Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule 9 - Témoignages du 29 avril 2002
OTTAWA, le lundi 29 avril 2002
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui à 16 h 05 pour étudier l'adhésion du Canada aux instruments internationaux en matière de droits de la personne et des modalités en vertu desquelles il adhère à des instruments, les met en application et en fait rapport.
Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Nous nous penchons à l'heure actuelle sur la Convention interaméricaine des droits de l'homme. Nous avons commencé par nous demander si le Canada devrait signer cette convention. Comme nous avons entendu divers témoins, nous avons élargi notre étude pour examiner non seulement l'article 4, qui a posé certaines difficultés, mais toute la convention, l'ensemble des instruments en matière de droits de la personne dans les deux Amériques et le rôle que devrait jouer le Canada dans l'avenir des droits de la personne dans cet hémisphère. Cependant, nous concentrons nos efforts sur la convention.
Nous accueillons cet après-midi l'honorable Warren Allmand, c.p., c.r., président de Droits et Démocratie qui a ses bureaux à Montréal. Il a de nouveau la courtoisie de venir nous donner son opinion et de nous faire profiter de sa compétence. Il est accompagné aujourd'hui de Geneviève Lessard, coordonnatrice adjointe du Programme au développement démocratique.
Bienvenue, monsieur Allmand. En nous fournissant aimablement l'information que vous possédez, vous remplissez l'un des objectifs du centre qui consiste à diffuser l'information et à être une ressource pour le Parlement. Nous vous en remercions.
L'honorable Warren Allmand, président, Droits et Démocratie: Je tiens à remercier sincèrement les membres du comité de nous avoir invités à comparaître relativement à cette question importante. Je remercie le comité du Sénat d'avoir pris l'initiative d'examiner cette convention que nous exhortons le Canada à ratifier depuis longtemps. En fait, vers 1990, Droits et Démocratie a lancé une campagne de sensibilisation auprès des Canadiens et du gouvernement canadien pour que le Canada ratifie la convention. Nous l'avons fait en partie parce que nous collaborons avec de nombreux partenaires en Amérique latine qui veulent que le Canada participe pleinement au renforcement du système interaméricain de protection des droits de las personne.
Vous vous rappellerez qu'au moment où le Canada a joint les rangs de l'OEA en 1990, le ministre des Affaires étrangères, l'honorable Joe Clark, avait alors déclaré qu'il s'efforcerait d'obtenir la ratification par le Canada de la convention interaméricaine, mais que cela n'a jamais été fait.
Le principal argument que nous invoquons en ce qui a trait à la ratification a plutôt à voir avec la politique étrangère que la politique interne. À notre plaidoyer en faveur de la ratification par le Canada, tant le gouvernement fédéral que les gouvernements provinciaux ont répondu que nous n'avons pas besoin de cette convention étant donné que nous avons notre Charte des droits et libertés, nos commissions des droits de la personne et que nous avons ratifié des pactes internationaux et de nombreux autres textes. Je réponds à cela qu'il s'agit de renforcer le système interaméricain de protection et que c'est pour des raisons de politique étrangère que nous devrions ratifier la convention, pas nécessairement pour des raisons de politiquer interne.
Nous avons assisté à une convention de l'OEA au Guatemala lorsque Trinidad et le Pérou ont menacé d'abandonner l'organisation il y a quelques années; nous avons alors exercé des pressions pour qu'ils restent. Ils nous ont alors répondu à nous et aux ONG: «Comment pouvez-vous nous demander de rester alors que vous n'avez même pas convaincu le Canada de signer la convention?» Ils avaient là un bon argument.
On sait qu'une menace à la paix quelque part est une menace à la paix partout. Les graves violations des droits de la personne, que ce soit au Guatemala, au Pérou, au Salvador ou aux îles Caraïbes, peuvent avoir des répercussions chez nous, comme ce fut le cas par le passé avec les afflux de réfugiés, la multiplication des engagements en matière de maintien de la paix, la croissance de l'aide extérieure de même que la généralisation de l'agitation et de l'instabilité dans la région. Même si nous disposons au Canada de nombreux instruments en matière de droits de la personne, nous devons adhérer à la convention pour renforcer le système interaméricain de protection des droits de la personne.
Si ce même argument était invoqué en Europe, je suppose que la Hollande, la Suède et de nombreux autres pays se retireraient du système européen de protection des droits de la personne. Ils ne le font pas. Ils estiment que, même s'ils disposent de solides systèmes de défense des droits de la personne dans leurs propres pays, il leur faut un système régional tout aussi solide. En outre, si cet argument était admis, maintenant que le Mexique et le Pérou ont changé de gouvernement et améliorent leur système de défense des droits de la personne, ils pourraient dirent qu'ils se retirent et qu'ils n'ont plus besoin d'un système interaméricain de protection. Ce sont de faux arguments. Si nous croyons, d'un point de vue de politique étrangère, que nous devrions avoir un solide système de protection régional, nous devrions y participer à part entière. C'est là notre argument principal.
Bien sûr, les Canadiens en retireraient un avantage. Une autre source d'appel existerait à l'extérieur du Canada pour les abus en matière de droits de la personne. Nous l'avons expérimenté avec le Pacte international relatif aux droits civils et politiques dans les affaires Lovelace et McIntyre. Le Comité des droits de l'homme des Nations Unies a été utile en ce qui a trait à ce pacte en particulier. Après avoir perdu leurs causes au Canada, tant Lovelace que McIntyre se sont tournés vers le Comité des droits de la personne des Nations Unies. Un jugement a été rendu en leur faveur. Même si le jugement n'était pas légalement exécutoire, son importance politique fut telle que tant le Canada que le Québec ont modifié leurs lois de manière à se conformer au jugement du Comité des droits de l'homme.
L'autre avantage pour le Canada serait d'avoir accès au protocole de San Salvador, un protocole de la Convention inter-américaine des droits de l'homme qui porte sur les droits économiques sociaux et culturels. Nous devons ratifier la convention interaméricaine.
Le gouvernement canadien — et nous exerçons des pressions auprès du gouvernement canadien et des gouvernements provinciaux depuis un certain temps — a répondu qu'il y avait huit importantes matières à conflit et les cinq mineures entre nos lois et la Convention interaméricaine. Lorsque le Canada ratifiera la Convention, il ne veut pas le faire en exprimant de nombreuses réserves.
Nous avons examiné, avec l'aide de spécialistes juridiques en droit international, ces huit matières à conflit importantes et ces cinq mineures. Nous en sommes venus à la conclusion que la plupart n'existent pas.
Je ne sais pas quand cette liste a été dressée, mais elle est tout à fait dépassée si on considère les jugements rendus par la Cour interaméricaine des droits de l'homme et de la Commission interaméricaine des droits de l'homme. Il y a de l'exagération. Des objections sont inventées alors qu'il n'y en existe vraiment aucune.
Par exemple, on trouvait entre autres comme objection sur cette liste que certaines des normes établies dans la Convention interaméricaine sont inférieures par exemple à celles de la Convention internationale sur les droits civils et politiques. Par conséquent, un tribunal canadien peut passer au standard inférieur plutôt qu'au standard supérieur. L'article 29 de la Convention interaméricaine dispose bel et bien que s'il existe un standard plus élevé, il faut toujours préférer celui-là. Je ne sais pas pourquoi ces choses ont été inscrites sur les listes.
Il y a un article sur l'exclusion. Nul ne peut être privé arbitrairement de sa nationalité. Cela contreviendrait à nos lois sur l'extradition. Le système interaméricain de protection des droits de l'homme a déjà déclaré que cet article ne s'applique pas à l'extradition. C'est une explication fallacieuse. La plupart de ces pays ont des lois sur l'extradition et ont ratifié la convention.
En ce qui concerne les prisons, l'article de la convention dispose qu'on ne peut emprisonner un jeune délinquant dans une prison pour adultes. Parce que certaines petites provinces ont dans la même prison des ailes qu'elles réservent aux mineurs délinquants et des ailes réservées aux délinquants adultes elles ont aussi déclaré qu'elles ne peuvent pas respecter cet article. Au Canada, toutefois, nous ne plaçons pas dans la même cellule des mineurs délinquants et des délinquants adultes. En fait, si c'était le cas, il se pourrait que de nombreux pays d'Amérique latine contreviennent davantage que le Canada à cet article
Nous avons une clause nonobstant. Cependant, nous avons ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et d'autres conventions internationales qui n'autorisent pas de clause nonobstant. Cela ne nous a pas empêchés de ratifier d'autres conventions comme la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination contre les femmes de même que la Convention relative aux droits de l'enfant ou le Pacte international. Par conséquent, il s'agit là d'une autre explication fallacieuse.
Il y a deux objections importantes. Il y a dans un premier temps, l'alinéa (4)a) concernant le droit à la vie et, dans un deuxième temps, l'article 13 sur la censure préalable.
Nous n'avons pas ménagé nos efforts et je vais vous en parler dans un instant. Mme Geneviève Lessard, qui m'accompagne aujourd'hui, a beaucoup travaillé avec des groupes de femme au Canada pour leur expliquer les avantages que la convention représente pour elles. Elle a aussi établi des liens de solidarité avec des groupes de femmes en Amérique latine. Elle a participé à des réunions ici au Canada sur le sujet et m'a aidé dans le cadre de la campagne de ratification. Elle pourra peut-être répondre à des questions sur ce sujet.
Au fait, l'article 4 traite de la peine de mort et du droit à la vie, et aussi peut-être de l'avortement.
Il y a deux façons de régler le problème. D'abord, on pourrait ajouter non pas une réserve, mais une déclaration d'interprétation. Nous y travaillons. Nous sommes en train d'élaborer, de concert avec des avocats spécialisés en droit international, une déclaration d'interprétation qui s'appliquerait à l'ensemble de la convention américaine relative aux droits de l'homme, et non pas uniquement à l'article 4. Cette déclaration nous protégerait.
Le Mexique a fait ajouter une déclaration d'interprétation. Personne ne s'y est opposé. Aucune objection n'a été formulée, que ce soit par les autres États ou par l'OEA.
En ce qui a trait à l'article 13, qui traite de la censure préalable, on dit craindre que cette disposition n'empiète sur nos lois pénales concernant la propagande haineuse, la littérature haineuse et la pornographie infantile. Encore une fois, tout porte à croire que la Commission et la Cour considéreraient favorablement ces mesures. Quoi qu'il en soit, cette question pourrait faire l'objet d'un protocole d'entente, et non d'une réserve.
Voilà donc les deux principales objections qui ont été formulées, et qu'on pourrait résoudre au moyen non pas d'une réserve, mais d'une déclaration d'interprétation. Comme je l'ai indiqué, nous y travaillons. Nous consultons de nombreux groupes, y compris les organisations féminines.
On a par ailleurs fait valoir une autre objection, que je ne trouve pas légitime: certaines provinces ne veulent plus que leurs décisions soient soumises à l'examen des instruments de défense des droits de la personne. Prenons l'exemple de l'affaire Waldman, en Ontario. J'ai mentionné deux cas qui ont été accueillis favorablement par le Comité des droits de l'homme: McIntyre et Lovelace. Waldman, un juif de l'Ontario, a demandé au Comité des droits de l'homme que l'Ontario finance les écoles confessionnelles juives au nom de la liberté de religion et de l'égalité des religions. Après avoir perdu au Canada, il a obtenu gain de cause auprès du Comité des droits de l'homme des Nations Unies. L'Ontario, bien entendu, n'a pas donné suite à la décision. Il y a quatre ou cinq provinces qui financent les écoles confessionnelles, dont le Québec et l'Alberta. Je n'ai pas la liste avec moi, mais ces provinces acceptent de financer les écoles confessionnelles qui se conforment aux normes du système d'éducation de la province. L'Ontario s'y oppose. C'est un cas parmi d'autres.
Donc, certaines provinces ne veulent pas que leurs décisions fassent l'objet d'un examen. Toutefois, il faudrait envisager la question sous l'angle non pas des objectifs de la politique étrangère, mais des avantages que cela procure aux Canadiens.
Par ailleurs, on soutient que les Canadiens ne descendent pas dans la rue pour exiger la ratification de la convention américaine relative aux droits de l'homme. Ils ne l'ont pas fait quand nous sommes devenus membres de l'OEA. Ils ne l'ont pas fait non plus dans le cas de la convention contre la torture, par exemple. Ce qui arrive, c'est que le gouvernement canadien adopte une position, fait preuve de volonté politique et dit: «Nous devrions ratifier cette convention». Les Canadiens, de manière générale, sont d'accord.
La ratification de la convention bénéficie d'un appui de plus en plus large en raison du phénomène de la mondialisation et du projet de création d'une zone de libre-échange des Amériques. À Québec, et dans bon nombre des tribunes auxquelles nous participons, de nombreuses personnes ont laissé entendre que l'ALEA devait s'appuyer sur un système régional de protection des droits de la personne qui est solide et auquel le Canada devrait souscrire.
Il y a un autre groupe qui réclame maintenant la ratification de la convention, et c'est la collectivité autochtone du Canada. La Cour a statué, l'automne dernier, qu'en vertu de la Convention américaine relative aux droits de l'homme, les Autochtones possédaient un droit de propriété sur les terres qu'ils occupaient depuis toujours. Cette décision a impressionné certains de nos groupes autochtones.
Je tiens à signaler que lors du Sommet de Québec, le Canada et les autres gouvernements des Amériques se sont engagés à renforcer le système interaméricain. Cet engagement figure dans le communiqué final du Sommet de Québec. Ils ont également annoncé l'adoption de mesures pour renforcer le système dans leurs propres pays. Seule la ratification nous permettra d'agir sur ce front au Canada.
Quand l'OEA a tenu son assemblée générale à Windsor, M. Axworthy a dit qu'il prendrait des mesures pour accélérer le processus de ratification. C'est ce qu'il a dit dans le discours qu'il a prononcé à l'assemblée.
Pour ce qui est de la transparence, puisque les droits de la personne constituent une compétence à la fois fédérale et provinciale, le gouvernement fédéral discute périodiquement de cette question avec les provinces. Nous avions entendu dire, l'automne dernier, qu'une réunion allait avoir lieu. Nous avons demandé l'autorisation d'y assister à titre d'observateurs, demande qui nous a été refusée. Ils ne veulent pas d'observateurs à ces réunions. Ce qui est encore plus inquiétant, c'est que le ministère responsable de ces réunions est le ministère du Patrimoine canadien, et non pas celui des Affaires étrangères ou de la Justice. La ratification de la convention de fait pas partie des priorités de la politique étrangère du gouvernement. Il ne prône pas la ratification de celle-ci dans le cadre de sa politique étrangère. Il dit tout simplement: «Qu'en pensez-vous? Êtes-vous d'accord ou non?»
Le rôle joué à ce chapitre par le ministère du Patrimoine canadien m'inquiète. Ce ministère est chargé de faire la promotion des instruments de protection des droits de la personne au Canada. À ma connaissance, il n'a pas de mandat sur le plan de la politique générale. Le ministère de la Justice est responsable des droits de la personne à l'échelle nationale, tandis que le ministère des Affaires étrangères est responsable des droits de la personne à l'échelle internationale.
Pour terminer, nous recommandons vivement la ratification de la convention, l'ajout d'une déclaration d'interprétation qui s'appliquerait à l'ensemble du traité, y compris l'article 4, et l'adoption d'un protocole d'entente pour l'article 13. Si vous examinez de près les huit questions majeures et les cinq questions mineures qui ont été formulées, vous allez vous rendre compte qu'elles constituent une exagération et qu'elles sont dépassées, vu les décisions rendues par la Cour et de la Commission interaméricaines.
La présidente: Est-ce que Mme Lessard souhaite ajouter quelque chose?
M. Allmand: Elle a assisté aux réunions de l'Association nationale de la femme et du droit et de la Fédération des femmes du Québec. Elle a collaboré avec des associations féminines en Amérique latine. Elle parle l'espagnol. Mme Lessard était présente aux réunions de l'OEA, au Costa Rica, quand la question a été abordée, de même qu'au Sommet de Québec. Elle pourra répondre à toutes vos questions.
Le sénateur Fraser: D'abord, pouvez-vous nous laisser une copie de la décision concernant les Autochtones? Je trouve cela intéressant, et j'aimerais la lire.
M. Allmand: D'accord.
Le sénateur Fraser: Ensuite, j'aimerais revenir à l'article 20 de la convention, qui traite du droit à une nationalité. Je dois avouer que je ne connais pas tellement le sujet. Quelle est la différence entre nationalité et citoyenneté?
M. Allmand: À mon avis, il n'y a pas grand différence entre les deux. Je ne peux pas vous donner de définition légale, mais je pense qu'ils veulent dire plus ou moins la même chose. Je vais toutefois me renseigner et vous trouver la réponse.
Le sénateur Fraser: Enfin, l'article 13 ne me préoccupe pas autant que l'article 14. En tant qu'ancienne journaliste, je réagis automatiquement avec grande prudence, c'est le moins qu'on puisse dire, à l'idée qu'un organisme de l'État puisse dicter aux médias le contenu de leurs articles, ce que fait essentiellement cette disposition. D'ailleurs, cela ne ferait que compliquer la situation dans les pays où la liberté de la presse doit être protégée. Prenons l'exemple d'un journaliste qui travaille dans un pays soumis à la dictature militaire et qui a le courage de dénoncer certaines activités qui lui paraissent louches. Ses efforts peuvent être réduits à néant par la publication, par exemple, d'une déclaration du général affirmant: «Non, bien entendu, je n'ai jamais tué, torturé ou fait disparaître qui que ce soit. Tout cela est faux.» Cette question me préoccupe beaucoup. Encore une fois, ce sujet, pour moi, est nouveau. Savez-vous si d'autres ont formulé des préoccupations à cet égard?
M. Allmand: Non. Toutefois, d'après nos attachés de recherche, on retrouve des dispositions similaires dans les lois provinciales, sauf celles du Québec. Ce droit de réponse fait partie de nombreux systèmes issus du droit romain. La Cour interaméricaine estime que les lois nationales devraient fixer les conditions dans lesquelles ce droit peut être exercé. Le contenu de ces lois peut cependant varier d'un État à l'autre, dans le cadre du concept énoncé par la Cour. Ce n'est pas une disposition étanche s'applique de la même façon à tous les États.
Au fait, M. Cassel, qui va comparaître après moi, sera peut-être en mesure de répondre à certaines de vos questions.
La législation canadienne prévoit des dédommagements. Il y a peu de chances, dans le système interaméricain, qu'une plainte soit accueillie favorablement. Cet article n'a jamais vraiment posé de problèmes.
Le sénateur Fraser: Le seul endroit où j'ai pratiqué le métier de journaliste, c'est au Québec. Si je me souviens bien, d'après le système en vigueur dans cette province — et c'est peut-être la même chose ailleurs — le journal qui accepte de publier une rectification ou une rétractation bien en vue se protège contre toute action en diffamation ultérieure. Toutefois, la loi ne peut pas, de façon générale, disposer que «toute personne offensée peut exiger...»
M. Allmand: D'après mon interprétation de l'article, la personne aurait le droit de faire parvenir une lettre au rédacteur en chef. Nous avons également le conseil de la presse. Il y en a un au Québec, si je ne m'abuse. Il recommande parfois qu'on publie des rectifications. Je ne sais pas si les journaux refusent souvent de le faire, mais j'ai l'impression que, de manière générale, ils les publient.
Je n'ai jamais entendu dire que cet article pose problème. Vous allez entendre d'autres témoins qui, je l'espère, seront en mesure de vous en dire plus à ce sujet.
Cet article ne figure pas sur la liste établie par le Canada. Certaines provinces ont une disposition similaire. J'ai toujours pensé qu'il fallait publier la lettre adressée au rédacteur en chef, ou autre chose du genre.
La présidente: Vous avez dit que la Canada avait formulé huit objections majeures, et cinq mineures. Vous en avez mentionné deux. Pourriez-vous nous les soumettre par écrit pour que nous puissions les consigner au compte rendu?
Vous avez dit, aussi, que la liste est dépassée. Les fonctionnaires cherchent à savoir s'ils peuvent nous fournir ces renseignements, vu le caractère confidentiel des discussions entre le gouvernement fédéral et les provinces. Nous serions heureux d'obtenir toute information qui pourrait nous être utile dans notre étude.
Vous avez dit également dit que les avocats ont examiné certaines dispositions. Encore une fois, si vous avez des notes là-dessus, nous serions bien heureux de les avoir.
M. Allmand: Nous avons écrit à David Kilgour, qui est le ministre responsable de l'Amérique latine. Il nous a fait parvenir une lettre au sujet des objections qui ont été formulées. Pour lui, toute objection à un traité doit demeurer confidentielle pour des raisons de sécurité. Il s'agit là d'une violation flagrante du principe de transparence. Nous avons assisté à des réunions fédérales-provinciales sur des sujets plus sérieux qui étaient publiques.
La présidente: Pour être juste envers les fonctionnaires, notre premier rapport indiquait que les ministres ne s'étaient pas réunis depuis 11 ans. Donc, le problème de transparence ne se pose pas au niveau ministériel. Les groupes de travail sont composés de bureaucrates. Ils voulaient s'assurer, avant de répondre, que tous leurs collègues étaient sur la même longueur d'onde.
J'espère qu'ils vont fait preuve de transparence, comme vous l'avez fait, et nous fournir les renseignements demandés. Entre temps, j'aimerais bien avoir tous les renseignements que vous avez là-dessus.
M. Allmand: Quand nous avons reçu la liste des huit questions majeures et des cinq questions mineures, nous l'avons soumise à nos experts pour qu'ils l'examinent. Nous avons déposé un mémoire auprès du gouvernement canadien le 19 mai 2000. Il y a d'autres interprétations de la Commission et de la cour qui pourraient vous être utiles. J'ai remis ce document au comité de la Chambre des communes quand j'ai comparu devant lui.
Nous avons répondu à chaque objection qui a été formulée par le gouvernement. Je vais vous envoyer volontiers ce document. Il traite des objections majeures et mineures qui ont été formulées.
L'autre document examine les réponses données par des experts internationaux.
La présidente: Nous aimerions bien avoir, aussi, les analyses des articles que vous avez effectuées dans le cadre de votre travail. Cela nous permettra de réduire nos coûts. Nous allons tenir compte de tous les renseignements qui nous sont communiqués.
Le sénateur Kinsella: Vous avez parlé des objectifs en matière de politique étrangère que le Canada pourrait attendre dans le cadre de ce traité particulier. J'aimerais qu'on parle des avantages que cela présente pour le Canada. Votre comparution ici, alors que nous sommes en train de discuter de la question de savoir si le Canada devrait ratifier la convention, est importante en soi. Elle permet de sensibiliser les Canadiens au fait qu'il existe un système régional de protection des droits de la personne dans les Amériques. Qu'est-ce que cela nous apporte sur le plan national?
Ne croyez-vous pas que si nous intensifions nos efforts, de concert avec d'autres pays, en vue d'expliquer l'importance des droits de la personne, les écoliers et les étudiants d'université vont en profiter?
Vous avez parlé de l'affaire Lovelace, que j'ai moi-même examinée. On a eu recours à un instrument international qui a eu un impact énorme à l'échelle nationale. Pouvez-vous nous dire comment nous pouvons promouvoir davantage le respect des droits de la personne au Canada en jouant un plus grand rôle au sein de l'OEA dans ce domaine?
M. Allmand: En ce qui a trait aux objectifs en matière de politique étrangère, toute intervention en faveur de la paix et de la stabilité régionales ne peut que nous aider. Nous voyons ce que donnent les atteintes profondes aux droits de la personne, que ce soit en Afghanistan, au Moyen-Orient ou à New York. Nous voyons comment cela peut nuire à la stabilité et à la paix dans le monde. Avoir un mécanisme et des institutions dans notre région qui font la promotion des droits de la personne ne peut que nous aider. Si nous pensons que le fait d'ériger un mur autour du Canada va nous protéger contre toute atteinte sérieuse aux droits de la personne, que ce soit dans les Amériques, au Moyen-Orient, en Afghanistan, en Yougoslavie ou ailleurs, nous nous trompons. Nous ne pouvons pas nous isoler des autres.
D'après les groupes de défense des droits des femmes, la solidarité avec d'autres groupes de femmes dans les Amériques — les Caraïbes, l'Amérique du Sud, l'Amérique centrale, le Mexique et les États-Unis — renforce le respect des droits de la personne. Nous tirons les enseignements de nos expériences respectives. Les groupes de défense des intérêts des femmes dans les Amériques veulent que nous fassions partie du système parce que la jurisprudence canadienne, comme l'arrêt Morgentaler et autres décisions sur les droits de reproduction des femmes, peuvent être citées devant la Commission et la Cour dans le système interaméricain. Nous pouvons les aider et en même temps renforcer notre système en tirant parti de leur savoir dans de nombreux domaines.
Il y a d'autres exemples. Lovelace et McIntyre se sont rendus à Genève pour plaider leur cause. La Cour interaméricaine, elle, est située dans les Amériques. Il est plus facile d'y avoir accès, puisque certaines institutions se trouvent à Washington, et d'autres, au Costa Rica. Si on devait y avoir recours, ce sont les Canadiens dans leur ensemble qui en profiteraient.
Le sénateur Kinsella: Vous avez parlé de votre travail avec les groupes de défense des droits des femmes au Canada. Si nous nous trouvons dans une impasse depuis 12 ans, c'est à cause, en partie, de certaines provinces.
Êtes-vous en mesure de collaborer avec les groupes de femmes dans les provinces, de les sensibiliser à l'importance de ratifier la convention, de les amener à exercer des pressions sur les gouvernements provinciaux pour qu'ils appuient la convention sans plus tarder?
Quelles sont les provinces qui estiment que le Canada devrait ratifier la convention, et quelles sont celles qui n'ont pas encore fait connaître leur position là-dessus? Le savez-vous?
M. Allmand: C'est une question qui me préoccupe. Nous avons écrit, il y a deux ans, à tous les ministres provinciaux. Nous en avons rencontré certains. Après nous avoir écoutés, ils nous ont dit qu'ils avaient exposé leur position au gouvernement fédéral, sauf qu'ils ne voulaient pas nous dire qu'elle était celle-ci.
Je trouve cela tout à fait inacceptable. Nous vivons dans une démocratie. Nous donnons des conseils au gouvernement fédéral, mais nous ne pouvons pas savoir quels conseils il reçoit des provinces. Nous ne pouvons pas non plus assister aux réunions comme observateurs.
Le sénateur Kinsella: Est-ce que vous faites allusion aux réunions du comité permanent qui est responsable des droits de la personne?
M. Allmand: Oui.
Le sénateur Kinsella: Il s'agit du Comité permanent des ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux qui sont responsables du respect des droits de la personne. Ce comité ne s'est pas réuni depuis douze ans.
M. Allmand: Il s'est réuni l'automne dernier, et nous avons demandé à assister à la réunion. En tout cas, le comité s'est réuni.
Le sénateur Kinsella: Est-ce que les ministres se sont rencontrés?
M. Allmand: Non.
Le sénateur Kinsella: Est-ce que le groupe des ministres s'est réuni au cours des 12 dernières années?
M. Allmand: Vous avez raison. Je parlais des fonctionnaires.
Le sénateur Kinsella: Les fonctionnaires se réunissent une fois par année, non pas deux, et les réunions sont secrètes.
M. Allmand: C'est exact.
Le sénateur Kinsella: Nous ne savons pas sur quoi portent les discussions, ou s'ils font des progrès.
M. Allmand: Exactement. En ce qui a trait aux organisations féminines, nous avons tenu une réunion d'un jour à Montréal, réunion à laquelle nous avons invité tous les principaux groupes de femmes et autres organismes qui tiennent à ce que la convention soit ratifiée. Nous avons eu de très bonnes discussions. Il y a eu des réunions de suivi. Mme Lessard peut peut-être vous parler des réunions de la Fédération des femmes du Québec et de l'ANFD, l'Association nationale de la femme et du droit.
[Français]
Mme Geneviève Lessard, coordonnatrice adjointe, Programme au développement démocratique: Le travail qui a été effectué auprès des mouvements pour la défense des droits de la femme au Canada s'est fait, dans un premier temps, principalement auprès des organisations nationales. Plus récemment, à la demande de la Fédération des femmes du Québec (la FFQ), le service aux collectivités de l'Université du Québec à Montréal a tenu une session de formation animée par le Dr. Lucie Lamarche. Cette session de formation s'adressait principalement aux groupes de femmes du Québec. Il s'agissait d'un projet pilote visant, dans un premier temps, à sensibiliser les groupes de femmes à la problématique du système interaméricain, à ses principaux instruments, à la dynamique de l'intégration économique en général et à la nécessité d'adhérer à ce système de droits de la personne interaméricain.
Prochainement, ces représentants des groupes de femmes québécoises auront la possibilité de recevoir une formation qui leur permettra d'offrir, à leur tour, de telles sessions d'information sur le système interaméricain.
Ce projet pilote n'est pas une de nos initiatives, mais nous l'avons toutefois appuyé. On l'a appuyé au Québec et nous espérons pouvoir faire de même dans les autres provinces dans l'espoir de susciter un intérêt chez les groupes de femmes et également chez les universités.
Le sénateur Kinsella: Ce groupe est-il entré en contact avec le gouvernement du Québec?
Mme Lessard: Des représentantes du Conseil du statut de la femme étaient présentes lors de la séance de formation. Pour le moment, les groupes de femmes ne sont pas prêts à faire un lobby directement au niveau des juridictions provinciales pour la ratification. Elles en sont présentement à l'étude du système interaméricain et à l'étude des risques et possibilités.
Nous parlions tout à l'heure des possibilités en matière des droits de la personne pour les Canadiens et Canadiennes. À ce sujet, si le Canada ratifiait la Convention américaine des droits de l'homme appuyé d'une solide déclaration interprétative à l'élaboration de laquelle les groupes canadiens de femmes auraient participé, s'il y avait de la transparence, si les groupes de femmes étaient impliqués dans cette discussion et qu'on avait ces déclarations interprétatives, on pourrait justement renforcer les droits de la femme au Canada et surtout en Amérique latine. En effet, toutes les femmes de l'Amérique latine pourraient bénéficier de l'interprétation canadienne.
Le sénateur Kinsella: Savez-vous si le gouvernement du Québec a pris une décision définitive?
Mme Lessard: Comme M. Allmand l'a mentionné, les provinces nous renvoient au gouvernement canadien. En d'autres mots, on se renvoie la balle. C'est ni plus ni moins un jeu de cache-cache. On ne sait pas exactement quelle province a quelle objection. On n'obtient que des bribes d'information à travers les conversations.
Le sénateur Kinsella: Je me souviens, lorsque nous étions dans la même situation, avant la ratification des pactes internationaux, le gouvernement du Québec est celui à avoir fait les études les plus sérieuses parmi les gouvernements des autres provinces canadiennes. Le Québec a fait une étude approfondie sur les pactes internationaux des Nations Unies.
Si cette initiative a été prise par le gouvernement du Québec, il serait intéressant de savoir si le gouvernement du Québec a déjà donné son appui à une ratification. S'il y a seulement le gouvernement du Canada qui ne désire pas faire la ratification, les parlementaires peuvent intervenir, mais actuellement, nous n'avons aucun renseignement.
[Traduction]
M. Allmand: Nous avons invité des spécialistes de l'Amérique latine à la séance de formation qui a lieu à l'Université du Québec, à Montréal. Une d'entre elles nous a expliqué pourquoi les Canadiennes devaient, à son avis, appuyer la convention. L'Association nationale de la femme et du droit a tenu, récemment, une conférence à laquelle ont participé des femmes de toutes les régions du pays. Quatre représentantes de notre groupe, y compris Mme Lessard et la présidente du conseil, Kathleen Mahoney, de Calgary, y ont assisté. La Fédération des femmes du Québec et l'Association nationale de la femme et du droit examinent de près la question de la ratification.
[Français]
Aie-je raison?
Mme Lessard: Oui. L'Association nationale de la femme et du droit s'est penchée sur la Convention Belem do Para sur la violence faite aux femmes, la Convention américaine des droits de l'Homme et le système en général dans une série d'ateliers. Évidemment, la position viendra plus tard, mais on sent qu'il y a un intérêt à pousser plus loin l'étude du système interaméricain du côté des groupes de femmes canadiens.
[Traduction]
La présidente: Les deux associations vont comparaître devant nous.
[Français]
Le sénateur Ferretti Barth: Lorsque vous parlez de la déclaration interprétative, vous parlez surtout de l'Association nationale des femmes au Québec.
Les autres associations des autres provinces canadiennes travaillent-elles en concertation avec le Québec? Sont-elles des cellules isolées les unes des autres où il y n'a aucune coordination? Qu'allons-nous avoir comme résultat final?
M. Allmand: À cette réunion que nous avons eu à Montréal il y a un an, nous avons invité plusieurs associations de femmes, dont la NAC — nous en avons une liste. Plusieurs organisations nationales étaient présentes, dont la Fédération des Femmes du Québec. Plusieurs autres réunions se sont tenues par la suite avec les groupes nationaux et du Québec. Une session de formation s'est tenue également à l'Université du Québec à Montréal.
Je comprends aussi que les femmes de langue anglaise d'autres provinces ont manifesté le désir d'avoir une conférence de formation de ce genre en langue anglaise tenue dans les autres provinces. Il en va de même pour les groupes nationaux et les groupes dans les autres provinces.
Le sénateur Ferretti Barth: Si on obtient un consensus chez toutes les associations nationales des femmes à travers le Canada, nous aurons une force énorme. Mais si nous ne faisons que de petites choses à gauche et à droite, d'ici deux ou trois ans nous en seront encore là.
La première chose serait de sensibiliser les groupes de femmes à se réunir et former une fédération nationale canadienne représentant les volontés de la femme. Sans quoi nous n'arriverons jamais à appuyer les suggestions concernant la question de la femme.
M. Allmand: Notre but n'est pas de forcer la création d'une fédération mais d'obtenir un consensus sur la question. Cependant, nous ne sommes qu'aux premières étapes de ce programme. Un progrès énorme a été réalisé depuis que nous avons entamé cette campagne. Entre autres, des conférences de formation sont présentement offertes. J'espère pouvoir arriver à de bons résultats.
Votre comité aura justement la chance d'entendre ces groupes prochainement.
[Traduction]
Le sénateur Joyal: J'aimerais poser une série de questions. Certaines ont trait au principe du respect des droits de la personne que nous essayons de mettre en oeuvre dans ces instruments internationaux. D'autres portent sur des sujets plus précis. C'est en 1990 que le Canada est devenu membre de l'OEA — et je sais que vous étiez un des députés de l'autre endroit qui militait en faveur de cela. Est-ce que le Canada, au moment de son adhésion, a fait une déclaration sur la convention interaméricaine relative aux droits de la personne?
La deuxième question porte sur les Autochtones. Comme vous le savez, le sommet des Amériques sur les Autochtones a eu lieu en Colombie, en Amérique du Sud. Y a-t-il des groupes autochtones au Canada — et je pense à l'Assemblée des premières nations — qui ont fait des démarches auprès du gouvernement du Canada pour qu'il ratifie les instruments interaméricains des droits de la personne, au motif que cela leur permettrait de faire adopter les traités internationaux sur lesquels ils travaillent depuis de nombreuses années?
Troisièmement, quand le gouvernement fédéral veut déposer une loi ou signer une entente dans un domaine de compétence partagée comme les droits de la personne — et notamment la propriété et les droits civils, qui sont énoncés à l'article 92 de la Loi constitutionnelle — les provinces ont une responsabilité en la matière. Toutefois, le gouvernement fédéral peut intervenir dans sa propre sphère de compétence. Vous avez parlé de la déclaration d'interprétation. Avez-vous préparé un libellé que nous pouvons examiner, afin de voir si le gouvernement fédéral peut signer les instruments, à la condition que les provinces donnent leur accord?
Ma dernière question porte sur les valeurs fondamentales que nous essayons de promouvoir au Canada. Le premier ministre s'est rendu en Afrique le mois dernier. Si les pays africains veulent profiter au maximum du commerce et des échanges avec les huit pays les plus développés au monde, ils doivent apporter des améliorations dans deux domaines, soit la gestion publique et les droits de la personne. Les dirigeants africains ont dit qu'ils avaient signé un projet conjoint de protocole sur la gestion publique, et qu'ils seraient en mesure d'apporter des changements à ce chapitre. Toutefois, ils ont dit que les droits de la personne était un sujet tabou. Autrement dit, cela ne regarde personne.
C'est étrange de voir que pendant que nous menons les négociations sur un accord de libre-échange avec l'Amérique du Sud, nous refusons d'adhérer à un instrument international de protection des droits de la personne dans cette partie du monde. En tant que pays, nous croyons qu'il est plus facile d'assurer l'intégration économique en adoptant une certaine approche conjointe à l'égard des droits fondamentaux de la personne et des questions environnementales. Vous vous souviendrez des discussions sur le libre-échange avec les États-Unis et le Mexique, il y a 10 ou 15 ans. Nous devons rationaliser nos discours à l'échelle internationale. Nous ne pouvons pas accepter qu'un groupe de pays profite des avantages du libre-échange et, en même temps, dire que nous n'avons pas besoin d'un instrument de protection des droits de la personne pouvant exister avec une autre partie du monde. Le message subliminal est que nous avons une meilleure approche.
Il y a maintenant un argument de taille que nous ne pouvions invoquer voilà 10 ans. Cet argument doit être approfondi. En tant que pays, nous devons adopter une approche internationale à l'égard des droits de la personne dans le contexte de la mondialisation.
M. Allmand: En 1990, le très honorable Joe Clark avait fait une déclaration à l'occasion de l'entrée du Canada dans l'OEA. Je n'ai pas cette déclaration ici, mais elle disait qu'il continuerait de chercher à intégrer le Canada dans le système interaméricain des droits de la personne.
On pourrait retrouver cette déclaration. Elle est peut-être dans le hansard et date de l'époque où le projet de loi avait été adopté. Le premier ministre d'alors avait fait cette déclaration, puis il y a eu d'autres événements. Le gouvernement a changé et, pour une raison quelconque, on a abandonné l'idée d'adhérer au système interaméricain des droits de la personne.
Pour ce qui est des questions indigènes, autant que je sache, ni l'Assemblée des premières nations ni aucun autre groupe autochtone canadien n'a émis quelque recommandation que ce soit au sujet de la ratification.
La Cour interaméricaine des droits de l'homme n'a rendu son jugement sur le Nicaragua qu'en août dernier. On nous a demandé de fournir des renseignements à ce comité sur cette décision, ce que nous ferons. Les groupes autochtones canadiens ne s'intéressent que depuis peu à cette question. On verra bien ce qui va se passer.
À propos du partage des compétences, vous avez raison. Les droits de la personne relèvent à la fois du fédéral et des provinces. Quand il faut négocier un traité concernant les droits de la personne, le gouvernement fédéral consulte les provinces.
Dans le cadre de ces consultations, si le fédéral veut ratifier un traité, il invoque de solides arguments en sa faveur. C'est ce qu'il a fait pour la Convention relative aux droits de l'enfant. Le gouvernement fédéral s'était montré si ferme qu'il a obtenu ce qu'il voulait. La même chose s'est produite avec le document relatif à l'élimination de la discrimination envers les femmes.
Lorsque le gouvernement fédéral considère qu'il y des raisons de politique étrangère ou intérieure importantes justifiant la signature d'un traité, même si les gens ne descendent pas dans la rue, il peut juger essentiel de jouer un rôle à part entière. Il examine ensuite la question avec les provinces. Beaucoup d'entre elles se rallient à la cause du gouvernement fédéral quand elles entendent ses arguments.
Je suis d'accord avec vous sur la question des valeurs fondamentales. Lorsqu'on examine l'énoncé de politique étrangère du gouvernement fédéral élaboré en 1995 — juste après l'accession au pouvoir de l'actuel gouvernement libéral et à l'époque où M. Axworthy était ministre des Affaires étrangères — on voit que l'une des grandes priorités était la défense des droits de la personne dans le monde. Le Canada avait adopté une position très ferme lors de la Conférence mondiale sur les droits de la personne qui s'était tenue à Vienne, en 1993. La première recommandation de la déclaration disait que l'obligation première des États est de protéger les droits de la personne.
Il y en a, parmi nous, qui essaient de dissuader des pays comme la Trinité et le Pérou de se retirer de l'OEA. Les Péruviens sont vraiment pour, maintenant. Il est parfois difficile de les convaincre. Ils pourraient nous dire: «Monsieur Allmand, ne nous demandez pas de rester au sein d'une organisation dont votre pays ne fait même pas partie.»
Je suis complètement d'accord avec vous quand vous dites que nous devons essayer de promouvoir les valeurs fondamentales dans les Amériques, en Afrique et en Asie. Les valeurs internationales de protection des droits de la personne définies dans la Déclaration universelle constituent la pierre angulaire de la politique étrangère du Canada. Jouer un rôle partiel, adhérer à l'OEA sans intégrer le système, c'est incohérent.
Le gouvernement fédéral n'a pas dit qu'il refusait de se rallier au système des droits de la personne de l'OEA. Il n'a simplement pas encore pris de décision à ce sujet. Vous dites qu'il est contre l'adhésion de notre pays à cette organisation. Pour être juste, il n'a rien dit de tel, mais il est vrai qu'il n'est pas allé de l'avant et qu'il n'a pas encore décidé d'y adhérer.
[Français]
Le sénateur Joyal: Avez-vous une déclaration interprétative qui pourrait être attachée à la ratification du projet?
M. Allmand: Oui, mais on doit comprendre que c'est un travail en progrès.
[Traduction]
Ce n'est pas la version définitive car nous consultons encore des groupes de femmes, entre autres, au sujet de la censure préalable du protocole d'entente, et cetera. Ces groupes semblent satisfaits. Nous pourrons vous envoyer, en même temps que notre documentation, la déclaration d'interprétation. Nous en avons discuté avec des spécialistes internationaux à l'Université de Toronto et dans d'autres régions du Canada. Nous n'agissons pas seuls.
La présidente: Nous n'avons pas fini d'examiner le dossier, alors si vous travaillez encore sur ce document, vous pourriez peut-être vous entendre avec le greffier pour nous le remettre quand nous en aurons besoin.
M. Allmand: Nous pouvons vous le donner maintenant, mais ce n'est pas la version finale. Ainsi, vous aurez une idée de ce que l'on peut faire.
[Français]
Mme Lessard: J'aimerais ajouter que l'Association nationale de la femme et du droit travaille aussi au développement d'une déclaration interprétative. Des discussions subséquentes auront lieu afin que l'on puisse s'entendre, comme vous l'avez proposé, sur une déclaration unique.
[Traduction]
La présidente: Monsieur Allmand, pour terminer, j'aimerais poser deux questions. Tout d'abord, vous avez dit qu'il est important, d'un point de vue de politique étrangère, de faire partie du Système interaméricain des droits de la personne. Quelqu'un a déclaré, devant ce comité, que la convention présentait quelques problèmes car elle était ancienne et que sa formulation n'était pas adaptée. C'est ce que vous avez entendu, je pense. Par conséquent, si le Canada devait signer une convention avec des réserves ou en émettant des déclarations, appelez cela comme vous voulez, ce serait un mauvais exemple pour le reste du monde, parce que tous les pays qui ne veulent pas respecter les droits de la personne n'auraient qu'à émettre des tas de réserves. Je demande à ce témoin s'il est pire de ne pas signer une convention ou de donner l'impression qu'on peut accepter ou refuser d'adhérer à une telle convention dans une région donnée, pour faire partie ou non d'un réseau de protection des droits de la personne?
Ma question est la suivante: quand allez-vous essayer de promouvoir le commerce, une saine gouvernance et de bonnes pratiques dans les Amériques? Est-ce mieux de refuser de signer une convention qui présente des difficultés ou de la signer avec des réserves?
M. Allmand: Soit dit en passant, l'argument selon lequel il s'agirait d'une vieille convention — et nous n'étions pas là lorsqu'elle a été négociée — est un argument creux. Nous n'étions pas là aux débuts de l'OEA. Nous sommes arrivés longtemps après qu'elle ait été créée et qu'elle ait adopté sa convention. D'ailleurs, le traité de l'OEA a adopté une déclaration des droits de la personne que nous sommes tenus de respecter en tant que membre, et nous n'avons pas fait valoir cet argument. Nous n'avons pas dit que nous ne pouvions pas adhérer à l'OEA, que nous n'étions pas là au début et que c'est une vieille déclaration. Je pourrais vous donner d'autres exemples.
Dans l'ensemble, la Convention américaine relative aux droits de l'homme présente de nombreuses dispositions positives. Elle est assez conforme à la Déclaration universelle. Certains articles, toutefois, sont légèrement différents. Je continue de réfuter totalement le fait que nous ayons besoin d'émettre un grand nombre de réserves. Certains disent que ces réserves sont nécessaires aux chapitres de l'extradition et des prisons, ce qui est faux, et cetera. Si vous invitez des experts de l'OEA et de la Cour interaméricaine des droits de l'homme, ils vous confirmeront ce que je viens de dire. Si vous leur demandez si l'exclusion de nationaux contredit notre mécanisme d'extradition, ils vous diront ce qu'ils en pensent. Ils vous répondront: «Non, il s'agit d'objections mythologiques, et nous n'avons pas besoin d'émettre des réserves pour cela.» Ce dont on a besoin, c'est d'une déclaration d'interprétation qui couvre l'article 4 et d'un protocole d'entente sur l'article 13, mais pas de réserves. Nous maintenons qu'aucune réserve n'est nécessaire. Il y a beaucoup plus d'arguments, pour en revenir à votre question, qui nous poussent à signer et à jouer pleinement un rôle au sein des Amériques.
L'autre argument que l'on peut invoquer, c'est que le Canada joue déjà un rôle très positif au sein du Système interaméricain, sans pour autant y avoir adhéré. C'est vrai. C'est la raison pour laquelle beaucoup d'ONG et de petits gouvernements peu influents veulent que le Canada en fasse pleinement partie. Nous faisons preuve d'un certain leadership, mais nous restons à mi-chemin. C'est comme si un pays d'Europe disait: «Nous soutenons le système européen des droits de la personne, mais nous ne voulons pas y adhérer. Nous restons en marge et nous vous aiderons quand nous le pourrons.» Ce serait ridicule. Nous n'allons pas jusqu'au bout, pour une raison ou pour une autre, et nous n'avons pas besoin d'une pile de réserves.
La présidente: Je tiens à vous remercier, tous les deux, d'avoir comparu devant nous cet après-midi. Comme d'habitude, vous n'avez laissé personne indifférent et vos témoignages se sont révélés fort utiles.
Nous passons maintenant à notre prochain témoin. On a distribué des copies du curriculum vitae du professeur Cassel.
Bienvenue, monsieur Cassel à cette audience et au Canada. Je vous demanderais de nous présenter votre exposé. Nous passerons ensuite aux questions.
[Français]
M. Douglas Cassel, directeur, Centre des droits de la personne internationaux, Université Northwestern, Illinois: C'est un grand honneur pour un citoyen des États-Unis d'être au Parlement du Canada et de pouvoir parler sur la Convention américaine des droits de l'homme et la Cour interaméricaine des droits de l'homme.
Si vous me le permettez, j'aimerais parler en anglais puisque mon français n'est pas très bon.
[Traduction]
C'est un grand honneur, pour quelqu'un qui n'est ni résident ni citoyen canadien, de comparaître devant vous aujourd'hui pour discuter d'un sujet aussi important. Aucun pays ne peut se prévaloir plus que le Canada d'être à l'avant-garde des mouvements de défense de la dignité humaine dans le monde, en ce début de XXIe siècle. Pour un spécialiste des droits internationaux de la personne, c'est vraiment un grand honneur d'être ici.
Vous verrez, à la lecture de mon CV, que j'ai occupé différents postes, au sein d'institutions, entre autres. J'ai été notamment conseiller juridique externe auprès du Département d'État américain sur la convention américaine et sa ratification par les États-Unis. J'ai également dirigé le groupe de travail de l'American Bar Association qui s'est penché sur la question et a présenté ses recommandations à la Maison-Blanche. Par ailleurs, j'aimerais insister sur le fait que les remarques que je vous livre aujourd'hui sont strictement personnelles.
J'aimerais aborder trois questions. Premièrement, celle de l'importance du Système interaméricain des droits de la personne et, en particulier, de la Cour interaméricaine des droits de l'homme en Amérique latine; deuxièmement, celle de l'importance de la participation canadienne dans le processus, en vue de renforcer, de défendre et de soutenir ce système; et enfin, dire qu'une fois que la convention américaine sera comprise et interprétée correctement, il ne devrait pas être nécessaire, pour un pays ayant une tradition inspirée de la common law, d'émettre beaucoup de réserves.
Parlons donc, pour commencer, de l'importance du Système interaméricain des droits de la personne et de la Cour interaméricaine. Je me concentrerai sur la Cour. Je fais cela en partie parce que j'ai lu les transcriptions de la première audience, il y a environ un mois. Il m'a semblé qu'il serait peut-être utile de parler de certaines des réalisations de la Cour interaméricaine dans le système.
J'ai remis au greffier deux tableaux; l'un d'eux dresse la liste de toutes les affaires litigieuses sur lesquelles s'est prononcée la Cour depuis 1988 jusqu'à nos jours. Le deuxième tableau montre la participation des pays des Amériques, comme membres du tribunal et comme accusés. Ces documents vous sont remis uniquement à titre indicatif.
La première chose qu'il faut dire pour comprendre la réussite et les accomplissements de la Cour, c'est qu'elle a une courte histoire. Elle a rendu sa première décision il y a à peine 14 ans. Plus de la moitié des affaires traitées ont connu une issue au cours des quatre dernières années. Elle a rendu 32 jugements au total. Actuellement, il y a encore sept affaires sur lesquelles elle ne s'est pas prononcée et beaucoup d'autres qui lui seront présentées prochainement. Il s'agit d'affaires litigieuses.
Le deuxième point à souligner, c'est que la plupart des affaires traitées par la Cour interaméricaine concernent des questions de vie et de mort, des exécutions extrajudiciaires, des disparitions et des cas de torture. Il s'agit d'affaires très importantes, tant du point de vue des individus impliqués que des règles de droit. La Cour examine maintenant d'autres affaires liées à la liberté d'expression et aux droits territoriaux des indigènes, entre autres. C'est une bonne chose, mais il faut encore défendre le droit à la vie en Amérique latine.
Dans ces 32 affaires jugées et dans 70 autres qui n'apparaissent pas ici, pour lesquelles le tribunal a ordonné des mesures de protection d'urgence, la Cour a fait beaucoup pour les droits de la personne, à mon avis, directement. Elle a sauvé des vies et en sauve encore, elle a libéré des prisonniers qui avaient été incarcérés et détenus à tord et elle a ordonné le paiement de millions de dollars d'indemnisation aux veuves, aux enfants et aux autres survivants de victimes de violations des droits de la personne.
Bien que 32 ne semblent pas être un chiffre très important, nous devons comprendre que ces 32 affaires touchent et se répercutent sur plus de personnes. Par exemple, il y en a une qui se rapporte aux émeutes qui ont eu lieu à Caracas, au Venezuela, en 1989 après la réduction des subventions à l'alimentation. Une cinquantaine de personnes ont été tuées. Ces cinquante personnes sont regroupées dans un dossier. Toutes leurs familles sont les bénéficiaires des indemnités qui ont été attribuées dans ce procès. Dans l'affaire du Nicaragua, au sujet des droits territoriaux des peuples autochtones, dont il a été question plus tôt, la Cour a demandé au gouvernement du Nicaragua de modifier ses lois territoriales au sujet des «Autochtones», ce qui sera bénéfique à toute la population autochtone du Nicaragua. Dans l'affaire du Panama, au sujet de la réduction injustifiée des pensions des fonctionnaires, 270 personnes participent à cette plainte. Ce chiffre de 32 est donc trompeur, parce qu'il touche beaucoup plus de personnes que cela.
Les décisions de la Cour ont encore plus d'effets indirects que cela. Tout d'abord, elle exige des réformes des lois. Le décret d'amnistie péruvien, qui prévoyait une amnistie pour les atrocités commises au Pérou, a dû être révoqué sur ordre de la Cour. Les lois du Pérou qui permettent le recours aux tribunaux militaires pour la tenue de procès injustes de personnes soupçonnées de terrorisme ont dû être modifiées à la suite de décisions de la Cour. La loi chilienne qui permettait la censure des films de cinéma a dû être modifiée à la suite d'une décision de la Cour. Je pourrais citer bien d'autres exemples.
La réforme de la loi a donc un effet multiplicateur. Au-delà de la loi, les décisions de la Cour ont souvent une profonde incidence en raison de leur teneur. Par exemple, dans l'affaire du tribunal constitutionnel, la Cour interaméricaine a ordonné que trois magistrats du Pérou qui avaient été injustement congédiés soient rétablis dans leurs fonctions auprès du tribunal constitutionnel. Ceci transmet un ferme message de soutien de l'indépendance de l'organe judiciaire et de la primauté du droit, non seulement au Pérou mais partout ailleurs où un dictateur pourrait penser pouvoir jouer avec la composition de l'organe judiciaire.
Au Pérou encore, la Cour a ordonné que M. Ivcher, qui s'était injustement fait retirer le contrôle du contenu des émissions d'une chaîne de télévision pour avoir diffusé des reportages sur la torture et la corruption, soit rétabli dans ses fonctions, ce qui a consolidé les institutions de la presse libre. Les effets indirects des décisions de la Cour sont extrêmement importants.
Ces décisions créent aussi des précédents, tant à l'échelle nationale qu'internationale. De plus en plus, depuis une dizaine d'années, les cours suprêmes et constitutionnelles de l'Amérique latine citent la jurisprudence de la Cour interaméricaine et s'en inspirent pour interpréter leurs propres actes constitutionnels et la Convention américaine sur les droits de l'homme, dont ils sont tous maintenant signataires.
Enfin, les précédents que crée la Cour interaméricaine font jurisprudence en droit international. Sa toute première décision, dans l'affaire Velásquez Rodríguez, au sujet de disparitions au Honduras, en 1988, a transformé le droit international et a été adoptée par la Cour européenne des droits de l'homme et par le Comité des droits de l'homme des Nations Unies. Tout porte à croire, aussi, que sa récente décision, sur les droits territoriaux des peuples autochtones du Nicaragua, aura aussi des répercussions à l'échelle mondiale.
Le tribunal a réussi tout cela tout en faisant preuve d'une incroyable efficacité par rapport au coût. Le budget intégral de la Cour interaméricaine des droits de l'homme se chiffre maintenant à moins de 1,5 million de dollars par année. L'année dernière, la Cour a pu se réunir cinq fois, chaque réunion durant une dizaine de jours. La Cour a réussi tout cela tout en acquérant la reconnaissance des États. Comme vous le constaterez d'après les documents que je vous ai remis sur la participation des États, la Cour a petit à petit pu convaincre de plus en plus de pays américains de se joindre à ses membres. Il faut souligner qu'en 1998, les deux plus grands pays de l'Amérique latine, le Brésil et le Mexique, en sont devenus membres. Ceci acquiert à la Cour un statut largement universel en Amérique du Sud continentale et en Amérique centrale, parmi les pays hispanophones et d'expression portugaise.
Le rendement de la Cour, au titre du respect de ses décisions, se compare favorablement à celui des tribunaux nationaux, y compris de la Cour suprême des États-Unis. Le degré et le délai d'exécution de ses décisions dépendent du type de mesures qu'elle a ordonnées. En ce qui concerne des rétributions monétaires et des versements d'indemnisations, pour toutes les affaires terminées, il y a eu respect en substance de ses décisions — une réussite de 100 p. 100. Il reste des dossiers encore en suspens.
Pour ce qui est de la libération de prisonniers, la Cour a une fiche parfaite. Tous les prisonniers dont elle a ordonné la libération ont été libérés.
Quant à l'annulation de décrets injustifiés de tribunaux — soit parce que des victimes étaient injustement inculpées de violations de droits de la personne ou que les auteurs de telles violations étaient injustement absous — la Cour n'a pas une fiche parfaite, mais elle est néanmoins assez bonne. C'est encore en progrès, et peut-être deviendra-t-elle parfaite.
Il y a deux domaines où la Cour continue d'éprouver des difficultés au titre de la conformité, mais ce sont des domaines qui poseraient des problèmes à n'importe quel tribunal national, y compris à la Cour suprême des États- Unis. C'est, d'abord, lorsque la Cour ordonne une réforme des lois. Cela prend du temps. Il faut réussir à convaincre des organes comme celui-ci et comme le Parlement du Canada dans son ensemble — vous pouvez imaginer l'ampleur de la tâche dans chaque pays. Lorsque la Cour ordonne l'entreprise de réformes législatives, il y a un dialogue continu entre la Cour, le gouvernement et le Parlement de chaque pays. Cela prend du temps, mais d'importantes réformes législatives ont été réalisées à la suite de décisions de la Cour, et il y en aura d'autres.
L'autre domaine dans lequel la Cour ordonne des mesures de redressement est celui où elle commande aux États d'effectuer des enquêtes criminelles et de poursuivre ses propres militaires, policiers et autres fonctionnaires responsables de massacres, de disparitions et de tortures. C'est encore une démarche difficile parce que, souvent, le gouvernement n'est pas habilité à poursuivre ses propres militaires. Le gouvernement, les poursuivants et les tribunaux font un gros effort, et les tribunaux les aiguillonnent pour qu'ils maintiennent cet effort, mais ce n'est pas un domaine où la plupart des gouvernements de l'Amérique latine peuvent simplement faire une courbette devant la Cour et dire «Oui, nous allons mettre ce général en prison.» La Cour est un facteur positif, qui pousse les gouvernements à faire leur devoir sur ce plan. Elle a une excellente fiche au titre du respect de ses jugements, étant donné la nature des mesures de redressement qu'elle a commandées et elle apporte une contribution précieuse aux droits de la personne et à la règle de droit en Amérique latine.
En quoi la participation du Canada à la Cour interaméricaine des droits de l'homme et à la Convention américaine relative aux droits de l'homme serait-elle importante? Je ne parlerai pas des répercussions que cela pourrait avoir au Canada même, d'autres que moi, dont chacun de vous, à cette table, est plus qualifié que moi pour en parler. Cependant, pour ce qui est des répercussions sur l'Amérique latine, la participation du Canada, un leader reconnu à l'échelle mondiale en matière des droits de la personne, ajouterait un poids diplomatique et du prestige à la Cour interaméricaine, ce qui stimulerait son efficacité.
M. Allmand a donné un exemple concret, tout à l'heure, pour l'illustrer. Lorsque le régime Fujimori, au Pérou, défiait la Cour, quand il prétendait pouvoir s'en soustraire légalement, il aurait été utile que le Canada soit membre de la Cour pour participer à cette lutte diplomatique, plutôt que de laisser à Fujimori le loisir de pouvoir dire: «Je ne fais que prendre une place où se trouve déjà le Canada.»
Deuxièmement, le Canada, en tant que pays développé, ajouterait beaucoup à la capacité matérielle de la Cour. Elle a maintenant un fonds volontaire pour recevoir les contributions que peuvent faire les gouvernements en plus de leur cotisation à l'OEA. Si le Canada décidait de verser à la Cour un chiffre qui me semble être tout à fait dans les moyens du pays — 6 millions de dollars — son budget serait quintuplé. Ce serait une contribution d'envergure à la capacité de la Cour de faire le genre de choses dont j'ai parlé tout à l'heure.
Troisièmement, la participation du Canada serait aussi importante parce qu'alors, en tant que signataire de la Convention, vous pourriez désigner des Canadiens à des postes de juges de la Cour. Ce serait une contribution qui pourrait avoir une importance phénoménale pour la jurisprudence de la Cour, à la fois dans le sens du renforcement de son engagement envers la protection des droits de la personne, qui est déjà très fort, et dans celui de l'apport d'une perspective élargie, fondée sur la common law, dans la jurisprudence de la Cour. Celle-ci vient actuellement du juge des Caraïbes et auparavant du juge des États-Unis, Tom Buergenthal, qui a siégé pendant 12 ans à la Cour après y avoir tout d'abord été nommé par le Costa Rica, et ensuite par la Colombie. Ce n'arrivera plus; c'était pour attirer les États- Unis à la Cour. Cela n'a pas fonctionné. Aucun autre citoyen américain ne peut espérer siéger à la Cour. Cependant, il serait fantastique d'y avoir un Canadien.
Quatrièmement, la participation du Canada contribuerait aussi à stimuler la participation des États-Unis à la Convention américaine. J'ai fait une présentation, tout comme M. Allmand et d'autres personnes, lors d'une réunion d'experts convoqués par l'OEA à Washington, au sujet de la ratification de la Convention américaine. J'y ai souligné que, deux fois depuis 10 ans, l'administration Clinton a été à un cheveu d'envoyer la Convention américaine au Sénat aux fins de ratification. Chaque fois, elle a échoué en raison de la conjoncture politique du moment, mais le fait est que la ratification par les États-Unis de la convention américaine n'est pas hors de question. Elle n'est certainement pas une priorité pour l'administration actuelle, mais il pourrait y avoir un autre gouvernement dans quatre ans, qui sait?
L'un des arguments que j'entends sur la Colline, à Washington, est le suivant: «Pourquoi les États-Unis voudraient- ils se joindre à cette organisation? Si un grand supporteur des traités de protection des droits de la personne comme le Canada ne s'y joint pas, c'est qu'il y a quelque chose qui cloche.» En éliminant cet argument et en donnant l'exemple, le Canada pourrait aussi éventuellement — et par «éventuellement», je veux dire dans quatre ou huit ans — contribuer à inciter les États-Unis monter à bord aussi. Ce serait une bonne chose.
En ce qui concerne mon troisième argument, au sujet des réserves, je ne suis pas expert de la loi canadienne. Il serait présomptueux de ma part de parler des réserves que le Canada devrait émettre. Je ne me propose pas de le faire. Cependant, je connais bien la Convention et la jurisprudence de la Commission de la Cour. J'ai eu des discussions parallèles sur les réserves, tant avec l'American Bar Association qu'avec le ministère d'État, sur une période de quelques années.
Je peux dire aux honorables sénateurs qu'à ce que je conclus, même aux États-Unis, il n'y aurait pas besoin d'une longue liste de réserves. La liste est trop longue, malheureusement, certainement trop longue selon les normes canadiennes. Cependant, bien que je ne puisse divulguer ici le contenu de communications confidentielles avec le gouvernement américain, je peux parler des trois réserves que je recommanderais au gouvernement américain.
La première se rapporte à la peine de mort, et par conséquent, ne serait pas un problème pour le Canada. La deuxième est au sujet de la ségrégation des prisonniers juvéniles d'avec les adultes, et ça ne devrait pas être nécessaire au Canada, d'après ce qu'a dit M. Allmand. La troisième réserve touche à la liberté d'expression, et cela couvrirait les articles 13 et 14. Aux États-Unis, en vertu de la jurisprudence de la Cour suprême des États-Unis, il y a des limites constitutionnelles à la mesure dans laquelle l'État peut obliger un journal ou une chaîne de télévision à diffuser une réponse. La réserve, en ce qui touche la liberté d'expression, couvrirait les deux articles et formerait une réserve unique.
Il y a quatre perspectives pour les États-Unis. La première est semblable qu'à celle qu'a proposée M. Allmand, au sujet de l'avortement; c'est une perspective interprétative. La deuxième se rapporte au phénomène de l'antichambre de la mort qui, et je suppose que la question ne se poserait pas au Canada. La troisième touche à la ségrégation des prisonniers accusés de ceux qui sont reconnus coupables, et je présume que ce ne serait pas un problème au Canada et, franchement, cela ne devrait pas l'être non plus aux États-Unis. La quatrième est peut-être proposée aux États-Unis pour des motifs politiques, mais elle n'est pas légalement nécessaire.
Si on regarde les réserves et les perspectives des États-Unis, si ce n'était pas pour les enjeux politiques liés à la peine de mort, les réserves se limiteraient, en fait, à une seule sur la liberté d'expression et une autre sur la perspective interprétative de l'avortement.
Il faudrait alors prévoir deux déclarations limitatives qui, malheureusement, seraient nécessaire, au moins dans le contexte politique actuel aux États-Unis. La première est que le traité ne s'applique pas automatiquement, et c'est une honte pour nous. Il ne devrait pas en être ainsi mais, malheureusement c'est devenu la pratique de notre Sénat. J'espère que ce ne serait pas le cas au Canada. La deuxième déclaration potentiellement limitative soulignerait que la ratification par les États-Unis est conditionnelle à l'acceptation de ses réserves. Là encore, cela reflète une attitude américaine curieuse qui, je l'espère, ne sera pas celle du Canada.
En deux mots, sans prétendre analyser la loi canadienne, et bien que la décision relève de toute évidence du Canada, qui doit agir selon son propre contexte, je serai étonné que le Canada ait besoin de formuler une longue liste de réserves et de perspectives.
Finalement, s'il y avait le moindre doute sur une réserve particulière ou une perspective, comme sur l'avortement, le Canada, en tant que membre de l'OEA, a le droit de demander un avis consultatif de la Cour interaméricaine afin qu'elle puisse clarifier une question avant que le Canada ne ratifie le traité. J'espère qu'une telle mesure ne sera pas nécessaire, parce que l'obtention d'un avis consultatif peut prendre deux ans. Cela pourrait retarder votre ratification. Cependant, si l'alternative serait de continuer de vivre sous un nuage qui fait obstacle à la ratification, cette solution pourrait permettre d'ouvrir l'impasse s'il le fallait absolument.
Encore une fois, merci beaucoup de m'avoir donné le privilège et l'honneur de comparaître devant le Comité des droits de la personne du Sénat du Canada.
La présidente: Avant de laisser la parole à d'autres membres, avez-vous des commentaires sur la relation entre la Commission et la Cour et son fonctionnement? Vous nous avez donné un bon aperçu de la Cour d'une époque récente, et c'est sur quoi nous devrions nous fier. Quelle est la position de la Commission maintenant?
M. Cassel: La Commission et la Cour coopèrent beaucoup plus maintenant et, par conséquent, fonctionnent généralement plus efficacement. Elles ont toutes les deux récemment modifié leurs règlements. Je vais vous en donner des exemples.
Tout d'abord, la Commission présume maintenant que tous les dossiers seront référés à la Cour. Il y a certains types d'affaires que n'iront pas jusqu'à la Cour, mais la présomption veut maintenant que tous les dossiers aillent jusqu'à elle. Cela signifie que la Cour aura beaucoup plus à faire dans le futur.
Deuxièmement, comme elle le reconnaît, la Cour a modifié son règlement pour donner beaucoup plus de poids et de foi aux conclusions de fait de la Commission afin de minimiser de multiplier inutilement les audiences des faits devant la Cour.
La Cour a aussi conçu divers mécanismes, dans ses procédures, de manière qu'un seul juge puisse entendre certains témoignages et en faire le compte-rendu à la Cour plutôt que d'obliger les sept juges à siéger ensemble, ou pour assigner un expert qui recueille certaines preuves, afin de maximiser l'efficacité de la procédure d'enquête.
La Cour et la Commission ont aussi accordé beaucoup plus de place à l'individu devant elles. La Commission a convenu que, sous réserve des modalités de la Convention, seul l'État ou la Commission peut saisir la cour des dossiers. Une fois que la Commission ou l'État saisis la Cour d'un dossier, la victime est pleinement habilitée au plan juridique à comparaître devant la Cour et à présenter sa plainte. Il n'est plus nécessaire que cette personne se cache derrière la Commission pour présenter son exposé. La Commission sera maintenant un ministère public qui défendra les perspectives et l'intégrité du système, mais l'individu sera pleinement habilité à se représenter. La Cour fait cela maintenant depuis plusieurs années, dans la phase des réparations. Elle l'applique maintenant à toutes les phases des affaires qui lui seront présentées. C'est une bonne relation, bien coordonnée, entre la Commission et la cour, qui est tout à l'avantage des droits de la personne.
Le sénateur Kinsella: J'ai eu l'occasion de rencontrer Jaime Castillo, qui était le président de la Commission des droits de la personne du Chili. Il m'a parlé d'une plainte qu'il avait déposée devant la Commission. Je ne sais pas si elle s'est déjà rendue devant les tribunaux ou si elle a été déclarée admissible. C'était à propos de l'article 23, le droit de participer au gouvernement. Cette plainte concernait la modification de la loi constitutionnelle chilienne pour permettre aux sénateurs d'être nommés à vie. Vous vous rappelez sûrement que le président Pinochet l'a été.
Est-ce que vous savez si cette plainte a fait son chemin dans le système?
M. Cassel: Elle n'a pas encore atteint la Cour, mais je me rappelle avoir lu quelque chose à son sujet dans l'un des rapports de la Commission, ce qui veut dire qu'elle a au moins été déclarée admissible. Je serais heureux de vérifier les rapports de la Commission pour voir où cette plainte en est.
Le sénateur Kinsella: J'ai soulevé la question pour taquiner mes collègues. Je suis sûr que nous n'allons pas formuler de réserve au sujet de l'article 23 aussi.
Je vais passer à la question plus pressante de la clause de l'État fédéral. Les États-Unis sont une fédération, et dans la mesure où ils constituent une fédération, il y a une certaine analogie avec notre Confédération canadienne.
Est-ce que le principe d'État fédéral qui s'applique pose des problèmes aux États-Unis? Pouvez-vous penser à une situation qui a pu survenir au Mexique, où il y a eu un problème de loi de l'État qui a été contournée au moyen d'une technique particulière? Je pense, bien entendu, à un problème avec une loi provinciale.
M. Cassel: Un État qui est un pays est, en droit international, considéré comme une entité unitaire. Qu'il choisisse d'être un État unitaire à l'interne ou un État fédéral à l'interne est purement une question interne. Cependant, lorsqu'un pays ratifie un traité de défense des droits de la personne, l'État du Canada, où l'État des États-Unis, accepte d'endosser la responsabilité de toute violation des droits de la personne perpétrée en son sein, que ce soit par le gouvernement fédéral, par un gouvernement provincial ou par le gouvernement d'un État. L'article 28, la disposition fédérale de la Convention américaine, le dit bien clairement.
La Commission, notamment dans au moins une affaire au Mexique, a énoncé clairement son avis que le Mexique doit assumer la responsabilité du respect de la Convention, et il importe peu à la Commission qu'une violation des droits de la personne soit l'oeuvre du gouvernement fédéral du Mexique ou de l'un de ces États. C'est une question que doit régler le Mexique à l'interne.
Dans le cas des États-Unis, nous avons désormais une formule standard de déclaration sur le fédéralisme, qui est annexée à tous nos traités de défense des droits de la personne. Nous avons maintenant ratifié les conventions civiles et politiques, sur la torture, la race et le génocide, parmi les premiers. La formulation de la disposition sur le fédéralisme a été raffinée un peu plus chaque fois. Elle dit maintenant en gros que le gouvernement fédéral des États-Unis est tenu d'assurer la conformité relativement à tout ce qui relève de son autorité et qu'il prendra les mesures jugées nécessaires dans le cadre de son régime fédéral pour s'assurer que les États s'acquittent eux aussi de leurs obligations.
Le sénateur Kinsella: C'est important, à la lumière de la décision du Comité judiciaire du Conseil privé, dans les années 30, qui visait la tentative du Canada de ratifier une convention de l'OIT au sujet du salaire minimum. L'un des principes de notre loi constitutionnelle du Canada a été établi à partir des dossiers de conventions syndicales, c'est-à- dire que, lorsque l'autorité fédérale participe à une entreprise internationale qui implique les autorités provinciales, il ne peut le faire que de concert avec la province.
C'est ce principe qui sous-tendait, par exemple, l'exercice fédéral-provincial-territorial qui a mené à l'examen et à l'analyse des deux clauses restrictives. Ce processus a pris quatre ou cinq ans. En 1976, le Canada a ratifié la convention avec le consentement écrit de chaque province.
Comme le processus dans lequel nous nous sommes engagés ici est devenu secret, nous n'avons pas été en mesure d'observer son évolution. Cela dure depuis deux ans. Il est fondé sur le principe selon lequel les provinces doivent donner leur accord.
Par conséquent, votre témoignage nous est utile. Si le Canada n'avait pas cette espèce de principe constitutionnel, l'autorité fédérale, lorsqu'elle traite avec les composantes d'une fédération, devrait tout de même coopérer.
Notre comité a craint que cet exercice s'éternise, et veut en faire un micro-examen parce qu'il n'y a pas eu beaucoup d'évolution et que beaucoup de mythes ont circulé au sujet des réserves.
Est-ce que vous dites, alors, qu'aucune réserve n'est exprimée par les États-Unis seulement qui serait attribuable à une loi d'État?
M. Cassel: Je ne crois pas que ce soit nécessaire parce que l'article 28 de la convention renferme, en gros, le même langage qu'utilisent les États-Unis pour expliquer leur interprétation relativement à l'engagement civil et politique. Puisqu'il y a déjà une clause fédérale dans la convention, il n'est pas nécessaire d'y ajouter cette déclaration pour obtenir la ratification par les États-Unis.
Le sénateur Fraser: C'est fascinant. Permettez-moi de vous dire que le Canada n'est pas aussi vertueux que vous semblez le penser, particulièrement en ce qui concerne la ségrégation des jeunes délinquants des adultes. Nous avons eu de longs débats, à notre comité, sur la question ces des derniers mois.
Bien que les politiques en vigueur veuillent que nous les séparions autant que possible, le gouvernement est d'avis que nous devons préserver notre droit, dans certains cas, de détenir des jeunes délinquants dans des prisons pour adultes. C'est particulièrement le cas des délinquants autochtones des communautés isolées, parce qu'on pense qu'il serait plus difficile pour un jeune d'être envoyé au loin que de rester parmi les siens, même si les délinquants qui l'entourent sont des adultes.
Autant que l'on puisse en juger de l'extérieur, il y a deux séries de raisons qui font que les États-Unis n'ont pas encore adhéré au système. Du moins, c'est ce que je pense. L'une est d'ordre politique. Le Congrès des États-Unis est toujours très réticent à se retrouver lié par d'autres autorités internationales. Et puis il y a la série de réserves dont vous avez donné un aperçu. Est-ce que je me trompe? Est-ce que ce sont bien les deux principaux domaines qui posent des difficultés? Si c'est le cas, qu'est-ce qui est plus important pour essayer de faire avancer les choses?
M. Cassel: Vous avez raison, et je laisserai au greffier une copie de mon témoignage devant l'OEA le mois dernier, qui est rédigé en espagnol. Je n'ai pas eu la possibilité encore de le traduire. En gros, j'y démontre que toute cette situation est essentiellement politique.
Nous avons un groupe important de membres, à notre Sénat, qui n'aiment pas les Nations Unies, qui n'aiment pas le droit international, qui n'aiment pas les traités internationaux. Ils voient simplement dans la convention américaine une manifestation de plus d'une philosophie du monde avec laquelle ils ne sont pas d'accord.
Bien qu'il soit vrai qu'il y a plusieurs problèmes juridiques — je les ai exposés — pouvant justifier des réserves, tous peuvent être réglés et le seront lorsque nous serons parvenus à surmonter les problèmes politiques.
Comme je l'ai dit, aussi, les problèmes politiques ne sont pas aussi insurmontables qu'ils peuvent le sembler. À deux reprises en dix ans, nous avons été à un cheveu de réussir.
Le sénateur Fraser: Pouvez-vous parler de l'article 62, qui m'apparaît, puisque je ne suis pas experte en la matière, assez inhabituel? On y lit que tout État partie peut — ou, implicitement, peut ne pas — déclarer qu'il reconnaît comme obligatoire la compétence de la Cour. La déclaration peut être faite inconditionnellement, ou sous condition de réciprocité, ou pour une durée déterminée ou à l'occasion d'espèces données.
Est-ce que c'est une condition aussi inhabituelle qu'il me le semble? Est-ce que cela entame l'autorité de la Cour?
Sur le nombre de ces pays qui ont ratifié la convention, combien ont émis des réserves sur la compétence de la Cour, ou est-ce que tout le monde a dit: «Nous en faisons partie, et c'est absolument obligatoire»?
M. Cassel: Tout le monde a dit: «Nous en faisons partie.» Cela n'a pas posé de problème. Cette formulation est semblable à celle des règlements de la Cour internationale de Justice et elle existe depuis 80 ans. En fait, les États prennent une décision d'ordre politique pour déterminer s'ils embarquent ou non. Ils embarquent.
Comme l'a dit M. Allmand, le gouvernement Fujimori a tenté de se désister. Fort heureusement, le nouveau gouvernement du Pérou est revenu sur cette décision et le Pérou est redevenu un membre à part entière.
Le sénateur Fraser: À la Cour internationale de justice, est-ce que les gens disent: «Nous en faisons partie»?
M. Cassel: La Cour internationale de Justice est autre chose. Les États lient leur participation à toutes sortes de conditions, de qualifications et de restrictions. Fort heureusement, cela n'a pas été le cas de la Cour interaméricaine des droits de l'homme.
Le sénateur Poy: Vous nous avez donné une idée beaucoup plus nette de ce qui se passe à la Cour interaméricaine des droits de l'homme.
Vous avez dit qu'en 14 ans, il y a eu 32 dossiers qui ont fait l'objet d'un jugement. Certains de ces dossiers touchaient de nombreuses personnes. Ce n'était pas que 32 personnes.
Le budget de la cour est bien de 1,5 millions de dollars américains?
M. Cassel: C'est un peu moins que cela.
Le sénateur Poy: Qui veille au respect de ses décisions? Bon nombre de ces gouvernements sont des dictatures. Qui aura le pouvoir de dire que le jugement doit être respecté?
M. Cassel: Au bout du compte, le pouvoir a été donné à l'assemblée générale de l'OEA de prendre une décision politique d'appliquer les pressions politiques, mais l'assemblée générale n'a, à aucune occasion, appliqué de telles pressions.
La fiche remarquable de la cour au titre du respect de ses décisions vient d'une combinaison de pressions exercées de façon informelle par la communauté internationale. Il y a maintenant, au sein de l'OEA, une certaine attente en vertu de quoi si la Cour, qui est un organe très respecté, prend une décision en votre défaveur, vous devez vous y plier. Après tout, la convention dit bien que vous vous y conformerez. L'honneur de votre pays est en jeu. Bien que l'on puisse comprendre que certains gouvernements civils peuvent éprouver de la difficulté à persuader leurs militaires de se plier à une décision — et cela continue d'être un problème, et des dispositions sont prévues pour les difficultés internes sur ce plan — on s'attend en général au respect des décisions.
Je dirais que ce n'est que depuis, environ, 1995 — depuis sept ans seulement. Jusqu'à 1995, il y avait des hauts et des bas. Le Honduras a défié la Cour interaméricaine dans l'affaire Velásquez, pour laquelle une décision a été rendue en 1988, et l'affaire Godínez, dont la décision a été rendue en 1989. Ce n'est que lorsque Carlos Roberto Reina, un ancien juge de la Cour interaméricaine, a été élu président du Honduras que le Honduras s'est conformé aux décisions. À partir de là, l'impasse s'est ouverte. Depuis lors, je garde les doigts croisés et je ne retiens pas tout à fait mon souffle, mais j'ai vu avec émerveillement un pays après l'autre entrer dans le rang.
La Cour a maintenant une procédure selon laquelle elle publie dans son rapport annuel — qui est disponible sur son site Web — le degré de conformité de chaque pays qui fait l'objet d'un jugement de la Cour. Ce genre de diffusion publique a aussi un effet salutaire.
Nous avons eu plusieurs transitions à des démocraties formelles, avec l'abandon de dictatures, et bon nombre des nouveaux gouvernements démocratiques veulent démontrer leur bonne volonté démocratique en s'acquittant de leurs obligations internationales relativement à la Cour.
Il est difficile d'expliquer comment cela a pu arriver. Il n'y a pas de commissaires, pas de tanks ni de vis à serrer, mais c'est un fait.
Le sénateur Poy: Vous avez dit que les paiements d'indemnité étaient intégralement versés?
M. Cassel: Ce que j'ai dit, en fait, c'est qu'il y avait un haut degré de conformité dans tous les cas. Il y a tout de même des problèmes. Par exemple, lorsque le Honduras a fini par verser l'indemnité, la valeur de sa monnaie, avec le temps, a été mise en doute, et l'on s'est demandé si le paiement représentait réellement à 100 p. 100 de l'indemnité exigée. Vous constaterez qu'il y a plusieurs problèmes similaires. Cependant, toujours, l'État a fait assez pour que la Cour et l'État puissent déclarer qu'il y a eu conformité, même si tout n'était pas tout à fait parfait.
Le sénateur Poy: Pouvez-vous expliquer ce qui est arrivé en 1997 au Pérou, cette disparition forcée? Qu'est-il advenu de cette personne?
M. Cassel: Est-ce que vous parlez de l'affaire Castillo Pães?
Le sénateur Poy: Oui. Qu'est-il arrivé?
M. Cassel: Je ne me rappelle pas des détails de l'affaire, mais en général, les disparitions forcées sont chose courante. Quelqu'un est arrêté ou détenu, soit par l'armée ou par la police, qui utilise souvent à l'occasion des véhicules anonymes, sans immatriculation et avec des fenêtres polarisées. Parfois, les agresseurs portent l'uniforme; d'autres fois non. Souvent, des témoins assistent en personne à l'arrestation. Souvent, des témoins ont vu la personne alors qu'elle était en prison, ou peut-être l'ont entendue subir la torture, mais lorsque la famille interroge l'armée ou la police au sujet d'un fils, d'un mari ou d'un frère, la réponse est: «Nous n'avons pas de dossier sur cette personne. Elle n'est pas entre nos mains.» Lorsque la famille s'adresse à un juge pour obtenir une ordonnance d'habeas corpus et que le juge émet une ordonnance prescrivant la production de la personne, l'armée et la police répondent: «Nous n'avons pas de dossier sur cette personne.» Parfois, on ne la voit plus jamais, on en entend plus jamais parler; d'autres fois, plusieurs mois ou plusieurs années plus tard, un corps portant les marques de graves tortures est trouvé dans un dépotoir quelque part. C'est le type courant de disparition en Amérique latine. Il faudrait que je vérifie les détails de l'affaire Castillo Pães qui n'est, malheureusement, que l'un de milliers de cas.
Le sénateur Poy: Comment, dans un cas comme celui-là, le gouvernement peut-il se conformer au jugement rendu? Qu'est-ce que le gouvernement ferait si un juge disait: «Où est untel»?
M. Cassel: Souvent, la Cour ordonne au gouvernement de procéder à l'exhumation de fosses où l'on soupçonne pouvoir trouver un corps et, si celui-ci peut être identifié, de le rendre à la famille afin qu'elle puisse lui offrir une sépulture appropriée. C'est courant.
Aussi, la Cour ordonnera généralement au gouvernement de faire ce qu'il n'a jamais fait auparavant, c'est-à-dire de mener une enquête sérieuse auprès de la police ou de l'armée, ou des organes paramilitaires qui ont pu participer, dans le but d'identifier les coupables et de les poursuivre.
La Cour ordonnera aussi au gouvernement de verser d'importantes indemnités à la famille. Je me rappelle avoir rencontré la mère et la fille de l'une des victimes, qui avait disparu au Honduras. La fille, à l'époque, avait 10 ou 11 ans. J'ai demandé à la veuve si cela avait valu la peine de soumettre l'affaire à la Cour interaméricaine et elle a répondu: «Rien ne peut me rendre mon mari, mais au moins, maintenant, ma fille pourra recevoir une éducation.»
Le sénateur Joyal: Ma première question se rapporte à la déclaration d'interprétation dont a parlé le groupe précédent de témoins. Sur les gouvernements qui ont ratifié la Convention interaméricaine sur les droits de l'homme, combien ont fait ajouter des déclarations d'interprétation à leur ratification?
M. Cassel: En ce qui concerne la question de l'avortement, seul un gouvernement a jugé nécessaire de le faire — le Mexique a annexé une déclaration d'interprétation. Le texte en a été versé sur le site Web de la Commission.
Comme l'a dit M. Allmand, l'important, en ce qui concerne cette déclaration, n'est pas que le Mexique l'ait faite, mais qu'il ne se soit pas opposé. Il est clair que si le Mexique, le Canada ou les États-Unis voulaient ajouter une déclaration d'interprétation à l'effet que l'article 4 laisse les États libres de légiférer sur l'avortement selon leurs choix constitutionnels et politiques internes, ou quelque chose en ce sens, aucun État des Amériques ne s'y opposerait.
Je dois souligner que lors de la conférence de négociation de la Convention, en 1969, les États-Unis et le Brésil ont tous deux ajouté une déclaration d'interprétation aux documents de la conférence de négociation aux même fins, soit que les États puissent décider des questions d'avortement selon leur constitution interne. C'est précisément pourquoi les termes «en général» ont été ajoutés à l'article 4. Selon cet article, «Toute personne a droit au respect de sa vie. Ce droit doit être protégé par la loi, et en général à partir de la conception». L'expression «en général» a été ajoutée sur l'initiative des États-Unis et du Brésil afin de protéger la loi sur l'avortement en vigueur aux États-Unis à l'époque, et encore maintenant, et que le gouvernement du Brésil souhaitait aussi préserver.
C'est une question qui ne nécessite aucune réserve, seulement d'être comprise.
Le sénateur Joyal: Si je comprends bien votre réponse, le seul pays à annexer une déclaration d'interprétation à sa ratification, c'est le Mexique.
M. Cassel: Au sujet de l'avortement.
Le sénateur Joyal: Il n'y a pas d'autres dispositions dans la convention qui ait fait l'objet d'une déclaration d'interprétation?
M. Cassel: Non, il y a d'autres réserves ou déclarations d'interprétation. Si votre greffier ne les a pas, je veillerai à vous en faire parvenir une version intégrale. Il n'y en a eu que très peu.
Le sénateur Joyal: Autrement dit, c'est une procédure courante pour les États américains qui ont ratifié une convention d'y annexer des déclarations d'interprétation? Si le Canada voulait lier une déclaration d'interprétation à sa ratification, est-ce que nous ferions comme d'autres pays ou serions-nous une exception, comme l'a été le Mexique avec l'article 4?
M. Cassel: Vous seriez tout à fait dans la norme des États américains. Par exemple, l'Uruguay, un pays qui jouit d'une solide réputation de défenseur des droits de l'homme en Amérique latine, a émis une réservation lorsqu'il a signé la convention, pour dire que sa constitution prévoyait que la citoyenneté d'une personne peut être suspendue si cette personne fait l'objet d'un acte d'accusation et que cela aurait un impact sur l'exercice des droits en vertu de l'article 23 de la convention. Vous trouverez peut-être plus d'une douzaine d'États qui, à propos de sujets qui reflètent des particularités de leur système juridique ou politique sur des questions, très franchement, relativement marginales comme celle-là, émettront une réserve ou une déclaration d'interprétation.
Si le Canada voulait le faire sur la question de l'avortement, comme l'a fait le Mexique, vous ne seriez pas un cas très spécial.
Le sénateur Joyal: N'avez-vous pas préparé un tableau similaire à celui-là pour les dossiers, en indiquant pour chaque État l'article de sa constitution qui s'applique? Il est utile de comprendre la philosophie qui sous-tend tout cela. Lorsqu'il s'agit de questions sans gravité, comme une disposition constitutionnelle, l'on peut bien comprendre que les pays n'auront pas modifié leur constitution pour se joindre à un instrument international; autrement, nous pourrions attendre des années. Cependant, si c'est une question qui peut être réglée dans le cours normal des choses par le biais d'une initiative législative, alors c'est un autre aspect de la procédure de ratification des instruments.
La présidente: Sénateur Joyal, nous pourrions demander au témoin s'il a ce genre de tableau.
M. Cassel: J'ai effectivement ce tableau dans mes dossiers parce que, bien entendu, le gouvernement américain le voulait. Je serais heureux de vous le transmettre.
Le sénateur Joyal: Ma deuxième question est la suivante: Comment se fait-il qu'un juge des États-Unis ait pu siéger à la Cour lorsque les États-Unis n'en étaient pas membre?
La présidente: Il existe un certain mécanisme. Nous avons vu une disposition qui prévoit qu'une candidature peut être proposée par l'un des États membres. De fait, la candidature de Bertha Wilson a été proposée, mais elle n'a pas été élue. Peut-être pouvez-vous expliquer cela?
M. Cassel: Les seuls États qui peuvent proposer des candidatures sont ceux qui sont membres de la Convention américaine. Le Costa Rica, où se trouve la Cour et qui est son plus grand défenseur, espérait encourager les États-Unis à ratifier la convention en proposant la candidature de l'un de nos citoyens, Thomas Buergenthal — qui siège maintenant à la Cour internationale de justice à La Haye — comme membre de la Cour. Au tour suivant, la Colombie a proposé sa candidature à nouveau. Cependant, après qu'il a été 12 ans à la Cour, l'Amérique latine a compris que la stratégie ne fonctionnait pas. Je vous avoue qu'il ne me déplairait pas de siéger à la Cour si cet honneur m'était donné un jour, mais je sais qu'il n'y en aucune chance, j'en suis sûr, tant que les États-Unis resteront en dehors de la convention.
Le sénateur Joyal: Ma dernière question concerne la position des États-Unis sur les droits de l'homme à l'échelle internationale, et sa participation aux organes internationaux. Vous nous avez dit que, depuis 10 ans, les États-Unis ont été à un cheveu d'y adhérer. J'aurais certainement applaudi la nouvelle, autant que j'aurais applaudi l'adhésion des États-Unis à la Cour criminelle internationale.
Depuis le 11 septembre, quelque chose a radicalement changé aux États-Unis. C'est la perception ou la conviction que ce pays ne peut compter que sur lui-même pour assurer sa défense. Cette attitude était visible l'été dernier, alors que les États-Unis examinaient certains instruments internationaux et que les médias américains faisaient état de l'intention de ce pays de se retirer de quelques-uns d'entre eux. Ceci coïncidait avec la décision du Comité des droits de l'homme des Nations Unies de ne pas réélire les Américains, l'année dernière, ce qui fut perçu comme un affront. J'ai pensé que c'était une mauvaise décision car on pouvait craindre, à juste titre, une réaction de leur part. Cela a nui à la cause internationale des droits de la personne.
Quoi qu'il en soit, en tant que Canadiens, nous avons quelques réserves au sujet des choix des Américains concernant la peine de mort. Comme vous le savez, le Canada a aboli la peine capitale en 1976 et notre taux de criminalité est maintenant plus bas que jamais. Nous pouvons vivre en sécurité sans peine de mort. Il n'y a pas de loi contre l'avortement au Canada, grâce au vote du Sénat, il y a quelques années, et la société canadienne n'est pas pire que l'américaine au chapitre de l'avortement.
Depuis le 11 septembre, les États-Unis ont revu leur approche en matière de sécurité. Il y a une philosophie derrière le PATRIOT Act. Ce n'est pas une simple loi car on y parle des droits de la personne. Je préférerais que les États-Unis mettent autant d'empressement dans la recherche de la paix que dans la promotion des droits de la personne à l'échelle mondiale, car je crois que les deux sont indissociables. Vous ne pouvez pas assurer une paix durable sans garantir le respect des droits humains fondamentaux. Je ne suis pas très optimiste quant à la possibilité que les États-Unis participent à la ratification. Durant la fin de semaine, j'ai lu un article paru dans la presse internationale au sujet de ce qui se passe en Europe autour de M. Kissinger et de certaines décisions qu'avaient pris les États-Unis en Amérique du Sud.
Même si j'essaie de partager votre optimisme — et je ne veux pas me faire l'avocat du diable sur cette question —, nous essayons de voir comment prendre part, de manière réaliste, à cette initiative, étant donné que nous avons un intérêt commun avec les États-Unis: celui de promouvoir les droits de la personne. C'est un peu comme si nous disions: «Nous n'avons pas besoin de ces instruments internationaux, nous sommes un pays suffisamment avancé pour défendre nos propres intérêts et nous n'avons besoin de personne. Notre Constitution protège les Américains, et c'est ce que nous voulons. Le reste du monde peut être d'accord ou pas. Nous verrons bien.»
Il n'y a plus la même perception qu'avant. Je ne pense pas que l'idée qui prévalait quand vous disiez qu'il s'en est fallu de peu continue de dominer dans l'opinion des Américains, à moins que j'interprète mal la situation.
Pouvez-vous nous donner votre point de vue sur cette question?
M. Cassel: Tout d'abord, je me réjouis d'apprendre qu'au cours des deux ou trois derniers jours, on a organisé un vote pour réintégrer les États-Unis au sein du Comité des droits de l'homme des Nations Unies. L'Espagne et l'Italie se sont retirés pour permettre à ce pays — j'imagine que c'est du tout-cuit — d'être élu aux côtés de l'Allemagne, de l'Australie et de la France qui, je pense, est le quatrième pays de notre groupe.
C'est un moment difficile pour l'internationalisme et le multilatéralisme aux États-Unis. Nous avons connu des moments semblables dans l'histoire de ce pays auparavant: pendant la guerre du Vietnam ainsi qu'au cours des Première et Deuxième Guerres mondiales. Mais cela passera aussi. Je ne peux pas vous rapporter mes échanges avec les représentants du gouvernement, mais je peux vous dire que, même maintenant, on examine activement la question de l'adhésion des États-Unis à la Convention américaine. Je ne veux nourrir aucun espoir sur la possibilité que les Américains fassent partie de la Cour interaméricaine, car ce pays a certaines questions à régler avec des mécanismes internationaux comme celui-là. Rien n'est sûr, mais je n'écarte pas non plus cette possibilité, même sous l'administration actuelle.
Je partage votre avis au sujet de l'importance pour les États-Unis de reconnaître que les droits de la personne sont essentiels à la paix, au développement et à la prospérité dans le monde, et sur le fait qu'on doit les défendre sur une base multilatérale et internationale. Il y a beaucoup d'autres personnes, aux États-Unis, qui pensent comme moi et qui font de leur mieux, de l'intérieur, pour combattre cette vision du monde isolationniste.
Il est extrêmement important que le Canada, l'Europe et d'autres démocraties dans le monde jouent un rôle décisif au sein de la Cour pénale internationale et qu'elles veuillent aller de l'avant, même si les États-Unis ne suivent pas. Je pense que c'est une attitude exemplaire.
[Français]
Le sénateur Ferretti Barth: La Convention américaine des droits de l'homme a été élaborée par les pays de l'Amérique du Sud. Est-ce exact?
M. Cassel: Pas tout à fait. Les États-Unis aussi ont participé à l'élaboration de cette convention.
Le sénateur Ferretti Barth: Pensez-vous qu'il y a possibilité d'effectuer des modifications à cette convention afin de tenir compte de la réalité nord-américaine? Vous savez que notre monde est complètement différent avec des problèmes différents. Nous avons une culture distincte et aussi une interprétation autre des crimes.
M. Cassel: Je vais vous répondre en anglais, sénateur.
[Traduction]
M. Cassel: C'est mieux de recourir à la jurisprudence pour faire cela que d'amender le texte de la convention.
Au cours des 10 dernières années, plusieurs pays ont proposé un certain nombre d'amendements à la convention. Toutes les fois qu'on en a parlé, les organismes de protection des droits de la personne d'un bout à l'autre de l'hémisphère s'y sont unanimement opposés. Ce que l'on craint, c'est que si on réexamine la convention, même pour faire de bons amendements, il y aura des pays qui voudront en limiter la portée.
L'argument de poids qu'avancent ces organismes de protection des droits de la personne est que si nous devons clarifier la jurisprudence, par exemple, pour rapprocher les pays de tradition romaine et ceux de tradition inspirée de la common law, le meilleur moyen d'y parvenir est de prendre des décisions pertinentes, d'examiner la jurisprudence de la commission et de la cour, mais pas de modifier la convention. Si le Canada voulait proposer des changements à la convention, je pense qu'il devrait s'attendre à une réaction négative de la part des groupes de défense des droits de la personne de tout l'hémisphère, pour les raisons que je viens d'invoquer.
[Français]
Le sénateur Ferretti Barth: Il est très important pour le peuple nord-américain d'avoir des droits conformes à ses réalités. Nous acceptons les droits en Amérique du Sud, mais ces gens doivent respecter notre réalité nord-américaine. Il n'y a pas d'égalité là-dedans. Où sont les droits de la personne?
[Traduction]
M. Cassel: Il n'y a pas une si grande différence entre les dispositions de la convention américaine et la tradition juridique nord-américaine. Comme je l'ai dit, les États-Unis ont participé activement aux négociations et ont appuyé le document rédigé à l'issue des rencontres. Le nombre de réserves des Américains ou d'arrangements qu'ils devraient prendre, en mettant de côté les questions politiques liées à la peine de mort, est assez petit. M. Allmand a laissé entendre — ce qui me paraît raisonnable — qu'il en serait peut-être de même pour le Canada.
Je ne pense pas que nous ayons affaire à une convention latino-américaine, mais plutôt à une convention américaine dont la plupart des points négociés ont satisfait autant aux exigences de l'Amérique du Nord que de l'Amérique du Sud, même si certaines questions demeurent en suspens, comme le droit relatif aux points de ravitaillement, dont nous avons parlé plus tôt.
[Français]
Le sénateur Ferretti Barth: Peut-on tenir compte de la réalité nord-américaine? M. Allmand et vous avez exprimé ce désir de ratifier la convention. Il est bon que le Canada devienne un joueur à part entière, mais nous avons aussi quelque chose à dire. Ce que vous faites est très bien. Cependant, il faut refléter cette convention selon notre réalité.
[Traduction]
M. Cassel: Il y a encore pas mal de poursuites intentées contre les États-Unis devant la commission. Ces affaires illustrent le fait que les avocats américains commencent à comprendre, non pas la convention parce que les États-Unis n'en font pas partie, mais au moins la déclaration américaine et le mécanisme interaméricain de la commission, ainsi que rôle qu'elle peut jouer dans notre propre pays, particulièrement dans les cas de condamnation à mort et les affaires impliquant des étrangers arrêtés aux États-Unis. Les écoles de droit enseignent aussi davantage de choses sur cette question à leurs étudiants. Même s'il nous reste un long chemin à parcourir, nous avons fait quelques petits pas en avant.
Le sénateur Fraser: J'aimerais revenir sur deux ou trois points dont nous avons discuté plus tôt. Tout d'abord, lorsque vous nous enverrez votre tableau, si vous avez des commentaires sur les articles 13 et 14, je vous serais très reconnaissant de nous les transmettre aussi.
M. Cassel: J'ai préparé un document là-dessus et je serais heureux de vous l'envoyer.
Le sénateur Fraser: J'aimerais revenir sur la différence entre nationalité et citoyenneté. Pourriez-vous nous en parler?
M. Cassel: Oui. Il s'agit des deux côtés de la même médaille. La citoyenneté est principalement un concept de droit interne. Si vous êtes citoyen du Canada, vous avez le droit de vivre, de voter et de payer des impôts dans ce pays, tout en jouissant d'autres droits connexes, droits que vous n'avez pas si vous n'êtes pas citoyen. La nationalité est davantage liée au droit international. Pour le Canada, je suis Américain, ce qui revient à dire que je ne suis pas citoyen canadien, mais que je suis sous la protection du gouvernement des États-Unis, protection qu'accorde un pays à ses ressortissants. Toutefois, dans mes relations avec le gouvernement américain, je suis un citoyen.
Les termes viennent de contextes historiques différents. Ils ont la même signification légale. Toutefois, ils voient les mêmes choses sous différentes perspectives. Certains tribunaux internationaux ont posé la même question que vous, mais ils n'ont pas réussi à obtenir une réponse satisfaisante.
Le sénateur Fraser: Ceci est assez différent du système en place dans l'ex-Union soviétique où les papiers d'identité disaient: «Vous êtes un citoyen de l'Union soviétique, de nationalité juive ou ouzbèque.»
M. Cassel: Ce n'est pas un concept qui fait partie du droit international. Quand on parle de «national», dans le droit international, on fait référence à l'État qui est responsable de vous, parce que vous êtes citoyen de cet État.
Le sénateur Joyal: Monsieur Cassel, vous avez parlé, en passant, de l'incidence des relations bilatérales entre un pays qui défend les droits de la personne et un autre qui émet des réserves sur ces questions, c'est-à-dire de l'incidence des relations internationales dans l'amélioration du statut des droits humains par rapport à l'influence qu'ont généralement les instruments internationaux sur l'application de ces droits. Je sais qu'on pourrait écrire une thèse sur cette question, mais pourriez-vous nous donner votre point de vue, en quelques mots?
M. Cassel: Je pense que ces deux aspects sont tellement interreliés qu'on ne peut les séparer. En 1991, lorsque le Honduras refusait encore de se soumettre au jugement d'indemnisation des victimes, dans l'affaire Vélasquez et Godinez, j'ai rencontré le procureur général de ce pays. J'ai également vu l'ambassadeur américain au Honduras et je lui ai demandé de parler de cette affaire au président hondurien de l'époque. J'ai reçu une lettre de l'ambassade quelques semaines plus tard me disant que l'ambassadeur s'était entretenu avec le président sur cette question et que la réponse de ce dernier avait été la suivante: «Pourquoi me parlez-vous de cela? Vous n'êtes même pas membre de la convention américaine ou de la cour américaine.»
Pourquoi cela montre-t-il l'interrelation? Parce qu'il s'agissait d'un effort bilatéral destiné à persuader le Honduras de respecter ses obligations multilatérales en acceptant le jugement de la cour. Quand les tribunaux honduriens ne jouissaient d'aucune indépendance et ne protégeaient pas les droits de la personne, la cour interaméricaine était, si vous me le permettez, le seul tribunal digne de considération pour les victimes de violations des droits de la personne au Honduras. Les traités bilatéraux et internationaux, ainsi que les institutions internationales doivent agir de façon complémentaire et coordonnée. Si une partie faillit à ses obligations, c'est tout le processus qui s'en trouve affaibli.
Le sénateur Joyal: C'est bien dit en peu de mots.
La présidente: J'aimerais continuer sur deux points. Le premier concerne la jurisprudence. Nous savons que les tribunaux ont souvent eu recours à des précédents survenus dans d'autres pays ou d'autres instances, tant au niveau multilatéral que national. Je me souviens qu'il y a 20 ou 30 ans, le Canada avait sorti beaucoup de nouveaux textes législatifs et que ses lois étaient utilisées par d'autres tribunaux. Est-ce que la cour interaméricaine pourrait invoquer davantage les lois et le système de protection des droits de la personne du Canada dans sa jurisprudence si nous faisions partie du tribunal ou bien non?
M. Cassel: Si nous en faisions partie, oui. Je ne peux pas parler pour la cour, évidemment, mais, vu de l'extérieur, je pense qu'elle serait ravie de pouvoir citer la jurisprudence canadienne — au demeurant très abondante en matière de droits de la personne — pour appuyer ou renforcer son interprétation de la Convention américaine relative aux droits de l'homme. Ce processus serait accéléré si, en plus de la participation du Canada, il y avait un juge canadien à la cour, puisque ce juge connaîtrait mieux que quiconque la jurisprudence canadienne. Certainement, ce serait une avancée positive que l'on pourrait espérer voir se réaliser.
La présidente: Vous travaillez auprès de cette cour et nous, nous sommes ici pour étudier la question. Vous avez voyagé et examiné la situation dans beaucoup de ces pays. D'un point de vue de politique étrangère, si le Canada devait adhérer à la convention et, par la suite, faire partie de la cour, cela aurait-il un effet mineur sur le reste des Amériques ou serait-ce une décision importante?
M. Cassel: Je pense que ce serait une décision importante. Les ministres des Affaires étrangères d'Amérique latine verraient cela d'un très bon oeil. Ces ministres sont souvent les plus fervents défenseurs de la cour, au même titre parfois que les chefs d'État et de gouvernement, qui la voient comme un moyen de les aider à maîtriser leurs propres forces militaires et de sécurité sur lesquelles ils n'exercent pas toujours un contrôle total. S'il y avait un signe que le Canada voulait faire partie de la cour, on serait très optimiste quant à la stabilité et au renforcement futurs de cette cour comme institution que les gouvernements civils d'Amérique latine pourraient utiliser pour maintenir l'ordre chez eux.
La présidente: Je vous remercie, monsieur Cassel, de nous avoir fait part de vos connaissances sur la cour et sur le système de protection des droits de la personne. C'est très apprécié.
Ce n'est pas un sujet que beaucoup de Canadiens connaissent. Comme vous le savez, nos séances sont télévisées. Les Canadiens sont au courant des questions concernant les droits de la personne, mais c'est seulement depuis peu qu'ils ont pris conscience de la situation interaméricaine. Je vous remercie des informations que vous nous avez fournies et de l'approche équilibrée que vous avez adoptée, tant au sujet de notre adhésion que de celle des États-Unis.
Vous vous êtes comporté comme un bon citoyen américain. Vous avez présenté la situation sous une perspective internationale. Nous l'apprécions beaucoup. Nous serons également ravis de recevoir toute l'information que vous voudrez bien nous communiquer par écrit.
La séance est levée.