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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 29 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 13 mars 2002

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui à 15 h 44 pour étudier le projet de loi S-32, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (promotion du français et de l'anglais).

Le sénateur Gérald-A. Beaudoin (vice-président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le vice-président: Nous allons procéder en table ronde et je demanderais aux témoins d'essayer de s'en tenir à six ou sept minutes pour leur présentation, parce qu'il y aura beaucoup de questions. Je cède donc la parole au professeur Magnet.

[Traduction]

M. Joseph Magnet, professeur, Faculté de droit, Université d'Ottawa: Honorables sénateurs, c'est pour moi à la fois un honneur et un privilège d'essayer de vous venir en aide.

J'ai énormément de respect pour le sénateur Gauthier, je dois le signaler. Il a mené un combat long et honorable pour l'avancement des droits et de la condition des minorités de langues officielles. Le projet de loi S-32 poursuit ce combat. Sa cause est juste et ses intentions nobles.

Je vais vous parler de quatre sujets. Pour commencer, la partie VII de la Loi sur les langues officielles, et en particulier son article 41, en l'occurrence la question de savoir si cet article est exécutoire ou déclaratoire. En second lieu, le projet de loi S-32 entend-il modifier le régime existant? Troisièmement, ce projet de loi concrétise-t-il cette intention? Enfin, je proposerai quelques amendements qui pourraient renforcer l'intention poursuivie par le projet de loi S-32 selon l'interprétation que j'en fais.

Je commencerai par la question de savoir si l'article 41 est exécutoire ou déclaratoire. Cet article est la résultante de la célèbre cause du sénateur Joyal, Joyal c. Air Canada, un jugement rendu en 1976 par la Cour supérieure du Québec. En l'occurrence, le sénateur Joyal, qui était alors député, et 40 pilotes ont attaqué la validité d'une politique interne d'Air Canada interdisant l'utilisation du français pour les communications dans le poste de pilotage. Le Commissaire aux langues officielles était intervenu dans cette cause à l'appui de la thèse générale voulant que l'article 2 de la Loi sur les langues officielles représentait plus qu'une simple déclaration d'intention politique.

Cette thèse était que l'article en question était exécutoire, en ce sens qu'il ouvrait droit à un recours devant les tribunaux, qu'un droit de recours devant ceux-ci pouvait reposer sur les fondements de l'article 2 et qu'un recours judiciaire pourrait être établi pour en renforcer l'intention. En l'occurrence, l'article 2 pouvait amener un règlement du différend concernant l'interdiction de l'utilisation de la langue française dans ces activités d'Air Canada.

Le juge en chef Deschênes avait accueilli la demande et, six ans plus tard, à la veille de l'adoption de la Charte des droits et libertés, la Cour d'appel du Québec renversa la décision aux termes d'un jugement partagé. Le juge en chef Deschênes déclara que l'article 2 était exécutoire, ce qui est maintenant la thèse contestée dont est saisi le comité à l'égard de la partie VII de la Loi sur les langues officielles.

En 1969, l'État voulait donner de la langue française une représentation juste, égale et équitable dans toute l'administration publique fédérale. Pour ce faire, il fallait un certain temps, de sorte qu'il créa une charge de commissaire ainsi que des instruments exécutifs et administratifs afin que les choses se fassent dans un délai raisonnable. Le calendrier d'exécution devait être contrôlé par cet appareil et non pas par un tribunal qui eût dit: «Il faut que vous ralentissiez ou que vous accélériez, ou encore que vous fassiez ceci ou cela». Il s'agissait d'une déclaration d'intention, et les pouvoirs politiques allaient en réguler le calendrier d'exécution.

La Cour d'appel du Québec se dissocia du juge en chef Deschênes en disant qu'il s'agissait là d'une question pour laquelle les tribunaux pouvaient imposer un calendrier d'exécution différent ou d'autres considérations afin de concrétiser l'égalité entre les deux communautés linguistiques.

L'article 2 de la Loi sur les langues officielles fut enchâssé dans la Charte canadienne des droits et libertés à l'article 16, mais à ce titre, il apparaissait dans un contexte différent. Il n'y avait ni commissaire, ni appareil exécutif; la déclaration qu'on trouvait dans l'article 16 de la Charte au sujet de l'égalité de l'anglais et du français était désormais assujettie à une disposition d'exécution, en l'occurrence l'article 24 de la Charte, ce qui porte à penser que les tribunaux ont encadré la déclaration contenue à l'article 16. On peut supposer que ce dépouillement de l'appareil exécutif qui l'assujettissait à une disposition d'exécution, l'article 24, aurait eut réglé une fois pour toutes la controverse.

Mais ce ne fut pas le cas étant donné le revirement survenu à la fin des années 80 lorsque la Cour suprême du Canada prit position dans les causes La Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick et Macdonald. En l'occurrence, la Cour suprême déclara que les droits linguistiques que nous avons ici sont minimes et sont assujettis à un processus politique comme nous pouvons fort bien le voir au paragraphe 16(3) de la Charte. Il n'appartient pas aux tribunaux de commencer à ajouter des conditions ou à imposer des délais. Ces choses relèvent essentiellement des pouvoirs politiques.

Dans ces deux affaires, la Cour suprême précisa mais de façon beaucoup plus succincte, et à tout le moins pour ceux d'entre nous qui pouvaient lire entre les lignes, que l'article 16 de la Charte devait connaître le même sort que l'article 2 de la Loi sur les langues officielles selon l'interprétation qui en avait été donnée par la Cour d'appel du Québec. Cet article était donc déclaratoire, il était politique, et les tribunaux n'avaient pas à s'ingérer.

En 1988, la partie VII fut proclamée. Cette partie VII semble mettre en oeuvre le dispositif que sous-tend l'article 16 de la Charte. On peut se demander si la partie VII, à l'article 41, avec sa déclaration dans la Loi sur les langues officielles, est bien différente. Est-elle exécutoire? Peut-on y trouver un droit d'intervention?

Le sénateur Gauthier a introduit le projet de loi S-32 dans le débat dans l'intention, me semble-t-il, de préciser ce qu'avait dit la Cour supérieure en 1976. Il s'agit là de dispositions exécutoires. Si le niveau politique est un peu lent ou si certains s'impatientent ou viennent à penser que cette lenteur politique ne se justifie pas, une plainte peut être adressée aux tribunaux et ceux-ci peuvent, si les circonstances s'y prêtent, déclarer: «Les choses vont trop lentement, la pénétration de la protection institutionnelle n'est pas suffisamment profonde», et donc apporter un complément et un correctif en accordant un recours semblable à celui que le sénateur Joyal avait demandé en 1976.

D'aucuns disent — et je sais que le sénateur Beaudoin est de cet avis — que ce pouvoir exécutoire figure déjà à l'article 41 et que le droit d'action en justice s'y trouve déjà. Nombreux sont ceux qui partagent cette opinion, surtout depuis l'évolution de la jurisprudence à la Cour suprême du Canada. Je sais que vous en avez déjà beaucoup entendu parler dans vos délibérations. Vous avez entendu parler de la cause Beaulac. Je vous rappellerais toutefois qu'en l'occurrence, ce jugement affirme que les droits linguistiques qui ont un fondement institutionnel exigent, pour être mis en oeuvre, une action du gouvernement, ce qui par conséquent crée une obligation pour l'État.

À partir de là, et également étant donné que le tribunal a jeté aux oubliettes constitutionnelles la jurisprudence de la fin des années 80 — Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick et MacDonald — on avait pensé que le débat était clos une fois pour toutes. Je suppose que cela donne un éclairage nouveau au projet de loi S-32.

Je ne suis toutefois pas entièrement certain que cela puisse clore entièrement le débat étant donné que dans la cause Beaulac, la cour parle des droits linguistiques à fondement institutionnel qui exigent une action pour pouvoir être mis en oeuvre. Pour moi, l'expression «fondement institutionnel» signifie qu'il s'agit de droits qui résident dans les institutions politiques, les tribunaux, les assemblées législatives et l'administration publique, lesquels sont régis par les articles 17, 18, 19 et 20 de la Charte.

Il se pourrait que les droits qui résident dans la partie VII — et en particulier à l'article 41 — n'aient pas un fondement institutionnel. Par conséquent, il se pourrait encore une fois qu'ils ne soient pas exécutoires. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'arriver à cette conclusion parce que le projet de loi S-32 dont vous êtes saisis entend clore le débat en conférant un pouvoir exécutoire et un droit d'action devant les tribunaux.

Dans son témoignage devant le comité, le sénateur Gauthier a été très clair en ce qui concerne l'intention du projet de loi.

Un écueil que le projet de loi S-32 pourrait rencontrer tient au fait qu'il tire sa substance de l'article 16. Il en parle d'ailleurs expressément. Il dit ceci: «Conformément aux paragraphes 16(1) et (3) de la Loi constitutionnelle de 1982, le gouvernement du Canada prend les mesures nécessaires...»

Il se peut que la Cour suprême du Canada retrouve l'esprit des années 80. Cette proposition, et peu importe que l'article 16 soit ou non exécutoire, n'a pas été bien circonscrite. Lorsque la Cour suprême du Canada en sera saisie, ceux d'entre nous qui pensent qu'elle est exécutoire risquent d'être déçus. Et si c'est le cas, le projet de loi S-32 est-il suffisamment clair étant donné que son esprit est issu de l'article 16? Si cet article 16 est jugé dépourvu de caractère exécutoire, l'article 41 de la Loi sur les langues officielles qui s'en inspire a-t-il lui-même un pouvoir exécutoire? Peut- être pas. Je ne pense pas qu'à ce sujet le texte soit suffisamment clair.

Pour cette raison, pour que l'intention poursuivie par le sénateur Gauthier soit exprimée dans son intégralité dans le projet de loi S-32, je proposerais d'augmenter le texte qui l'exprime dans le projet de loi S-32. Je vous ai fait parvenir le texte des amendements que je suggère, et peut-être pourrais-je prendre quelques instants pour les commenter.

À mon avis, le projet d'article 41 devrait, dans le projet de loi, devenir le paragraphe 41(1). Pour augmenter cet article, je proposerais le texte suivant — en d'autres termes, la question qui se pose est la suivante: l'article 41 est-il exécutoire ou déclaratoire? Le paragraphe 41(2) affirme que le paragraphe 41(1) est exécutoire. Voilà qui clôt le débat.

Le vice-président: C'est clair.

M. Magnet: Qu'est-ce que cela signifie? Les paragraphes (3) et (4) de l'article 41 précisent cette proposition. C'est d'ailleurs un autre élément qui a déjà été débattu. Le paragraphe 41(3) dirait ceci:

Les institutions fédérales doivent mettre en oeuvre les engagements cités en 41(1) avec toute la diligence voulue, sous réserve des seules exigences raisonnables prévues par règlement qui peuvent se justifier dans une société libre et démocratique composée de deux communautés linguistiques officielles égales.

Ce que je veux faire valoir, c'est que s'il doit y avoir dérogation ou amoindrissement de cet esprit, cela doit se faire par voie de réglementation et être justifié en tenant compte du fait admis que nous avons deux communautés linguistiques officielles et égales. Je me plais à penser que les tribunaux arriveront à une justification semblable à l'article 1 de la Charte, en l'occurrence une norme rigoureuse en ce qui concerne la justification fondée sur des éléments probants.

Pour terminer ce train de pensée au sujet de l'équation déclaratoire ou exécutoire, le paragraphe 41(4) dirait ceci:

Toute personne lésée du fait qu'une institution fédérale a omis de respecter ses obligations aux termes du présent article, après avoir épuisé tous les autres recours prévus par la présente Loi, peut saisir la section de première instance de la Cour fédérale en vue d'obtenir la réparation que la cour estime appropriée et juste dans les circonstances.

Encore une fois, cela vient ajouter le détail qui, depuis 15 ans, fait l'objet d'un débat sur cette question. En d'autres termes, c'est exécutoire dans la mesure où une personne peut s'adresser aux tribunaux pour faire valoir que les institutions du gouvernement n'agissent pas suffisamment rapidement et ne vont pas suffisamment loin. Un tribunal pourrait se saisir de ce genre de chose.

Toutefois, avant d'aller jusque-là, le paragraphe (4) exige que l'administration fasse son travail pour commencer. En d'autres termes, le commissaire doit faire enquête sur le dépôt d'un rapport et ainsi de suite, comme le prévoit actuellement la Loi sur les langues officielles. Après tout, pourquoi avons-nous tout cet appareil? Nous avons cet appareil parce que nous pensons qu'il est utile. Alors laissons-le travailler. Si quelqu'un a le sentiment que le bilinguisme officiel est absent dans tel ou tel secteur, il appartient au tribunal de déterminer si le fait que ce secteur n'a pas été atteint ou qu'il ne l'a pas été assez rapidement peut se justifier, étant donné l'existence de deux communautés linguistiques officielles égales.

Voilà comment j'ai voulu tenter de vous aider à préciser la réflexion concrétisée dans le projet de loi S-32 selon mon optique. Je suis prêt à répondre à vos questions.

Le vice-président: Avant de passer aux questions, nous allons entendre tous les témoins.

[Français]

M. Julius Grey, professeur associé, Université McGill: Je vous ai donné un plan de ce que j'ai l'intention de promouvoir et une copie de ma soumission à la commission Larose de l'an dernier. Du point de vue des droits linguistiques au Québec, ma soumission à cette commission représente toujours ma pensée.

Je suis convaincu que nous sommes tous d'accord avec la nature essentielle du bilinguisme et de l'égalité des deux langues. Il n'y a pas de Canada sans bilinguisme. Ce n'est pas le même pays. Au XIXe siècle, les deux langues n'étaient pas égales et n'étaient pas constitutionnellement protégées, sauf dans une mesure assez limitée. Aujourd'hui, c'est un élément essentiel au Canada.

J'aimerais souligner les résultats des arrêts Mahé et Beaulac, selon lesquels la loi a exactement le même effet au Québec et ailleurs. Le gouvernement du Québec a, à plusieurs reprises, essayé de mettre de l'avant la thèse qu'il devrait surtout s'agir de la protection du français. J'aborderai plus tard la façon d'interpréter cette loi. Au Québec, il faut favoriser le français et dans le reste du pays, aussi. Une partie de ma présentation va défendre la thèse de la protection du français. Au Québec, il faut protéger la minorité anglaise et dans le reste du pays, il faut protéger la minorité française.

Ce sont les nuances à apporter aux mesures nécessaires pour assurer l'épanouissement et le développement des minorités francophones et anglophones. Les mesures sont différentes au Québec. Il faut le reconnaître. Dans le reste du pays, il y a très peu d'institutions francophones. À Ottawa, on a essayé de fermer l'hôpital francophone de la région, ce que les tribunaux ont empêché.

Or au Québec, les institutions sont là. Le problème au Québec n'est pas la création d'institutions. Au Québec, au point de vue institutionnel, les membres de la minorité ont les mêmes droits et les mêmes opportunités que ceux de la majorité. Je parle d'éducation, de santé, surtout à Montréal, dans les endroits où vit la communauté minoritaire.

Il y a un problème au Québec. Ce problème est en partie réel et en partie psychologique. Il s'agit de la perception, de la part de la minorité, qu'on ne la traite pas d'une façon égale. C'est en partie vrai et en partie faux. Dans les années 70, il y a eu une forme de rattrapage qui était une forme de discrimination. On peut appeler cela une action positive. Aujourd'hui, c'est moins vrai, mais de temps en temps, on voit des vestiges d'une politique injuste et qui fait en sorte qu'il n'y a pas assez d'intégration des deux groupes. Les deux groupes vivent de la même façon et sont relativement bilingues à Montréal. Pourtant, ils ne savent pas que les deux groupes sont tout à fait identiques. Je vis dans les deux groupes. Je ne vois pas de différence. Une journée, je vais dans une fête où on parle le français, et le lendemain, dans une autre où on parle l'anglais.

Au Québec, on doit appliquer des mesures d'intégration des anglophones dans la population, et de la défense des droits contre les vestiges de la discrimination. Il faut que tout le monde comprenne qu'il n'y a pas d'injustice majeure, et qu'il y a des choses que le gouvernement fédéral pourrait faire. Par exemple, il existe une injustice dans le secteur public. Ce n'est pas seulement dans le secteur public provincial mais aussi dans le secteur fédéral que les minorités ne sont pas suffisamment représentées. Ces gens ont l'impression qu'ils n'ont pas les mêmes droits que les autres, ce qui est aussi grave que si c'était vrai. Il faut détruire cette impression qui ne repose sur aucune justification. Il y a donc des mesures différentes à prendre dans les deux endroits. Il faut le comprendre.

La promotion de la connaissance des langues de la minorité par les membres de la majorité est une des mesures communes qui doit nécessairement faire partie de tout plan fédéral. Ce n'est pas seulement le développement des groupes minoritaires ou majoritaires qu'il faut favoriser. À Montréal, à Ottawa ou à Moncton, cela ne représente pas le plus grand problème. Il y a une certaine connaissance, mais à l'extérieur de ces centres, tant la majorité francophone que la majorité anglophone dans les autres pays ne connaît pas assez la langue de l'autre.

La protection des communautés dépend d'une connaissance, d'une appréciation de la richesse et de la valeur culturelle de l'autre langue par les membres de la majorité. Si on aide les individus de la majorité à devenir bilingues, on renforce les minorités et leur possibilité de vivre dans leur langue, d'être appréciées et d'être intégrées à la majorité, quelle que soit cette majorité ou cette minorité. Il y a un aspect commun à tout le Canada: la promotion de la connaissance de la langue de la minorité par la majorité.

Je passe maintenant à un sujet qui semble controversé mais essentiel: la protection du français. Vous savez que j'ai représenté les causes de la défense de l'anglais au Québec. Ce n'est pas par mépris pour la langue qui demeure ma langue maternelle. Mais comme la langue française est fragile, il est nécessaire d'avoir des mesures spécifiques dans le but de renforcer et de permettre l'épanouissement et le développement des deux minorités. Il faut renforcer l'usage de la langue française à travers le pays.

Il faut participer dans le mouvement international pour protéger le français, le cinéma français, la culture française. Il faut faire en sorte que la prédominance — la mégalomanie ne sert à rien, tout le Canada ne peut pas renverser la tendance mondiale — et la protection de la place du français à travers le pays soit une chose essentielle qui ne va absolument pas à l'encontre des droits de la minorité anglophone au Québec. On peut promouvoir et renforcer cette minorité anglophone tout en reconnaissant son importance. Il est important de le dire, puisque le recensement nous montre la perte du poids relatif des francophones au Canada. Si cela continue, cela pourrait devenir un désastre en ce qui a trait à la politique du bilinguisme, et donc, pour l'identité même du Canada, qui dépend du bilinguisme.

On ne peut pas avoir un Canada uniquement anglais ou uniquement français. Il faut un Canada bilingue. La protection du français est essentielle. On pourrait mentionner la protection du français comme un but spécifique.

J'ai une critique à faire sur la formulation de l'article 41. Il ne s'agit pas seulement de développer des mesures nécessaires pour assurer l'épanouissement et le développement des minorités mais également des individus qui veulent utiliser les deux langues.

Je vais vous donner un exemple. La majorité des Québécois me considèrent comme un anglophone. Je suis un consommateur acharné des produits culturels français à Montréal. Ce n'est pas une question de communauté mais une question individuelle.

Cela aurait été une bonne chose d'introduire une clause. C'est ma faute. Je ne m'en suis pas donné la peine parce que mon collègue, le professeur Magnet, a rédigé un amendement. Cependant, je pense que la reconnaissance des droits individuels, des droits à l'intégration, est un but important, du fait que les citoyens canadiens peuvent s'identifier aux deux communautés ou à plusieurs communautés à la fois, qu'ils parlent anglais ou français.

Autrement dit, le bilinguisme n'est pas seulement une question de communauté. Je pense qu'à l'extérieur du Québec, il est essentiel de protéger la communauté francophone. Je n'en doute pas, mais je pense qu'il ne s'agit pas seulement cela. Le succès de la politique du bilinguisme dépend de la présence d'un certain nombres d'individus qui s'identifient aux deux langues, chez qui l'identification n'est pas tout à fait claire, tout à fait étanche, ou chez qui elle pourrait changer à des époques différentes de leur vie.

C'est une excellente idée que d'avoir cette clause qui est, jusqu'à un certain point, exécutoire. Il est essentiel d'avoir des mesures en place et il faut reconnaître que ces mesures ne sont pas les mêmes au Québec, mais l'importance est la même.

Je pense qu'il faut insister sur l'apprentissage de la langue de la minorité, sur la protection du français et sur les aspects individuels linguistiques qui n'ont peut-être pas été suffisamment protégés, même si la dernière phrase répare un peu cette omission.

M. André Braën, professeur, Faculté de droit, Université d'Ottawa: Le Parlement du Canada m'a honoré à double titre cette semaine, puisque hier, j'étais aussi invité par le Comité mixte des langues officielles à faire une présentation sur l'article 41. Je pense que certains membres présents aujourd'hui l'étaient aussi hier. Pour éviter de les faire sombrer dans l'ennui, j'essaierai de ne pas faire trop de redondances et je ferai une présentation plus courte.

Une des critiques formulées à l'encontre de la législation sur les langues officielles originale, adoptée en 1969, était l'absence d'un engagement clair à l'intérieur de la loi, en ce qui a trait à la responsabilité du gouvernement canadien de promouvoir les deux langues officielles et de promouvoir le développement des deux minorités de langue officielle au Canada.

La législation de 1988 et, plus particulièrement, la partie VII et l'article 41, constituent, d'une certaine façon, une réponse à cette critique formulée à l'époque. Tel qu'énoncé, l'article 41 est susceptible d'une double interprétation. Certains peuvent y voir une invitation faite au gouvernement d'agir dans le domaine de la promotion des deux langues officielles et du développement des minorités de langues officielles. D'autres peuvent y voir l'obligation du gouvernement canadien d'agir dans ce domaine.

Sur le plan de l'administration fédérale, il ressort de cette interprétation une certaine ambiguïté. Le Commissariat aux langues officielles, dans une étude publiée en 1996 sur la partie VII, a bien démonté, à partir d'un sondage, qu'il y avait, sur le plan des cadres de la fonction publique fédérale, une double perception de l'engagement prévu à l'article 41.

Est-ce impératif ou simplement une invitation? L'affaire de la Loi sur les contraventions, amenée devant les tribunaux il n'y a pas tellement longtemps, a fait voir l'ambiguïté qui découle de l'attitude du gouvernement et, plus particulièrement, du ministère de la Justice et du procureur général du Canada, dans ce domaine.

Tantôt, c'est obligatoire et tantôt, ce ne l'est pas. C'est un principe politique, c'est tout. Au plan de l'exécutif, il y a un malaise. Sur le plan juridique, une disposition comme l'article 41 offre également des défis. En regardant les approches mises de l'avant par la Cour suprême du Canada, il est possible d'aborder la lecture de l'article 41 en disant, de façon très libérale et très généreuse, que quelque chose s'impose au gouvernement. Le gouvernement doit agir. En même temps, on voyait une autre approche, celle fondée sur le compromis politique, qui invitait ses adhérents à aborder la lecture de l'article 41 d'une toute autre manière.

Sur le plan juridique, la Cour suprême du Canada a beaucoup clarifié ce domaine, en particulier, avec l'affaire Beaulac. On sait maintenant que les dispositions linguistiques doivent toutes être abordées d'une manière généreuse et libérale en s'appuyant sur les caractéristiques fondamentales de l'état canadien, soit la dualité linguistique, en s'appuyant sur le principe d'égalité de l'article 16 et en s'appuyant sur le principe de la protection des minorités, de sorte qu'au plan juridique, on aurait beaucoup de difficultés à tenter de démontrer que cet article 41 contient un engagement réel de la part du gouvernement.

Quoiqu'il en soit, le projet de loi S-32 présenté par l'honorable sénateur Gauthier a un avantage immense de ce côté, c'est-à-dire qu'il clarifie la question au plan législatif. La clarification d'une disposition législative comme l'article 41 peut emprunter la voie judiciaire, mais cela peut, si telle est la volonté du Parlement, emprunter aussi la voie législative.

Le projet de loi S-32 clarifie la nature de l'engagement à la charge du gouvernement fédéral et de ces institutions en tant que tel. Mais le projet de loi va-t-il clore le débat quant à la finalité recherchée par l'article 41? Cela est une autre paire de manches. Telle que libellée, la proposition contenue dans le projet de loi attribue quand même au gouvernement canadien l'obligation de prendre les mesures nécessaires et elle lui attribue aussi une discrétion très vaste.

Il est évident qu'il y a une obligation d'agir, mais en termes réels et concrets, qu'est-ce que cela signifie? Est-ce que cela va clore le débat? Plusieurs se plaignent de l'inaction du gouvernement dans ce domaine, mais je ne n'en suis pas sûr. En réalité, il revient au Parlement du Canada de décider s'il convient d'orienter plus en détail et d'une manière plus suggestive l'action gouvernementale qui doit être exercée dans le domaine de la promotion des langues officielles et du développement des minorités de langues officielles.

[Traduction]

Mme Ruth Sullivan, professeure, Faculté de droit, Université d'Ottawa: Je suis heureuse de pouvoir prendre la parole devant le comité, mais je dois lui signaler que je ne suis pas experte en matière de droits linguistiques. Ma spécialité se limite à la rédaction de textes de loi et à leur interprétation, et c'est sous cet angle que je vais vous parler de l'article 41 et des amendements proposés à ce titre.

J'aimerais pouvoir vous dire qu'à mon avis, le texte actuel de l'article 41 est exécutoire et que l'amendement qui y est proposé dissipera à tout jamais tout doute à cet égard. Malheureusement, en examinant la question sous l'angle de l'interprétation de la loi, je ne saurais l'affirmer. Je suis tout à fait favorable à l'esprit de l'amendement proposé et à l'initiative du sénateur Gauthier, mais je doute néanmoins des chances d'aboutissement de cette initiative.

Selon mon interprétation du texte actuel, l'article 41 n'est manifestement pas exécutoire. N'importe quel tribunal qui examinerait cet article du point de vue de l'interprétation de la loi serait bien en peine de le considérer comme une disposition exécutoire.

Lorsqu'on lit cet article dans le contexte de la partie VII dans son ensemble, il y a là une déclaration de principe qui ne dit pas qui, à l'article 41, est responsable de la mise en oeuvre de ce principe. L'article 42 est pratiquement aussi vague. L'article 43 est plus concret en ce sens qu'il nomme un ministre qui est chargé de mettre à exécution l'engagement prévu à l'article 41. Il faut faire remarquer ici que le texte de l'article 43 suit celui de l'article 41, ce qui fait qu'il est pratiquement impossible de prétendre que l'article 41, sous sa forme actuelle, ait une portée propre. Il me semble que c'est l'article 43 qui donne les moyens d'action, si tant est que nous en ayons, à l'article 41.

Il est décevant que l'article 43 donne au ministre du Patrimoine canadien un pouvoir discrétionnaire énorme. Ce ministre prend les mesures — c'est une obligation imposée par la loi — qu'il estime indiquées pour concrétiser les objectifs prévus à l'article 41. Cela veut dire que c'est le ministre qui décide du caractère exécutoire qui doit être donné à l'article 41.

Il y a d'autres éléments aussi dont il faut tenir compte, comme les notes marginales. Dans le cas de l'article 41, la note marginale parle d'«engagement». Dans le cas de l'article 43, elle parle de «mise en oeuvre». Lorsqu'on regarde la partie VII dans son ensemble, je pense qu'il serait étonnant qu'un tribunal arrive à la conclusion que l'article 41 est exécutoire, sous sa forme actuelle.

Il y a donc une proposition qui vise à remédier à cette grave carence de la Loi sur les langues officielles sous sa forme actuelle. Il est certain que le texte de l'amendement ainsi proposé — «prend les mesures nécessaires» — est juridiquement contraignant, mais il n'empêche que je continue à douter qu'il puisse être mis à exécution parce qu'il est trop vague. Il sera très difficile à un tribunal de décider de façon autonome des mesures nécessaires pour réaliser un objectif aussi vaste et aussi vague.

Par ailleurs, la loi ne donne à la personne responsable aucune identité juridique. Même si au lieu de l'expression vague «le gouvernement fédéral s'engage» nous avons maintenant «le gouvernement fédéral prend les mesures nécessaires», ce que le gouvernement doit faire n'est toujours pas très clair. J'ai beaucoup de mal à imaginer qu'un tribunal accepte le fait qu'il pourrait énoncer une mesure précise que le gouvernement serait obligé de prendre. Je ne peux pas imaginer qu'un tribunal veuille s'ingérer dans une décision de ce genre qui est aussi manifestement politique.

Mon opinion rejoint ici celle de M. Magnet, en ce sens que pour que cette disposition ait un effet, il faudrait la modifier.

Il est certain que l'article 42 devrait faire l'objet d'une modification corrélative. À l'heure actuelle, cet article parle de l'«engagement» pris à l'article 41. Il faudrait plutôt parler des «obligations» dont fait état l'article 41.

J'aurais cru qu'à tout le moins, le rapport que le gouvernement doit soumettre en vertu de l'article 44 serait plus qu'un simple rapport de ses activités. Il devrait y avoir pour le gouvernement l'obligation de dire quel est le plan d'action qu'il a suivi pendant l'année pour mettre en oeuvre l'article 41, quels sont les fonds qu'il a engagés à l'appui de ces programmes et quels sont les règlements qu'il a adoptés à l'appui de ceux-ci.

Une autre possibilité serait la création d'un pouvoir réglementaire à l'appui de l'obligation générale dont fait état le projet d'article 41. Je me rallie volontiers à la suggestion de M. Magnet selon laquelle une disposition qui permettrait aux particuliers de s'adresser à la Cour fédérale pour se plaindre d'une inaction de la part du gouvernement serait extrêmement utile pour rendre la disposition véritablement exécutoire. Je pense que c'est cela la solution, plutôt que l'ajout d'une disposition déclarant que cet article est exécutoire. Si les choses restent aussi vagues que cela, je ne sais pas ce que les tribunaux vont pouvoir faire. Il faut que les tribunaux aient au moins une idée de la teneur particulière de l'obligation en question, et l'article 41 n'en dit rien. Par contre, permettre à un particulier de s'adresser aux tribunaux et de proposer un remède serait extrêmement utile pour rendre cette disposition exécutoire.

J'ai quelques craintes au sujet du mot «nécessaires» figurant à l'article 41 proposé qui, à mon avis, en rendra encore plus difficile pour les tribunaux l'application, par rapport à un libellé plus vague. Ironiquement, le mot «nécessaires» signifie que vous devez décider de la nécessité d'un programme donné. Qui prendra cette décision? Il serait plus facile de demander aux tribunaux de décider si un programme fait la promotion de l'objectif. Cela signifierait que le gouvernement doit agir, qu'un programme doit promouvoir ces objectifs sans toutefois qu'il soit nécessaire d'aller jusqu'à dire qu'un programme donné est nécessaire pour atteindre lesdits objectifs.

Par conséquent, même si je suis en faveur de l'esprit du projet de loi, je pense qu'il faut y apporter quelques remaniements pour atteindre ses objectifs.

[Français]

M. Roger Lepage, avocat, Balfour Moss: C'est en tant que praticien que je témoigne devant vous aujourd'hui.

J'ai représenté plusieurs membres de la communauté francophone en Saskatchewan, aux Terriroires du Nord-Ouest, au Yukon et au Nunavut. Je veux parler de l'article 41 de la Loi sur les langues officielles et ce, toujours en tant que praticien. À mon avis, les articles 41, 42, 43 et 44 sont problématiques parce qu'ils manquent de clarté.

Je regarde présentement les commentaires de Mme Sullivan, puisque j'ai déposé un recours judiciaire à Yellowknife pour la Fédération des francophones des Territoires du Nord-Ouest et pour des individus qui disent qu'aux Territoires du Nord-Ouest, il est impossible d'avoir recours à des services en français comme il se doit, même si ce territoire est sous la compétence exclusive du gouvernement fédéral en vertu de l'article 4 de la Loi constitutionnelle de 1871.

Une déclaration affirme qu'il est impossible de communiquer en français avec les sièges sociaux des Territoires du Nord-Ouest. On a poursuivi le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et on a aussi poursuivi le gouvernement fédéral, en disant qu'il est responsable des droits linguistiques dans les trois territoires.

On a aussi plaidé le fait que la partie VII de la Loi sur les langues officielles oblige le gouvernement fédéral de s'assurer que les droits linguistiques sont respectés aux Territoires du Nord-Ouest. Dans sa réponse du 28 janvier 2002, le gouvernement fédéral alléguait dans sa défense que la partie VII de la Loi sur les langues officielles était tout simplement une position politique, qu'elle ne garantissait aucun droit.

Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, pour sa part, abonde dans le même sens, affirmant que la partie VII, dans ses mots, est un «vœu pieux». Les francophones se sont donc placés dans une position où ils se demandent ce que signifie pour eux la Loi sur les langues officielles.

De toute façon, il y a plus que ce problème aux Territoires du Nord-Ouest, parce qu'on a spécifiquement exclu les trois territoires du texte de la loi fédérale sur les langues officielles.

On a créé une loi sur les langues officielles en 1988, pour les Territoires du Nord-Ouest, qui est sensé être plus ou moins identique, mais qui ne l'est pas.

En tant que praticien, je crois qu'éventuellement, les tribunaux diront que l'article 41 est exécutoire, mais entre- temps, on doit aller jusqu'à la Cour suprême du Canada pour faire valoir ses droits. On a essayé de le faire en Cour fédérale, en première instance. Le gouvernement fédéral a dit qu'il fallait aller en Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest et la Cour fédérale a dit la même chose. Donc, on a eu à recommencer.

Il est très difficile pour les francophones de savoir où s'adresser pour faire valoir ses droits. Une fois que nous sommes devant le tribunal à Yellowknife, on nous dit que la Loi sur les langues officielles ne s'applique pas à nous. Deuxièmement, même si c'était le cas, la partie VII est tout simplement déclaratoire d'un voeu politique. D'ailleurs, la position que prend le gouvernement fédéral dans d'autres domaines est très similaire. On prend la position que les trois territoires sont des institutions du gouvernement fédéral en vertu des articles 16 et 20 de la Charte. Les articles 16 et 20 s'appliquent aux institutions du gouvernement fédéral. Dans sa défense du 28 janvier, le gouvernement a dit que les trois territoires ne sont pas des institutions du gouvernement fédéral et qu'ils sont maintenant des gouvernements distincts et complètement autonomes du gouvernement fédéral. Donc, les articles 16 et 20 ne s'appliquent pas à eux. Vous voyez alors le problème que ceci cause pour les justiciables. On se fait dire qu'on est dans le mauvais tribunal, ensuite on se fait dire qu'on est dans le bon tribunal, mais que la partie VII de la Loi sur les langues officielles et l'article 20 de la Charte ne veulent rien dire, parce qu'on n'est pas une institution du gouvernement fédéral.

Le gouvernement fédéral a argumenté devant la Cour fédérale qu'il a le droit, en vertu de l'article 4 de la Loi constitutionnelle de 1871, de créer un palier de gouvernement territorial et de lui déléguer les pleines responsabilités, de la même façon que si c'était une province, et que les trois territoires sont donc maintenant des «provinces». Quand on demande s'ils font partie de la Couronne fédérale ou provinciale, on nous dit qu'ils naviguent dans cette zone grise entre les deux et qu'il ne faut pas essayer de répondre à cette question. Ce qui met aussi les francophones dans cette zone grise où nous ne savons pas s'il faut s'adresser au gouvernement fédéral pour nos droits linguistiques ou au gouvernement territorial.

Nous disons que ce sont deux mains du même corps. C'est le gouvernement fédéral qui s'est créé un «petit» dans le nord. Il ne peut pas tout simplement dire: «Je me départis aussi de mes responsabilités», mais c'est ce qui arrive.

Si on regarde, sur le terrain, ce que fait le gouvernement fédéral dans le domaine des droits linguistiques, on constate qu'il faut absolument que les politiciens clarifient la loi. Comme praticien, je ne veux pas avoir à aller à la Cour suprême du Canada chaque fois que j'essaie de faire valoir des droits linguistiques. Je suis d'accord que les articles 41 à 45 sont ambivalents. Il faut les clarifier. J'appuie l'effort du sénateur Gauthier.

Je viens d'entendre pour la première fois la position du professeur Magnet. C'est la première fois que j'entends dire, très clairement, que c'est exécutoire, et qu'il faut mettre sur pied un mécanisme pour faire valoir ces droits s'ils ne sont pas respectés. Je préfère aller en Cour fédérale s'il le faut. J'aime également le fait de garder le mécanisme de la commissaire aux langues officielles parce que c'est à ce commissariat de faire le travail. La petite communauté francophone ne devrait pas, à chaque fois, voir si elle peut récupérer suffisamment d'argent pour se présenter devant les tribunaux afin de faire valoir ses droits.

Je ne veux pas avoir à me fier aux les nouveaux arrêts de la Cour suprême du Canada pour donner une interprétation large et libérale. Je ne veux pas toujours avoir à retourner au pacte confédératif de 1867 pour dire: «Basé sur cela, monsieur le juge, vous devez donner une interprétation large et libérale qui va promouvoir l'avancement de ma communauté.» Je préfère que les politiciens se prennent en main et qu'ils légifèrent clairement dans ce domaine. Je félicite le Sénat pour l'étude de cette question. Ce que je constate, c'est que le gouvernement fédéral hésite à y travailler et, entre-temps, on se fait prendre entre les deux.

On a vu ce qui est arrivé en 1988 en Saskatchewan et en Alberta. En même temps que le gouvernement fédéral adoptait la fameuse Loi sur les langues officielles, on a aboli le français en Saskatchewan et en Alberta pour renverser l'arrêt Mercure de la Cour suprême du Canada. Est-ce que ce n'est pas aller à l'encontre du développement d'une communauté francophone? Je ne peux rien faire en vertu des articles 41 et 45 parce qu'il me manque des droits.

Le vice-président: Nous allons maintenant procéder à la période de questions. On va évidemment tenir compte du point que vous avez soulevé. C'est évident que la loi s'applique aux territoires. L'article 30 de la Charte canadienne des droits et libertés le dit très clairement. Est-ce que ce n'est pas un jugement de cour qui dit le contraire?

M. Lepage: Non, c'est la défense déposée par le ministère de la Justice fédérale le 28 janvier 2002.

Le vice-président: C'est un peu surprenant. Enfin, on va prendre en considération ce point juridique, même constitutionnel.

[Traduction]

Nous avons fait beaucoup de progrès étant donné que nos premiers témoins ont traité de la question de savoir si cette disposition était exécutoire, déclaratoire ou ni l'une, ni l'autre.

À la deuxième étape, nous avons examiné l'amendement proposé par le sénateur Gauthier et c'est ce que nous continuerons de faire. Nous avons ensuite reçu des propositions d'amendement de Dyane Adam, la commissaire aux langues officielles. Nous avons maintenant les amendements proposés par M. Magnet et d'autres. M. Grey est en faveur d'une disposition exécutoire. M. Braën a formulé des commentaires au sujet du sens de l'article 41 proposé.

Je suggère de nous en tenir à la question de savoir si la disposition est exécutoire ou pas, impérative ou déclaratoire. Il ne faudrait pas oublier non plus les amendements proposés par les témoins experts.

[Français]

Le sénateur Rivest: Si on règle la question à savoir si c'est exécutoire ou non, cela va clarifier soit la proposition du sénateur Gauthier ou celles que le professeur Magnet et d'autres nous ont proposées très clairement sur le plan juridique. Ceci mettrait fin à ce débat inutile.

Ce qui est étonnant, c'est que le ministère de la Justice plaide le contraire de ce que je comprends être la volonté politique, la promotion réelle de la dualité linguistique.

Si le ministère de la Justice fédéral est vraiment convaincu que ce n'est pas exécutoire, que le gouvernement corrige la chose, car elle est nécessaire pour les communautés.

Que faut-il faire concrètement pour remplir l'obligation exécutoire qui est faite? Le professeur Magnet a suggéré une approche s'inspirant de l'article 1 de la Charte, le critère raisonnable. Dans les lois sur l'éducation ou sur la santé, je suppose qu'il est dit quelque part que le gouvernement doit prendre des mesures nécessaires pour assurer la bonne santé des citoyens ou l'éducation de leurs enfants. Est-ce qu'il y a des mesures d'évaluation de la fourniture des services que le gouvernement met à la disposition des citoyens pour qu'ils soient en santé et éduqués? Est-ce que cela existe dans la législation, à votre connaissance?

M. Grey: Nous avons la Loi sur les Indiens et des peuples autochtones. Ce qui est inscrit dans la Charte n'enlève rien au principe du multiculturalisme.

On ne peut pas enlever toutes les ambiguïtés. On ne peut pas avoir un code pour dire d'avance ce qui sera nécessaire pour promouvoir les différentes communautés ou individus, surtout que ce n'est pas la même chose partout. On ne peut pas empêcher le recours aux cours. On pourrait spécifier la cour fédérale ou la cour supérieure de chaque province, cela ne change rien au fait que l'on devra procéder devant la cour.

On pourrait ajouter certaines précisions sur la nature des mesures. J'étais intéressé par l'idée du professeur Sullivan d'enlever le mot nécessaire, ou bien de dire nécessaire ou utile. À ce moment on laisse le choix à la cour mais on comprend que le gouvernement jouit d'une discrétion. Les mesures devront être déraisonnables, inadéquates ou en absence totale de mauvaise foi. L'article pourrait être utilisé pour annuler les mesures qui vont dans le sens contraire, par exemple, pour des mesures budgétaires restreintes dans les budgets de toutes les écoles françaises dans tel ou tel endroit.

Ce sont les choses qu'on peut faire: spécifier une cour, éliminer le mot nécessaire et ajouter quelques exemples de mesures, telles que les mesures individuelles. Je voulais faire des propositions sur les mesures individuelles et institutionnelles et établir une liste qui n'est pas exhaustive, seulement à titre d'exemple. Mais dans le monde dans lequel nous vivons, il y aura toujours la possibilité et l'incertitude des recours devant les cours.

Le sénateur Rivest: Vous ajoutez une dimension individuelle, pas seulement celle des minorités. Juridiquement, quelle serait la conséquence d'ajouter la préoccupation que vous avez. Vous dites que le bilinguisme n'est pas seulement institutionnel et qu'il ne vise pas seulement les minorités. C'est important, mais dans le cadre de l'article 41, quelles sont les conséquences juridiques?

M. Grey: On pourrait mentionner clairement, parmi les différentes mesures, la notion de promotion de l'apprentissage par la majorité de la langue minoritaire. À ce moment le gouvernement serait de mauvaise foi s'il ne consacrait pas un montant raisonnable pour faciliter l'apprentissage de l'autre langue. On ne dit pas combien. Cela dépend du budget, qui diffère d'une année à l'autre. On pourrait aussi mentionner clairement l'intégration, en disant que les mesures ne doivent pas nécessairement être les mêmes dans toutes les parties du Canada. Ceci renforcerait les mesures d'intégration individuelles au Québec, où elles sont nécessaires, et les mesures institutionnelles en Saskatchewan ou en Alberta, où il y a un manque manifeste d'institutions francophones.

Ce que j'ai dit est particulièrement pertinent si on décide de dresser une liste d'exemples, à titre indicatif, qui préciserait les types de mesures que le gouvernement pourrait prendre.

Le sénateur Rivest: À titre indicatif.

Le vice-président: Professeur Sullivan, vous voulez faire une remarque sur le mot «nécessaire».

[Traduction]

Mme Sullivan: Vous avez soulevé une question au sujet des conséquences pour la Loi sur la santé, les lois sur l'éducation, et cetera. La réponse se trouve dans la formulation de ces lois. La Loi sur les langues officielles, comme toutes les grandes lois qui créent des institutions, repose sur des principes généraux. Elles sont ensuite assorties de mesures de mise en oeuvre précises.

Le problème de la partie VII de la Loi sur les langues officielles, c'est qu'on a suivi cette démarche, mais que la mise en oeuvre se fait beaucoup trop mollement. L'article 41 énonce le principe général. L'article 43 prévoit le mode de mise en oeuvre, mais elle manque de mordant. Sauf le respect que je dois à mes collègues, je ne crois pas que les tribunaux puissent juger cette disposition exécutoire, à moins que l'article 43 soit modifié. Je ne peux pas m'imaginer que les tribunaux disent au gouvernement: «Vous devez dépenser tant d'argent pour cette mesure particulière» alors que l'article 43 donne toute discrétion à un ministre donné de prendre ces décisions politiques. Je ne pense pas que cela se produise.

Le sénateur Bryden: Monsieur le président, vous êtes bien connu pour vos talents de conciliateur. Mais je crois que vous êtes allé un peu trop loin dans votre introduction, en disant que nous avions fait beaucoup de progrès dans la détermination de la nature exécutoire ou déclaratoire de l'article 41. Si l'on faisait un sondage, je crois qu'on trouverait qu'on se répartit en trois groupes égaux. Les idées claires de Mme Sullivan sont fascinantes. Je dis claires, parce qu'elles concordent tout à fait avec mon interprétation.

Des témoins ont dit ce que vous et moi-même avons clairement affirmé. Des témoins nous ont dit que l'amendement n'était pas nécessaire parce qu'on pourrait simplement s'adresser à la Cour suprême du Canada, qui confirmerait clairement qu'il s'agit d'une disposition exécutoire, et que la cour n'a qu'à dire: «Allez, faites-le». Mais d'autres, comme M. Magnet, affirment que c'est exécutoire, mais qu'il faudrait ajouter trois paragraphes pour le dire très clairement.

Dans un sens, nous n'avons pas vraiment avancé.

Le vice-président: Je n'ai pas dit que nous avions atteint notre objectif.

Le sénateur Bryden: J'aimerais soulever quelques questions précises, notamment, monsieur Magnet, au sujet de l'amendement que vous proposez, et qui dit quelles mesures doivent être prises, ou être appliquées par les tribunaux. Ainsi, en vertu du paragraphe 41(3) de vos amendements, les institutions fédérales doivent mettre en oeuvre les engagements cités en 41(1) avec toute la diligence voulue.

Qu'est-ce que les tribunaux jugeront une «diligence voulue»? Je sais qu'il y a une définition de «l'homme raisonnable» dans certaines circonstances. Certaines interprétations ont causé des problèmes, parce qu'on avait recours à l'expression «toutes les mesures possibles». Je n'ai toutefois jamais vu d'interprétation des termes «diligence voulue». Pourriez-vous me dire ce que signifie «diligence voulue» dans l'exécution de ce mandat?

M. Magnet: Les mots «diligence voulue» viennent de la jurisprudence de la Cour suprême des États-Unis qui, depuis 50 ans fait la promotion de la déségrégation des écoles ségréguées. Je pense que cela signifie aussi rapidement qu'il est raisonnablement possible.

Sénateur Bryden, je crois que la confusion dont vous parlez, à juste titre, ne vient pas de la rapidité de réalisation de l'objectif, mais plutôt des mesures à prendre pour y arriver.

Mme Sullivan en a parlé, et je suis favorable au point de vue qu'elle a exprimé. Je ne suis toutefois pas aussi catégorique qu'elle. Le comité a entendu des témoignages à ce sujet et je n'ai donc pas à insister davantage. Il y a les principes de droit administratif selon lesquels la «discrétion» signifie qu'on doit agir selon l'objet de la loi. L'objet de la loi est énoncé au début de la Loi sur les langues officielles. D'une certaine façon, on trouve la même chose à l'article 41.

En 1971, le comité recevait l'avis juridique de Michel Bastarache, qui était alors professeur. Conformément à ce principe du droit administratif, il estimait que l'article 41 était exécutoire et que l'objet de la loi fournissait le contenu qui est absent, aux yeux de Mme Sullivan. C'était son point de vue et ce l'est peut-être encore.

Nous pouvons en discuter si vous voulez, mais je tenais à formuler ce commentaire sur ce qui pouvait être nécessaire. Mes collègues estiment que nous devons avoir des institutions et Mme Sullivan croit qu'il faut un contenu particulier, et d'autres encore croient qu'il faut des obligations précises. M. Lepage dit qu'il est difficile pour les petites collectivités de prendre des mesures.

Nous ne savons pas vraiment ce qu'il faut, dans le cas des collectivités, pour favoriser leur épanouissement. Nous sommes parfois très étonnés. Par exemple, à Chéticamp, sur l'île du Cap-Breton, on trouve une communauté francophone de 200 familles. D'après la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, il est clair qu'en vertu de l'article 23 de la Charte, elles ont droit à une école française. Mais elles doivent aussi vivre avec les familles voisines. Même si elles ont ce droit, elles ne tiennent pas vraiment à le revendiquer, malgré le Programme de contestation judiciaire qui leur fournirait les fonds nécessaires pour s'adresser aux tribunaux et forcer l'application de la loi. Elles pourraient dire: «Nous n'avons pas assez d'argent pour aller en cour». Le Programme de contestation judiciaire sert justement à fournir des fonds dans ces cas-là. La communauté pourrait dire: «C'est déjà difficile d'être francophone, ici, avec nos voisins, et nous ne voulons pas causer trop de remous».

Comment favoriser l'épanouissement de cette communauté, de manière qu'elle exerce son droit d'élever ses enfants en français, d'avoir une école française? Comment forcer la communauté à dire: «Nous irons plus loin. Nous nous entendrons avec nos voisins tout en agissant de manière délibérée et à un rythme raisonnable et déterminé»? Je ne sais pas comment répondre. Mais il reste que l'un des avantages du droit conféré à cette communauté de recourir aux tribunaux, c'est qu'elle peut en profiter pour dire ce qui doit être fait.

Vous seriez étonné d'apprendre ce que la communauté juge nécessaire. Dans l'affaire de l'Hôpital Montfort, j'ai été épaté. C'est un bon principe de droit administratif et constitutionnel, qui dit que l'épanouissement de la communauté francophone de l'Ontario doit être pris en compte dans la restructuration des hôpitaux. Cela m'a étonné. C'est aux collectivités de s'exprimer.

L'expression «diligence voulue» témoigne de l'urgence d'agir. Le droit de recourir aux tribunaux permet une nouvelle mise en oeuvre, de nouveaux mécanismes et façons de penser qui peuvent être présentés dans l'interprétation des termes généraux de ces dispositions.

Je comprends que vous disiez que le libellé n'est pas clair, qu'il ne peut être exécutoire faute de mécanisme, et cetera, mais l'ambiguïté qui vous chiffonne peut aussi constituer un point fort de la loi.

Mme Sullivan: L'article 41 n'existe pas isolément. L'article 43 fournit les mécanismes de mise en oeuvre de l'article 41. Là n'est pas le problème. Je me soucie de l'imprécision du libellé, d'une part, et de sa précision dans d'autres cas. On dit d'une part «La façon dont on mettra en oeuvre les engagements énoncés à l'article 41» puis, expressément: «par les mesures que le ministre estime indiquées».

S'il n'y avait pas l'article 43, je serais d'accord avec vous. J'estime que l'article 43 est un obstacle inquiétant.

M. Magnet: On pourrait en dire autant au sujet de l'affaire de l'Hôpital Montfort. Vous avez un régime de droits linguistiques précis, et des mécanismes. Vous avez des écoles et des services. Vous avez le droit de parler votre langue devant les tribunaux et à l'Assemblée législative. En suivant le raisonnement de Mme Sullivan, il devrait être inadmissible de demander un droit flou et général, comme dans l'affaire de l'Hôpital Montfort.

Mme Sullivan: Je suis désolée, je ne trouve pas d'analogie entre ces cas.

M. Grey: Et voilà le problème: on ne peut jamais prédire tous les types de questions qui surgiront. Évidemment, aucun gouvernement n'adoptera de loi permettant à n'importe quel groupe de revendiquer le droit de son choix en s'adressant aux tribunaux, et les tribunaux ne l'interpréteraient jamais ainsi.

Il reste donc le réel devoir du ministre de faire certaines choses. Si un groupe estime que le ministre ne l'a pas fait, ou ne l'a pas fait d'une manière raisonnable, ou qu'il ne l'a pas fait de bonne foi, il peut s'adresser aux tribunaux. Le tribunal agira avec déférence à l'égard de ce que fait le ministre. Autrement, il agirait comme un gouvernement, sans en avoir les moyens ni le personnel de recherche. Le tribunal ne peut pas imposer de lui-même une solution.

Cela ne signifie pas pour autant que les tribunaux n'interviendront pas dans des circonstances où le gouvernement a mal agi, ou n'a agi que pour des raisons financières, ou s'il a agi de manière à plaire à un gouvernement provincial qui ne veut pas assurer l'épanouissement d'une minorité. Les tribunaux sont souvent intervenus pour renverser des décisions administratives. La différence, avec cette loi, c'est qu'en plus de renverser des décisions ou d'abroger des règlements — ce qui peut peut-être être fait de bien des façons, déjà — le tribunal pourra émettre un bref de mandamus ou une ordonnance d'adoption d'une politique raisonnable, là où une absence d'engagement est prouvée.

Le sénateur Bryden: Mme Sullivan a ajouté à sa déclaration que le problème ne se trouvait pas seulement dans les articles 41 et 42, mais aussi dans la description à l'article 43 de ce qui doit être fait, et qui constitue un obstacle.

C'est en effet un obstacle et si vous permettez, un obstacle voulu. En disant «C'est une décision politique», on affirme que c'est une question de politique publique. Le gouvernement qui a créé la partie VII si différente des parties IV, V et VI, pour ce qui est de l'imposition d'obligations, voulait clairement dire que c'est une question de politique publique, dont doivent être saisis le Parlement et son Cabinet. C'est là qu'est la compétence. Si le ministre du Patrimoine, qui «prend les mesures qu'il estime indiquées» ne fait rien du tout, vous avez raison. Vous pouvez vous adresser aux tribunaux et obtenir un mandamus, ou quelque autre ordonnance, pour l'obliger à faire quelque chose.

Mais cette liste me semble dire clairement qu'il y a une démarche à suivre pour faire la promotion des minorités, pour leur épanouissement et leur développement, et que cela se fait administrativement, à la discrétion du membre du Cabinet à qui on en a confié la responsabilité. À mon avis, ce n'est pas un hasard si cette disposition est si différente des dispositions exécutoires des parties IV, V et VI.

M. Magnet: Je vous crois et je suis d'accord avec vous, en principe; nous nous disputons pour de petites choses. Vous dites que c'est exécutoire et que si le ministre ne fait rien, les tribunaux pourront intervenir. J'en conviens. Le problème, c'est si le ministre ne fait rien. Serions-nous toujours d'accord? Est-ce qu'on ne serait pas en désaccord au sujet du prix? Si le ministre prend une mesure qui, de l'avis de la communauté, et d'après les faits, n'assure pas son épanouissement, sommes-nous maintenant en désaccord? La question porte sur les circonstances dans lesquelles le tribunal peut intervenir. Je pense que nous convenons que le tribunal peut intervenir dans certaines circonstances.

[Français]

M. Braën: Le but du projet de loi S-32 est de clarifier l'énoncé prévu à l'article 41 et d'insister sur le caractère obligatoire de ce qu'on y retrouve. On sent peut-être le besoin d'en arriver là parce qu'on constate l'inaction ou l'ambiguïté pouvant animer les officines des institutions fédérales.

Il ne s'agit pas seulement de s'assurer que l'engagement de l'article 41 soit quelque chose d'obligatoire, mais aussi de s'assurer qu'il se fasse quelque chose en tant que tel. Dans ce cas, le législateur peut confier une mission au gouvernement — comme le fait l'article 41 — qui encadre l'exercice de cette mission au moyen de l'attribution d'un pouvoir réglementaire, c'est-à-dire préciser tout de suite qu'à cette fin, le gouverneur en conseil adopte ou doit adopter les règlements. Vous avez une liste faisant partie de l'article 43 qui peut servir de précision.

C'est une façon de s'assurer du caractère exécutoire, mais aussi de s'assurer qu'on encadre le gouvernement et qu'on ne lui enlève pas toute discrétion. C'est une façon de s'assurer que cette discrétion va s'exercer dans des limites bien précises.

Le vice-président: L'article 43 est toujours là.

M. Braën: L'article 43 parle de mesures administratives et il y a une différence importante entre un règlement et une mesure administrative.

Le vice-président: On le sait et on le souligne souvent.

Le sénateur Gauthier: J'apprécie le témoignage des cinq témoins d'aujourd'hui qui, à mon humble avis, est utile et important. Comme le disait M. Braën, if faut clarifier la situation. Je ne suis pas avocat et ce n'est pas mon travail de m'occuper du libellé, mais j'ai des problèmes en tant que citoyen.

Actuellement, la partie VII n'est pas judiciable avec l'aide du commissaire aux langues officielles. La partie 41 est donc exclue. On m'a proposé d'aller à la Cour fédérale, chose que je savais déjà. Je peux le faire aujourd'hui si j'ai les fonds nécessaires et de bons avocats qui appuient la cause que je défends.

M. Braën a fait allusion au fait que, depuis 1988, les gouvernements qui se sont succédé ont toujours interprété l'article 41 comme étant déclaratoire. Il y a des conséquences qui découlent de cette interprétation «minimaliste». Tous les ministères disent: «Ce n'est pas exécutoire, ne venez pas nous fatiguer avec la nécessité d'appuyer le développement économique, le développement social, le développement culturel et les programmes de santé». On nous dit que ce n'est pas une obligation du gouvernement fédéral et qu'il faut aller voir les intervenants provinciaux. On nous renvoie continuellement d'une agence à l'autre.

Une partie du rapport d'Yves Séguin parle de péréquation et s'appuie sur l'article 36 de la Constitution. Si vous comparez le libellé de l'article 36 de la Constitution à celui de l'article 41 de la Loi sur les langues officielles, vous verrez qu'ils se ressemblent étrangement.

Le gouvernement s'engage à promouvoir, à appuyer [...]

De ce fait, je ne comprends pas comment il se fait qu'on interprète un article de la Constitution du pays en accordant des milliards de dollars aux provinces et qu'on qualifie l'article 41 comme étant déclaratoire. M. Braën a fait allusion au fait que c'était peut-être une question de réglementation.

Cette question est tellement complexe que le premier ministre a dû mandater un autre ministre pour la coordination du travail. À l'heure actuelle, deux ministres s'occupent de cette question. Le ministre associé, M. Stéphane Dion, a promis un plan d'action sous forme de réglementation ou, peut-être, sous forme d'aide financière.

Comment puis-je expliquer aux gens que, d'une part, dans un article de la Constitution, on accorde de l'importance au terme «engager» en accordant 18 milliards de dollars aux provinces et que, d'autre part, on qualifie l'article 41 comme étant une déclaration politique et qu'il ne faut pas trop en demander?

Mme Sullivan pourrait peut-être répondre à cette question.

[Traduction]

Mme Sullivan: Chaque disposition doit être étudiée dans son contexte. L'article 41 fait partie de la partie VII d'une loi, et non d'un document constitutionnel. Comme c'est un texte quasi constitutionnel, il faut lui donner une interprétation plutôt large.

Comme le disait M. Magnet, nous avons dans la Loi constitutionnelle un mécanisme qui permet d'obliger le gouvernement à appliquer la Constitution. Un tel mécanisme n'existe pas dans la Loi sur les langues officielles. Ce sont les tribunaux ordinaires qui en seraient saisis et les principes habituels d'interprétation des lois s'appliqueraient. Si j'applique ces principes à la partie VII, je dois examiner l'article 41 à la lumière des articles 41 à 45. Il faut y voir un ensemble. Si je regarde les notes marginales, et le libellé des articles 42 et 43, par rapport à l'article 41, je prédis que les tribunaux traiteront la chose différemment. En effet, le contexte est différent.

Le plus puissant principe d'interprétation des lois, c'est l'analyse du contexte. On n'examine pas une disposition isolément, mais avec les autres qui s'y rapportent et qui ont un même objectif. L'article 41 est un énoncé d'objectif ou de politique, chose désormais courante en rédaction législative. Suivent ensuite des moyens de mise en oeuvre. Si j'étais un tribunal saisi de la question, je dirais que le Parlement a établi un mode de mise en oeuvre et qu'il est décrit à l'article 43. Il ne revient pas au tribunal de compléter cela et de combler les lacunes dans la législation.

M. Grey: On peut comparer cela à ce qui est arrivé à l'article 3 de la Loi sur l'immigration. On y trouve tous ces voeux pieux. L'objet de la loi est de contrôler l'activité criminelle internationale pour permettre au Canada de s'acquitter de ses obligations humanitaires. Diverses personnes, dont moi-même, essayent d'invoquer l'article 3, mais la Cour fédérale répond toujours que l'article 3 ne permet pas de faire venir un parent de l'étranger. Ce n'est pas précis, le reste de la loi le permet.

La Cour suprême, dans l'affaire Baker, tout à coup appliqué l'article 3 d'une façon radicale. Autrement dit, dans une affaire pertinente, quand un tribunal sort de ses gonds, surtout la Cour suprême du Canada, il peut soudainement sortir un article et s'en servir pour faire des reproches au gouvernement.

Le vice-président: Nous avons soulevé ce problème lorsque nous avons examiné la Loi sur l'immigration, particulièrement, le fameux article 3. Je suis ravi que vous en parliez.

Mme Sullivan: Je ne comprends pas pourquoi il faut attendre un cas d'exception. Pourquoi faut-il s'adresser à la Cour suprême du Canada? Pourquoi ne pas rédiger un projet de loi qui nous évite ce recours à la Cour suprême? Si ce qu'on veut, c'est modifier la partie VII pour nous permettre de faire ce qu'on veut, il n'est pas nécessaire d'agir ainsi. Supprimez simplement l'article 43.

Le sénateur Gauthier: J'ai essayé de le faire en m'adressant aux tribunaux. On ne m'a même pas écouté. J'ai essayé de m'adresser à la Cour suprême, en vertu de l'article 41. On n'a pas voulu m'écouter.

Mme Sullivan: Pourquoi faire ces changements à la pièce? Pourquoi ne pas tout revoir, pour que ce soit clair? À mon avis, nous ne sommes même pas près du but. Le problème, c'est l'article 43. Je comprends qu'on puisse le contourner, mais pourquoi? Pourquoi ne pas rédiger un nouvel article 43, qui ne donne pas autant de discrétion au ministre? Pourquoi ne pas imposer une obligation au ministre, à l'article 43?

M. Grey: Il y aurait un problème, à mon avis. Si vous présentez à la Chambre des communes un projet de loi très complexe qui donne un recours absolu en Cour fédérale, qui échapperait au contrôle du gouvernement, il ne sera pas adopté. Si vous leur donnez une loi qui leur impose une obligation, que c'est une façon de dire qu'on est en faveur du bilinguisme, elle sera peut-être adoptée. Cinq ou six ans plus tard, la Cour suprême pourrait lui donner du mordant.

Je sympathise avec ceux qui disent qu'on ne devrait pas avoir à recourir à la Cour suprême et je comprends très bien ce que cela peut coûter. Mais je ne crois pas qu'il y ait moyen de rédiger une loi si claire qu'elle ne se retrouve jamais devant la Cour suprême du Canada. Bien entendu, la Cour en sera saisie. Mais on pourrait y inscrire des choses assez précises. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de supprimer l'article 43. Il n'y a qu'à apporter des précisions à l'article 41, qui servira de modèle.

Le sénateur Gauthier: La principale raison d'être de cet examen du projet de loi S-32, c'est ma fatigue du système judiciaire. Comme je n'arrivais à rien, j'ai décidé de travailler dans ma propre arène, l'arène politique. C'est ce que nous faisons aujourd'hui, et je vous remercie beaucoup de votre aide.

[Français]

Le sénateur Joyal: Je crois qu'il faut quand même, au départ, redéfinir les éléments de base de cet édifice juridique, politique et constitutionnel des droits linguistiques. En 1985, dans l'affaire Mercure et dans la suite du Renvoi des droits linguistiques au Manitoba, la Cour suprême du Canada a dit que les droits linguistiques sont essentiels à la viabilité de la nation.

[Traduction]

Si j'ai bien compris M. Grey, sans ces droits, il n'y a pas d'avenir pour la nation. C'est un jugement politique ou un regard sur la réalité canadienne assez marqué.

Plus tard, dans l'affaire Beaulac, on a déclaré que la Loi sur les langues officielles était une loi quasi constitutionnelle et qu'elle devait être interprétée en fonction de la Charte. J'en déduis que la loi a trois objectifs. C'est ce qu'on présume. Elle a un objectif très clair. C'est un recours, pour corriger une situation qui a nui à certains Canadiens. Troisièmement, il faut l'interpréter de manière libérale. Voilà les principes fondamentaux d'interprétation de la Charte que les tribunaux doivent appliquer à la Loi sur les langues officielles.

Une porte doit être ouverte ou fermée; il y a une obligation constitutionnelle, ou il n'y en a pas. À mon avis, certaines obligations constitutionnelles sont très clairement énoncées dans la Charte ou d'autres lois que le Parlement adopte, de temps en temps. D'autres se prêtent à une certaine appréciation, avec le temps. Mais il doit au moins y avoir une obligation. Essentiellement, il y a une obligation.

Je pense que cette obligation est double. C'est soit une obligation d'éviter de prendre des mesures qui nuiraient à l'objectif global de protection des droits, soit une obligation de prendre des mesures positives visant à atteindre cet objectif. Je pense que l'obligation est double.

[Français]

Dans ce débat sur les articles 41 et 43, à mon avis, on est encore dans le flou de la définition de l'obligation faite au gouvernement du Canada. Le flou est probablement volontaire à l'origine. On a entendu les représentants du ministère de la Justice qui ont dit que tout cela était politique. Le sénateur Gauthier nous a cité les témoignages du ministre Crombie et du ministre Bouchard — à l'époque, il était secrétaire d'État responsable de l'application des programmes — qui ont dit qu'il s'agissait d'obligations. Il y a eu un double langage interprétatif de ce que voulait dire la partie VII de la Loi.

Il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'une obligation quasi constitutionnelle et que les cours vont les interpréter libéralement, de manière à réparer des manques ou des difficultés qui remettent en cause la survie des langues au Canada.

Dans le contexte des résultats du recensement que l'on connaîtra bientôt sur les langues — Statistique Canada va publier, selon les journaux d'hier, le 10 décembre le résultat sur les langues — l'obligation du gouvernement canadien, eu égard à la viabilité de la nation, va prendre un sens très différent à la lumière de ce résultat. Il n'en demeure pas moins qu'il reste une obligation constitutionnelle. Mais de quelle nature est-elle, cette obligation constitutionnelle?

En tant que professeur, comment la définiriez-vous, compte tenu de l'évolution que les tribunaux ont donné aux droits linguistiques depuis 1976, depuis que l'on se bat devant eux pour essayer de mettre le doigt sur ce que représente vraiment la mesure de protection donnée aux minorités au Canada?

De quelle nature est l'obligation constitutionnelle du gouvernement canadien d'assurer la viabilité de la nation, eu égard aux droits linguistiques?

M. Grey: Je dirais qu'il faut prendre des mesures raisonnables et de bonne foi. Étant donné la situation, la cour ne pourra pas dire que le ministre a tort parce que le ministre n'a pas fait ce que le juge pensait plus opportun.

Étant donné la preuve parfois technique, apportée par un expert, si le juge en vient à la conclusion que les mesures prises ne sont pas raisonnables dans les circonstances, il dira que c'est déraisonnable, par exemple, si on démontre la disparition du français très rapide en Alberta ou ailleurs. La cour pourra intervenir si les mesures ne sont pas prises de bonne foi, mais on ne peut jamais le prouver. De même, si l'on ne s'adresse pas aux véritables questions, si la mesure est prise pour une raison purement budgétaire, si on n'a vraiment pas considéré l'aspect linguistique ou si c'est seulement pour répondre à une pression politique — une province ne veut pas promouvoir les droits de la minorité — la cour pourra agir. Mais la cour ne substituera pas un point de vue sur ce qui est plus opportun aujourd'hui. Faut-il dépenser 90 millions ou 100 millions de dollars? Si la cour s'attaque à ce genre de problème, elle sera débordée. Elle étudiera les deux points de vue. Est-ce raisonnable et pris de bonne foi?

S'est-on adressé aux véritables questions pertinentes ou bien à d'autres questions?

[Traduction]

M. Magnet: Je suis très impressionné par l'éloquence avec laquelle vous avez présenté cet argument. Comme vous avez été ministre d'État pour les collectivités, vous comprenez peut-être mieux que moi, ou que quiconque, que les collectivités n'en sont pas toutes au même point dans leur développement.

Quelles sont les mesures à prendre? Les mesures doivent être de nature à favoriser l'épanouissement des communautés linguistiques minoritaires anglophones et francophones au Canada et à appuyer leur développement. C'est toute une question. Il y a beaucoup de communautés en Saskatchewan et en Alberta, de même que des communautés franco-ontariennes, qui comptent plus d'un demi-million de personnes, et qui ont vécu l'expérience dont vous parliez. Des mesures ont été prises non pour favoriser leur épanouissement, mais pour lui nuire; leur langue a été interdite comme langue d'enseignement, par le règlement 17. Toute une génération en a souffert. Ici même, dans la ville d'Ottawa, des écoles y ont été assujetties. Une école célèbre de la rue Murray, au marché, a fait l'objet de nombreuses affaires judiciaires.

On imagine fort bien que lorsqu'une communauté a ce genre d'expérience frais en mémoire, elle perd une bonne partie de sa faculté d'épanouissement. Vous demandez quelles sont les mesures nécessaires pour favoriser l'épanouissement de cette communauté. Voilà une question fort intéressante.

En vertu de la Constitution, l'éducation est du ressort des provinces. Sommes-nous donc en droit de penser qu'Ottawa n'a aucune responsabilité pour ce qui est de favoriser en matière d'éducation l'épanouissement de cette communauté qui a subi cela?

L'arrêt Jones de 1975 renforce encore l'idée qu'il s'agit là d'une responsabilité provinciale. Peut-être l'article 41 ne vaut-il pas là-bas. L'arrêt Jones dit que la langue n'est pas un sujet couvert par la Constitution. Il y a des aspects linguistiques à toutes sortes de choses différentes.

L'arrêt Jones est intéressant parce qu'il a déjà plus de 25 ans et qu'il est antérieur à la modernisation de la Loi sur les langues officielles qui a eu lieu en 1988. Cet arrêt est également antérieur à la Charte et à la modernisation des droits linguistiques constitutionnels qui est survenue en 1982. L'arrêt Jones n'a jamais dit que tout ce qu'il y avait là, c'était une division des pouvoirs. Il a corroboré la constitutionnalité de la Loi sur les langues officielles. Cette loi contient maintenant certaines mesures destinées à favoriser l'épanouissement des communautés. Cela veut-il dire qu'Ottawa est impuissante lorsqu'il s'agit de favoriser l'épanouissement de la communauté?

Voici ce que je dirais: la communauté franco-ontarienne dont nous parlons a été pendant une génération freinée par des mesures répressives, même si ces mesures avaient été prises au niveau provincial. Ottawa est-elle impuissante lorsqu'il s'agit de ramener ces communautés au niveau qu'elles auraient atteint n'eut été ces mesures? Je ne le pense pas. Le gouvernement fédéral a le pouvoir de le faire étant donné l'existence de cette division des pouvoirs. Ce pouvoir doit être interprété à la lumière de l'engagement quasi constitutionnel qu'on trouve à l'article 41.

Quelles sont les mesures qui sont nécessaires? Il faut regarder très attentivement ce qui manque pour favoriser l'épanouissement de cette communauté sans oublier que les écoles sont un élément essentiel du développement.

Il appartiendrait à la communauté de préciser les détails. Il faudrait que nous entendions toutes les communautés, tous les conseils scolaires et toutes les écoles de l'Ontario. Après cela, après avoir entendu le plan d'action de la communauté qui nous aurait dit comment favoriser et encourager son épanouissement, étant donné ce qui s'est passé.

Sommes-nous donc impuissants? Un tribunal ne pourrait-il pas redonner vie au dossier si le gouvernement est incapable d'agir? Tout d'abord, le gouvernement du Canada pourrait agir s'il recevait un plan comme celui-là. À supposer que le gouvernement dise que cette question relève de la province, l'article 41 deviendrait à ce moment exécutoire. Certains des amendements proposés le rendraient même plus clair.

C'est donc de cette façon que je répondrais à votre question. Il faut commencer par déterminer ce dont chaque communauté a besoin, ce qui manque à chaque communauté et chacune des mesures nécessaires pour donner aux communautés ce qu'il leur faut pour s'épanouir.

Le sénateur Joyal: Madame Sullivan, le juge Blais déclare clairement, dans le jugement qu'il a rendu dans l'affaire des contraventions en Ontario, et je cite ici l'article 91:

[Français]

Il importe de mentionner par contre que la Cour d'appel fédérale a statué dans Devinat [...], que les recours en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, sont toujours possibles pour des manquements aux parties de la LLO non prévues au paragraphe 77(1) de la LLO.

[Traduction]

En d'autres termes, selon la Cour fédérale d'appel, il y a un recours en cas de violation d'une obligation qui n'est pas couverte par l'article 77 de la Loi.

Si, dans un jugement aussi clair que celui-là, un juge dit clairement qu'il y a un recours devant les tribunaux en raison de cette obligation, le tribunal n'aurait pas invité le grand public à se prévaloir de cette possibilité s'il avait été d'avis qu'il n'y avait pas d'obligation.

Mme Sullivan: L'article 43 crée une situation différente. Je ne veux pas prétendre que le projet d'article 41 n'impose pas d'obligation au gouvernement parce que c'est tout le contraire: les mots utilisés sont ceux qui décrivent une obligation.

Par contre, ce qui m'inquiète ici, c'est que ce texte semble suggérer qu'il existe un mécanisme pour mettre en oeuvre cet engagement. L'article 41 ne dit pas quel élément du gouvernement, quel ministre est responsable. L'article 43 nomme le ministre. L'article 41 ne donne aucune idée de ce qui pourrait être nécessaire; l'article 43 donne une liste d'exemples de ce qui pourrait être nécessaire.

Ce qui me tracasse, c'est qu'un juge pourrait dire, en voyant cela, que le Parlement avait pensé que cet engagement devait être mis en oeuvre dans le cadre de l'article 43 par le biais de mesures prises par le ministre du Patrimoine canadien comme le dit l'article 43, et que cela met fin à l'obligation imposée par l'article 41.

Je ne veux pas dire que c'est cela qui doit se produire ou qu'un tribunal ne pourrait pas trouver le moyen de contourner cela. Cela me semble par contre la façon la plus évidente de répondre à la partie VII.

Le sénateur Joyal: Je n'en suis pas si sûr. L'objectif énoncé à l'article 41 est général en ce sens qu'il invite le gouvernement à ne rien faire qui puisse nuire à la communauté. Moi, je présenterais les choses de façon inverse. L'article 43 dit: «le ministre prend». En d'autres termes, le ministre doit prendre l'initiative d'une façon ou d'une autre.

Nous nous entendons tous pour dire que si la ministre du Patrimoine canadien dépense un dollar de son budget annuel pour aider les minorités officielles au Canada, une contestation pourrait fort bien être soumise aux tribunaux.

L'article 41 est beaucoup plus général. Pour vous illustrer la chose, je vous dirais qu'à mon humble avis, lorsque le gouvernement fédéral a restructuré ses services pour réduire son déficit — comme il l'a fait depuis huit ou neuf ans — il a lésé les minorités. Il a nui à l'usage de l'anglais dans le cas des minorités anglophones au Québec et nui à l'usage du français dans le cas des minorités francophones hors Québec.

Récemment encore, la présidente du Conseil du Trésor a déclaré que certaines erreurs avaient été commises à cette occasion parce qu'on avait réduit les budgets tous azimuts sans penser à mesurer l'impact que cela aurait. Le gouvernement n'avait pas conscience que ses initiatives qui étaient excellentes du point de vue budgétaire n'étaient pas bonnes pour ce qui est du soutien à donner aux communautés. Elle a dit que cela ne se reproduirait pas.

Mme Sullivan: Je conviens avec vous que l'article 41 pourrait fort bien être utilisé pour contester une mesure gouvernementale. Mais là où j'ai d'énormes doutes, c'est que ce serait la source qui imposerait au gouvernement l'obligation de prendre une mesure. Si le gouvernement a fait quelque chose qui a porté préjudice aux minorités, je n'aurais pas autant de mal à dire comme vous qu'un tribunal pourrait l'imposer.

J'avais pensé que nous parlerions de mesures positives. Je doute fort que l'article 41 puisse forcer une ordonnance de mandamus par opposition à l'invalidation d'une mesure prise par le gouvernement qui contreviendrait à l'article 41.

Le vice-président: Nous avons sans doute trois possibilités. Nous pourrions laisser l'article 41 en l'état. Nous pourrions le modifier comme le proposent le sénateur Gauthier et certains d'entre vous. Monsieur Magnet, vous nous avez proposé d'autres amendements possibles à l'article 41. Nous pourrions nous adresser aux tribunaux.

Par contre, tout comme Mme Sullivan, je pense qu'il est probablement plus facile de modifier l'article 41. Ce serait sans doute plus rapide et moins coûteux qu'un renvoi à la Cour suprême. Mais en tout état de cause, nous devons faire quelque chose.

Je suis toujours étonné lorsque nous utilisons en français le terme «s'engage» pour parler de la «péréquation» à l'article 36 de la Loi constitutionnelle de 1982. Nous dépensons des milliards de dollars de cette façon. Et de toute évidence, cela ne pose pas problème. À mon avis, il est incontestable que la Loi sur les langues officielles a un caractère quasi constitutionnel. Toutefois, cette Loi utilise le même terme: «s'engage».

Si nous nous en tenons à la signification des termes, nous devons arriver à la même conclusion. L'article 41 confère une certaine obligation. Certes, cette obligation est très générale, mais ce n'est pas parce qu'elle est générale qu'elle n'est pas exécutoire.

[Français]

M. Lepage: Un tribunal lirait toute la partie VII. Il ne lirait pas l'article 41 isolément. Il se baserait sur les décisions rendues depuis 1986, où on constate des décisions plus larges et libérales. On regarde maintenant les objectifs et le fondement historique, soit le pacte confédératif qui dit que le principe qui sous-tend la Constitution, c'est la protection des minorités. C'est un principe d'interprétation qui ferait en sorte que la Cour suprême du Canada dirait, éventuellement, que c'est une obligation, que c'est exécutoire. C'est ce que je crois, après avoir lu tous ces arrêts. Cependant, il y a un chemin à parcourir pour y arriver. Il y a des problèmes. Ce n'est pas clair. En tant que personne qui doit représenter les membres de la communauté, je demande aux politiciens de clarifier le document.

Je suis d'accord avec le professeur Grey qu'il y aura toujours des occasions où il faudra aller devant les tribunaux pour clarifier. C'est un arbre vivant. Il faut le laisser vivre. Cependant, je crois que le sénateur Gauthier est sur la bonne voie en proposant de modifier cet article pour lui faire dire ce qu'il faut, afin d'aider la population. La loi est là pour aider la population, pas les avocats.

Par contre, il ne faut pas arrêter une modification à l'article 41. Je n'aime aucunement les mots «considers appropriate» à l'article 43. C'est tellement discrétionnaire que si le gouvernement dépense un dollar, la cour dirait peut- être que c'est suffisant. Il faut encadrer cette discrétion. C'est pourquoi j'appuie les amendements proposés par le professeur Magnet.

M. Braën: L'article 36 de la Charte visait à donner une assise constitutionnelle à la règle de la péréquation. À mon avis, l'engagement de l'article 41 est d'une autre nature. Le principe de l'égalité des deux langues — statuts et privilèges —, le principe de la progression vers cette égalité est inscrit dans la Charte canadienne des droits et libertés. L'article 41 doit être interprété en rapport avec ces dispositions. S'il existe, c'est parce que, concrètement, on en n'est pas rendu à l'égalité. On constate des inégalités. C'est pour cette raison qu'on demande au gouvernement d'aller de l'avant.

Par exemple, vous parliez du caractère quasi constitutionnel. Selon l'article 88 de la loi, ce qu'on retrouve aux parties I, II, III, IV et V de la loi, cela a priorité sur toute autre disposition d'un texte législatif fédéral. On a omis l'article 41. On a omis la partie VII et ainsi de suite. Il y a peut-être quelque chose qui peut découler de cela.

Quoi qu'il en soit, je considère que l'article 41 énonce une obligation d'agir. Mais, même si au plan juridique cette obligation d'agir est reconnue par un tribunal, elle n'ira pas jusqu'à l'émission d'une ordonnance de mandamus. Comme le professeur Grey le disait plus tôt, une cour de justice va considérer qu'il ne lui revient pas la tâche de décider des mesures qui devront être prises dans le but de promouvoir l'égalité des deux langues. On risque de jouer une partie de balle assez longue entre, d'une part, le gouvernement qui ne veut rien faire, et d'autre part, le tribunal qui dit que ce n'est pas lui, mais plutôt le gouvernement, qui doit faire quelque chose.

Le vice-président: Ce que vous dites est exact, mais une cour de justice ne prend pas la place du Parlement. Ce n'est pas à la cour de dire combien il faut payer en péréquation ou ce qu'il faut faire au sujet de l'article 41. Cependant, la cour peut dire: «Le législateur s'est engagé.» Le reste retourne dans l'arène politique, mais la cour peut au moins déclarer que c'est exécutoire.

M. Braën: Oui, mais on ne sera pas plus avancé. En termes de mesures concrètes à adopter, ce n'est pas le rôle d'un tribunal de se substituer à l'exécutif. Comme le juge Blais le disait, il y a possibilité, en vertu de l'article 18(1), d'intervenir et de contrôler la discrétion gouvernementale, mais uniquement sous l'aspect de la légalité ou de l'illégalité. Là encore, la cour ne substituera pas son opinion à savoir si, par exemple, telle coupure, qui a été faite et qui a cherché noise aux minorités linguistiques, est bonne ou pas. Ce n'est pas à la cour de faire cela. Elle ne contrôle que la légalité.

Le vice-président: Je reviens au premier point. Cela ne donne pas à la cour le pouvoir de légiférer à la place du Parlement, c'est vrai. Mais au moins, cela dit au Parlement: «Vous devez agir, vous devez faire quelque chose.» Ensuite, cela retourne dans l'arène politique.

Le sénateur Joyal: Monsieur Braën, il y a tout de même une nuance à apporter à ce que vous dites. La cour a déjà statué, en Ontario et à l'Île-du-Prince-Édouard, entre autre dans le cas de l'école Penetanguishene, que la décision du ministre des Finances de l'Ontario de ne pas porter à son budget une dépense pour la construction d'une école qui avait été estimée nécessaire et qui rencontrait la condition d'un nombre suffisant de parents — l'expression que le sénateur Gauthier utilise — malgré le fait que le gouvernement de l'Ontario avait un mandat populaire basé sur l'assainissement des finances publiques, donc un «mandat démocratique» de poser des gestes précis, qu'il ne pouvait pas reporter la dépense budgétaire de la construction de l'école. La Cour suprême a réitéré des principes semblables dans le cas de l'Île- du-Prince-Édouard. Il a tout de même une nuance à apporter, du fait que la cour ne se substituerait pas au gouvernement du jour, qu'il soit provincial ou fédéral. Il me semble qu'un gouvernement ne peut pas prendre de décisions qui sont défavorables à la protection des droits linguistiques.

Dans un cas comme celui-là, c'était très clairement une décision qui avait pour effet immédiat de remettre en cause les droits linguistiques de la minorité francophone à Penetanguishene ou à Summerside, à l'Île-du-Prince-Édouard.

M. Braën: En matière scolaire, c'est plus facile pour un tribunal d'intervenir de la sorte. Il s'agit finalement de sanctionner la violation de droits. Je ne pense pas qu'à la lecture de l'article 41, on puisse en arriver à conclure sur l'existence du droit, par exemple, du petit francophone du Québec, d'avoir un accès meilleur à l'apprentissage de l'anglais et ainsi de suite. Dans un contexte où il s'agit de sanctionner ou de déclarer des droits, c'est plus facile pour un tribunal — on l'a fait dans le cadre de l'article 23 de la Charte — de donner une direction, d'indiquer s'il revient au législateur de prévoir comment doit s'exercer la gestion scolaire. C'est plus facile d'intervenir par la suite. Vous êtes probablement au courant d'une cause qui est maintenant devant les tribunaux de la Nouvelle-Écosse, où un juge de première instance a ordonné aux autorités de la Nouvelle-Écosse de procéder d'une telle façon pour que des parents et des enfants francophones puissent accéder à l'instruction en français. Il a même été plus loin. Il a dit aux autorités provinciales : «Vous viendrez me voir de temps à autre et je verrai si vous mettez en oeuvre mon ordonnance.»

Cette partie du jugement qui vise la mise en oeuvre de droits, et j'insiste, de droits, a été portée en appel et infirmée par la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse. Cela va sûrement aller en Cour suprême du Canada. Dans la partie VII actuelle, peut-on y voir des droits en faveur des justiciables ou seulement une obligation à la charge du gouvernement? C'est tout de même différent.

Le sénateur Joyal: Il y a tout de même une chose qu'il faut comprendre. Les droits linguistiques et les droits scolaires n'existent pas dans l'absolu. Ils s'incarnent dans une communauté. Si la communauté meurt, les droits ne veulent plus rien dire. On parle de droits théoriques. L'un et l'autre ne sont pas indissociables.

Si on veut que les institutions dont le professeur Magnet a parlé tout à l'heure vivent, il faut qu'il y ait des gens qui parlent le français quelque part et des gens qui parlent l'anglais quelque part. À partir du moment où la communauté n'a plus les conditions essentielles de survie, les droits deviennent absolument théoriques.

M. Grey: On pourrait se servir de certaines analogies. La Cour suprême, dans le cas des homosexuels, n'a pas dit exactement quels droits l'Alberta doit donner. Elle a dit: «Vous ne pouvez pas les exclure de la Charte des droits», dans Brand. Ce qui est peut-être encore plus intéressant, c'est que dans la cause Eldridge en Colombie-Britannique, on a cassé le refus de donner des interprètes aux personnes sourdes, mais on n'a pas dit: «Vous devez dépenser tel ou tel montant pour les interprètes. Vous devez avoir trois interprètes dans chaque hôpital et un dans chaque centre hospitalier.» On a tout simplement dit: «Votre politique d'exclusion d'interprètes est illégale.» Le gouvernement de la Colombie-Britannique a dû prendre des mesures nécessaires suite à un jugement de la Cour suprême. C'est la même chose ici. On ne dira pas: «Dépensez 1,2 millions de dollars.» On dira: «Ce que vous avez fait est nettement inadéquat.»

Le vice-président: Cela fait déjà deux heures que nous discutons de cette question et je crois que nous en avons fait le tour. Je désire remercier nos témoins. Cela a été très intéressant et, surtout, très utile.

La séance est levée.


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