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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches

Fascicule 16 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 26 mars 2002

Le Comité sénatorial permanent des pêches se réunit aujourd'hui à 19 h 25 pour faire l'étude des questions relatives à l'industrie des pêches.

Le sénateur Gerald J. Comeau (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Nos témoins représentent Canards illimités Canada.

Fondée en 1938, Canards illimités Canada est une entreprise privée sans but lucratif vouée à la conservation des zones marécageuses pour le bénéfice de la sauvagine, de la faune et de la population de l'Amérique du Nord. Canards illimités compte 450 employés travaillant dans 40 bureaux et on dit que c'est la plus importante société de conservation du pays. Canards illimités a été constituée en société aux États-Unis et il semble que ce serait la plus grande entreprise de conservation au monde.

Au Canada, le siège social national est situé à Stonewall, au Manitoba. Ses principaux programmes sont, entre autres, la conservation de l'habitat, la recherche et l'éducation. L'année dernière, Canards illimités a proposé au gouvernement de mettre en place un programme d'incitation à l'implantation de cultures couvre-sol au Canada (PIICC).

Je signale que M. Turner, directeur des relations gouvernementales de Canards illimités Canada, et moi-même, avons siégé ensemble à la Chambre des communes dans les années 80; il est aussi président de l'Association canadienne des ex-parlementaires.

Monsieur Turner, veuillez commencer.

M. J. Barry Turner, directeur des relations gouvernementales, Canards illimités Canada: Monsieur le président, je vous suis reconnaissant de cette généreuse explication au sujet de Canards illimités. Permettez-moi une petite mise au point aux fins du compte rendu: nous sommes en fait le deuxième organisme de conservation le plus important du monde. On m'a signalé cette erreur l'automne dernier. L'organisation américaine The Nature Conservancy vient au premier rang suivie, au Canada et aux États-Unis, de Canards illimités.

Nous oeuvrons dans le domaine de la conservation depuis 1938. Nous avons mené à bien 6 500 projets d'habitat dans tout le Canada; nous avons conclu des ententes avec 19 000 propriétaires fonciers; nous comptons 7 400 bénévoles pour environ 690 événements annuels organisés partout au pays, qui permettent de recueillir des millions de dollars pour la conservation; et nous comptons plus de 150 000 adeptes d'un océan à l'autre.

Au cours de nos 64 années d'existence, nous avons travaillé à la protection et à la restauration de près de 19 millions d'acres de terres au Canada. Comme vous pouvez le constater, Canards illimités est un organisme de conservation d'envergure.

Nous sommes ravis de vous parler de notre programme d'incitation à l'implantation de cultures couvre-sol; c'est un privilège que de le partager avec vous et avec le Sénat du Canada. Il s'agit d'un programme avantageux pour le paysage agricole et les zones riveraines du pays. C'est la quatrième fois que nous avons l'occasion de présenter à un comité parlementaire cette initiative nationale. En mai dernier, nous avons comparu devant le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, présidé par le sénateur Gustafson, qui est aussi un ancien collègue. En octobre, nous avons comparu devant le Comité des finances de la Chambre des communes et en novembre, devant le Comité permanent de l'agriculture de la Chambre des communes.

Nous avons tenu des réunions partout au pays auxquelles ont participé des premiers ministres provinciaux, des ministres, des fonctionnaires, des propriétaires fonciers, des producteurs ainsi que des membres d'associations et de groupes agricoles nationaux et provinciaux. Tous les observateurs qui ont participé aux événements que nous avons organisés au sujet du programme de cultures couvre-sol nous ont vivement encouragés à aller de l'avant. Ils y voient une occasion à ne pas rater.

Aujourd'hui, nous présenterons dans notre exposé l'incidence qu'aura le programme sur les pêches au Canada, puisque c'est évidemment le sujet qui vous intéresse. Sa teneur est principalement façonnée et dictée par l'agriculture, mais il aura des répercussions notables sur les pêches, particulièrement dans les zones d'eau douce.

Comme vous le savez, les principaux problèmes portant atteinte à l'intégrité écologique du paysage agricole sont au nombre de quatre. Mes propos auront une saveur agricole, mais vous comprendrez dans quelques instants comment tout cela est relié aux pêches. Depuis des décennies, nous pratiquons la mise en culture de terres marginales et de sols très vulnérables à l'érosion; nous avons asséché des marais un peu partout; nous avons pratiqué le surpâturage des pacages indigènes dans les aires riveraines qui alimentent les marais, les ruisseaux et les rivières; nous avons supprimé les zones tampons de végétation le long des cours d'eau et en bordure des champs et nous avons surutilisé engrais et pesticides.

Vous comprendrez sans peine que lorsqu'il pleut, les produits que nous mettons dans le sol se retrouvent dans les ruisseaux, les lacs, les étangs et les rivières qui constituent l'habitat du poisson et de la sauvagine.

La culture des sols peu fertiles n'est pas soutenable sur le plan écologique. Ces sols ne devraient pas être cultivés. Cette pratique fait augmenter les charges de nutriments et de dépôts solides dans les cours d'eau adjacents, ce qui porte préjudice à l'habitat du poisson. Dans les secteurs sains, elle ne fait qu'accroître la salinisation des hautes terres adjacentes. Cela n'est pas bon pour la culture, et encore moins pour le poisson.

Nous perdons des marécages. Quand nous asséchons des marécages, nous perdons la protection contre les inondations qu'ils nous offraient, la possibilité d'alimentation de la nappe d'eau souterraine ainsi que les fonctions de filtration et de purification de l'eau. À cet égard, vous pourrez en apprendre davantage lorsque le rapport sur la tragédie de Walkerton sera publié. Canards illimités a joué un rôle de premier plan dans l'enquête du juge O'Connor. L'assèchement des marécages se traduit aussi par la perte des avantages associés pour les poissons, la faune et les humains.

Lorsque nous perdons des zones tampons riveraines, les activités agricoles qui réduisent ou altèrent cette zone tampon le long des cours d'eau nuisent directement au poisson et à l'habitat faunique. La charge de sédiments et de nutriments dans les cours d'eau adjacents, et surtout les taux de ruissellement au printemps, sont directement touchés.

Toutes ces fonctions influent sur la qualité et la quantité de l'eau, ce qui pose un problème énorme à l'heure actuelle dans les Prairies, au Canada.

La biodiversité en souffre également. La disparition de communautés de plantes indigènes dans les zones tampons en bordure des champs et des zones riveraines ainsi que des marécages nous inflige des pertes sur le plan de la diversité et augmente le nombre d'espèces en péril dans les paysages agricoles dont bon nombre, comme vous le savez, sont des espèces de poissons.

Un autre point clé est le budget du Canada pour contrer les gaz à effet de serre. La culture de ces sols provoque le rejet de carbone. La conversion des pacages indigènes en terres cultivées, le labour excessif des terres peu fertiles et l'assèchement des marais se traduisent par l'émission de gaz en partie responsables de l'effet de serre. Notre propos s'inscrit donc dans un large contexte et ne se limite pas à l'habitat du poisson.

Depuis de nombreuses années, nous sommes convaincus que les avantages pour la société de la conversion des zones riveraines — les zones de drainage — et des terres marginales cultivées en une couverture végétale permanente dépassent sensiblement le coût afférent à cette conversion. Nous croyons que tous les Canadiens ont un rôle à jouer dans ce processus.

Vous avez peut-être entendu parler d'une initiative unique de la ville de New York. Il y a nombre d'années, les autorités municipales ont commencé à se rendre compte que leurs réserves d'eau douce étaient limitées. Près de 20 millions de personnes vivent dans le bassin hydrographique entourant New York. Les décideurs avaient deux choix s'ils voulaient maintenir les réserves d'eau douce de la ville de New York: bâtir une ou plusieurs nouvelles usines de filtration, au coût de six ou sept millions, ou trouver une source d'eau douce qu'ils pourraient acheminer par canalisation jusqu'à New York. Ils ont opté pour cette dernière solution.

Ils se sont rendus au bassin hydrographique Catskill, dans le nord de l'Etat de New York, et ont acheté des centaines de milliers d'acres de terres riches en eau douce. Ils ont conclu des accords avec les propriétaires fonciers locaux en vue de protéger les eaux de ruissellement et maintenant, on s'en sert pour répondre aux besoins en eau des citoyens de New York. C'était là l'idéal sur le plan écologique, et en optant pour cette approche, les édiles municipaux ont épargné 6 milliards de dollars.

Notre initiative devrait être rassembler un certain nombre de ministères fédéraux, dont Pêches et Océans Canada, sous l'égide d'Agriculture et Agroalimentaire Canada. D'ailleurs, ce dernier ministère traverse une période de renouveau dans la foulée de l'initiative sur le cadre sur la politique agricole. Nous pensons que Ressources naturelles Canada a un mandat en ce qui concerne le stockage du carbone. Tout à l'heure, j'ai évoqué le labour des terres, qui réduit les espaces verts et emet du carbone. À notre avis, Environnement Canada peut assumer la responsabilité de l'intendance des terres et protéger l'habitat non seulement des espèces en danger de disparition, mais aussi des oiseaux migrateurs. Comme vous le savez pertinemment, Pêches et Océans a un mandat renouvelé, soit protéger l'habitat du poisson. Cette initiative suscite énormément d'intérêt. En fait, nous avons rencontré à maintes reprises des fonctionnaires des Pêches qui nous appuient sans réserve. Le dernier ministère clé est Santé Canada en raison de la nécessité pour les Canadiens de consommer de l'eau propre. Ces cinq ministères fédéraux, les 5RN, alliés à leurs homologues provinciaux, peuvent tous jouer un rôle dans cette initiative.

Canards illimités Canada propose d'accorder aux propriétaires fonciers des stimulants financiers pour restaurer ou protéger les zones riveraines dégradées sur leurs terres et pour convertir la culture des terres marginales en cultures couvre-sol. Ces terres devraient être gérées en vue de fournir des produits et des services écologiques ainsi qu'une sécurité à long terme, de préférence perpétuelle.

En juin dernier, les ministres de l'Agriculture réunis à Whitehorse ont convenu d'élaborer un plan d'action national pour faire du Canada le chef de file mondial en matière de salubrité des aliments, d'innovation et de protection environnementale. Notre programme de cultures couvre-sol est une composante de la protection environnementale. L'une des façons d'assurer cette protection est d'adopter des pratiques écologiques saines dans les exploitations agricoles.

À notre avis, un certain nombre de facteurs assureront le succès du programme de cultures couvre-sol. Premièrement, il ne serait ni imposé ni obligatoire. L'adhésion sera volontaire. Deuxièmement, il a pour objet de soustraire certaines terres à la production agricole en vue de fournir des services environnementaux. Ce n'est pas une technique visant à réduire la culture de certaines denrées. Troisièmement, le programme ne sera pas le même d'un bout à l'autre du pays. Autrement dit, notre approche à l'Île-du-Prince-Édouard sera différente de celle que nous adopterons en Saskatchewan ou sur l'île de Vancouver. Cela dit, il faudra faire simple.

L'objectif est de maximiser les avantages environnementaux par rapport au coût. Les incitatifs financiers devraient être sensibles aux marchés spécifiques, selon la région où l'on se trouve. Il est important d'encourager la participation d'autres organisations de protection de la faune ainsi que de limiter l'inscription dans une région pour que de vastes territoires ne soient pas mis hors production. C'est d'ailleurs une source d'inquiétude dans les Prairies.

Nous voulons cibler les terres agricoles peu productives ou importantes sur le plan de l'environnement et protéger à perpétuité les terres à faible rendement au moyen de versements uniques. Ces programmes seront liés à nos obligations en vertu du protocole de Kyoto en ce qui concerne le piégeage du carbone. Il est fondamental qu'ils s'inscrivent aussi dans la nouvelle vision de l'agriculture. La participation des cinq ministères des Ressources naturelles — Pêches, Santé, Agriculture et Agroalimentaire, Environnement et Ressources naturelles — est essentielle pour concrétiser nos objectifs.

C'est une belle occasion pour d'autres organisations non gouvernementales d'emboîter le pas. Nous aurons recours à un processus de gestion adaptatif car il nous faudra tirer des leçons de nos expériences. Nous savons qu'un programme d'incitation comme celui-là sera vert aux yeux du GAT, de l'ALENA et de l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC. Il ne saurait y avoir de plaintes internationales émanant des États-Unis ou de l'Europe à l'égard de cette initiative.

Nous recommandons simplement que les 5RN oeuvrent de concert pour en assurer l'élaboration et pour régler les préoccupations et les problèmes écologiques des ministères associés. Nous souhaitons qu'ils s'unissent pour concrétiser cette initiative et nous voudrions en être partie prenante.

Pour commencer, nous proposons de lancer des projets pilotes dans différentes régions du pays. C'est la meilleure façon de procéder car nous devons apprendre à marcher avant de pouvoir courir. Avant d'appliquer le programme à l'échelle nationale, mettons l'accent sur ces expériences pilotes. Nous avons recommandé que l'on étudie les répercussions du programme sur l'eau, le sol, l'air et la biodiversité dans des bassins hydrographiques. Aux fins de cette analyse, nous souhaitons intervenir dans différentes régions du pays: le ruisseau Black, en Colombie-Britannique, le bassin supérieur de la rivière Assiniboine, dans les Prairies; la rivière Grand, en Ontario; la rivière South Nation, au sud d'Ottawa, en Ontario; la baie Missisquoi, au Québec, et la rivière Mill River à l'Île-du-Prince-Édouard.

Le projet du bassin hydrographique du ruisseau Black vise une zone extrêmement importante pour la remontée du saumon. Nous proposons donc que l'un des projets pilotes couvre cette région située au nord de Courtenay, sur l'île de Vancouver. Le bassin hydrographique s'étend sur 80 kilomètres carrés. Les terres environnantes sont consacrées à l'agriculture, à l'exploitation forestière et à un volet résidentiel rural. Ce bassin revêt beaucoup d'importance pour les pêches, particulièrement pour le saumon coho. En 1999, ce fut l'un des premiers ruisseaux de la Colombie-Britannique qualifié de ruisseau fragile en vertu de la Loi sur la protection du poisson de cette province.

Le ruisseau Black est un ruisseau baromètre pour le coho depuis 1968. La qualité de son eau est médiocre en raison de la piètre aération de l'eau, du manque de végétation riveraine et de l'augmentation de la demande d'oxygène biologique. Il a besoin de notre attention.

Nous allons également étudier le bassin supérieur de la rivière Assiniboine, entre la Saskatchewan et le Manitoba. Ce bassin est situé en amont, au confluent des rivières Assiniboine et Qu'Appelle. La zone visée est majoritairement en Saskatchewan, mais environ un cinquième se trouve au Manitoba. Il s'agit d'un bassin hydrographique considérable comptant environ 21 000 kilomètres carrés. Les terres adjacentes servent à l'agriculture et, comme vous pouvez l'imaginer, les petits élevages de bétail, les boisés et les entreprises d'élevage intensif prolifèrent de plus en plus. Des fossés de drainage ont été creusés par les propriétaires de la région en vue d'assécher les terres, et on se demande pourquoi les puits sont à sec et qu'il ne reste plus d'eau dans les Prairies. Ces drains qui servaient à contrôler les inondations ont causé la disparition des milieux humides, de même que celle d'une bonne partie des eaux de surface. La qualité et la quantité de l'eau devient un enjeu de plus en plus crucial dans les Prairies.

En Ontario, nous proposons que les projets pilotes visent les bassins hydrographiques de la rivière Grand et de la rivière South Nation, juste au sud d'Ottawa. La rivière Grand dispose d'un grand bassin hydrographique d'environ 7 000 kilomètres carrés dans le sud de l'Ontario. Il s'agit d'une rivière patrimoniale et on en fait sensiblement le même usage que dans l'Ouest. C'est un haut-lieu de la pêche sportive qui compte également des zones résidentielles rurales et urbaines. La rivière Grand suscite une double préoccupation: l'agriculture et l'expansion urbaine. Dans le cadre de l'analyse proposée, on s'intéressera à la réduction des inondations, à l'amélioration de la qualité de l'eau, à la constitution de réserves hydrographiques adéquates et à la protection des aires naturelles.

La rivière South Nation, au sud d'Ottawa, est un grand bassin hydrographique qui s'étend sur environ 4 000 kilomètres carrés. Les terres adjacentes font l'objet de cultures agricoles et la population rurale est en pleine croissance. Le sol y est en grande partie argileux et la déforestation a provoqué des inondations et l'instabilité des berges. Encore là, la qualité de l'eau est un enjeu névralgique.

Au Québec, nous nous intéresserons au bassin hydrographique de la baie Missisquoi, située à cheval sur la frontière entre le Québec et le Vermont. Une partie du système de drainage est au Québec et l'autre au Vermont. Le bassin hydrographique de 3 000 kilomètres carrés se trouve situé à l'extrémité septentrionale du lac Champlain. La région de Missisquoi se répartit en forêts (60 p. 100), en terres agricoles (30 p. 100) et en zones urbaines (5 p. 100). Le bassin hydrographique fait face à des répercussions semblables aux autres en raison des activités agricoles qui ont cours, notamment l'élevage de boeuf, de vaches laitières et de porcs.

La qualité de l'eau s'est dégradée depuis les années 60 et l'on constate une augmentation marquée de phosphore, d'azote, de sédiments et d'algues envahissantes, ce qui nuit à la qualité de l'eau potable et à la vocation récréative et sportive de la région.

Le dernier projet pilote que nous proposons concerne le bassin hydrographique de la rivière Mill River, que certains d'entre vous connaissent peut-être, au nord de l'Île-du-Prince-Édouard. C'est une région où l'on se livre à une culture agricole intensive. Cet estuaire le long de l'océan est un habitat qui sert principalement à la culture des huîtres. Le bassin hydrographique est de petite taille. La production agricole y domine, alliée à une certaine exploitation des forêts et des terres humides. On y cultive la pomme de terre et l'élevage de boeuf et de vaches laitières contribue à son profil agricole. Les répercussions de l'agriculture sur la rivière Mill River sont l'érosion, la sédimentation et la dégradation des pêcheries, là où la rivière se jette dans l'océan. Les habitats naturels souffrent aussi.

Notre entreprise est disposée à consacrer des ressources financières considérables à un programme incarnant les concepts présentés dans notre proposition. Nous pensons qu'il pourrait avoir des retombées positives sur l'habitat du poisson et dans d'autres régions écologiques du pays. Nous sommes disposés à discuter de ces enjeux avec vous et à répondre à vos questions.

Le président: Merci, monsieur Turner. Le programme que vous proposez intéresse au plus haut point notre comité. En effet, nous avons choisi l'habitat comme point de mire d'une étude qui pourrait s'étaler sur les mois, voire les années à venir.

J'ai une question au sujet d'un groupe appelé «Frontier Centre», dans les Prairies. Ce groupe a reçu beaucoup d'attention dans les médias depuis des mois et des semaines. Il semble réunir des gens qui sont fort mécontents que le ministère des Pêches et des Océans applique son programme de protection de l'habitat dans les Prairies. Connaissez- vous ce groupe?

M. Turner: Non.

Le président: Vous voudrez peut-être vous informer à son sujet. J'espère que notre comité aura l'occasion d'entendre ses porte-parole. Ces derniers ont tenu des propos plutôt acerbes voulant que PO protège des ruisseaux et des rivières dans des régions où il n'y a pas de poisson. Votre organisation voudra peut-être voir quelles sont les causes de toute cette agitation et nous prodiguer ses conseils sur la façon de protéger nos ruisseaux et nos rivières dans les Prairies.

M. Turner: Je signale, monsieur le président, que Canards illimités Canada et Pêches et Océans Canada prévoient tenir un colloque à la fin d'avril, je crois, à Montréal. Nous allons envisager de meilleures façons de collaborer à des projets communs. Les fonctionnaires savent que nous travaillons avec les propriétaires fonciers depuis 64 ans, particulièrement dans l'ouest du Canada et les Prairies. Pour leur part, les membres du groupe Frontier Centre semblent soudainement confrontés à la police de l'habitat du poisson, si vous me permettez ce léger manque de respect, qui vient leur dire quoi faire avec leurs paysages. Si vous n'avez jamais rencontré ces gens-là auparavant, votre réaction serait sans doute de dire: «Excusez-moi, mais que se passe-t-il ici exactement?» Nous comprenons cela et nous aurons un colloque pour régler certains de ces problèmes à la fin du mois prochain.

Le président: D'après les commentaires que nous avons recueillis, il y a incontestablement dans les Prairies un vif intérêt pour améliorer l'habitat du poisson dans les rivières et les ruisseaux. Les propriétaires fonciers s'intéressent tout particulièrement au programme Cows and Fish en Alberta. Je suis convaincu qu'il s'agit là d'un malentendu qu'il faut dissiper, et je suis heureux que Canards illimités soit là pour aider DFO à cet égard.

Le sénateur Cook: Merci de cet exposé des plus instructifs. Qu'il me suffise de dire qu'il est fascinant qu'un oiseau aussi ordinaire qu'un canard puisse susciter un effort aussi extraordinaire. Je vis près de l'océan et je m'intéresse particulièrement à ce que nous appelons à Terre-Neuve et au Labrador les «canards de mer», surtout dans l'optique de leur habitat, du changement climatique, des déversements pétroliers et du rejet de ballast en mer. Quelles sont les répercussions de tous ces facteurs sur la population des canards? Connaissez-vous la population des canards de mer de la côte est du Canada?

M. Turner: Sénateur Cook, je ne suis pas un expert en matière de canards; je suis le directeur des relations gouvernementales. Il faudrait consulter l'un de nos spécialistes qui travaille sur le terrain dans la région atlantique du Canada pour répondre à votre question avec une exactitude toute scientifique. Je ne possède pas cette information, mais je suis tout disposé à l'obtenir pour vous. Ce programme cible principalement les zones de drainage d'eau douce et non les zones d'eau salée.

Le sénateur Cook: Rien n'est prévu pour le canard de mer. Celui-ci survit du mieux qu'il peut, même s'il est possible de le chasser à volonté. L'habitat du canard de mer ne serait pas le même que celui du canard d'eau douce.

M. Turner: Non. Comme je ne voudrais pas me prononcer à la place d'un de nos biologistes à l'oeuvre dans la région atlantique du Canada, je demanderai à l'un d'entre eux de communiquer avec vous pour vous expliquer les répercussions du programme sur les canards de mer.

Le sénateur Cook: Il serait intéressant de savoir comment ils survivent dans leur environnement ou leur habitat compte tenu du changement climatique et de la pollution de l'océan, qui représente leur principale aire de croissance.

M. Turner: Je suis d'accord avec vous.

M. Ian Campbell, analyste principal de la politique agricole, Canards illimités Canada: Je voudrais signaler que Canards illimités Canada surveille et analyse les canards de mer, de même que les canards d'eau douce. En fait, le dernier numéro de notre magazine renferme un article détaillé sur les canards de mer. Aux termes de ce programme, tout estuaire touché par le lessivage des terres cultivées pourrait bénéficier du programme. Pour autant qu'il y ait des habitats de canards de mer dans la région, il pourrait en bénéficier. Les régions côtières qui ne sont pas touchées par l'agriculture ne seraient pas visées par le programme. De toute façon, il est fort possible que ces régions ne subissent aucun contrecoup négatif.

Le sénateur Cook: J'ai parcouru rapidement votre magazine, et j'ai appris avec plaisir que vous construisiez des abris pour les oeufs de l'eider dans la péninsule septentrionale de Terre-Neuve. Y a-t-il un programme dans cette région?

M. Turner: Nos bénévoles, qui se comptent par milliers au pays, participent à des projets de ce genre de concert avec nos spécialistes sur le terrain. Ils construisent effectivement des abris pour les eiders, et il en est question dans le dernier numéro de notre magazine.

Le sénateur Cook: Je vais laisser aux Canadiens de l'intérieur le soin de vous poser les questions pertinentes concernant l'habitat des canards. Dans ma région, ces habitats sont en bon état en raison de la nature et de l'environnement de l'île. Cependant, il n'en serait pas ainsi à l'Île-du-Prince-Édouard, où l'activité agricole est intense.

M. Turner: C'est précisément la différence. Notre étude s'attache aux régions où la production agricole est intensive, ce qui ne manque pas d'affecter la qualité des eaux de drainage. Dans le sud de l'Ontario, par exemple, environ 85 p. 100 des marécages ont disparu. Les répercussions sur le paysage sont considérables. La situation est beaucoup moins dramatique à Terre-Neuve.

Le sénateur Cook: Je dirais que Terre-Neuve et le Labrador sont un paradis pour les canards puisque là-bas, personne ne se donne la peine de drainer quoi que ce soit.

Le président: Dites plutôt que c'est un paradis pour la morue.

[Français]

Le sénateur Gill: J'aimerais vous féliciter, monsieur Turner, pour votre exposé. Il fait nul doute que Canards illimités parle au nom d'un grand nombre de personnes au pays. Du point de vue des Autochtones, il est évident que vos propos se rapprochent de la philosophie de conservation que les Autochtones ont à l'égard des territoires, c'est-à-dire de garder les terrains vierges dans la mesure du possible. Toutefois, ce n'est pas toujours chose facile.

La question que je vous pose est la suivante: auprès de quels organismes faites-vous des représentations? Vous adressez-vous uniquement au ministère de l'Agriculture, au ministère des Pêches et Océans, au ministère de l'Environnement, par exemple? Quel est votre objectif? Sur quels points mettez-vous l'emphase? Quelles gens ciblez- vous? Je présume que vous vous concentrez avant tout aux niveaux fédéral et provincial?

M. Turner: Pour cette initiative?

Le sénateur Gill: Oui, pour cette initiative.

M. Turner: Nous avons rencontré, par exemple, les fonctionnaires et les ministres de plusieurs ministères, tels que le ministère de l'Environnement et le ministère de l'Agriculture, non seulement au niveau fédéral mais dans chacune des provinces. Nous nous sommes entretenus avec le ministre québécois de l'Environnement, M. André Boisclair, ainsi qu'avec des fonctionnaires du ministère de l'Agriculture du Québec. Nous avons fait de même partout au Canada. Nous avons rencontré chaque ministère provincial concerné afin de solliciter leur appui pour notre initiative, parce que nous croyons qu'il incombe aux ministères fédéraux et provinciaux ainsi qu'aux organismes non-gouvernementaux de partager la responsabilité de contribuer à cette initiative à travers le pays.

Le sénateur Gill: Est-ce l'initiative de Canards illimités que de rassembler tous ces gens, de contacter les ministères provinciaux, fédéraux et autres organismes pour coordonner cette action?

M. Turner: Oui.

Le sénateur Gill: Canards illimités se charge de coordonner toutes les activités afin d'arriver au projet, tel que présenté plus tôt, d'identifier les six projets cibles, si je me souviens bien.

M. Turner: En effet, c'est notre initiative depuis quatre ans. Nous avons rencontré plusieurs personnes au niveau provincial, à l'échelle nationale, dans le but d'obtenir leur appui.

Le sénateur Gill: Leur contribution et leur support?

M. Turner: L'appui de la part de ces organismes. C'est en effet une initiative de Canards illimités Canada.

Le sénateur Gill: Vous avez commencé il y a quatre ans?

M. Turner: Intensivement depuis un an et demi, mais nous avons commencé il y a trois ans.

Le sénateur Gill: À ce jour, quels sont les résultats obtenus? Avez-vous obtenu une certaine collaboration?

M. Turner: Oui, mais c'est un processus lent et difficile.

M. Ian Campbell, Analyste principal des politiques agricoles, Canards illimités Canada: Nous avons également rencontré plusieurs associations agricoles — comme par exemple la Fédération canadienne de l'agriculture, qui appuie notre projet — ainsi que certains organismes provinciaux et associations reliés à différents domaines.

L'Île-du-Prince-Édouard appuie notre initiative de façon très concrète. L'appui varie bien sûr d'une province à l'autre, mais nous jouissons certes à l'Île-du-Prince-Édouard d'un appui très fort de la part du ministre.

Le sénateur Gill: Qu'attendez-vous de la part du comité sénatorial des pêches?

M. Turner: C'est là une bonne question.

[Traduction]

M. Turner: Avec votre permission, je vous répondrai en anglais. Vous avez posé une question des plus importantes. Après l'exposé que nous avons présenté en novembre dernier devant le Comité de l'agriculture de la Chambre des communes, une député du Québec, Mme Suzanne Tremblay, nous a demandé ceci: «Que pouvons-nous faire pour aider?»

J'ai répondu que le comité pouvait adopter une motion appuyant en principe notre projet à l'égard de ces paysages. Elle a rédigé une motion en ce sens qui a été présentée au comité, mais celle-ci n'a pas encore été adoptée. Nous voulons seulement que les 5RN, que le gouvernement fédéral dise: «Nous pensons que c'est une bonne idée. Nous sommes disposés à la concrétiser en collaboration avec Canards illimités.»

Nous souhaitons que votre comité adopte une motion disant qu'à votre avis, il s'agit là d'une bonne initiative qui se traduira par des avantages écologiques importants pour le pays, y compris l'habitat du poisson. Nous voudrions que le gouvernement du Canada collabore avec Canards illimités et d'autres organisations pour qu'elle se réalise.

Le 10 décembre dernier, on a fait mention dans le budget de la nécessité pour Ressources naturelles Canada et Agriculture et Agroalimentaire Canada de collaborer ensemble en vue d'élaborer un programme de couvre-sol pour le pays. Pour nous, cela a été un signal que nous sommes sur le radar financier du gouvernement. À ce qu'il semble, ils pensent que c'est une initiative qui en vaut la peine.

Nous demandons à votre comité d'endosser cette initiative. Pas en détail, car nous n'avons pas tous les détails. Nous ne savons pas encore exactement comment cela fonctionnera. Nous souhaitons simplement nous asseoir autour d'une table avec les représentants des 5RN et d'autres partenaires pour donner le coup d'envoi à l'initiative.

Le fait de démarrer les cinq projets pilotes serait un bon départ. Il y a des projets pilotes au Québec, à l'Île-du- Prince-Édouard, en Ontario, en Saskatchewan et en Colombie-Britannique.

Si vous pensez que nous sommes complètement à côté de la plaque, dites-le-nous. Dites-nous que nous sommes sur la mauvaise voie. Jusqu'ici, tous les porte-parole des provinces et tous les groupes que nous avons rencontrés ont eu une réaction favorable. Ils seraient partants.

Nous avons besoin d'un champion. Comme le sénateur Mahovlich le dirait, nous avons besoin d'un capitaine qui s'emparerait de la rondelle — ou du ballon, si nous parlons football — et qui tirerait droit au but.

Le sénateur Mahovlich: Ou qui ferait une passe.

M. Turner: En fait, on peut refiler la rondelle, mais on ne peut pas se défiler. Voilà ce que nous attendons de vous.

Le sénateur Hubley: Il y a une nouvelle prise de conscience face à l'environnement. On constate des préoccupations à l'égard de l'eau, l'innocuité alimentaire, le tourisme et les paysages. Tous ces aspects semblent reposer sur un environnement sûr.

Dans votre travail, avez-vous une indication que les autorités gouvernementales seraient disposées à indemniser les agriculteurs qui seraient prêts à faire un effort supplémentaire pour adhérer aux meilleures pratiques d'exploitation ou à des pratiques favorables à l'environnement? Si les agriculteurs doivent mettre certaines de leurs terres cultivables en production pour planter des haies, créer des zones tampons, et ainsi de suite, seraient-ils indemnisés? Constatez-vous un mouvement dans cette direction?

M. Turner: Absolument. La prémisse de votre question est fort juste. Il y a au pays une nouvelle prise de conscience en ce qui concerne nos paysages, notre eau et notre air. Comme nous avons esquissé cette initiative en consultation avec nos partenaires potentiels partout au pays, la réaction a été favorable.

Le programme de cultures couvre-sol s'inspire du Conservation Reserve Program américain, qui a connu un franc succès. Dans la foulée de la première loi sur l'exploitation agricole adoptée aux États-Unis en 1986, le gouvernement a consenti aux propriétaires fonciers des incitatifs financiers pour qu'ils retirent de la production agricole certaines terres marginales dont les sols étaient fort vulnérables à l'érosion, en vue de protéger les zones riveraines. Ce programme est appliqué avec beaucoup de succès depuis 15 ans.

Nous estimons que le moment est venu d'agir au Canada. Cependant, un propriétaire foncier n'abandonnera pas sa terre sans rien obtenir en contrepartie. Nous avons rencontré de nombreux groupes d'intervenants, des propriétaires fonciers ainsi que les représentants d'associations agricoles nationales et provinciales afin de leur communiquer nos intentions. Pour la plupart, ces terres marginales ne sont guère productives. La culture de ces terres, notamment celle du blé, coûte beaucoup plus cher que ce qu'elles rapportent.

Nous avons reçu un accueil très chaleureux. D'ailleurs, notre initiative s'inscrit dans l'examen du cadre de la politique agricole en cours à l'heure actuelle à Agriculture Canada. L'un des piliers de cet examen est l'environnement. Notre programme peut donc être partie prenante de cette initiative du ministère de l'Agriculture.

Oui, l'accueil a été bon. Oui, le moment est opportun. Il faudra débloquer des fonds. Le gouvernement devra embrasser ce principe de politique et décider d'aller de l'avant. Voilà comment nous espérons réaliser cet objectif.

Le sénateur Watt: Vous savez déjà sans doute que je suis originaire de l'Arctique. J'ai moi aussi des inquiétudes concernant les eiders. Dans le nord, les eiders ont toujours été très nombreux — du moins jusqu'à récemment. Nous sommes envahis par les ours polaires. Je ne pense pas que les eiders continueront à venir chez nous en aussi grand nombre à l'avenir. Je tenais à ce que cela soit consigné au compte rendu car j'estime que c'est très important.

Je suis favorable à votre plan et aux efforts que vous déployez pour freiner la lente dégradation des terres. Nous en sommes au point où l'eau peut tuer des gens. Dans le cas de l'eau, les dommages ne touchent pas seulement l'environnement, mais également diverses espèces sur la planète.

Je n'ai rien vu pour le nord dans votre plan. Le Nunavik fait partie du nord du Québec. Je n'ai pas vu quoi que ce soit qui concerne cette région. Je n'ai pas vu non plus de projets futurs concernant le haut Arctique ou l'Arctique occidental.

Je ne pense pas que le programme que vous avez esquissé à notre intention puisse être mis en oeuvre dans les régions que je viens de mentionner car le cadre, les besoins et la réalité y sont différents. Le territoire en question n'est pas un lieu d'activités, de développement et de gestion de la nature. Par conséquent, il est très différent.

Néanmoins, une certaine évolution transfrontière commence à se faire sentir de façon marquée. Ce qui est évacué vers le haut dans le sud retombe dans l'Arctique. Le phénomène peut même s'étendre du pôle nord au pôle sud, ou vice versa. Il semble que l'Arctique soit en train de devenir un conducteur de divers contaminants selon le principe voulant que tout ce qui monte doit redescendre. Cela influe non seulement sur la végétation, le poisson, les canards, etc., mais aussi sur la totalité de la chaîne alimentaire. Voilà ce qui se passe à l'heure actuelle.

Je tiens à souligner que vous n'êtes pas présent dans la région et qu'à mon avis, vous devriez y être. J'aimerais voir un programme de mise en valeur dans l'Arctique.

Je me suis mis en rapport avec Canards illimités en tant que simple particulier il y a un an ou deux. J'étais disposé à faire du bénévolat pour contribuer à la valorisation des eiders. J'ai suggéré de construire de petites maisons pour eux, pour les protéger des rigueurs du climat et des renards. Je voudrais bien que cela se fasse.

Dans un autre ordre d'idée, nous savons pertinemment que les phoques sont contaminés. On y retrouve de nombreux contaminants, tout comme chez le poisson.

Serait-il possible que Canards illimités s'attaque sérieusement à ce problème — et je sais que vous le ferez — en instaurant un système de surveillance. Nous devrions commencer à surveiller ce qui se passe chez les canards dans l'Arctique à la suite du transfert de la pollution.

Est-il possible de faire un pas dans cette direction?

M. Turner: Vous avez évoqué les nombreux défis auxquels est confronté l'environnement Arctique, la pollution n'étant pas le moindre. Comme vous le savez, il y a de nombreuses années, on a trouvé du DDT dans les phoques de l'Arctique. Les ours mangent ensuite les phoques. Par conséquent, il y a des répercussions tout au long de la chaîne alimentaire.

Les créatures qui vivent là où vous habitez, sénateur, n'y vivent pas toute l'année. Elles se déplacent au sud et au nord.

Le sénateur Watt: Pas toutes.

M. Turner: Un certain nombre sont des résidents permanents. L'ours polaire ne migre pas, mais la sauvagine migre. C'est là notre domaine d'intérêt et d'intervention professionnelle.

En protégeant les habitats dans le sud, nous espérons envoyer dans le nord des créatures en meilleure santé moins porteuses de polluants et de pesticides et ce, en plus grand nombre.

Les oies des neiges sont un exemple. Il y a surabondance d'oies des neige autour de la Baie James. Elles ont complètement appauvri leur territoire de subsistance. Nous avons mené des recherches à ce sujet en collaboration avec le Service de la faune du Canada et le U.S. Fish and Wildlife Service. Canards illimités a prêté main-forte aux travaux de recherche.

Serions-nous disposés à en faire plus pour surveiller la santé de certaines espèces de canards dans l'Arctique? Oui, nous le serions. Nous aimerions vous aider, mais nous aimerions que vous nous aidiez.

Comme je l'ai dit, la situation d'ensemble que nous avons décrite a un impact sur nous tous, sur notre santé, et aussi sur les animaux qui habitent ce territoire que l'on pollue. Pourrions-nous aider? Oui, nous le pourrions. Devrions- nous? Oui, nous devrions le faire.

On parle de piégeage du carbone. Cela pourra peut-être sembler quelque peu hors sujet, mais si nous n'arrêtons pas de rejeter du dioxyde de carbone et autres gaz nocifs dans l'atmosphère, ce qui contribue au réchauffement planétaire, lequel contribue à son tour à faire fondre la glace dans votre partie du monde, ce qui nuit à l'habitat de l'ours polaire, du poisson et de la sauvagine, nous finirons par avoir des ennuis.

En stockant une plus grande quantité de carbone, en conservant davantage d'espaces verts, en utilisant les marécages comme puits de carbone, nous aidons en fait votre partie du monde, parce que nous ne contribuerons plus autant au réchauffement planétaire, qui a de graves répercussions dans l'Arctique.

Nous faisons tous partie de la même chaîne. Canards illimités essaie de ne jamais l'oublier et de ne pas s'attarder uniquement à notre petit coin de pays, par opposition au tableau d'ensemble. Comme vous le savez, nous sommes présents d'un bout à l'autre du pays, dans 38 localités. Nous ne pouvons pas tout faire pour tout le monde. Si nous pouvons aider à mener à bien un projet en particulier dans l'Arctique, je pense que nous essaierions de le faire. Nous aimerions que vous nous aidiez peut-être à trouver d'autres sources de financement pour cela.

Le sénateur Watt: Êtes-vous en train de me dire que votre aide est conditionnelle?

M. Turner: Non, ce n'est pas ce que je dis. Par contre, nos ressources ne sont pas illimitées. Si nous réalisons certains de ces projets pilotes dans le cadre de cette initiative, cela coûtera de l'argent. Nous avons tous besoin de financement pour nos initiatives.

Canards illimités est prêt à dépenser beaucoup d'argent pour cette initiative. Je ne sais pas combien nous dépensons actuellement dans l'Arctique, pour chaque projet, dans chaque zone. Je m'en remets à notre personnel sur le terrain qui s'occupe des dossiers de l'Arctique. Je ne connais pas tous les dossiers.

Le sénateur Mahovlich: Le paysage dont vous nous avez montré une photographie tout à l'heure me faisait penser à un terrain de golf. Je crois qu'il y a un terrain de golf qui s'appelle Mill River à l'Île-du-Prince-Édouard. Est-ce que ce terrain de golf est en cause? Les terrains de golf contribuent-ils à la pollution? Je sais que dans beaucoup de clubs de golf, on n'aime pas les oies; on essaie de s'en débarrasser d'une manière ou d'une autre. Certains installent un couple de cygnes. Ils croient que cela va faire l'affaire, mais je n'en suis pas très sûr.

Les terrains de golf font-ils beaucoup de tort aux canards?

M. Turner: Je ne suis pas sûr que l'on puisse répondre à cette question de façon générale. Peut-être qu'ils font du tort dans certains secteurs; ce n'est peut-être pas le cas ailleurs.

Le terrain de golf de Mill River est-il en cause dans ce bassin hydrographique? Je l'ignore. Je ne savais pas qu'il y avait un terrain de golf appelé Mill River.

Le sénateur Hubley: Oui, il y en a un.

M. Turner: Peut-être bien. Est-ce que la présence d'un terrain de golf influe sur les plans d'eau, l'habitat du poisson et de la sauvagine et l'eau potable pour les humains? Je pense que ce doit être le cas.

Le sénateur Mahovlich: Ils épandent beaucoup d'engrais sur les terrains de golf.

M. Turner: Oui, c'est vrai. Est-ce qu'on a vraiment besoin de beaux parcours de golf bien verts? Peut-être pas.

Je ne suis pas certain qu'il y ait une réponse simple à votre question. Il est difficile pour nous d'y répondre sans connaître le terrain de golf en question et sans savoir ce qu'on utilise pour le paysagement. Je ne suis pas certain qu'il y ait un terrain de golf sur cette photo. Ça y ressemble, à cause de la façon dont la végétation est répartie dans le paysage. Je pense qu'il y a des bandes de terre en chaume.

Le sénateur Mahovlich: Cela ressemble à des fosses de sable.

M. Turner: Vous avez raison, ça y ressemble.

Le président: Je n'ai jamais entendu quoi que ce soit de négatif au sujet de Canards illimités.

M. Turner: On voit bien que vous ne travaillez pas à mon bureau.

Le président: Je veux dire de la part de quelqu'un d'autre que votre personnel. En général, cette organisation a une excellente réputation et une bonne image parmi le public et auprès des gouvernements, et dans tous les groupes d'âge. Pourriez-vous me dire quel est le secret de cette image tellement positive?

M. Turner: C'est avec fierté que je peux vous révéler le secret de ce succès. Nous n'avons jamais recherché la confrontation. Nous n'avons jamais été normatifs en termes de politiques. Nous n'avons jamais été virulents. Nous sommes une organisation vouée à la conservation qui est très bien administrée, très professionnelle et très bien financée, et qui fait le bien. Si vous voulez notre opinion, nous allons vous la donner; mais nous ne faisons pas de manifestations dans la rue. Nous n'écrivons pas d'éditoriaux pour condamner les décideurs politiques au niveau provincial ou fédéral. Nous faisons simplement notre travail au mieux de nos compétences.

Comme nous ne recherchons pas la confrontation, nous avons obtenu la confiance des décideurs d'un bout à l'autre du pays.

Le président: Je crois savoir que vous recevez de l'argent du Congrès des États-Unis. J'ignore si une partie de cet argent aboutit au Canada. Est-ce que c'est attribuable au fait que les décideurs gouvernementaux dans ce pays ont confiance dans les compétences de Canards illimités?

M. Turner: Tout à fait. Le Congrès des États-Unis a adopté il y a douze ans la Loi sur la conservation des marécages d'Amérique du Nord. Pour que le Congrès, ou même notre Parlement puisse dépenser de l'argent, il faut que la loi lui en donne le pouvoir. Pour que le Congrès des États-Unis dépense de l'argent au Canada pour protéger la sauvagine, il doit adopter une loi en ce sens. Oui, le Congrès affecte des fonds pour nous aider dans nos recherches sur l'habitat et la conservation au Canada.

Cet argent ne nous est pas versé directement. Il est attribué à Canards illimités aux États-Unis, qui nous le fait parvenir; nous sommes des organisations soeurs. Aux termes de la loi, les Américains ne peuvent pas transférer l'argent directement au Canada.

C'est ainsi qu'a été financé le Plan nord-américain de gestion de la sauvagine, qui a eu énormément de succès et qui a été élaboré conjointement par le Canada, les États-Unis et le Mexique, qui en assument conjointement la responsabilité. La sauvagine de notre continent est de compétence partagée. Beaucoup d'oiseaux sauvages naissent et se reproduisent au Canada, mais passent l'hiver aux États-Unis et au Mexique.

Il y a 15 ans, les autorités de nos trois pays ont pris conscience que cette ressource faunique qu'est la sauvagine est de compétence partagée et que tous les gouvernements doivent s'occuper de protéger et de valoriser cette ressource. C'est pourquoi nous obtenons de l'argent du gouvernement des États-Unis. Je dois dire que ce gouvernement nous verse beaucoup d'argent. Par contre, nous n'obtenons pas beaucoup d'argent du gouvernement fédéral canadien.

Le président: Cela ne m'étonne pas.

M. Turner: Cette initiative a en partie pour objet de convaincre le gouvernement fédéral de débloquer plus de fonds. La protection non seulement de notre sauvagine, mais aussi de nos rivières, ruisseaux, estuaires et paysages apporte de nombreux avantages divers à tous les Canadiens. Nous demandons au gouvernement fédéral de ne pas se contenter de belles paroles, mais de débloquer des fonds.

Le président: Pour nous donner une idée approximative, si nous décidions d'exercer des pressions sur le gouvernement canadien pour qu'il contribue financièrement à ce projet, pourriez-vous nous dire combien vous obtenez de la section américaine de Canards illimités?

M. Turner: C'est dans notre rapport annuel, dont nous vous avons remis des exemplaires. Au cours de la dernière année financière, nous avons reçu environ 25 millions à 30 millions de dollars canadiens du Congrès. Nous avons aussi reçu un montant équivalent de Ducks Unlimited Inc. des États-Unis. De notre budget annuel d'environ 75 millions de dollars, les deux tiers viennent des États-Unis. C'est beaucoup d'argent. Une fraction minime de notre budget vient du gouvernement fédéral.

Le président: Pourrions-nous savoir combien vient du gouvernement fédéral canadien?

M. Turner: Oui. Je ne sais pas le chiffre par coeur.

Le président: C'est dans votre rapport annuel, n'est-ce pas?

M. Turner: Nous obtenons de l'argent pour divers projets. Par exemple, au cours des deux ou trois dernières années, Environnement Canada a été très généreux en débloquant des fonds par l'entremise du Service canadien de la faune pour financer des initiatives précises d'acquisition de terres lancées par Canards illimités. La situation s'améliore, mais c'est loin d'être l'idéal.

De combien avons-nous besoin pour nos projets pilotes au cours de la prochaine année financière? Nous avons besoin de deux millions de dollars canadiens. Pour compléter les projets pilotes au cours des cinq prochaines années, il nous faut au total 15 millions de dollars, ce qui est beaucoup d'argent.

Le président: C'est bon à savoir. Est-ce que Truite atout est affiliée d'une manière ou d'une autre à Canards illimités, ou bien cette organisation a-t-elle simplement calqué son nom en anglais sur le vôtre?

M. Turner: Une truite est une truite; un canard est un canard. Nous les connaissons.

Le président: Si ça cancane comme un canard...

M. Turner: ... si ça ressemble à un canard et si ça cancane comme un canard, ce n'est pas une truite. J'ignore si nous collaborons avec eux pour des projets particuliers. Je sais que dans le projet pilote que nous proposons pour le ruisseau Black, dans l'île de Vancouver, nous allons travailler de concert avec l'association locale des pêcheurs. Est-ce que ça s'appelle Truite atout? Je ne sais pas. Est-ce que cette organisation a plagié notre nom? Probablement. C'est flatteur pour nous.

Le président: Très flatteur, oui.

Le sénateur Cook: Je vous remercie beaucoup pour cette trousse d'information. Je crois que j'ai touché le gros lot. J'ai reçu le magazine qui raconte la saga du canard de mer. Quand je posais des questions, je n'avais pas la moindre idée que les réponses à mes questions se trouvaient là-dedans.

M. Turner: Notre service est très rapide, parfois.

Le sénateur Cook: Je vais laisser le sénateur Watt lire cela. Il y a beaucoup d'information sur l'Arctique. Il y a ici une initiative sur l'eider et Canards illimités obtient 1,7 million de dollars uniquement de ma province pour des projets scientifiques et éducatifs au cours des cinq prochaines années. Saviez-vous qu'il y a 250 000 $ pour un programme d'éducation?

M. Turner: Non, je ne le savais pas.

Le sénateur Cook: C'est extraordinairement riche en informations.

M. Turner: Oui, nous sommes une organisation extraordinaire.

Le sénateur Cook: C'est louable. C'est un article instructif et clairvoyant. Je vous en suis reconnaissant.

M. Turner: Sénateur Cook, il y a probablement là-dedans une carte d'adhésion à remplir pour devenir membre de Canards illimités.

Le sénateur Cook: Elle est là, je viens de la voir.

M. Turner: Seulement 25 $ par année.

Le sénateur Cook: C'est une histoire extraordinaire. Est-ce que l'environnement des canards de mer est plus stable que celui des autres espèces de canards? On parle dans l'article de vos canards de l'Arctique.

Je vais m'assurer que le sénateur Watt le lise.

Le sénateur Watt: Est-ce que Canards illimités communique déjà avec les agriculteurs? Travaillez-vous en collaboration avec les agriculteurs?

M. Turner: Absolument. J'ai dit tout à l'heure que nous travaillons de concert avec les propriétaires des terres, en particulier dans les Prairies, depuis 64 ans. Nous avons des ententes avec 19 000 propriétaires fonciers, dont la plupart vivent dans les Prairies. Nous avons des contacts très étroits avec les agriculteurs et les propriétaires fonciers partout au Canada.

Le sénateur Watt: Et les Autochtones?

M. Turner: Oui, nous travaillons avec eux. Nous sommes très actifs dans le domaine de la recherche sur la forêt boréale, en collaboration avec les peuples autochtones du nord de l'Alberta et de la Colombie-Britannique. Nous allons travailler de très près avec les peuples autochtones au projet du réseau de drainage de la rivière Grand. Les six Premières nations dont les terres sont riveraines de la rivière Grand seront parties prenantes dans notre initiative.

Le sénateur Watt: Et les organisations autochtones dans l'Arctique, ou même en fait le gouvernement de cette région?

M. Turner: Je ne sais pas si nous avons des contacts avec eux. Je ne connais pas la réponse à cette question.

Le sénateur Mahovlich: J'ai une résidence d'été dans la région de Muskoka. À l'occasion, nous voyons des huards. Les terrains valent tellement cher de nos jours que certains villégiateurs drainent de petites baies marécageuses. Je vais peut-être perdre mes huards un jour ou l'autre.

M. Turner: Oui, c'est possible.

Le sénateur Mahovlich: Est-ce possible? Est-ce que cela pourrait vraiment arriver?

M. Turner: L'une des pires menaces pour les huards, ce sont les motomarines et tous les jouets que les gens conduisent maintenant sur l'eau à 50 milles à l'heure. Les huards aiment la tranquillité, comme vous le savez sûrement. Ils ne sont pas aussi grégaires que les canards. L'invasion des motomarines qui sillonnent les plans d'eau du lever au coucher du soleil aura de lourdes conséquences.

Vous avez tout à fait raison, pendant des décennies, nous avons fait comme si tout cela était acquis pour toujours. Si vos voisins là-bas drainent de petits secteurs, ils violent peut-être la loi provinciale de l'Ontario.

Nous devons cesser de faire cela. Cela fait partie de notre message global, c'est-à-dire que nous devons traiter différemment notre approvisionnement en eau, nos installations d'eau et nos plans d'eau, parce que cela met en cause les huards, les canards, les poissons — toutes les créatures de Dieu qui peuplent les plans d'eau et leurs rivages, y compris les humains.

Le président: Vous avez parlé tout à l'heure de la pollution de nos ruisseaux et rivières. J'ai lu cette semaine un article sur les polluants dans les rivières en Angleterre. Il y a là-bas des poissons mâles qui se transforment en poissons femelles à cause de l'oestrogène qui s'infiltre dans la nappe phréatique et qui ruisselle dans les rivières. Cela arrive en fait à une importante proportion des poissons. La fertilité des poissons mâles a considérablement baissé. Est-ce que tout cela pourrait avoir un impact sur les gens en Angleterre?

M. Turner: Vous voulez dire que les hommes pourraient se transformer en femmes?

Le président: J'espère que non.

Si seulement les gens se rendaient compte à quel point le système est fragile et comme nous devons faire attention à tout ce que nous faisons. Nous devons protéger nos plans d'eau et nos bassins hydrographiques.

L'Angleterre n'en est qu'un exemple. En Angleterre, on commence à peine à se rendre compte de ce qui se passe. Si cela peut arriver en Angleterre, cela peut arriver ici au Canada et n'importe où dans le monde. Nous devons faire attention à la façon dont nous traitons nos terres et nos plans d'eau.

Au nom des membres du comité, je veux vous dire que ce fut un plaisir de vous recevoir ici ce soir. À en juger par les questions qui ont été posées et les échanges animés, je sais que les sénateurs ont beaucoup apprécié votre présence.

Je suis désolé qu'il ait fallu si longtemps pour faire témoigner Canards illimités devant le comité. Dans le passé, nous avons eu tendance à accorder plus d'attention à la distribution du poisson et autres dossiers. Nous abordons enfin un domaine d'étude que nous voulions aborder depuis longtemps, nommément l'habitat. Nous sommes tous heureux que le comité commence enfin à étudier cette question très importante. Si nous n'avons pas d'habitat du poisson, nous n'aurons pas de poissons. Et si nous n'avons pas de poissons, pourquoi aurions-nous une organisation chargée de distribuer ce qui n'existe pas? Au bout du compte, l'habitat du poisson est probablement la clé, si nous voulons avoir du poisson à distribuer à l'avenir.

Nous ferons peut-être appel à vous au cours des prochains mois et des prochaines années pour nous aider à identifier les initiatives qui ont été prises ici et là et qui ont été couronnées de succès. Peut-être auriez-vous d'autres histoires intéressantes à nous communiquer. Le comité souhaite examiner tout ce qui se fait un peu partout pour venir en aide à notre habitat, notre poisson et notre sauvagine. Si vous pouvez nous faire part de ces histoires, nous serions ravis d'en prendre connaissance.

M. Turner: Au nom de mes collègues, je tiens à vous remercier tous. Ce fut une très bonne discussion, dans une atmosphère détendue et de bonne entente. Si nous pouvons vous être utiles à l'avenir, et je pense que nous le pouvons, nous sommes absolument tout disposés à le faire.

Comme vous le savez, mon bureau est ici à Ottawa et, comme nous le disons toujours, nous sommes là pour aider. Vous avez dit que Canards illimités est une organisation qui est tenue en haute estime, et nous osons croire que cette réputation est bien méritée. Nous avons la plus grande confiance en nos scientifiques. Si nous pouvons vous être utiles, que ce soit au sujet de l'eider ou de l'habitat du poisson, ou bien pour travailler avec Pêches et Océans, nous nous ferons un plaisir de nous mettre à votre disposition en tout temps.

Le président: Nous avons un dernier point à régler. Les membres du comité sont-ils d'accord pour que la documentation remise par Canards illimités soit déposée au comité?

Des voix D'accord.

Le président: Merci.

La séance est levée.


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