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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 2 - Témoignages du 11 juin 2001


OTTAWA, le lundi 11 juin 2001

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui à 12 h 08 pour étudier diverses questions ayant trait aux droits de la personne et examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne.

Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: C'est la deuxième séance du Comité sénatorial permanent des droits de la personne qui est autorisé à étudier diverses questions ayant trait aux droits de la personne et à examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne.

Nous recevons trois groupes de témoins. Si j'ai bien compris, les deux premiers groupes ont décidé, d'un commun accord, de fusionner. Nous attendrons que les témoins aient terminé leur exposé pour poser des questions en espérant que ce sera plus efficace pour les témoins et que cela nous permettra de respecter notre calendrier.

Je suis heureuse que les témoins se soient préparés. Nous sommes à la fin de juin et c'est la fin de la session parlementaire; aussi, nous voudrions obtenir quelques informations avant l'été.

Nous recevons aujourd'hui M. Norman Moyer, sous-ministre adjoint, Identité canadienne, président du Comité permanent des fonctionnaires chargés des droits de la personne; Adèle Dion, directrice, Direction des droits de la personne, des affaires humanitaires et de la promotion internationale de la femme du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international; John Holmes, directeur, Direction du droit onusien, criminel et des traités du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international; et du ministère de la Justice, Mme Irit Weiser, directrice de la Section des droits de la personne. Mme Weiser est accompagnée de M. Paul Rishworth, de l'Université d'Auckland, qui travaille au ministère de la Justice, dans le cadre d'un échange. Les sénateurs pourront lui poser des questions s'ils le désirent.

Monsieur Moyer, nous suivrons l'ordre du programme. Je vous invite à faire quelques commentaires liminaires. Nous essayons de faire en sorte que les déclarations liminaires soient instructives mais suffisamment brèves pour qu'il reste assez de temps pour poser des questions. Je ne peux pas avoir autant de contrôle sur les sénateurs que sur les témoins et c'est pourquoi je vous demande d'être brefs.

M. Norman Moyer, sous-ministre adjoint, Identité canadienne, président du Comité permanent des fonctionnaires chargés des droits de la personne: Merci beaucoup pour votre invitation. Patrimoine canadien apprécie beaucoup votre décision d'axer principalement votre étude sur les droits de la personne. Votre attention sera un avantage dans le cadre de ce processus.

Ces audiences viennent à point nommé pour mon comité. Le Comité permanent des fonctionnaires chargés des droits de la personne est en train d'examiner son mandat et ses activités. Par conséquent, tout commentaire éventuel sur la nature de notre comité serait fort apprécié.

En 1968, le Cabinet a confié au Secrétariat d'État du Canada diverses activités liées à la promotion et à la protection des droits de la personne. L'orientation principale de ce mandat est restée la même. Nous collaborons avec des organisations non gouvernementales de défense des droits de la personne, des éducateurs et des spécialistes pour réaliser des activités d'éducation du public. Nous sommes responsables des consultations intergouvernementales au Canada et des consultations ainsi que de la coordination en ce qui concerne la ratification et la mise en oeuvre des traités internationaux relatifs aux droits de la personne.

Depuis les années 60, le Secrétariat d'État du Canada est responsable de la préparation des rapports sur la mise en oeuvre des traités internationaux relatifs aux droits de la personne que le Canada doit présenter à divers organismes internationaux. En janvier 1991, ces pouvoirs ont été transférés au ministère du Multiculturalisme et de la Citoyenneté et, en 1993, au ministère du Patrimoine canadien.

J'ai été invité ici aujourd'hui à titre de président du Comité permanent des fonctionnaires chargés des droits de la personne. Je voudrais maintenant parler surtout de ce comité.

Le ministère du Patrimoine canadien coordonne les consultations entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux en ce qui concerne l'élaboration, la ratification et la mise en oeuvre des obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne.

En décembre 1975, les ministres fédéral et provinciaux responsables des droits de la personne ont approuvé une série de modalités et de mécanismes d'examen prévoyant des rencontres régulières de fonctionnaires par la création du Comité permanent des fonctionnaires chargés des droits de la personne.

Le comité permanent s'acquitte de son mandat en encourageant l'échange de renseignements entre les divers paliers de gouvernement en ce qui concerne l'interprétation et la mise en oeuvre des instruments internationaux relatifs aux droits de la personne et d'autres programmes correspondants. Le comité facilite la préparation des rapports sur la mise en oeuvre des instruments internationaux relatifs aux droits de la personne et aussi la préparation de divers rapports demandés par des organismes internationaux. Il donne en outre son avis quant à la position que le Canada devrait adopter sur les questions internationales de droits de la personne. Cependant, chaque province a ses propres responsabilités. Les membres du comité partagent en outre de l'information sur les activités d'éducation et de promotion de leur province ou territoire.

Le comité s'est réuni pour la première fois en 1976 et il se réunit deux fois par an depuis lors. Je préside le comité à titre de représentant officiel du gouvernement du Canada. Le Programme des droits de la personne du ministère joue le rôle de secrétariat permanent du comité et assure la liaison avec les fonctionnaires fédéraux, provinciaux et territoriaux. Les provinces et territoires y sont représentés. Les fonctionnaires, nommés par leur gouvernement respectif, viennent de divers ministères comme le ministère de la Justice, le ministère du Procureur général du Canada et Citoyenneté et Immigration. Les principaux partenaires fédéraux sont le ministère des Affaires étrangères et le ministère de la Justice. D'autres ministères fédéraux peuvent également participer, notamment le ministère des Affaires indiennes et du Nord, le ministère de la Santé et Condition féminine Canada.

La nature du comité permanent mérite d'être signalée. Il s'agit principalement d'un mécanisme de consultation et de coordination. Ce n'est pas un organisme de décision. Par son intermédiaire, les gouvernements échangent des renseignements et débattent des questions ayant trait aux instruments internationaux relatifs aux droits de la personne. Les domaines couverts par ces instruments sont nombreux et variés; ils vont de la santé à l'éducation en passant par l'emploi et la discrimination. Par conséquent, il y a des chances que les représentants officiels ne soient pas les principaux responsables du domaine traité, dans leur gouvernement.

Comme pour la plupart des comités fédéraux-provinciaux- territoriaux, les réunions du comité permanent se tiennent à huis clos, ce qui permet aux gouvernements d'échanger des renseignements en toute liberté.

Le comité est actuellement engagé dans les discussions relatives à la signature ou à la ratification éventuelle de trois instruments: la Convention américaine sur les droits de l'homme de l'Organisation des États américains, le protocole facultatif à la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes et le protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant, concernant la vente d'enfants, la prostitution enfantine et l'exploitation pornographique de l'enfant.

J'insiste sur le fait que le comité n'est pas un organisme de décision. Ses membres échangent des opinions et l'information est transmise par les fonctionnaires à leurs ministres compétents en la matière. Les décisions en ce qui concerne les instruments internationaux sont prises selon les procédures établies par le Cabinet de chaque province ou territoire.

Le Comité permanent des fonctionnaires chargés des droits de la personne est le mécanisme au moyen duquel le ministère du Patrimoine canadien coordonne la préparation des rapports du Canada. Le Canada doit présenter des rapports aux Nations Unies sur les six principaux instruments relatifs aux droits de la personne dont nous sommes partie: le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et la Convention relative aux droits de l'enfant.

La fréquence de présentation de ces rapports varie entre deux et cinq ans. Le Canada est tenu de préparer des rapports en vertu des traités internationaux relatifs aux droits de l'homme dont il est signataire et des engagements qu'il a pris en devenant membre de divers organismes internationaux.

Selon les modalités et les mécanismes adoptés en 1975 par la Conférence fédérale-provinciale des ministres, chaque gouvernement provincial et territorial a le droit de préparer un rapport sur ses efforts personnels de mise en oeuvre. Ces rapports provinciaux et territoriaux et la partie réservée au gouvernement fédéral constituent les rapports du Canada.

Divers ministères partagent les responsabilités en matière de préparation de la partie fédérale du rapport. Deux rapports ont été présentés dernièrement à l'ONU, à savoir les 13e et 14e rapports du Canada sur la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale et le deuxième rapport du Canada sur la Convention relative aux droits de l'enfant. Quatre autres rapports sont en cours de préparation: le cinquième rapport sur la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, le quatrième rapport sur la Convention contre la torture, le quatrième rapport sur le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et les 15e et 16e rapports sur la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

Depuis quelques années, il y a des retards dans la préparation des rapports fédéraux et provinciaux. L'ONU a donc dû attendre plusieurs rapports. Cependant, on prévoit remettre tous les rapports en retard d'ici la fin du présent exercice financier. Le Canada sera alors à jour en ce qui concerne ses rapports.

Le ministère du Patrimoine canadien et le comité permanent ont essayé d'organiser ensemble un système qui permettrait de remettre les rapports avec plus de ponctualité.

Après la présentation d'un rapport, le Canada est invité par les Nations Unies à comparaître devant le comité qui est concerné. L'examen des rapports est normalement effectué dans un délai de un à trois ans après leur présentation. Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international coordonne la préparation des comparutions des représentants du Canada devant le comité.

Au terme de l'examen, le comité compétent de l'ONU émet des conclusions et observations. Ces observations sont communiquées aux provinces et territoires. Le comité permanent discute par la suite de cet examen et des conclusions et observations de l'ONU. Chaque représentant du comité veille à ce que les conclusions soient communiquées aux représentants des divers programmes concernés de leur province ou territoire. Ce sont les provinces ou territoires qui décident comment il convient de réagir à ces observations. Les réactions sont ensuite communiquées au comité compétent de l'ONU dans le rapport suivant.

Je vous ai remis des exemplaires d'un document d'information sur l'origine et l'historique du Comité permanent des fonctionnaires chargés des droits de la personne. Ce document décrit le mandat du comité, diverses lignes directrices élaborées par le comité et une liste des traités multilatéraux relatifs aux droits de la personne auxquels le Canada est partie. Des renseignements supplémentaires sur le Canada et le système des droits de la personne de l'ONU, ainsi que des exemplaires des rapports du Canada aux Nations Unies et autres documents correspondants se trouvent sur le site Web du Programme des droits de la personne.

Mme Adèle Dion, directrice, Direction des droits de la personne, des affaires humanitaires et de la promotion internationale de la femme, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: Je suis également très heureuse d'avoir l'occasion de témoigner. Mon exposé portera sur deux sujets principaux. Le premier est le rôle joué par le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international dans l'exécution des politiques et des activités internationales du Canada en matière de droits de la personne. Le deuxième est le rôle que joue le Canada dans le système international des droits de la personne et sa collaboration au sein de ce système.

En 1986, le Comité mixte spécial sur les relations extérieures du Canada a déclaré avec l'accord de tous les partis que la promotion des droits de la personne à l'échelle internationale faisait partie intégrante de la politique extérieure canadienne. Voilà le contexte en ce qui concerne mon ministère.

En 1995, en réponse à l'examen parlementaire de la politique étrangère, le gouvernement a publié une déclaration confirmant le rôle central des droits de la personne dans la politique extérieure du Canada. Elle confirmait que les droits de la personne doivent être considérés non seulement comme une valeur fondamentale mais aussi comme un facteur crucial de développement de sociétés stables, démocratiques et prospères vivant en paix les unes avec les autres.

Ma direction, celle des affaires humanitaires et de la promotion internationale de la femme, est une des cinq directions formant la Direction des enjeux mondiaux, qui est responsable de la gestion de questions recouvrant divers aspects des relations du Canada avec d'autres pays.

Ma direction, qui est chargée de défendre et de promouvoir les intérêts du Canada en ce qui concerne les droits internationaux de la personne, est également responsable des affaires humanitaires internationales, de la promotion internationale de la femme et de la défense de ses droits, des questions démographiques internationales, de la migration et des réfugiés, de l'aide humanitaire, des pandémies et des droits de l'enfant, des droits des personnes handicapées et d'autres questions relevant de la politique sociale.

La Section des droits de la personne de la direction donne des avis stratégiques au ministère et aux ministres sur les questions de droits internationaux de la personne; elle gère et dirige la participation du Canada aux activités des organismes de l'ONU de protection des droits de la personne et donne des conseils stratégiques pour la participation du Canada dans des forums régionaux comme l'Organisation des États américains (OEA) et l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).

Nous consacrons beaucoup de temps aux consultations avec d'autres services du ministère qui sont concernés. Nos principaux partenaires sont des fonctionnaires du bureau géographique qui sont les principaux responsables de la gestion de tous les aspects des relations bilatérales du Canada avec les autres pays et de nos relations avec des organisations régionales comme l'OEA et l'OSCE.

Une relation bilatérale a toujours un lien avec les droits de la personne. Cette décentralisation des responsabilités témoigne du fait que les préoccupations relatives aux droits de la personne font partie intégrante des relations avec un grand nombre de pays de la plupart des contrées du monde et représentent parfois un facteur prépondérant. Le rôle de notre direction est de conseiller nos collègues sur les politiques et sur les normes internationales en matière de droits de la personne pour s'assurer que l'approche du Canada est efficace et logique.

Les membres de la direction ont également des contacts fréquents, voire quotidiens, avec les fonctionnaires de divers autres organismes gouvernementaux et ministères tels que Patrimoine canadien, Justice, l'ACDI, Condition féminine Canada et bien d'autres organismes, selon la nature de la question examinée.

Nous sommes également responsables de la coordination d'un large éventail de consultations avec des organisations non gouvernementales canadiennes, avec les milieux universitaires et avec des particuliers. Nous assurons cette coordination pendant toute l'année.

Je voudrais dire maintenant quelques mots au sujet du Canada et de la façon dont nous collaborons dans le cadre du système international des droits de la personne. Nos tâches sont liées à deux principaux domaines: les mécanismes des Nations Unies en matière de droits de la personne et ses organes de surveillance des traités.

Le Canada considère que les organismes multilatéraux, et surtout l'ONU, sont généralement les intermédiaires les plus efficaces pour influencer d'autres gouvernements en ce qui concerne les droits de la personne. Le système international des droits de la personne est complexe, même selon les normes de l'ONU. On s'en rend particulièrement compte par les sommes colossales qui y sont consacrées, et par le nombre phénoménal de rapporteurs et de groupes de travail placés sous l'égide de la Commission des droits de l'homme.

C'est une conséquence de la façon dont le système a évolué. Il s'agit, pour l'essentiel, d'un système qui s'est édifié petit à petit et qui consiste à trouver un rapporteur pour suivre la situation dans un pays déterminé ou pour étudier la fréquence d'un cas de violation de traité, comme la torture, à l'échelle mondiale.

Les droits de l'homme sont devenus un centre d'intérêt de plus en plus important de divers organismes de l'ONU dont la Commission des droits de l'homme, l'Assemblée générale des Nations Unies, la Commission de la condition de la femme, la Commission du développement social, la Commission de la population et du développement et même le Conseil de sécurité de l'ONU.

Ma direction est responsable de deux objectifs clés de l'approche du Canada à l'égard des Nations Unies. Le premier consiste à renforcer le mécanisme des droits de la personne et le deuxième à intégrer les droits de la personne et la promotion de la femme aux activités globales de l'ONU.

Nous visons ces deux objectifs aux assemblées de l'ONU, comme celles que je viens de mentionner, et dans le cadre des sessions spéciales de l'ONU, et aussi grâce à une collaboration efficace et permanente avec des gouvernements partageant nos opinions et des fonctionnaires des divers secrétariats de l'ONU.

En 1998, on a fêté le 50e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Pour témoigner de l'engagement du Canada en matière de promotion et de protection des droits de la personne, le chef de la délégation canadienne à la Commission de l'ONU a lancé une invitation permanente à venir au Canada aux responsables des mécanismes relatifs aux droits de la personne.

Je parlerai des organes de surveillance des traités avant de passer la parole à mes collègues qui donneront des renseignements un peu plus précis sur les traités internationaux.

Comme l'a mentionné M. Moyer, le Canada est partie à six des principaux traités de l'ONU concernant les droits de la personne. Nous présentons régulièrement des rapports sur la performance du Canada à ces comités. Nous pensons que cela nous aide à renforcer notre réputation de garants des droits de nos citoyens.

Deux experts canadiens indépendants siègent actuellement aux comités d'étude des traités de l'ONU. L'un est M. Maxwell Yaldin, qui est un expert indépendant et siège au Comité des droits de l'homme. Ce comité surveille la performance en ce qui concerne le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le deuxième expert est M. Peter Burns, de la faculté de droit de l'Université de la Colombie-Britannique, qui est actuellement président du Comité sur la torture.

Nous considérons que le Canada est bien représenté dans les six comités d'étude des traités concernant les droits de la personne de l'ONU. En fait, une représentation plus forte ne serait pas utile étant donné qu'elle diminuerait les possibilités de participation d'experts indépendants d'autres régions du monde.

Enfin, nous sommes convaincus qu'un important corollaire des efforts déployés par le Canada auprès de l'ONU pour encourager d'autres pays à respecter les droits de la personne est que nous sommes disposés à ce que notre bilan en matière de droits de la personne fasse l'objet d'évaluations internationales. C'est pourquoi nous tenons compte des recommandations des divers comités de l'ONU et nous faisons de notre mieux pour les suivre.

M. John Holmes, directeur, Direction du droit onusien, criminel et des traités, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: Je suis heureux d'avoir l'occasion de m'adresser aux membres de ce nouveau Comité sénatorial permanent des droits de la personne. L'objet de mes commentaires liminaires est de décrire brièvement le rôle du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international dans le processus de ratification des traités et dans la négociation des instruments internationaux relatifs aux droits de la personne.

La Loi sur le ministère des Affaires étrangères donne au ministère le pouvoir de mener et de gérer des négociations internationales pour le compte du Canada. En conséquence, la compétence d'autoriser et de mener des négociations pour un traité appartient principalement au MAECI. L'autorisation officielle d'entamer des négociations est normalement demandée au Cabinet ou au ministre des Affaires étrangères.

Au ministère, c'est la Direction du droit onusien, criminel et des traités qui est chargée de donner des avis juridiques sur divers sujets concernant le droit international, y compris sur les droits de la personne. La direction joue un rôle actif dans l'élaboration de nouveaux instruments internationaux relatifs aux droits de la personne. Ce rôle consiste souvent à diriger la délégation canadienne aux négociations. Les membres de la direction donnent des avis juridiques à la délégation canadienne comme membres de cette délégation ou à partir du siège administratif.

L'élaboration de normes internationales en matière de droits de la personne se fait dans divers organismes dont le Canada fait partie. L'Organisation des Nations Unies est, bien entendu, le plus important de ces organismes, en raison de son caractère universel. Mes collègues ont décrit le système de l'ONU en fonction de la Déclaration universelle des droits de l'homme et des six principaux instruments relatifs aux droits de la personne.

Les organismes régionaux comme l'Organisation des États américains et l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l'OSCE, ont déjà adopté des normes importantes en matière de droits de la personne.

L'OEA adopte des traités et des déclarations sur les droits de la personne depuis sa création. La plupart de ces instruments, comme la Convention américaine sur les droits de l'homme, ont été élaborés avant que le Canada ne devienne membre de l'organisation, c'est-à-dire avant 1990.

La participation du Canada aux négociations sur un instrument international relatif aux droits de la personne n'est fondée sur aucun modèle uniforme. La taille et la composition de la délégation canadienne varient selon la nature de l'instrument. Lorsqu'il s'agit d'un instrument important, la délégation peut être composée de représentants du MAECI et d'autres ministères fédéraux comme le ministère de la Justice. Lorsqu'il s'agit d'un instrument concernant un large éventail de questions relevant de la compétence des provinces, des représentants des provinces ou des territoires peuvent faire partie de la délégation canadienne. Les représentants du gouvernement fédéral sont les porte-parole du Canada et ceux des gouvernements provinciaux conseillent les membres de la délégation.

Avant le début des négociations, la délégation canadienne essaie normalement d'obtenir l'approbation du ministre des Affaires étrangères, en ce qui concerne la composition de la délégation proprement dite, et la position qu'elle adoptera au cours des négociations. Les instructions données à la délégation peuvent être très générales pour lui laisser la latitude nécessaire pour s'adapter aux circonstances et aux nouvelles propositions faites dans le cadre des négociations.

D'une manière générale, les délégations canadiennes qui participent à des négociations sur des instruments de ce genre sont guidées par plusieurs critères: s'assurer que le nouvel instrument ne diminue pas l'efficacité des normes internationales en matière de droits de la personne, élaborer des normes répondant aux préoccupations en matière de droits de la personne et recueillant un large appui auprès des États pour s'assurer de l'acceptation généralisée du futur instrument et élaborer des normes qui sont généralement conformes aux lois et aux coutumes canadiennes.

Ce dernier commentaire ne doit pas être interprété comme un rejet de toute nouvelle norme. Les délégations canadiennes cherchent, au contraire, à promouvoir des lois et des pratiques qui se sont avérées utiles pour les Canadiens et qui pourraient servir de modèles à l'échelle internationale. Les délégations essaient en outre d'éviter des approches radicalement différentes qui risquent de rendre l'acceptation de l'instrument par le Canada plus difficile.

De nombreux instruments relatifs aux droits de la personne nécessitent plusieurs années de négociations. Entre les séances, les membres des délégations informent généralement les ministères concernés et l'état d'avancement des négociations est généralement indiqué au programme du comité permanent.

Dans certains cas, un système de consultation à intervalles plus réguliers que les séances peut être mis en place. En ce qui concerne la Convention relative aux droits de l'enfant, le comité permanent a institué un sous-comité fédéral-provincial-territorial officieux pour suivre les progrès réalisés au cours des séances de négociation antérieures et pour peaufiner, au besoin, les positions canadiennes. Enfin, ce modèle s'est avéré exceptionnel, parce qu'il permet au Canada de signer et de ratifier très rapidement un traité relativement complexe.

Des instruments complexes analogues pour lesquels le Canada n'a pas participé activement aux négociations, comme la Convention américaine sur les droits de l'homme, ont nécessité des discussions très longues entre les fonctionnaires fédéraux et les fonctionnaires provinciaux et territoriaux.

Lorsqu'un instrument est adopté par l'ONU ou par un autre organisme international, les fonctionnaires doivent l'examiner minutieusement pour déterminer si le Canada pourrait le signer et le ratifier et voir quelle pourrait en être la portée. Si, comme dans la plupart des cas, des intérêts provinciaux sont touchés, des consultations sont entamées ou se poursuivent avec les provinces et les territoires, par l'intermédiaire du comité permanent. Lorsque les fonctionnaires ont terminé leur analyse, des recommandations peuvent être faites aux ministres ou au Cabinet. Les ministres ou le Cabinet doivent autoriser la signature et la ratification de l'instrument par le Canada. Le processus d'examen peut être long.

Lorsque le Canada étudie la possibilité de ratifier ou d'approuver un instrument international relatif aux droits de la personne, la question des réserves ou des déclarations officielles peut se poser. En principe, le Canada n'est pas en faveur du recours généralisé aux réserves en ce qui concerne les instruments multilatéraux relatifs aux droits de la personne. Cependant, dans certains cas précis, des réserves sont parfois acceptables, surtout si l'objectif général n'est pas de miner les droits de la personne mais plutôt de concilier des obligations contradictoires dans l'instrument concerné. Lorsque d'autres pays ont largement recours aux réserves ou font des réserves d'ordre général ayant pour objet de limiter l'efficacité de l'instrument, la politique canadienne consiste à encourager l'État concerné à les retirer.

Lorsque le Canada a reçu l'approbation politique de ratifier un traité international relatif aux droits de la personne ou d'y adhérer, le rôle du Parlement dépend de la nature de l'instrument ainsi que des lois et politiques canadiennes concernant les obligations prévues dans l'instrument en question. Si de nouvelles lois canadiennes ou des modifications aux lois canadiennes en vigueur sont nécessaires, le projet de loi correspondant est présenté au Parlement avant l'adhésion du Canada. Le Parlement entame alors souvent un débat sur le traité international dans le cadre de l'étude du projet de loi dont il est saisi.

Dans les cas où aucune modification législative n'est nécessaire, le Parlement n'est pas toujours appelé à examiner d'avance la ratification par le Canada. Cependant, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, par l'intermédiaire de ma direction, dépose tous les traités que le Canada a ratifiés et qui n'ont pas été portés à l'attention du Parlement. Le texte de ces traités est actuellement disponible en version électronique.

Enfin, je voudrais faire un commentaire sur une question qui a été abordée la semaine dernière. Plusieurs témoins ont prié le Canada d'adhérer à divers instruments internationaux relatifs aux droits de la personne. Je ne ferai pas de commentaires à ce sujet maintenant mais je répondrai avec plaisir à des questions précises tout à l'heure. Mon collègue du ministère du Patrimoine canadien a mentionné que trois de ces instruments font actuellement l'objet d'un examen actif. Il s'agit de la Convention américaine sur les droits de l'homme, du protocole facultatif à la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes et du protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant. Je vous remercie.

Mme Irit Weiser, directrice, Section des droits de la personne, ministère de la Justice: Mon exposé porte sur la mise en oeuvre des obligations du Canada découlant des traités sur les droits de la personne à l'intérieur du pays, dans l'optique du ministère de la Justice. Je donnerai d'abord un bref aperçu du cadre législatif et constitutionnel canadien ou de ce que j'appelle également des «montagnes inamovibles», parce que c'est un cadre qui exerce des contraintes sur les initiatives du Parlement et du gouvernement en matière de mise en oeuvre des droits internationaux de la personne. Je voudrais ensuite vous parler de ce que nous faisons pour surmonter ces obstacles. Je vous parlerai également brièvement d'autres options possibles.

La première contrainte que je voudrais mentionner est qu'au Canada, l'élaboration de traités est une fonction exécutive et que, par conséquent, le gouvernement n'a pas besoin de l'approbation du Parlement pour conclure des ententes internationales.

La deuxième «montagne inamovible» est liée à la nature du fédéralisme. Dans une cause qui remonte à 1937 appelée généralement affaire de la Convention sur le travail, l'exécutif fédéral a le pouvoir exclusif d'adhérer aux traités internationaux. Cependant, le gouvernement fédéral ne peut légiférer la mise en oeuvre du traité dans des domaines relevant normalement de la compétence des provinces, à la différence d'autres fédérations, comme l'Australie, où le gouvernement fédéral conserve le pouvoir résiduel de légiférer pour promouvoir un traité, même si le domaine ne relève pas de sa compétence.

La troisième «montagne inamovible» est liée au fait que les traités internationaux ne sont pas directement applicables au Canada. En d'autres termes, un traité international ne peut servir de base en soi à une action devant les tribunaux du pays. Le traité doit d'abord être intégré à une loi canadienne.

Pourquoi n'intégrons-nous pas automatiquement tous les traités à une loi?

Premièrement, les traités sur les droits de la personne portent souvent sur des questions relevant de la compétence exclusive des provinces et leur ratification ne modifie pas la répartition des pouvoirs prévue dans notre Constitution.

Deuxièmement, même dans les domaines relevant de la compétence fédérale, l'intégration automatique des traités à une loi serait absurde. Permettez-moi de citer quelques exemples.

Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes et la Convention relative aux droits de l'enfant contiennent une certaine garantie de la liberté d'expression. Si on légiférait trois garanties différentes de la liberté d'expression qui ne sont pas libellées de la même façon, on risquerait d'obtenir des énoncés législatifs manquant d'uniformité ou, à tout le moins, de semer une certaine confusion. Je rappelle que tous ces énoncés législatifs de la liberté d'expression seraient soumis à la même garantie prévue dans la Charte canadienne des droits et libertés.

Voici un autre exemple. D'après le Comité des droits de l'homme, qui est l'organisme chargé de superviser le Pacte relatif aux droits civils et politiques, plusieurs États violent la protection contre la torture en prononçant l'extradition de personnes qui risquent de subir la peine de mort si la méthode d'exécution est par le gaz, par asphyxie ou par électrocution. L'extradition pour subir la peine de mort par injection mortelle n'est pas une violation à l'interdiction prévue dans la Convention contre la torture. Comme vous le savez, l'extradition pour subir la peine de mort a été examinée dernièrement par la Cour suprême du Canada en vertu de l'article 7 de la Charte concernant le droit de chacun à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne auquel il ne peut être porté atteinte qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale. La Cour suprême a décidé que la ministre de la Justice ne pouvait prononcer l'extradition d'une personne sans chercher à obtenir des garanties des États-Unis que la peine de mort ne sera pas imposée. La méthode d'exécution est une question étrangère à l'objet du débat.

Quand on met un traité en oeuvre, il faut faire un exercice de transposition du contexte international au contexte national. Une infraction concernant la disparition de quelqu'un, un autre sujet de traités, n'aurait pas beaucoup de signification dans le Code criminel canadien. Les dispositions concernant le meurtre, l'enlèvement et la séquestration traitent les mêmes infractions d'une façon sensée dans le système judiciaire canadien.

Je voudrais examiner maintenant la façon dont les traités ratifiés sont traités dans le système judiciaire canadien. C'est peut-être plus malléable qu'une «montagne inamovible», mais cela représente un obstacle majeur dont il convient d'être conscient lorsqu'on veut élaborer des stratégies de mise en oeuvre. C'est un aspect que je survolerai rapidement étant donné que vous examinez principalement les mécanismes du gouvernement et non l'approche du système judiciaire.

Au Canada, les traités ne sont pas directement applicables mais ils peuvent donner des informations utiles pour l'interprétation des lois du pays. La situation peut être différente selon que la cour examine la législation ordinaire plutôt qu'une disposition de la Constitution.

En ce qui concerne le droit commun, les tribunaux ont décidé que les juges devaient s'efforcer d'interpréter les lois en fonction des obligations internationales pertinentes. Cependant, si les dispositions expresses de la loi canadienne vont à l'encontre des obligations internationales du Canada, c'est cette loi qui prévaut.

La situation est un peu plus nuancée en ce qui concerne les dispositions de la Constitution. En résumé, la Cour suprême a dit que le système judiciaire n'est pas tenu d'appliquer les obligations contractées dans le cadre de traités internationaux relatifs aux droits de la personne dans le contexte de la Charte, bien que ces obligations puissent être un facteur important et décisif dans l'interprétation de la Charte par le tribunal.

Toutes les «montagnes inamovibles» que je viens de décrire font du système canadien un système unique et, sur le plan structurel, un des plus complexes du monde, en ce qui concerne la mise en oeuvre des traités internationaux.

Que fait-on au Canada pour pouvoir ratifier les traités relatifs aux droits de la personne? Avant la ratification, les fonctionnaires du ministère de la Justice consultent des collègues d'autres ministères fédéraux, d'autres organismes, des gouvernements provinciaux et territoriaux, par l'intermédiaire du comité permanent; il consulte en outre des groupes autochtones et d'autres groupes non gouvernementaux. Ces consultations permettent de déterminer plusieurs facteurs. Elles permettent de voir si les lois et les politiques canadiennes existantes sont déjà conformes aux obligations découlant de traités. Elles permettent de déterminer s'il y a un manque de compatibilité et, dans ce cas, de décider si une nouvelle législation ou de nouvelles politiques devraient être adoptées ou si les lois et politiques existantes devraient être modifiées. Elles permettent enfin de déterminer s'il convient de maintenir la position du Canada même si elle n'est pas conforme aux dispositions du traité et d'émettre une réserve ou de faire une déclaration officielle.

Diverses approches sont généralement adoptées selon les dispositions du traité concerné et le palier de compétence au Canada. Par exemple, avant la ratification de la Convention contre la torture, une nouvelle infraction de torture a été ajoutée au Code criminel à laquelle a été rattachée une compétence universelle.

La comparaison des termes employés dans la Convention relative aux droits de l'enfant et des textes de loi ou des usages canadiens a également suscité des préoccupations. Par exemple, une réserve a été émise en ce qui concerne l'article 21 de la convention qui fait que l'adoption d'un enfant n'est autorisée par les autorités compétentes qu'en conformité des lois et procédures applicables. Comme on ne savait pas très bien, à l'époque de la ratification, si cet article s'appliquerait également aux coutumes d'adoption autochtones, le Canada a émis une réserve.

Que pourrait-on encore envisager pour améliorer la mise en oeuvre des obligations du Canada découlant de traités relatifs aux droits de la personne? Je voudrais parler de deux options. La première est la suivante: comme l'indique le système canadien, les obligations issues de traités ne sont pas nécessairement applicables par le biais du système juridique canadien. Le Parlement a donc un rôle important à jouer en matière d'observation de nos obligations internationales issues de traités, au niveau de l'examen de projets de loi ou à d'autres niveaux.

Si j'ai bien compris, on vous présentera des mémoires sur les approches et expériences d'autres pays où le régime de gouvernement est analogue au nôtre, comme l'Australie. Nous espérons que cela nous aidera à envisager d'autres options. M. Rishworth est ici aujourd'hui et a des informations à nous donner sur l'approche néo-zélandaise.

La deuxième option est en quelque sorte un examen continu. L'examen minutieux effectué avant la ratification du traité indique que le gouvernement était, à ce moment-là, bien informé des interactions entre le traité et les lois du pays. En plus de cet examen, on pourrait peut-être envisager une meilleure intégration des obligations découlant de traités relatifs aux droits de la personne aux activités de l'appareil gouvernemental, de l'appareil parlementaire et de l'appareil bureaucratique. Ce n'est pas facile. Ce ne peut pas être un exercice formaliste. Outre le fait que les obligations contractées par le Canada en vertu de traités sont multiples, la plupart d'entre elles se chevauchent et certaines ne sont pas faciles à discerner. À certains moments, le langage utilisé dans les instruments internationaux n'est pas transposé en obligations légales applicables au pied de la lettre.

Au Canada, les interprétations des dispositions des traités internationaux concernant les droits de la personne sont en outre généralement squelettiques par rapport à la jurisprudence riche et élaborée. Par exemple, la Cour suprême du Canada a sans aucun doute examiné les valeurs sous-jacentes, l'objectif et l'application de droits aussi fondamentaux que le droit à l'égalité, à la liberté d'expression et le droit à un avocat de façon plus approfondie que tout organisme international. Dans d'autres domaines, la législation canadienne concernant les droits de la personne et le raisonnement suivi sont nettement en avance sur les initiatives internationales. Les questions concernant les personnes du même sexe sont un exemple flagrant. La communauté internationale est loin d'avoir réalisé un consensus quant à savoir si l'orientation sexuelle est un motif de discrimination inacceptable.

Enfin, la portée et la teneur des dispositions des traités sont formulées de façon quelque peu nébuleuse. Nous savons que, à l'intérieur de nos frontières, c'est la Cour suprême qui identifie de façon décisive les principes prônés par diverses chartes des droits et libertés et qui les applique à des situations concrètes. Une ambiguïté beaucoup plus grande plane à l'échelle internationale. Par exemple, j'ai déjà mentionné les conclusions du Comité des droits de l'homme indiquant que des États violent l'interdiction contre la torture en prononçant l'extradition d'une personne qui sera exposée à la peine de mort si une certaine méthode d'exécution est utilisée.

Je crois que vous connaissez bien nos opinions en ce qui concerne les communications Waldman mais le Comité des droits de l'homme et d'autres comités comme celui-là ne font pas de droit international. Leurs décisions sont convaincantes et méritent d'être examinées attentivement mais il ne s'agit pas de déclarations jurisprudentielles contraignantes. L'interprétation de «normes internationales» est plutôt renforcée par la convergence de nombreux facteurs à savoir les usages de l'État, les décisions annoncées par les tribunaux du pays, les travaux universitaires et les conclusions des organismes internationaux.

Tous ces facteurs tendent à démontrer qu'il est possible de mieux intégrer les obligations internationales au processus parlementaire ou législatif. C'est un objectif important mais pour l'atteindre, il faut beaucoup de rigueur et il faut savoir que le recours à un organisme international peut parfois être ambigu, voire décevant. À d'autres moments, le droit international peut éclairer et enrichir nos décisions internes, comme l'ont si bien démontré Burns et Raffy. Les défis sont aussi importants que les valeurs que nous cherchons à réaliser.

Le sénateur Kinsella: Je voudrais d'abord que M. Moyer me dise si le comité permanent est un comité de fonctionnaires de toutes les régions du Canada qui doivent rendre des comptes à leur ministre. Est-ce exact?

M. Moyer: C'est exact.

Le sénateur Kinsella: Pourriez-vous dire quels sont les ministres auxquels les membres de ce comité doivent rendre des comptes?

M. Moyer: Cela varie d'une province à l'autre. Il s'agit souvent du secteur de la justice. Les procureurs généraux ont tendance à être les plus courants mais il arrive que ce soit le ministère de la Culture ou le ministère de l'Éducation. Je ne sais pas exactement tous les ministères que cela peut comprendre.

Le sénateur Kinsella: Autrement dit, divers ministères sont concernés. Dans certaines provinces, il peut s'agir également du ministère du Travail.

Vous avez mentionné que le comité permanent n'est pas un organisme de décision. Ce sont les ministres qui prennent les décisions. Est-ce bien cela?

M. Moyer: Chaque palier de compétence prend ses décisions selon le processus exécutif courant. Par conséquent, ce sont les ministres et les cabinets qui prennent les décisions.

Le sénateur Kinsella: Quand la dernière réunion des ministres responsables des droits de la personne a-t-elle eu lieu au Canada?

M. Moyer: La dernière réunion a eu lieu il y a 13 ans.

Le sénateur Kinsella: Les ministres responsables de la législation relative aux droits de la personne se sont donc réunis il y a 13 ans pour examiner diverses questions dont les activités de votre comité permanent; ils se sont notamment demandé s'il conviendrait que le Canada ratifie un nouvel instrument et ont examiné les rapports préparés sur les mécanismes d'observation des dispositions des traités que nous avons ratifiés.

M. Moyer: Il faut être prudent en ce qui concerne la conclusion à en tirer. Les ministres dont relèvent les membres de mon comité jouent souvent un rôle de coordination et ne sont pas les principaux décideurs de leur cabinet ou de l'exécutif, en ce qui concerne les questions de droits de la personne.

Il faut déterminer si une question débattue est liée d'une façon ou d'une autre aux droits de la personne et s'il existe des mécanismes fédéraux-provinciaux pour en discuter. Il peut s'agir très souvent d'un comité fédéral-provincial des ministres de la Justice qui discutent d'un point clé concernant les droits de la personne et non de ministres ayant le même genre de responsabilités de coordination que celles que j'ai à mon comité.

Le sénateur Kinsella: Auriez-vous des conseils à donner si notre comité voulait donner un aperçu des activités de l'exécutif? Vous avez mentionné que le mandat du comité permanent est en cours d'examen. Nous sommes désireux de connaître la nature des mécanismes établis. Comme parlementaires, aussi bien au Sénat qu'à l'autre endroit, nous aimerions peut-être découvrir les mécanismes de surveillance parlementaire les plus efficaces; c'est, bien entendu, le principe fondamental sur lequel repose notre régime de démocratie parlementaire.

Pourriez-vous faire quelques réflexions à ce sujet?

M. Moyer: Vous êtes beaucoup mieux placés que des fonctionnaires pour dire quels sont les mécanismes de surveillance parlementaire les plus efficaces.

Les activités de mon comité, dont le rôle consiste essentiellement à échanger des renseignements et à faire de la coordination, seraient moins intéressantes et moins pertinentes en ce qui concerne la surveillance parlementaire que celles des ministères qui examinent des questions précises de droits de la personne.

Le sénateur Kinsella: Prenons un exemple concret. Supposons que vous et vos collègues ayez suggéré qu'il faut se demander s'il conviendrait que le Canada ratifie la Convention américaine sur les droits de l'homme. D'après certains témoignages, des discussions sont actuellement en cours à ce sujet et ce, depuis une dizaine d'années. Est-ce exact?

M. Moyer: Oui.

Le sénateur Kinsella: Quel serait le meilleur mécanisme à utiliser pour savoir où en sont ces discussions ou quels sont les problèmes?

M. Moyer: Puisque nous parlons de quelque chose qui est à l'étape initiale et qu'il s'agit de la ratification, il faudrait essayer de chercher des occasions de parler à des fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. C'est ce ministère qui gère les relations du Canada dans ce domaine. Ces fonctionnaires pourraient vous dire quels progrès ont été réalisés dans le débat et quelles questions n'ont pas encore été réglées.

Le sénateur Kinsella: Voulez-vous dire par conséquent que nous devrions inviter le ministre des Affaires étrangères à témoigner? Est-ce que vous recommandez également d'inviter la ministre de la Justice, la ministre du Patrimoine canadien et les 10 ministres provinciaux et territoriaux? N'y a-t-il pas de solution plus facile à mettre en pratique?

M. Moyer: Au palier fédéral, vous pourriez obtenir la plupart des renseignements en vous adressant à divers ministres. Le degré d'examen des préoccupations des diverses provinces dépendrait en fait des renseignements que ces provinces ou territoires seraient disposés à fournir.

Le sénateur Kinsella: Une autre question a été posée l'autre jour.

La présidente: Je me permets de poser une question supplémentaire à ce sujet. Je suis préoccupée par la complexité de la bureaucratie et du système politique fédéraux due à la complexité du sujet. Chaque système provincial est également complexe.

Quand on veut des renseignements, faut-il s'adresser à votre comité interministériel? Si je voulais avoir des renseignements sur l'état d'un pacte, est-ce à votre comité que je dois adresser ma demande? Vous avez signalé qu'il faudrait s'adresser au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, voire à un autre ministère lié à l'Organisation des États américains. Est-ce vous qui assurez la coordination de toutes les activités et est-ce que vous possédez les renseignements nécessaires sur l'état d'avancement des diverses négociations?

M. Moyer: Nous avons des renseignements généraux à ce sujet. Pour obtenir des renseignements plus précis, il faut s'adresser aux ministères concernés. S'il s'agit d'une question qui concerne la main-d'oeuvre, par exemple, il faut s'adresser au ministère du Travail et, éventuellement, à d'autres organismes.

La présidente: Monsieur Moyer, vous seriez toutefois en mesure de nous indiquer à quelle étape du système on en est.

M. Moyer: Nous pourrions vous dire en gros où l'on en est.

La présidente: Si c'est votre comité qui rencontre les fonctionnaires provinciaux et fédéraux à propos du démarrage d'un pacte et que tout le monde est d'accord, le processus est entamé. Les provinces sont informées, votre comité communique les informations et tout le monde semble être d'accord pendant les événements. Si l'une des provinces n'est pas d'accord, quel est le mécanisme à déclencher pour faire intervenir les acteurs politiques dans les discussions? Ne se réunissent-ils jamais pour discuter et travaillent-ils seulement par correspondance ou par les voies administratives?

M. Moyer: Selon la nature de la question à examiner, il est possible que les ministres se rencontrent dans d'autres tribunes pour discuter d'une question de fond abordée dans le cadre des réunions d'un comité. On ne passe pas par le comité permanent. Les organismes concernés sont différents. Un de mes collègues aurait peut-être d'autres commentaires à faire à ce sujet.

La présidente: Y a-t-il d'autres commentaires?

M. Holmes: Nous avons décidé qu'il serait approprié de faire d'autres commentaires. Si le sénateur Kinsella demande quel ministère devrait parler des quelque 11 instruments mentionnés par les témoins la semaine dernière et dire où en est le Canada dans ce domaine, nous pouvons vous donner des renseignements aujourd'hui. Je répondrai à des questions portant sur des instruments précis. C'est toutefois difficile parce qu'il y a un processus d'étude et d'analyse que j'ai essayé d'expliquer avec l'aide de mes collègues.

Cela pourrait prendre un certain temps. Il faut que des fonctionnaires fédéraux fassent des études puis que la question soit examinée avec nos collègues provinciaux et territoriaux. Il faut être prudent parce que, en ce qui concerne certains de ces instruments, aucune décision politique n'a encore été prise pour la signature ou la signature et la ratification ou encore l'adhésion, comme dans le cas des conventions américaines.

Nous pouvons donner quelques renseignements sur certaines questions examinées. Mon collègue, M. Moyer, a signalé qu'il vaudrait mieux s'adresser aux ministres compétents pour obtenir des renseignements sur notre position et sur l'orientation que nous prenons.

La présidente: Cette question était adressée uniquement à M. Moyer. Monsieur Holmes, vous avez signalé à juste titre qu'il s'agit d'une fonction exécutive et qu'en signant la convention ou le traité, nous contractons des obligations internationales. Cependant, la question de la ratification est beaucoup plus complexe. Dans notre système fédéral, il faut une interface entre les acteurs politiques. Si tous les acteurs sont sur la même longueur d'onde, on peut communiquer un message informatif. Par contre, s'il y a des divergences d'opinions, il serait intéressant pour nous de savoir d'où elles viennent.

Si nous voulons recommander un mécanisme au Parlement, ce n'est pas parce que nous essayons d'examiner vos activités à la loupe. Nous aimerions beaucoup savoir où se situent les décisions politiques et y réfléchir ou exprimer des opinions sur ces processus. C'est pourquoi il est difficile de déterminer où ces décisions se situent. Voulez-vous dire que c'est parfois aussi difficile pour vous que pour nous?

M. Moyer: Cela varie d'un cas à l'autre. Mon comité est une tribune où l'on peut échanger des renseignements mais pas au niveau des personnes qui ont des responsabilités importantes dans un domaine précis. Cela se fait lors de réunions entre des coordonnateurs provinciaux et des hauts fonctionnaires fédéraux. Il est fort probable que le genre de contacts directs que vous mentionnez se situent entre la partie négociatrice responsable au palier fédéral et le ministère compétent de la province.

M. Holmes: En ce qui concerne le processus, lorsqu'on a dépassé le stade de l'étude par les fonctionnaires, que l'on a atteint un certain degré d'aisance et obtenu l'autorisation politique nécessaire au palier fédéral, le ministre des Affaires étrangères écrit normalement à ses homologues provinciaux. Cela se fait généralement au niveau des ministères des affaires intergouvernementales ou du réseau existant; il s'agit de chercher à obtenir leur approbation en ce qui concerne la signature ou la ratification.

La Convention relative aux droits de l'enfant peut servir d'exemple. Pendant les négociations, de nombreuses consultations se sont déroulées, puis, après l'adoption par les Nations Unies, le comité permanent, le sous-comité spécial et divers ministères fédéraux et provinciaux ont tenu d'autres consultations. Ensuite, le ministre des Affaires étrangères a envoyé des lettres à ses homologues provinciaux pour obtenir leur approbation ou leur appui en ce qui concerne la signature et la ratification de la convention par le Canada.

La présidente: Je trouve que cet exemple est très pertinent. En ce qui concerne cette convention, le processus a été long. Je pensais que le processus fonctionnait bien à l'intérieur du ministère et au niveau interministériel ainsi qu'entre les bureaucraties provinciales et fédérales mais au moment de signer, plusieurs provinces ont dit qu'elles n'avaient pas participé aux discussions ou qu'elles n'avaient pas été consultées. Il a fallu beaucoup de temps pour leur rappeler le processus. La difficulté pour nous est de trouver des points politiques d'intervention.

Le sénateur Milne: Monsieur Moyer, l'objet de ma question est d'essayer de savoir quel genre de feedback on obtient par l'intermédiaire de votre comité. Si le comité est un organisme d'échange de renseignements et de coordination, évalue-t-il parfois la participation des provinces pour donner ensuite du feedback au ministre fédéral? Présente-t-il des rapports?

M. Moyer: Le comité est la tribune où on discute des rapports qui arrivent mais les rapports viennent directement de chaque province ou territoire. La politique du Canada consiste à intégrer ces rapports à leur arrivée de la province ou du territoire concernés. Ils ne sont pas débattus. Nous tenons une table ronde à chaque réunion du comité qui permet aux membres d'échanger des informations sur les nouvelles approches qu'ils adoptent ou les nouvelles initiatives qu'ils ont mises en place mais il ne s'agit pas d'un débat approfondi sur les rapports. On partage en quelque sorte des idées nouvelles. Nous ne tenons pas une discussion évaluative sur les initiatives éventuelles en réaction aux commentaires tirés des rapports antérieurs ou des obligations contractées en vertu du traité.

Le sénateur Milne: Je présume que vous ne discutez pas des raisons pour lesquelles certaines initiatives ont été prises.

M. Moyer: Ce n'est pas le genre de travail qui se fait dans mon comité.

Mme Weiser: Je voudrais faire deux ou trois autres commentaires. Vous avez demandé quels types de renseignements sont échangés. On échange divers types de renseignements au comité permanent et des sous-comités spéciaux sont formés pour examiner des sujets précis. D'une façon générale, le ministère des Affaires étrangères nous communique des renseignements sur les activités de l'ONU qui pourraient avoir une incidence sur les lois ou les politiques canadiennes. L'information circule dans les deux sens. Les négociateurs à l'ONU comprennent diverses contraintes que peut avoir le Canada et les hauts fonctionnaires canadiens sont également au courant des normes qui évoluent ou dont on discute à l'ONU.

Nous tenons également des discussions générales sur la jurisprudence nationale qui a une incidence sur des conventions internationales. Nous examinons les travaux des tribunaux concernant les normes nationales et internationales. Nous faisons un examen des plaintes qui sont déposées devant les organismes internationaux pour que toutes les personnes intéressées soient au courant des questions dont ils ont été saisis et du genre de décisions qu'ils prennent. Tout cela peut influencer les décisions concernant le type de lois et de programmes qu'adoptent les diverses provinces et territoires. Nous partageons ces renseignements.

Je voudrais maintenant prendre le protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant comme exemple. C'est à ce niveau que nous formons un sous-comité chargé d'examiner les diverses questions de plus près. Ce protocole facultatif porte sur l'interdiction de la vente d'enfants. Il fait intervenir en grande partie le Code criminel mais a aussi des répercussions en matière d'adoption. Notre sous-groupe se réunit avec les représentants de toutes les parties et nous examinons nos dispositions législatives et réglementaires en matière d'adoption. Lorsque des questions se posent, nous examinons l'interprétation internationale. Nous examinons aussi l'interprétation de la loi nationale et essayons de déterminer si cela pose des problèmes. Notre tâche ne consiste pas uniquement à donner des informations. Nous tenons un dialogue pour pouvoir faire ensemble ou séparément une évaluation de notre position par rapport au traité international.

Le sénateur Milne: C'est encourageant.

Le sénateur Kinsella: Madame la présidente, c'est le premier ministre qui a écrit aux premiers ministres des provinces pour leur demander s'ils pensaient que le Canada devrait ratifier le pacte international. J'aimerais savoir si les ministres responsables ont reçu une demande au sujet de la Convention américaine sur les droits de l'homme.

Comment peut-on être au courant des progrès réalisés en matière de ratification? J'ai signalé que le processus avait duré une dizaine d'années en ce qui concerne la Convention américaine. Votre comité a peut-être fait de gros progrès techniques. Nous ne le savons pas. Nous aimerions le savoir.

Pour ma part, je pense que le Canada devrait ratifier la Convention américaine. Cependant, mon objectif stratégique est de devenir alors des partenaires à part entière aux mécanismes de promotion et de protection des droits de la personne établis par l'OEA, auxquels on ne peut avoir accès sans avoir ratifié la convention. Je me demande dans quelle mesure vous pourriez nous parler des progrès qui ont été réalisés. Qui retarde le processus?

Je vous recommande de ne pas répondre à cette question.

M. Holmes: Je ne peux vous donner qu'une brève réponse. Je signale qu'il n'y a eu aucune communication entre les ministres ou entre le premier ministre et les provinces pour demander l'appui officiel de la ratification. Comme l'ont indiqué mes collègues, et je crois que les ministres l'ont confirmé à plusieurs reprises, notamment au sommet de Windsor de l'Assemblée générale de l'OEA, c'est une possibilité que le Canada examine sérieusement.

Nous pouvons en parler brièvement, mais je ne peux pas donner des informations très précises. Certains des problèmes qui ont été mis en évidence par le témoin la semaine dernière résident dans les différences entre le libellé de la convention et nos lois et usages. Ces questions font toujours l'objet d'un examen.

Le sénateur Beaudoin: Je voudrais discuter de ce que l'on considère comme la base de notre système. En fait, le Canada est probablement le pays qui se trouve dans la situation la plus délicate sur le plan du droit constitutionnel mais nous ne pouvons rien faire pour éviter de devoir attendre une loi de mise en oeuvre spéciale pour qu'un traité fasse partie des lois du pays après sa signature.

S'il s'agit des droits de la personne, étant donné qu'ils relèvent toujours en partie de la compétence des provinces et en partie de la compétence du gouvernement fédéral, la mise en oeuvre est retardée et on procède d'abord à la ratification puis aux négociations. Quelles sont les chances de mise en oeuvre dans un cas comme celui-ci? Notre système est double. Nous devons légiférer pour donner effet à un traité. Sa ratification et les négociations ne suffisent pas. Nous devons franchir une autre étape.

Comment peut-on en rester là et en conclure que nous remplissons nos obligations internationales?

Je me souviens de l'époque où Frank Scott discutait de la question de la mise en oeuvre. Il préconisait de modifier la décision prise à ce sujet en 1937 par le Conseil privé, mais le tribunal n'avait pas changé d'avis. La Cour suprême a suivi le Conseil privé en ce qui concerne la mise en oeuvre. C'est toujours ce système qui est en vigueur pour la mise en oeuvre des traités. Il s'agit d'un processus législatif alors que la conclusion d'un traité relève de la fonction exécutive.

Comment peut-on discuter d'une traité pendant une dizaine d'années avant de le mettre en oeuvre?

Mme Weiser: Je ne sais pas si j'ai bien compris la question et, si je fais fausse route, je vous autorise à m'interrompre.

Avant la ratification, nous faisons un examen très approfondi des lois canadiennes pour voir si elles sont conformes aux obligations découlant de la signature du traité et, dans le cas contraire, nous pouvons, comme vous l'avez signalé, modifier la loi, adopter une nouvelle loi ou émettre une réserve.

Au moment de la ratification, un examen très minutieux des lois du pays a été effectué pour déterminer si elles sont compatibles avec les obligations internationales.

Le problème se pose parce qu'en vertu de notre système, les traités internationaux ne sont pas directement applicables. Après ce stade, la loi joue un rôle très important mais ne peut pas garantir de façon absolue la mise en oeuvre courante des obligations découlant du traité.

Le sénateur Beaudoin: Pourquoi? Si une province légifère et qu'une autre suit son exemple, puis encore une autre, n'est-il pas préférable de rester au stade de la ratification et des négociations?

Je comprends les complexités du système en ce qui concerne les droits et les libertés. Par contre, nous ne progresserons pas si nous n'atteignons pas le stade de la mise en oeuvre en vertu du pouvoir législatif.

M. Holmes: Je voudrais faire une rectification. Il y a peut-être quelques exceptions mais nous ne ratifions pas un traité tant que les provinces et les territoires n'ont pas appuyé la ratification et ne se sont pas conformés aux obligations prévues dans le traité. Le gouvernement fédéral ne ratifie jamais le traité ou la convention avant d'entamer des négociations avec les provinces pour voir ce qu'elles peuvent faire pour modifier leurs lois. Nous devrions attendre les résultats de l'initiative provinciale ou des indications. Nous devrions attendre que les provinces se soient conformées à l'instrument avant de le ratifier. C'est le processus qui est en place depuis plusieurs années.

Le sénateur Beaudoin: Ce processus est-il efficace?

Mme Weiser: Pour ce qui est de l'essentiel, il est efficace. La collaboration des provinces et des territoires est très bonne.

Le sénateur Beaudoin: Je voudrais vous citer un exemple. Grâce à notre Charte des droits, et plus précisément grâce à la clause dérogatoire précédant l'article 28, les Canadiens sont davantage sur un pied d'égalité que les citoyens de tout autre pays. L'égalité est au coeur de notre Constitution et c'est un fait que personne ne conteste. Par conséquent, la mise en oeuvre d'un traité devrait être relativement facile.

M. Holmes: Oui.

Le sénateur Beaudoin: J'ai une autre petite question à poser. Les territoires ont une autonomie qui est très importante. Que fait-on à leur sujet lorsqu'on atteint le stade de la mise en oeuvre? Ce ne sont pas des provinces. Leur statut est toutefois plus élevé que celui des municipalités. Quel est le mécanisme? Est-il exact qu'ils suivent le principe de l'autorité fédérale?

Mme Weiser: Ils sont en fait traités de la même façon que les provinces. Des représentants des gouvernements territoriaux participent aux activités du comité et consultent leur gouvernement. Ils font un examen des lois territoriales. Ils sont dans la même situation que les provinces en ce qui concerne le comité.

Le sénateur Beaudoin: Sont-ils dans la même situation en ce qui concerne la mise en oeuvre de la législation?

Mme Weiser: Ils sont dans la même situation que les provinces en ce qui concerne la législation, l'examen de leur situation, leurs domaines de compétence, leurs lois, leurs usages et leurs programmes.

Le sénateur Poy: Madame Weiser, j'aurais voulu vous poser plusieurs questions mais le sénateur Beaudoin a déjà posé la plupart d'entre elles. J'aimerais toutefois que l'on discute des étapes de la signature des traités internationaux relatifs aux droits de la personne.

Est-ce que nos représentants signent d'abord ou est-ce qu'ils consultent d'abord les provinces? Je voudrais savoir quelles sont les étapes à suivre et comment fonctionne le processus?

Mme Weiser: Des consultations internes ont lieu et j'entends par là des consultations à l'intérieur des frontières du Canada. Comme je l'ai déjà mentionné, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux se consultent par l'intermédiaire du comité permanent et décident si nos lois ou usages sont conformes ou s'il est nécessaire d'y apporter des modifications. S'il y a consensus et si les exécutifs des provinces et des territoires donnent leur appui, le ministre des Affaires étrangères envoie une lettre aux ministres des Affaires intergouvernementales des provinces ou des territoires pour leur demander leur appui à la signature ou à l'adhésion, selon le cas. Je crois que le ministre des Affaires étrangères dépose ensuite une lettre de ratification ou un autre document analogue.

M. Holmes: Lorsque nous avons l'appui des provinces ou des territoires, nous écrivons à leurs dirigeants. Après avoir obtenu confirmation de leur appui, nous demandons au conseil de prendre un décret portant d'abord sur la signature, puis un autre plus tard, sur la ratification du traité. Le conseil prend parfois un décret portant sur les deux étapes à la fois.

Comme l'a mentionné le sénateur Kinsella ou le sénateur Beaudoin, la plupart des instruments relatifs aux droits de la personne concernent des domaines de compétence fédérale-provinciale ou de compétence provinciale. C'est le cas le plus fréquent. Dans un très petit nombre de cas, il s'agit d'une question relevant de la compétence exclusive du gouvernement fédéral, notamment dans le cas de l'autre protocole facultatif à la Convention relative aux droits des enfants concernant les enfants dans les conflits armés. Le Canada a signé et ratifié ce protocole en se basant sur des décisions prises au palier fédéral.

Le sénateur Poy: Voulez-vous dire que vous avez besoin de l'accord des provinces et des territoires et de celui du gouvernement fédéral avant de pouvoir signer un traité ou un pacte international?

M. Holmes: Oui. Le terme que nous employons est «appui» parce qu'il ne faut pas oublier que c'est le gouvernement fédéral qui a compétence en matière d'affaires internationales, y compris en matière de négociation de traités.

Je me souviens d'un cas où une province tardait à manifester son appui et où le gouvernement fédéral avait procédé à la ratification avant de recevoir cette dernière indication. C'était pendant la rédaction de la Convention relative aux droits de l'enfant.

Le sénateur Poy: Est-ce le seul cas de retard?

M. Holmes: Il faudrait que je vérifie. Nous avons ratifié un grand nombre d'instruments relatifs aux droits de la personne. Il faudrait que je vérifie chaque cas pour dire si nous avions l'appui de toutes les provinces au moment de la ratification. Nous l'avons généralement.

Le sénateur Poy: Comment se fait-il que des traités internationaux qui ont été signés et ratifiés par le gouvernement fédéral pourraient ne pas s'appliquer aux lois provinciales? Je pensais que vous aviez dit que les provinces avaient déjà donné leur accord avant la signature. Nous n'avançons pas.

M. Holmes: Pourriez-vous me citer un cas précis? Je crois savoir à quoi vous faites allusion. Lorsque nous obtenons des indications d'appui, nous comptons sur les provinces et les territoires qui nous ont donné des instructions ou informés qu'elles se sont conformées aux obligations prévues dans l'instrument en question.

Le sénateur Poy: Pourraient-elles changer d'avis plus tard?

M. Holmes: Il y a peu de chances que cela se produise.

Le sénateur Poy: Lorsqu'il y a ratification, toutes les provinces et territoires signent. Est-ce bien cela? Ou bien leur accord suffit-il?

M. Holmes: Les provinces et les territoires n'interviennent pas sur la scène internationale proprement dite.

Le sénateur Poy: Donc, un accord suffit?

M. Holmes: Une indication d'appui.

Le sénateur Poy: Que se passe-t-il en cas de changement de gouvernement provincial?

M. Holmes: Vous voulez dire lorsqu'un gouvernement modifie ses lois ou ses politiques?

Le sénateur Poy: Je veux dire lorsque les partis politiques au pouvoir changent. Que se passe-t-il? Un autre parti peut-il rejeter les politiques après son arrivée au pouvoir. Que se passe-t-il dans ce cas-là?

M. Holmes: Les lettres d'appui que nous recevons en faveur d'une action canadienne dans le domaine des droits de la personne sont une indication donnée par la province et pas par les partis politiques.

Le sénateur Poy: En cas de violation des droits de la personne concernant le Canada, l'affaire est-elle portée d'abord devant l'ONU ou est-elle d'abord jugée devant les tribunaux au Canada? Je ne sais pas très bien comment on procède. À qui faut-il adresser les plaintes?

M. Holmes: La procédure relative aux plaintes doit répondre à certains critères avant que les plaintes puissent être communiquées sur la scène internationale. Un critère très important est qu'il faut avoir épuisé tous les recours possibles à l'échelle nationale. Il faut avoir essayé tous les mécanismes ou toutes les possibilités de recours qui existent sur la scène nationale, qu'il s'agisse des tribunaux ou des commissions des droits de la personne ou d'autres organismes, pour pouvoir porter une plainte sur la scène internationale.

Le sénateur Poy: Madame Weiser, vous avez signalé que l'instrument qui a été signé n'est pas nécessairement applicable à une situation interne. Comment cela est-il possible si l'on s'était déjà entendu avant la signature?

Mme Weiser: Ce n'est pas nécessairement applicable dans les tribunaux du pays. Nous avons ratifié la Convention relative aux droits de l'enfant, par exemple. Si quelqu'un pensait que le Canada a commis une infraction à un article de cette convention, on ne pourrait pas entamer une action devant les cours canadiennes en se basant sur cet article. On pourrait essayer de trouver une disposition de notre Charte ou d'une autre loi et arguer que la convention a une incidence sur l'interprétation des lois du pays ou de notre Charte et que cela constitue une infraction. On ne pourrait toutefois pas entamer une action en justice en se basant uniquement sur les dispositions du traité.

Le sénateur Poy: Je me pose des questions sur la vigueur de ces ententes internationales, si elles ne sont pas nécessairement applicables.

Mme Weiser: Il y a deux facteurs qui interviennent. En droit, ils sont très convaincants et très importants. Il faut que les arguments soient pertinents non seulement devant les tribunaux mais à toutes les étapes de l'appareil gouvernemental. Il faut que les traités soient pertinents par rapport aux projets de loi. Il faut qu'ils soient pertinents par rapport à l'élaboration des lois ou des programmes au niveau des fonctionnaires.

J'essaie en fait d'expliquer que les tribunaux ne peuvent pas faire tout le travail pour nous parce que nous n'avons pas un système qui le permet et que nous ne pourrons jamais avoir un tel système au Canada. Les responsabilités sont partagées.

Le sénateur Poy: Il s'agit en fait davantage d'un pouvoir de persuasion que d'un pouvoir juridique?

Mme Weiser: Oui.

Le sénateur Watt: Je voudrais parler d'un domaine que vous connaissez peut-être bien. J'aborderai le sujet du point de vue des Autochtones.

Comme vous le savez, vers le milieu ou la fin des années 70, les Autochtones ont commencé à conclure ce que l'on appelle des traités modernes avec la Couronne. Les traités qui ont été signés avec les Inuits de l'Arctique, avec les Inuits du Québec, avec les Inuits des ex-Territoires du Nord-Ouest appelés maintenant Nunavut, avec les Inuits du Nunavik, au Québec, et avec les Inuits du Labrador doivent encore être finalisés. C'est là que je veux en venir. Je n'essaierai pas de me faire passer pour le porte-parole d'autres groupes autochtones qui s'appellent Premières nations. Nous nous appelons également Premières nations.

Les traités ou les ententes qui ont été élaborés avec la Couronne avaient déjà été reconnus par la Constitution aux termes de l'article 35 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Ces traités sont plus importants que de simples ententes conclues entre les gouvernements fédéral et provinciaux, qui peuvent être modifiées en fonction des fonds disponibles.

Ce n'est pas le cas en ce qui concerne nos traités. Que l'on dispose des fonds nécessaires ou non, l'entente demeure parce qu'il s'agit d'une entente avec la Couronne et pas nécessairement avec le gouvernement au pouvoir.

Malgré cette protection, nos traités, même les traités nationaux, sont violés par divers actes de divers groupes d'intérêt.

Les témoins peuvent-ils m'aider à comprendre ceci? Le gouvernement dispose-t-il de mécanismes et d'outils suffisants pour faire face aux éléments complexes de ces traités alors que nous avons déjà des difficultés à les gérer à l'échelle nationale? Nous ne sommes même pas en mesure de les comprendre parfaitement au Canada.

La différence de mode de vie des deux communautés est énorme. On parle parfois de discrimination mais je me demande s'il s'agit bien de discrimination ou s'il ne s'agirait pas plutôt d'un simple oubli ou d'un manque de compréhension. Nos deux sociétés doivent vivre côte à côte et sont soumises aux mêmes lois. Les Canadiens ne font pas tous partie de la même catégorie et ils ne devraient pas être traités comme s'ils faisaient partie de la même catégorie. Comment pourrait-on régler ce problème?

La présidente: Le témoin peut répondre. Il s'agit peut-être en partie d'une réponse politique, mais quelles instructions vous donne-t-on en ce qui concerne ces questions?

M. Holmes: Le sénateur a soulevé un problème extrêmement important. Mes collègues et moi partageons certaines de ses préoccupations mais notre mandat n'est pas de parler de certains problèmes que le sénateur Watt a soulevés. Nous parlons de traités internationaux relatifs aux droits de la personne alors qu'il parle de la mise en oeuvre interne des traités qui sont négociés avec les peuples autochtones.

Le sénateur Watt: Ma question n'est pas uniquement liée à des problèmes internes. Nous connaissons déjà la cause de notre problème interne. C'est le manque de volonté politique de mettre certains changements en oeuvre. C'est pourquoi nous avons beaucoup de difficultés dans ce domaine.

Le gouvernement a-t-il prévu un mécanisme qui nous permettrait d'intervenir au niveau international et d'essayer d'attirer notre attention sur nos préoccupations? En ce qui me concerne, j'estime que nous sommes des citoyens oubliés. Voyez-vous ce que je veux dire? C'est là le problème. Où nous situons-nous?

M. Holmes: Des négociations concernant une ébauche de déclaration sur les peuples autochtones sont en cours aux Nations Unies. La délégation canadienne joue un rôle actif dans ces négociations. Certains des problèmes soulevés par le sénateur sont abordés dans les discussions qui se déroulent à l'ONU. C'est probablement tout ce que je peux dire pour l'instant. Vous auriez peut-être intérêt à convoquer d'autres témoins plus tard.

Mme Weiser: J'allais également mentionner que divers groupes autochtones ont utilisé avec succès des mécanismes offerts par l'ONU. Par exemple, certains groupes donnent fréquemment leur opinion au sujet du respect, par le gouvernement canadien, des titres autochtones ou des droits ancestraux dans le cadre des rapports du Canada.

Nous sommes presque toujours questionnés sur la situation autochtone au Canada, lorsque nous présentons nos rapports. On nous fait souvent des recommandations en ce qui concerne les questions autochtones.

On peut également avoir recours au mécanisme de présentation de plaintes à titre individuel. Un des cas les plus connus, bien qu'il date un peu, est l'affaire Lovelace: cette affaire concernait une vieille loi en vertu de laquelle les Indiennes qui épousaient des non-Indiens perdaient leur statut, alors que le contraire n'était pas vrai. Depuis lors, plusieurs autres plaintes concernant des questions autochtones ont été portées devant l'ONU. Ces comités ont toujours quelques cas à étudier. Je pense que les groupes autochtones continueront d'avoir recours avec succès à ces mécanismes.

Le sénateur Watt: Je sais que les groupes autochtones ont réalisé des progrès dans des cas individuels. Le problème est qu'il n'existe pas de mécanisme officiel permettant d'appuyer les initiatives qui sont prises à l'échelle internationale. Cette absence de mécanisme de coordination mérite certainement d'être signalée.

Je pense au Comité permanent chargé des droits de la personne. C'est l'organisme qui devrait coordonner les divers efforts.

Je voudrais citer plusieurs exemples de violation de notre droit à la vie en vertu du droit international et du droit constitutionnel. Ce n'est pas de la faute de notre gouvernement ni d'un comité en particulier. Un jour, l'organisation Greenpeace a décidé de militer contre la destruction des espèces sauvages, celles qui sont reconnues comme étant le moyen de subsistance des Autochtones, surtout des Inuits de l'Arctique. Nos droits ont été bafoués profondément depuis que Greenpeace a commencé à s'intéresser au secteur de la pêche. On nous interdit de commercialiser nos produits, y compris les sous-produits, aux États-Unis, aux termes des dispositions de la Marine Mammal Protection Act. Nous n'avons pas encore pu nous faire entendre en cour. Comment peut-on régler ce problème et modifier la loi de façon à améliorer le sort de notre peuple et sa situation économique?

Voilà un exemple. L'autre exemple est le problème du changement climatique. Les dirigeants de divers pays ont signé un traité visant à réduire la pollution qui se concentre dans le Sud et dans le Nord. Cette concentration est probablement due au champ magnétique. La pollution est présente partout, non seulement dans notre eau mais aussi dans nos sources d'alimentation. Elle est présente dans la chaîne alimentaire.

C'est un autre problème qu'il faut résoudre. Certaines personnes prétendent que la pollution n'a pas encore atteint notre région parce que nous sommes très éloignés des sources de pollution. Je suis désolé, mais elle a atteint notre région et nous devons essayer de régler ce problème. Je crois que cette question est liée aux droits de la personne.

M. Holmes: En ce qui concerne le premier exemple, je peux en parler à mes collègues du ministère. Je sais que c'est une question sur laquelle ils se sont déjà penchés et que diverses initiatives ont été prises, mais je ne suis pas en mesure de donner des renseignements précis. Je me ferai un plaisir de les contacter et je communiquerai à votre greffier des noms de personnes que vous pourriez inviter à témoigner.

C'est la même chose en ce qui concerne le deuxième exemple. Je ne travaille pas dans le domaine de l'environnement. Cependant, je sais que le Canada a signé dernièrement, et même ratifié, je crois, la convention sur certains polluants organiques. Je demanderai à un expert de vous parler des polluants organiques persistants.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: Monsieur Moyer, le Canada a beaucoup d'obligations sur les plans national et international en ce qui concerne les droits de la personne. À ce sujet, le Canada remplit-il ses obligations internationales au détriment de ses obligations nationales? Devons-nous toujours ressentir le poids de l'opinion internationale afin d'agir sur nos obligations domesti ques?

M. Moyer: Nous retrouvons au Canada un système d'entraide où l'un s'appuie sur l'autre. Parfois le progrès que nous accomplissons sur le plan domestique est facilité grâce à un climat de négociations internationales. Beaucoup plus souvent, à cause de notre tradition et de notre histoire, le Canada se retrouve en position de promouvoir à l'échelle internationale les droits qui ont été acceptés ici depuis déjà assez longtemps.

Nous sommes toujours pris entre ces deux tendances. D'une part, nous essayons d'amener le monde à accepter un certain niveau de protection des droits de la personne. D'autre part, nous devons admettre que parfois la pression internationale nous pousse à mieux faire que ce que nous devrions faire déjà suite à notre législation domestique. Mais si nous prenons des cas comme ceux que mes collègues ont cités plus tôt, parfois ce sont les Canadiens qui nous amènent devant des commissions internationales pour nous rappeler que dans la réalité nos actions ne sont pas entièrement en accord avec nos engagements.

Le sénateur Ferretti Barth: Le Canada jouit d'une réputation de prima donna pour ce qui est du respect des droits de la personne dans notre pays. Ma première question est la suivante: est-il exact ou exagéré de dire que le Canada se situe au premier rang sur ce plan? Je n'en suis pas sûre.

Ma deuxième question concerne les ONG. Encore aujourd'hui, je ne suis pas capable de savoir combien d'ONG existent au Canada. Pourriez-vous me dire quels rapports ils entretiennent avec vos comités? Est-il nécessaire d'avoir autour de nous toutes ces organisations qui risquent peut-être de nous retarder dans l'application de certaines normes?

M. Moyer: Pour répondre à votre première question, nous sommes très chanceux d'habiter un pays qui considère fondamen taux les droits de la personne dans son système de droit. Nous avons quand même des choses à apprendre. Chaque fois que nous participons à des négociations, nous avons la possibilité d'élargir la portée de ces droits déjà existants et d'améliorer leur degré de protection. Je crois que le Canada mérite sa réputation en général.

Il y a plus d'ONG aujourd'hui qu'il n'y en avait hier. La même chose sera vraie demain. C'est un élément essentiel dans le mécanisme de la protection des droits de la personne, parce que ces organismes sont dirigés par des gens qui s'impliquent. Ils sont intéressés et ils posent des questions. Ils nous retardent parfois parce qu'ils ne sont pas toujours d'accord les uns avec les autres, mais cela reviendrait à se demander si la démocratie nous retarde? Alors oui, cela demande du temps pour arriver à un consensus dans une société. Je suis content qu'il y ait des groupes qui se limitent à certains aspects des droits de la personne et que d'autres englobent toute la gamme des droits de la personne.

Les liens que ces groupes entretiennent avec le gouvernement du Canada et d'autres gouvernements se font beaucoup plus auprès des ministères directement concernés par les intérêts qu'ils défendent. Si mes intérêts en tant qu'ONG visent le statut de la femme, je m'entretiendrai principalement avec l'Office nationale du statut de la femme. Les ONG ne s'intéressent pas beaucoup aux instruments de coordination tel que mon comité, bien que nous ayons eu quelques demandes de la part de certaines ONG à venir. Elles ont jusqu'à maintenant préféré aller directement aux agences et ministères responsables du domaine qui les intéresse.

Le sénateur Ferretti Barth: Les gens qui travaillent pour ces organisations, qui font des choses merveilleuses, et dont l'apport est utile pour vos programmes, sont payés de quelle façon, et par quel ministère? En tant que membre du comité des finances nationales, je suis préoccupée de savoir d'où viennent les fonds qui soutiennent ces organismes.

M. Moyer: Chaque ONG est financée de façon unique. Chacune fait ses campagnes de financement. Elles en font souvent d'ailleurs. Certaines chargent des frais d'adhésion à ceux qui veulent être membres. Elles approchent différents ministères de différents gouvernements pour recevoir un appui quant à des éléments spécifiques de leur travail.

Certaines organisations, dont le Conseil ethnoculturel du Canada, par exemple, reçoivent de l'aide de mon ministère, parce que nous avons toujours, depuis 30 ans, considéré qu'une représentation des groupes ethnoculturels au Canada méritait l'appui du gouvernement du Canada.

Le sénateur Ferretti Barth: Les campagnes de financement fonctionnent bien. Lorsqu'on attend que le gouvernement fasse quelque chose de positif pour notre région, on perd parfois espoir et on décide de faire une campagne de financement. Si les campagnes de financement fonctionnent bien, cela vaut la peine de souligner aux organismes de bonne volonté de continuer leur travail. Cependant, le ministère doit aussi faire sa part, n'est-ce pas?

M. Moyer: C'est certain.

Le sénateur Ferretti Barth: Votre relation entre cet organisme et votre comité apporte un résultat positif. Avez-vous déjà connu une situation où une intervention d'une ONG avec votre ministère a mené à des conséquences positives et réelles afin de résoudre un problème? On trouve beaucoup de publications à ce sujet et plusieurs personnes en parlent. Est-ce que tous ces rapports vont finir sur une tablette ou vont-ils être pris en considération?

M. Moyer: Chacun de nos ministères est en contact avec des ONG. Ils contribuent au débat au niveau de l'analyse faite par des fonctionnaires, mais aussi au niveau politique. Ils ont souvent des liens où ils parlent directement au ministre. Il n'y a pas une politique nouvelle qui est formulée. Il n'y a pas aujourd'hui un intérêt poussé de ces ONG. Je sais qu'il y a une rencontre annuelle ou semi-annuelle avec la plupart des ministères. Les ONG peuvent faire des commentaires sur les traités ou sur d'autres éléments. Certains de mes collègues pourraient vous parler de leur réunion. C'est très courant.

[Traduction]

La présidente: Nous avons parlé de nos obligations internationales et de leur intégration plus ou moins réussie aux lois et à notre société. Vous pourriez peut-être me dire si votre comité se charge du reste. Existe-t-il un mécanisme ou un processus qui nous permette d'examiner les traités internationaux que nous avons signés ou ratifiés et de déterminer si nous avons fait tout notre possible pour les incorporer à nos lois nationales? C'est ce qui concerne l'autre moitié de nos discussions.

M. Moyer: Je ne suis probablement pas la personne la mieux placée pour faire des commentaires à ce sujet, madame la présidente.

La présidente: Votre comité ne s'en occupe-t-il pas du tout?

M. Moyer: Non, mon comité ne se charge pas d'examiner les obligations internationales découlant des traités par rapport aux lois proposées par les divers paliers de gouvernement. Cet examen devrait être effectué à chaque palier de compétence.

Le sénateur Kinsella: Madame la présidente, M. Moyer devrait vérifier les procès-verbaux du comité. Peu de temps après sa création, il était prévu que toutes les provinces ou territoires devraient présenter un rapport sur les méthodes ou modalités auxquelles les provinces ou territoires ont recours.

Je me souviens qu'au palier fédéral, le mécanisme n'était pas aussi élaboré que le mécanisme d'accréditation prévu en vertu des dispositions de la Déclaration des droits et que l'accréditation par la ministre de la Justice en vertu de la Charte. Cependant, il s'agissait du même principe et c'était certainement le cas dans la plupart des autres provinces.

M. Moyer: Nous avons fait une distinction très claire. Le comité parle des procédés auxquels il a recours mais pas des problèmes précis qui pourraient se poser dans une loi en particulier.

La présidente: Voulez-vous dire que vous examinez les processus mais pas la loi? Est-ce exact?

M. Moyer: C'est ce que nous ferions. Nous n'avons pas eu de discussions à ce sujet dernièrement parce que c'est un problème qui avait probablement été résolu pour l'essentiel peu de temps après la création de notre comité.

La présidente: N'y a-t-il pas une évaluation continue?

M. Moyer: Non, pas à ma connaissance.

Le sénateur Kinsella: J'ai une question pour M. Moyer. En ce qui concerne le mandat du comité permanent et les dispositions de l'article 35 de la Loi sur le Canada, je me demande si l'on ne pourrait pas examiner pourquoi les Premières nations jouissant de l'autonomie gouvernementale ne seraient pas représentées au comité permanent.

M. Moyer: Je ne suis pas du tout en mesure d'y répondre dans l'immédiat. Je me renseignerai pour savoir si la question avait déjà été soulevée.

Le sénateur Beaudoin: Votre comité dispose-t-il d'un mécanisme qui permette de faire la distinction entre les droits issus des traités et ceux qui sont prévus dans les autres traités internationaux signés par le Canada? On ne fait pas toujours la distinction entre les droits issus des traités, prévus à l'article 35 de la Constitution et les droits issus des traités en général. Est-ce qu'un service de votre direction examine la question?

M. Moyer: Non. Ce serait peut-être indiqué mais mon comité n'examine pas les droits issus des traités des peuples autochtones du Canada prévus à l'article 35. C'est une question qui devrait être prise en compte par les ministères et provinces et territoires concernés lorsqu'ils élaborent des lois, ou par le ministère de la Justice et celui des Affaires étrangères, lorsqu'on négocie des accords internationaux.

Le sénateur Watt: Il est essentiel que votre comité y attache de l'importance. On relèvera probablement des incompatibilités. Même si nous avons une entente avec la Couronne, il y a des chances que cette entente aille à l'encontre de la convention traitant de nos droits de protection dans nos traités.

Le sénateur Milne: Protection qui est garantie par la Constitution.

M. Moyer: Je ne suis pas certain que l'affaire ait déjà été portée devant les tribunaux. Dans tous les cas que ceux-ci ont examinés, ont-ils comparé les droits issus des traités dont il est question à l'article 35 aux droits ou obligations issus des traités internationaux?

Le sénateur Watt: Si on le faisait, cela lèverait probablement en grande partie le voile d'incertitude, non seulement en ce qui concerne les peuples autochtones mais aussi ceux qui dirigent le système.

La présidente: Sénateur Watt, Mme Weiser souhaite répondre à votre question quand nous entamerons le deuxième tour.

Une de nos membres a été retenue à Toronto et a donc été dans l'incapacité d'assister à la séance d'aujourd'hui. J'espère que l'on a répondu également à ses questions. Sinon, nous pourrions vous poser quelques questions au cours de l'été. Je vous remercie de nous avoir fait part de vos opinions et d'avoir parlé des questions que vous examinez.

Je demanderai à Mme Weiser de répondre au sénateur Watt.

Mme Weiser: Je voulais faire quelques commentaires au sujet de la question relative à l'article 35.

L'article 35 continue d'évoluer. Nous connaissons certaines des activités couvertes par cet article, mais pas toutes. Il couvre en effet beaucoup d'activités, notamment la pêche et la chasse. Il inclut peut-être également le droit à la terre reconnu par un traité. Il porte peut-être aussi sur les questions d'autonomie gouvernementale.

Si nous examinons la loi gouvernementale qui met en oeuvre ou respecte le droit reconnu à l'article 35, il faut également l'examiner en fonction de nos obligations internationales. On examine l'article 35 mais il sera aussi examiné par le service responsable du domaine correspondant aux droits reconnus par cet article.

Le dernier commentaire que je voudrais faire est que les traités modernes qui octroient un pouvoir législatif aux bandes posent un nouveau défi en ce qui concerne les obligations internationales. C'est une question que nous n'avons pas encore fini d'examiner.

La présidente: Madame Weiser, vous êtes la représentante du ministère de la Justice. Vous pourriez peut-être nous aider. Y a-t-il dans votre ministère un fonctionnaire qui est chargé d'examiner les lois nationales et de vérifier si elles sont conformes aux instruments internationaux relatifs aux droits de la personne? Avez-vous un service ou y a-t-il un employé qui s'en charge? Seriez-vous prête à vous renseigner si vous ne pouvez pas répondre immédiatement et à communiquer la réponse au greffier? Je pense que c'est l'autre moitié des informations dont nous avons besoin.

Mme Weiser: C'est souvent la Section des droits de la personne qui est chargée d'examiner ce genre de question, mais on n'en tient pas compte de façon aussi systématique que dans le cas de la Charte des obligations découlant de notre adhésion à des traités internationaux sur les droits de la personne lorsqu'on élabore de nouvelles lois. Je pense que c'est une question de culture dirais-je, faute de trouver un terme plus exact.

Au cours des 20 dernières années, nous avons pris l'habitude de tenir compte de la Charte quand nous élaborons des politiques ou des lois. On tient compte de plus en plus souvent des obligations découlant de traités relatifs aux droits de la personne mais cette habitude n'est pas aussi ancrée que celle qui consiste à tenir compte de notre Constitution quand on prépare de nouveaux projets de loi.

La présidente: N'y a-t-il donc pas de processus systématique en place?

Mme Weiser: Ce n'est pas systématique comme dans le cas de la Charte. J'aurais probablement dû le dire clairement. Lorsque nous ratifions un traité, nous faisons un examen approfondi des lois nationales et du traité. Nous ne perdons jamais de vue les dispositions de la Charte. On prend de plus en plus l'habitude de réfléchir également aux conséquences des traités internationaux mais cette habitude n'est pas aussi ancrée qu'en ce qui concerne la Charte.

M. Holmes: Un des mandats de la Direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international est de faire des commentaires et donner des avis sur les obligations internationales du Canada. Quand nous sommes au courant de l'élaboration d'un projet de loi, nous pouvons dire quelles seraient ses incidences sur les obligations internationales du Canada. Cependant, comme l'a signalé ma collègue, ce n'est pas systématique. On ne nous soumet pas tous les projets de loi. Ce n'est que dans le cadre des consultations courantes à l'échelle ministérielle qu'un projet de loi peut être porté à notre attention.

Le sénateur Milne: Madame Dion, vous avez dit à la fin de votre exposé que nous attachions beaucoup d'importance aux responsabilités que nous avons contractées à l'égard de l'ONU et que nous essayions de répondre aux critiques en présentant nos rapports dans les délais prévus. Ma question porte précisément sur cette ponctualité.

Je suppose que nous n'avons pas reçu ces rapports dans les délais prévus à cause des «montagnes» qui ont été mentionnées par Mme Weiser. Pouvez-vous nous citer une raison particulière expliquant que nos rapports soient arrivés en retard et nous dire quelles mesures sont prises pour accélérer le processus?

Mme Dion: Le processus en ce qui concerne des États fédéraux comme le Canada est généralement un peu plus long parce que chaque province ou territoire a l'obligation de préparer un rapport. Par exemple, lorsque nous compilons des rapports, et je crois que M. Moyer a parlé de ceux que nous sommes en train de préparer, chaque province et territoire nous remet un rapport sur sa performance en regard de chaque article de la convention. Tous ces rapports sont compilés au ministère du Patrimoine canadien pour devenir le rapport national. Comme vous pouvez l'imaginer, c'est un processus qui nécessite la mobilisation de ressources importantes et c'est généralement difficile, surtout pour les petites provinces. Ce processus est lent.

Le système onusien des droits de la personne a de trois à cinq ans de retard dans l'étude des rapports gouvernementaux. Nous faisons de notre mieux pour présenter nos rapports pour l'échéance prévue. Le délai d'attente pour l'examen du rapport présenté par le comité est de un à deux ans.

Ce n'est pas un système idéal. Nous consacrons beaucoup de temps à recommander à l'ONU de consacrer davantage de ressources aux comités des droits de la personne afin de leur permettre d'accomplir leur travail de façon plus efficace et plus rapide. Par conséquent, lorsque nous comparaissons, le comité se base sur des renseignements qui datent. Nous devons consacrer beaucoup de temps à mettre le comité au courant des initiatives qui ont été prises depuis la présentation du rapport.

Il faut toujours faire en sorte que l'on donne les informations les plus actuelles possible au comité.

Le sénateur Milne: Comment le Canada fait-il enregistrer une réserve sur ces rapports? Je pense particulièrement à la Convention relative aux droits de l'enfant et à diverses collectivités des Premières nations où la forme d'adoption est tout à fait différente de ce qu'elle peut être dans les autres collectivités. Dans ce cas, le Canada ne peut peut-être pas répondre aux exigences de la convention.

Mme Dion: Je peux vous expliquer comment nous procédons dans chaque rapport puis je laisserai le soin aux experts en matière de lois d'expliquer les aspects techniques de l'enregistrement d'une réserve. Dans le rapport, on peut seulement faire allusion au fait que l'on a enregistré une réserve officielle et légale sur l'article en question et je renvoie le comité à notre réserve légale.

M. Holmes: Les réserves ou les déclarations interprétatives doivent être signalées au moment de la ratification ou de l'adhésion. Les deux réserves que nous avons faites en ce qui concerne la Convention relative aux droits de l'enfant, ont été faites en 1991, lorsque nous l'avons ratifiée. Cela comprend la réserve que ma collègue a mentionnée dans ses observations liminaires, qui vise à protéger le système canadien où l'adoption traditionnelle est reconnue. Sur le plan juridique, en émettant cette réserve, nous évitons toute infraction contre les dispositions de la Convention sur les droits de l'enfant.

Le sénateur Beaudoin: Si je comprends bien votre réponse, monsieur Holmes, aucun traité n'est ratifié avant de bénéficier d'un appui. Je crois que c'est exactement ce que vous avez dit.

Y a-t-il des traités qui sont ratifiés et qui ne sont pas mis en oeuvre par le biais d'une loi et, dans ce cas, pourquoi? Est-ce parce que nos lois sont entièrement conformes au traité, auquel cas ce n'est peut-être pas utile ou nécessaire, ou bien est-ce pour d'autres raisons?

M. Holmes: Le meilleur exemple est celui auquel la plupart d'entre nous ont déjà fait allusion, c'est-à-dire la Convention relative aux droits de l'enfant. Aucune modification législative n'a été apportée au palier fédéral.

Le sénateur Beaudoin: A-t-on apporté des modifications au palier provincial?

M. Holmes: Je ne le pense pas.

Le sénateur Beaudoin: N'a-t-elle pas été mise en oeuvre?

M. Holmes: Les trois domaines où nous avons détecté des risques de conflit entre nos politiques, nos lois et nos usages et les obligations contractées en vertu de la convention sont ceux où nous avons émis deux réserves et fait une déclaration interprétative qui nous ont permis de nous conformer. J'ai expliqué une des deux réserves. L'autre concerne la séparation des installations de détention pour jeunes et de celles pour adultes. Nous avons essayé d'équilibrer ce que nous considérions comme des obligations contradictoires dans la convention étant donné qu'il s'agissait d'un usage très respecté dans les collectivités autochtones. La Convention relative aux droits de l'enfant contient une disposition reconnaissant l'importance des usages chez les Autochtones et pourtant, les usages canadiens différaient d'une autre disposition de la convention indiquant que toutes les adoptions doivent être reconnues par une autorité compétente. Nous avions deux obligations contradictoires et avons émis une réserve pour protéger le système en vigueur au Canada.

Le sénateur Beaudoin: A-t-on déterminé que c'était une mise en oeuvre adéquate?

M. Holmes: Oui, c'est la conclusion à laquelle on est arrivé.

Le sénateur Beaudoin: Est-ce conforme aux critères des obligations internationales?

M. Holmes: Oui.

Le sénateur Watt: En ce qui concerne la propriété intellectuelle des Autochtones, on ne l'a encore jamais fait. Aucun gouvernement, que ce soit territorial, provincial ou fédéral, n'a encore prévu un certain type de protection ou de droit d'auteur. Est-ce que cette question relève de vos responsabilités?

M. Holmes: Je sais que la question a été soulevée sur la scène internationale. Nous ne sommes pas du tout des experts en la matière et nous ne savons pas quel genre de discussions ont eu lieu à ce sujet ni où. Je peux m'engager à me renseigner auprès de mes collègues du ministère et à vous signaler à quelle personne il conviendrait de s'adresser à ce sujet.

La présidente: Je voudrais parler du cas où le gouvernement décide qu'il n'a pas besoin de faire davantage en matière de mise en oeuvre parce qu'il respecte déjà les normes de la convention. Je crois comprendre que nous n'avons pas de loi de mise en oeuvre et que les provinces seront laissées à l'écart. Si cette position est contestée, comment l'est-elle et dans ce cas, quelle est la position du gouvernement? Est-ce que cette position a déjà été contestée?

M. Holmes: Des contestations pourraient avoir lieu dans le contexte des instruments pour lesquels il existe un mécanisme de traitement des plaintes faites à titre individuel, en ayant notamment recours au Comité des droits de l'homme. L'approche que nous avons décidé d'adopter en passant par une loi spéciale ou en décidant qu'aucune loi n'est nécessaire, pourrait être contestée dans ce contexte, bien que les opinions du Comité des droits de l'homme dans le cadre de ces mécanismes de traitement des plaintes soient convaincantes à l'échelle internationale. Cependant, elles ne sont pas contraignantes pour le Canada. Ce sont des opinions importantes, mais ce ne sont que des opinions.

Dans le contexte des instruments, sans mécanismes de traitement des plaintes, le comité pourrait faire des commentaires lorsque nous présentons nos rapports. Les comités nous font parfois des commentaires et les organismes chargés des traités du Comité des droits de l'homme font des commentaires sur la performance du Canada dans le contexte de ses obligations légales précises ou des politiques que nous adoptons relativement à la mise en oeuvre des obligations.

La présidente: Monsieur Rishworth, vous avez été patient. J'espère que vous avez trouvé cette discussion intéressante. Auriez-vous quelque chose à ajouter?

M. Paul Rishworth, Université d'Auckland: Je pourrais vous être utile en faisant quelques brefs commentaires sur des questions qui ont un rapport avec la discussion. Je pourrais vous donner des renseignements sur la Nouvelle-Zélande plus tard.

Mon premier commentaire concerne le nombre de traités ou de parties de traités n'exigeant pas l'adoption d'une loi spéciale par les gouvernements concernés. Par conséquent, il est évident qu'aucune loi ne serait nécessaire avant d'avoir ratifié ce type de traité, ce qui ne veut pas dire que les options soient restreintes pour les futurs Parlements. Un exemple classique est le deuxième protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en ce qui concerna la non-reconnaissance de la peine de mort. Ces types de traités auront des incidences sur ce que nous appelons le «déficit démocratique», en Nouvelle-Zélande du moins. S'ils limitent les options des futurs Parlements, certains membres diront qu'ils doivent être consultés au sujet de la préparation de ces traités.

Le deuxième commentaire, qui est un corollaire du premier, est que des problèmes se posent parfois au sujet de traités qui ne concernent pas spécifiquement les droits de la personne tout en y étant liés. Nous avons passé tout récemment en Nouvelle-Zélande des traités commerciaux au sujet desquels le même type de préoccupation a été signalé, à savoir que si l'exécutif ratifie un traité commercial, cela limitera les options des Parlements futurs, surtout dans les domaines de la protection des droits des peuples autochtones. Je crois que c'est pour ça qu'on a recommandé de procéder à une réforme qui accorderait un rôle plus important aux Parlements dans la préparation des traités, ou prévoyant du moins des consultations officielles.

La présidente: Merci, ces commentaires sont très intéressants.

Je tiens à remercier les témoins. Je ferai une réserve. Vous nous avez donné beaucoup de renseignements sur le processus. Vous nous avez donné des renseignements sur les activités du Canada dans le domaine de la protection des droits de la personne à l'échelle internationale. Je vous remercie pour vos commentaires intéressants et pour le temps que vous nous avez consacré.

Ma réserve est que nous aurons peut-être encore besoin de vous. Je me réjouis de poursuivre le dialogue. Il est à espérer que notre système peut être amélioré. Je vous remercie de vous être libérés à court préavis.

M. Norman est professeur à l'Université de la Saskatchewan. Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Norman.

M. Ken Norman, professeur, Université de la Saskatchewan: Je suis heureux de témoigner dans le cadre de l'examen de questions qui m'intéressent beaucoup, comme les rapports entre le droit international et le droit canadien au chapitre des droits de la personne. Vous avez sous les yeux l'article que j'ai publié dernièrement à ce sujet. Vous avez également un exemplaire de mon article intitulé: «Taking Human Rights Lightly: The Canadian Approach» que j'ai tiré d'un site Web ainsi qu'un article de Mme Bayefsky paru dernièrement dans le Globe and Mail concernant une des affaires sur laquelle j'ai écrit des articles et dont je voudrais vous parler.

Je voudrais parler de deux affaires. L'une est l'affaire Waldman dans laquelle Mme Bayefsky a joué le rôle de conseillère juridique. Cette affaire vous donne matière à réflexion en ce qui concerne l'écart entre les principes auxquels adhère le Canada et ses usages, dans le cadre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui a été ratifié il y a 25 ans.

La deuxième affaire est l'affaire Baker et le défi qu'elle lance au Parlement d'entreprendre une réforme en ce qui concerne les obligations du Canada dans le contexte de la Convention relative aux droits de l'enfant. Cette affaire met en évidence le décalage qui existe entre les engagements que nous avons pris, en ratifiant cette convention il y a une dizaine d'années, et nos usages.

À la page 293 de mon article, je fais allusion à un article du The Globe and Mail paru à la suite de l'appui que le Comité des droits de l'homme a donné aux revendications faites dans le cadre de l'affaire Waldman où l'on dit qu'Ottawa prétendait que ce n'était pas son problème. Après cette déclaration, le Canada a fait l'objet de nouvelles critiques. J'ai signalé l'article paru dans l'édition du 18 mai de The Globe and Mail, où Mme Bayefsky dit que le Canada a été réprimandé par le Programme de développement de l'ONU et a été traité de «contrevenant». Même si nous sommes en tête de classement en ce qui concerne l'indice de développement et du bien-être humain, nous ne «désapprouvons pas la discrimination basée sur la religion au niveau de l'accès à l'éducation publique».

Il est regrettable que l'on continue d'appliquer la décision prise par le Conseil privé en 1937. Elle permet toujours au gouvernement fédéral de dire que ce n'est pas son problème. Le Comité des droits de l'homme affirme que le Canada fait de la discrimination et qu'il existe des inégalités au niveau du parrainage de l'État en ce qui concerne les parents qui souhaitent que leurs enfants soient éduqués conformément à leurs valeurs religieuses.

Comme vous le savez probablement, dans l'affaire de la Convention sur le travail, les droits de la personne ont été considérés comme une question purement interne relevant exclusivement du pouvoir des provinces. Je conclus mon article et désire conclure aujourd'hui en disant que les droits de la personne ne sont pas uniquement des questions internes. À la suite de la décision Pinochet, il est particulièrement important que les gouvernements ne laissent pas cet écart se creuser.

À peine huit mois avant la décision Waldman, l'honorable Hedy Fry a témoigné devant le Comité des droits de l'homme pour le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et a promis que le Canada veillerait à ce que les ordres juridiques et politiques canadiens soient mieux conçus sur le plan institutionnel pour accorder l'importance qu'ils méritent aux droits reconnus dans ce pacte. J'espère que vous participerez à ce processus. J'espère que vous proposerez une option plus efficace pour que le gouvernement fédéral ne semble plus aussi indifférent que l'insinue cet article de The Globe and Mail.

La Cour supérieure australienne avait adopté une position diamétralement opposée un an avant l'affaire de la Convention sur le travail. En Australie, lorsque le gouvernement du Commonwealth ratifie un traité, il peut, lorsqu'un État n'est pas en conformité avec ce traité, légiférer pour s'assurer que cette situation ne cause pas de problèmes au Commonwealth dans le cadre des relations internationales, même s'il s'agit de légiférer dans un domaine relevant de la compétence des États.

Je voudrais maintenant parler brièvement de la Convention relative aux droits de l'enfant. La Cour suprême commence à se diriger dans la bonne voie en donnant une valeur interprétative aux engagements pris dans le cadre de cette convention. Cependant, en ce qui concerne la mise en oeuvre et l'entrée en vigueur légales et la position du gouvernement du Canada, la loi en est toujours à peu près au même point que lorsque la Cour fédérale a examiné l'affaire Baker. Je parle de ce qui est indiqué à la page 304 de mon article. Le juge Strayer de la Cour fédérale a déclaré dans le cadre de l'affaire Baker que le Parlement du Canada n'avait fait qu'un premier pas en reconnaissant la ratification de la Convention relative aux droits de l'enfant et que ce n'est que deux ans plus tard qu'il a fait une proclamation statutaire prévoyant une journée commémorative. Pour le juge Strayer, cela n'a rien à voir parce que la Loi sur la Journée de l'enfant n'est pas censée mettre en oeuvre la Convention relative aux droits de l'enfant. Par conséquent, les normes internationales en matière de droits de la personne ne s'appliquent pas et l'exercice de son pouvoir discrétionnaire par le ministre de l'Immigration dans l'affaire Baker afin de tenir compte des intérêts des enfants pour des raisons humanitaires doit, selon le juge Strayer, être considéré comme «pratiquement illimité». C'est la position orthodoxe, mais cela demeure la position en vigueur jusqu'à présent, à l'exception d'une légère différence d'interprétation de la part de la Cour suprême dans cette affaire.

Je dis dans mon article que nous pouvons améliorer le système. «Ce n'est pas notre problème» n'est pas une réponse appropriée à la décision Waldman. À la fin de mon article, je parle de la décision Pinochet. Le commentaire qu'a fait Amnistie Internationale le jour où la décision Pinochet a été prise est en quelque sorte semblable. Selon la décision finale de la Chambre des lords, M. Pinochet ne devait pas répondre des crimes de torture et des crimes contre l'humanité dont il était accusé avant le jour suivant l'adoption de la Torture Act par le Parlement britannique. Voici la déclaration d'Amnistie Internationale:

Les crimes dont Pinochet est accusé étaient des crimes de droit international longtemps avant d'avoir été commis au Chili. C'est la raison pour laquelle Amnistie Internationale prie le gouvernement britannique de revoir toute disposition de la législation britannique qui pourrait être interprétée comme un obstacle à l'obligation, en vertu du droit international, de traduire en justice toute personne soupçon née d'avoir commis des crimes contre l'humanité, des actes de torture et d'autres crimes de droit international.

Si le Canada désire mettre ses projets à exécution, il doit entamer une réforme des procédures d'élaboration de traités en ce qui concerne les instruments internationaux relatifs aux droits de la personne. Les lois concernant les droits de la personne ne sont pas des lois nationales ordinaires, contrairement à ce que pensait le Conseil privé en 1937.

Le comité des affaires juridiques et constitutionnelles du Sénat australien, qui a fait une étude très approfondie du déficit démocratique et des procédures d'élaboration de traités en Australie en 1995, le signale au chapitre 8:

Comme l'a reconnu la Cour supérieure dans l'affaire Koowarta, par exemple, la discrimination raciale est mainte nant une question d'intérêt international au lieu d'être purement interne. C'est un changement auquel est confrontée non seulement l'Australie, mais aussi les autres pays.

Il y a du travail à faire et je suis très heureux d'avoir l'occasion de vous parler de ce que devrait être le programme. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Le sénateur Kinsella: Monsieur Norman, reconnaissez-vous qu'il y a eu beaucoup de dérapages dans la recherche de normes internationales en matière de droits de la personne depuis la fin des années 70 et le début des années 80? Pendant cette période, nous avons ratifié deux conventions internationales et divers modes, mécanismes et modalités ont été identifiés avec beaucoup de créativité.

Nous avons ratifié ces deux conventions importantes et au début, l'affaire Lovelace a eu une telle incidence que le Parlement a adopté le projet de loi C-31 pour éviter que le Canada soit en infraction. Vous avez mentionné l'affaire Waldman qui est plus récente et qui concerne la compétence provinciale en matière d'éducation. Il me semble que, et c'est ce que nous enseignait M. Humphrey, dans les deux cas, la force des normes relatives aux droits de la personne vient en définitive de l'opinion publique mondiale.

Quel conseil pouvez-vous donner à notre nouveau Comité sénatorial permanent des droits de la personne pour nous aider à mobiliser l'opinion publique au Canada? Comme membres d'une institution qui se consacre à la protection et à la promotion des droits de la personne, nous n'hésitons pas à examiner ce qui se passe dans les tribunaux. Nous vous assurons que nous avons également recours à l'organe législatif. Si vous pouviez nous donner des conseils à ce sujet, nous vous en serions reconnaissants. On pourrait faire renaître l'enthousiasme de la fin des années 70 et du début des années 80.

M. Norman: Je prends note de votre commentaire. Beaucoup d'événements sont survenus à cette époque, surtout la ratification du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. La situation a beaucoup moins évolué au chapitre de la mise en oeuvre et encore beaucoup moins en ce qui concerne la ratification simultanée de l'autre grand Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Nous avons du pain sur la planche dans ce domaine. En 1993, le Canada a été critiqué à propos de ce pacte par le comité et il a été à nouveau critiqué tout récemment. On continuera de le critiquer. C'est un problème pour le Canada.

En ce qui concerne les institutions, la solution que je préconise dans mon article est semblable à celle qui a été adoptée en Australie: il faudrait créer une sorte de comité parlementaire de surveillance de la Chambre et du Sénat qui serait chargé d'examiner le problème que vous avez si bien exposé.

Comment pouvons-nous continuer à parler des engagements moraux qui ont une signification si importante à l'échelle internationale dans le cadre de nos débats? J'ai choisi le passage suivant de l'énoncé de la politique du ministère des Affaires étrangères en matière de droits de la personne parce qu'il est très direct:

Le Canada ne s'attend pas à ce que les autres gouvernements respectent des normes qu'il n'applique pas lui-même.

Cela signifie en fait que le Parlement a besoin d'un mécanisme institutionnel lui permettant d'être avisé avant la ratification. En Australie, par exemple, un dépôt 15 jours d'avance est requis.

J'appuierais une telle formule ainsi que la solution qui consisterait à créer un comité mixte permanent ou du moins un comité de la Chambre ou du Sénat qui accorderait de l'attention aux questions pertinentes. L'affaire Baker est un bon exemple. Le témoin qui m'a précédé a dit que le Canada se conformait entièrement à la Convention relative aux droits de l'enfant, sauf dans trois domaines où nous avons fait des réserves. Dans ce cas, il n'y a aucune raison de se tracasser. J'en conclurais cependant qu'il y a bel et bien lieu de se tracasser.

L'affaire Baker concerne une femme qui a passé la majeure partie de sa vie adulte au Canada, même si elle n'était pas citoyenne canadienne. Elle a mis au monde plusieurs enfants au Canada et a travaillé comme domestique; ses enfants sont canadiens. Elle risque l'expulsion parce qu'elle est gravement atteinte de schizophrénie. Ses enfants veulent avoir leur mot à dire dans le processus.

Le ministère de l'Immigration a décidé que les enfants n'avaient pas le droit d'intervenir dans les délibérations parce qu'ils ne sont pas un élément pertinent pour la discussion. Cette position a été maintenue à toutes les étapes, jusqu'à celle de la Cour suprême; celle-ci a déclaré qu'il n'existait pas de dispositions législatives exécutoires permettant d'accorder à ces enfants le droit de parler de leurs intérêts.

À mon avis, la juge L'Heureux-Dubé de la Cour suprême a fait une réflexion pertinente:

Cela bat en brèche la force morale de la norme établie dans le cadre de la Convention relative aux droits de l'enfant.

Notre Cour suprême a tout de même dit que les fonctionnaires de l'Immigration auraient dû écouter les enfants. C'était peu.

Je voudrais que les institutions parlementaires essaient de régler ce problème autrement que par le biais d'une affaire judiciaire occasionnelle.

Le sénateur Kinsella: Monsieur Norman, pourriez-vous expliquer la différence avec une méthode de mise en oeuvre dans le cadre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, concernant les droits que certains d'entre nous appelleraient des droits directement applicables, c'est-à-dire les rapports, la décision du comité et le passage aux actes. Pourriez-vous également expliquer la méthode de mise en oeuvre des droits prévue dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qui est plutôt un mécanisme social de vérification, et plus particulièrement le rôle du Parlement dans ces deux cas très différents. Dans ce dernier cas, le rôle du Parlement est, à mon avis, beaucoup plus important et plus capital car ces droits sont progressivement améliorés ou enrichis par des programmes.

M. Norman: Merci, sénateur. La question des droits économiques et plus particulièrement des droits sociaux et culturels est résumée dans les termes «réalisation progressive». C'est une question politique. Il est particulièrement important que d'autres institutions démocratiques que les tribunaux s'intéressent à cette question.

On n'a pas encore établi de protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et par conséquent, on ne peut pas déposer une plainte contre le Canada, comme l'a fait Lovelace, concernant le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et comme l'a fait Waldman, plus récemment. C'est une indication supplémentaire, me semble-t-il, qu'il faut établir un processus de vérification parlementaire, pour compléter les informations que donneront les fonctionnaires qui appuient le ministre, lorsqu'ils témoigneront devant ce comité qui se réunit tous les cinq ans à Genève.

Un processus officiel de consultations préalables, avec la participation du Sénat et de la Chambre, constituerait un grand progrès. Aucun processus de ce genre n'a été instauré, du moins pas à ma connaissance.

Le sénateur Beaudoin: Je crois comprendre que nous ne légiférons pas suffisamment en matière de mise en oeuvre des traités. C'est bien beau de dire que l'on a ratifié un traité et que nos lois sont conformes aux principes sur lesquels il est fondé, mais ce n'est peut-être pas suffisant, comme on nous l'a fait savoir il y a quelques minutes. Ce n'est pas toujours suffisant.

Nous devrions légiférer davantage, surtout dans un pays comme le Canada qui est soumis à un régime fédéral. Comme vous le savez, nous avons deux systèmes de droit et un grand nombre de provinces. Lorsque la législation porte notamment sur le droit de la famille et sur les enfants, il pourrait être dangereux de ne pas avoir accès à des dispositions législatives suffisantes pour répondre à toutes les questions que l'on devrait avoir.

J'ai tendance à être d'accord avec vous. Il ne m'arrive pas souvent de dire que nous ne légiférons pas suffisamment; d'habitude, c'est le contraire.

Nous n'allons pas assez loin en ce qui concerne la mise en oeuvre des traités, surtout dans certains domaines, probablement parce que cela peut être beaucoup plus difficile que dans d'autres. C'est surtout vrai en ce qui concerne les droits de la personne et les libertés parce que cela concerne tout le monde. Toutes les provinces et le gouvernement fédéral participent. Est-ce là votre message?

M. Norman: Je ne sais pas à quel point c'est complexe, sénateur. J'admets que nous pourrions au moins mentionner les engagements internationaux lorsqu'ils ont été ratifiés et faire une proposition. Nous avons tendance à le faire maintenant dans un préambule mais si nous pouvions intégrer la norme internationale, cela aurait pour effet d'éliminer le problème de conversion auquel nos tribunaux font face actuellement. Dans l'affaire Baker, la Cour suprême a fait un léger progrès en invoquant l'ambiguïté. La Loi sur l'immigration utilise la tournure «raisons d'ordre humanitaire», qui laisse suffisamment de latitude pour englober les normes de la Convention relative aux droits de l'enfant. La majorité des membres de la Cour ont dit clairement que cette convention n'était pas une loi du pays. On ne peut pas tirer directement certaines dispositions de cette convention et les considérer comme la loi. Si nous les avions intégrées par une référence explicite dans une loi adoptée par le Parlement au lieu d'adopter uniquement la Loi sur la Journée de l'enfant de 1993, nous aurions au moins un élément à notre disposition pour inciter la Cour suprême à porter attention à la force morale de ces normes et à invoquer directement la convention. On pourrait légiférer beaucoup plus sans causer pour autant trop de perturbations.

Le sénateur Beaudoin: Ce n'est pas seulement une question de timidité. C'est plus grave que ça. Nous n'avons pas mis en oeuvre les obligations que nous avons contractées à l'échelle internationale par le biais d'une loi.

M. Norman: C'est également mon avis. C'est plus qu'une cause d'embarras. Je pense exactement comme vous.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: J'ai lu avec attention votre document. À la page 306, vous dites en conclusion:

[Traduction]

Nous pouvons faire mieux que ça.

[Français]

Et vous dites aussi:

[Traduction]

Les droits de la personne ne relèvent pas uniquement d'une loi ordinaire.

Mon anglais est comme celui de Sophia Loren. Je suis italienne.

Ces droits ont été reconnus à maintes reprises par la Cour suprême du Canada dans le contexte du Code des droits de la personne.

Je voudrais faire un autre commentaire. Les droits internationaux de la personne sont pertinents et l'exercice de son pouvoir discrétionnaire par le ministre de l'Immigration pour des raisons d'ordre humanitaire doit être considéré comme injuste.

[Français]

Je vous mentionne cela pour en venir à un cas que nous avons vécu dernièrement. Il s'agit du cas d'une famille polonaise qui a fait une demande de citoyenneté canadienne pour des fins humanitaires, et depuis expulsée. Les enfants qui sont nés ici sont restés au Canada, mais le père a été expulsé, je pense, en Pologne. Je déplore le fait que le ministère de l'Immigration n'ait pas tenu compte de cette demande à caractère humanitaire.

Les enfants ont le droit de vivre avec leurs parents. Nous n'avons pas le droit de les séparer. Pouvez-vous m'expliquer si la demande que les parents ont formulée pour la citoyenneté afin qu'elle soit reconnue comme demande à caractère humanitaire pouvait être acceptée?

[Traduction]

M. Norman: Je vous remercie pour cette question. Dans la mesure où les intérêts des enfants sont en cause, la décision de la Cour suprême dans l'affaire Baker donne un sens nouveau à la tournure «raisons d'ordre humanitaire» et ordonne aux fonctionnaires des services d'immigration de s'occuper de questions comme celle de la réunion des familles mentionnée par le sénateur.

Je ne pense pas que l'on y ait ajouté une nouvelle norme internationale qui aurait une incidence sur cet exercice du pouvoir discrétionnaire pour des raisons d'ordre humanitaire.

La décision Baker est d'une portée très limitée. Elle est importante parce qu'elle fait intervenir les enfants dans la discussion, mais sans plus.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: Nous ne pouvons rien faire en tant que comité sénatorial, dans tous nos projets, pour cette situation? Ce n'est pas le premier ni le dernier cas de ce genre. Comment pouvons-nous faire pour préserver les intérêts des enfants nés en territoire canadien? Nous ne pouvons pas séparer les enfants des parents. Je me demande aussi comment pouvons-nous faire pour éviter des traumatismes chez ces enfants? C'est ce que j'aimerais vraiment étudier, et voir ce qu'il est possible de faire. Pensez-vous qu'il y a une façon d'approcher ce problème?

[Traduction]

M. Norman: Le Canada a pris un excellent départ en 1991 en ratifiant la Convention relative aux droits de l'enfant. Cette convention ne dit rien d'extraordinaire ou de nouveau, bien que l'on ne soit pas encore parvenu à inciter nos législateurs à la mettre en oeuvre, mais elle reconnaît l'autonomie et la valeur de l'enfant. Son libellé prouve que l'enfant est traité comme une personne et pas comme un bien. Cela peut faire une énorme différence, comme dans le cadre de l'affaire Baker. Nous examinons diverses questions comme l'affaire qui est maintenant devant les tribunaux; l'article 43 du Code criminel permet à une personne qui remplace le père ou la mère, ou à un instituteur, d'employer la force physique pour corriger un enfant alors qu'on ne pourrait pas avoir recours à la même force physique pour un adulte.

À mon avis, c'est un article qui n'a pas sa place dans notre Code criminel parce qu'il traite l'enfant comme moins qu'une personne et enfreint les normes de la Convention relative aux droits de l'enfant. Nous verrons ce que la Cour suprême en pense d'ici environ un an. Cependant, ce serait un cas où je pense que les parlementaires pourraient faire valoir qu'une initiative nouvelle et très importante a été prise en 1991 et que nous devons nous efforcer de la mettre en oeuvre. L'enfant est considéré comme une personne comme il ne l'avait jamais été avant que cette convention soit ratifiée par le Canada.

Le sénateur Milne: Monsieur Norman, vous dites que le Canada a signé diverses conventions sur les droits de la personne mais qu'il ne les met pas en application. Vous vous êtes surtout appuyé sur l'article de Mme Bayefsky sur la performance de l'Ontario en ce qui concerne les écoles séparées, paru dans The Globe and Mail. Vous avez parlé de la façon dont l'Australie a réglé ce problème.

Pourriez-vous nous proposer une solution applicable qui ne nécessiterait pas de modification de la Constitution? Les deux méthodes que vous avez mentionnées entraîneraient des modifications à la Constitution.

M. Norman: Il y a quelque espoir que la Cour suprême règle ces questions pour nous un jour. La quatrième édition de l'ouvrage intitulé: Constitutional Law of Canada de Peter Hogg signale l'affaire de la Convention sur le travail et la critique beaucoup.

L'auteur s'appuie sur deux types d'arguments. Dans la quatrième édition de son ouvrage, au chapitre 11, qui commence à la page 12, M. Hogg dit que, dans cette affaire, la décision est erronée; il cite d'ailleurs plusieurs déclarations de la Cour suprême qui, avec le recul, laissent entendre que la décision est erronée. Il s'agit d'une décision du Conseil privé. C'est le cas en ce qui concerne la maxime bien connue qui dit qu'il y a des compartiments étanches et que le pouvoir des provinces ne peut être affaibli par le gouvernement fédéral.

Je crois que M. Hogg a raison lorsqu'il dit que, à l'exclusion d'une modification de la Constitution, il y a une possibilité que la Cour suprême décide un jour que c'est un anachronisme que de continuer à supporter une interprétation de l'article 132 de notre Constitution qui nous traite comme une colonie britannique. Il s'agit en fait de ce qui s'est passé dans l'affaire de la Convention sur le travail. Elle lie les mains du gouvernement fédéral lorsqu'il va faire à l'étranger des promesses qu'il ne peut pas tenir.

Sur le plan politique, comme fédération, nous avons quelques atouts dans notre jeu en ce qui concerne les processus de consultation avec les provinces, et Hogg est d'accord, mais on obtient toujours l'étrange résultat que les lois concernant les droits de la personne sont traitées exactement de la même manière que toutes les autres lois. Elles sont pourtant différentes et un de mes arguments est qu'au cours de la période faste des années 70, après la mise en oeuvre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Canada a adopté plusieurs codes des droits de la personne et la Cour suprême a considéré qu'il ne s'agissait pas de lois ordinaires. À part une modification de la Constitution, c'est là que réside quelque espoir.

La seule autre proposition que j'aie à faire, et c'est très important, se trouve dans les réponses que j'ai données aux sénateurs Kinsella et Beaudoin. Nos institutions parlementaires peuvent contribuer à encourager la compréhension de ces normes pas uniquement par la population mais aussi dans les institutions parlementaires. Cela ferait une grosse différence. Il y aurait au moins une surveillance permanente au lieu d'attendre tous les cinq ans que la question soit étudiée par un comité, à New York ou à Genève.

Le sénateur Milne: Je doute que cet argument ait beaucoup de poids pour la province de l'Ontario à l'heure actuelle.

Le sénateur Poy: Monsieur Norman, je trouve votre article très intéressant. Quelle serait, à votre avis, la principale difficulté à surmonter pour intégrer les normes internationales aux lois canadiennes, par exemple la ratification par le Canada de la Convention relative aux droits de l'enfant? Si j'ai bien compris, d'autres témoins ont laissé entendre que nous n'avions pas vraiment besoin de lois. C'est entendu. C'est une chose acceptée au Canada.

Dans l'affaire Baker que vous avez mentionnée, cela n'a pas fonctionné. Comment peut-on, à votre avis, surmonter cette difficulté? Faudrait-il adopter au Canada une loi reconnaissant les droits de l'enfant?

M. Norman: La réponse est oui. Nous devons le dire davantage et le dire explicitement. Je ne pense pas que la Convention relative aux droits de l'enfant soit un changement marginal que nous avions déjà intégré à notre système juridique interne. Les fonctionnaires fédéraux ne sont pas d'accord avec moi; ils prétendent que ce n'était qu'un changement marginal et que les seuls changements qu'il est nécessaire de signaler sont ceux auxquels nous souhaitions nous opposer et au sujet desquels nous voulions faire des réserves.

Je félicite la Cour suprême d'avoir fait preuve de courage dans le cadre de l'affaire Baker et d'avoir donné effet dans une certaine mesure aux normes de la convention. L'autre exemple est l'article 43 du Code criminel où il semble que l'idée d'une intégrité physique plus vulnérable chez l'enfant que chez un adulte aille à l'encontre de l'esprit de cette excellente Convention relative aux droits de l'enfant. Jusqu'à présent, les divers gouvernements de notre pays n'approuvent pas cette opinion et le gouvernement fédéral résiste aux attaques menées devant les tribunaux contre l'article 43. Nous devrons attendre que la Cour suprême se prononce à ce sujet. Quand la Cour suprême examine de telles questions, il serait très utile qu'elle ne se contente pas d'attendre en espérant trouver un peu d'ambiguïté dans une mesure législative qui lui permettrait de l'interpréter comme une norme. Il serait très utile que la Cour suprême puisse dire que la Convention relative aux droits de l'enfant est une affaire sérieuse et qu'elle peut faire l'objet de discussions devant cette même cour. Ce n'est pas vrai à l'heure actuelle. C'est pourquoi j'ai lu aux fins du compte rendu l'opinion de la Cour fédérale selon laquelle le pouvoir discrétionnaire est pratiquement illimité.

Voilà la triste position dans laquelle nous nous trouvons actuellement. Les avocats n'ont pas la possibilité de défendre ces normes devant un tribunal canadien.

Le sénateur Poy: Dois-je comprendre que vous voulez dire qu'il faudrait présenter un projet de loi pour rattraper le retard?

M. Norman: Il y aurait plusieurs possibilités. La question du déficit démocratique pourrait être réglée en déposant un document au Parlement avant la ratification, pour pouvoir entamer un débat politique sur ces normes.

On pourrait faire directement mention dans nos lois des normes internationales en matière de droits de la personne au lieu de les passer sous silence et de laisser aux tribunaux le soin de décider si elles ont quelque importance. En agissant ainsi, on risque que les tribunaux pensent que les normes internationales n'ont aucune importance.

La présidente: Diriez-vous que le droit international, la participation du secteur non gouvernemental et le regard différent que nous jetons sur les droits de la personne sont des phénomènes récents?

L'un d'entre vous a dit que l'on a connu une période faste en 1979 et en 1980; je m'en souviens, d'ailleurs. Il faut un certain temps pour l'assimiler. On dirait maintenant qu'un autre mouvement a été amorcé par quelques parlementaires, par des collectivités, par certains gouvernements, afin de combler l'écart entre la mise en oeuvre à l'échelle nationale et la mise en oeuvre à l'échelle internationale. Par conséquent, une mesure législative ne suffirait pas. Il faut laisser une place à l'éducation et à l'intervention du Parlement pour encourager ce mouvement à atteindre l'étape suivante, à créer une interface entre le droit national et le droit international.

Une des suggestions que j'aurais à faire est d'avoir une liste des conventions ou des pactes internationaux quand nous mettons en oeuvre des lois nationales, pour voir si celles-ci sont conformes à tous ces traités. Cela ne veut pas dire que ce serait une garantie de légalité, mais nous jetterions probablement un regard plus pondéré sur la façon dont nous mettons en oeuvre nos stratégies nationales. On a déjà commencé à le faire, mais pas de façon systématique.

M. Norman: Nous sommes intéressés par les travaux du comité sénatorial australien sur les affaires juridiques et constitutionnelles. Le titre de son rapport de 1995 attire l'attention. Ce rapport est intitulé: «Trick or Treaty: Commonwealth Power to Make and Implement Treaties».

La discussion concerne également, comme vous l'avez dit, la nécessité d'établir en quelque sorte un comité de vérification, qui représenterait une participation permanente du Parlement. C'est indiqué au chapitre 14 du rapport du comité. On y dit que la participation devrait se faire par le biais d'un comité permanent qui suivrait ce processus et qui, avec les fonctionnaires concernés, s'efforcerait de faire en sorte que les normes internationales qui sont sur le point d'être ratifiées soient mises en application en tenant compte de l'ordre juridique existant. On suggère également que des discussions aient lieu sur le domaine où il y a du rattrapage à faire et sur les mesures à prendre pour régler ce problème. Je pense que c'est un excellent conseil qui mérite toute notre attention.

La présidente: Merci, monsieur Norman. Vous nous avez permis d'enrichir nos connaissances. Vous nous avez recommandé quelques possibilités d'appuyer des initiatives plus efficaces en matière de protection des droits de la personne. Je vous remercie pour votre participation.

La séance est levée.


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