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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 4 - Témoignages du 5 novembre 2001


OTTAWA, le lundi 5 novembre 2001

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui à 15 h 05 pour étudier diverses questions ayant trait aux droits de la personne et examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement permettant au Canada de respecter ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne.

Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, le lundi 5 novembre à 15 heures, pour poursuivre son étude. Nous sommes autorisés à étudier diverses questions ayant trait aux droits de la personne et à examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement permettant au Canada de respecter ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne.

Nous sommes très reconnaissants envers le professeur Errol Mendes, de la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa, qui consacre son temps à l'étude de ces questions-là, d'avoir accepté de nous faire bénéficier de son expertise en la matière. Je tiens à vous remercier d'avoir accepté de vous présenter une deuxième fois devant le comité.

Comme vous le savez, la dernière fois, certains d'entre nous avons été empêchés de pénétrer dans l'immeuble, alors qu'on vous a empêchés, vous, d'en sortir. En raison de cette crise, nous avons dû reporter la réunion à aujourd'hui. Merci donc d'avoir accepté de revenir une deuxième fois pour présenter vos témoignages.

Je vais donc vous céder tout de suite la parole pour faire votre exposé. Je suis sûre que les sénateurs voudront ensuite vous poser des questions.

M. Errol P. Mendes, professeur, faculté de droit, Université d'Ottawa: Je suis très honoré d'avoir aujourd'hui l'occasion de comparaître devant le comité pour présenter mes vues sur le rôle de votre comité, notamment à la lumière des événements du 11 septembre, que je vais aborder spécifiquement dans mon exposé.

En 1999, le gouvernement a entrepris l'examen qui doit se faire sur une base quinquennale en vue d'évaluer dans quelle mesure le Canada respecte le Pacte international relatif aux droits écono miques, sociaux et culturels (PIDESC), ainsi que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). En 1997, il s'était déjà penché sur la performance du Canada en regard de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDEF). Bien que le gouvernement canadien présente une fiche de route relativement bonne en ce qui concerne ces trois textes, des ONG et des groupes de militants sociaux ont fait état d'un bilan beaucoup plus négatif en ce qui concerne le respect de ces conventions par le Canada. Ils ont soutenu en particulier qu'on a assisté, au Canada à une détérioration de l'égalité sociale et des programmes sociaux, détérioration qui a occasionné des violations des droits à l'égalité, ainsi que des autres droits des groupes défavorisés. Dans leur évaluation de l'observation de ces trois conventions par le Canada, les organes de surveillance des traités chargés de faire l'évaluation ont eu plutôt tendance à donner raison aux ONG et aux militants sociaux. Comme d'autres témoins vous en ont déjà parlé, je ne m'étendrai pas sur ce sujet.

Mon exposé ne va pas porter sur les positions de fond du gouvernement, des ONG ou des militants sociaux, mais plutôt sur certaines déclarations du Comité des droits de l'homme. Quand il a évalué dans quelle mesure le Canada respectait le PIDCP, le comité a noté le déséquilibre entre les protections accordées par ce pacte et celles découlant de la Charte canadienne des droits et libertés et d'autres lois canadiennes qui protègent les droits de la personne. Il a en outre recommandé au Canada d'envisager la mise sur pied d'un organisme public qui serait chargé de contrôler l'application du PIDCP et de signaler tout défaut de conformité.

Certains, au sein du gouvernement canadien, des ONG et des groupes de militants sociaux, de même que des particuliers, ont recommandé que cet organisme public, qui serait donc chargé de vérifier le respect des traités internationaux sur les droits de la personne - soit rattaché à la Commission canadienne des droits de la personne dont on élargirait alors le mandat. Ils invoquent pour cela les principes adoptés à Paris, en 1991, à l'occasion d'une rencontre des institutions nationales de défense des droits de la personne, sous l'égide de l'ONU. Ces principes vont dans le sens d'un mandat qui soit aussi large que possible et qui prévoie notamment la promotion et la garantie de l'harmonisation des règlements et des pratiques découlant des législations nationales, ainsi que des instruments internationaux de défense des droits de la personne auxquels est partie l'État concerné. Ces principes portent aussi sur l'application effective de ces instruments.

[Français]

On peut remarquer à propos de cette recommandation que la Commission canadienne des droits de la personne est déjà surchargée en vertu de son mandat actuel et de ses enquêtes internes. Ces enquêtes réalisées par le vérificateur général du Canada ont fait ressortir que la Commission éprouve de sérieuses difficultés à s'acquitter de son mandat actuel de lutte à la discrimination. On pourrait aussi opposer à cette recommandation le fait qu'il n'est pas question dans la proposition formulée d'accorder au Parlement, donc au Sénat du Canada, un rôle de supervision sur la manière dont le Canada s'acquitte de ses obligations internationales sur le plan des droits de la personne.

J'estime pourtant qu'il y aurait eu lieu de confier un tel rôle au Parlement au nom de la démocratie.

[Traduction]

L'actuel système a permis à des groupes de la société civile d'influencer les délibérations et les recommandations des nom breux organismes de surveillance des traités qui s'occupent de droits de la personne. On peut s'en réjouir, car cela contribuera grandement à exiger des gouvernements qu'ils rendent des comptes sur les progrès accomplis au chapitre de la mise en oeuvre des traités sur les droits de la personne. Néanmoins, les groupes de la société civile vont eux-mêmes devoir composer avec un défi de taille. On se demande de plus en plus jusqu'à quel point ces groupes sont démocratiques et représentatifs. Parlent-ils au nom de leurs membres ou d'intérêts spéciaux, ou peuvent-ils légitimement revendiquer le droit de s'exprimer au nom d'une société civile nationale ou internationale? On ne sait pas jusqu'à quel point les ONG et ceux qu'elles représentent sont légitimes parce que, au bout du compte, ce sont leurs mandants et les activités qu'elles mènent qui établissent leur crédibilité ou absence de crédibilité sur ce plan. Par exemple, il viendrait à l'esprit de peu de gens de remettre en question la légitimité de la participation d'Amnistie internationale au processus d'évaluation du respect du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Face à ce soupçon de déficit démocratique chez le gouverne ment et les ONG, en ce qui concerne le respect des obligations du Canada en matière de droits de la personne, il existe une autre réponse possible. Elle consiste à renforcer le rôle du Parlement dans l'examen du respect des obligations juridiques du Canada. J'ai une recommandation très précise à formuler à cet égard, recommandation qui s'appuie sur le Modèle des parlements et là je veux parler du modèle britannique. Cette recommandation est d'ailleurs peut-être encore plus pertinente depuis l'horreurdu 11 septembre dernier.

Depuis l'entrée en vigueur, le 2 octobre 2000, de la Human Rights Act de 1998, loi d'application de la Convention européenne sur les droits de la personne au Royaume-Uni, le Parlement britannique a dû mettre sur pied un comité mixte de la Chambre des lords et de la Chambre des communes afin d'étudier cette loi et d'établir si elle entre en conflit avec le droit européen et à la Convention européenne des droits de l'homme. Si le comité mixte estime qu'il y a risque de conflit, le gouvernement a toujours le loisir de ne pas tenir compte de son avis. Dans ce cas, les tribunaux sont appelés à trancher la question.

À l'heure où nous nous parlons, ce comité mixte s'apprête à redoubler d'activité après que la Grande-Bretagne a annoncé son intention d'apporter une réponse législative aux menaces terro ristes qui pèsent sur elle et les mesures précises qu'elle envisage de prendre dans le cadre de l'effort international déployé pour combattre les commanditaires et les financiers de ce terrorisme. Les Anglais songent à donner à leur police des pouvoirs étendus en matière de détention et d'interrogation des suspects. Certains suggèrent même de modifier le Human Rights Act pour permettre l'adoption de ces nouvelles mesures de sécurité. Il demeure que les ministres responsables devront d'abord déterminer si les mesures envisagées sont compatibles avec les dispositions du Human Rights Act. Il est possible aussi que le procureur général de la Grande-Bretagne soit consulté à ce sujet, puisqu'il sollicitera sans doute l'opinion juridique du Barreau anglais.

La loi britannique s'inspire de notre Charte des droits et libertés, surtout de l'article premier, et elle exige que toute loi soit proportionnée, justifiée et adaptée au regard des objectifs établis à l'occasion de jugements antérieurs. Par exemple, le Human Rights Act permet de détenir un suspect pendant sept jours, en vertu d'un mandat d'arrêt signé par un magistrat aux termes du Terrorism Act de 2000.

J'explique dans mon texte comment le gouvernement doit procéder pour obtenir une dérogation de la Convention euro péenne sur les droits de la personne conformément au Human Rights Act.

D'aucuns pourront se demander pourquoi nous devrions mettre sur pied un comité mixte des deux Chambres du Parlement fondé sur le modèle britannique. Pourquoi ne pas simplement nous en remettre aux tribunaux? La réponse réside dans un dilemme qui, même s'il est reconnu par de nombreux juges et juristes internationaux, est rarement énoncé. Les obligations des pays en matière de droits de la personne ont un caractère éminemment juridique, mais elles ne sont pas dénuées de contenu politique. C'est notamment vrai parce que la fiche de route de nombreux pays, en matière de protection des droits de la personne, contredit le fait qu'ils ont signé et ratifié les pactes de l'ONU. Permettez-moi de vous présenter quelques statistiques à cet égard.

En mai 2000, 144 pays avaient ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et 142, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, beaucoup après avoir émis énormément de réserves. Eh bien, à en juger d'après leurs réalisations sur le plan de la protection des droits de la personne, un grand nombre de ces pays dérogent plus souvent qu'ils ne respectent les dispositions de ces pactes. Quel pays faut-il donc retenir comme modèle en ce qui a trait aux précédents, aux pratiques et à la jurisprudence, pour parvenir à convaincre nos tribunaux et nos corps législatifs?

Au Canada, la jurisprudence établie par la Cour suprême nous indique que l'appareil judiciaire doit prendre très au sérieux nos obligations internationales au chapitre des droits de la personne. Comme d'autres témoins vous ont déjà longuement parlé de ces questions, j'éviterai de répéter les mêmes arguments. Je tiens cependant à vous rappeler que la Cour a déclaré à maintes reprises qu'il faut interpréter la Charte canadienne des droits et libertés de façon à assurer une protection au moins aussi bonne que celle prévue dans des dispositions semblables de documents régissant les droits de l'homme qui ont été ratifiés par le Canada. Vous avez déjà reçu des témoignages à ce sujet, y compris sur les affaires Public Servants Relations Act, Slaight communications c. Davidson ou, plus récemment, Baker c. le Canada. Toutes confirment que l'interprétation de la Charte et l'application du droit administratif doivent être conformes aux obligations internationales du Canada sur le plan des droits de la personne.

D'ailleurs, dans l'affaire Baker c. le Canada, la Cour semble avoir repoussé les limites du mandat de tout l'appareil judiciaire canadien en suggérant que les valeurs reflétées dans la législation internationale peuvent influencer la démarche contextuelle à retenir pour interpréter les lois et exécuter l'examen judiciaire.

Si cela est vrai, il y a certainement lieu de soutenir que les valeurs énoncées dans la législation internationale relative aux droits de l'homme doivent être une source d'inspiration pour le Parlement du Canada lorsqu'il s'agit d'élaborer nos lois. Les premiers concernés à cet égard seraient donc des comités comme le vôtre.

Récemment, à l'occasion de son jugement dans l'affaire Le Canada c. Hudson, la Cour suprême a décrété que les accords multilatéraux sur l'environnement et les principes qui en découlent, comme le principe de précaution, devraient servir à déterminer l'étendue des pouvoirs délégués des administrations municipales au Canada. Pourquoi ne pourrait-on pas tenir le même raisonnement à propos de l'incidence des principaux traités internationaux sur les droits de l'homme que le Canada a signés et ratifiés?

Vous savez aussi que, dans son jugement dans l'affaire Irwin Toy, la Cour suprême n'a pas exclu la possibilité que l'article 7 de la Charte puisse reprendre les droits économiques, sociaux et culturels énoncés dans le Pacte international du même nom.

L'application des droits économiques, sociaux et culturels est caractérisée par une multitude de problèmes sur les plans juridique et politique. On semble même le reconnaître dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, où l'on précise que les États parties sont fondamentale ment tenus d'appliquer progressivement les droits énoncés dans le Pacte en tenant compte de leur niveau actuel de développement économique et social.

Comment le Canada respecte-t-il concrètement cette obligation de mise en oeuvre progressive? Il est évident que le Parlement doit avoir son mot à dire sur ce qui constitue l'application ou l'absence d'application progressive de tels droits.

En outre, comme d'autres témoins vous l'ont indiqué, la nature dualiste et fédéraliste de notre Constitution complique énormé ment les choses. Je suis réticent à vous en dire plus en la présence du grand expert en la matière au Canada, soit le sénateur Beaudoin, et je préfère donc que vous vous appuyiez, dans le cadre de vos discussions, sur les connaissances juridiques, professorales ou sénatoriales reconnues du sénateur Beaudoin.

La Cour suprême a indiqué son intention de ne pas interpréter la Charte en vase clos et d'ouvrir le dialogue avec le Parlement, comme l'ont proposé d'éminents juristes canadiens, dont Peter Hogg, doyen de la Osgoode Hall Law School.

Cependant, pour l'instant, ce dialogue n'est pas adéquat. Comme l'a un jour avoué un fonctionnaire du ministère de la Justice, le dialogue n'a pas vraiment eu lieu entre la Cour suprême et le Parlement, mais entre certains fonctionnaires du ministère de la Justice et la Cour.

À la lumière des événements du 11 septembre 2001, il y a lieu d'accorder une plus grande attention à la façon dont les questions de droits de la personne sont traitées au Parlement. L'enjeu est énorme. Il est surtout question de parvenir à un juste équilibre entre un souci légitime de sécurité et les valeurs fondamentales de la société canadienne, de même que les obligations juridiques internationales que nous avons contractées. Il faut que le Parlement entreprenne un dialogue cohérent et éclairé sur les questions fondamentales de l'heure, et il devra le faire avec les tribunaux quand le besoin s'en fera sentir, afin que nous puissions disposer d'un système efficace de protection des droits de la personne en cette époque de tous les dangers.

[Français]

Je recommande, pour améliorer la qualité de ce dialogue, de mettre sur pied un comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes sur les droits de la personne. Celui-ci serait chargé de déterminer dans quelle mesure la législation est compatible avec la Charte canadienne des droits et libertés et avec nos obligations internationales en matière des droits de l'homme, surtout en ce qui a trait aux nouvelles mesures de sécurité.

Il est admis, en partant, que le comité en question devrait adopter un modus operandi efficace et qu'il devrait travailler vite compte tenu de l'urgence qu'il y a d'adopter certaines de ces mesures.

[Traduction]

Je note que les travaux du comité spécial qui a présenté son rapport sur le projet de loi C-36 avant celui du Comité de la justice sur les droits de la personne constituent la preuve que le Sénat peut agir rapidement quand il le veut.

Je recommande donc de mettre sur pied un comité mixte qui serait chargé d'étudier les rapports élaborés par le gouvernement du Canada sur une base quinquennale avant que ces derniers soient soumis à l'examen des organismes de surveillance des traités. Ces rapports pourraient être l'occasion de tenir des audiences qui permettraient notamment de recueillir le point de vue de la société civile sur la façon dont le Canada se conforme à ses obligations internationales en matière de droit de l'homme, de tenir compte des positions exprimées et de les communiquer aux organes de surveillance des traités.

Toutes les institutions doivent s'adapter aux nouvelles réalités du monde en ce lendemain du 11 septembre 2001. Votre comité devrait jouer un rôle déterminant dans la façon dont nous nous adapterons à ces nouvelles circonstances.

Le sénateur Beaudoin: Nous avons discuté de la mise en oeuvre des traités. Nous constatons que notre situation est plus difficile étant donné que peu de pays, à part le Royaume-Uni et quelques autres nations, appliquent une théorie dualiste. Nous avons appris que les Anglais s'intéressent à la possibilité d'élaborer une formule pour la mise en oeuvre de ces traités. C'est justement ce sur quoi vont porter les questions que je vous adresse cet après-midi.

Est-il temps que le Canada élabore sa propre formule pour la mise en oeuvre des traités? Nous signons les traités mais nous ne votons pas des lois pour les appliquer.

J'ai soulevé cette question à propos du projet de loi C-7, entre autres. J'avais l'impression que certains ministères fédéraux ne sont pas nécessairement sur la même longueur d'ondes. Pour moi, appliquer un traité signifie qu'il faut voter une loi pour donner effet à nos obligations en vertu du traité en question. C'est ce que j'appelle l'application au moyen de la législation.

La réponse qu'on m'a faite c'est que notre Constitution et notre Charte canadienne des droits et libertés satisfont déjà à nos obligations internationales. Pour moi, ce n'est pas une réponse définitive. À mon avis, il faut promulguer des lois d'application; donc, j'ai soulevé de nouveau la question. La ministre de la Justice m'a dit qu'elle soumettra la question à l'examen du ministre des Affaires étrangères, M. Manley, et je suis très content qu'elle ait décidé de le faire.

J'estime que nous devrions élaborer notre propre formule pour l'application des traités. Nous avons l'obligation morale d'y donner suite. J'espère donc un jour que la Cour suprême déclarera que nous avons l'obligation constitutionnelle de les appliquer.

Avez-vous trouvé une solution magique à ce problème? Si vous en avez une, je vais vous écouter avec la plus grande attention.

M. Mendes: Sénateur, si je trouve une solution magique, il faudra que nous rédigions ensemble un autre livre.

Je devrais mentionner que le sénateur Beaudoin et moi-même sommes corédacteurs d'un livre sur la Charte des droits et libertés.

Je ne vais pas répéter les réponses que vous ont faites d'autres témoins au sujet de nos problèmes constitutionnels en ce qui concerne la répartition des compétences. Ces problèmes vous sont tout à fait familiers. Par conséquent, je préfère vous parler des obstacles auxquels nous sommes confrontés dans une optique plus «concrète», disons.

Le Canada a signé environ 400 traités relatifs aux droits de la personne. Nous ne serions pas signataires si nous n'avions pas l'obligation d'appliquer ces traités en votant des lois de mise en oeuvre. La réponse de nombreux fonctionnaires a été de dire que le Canada est un champion des droits de la personne, que nous avons déjà la Charte des droits et libertés, qu'il existe dans chaque province et au niveau fédéral des lois touchant les droits de la personne, et que nous n'avons donc pas besoin d'une loi qui a pour seul objet d'appliquer tel ou tel autre traité relatif aux droits de la personne.

Telle a été l'attitude de gouvernements successifs depuis 20 ou 30 ans, et peut-être encore plus longtemps.

Mais comment cela se passe dans la pratique? Eh bien, comme vous les savez très bien, les actions en justice ne traduisent pas toujours cette attitude-là. Ainsi certains juristes soutiennent que puisqu'aucune loi d'application n'a été promulguée, ces traités, même s'ils ont été ratifiés, ne supposent qu'une obligation légale puisque les principes qu'on y définit n'ont jamais été inscrits dans des lois nationales.

La solution magique potentielle qui pourrait être retenue à l'avenir est celle de la préclusion. Si vous avez affirmé, après ratification d'un traité qu'il existe une loi d'application de ce traité mais que, quelques années plus tard, vous reconnaissez qu'en réalité il n'existe aucune loi d'application, si bien que les principes qu'on y énonce ne peuvent être considérés comme contraignants sur le plan juridique, le concept de la préclusion pourrait s'appliquer, me semble-t-il. C'est un concept qu'on retrouve couramment en common law, et même si j'ai suivi des cours de droit civil, je ne sais pas si ce même concept existe en droit civil - mais ce serait surprenant qu'il n'y soit pas énoncé.

Le sénateur Beaudoin: Non, ce n'est pas pareil en droit civil.

M. Mendes: On pourrait plaider une forme de préclusion constitutionnelle s'il était possible de trouver des documents qui le prouvent clairement. Peut-être que la Cour suprême envisagera cette possibilité à un moment donné. Ce n'est pas le cas - loin de là. Jusqu'ici c'est dans son jugement dans l'affaire Baker que la Cour a donné son interprétation la plus progressiste de ce concept, puisqu'elle a statué que même si le traité ne fait pas l'objet d'une loi de mise en oeuvre, il faut en tenir compte, même dans le contexte du droit administratif, ce qui dénote une attitude très progressiste.

Le sénateur Beaudoin: S'agit-il à votre avis d'une question d'ordre moral ou d'ordre juridique?

M. Mendes: Voilà une bonne question. Cela dépend de l'opinion du juge concerné. Certains juges ne tiennent aucun compte de traités qui n'ont pas été concrètement appliqués; d'autres les prennent au sérieux. À mon avis, ça dépend beaucoup de l'attitude du juge en question, mais disons qu'il y a de bons arguments pour que les juges y voient des instruments juridique ment contraignants. Depuis l'affaire Baker, ces arguments sont encore plus solides; donc, manifestement, la situation actuelle pose problème.

Vous avez parlé du système britannique. Je constate, d'ailleurs, que plusieurs témoins que vous avez déjà reçus ont fait allusion au système britannique. Il convient peut-être de vous faire une petite mise en garde en ce qui concerne l'opportunité d'adopter intégralement le système britannique, étant donné que les tribunaux n'ont pas autant de pouvoir aux termes de la Human Rights Act de 1999 qu'ils ne l'ont au Canada en vertu de la Charte des droits et libertés. Les tribunaux britanniques doivent se contenter de délivrer au Parlement un certificat d'incompatibilité, et c'est ensuite au Parlement de déterminer s'il veut ou non y donner suite. Contrairement aux tribunaux canadiens, ils ne jouissent pas de pleins pouvoirs de contrôle judiciaire, y compris la possibilité de déclarer une loi invalide pour excès de compétence. Donc, il faut peut-être éviter de suivre de trop près le modèle britannique.

Cette possibilité de délivrance d'un certificat d'incompatibilité englobe la notion de préclusion. Donc, si vous avez signé la Convention européenne des droits de l'homme, promulgué une loi relative aux droits de la personne et que vous constatez que certaines lois ne sont pas compatibles avec cette convention, vous êtes officiellement informé qu'il y a rupture de promesse. Voilà la signification du certificat d'incompatibilité. Ce serait peut-être une possibilité à explorer.

Par contre, face à une situation de préclusion, vous pourriez toujours convoquer des témoins pour qu'ils vous expliquent le bien-fondé de cette contradiction ou préclusion. Cela pourrait faire partie de votre rôle de surveillance en tant que comité. J'espère que ces éléments sont suffisants.

La présidente: Il me semble que l'appareil des Nations Unies vise de plus en plus à forcer les pays signataires à respecter leurs obligations internationales. De plus en plus, je constate qu'on dit: «Si vous signez un accord, vous n'êtes pas liés par cet accord, mais vous avez l'obligation de ne pas prendre des mesures qui sont contraires aux principes qu'il énonce, puis après la ratification, vous êtes tenus d'y donner suite.»

Avez-vous fait une analyse pour savoir si, à l'échelle internationale, l'ONU exerce de plus en plus de pressions sur les pays signataires dans ce sens-là?

M. Mendes: Pour vous dire la vérité, j'ai tendance à croire que l'action des tribunaux nationaux est généralement plus efficace que celle de l'ONU. Je ne sais pas si vous avez invité le professeur Bayefsky à témoigner devant le comité. Elle dresse un portrait assez négatif du bilan de certaines institutions de l'ONU du point de vue de la contradiction entre leurs déclarations concernant le respect des obligations en matière de droits de la personne par les pays signataires individuels et ce qui arrive dans la pratique. En fait, elle conclut que bon nombre de ces traités internationaux sur les droits de l'homme sont devenus plus ou moins inopérants dans bon nombre des pays concernés. S'il y avait de vraies procédures de ratification, la situation serait nécessairement complètement différente. Par conséquent, j'estime que nos tribunaux nationaux et notre société sont susceptibles d'être plus efficaces que l'ONU.

Le sénateur Beaudoin: La Cour suprême du Canada pourrait tenir compte principalement du traité lui-même ou des obligations qu'ils énoncent, et élaborer son jugement en conséquence. Autrement dit, les principes définis dans le traité sont obligatoires du fait même de l'interprétation qu'en donne la Cour suprême. La Cour suprême peut considérer qu'elle est liée par les principes du droit international ou par un principe énoncé dans le traité, et décider par conséquent d'obliger un pays comme le Canada à s'y conformer. Que pensez-vous de cela?

M. Mendes: Étant donné son jugement dans le cadre du Renvoi sur la sécession du Québec, j'ai l'impression que tout est possible à la Cour suprême du Canada. D'ailleurs, ce n'est pas une critique. Pour moi, cette décision était fantastique. Donc, la démarche que vous décrivez serait possible, à votre avis, selon les paramètres de l'affaire à juger. La Cour suprême a déclaré que là où le texte de la Constitution comporte des lacunes, les principes fondamentaux qu'ils ont énoncés pourraient combler ces lacunes. Elle a énoncé quatre principes de base, sans jamais préciser si ces quatre principes étaient exhaustifs ou non. Il serait donc possible d'en élaborer un autre; à savoir que le Canada doit respecter les obligations des traités qu'il ratifie. Ce serait un principe fondamental de la Constitution. Par contre, s'il existe des textes qui prévoient déjà ce genre de chose, ce serait moins sûr. Tout le monde semble dire qu'on peut invoquer ces principes à tort et à travers. Je ne suis certainement pas d'accord là-dessus. Si vous analysez le jugement, vous verrez qu'il est question de recourir à ces principes uniquement pour combler les lacunes de la Constitution.

Le sénateur Wilson: À mon avis, aucun groupe ne prétend représenter la société civile dans son ensemble, mais il existe des groupes d'intérêt, par exemple, que conformément à la Conven tion sur les droits économiques, sociaux et culturels, les mères célibataires ne devraient pas avoir à consacrer plus de 50 p. 100 de leur revenu au loyer. Disons qu'il y a lieu de contester l'usage qu'en font les groupes d'intérêt.

M. Mendes: Ce n'est pas mon opinion à moi; c'est la critique qu'on formule à cet égard.

Le sénateur Wilson: On y a recours pour toutes sortes de choses. C'est pour ça que je ne suis pas d'accord.

M. Mendes: Je ne suis pas d'accord non plus.

Le sénateur Wilson: Quelles que soient les personnes qu'ils représentent, ils apportent généralement une contribution impor tante.

M. Mendes: Ce qui est critiqué, c'est qu'ils invoquent ce genre de convention pour étayer leurs arguments. Personne ne pourrait prétendre qu'Amnistie internationale est un groupe d'intérêts spéciaux parce que sa crédibilité lui permet de jouir d'une certaine légitimité. Mais est-ce qu'on peut en dire autant des groupes qui sont contre la mondialisation?

Le sénateur Wilson: Je vous parle surtout des groupes qui invoquent la Convention relative aux droits économiques, sociaux et culturels, et ces groupes-là sont certainement moins connus que l'Amnistie internationale. D'ailleurs, il est plus difficile d'être perçu comme crédible dans ce domaine, et par conséquent, je ne suis pas disposé à faire une crois dessus.

M. Mendes: Au fil des ans, ils sauront prouver qu'ils sont aussi crédibles que d'autres groupes; donc, enfin de compte, mon propos correspond plutôt à une critique de ceux qui les critiquent.

Le sénateur Wilson: Il me semble qu'on parle de deux choses bien distinctes. D'abord, la nécessité de contrôler la législation actuelle pour savoir dans quelle mesure elle est conforme aux traités. Je trouve intéressant de constater - et je suis au Sénat depuis seulement trois ans - que les sénateurs individuels s'intéressent de plus en plus à la question du degré de conformité des lois aux traités et posent de plus en plus de questions à ce sujet. Par exemple, par rapport au projet de loi C-7, plusieurs sénateurs ont posé la question de savoir si le projet de loi était conforme à la Convention des Nations Unies relatives aux droits de l'enfant.

Je me demande si un bon mécanisme de contrôle ne consisterait pas simplement à prévoir que des renseignements plus complets soient communiqués aux sénateurs, pour qu'ils puissent poser des questions au fur et à mesure. Ce serait préférable que de nommer un comité spécial qui serait chargé de contrôler la conformité de toutes les lois, ce qui serait tout à fait impossible.

Vous recommandez qu'on mette sur pied un comité parlement aire mixte qui aurait pour mandat d'examiner le rapport avant qu'il ne soit soumis aux Nations Unies; mais à mon avis, le rapport qui leur est réellement soumis est tout aussi important.

M. Mendes: Absolument.

Le sénateur Wilson: Ce genre de mécanisme me semble problématique, car la Chambre des communes n'a pas le même rythme que le Sénat, et s'il y a des élections tous les cinq ans, on perd toute possibilité de continuité en matière d'information. Par conséquent, je ne suis pas convaincu que la création d'un comité mixte soit la meilleure solution. Je suis en faveur d'un dialogue ou d'un mécanisme qui permettrait au Parlement de participer à cet examen avant et après que le rapport soit soumis aux Nations Unies, mais je ne suis pas sûre que le meilleur mécanisme soit la création d'un comité mixte.

M. Mendes: J'ai recommandé la création d'un comité mixte dans le contexte particulier de l'équilibre à établir entre la sécurité et les droits de la personne, équilibre qui me semble tout à fait critique à l'heure actuelle. Il faut un mécanisme quelconque d'examen mixte. À certains égard, si l'on tient compte de tout ce qui est arrivé la semaine dernière, le Sénat a déjà fait cet examen; c'est-à-dire que vous avez déjà procédé à une sorte d'examen mixte de ce projet de loi. En ce qui concerne l'examen de la conformité, je suis d'accord avec vous: ce n'est peut-être pas aussi nécessaire.

À mon avis, un groupe au sein du Parlement devrait examiner ces rapports avant qu'ils ne soient publiés et ensuite se pencher sur les observations des organismes de contrôle des traités.

Le sénateur Wilson: Je suis d'accord, mais y aurait-il moyen de trouver un meilleur mécanisme, à part la création d'un comité mixte?

M. Mendes: Ce travail pourrait être accompli par un comité sénatorial ou un comité de la Chambre agissant seul, ou encore par les deux, séparément, mais je vous rappelle que cette recommandation repose sur un élément théorique. Je m'intéresse surtout à l'intérêt public. Cela soulève une question philosophique d'envergure.

Dans bon nombre de démocraties occidentales, l'intérêt public se fragmente de plus en plus, si bien que la volonté générale de la population se fragmente aussi. Pour moi, le Parlement a un rôle critique pour ce qui est de s'assurer que l'intérêt public est de nouveau pris en compte. C'est pour cela qu'il est important que le Sénat ou la Chambre procède à ce genre d'examen selon différentes optiques.

Le sénateur Wilson: Je suis d'accord. Le Sénat est particu lièrement bien placé pour faire ce genre de travail, étant donné la continuité et la mémoire collective qui nous caractérisent.

Le sénateur Joyal: Je suis ravi d'avoir aujourd'hui l'occasion de discuter avec vous, professeur Mendes. Au Sénat, chaque comité a le devoir d'étudier les projets de loi qui sont soumis à son examen. Notre devoir constitutionnel est tel que nous devons les examiner sous certains angles - entre autres, celui des principes structurants fondamentaux du pays. La Cour suprême a accompli un travail d'explicitation en ce qui concerne leur définition et leur mise en oeuvre. Par exemple, la Cour a déclaré que tout ce qui concerne le fédéralisme est important. Donc, quand nous sommes saisis de projets de loi, nous devons absolument nous demander quelle sera leur incidence sur le fédéralisme.

Permettez-moi de vous en donner trois exemples. Nous avons été saisi du projet de loi C-7, du projet de C-36 et du projet de loi C-11. L'immigration est une compétence commune, et concerne donc directement le fédéralisme. Il y a une disposition qui traite spécifiquement de cette question dans la Constitution. Le fédéralisme est un principe important. Le constitutionnaliser est un principe important, de même que les droits minoritaires, bien entendu. Nous devons donc nous intéresser de très près à l'incidence sur les deux collectivités linguistiques au Canada, tout comme nous devons porter une attention particulière aux conditions qui touchent les Autochtones et les groupes multicultu rels. Ce sont des vérifications que nous devons absolument faire au moment d'étudier un projet de loi. Je ne veux pas dire par là que tous les comités font bien leur travail. C'est justement pour cela que nous avons confié à l'un des comités le mandat d'étudier la question; quoi qu'il en soit, chaque membre de chaque comité est censé jouer ce rôle.

Pour moi le Parlement, et notamment le Sénat, ont un rôle à jouer pour ce qui est de s'assurer que les droits de la personne continuent d'être une priorité politique. En ce qui me concerne, aborder ces questions de façon fragmentaire dans le contexte de l'étude des projets de loi n'est pas suffisant.

Depuis une vingtaine d'années, notre démarche relative aux droits de la personne est fragmentaire. Lorsque j'étais ministre de la Couronne, j'ai essayé pour ma part de comprendre les tendances fondamentales qui influencent l'évolution de ces questions. Si vous voulez savoir ce qui se passe, il faut absolument faire en sorte que le Parlement y voie une priorité quotidienne. Ce n'est pas possible actuellement, en raison du nombre de projets de loi, de rapports, de réunions et d'intérêts contradictoires qui caractérisent l'activité parlementaire. Par contre, il n'existe pas un organe précis dont le mandat consisterait à maintenir le degré de sensibilisation du gouvernement et du Parlement à l'importance des droits de la personne.

Chaque année, nous recevons le rapport de la Commission des droits de la personne. Le Commissaire aux droits de la personne est un haut fonctionnaire du Parlement. Il ou elle relève du Parlement, et non du gouvernement. Qu'est-il arrivé à ce rapport? La façon dont nous traitons le rapport du Commissaire ne fournit pas la preuve que le Parlement prend au sérieux ses responsabili tés à cet égard. Il faut que ces questions puissent être abordées et gérées dans un contexte politique, et que nous créions l'occasion permanente de rehausser la visibilité de ce dossier pour qu'il continue d'être l'une des grandes priorités du Parlement.

Quand je dis que les droits de la personne sont importants, j'ai à l'esprit non seulement le Parlement national, mais les provinces aussi. Personnellement, je ne fais pas trop confiance à la société civile. Qu'est-ce que c'est au juste? Cela veut dire à la fois tout et rien. Personne n'a à assumer la responsabilité de la société civile. C'est une responsabilité qui relève automatiquement d'une vaste gamme de groupes qui sont créés, disparaissent et sont remplacés par d'autres. Personne ne les contrôle. Ils peuvent aussi bien prétendre représenter 200 000 ou 200 personnes. Nous ne savons rien sur eux. Les seules institutions qui représentent la population et qui sont comptables envers elle sont les assemblées législatives provinciales et le Parlement national.

À mon avis, si nous ne nous assurons pas d'organiser un forum politique, nous permettons aux assemblées législatives provin ciales de s'en tirer à bon compte relativement à leur part des responsabilités internationales.

Il faut donc un lieu de contrôle national, et à mon avis, c'est le Sénat qui est tout indiqué pour être ce lieu. Confier ce mandat à un comité mixte, c'est un peu comme jouer au bingo. Ceux d'entre nous qui avons siégé à des comités mixtes savons très bien que les seuls éléments dynamiques au sein de ces comités sont les sénateurs qui sont convaincus de l'importance des questions qui sont examinées.

La première conclusion que je tire de votre exposé concerne la création d'un Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Je me demande si le fait d'ajouter un autre wagon - en l'occurrence, le Sénat - au train déjà très long de la Chambre des communes nous permettra réellement de faire démarrer le train ou s'il ne va pas plutôt rester en gare.

Il est impossible d'ouvrir un débat national sur les droits émergents en l'absence d'un organe politique qui puisse assurer de la continuité. On vient de nous signaler que l'environnement serait peut-être un de ces droits émergents. Si nous souhaitons que les Canadiens demeurent sensibles à l'importance de ce dossier, nous devons être en mesure de l'examiner sur une base continue. Il ne faut pas que les groupes d'intérêt soient les seuls à assumer cette responsabilité.

Pour maintenir une pression constante sur le système, il faut disposer en permanence d'un organe au Parlement ayant ce rôle et ce mandat précis. Seule la continuité peut garantir l'utilité des résultats. La création d'un organe parlementaire au Canada ayant la responsabilité des droits de la personne se fait attendre depuis déjà trop longtemps.

Un sondage publié par le ministère du Patrimoine dans le cadre duquel on avait demandé aux Canadiens de définir ce à quoi ils étaient le plus attachés au Canada a révélé qu'en plus de notre vaste territoire, nos ressources naturelles et la pureté de notre air, la majorité des Canadiens valorisent notre respect des droits de la personne et la Charte.

Il est possible que s'ouvre à présent une période de notre histoire où les droits de la personne seront davantage remis en question pour toutes sortes de raisons.

M. Mendes: Je suis entièrement d'accord avec vous. Ce que je vous présente aujourd'hui s'appuie sur des éléments théoriques qui renforcent votre propos. En réalité, il y va de la nature même de notre démocratie. Les citoyens peuvent exprimer leur volonté démocratique au moment de voter, mais entre les élections, ils ont peu d'occasions de s'exprimer qui leur permettent de contribuer à favoriser l'intérêt public.

La société civile existe, mais elle est fragmentée. Il est tout à fait essentiel, à l'intérieur et à l'extérieur du Parlement, de redéfinir l'intérêt public. Si, au Canada, l'intérêt public consiste à se faire le champion des droits de la personne, nous avons à ce moment-là le devoir et l'obligation de le faire. Nous avons le devoir de trouver des mécanismes appropriés, de favoriser la promotion de l'intérêt public dans ce domaine, et de communi quer à la population un sens général de la légitimité démocratique qui entoure une vaste gamme de questions allant des jeunes contrevenants et l'immigration à la sécurité et aux droits de la personne. Les enjeux sont nombreux. Et à moins que ces questions ne soient abordées de façon cohérente, je crains que la société devienne de plus en plus complexe et fragmentée. Le Parlement a justement un rôle critique à jouer pour éviter que cela ne se produise.

[Français]

Le sénateur Losier-Cool: Mes commentaires suivent ceux du sénateur Joyal en ce qui a trait aux différentes recommandations. Votre recommandation de la formation d'un comité mixte de la Chambre des communes et du Sénat, ne serait peut-être pas le mécanisme que nous, les sénateurs, pourrions regarder dans le moment.

[Traduction]

Nous savons que le Parlement réagira à l'intérêt public et aux pressions qu'exerce la population. À l'heure actuelle, tout le monde parle de droits. Des fois les gens nous disent qu'il y a à présent trop de droits.

[Français]

On entend les gens dire qu'il existe trop de droits. Il y a les droits de responsabilités, les droits des minorités, les droits de la collectivité, les droits de la personne et les droits linguistiques.

Au Sénat, je me suis donnée un rôle d'éducateur. En tant qu'éducateur vous-même, croyez-vous que la population cana dienne pourrait être encore mieux éduquée sur tous ces droits que l'on vient d'énumérer? En fait, les Canadiens sont-ils suffisam ment informés sur la question des droits de la personne?

[Traduction]

M. Mendes: Sénateur, votre question est complexe, mais la rubrique des droits de la personne ne l'est pas moins. Dans ce domaine, il y a un besoin criant d'éducation publique.

Permettez-moi, toutefois, de vous signaler certains dangers. Il s'agit d'un domaine de plus en plus complexe: le Canada est actuellement signataire de plus de 400 traités. Même si l'on se contentait de renseigner les gens sur ce qu'ils renferment, ce serait déjà trop d'information à absorber. Un sondage d'opinion sur la Charte des droits et libertés a révélé que cette dernière est privée par la grande majorité des citoyens; or, lorsqu'on leur demande ce qu'elle dit, certains répondent en citant le texte du «first amendment» de la Constitution américaine. Cela nous apprend donc que les Canadiens attachent beaucoup d'importance aux droits de la personne, mais en même temps, il y a manifestement lieu de se demander comment l'information sur les droits est communiquée à la population.

En dehors du milieu universitaire, j'essaie de mettre l'accent sur le fondement des droits de la personne, qui est beaucoup plus simple qu'on ne le croit. On peut dire que le fondement des droits est le concept de la dignité humaine. Si nous réussissons à promouvoir ce concept dans nos écoles, nos collectivités et nos lieux de travail, les gens auront une base à partir de laquelle ils pourront plus facilement arriver à assimiler les concepts plus difficiles. Ce qui manque, c'est la capacité de communiquer les éléments fondamentaux de cette multiplicité de conventions et de traités internationaux pour susciter l'intérêt des citoyens.

Tout le monde sait ce qu'est la dignité humaine. Je n'ai encore jamais rencontré quelqu'un qui ne sache pas ce qu'est la dignité humaine.

Le sénateur Losier-Cool: Vous avez vraiment mis le doigt sur le point essentiel de ma question, c'est-à-dire le fondement de la dignité et des droits en général - pas un droit en particulier, mais nos droits dans leur ensemble.

M. Mendes: Votre question me paraît intéressante car, que je sache, le projet de réformes du programme d'études en Ontario lancé par le gouvernement de Harris n'a jamais inclus l'éducation touchant les droits de la personne. Cela rejoint ce que disait le sénateur Joyal. Comment faire en sorte que cela demeure une priorité, et que l'on puisse influencer l'action provinciale sur des questions telles que les programmes d'études, le système de justice pour les jeunes et d'autres, où l'on tend à vouloir privilégier l'efficacité plutôt que la dignité humaine.

La présidente: Peut-être que le Sénat pourrait explorer la question de l'intérêt public et chercher à jouer le rôle d'organe premier de communication des nouveaux enjeux liés aux droits de la personne. Dans votre mémoire, vous avez dit que la proportionnalité est un aspect clé.

Au départ, nous parlions des droits de la personne, ensuite des droits de la personne et du commerce, et maintenant nous constatons de plus en plus qu'il existe un lien entre les droits de la personne et certaines grandes questions sociales. Ainsi la proportionnalité serait pour vous la façon de déterminer le poids relatif de la sécurité et des droits de la personne? Il me semble que cela nous amène à une deuxième étape en ce qui concerne la façon d'aborder les droits au Canada. La première consistait à reconnaître qu'ils existent, à les recevoir et à comprendre certains des concepts de base. Nous entamerions donc à présent la deuxième étape du processus. Est-ce cela votre hypothèse?

M. Mendes: Oui, l'argument central de l'exposé que je ferai demain sur le projet de loi C-36 devant le Comité de la justice de la Chambre des communes sera que le critère fondamental n'est pas l'équilibre entre la sécurité et les droits de la personne, mais plutôt le fait de savoir si la proportionnalité trouve son expression concrète dans les dispositions du projet de loi C-36. Je constate d'ailleurs que le rapport sénatorial avance justement un certain nombre des mêmes arguments; donc, je me dis que mon hypothèse ne doit pas être si farfelue.

Les droits de la personne s'articulent autour de visions très morales et d'idéaux comme la dignité humaine, mais ce sont les détails qui posent souvent problème, et on peut justement examiner les détails sous l'angle de la proportionnalité. Le défi pour nous à cette époque dangereuse consiste à concrétiser l'équité en ce qui concerne à la fois la sécurité et les droits de la personne.

Le sénateur Tunney: À la page deux de votre mémoire, vous dites ceci:

Néanmoins, les groupes de la société civile vont eux-mêmes devoir composer avec un défi de taille. On se demande de plus en plus jusqu'à quel point ces groupes sont démocra tiques et représentatifs.
Il me semble important que les groupes d'intérêt aient aussi l'occasion de faire valoir leurs vues, aussi contradictoires soient-elles, sur la manière de concrétiser le respect des droits de la personne dans les lois canadiennes ou traités internationaux portant sur les droits civils.

Vous comprenez ce que j'essaie de vous dire?

M. Mendes: Oui, dans une société démocratique comme la nôtre, il est normal que des groupes d'intérêt fassent des propositions; il appartient ensuite au Parlement de voir si ces dernières sont acceptables ou non. C'est d'ailleurs ainsi que nous avons élaboré bon nombre des dispositions de notre Charte. Par suite des pressions exercées par différents groupes, diverses dispositions ont été proposées. Cela fait partie du processus démocratique par lequel nous passons pour adopter des lois et des modifications constitutionnelles.

Mais votre question en suggère une autre que nous n'avons pas abordée - c'est en partie cela qui m'a incité à inclure cette phrase dans mon texte. La question que nous n'avons pas abordée est celle de savoir qui représente l'intérêt public et ce que nous devons faire pour éviter que la fragmentation de l'opinion nous fasse perdre de vue l'intérêt public.

Cela m'amène à parler de nouveau du rôle du Parlement et de la nécessité de faire en sorte que ce soit une de vos responsabilités essentielles.

Le sénateur Tunney: J'habite en Ontario et depuis cinq ou six ans, je constate qu'on a tendance à compromettre certains droits en faveur des objectifs des grandes entreprises, d'intérêts internationaux et du commerce international.

M. Mendes: Certains sont d'avis que l'activité entourant le chapitre 11 de l'ALENA serait un bon exemple de cette problématique, qui est à l'origine d'un débat sérieux au Canada. Je crois savoir qu'elle fait aussi l'objet de discussions aux échelons supérieurs du gouvernement. Si c'est à ce genre de choses que vous faites allusion, eh bien, je peux vous dire que cette question et d'autres ont déclenché des débats énergiques.

Le sénateur Tunney: Oui, je songeais entre autres à l'exemple du chapitre 11. Merci.

Le sénateur Taylor: Professeur, votre déclaration selon laquelle il suffit de reconnaître la dignité de l'individu pour respecter les droits de la personne. Vous avez dit qu'il faut inclure la rubrique des droits de la personne dans nos programmes d'études.

Étant donné que l'éducation des enfants constitue l'un des meilleurs moyens d'inculquer le respect des droits, je voudrais savoir si l'on a déjà mené des études sur le degré de conscientisation des droits de la personne chez les enfants qui fréquentent les écoles publiques, comparativement à ceux qui fréquentent les écoles religieuses.

M. Mendes: Vous me posez une question fort intéressante, sénateur. Il va sans dire que les écoles religieuses, de par leur nature, enseignent les valeurs spirituelles et la moralité sous une forme ou une autre. On peut supposer que la plupart des religions s'appuient sur certaines valeurs spirituelles et morales. Je sais que la majorité des grandes religions du monde partent du principe que la dignité humaine est indissociable de la condition humaine.

Vous me demandez s'il est possible qu'il existe une différence entre les écoles religieuses et les écoles publiques. Si ce n'est pas dans le cadre de l'enseignement des sciences sociales, je ne sais pas trop quelle matière se prêterait à l'exploration de la question des droits de la personne et de toute façon, je doute fort que le programme des sciences sociales de bon nombre d'écoles publiques englobent ce genre de questions.

Il existe manifestement une lacune à cet égard. C'est peut-être à votre comité de convoquer des éducateurs pour leur demander pourquoi cette lacune existe. Cela rejoint ce que disait le sénateur Joyal concernant la nécessité d'avoir un comité qui exerce des pressions en permanence pour que l'on fasse la promotion de ces valeurs fondamentales au sein de la société. C'est une question très intéressante que vous m'avez posée là, sénateur.

Le sénateur Joyal: Professeur Mendes, il ressort de votre mémoire quelque chose qu'il me semble bien important de souligner: il existe une différence fondamentale entre les systèmes canadiens et britanniques, et c'est celle-ci: Nous jouissons d'une protection et d'une reconnaissance constitutionnelles de nos droits; les Anglais, non. Pourquoi? Parce qu'en Grande-Bretagne, cette protection est inscrite dans une simple loi du Parlement, et comme c'est ainsi, ils la considèrent comme un instrument parlementaire. Au Canada, cette protection est inscrite dans la Constitution du pays. Et lorsqu'un principe est constitutionnalisé, nous avons tendance à laisser aux tribunaux le soin de l'appliquer. C'est cette procédure que nous suivons depuis l'adoption de la Charte des droits et libertés il y a une vingtaine d'années. Par conséquent, il y a à présent plus de 457 décisions judiciaires qui concernent les droits de la personne. En lisant ces décisions, nous essayons de comprendre l'étendue de ces droits constitutionnels, de même que les conséquences qu'ils peuvent avoir. Nous avons tendance à supposer que les projets de loi qui sont déposés au Parlement sont conformes aux principes énoncés dans la Charte, du fait d'avoir reçu l'aval officiel du ministère de la Justice. Et on part du principe que si le projet de loi est jugé conforme par le ministère de la Justice, l'évaluation de ce dernier est nécessaire ment valable.

Au cours des dernières années, nous avons de nouveau commencé à remettre en question cette supposition dans le cadre de l'examen des conséquences potentielles de l'hypothèse de la conformité avec la Charte. Pour moi, il conviendrait d'incorporer cette pratique dans la procédure parlementaire en bonne et due forme. C'est là qu'il y a moyen à mon avis de faire le lien entre les enseignements que nous pouvons tirer du système britannique et notre rôle en tant que parlementaires. Cela vaut tout autant pour le Sénat que pour la Chambre des communes.

Peut-être que vous aurez l'occasion demain de discuter du projet de loi antiterroriste. Si vous lisez le rapport déposé par le Sénat la semaine dernière concernant les conséquences du projet de loi C-36 pour les droits de la personne, vous comprendrez à quel point il est important que ce projet de loi, dont les dispositions ont soi-disant été examinées à la loupe par les rédacteurs législatifs du ministère de la Justice, pour s'assurer de leur conformité avec chaque article de la Charte, redéfinisse le principe de la proportionnalité dans l'optique de l'arbitrage sécurité-droits de la personne.

Il faut que cet élément soit très bien défini et très bien compris des Canadiens. Si je vous dis cela, c'est parce que nous essayons de modifier une pratique qui est en place depuis 20 ans mais qui n'a peut-être pas débouché sur les résultats escomptés.

M. Mendes: Sénateur Joyal, encore une fois, je suis d'accord. Au risque de révéler tous les arguments que je compte faire valoir dans mon exposé de demain, j'estime que ce n'est pas suffisant de prévoir que la loi soit réexaminée dans trois ans; il faudrait que le projet de loi soit réexaminé chaque année par la Chambre des communes, le Sénat et peut-être même par un comité mixte. Cette mesure pourrait causer de graves préjudices en très peu de temps.

Il est tout à fait critique de mettre l'accent sur la proportionnali té non seulement en théorie, mais concrètement, pour être en mesure d'examiner la situation après six mois ou un an. En fait, le concept de la proportionnalité remonte à l'époque d'Aristote. D'une certaine façon, l'hypothèse d'Aristote indique à quel point cela est important. Il estimait que plus on discute, plus on est susceptible de trouver la bonne solution; et pour trouver la bonne solution, il faut examiner la question pas seulement dans l'abstrait, mais concrètement. Bien entendu, c'est là qu'il n'était pas d'accord avec son ami Platon.

Là où cela devient critique, c'est par rapport aux impératifs du ministère de la Justice, qui peuvent ou non influer sur son analyse de la proportionnalité. Vous avez vos propres impératifs, qui sont peut-être plus permanents et plus représentatifs de l'intérêt public. Le Sénat peut aussi se pencher sur la question de la proportion nalité, pas juste dans l'abstrait, mais concrètement aussi. C'est pour cela que je préconise qu'un comité mixte, un comité sénatorial ou un comité de la Chambre des communes réexamine, une fois par an, l'équilibre entre la sécurité et les droits de la personne, pour s'assurer de la conformité de nos lois non seulement à la Charte mais à nos obligations internationales en matière de droits de la personne, dont un bon nombre sont concernés dans ce projet de loi.

Le sénateur Wilson: Je voudrais faire une très brève observation au sujet de l'éducation. Je tiens à vous signaler que chaque fois qu'on m'a invitée à parler de droits de la personne, ce sont des écoles parallèles, plutôt que des écoles religieuses ou traditionnelles, qui m'ont lancé l'invitation. Je trouve cela assez intéressant.

Une autre chose que je voulais dire, c'est qu'à l'heure actuelle, le comité devrait surtout chercher à renseigner les parlementaires, plutôt que dire aux gens qui fréquentent nos écoles ce qu'ils devraient faire. Notre grande priorité devrait être, me semble-t-il, de bien renseigner les parlementaires et d'élargir les connais sances de ces derniers.

La présidente: Merci, professeur Mendes, d'avoir accepté de revenir une autre fois pour rencontrer les membres du comité. Vos propos ont certainement suscité beaucoup de débat. Vous nous avez parlé de mesures de rechange par rapport au mandat qui sera confié à ce comité.

Je comprends aussi qu'il n'est pas possible de tenir une discussion en ce moment sans parler du projet de loi C-36. Je vous remercie donc de nous avoir fait part de vos vues sur la question. Bien entendu, nous souhaitons avoir une vue d'en semble sur la question. Mais il est toujours bon de connaître les enjeux entourant cette mesure. La prochaine fois que vous comparaîtrez devant le comité, j'espère qu'il n'y aura pas d'interruption.

M. Mendes: Merci, sénateurs.

La présidente: Ce sera maintenant le tour de M. Philippe LeBlanc.

Monsieur LeBlanc, permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue au comité et de présenter les excuses du comité pour le fait que vous ayez dû revenir. Comme je l'ai indiqué à notre premier témoin, des circonstances indépendantes de notre volonté nous ont empêchés de vous recevoir à ce moment-là. C'est un peu une indication du climat actuel que nous ayons été obligés d'annuler cette réunion. Nous sommes donc ravis que vous ayez pu vous mettre à notre disposition une deuxième fois.

Je sais que vous avez des liens de longue date avec la Commission des droits de l'homme des Nations Unies dont le siège est à Genève. Je présume que vous allez donc nous parler des activités de cette dernière et de tout ce qui peut nous aider à mener à bien notre étude des droits de la personne.

Je vous cède donc tout de suite la parole.

M. Philippe LeBlanc, délégué permanent de l'Ordre des Dominicains à la Commission des droits de l'homme de l'ONU à Genève: Madame la présidente, je suis très heureux d'avoir pu revenir à Ottawa. J'ai vécu ici pendant les années 70 et 80, et je suis donc content de revenir pour voir comment la ville a changé.

Madame la présidente, le greffier du Comité m'a demandé de parler surtout du fonctionnement de l'appareil des Nations Unies en matière de droits de la personne ainsi que des faits nouveaux et d'éventuelles préoccupations à cet égard.

Quand j'ai enseigné ce cours à l'Institut international de Strasbourg, cela m'a pris une semaine. Aujourd'hui je ne dispose que de 15 minutes pour le faire, si bien que je vais me concentrer sur un mécanisme clé: la Commission des droits de l'homme des Nations Unies. Si j'ai décidé de parler surtout des activités de cet organe, c'est à cause du rôle que joue le Canada au sein de la Commission et des changements qui sont actuellement en train de se faire.

Il y a trois grands organes chargés des droits de l'homme. Premièrement, le Haut-commissariat aux droits de l'homme et les fonctions de ce dernier, la Commission des droits de l'homme, et la Sous-commission sur la promotion et la protection des droits de l'homme. Pour moi, la Commission joue un rôle primordial, mais il existe d'autres mécanismes qui sont apparentés à l'activité des trois organes en question.

Je voudrais vous faire des recommandations sur la façon dont le comité sénatorial pourrait jouer un rôle de surveillance ou influencer ce qui se fait au sein de la Commission. La Commission des droits de l'homme des Nations Unies et le rôle que le Canada y joue est l'un des plus grands secrets au Canada. Nombreux sont ceux qui ignorent l'existence de la Commission, de même que le rôle que le gouvernement canadien y joue.

Je suis arrivé pour la première fois à la Commission des droits de l'homme des Nations Unies en 1975, alors que j'étais l'unique observateur nommé par le Canada.

J'ai également participé à ses travaux pendant les années 80, alors que j'enseignais à l'Institut international des droits de l'homme. D'ailleurs, j'assiste à la session annuelle de la Commission depuis six ans. J'assiste également aux sessions de la Sous-commission sur la promotion et la protection des droits de l'homme.

La Commission des droits de l'homme des Nations Unies constitue le forum international suprême pour traiter de violations des droits par les États membres. Sa responsabilité première est la protection universelle des droits de l'homme. La Commission tient des sessions à Genève aux mois de mars et avril. Le sénateur Wilson y a déjà assisté. Elle a été présidente et représentante du Canada auprès de la Commission. Elle convoque aussi des sessions extraordinaires; ainsi il y a eu une session extraordinaire sur la situation au Kosovo en 1999 et une autre sur l'Intifada en octobre 2000.

La Commission englobe 53 États membres élus, représentés par leurs gouvernements, qui se réunissent pour examiner d'éven tuelles violations. Les membres de la Commission représentent les différentes régions du monde. Ainsi elle compte 15 membres d'Afrique; 12, d'Asie; cinq, d'Europe de l'Est; 11, d'Amérique latine et des Antilles; et 10, du groupe des pays d'Europe occidentale et autres États. Nous sommes regroupés avec le groupe des pays d'Europe occidentale et autres États, qui comprend le Japon, les États-Unis, l'Australie et la Nouvelle-Zélande.

Le Canada a été élu membre de la Commission dans les années 60, et a participé à ses travaux de 1963 à 1965. À l'époque, le Canada n'a pas vraiment démontré un engagement énergique envers les droits de l'homme. Les interventions du Canada dans les débats étaient rares. Elles se produisaient de temps à autre, mais n'aboutissaient jamais, en raison du problème des relations fédérales-provinciales, et plus précisément, les compétences partagées. Le Canada n'était pas en mesure de participer pleinement aux travaux.

Le Canada a été réélu en 1975, a commencé à remplir son mandat en 1976, et a conservé ce rôle jusqu'en 1984. Pendant deux mandats, le Canada n'a pas été représenté à la Commission, mais il l'est depuis. Je ne sais pas si vous avez joué un rôle au sein de la Commission, madame la présidente, mais il est certain que le Canada a grandement participé aux travaux de cette dernière.

Lorsque le Canada a été élu en 1975, j'étais directeur du Programme des droits de la personne pour le gouvernement du Canada. Je suis revenu travailler pour le ministère appelé à l'époque le Secrétariat d'État. Le sénateur Joyal était mon patron dans les années 80.

Je voudrais parler de l'année 1975, car il s'est produit deux choses cette année-là: la première Conférence fédérale-provinciale des droits de l'homme a été convoquée, et nous avons été élus à la Commission des droits de l'homme des Nations Unies. En tant que responsable des droits de la personne à l'époque, je peux vous affirmer que les droits de l'homme ne constituaient pas une grande priorité. Cette question se trouvait plutôt au bas de la liste de nos priorités; à l'époque, notre culture n'était pas axée sur les droits de la personne.

Fait intéressant, notre élection à la Commission et notre ratification des pactes ont coïncidé avec l'élection d'un nouveau président américain qui, en 1977, a inauguré son mandat en mentionnant 16 fois les droits de la personne. Parmi ses nombreuses réalisations est celle d'avoir fait des droits de la personne une priorité internationale.

Comme cela nous arrive souvent, nous avons décidé de nous y intéresser dans la foulée des succès remportés par les Américains. Ainsi nous avons commencé à participer à l'effort international dans ce domaine au moment où les droits de la personne devenait une priorité nationale, simplement parce qu'un président avait décidé que ce serait un élément important de son mandat.

Nous parlerons toujours du 11 septembre. Mais je maintiens que le rôle de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies sera d'une importance primordiale pour ce qui est de mettre en relief les aspects du combat antiterroriste qui sont liés aux droits de la personne. Ce n'est pas le cas au Conseil de sécurité, car tel n'est pas son mandat. Lors des bombardements au Kosovo, le Haut-commissaire présentait un rapport chaque semaine sur les questions liées aux droits que soulevaient les bombardements et l'incidence de ces derniers sur la population du Kosovo. C'était pareil pendant l'Intifada, puisqu'une session extraordinaire a été convoquée en vue de discuter de cette question.

Pour la première fois, les États-Unis n'ont pas été élus à la Commission. Les gens disaient que le Soudan avait été élu, mais pas les États-Unis. J'ai insisté sur le fait que l'élection des pays est faite selon les régions. Donc, si les États-Unis n'ont pas été élus, ce n'est pas à cause d'un pays en particulier, mais parce que certains pays européens ont voté pour la Suède, l'Autriche et d'autres pays, plutôt que pour les États-Unis.

Pour la session de 2002, le Canada sera le seul pays non européen du Groupe des pays d'Europe occidentale et autres États à siéger à la Commission. Son rôle sera donc primordial, surtout que les États-Unis n'y sont pas représentés. C'est-à-dire que les représentants américains seront actifs dans les coulisses mais pas au sein de la Commission elle-même.

Voilà donc mon évaluation du rôle qu'a joué le Canada au sein de la Commission au cours des trois dernières années. Depuis trois ans, il n'y a pas de représentants du rang d'ambassadeur à la Commission. Cela peut vous sembler inimportant, mais ce ne l'est pas, parce que chaque délégation est dirigée par une personne du rang d'ambassadeur. Donc, Ross a été vice-président, mais n'a jamais été élu président. Il ne serait jamais question d'élire quelqu'un au poste de président qui n'avait pas le rang d'ambassadeur.

Cette année, le Canada était représenté à la Commission par le représentant permanent adjoint de la Mission permanente du Canada auprès de l'ONU à Genève.

Il y a deux ambassadeurs. Marie Gervais-Vidricaire a fait un excellent travail, mais elle était ambassadrice. Sergio Marchi est représentant permanent, et Christopher Westall est le substitut du représentant permanent à Genève.

Je recommande que le comité sénatorial examine l'opportunité de nommer un représentant du rang d'ambassadeur pour chapeauter la délégation canadienne l'année prochaine.

J'ai lu le compte rendu de tous les témoignages et de vos interventions sur votre site Web. Vous avez un excellent site Web.

Je suis au courant des observations faites par Adele Dion. Elle est actuellement ambassadrice du Canada en Finlande et tout le ministère a changé.

Le travail de la Commission sera controversé et cela va donc barder à la Commission. Il ne fait aucun doute que nous avons entamé une période très importante. Comme nous aurons à jouer ce rôle, il nous faut quelqu'un de fort. Je ne sais pas dans quelle mesure vous pouvez influencer la sélection des candidats nommés à ce genre de poste, mais il est certain que le travail de la Commission sera très important l'année prochaine.

Les gouvernements sont en train de préparer leurs positions officielles à la Commission, en prévision de l'Assemblée générale. Il est important de pouvoir influencer la position qui sera officiellement adoptée.

Je constate, pour avoir lu le compte rendu des témoignages des représentants des Affaires étrangères, que ces derniers ont fait un bon exposé, mais qu'ils n'ont pas abordé les questions qu'ils traiteront à l'Assemblée générale et ensuite à la Commission. À mon avis, vous devez absolument en être informés. Moi, je le suis, étant sur place en permanence.

Chaque année, depuis 15 ans, au mois de février, le ministère des Affaires étrangères tient de grandes consultations pendant quatre jours pour connaître les vues des ONG et d'autres. Peut-être conviendrait-il qu'un membre de votre comité assiste à ces consultations, puisque les représentants du ministère des Affaires étrangères présentent des rapports écrits qui expliquent leurs positions sur les différents pays et les thèmes qui seront examinés.

Assurer une bonne présence, c'est l'une des façons de se faire connaître au sein de cette Commission très importante, qui est bien cachée à Genève, comme vous le savez, étant située de l'autre côté de la rivière. Pourtant on y prend des décisions lourdes de conséquences pour les populations du monde entier.

La polarisation de la Commission ne peut que s'intensifier. La question des droits de la personne est probablement l'enjeu le plus politique de tous ceux auxquels la Commission se trouve confrontée, étant donné que les droits sous-tendent les principes et obligations qui orientent les relations entre les États et leurs citoyens. C'est à la Commission que certains aspects de ces relations font l'objet de médiation, étant donné que les pays sont présents. Par conséquent, il n'est pas possible de traiter à la légère les lacunes de la Commission en prétendant simplement qu'elle est trop «politisée». Étant donné que l'on discute de la situation de personnes qui sont torturées et dont les vies sont menacées, l'enjeu à la Commission est considérable. Il est important de se rappeler qu'il ne s'agit pas d'un organe de surveillance des traités ayant pour mandat d'étudier les rapports présentés par les différents pays. La Commission est composée d'États membres, c'est-à-dire des acteurs principaux, qui discutent de la vie des victimes dont les droits sont bafoués.

Le travail de la Commission peut être déconcertant et décevant pour beaucoup de victimes. Il ne suffit pas que des délégués parlementaires viennent suivre le travail de la Commission pendant quelques jours. Il faut y passer un certain temps pour vraiment savoir ce qui se passe.

En ce qui concerne les victimes, cela leur donne de l'espoir quand des mesures sont prises ou lorsque la Commission des droits de l'homme de l'ONU organise un débat en vue d'améliorer le respect des droits de l'homme dans le pays qui fait l'objet d'une évaluation. Quand des mesures sont prises, les gens sont nécessairement touchés.

Il s'agit là d'un sujet qui est non seulement complexe mais suscite de vives émotions, et voilà pourquoi je voudrais être sûr de laisser assez de temps pour répondre à vos questions.

La Commission est très politisée, et à cause de récents événements aux États-Unis, elle risque de l'être encore davantage.

L'approche de la Commission est surtout thématique et consiste à examiner la situation dans le pays qui fait l'objet d'une étude. Les questions thématiques sont celles de la torture et de la liberté d'action de la magistrature. Mais ce sont les situations concrètes qui suscitent le plus de controverse.

Mon organisme, l'Ordre des Dominicains pour la justice et la paix est présent dans 100 pays du monde et compte environ 50 000 membres. Il a été fondé il y a 900 ans. Nous mettons l'accent sur les pays où notre Ordre participe directement à la lutte pour défendre les droits de la personne. Nous sommes donc présents en Colombie, au Mexique, au Pakistan, au Brésil, au Rwanda et au Burundi, et nous jouons également un rôle dans le dossier des sanctions contre l'Iraq. S'agissant de questions thématiques, nous mettons surtout l'accent sur les droits des peuples autochtones, la discrimination religieuse, les droits des enfants et plusieurs autres dossiers.

À mon avis, le rôle des ONG à la Commission consiste à dire la vérité pour la gouverne de la communauté internationale. Si la Commission était composée de seulement 53 États membres, plus les 100 autres, les gens passeraient leur temps à se féliciter et à se taper dans le dos.

Qu'on parle d'Amnistie internationale ou de la Société zaïroise pour la promotion des droits des femmes, lorsque nous prenons la parole, nous disons la vérité. Nous communiquons cette vérité en nous fondant sur nos propres expériences et celles de nos membres.

Il y a plusieurs raisons qui expliquent la polarisation qui a caractérisé la session de 2001, et notamment la détérioration de la situation au Moyen-Orient et le processus très controversé qui a entouré la rédaction de la déclaration et du plan d'action à la Conférence mondiale contre le racisme, à laquelle j'ai participé. Je dois dire que c'était un moment mémorable, dans l'histoire des droits de la personne, que de pouvoir parler de réparations et de dédommagements pour les personnes qui avaient été des victimes d'esclavage. C'était quelque chose de très fort. Encore une fois, ça a bardé, et ça continuer à barder à Durban, mais tout a commencé au sein de la Commission il y a trois ans, et ce travail va se poursuivre.

Le rôle du Canada au sein de la Commission a été plutôt discret à une époque où notre pays aurait dû être plus visible. Je peux vous faire circuler tout à l'heure mon document, car j'y énumère des cas précis, y compris de questions économiques thématiques.

Le Canada est maintenant membre du Groupe dit des Cinq, avec les États-Unis, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et la Japon. En ce qui concerne les scrutins, ces tendances étaient particulière ment évidentes lorsqu'il était question du droit au développement, puisque le Canada a exprimé son opposition aux alinéas qui insistaient sur la nécessité de discuter d'un mécanisme de suivi permanent à l'égard du droit au développement; la nécessité d'évaluer l'impact de certaines questions financières et écono miques internationales sur la jouissance des droits de la personne; et la demande selon laquelle des experts indépendants soient consultés au sujet du droit au développement.

Tous ces amendements ont été rejetés. Le Canada s'est abstenu de voter sur une question clé, à savoir le droit au développement, qui est lié aux droits économiques, sociaux et culturels.

Même si le Canada s'est rangé du côté du consensus qui se dégageait, il a fait état de ses réserves concernant la nomination d'un rapporteur spécial sur les peuples autochtone, ce que je trouvais étrange, étant donné que nous avions déjà fait la promotion de ce genre d'initiative.

J'ai lu avec intérêt le compte rendu de vos réunions, notamment celle qui a porté sur la mise en oeuvre des traités par voie législative. Vous en avez justement parlé un peu plus tôt cet après-midi.

J'ai coordonné la première Conférence fédérale-provinciale sur les droits de la personne en 1975. Il a fallu pour cela que je négocie avec toutes les provinces ainsi qu'avec les ministères fédéraux. À l'occasion de cette réunion fédérale-provinciale-terri toriale, nous étions confrontés à deux problèmes. D'abord, l'un des provinces n'avait pas donné son assentiment - en l'occur rence, la province du Québec avait d'excellentes raisons de ne pas le faire. L'autre problème était celui des responsabilités fédérales- provinciales et l'application des droits de la personne. Voilà donc les deux questions fondamentales qui étaient sur le tapis à l'époque. Nous n'étions pas là pour discuter de questions juridiques. Le processus de ratification a commencé en 1969, mais en 1975, l'accord intervenu n'avait toujours pas été ratifié.

La conférence de 1975 a permis de réaliser deux objectifs. Le Québec a accepté de soumettre l'accord à l'approbation du Cabinet. Ses responsables estimaient que c'était la meilleure conférence fédérale-provinciale à laquelle ils avaient jamais assisté, ce qui nous semblait intéressant, étant donné que les provinces et le gouvernement fédéral avaient travaillé ensemble pour parvenir à un consensus. De plus, il a été convenu de créer le comité permanent qui serait chargé de garantir la coordination permanente des responsabilités, en collaboration avec les prov inces, des modalités et des mécanismes appropriés. Le sénateur Kinsella mentionnait tout à l'heure que c'est Tom Simons qui a négocié cet accord. En fait, c'était un sous-groupe qui englobait, entre autres, des représentants des provinces du Québec et de l'Ontario. Tom était alors président de la Commission des droits de la personne de l'Ontario. Lui et trois ou quatre autres personnes se sont entendus sur les mécanismes de coopération entre les provinces et le gouvernement fédéral pour l'application des traités.

Je trouve à la fois rafraîchissant et intéressant de constater que, 25 ans plus tard, nous ayons enfin compris qu'il convient de discuter des conséquences juridiques de l'application du traité. Je regrette seulement qu'on n'ait pas porté autant d'attention à cette question au cours des 25 dernières années. Si je ne m'abuse, le sénateur Finestone a suggéré qu'on fasse une étude sur la question. Je suis d'accord. Il serait possible d'élaborer différents modèles et de les examiner dans le cadre d'un tel débat. À mon avis, les discussions que vous avez entamées ici seraient un bon point de départ pour un chercheur intéressé à toucher un bon salaire.

La présidente: Merci. C'était bien utile que vous, qui avez participé aux travaux de la Commission, puissiez nous faire un exposé général sur son mandat et sur ce que nous devons savoir au sujet de son fonctionnement.

D'après certaines personnes, depuis que le Conseil de sécurité a commencé à s'intéresser de plus près aux droits de la personne, le rôle de la Commission de l'ONU n'est pas aussi important qu'il ne l'était autrefois. Vous semblez soutenir le contraire.

M. LeBlanc: Son rôle était certainement bien important lors des événements au Kosovo. Il n'était pas visé par le mandat du Conseil de sécurité. Il me semble qu'on a besoin de la Commission plus que jamais auparavant et qu'elle doit être prise en compte dans le grand discours qui entoure les événements actuels. Je n'ai pas parlé du rôle du Haut Commissaire aux droits de l'homme, mais Mary Robinson participe étroitement aux discussions tenues à New York et représente une liaison intéressante entre la Commission et le Conseil de sécurité, et plus particulièrement avec l'ONU à New York.

La présidente: Vous êtes à la Commission depuis trois ans, et vous nous dites que...

M. LeBlanc: Six ans.

La présidente: Vous nous disiez qu'au cours des trois dernières années, plusieurs groupes parlementaires sont venus observer les travaux de la Commission pendant deux ou trois jours. Je me rappelle qu'ils venaient autrefois passer environ deux semaines. Il s'agissait de membres de tous les partis politiques, et pas simplement de parlementaires de la majorité. Ils se donnaient toujours beaucoup de mal pour s'assurer que la délégation soit composée de membres de tous les partis représentés au Parlement. Est-ce toujours le cas?

M. LeBlanc: Si je me fonde sur mon expérience personnelle de la chose, oui. Je vous disais simplement qu'en deux ou trois jours, surtout qu'on leur fait visiter toutes les autres institutions, il arrive rarement qu'ils passent un jour ou même une heure à observer les travaux de la Commission. Ce que je crains, c'est qu'en si peu de temps, ils n'aient pas le temps de vraiment comprendre la nature du travail de la Commission et l'important rôle qu'elle joue. Il est vrai que les représentants qui viennent visiter représentent le plus souvent de multiples partis. Le sénateur Wilson a été membre de la délégation à un moment.

La présidente: Est-ce qu'on leur permet de visiter seulement?

Le sénateur Wilson: C'est-à-dire qu'ils ne restent jamais assez longtemps.

[Français]

Le sénateur Beaudoin: Je reviens à la mise en oeuvre des traités. Je suis porté à croire que le Canada sera dans l'obligation de trouver son propre moyen de mettre en oeuvre les traités. En tenant compte de votre longue expérience aux Nations Unies, pensez-vous que nous pourrions en discuter avec d'autres pays avant de mettre au point un système de mise en oeuvre des traités?

M. LeBlanc: J'ai aussi pensé que c'était d'abord un problème politique. En 1975, on n'était certainement pas prêt. Il y avait beaucoup d'autres problèmes que ceux que j'ai mentionnés. Des études faites par les ministères de la Justice et des Affaires étrangères de l'époque pourraient probablement vous intéresser.

Il y a aussi l'aspect de la législation. Donc, il y a les deux choses. Suite à la présentation de M. Peter Leuprecht et de son expérience en Europe, il me semble que certains pays pourraient nous aider. J'ai appris beaucoup en lisant son texte. J'ai n'ai jamais étudié cette question, mais elle a soulevé des pistes de recherche.

Le sénateur Beaudoin: Il n'y a pas beaucoup de pays qui vivent la même situation que la nôtre. Nous avons la thèse dualiste, mais la plupart des pays ont la thèse moniste. Nous sommes malchanceux et ils sont chanceux.

M. LeBlanc: M. Leuprecht a parlé de l'Allemagne, de l'Angleterre et de la Suisse qui sont aussi dualistes. Le ministère du Patrimoine canadien a déjà fait une étude sur le système en Allemagne, peut-être y a-t-il déjà des études qui ont été faites sur cette question. Le plus important, c'est l'aspect politique. En 1975, il y avait la volonté politique d'avancer et de faire ratifier des pactes.

Le sénateur Beaudoin: Qu'est-il arrivé?

M. LeBlanc: Ils ont été ratifiés. Les deux grandes questions de l'époque ont été réglées, mais on n'a pas soulevé la question de la mise en oeuvre des traités du point de vue de la législation.

Le sénateur Beaudoin: C'est pourtant central.

M. LeBlanc: Oui, mais il faut y revenir maintenant. Je pensais qu'après avoir réglé les deux problèmes - l'obtention de l'assentiment des provinces et la question du Québec - qu'il y aurait eu cette deuxième étape qui ne s'est jamais produite.

Le sénateur Beaudoin: Alors, il faut y revenir.

M. LeBlanc: Je suis d'accord.

Le sénateur Beaudoin: Vous comptez sur nous.

M. LeBlanc: En effet, ce débat a été très important. Il faut le faire circuler.

[Traduction]

Le sénateur Wilson: Si j'ai bien compris, vous avez dit que le Canada est le seul pays occidental à siéger à la Commission des droits de l'homme des Nations Unies.

M. LeBlanc: C'est-à-dire qu'il est le seul pays non européen. Ce groupe comprend normalement les États-Unis, la Nouvelle-Zélande, l'Australie, le Japon et le Canada. Tous les autres sont européens.

Le sénateur Wilson: Et il faut un représentant canadien du rang d'ambassadeur pour que le Canada puisse vraiment exercer son influence.

M. LeBlanc: C'est-à-dire que nous avons besoin d'une délégation forte qui ne serait pas composée de gens qui font leurs premiers pas dans ce domaine. À mon avis, il ne convient pas à ce moment de notre histoire, d'y envoyer des débutants. Ce n'est pas le genre d'environnement qui convient aux débutants.

Le sénateur Wilson: Quelles sont les questions qui seront abordées à l'Assemblée générale que les Affaires étrangères ne soulèveront pas, à votre avis?

M. LeBlanc: Pour moi, la question principale sera celle des violations de droits de la personne. Le voile qui s'étend actuellement sur l'Afghanistan sera levé. Nous commencerons à prendre connaissance de la réalité de sa dévastation. Ce sera nécessairement une question très importante.

De plus, toute la question de la légalité des mesures prises sera soulevée sous l'angle des droits de l'homme. Le Conseil de sécurité l'abordera dans son optique. Les questions entourant la situation en Afghanistan domineront pendant le débat. En tant que représentant d'une ONG, je m'assois dans la dernière rangée où je peux tout observer. Le débat se déroulera d'une façon ou d'une autre sur la question des droits de la personne.

La discussion sera animée et par conséquent, les représentants du ministère de la Justice, du Sénat et du Parlement devraient être présents. Ces personnes devraient avoir une certaine expertise dans le domaine du règlement des conflits.

Au moment de l'inauguration de la conférence, il y aura déjà eu une escalade dans la région et une explosion des tensions au Pakistan. D'ailleurs, je devrais être au Pakistan maintenant. Je devais passer trois semaines, comme c'est l'un des pays avec lequel j'entretiens d'étroites relations. Je devais partir pour Lahore dimanche. Je devrais donc être à Rawalpindi ou à Islamabad au moment où l'on se parle. Le ministre pakistanais des Affaires étrangères m'a dit que si nous changions même un iota des lois sur le blasphème ou sur les électeurs distincts au Pakistan, le gouvernement s'effondrerait et le résultat serait une société dévastée.

[Français]

Le sénateur Joyal: Je reviendrai sur la question du Kosovo. La décision de charger la Commission de surveiller la façon dont les opérations militaires sont menées, vient-elle du Conseil de sécurité des Nations Unies?

M. LeBlanc: Je ne peux pas répondre à cette question. La haut-commissaire chargée de la Commission des droits de l'homme a probablement été envoyée par le secrétaire général au Kosovo. Elle était responsable d'écrire les rapports en commen çant par les dossiers des droits civils et politiques, des droits économiques et socioculturels. Tous les services du haut-commis sariat chargés des droits de l'homme étaient sur le terrain. Cela se faisait dans un contexte très concret des droits de la personne. Le mandat du haut-commissaire est tellement vaste. Elle s'est rendue avec la permission du secrétaire-général.

Le sénateur Joyal: Où le Canada devrait-il faire des représentations pour que la décision soit prise d'assurer un minimum de respect des droits des personnes dans un contexte de guerre tel que celui qui a cours en Afghanistan? Il s'agit d'une situation qui doit durer encore longtemps, selon ce que les représentants de la coalition ont déclaré publiquement au cours des derniers jours, puisqu'on entre dans une période très difficile à cause de l'hiver, de la sécheresse qui se prolonge et des conditions climatiques arides qui prévalent dans ces régions.

Vous semblez me dire que dans le cas de l'Afghanistan, la Commission ne joue pas actuellement le rôle qu'elle a joué à l'égard du Kosovo, parce qu'on ne l'a pas encore impliquée.

M. LeBlanc: La Commission n'est pas en session, c'est pour cela que j'ai dit en mars ou avril.

Le sénateur Joyal: Des démarches sont-elles faites pour que la Commission, lorsqu'elle sera en session, puisse être en mesure d'aborder cette question et de faire le travail qui est le sien dans des circonstances aussi difficiles que celles que nous connaissons?

M. LeBlanc: L'Afghanistan est déjà à l'ordre du jour. Nous avons un rapporteur spécial sur l'Afghanistan. J'ai parlé des mécanismes dont la Commission s'est dotée. Il y a des rapporteurs pour différents pays tel que le Burundi ou le Rwanda, il y en a donc un pour l'Afghanistan. Le rapporteur spécial dépose son rapport à la Commission, le présente et poursuit son travail. Les pays vont certainement soulever la question pour chaque point soulevé auprès de la Commission. Cela va être débattu tout comme la question palestinienne depuis 1968, et la question chilienne depuis 1976 l'ont été. Le Canada joue plutôt un rôle humanitaire et traditionnel d'agent de paix et de réconciliation. Il essaie de prévoir ce qui va se produire lorsque le voile sera levé. Le voile ne sera peut-être pas totalement levé à la sous-commis sion. Quel serait alors le rôle du Canada ? Politiquement, c'est autre chose.

Le sénateur Joyal: Lorsque vous dites: «Quand le voile sera levé,» à quoi faites-vous référence en particulier?

M. LeBlanc: Je fais référence au fait qu'à moins d'être sur le terrain, qu'à moins d'avoir accès à la télévision de Qatar, personne ne sait vraiment ce qui se passe. Nous recevons des données quant au nombre de blessés, par exemple, mais nous ne savons pas vraiment quels dommages ont été faits, ou en quoi consiste le système d'infrastructure des villes, et cetera. Le voile n'est pas levé sur ces questions.

En ce qui concerne les sanctions contre l'Irak depuis deux ans, nous demandons leur abolition. Quant à l'infrastructure irakienne, elle est presque inexistante. Les statistiques de l'Unicef nous informent que 500 000 enfants sont morts des effets des sanctions depuis dix ans. Cependant, le voile n'est pas levé, à moins d'y aller. Je devais m'y rendre au mois de mars, mais cette mission a été contremandée pour d'autres raisons. C'est un voile. D'où vient ce voile? Des médias, des gens qui vont sur les lieux.

Le sénateur Joyal: Quelle approche le Canada devrait-il développer eu égard à ce débat qui aura lieu dans quelques mois?

Le Canada a déjà joué un rôle humanitaire traditionnel - vous y avez fait référence auparavant. D'après vous, y a-t-il des priorités que nous devrions viser puisque nous ne pouvons pas toucher à tous les aspects qui concernent les populations civiles? Selon les informations accessibles au public, près de 7 millions de personnes sont déplacées. Le Canada ayant des moyens limités, ses interventions ne peuvent pas nécessairement satisfaire l'ensemble des besoins. Où croyez-vous que notre pays serait le plus efficace dans l'approche de cette question?

M. LeBlanc: Nous intervenons toujours sur l'aspect humanitai re des sanctions contre l'Irak, nous n'entrons pas dans la question de la politique. Je sais que M. Axworthy, quand le Canada présidait le Conseil de sécurité en avril 2000, a introduit le langage humanitaire. À la sous-commission - parce que j'y participe également - nous avons réussi à faire passer le langage humanitaire, c'est-à-dire l'aspect humanitaire des sanctions dans le débat. Les grandes puissances ne voulaient même pas ce mot, donc c'est par l'entremise de l'Union européenne, avec qui nous avons travaillé, que nous avons pu introduire ce langage. À mon avis, l'introduction de ce langage fait parti de notre patrimoine, de notre histoire. Je ne vois pas ce langage, cet aspect humanitaire. Comment cela se dit, c'est autre chose.

Le sénateur Joyal: Le secrétaire-général des Nations Unies, M. Kofi Annan, a quand même un envoyé actuellement - l'ancien ministre des Affaires étrangères de l'Algérie - qui tente de mettre un terme au conflit tout en se rapportant aux autorités des Nations Unies sur ce qu'il voit. Les Nations Unies ne sont quand même pas une direction, je dirais, multicéphale. Les Nations Unies ont un intérêt à non seulement s'assurer que la question des réfugiés soit abordée, mais qu'une sorte d'équilibre se produise à l'intérieur des différents groupes qui auront à participer à un éventuel gouvernement. Elles devront également voir au rôle que le Pakistan devra aussi jouer dans la région. À ce moment-ci, où se fait l'approche au niveau des Nations Unies pour obtenir les informations qui nous permettraient de lever le voile sur la situation réelle?

M. LeBlanc: Il faudrait aller sur les lieux et demander aux pays qui font les bombardements. Ils doivent prendre des photos. Ce qui m'intéresse vraiment, c'est le rôle du Canada à la Commission des droits de la personne. Au mois de mars, on verra peut-être mieux comment les choses se sont passées.

On sait qu'au Kosovo, il y a l'uranium appauvri. On se sert encore de cet uranium appauvri qui, selon le Dr Rosalie Bertell qui a fait beaucoup d'études dans ce domaine, a une vie de 2 millions d'années. On s'en sert encore au Kosovo et en Irak, mais je ne sais pas pour l'Afghanistan.

[Traduction]

M. LeBlanc: Ainsi l'aspect humanitaire de la situation dépasse de loin l'action de la Commission des droits de l'homme.

[Français]

J'essaie toujours de voir comment on peut s'ingérer dans ce discours qui va se produire à la Commission et apporter notre contribution de paix et de réconciliation, axée sur les victimes.

Le sénateur Losier-Cool: Comment peut-on s'ingérer dans le discours par rapport aux droits des enfants? Est-ce qu'il y a, parmi les 53 pays qui siègent à la Commission, des experts ou un ambassadeur? Par exemple un ambassadeur pour les enfants qui va parler de la mortalité infantile, des enfants de la guerre, et cetera?

M. LeBlanc: L'Unicef, comme organisme des Nations Unies, fait des rapports chaque année et ses statistiques sur l'Irak sont citées. L'Unicef est sur le terrain, il publie, il est présent. Il y a le Comité sur les droits de l'enfant qui est lié à la Commission relative aux droits de l'enfant qui se réunit aussi. Il y a également le secrétaire adjoint de Kofi Annan qui est responsable pour la question des enfants-soldats. Il y a Garça Machel, l'épouse de M. Mandela, qui a fait toute une étude sur les enfants-soldats. Il y a donc beaucoup d'activité sur cette question. C'est intéressant parce que nos interventions sur l'Irak portent toujours sur la question des enfants et l'aspect humanitaire. C'est la porte d'entrée: enfants et femmes. On ne peut pas les séparer. On se sert des statistiques de l'Unicef.

Le sénateur Losier-Cool: Notre rôle comme parlementaires est de s'assurer que le Canada, qui est à la Commission, inclut dans son langage ces droits des enfants. On sait qu'il le fait jusqu'à un certain point, mais on pourrait le faire encore plus. Est-ce qu'il y a d'autres pays qui s'impliquent de la même façon? Est-ce qu'on en parle à la Commission?

M. LeBlanc: J'ai de bonnes relations avec la délégation canadienne. Je connais tous les membres. Cependant, je travaille beaucoup plus avec l'Union européenne. C'est cette dernière qui dépose la plupart des résolutions et qui va avoir, à mon avis, un son un peu différent sur la question de l'Afghanistan. Le Canada est beaucoup plus lié aux États-Unis. Cela se comprend. Je pense qu'on peut avoir une voie indépendante.

Le sénateur Losier-Cool: On pourrait en discuter lors de nos rencontres Canada-Europe, avec des membres de l'Union européenne. Par exemple, la semaine dernière, nous avons dîné avec l'ambassadeur de la Belgique. Nous aurions pu traiter de la question à ce moment.

M. LeBlanc: Les délégations belge, allemande et autres, sont très fortes à la Commission. Cela dépend toujours de la personne qui préside. Qui préside ce mois-ci?

Le sénateur Beaudoin: C'est la Belgique jusqu'à la fin de décembre.

[Traduction]

La présidente: Nous nous interrogeons sur les domaines auxquels nous devrions nous attaquer par rapport aux droits de la personne. Nous sommes conscients du fait que le Comité des affaires étrangères est chargé d'examiner la position canadienne sur des questions précises touchant les droits de l'homme.

Est-ce que ce serait utile qu'un comité comme le nôtre étudie le fonctionnement de la Commission de l'ONU? Vous n'avez pas vraiment abordé cette question. Vous avez surtout parlé d'enjeux précis. Il est certain que dans d'autres contextes, j'ai entendu dire que, vu son système de rapporteurs et d'études thématiques, ainsi que son problème de sous-financement, la Commission ne fonctionne pas très bien. D'ailleurs, le processus de nomination des représentants est politisé jusqu'à un certain point. Y aurait-il donc lieu d'examiner l'appareil de la Commission de l'ONU? Il y a 15 ou 20 ans, la position du Canada à l'égard de la Commission était que nous ne devrions pas nous pencher sur de nouvelles questions, ou étudier de nouveaux pactes et conventions tant que nous n'aurions pas rectifié les problèmes associés à l'appareil actuel, et tant que nous n'aurions pas mis en place des mécanismes d'application des pactes et traités actuels.

M. LeBlanc: La Commission vient de terminer l'examen des mécanismes d'application qui est prévu tous les quatre ans. Le Canada a joué un rôle important au sein de la Commission en question.

À mon avis, ce ne serait pas utile que vous consacriez votre temps très précieux à ce genre d'étude. Votre comité devrait se concentrer sur le rôle que doit jouer le Canada au sein de la Commission et ce qu'il faut faire pour influencer les textes qui sont adoptés ou être mieux informé de la situation. J'en sais probablement plus sur la position canadienne du fait d'assister aux séances d'information et de tenir des consultations fréquentes auprès du comité. À la lumière des événements du 11 septembre, nous devrons retravailler nos textes. À titre de représentant d'une ONG, j'en suis intimement convaincu.

Le travail du professeur Bayefsky, qui a rédigé un rapport sur les organes de surveillance des traités, a été attaqué. Il faut participer aux travaux de la Commission pour bien comprendre le travail que font ces organes.

La présidente: J'y ai participé à l'étape où les ONG avaient l'occasion de rencontrer les responsables gouvernementaux au moment où ils élaboraient leur position. Ce qu'on m'a dit, c'est que même si les ONG communiquent leurs vues au gouvernement concerné au début du processus, les négociations qui se déroulent au sein de la Commission des droits de l'homme sont importantes pour ce qui est de comprendre l'art du possible. On n'en sait rien avant d'y arriver et de connaître les membres, les grands enjeux, et les coalitions qu'il est possible d'établir.

J'ai entendu dire qu'il faut plus de transparence pour recueillir les commentaires des intéressés, au niveau parlementaire et dans d'autres contextes. De cette façon, nous pourrions peut-être conseiller le gouvernement relativement aux enjeux les plus importants.

M. LeBlanc: Voilà justement ce que je pense. J'ai l'impression que ce comité joue un rôle important au sein du Parlement. Quelle peut être la nature de votre participation? Voilà quelques réponses possibles: Vous pourriez convoquer des fonctionnaires ou le ministre à une séance à huis clos. Vous pourriez essayer de savoir pourquoi la Commission choisit certains membres et pas d'autres; pourquoi certains pays sont sélectionnés pour intervenir; et pourquoi la Commission met l'accent sur certains termes, plutôt que d'autres.

J'espère que le ministère des Affaires étrangères et le gouvernement travailleront ensemble pour élaborer les positions à communiquer à la Commission des droits de l'homme.

La Sous-commission existe depuis 1947. Malgré le travail de défrichage qu'elle a fait, on lui a enlevé le droit de se prononcer sur les situations dans les divers pays. La Sous-commission est composée d'experts indépendants.

Lorsque la Commission adopte une résolution, c'est tout à fait différent. Là nous parlons de 53 pays différents et de la nécessité d'avoir l'aval de toutes les régions pour adopter une résolution et y donner suite. Une bonne partie du travail préliminaire peut être réalisée par la Sous-commission. Du moment qu'on parle de réforme, il y aura toujours de bonnes idées et d'autres qui sont moins bonnes.

Le sénateur Beaudoin: Il y a deux ou trois semaines, nous avons reçu M. Amor, président de l'Académie internationale du droit constitutionnel. Il nous a informé que le Canada est critiqué par rapport à l'article 93 qui touche l'éducation et les droits confessionnels. L'éducation au Canada relève de la responsabilité des provinces et certaines provinces ont des droits confessionnels, alors que d'autres n'en ont pas. Par exemple, le Québec a obtenu une modification constitutionnelle sur laquelle nous nous sommes prononcés au Sénat. Il en va de même pour Terre-Neuve. En Ontario, les catholiques jouissent encore de leurs droits confes sionnels, comme les protestants, d'ailleurs.

M. LeBlanc: Ce sont des droits constitutionnels.

Le sénateur Beaudoin: Oui, mais nous les désignons par le terme «droits confessionnels», même si ce sont en réalité des droits constitutionnels. Donc, je suis d'accord avec vous.

Les Nations Unies nous ont critiqués en disant que nous sommes contre le principe de l'égalité et de la liberté de religion - et ce, parce que les groupes protestants et catholiques ont droit à des subventions spéciales, alors que ceux qui ne sont ni catholiques ni protestants peuvent obtenir des subventions, sans pour autant jouir de la protection constitutionnelle.

Quand M. Amor m'a demandé mon opinion, je lui ai dit que le Québec et Terre-Neuve ont tous les deux adopté une modification constitutionnelle. Cette protection religieuse était fermement ancrée dans la Loi constitutionnelle de 1867, mais à l'ère moderne, ce concept est moins bien accepté qu'il ne l'était en 1867. Êtes-vous au courant de cela?

M. LeBlanc: M. Amor est rapporteur spécial sur la discri mination religieuse. Même si j'ai lu tous ses rapports, j'ai tendance à me concentrer sur les pays qui m'intéressent le plus. Le Canada m'intéresse, mais je me concentre normalement sur les cinq ou six pays avec lesquels je travaille régulièrement.

La présidente: Il s'agit là d'une question complexe qui est liée à l'appareil de l'ONU. Cela ne sert à rien d'en parler maintenant, mais nous pourrions peut-être l'examiner par la suite et fournir de l'information au comité au sujet de la décision.

Le sénateur Joyal: Madame la présidente, nous devrions à mon avis étudier le rapport du professeur Bayefsky dont nous a parlé notre témoin. Il faudrait que chacun d'entre nous le lise.

La présidente: Je me suis engagée à fournir cette information aux membres du comité. Il en a été question dans les médias. Je ne me souviens pas du traitement qu'on lui a réservé au sein de l'appareil des Nations Unies ni de la teneur des rapports qui portaient là-dessus. Je préfère fournir l'information au comité, plutôt que d'essayer de deviner.

M. LeBlanc: À l'époque où j'étais à la Sous-commission, le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale se réunissait. Dans trois de ses communiqués, il a condamné le rapport. J'ai porté cela à la connaissance de la délégation canadienne à Genève, étant donné que je suis Canadien. Malheureusement, je n'ai pas pu obtenir le rapport; donc, même si je ne peux pas vous le prouver, son évaluation, qui a été mise sur le site Web et diffusée aux Nations Unies, était rédigée dans des termes un peu trop énergiques, pour mon goût, en ce qui concerne son rapport sur les traités.

La présidente: Nous y reviendrons tout à l'heure.

Le sénateur Joyal: Combien d'autres groupes au Canada ont des délégués permanents auprès de la Commission des droits de l'homme?

M. LeBlanc: Il y a une liste des délégués sur le site Web de Patrimoine canadien. Il y en a une cinquantaine.

La présidente: À mon avis, il s'agit d'un minimum de 50 délégués. Il faut passer par un processus de consultation avant d'être reconnue comme ONG pour les fins de l'obtention du statut d'observateur à la Commission ou du statut d'interlocuteur dans certains contextes. À mon avis, on pourrait vous obtenir le texte des règlements qu'applique le Conseil économique et social, de même que le nombre de Canadiens qui sont actuellement inscrits.

Le sénateur Joyal: Pour en revenir au Kosovo, je crois savoir que les rapports hebdomadaires que vous avez mentionnés tout à l'heure étaient présentés au cours d'une session de la Commis sion.

M. LeBlanc: Oui, pendant la session de 1999 de la Commis sion.

Le sénateur Joyal: Serait-il possible d'obtenir un résumé des principaux éléments dont il était question dans le rapport?

M. LeBlanc: Ce rapport s'appuyait essentiellement sur deux catégories de pactes des Nations Unies: le Pacte relatif aux droits civils et politiques et celui relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Je suis sûr que le greffier pourrait retrouver les déclarations qu'elle a faites au sujet de la session de 1999 de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies sous la rubrique des déclarations du Haut Commissaire sur le Kosovo. À mon avis, elle a fait trois ou quatre déclarations, mais c'était au moment des bombardements.

La présidente: Monsieur LeBlanc, vos propos ont donné lieu à une discussion très large cet après-midi. Merci infiniment de nous avoir présenté votre point de vue sur le travail que nous devrions réaliser dans le cadre d'une étude portant sur les mécanismes qui entourent les droits de la personne. Ce que je trouve injuste à la Commission, c'est que cette dernière consacre beaucoup de temps et d'énergie à un dossier d'actualité, que ce soit la situation au Kosovo ou - comme ce fut le cas quand j'étais là - la guerre en Iraq. Si un conflit a lieu à une période où la Commission ne siège pas, on ne lui porte pas la même attention et il est donc jugé moins important. C'est peut-être là l'une des faiblesses de la Commission.

Je vous laisse donc réfléchir à toutes ces questions en espérant que vous trouverez le moyen de garantir une plus grande équité au sein de la Commission, par rapport non seulement au traitement des pays individuels, où la sélectivité joue un rôle important, mais aux enjeux individuels.

Merci encore une fois des efforts que vous déployez dans ce sens.

La séance est levée.


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