d'atteindre le plafond. Les paiements de péréquation représentent une part substantielle des recettes provinciales. De fait, la péréquation est fondée sur la conjoncture de l'économie de chacune des provinces. Depuis trois ou quatre ans, la péréquation a pris de l'ampleur à cause de la croissance sans pareil que l'Ontario a connue. Aucune province ne pouvait prévoir cela. Aucune province ne pouvait prévoir la possibilité d'un ralentissement en Ontario. Elles se plaignent du fait qu'elles ne peuvent pas faire de plan à l'avance quand il y a de telles fluctuations des recettes. La planification est un élément de grande importance dans l'ensemble. Sénateur, cela n'a rien à voir avec le plafond mais tout à voir avec la mesure des capacités fiscales respectives. Le sénateur Banks: Que s'est-il passé? M. Martin: Depuis que nous sommes au pouvoir, nous avons connu une période de forte croissance. Toutes les surprises ont été bonnes de sorte que cela n'a pas posé de difficultés pour les provinces. Suivant ce qui se produira à l'avenir, si la croissance solide ne se maintient pas, nous serons dans la même situation que celle où se sont trouvées les provinces dans les années 80 et au début des années 90, alors qu'elles ont eu des mauvaises surprises. Le sénateur Banks: Nous avons déjà affronté l'obstacle des transferts, y compris la formule du TCSPS, et nous avons dit qu'une partie sera de l'argent et l'autre partie des points d'impôt. Est-ce que les provinces ont demandé, ou est-ce qu'il serait plus pratique, de transférer beaucoup plus de points d'impôt et de ne plus envoyer d'argent - autrement dit, de modifier l'équilibre fiscal? M. Martin: D'après moi, sénateur, ce ne serait pas plus pratique. D'abord, les points d'impôt ont un effet très différent dans chaque province. Un point d'impôt en Ontario vaut beaucoup plus qu'un point d'impôt au Québec ou à Terre-Neuve, tout simplement à cause de la capacité fiscale de la province. Les provinces sont d'accord avec la formule, mais on peut l'égaliser. Lorsqu'on fait un transfert de points d'impôt à l'Ontario, c'est différent du fait d'envoyer des points d'impôt à Terre-Neuve. Le problème, c'est qu'on peut le faire une fois, mais l'écart grandit par la suite. De fait, au fil des ans, l'Ontario aura reçu un transfert beaucoup plus important, malgré les ajustements faits au départ. Voilà une raison pour laquelle le transfert de points d'impôt n'est pas bien logique. Il faut aussi tenir compte de la capacité fiscale du gouvernement fédéral. Je ne voudrais pas dépasser les limites fixées par le président, mais j'aimerais avoir 30 secondes de plus. Le gouvernement fédéral consacre 25 cents de chaque dollar aux intérêts. La moyenne provinciale est d'environ 12 cents. Le gouvernement fédéral a un rapport dette-PIB d'environ 54 p 100, tandis que la moyenne provinciale est d'environ la moitié de ce pourcentage. Les provinces ont la même source de revenus que nous, et en plus elles ont les loteries et les jeux de hasard. Les provinces ont en réalité plus d'argent à dépenser que nous. Par ailleurs, c'est le bilan du gouvernement fédéral qui décide des taux d'intérêt au pays. Ces taux d'intérêt ont une importance incroyable, pas seulement pour le développement économique mais aussi pour toutes les provinces et pour le gouvernement fédéral qui fait des emprunts. De fait, le transfert de points d'impôt ne serait pas une bonne idée à cause de l'injustice pour certaines provinces et à cause de ce que cela ferait aux recettes du gouvernement fédéral et, en bout de ligne, à toute l'économie du Canada. Le sénateur Banks: Pourquoi est-ce que nous ne les reprenons pas, car il semble y avoir une meilleure manière de procéder - obtenir l'argent et le dépenser ensuite? M. Martin: Le problème, c'est qu'avec le transfert des points d'impôt, en fin de compte, on crée une marge fiscale. Dans un tel cas, bien entendu, il faudrait augmenter les impôts - et nous ne voulons pas faire cela, sénateur. On préférerait plutôt réduire les impôts. Le sénateur Banks: Je ne propose rien qui pourrait faire augmenter les impôts. Le sénateur Finestone: Est-ce que la formule de paiement se fonde seulement sur un calcul par habitant? Est-ce qu'il n'y a pas de conditions pour les paiements de péréquation ou de transfert ou de contrat social? Sont-ils tous calculés seulement par habitant? M. Martin: Oui, ils le sont. Le sénateur Finestone: Est-ce que cette réponse vous inquiète un peu, madame Peterson? M. Martin: Vous aimeriez corriger le ministre. Mme Susan Peterson, sous-ministre adjointe, Direction des relations fédérales-provinciales et de la politique sociale, ministère des Finances: Si cela donne l'impression que le paiement de péréquation par habitant est le même pour tout le monde, alors ce n'est pas juste. C'est vrai en ce qui concerne le TCSPS. Le sénateur Finestone: Ce n'est pas ce que je proposais. Est-ce que cela tient compte de la population? M. Martin: Oui. Le sénateur Finestone: Si l'on ne veut pas de critères précis, et j'ai compris ce que vous avez dit au sujet de tout le problème, cela ne change pas le problème de base, à savoir que le Canada se compose d'hommes et de femmes, de garçons et de filles, et il y a une problématique relative aux sexes. Lorsqu'il y a un déséquilibre à ce chapitre dans une province - qu'il y ait trop d'hommes ou trop de femmes -, cela peut fortement influer sur la péréquation, le transfert social ou le contrat social. Pourquoi ces critères ne sont-ils pas examinés pour commencer? Il faut avoir une bonne idée du nombre d'hommes, du nombre de femmes, du nombre de gens qui ont un régime de pension, du nombre de gens qui ont du soutien pour leurs vieux jours, et du nombre d'enfants qui ont besoin de soutien pendant leur enfance. Je ne comprends pas pourquoi une évaluation comparative entre les sexes ne fait pas partie intégrante de la politique publique avant de procéder à un équilibre ou à une répartition en fonction de la population. M. Martin: C'est la difficulté pour M. Vermaeten et d'autres qui comprennent l'esprit de cette formule. Le sénateur Finestone: Alors vous laissez tomber? M. Martin: Il y a d'innombrables caractéristiques différentes. Il est presque impossible de tenir compte de toutes. C'est ainsi que nous choisissons le critère démographique. Nous n'avons aucun doute au sujet de l'importance de l'analyse comparative entre les sexes, c'est un problème qui vous à tenu à coeur tout au long de votre carrière et surtout à Beijing. Essentiellement, l'analyse comparative entre les sexes doit s'appliquer en matière de politique publique, sans aucun doute. Le sénateur Finestone: Comment et à quel moment allons-nous atteindre ce nirvana? Le président: Madame le sénateur, nous nous écartons du sujet. Nous étudions un projet de loi sur la péréquation. Le sénateur Finestone: Le sujet ne figure peut-être pas à l'ordre du jour, monsieur le président, mais il me semble que si nous voulons faire des paiements de péréquation, nous devons savoir à qui les payer. Le président: Je pense qu'ils le savent. Le sénateur Finestone: Dans tous les pays que je connais, la population est composée de deux sexes, les hommes et les femmes. Sans les femmes, il n'y aurait pas d'hommes. Le président: Je pense que vous avez bien fait valoir votre point, madame le sénateur. Merci, monsieur Martin et messieurs et mesdames les fonctionnaires, d'avoir comparu aujourd'hui. Comme toujours, c'était extrêmement intéressant. Honorables sénateurs, mardi matin à 9 h 30, nous entendrons le ministre des Finances de Terre-Neuve. Si tout va bien, je vous inviterai alors à faire l'étude article par article de ce projet de loi, au terme de cette audience. Nous reprendrons nos travaux à ce moment. La séance est levée.