Délibérations du comité sénatorial permanent
des finances nationales
Fascicule 28 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 7 novembre 2001
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit ce jour à 18 h 15 pour examiner l'efficacité et les améliorations possibles de la politique actuelle de péréquation pour ce qui est de donner aux gouvernements provinciaux des revenus suffisants pour leur permettre d'assurer les services publics à un niveau de qualité et de fiscalité sensiblement comparable.
Le sénateur Lowell Murray (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Nous avons le quorum.
Honorables sénateurs, nous en sommes à notre septième réunion publique sur la péréquation. Notre mandat est d'examiner l'efficacité et les améliorations possibles de la politique actuelle de péréquation pour ce qui est de donner aux gouvernements provinciaux des revenus suffisants pour leur permettre d'assurer les services publics à un niveau de qualité et de fiscalité sensiblement comparable, et d'en faire rapport.
Nous devons faire rapport au plus tard le 21 décembre 2001.
Ce soir, nous accueillons deux témoins. Le premier est le professeur Michel Boucher.
[Français]
M. Boucher est professeur de sciences économiques à l'École nationale d'administration publique de l'Université du Québec depuis 1975. Il a étudié à l'Université Laval et à la London School of Economics and Political Science. Ses champs d'intérêt et de recherche sont les finances publiques, l'analyse des politiques gouvernementales ainsi que les institutions publiques et leur gouvernance.
Il a publié de nombreux articles dans les revues scientifiques nationales et étrangères. Il est aussi l'auteur de quelques monographies et de deux livres récents, dont un sur la démocratie dans une économie de marché, intitulé: Ici le peuple gouverne, et un autre sur la performance mise au Québec, intitulé: La libéralisation des marchés de l'électricité.
M. Michel Boucher, École nationale d'administration publique, Université du Québec: Je voudrais vous remercier pour l'invitation qui me permet de faire part de mes réflexions générales sur le rôle de la péréquation sur la conduite des différents niveaux de gouvernement du Canada.
Je suis un économiste spécialisé dans l'analyse des politiques gouvernementales, et la perspective analytique que j'adopte consiste à considérer toute politique comme émanant des règles du jeu de la vie politique.
Bref, mon point de départ est que les politiciens canadiens, quels qu'ils soient, cherchent à maximiser leur probabilité d'élection ou de réélection. Ils ne diffèrent en rien des autres Canadiens qui sont à la quête de leur bonheur et qui, pour y parvenir, cherchent à maximiser ce qu'ils valorisent le plus. Mes intentions sont de vous entretenir des effets pervers de la péréquation à long terme sur le comportement des différents gouvernements canadiens. Toute politique gouvernementale crée des incitations positives ou négatives, de sorte que les agents économiques touchés modifient leur comportement pour profiter des avantages de la politique en vigueur. Les gouvernements bénéficiaires se conforment aussi aux incitations qui sont contenues dans les politiques. La péréquation politique fédérale, dont l'objectif est de fournir à tous les Canadiens des services publics sensiblement comparables, ne fait pas exception à cette règle. Ses effets doivent être analysés dans le contexte politico-économique canadien.
J'ai déposé un mémoire qui montre la possibilité que les gouvernements canadiens puissent former une collusion politique et ainsi réduire la concurrence politique entre les provinces. Les contribuables touchés doivent alors supporter un fardeau fiscal qui ne correspond pas à la véritable valeur des services publics reçus. La péréquation constitue, dans la perspective que j'adopte, l'instrument dont dispose le gouvernement fédéral pour discipliner les provinces. Par contre, la libéralisation des échanges internationaux, qui découle des accords des deux accords de libre-échange de 1989 et de 1994, révèle que les gouvernements canadiens ont dû réduire la part relative de leurs dépenses propres sur le produit intérieur brut. Les gouvernements fédéral et provinciaux canadiens constatent alors que la mobilité accrue des ressources alourdit le poids de leur politique de redistribution en regard des bénéfices politiques obtenus. En un mot, la concurrence internationale incite les différents gouvernements canadiens à se préoccuper des préférences de Canadiens en général et pas uniquement de celles des groupes d'intérêt.
Je voudrais maintenant faire ressortir la variété des effets pervers et des incitations négatives qui se trouvent dans la péréquation. Outre la possibilité que les gouvernements canadiens forment un cartel pour réduire la concurrence entre les provinces, la péréquation qui fait partie des mesures d'harmonisation des services publics pancanadiens qui empêchent la mobilité des individus de «voter par les jambes», c'est-à-dire de quitter la province qui abuse de ses pouvoirs. La péréquation ne fait pas qu'immobiliser les ressources dans leur localisation improductive, elle amène aussi les administrations provinciales à résister aux changements de leur politique, et ce résultat, la péréquation l'entraîne en soustrayant ces dernières aux conséquences coûteuses de leur propre politique. Elle fait en sorte que le coût d'une mesure provinciale inefficace est refilé non seulement à ses consommateurs et ses producteurs, mais aussi aux résidants d'autres régions.
Je vais donner un exemple. Lorsque le gouvernement du Québec augmente le salaire minimum, il réduit le nombre d'emplois. En réduisant le nombre d'emplois, il réduit la base fiscale et, en conséquence, il reçoit des paiements supplémentaires de péréquation. C'est un exemple d'effet pervers.
D'où le constat empirique que les provinces récipiendaires s'ajustent moins rapidement que les provinces donatrices.
Cela fait quelques mois que je travaille sur la formule de péréquation en vue d'écrire des articles scientifiques. Les provinces qui donnent - l'Alberta et l'Ontario par exemple - se sont ajustées plus rapidement aux accords de libre-échange parce qu'elles étaient pénalisées si elles ne devenaient pas concurrentielles. Le gouvernement du Québec n'a que récemment réduit les impôts sur le revenu des particuliers. Il ne l'a fait que depuis le début de juillet. J'utilise beaucoup l'exemple du Québec parce que c'est là où je demeure.
La péréquation peut donc conduire les gouvernements provinciaux à manipuler l'assiette fiscale et à retirer de la formule de péréquation des sommes supplémentaires qu'ils ne pourraient obtenir autrement.
Je vous donne un exemple. Durant le premier mandat de M. Lévesque, au Québec, il y a eu une grève de la Société des alcools qui a duré dix ou 11 mois. Pourquoi M. Parizeau, le ministre des Finances de l'époque, un homme intelligent, a-t-il toléré cette grève durant tout ce temps? C'est que la province de Québec, avec le trou qu'a causé la grève, a été récompensée de 90 p. 100 de la somme qu'elle aurait dû avoir. Cela veut dire que durant dix mois, les Québécois ont été obligés de recourir à l'alcool de contrebande.
Un autre élément de manipulation est celui que vivent présentement les provinces de l'Atlantique en ce qui a trait au pétrole et au gaz naturel. Pourquoi les gens pensent-ils deux fois avant de développer leurs ressources naturelles? Il faut regarder la formule de péréquation non pas d'une manière isolée mais dans son ensemble.
Une autre conséquence à long terme de la péréquation est de figer à long terme l'environnement politique et de garantir le maintien du statu quo politique. En restreignant la mobilité des ressources vers les secteurs où elles seraient mieux employées, la péréquation fait que le nombre d'électeurs des provinces en déclin prend plus de temps à diminuer, de même que le nombre de leurs représentants à la Chambre des communes.
En conclusion, l'analyse politico-économique de la péréquation révèle que les effets réels sont loin d'être ceux qui étaient anticipés. Loin de conduire une décentralisation qui refléterait les préférences des individus, la péréquation conduit à une standardisation des services publics à travers le Canada et génère des comportements des gouvernements provinciaux qui n'étaient pas attendus. Quelle que soit la situation, lorsque les intérêts des partis impliqués ne convergent pas, il s'ensuit des effets pervers. Tant et aussi longtemps que les intérêts de ceux qui ont conçu la formule de péréquation ne seront pas conformes aux intérêts des provinces, il y aura toujours - et mes prédécesseurs ont fait le même constat - des effets pervers, des choses qui n'étaient pas attendues. Il existe donc des doutes bien fondés qui permettent de questionner les bénéfices de la péréquation relativement au coût qu'elle génère. Il est impossible de porter un jugement sur la péréquation en l'isolant de son contexte politico-économique.
Le texte que je vous ai fait parvenir est une description et une vérification empirique des effets pervers que peut exercer la péréquation sur le comportement des gouvernements.
Le sénateur Bolduc: Monsieur Boucher, vous avez donné comme exemple le salaire minimum. Avez-vous en tête d'autres exemplese qui nous aideraient à saisir le genre de démarche que vous faites?
M. Boucher: Oui. C'est exactement le problème auquel font face présentement les provinces de la Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve. Vous n'avez qu'à regarder ce que fait le gouvernement du Québec en matière de l'utilisation de l'eau - même si ce n'est pas tout à fait la même chose. J'ai fait une recherche récemment. J'ai estimé que la valeur annuelle de la rente de l'eau au Québec était à peu près de 1,5 milliard de dollars par année. Or, la province de Québec ne collecte que 60 millions de dollars de rentes par année. Que fait-elle avec la somme? C'est très simple. Une loi, entrée en vigueur en 1999, permet au gouvernement du Québec d'interpeller les alumineries ou les usines de pâte et papier en leur disant: «Plutôt que de collecter la rente qui devrait être distribuée aux Québécois, faites des investissements de quelques milliards de dollars et à partir de là, nous ne collecterons pas de rente.» Vous auriez à peu près la même chose avec Voisey's Bay ou une autre entreprise du genre. Cela veut dire qu'un bon matin, au Labrador, le premier ministre pourrait dire: «C'est bien regrettable, il n'y aura pas de rente, mais vous allez investir l'équivalent en bâtiment et en transformation.»
Il y a beaucoup de mécanismes de ce genre qui font que les provinces sont capables de trafiquer ou de manipuler la recette fiscale. Il y en a 33. Ce sont les effets pervers qui existent. Je vous parle de ceux que je connais. Vous retrouveriez sensiblement la même chose en dehors de la formule de péréquation. Pensez, par exemple, au paiement de l'assurance-emploi.
Le sénateur Bolduc: Depuis environ 20 ans, le Québec a eu des politiques linguistiques qui ont resserré les règles du jeu pour les anglophones, et suite à cela, certains sont partis. Puisqu'il s'agissait de gens ayant des revenus élevés, le salaire moyen des Québécois a diminué, et la province a bénéficié davantage en péréquation. Est-ce que c'est un exemple?
M. Boucher: C'est un bon exemple. Je vais utiliser encore une fois l'exemple de l'ancien ministre des Finances du Québec. Lorsque les Québécois de langue anglaise ont quitté la province en raison des politiques linguistiques, M. Parizeau s'est vanté qu'à court terme, cela n'avait aucun impact, parce que les gens qui avaient des revenus élevés allaient quitter le Québec, mais puisque l'assiette fiscale avait diminué, ils seraient compensés par des paiements de péréquation.
Dans la formule de péréquation, comme le gouvernement fédéral ne suit pas de près l'ensemble des politiques, quelqu'un qui est le moindrement futé est capable de manipuler et de faire des politiques. Dans le cas des politiques linguistiques, les Québécois et les autres Canadiens ont réglé la facture. Pensez-y. Vous êtes un Québécois de langue anglaise. Pour un ensemble de raisons, entre autres parce que vous êtes plus mobile que le francophone ordinaire - vous allez vous déplacer.
Ce faisant, votre déplacement devrait normalement entraîner un vide et forcer la province de Québec à se réajuster si la formule de péréquation n'existait plus. Or, elle existe. Chaque fois qu'une personne ayant un revenu élevé quittait la province, le gouvernement du Québec s'en trouvait récompensé, parce que la formule de péréquation augmentait.
Le sénateur Bolduc: Cette façon de faire a quand même ses limites.
M. Boucher: Oui.
Le sénateur Bolduc: Le Québec, par exemple, n'a que la moitié de la péréquation, ce qui représente cinq milliards sur dix.
M. Boucher: Vous avez raison, mais vous voyez l'effet de la péréquation.
Le sénateur Bolduc: Le modèle théorique est intéressant.
M. Boucher: S'il n'y avait pas de péréquation, le Québec serait obligé d'assumer les conséquences de ses politiques, donc, des coûts que ces politiues entraîneraient. Or, le Québec n'a pas à en assumer les conséquences parce que la formule de péréquation compense. Dans ce sens, la formule de péréquation subventionne le gouvernement du Québec pour les recettes fiscales qu'il perd. Cependant, c'est le citoyen québécois ordinaire qui doit vivre avec les vraies contraintes, pas le gouvernement du Québec. Pourquoi les Québécois font-ils plus de travail au noir? Ils ne sont pas plus bêtes que les autres Canadiens, mais ils vivent tellement de contraintes que comme consommateurs ou comme producteurs, ils cherchent à réduire le coût de ces conséquences politiques en jouant sur l'économie parallèle. C'est un exemple des effets pervers.
J'ai trouvé un nouvel exemple par pur hasard. Le Québec est une des provinces qui s'ajustent le plus tranquillement à la formule de péréquation. Quand il y a moins de croissance dans une province, la population diminue, et moins d'immigrants sont intéressés à venir s'y installer. Qu'observe-t-on? S'il n'y avait pas de formule de péréquation, le redécoupage des districts électoraux canadiens serait différent. Il y aurait moins de députés québécois. On retrouverait le même phénomème pour les provinces maritimes, qui sont défavorisées par rapport aux provinces plus dynamiques telles que l'Ontario, l'Alberta et la Colombie-Britannique.
La formule de péréquation freine l'ajustement politique. On n'a qu'à regarder le nombre d'électeurs par comté au Canada. Si on prend l'exemple de l'est ontarien, on verrait qu'il y aurait beaucoup moins de députés dans cette région si la formule de péréquation n'existait pas.
Regardons les ajustements que la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve ont à faire. Ils ont beaucoup de ressources naturelles, surtout au Labrador. Si ces ressources regorgent d'autant de pétrole et de gaz naturel qu'on le pense, elles deviendront sûrement les locomotives du Canada pour les 20 prochaines années. Toutefois, ces richesses créent un dilemme. Si ces provinces cherchent à exploiter leurs ressources, elles risquent de voir un certain pourcentage des revenus générés par ces ressources être engouffrés dans la formule de péréquation.
Je suggère que les ressources naturelles n'appartiennent pas aux provinces, mais aux individus.
Le président: Comment cela pourrait-il se faire?
M. Boucher: Admettons que la rente des ressources naturelles de la Nouvelle-Écosse s'élève à 2 milliards de dollars par année. Si les ressources appartiennent aux citoyens, ils seront plus riches. Divisons ce montant par le nombre de citoyens de la Nouvelle-Écosse. Cela a été vérifié en Alaska au début des années 1980. La Cour suprême avait rejeté ce principe, mais on a trouvé un autre mécanisme. Cela se réfléterait sur l'assiette fiscale. C'est ce que vous voyez dans l'Ouest canadien en ce qui a trait au pétrole. Même si depuis quelques années le gouvernement se sert des richesses des ressources naturelles pour payer ses dettes au lieu de les envoyer au Heritage Fund, ces richesses se trouvent capitalisées dans le prix des maisons, des terrains et les revenus des gens. C'est ce qu'il faut saisir.
J'essaie tout simplement de vous dire que la formule de péréquation est un élément qui aurait dû avoir un certain nombre de conséquences, mais celles-ci ne se sont pas produites. Pour quelles raisons? Les provinces se sont aperçu un jour qu'elles pouvaient jouer avec ces notions, les manipuler.
D'autre part, avec la libéralisation des échanges entre le Canada, les États-Unis et l'Organisation mondiale du commerce, le coût des politiques de redistribution, donc, de la formule de péréquation, va devenir très onéreux. C'est ce que nous avons découvert de façon empirique. Comme la libéralisation des échanges entraîne davantage la mobilité des ressources, la mobilité du capital, et que d'autre part les «input» coûtent meilleur marché, vous observerez que les partis politiques, autant fédéral que provinciaux, vont se demander quels seront les coûts des politiques de redistribution qu'ils créeront.
Les hommes politiques sont des êtres humains. Ils regardent les avantages et les inconvénients. Selon la théorie du cartel, lorsqu'il y a plus de concurrence au Canada, comme c'est le cas depuis l'Accord de libre-échange de 1989 et de 1994, le gouvernement fédéral avait plus intérêt à s'occuper de ses propres dépenses qu'à jouer le rôle de celui qui discipline le cartel. La preuve en est que si vous regardez la part relative des dépenses propres du gouvernement fédéral, elle a diminué, tandis que la part relative des dépenses propres des provinces a augmenté. Cela veut dire que le gouvernement fédéral a réduit ses dépenses, parce qu'une partie de ses dépenses allaient aux provinces, non pas pour des raisons d'efficacité, tandis que les provinces, avec l'ajustement qui s'est produit, augmentent leurs dépenses, parce que les provinces sont obligées de se préoccuper davantage des intérêts de leurs citoyens.
J'ai essayé de comprendre quel rôle jouait la formule de péréquation dans la société canadienne et de voir ce qui se produisait lorsqu'il y avait de la concurrence. Plus la concurrence dans un marché privé est forte, plus les producteurs cherchent à avoir des prix très bas, parce que s'ils ne font pas cela quelqu'un d'autre le fera.
À partir de données de 1981 à 1999, nous avons constaté, empiriquement, que lorsqu'il y a plus de concurrence, le gouvernement fédéral s'intéresse davantage aux dépenses qui visent l'ensemble des Canadiens, et il est moins incité à servir de directeur par la péréquation. D'autre part, nous avons également noté que les provinces deviennent plus responsables.
Pour moi, c'est le point majeur. La formule de péréquation déresponsabilise, à certains égards, les gouvernements provinciaux. On n'a qu'à regarder les Québécois. Pour quelle raison sommes-nous les gens les plus taxés? C'est parce que nous sommes les gens les plus immobiles.
Or, à chaque fois qu'il y a des politiques plus ou moins inefficaces, c'est le Québécois qui en assume les coûts. Je trouverais normal que les Québécois assument les effets pervers des politiques de leur gouvernement, mais je trouve plus aberrant que, à cause de la formule de péréquation, les autres Canadiens aient à les assumer.
[Traduction]
Le sénateur Banks: Selon vous, y a-t-il des provinces qui le feraient de façon perverse ou machiavélique?
[Français]
M. Boucher: Ce n'est pas de cette manière que les hommes politiques prennent des décisions ou font des arbitrages, pour privilégier telle politique plutôt qu'une l'autre. Ce sont ces arbitrages qui entraînent des effets non anticipés. Les hommes politiques ne sont pas plus machiavéliques qu'un producteur, qu'un consommateur ou qu'un professeur d'université. Le tout est fonction des intérêts que vous avez à défendre.
Comme professeur d'université, on ne peut pas me mettre à la porte, donc je dis tout ce que je pense. Mais d'autre part, j'essaie de réfléchir et de ne pas parler à travers mon chapeau. Quelques-uns parmi vous ont été des politiciens, si j'étais à votre place, je ferais la même chose. Parce qu'un bon matin, pour vous faire élire, vous devez être capable de trouver des groupes de pression qui vous soutiendront et vous aideront. En retour, vous établirez des politiques pour ces gens. Mais l'ensemble de ces politiques deviendra contradictoire. Le grand sociologue américain Merton a appelé cela «la loi des conséquences inattendues». Vous pensiez voir se réaliser quelque chose et cela ne s'est pas réalisé. Par exemple, le député Dupont de Nemours à l'Assemblée nationale française, en 1792, s'était exprimé en disant que «l'enfer est pavé de bonnes intentions».
Ce n'est strictement que l'ensemble des politiques qui se confrontent. À partir de cela, il y a un résultat qui n'est pas ce que vous aviez attendu et, petit à petit, avec le temps, cela se détériore. Par exemple, le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec ont dépensé, de 1972 à 1998, 1,6 milliard de dollars pour la compagnie MIL Davie à Québec.
[Traduction]
Le sénateur Bolduc: Vous exerciez des pressions sur le gouvernement pour obtenir davantage d'argent chaque année.
[Français]
M. Boucher: Ce n'est pas du machiavélisme, c'est le choix des politiques qui sont prises et les conséquences qui en découlent.
[Traduction]
Le sénateur Banks: Vous nous signalez cette incidence négative involontaire. Pensez-vous qu'il y aurait une meilleure solution?
[Français]
M. Boucher: Compte tenu des règles du jeu politique canadiennes, c'est très peu probable. Je n'ai jamais eu la prétention d'être le conseiller du Prince et d'en savoir plus ce que vous savez, parce que c'est votre métier. Je vais vous donner des suggestions, mais vous allez voir qu'elles sont irréalistes par rapport au contexte canadien.
Une première suggestion serait de donner des subventions directes aux pauvres des provinces bénéficiaires et non aux gouvernements provinciaux. Vous devez essayer de vous rappeler que même le très neutre Institut CD Howe a été obligé d'admettre à son grand désespoir, il y a quelques années, que les pauvres de l'Alberta subventionnent les riches du Québec. En moyenne, c'est vrai.
D'autre part, une autre suggestion pourrait consister en des prêts des provinces riches aux provinces pauvres. Pour quelles raisons, un bon matin, l'Alberta ne pourrait-elle pas dire au Québec: «Vous êtes en difficulté, nous allons vous prêter de l'argent et, en vous prêtant de l'argent, on va vous surveiller». Vous voyez l'irréalisme par rapport au contexte canadien.
Une autre suggestion concerne les dons volontaires des provinces riches aux provinces pauvres.
[Traduction]
Le sénateur Banks: C'est irréaliste.
[Français]
M. Boucher: Vous voyez l'idée. L'ensemble des propositions n'ont qu'un seul but, essayer de responsabiliser les provinces. Vous ne responsabilisez pas les provinces en leur donnant des sommes via la formule de péréquation, parce qu'ils feront des choix qui seront en fonction de leurs intérêts, ce qui est tout à fait normal. Sauf qu'il y a quelqu'un en arrière qui s'appelle «le grand frère fédéral» qui va compenser une partie des conneries.
Le président: Sans le système de péréquation, les provinces vont choisir leurs propres politiques et toujours ils exportent quelque part. Ce sont les effets négatifs de leurs politiques. Cela arrive toujours.
M. Boucher: C'est vrai, mais comme ils ne peuvent pas exporter les effets pervers de leurs politiques, ce sont les citoyens des provinces qui vont l'assumer. Prenons l'exemple de l'écart entre l'Ontario et le Québec en 1994. Le Québec traînait derrière par 21 p. 100, ce qui veut dire que les revenus des Québécois étaient de 21 p. 100 inférieurs à ceux de l'Ontario, donc prenez le produit intérieur brut par la population. En 1999, nous sommes rendus à 25 p. 100. Comme l'Ontario a des politiques beaucoup plus concurrentielles que le Québec, vous pouvez observer que les Québécois paient le prix de leurs politiques restrictives.
Je suis honnête avec vous. C'est vrai que ce n'est pas tout à fait aussi rapide que cela, mais graduellement, cela se fait. Prenons l'exemple de la politique linguistique. Cela a pris quelques années. Ensuite, petit à petit, durant quelques années, le gouvernement du Québec a été dédommagé pour sa politique linguistique et, au bout de quatre ou cinq ans, les Québécois ont assumé le fardeau. Quand vous posez la question à savoir comment se fait-il que le revenu des Québécois est plus faible, c'est qu'il y a une partie des politiques inefficaces que nous devons supporter.
Le président: Par exemple, le taux d'augmentation des dépenses gouvernementales en Ontario a été très excessif des années 1985 à 1990, ce qui a eu pour effet de forcer la banque centrale à augmenter les taux d'intérêt. C'est une façon d'exporter les effets pervers de vos politiques et d'obliger le reste du Canada à porter le fardeau.
M. Boucher: Vous avez absolument raison.
Le président: Il y a différentes façons d'exporter les effets négatifs.
M. Boucher: Oui, vous avez raison dans ce cas, mais en général, ce sont les provinces et les citoyens des provinces qui assument le fardeau des politiques.
Le président: Ce n'est pas mon rôle de défendre les politiques linguistiques du Québec - ou d'autres politiques d'autres provinces - qui sont autant d'ordre social qu'économique. C'est très difficile, sinon impossible de faire un bilan uniquement économique ou financier de ces politiques.
M. Boucher: Je suis le genre d'économiste qui croit qu'on peut toujours mettre un prix, monétaire ou non, sur des politiques. Quand vous revalorisez quelque chose, vous êtes prêt à y payer le prix. Prenez les politiques qui frappent maintenant le Canada sur les mesures...
Le président: Vous semblez croire que les effets des politiques linguistiques du Québec ont été négatifs à 100 p. 100. Vous savez mieux que moi qu'elles ont contribué au progrès des francophones et à l'émergence d'une classe entrepreneuriale au Québec. En ce sens, cela a eu un effet positif.
M. Boucher: Je me suis peut-être mal exprimé. Il y a eu des effets positifs et négatifs.
Le président: Sur les plans économique et financier.
M. Boucher: Oui. Je suis de ceux qui croient que les bénéfices sont inférieurs aux coûts.
Le président: Dans quelle proportion?
M. Boucher: Je ne peux pas vous dire. Cependant, un des effets pervers serait le fait que des Québécois de langue anglaise se soient déplacés. Les jeunes Québécois sont de plus en plus mobiles, ils apprennent à parler une autre langue et ils quittent tranquillement.
Le président: Le fait d'exporter vos citoyens éduqués a un effet positif pour le reste du Canada.
M. Boucher: Tout à fait. Par exemple, un de mes fils enseigne en Ontario.
Le président: Les effets sont mixtes.
M. Boucher: Je suis capable de prendre une position. J'y crois et je suis capable de la défendre. Si c'était si rose que cela, j'ai l'impression que le Canada et le Québec seraient en meilleure santé. J'accepte les nuances que vous apportez. Cela fait presque 30 ans que j'essaie de faire la promotion d'une économie québécoise et d'une économie canadienne qui seraient relativement concurrentielles, et qui feraient en sorte qu'il y aurait moins de contraintes gouvernementales. C'est mon opinion. Quelques-unes des observations que vous avez faites sont pertinentes, et j'ai parfois tendance à exagérer.
Selon moi, s'il y avait en général moins d'effets pervers - et je reviens sur la péréquation - le sort des Canadiens serait beaucoup amélioré. Je dis que la «loi des conséquences inattendues» de Merton fait qu'il n'y a pas d'alignement des intérêts. De part et d'autre, il y aura un effet pervers.
Le président: Selon vous, ne devrait-il pas y avoir un système de redistribution des revenus dans notre fédération?
M. Boucher: Je ne suis pas complètement favorable à cette idée. Sous un tel système, il devrait faire en sorte qu'on subventionne les individus plutôt que les gouvernements. Les individus, sachant ce qu'ils veulent, vont dépenser.
Le président: Que pensez-vous de l'effet de dépendance qui ne serait plus au niveau des gouvernements, mais plutôt au niveau des personnes?
M. Boucher: Je préfère que l'effet de dépendance soit assumé par les individus plutôt que par le gouvernement.
Le sénateur Ferretti Barth: Monsieur Boucher, vous avez parlé de la grève de la Société des alcools qui a fait un trou dans le budget du Québec, et qui a été couvert par la péréquation. Par la suite, vous avez parlé de l'assurance-emploi, mais vous ne vous êtes pas beaucoup prononcé sur ce point. Qu'est-il arrivé?
M. Boucher: Dans le cas de l'assurance-emploi, une très bonne politique a été conçue par le gouvernement. On a cherché à atténuer les effets pervers. On a réduit la durée des paiements d'assurance-emploi et on a observé, de manière systématique, que de plus en plus de jeunes des provinces de l'Atlantique - et aussi en Gaspésie - ont commencé à s'instruire. Ils sont allés à l'école plus longtemps et ils ont quitté peu à peu l'Est du Canada. C'était très bien parce qu'il y avait un effet pervers. C'était connu. Par exemple, un bon matin, à Terre-Neuve, tout le monde travaillait dix semaines, recevait sa prime d'assurance-emploi, et ainsi de suite. Récemment, on a changé la loi. Qu'est-ce qu'on observe? On tombe dans l'ancienne situation, à savoir que les jeunes sont moins portés à s'instruire, et donc ils vont être moins mobiles et ils vont rester dans l'Est du Canada. Or, ces gens peuvent obtenir des rémunérations très élevées ailleurs. Le plus bel exemple, on le voit en Alberta chez les gens qui travaillent sur les tours de forage pour l'exploitation du pétrole. Ce sont des jeunes qui peuvent gagner entre 80 000 et 100 000 dollars par année. Tout ce qu'on demande, ce sont des jeunes en bonne santé.
Statistique Canada a publié des données il y a deux ou trois semaines. Ceux qui quittent Terre-Neuve pour aller travailler dans l'Ouest augmentent leurs salaires de 90 p. 100 à 100 p. 100.
Le professeur James Buchanan est venu à Montréal il y a deux semaines. C'est lui qui a eu l'idée de la formule de péréquation aux États-Unis. Il a émis l'idée qu'il y a à peu près 100 000 Canadiens qui se déplacent d'un océan à l'autre à tous les ans. Initialement, on était contre la formule de péréquation parce que les économistes disaient que les gens allaient se déplacer pour être capables de profiter du paradis qu'il y avait en Alberta, où il n'y a pas de taxe de vente ou autre chose du genre.
Regardons la politique d'immigration du Canada. Nous sommes à peu près 30 millions de Canadiens. Considérez que l'objectif canadien est d'avoir 1 p. 100 par année d'immigrants. Donc, cela fait environ 300 000 immigrants. Où ces gens iront-ils s'établir? Ils ne s'installeront pas au Québec ou dans les Maritimes, ils iront plutôt à Toronto, à Calgary, à Edmonton ou en Colombie-Britannique.
Lorsque les gens de l'extérieur viennent travailler, ils atténuent ou rendent quasi inutile la formule de péréquation parce qu'ils vont directement aux endroits où il y a plus de revenus. C'est la nouvelle problématique que le Canada connaîtra.
Si une main-d'9uvre qualifiée provenant de l'extérieur est nécessaire, elle ira se situer dans les grands centres. Le dynamisme se dégagera alors des grandes villes de l'Ontario, de l'Alberta et de la Colombie-Britannique. Vous aurez alors un des effets pervers que j'ai déjà mentionnés, c'est-à-dire que le nombre de députés qui vont représenter ces provinces sera moindre.
C'est un effet à long terme. Cela s'est fait sur une période de 15 à 20 ans. Graduellement, cela entraîne des répercussions, non seulement sur la vie économique du pays, mais aussi sur sa vie politique.
Je n'ai pas de solutions à ce problème, mais je veux vous présenter une image globale. Différents témoins sont venus vous présenter leur point de vue. Il appert que le Canada va être obligé de s'ajuster puisqu'il y a davantage de libre-échange, de mouvements de personnes et de capitaux. Je pourrais vous parier n'importe quelle somme que cela se produira. Dans quelle direction? Je l'ignore. Par contre, je sais qu'il existe un ensemble de mesures de redistribution qui devront changer. Nous avons fait un petit exercice quantitatif qui nous démontre que les accords de libre-échange en 1989 et en 1994 ont modifié le comportement des gouvernements.
Ce n'est que le début. À partir de 2009, les fruits et les légumes du Mexique entreront en franchise au Canada. Les États-Unis ont exigé 15 ans pour que la Floride puisse s'ajuster. Imaginez quel sera le coût des fraises canadiennes lorsque les fraises du Mexique ou de l'Argentine arriveront chez nous? Tout cela va nous tomber sur la tête en 2009.
Le sénateur Ferretti Barth: Si je comprends bien, vous êtes contre le libre-échange?
M. Boucher: Non, je suis en faveur du libre-échange. Je crois que l'économie canadienne doit être souple, doit s'ajuster et permettre beaucoup plus de mobilité de la main-d'9uvre entre les provinces. Il y a encore des restrictions sur la mobilité de la main-d'9uvre. Un avocat québécois qui veut pratiquer en Ontario doit passer les examens de common law. Il faut mettre en place un mécanisme incitatif qui fera en sorte que les Canadiens réagiront positivement au système de récompenses et de sanctions de notre société. Avec la formule de péréquation, ce sont les provinces qui font les choix plutôt que les individus.
Par contre, l'importance relative de la formule de péréquation diminue par rapport à l'ensemble des recettes. C'est donc signe que le gouvernement fédéral est conscient qu'il ne pourra pas maintenir la formule de péréquation à des niveaux très élevés. En fait, le pourcentage de la formule de péréquation diminuera sur l'ensemble des recettes du gouvernement fédéral. C'est un mécanisme naturel inévitable.
[Traduction]
Le sénateur Furey: Merci d'être venu. J'aurais deux questions à vous poser. Je ne sais pas si vous nous dites que vous êtes favorable à ce que l'on mette fin à la répartition des recettes fiscales ou si vous nous dites qu'en raison de certaines forces économiques et politiques en jeu, c'est inévitable au Canada.
[Français]
M. Boucher: Compte tenu des règles du jeu en place actuellement, vous avez raison et c'est le problème que vit présentement Terre-Neuve. Si on exploite de manière systémique et qu'on détermine qu'il y a davantage de pétrole et de gaz autour de Terre-Neuve et du Labrador, on aura des «sanctions» à cause de la formule de péréquation.
D'autre part, un autre élément déplorable à Terre-Neuve est que le prix des ressources naturelles, en termes réels, diminue d'année en année depuis 1850. Plus on retarde l'exploitation, plus le prix des ressources naturelles à long terme diminue. L'idéal serait de faire l'exploitation le plus rapidement possible pour pouvoir en retirer des revenus, mais pour un ensemble de circonstances à la fois politiques et économiques, la province est incapable de le faire.
[Traduction]
Le sénateur Furey: Diriez-vous qu'à long terme il serait préférable pour la province et la fédération qu'elles, pendant que nous avons un programme de péréquation et pendant qu'une province plus pauvre exploite une ressource non renouvelable, continuent à recevoir les paiements de péréquation jusqu'à ce qu'elles deviennent ce que nous appelons une «province nantie» et commencent à payer dans le fonds qui sert à cette répartition des recettes fiscales, au lieu d'y puiser?
[Français]
M. Boucher: C'est assez difficile de répondre par l'affirmative à cette question parce que l'idéal, comme je vous disais, serait de retourner les droits de propriété de la province aux citoyens. Cela est un peu problématique. Je sais que cela ne se produira pas, mais ce serait l'idéal.
De cette façon, les citoyens pourraient choisir d'épargner la rente de la ressource pour leurs enfants ou de la dépenser. Depuis quelques années, comme on l'a vu en Alberta, le gouvernement se sert de ces revenus pour diminuer la dette, sauf que la ressource appartient à plusieurs générations.
Je n'ai pas de réponse précise. Je crois que si vous le permettez pour les ressources naturelles de la Côte Est, éventuellement, le processus politique étant ce qu'il est, un autre échange aura lieu qui fera en sorte que le gouvernement fédéral et les autres provinces seront obligés de signer quelque chose. Et cela générera à nouveau d'autres effets pervers. Il y aurait peut-être une possibilité de trouver une solution, mais cela me surprendrait.
[Traduction]
Le président: Monsieur Boucher, l'heure que nous venons de passer en votre compagnie a été très stimulante et intéressante.
[Français]
Je vous en remercie beaucoup au nom du comité.
[Traduction]
Nous accueillons maintenant le représentant du gouvernement du Manitoba. Nous sommes heureux d'accueillir le ministre des Finances du Manitoba, l'honorable Gregory Selinger, qui est accompagné de M. Ron Neumann. Nous connaissons déjà M. Neumann pour l'avoir accueilli lors de l'examen d'un projet de loi antérieur sur la péréquation.
Outre ses fonctions de ministre des Finances, le ministre est également responsable des services de langue française, d'Hydro-Manitoba, du Conseil des corporations de la Couronne et de la Commission de la fonction publique. Il a été nommé ministre des Finances le 5 octobre 1999. Il est professeur agrégé à la faculté des sciences sociales de l'Université du Manitoba. Il a donné des cours de développement communautaire et de travail social, il a connu une carrière municipale avant de se lancer en politique provinciale, puisqu'il était conseiller à Saint-Boniface, et il a présidé le comité de la ville sur les finances et l'administration. Il détient un doctorat de la London School of Economics, une maîtrise en administration publique de Queens et un baccalauréat en travail social de l'Université du Manitoba.
Je suis heureux de signaler que le Manitoba a produit son mémoire dans nos deux langues officielles. J'invite le ministre à faire sa déclaration liminaire.
M. Gregory Selinger, ministre des Finances du Manitoba: Merci beaucoup. C'est un privilège pour moi d'être ici ce soir pour parler de ce sujet très important, à savoir la façon dont les arrangements fiscaux au pays peuvent nous permettre de développer une fédération canadienne prospère et équitable.
Pour nous, au Manitoba, la péréquation est un programme essentiel. Depuis son introduction en 1957, son importance s'est accrue avec chaque nouvelle décennie. Ce programme est devenu partie intégrante de la fédération et parfois, lorsqu'un programme devient une partie intégrante comme celui-ci, nous perdons de vue son importance. Nous le tenons pour acquis. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous en discutons ce soir et examinons sa contribution fondamentale à l'égalité fiscale d'un bout à l'autre du pays.
Nous ne devrions pas hésiter à penser ce que serait notre pays sans ce programme. J'ai écouté avec attention les propos du témoin qui m'a précédé. Sans ce programme, notre pays serait beaucoup plus inégal. Il serait beaucoup moins prospère et de nombreuses régions seraient dans un état bien triste. Il y a peut-être une forte concentration de la richesse dans certains centres du pays, mais ce ne serait pas avantageux pour le Canada que la richesse soit concentrée dans deux ou trois régions seulement. Nous savons que ce programme a procuré une assise pour un grand nombre des régions qui ont pu développer leur capacité et le potentiel de leurs citoyens et de leurs ressources. Il a aidé les régions à accroître leur capacité de production de façon à contribuer à la richesse nationale.
Je vais parler ce soir de l'importance du programme de péréquation et je vais donner des preuves de sa réussite. Je parlerai ensuite des façons dont on doit l'améliorer et le consolider pour en faire un outil important au service de nos intérêts en tant que pays.
[Français]
Je vais maintenant vous parler du Canada, une fédération décentralisée, ainsi que de la distribution des dépenses et des revenus, des déséquilibres fiscaux et transferts fédéraux.
La Constitution canadienne impartit des responsabilités importantes aux provinces. Soins de santé, éducation et autres programmes sociaux, gestion des gouvernements locaux et municipaux, justice, culture, tous ces programmes importants sont la responsabilité des gouvernements provinciaux.
Ces programmes définissent en grande partie notre nation, et leur importance s'est accrue depuis la Seconde Guerre mondiale. Il y a 50 ans, le gouvernement fédéral absorbait directement bien plus de 50 p. 100 de l'ensemble des dépenses publiques au Canada. En 1980, il en absorbait 38 p. 100.
Aujourd'hui, les gouvernements provinciaux, territoriaux et locaux fournissent près des deux tiers de l'ensemble des programmes publics au Canada. Peu de nations dans le monde ont des gouvernements infranationaux chargés d'autant de responsabilités. Les graphiques un et deux illustrent bien ces tendances.
[Traduction]
Dans le cadre de l'exposé, vous aurez des diagrammes ou graphiques qui vous aideront pour la discussion ce soir. Je ne reprendrai pas tout le mémoire. Je vais vous en donner une version abrégée, mais mes propos jusqu'à maintenant ont indiqué que la part du gouvernement fédéral au chapitre des dépenses directes avait diminué depuis la Deuxième Guerre mondiale, passant d'environ 50 p. 100 à 38 p. 100 du financement direct des programmes que nous offrons à notre population.
En vertu de la Constitution, le gouvernement fédéral a recours à l'imposition directe et indirecte. Les provinces, elles, n'ont recours qu'à l'imposition directe. Les domaines d'imposition au Canada sont partagés depuis bien longtemps. Les arrangements d'imposition au Canada ont comme résultat pratique le partage des principaux domaines d'imposition.
Il y a eu du flux et du reflux depuis la Deuxième Guerre mondiale, mais le principal mouvement a été que les gouvernements provinciaux et locaux ont eu tendance à prélever une partie de plus en plus importante du total et à moins compter sur les paiements de transfert du gouvernement fédéral. Aujourd'hui, les administrations provinciales et locales prélèvent 88 p. 100 de leurs propres recettes. Les transferts fédéraux en fournissent 12 p. 100, le plus faible pourcentage parmi les principales fédérations du monde. Il faut absolument le souligner, et c'est ce qu'illustre le graphique 3. Toutes les fédérations fournissent davantage de ressources à leur unité gouvernementale infranationale que le Canada.
Bien sûr, la capacité fiscale diffère d'une province à l'autre. Mesurée d'après le régime fiscal représentatif du programme de péréquation en fonction des taux moyens nationaux d'imposition, la capacité fiscale des provinces varie de 60 p. 100 de la moyenne nationale pour Terre-Neuve et le Labrador, à 173 p. 100 pour l'Alberta. C'est presque trois fois plus.
Dans ces circonstances, il est pratiquement inévitable que des déséquilibres fiscaux importants surviennent entre les responsabilités et les capacités fiscales. La responsabilité croissante des provinces, des territoires et des administrations locales, en particulier dans le domaine des soins de santé, a mené à une divergence des résultats fiscaux fédéraux et provinciaux au cours de la dernière décennie. Alors que le gouvernement fédéral a pu passer d'une situation déficitaire à l'accumulation d'un excédent, la plupart des gouvernements provinciaux ont de la difficulté à présenter des budgets équilibrés. Ils ne bénéficient pas de la même flexibilité fiscale que le gouvernement fédéral, ce qui était évident dans les mesures annoncées en octobre 2000. Tous les prévisionnistes annoncent une poursuite de cette flexibilité pour le gouvernement fédéral alors que les excédents fédéraux poursuivront leur croissance une fois que l'économie se sera redressée.
Les provinces subissent la même pression que le gouvernement fédéral en ce qui concerne l'allégement fiscal, mais doivent faire face à des dépenses à long terme résultant du vieillissement de leur population et de ses répercussions sur les coûts de santé. Il existe également des déséquilibres entre les provinces, causés par les différences de capacités fiscales relatives, comme je l'ai déjà fait remarquer. C'est par les paiements de transfert du gouvernement fédéral que ces déséquilibres fiscaux peuvent être résolus, et qu'ils devraient l'être.
La révision constitutionnelle de 1982 impose au gouvernement fédéral la responsabilité de distribuer des paiements de péréquation. Le gouvernement fédéral doit donc prélever suffisamment de recettes pour assumer cette responsabilité et répondre à ses propres besoins de dépenses directes. Étant donné qu'il s'agit d'un engagement constitutionnel, nous croyons que le programme de péréquation doit avoir la priorité dans l'utilisation des ressources fédérales, avant les réductions d'impôts et les dépenses discrétionnaires.
Lorsque le Canada est sorti de la Deuxième Guerre mondiale et que Terre-Neuve s'est jointe à la Confédération, la population canadienne bénéficiait de peu des prestations sociales dont nous bénéficions aujourd'hui. Les gouvernements canadiens ont toutefois entrepris de mettre sur pied un programme de sécurité sociale et d'autres programmes publics qui étaient déjà monnaie courante en Europe. On a établi l'assurance-hospitalisation, le régime d'assurance-maladie et des programmes améliorés d'aide sociale, et on a grandement multiplié les possibilités de formation postsecondaire. Ces nouveaux programmes sociaux améliorés, qui relèvent tous de la compétence des provinces, ont contribué à une plus grande équité au Canada et à une amélioration des perspectives d'avenir pour les Canadiens. Ils ont servi de fondation à une remarquable période de sécurité personnelle, ainsi que de croissance et de stabilité économiques. Il est toutefois devenu évident assez tôt au cours de cette période que les différences de capacités fiscales entre les provinces limiteraient le développement de ces initiatives pour de nombreux Canadiens et Canadiennes.
Il y avait alors deux choix possibles: attribuer ces responsabilités au gouvernement fédéral, tout au moins le financement des programmes, ou mettre en place un programme de péréquation fiscale. En fait, dans les années 50 et 60, ces deux solutions ont été mises en application. Le gouvernement fédéral a étroitement participé au financement des programmes de soins de santé, de formation postsecondaire et d'aide sociale lorsque ces programmes ont été introduits et menés à maturité dans les années 60. C'est aussi en 1957 que le programme de péréquation a été introduit.
Je ne suis pas ici ce soir pour discuter de l'histoire des programmes sociaux et des arrangements fiscaux ni des débats qui les entourent, mais je voudrais expliquer ce que je pense être la situation aujourd'hui et comment elle influence notre position sur le programme de péréquation.
Nos programmes de soins de santé, d'éducation publique et de sécurité sociale doivent être et seront protégés. Tous les gouvernements se soucient davantage d'assurer la prestation efficace et efficiente des programmes, mais les dépenses pourraient augmenter à plus long terme pour répondre aux besoins d'amélioration et de maintien des services existants face aux pressions d'ordre démographique et autres. Ceux qui aimeraient remonter dans le temps pour privatiser le système de soins de santé et réduire les programmes publics ne comprennent pas les attentes du public canadien.
Récemment, Mme Kenny, de l'Université Dalhousie, a pris la parole au Manitoba. Elle a soulevé un point très révélateur au sujet du régime public de soins de santé, qui faisait un peu contraste au rapport Kirby du Sénat. Elle a soutenu que tous les systèmes doubles de soins publics et privés de santé n'ont pas réussi à faire diminuer les coûts et augmenter l'efficience, mais ont en réalité fait augmenter les coûts. Elle a fait remarquer que notre système à un seul payeur s'est avéré très efficace, en particulier par rapport aux États-Unis. Nous avons besoin de solutions fondées sur des preuves pour nos problèmes, et non pas de solutions qui tiennent davantage de l'idéologie. Nous devons essayer de résoudre ces problèmes difficiles en nous appuyant sur les preuves recueillies de par le monde.
Le gouvernement fédéral a retiré la majorité de sa participation au partage des frais de ces programmes qu'il avait fournie au moment de leur création, en partie par le transfert de marge fiscale en ce qui concerne les impôts sur le revenu des particuliers et des sociétés. Le résultat est que le financement direct des programmes sociaux provinciaux a chuté à 14 p. 100, les recettes provinciales couvrant les 86 p. 100 restants. Les premiers ministres ont proposé que ce financement soit augmenté à 18 p. 100. Ils n'ont pas demandé de revenir à 50 p. 100.
Les besoins en prélèvement des recettes par les provinces pour appuyer ces programmes sociaux essentiels ont beaucoup augmenté et la dépendance envers les recettes provinciales ne diminuera pas de façon significative, si même elle diminue, dans un proche avenir. La plus grande dépendance envers les recettes provinciales doit être accompagnée d'un meilleur programme de péréquation; sans cela, il sera impossible de maintenir des normes nationales de programmes ainsi que des protections et perspectives équitables pour tous les Canadiens et Canadiennes.
Si on s'attend à ce que les provinces assument la part du lion en ce qui concerne les programmes sociaux, de santé et d'éducation, comme l'a prévu la Constitution, il doit y avoir un programme de péréquation pour permettre aux provinces de le faire équitablement et d'offrir des niveaux de services à peu près comparables à des niveaux d'imposition à peu près comparables. Voilà sur quoi repose le programme de péréquation et je sais que vous le comprenez pertinemment bien.
Il y a eu une convergence économique importante entre les provinces canadiennes. La productivité, telle qu'elle est mesurée en PIB par habitant, est aujourd'hui bien plus égale dans l'ensemble du Canada qu'elle ne l'était en 1950. Par conséquent, que la péréquation crée une attitude que nous n'avons pas à travailler aussi fort pour améliorer notre situation est clairement démenti par les preuves. Les provinces bénéficiaires ont en réalité rattrapé les provinces plus riches. Elles ont amélioré leur productivité et leur richesse grâce à la péréquation.
Je ne peux m'imaginer qu'un gouvernement provincial se serve de la péréquation pour justifier son inaction. Les provinces la voient comme une occasion de faire plus, et ils s'en servent pour investir dans l'infrastructure et dans les perspectives de formation postsecondaire, pour renforcer leur système de soins de santé et pour promouvoir le développement économique. Chaque gouvernement fait cela, sinon, il n'est pas réélu. C'est d'ailleurs un point fondamental de notre mission publique. La notion que la péréquation crée une attitude laxiste n'est pas étayée par les preuves à long terme et n'est certainement pas étayée par les preuves des efforts déployés par les gouvernements provinciaux pour améliorer leur situation économique.
[Français]
Ce dernier point n'est pas bien reconnu par certaines personnes qui s'intéressent au chemin qu'il nous reste à faire pour réduire les disparités économiques entre les régions au lieu de constater le chemin que nous avons déjà parcouru pour réduire ces disparités. La péréquation a été attaquée par certains commentateurs qui pensent que le programme est une contre-incitation au développement économique. Ces commentateurs offrent peu ou pas de preuves pour appuyer leurs déclarations. À l'encontre du témoignage cité par le ministère fédéral des Affaires intergouvernementales, l'honorable Stéphane Dion, dans une lettre qu'il a écrite au rédacteur de certains quotidiens, a attiré l'attention sur le vaste développement hydroélectrique au Québec et au Manitoba ainsi que les initiatives de pétrole et de gaz naturel en Saskatchewan et sur les côtes des provinces de l'Atlantique. Les gouvernements provinciaux font tout ce qui est en leur pouvoir pour encourager une croissance forte et équilibrée de leur économie.
Je ne peux pas imaginer un gouvernement provincial qui choisirait de recevoir les paiements de péréquation tout en sacrifiant la croissance économique, les emplois, la prospérité de ses habitants et les recettes fiscales qui apportent le développement.
On peut clairement soutenir que, loin d'être un obstacle à la croissance économique, le Programme de péréquation contribue à l'efficience économique du Canada ainsi qu'à l'équité qui règne. Services publics de qualité, population active, instruite et en santé, sécurité de famille, impôts réduits et investissements solides dans les infrastructures, ce sont là les fondements de la capacité concurrentielle canadienne. Le Programme de péréquation devrait permettre à toutes les provinces de fournir des services comparables à tous les habitants et à toutes les entreprises du pays et ce, à des taux d'imposition comparables. La péréquation permet de supprimer les désavantages concurrentiels provoqués par une capacité fiscale inégale dans les régions canadiennes. Les perspectives économiques du Canada sont meilleures quand toutes les régions du pays sont économiquement fortes.
[Traduction]
Les objectifs d'équité et d'efficience ne sont pas incompatibles. L'apport de la péréquation à ces objectifs est très bien compris par les premiers ministres des provinces et les ministres des finances de chaque province et territoire. Il y a un appui ferme et unanime au renforcement du programme. Toutes les rencontres des premiers ministres et des ministres des finances des deux dernières années ont donné lieu à une telle recommandation clé.
Je vais maintenant délaisser la contribution du programme et passer à des considérations de structure. Comme vous avez reçu un exposé technique sur le programme de la part du ministère des Finances, je ne vais donc toucher qu'à certaines questions de structure qui ont fait l'objet de débats à la fois dans les sphères gouvernementales et dans l'arène publique.
Je suis convaincu que vous êtes au courant des résultats du sondage qu'on a publiés aujourd'hui. Le sondage a été réalisé par le Centre de recherche et d'information sur le Canada et il indique que quatre Canadiens sur cinq appuient la péréquation. Il n'y a pas une seule région du Canada où les citoyens n'appuient pas ce programme; le sondage révèle que 80 p. 100 des répondants sont d'accord dans la plupart des régions, et 75 p. 100 en Alberta. J'ai été heureux de constater que 88 p. 100 de la population du Manitoba l'appuyait.
Que les Canadiens vivent dans des régions «nanties» ou «non nanties», ils appuient la notion de péréquation; ils appuient l'essence du programme. Ce sont des nouvelles encourageantes et je suis ici ce soir pour vous parler de certaines dimensions techniques du programme.
Le programme a un concept simple, mais des détails complexes. Nous ne devrions pas écouter ceux qui disent que le programme est trop complexe et que nous devrions nous en défaire; que nous devrions adopter une formule plus simple. L'essence de ce programme doit être conservée. Laissons nos dirigeants et nos fonctionnaires régler les détails. C'est à nous qu'il revient de nous assurer que l'essence du programme demeure solide. Nous avons des dirigeants compétents d'un bout à l'autre du pays qui peuvent régler les détails. Ce n'est pas l'essence du programme qui divise.
Je dirai quelques mots sur le régime fiscal représentatif, sur l'inclusion de tous les revenus et sur ce qu'il faut faire en ce qui concerne la norme, le plafond et le seuil. Il n'est pas nécessaire que nous abandonnions le système; on peut le mettre au point et l'améliorer. Certains commentateurs suggèrent que nous adoptions la macro-approche. À notre avis, elle nous éloignerait de l'esprit même du programme.
Le programme de péréquation est censé s'appuyer sur les capacités fiscales des provinces. Nous devons nous rappeler que c'est sur cette analyse des gouvernements provinciaux que nous nous concentrons, et non sur le revenu des particuliers ni sur le PIB au niveau provincial. C'est la capacité de chaque province de générer des recettes qui doit être représentée dans la formule.
Bien que les approches de rechange semblent simples, elles se compliqueraient et s'éloigneraient de la capacité de mesurer les capacités fiscales des provinces et viendraient compliquer davantage le problème.
Pour sa part, la macro-approche ne permettrait pas de mesurer de façon précise la capacité fiscale des provinces. Elle ne donnerait d'aussi bons résultats que le régime fiscal représentatif selon lequel il doit y avoir un engagement national envers la péréquation, tel que le stipule la Constitution. Les tentatives d'amélioration des macros-mesures ne feraient qu'ajouter à la complexité du programme. La macro-approche ne s'apparente pas aux pratiques d'imposition réelles, telles que le recours à un système d'impôt progressif, adoptées par tous les paliers de gouvernement.
Il n'existe aucune preuve que le régime fiscal représentatif, le RFR, engendre des contre-incitations dans les provinces. Il serait téméraire de décider de se défaire du système actuel et d'en faire un système apparemment plus simple, mais moins branché sur la réalité des provinces.
L'autre dimension importante est celle de l'inclusion de tous les revenus. Au moment où le système a été mis en place, on a soutenu que nous devrions adopter la norme aux deux provinces les plus riches. C'était l'idée à l'origine. Ensuite, on a soutenu que nous ne devrions pas inclure les recettes tirées des ressources, parce qu'elles étaient trop volatiles, de sorte que nous n'avons inclus que 50 p. 100 des recettes tirées des ressources. Ensuite, nous sommes passés à une norme à cinq provinces. Ces cinq provinces sont le Québec, la Saskatchewan, le Manitoba, la Colombie-Britannique et l'Ontario, évidemment; collectivement, elles comptent pour 50 p. 100 de la formule.
Il faut examiner ces paramètres dans la façon dont nous structurons le programme. Rien ne justifie que nous ne puissions pas revenir à une norme à dix provinces dans la formule. La norme à dix provinces diminuerait l'incidence des recettes tirées des ressources, parce qu'elles seraient réparties sur une plus grande assiette. La volatilité des recettes tirées des ressources ne serait pas un problème aussi important qu'à l'heure actuelle, par exemple, si vous incluez uniquement l'Alberta, ou excluez l'Alberta.
Une norme à dix provinces harmoniserait la capacité fiscale de chaque province et réduirait la volatilité des recettes tirées des ressources. Elle permettrait la création d'un régime plus représentatif de ce dont les provinces sont capables et la formule permettrait à toutes les provinces de se rapprocher de la moyenne canadienne.
Ce programme doit être abordable pour le gouvernement fédéral. Les provinces voudraient-elles que le gouvernement fédéral revienne à une situation déficitaire? Évidemment, il n'y a pas une seule province qui veuille faire des gains aux dépens d'un autre palier de gouvernement. Si c'est le cas, elles ne l'admettront pas publiquement à tout le moins. En réalité, la formule de la péréquation a un mécanisme de stabilisation automatique intégrée. Si les recettes fléchissent, la formule fléchit; si elles augmentent, la formule augmente aussi.
Je soutiens que le plafond artificiel imposé par le gouvernement fédéral depuis 1982 n'est pas nécessaire. Il n'est pas nécessaire maintenant que le gouvernement fédéral est parvenu à l'équilibre budgétaire et que ses recettes sont en bonne santé. Malgré le ralentissement de l'économie, et les graves problèmes de sécurité que nous devons régler, le plafond est un obstacle artificiel qui a permis à ce développement accru des régions de converger vers un niveau de vie national.
Ainsi, nous soutenons que l'équilibre entre l'équité et l'abordabilité peut maintenant être ramené, que le plafond peut être éliminé, et que le gouvernement fédéral peut assumer cette responsabilité, sans courir de risque quant à sa capacité d'équilibrer son budget. S'il y avait la moindre trace de ce risque, nous pourrions nous rencontrer, en tant que fédération, et régler ce problème de façon à ne pas pénaliser les provinces qui ont le plus grand besoin du transfert.
Le plafond est asymétrique par rapport au plancher. Le plafond est inflexible tandis que le plancher est flexible. Le plafond peut demeurer, mais le plancher est rajusté annuellement de façon à descendre pour tenir compte des changements dans la situation économique. Quant à nous, si vous avez un plafond et un plancher, ils devraient à tout le moins être équitables et symétriques. Ni l'un ni l'autre n'est vraiment nécessaire. Il existe de meilleurs instruments de stabilisation fiscale.
Dans l'exposé que nous avons présenté aujourd'hui, vous remarquerez que la péréquation, en pourcentage du PIB, a en réalité diminué. Elle est devenue un transfert moins nécessaire au pays. Par conséquent, elle représente un facteur de risque moindre pour le gouvernement fédéral pour qu'il appuie une norme à 10 provinces sans un plafond. Le gouvernement se rendrait alors compte qu'elle était abordable.
Au cours des deux dernières décennies, les paiements de péréquation ont eu tendance à abaisser les transferts, mesurés en fonction du PIB, ou des recettes provinciales, ou des dépenses. Toutes les provinces, lorsqu'elles ont rencontré le ministre fédéral des Finances il y a plusieurs semaines, ont recommandé l'élimination immédiate du plafond. Sa disparition apporterait une aide immédiate aux provinces. On saurait alors qu'il n'interviendrait pas dans les années subséquentes et que le gouvernement fédéral n'aurait aucune difficulté à gérer ses ressources.
En réalité, la péréquation est une forme de stabilisation fiscale pour les provinces. Dans les années 90, nous avions des instruments qui ont subi une érosion sur le plan de la stabilisation fiscale. Au Manitoba, nos dirigeants ont formulé des propositions que nous serions heureux de vous présenter à une autre date, si vous voulez en discuter.
Lorsqu'une économie se replie, il n'y a pas un seul gouvernement qui devrait stabiliser ses ressources aux dépens d'un autre palier de gouvernement. Si nous pouvons mettre au point de meilleurs instruments de stabilisation fiscale, alors nous pouvons éliminer de la péréquation le plafond et le plancher artificiels et la laisser faire son travail.
Un des autres problèmes en ce qui concerne le plafond et le plancher de la péréquation est que les paiements du taux plancher à certaines provinces, lorsque le plafond est en place, viennent des provinces bénéficiaires. Les six provinces qui reçoivent des transferts de péréquation doivent verser un paiement plancher à la septième province. C'est inéquitable. Les provinces récipiendaires du paiement plancher le reconnaissent. Nous devons avoir un programme qui n'a pas d'incitatifs injustes.
Nous soutenons que le plafond devrait être éliminé parce que cela ne présenterait aucun risque fiscal important pour le gouvernement fédéral. Nous devrions envisager le retour à la norme à 10 provinces, ce qui diminuerait une partie de la volatilité de l'inclusion des recettes globales comme les recettes tirées des ressources. Nous devrions envisager la suppression du taux plancher en conjonction avec l'adoption d'un programme adéquat de stabilisation fiscale, qui protégerait la fédération contre l'instabilité sur le plan fiscal pendant que nous nous occupons à relever les défis sur les plans de l'économie et de la sécurité.
Nous avons besoin de sécurité au Canada, mais la sécurité des particuliers comprend également la sécurité sociale et la santé. C'est là que les arrangements fiscaux sont essentiels à notre stabilité à mesure que nous progressons.
Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de témoigner devant vous.
Le sénateur Stratton: J'aimerais revoir la question du plafond et du plancher. Vous dites qu'il faut se défaire du plafond et du plancher. Pensez-vous que les deux sont fondamentalement mauvais?
M. Selinger: Les deux créent une distorsion dans l'objet du programme, et la stabilité fiscale pourrait être améliorée par l'utilisation d'instruments ne relevant pas de la péréquation. Ces instruments sont déjà en place, mais on les a mis de côté dans les années 90 pendant que le gouvernement s'occupait du déficit.
Le plafond a pour effet d'enlever des ressources aux provinces lorsque la situation est favorable. Le plancher a pour effet, en présence du plafond, d'enlever des ressources aux provinces lorsque la situation n'est pas favorable et qu'elles en ont besoin. Lorsque le plafond et le plancher sont en place, ils ont l'effet injuste de fournir un soutien aux provinces qui ont une augmentation au niveau des ressources une année et une diminution importante l'année suivante. Elles retirent davantage des instruments de stabilisation fiscale, ou de l'instrument plancher dans le cas de la Saskatchewan, mais elles le font aux dépens des autres provinces bénéficiaires.
Par conséquent, en incluant cet élément dans le programme, on crée de plus grandes inégalités dans le pays. On devrait permettre au programme de jouer son rôle sans ces contraintes artificielles. La stabilité financière peut être réalisée sans recourir à ces contraintes.
Le sénateur Stratton: Le ministre fédéral des Finances va présenter un budget sous peu qui renfermera sans aucun doute des contraintes. Vous le savez, j'en suis sûr, parce que le Manitoba fera la même chose.
Si le programme renferme inévitablement un plafond, et si les recettes font la culbute, ce qui semble être le cas, à quel niveau faudrait-il établir ce plafond? Avez-vous une opinion là-dessus?
En période de compressions budgétaires sévères estimez-vous qu'il faudrait imposer à nouveau un plafond? À quel niveau ce plafond devrait-il se situer?
M. Selinger: Quand l'économie ralentit, comme c'est le cas actuellement, le plafond n'a pas sa raison d'être, il est sans objet. Il est superflu en période de ralentissement économique. Il a une incidence nuisible quand l'économie est en pleine expansion.
Le sénateur Stratton: Le gouvernement décidera peut-être d'imposer un plafond étant donné les compressions budgétaires qui s'imposent, à un taux moindre où il aura un effet. C'est ce à quoi on s'attend. Vous avez examiné la question. Vous attendez-vous à ce que cela se passe?
M. Selinger: Dans l'année budgétaire 1999-2000, juste avant les élections fédérales, les provinces à la suite de négociations avec le Premier ministre avaient supprimé le plafond pendant un an. Cela représentait environ 100 millions de plus pour une province comme le Manitoba, mais le gouvernement fédéral a réimposé le plafond l'année suivante. Cela va nous coûter entre 20 et 100 millions de dollars. Le montant était fondé sur les recettes pendant une période de prospérité.
Le sénateur Stratton: Je comprends ce que vous dites.
M. Selinger: Ce n'est vraiment pas nécessaire. Si on abaisse artificiellement le plafond pendant les années maigres pour récupérer des ressources, l'issue sera encore plus nuisible. Cette façon d'agir créera des inégalités pendant une époque difficile.
Le sénateur Stratton: Je vous remercie de votre réponse parce que je dois comprendre parfaitement la question. Le plafond n'a aucune influence mais il pourrait en avoir une si on l'établissait assez bas.
M. Selinger: On ne s'attend pas à ce qu'il ait une influence au niveau actuel, mais on l'a abaissé tous les cinq ans depuis 1982.
Le sénateur Stratton: C'est ce que je crains.
M. Selinger: Vous avez raison. Si on l'abaisse encore, cela va créer encore plus de disparités régionales.
Le sénateur Stratton: Vous dites que si l'on utilisait la norme à 10 provinces, les provinces récipiendaires obtiendraient un montant annuel supplémentaire de 1,6 milliard de dollars. Si l'on adopte à nouveau la norme à 10 provinces, ce serait là le montant en gros, à l'exclusion de l'inflation qui pourrait frapper les provinces.
D'où va venir cet argent? Va-t-il provenir des provinces nanties, comme l'Ontario et l'Alberta?
M. Selinger: Nous savons tous que la péréquation n'est pas un transfert direct d'une province à une autre. L'argent provient de la richesse créée dans le pays. Elle est transférée aux provinces qui n'atteignent pas la norme canadienne relativement à leur capacité de produire des recettes.
Cette richesse provient des Canadiens, des entreprises, des sociétés et des producteurs de richesse du Canada. Elle les distribue à d'autres régions du pays pour leur permettre de rester concurrentielles.
L'analogie que je cite souvent c'est que l'on a un repêchage lorsqu'on a une ligue. Chaque année, certaines équipes peuvent choisir en premier. Si elles ont été moins fortes que les équipes concurrentes l'année dernière elles choisissent en premier les meilleurs joueurs. Le résultat net du repêchage c'est que toutes les équipes sont plus concurrentielles et que la ligue est plus forte.
Voilà le rôle que joue la péréquation dans notre pays. Elle permet à la fédération d'être plus forte et toutes les provinces sont plus concurrentielles. C'est avantageux pour les provinces riches comme pour celles qui obtiennent le transfert. Les provinces fortes ne se la coulent pas douce étant donné le genre de concurrence de leurs voisins. Elles restent plus concurrentielles et plus productives. Tous nos citoyens, vu les mesures de protection concernant la mobilité qui existent dans notre pays, ont le choix du lieu où ils veulent travailler et vivre.
Le sénateur Stratton: Ce qui m'inquiète, c'est que si nous augmentons l'importance des montants de péréquation grâce à la norme à 10 provinces, est-ce que les provinces riches c'est-à-dire celles qui contribuent des fonds, et le gouvernement fédéral ne devraient pas avoir leur mot à dire sur la façon dont ces sommes sont dépensées? Il faut imposer des limites parce qu'une province pourrait supprimer ses taxes pour relancer son économie, et une autre province pourrait accroître ses programmes sociaux pour faire la même chose. Comment peut-on contrôler cette augmentation des montants que vous souhaitez?
M. Selinger: Vous avez soulevé un point important. Premièrement, le gouvernement fédéral vient déjà en aide aux gouvernements subnationaux mais il le fait à un degré moindre que toutes les autres fédérations du monde. Lorsqu'on le compare à d'autres gouvernements, le nôtre n'est pas aussi généreux en ce qui concerne l'aide accordée à ses gouvernements subnationaux pour la prestation des programmes universels.
Comment s'assurer que l'argent ira où le besoin s'en fait sentir? Nous sommes un pays qui favorise la diversité. Certains ministres des finances réduisent les impôts pour parer à un ralentissement économique. Certains investissent dans des projets d'expansion, comme la construction d'une centrale hydroélectrique ou d'autres projets d'infrastructure. D'autres ministres des finances décident de protéger les programmes sociaux. La plupart des provinces font un peu des deux.
C'est une question de degré. Il n'y a pas de règles absolues. Les écarts ne sont pas aussi grands qu'on pourrait l'imaginer. Toutes les provinces luttent pour rester concurrentielles sur le plan des impôts. Elles se débattent pour garder leurs infirmières et spécialistes de la santé. Il faut qu'il existe un certain degré de coopération, alors que nous continuons à travailler et à nous faire concurrence, afin de procurer des services de la meilleure qualité à nos citoyens.
C'est une question d'équilibre, il n'y a pas de règles absolues. J'ignore si le gouvernement fédéral pourrait en réalité imposer des normes relativement à des programmes précis mais il a la responsabilité, grâce à des mesures comme la Loi canadienne sur la santé, de veiller à ce que chaque citoyen ait accès aux services essentiels notamment les soins de santé, qui est un programme global accessible, abordable et administré par l'État. Le gouvernement dispose d'instruments pour le faire.
Chaque province doit alors décider de la façon dont elle désire réaliser ces objectifs tout en répondant aux exigences législatives afin d'avoir droit au transfert de fonds aux termes du TCSPS.
En matière de péréquation, chaque province offre ses services de façon différente, et chacune a un régime fiscal légèrement différent. Cependant, si l'on prend un léger recul, on constate que ces services ne sont pas tellement différents. Les différences sont plutôt minimes.
Le sénateur Stratton: Je reprendrai la parole s'il y a un deuxième tour.
Le président: Monsieur le ministre, vous utilisez le chiffre de 12 p. 100 pour les transferts fédéraux aux gouvernements provinciaux et locaux et vous dites que c'est le montant le plus bas accordé par toutes les grandes fédérations du monde. Parlez-vous des montants en espèces?
M. Selinger: Oui.
Le président: J'ai été dans les deux camps, et je sais que les provinces parlent toujours seulement du montant en espèces. Si le gouvernement fédéral mentionnait cette statistique, il inclurait à la fois les montants en espèces et les points fiscaux. Je sais ce qui se passe avec les points fiscaux. Quand on les obtient, on doit imposer les taxes et les percevoir de la population. Pour mémoire, le montant de 12 p. 100 ne concerne que les montants en espèces.
M. Selinger: Oui, et je me réjouis que vous l'ayez préciser. J'ai entendu des fonctionnaires fédéraux dire que nous devrions compter aussi les points fiscaux. Il s'agit de savoir où remonte l'argument historique. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les provinces ont donné tous leurs points fiscaux...
Le président: Vous en plaignez-vous encore? Hier, le ministre des Finances de la Nouvelle-Écosse nous a dit presque exactement la même chose.
M. Selinger: Ce que je veux dire c'est que l'on ne peut pas tracer une ligne artificielle et déclarer «nous vous avons donné nos points fiscaux». Les provinces ont donné au gouvernement fédéral leurs points fiscaux pour permettre au pays d'assumer les frais de la Seconde Guerre mondiale et, sous la direction de gens tels que C.D. Howe, d'industrialiser le pays. La Seconde Guerre mondiale nous a donné l'occasion de moderniser et d'industrialiser le pays ce qui s'est fait grâce aux points fiscaux provinciaux. Le gouvernement fédéral ne devrait pas dire qu'ils nous ont fait une faveur en nous rendant les points fiscaux.
Les provinces ne demandent pas que leur soient créditées toutes les dépenses fédérales en matière de défense, d'infrastructures, de recherches en santé et de tout ce qu'elles font. Il ne convient pas vraiment que le gouvernement fédéral demande des crédits à l'endroit de points d'impôt. C'est purement spéculatif. Nous avons déjà partagé des points d'impôt. La vraie question, c'est de savoir comment nous partageons l'argent pour appuyer ces programmes.
Le président: Monsieur le ministre, je vous dirais seulement ce que nous a dit M. Martin au sujet du plafond et du plancher lorsqu'il a témoigné devant nous le 7 juin au sujet de son projet de loi.
Il importe de signaler que le plafonnement n'empêche nullement la croissance du programme de péréquation. Il ne fait que la restreindre dans le cas inhabituel où elle pourrait dépasser la croissance de l'économie. Autrement dit, le plafond monte chaque année.Vous êtes un ministre des Finances et à ce titre, je suis convaincu que vous ne voulez pas ou n'aimez pas les situations imprévisibles. M. Martin croit qu'un plafond ou un plafonnement est nécessaire pour que son ministère puisse prévoir ce qu'il devra débourser d'une année à l'autre.
En votre qualité de ministre des Finances du Manitoba, avez-vous des ententes avec vos municipalités, vos conseils scolaires, vos conseils d'administration d'hôpitaux et tout le reste, pour lesquels il existe une formule, mais vous n'avez vraiment aucune idée de ce qu'il vous en coûtera d'une année à l'autre et vous n'avez qu'à deviner?
M. Selinger: Pour répondre à votre question, c'est oui, nous avons des générateurs de coûts dans les budgets provinciaux, et nous ne pouvons pas prévoir quel niveau ils atteindront chaque année. Ce phénomène survient principalement dans le secteur des soins de santé. La rémunération des services se fait à l'acte. L'assurance-médicaments dépasse habituellement le budget de 20 à 30 p. 100 chaque année partout au pays. La rémunération des services dépasse son budget partout au pays. Ce sont les générateurs de coûts qui sont très dispendieux.
Tous les ministres des Finances se font énormément de cheveux gris à essayer de prévoir comment ils parviendront à équilibrer leur budget alors qu'ils ne connaissent pas les coûts de certains de ces programmes pour le quatrième trimestre.
Je sympathise avec le ministre fédéral. Il a besoin d'une certaine prévisibilité. Il doit pouvoir planifier un budget. C'est pour cela d'ailleurs que j'essayais de souligner ce point plus tôt au sujet de notre capacité de prévisions économiques, nous pouvons dire ce que sera le transfert au titre des paiements de péréquation parce qu'il a trait à notre assiette fiscale représentative. Si notre assiette fiscale augmente, le transfert augmente. Si elle diminue ou demeure stable, le transfert diminue en raison de la disposition concernant les rajustements pour l'année précédente. Dans une certaine mesure, il y a prévisibilité. Le plafond artificiel apporte plus de certitude au gouvernement fédéral, mais aux dépens de la raison d'être du programme.
Est-ce que je veux un chèque en blanc au sujet de la péréquation? Non. Nous voulons qu'elle soit proportionnelle à la capacité de l'économie de la soutenir lorsqu'elle augmente et lorsqu'elle descend. Nous demandons qu'il y ait symétrie aux deux extrémités, et non pas un plafonnement inflexible et un plancher flexible, ce qui veut dire qu'il y a prélèvement lorsque l'économie va bien et qu'on nous refile les conséquences négatives lorsqu'elle va moins bien. Cela semble tout à fait injuste et, en soi, non canadien.
Le sénateur Furey: Vous avez parlé du TCSPS. Je n'aime pas ce programme qui nous fait recourir à un programme de répartition stricte par habitant dans le cadre duquel le riche continue de s'enrichir et le pauvre, de s'appauvrir. Cette répartition devrait-elle comporter une composante besoins? Ne devrions-nous pas remettre cela en place?
M. Selinger: Le fait d'avoir un consensus à tous les niveaux explique en partie la capacité pour notre pays de fonctionner. Les provinces ont accepté, malgré elles dans certains cas, d'appuyer le passage à la répartition par habitant dans le cas du TCSPS à la seule condition qu'il y ait renforcement du programme de péréquation en compensation. Il y a donc eu passage à la répartition par habitant du TCSPS, mais aucune véritable amélioration de la péréquation.
C'est pour cela que les provinces, en particulier celles de l'Atlantique, ont un énorme ressentiment. Elles estiment ne recevoir que la moitié de la commande, et la moitié la moins intéressante en raison du plafond inflexible de la péréquation et du refus d'inclure toutes les recettes assujetties à la péréquation et peut-être même une norme plus générale, visant un plus grand nombre de provinces. Elles estiment que nous avons fait notre bout de chemin pour tenir compte des préoccupations des provinces plus puissantes pour obtenir des transferts égaux au titre du TCSPS, mais on n'a pas fait le même effort pour améliorer la formule de péréquation.
Toutes les provinces appuient l'élimination du plafond de la péréquation, même celles qui n'en retirent aucun avantage direct. Elles comprennent le lien qui existe entre les changements apportés au TCSPS et la nécessité d'améliorer la péréquation.
Le premier ministre de l'Ontario a fait beaucoup de chemin à cet égard. Il a essayé de créer un solide lien entre les deux programmes, pour reconnaître qu'un programme a été amélioré, pas à son entière satisfaction de toute évidence, mais que l'autre doit aussi être amélioré. Toutes les provinces réclament à l'unisson que l'on renforce de nouveau le TCSPS.
Idéalement, tous les programmes comporteraient un volet de péréquation, et lorsqu'on les a conçus à l'origine, ils en avaient un. Si nous apportons des réformes, nous devrions le faire de façon équilibrée, et non pas creuser davantage le fossé aux dépens de ceux qui ont de la difficulté à fournir les mêmes services et à exiger les mêmes impôts.
Le sénateur Bolduc: Vous parliez de notre régime de soins de santé. Pensez-vous vraiment qu'il ne puisse pas survivre aux 25 prochaines années sur le plan des finances publiques?
M. Selinger: Dans le cadre des arrangements financiers actuels, non. Toutes les provinces donnent des indications qu'elles ont de la difficulté à maintenir leur régime de soins de santé.
Le sénateur Bolduc: Je parle du régime dans son ensemble, y compris le gouvernement fédéral. Nous consacrons 100 milliards de dollars, soit 10 p. 100 du produit intérieur brut du Canada, aux soins de santé. Dans 20 ou 25 ans, alors que nous aurons deux personnes à la retraite pour une qui travaille, pensez-vous qu'il sera viable?
M. Selinger: Dans le cadre des arrangements financiers actuels, probablement pas dans sa forme présente. Les provinces recherchent des solutions qui ne privent pas les gens du service, mais c'est une source de tension énorme. Dans 25 ans d'ici, alors que nous aurons une plus grande proportion encore de personnes âgées et que la demande pour ces services sera encore plus grande dans les deux dernières années de la vie de ces gens, qui sont celles qui mettent le plus de pression sur le système, il se pourrait qu'il ne soit pas viable, à moins que nous apportions des réformes importantes.
Le sénateur Bolduc: Que devraient-elles être? C'est incroyable que dans un pays comme le nôtre nous ne puissions pas discuter du fondement réel du régime.
M. Selinger: Je ne pense pas que ce soit le cas. Je pense que toutes les provinces en parlent, pas seulement à titre individuel, mais les unes avec les autres et avec le gouvernement fédéral. Les idées pour réformer le système sont nombreuses, qu'il s'agisse de notre façon au Canada d'autoriser la mise en marché et les brevets des médicaments, point qui donnerait lieu à une très longue discussion si nous l'abordions ici; de notre façon de prodiguer des soins primaires; de la façon de nous y prendre pour garder les gens en santé, ce qui est relié à l'éducation.
Cette discussion peut prendre bien des directions, mais il est évident en ce moment que les provinces récipiendaires, en particulier celles de l'Atlantique, et le Manitoba, ont dit que la péréquation est l'argent qu'elles utilisent pour prodiguer des soins de santé à leurs citoyens.
Si vous faites le total des sommes reçues par les provinces au titre du TCSPS et de la péréquation, c'est moins que ce qu'elles ont consacré aux programmes de soins de santé. C'est loin de rejoindre leurs responsabilités. Une restriction artificielle à la péréquation fait du tort à la capacité d'une province de fournir des soins de santé.
J'ai entendu la ministre des Finances de l'Île-du-Prince-Édouard soulever ce point avec beaucoup de vigueur dans des exposés. Elle a déjà témoigné devant vous et soulevé ce point.
Le président: Vous préférez le système à payeur unique, que vous considérez supérieur à ce qui se fait aux États-Unis. S'agissant de soins de santé, préférez-vous le système de financement global au vieux système de partage des coûts?
M. Selinger: Je pense que toutes les provinces préfèrent le système du partage des coûts parce qu'il répartit les risques. À l'heure actuelle, le système de financement global fait supporter la totalité de l'augmentation des coûts des services de santé, d'éducation et sociaux par les provinces. Comme vous le savez, dans le budget de 1995-1996, le TCSPS a fusionné tous ces programmes et les a réduits de 39 p. 100.
C'est la première récession, si c'est ce qui nous arrive, ou le premier ralentissement économique pour lequel nous avons accepté que la totalité des coûts sociaux du ralentissement économique incombe aux provinces. Il n'y a plus de régime d'assistance publique du Canada. Il n'y a plus de programmes de paiements de transfert à frais partagés pour venir en aide à l'éducation du niveau postsecondaire. Le fardeau du risque appartient maintenant aux provinces une fois que les particuliers ont épuisé les prestations d'assurance-emploi auxquelles ils ont droit. Les provinces sont donc à risque.
Le président: La seule conditionnalité sérieuse touchant l'aspect financier des soins de santé vient de la Loi canadienne sur la santé. Que vous consacriez l'argent à l'enseignement postsecondaire ou à l'aide sociale relève vraiment de la province dans le cas du financement global, avec toute la souplesse que M. Trudeau a voulu lorsqu'il a mis en place le financement global.
M. Selinger: Me demandez-vous directement si nous accepterions des conditions advenant un retour au financement à frais partagés?
Le président: Oui.
M. Selinger: Ma réponse est oui, nous en serions heureux. Nous n'avons jamais été à l'aise avec les conditions imposées par la Loi canadienne sur la santé, ou avec les conditions du Régime d'assistance publique du Canada ou avec les exigences de financer l'enseignement postsecondaire, principalement parce que ces priorités reflètent celles de nos citoyens.
Le président: Dans la situation actuelle, s'agissant du financement global, certaines provinces disent que la seule façon pour elles de composer, c'est d'être dégagées des conditions imposées par la Loi canadienne sur la santé. Qu'en pensez-vous?
M. Selinger: La Loi canadienne sur la santé reçoit tout notre appui parce que nous pensons qu'elle a fourni aux Canadiens et aux Canadiennes un bon service, ainsi qu'une accessibilité et une protection complètes. C'est là toute la différence entre le système de soins de santé au Canada et celui que l'on retrouve aux États-Unis. Là-bas, ils consacrent environ 14 p. 100 de leur PIB aux dépenses de santé. Nous en sommes à environ 10 p. 100. Il s'agit d'un écart important, mais nous avons l'accès universel et pas eux. Cela fait une énorme différence sur le plan de l'égalité de traitement que reçoivent les citoyens aux États-Unis par rapport au Canada.
Tous reconnaissent que notre système est supérieur. La partie de notre PIB que nous consacrons aux soins de santé est supérieure à ce qui se fait dans plusieurs pays d'Europe. Plusieurs raisons expliquent d'ailleurs cela. Notre pays est plus vaste et nous avons une population plus diversifiée dans des endroits éloignés où il est plus difficile de réaliser des économies d'échelle dans la prestation des services. Prenez un pays comme l'Angleterre; il y a environ 60 millions de personnes sur une superficie moindre que celle du Manitoba et ce pays consacre une partie importante de son PIB aux soins de santé.
Nous avons des défis uniques à relever en ce qui concerne notre régime de soins de santé, mais on s'entend partout dans le monde pour dire que c'est un des meilleurs systèmes et la plupart des pays le regardent avec envie.
Le sénateur Stratton: Il y en a beaucoup parmi nous que cela dérange de ne pas pouvoir soutenir ce système dans son état actuel. Ne pourrions-nous pas tenter des expériences?
M. Selinger: Certainement.
Le sénateur Stratton: Dans le secteur privé, si un travailleur se blesse ou est malade, une assurance entre en vigueur. C'est l'indemnisation des accidents du travail.
Ma fille travaille en Alberta pour une société qui est prête à payer pour que ses travailleurs blessés soient traités dans des cliniques privées afin qu'ils puissent revenir au travail de 6 à 8 semaines plus tôt. Ne pouvons-nous pas au moins tenter des expériences avec cette possibilité du secteur privé pour permettre aux gens de revenir au travail plus rapidement? Pourquoi ne seriez-vous pas prêts à essayer cela?
M. Selinger: Devrions-nous tenter des expériences pour améliorer les soins de santé? Ma réponse en général serait oui. Nous devrions examiner avec soin les preuves pour voir l'incidence non seulement sur les travailleurs directement touchés, comme dans votre exemple, mais aussi l'incidence sur le système général.
Le printemps dernier, nous avons tenté une expérience au Manitoba. Nous avons acheté une clinique privée et nous l'avons installée dans l'Office régional de la santé de Winnipeg, qui est un organisme public, et nous avons doublé le nombre de chirurgies. Cela a permis d'enlever une partie de la pression sur les hôpitaux et d'économiser de l'argent parce que la structure des coûts de l'hôpital faisait que le coût du service unitaire était plus dispendieux.
L'Alberta a fait plusieurs expériences. Nous devrions examiner les résultats directs, l'efficacité et les économies en temps de travail, puis examiner le résultat à l'endroit du système général. Un tel débat fondé sur des preuves, par opposition à un débat fondé sur l'idéologie, nous renseignera mieux.
Le sénateur Stratton: Je ne veux pas d'un débat sur l'idéologie, mais cet exemple que je donne de l'Alberta, du travailleur blessé couvert par ses assurances, vaut sûrement que l'on y jette un coup d'oeil.
Le sénateur Banks: Dans le cas des soins de santé, la question n'est pas de savoir qui fournit les services. Les soins de santé sont fournis de façon privée partout. Chaque cabinet de médecin est une entreprise privée. Les cliniques au coin des rues, les cliniques sans rendez-vous, les laboratoires, à l'exception de ceux que l'on retrouve dans les hôpitaux, sont tous des entreprises privées. La question n'est pas de savoir qui est propriétaire du service et qui le fournit. La question est de savoir qui paie pour le service. C'est la seule question qu'il y ait.
Soit dit en passant, nous pouvons économiser des centaines de millions de dollars chaque année au Canada simplement si le système de santé apprend à communiquer avec tous ses membres. Nous pourrions devoir faire des subventions énormes pour cela. Je n'exagère pas. Il y a des centaines de millions de dollars qui se perdent actuellement à cause de chevauchements dans les services ou de services fournis deux fois.
Le modèle donné dans votre exemple selon lequel le Canada transfère un pourcentage plus faible de ses recettes aux paliers infranationaux n'est pas tout à fait juste parce que les systèmes sont complètement différents. Un certain nombre de ces pays sont pratiquement unitaires et les partages d'impôts entre eux sont totalement différents.
Pour ce qui est du partage de l'impôt, j'ai constaté que dans l'ensemble les recettes fiscales des provinces au Canada sont supérieures aux recettes fiscales fédérales. Par conséquent, il ne me semble pas inapproprié qu'un pourcentage plus élevé des services publics soit assumé par les provinces.
M. Selinger: Vous avez raison. Il n'y a pas de comparabilité stricte entre les fédérations pour ce qui est des rôles respectifs du gouvernement fédéral et des gouvernements infranationaux. Dans la plupart des fédérations, le gouvernement national joue un rôle plus important.
Le sénateur Banks: Un rôle plus important que celui que joue le Canada?
M. Selinger: Oui. Cependant, si nous voulons garder notre pays ensemble, il y a un rôle important que doit jouer le gouvernement national. C'est vraiment tout ce que j'essaie de mettre en valeur; une valeur financière doit être rattachée à ce rôle. Celui qui paie décide. Il y a une certaine vérité dans cela. C'est une responsabilité partagée.
Les recettes globales recueillies par les provinces ont commencé à dépasser les recettes globales recueillies par le gouvernement fédéral, mais la portion des services directs offerts aux Canadiens par les administrations provinciales représente plus que leurs recettes. Les soins de santé, l'éducation et les services aux enfants et aux familles comptent pour près de 75 p. 100 de la plupart des budgets des provinces, sinon davantage. Les soins de santé sont habituellement de l'ordre de 40 à 45 p. 100. L'éducation varie quant à elle entre 20 et 23 p. 100, et les services aux familles et aux enfants sont de l'ordre de 10 à 12 p. 100.
Les trois quarts de toutes les sommes dépensées par un gouvernement provincial vont aux services directs à la population. Leurs recettes, même si dans l'ensemble elles sont supérieures à celles du gouvernement fédéral, sont dans pratiquement tous les cas au Canada insuffisantes pour permettre de relever le défi.
Le sénateur Banks: D'où la péréquation.
M. Selinger: Tout à fait. C'est la raison pour laquelle je suis ici ce soir. Comment pouvons-nous rendre cet instrument plus efficace? Nous sommes chanceux. L'instrument est déjà là. Nous l'avons conçu et nous l'avons implanté en 1957. Il y a encore des pays qui viennent ici pour apprendre ce qu'il faut faire pour le mettre en place. Ce soir, nous examinons la façon de l'améliorer.
La convergence économique au Canada se fait à l'avantage de tout le pays. La fédération est plus forte étant donné que chaque membre qui la constitue peut livrer une meilleure concurrence et fournir des services à ses citoyens. C'est l'instrument qui fait que cela peut se produire. S'il s'agit d'un bon instrument, nous sommes encore plus forts comme pays.
Le sénateur Banks: Nous sommes d'accord.
Le sénateur Tunney: Si vous pouviez apporter des changements au programme dont nous parlons, que feriez-vous? Je crois vous avoir entendu dire que vous prendriez le programme à dix provinces. Vous n'avez pas parlé des ressources non renouvelables. Le Manitoba a-t-il beaucoup de ressources non renouvelables?
M. Selinger: Oui, nous avons une importante industrie minière dans le nord de la province. Elle a de la difficulté en ce moment en raison du prix mondial des produits de base, mais elle constitue un facteur très important dans cette région, et très important pour l'ensemble de l'économie de la province. Elle procure des emplois à fort apport économique, ainsi que des produits à fort apport économique.
Nous avons un secteur des ressources non renouvelables. Cependant, la Compagnie minière et métallurgique de la Baie d'Hudson va mettre fin en permanence à ses activités à Leaf Rapids au printemps prochain parce que les prix du zinc et du cuivre ont atteint des niveaux minimums records. Il y a des problèmes en ce moment et nous devons fournir un soutien à cette collectivité pour lui permettre de se diversifier et de survivre. Notre population là-bas est compétente et l'investissement dans l'infrastructure est énorme. Si la compagnie minière met fin à ses activités au printemps, c'est un grand nombre d'emplois qui pourraient disparaître dans cette collectivité. Nous allons travailler très étroitement avec l'entreprise pour trouver une solution de rechange et lui permettre de survivre.
Oui, les ressources non renouvelables sont importantes pour nous et nous croyons qu'elles devraient faire partie de la formule parce qu'elles représentent une source importante de création de la richesse pour notre province.
Le sénateur Tunney: Je viens de l'Ontario et notre gouvernement provincial a réduit les impôts de façon radicale, bien qu'il ne s'agisse pas d'un gouvernement radical. Plus il réduit les impôts, plus il présente des demandes très rigoureuses au gouvernement fédéral pour obtenir davantage de fonds.
Hier soir, le ministre fédéral des Finances s'en est pris à M. Harris et au ministre des Finances, M. Flaherty. Il devient exaspérant que des gouvernements commencent à présenter des exigences que les gens ne comprennent pas.
Lorsque le gouvernement fédéral donne suite à ces demandes, est-ce que cela n'a pas l'effet de diminuer l'efficacité des paiements de transfert?
M. Selinger: Voulez-vous dire lorsque le gouvernement donne suite en donnant plus d'argent?
Le sénateur Tunney: Oui. La province réduit ses impôts et s'en vante. Ensuite, elle présente des exigences considérables sur le trésor fédéral; le gouvernement fédéral commence par refuser, puis se laisse fléchir.
M. Selinger: Vous venez de soulever un élément important de notre fédération qui n'est peut-être pas toujours le plus fonctionnel. Il y a plein de manoeuvres. Les paliers de gouvernement aiment toujours régler leurs problèmes financiers en obtenant l'accès aux ressources du palier de gouvernement supérieur. Les villes aiment avoir accès aux recettes des provinces; les provinces aiment avoir accès aux recettes du fédéral. Soyons francs et reconnaissons qu'il s'agit d'une dynamique de la fédération.
Cependant, c'est une lame à deux tranchants. Si une province ou un palier de gouvernement réduit de façon importante ses impôts, il met de la pression sur les autres provinces pour qu'elles fassent de même. Nous traversons ce que j'appelle une période de «fédéralisme concurrentiel», et il y a des éléments dysfonctionnels dans cette forme de fédéralisme. Nous pouvons tous nous précipiter pour réduire les impôts au minimum et réduire les services que nous fournissons au minimum, ou nous pouvons décider d'un niveau raisonnable d'imposition et d'un niveau raisonnable de prestation des services que nous pouvons tous nous permettre d'un bout à l'autre du pays et qui fera que nous demeurerons un pays prospère dans une économie mondiale.
C'est toujours une question de bien doser la coopération entre les sous-unités d'une fédération et le gouvernement fédéral. Ensuite, le gouvernement et le pays doivent se positionner pour être prospères dans l'économie mondiale. Certains prétendraient que la période de mondialisation que nous traversons en ce moment met trop l'accent sur la compétitivité mais n'insiste pas suffisamment pour permettre que toutes les parties du monde aient aussi la chance de prospérer. C'est une question de dosage.
Je viens d'un gouvernement néo-démocrate; un gouvernement social-démocrate. Nous avons tendance à mettre l'accent sur la collaboration et le partage, mais nous reconnaissons que dans la réalité, nous devons également rester concurrentiels. Cela ne fait aucun doute.
Il y a des choses que toutes les provinces doivent fournir à leurs citoyens en ce qui concerne les impôts et les services, quelle que soit leur orientation politique. Lorsque je suis avec les ministres des Finances des autres gouvernements du pays, nous avons beaucoup plus de points en commun que de différences.
Nous nous entendons extrêmement bien. Nous avons des problèmes et des défis semblables. Nous adoptons des approches différentes pour relever ces défis, mais les principes de base sont les mêmes. Nous voulons fournir les meilleurs services qui soient à notre population. Nous voulons que nos économies prospèrent et se solidifient, et nous voulons le faire au moyen d'une imposition juste et abordable.
Le sénateur Tunney: J'aimerais connaître l'importance de votre excédent ou de votre déficit l'année dernière? Que prévoyez-vous pour le prochain exercice au niveau des recettes et des dépenses?
M. Selinger: L'année dernière, nous avons eu un excédent de 42 millions de dollars que nous avons mis dans une réserve pour les temps difficiles. Nous avons connu une bonne année. Nous équilibrons le budget depuis 1996, grâce à l'utilisation d'un fonds de réserve qui nous permet de l'équilibrer lorsque les recettes et les dépenses ne s'harmonisent pas.
Cette année, l'économie a connu un ralentissement. Toutefois, le ralentissement n'est pas aussi rapide au Manitoba que dans d'autres provinces en raison de la diversité de notre économie. Notre classement par rapport aux autres provinces s'améliore, même si notre économie ralentit quelque peu.
Nous avons prévu prélever 60 millions à notre fonds de stabilisation des recettes. Nous verrons à la fin de l'année si nous devrons en prélever davantage ou moins.
L'économie du Manitoba se porte relativement bien, mais nous sommes déterminés à équilibrer nos budgets, et à fournir les principaux services. Nous ne demandons pas que les autres agissent différemment.
Le président: Quelle est votre dette par rapport au PIB?
M. Selinger: En ce qui concerne notre dette générale, notre PIB vient au troisième rang du pays parmi les plus bas, soit environ 6,7 cents par dollar.
Le président: Comment l'avez vous qualifié? Avez-vous mentionné votre niveau général?
M. Selinger: Je fais référence à notre dette générale. L'argent que nous consacrons dans notre budget chaque année au service de la dette, c'est environ 7 cents par dollar. Notre niveau d'endettement nous met au troisième rang parmi les plus bas au pays par habitant.
Le sénateur Banks: Je remarque avec intérêt que Lorne Elliot en parlait l'autre jour. Il a constaté que la nouvelle industrie au Manitoba, c'est celle de la marijuana. Il a pris la peine de mentionner qu'elle est établie à Flin Flon, au Manitoba, où la terre arabe se compose d'un demi-pouce d'aiguilles de pin qui recouvrent le bouclier précambrien. On fait cette culture dans un puits de mine. Il a dit que dès qu'il en a entendu parler, il a su que le gouvernement fédéral était derrière tout cela.
Le sénateur Bolduc: Au Canada, nous avons un régime d'épargne-retraite. Nous avons l'assurance-emploi. Que diriez-vous de la possibilité d'avoir quelque chose comme un régime d'épargne-santé. Nous commencerions à cotiser à l'âge de 25 ans, et à 70 ans, nous disposerions d'un fonds que nous pourrions consacrer aux soins de santé. Pensez-vous que ce serait une bonne chose?
M. Selinger: La notion d'un régime d'épargne pour les soins de santé ne ferait que permettre aux gens de pouvoir compter sur des épargnes ou des ressources additionnelles. Ça ne réglerait pas la question de l'accessibilité au service.
Si vous examinez l'expérience que nous avons des régimes enregistrés d'épargne, les familles à faible revenu n'ont habituellement l'argent nécessaire pour y cotiser. C'est vraiment un bon instrument pour les familles à revenu moyen et à revenu élevé, mais ça ne règle en rien le problème d'équité. Cela pourrait faire partie d'un dosage, mais il faudrait qu'il ait aussi la capacité de fournir des services universels à ceux qui n'ont pas pu faire d'économies, en particulier pendant les années de procréation.
Il y a d'ailleurs un problème à cet égard. Lorsque nous avons conçu nos programmes sociaux après la Deuxième Guerre mondiale, l'universalité était au coeur de ces programmes.
Le sénateur Bolduc: C'était l'approche du parti travailliste de Grande-Bretagne. Les temps ont changé.
M. Selinger: Effectivement, les temps ont changé. L'universalité demeure fondamentale aux soins de santé ici, au Canada. Si nous délaissons la notion d'accès universel aux services de santé au profit de comptes d'épargne personnels, nous allons nous rapprocher du modèle américain qui permettra à ceux qui ont les moyens d'obtenir d'excellents services, et les autres qui n'ont pas ces moyens, recevront des services médiocres.
Le sénateur Bolduc: Êtes-vous en train de me dire que les gens ne peuvent pas économiser quelques dollars par semaine pour s'occuper de leur santé dans leurs vieux jours?
M. Selinger: Nous avons un régime de pensions du Canada dans lequel nous économisons de l'argent en vue de nos vieux jours. Ce pourrait être un complément utile pour certaines personnes qui veulent des programmes de soins de santé élargis, mais s'en servir pour les substituer aux programmes de soins de santé universels constituerait une grave érosion de la citoyenneté au Canada.
Le sénateur Bolduc: Je ne peux m'empêcher de dire qu'il est faux de prétendre que la plupart ne peuvent pas prendre soin d'eux-mêmes. Il y a peut-être 8 ou 10 p. 100 des gens qui ne peuvent prendre soin d'eux-mêmes, mais 90 p. 100 des gens le peuvent.
M. Selinger: Dans le débat entourant la péréquation et les soins de santé universels, la question est de savoir comment nous prenons soin les uns des autres. C'est le principe fondamental qui se rattache à la notion de collectivité, et la collectivité est la pierre angulaire du Canada.
Le président: Merci beaucoup, monsieur le ministre.
La séance est levée.