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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 35, Témoignages du 29 mai 2002


OTTAWA, le mercredi 29 mai 2002

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel on a renvoyé le projet de loi S- 41, Loi visant la réédiction de textes législatifs n'ayant été édictés que dans une langue officielle, se réunit aujourd'hui à 15 h 40 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, il s'agit de la cinquième séance que nous consacrons à l'étude du projet de loi S-41. Nos témoins d'aujourd'hui sont MM. Warren J. Newman, Marc Tremblay et John Mark Keyes, représentants du ministère de la Justice, qui présenteront et expliqueront les modifications proposées du projet de loi.

M. Marc Tremblay, avocat-conseil, Groupe du droit des langues officielles, ministère de la Justice: À la suite des délibérations du comité, nous sommes retournés à la table à dessin, où nous avons tenté de répondre à certaines des principales préoccupations exprimées autour de la table, du moins selon notre perception.

Nous soumettons donc certains libellés à votre attention, et je souligne que nous avons soumis ces libellés au ministre, qui nous a autorisés à les déposer devant le comité pour fins d'étude.

Dans ce cas-ci, il y a quatre modifications du projet de loi que nous voulons présenter et expliquer. La première concerne une référence à la Loi sur les langues officielles de 1998. Les membres du comité se rappelleront peut-être que, à l'occasion de sa comparution, le ministre de la Justice, Martin Cauchon, a manifesté son intention d'assortir la portée et l'application du projet de loi de ce que nous appellerons, si vous le voulez bien, une «date limite». Le ministre a alors indiqué que la Loi sur les langues officielles, qui confère une certaine certitude juridique à la question, constituerait vraisemblablement un bon moyen d'indiquer que le projet de loi a pour but de revenir sur des textes datant d'une époque où le gouvernement ne prenait pas la pleine mesure de la nature et de la portée de ses obligations. On situait ainsi le projet de loi dans un contexte montrant clairement les fins visées — assurer une plus grande conformité avec la Loi sur les langues officielles et la Constitution.

La deuxième modification renvoie à un échange entre le sénateur Joyal et M. Pierre Foucher, à l'occasion de sa comparution devant le comité. À l'époque, l'échange avait essentiellement porté sur le fait que l'article 4, tel que libellé, était peut-être trop général, étant donné que le projet de loi porte sur des textes législatifs qui, à l'origine, n'ont été édictés que dans une langue officielle et vise à corriger un éventuel vice sur le plan constitutionnel. Le projet de loi n'a pas pour but de remédier à un autre éventuel vice sur le plan constitutionnel, de nature tout à fait différente, soit le non-respect des exigences relatives à la publication pour un texte donné. Le projet de loi, qui vise à répondre à cette préoccupation, établit clairement que le projet de loi n'a pour but que de corriger le premier vice — le vice éventuel concernant la langue — et ne s'appliquera pas aux textes qui, en vertu d'une règle de droit, devaient être publiés, mais ne l'ont pas été.

Pour comprendre le contexte de la troisième modification, je vous invite à consulter le libellé initial du projet de loi. Vous vous rappellerez que les débats du comité ont porté pour une bonne part sur l'alinéa 4(3)b). La proposition que nous soumettons aujourd'hui au comité aurait pour effet de supprimer, si vous voulez, la possibilité que des poursuites puissent être intentées pour une infraction créée rétroactivement pour qu'une personne puisse être reconnue coupable d'une telle infraction. Ce n'est que pour les contraventions constatées après l'adoption ou la mise en oeuvre de la nouvelle réglementation et sa publication dans les deux langues officielles qu'on pourrait envisager des poursuites et des condamnations.

La présidente: Vous faites référence à l'alinéa 4(3)b)?

M. Tremblay: Oui. La motion vise à modifier, par substitution, aux lignes 23 à 35, du libellé court qui suit:

4.(3) Nul ne peut être condamné pour une infraction qui constitue une violation d'une disposition de texte réédicté en application du paragraphe (1) sauf si la violation a eu lieu après la réédiction du texte et après sa publication dans les deux langues officielles.

À la dernière page, nous proposons de nouvelles dispositions et des renumérotations, ce qui explique que le texte est plus complet que celui du projet de loi existant. Le nouvel article 6 — la disposition sur la «force de loi égale» — est en réaction à la suggestion de la commissaire aux langues officielles, selon laquelle nous établirions clairement qu'il est entendu que les versions anglaise et française des textes réédictés aux termes du projet de loi S-41 ont force de loi égale. À notre avis, le projet de loi tel que rédigé le laissait entendre de façon implicite. Cependant, la disposition est assurément conforme à l'esprit du projet de loi, et nous n'avons aucune difficulté à proposer la présente motion.

Le nouvel article 7 proposé reprend ce qui était l'article 6. L'article 8 proposé est nouveau et vise à donner suite aux préoccupations entourant le pouvoir discrétionnaire que le paragraphe 4(1) accorde au gouverneur en conseil de réédicter des textes non publiés dans les deux langues officielles.

Ce qui nous préoccupe, c'est que rien n'indiquait que le gouvernement allait prendre des mesures actives pour montrer son attachement au principe de l'égalité des deux langues officielles. La nouvelle disposition établira la volonté du gouvernement de prendre des mesures pour régler le problème éventuel et donner des pouvoirs d'examens appropriés au Comité mixte permanent d'examen de la réglementation. On prévoit ainsi que le ministre de la Justice présenterait un examen approfondi des mesures prises relativement à la mise en œuvre de l'article 4.

Pour dire les choses clairement, je précise que, dans notre esprit, ce libellé correspond exactement à la démarche qu'a effectuée le Manitoba et dont il a rendu compte lorsqu'il a dû réédicter ses lois et règlements dans les deux langues officielles. Par la suite, le ministre de la Justice a soumis un rapport à l'examen du comité mentionné à l'article 19 de la Loi sur les textes réglementaires, soit l'actuel Comité mixte permanent sur l'examen de la réglementation.

Telles sont donc les motions que nous soumettons aujourd'hui à votre examen. Nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions.

Le sénateur Beaudoin: Comment allons-nous procéder? Allons-nous étudier les motions une par une?

La présidente: Je vous propose de fonctionner de cette façon. On évitera ainsi de passer d'une motion à une autre et de se perdre en cours de route.

Nous allons commencer par la première, l'article 2.

Le sénateur Beaudoin: Je suis d'accord avec le texte proposé, puisque tout se fonde sur la Loi sur les langues officielles no 2, et non sur l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1982. C'est le choix que vous avez fait, et vous vous en êtes expliqué l'autre jour. Il y a deux dates fondamentales. La Loi constitutionnelle date de 1982. Or, l'article 18, en particulier, est au cœur de la Constitution. Cependant, vous préférez l'autre date, soit l'entrée en vigueur de la Loi sur les langues officielles no 2. Je ne comprends toujours pas pourquoi vous ne faites pas référence à la Constitution elle- même.

M. Warren J. Newman, avocat général, Section du droit administratif et constitutionnel, ministère de la Justice: La proposition, sénateur Beaudoin, ne dépend pas de la reconnaissance de 1982, de 1867, de 1979 ou de l'arrêt Blaikie de 1981. En ce qui concerne les exigences constitutionnelles, le projet de loi ne portera que sur des textes datant d'avant le 15 septembre 1988 puisque, depuis, les textes ont tous été adoptés dans les deux langues officielles. Depuis cette date, aucun problème ne se pose. Nous tentons d'établir la date avant laquelle des problèmes se posaient. Or, des problèmes se sont posés avant le 15 septembre 1988, et non avant 1982, 1979 ou 1981. Des problèmes ont pu se poser jusqu'en 1988, même si ce n'est probablement pas le cas, mais au moins jusqu'au milieu des années 70. C'était la date la plus appropriée.

[Français]

La date de 1988 établit une règle de droit claire et nette, à l'article 7 de la Loi sur les langues officielles, qui correspond, à toutes fins pratiques, à ce qui est exigé par la Constitution, les arrêts Blaikie et le Renvoi sur les droits linguistiques au Manitoba. La formulation est la même.

Le sénateur Beaudoin: Il est vrai que la date de 1988 est bien importante. On prend pour acquis qu'après 1988 il n'y a pas eu d'erreurs — du moins, je l'espère. Toutefois, entre 1982 et 1988 vous semblez dire qu'il pourrait y avoir eu des erreurs.

M. Newman: C'est possible, et cette loi est là pour corriger les erreurs du passé.

M. Tremblay: La commissaire aux langues officielles, lorsqu'elle a comparu devant vous, a exprimé le point de vue contraire. Il fallait, à son avis, préserver le pouvoir absolu de corriger des erreurs en tout temps. L'erreur est humaine, et la possibilité de commettre des erreurs existera toujours.

L'objectif ici est de fixer une date gérable pour le gouvernement, et qui énonce, comme Me Newman vient de le mentionner, une règle claire, sans ambiguïté, s'appliquant au texte dont il est question ici.

Comme vous le savez, ce n'est que par voie d'interprétation que l'article 18 de la Charte vient s'appliquer au règlement. Les mots sont interprétés par la Cour suprême comme s'appliquant au règlement. Toutefois, pour un fonctionnaire à qui serait conféré le pouvoir de prendre un règlement ou un décret, il serait moins clair dans son esprit qu'il était assujetti à cette obligation.

La date de 1988 représente pour nous une certitude juridique. C'est une date fixe et claire avec laquelle nous sommes à l'aise. L'erreur est humaine, et nous concevons qu'il puisse s'en être glissées après cette date. Il s'agirait alors d'erreurs dont il ne serait plus justifié moralement de croire qu'elles auraient pu se produire avec une certaine légitimité, celle de ne pas avoir été pleinement connaissant de la portée de son obligation.

Le sénateur Beaudoin: Je suis d'accord, mais si jamais une erreur s'est produite après 1988, il s'agit de cas isolés. On est d'accord?

M. Tremblay: Oui.

Le sénateur Beaudoin: Avant 1988, tout est ouvert?

M. Tremblay: Effectivement.

[Traduction]

Le sénateur Joyal: À ce propos, je pense que la question est importante parce qu'elle risque d'entraîner une certaine ambiguïté au sujet du début de l'obligation en 1988. Si nous cherchons à déterminer le début de l'obligation, je ne crois pas que nous allons aboutir avec 1982, puisque, dans l'arrêt concernant le Manitoba, la cour a dit qu'elle remontait à la Constitution de 1867. Voilà pourquoi on a déclaré toutes les lois manitobaines invalides. On les a déclarées invalides sur la foi d'une obligation contenue dans la Constitution de 1867, et non de la Loi constitutionnelle de 1982. Le premier arrêt Blaikie remonte à 1979, et le second, à 1981. Les deux interprétaient le texte tel qu'il avait été rédigé en 1867.

M. Newman a raison d'affirmer qu'il faut établir la date et qu'on ne peut retenir celle de la création de l'obligation puisque cela nous ramènerait à 1867. La Loi constitutionnelle de 1982 réaffirme l'obligation contenue dans la Constitution de 1867 et l'élargit. Ce n'est plus sur ces assises que se fonde l'obligation qu'a le gouvernement d'édicter les textes réglementaires qui n'ont pas été publiés dans les deux langues, mais devaient l'être.

On a pris cette décision dans la Constitution de 1867. Je me suis posé la même question au moment de déterminer la date. La date de la Loi sur les langues officielles, qui définit clairement les obligations du gouvernement, est raisonnable. Si nous devions aller devant les tribunaux, elle servirait de fondement à l'argumentation juridique.

M. Newman: Il est entendu que le projet de loi et les modifications proposées ne visent nullement à remettre en question l'obligation reconnue par la cour en 1979 et en 1981. Cette reconnaissance remonte ab initio à la Constitution de 1867 en ce qui touche l'article 133 de la Loi constitutionnelle. Or, le comité a dit craindre qu'on utilise la disposition à l'avenir — pour l'éternité — pour échapper aux exigences définies à l'article 133 et à l'article 18. La disposition précise que la loi ne sera utilisée qu'en rapport avec certains textes créés dans une seule langue avant 1988. La date de 1988 établit simplement qu'on ne peut remonter et déclarer qu'on en a trouvé un depuis 1981 — entre 1981 et 1988, par exemple. Ainsi, on s'assurera que tout est parfait depuis 1988 et, lorsqu'on a des doutes, avant 1988.

M. Tremblay: On pourrait atteindre le même objectif en utilisant la date d'entrée en vigueur du projet de loi. Si ce que nous craignons, c'est que le Parlement ne se donne pas les pouvoirs de continuer de faire des choses à l'avenir — si telle est la principale préoccupation —, 2002 constituerait une date suffisante. Ce que nous disons, outre cette préoccupation, c'est que le fait de mentionner la Loi sur les langues officielles dans le projet de loi confère de la substance à ce dernier, établit clairement l'objet du texte et précise sa raison d'être.

En dernière analyse, la disposition pourrait permettre à un tribunal d'interpréter une ambiguïté. Nous espérons supprimer les ambiguïtés, mais, dans le cas contraire, il pourrait être utile que la cour comprenne le contexte et l'esprit qui sous-tendent le projet de loi. Voilà pourquoi la référence à la Loi sur les langues officielles nous plaît — elle situe en contexte la volonté du gouvernement de traiter l'anglais et le français sur un pied d'égalité.

Le sénateur Andreychuk: Si je comprends bien ce que vous dites, on se fonde sur l'arrêt manitobain, lui-même fondé sur la Constitution de 1867. En choisissant le 15 septembre 1988, disons-nous qu'il n'y a pas d'autres obligations dans notre Constitution en 1982 ayant une incidence ici, ou disons-nous que ces obligations demeurent sujettes à interprétation?

M. Newman: Nous ne disons rien au sujet de 1982 en soi parce que 1982, dans le contexte de l'entrée en vigueur des dispositions proposées, confirme ce qui figurait déjà dans l'article 133 au niveau fédéral et les arrêts Blaikie qui confirment expressément que les textes législatifs ont force de loi égale. Nous ne remettons en question ni la Loi constitutionnelle de 1982 ni l'article 18 de la Charte. Cependant, nous disons qu'il y avait, au niveau fédéral, une obligation remontant à 1867. En ce qui concerne le Manitoba, elle remontait à 1870 avec la Loi sur la Manitoba.

Le sénateur Beaudoin: Lorsque nous avons aboli...

[Français]

M. Newman: Oui, ils ont tenté de l'abroger en 1890.

[Traduction]

Cela ne modifie en rien notre vision de la Loi constitutionnelle de 1982.

Le sénateur Beaudoin: Il ne s'agit pas d'une affirmation puisque la Loi constitutionnelle existe toujours.

M. Newman: Oui, elle existe toujours, et c'est la loi suprême du pays.

La présidente: Notre comité ne peut rien y changer.

Le sénateur Bryden: Je comprends que ce qui doit être inclus est le contraire de la «date de péremption». Ce que vous dites, c'est que tout ce qui date d'avant le 15 septembre 1988 et l'article 70 de la Loi sur les langues officielles est suspect.

M. Newman: Ça pourrait l'être.

Le sénateur Bryden: En vertu du projet de loi, on pourrait toutefois intervenir relativement à toute violation postérieure à cette date. Selon mon interprétation, c'est l'objet même de la démarche. Est-ce une bonne interprétation?

M. Tremblay: C'est une bonne interprétation.

La présidente: Comment les sénateurs souhaitaient-ils procéder? Le sénateur Beaudoin a proposé des modifications. Voulez-vous en discuter maintenant, au moment où nous en sommes au même point?

Le sénateur Beaudoin: De toute évidence, nos propositions ne sont pas contraires à celles du gouvernement. Cependant, à l'alinéa 2b) de la première modification, on n'utilise pas le mot «édicté».

La présidente: C'est exact. À l'alinéa 2b), on affirme: «texte qui modifie ou abroge un texte visé à l'alinéa a).» À l'alinéa b), on mentionne un texte édicté avant l'entrée en vigueur de l'article 7, et cetera.

Le sénateur Beaudoin: b) renvoie à...

La présidente: ... l'alinéa a).

Le sénateur Beaudoin: Il renvoie à l'alinéa a), mais l'alinéa b) n'est pas modifié puisque, selon vous, ce sont les textes non édictés qui nous préoccupent.

M. Tremblay: Exactement. Du point de vue de la rédaction législative, la présence de l'alinéa b) s'explique par les diverses catégories de documents pouvant être visées par la définition de «texte législatif» — il s'agit d'une vaste catégorie de documents — les documents qui modifient des textes législatifs ne sont pas tous en eux-mêmes des textes législatifs. Par exemple, il est possible qu'un décret ait été modifié par autre chose qu'un texte législatif.

Le sénateur Beaudoin: La question est la suivante: b) ne s'applique qu'aux textes qui n'ont pas été édictés.

M. Tremblay: Exactement.

Le sénateur Beaudoin: Dans ce cas, je supprimerais la modification de b).

La présidente: Vous êtes donc d'accord avec la modification du gouvernement.

Le sénateur Beaudoin: Entièrement, à condition que vous soyez d'accord pour dire que ces textes n'ont pas été édictés.

M. Tremblay: S'ils l'avaient été, ils seraient visés par a).

Le sénateur Fraser: Je ne suis toujours pas certaine de bien comprendre.

Un texte qui modifie ou abroge quelque chose qui a été édicté devrait à coup sûr être assujetti aux mêmes conditions et aux mêmes exigences. Pouvez-vous me donner un exemple qui m'aide à mieux comprendre?

M. Tremblay: Je n'ai pas d'exemple en tête. La meilleure explication que je puisse vous donner, c'est celle que j'ai donnée au sénateur Beaudoin. Le gouverneur en conseil prend des décrets. Au fil du temps, il est possible que les pouvoirs de modifier ou d'abroger un tel texte change de main. On peut, par exemple, les confier à un simple fonctionnaire. Le texte créé par un simple fonctionnaire pour modifier ou abroger le texte législatif initial ne serait pas nécessairement un texte de nature législative. Le cas échéant, nous nous en préoccuperions uniquement parce qu'il serait visé par l'alinéa a).

S'il s'agit d'un texte administratif abrogeant un décret par ailleurs valide ou un autre texte de nature législative, la présente procédure corrective s'appliquerait. Ce qui inquiète, ce ne sont pas les exigences constitutionnelles relatives aux langues, puisqu'il n'y a pas d'exigences pour les textes visés par l'alinéa b), c'est plutôt la préservation de la continuité juridique des textes tout au long du processus, de façon que ceux qui sont abrogés ne puissent être réactivés de façon accidentelle par un morceau manquant du casse-tête.

Il s'agit d'une définition qu'on veut la plus générale possible, de façon à ce que tous les textes visés par les exigences constitutionnelles soient rendus conformes, sans raviver des documents qui ne doivent pas l'être.

La présidente: Nous allons passer à la deuxième modification proposée, qui porte sur l'article 4.

C'est à la page 2: «Que le projet de loi S-41, à l'article 4, soit modifié par substitution, aux lignes 10 à 12, page 2, de ce qui suit:» On est au paragraphe 4(1). On modifie aussi le projet de loi «à l'article 4, à la page 2, par substitution, aux lignes 13 et 14, de ce qui suit:»

Le sénateur Beaudoin: Pouvez-vous répéter l'objet de l'expression «soustrait par une règle de droit»? Laquelle?

M. Tremblay: Soustraire de l'application du paragraphe 4(1) les textes qui, en vertu de la règle de droit, devaient être publiés, mais ne l'ont pas été. Si ces derniers étaient inclus, le projet de loi corrigerait deux problèmes. Il corrigerait le problème de la langue et peut-être aussi celui de la publication.

Ce qu'il y a, c'est qu'il existe peut-être des textes qui n'ont été publiés que dans une langue officielle. Nous en avons parlé à l'occasion d'une de nos comparutions précédentes. Pendant les années de la guerre, il semble que certaines publications officielles comme la gazette aient pu n'être publiées qu'en anglais. Elles ont pu être publiées dans une langue seulement ou encore ne pas l'avoir été du tout. Cependant, parmi celles qui ne l'ont pas été du tout, lesquelles étaient incluses dans notre formulation initiale, on pouvait en noter deux types — certaines qui n'avaient pas été publiées pour des raisons légitimes et certaines qui ne l'avaient pas été sans raison légitime.

Nous voulons corriger la situation se rapportant aux textes qui n'ont pas été publiés du tout seulement si une règle de droit, la Loi sur les textes réglementaires, dans la plupart des cas, les exemptait de la publication. S'ils n'ont pas été publiés, mais qu'ils auraient dû l'être, nous n'y touchons pas. Il s'agit d'un vice qu'il appartiendra à d'autres personnes de corriger à un autre moment.

Le sénateur Beaudoin: Après la guerre, la Cour suprême a rendu deux arrêts.

M. Tremblay: En cas d'exemption de publication entre 1867 et 1988, le paragraphe 4(1) peut s'appliquer à un texte non publié

Le sénateur Beaudoin: Si le texte n'a pas été publié pendant la guerre, c'était avant les deux arrêts de la Cour suprême sur les publications.

M. Tremblay: Oui, les deux arrêts portent sur l'édiction dans les deux langues officielles.

Le sénateur Beaudoin: À l'époque, on n'a pas tranché sur la question de l'exemption de publication.

M. Tremblay: L'exemption de publication découle non pas de la jurisprudence, mais bien plutôt du droit législatif. Ce que nous disons, c'est que, à la lecture de la Loi sur les textes réglementaires, vous constaterez qu'il existe certains types de règlement exemptés de la publication dans la Gazette du Canada. C'est tout ce que nous disons, et il existe un certain nombre de textes qui n'ont pas été publiés et se conforment à cette loi.

Le sénateur Beaudoin: Ont-ils été édictés dans les deux langues?

M. Tremblay: Non, ceux dont nous cherchons à corriger la situation n'ont pas été édictés dans les deux langues officielles. C'est le fait qu'ils n'ont pas été édictés que nous voulons corriger. Notre intention n'est pas de corriger par inadvertance d'autres erreurs qui ont pu être commises au fil des ans. Les erreurs relatives à la publication ne nous concernent pas.

Le sénateur Beaudoin: Tout se rapporte au fait que les textes en question n'ont pas été édictés.

M. Tremblay: C'est tout ce que nous voulons corriger.

Le sénateur Joyal: La modification est pertinente dans la mesure où nous avons eu un long débat autour de la table à la suite de l'explication fournie par M. Foucher à l'occasion de son témoignage. Le problème que nous avons tous soulevé concernait l'élimination d'un vice au moment de la publication du texte de loi. Dans le présent projet de loi, nous ne voulions pas effectuer deux opérations.

Ce que nous voulions faire, c'est uniquement supprimer le vice découlant du fait que les textes n'avaient pas été édictés et publiés dans les deux langues. Pour être admis ou exemptés, les textes devaient avoir été publiés dans une langue. S'ils étaient exemptés, ils ne devaient pas obligatoirement être publiés.

M. Tremblay: Ils n'ont jamais été exemptés de l'édiction.

Le sénateur Joyal: Oui, il s'agit d'une réponse simple à la question. Cependant, nous avons un jour eu un long débat, de deux heures, avec M. Tremblay à ce sujet. La formulation initiale soulevait une certaine ambiguïté, mais la modification répond, à mon avis, à notre préoccupation: nous tenions à ce que le projet de loi corrige la situation des textes pour des motifs liés à la langue uniquement et non à la publication.

Le sénateur Beaudoin: Je serais d'accord pour dire que leur proposition est juste. La modification visant à inclure l'article 7 n'est pas à strictement parler nécessaire.

La présidente: Il s'agit de l'article 4, à la page 3, paragraphe (7).

Le sénateur Beaudoin: Je pense que nous devrions le laisser. Trois ans après l'entrée en vigueur du projet de loi, un texte défini au paragraphe (1) n'ayant pas été réédicté serait abrogé. Nous devons prévoir une mesure de ce genre.

La présidente: Je précise qu'une disposition additionnelle a été ajoutée à la fin. Je veux parler de l'article 8 qui fait référence à un examen. Voilà qui répond peut-être à ce que vous avez inclus à l'article 4, paragraphe (7).

Le sénateur Fraser: Non, cela ne répond pas. Peut-être faut-il établir une chronologie différente.

La présidente: La chronologie est différente. L'examen et le rapport diffèrent de ce qu'accomplira la modification.

Le sénateur Beaudoin: Je tiens à m'assurer que, en disant oui à la proposition, nous n'allons rien perdre. En d'autres termes, il ne fait aucun doute que vos affirmations sont exactes. Cependant, je tiens à m'assurer que les textes non édictés ne se retrouvent pas entre deux chaises.

La présidente: Nous allons poursuivre page par page pour nous assurer de tout toucher sur les deux fronts. Nous n'allons rien négliger.

Peut-être l'étude article par article à laquelle nous procéderons demain pourra-t-elle se dérouler un peu plus rapidement.

Le sénateur Joyal: À moins que d'autres questions de compréhension des conséquences de la proposition ne soient soulevées. Je ne crois pas que les modifications déposées par le sénateur Beaudoin s'y attachent de façon stricte. Il s'agit d'une modification en soi. Vous n'avez pas réglé le problème, mais vous avez soulevé une préoccupation des membres concernant les conséquences de la non-publication de textes qui devaient l'être. La modification déposée par les représentants du ministère de la Justice a clarifié un point du projet de loi initial.

Le sénateur Beaudoin: Je suis d'accord avec leur proposition. Elle ne me pose aucun problème.

La présidente: Si nous pouvions en revenir à l'étude article par article du projet de loi, la modification suivante sur laquelle nous devrons nous prononcer demain, peut-être, se rapporte aussi à l'article 4, à la page 2. Le sénateur Beaudoin propose de remplacer, aux lignes 13 et 14, qui suivent immédiatement la dernière, par ce qui suit: «doit, par règlement, l'abroger et le réédicter dans les deux langues officielles dans les trois ans suivant l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que soit.»

Le sénateur Beaudoin: La question de savoir s'il s'agit d'une disposition impérative ou indicative suscite un débat. Nous allons admettre que le mot «peut» est acceptable.

La présidente: Nous sommes à l'article 4, page 2, lignes 13 et 14. Il s'agit d'une courte disposition.

Le sénateur Beaudoin: Aux lignes 13 et 14, nous avons proposé: «doit, par règlement, l'abroger et le réédicter». Je ne crois pas que le mot «doit» soit nécessaire.

Le sénateur Joyal: Nous proposons le mot «doit» au lieu du mot «peut».

La présidente: C'est votre modification, sénateur Beaudoin.

Le sénateur Beaudoin: Je sais.

La présidente: Sénateur Joyal, vous devriez peut-être laisser au sénateur Beaudoin le soin de défendre sa proposition au lieu de lui mettre des mots dans la bouche.

Le sénateur Beaudoin: Il y a peut-être un détail qui m'échappe. À la réflexion, le mot «doit» n'est pas nécessaire. Le mot «peut» est peut-être acceptable. Si, de votre côté, vous proposez le mot «doit», j'aimerais savoir pourquoi.

Le sénateur Joyal: Nous ne proposons pas de mot. Je ne propose rien du tout. Il est important que les spécialistes que nous avons avec nous aujourd'hui commentent la question que nous avons soulevée autour de la table. Puisque les témoins ont entendu les discussions que nous avons eues à ce sujet, il serait peut-être intéressant de les entendre sur le maintien des lignes en question et sur la non-substitution du mot «peut» par le mot «doit».

M. John Mark Keyes, directeur, Groupe des services consultatifs et du perfectionnement, ministère de la Justice: À mon avis, le maintien du mot «peut» se justifie de deux façons. On confère des pouvoirs au gouverneur en conseil en raison du jugement exigé. De façon générale, il s'agit de questions d'une certaine complexité relevant de la politique publique. On doit conserver les mots «may» et «peut» pour conserver la marge de manœuvre nécessaire pour réagir aux considérations à l'origine des pouvoirs. Lorsque des pouvoirs sont définis à l'aide du mot «doit», on a affaire à des pouvoirs mécaniques. Les circonstances justifient leur existence ou non. Il s'agit simplement d'établir s'ils existent.

Dans le cas présent, nous sommes d'avis que les circonstances qui sous-tendent l'exercice des pouvoirs peuvent être complexes. Elles soulèvent des questions sur ce qu'est un texte de nature législative. La complexité du problème justifie le maintien d'une certaine marge de manœuvre et d'une certaine discrétion dans l'exercice des pouvoirs.

Le sénateur Beaudoin: Vous préférez «peut».

M. Keyes: Oui, exactement.

Le sénateur Beaudoin: C'est plus avantageux, en un sens.

Le sénateur Moore: Plus souple.

Le sénateur Fraser: À l'examen des modifications proposées par le sénateur Beaudoin, je trouvais qu'il était logique que l'une soit présentée sans égard à l'ordre établi, en ce qui a trait à la position dans les pages. On examinera la question à la lumière de la modification proposée qui précède. Si la première de ces modifications...

La présidente: J'ai refait l'ordre des propositions.

Le sénateur Fraser: Je n'aurais jamais eu le culot de le faire. Si le comité devait adopter la modification proposée selon laquelle, à l'expiration d'un délai de trois ans suivant l'entrée en vigueur du texte de loi, tout texte législatif visé au paragraphe (1) n'ayant pas été réédicté dans les deux langues officielles serait abrogé, on n'aurait pas à se pencher sur la question du «doit» ou du «peut». La question serait alors toute théorique. On a affaire à la même période — trois ans.

Si, par ailleurs, nous n'adoptons pas cette...

Le sénateur Beaudoin: C'est la seule question dont nous débattons. Trois ans et cinq ans.

Le sénateur Fraser: Peut-être devrions-nous suspendre la discussion. L'ordre dans lequel le sénateur Beaudoin a présenté ses modifications me plaît. Il a un sens à mes yeux.

La présidente: Est-on d'accord pour revenir sur cette question lorsque nous en serons là dans nos discussions?

Des voix: D'accord.

La présidente: La prochaine modification porte sur l'article 4, à la page 3. La prochaine modification proposée par le gouvernement a trait, une fois de plus, à l'article 4, page 2. On propose que la disposition soit modifiée, par substitution, aux lignes 23 à 35, de ce qui suit: «Nul ne peut être condamné pour une infraction qui constitue une violation d'une disposition d'un texte réédicté en application du paragraphe (1) sauf si la violation a eu lieu après la réédiction du texte et après sa publication dans les deux langues officielles.»

Le sénateur Beaudoin: J'y suis fortement favorable.

Le sénateur Joyal: On devrait mentionner cette question aux fins du compte rendu et inviter le témoin à dire un mot de cette question puisque notre collègue, la sénateur Cools, a fait état de vives inquiétudes au sujet de la rétroactivité. Le disposition répond au problème de la rétroactivité. Peut-être pourrions-nous entendre le représentant du ministère de la Justice à ce sujet?

M. Tremblay: Essentiellement, les préoccupations exprimées par le comité avaient trait au fait qu'une personne aurait peut-être pu être condamnée pour une infraction «validée» de façon rétroactive, si je peux me permettre, aux termes d'un règlement inédit. Il y avait la garantie additionnelle selon laquelle il fallait que des mesures raisonnables aient été prises pour porter le fond du texte législatif à l'attention de la personne.

Cette question a fait l'objet de discussions substantielles. On a déposé ici la motion qui a pour effet d'éliminer la possibilité qu'une personne soit condamnée au terme d'une poursuite pour une infraction à un règlement validé rétroactivement. En vertu du libellé actuel, les seules poursuites pouvant déboucher sur une condamnation sont celles qui surviennent après l'édiction et la publication de la nouvelle disposition réglementaire dans les deux langues officielles.

Le sénateur Beaudoin: Cela signifie-t-il la suppression du paragraphe (2)?

M. Tremblay: L'alinéa 3b) disparaît. La motion entraîne la substitution, aux lignes 23 à 35, qui correspondent actuellement aux alinéas 3a) et b), du texte plus court que vous avez ici.

La présidente: La prochaine proposition du gouvernement porte sur l'article 6. Je propose que nous étudiions d'abord celles que le sénateur Beaudoin a présentées en rapport avec l'article 4, à la page 3, avant de revenir à celle qui préoccupait le sénateur Fraser relativement à l'article 4, à la page 2.

Le sénateur Cools: Je ne suis pas certaine de comprendre ce que nous faisons. Sommes-nous au stade de l'étude article par article?

La présidente: Non. Le comité a accepté d'examiner les modifications avancées par le gouvernement et celles que le sénateur Beaudoin, nous le savons, présentera au même moment. Jusqu'ici, le sénateur Beaudoin a été d'accord avec le gouvernement et a, dans les faits, retiré les siennes. Nous allons bientôt être face à une situation différente. C'est demain matin que nous allons procéder à l'étude article par article.

Le sénateur Cools: Il s'agit d'un examen préliminaire?

La présidente: Il s'agit d'un examen préliminaire de toute la question.

Le sénateur Beaudoin: Article 4, page 3. Ce que nous proposons, c'est que, à l'expiration d'un délai de trois ans suivant l'entrée en vigueur du projet de loi, le texte législatif visé au paragraphe (1) n'ayant pas été réédicté dans les deux langues officielles soit abrogé. Il y a là une certaine logique. J'aimerais entendre le ministère de la Justice à ce sujet.

M. Keyes: La modification a été inspirée par des commentaires de représentants du comité mixte permanent, lesquels portent sur l'article 32 de la Loi sur les textes réglementaires, telle qu'elle a été édictée à l'origine en 1970.

Je tiens à souligner une différence importante entre cette loi et le projet de loi que nous avons ici. La Loi sur les textes réglementaires avait pour but les dispositions réglementaires qui existaient à l'époque.

La portée du projet de loi à l'étude est différente. Ses effets se font sentir dans le passé. Bon nombre de textes auxquels il se rapporte ont été établis dans le passé, et certains ont déjà été abrogés. Ce qui nous inquiète à propos de l'étendue de la modification que vous proposez, c'est qu'on ne définit peut-être pas clairement ce que sera l'impact, en particulier relativement au texte établi et abrogé dans le passé. Ce que nous craignons, c'est qu'on considère qu'il a une incidence sur les transactions qui ont existé avant de disparaître aux termes d'anciens règlements qui ne sont plus en application.

Nous craignons que la modification que vous proposez ait une trop grande portée, en ce sens qu'elle peut entraîner la deuxième abrogation de textes qui l'ont déjà été.

Le sénateur Beaudoin: L'ont-ils tous été?

M. Keyes: Dans la Loi sur les textes réglementaires? Elle ne porte que sur les textes qui étaient en application en 1971, au moment de son entrée en vigueur.

Le sénateur Fraser: À ce propos, il existe peut-être une forme de mots différente. Si vous réussissez à nous convaincre que nous avons véritablement affaire ici à des préjudices réels portés à des contrats qui étaient valides et qui ont aujourd'hui des conséquences sur leurs successeurs qui risquent, du jour au lendemain, d'être déclarés nuls et non avenus en raison de cette disposition, peut-être pourrions-nous trouver un moyen de la reformuler.

Ma position fondamentale, à laquelle, me semble-t-il, la modification répond essentiellement, c'est pour que les textes en question, s'ils n'étaient pas valides et qu'on n'a rien fait pour régulariser la situation, on devrait, tôt ou tard — ce qui pourrait faire l'objet de négociations, et peut-être trois ans ne représentent-ils pas un délai suffisant — considérer qu'ils ne sont plus disponibles. Je ne crois pas que nous devrions nous ménager des échappatoires et nous donner les coudées franches pour éviter de respecter nos responsabilités constitutionnelles. Je ne pense pas qu'on aurait dû donner aux gouvernements du Québec ou du Manitoba une telle marge de manœuvre, il est certain que je ne pense pas que le gouvernement du Canada devrait en bénéficier.

C'est, en ce qui me concerne, une question de principe et d'uniformité. Le Parlement — l'institution — a soutenu fermement l'application rigoureuse des obligations constitutionnelles lorsque des provinces étaient touchées.

Je ne veux pas défendre l'adoption d'une politique de deux poids, deux mesures. Si nous sommes rigoureux avec d'autres, nous devrions l'être aussi avec nous-mêmes. Quant à la formulation précise, elle est, je pense, sujette à discussion. Peut-être un délai de trois ans n'est-il pas suffisant. Je ne voudrais pas qu'on aille au-delà de cinq ans, mais peut-être devrait-on effectuer un rajustement mineur pour éviter que des préjudices réels ne soient causés à des Canadiens, dans les cas de textes abrogés auxquels vous avez fait référence. Sur le plan du principe fondamental, je pense qu'il s'agit d'une excellente approche.

Le sénateur Beaudoin: Je suis d'accord avec vous pour dire que la question du délai de trois ans ou de cinq ans est sujette à discussion. S'il faut retenir un délai de cinq ans, je n'y vois pas d'inconvénient.

Je suis d'accord avec le premier point que vous avez soulevé, sénateur Fraser. Nous ne pouvons pas agir de la sorte en rapport avec la Constitution, parce qu'il s'agit de la loi du pays. Nous devons nous y conformer, coûte que coûte.

Si vous réussissez à me convaincre qu'il faut un délai de cinq ans, je donnerai mon accord. Cependant, à l'instar du sénateur Fraser, je tiens à ce que nous respections la Constitution.

Le sénateur Cools: J'ai certaines inquiétudes, et j'ignore si elles ont trait à la procédure. Avant d'envisager des modifications, le comité, me semble-t-il, devrait pendant un certain temps se demander si les problèmes en question sont adéquatement soumis à l'attention du Parlement. On nous demande de voter sur des questions qui ne nous ont pas été soumises. Peut-être les témoins pourraient-ils nous expliquer à quel genre de projet de loi on a affaire lorsqu'on invite le Parlement à votre sur des propositions qui ne lui ont pas été soumises et en vertu de quel pouvoir les ministres nous les renvoient. Pour ma part, je suis d'avis qu'il n'y a pas d'autorisation parlementaire pour un projet de loi présenté sous cette forme. Je pourrais, au moyen d'arguments des plus raffinés, montrer qu'il ne s'agit pas du tout d'un projet de loi puisque la proposition sur laquelle on demande au Parlement de se prononcer et qu'on l'invite à juger n'en fait pas partie.

Pour qu'un texte quelconque ait force de loi au Canada, il doit faire l'objet de trois lectures dans chacune des chambres, puis obtenir la sanction de Sa Majesté. Nous sommes appelés à mettre aux voix un texte qui n'a pas eu droit à une seule lecture, encore moins six, dans les deux chambres.

La présidente: Voici un projet de loi du Sénat qui nous est confié comme il se doit. Il a eu droit à deux lectures au Sénat; il s'agit d'une loi-cadre, tout comme la plupart des lois qui nous sont proposées.

Le sénateur Cools: Il ne s'agit pas d'une loi-cadre. C'est la raison pour laquelle je pose ces questions. Nous sommes appelés à mettre aux voix un texte que nous n'avons pas devant les yeux, que ce projet de loi ne renferme pas. Les textes de loi que nous adoptons au Parlement sont imprimés sur le document qui nous est remis. Nous sommes appelés à adopter l'équivalent d'un siècle de textes législatifs. Or, les textes en question devraient nous être remis. Nous ne formons pas un organe impérial habilité à décréter: par les présentes, nous édictons...

La présidente: Je vous prie de m'excuser, sénateur Cools; nous pourrions permettre à ces messieurs de répondre.

Le sénateur Cools: J'aimerais savoir quelle autorité constitutionnelle et parlementaire vous invoquez pour justifier un projet de loi de cette nature; et j'aimerais que vous me disiez de quelle nature est ce projet de loi.

M. Keyes: L'autorité constitutionnelle est la même que celle qui fonde tous les textes qui sont censément adoptés. Voilà pour le fondement. Si un texte est établi dans le cadre d'une loi fédérale, nous présumons que l'autorité qui le fonde existe, et nous l'invoquons.

Bon, pour ce qui est de dire que les données manquent dans cette histoire, je dirais qu'il ne s'agit pas d'un projet de loi inusité. Si mon souvenir est bon, toutes les deux ou trois années, des projets de loi de cette nature sont déposés au Parlement, et ils sont adoptés, pour donner valeur à des textes qui, pour une raison ou une autre, comportent un vice. Souvent, c'est qu'il y a eu un vice de procédure; parfois, c'est le fondement du projet de loi lui-même qui pose problème. Le projet de loi vise donc à établir ce fondement, mais uniquement pour valider les textes dans les cas où, par le passé, l'autorité voulue faisait défaut.

Dans ces cas, d'ordinaire, nous reproduisons non pas les termes, mais plutôt les numéros d'inscription cités. Dans le cas qui nous occupe, nous adoptons essentiellement la même approche. Nous essayons d'établir de quels textes il s'agit pour ensuite les valider.

Le sénateur Cools: Si je ne m'abuse, vous dites que nous avons déjà adopté plusieurs projets de loi de réédiction. Dans ce projet de loi, c'est le terme «réédicté» qui est employé au paragraphe 3(1). Vous me dites que cela est monnaie courante.

M. Keyes: Je ne dirais pas que c'est très courant, mais il existe plusieurs exemples de lois que je qualifierais de «validantes». Nous avons reconnu que, sur le plan juridique, certains textes comportent un vice; ce projet de loi vise à corriger la situation.

La présidente: Sénateur Cools, j'ajouterais que nous essayons de corriger des législations subordonnées — et non pas les lois elles-mêmes. C'est la nature d'un règlement. Je ne vois pas en quoi nous aurions tort d'habiliter un ministre à corriger des lois dont le fond a fait, au départ, l'objet d'une délégation.

Le sénateur Cools: Le projet de loi ne fait pas cela. Je n'hésiterais pas du tout à accorder au gouverneur en conseil le pouvoir de corriger la législation subordonnée ou déléguée.

Ce projet de loi déclare que les textes sont réédictés sans révéler au Parlement ce qui, au fait, est édicté. Nous devons comprendre la manière dont se conçoit une loi et le sens qu'il faut prêter au terme «édicter».

Quant le Parlement édicte une loi — par exemple, le sénateur aux cheveux gris que vous avez devant les yeux sera désormais considéré comme un sénateur aux cheveux noirs — la proposition énoncée se trouve dans le projet de loi lui- même, et le Parlement est appelé à y donner son approbation. Ce n'est pas le cas du projet de loi dont il est question ici. Nous nous éloignons beaucoup de l'usage. Je souhaite savoir en quoi la démarche est fondée. Il existe toute une série de textes habilitants qui fondent le Parlement, sur le plan constitutionnel, quand il conçoit une loi. À l'époque où l'AANB était en voie de conception...

La présidente: Merci. Le sénateur Fraser, à ce sujet, puis, je crois, M. Newman...

Le sénateur Cools: Je souhaiterais savoir.

La présidente: Sénateur Cools, nous essayons d'obtenir des réponses à vos questions.

Le sénateur Fraser: Je ferai simplement remarquer qu'il n'est jamais question ici d'un texte qui n'aurait pas déjà été édicté dans une langue officielle. Nous ne donnons carte blanche à personne. Tous les textes auxquels renvoie ce projet de loi existent déjà et ont été adoptés en bonne et due forme, mis à part l'élément linguistique. Sous tous les autres aspects, le législateur y a appliqué les critères rigoureux qui sont l'usage.

Le sénateur Cools: Cela ne me pose aucune difficulté.

M. Newman: Ce projet de loi, comme vous l'avez mentionné, sénateur, traite d'une législation déléguée, ou législation subordonnée. Quant à l'autorité constitutionnelle et au droit administratif qui viennent fonder la démarche, le Parlement est souverain dans les champs d'action décrits à l'article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867. Par l'entremise de divers statuts, le Parlement a choisi de déléguer certains de ses pouvoirs législatifs à des organes subordonnés. Par la voie du projet de loi proposé ici, le Parlement corrige certaines des erreurs commises par ses organes subordonnés. Seul le Parlement est en position de le faire. Comme certains organes n'existent plus pour une raison ou une autre, il serait maladroit d'essayer de réétablir chacun des textes en question. Nous réédictons des règlements, des textes d'application, et non pas des lois.

Le sénateur Cools: C'est une déclaration impériale travestie en projet de loi.

M. Newman: Le Parlement est habilité à agir ainsi.

Le sénateur Cools: C'est justement cela. On ne nous dit pas ce que le Parlement est appelé à approuver.

M. Newman: Le Parlement dit — si le Parlement édicte ce projet de loi — que les textes législatifs répondant à la définition donnée seront réédictés.

Le sénateur Cools: J'ai lu le passage avec soin. Je vous dis qu'il n'y a aucun précédent, au Parlement, pour ce qui est de cette sorte de déclaration.

La présidente: Vous formulez une objection qui se rapporte à la procédure. Au point où nous en sommes, nous essayons d'examiner ce que seront probablement les modifications de ce projet de loi particulier, qui nous a été confié en bonne et due forme: le Sénat du Canada nous l'a envoyé.

Je crois que cette discussion ne va pas trop loin. Nous devrions continuer à examiner les modifications que nous avons devant les yeux.

Le sénateur Cools: Je dirais que si nous n'obtenons pas réponse à nos questions, nous devrions peut-être faire appel à des témoins qui seront en mesure de nous éclairer.

Le sénateur Bryden: Si vous me permettez de faire une observation, je dirais qu'il est un peu tard pour un membre du comité de soulever ce qui, sur le plan juridique, serait une objection préliminaire à la raison d'être de nos travaux. Nos travaux sont en marche depuis des semaines et des mois. Il y a d'abord eu la première lecture et la deuxième lecture au Sénat, et si vous souhaitez vous opposer au projet de loi dans son intégralité, vous aurez l'occasion de le faire au moment de la troisième lecture.

Nombre de gens y ont mis beaucoup d'efforts, et ils croient que nous cherchons simplement à édicter une loi touchant des textes qui, quand ils ont été adoptés, n'étaient pas conformes à une exigence que nous nous donnons, soit qu'ils figurent dans les deux langues officielles. Voilà, essentiellement, ce que nous faisons.

Si vous y voyez un vice de forme, alors rejetons-le au Sénat au moment de la troisième lecture. Il est injuste que vous arriviez ici aujourd'hui, après des semaines de travail, et vous êtes membre du comité...

Le sénateur Cools: Je m'excuse, j'ai soulevé la question pendant les travaux du comité. J'ai soulevé cette question, mais je n'ai pas encore obtenu de réponse.

Le sénateur Bryden: Vous l'avez soulevée aujourd'hui.

Le sénateur Cools: Je l'ai soulevée avant.

La présidente: À l'ordre. Je vous en prie, à l'ordre.

Le sénateur Cools: Vérifiez les dossiers.

La présidente: Je vous en prie: à l'ordre!

Le sénateur Cools: Vous avez peut-être aussi passé à côté.

La présidente: Je vous en prie, à l'ordre. Le sénateur Cools a déjà soulevé la question, pour être juste. Je crois que le point que soulève le sénateur Bryden est correct. Si vous croyez que nous n'avons pas raison d'étudier le projet de loi, l'endroit où il faut s'y opposer est la salle du Sénat.

Le sénateur Cools: Je vois ici des témoins du ministère de la Justice qui ont participé à l'élaboration de ce projet de loi.

La présidente: Oui, sénateur Cools, et ils ont répondu à vos questions plusieurs fois.

Le sénateur Cools: Je n'ai pas obtenu de réponse à mes questions.

La présidente: Sénateur Cools, je vous en prie, à l'ordre. À l'ordre!

Le sénateur Cools: Ne me parlez pas sur ce ton.

La présidente: J'essaie de faire en sorte que nous ayons une séance productive, pour que nous n'ayons pas à rejouer la même pièce tout à fait demain matin.

Le sénateur Cools: Ah, nous allons le faire.

La présidente: Sans aucun doute, nous allons le faire. Sénateur Cools, si vous me permettez de terminer...

J'interprète cela comme une invocation du Règlement. Je rappelle le sénateur au Règlement. Je demanderai au comité des appuis à cet égard.

Est-ce adopté? Adopté.

Le sénateur Cools: J'aimerais que cela soit mis aux voix dans les formes, au moyen d'une motion.

Le sénateur Fraser: Je propose que le comité appuie la décision de la présidente concernant l'invocation du Règlement par le sénateur Cools.

Le sénateur Cools: Je n'ai pas invoqué le Règlement; je n'ai pas non plus demandé à la présidente de trancher une question liée au Règlement. Il est malheureux qu'on puisse me prêter des paroles que je n'ai pas prononcées. Si j'avais voulu invoquer le Règlement, je l'aurais fait. Je n'ai pas invoqué le Règlement, et il est extrêmement déplacé de la part du sénateur Fraser de formuler une motion qui laisse entendre que je l'aurais fait.

La présidente: Convenons-nous de poursuivre la discussion sur les articles du projet de loi que nous avons devant les yeux? Merci.

Le sénateur Cools: Je souhaite qu'il y ait un vote dans les formes avec appel nominal.

Le sénateur Fraser: Je retire ma motion. Je peux la reformuler, si c'est ce que vous souhaitez, madame la présidente.

Le sénateur Cools: Il vous faut l'appui d'autrui pour retirer votre motion.

La présidente: L'appui d'une seconde personne n'est pas nécessaire, en comité.

Le sénateur Fraser: Je peux retirer ma motion.

La présidente: Je crois que le sénateur Fraser peut retirer sa motion. Nous allons poursuivre la discussion sur ces articles. Nous en sommes toujours à l'article 4, page 3, à la modification proposée: le paragraphe (7).

Le sénateur Andreychuk: J'avais des réserves quand vous tentiez d'appliquer ce projet de loi à quelque chose qui n'a jamais été publié même s'il était censé avoir été publié, et c'est là un vice fondamental que je ne pouvais omettre de voir.

Comme vous avez retiré cela, il me semble qu'il reste un obstacle. Si vous permettez qu'on revienne à l'affaire du Manitoba, celle que je connais le mieux... Il est question à votre nouvel article 8, de procéder à un examen approfondi de l'application de l'article 4 qui est proposé et il est question d'un rapport. Vous parlez de la présentation d'un rapport de cet examen.

Si vous aviez dit que vous alliez procéder à un examen approfondi de la législation déléguée provenant de ce projet de loi et que vous alliez en faire un examen exhaustif comme cela s'est fait au Manitoba, alors je crois que ce paragraphe (7) ne serait pas nécessaire.

Je suis prise entre ces deux modifications. D'une part, on dit: «Tout texte législatif visé au paragraphe (1) qui n'est pas réédicté dans les deux langues officielles dans les trois ans suivant l'entrée en vigueur de la présente loi est abrogé.» Cela me paraît évident. C'est le raisonnement que fait valoir le sénateur Fraser, et je suis d'accord avec elle.

J'ai cru que le nouvel article 8 qui était proposé devait être une modalité pour évaluer l'ensemble des règlements, pour en arriver là. Si l'article 8 allait jusque-là, le paragraphe (7) qui est proposé ne serait pas nécessaire. Si nous laissons tel quel l'article 8, il s'agit simplement d'un rapport sur l'application d'un article; il ne s'agit pas de l'édiction d'une loi défectueuse. Il faut donc une sorte de paragraphe (7), que ce soit celui-ci ou un autre. Vous dites que vous allez entreprendre un examen dans les cinq ans, et notre délai est de trois ans. Il y a donc un problème pour ce qui touche le temps.

Êtes-vous prêt à voir ce que peut signifier l'article 8 au-delà du sens évident des mots — qu'il s'agisse uniquement d'un examen approfondi de l'application d'un article, et d'un rapport? À la page 2, on dit simplement que les gens vont remettre un rapport de cet examen au comité. On ne dit pas qu'il y aura un examen approfondi, ou que vous allez analyser l'ensemble des textes législatifs, et cetera. Le rapport évoqué à l'article 8 ne présente pas de caractère final, et rien ne garantit qu'il y aura un examen approfondi de tous les textes législatifs qui peuvent être visés.

Je crois que l'article 8 doit être renforcé; sinon, nous avons besoin du paragraphe (7), comme l'a affirmé le sénateur Beaudoin.

Le sénateur Fraser: Cela irait si le législateur indiquait, à l'article 8, que l'on s'engage à donner suite aux résultats obtenus.

Le sénateur Andreychuk: C'est comme ça que la situation a évolué au Manitoba. Il s'agissait de passer en revue les textes législatifs et de déterminer lesquels comportaient un vice. Évidemment, il y aura toujours l'erreur humaine, mais nous pourrions repérer les textes importants s'il y avait un examen approfondi des textes législatifs et une réédiction. C'est ce que je voulais faire valoir. Sinon, nous avons besoin d'une mesure comme celle qui est énoncée au paragraphe (7).

M. Tremblay: Je pourrais parler de l'esprit de l'article 8 qui est proposé. C'est au paragraphe (1) qu'il est question de l'examen approfondi. Quand nous étudions le projet de loi, nous essayons de déceler l'intention du législateur. Dans un tel cas, il évoque le même examen approfondi que celui dont il est question au paragraphe (2). C'est seulement une question d'interprétation. Il y a cette rubrique «Examen», il y a l'article 1 qui parle d'un «examen approfondi» et il y a l'article 2, qui dit «dans l'année qui suit le début de son examen...» — visiblement, cela se rapporte à l'examen approfondi dont il est question à l'article 1. C'est l'examen approfondi. Nous devons revoir ce dont il est question à l'article 4 proposé. Notre intention, répétons-le, c'est que le ministre de la Justice procède à un examen approfondi de la mise en œuvre de l'article 4. Cela suppose que le Bureau du Conseil privé — le BCP — ainsi que le ministère de la Justice s'engagent à mettre à contribution toutes les autorisations réglementaires pour trouver les textes visés et permettre au gouverneur en conseil d'en envisager la réédiction. Voilà ce qui se trouverait dans le rapport. Le document signalerait au comité mixte permanent les mesures ayant été prises. Présumément, s'il y avait des réserves à propos de la nature de l'exercice, alors le comité, dans le cadre de ses travaux, en toute liberté, aurait la possibilité d'exercer sa surveillance sur la démarche.

À notre avis, c'est le genre de formulation qu'il faut pour éviter, comme certains s'en préoccupent, que le gouvernement ne fasse rien, sans oublier un principe qui sous-tend toute cette affaire — le faut que nous nous engagions à respecter la Constitution. Il n'est pas nécessaire de dire dans le projet de loi que nous allons respecter la Constitution: dans notre domaine, on le présume. Certains ont mis en doute la bonne foi du gouvernement à cet égard, mais je crois que nous pouvons présumer légitimement qu'il agira de bonne foi et qu'il défend ce projet de loi de bonne foi.

Voilà qui explique la teneur de l'article 8 proposé. À notre avis, il répond aux préoccupations soulevées et est suffisant. Nous comprenons ce que vous dites. Nous comprenons la préoccupation qui est formulée, et nous avons nous aussi une préoccupation dont témoigne l'article 4, page 3, comme l'a laissé entendre le sénateur Beaudoin. M. Keyes a déjà formulé ces préoccupations. Nous comprenons l'esprit dans lequel cela a été présenté. Nous allons étudier la question plus tard, en soirée. Je signalerai que nous ne souhaitons pas que l'article 4 s'applique aux textes ayant déjà été abrogés.

La présidente: De quel article parlez-vous?

M. Tremblay: L'article du sénateur Beaudoin: «Dans les trois ans suivant l'entrée en vigueur...».

La présidente: C'est l'article 4.

M. Tremblay: Oui, l'article sur l'abrogation. Nous ne souhaitons pas qu'il s'applique à des textes qui ont peut-être été abrogés. Nous souhaitons qu'un tel article ne s'applique pas rétroactivement, de telle sorte qu'il viendrait perturber une situation juridique passée et faire naître de nouvelles sortes de difficultés. Présumons que nous serions également en faveur d'une période de mise en œuvre plus longue, avant l'adoption d'une mesure quelque peu radicale, soit l'abrogation de ces textes.

Le sénateur Andreychuk: Pour revenir à l'article 4, je ne vois pas en quoi il y a l'obligation de procéder à un examen approfondi et de passer en revue les textes. C'est encore permissif; sans aucun doute, vous le feriez au moment qui vous convient et de la manière qui vous convient. Ce que le sénateur Fraser et d'autres font valoir, c'est qu'il y a un devoir là. Si vous insistez sur le devoir dont il est question à l'article 8, alors je ne crois pas que nous ayons besoin de l'article que propose le sénateur Beaudoin. Tout de même, si vous souhaitez laisser tel quel l'article 8, alors il nous faut une telle disposition, sans oublier toutefois les réserves que vous pouvez avoir pour ce qui est de l'exclusion de certaines situations.

M. Tremblay: Comme le ministre de la Justice n'est pas présent, nous pourrions convenir de lui faire part des deux options et revenir vous présenter nos vues demain.

Le sénateur Pearson: S'il est question de mieux préciser les termes — la réédiction des textes législatifs dans le cas de ce projet de loi n'aurait pas pour effet de faire remettre en vigueur ces textes. Je ne vois pas où la question est traitée ailleurs; néanmoins, la question s'est présentée. Vous disiez que nous ne souhaitons pas appliquer de sanction rétroactive ou créer des problèmes nouveaux.

Je peux entrevoir deux problèmes. Je veux m'assurer que nous n'allons pas faire renaître des textes qui ont été abrogés. Il me semble important de le dire, et je ne vois pas un tel degré de clarté dans le règlement du gouvernement.

Le sénateur Beaudoin: Je suis d'accord avec M. Tremblay. Si vous corrigez la situation à l'article 8, je laisserai tomber. Toutefois, si le législateur ne reformule pas, je crois que la modification s'impose.

La présidente: Sénateur Beaudoin, vous pouvez reformuler la modification vous-même pour vous assurer qu'elle ne s'applique pas aux textes législatifs ayant déjà été abrogés.

Le sénateur Beaudoin: Peut-être.

Le sénateur Joyal: Je souhaite invoquer le Règlement, compte tenu de ce qui est survenu. Le sénateur Pearson a soulevé une question à laquelle nous pouvons demander à nos témoins de répondre, avant de revenir aux points du sénateur Beaudoin et du sénateur Fraser, parce que c'est intéressant et valable.

M. Tremblay: Théoriquement, à notre avis, ce projet de loi amènerait un tribunal appelé à régler la question d'un texte remis en vigueur qui n'aurait pas dû l'être à affirmer que ce n'était pas là l'intention du législateur. Le projet de loi est une mesure corrective visant à égaliser les chances, à corriger la situation, mais non pas à créer d'autres problèmes. Le tribunal aurait tendance à l'aborder dans cet état d'esprit. Je crois que les références à la Loi sur les langues officielles et l'énoncé selon lequel les deux versions ont également force de loi en sont une indication. Tout de même, c'est là une interprétation de l'esprit du projet de loi fondée sur les termes employés.

Les termes employés précisément pour traiter de cette question se trouvent à l'article 5 du projet de loi: nous y disons que le texte réédicté est réputé être et avoir toujours été le texte législatif qu'il remplace. Ensuite, il est question de la manière dont il est cité. Voilà un premier élément: le texte est réputé être et avoir toujours été exactement le même qu'au départ, de sorte que si le texte initial ne vaut plus, ce texte-ci, en même temps, ne vaut plus.

Cela suffit pour régler une autre question que l'on retrouve dans la motion du sénateur Beaudoin, à l'article 5, page 3, là où il dit: «il est entendu que la réédiction... n'a pas pour effet de remettre en vigueur les parties de ceux-ci [les textes législatifs] qui ont été abrogés ou remplacés, ou qui étaient inopérants...». Nous avons couvert ce terrain dans l'article 5 proposé. C'est également là l'idée quand nous disons que le texte est cité de la même façon. Il n'y a pas de confusion possible. Si le texte au départ s'appelait «X», son nom demeure «X». Si «X» ne vaut plus, l'article 5 proposé permet de rendre compte de ce fait juridique. Nous ne voyons pas la nécessité de le répéter. Le degré de clarté est certes plus grand, mais l'effet est le même.

Le sénateur Pearson: Ces termes n'ont pas la même résonance dans l'esprit de celui qui n'a pas une formation de juriste.

Le sénateur Fraser: Je médite depuis un certain temps sur les idées que fait valoir le sénateur Andreychuk quant à l'élargissement et au resserrement de l'article 8, qui semble être un processus et non pas un principe. Le processus est admirable: il s'agit de dire «tenez-nous au courant de ce que vous faites.» Nous sommes toujours heureux de voir adopter en bonne et due forme les exigences législatives selon lesquelles nous avons droit à un bilan de ce que vous êtes en train de faire.

Ce qui est oublié, c'est que, à un moment donné, nous devons affirmer que notre obligation constitutionnelle ne demeure pas ouverte à jamais, pour être respectée quand ce sera commode pour nous. Il doit y avoir une limite, un délai au-delà duquel ce qui n'est pas corrigé tombe. Sinon, c'est une sorte d'esquive de notre part.

Si cela ne s'applique pas à un grand nombre de règlements, tant mieux. Si jamais cela s'applique bon nombre, il importe justement que nous nous acquittions de notre devoir constitutionnel. Nous ne pouvons éluder ce devoir simplement parce qu'il serait plus commode pour nous de le faire.

C'est ce que semblent accomplir les articles 4 et 8, sous leur forme actuelle. Ils permettent au gouvernement d'y aller au rythme qui lui convient.

Cela me paraît insuffisant.

Le sénateur Joyal: La deuxième intervention du sénateur Fraser permettra à nos témoins de commenter les conséquences de la décision manitobaine sur l'obligation constitutionnelle qu'a le gouvernement fédéral de respecter les deux langues dans le cadre de ses activités législatives et réglementaires. Quand le gouvernement touché prend conscience du fait que, pour toutes sortes de bonnes raisons, qu'il faut situer dans un contexte historique, cela ne s'est pas fait, quelle est la nature du devoir constitutionnel qui entre en jeu quand il s'agit de mettre tout cela en ordre? Autrement dit, essentiellement, quel temps faut-il accorder pour que cela soit corrigé, car il s'agit d'un projet de loi correctif. Il vise à corriger certains vices qui, selon nous, existent peut-être ou existent certainement, mais nous ne savons pas jusqu'à quel point il faut aller. Nous sommes conscients de l'affaire du Manitoba, où le gouvernement a éprouvé beaucoup de difficultés à voir que sa législation n'était pas constitutionnelle. Je ne saurais imaginer un pire scénario.

Ce n'est pas le cas du gouvernement fédéral; nous ne retrouvons pas dans le pire des scénarios possibles. Vous, et d'autres témoins, nous dites qu'il y a un certain nombre de cas, mais que c'est peut-être limité. C'est enfoui dans l'histoire de notre pays. Nous comprenons cela, comme le comprendrait tout juge raisonnable. Par contre, un jury aimerait bien être convaincu du fait que le délai accordé au gouvernement pour adopter les mesures correctives qui s'imposent est également raisonnable. Comment définissez-vous ce délai, d'après la lecture que vous faites de l'obligation imposée au gouvernement?

M. Newman: Prenons votre exemple. Dans l'affaire manitobaine dont il est question au départ, et j'entends par cela la décision dans l'affaire Forest, rendue le 13 décembre 1979, la Cour suprême a confirmé la décision de la cour d'appel manitobaine qui avait invalidé la Loi sur la langue officielle.

Le Manitoba, l'année suivante, a réédicté un projet de loi qui mettait censément sur un pied d'égalité les deux langues, mais il était clair, à la lecture de certaines des dispositions, que l'anglais était «plus égal» que le français. C'était l'une des questions posées dans le renvoi à la Cour suprême à propos des droits linguistiques au Manitoba. Tout le travail de traduction en fait ne s'est pas concrétisé; plutôt, durant cette période, les choses se sont aggravées, comme en attestent les rapports du Commissaire aux langues officielles.

Quand la deuxième affaire s'est présentée, le gouvernement fédéral a décidé de renvoyer la question à la Cour suprême. C'était en 1984, après une tentative faite pour produire une modification constitutionnelle, par recours à la procédure prévue à l'article 43, visant à régler la question de l'arriéré de traduction, en échange de certains services et certaines communications dans les deux langues. Cette tentative ayant échoué, certains d'entre nous se souviendrons de la «crise de la sonnerie», en 1983, l'affaire a été renvoyée à la Cour suprême.

La Cour suprême s'est penchée sur la même question qu'elle avait eue à trancher cinq ans plus tôt. Cette fois-ci, elle a déclaré que la législation dans son ensemble était non valide ab initio, qu'elle n'avait jamais été valide.

Il est dit aussi que le souci prêté à la primauté du droit comportait deux aspects. On voulait s'assurer que l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 était respecté; la Constitution est la loi suprême du pays. On voulait également s'assurer que l'article 23 de la loi manitobaine était respecté et que la loi soit édictée dans les deux langues.

Du point de vue de la primauté du droit, le deuxième aspect de la chose qui inquiétait tout autant les gens, c'était que le Manitoba n'en devienne pas une société sans lois.

[Français]

Nous sommes quand même un État de droit. Il y avait donc ce souci de préserver l'État de droit.

[Traduction]

C'est pourquoi le tribunal a refusé d'établir une limite de temps. Il a affirmé que le Manitoba était en état d'urgence et qu'il devait réédicter dès que possible sa législation. Il a demandé qu'on lui fasse la preuve du temps qu'il faudrait pour y arriver. Les parties sont revenues devant le tribunal, qui a ordonné, en octobre 1985 — c'est de mémoire que je dis cela, le sénateur Beaudoin y était aussi — que le Manitoba disposait de trois ans pour faire traduire ses lois de base et de cinq ans pour tout le reste.

S'adressant de nouveau à la Cour suprême en 1992, le Manitoba a affirmé qu'il existait certains champs d'action, en ce qui concerne l'incorporation par renvoi, dont il n'était pas sûr; et certains types de textes qui étaient ou n'étaient peut-être pas de nature législative. Le tribunal a prolongé la durée de son ordonnance.

Depuis, d'autres textes ont été déclarés inopérants. Nous avons parlé de l'affaire Sinclair. L'affaire Sinclair portait sur une loi visant à fusionner les villes de Rouyn et de Noranda. La Cour suprême a accordé à l'assemblée législative du Québec une année pour régler la situation. C'était un texte de loi en particulier.

Je crois qu'un tribunal étudiera la question raisonnablement. J'aimerais voir que nous avançons dans la bonne direction. L'idée sous-tendant le nouvel article 8 que propose le ministre de la Justice, par notre entremise, à l'intention du comité, c'est que nous entreprenions de — c'est plus qu'une entreprise, c'est une obligation — que nous nous acquittions de l'obligation de procéder à un examen approfondi de l'application de l'article et que nous fassions un rapport au comité. Encore une fois, nous avançons dans la bonne direction.

Nous avons dit que nous avons étudié la date limite que propose le sénateur Beaudoin; je comprends l'idée de la carotte et du bâton, d'une mesure de cette nature, qui fait que les esprits seront concentrés sur l'examen s'ils savent qu'après une certaine date, les textes seront abrogés. Nous avons entrepris d'examiner cette modification.

Le sénateur Beaudoin: Je n'ai rien contre l'idée de modifier l'article 8 qui est proposé. Mon seul argument, c'est qu'il faut le faire quelque part.

Le sénateur Bryden: J'ai des réserves au sujet de votre proposition, sénateur Beaudoin. C'est comme une guillotine. Après un certain temps, il y a l'abrogation. Ce qui était là n'est plus.

Il y a de cela bien des années, à l'époque où le Canadien Pacifique construisait son chemin de fer menant vers l'Ouest, quand il fallait que le Parlement adopte une loi pour que les gens puissent divorcer et quand le Parlement adoptait des lois pour consolider des terres, mon arrière-grand-père — brigadier dans la Black Watch — a obtenu des terres grâce à une telle loi. Si le projet de loi est adopté, je ne serai plus propriétaire de la terre que j'habite et que je défends âprement parce que le titre de propriété ne vaut plus — il est abrogé. Je ne sais pas si c'est le genre de risque que l'on court quand il y a cette sorte de guillotine qui tombe — voilà. Je crois qu'il doit y avoir une façon de s'en sortir — nous le faisons tout le temps, en droit, pour nous assurer que les gens qui ne sont pas avisés de la chose ne sont pas touchés par une mesure. Je crois que vous songez surtout aux lois d'intérêt public, et nous ferions mieux de respecter notre propre Constitution, mais si cela touche les droits de particuliers établis de longue date et a une incidence sur les citoyens aujourd'hui, il doit y avoir une façon de procéder. Voilà la préoccupation que je nourris, et je vous demande d'en tenir compte.

M. Tremblay: C'est la préoccupation que je formulais moi-même. Il y a un lien avec la discussion que nous avons eue auparavant sur la façon dont le tribunal examinerait peut-être la question. Nous croyons bien qu'un tribunal, saisi d'une telle question, en l'absence de ce projet de loi, dirait que le passé est le passé. Qu'est-ce que le tribunal pourrait ordonner au gouvernement, autrement que d'édicter une loi sur les langues officielles qui exige que, à partir de 1988, voilà comment les choses se feront — corriger les versions publiées dans les gazettes officielles et procéder à une recherche dans les archives pour repérer tout autre texte de cette nature et le réédicter au besoin?

À notre avis, le tribunal ne dirait pas: «et toutes les autres lois sont inopérantes, et nous allons devoir vivre avec cette incertitude constitutionnelle et juridique, désormais.» Voilà pourquoi nous avons formulé le projet de loi de cette façon et proposé l'article 8. Si nous devions envisager, ou demander à notre ministre d'envisager un article qui comporte une date limite, nous ne voudrions pas que l'article en question ait un effet rétroactif. L'abrogation, s'il y en a une, ne s'appliquerait qu'à l'avenir; le passé ne serait pas touché.

Arriver à rédiger un texte qui se tienne en ce sens est peut-être un défi. Nous n'avons pas examiné la question. Nous ne connaissons pas toutes les conséquences possibles, mais nous nous préoccupons également des effets possibles de la démarche en ce sens.

La présidente: Vous affirmez qu'en application de l'article 8, le ministre de la Justice procéderait à un examen approfondi de l'application de l'article 4 proposé, ce qui supposerait notamment la tâche de trouver les règlements qui relèveraient peut-être du projet de loi. Ce n'est pas seulement l'application de l'article.

M. Tremblay: C'est là le but de l'article.

La présidente: Ce n'est pas ce qui est dit.

M. Newman: C'est sous-entendu. L'article 4 proposé ne peut s'appliquer sans que quelque chose ait été porté à l'attention du gouverneur en conseil. L'application de l'article 4 proposé englobe tout ce qui est habituellement fait à l'interne, au sein de notre ministère, et au Conseil privé. Il faut régler certaines questions quant à savoir quelle part de l'appareil gouvernemental il faut mettre à contribution selon le projet de loi, au-delà du fait que le ministre procède à un examen approfondi.

La seule façon dont l'article 4 peut s'appliquer, c'est si nous trouvons une chose à laquelle il s'applique, ce qui veut dire que nous devons faire des recherches.

Le sénateur Joyal: Il faut alimenter le système.

M. Newman: Oui.

Le sénateur Beaudoin: Nous devons nous conformer à la constitution, et les conditions doivent être strictes. N'oubliez pas que, dans l'affaire du Manitoba, trois années ont été prévues pour l'examen. Le délai de cinq ans ne s'appliquait qu'aux droits acquis. Il faut que cela soit tout à fait clair: nous respecterons la Constitution. Que ce soit cinq ans ou trois ans, cela m'importe peu. Si vous concluez qu'il faut vraiment cinq ans pour agir, alors je suis d'accord avec vous. Je me fie à vous puisque vous êtes les experts en rédaction. Nous avons besoin d'une mesure.

M. Keyes: Puis-je vous rassurer un peu plus sur le fait que l'article 8 est vraiment utile? Le rapport est censé être remis au comité, c'est ce qui est établi à l'article 19. Bien entendu, ce comité serait appelé à étudier le rapport, mais aussi à examiner la nature de l'examen et à déterminer s'il se révèle suffisant. Une certaine mission de surveillance incomberait à ce comité.

Le sénateur Andreychuk: On nous a dit que le comité a soulevé cette question en 1992 et que cela n'a pas semblé faire bouger le gouvernement. Le seul fait de remettre un rapport de l'examen au comité ne semble pas avoir tout à fait le même effet que les modifications elles-mêmes, de sorte que le comité ait tout le temps voulu pour réaliser l'exercice et mettre en œuvre l'article 4 proposé. Il faut une date limite, quelque part. Sinon, cela ne fera que continuer à nourrir le mécontentement, comme le comité l'a dit en 1992. L'argument est le suivant: rien ne garantit que l'exercice parvienne à un terme concluant.

La présidente: Nous avons couvert tous les aspects de cette question.

Nous ne savons pas s'il y aura une date limite ni quelle sera la meilleure façon de l'établir, compte tenu des points valables soulevés par le sénateur Bryden.

Le sénateur Beaudoin: Je crois me rappeler que, dans l'affaire du Manitoba, le juge en chef de l'époque, le juge Dickson, avait demandé à tous les avocats de le rencontrer dans son cabinet. Il nous a demandé si nous étions d'accord pour dire que ce serait trois ans, puis cinq ans dans le cas des droits acquis. Le juge en chef a affirmé qu'il fallait que la période allouée se termine à un moment donné. C'est pourquoi nous devrions faire la même chose dans le cas qui nous occupe aujourd'hui. Il faut une fin.

La présidente: Vous êtes conscient du fait que presque tous les membres du comité appuient sans réserve ce que nous essayons de faire et forment un groupe uni, en dehors de considérations sectaires, en ce qui concerne ce projet de loi particulier. Nous voulons accomplir le meilleur travail possible.

La séance est levée.


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