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SM36 - Comité spécial

Comité spécial sénatorial sur le projet de loi C-36

 

Délibérations du Comité sénatorial spécial sur la
Teneur du projet de loi C-36

Fascicule 1 - Témoignages du 22 octobre 2001 (séance de l'avant-midi)


OTTAWA, le lundi 22 octobre 2001

Le Comité spécial sénatorial sur la teneur du projet de loi C-36 se réunit aujourd'hui à 9 h 07 pour étudier la teneur du projet de loi C-36, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur les secrets officiels, la Loi sur la preuve au Canada, la Loi sur le recyclage des produits de criminalité et d'autres lois, et édictant des mesures à l'égard de l'enregistrement des organismes de bienfaisance en vue de combattre le terrorisme et la protection des droits de la personne et des libertés publiques dans l'application de la Loi à l'étude.

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, il s'agit de la première réunion du Comité spécial sénatorial sur la teneur du projet de loi C-36, la Loi antiterroriste, au cours de laquelle nous allons entendre des témoins. Avant de commencer, il serait peut-être utile que je dise quelques mots au sujet de la nature de ces audiences pour ceux qui nous regardent peut-être à la télévision.

Nous étudions ce projet de loi à cause des événements tragiques survenus à New York, à Washington et dans un champ de Pennsylvanie, le 11 septembre et tout ce qui s'est passé depuis. Ce projet de loi porte sur diverses mesures que le Canada a prises suite à ces événements. Il est maintenant devant le Comité de la justice de la Chambre des communes. Lorsque cette Chambre l'aura adopté à toutes les étapes, il sera renvoyé au Sénat pour y faire officiellement l'objet de débats et d'audiences.

En raison de l'importance inhabituelle de ce projet de loi, le Sénat entame aujourd'hui une procédure spéciale qui est rarement utilisée, appelée étude préalable. Cela nous permettra d'entendre des témoins et de soumettre à l'avance, au comité de la Chambre des communes, nos opinions et nos recommandations en espérant qu'elles se refléteront dans la loi lorsqu'elle nous sera officiellement renvoyée. Nous verrons alors dans quelle mesure nos recommandations ont été suivies, nous étudierons à fond le projet de loi, article par article, et nous recommanderons son approbation ou de nouveaux changements dans notre rapport final au Sénat.

Nous allons tenir des audiences intensives au cours des jours à venir. Nous commencerons ce matin par la ministre Anne McLellan, et les fonctionnaires de son ministère qui ont joué un rôle très important dans sa préparation, Richard Mosley, sous-ministre adjoint et Donald Piragoff, avocat principal, qui représentent tous les deux la Section de la politique de droit pénal du ministère de la Justice.

Comme c'est un projet de loi complexe, nous voulons entendre tout ce que nos témoins ont à nous dire et permettre aux sénateurs de poser des questions. Pour que tout se déroule parfaitement, notre vice-président, le sénateur Kelleher, qui est lui-même un ancien solliciteur général et moi-même n'hésiterons pas à vous rappeler d'être le plus concis possible tant pour les questions que pour les réponses.

Veuillez commencer, madame McLellan.

[Français]

L'honorable Anne McLellan, ministre de la Justice et procureure générale du Canada: Madame la présidente, il me fait plaisir de comparaître ce matin pour entamer vos discussions sur le projet de loi C-36. Je voudrais d'abord vous remercier d'avoir pris ce projet de loi en main de manière très sérieuse.

[Traduction]

Depuis son dépôt, il y a une semaine, ce projet de loi a reçu énormément d'attention. La qualité des débats à la Chambre et au Sénat reflète les préoccupations bien réelles que nous partageons tous face à la menace du terrorisme. Sans être alarmiste ou mélodramatique, on peut dire que le 11 septembre a marqué un tournant pour tous les pays libres et démocratiques. Comme tout autre pays démocratique, nous sommes forcés de réexaminer les mesures mises en place pour protéger notre sécurité nationale et, du même coup, la sécurité de chaque Canadien. Nous avons reconnu l'importance critique de renforcer, de la façon la mieux ciblée possible, nos lois et leur application.

[Français]

Avant de commenter sur les mesures particulières, j'aimerais souligner l'engagement de ce gouvernement dans la lutte contre le terrorisme. Nous ne devons pas perdre de vue la nature très importante de notre objectif.

[Traduction]

Le projet de loi C-36 vise à répondre aux graves menaces qui pèseraient contre notre société. Le projet de loi C-36 est l'un des éléments du plan antiterrorisme du gouvernement. Ce projet de loi comprend ce qui suit: une procédure pour l'établissement d'une liste des groupes terroristes, la définition d'une activité terroriste, de nouvelles infractions de terrorisme, de nouveaux instruments bien délimités tels que l'arrestation à titre préventif et l'audience d'enquête et des nouvelles mesures contre la discrimination et la haine. Il contient également de nombreuses autres nouvelles mesures dont des modifications à la Loi sur les secrets officiels, à la Loi sur la preuve au Canada, à la Loi sur la Cour fédérale et à d'autres lois. Je centrerai toutefois mon attention sur les principaux éléments du projet de loi C-36.

Avant de parler de divers éléments du projet de loi, je voudrais aborder avec vous les raisons qui justifient ce genre de mesure. La plupart d'entre vous n'ignorent pas que le Code criminel prévoit actuellement des dispositions concernant le détournement, la sabotage et le meurtre. Ces outils restent à notre disposition, mais le terrorisme menace notre façon de vivre de façon particulière et c'est dans cet esprit que le projet de loi C-36 met l'accent sur les actes de terrorisme. Comme le premier ministre l'a déclaré à la Chambre:

Il est devenu clair que la terreur fait peser une menace inouïe sur notre mode de vie.

En Amérique du Nord, nous avons eu la chance extraordinaire de vivre en paix, à l'abri des attaques. La situation a changé.

Vous conviendrez sans doute que, lorsque nous parlons de gens prêts à sacrifier leur vie pour tuer des milliers d'innocents, les sanctions criminelles ne sont peut-être pas suffisantes. Néanmoins, dans le cas des membres d'un réseau qui aide les terroristes à commettre des actes atroces, la dissuasion peut être efficace et la prévention joue un rôle primordial. Nous devons pouvoir détecter rapidement les terroristes et ceux qui les soutiennent. Nous devons être en mesure de démanteler rapidement les réseaux terroristes. Nous devons pouvoir les priver rapidement de leur financement.

Honorables sénateurs, la façon dont je décris la situation, et que la plupart des Canadiens comprendront facilement, je crois, c'est qu'il nous faut des lois et des instruments de renseignement et d'enquête qui empêcheront les terroristes de monter à bord des avions. Si les terroristes montent dans les avions, il sera trop tard. Nous aurons échoué.

Par conséquent, la façon dont nous abordons le problème dans ce projet de loi consiste à enlever aux terroristes leur financement et leurs biens dans le but de les empêcher sérieusement de réaliser leurs plans. Nous prenons des mesures préventives, car il ne suffit pas de punir les terroristes une fois leurs crimes commis.

Nous devons pouvoir paralyser les réseaux avant qu'ils ne placent des pirates à bord des avions ou ne menacent notre sentiment de sécurité comme l'anthrax l'a fait ces derniers jours. Nous ne pouvons pas attendre que les terroristes frappent avant de commencer nos enquêtes et faire des arrestations lorsque nous avons des motifs raisonnables de croire qu'un acte de terrorisme aura lieu. Il serait irresponsable d'attendre.

Les dispositions que prévoit le projet de loi contre le terrorisme représentent des améliorations équitables, mesurées, efficaces et parfois très énergiques au cadre législatif dont nous disposons pour combattre le terrorisme.

Voyons maintenant certains des principaux éléments du projet de loi C-36.

Pour paralyser et démanteler les groupes terroristes, il faut commencer par les repérer. Le projet de loi C-36 et plus particulièrement l'article 83.05 établit une procédure qui permettra au gouverneur en conseil d'établir, par règlement, une liste des entités qui se sont livrées ou ont tenté de se livrer à une activité terroriste, qui y ont participé ou qui l'ont facilitée, ou encore qui ont agi au nom des entités susmentionnées, sous leur direction ou en collaboration avec elles.

Cette liste facilitera l'application des autres dispositions du projet de loi, y compris les nouvelles infractions de terrorisme, les nouvelles infractions concernant le financement du terrorisme et les dispositions relatives au blocage, à la saisie et à la confiscation des biens appartenant à des terroristes. Pour éviter que des groupes et des organisations parfaitement légitimes ne soient pris dans le filet, la procédure d'établissement de la liste doit être établie avec soin, et elle l'a été. Le projet de loi exige que le gouverneur en conseil ait des motifs raisonnables de croire qu'un groupe répond aux critères définissant les activités terroristes pour l'inscrire sur la liste. Il ne faut pas oublier que l'inscription sur cette liste ne suffit pas à établir la culpabilité. Lorsque des accusations sont portées, chaque chef d'accusation doit être prouvé hors de tout doute raisonnable.

Madame la présidente, je sais que mon collègue, le solliciteur général, vous rencontrera plus tard aujourd'hui. Le solliciteur général joue un rôle clé dans l'établissement de la liste des groupes désignés et je sais qu'il vous parlera en détail, cet après-midi, de la procédure prévue dans le projet de loi.

Un autre élément clé du projet de loi est la définition d'une activité terroriste. La plupart des autres éléments du projet de loi sont directement reliés au concept d'activité terroriste, y compris l'établissement de la liste des groupes terroristes et les nouvelles infractions de terrorisme. D'importantes conséquences juridiques sont rattachées aux activités terroristes et il est donc important de préciser clairement ce que nous entendons par cette expression.

La définition donnée dans le projet de loi est détaillée. Nous nous sommes attaqués directement à la difficulté de définir la cible de ce régime juridique. Certains parlementaires, sénateurs et journalistes ont exprimé des inquiétudes au sujet de la définition. Nous sommes convaincus que la définition est la bonne, mais j'exhorte le comité à l'examiner attentivement.

La définition fait d'abord mention des infractions prévues dans 12 conventions internationales relatives au terrorisme. Il s'agit là d'une forme importante d'activité terroriste. Nous donnons toutefois également une définition générale. Il s'agit des actes commis notamment au nom d'un but, d'un objectif ou d'une cause de nature politique, religieuse ou idéologique en vue d'intimider la population ou de contraindre un gouvernement à accomplir un acte et qui visent à causer de graves dommages.

Cela comprend les actes qui visent à causer la mort ou des blessures graves par l'usage de la violence, à mettre en danger la vie d'une personne, à compromettre gravement la santé ou la sécurité de la population ou à causer des dommages matériels considérables risquant de compromettre gravement la sécurité des personnes. Il y a donc un lien très clair avec les actes de violence, surtout ceux qui menacent le public canadien.

Les actes en question comprennent également ceux qui visent à perturber gravement ou à paralyser des services, installations ou systèmes essentiels. Je signale toutefois que nous avons ajouté ici une garantie importante. La définition d'une activité terroriste ne s'applique pas aux activités licites de revendication, de protestation ou de manifestation d'un désaccord ou aux arrêts de travail licites qui ne sont pas exercés dans le but de provoquer l'une des situations que j'ai mentionnées et qui sont reliés à la violence. Je tiens à bien préciser que la définition vise les groupes terroristes qui cherchent à provoquer la terreur et c'est là un élément fondamental. Ce ne sont pas les activités violentes qui sont décrites ou définies dans ce projet de loi, mais les activités terroristes.

Le projet de loi prévoit ensuite une série de nouvelles infractions de terrorisme qui complètent le Code criminel. Des infractions distinctes s'appliquent à ceux qui ont participé à des activités, les ont facilitées, ont donné des instructions ou ont hébergé des terroristes et d'autres infractions s'appliquent au financement des groupes terroristes. Par exemple, pour ce qui est de la participation, le recrutement d'une personne pour qu'elle reçoive une formation avec un groupe terroriste devient un acte criminel.

Je voudrais également vous faire remarquer que plusieurs infractions, y compris le fait de faciliter une activité terroriste ou de donner des ordres sont définies comme des actes criminels que l'activité terroriste en question ait été mise à exécution ou non. Cela me ramène à ce que je disais quant au caractère préventif de cette mesure. Nous devons empêcher les terroristes de monter à bord des avions.

Un élément du projet de loi qui a reçu énormément d'attention est l'arrestation préventive. Si un policier a des motifs raisonnables de croire qu'un acte de terrorisme grave est sur le point d'avoir lieu et que l'arrestation d'une personne l'empêcherait, la personne en question peut être arrêtée et conduite devant un juge.

Si cette personne doit être conduite devant un juge, c'est pour que le tribunal examine s'il y a lieu de limiter sa liberté de mouvement et d'association. Le tribunal peut imposer ce genre de conditions ou libérer l'intéressé sans aucune condition. Si l'intéressé refuse d'accepter les conditions, le tribunal peut le faire incarcérer pour une période maximale de 12 mois.

Certains ont établi, à tort, un parallèle entre ce pouvoir et ceux que prévoyait l'ancienne Loi sur les mesures de guerre. Je peux assurer aux membres du comité, et à tous les Canadiens, que les mesures d'arrestation préventive que nous proposons dans le projet de loi ne pourront être appliquées que dans des conditions bien définies et qu'elles feront l'objet de nombreuses garanties. Sauf en cas d'urgence, il faudra le consentement du procureur général. L'intéressé doit être conduit devant un juge de la Cour provinciale dans les 24 heures, ou le plus tôt possible, et une nouvelle période de détention maximum de 48 heures sera autorisée suite à cette comparution, mais seulement une fois que l'intéressé aura comparu devant un juge.

À titre de comparaison, la Loi sur les mesures de guerre permettait de détenir une personne pendant sept jours avant de la conduire devant un juge et la détention pouvait être poursuivie jusqu'à 21 jours. Au lieu de les comparer à celles de la Loi sur les mesures de guerre, ces dispositions doivent plutôt être comparées aux dispositions existantes du Code criminel concernant l'arrestation sans mandat d'une personne qui s'apprête à commettre une infraction et qui est ensuite relâchée sans engagement. Nous élargissons ce concept dans le but de prévenir le terrorisme.

Honorables sénateurs, d'autres pays envisagent d'adopter la procédure d'arrestation préventive ou la possèdent déjà. Le Royaume-Uni a un système d'arrestation préventive. Les États-Unis se proposent d'en adopter un qui leur permettra de détenir une personne pendant une période maximum de sept jours. L'Australie songe à inclure ce genre de procédure dans son projet de loi. Cela n'a rien de nouveau en ce sens que nous travaillons avec les autres pays pour déterminer quelles sont les mesures à prendre pour prévenir le terrorisme et des actes épouvantables comme ceux du 11 septembre. Nous travaillons tous ensemble; au Canada, nous respectons les principes de la Charte des droits et libertés, les États-Unis se conforment à leur Constitution et le Royaume-Uni applique la Convention européenne. C'est tout en restant fidèles à ces valeurs que nous prenons les mesures que nous jugeons raisonnables et justes pour donner aux Canadiens la sécurité que tout gouvernement a l'obligation d'assurer.

L'audience d'enquête est l'un des autres éléments très controversés du projet de loi. Le pouvoir d'obliger à témoigner lors de ces audiences suscite des inquiétudes. Je tiens à assurer au comité que, là encore, nous avons inclus un grand nombre de restrictions et de garanties. Un juge peut obliger une personne à témoigner, mais le secret professionnel et les autres lois concernant la non-divulgation continueront de s'appliquer, tout comme le droit à un avocat. Également, la preuve ne sera pas utilisée contre l'intéressé lors de poursuites pénales ultérieures. Je crois important de souligner que la Loi sur l'entraide juridique en matière criminelle nous autorise déjà à le faire au Canada pour recueillir des preuves à l'intention d'autres pays. Les États-Unis ont des jurys d'accusation qui sont également chargés de réunir des preuves.

Le pouvoir que nous proposons n'est pas nouveau dans la législation canadienne ou la législation américaine. Nous élargissons la loi à cet égard spécialement pour les enquêtes sur le terrorisme sous réserve, je le répète, des garanties et des restrictions voulues.

Des changements législatifs seront également apportés pour nous permettre de mieux remédier à la discrimination et à la communication de messages haineux au Canada. Je tiens à souligner ce que le premier ministre a déclaré à la Chambre des communes, la semaine dernière, à savoir que nous ne tolérerons pas la discrimination basée sur la religion, la race ou l'origine ethnique.

Le projet de loi C-36 apporte des modifications au Code criminel qui permettront aux tribunaux d'ordonner la suppression de la propagande haineuse diffusée dans les réseaux informatiques tels qu'Internet. La Loi canadienne sur les droits de la personne sera modifiée pour préciser que la communication de messages haineux à l'aide de la nouvelle technologie comme Internet constitue une pratique discriminatoire. Les modifications au Code criminel créent une nouvelle infraction de méfait motivé par des préjugés ou de la haine fondés sur la religion, la race, la couleur ou l'origine nationale ou ethnique, commis à l'égard d'un lieu de culte religieux ou d'un bien lié au culte religieux. Cela n'a rien à voir avec la liberté d'expression. C'est une question de tolérance et d'agissements raisonnables dans une société libre et démocratique.

Certains estiment que les dispositions du projet de loi ne vont pas assez loin. On nous a suggéré de créer une infraction pour appartenance à un groupe terroriste. Comme vous le savez, ce n'est pas ce que nous proposons de faire. Comme nous l'avons vu à l'occasion du débat sur le projet de loi C-24 concernant le crime organisé, il serait extrêmement difficile de définir cette appartenance. D'autre part, il serait très risqué, compte tenu de la Charte, de criminaliser l'appartenance. En outre, nous doutons de la nécessité de créer une infraction à cet égard étant donné que l'infraction de participation prévue dans le projet de loi a une portée très large comme c'était le cas pour le projet de loi C-24 concernant le crime organisé.

Je vais maintenant aborder la question du respect de la Charte des droits et libertés. Je tiens à assurer au comité que le projet de loi a fait l'objet d'un examen approfondi en fonction de la Charte et que ses dispositions ont été conçues de façon à respecter les valeurs incorporées dans la Charte. Elles survivront aux contestations judiciaires. Nous savons tous qu'elles seront contestées et cela ne devrait étonner ou inquiéter personne. Ces mesures ont été élaborées en tenant compte de ce qu'on a appelé la «sécurité humaine».

Mon collègue à la Chambre, Irwin Cotler, connu comme un constitutionnaliste éminent avant de devenir député, a parlé éloquemment de l'importance de la sécurité humaine et du fait que la Charte des droits et libertés ne s'oppose en rien à l'objectif premier de tout gouvernement qui est d'assurer la sécurité humaine. Il n'est pas possible de l'assurer sans respecter les droits et libertés, sans que les citoyens ne se sentent en sécurité et aient l'assurance que leur gouvernement fait tout en son pouvoir pour assurer leur sécurité.

Nous avons pris des mesures dans le but de lutter contre le terrorisme et d'améliorer la sécurité nationale. Nous avons tenu compte du droit international et des lois d'autres pays comme les États-Unis et le Royaume-Uni et nous avons adopté des garanties pour chaque mesure.

Enfin, j'attire votre attention sur une disposition qui se trouve à la fin du projet de loi et qui prévoit la révision de ces dispositions. Comme vous pouvez l'imaginer, c'est une question qui a suscité énormément d'attention. L'article 145 du projet de loi C-36 prévoit que trois ans après l'adoption de cette loi, on devra procéder à un examen approfondi de ses dispositions et de son application. Un comité de la Chambre des communes et du Sénat, ou peut-être un comité spécial mixte, auront un an pour effectuer cet examen.

C'est seulement au bout d'une certaine période - nous prévoyons trois ans - que nous aurons la preuve de l'efficacité de ces importantes nouvelles dispositions. Nous ne pouvons malheureusement pas nous attendre à ce que le terrorisme ait disparu dans trois ans et nous devons le souligner. Il serait merveilleux d'avoir la certitude qu'en joignant nos efforts au niveau international nous pourrons éliminer le terrorisme en aussi peu que trois ans. Nous savons tous que ce ne sera pas le cas, malgré tous les efforts et toute la collaboration de notre pays et des autres gouvernements.

Même si le terrorisme n'est pas éliminé au bout de trois ans, je crois que trois ans nous suffiront pour voir si cette loi et la législation des autres pays donnent les résultats escomptés. Il est souhaitable pour tout le monde que nous procédions à un examen approfondi au bout de trois ans pour voir s'il reste des lacunes dans nos lois et s'il est nécessaire de leur apporter des améliorations.

Une révision au bout de trois ans nous semble être une garantie adéquate. Je sais également qu'il y a eu beaucoup de discussions au Sénat et ailleurs au sujet d'autres mécanismes tels qu'une disposition de temporisation pour certains articles de cette mesure. Le comité de la Chambre des communes m'en a également parlé. J'ai dit que j'étudierais son opinion et ses recommandations à ce sujet tout comme j'étudierai vos propres opinions et recommandations concernant l'examen de la loi, quant à savoir si trois ans vous paraissent souhaitables ou s'il y aurait lieu de prévoir d'autres mécanismes pour certains éléments de cette mesure.

Je me réjouis de vous voir examiner le projet de loi. Ses dispositions méritent d'être examinées de près et d'être débattues. Vous pourriez également envisager de les améliorer. Nous devons faire en sorte que cette mesure soit la plus équitable et la plus efficace possible.

Pour conclure, deux principes ou concepts généraux ont guidé les travaux du Comité sur la sécurité nationale et ceux des responsables de la politique de la Justice et d'autres ministères, de mes analystes de la Charte et de mes rédacteurs. Nous voulons que chaque disposition complète efficacement l'arsenal nécessaire pour repérer, démanteler, perturber, identifier et déraciner les groupes qui ont commis les actes épouvantables du 11 septembre de même que ceux qui les soutiennent. Il faut également que ce soit équitable. L'équité comprend l'ensemble des valeurs chères aux Canadiens ainsi que les droits garantis dans la Charte des droits et libertés. Nous ne devons toutefois pas oublier qu'aucun de ces droits n'est absolu et que, aux termes de l'article 1 de la Charte, toute limite dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique est conforme aux valeurs canadiennes.

Je m'arrêterai là. Je suis certaine que vous aurez de nombreuses observations et questions à soulever au sujet du défi auquel tout le monde civilisé se trouve confronté.

La présidente: Merci beaucoup. En fait, nos collègues des deux côtés ont des questions à poser.

Je vais donner la parole aux sénateurs pour une question et une question supplémentaire au premier tour, avant de passer au deuxième tour pour que tout le monde ait la possibilité d'obtenir les renseignements désirés.

Le sénateur Kelleher: Madame la présidente, pourriez-vous nous dire quelle est la procédure pour les sénateurs qui ne sont pas membres du comité?

La présidente: Certainement. J'offrirai à ceux qui ne sont pas membres du comité la possibilité de poser une question à la fin du premier tour. Selon le temps dont nous disposerons, le deuxième tour sera réservé aux membres du comité. J'accueille avec plaisir parmi nous ceux qui ne font pas partie du comité et je tiens certainement à leur permettre de poser des questions.

Le sénateur Lynch-Staunton: Madame la ministre, comme l'a dit la présidente, je tiens à souligner qu'il s'agit d'une étude préliminaire et que nous soumettrons le projet de loi à la même étude approfondie que si nous n'avions pas fait cet examen préalable. Il ne faudrait pas supposer que cette démarche inhabituelle vise à accélérer le processus.

Cela dit, j'ai été alarmé de lire dans la Gazette de Montréal, ce matin un article selon lequel, aux dires du premier ministre, il n'y avait pas de date d'expiration pour la loi antiterroriste. Cet article, qui émanait de Shanghai, se lisait comme suit:

Le premier ministre Jean Chrétien a rapidement rejeté une idée avec laquelle semblait songer la ministre de la Justice Anne McLellan à savoir qu'elle pourrait modifier son projet de loi antiterroriste en prévoyant que certaines des mesures les plus rigoureuses seraient réactivées au bout d'un certain temps uniquement si c'était jugé nécessaire.

On ajoute, dans l'article, que le premier ministre ne veut pas entendre parler d'une disposition de temporisation ou l'équivalent.

Cela vous empêche-t-il de poursuivre vos songeries?

Mme McLellan: Non, j'aime beaucoup les songeries.

Le sénateur Lynch-Staunton: Vous avez pensé à haute voix en ce qui concerne cette grave question.

Mme McLellan: Oui. En fait, le premier ministre a déclaré clairement lui-même, à la Chambre des communes, que nous voulions tous les deux entendre des opinions et des recommandations du comité de la Chambre des communes et du comité du Sénat. En réponse à des questions qui lui ont été posées à la Chambre, le premier ministre a parlé de la possibilité de divers mécanismes de révision qui devront être examinés très attentivement.

Je m'en tiens à ce que j'ai dit ce matin. Autrement dit, nous voulons entendre les opinions et les recommandations des deux comités, savoir si, à votre avis, la loi prévoit un mécanisme d'examen adéquat, si le délai prévu est satisfaisant, si cela doit s'appliquer à toutes les dispositions, si vous avez des opinions et des recommandations à nous adresser en vue d'une révision générale de la loi ou un autre mécanisme à suggérer pour une ou deux dispositions. Ce n'est là qu'une suggestion.

Toutefois, le premier ministre et moi-même sommes tout à fait disposés à entendre les opinions et les recommandations du comité.

Le sénateur Lynch-Staunton: Vous parlez seulement d'un mécanisme d'examen et non pas d'un délai d'application absolu pour certains articles du projet de loi.

Mme McLellan: Nous nous attendons à ce que les comités nous donnent leur avis et nous fassent leurs recommandations à cet égard. Le premier ministre, moi-même, le Comité de la sécurité nationale et tout le gouvernement sommes prêts à examiner attentivement ces recommandations. Vous aurez entendu beaucoup de gens, vous aurez longuement réfléchi à cette question, tout comme le comité de la Chambre. N'allez pas croire que nous ne voulons pas recevoir vos opinions et vos recommandations en ce qui concerne tous les aspects de cette loi, tant sur le fond que la procédure.

Le sénateur Lynch-Staunton: Quand le premier ministre a rejeté catégoriquement l'idée d'une clause de temporisation, énonçait-il la politique officielle du gouvernement?

Mme McLellan: Le premier ministre et moi-même avons dit très clairement que nous voulions recevoir les idées et recommandations des deux comités.

Le sénateur Lynch-Staunton: Cela ne répond pas à ma question. Cette manchette est-elle exacte ou non?

Mme McLellan: Je n'ai pas lu ce journal. Je n'en sais rien.

Le sénateur Lynch-Staunton: Vous avez dû communiquer avec le premier ministre lorsque vous avez entendu dire à la radio, ce week-end, qu'il vous contredisait.

Mme McLellan: Non. Je sais seulement ce que le premier ministre a déclaré à la Chambre, à savoir qu'il était prêt à recevoir les avis et les recommandations des deux comités. Je n'ai rien entendu d'autre de la bouche du premier ministre et je ne m'attends pas à ce qu'il me fasse part d'une opinion différente.

Le sénateur Lynch-Staunton: Par le passé, nous avons reçu un certain nombre de projets de loi qui ont été immédiatement contestés parce qu'ils risquaient de contrevenir à la Charte. Il s'agit notamment du projet de loi sur l'Aéroport Pearson, de certains projets de loi sur le tabac et, plus récemment, de la loi concernant le traité Nisga'a qui est contesté en Colombie-Britannique. Comme vous l'avez dit, ce projet de loi sera contesté et cela ne vous fait pas peur.

Je ne suis pas d'accord avec vous. Il est excessif de demander à des citoyens disposant de ressources limitées d'investir leur temps et leur argent dans une poursuite devant les tribunaux qui prendra des années et dont le résultat est incertain. Pourquoi le gouvernement ne renvoie-t-il pas lui-même ce projet de loi à la Cour suprême, comme il l'a fait pour le renvoi sur la séparation? C'est un projet de loi très particulier. Le mot «draconien» est peut-être trop fort, mais après la Loi sur les mesures de guerre, c'est une des mesures les plus rigoureuses que nous ayons eues en ce qui concerne les libertés civiles. La Cour suprême serait sans doute d'accord pour laisser ses travaux de côté un certain temps afin de voir si ce projet de loi est conforme à la Charte avant que nous n'allions plus loin.

Vous dites maintenant aux Canadiens que vous allez adopter ce projet de loi sans changements majeurs, mais qu'ils pourront toujours aller le contester. Qu'est-ce que cela prouvera? Pourquoi le gouvernement ne s'acquitte-t-il pas de ses propres responsabilités en commençant par renvoyer cette mesure à la Cour suprême et en agissant ensuite en conséquence?

Mme McLellan: Pour commencer, nous croyons que toutes les dispositions de ce projet de loi sont constitutionnelles.

Le sénateur Lynch-Staunton: Votre opinion n'est pas unanime. Des gens compétents ne sont pas d'accord avec vous.

Mme McLellan: Nous vivons dans une société libre et démocratique dont l'une des pierres angulaires est la possibilité de discuter et d'exprimer librement son désaccord.

Le sénateur Lynch-Staunton: Si vous êtes tellement sûre d'avoir raison, pourquoi ne pas avoir demandé à la Cour suprême de le confirmer?

Mme McLellan: La Cour suprême du Canada a fait clairement savoir qu'elle ne voulait pas que ces questions lui soient renvoyées. N'oubliez pas qu'il s'agit d'une question de droit pénal, basée sur les faits. La Cour suprême ne veut pas examiner la constitutionnalité des dispositions du Code criminel en dehors d'un contexte concret, par exemple si un policier arrête quelqu'un en vertu des dispositions concernant l'arrestation préventive. La Cour aura sous les yeux la transcription des motifs du policier, elle verra si ses convictions et ses soupçons étaient raisonnables et elle évaluera la décision du juge.

Le sénateur Lynch-Staunton: Il n'y a pas de comparaison.

Mme McLellan: La Cour suprême a souvent répété qu'il ne fallait pas lui demander de trancher des questions dans l'abstrait alors qu'il était possible de réunir des faits concrets. Il s'agit de dispositions particulières du Code criminel. Si des faits concrets surviennent et si quelqu'un pense que ses droits ont été violés, cette personne peut contester la décision, avec l'aide de son avocat.

Nous croyons toutefois que la justification de cette loi peut se démontrer dans une société libre et démocratique qui se soucie de la sécurité humaine de ses citoyens.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je ne suis pas d'accord.

[Français]

Le sénateur Bacon: Je partage entièrement les objectifs du plan mis de l'avant par le gouvernement dans le but de sécuriser la population en cette période de crise qualifiée d'extraordinaire. Cela entraîne l'adoption de mesures qui sont, elles aussi, extraordinaires dans le sens qu'elles sont inhabituelles.

Lorsque j'entends que l'on s'apprête à adopter des mesures de détention préventives qui retirent le droit au silence, que l'on songe à accorder des pouvoirs accrus en matière d'écoute électronique et d'élaboration de listes d'entités terroristes, je ne vous cacherai pas que j'ai un peu froid dans le dos.

Je ne souhaite pas qu'il y ait un lien possible à faire entre les mesures comprises dans le projet de loi C-36 et la Loi sur les mesures de guerre d'octobre 1970. C'est une page de notre histoire qui doit nous servir de phare afin d'être plus vigilants et sur nos gardes pour éviter des abus et des erreurs potentielles.

Contrairement à 1970, les droits humains sont protégés par la Charte constitutionnelle et rien dans le projet de loi indique que ces droits sont suspendus.

D'une manière plus spécifique, j'aimerais vous entendre sur les garanties de protection, par exemple sur les abus qui pourraient découler d'un élargissement des pouvoirs accordés aux forces de l'ordre, dont celui de mener des interrogatoires pour chercher et découvrir des preuves d'infractions criminelles et terroristes sans qu'un acte criminel ait été constaté.

Quelles sont les garanties que ces mesures seront utilisées de façon à éviter les abus dont plusieurs craignent?

[Traduction]

Mme McLellan: Je comprends votre point de vue. Aucune comparaison ne peut être faite entre cette loi et la Loi sur les mesures de guerre. Ce genre de comparaison est regrettable et nous devons y répondre rapidement pour aider les Canadiens et ceux qui feraient des comparaisons aussi peu éclairées à comprendre les changements survenus depuis dans notre société - y compris la Charte - mais aussi, à comprendre les distinctions importantes à faire en ce qui concerne la teneur de cette loi.

Pour ce qui est des garanties, prenons les deux dispositions qui ont suscité le plus la controverse. Bien entendu, nous nous y attendions. L'arrestation préventive et l'audience d'investigation n'ont rien de nouveau. L'audience d'investigation existe déjà dans notre législation et dans d'autres pays. L'arrestation préventive n'est pas non plus nouvelle dans les autres pays même si nous ne l'avions pas encore chez nous. Ce sont les deux questions qui ont suscité le plus de discussions jusqu'ici.

L'audience d'investigation vise une personne que nous qualifierons de principal témoin, faute de meilleure expression. Quiconque désire traduire quelqu'un devant un juge doit obtenir mon consentement, le consentement du procureur général, pour entamer la procédure. Le policier doit aller devant un juge, qui verra s'il a des motifs raisonnables de croire que le témoin en question possède des renseignements concernant un acte terroriste qui a été commis ou que son témoignage permettra d'identifier les coupables ou encore qu'un acte terroriste va être commis et que le témoignage de la personne en question permettrait d'empêcher que cet acte soit perpétré.

C'est un juge qui procédera à cette évaluation. C'est seulement une fois qu'il aura évalué les renseignements fournis par le policier qu'il pourra sommer l'intéressé à comparaître devant lui et lui demander de témoigner. Nous avons veillé à ce que l'individu en question ait le droit à un avocat pour toute la procédure. Nous avons également veillé à assurer une protection contre l'auto-incrimination.

N'oubliez pas, sénateurs, que notre législation ne prévoit aucune protection contre l'obligation de témoigner. Vous pouvez y être forcé. Notre jurisprudence constitutionnelle ne prévoit pas de cinquième amendement. Elle prévoit le droit d'être protégé contre l'auto-incrimination, mais pas contre l'obligation de témoigner. Ce sont là deux concepts très différents. La protection contre l'auto-incrimination est préservée et bien précisée dans ce projet de loi.

Pour ce qui est de l'arrestation préventive, là encore, tout policier qui désire exercer ses pouvoirs devra d'abord avoir des motifs raisonnables de croire - ce qui constitue, bien entendu, une norme bien connue du droit pénal - qu'un acte de terrorisme va avoir lieu. Ce n'est pas que cet acte «pourrait» avoir lieu, mais qu'il «va» avoir lieu. Le policier doit ensuite avoir des motifs raisonnables de croire nécessaire de procéder à l'arrestation préventive de la personne en cause pour empêcher que cet acte de terrorisme ait lieu.

Dans la plupart des cas, le policier doit obtenir le consentement du procureur général pour procéder à une arrestation préventive. L'intéressé sera conduit devant un juge dans les 24 heures. Après avoir entendu le témoignage du policier, le juge déterminera s'il est nécessaire de maintenir cette personne en détention 48 heures de plus, pour une durée totale de 72 heures et à la suite des 24 heures ou des 72 heures, l'intéressé sera soit accusé soit libéré et, dans ce dernier cas, avec ou sans condition, sur son engagement - un concept bien connu dans notre législation.

[Français]

Le sénateur Bacon: Il semble qu'il soit nécessaire de nommer des juges additionnels. Vous parlez beaucoup de la responsabilité des juges aux fins de l'application de la loi. Pourquoi ne pas saisir cette occasion et faire comme en France ou ailleurs en Europe, et mettre sur pied un tribunal spécialisé pour les crimes terroristes? La création d'un tel tribunal contribuerait à éviter des excès et à accroître l'efficacité de la loi en plus de limiter à certains juges, l'utilisation de l'application de pouvoirs qui pourraient porter atteinte aux libertés fondamentales. Pourquoi ne pas faire une révision annuelle de cette loi plutôt que dans trois ans comme le prévoit le projet de loi C-36? Vous avez parlé tantôt de trois ans et de cinq ans et cela me dérange un peu. C'est une loi d'urgence et une telle loi ne doit pas durer trois ou cinq ans. Si nous pouvions considérer la clause crépusculaire ce serait véritablement une loi d'urgence.

[Traduction]

Mme McLellan: Cette loi n'est pas une mesure d'urgence. Elle vise à contrer la menace du phénomène permanent du terrorisme. Nous avons été témoins d'un nouveau visage particulièrement horrible du terrorisme, le 11 septembre. Cet horrible événement nous a tous fait comprendre que nous devions nous mettre à l'oeuvre dans notre propre pays et avec nos alliés, pour détecter rapidement les activités terroristes et les faire cesser.

Ce n'est pas une mesure d'urgence. Cette loi est proposée conformément au pouvoir du gouvernement fédéral en matière de droit pénal. Il ne faut pas oublier que nous ne faisons pas face à une urgence, c'est-à-dire à une situation brève et d'une durée définie. Si c'était le cas, je sais que les Canadiens, les Américains et les gens des autres pays seraient très rassurés. En réalité, nous savons que la lutte contre le terrorisme ne date pas d'hier. Elle se poursuivra pendant longtemps. On ne doit pas laisser entendre aux Canadiens que cette lutte sera brève et c'est pourquoi le premier ministre a déclaré à la Chambre que ce serait un long combat. Il a ajouté que c'est un combat que nous allons gagner avec nos alliés.

Vous avez parlé de la possibilité d'un tribunal spécialisé. Nous en avons discuté au comité de la Chambre des communes, la semaine dernière. Nous augmentons le nombre de juges. La Cour fédérale pourrait, compte tenu du nombre actuel de juges, de première instance et d'appel, estimer nécessaire d'augmenter leur nombre pour faire face à l'augmentation éventuelle de sa charge de travail. Nous ne savons pas si la charge de travail augmentera ou non. N'oubliez pas que, pour le moment, personne ne peut savoir à combien de cas il faut s'attendre au cours des mois et des années à venir une fois ce projet de loi adopté. Nous sommes allés au devant des problèmes en ce qui concerne la taille de la Cour fédérale. Dans la loi, nous allons changer le nombre de juges possible. Quant à savoir si de nouveaux juges seront nommés et, si c'est le cas, combien, cela reste à voir.

La plupart des compétences que prévoit ce projet de loi sont concurrentes. Par conséquent, dans la plupart des cas, la poursuite sera intentée par le procureur général de la province ou le procureur général fédéral. En général, nos tribunaux sont parfaitement en mesure d'exercer leur compétence dans les matières pénales. Ils sont bien équipés pour appliquer le droit pénal.

Cela dit, le terrorisme pose des défis très particuliers. J'espère que les cours supérieures provinciales et surtout la Division de première instance de la Cour fédérale constitueront, comme les cours supérieures des provinces l'ont fait pour le crime organisé, une équipe de juges qui comprendront la complexité de ces procès, la complexité de l'intervention de parties multiples et qui pourront régler ces questions efficacement.

Si l'on veut que nous envisagions la possibilité d'un tribunal spécialisé, je ne m'y oppose pas. Je suis donc désireuse d'entendre vos points de vue. Comme je l'ai mentionné au comité de la Chambre des communes, si vous pensez que cela rendra la loi plus efficace, veuillez me le dire. Nous n'avons pas l'intention, pour le moment, de créer un tribunal spécialisé. Néanmoins, comme cette possibilité a été soulevée par les deux comités, je désire obtenir votre avis.

Nous avons discuté, mais seulement dans les grandes lignes, quant à savoir si, pour les questions d'immigration, il serait souhaitable d'avoir un tribunal spécialisé, au sein de la Cour fédérale, pour examiner les questions concernant l'immigration et les réfugiés. On se demande actuellement s'il serait souhaitable d'avoir des sections spécialisées au sein des tribunaux existants, que ce soit la Cour supérieure des provinces ou la Cour fédérale. C'est une question sur laquelle j'aimerais connaître votre opinion.

Le sénateur Murray: Madame la ministre, en ce qui concerne l'autorisation ministérielle requise pour la détention préventive et l'audience d'investigation, je ne peux pas résister à la tentation de vous demander si, au cas où un policier du Manitoba ou du Nouveau-Brunswick, par exemple, se voyait refuser ce consentement par le procureur général fédéral, il ne pourrait pas l'obtenir du procureur général de sa province. Est-ce envisageable?

Mme McLellan: Je vais laisser M. Mosley vous répondre. C'est un scénario très improbable, mais il est important de l'examiner. La question des relations entre les procureurs généraux fédéral et provinciaux a été soulevée dans d'autres contextes.

On peut dire qu'en tant que procureurs généraux, nous travaillons très bien ensemble. Nous ne nous marchons pas sur les pieds et nous ne nous contredisons pas sur les questions importantes, même si nous pouvons le faire sur des questions de politique. Pour ce qui est de l'administration du droit pénal, nous ne le faisons pas.

M. Richard G. Mosley, sous-ministre adjoint, Division de la politique du droit pénal, ministère de la Justice: Dans ces circonstances, on considérerait sans doute qu'un policier qui passerait d'une instance à l'autre pour trouver un procureur général prêt à l'appuyer abuserait du processus.

Le sénateur Murray: Nous en resterons là.

Nous avons parlé de dispositions de temporisation. J'aimerais parler avec vous de la supervision du Parlement en général. Lorsque nous avons adopté la Loi sur les mesures d'urgence, en 1988, nous étions satisfaits de l'inclusion de dispositions assez explicites prévoyant que le Parlement aurait un droit de regard sur les arrêtés et les règlements. Cela distinguait la Loi sur les mesures d'urgence de la Loi sur les mesures de guerre qu'elle remplaçait. Nous avions reçu l'aide des sénateurs libéraux qui étaient majoritaires à la Chambre à ce moment-là. Tous les arrêtés et règlements pris en application de la loi devaient être déposés devant chaque Chambre dans un délai de deux jours ouvrables.

Le comité d'examen parlementaire devait examiner, en privé, les arrêtés et les règlements dont il était saisi en vertu du paragraphe 61(1). Si dans les 30 jours du renvoi d'un arrêté ou d'un règlement au comité, une motion modifiant ou révoquant cet instrument réglementaire était adoptée et si au moins 10 sénateurs ou 20 députés proposaient l'abrogation de cet arrêté ou règlement, la motion devait être débattue.

C'est ce que prévoyait la Loi sur les mesures d'urgence. En ce qui concerne le projet de loi C-36, ce n'est pas tant une question d'arrêtés et de règlements que la façon dont les ministres ou leurs fonctionnaires ou le gouverneur en conseil exerceront des pouvoirs que le sénateur Bacon a qualifiés d'extraordinaires. Que diriez-vous de la possibilité que le Parlement insère dans ce projet de loi une disposition analogue à celle de la Loi sur les mesures d'urgence pour permettre au Parlement de superviser l'exercice des pouvoirs ministériels et gouvernementaux que vous proposez d'accorder ici?

Mme McLellan: Il faudrait être prudent. Je voudrais examiner la chose cas par cas. Avez-vous un exemple?

Le sénateur Murray: C'est ce que nous voudrions faire.

Mme McLellan: Si vous avez un exemple à me donner ce matin d'un domaine dans lequel un procureur général, provincial ou fédéral, exercerait ses pouvoirs et pour lequel la surveillance du Parlement vous paraît souhaitable, je serais prête à en discuter.

Le sénateur Murray: Il y a d'autres ministres, bien entendu.

Mme McLellan: Oui, le solliciteur général et le ministre de la Défense nationale ont d'importantes responsabilités aux termes de cette loi et il faudrait tenir compte de chaque instance exerçant ces pouvoirs.

Je ne peux pas généraliser pour ce qui est de l'exercice des pouvoirs ministériels étant donné que ces pouvoirs diffèrent d'un ministre à l'autre et pour ce qui est des mécanismes de surveillance, il pourrait y avoir différentes possibilités selon la nature du pouvoir qu'exerce un ministre, que ce soit le ministre de la Défense nationale pour le Centre de la sécurité des télécommunications ou le solliciteur général pour la désignation des groupes terroristes ou moi-même, par exemple, pour ce qui est de l'émission d'un certificat interdisant de divulguer certains renseignements à un tribunal pour une question de relations internationales ou de sécurité nationale.

On ne peut pas mettre toutes ces choses dans le même panier en disant que le même mécanisme de surveillance conviendra dans chaque cas. Il faut examiner de près l'exercice de ces différents pouvoirs pour déterminer en quoi ils consistent et s'il y a lieu de prévoir un mécanisme de surveillance supplémentaire. Bien entendu, comme vous le savez tous, la responsabilité politique ultime sera assumée par chacun de ces ministres, y compris moi-même comme ministre ou procureur général du Canada.

En fin de compte, nous avons une responsabilité politique envers le Parlement du Canada et la population canadienne. Cela dit, je comprends que vous vouliez voir si d'autres mécanismes de surveillance particuliers ne sont pas nécessaires.

Je tiens à préciser qu'il ne s'agit pas là d'une mesure d'urgence. Ce projet de loi est une loi pénale permanente qui va nous aider à combattre et prévenir le terrorisme et les activités terroristes. Il est important que les gens le comprennent bien.

Le sénateur Murray: Je le comprends, madame la ministre, et vous avez raison de dire que le mécanisme de surveillance pourrait être différent selon le pouvoir exercé. Il pourrait être intéressant, madame la présidente, d'examiner les dispositions du projet de loi et de décider entre nous quelles sont celles qui devraient faire l'objet d'une surveillance particulière de la part du Parlement et peut-être trouver une formule.

Je remercie la ministre.

Je profite de l'occasion pour dire que nous devrions songer à faire comparaître d'autres ministres. Je remarque surtout que nous ne semblons pas avoir prévu la comparution de la ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration. Il y a plusieurs questions que nous voudrions lui poser.

Le sénateur Kenny: Madame la ministre, je vais en rester à la question de l'examen parlementaire et de la disposition de temporisation. La façon dont les parlementaires et plus particulièrement notre comité aborderont le projet de loi en dépend. Si nous savons à quoi nous attendre, cela déterminera la durée et la profondeur de notre examen. Vous agissez rapidement, comme vous en avez le devoir, suite à ces terribles actes de terrorisme. Personne ne s'attend à ce que la terreur disparaisse, mais nous agissons également en période de vive inquiétude. Tout le monde se sent stressé et on a pu constater, au cours de l'histoire, que les gouvernements réagissent souvent de façon excessive devant des actes de terrorisme et en période de stress comme celle-ci.

Pourriez-vous nous décrire les avantages et les inconvénients d'une disposition de temporisation par opposition à un examen parlementaire?

Mme McLellan: N'oubliez pas que la plupart des éléments de ce projet de loi ne pourraient pas faire l'objet d'une clause de temporisation. Par exemple, d'importantes dispositions de cette mesure visent à mettre en oeuvre les obligations que nous confèrent les conventions des Nations Unies concernant l'élimination des attentats terroristes et du financement du terrorisme. Ces deux conventions ont été signées et nous devons les mettre en oeuvre. On ne peut pas prévoir l'abrogation de ces dispositions, car nous ne respecterions plus ces conventions, ce qui engendrerait toutes sortes d'autres problèmes.

Avant d'envisager une clause de temporisation, il faut analyser soigneusement les dispositions auxquelles elles s'appliqueraient.

Une clause de temporisation est une mesure extrême à laquelle on recourt très rarement dans le processus parlementaire canadien, fédéral ou provincial. C'est parce que cela risque de créer une lacune ou un vide législatif. Dans notre lutte contre le terrorisme, nous ne voulons pas courir le risque de nous retrouver sans loi efficace pendant un certain temps.

De plus, si les forces policières savent qu'une disposition va expirer automatiquement, elles vont commencer à ralentir leurs activités. Si la loi devient caduque à une certaine date, vous pourriez vous trouver au milieu d'une poursuite ou d'une enquête et courir le risque de perdre le fruit d'un long travail. Pour l'éviter, les forces policières commenceront à ralentir leurs activités avant l'échéance. Ce serait malheureux, parce que nos services de renseignement et notre police doivent travailler avec le maximum d'énergie pour lutter contre le terrorisme.

Nous pouvons voir les choses sous plusieurs angles différents.

Aux États-Unis, le Sénat et la Chambre des représentants ont abordé le problème différemment.

M. Mosley: Le projet de loi du Sénat prévoit une clause de temporisation.

Mme McLellan: La Chambre des représentants n'en a pas proposé. Il est certain que d'autres pays tiennent eux aussi ce genre de discussion.

M. Mosley: Ils se sont mis d'accord sur une clause de temporisation de quatre ans.

Mme McLellan: Les Américains ont envisagé une disposition de temporisation, mais le président pouvait prolonger la période de validité de la loi. Par conséquent cela évite de devoir suspendre les poursuites et les enquêtes à cause de cette clause.

Il y a différents mécanismes. Tout le monde s'attaque aux mêmes problèmes et cherche la meilleure façon d'établir un juste équilibre. Les dispositions de temporisation posent le genre de problèmes que je viens de vous décrire. C'est une arme ou un instrument qui peut être difficile à nuancer, même si je ne prétends pas que ce soit impossible.

Le processus d'examen donne aux parlementaires, aux sénateurs et aux députés, la possibilité de siéger ensemble ou séparément pour examiner l'application de la loi après un délai raisonnable. Si cet examen avait lieu au bout d'un an ou même de deux ans, on n'aurait pas suffisamment de recul. Nous avons délibérément choisi trois ans parce qu'après l'adoption d'une loi il faut du temps pour que la machine parvienne à son efficacité maximum en ce qui concerne les enquêtes, la procédure judiciaire et les autres activités.

Nous estimons qu'au bout de trois ans, nous aurons des résultats qui permettront aux parlementaires de déterminer si les dispositions atteignent leur but et contribuent à augmenter l'efficacité des services de renseignement ou des services de police, si les tribunaux disposent des pouvoirs dont ils ont besoin et s'il est nécessaire de compléter ou d'améliorer la loi. Mais il faut des résultats concrets. Vous ne pouvez pas faire un examen en vous basant sur une, deux ou même plusieurs situations. Il faut un panorama complet pour voir si la loi est utilisée et si elle atteint son objectif.

Le sénateur Lynch-Staunton: J'ai une autre théorie. Le paragraphe 145(1) sera examiné d'ici trois ans et non pas au bout de trois ans. Cet examen pourrait se faire dans un an.

Mme McLellan: Nous recommandons qu'il ait lieu au bout de trois ans.

Le sénateur Lynch-Staunton: Ce n'est pas ce que dit le projet de loi.

Le sénateur Kenny: Merci. Avec la permission du sénateur Lynch-Staunton, je voudrais poser une question.

Êtes-vous pour la prolongation de cette mesure par le pouvoir exécutif, comme vous l'avez suggéré, madame la ministre? Pourriez-vous nous décrire les inconvénients d'un examen parlementaire?

Mme McLellan: En fait, la loi prévoit un examen parlementaire et nous suggérons que ce soit au bout de trois ans. Je ne vois pas d'objection à ce processus de surveillance.

Le sénateur Kenny: Il ne présente aucun inconvénient?

Mme McLellan: Je ne vois aucun inconvénient. Les divers ministères examinent la législation de façon continue, lorsque des causes ou d'autres questions mettent en lumière des lacunes ou des conséquences inattendues. C'est tout à fait souhaitable et c'est pourquoi nous prévoyons dans le projet de loi un examen approfondi au bout de trois ans. Voyons si nous commençons à remporter la guerre contre le terrorisme et quelles en sont les preuves, tant chez nous que chez nos alliés. Si les résultats sont positifs, tant mieux. Avons-nous besoin d'instruments supplémentaires ou sinon, pourquoi?

Le sénateur Kenny: Que répondez-vous à la question de savoir si vous êtes pour la prolongation de ces mesures par le pouvoir exécutif?

Mme McLellan: C'est une chose dont on a discuté aux États-Unis. A priori, je ne pense pas que ce soit la meilleure solution pour le Canada et notre démocratie parlementaire.

Je vous suggère certainement d'examiner tous les mécanismes possibles et de nous donner votre avis et vos recommandations. Il est important de discuter de la révision de la loi. C'est l'option que nous préférons. D'autre part, comme je l'ai dit, il est beaucoup question d'une disposition de temporisation. Toute prolongation par le pouvoir exécutif doit être envisagée avec prudence et il faut voir ce que le gouverneur en conseil pourrait faire et à quelles conditions. Encore une fois, c'est une question que vous pourriez examiner. J'aimerais beaucoup connaître vos opinions.

Le sénateur Beaudoin: J'aurais d'abord deux choses à dire. Premièrement, il n'y a pas de disposition d'exemption dans ce projet de loi.

Mme McLellan: Non, il n'y en a pas.

Le sénateur Beaudoin: Merci beaucoup et félicitations. Deuxièmement, il n'y a pas de déclaration d'urgence.

Mme McLellan: Non, il n'y en a pas.

Le sénateur Beaudoin: Le principal problème se rapporte au droit pénal et à la Charte des droits et libertés. Bien entendu, il y a beaucoup de lois, mais les principales sont la législation pénale et la Charte. Les trois choses à considérer sont la détention préventive, le droit au silence et le mandat accordé non pas par le pouvoir judiciaire de l'État, mais par le ministre. C'est la principale chose qui me préoccupe parce que nous allons évidemment parler...

[Français]

... la prévention préventive. On va en parler toute la semaine, de même que le droit au silence.

Le mandat pour les conversations privées suscite mon intérêt parce que nous avons plusieurs arrêts sur cette question. Nous avons l'arrêt Duarte, Thompson, Garofoli, et cetera. Pourquoi sentez-vous le besoin de donner à un membre de l'exécutif le mandat d'épier des conversations privées? C'est évident qu'il faut le faire, mais pourquoi alors que nous avons, depuis des années, des lois fédérales qui disent clairement que chaque fois que l'on veut épier une conversation, on s'adresse au pouvoir judiciaire et non pas au pouvoir exécutif? C'est un changement. Je ne suis pas contre le changement, mais j'aimerais bien un arbitre neutre. Dans notre système, l'arbitre neutre par excellence est la cour de justice. Je suis d'accord que tout est dans l'article 1.

[Traduction]

Il est vrai qu'aucun droit n'est absolu. Les droits peuvent être limités dans une société libre et démocratique, mais c'est le législateur qui a le fardeau de la preuve lorsque cette limitation est contestée devant les tribunaux. C'est ma principale objection. Bien entendu, de nombreux arguments militent en faveur de la détention préventive et du droit au silence.

Tout dépend du premier élément et nous entendrons le pour et le contre. Le dernier élément est particulièrement important parce que, pour la première fois, le pouvoir judiciaire cède le pas devant le pouvoir exécutif. En tant que parlementaire, je ne suis pas certain que nous allions dans la bonne direction.

Est-il nécessaire de le faire?

Mme McLellan: Sénateur Beaudoin, je suppose que vous faites allusion au Centre de la sécurité des télécommunications et plus particulièrement à l'article 273.65 de ce projet de loi qui porte que:

273.65(1) Le ministre peut, dans le seul but d'obtenir des renseignements étrangers, autoriser par écrit le Centre de la sécurité des télécommunications à intercepter des communi cations privées liées à une activité ou une catégorie d'activités qu'il mentionne expressément.

Le sénateur Beaudoin: C'est bien à cet article que je fais allusion.

Mme McLellan: Oui, en effet.

Le sénateur Beaudoin: Le ministre peut, dans le seul but d'obtenir des renseignements, et cetera. Pourquoi est-ce le pouvoir exécutif qui intervient alors que, jusqu'ici, c'était le pouvoir judiciaire qui émettait un mandat? Est-ce une question de nécessité?

Mme McLellan: Il s'agit de questions de sécurité nationale. Les tribunaux, y compris la Cour suprême du Canada, ont dit eux-mêmes que différents critères peuvent s'appliquer et différentes méthodes peuvent être adoptées lorsque la sécurité nationale est en jeu.

Cela dit, M. Mosley ou M. Piragoff vont aborder ce sujet, car vous laissez entendre que l'on s'écarte ici de la façon habituelle de procéder en ce qui concerne le CST. Néanmoins, je voudrais d'abord vous dire que, si vous examinez le paragraphe 273.65(2), vous verrez que le pouvoir du ministre de donner une autorisation aux termes du paragraphe (1) est soigneusement limité. N'oubliez pas que lorsqu'on parle d'intercepter des communications privées, ce sont des cibles étrangères que vise le CST. Le ministre de la Défense nationale tenait à ce que nous le précisions. Il va venir ici et vous pourrez certainement aborder ces questions avec le ministre responsable de cet organisme.

Dans ce contexte, la cible est étrangère. Je vais vous donner un exemple.

Nous voulions préciser le pouvoir du CST et faire en sorte que si, par exemple, Oussama ben Laden téléphonait de quelque part en Afghanistan à un de ses partisans au Canada, le CST ne soit pas dans l'impossibilité d'intercepter cette communication simplement parce qu'elle aboutit au Canada. Vous vous rendez compte à quel point ce serait ridicule. Si Oussama ben Laden téléphonait à un de ses partisans au Canada, à cause des restrictions qui empêchent actuellement le CST d'intercepter les communications au Canada, cette communication privée ne pourrait pas être interceptée. Nous clarifions le mandat du Centre.

Le ministre autoriserait l'interception uniquement si elle visait une cible étrangère. Il pourrait s'agir d'une personne qui téléphonerait à Oussama ben Laden à partir du Canada. Nous voulons pouvoir intercepter cette conversation pour des raisons évidentes. Néanmoins, la cible est étrangère. De plus, les restrictions imposées au ministre sont précisées au paragraphe 273.65(2), mais M. Mosley ou M. Piragoff ont peut-être quelque chose à ajouter.

M. Mosley: Sénateur Beaudoin, c'est un domaine dans lequel les tribunaux canadiens n'ont jamais joué de rôle. L'interception de ces communications se fait depuis des années avec l'autorisation du ministre. C'est la première fois qu'une loi canadienne le reconnaît.

J'ajouterais que c'est la norme dans chacun des pays de la common law anglo-américaine auxquels nous nous comparons, tels que le Royaume-Uni, les États-Unis, la Nouvelle-Zélande et l'Australie. Ce sont nos partenaires pour l'échange de renseignements entre notre Centre de la sécurité des télécommunications et les organismes similaires de ces pays. Tous agissent avec une autorisation ministérielle.

J'ajoute qu'au Royaume-Uni, par exemple, toute la surveillance électronique que prévoit la législation de 1985, qui est maintenant abrogée et la loi adoptée en l'an 2000 se fait avec l'autorisation du ministre. Nous ne disons pas que c'est la chose à faire si la cible se trouve au Canada. Bien entendu, si la cible est au Canada, les agences d'enquête doivent obtenir un mandat judiciaire, que ce soit en vertu du Code criminel pour une affaire criminelle ou de l'article 16 de la Loi sur le SCRS, si c'est une question de sécurité nationale.

Toutefois, dans ce cas-ci, il s'agit seulement de préciser que les employés du CST ne commettent pas un acte criminel s'ils interceptent la communication d'une cible étrangère si aucun mandat n'est requis en vertu de notre législation et si cette communication peut aboutir au Canada. Souvent, on ne sait pas exactement si la communication est reçue au Canada ou aux États-Unis, on sait seulement que c'est quelque part en Amérique du Nord.

Le sénateur Beaudoin: Pour ce qui est des affaires internes, la loi reste-t-elle inchangée? Si nous avons besoin d'un mandat...

Mme McLellan: Oui.

Le sénateur Beaudoin: Je ne suis pas contre les mandats. Au contraire, nous devons protéger la société. Jusqu'à présent, c'était du ressort du pouvoir judiciaire. Cela ne change pas. C'est seulement à l'échelle internationale.

Mme McLellan: Oui, contre des cibles étrangères. Comme l'a dit M. Mosley, il faudra encore obtenir un mandat. La loi actuelle est maintenue en ce qui concerne l'interception des communications internes.

Le sénateur Beaudoin: C'est le meilleur système que nous ayons eu jusqu'ici pour les communications internes. Cela ne fait aucun doute.

Mme McLellan: Absolument. Voilà pourquoi nous n'y changeons rien. Cela reste exactement comme avant.

Le sénateur Beaudoin: Comme je l'ai dit, tout ce débat à propos de la Charte vient du fait que les droits sont limités. Nous le comprenons.

C'est sur le premier élément que le débat va se poursuivre. J'y reviendrai, mais cette question était étonnante.

La présidente: J'ai cru comprendre que la ministre peut rester jusqu'à 10 h 45?

Mme McLellan: Je pourrais rester 15 ou 20 minutes de plus. En fait, mes collègues se réunissent ce matin. Nous voulons, bien entendu, examiner les nouvelles dispositions que le Secrétaire de l'Intérieur propose, au Royaume-Uni, pour compléter la législation antiterrorisme de 2000. Je tiens à assister à cette réunion étant donné qu'il est très important de travailler avec nos alliés dans ce contexte.

Le sénateur Fraser: Madame la ministre, comme vous avez posé la question, je vais essayer de vous répondre. Vous avez parlé de mécanismes d'examen et de surveillance pour la délivrance des certificats. J'aimerais qu'on envisage l'établissement d'une commission d'examen ou de surveillance indépendante comprenant par exemple un juge, un membre du Conseil privé qui n'est plus en politique active et peut-être un journaliste et qui présenterait chaque année au Parlement un rapport sur le bien-fondé des décisions du ministre.

Mes questions portent sur les définitions et plus particulièrement la définition d'activité terroriste. Je suis d'accord pour dire que ce projet de loi a été rédigé avec soin. Pour ce qui est au moins des actions ou omissions commises au Canada, je crois qu'il est assez précis. Je n'ai toutefois pas les mêmes certitudes en ce qui concerne la partie de la définition portant sur les actions ou omissions visant à perturber gravement ou à paralyser des services, et cetera, sauf dans le cadre d'activité licite de revendication, de protestation ou de manifestation d'un désaccord, ou d'un arrêt de travail licite.

Au Canada, je crois que c'est clair. Nous savons ce qu'est une protestation et une grève licites. Il y a toutefois des pays dans lesquels les protestations ou les grèves, ou même les syndicats sont illégaux. Par conséquent, si ces actes se produisent dans ces pays, ils ne seront pas licites. Vous ne vouliez certainement pas dire que si le Congrès du travail du Canada essayait d'aider les travailleurs chinois à se syndiquer, il s'agirait d'une activité terroriste même si les syndicats et les grèves sont interdits par la législation chinoise.

Ne pourrions-nous pas songer à préciser les choses en incluant, dans les actes autorisés, ceux qui sont licites au Canada ou qui seraient licites s'ils étaient commis au Canada? Voyez-vous où je veux en venir?

Mme McLellan: Vous soulevez là une question intéressante. Bien entendu, il faut supposer que, dans ce contexte, si l'affaire était portée devant un juge, il évaluerait la conduite en question en fonction de la législation canadienne même si cette activité a eu lieu à l'étranger. Je ne vois pas d'objection à envisager le petit éclaircissement que vous avez mis en lumière. Je ne peux évidemment pas donner mon accord aujourd'hui et je ne pense d'ailleurs pas que ce soit nécessaire. Toutefois, si cela peut apporter un peu plus de certitude ou préciser davantage les choses, examinons cette suggestion.

Le sénateur Fraser: Également, un peu plus loin, lorsque nous arrivons aux secrets officiels, il y a la définition d'une puissance étrangère. Comme vous vous en souviendrez, la définition d'une entité étrangère comprend une puissance étrangère et il s'agit donc d'une catégorie assez large. Une puissance étrangère comprend une faction ou un parti politique exerçant son activité à l'étranger et dont le but avoué est d'assumer le gouvernement d'un État étranger.

Cette définition s'appliquerait certainement au Parti conservateur britannique ou au Parti démocratique des États-Unis. Ne faudrait-il pas préciser que le but avoué de cette fonction est d'assumer le gouvernement d'un État étranger en recourant à des moyens illégaux ou antidémocratiques?

Mme McLellan: Là encore, il s'agit d'une définition importante. Elle doit toutefois être interprétée dans le contexte de la disposition concernant l'infraction substantielle. Vous ne pouvez pas prendre la définition de la puissance étrangère hors du contexte de l'infraction substantielle à laquelle elle se rapporte. Encore une fois, cela donne aux tribunaux le contexte qui leur permettra d'examiner l'affaire.

Ce n'est pas un aspect qui m'inquiète particulièrement, mais cela dit, je crois que M. Piragoff ou M. Mosley ont peut-être quelque chose à ajouter.

Le sénateur Fraser: Je m'inquiète du fait que tout cet article porte sur l'information. Je suis sûre que nous comprenons tous la nécessité d'empêcher que certains renseignements soient communiqués à des indésirables, mais nous devons établir les limites avec une grande prudence.

Mme McLellan: Je suis d'accord.

M. Donald Piragoff, avocat général principal intérimaire, Division de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice: Comme l'a dit la ministre, ces définitions doivent être interprétées dans le contexte des infractions. L'honorable sénateur a donné l'exemple du Parlement d'un État allié. Un pays allié est libre de changer de gouvernement, cela ne regarde que lui. Même si ses partis politiques ont le droit de changer de gouvernement de façon démocratique, ils n'ont pas le droit d'espionner le Canada ou de chercher à obtenir du Canada des renseignements confidentiels. Voilà un exemple.

Il y a des infractions relatives à la divulgation de renseignements opérationnels spéciaux, par exemple sur nos cibles et nos moyens de surveillance. Même nos alliés n'ont le droit de savoir quelles sont nos mesures de sécurité nationale. Même si nous sommes alliés, nous demeurons un état souverain et nous continuons à nous protéger contre nos alliés. Par conséquent, un parti politique d'un pays allié qui espionnerait le Canada commettrait une infraction. Cela vise à protéger les Canadiens, à protéger la sécurité nationale et notre souveraineté nationale contre les menaces extérieures, qu'elles émanent de pays ennemis ou même de pays alliés.

Le sénateur Fraser: Cet article du projet de loi ne porte pas seulement sur les renseignements opérationnels. J'ai l'impression qu'il couvre une catégorie de renseignements beaucoup plus vaste et que le gouvernement essaie de protéger. Nous savons tous que le gouvernement tente de protéger énormément de renseignements. D'énormes quantités de renseignements assez anodins sont gardés secrets par simple décision administrative.

Étant donné la lourde peine prévue ici pour ceux qui communiqueraient ces renseignements, l'emprisonnement à perpétuité, je crois qu'il faudrait établir les définitions avec grand soin.

M. Piragoff: Vous avez raison de dire que cela ne couvre pas seulement les infractions concernant les renseignements opérationnels spéciaux. Toutefois, si vous examinez de près les autres infractions, les activités en question doivent également nuire au Canada. D'autres genres de renseignements peuvent être couverts en plus des renseignements opérationnels spéciaux, mais la divulgation d'une information ou l'acquisition de cette information pour le compte d'un État étranger sera faite dans le but de nuire aux intérêts du Canada. Tel est le critère. Il ne s'agit pas seulement de révéler un renseignement, il faut que ce soit au détriment des intérêts et de la souveraineté du Canada.

Nous avons prévu ces garanties et nous avons tenu compte des garanties offertes par la Charte de façon à ne pas simplement limiter la transmission de l'information et refuser aux Canadiens le droit d'être informés. Nous voulions plutôt protéger les Canadiens contre l'espionnage et les activités nuisibles menées à l'intérieur du pays dans le but de faire du tort au Canada.

Le sénateur Kelleher: Depuis le 11 septembre, l'une des principales questions qui sont soulevées lorsqu'on discute des moyens d'empêcher que cette tragédie ne se reproduise est l'application rigoureuse de notre politique à l'égard des réfugiés et des immigrants. Je n'ai rien trouvé dans ce projet de loi qui vise à résoudre ce problème. Le reconnaissez-vous?

Mme McLellan: Les dispositions comme l'arrestation préventive peuvent s'appliquer aux personnes qui ont revendiqué le statut de réfugié ou obtenu la résidence permanente. Vous avez toutefois raison de dire que rien dans ce projet de loi ne se rapporte précisément à l'immigration et aux réfugiés. Vous êtes toujours saisis du projet de loi C-11 qui traite de ces questions.

Le sénateur Kelleher: Le projet de loi C-11 a été préparé longtemps avant les événements du 11 septembre. Nous avons également entendu dire, ici comme à l'autre endroit, que le projet de loi C-11 n'entrerait probablement pas en vigueur avant l'été prochain, parce que le règlement d'application n'est pas encore prêt. Je crains que nous n'ayons rien pour répondre aux préoccupations qui ont été soulevées depuis le 11 septembre à l'égard du problème de l'immigration et des réfugiés. Nous nous retrouvons devant un hiatus. Je m'étonne que rien n'ait été prévu dans ce projet de loi pour y remédier. Le ministère de la Justice a-t-il décidé délibérément de ne pas le faire? Pourquoi avez-vous pris cette décision? Les événements du 11 septembre ont suscité de nouvelles inquiétudes. On n'en a pas tenu compte. Pourriez-vous nous éclairer à ce sujet?

Mme McLellan: Le Comité de la sécurité nationale dont mon collègue, John Manley, est le président, a entrepris l'examen des lacunes de la législation existante et des améliorations qui pourraient y être apportées pour nous aider à faire face au terrorisme, surtout sur le plan de la prévention.

Même si le projet de loi C-11 a été préparé avant les événements tragiques du 11 septembre, nous croyons qu'il fournit les instruments voulus si la ministre de l'Immigration reçoit les ressources nécessaires pour résoudre certaines questions devenues plus préoccupantes et plus urgentes, par exemple, qui peut entrer au pays et à quelles conditions, qui revendique le statut de réfugié, et cetera.

Si les sénateurs estiment que d'autres mesures s'imposent pour faire face aux conséquences du 11 septembre, je dirais que M. Manley et moi-même sommes intéressés à recevoir vos recommandations à cet égard et que nous veillerons à ce qu'elles soient examinées à fond par le Comité de la sécurité nationale.

Je reconnais que cette question peut-être être examinée sous un nouvel angle depuis le 11 septembre. La ministre de l'Immigration a dit qu'elle croyait posséder les outils nécessaires si elle recevait les ressources voulues. Rien ne nous empêche de nous assurer que ces outils sont mis en place.

Si le projet de loi C-11 entre en vigueur, nous devrons nous attaquer à la question des ressources. Je me suis inquiétée, moi aussi, quand j'ai entendu dire que la loi n'entrerait peut-être pas en vigueur avant juillet prochain parce que le règlement n'était pas prêt. J'en ai aussitôt discuté avec mes rédacteurs et la ministre de l'Immigration. Nous espérons pouvoir le faire plus rapidement.

Sénateur, vous soulevez là une question importante.

Le sénateur Kelleher: Je vais m'arrêter là, madame la ministre. Nous aurons peut-être quelques suggestions à vous faire.

Le sénateur Jaffer: Madame la ministre, j'aurais une observation à formuler et un éclaircissement à vous demander. Au cours du week-end, j'ai rencontré plusieurs chefs religieux. Ils estiment que vous n'avez oublié personne lorsque vous avez déclaré énergiquement que le racisme ne serait pas toléré. Comme vous le savez, deux mosquées de l'Ontario ont fait l'objet d'un attentat à la bombe ce week-end. Dans un des cas, il s'agissait d'un cocktail Molotov qui aurait pu causer un grave incendie.

À la page 43, l'article 12 modifie la loi en ajoutant un nouveau paragraphe 430(4.1) s'appliquant aux méfaits commis contre un culte religieux. C'est le mot «méfait» qui m'inquiète, madame la ministre. Les victimes considèrent qu'il ne s'agit pas d'un simple méfait. Je sais que le mot «méfait» a une certaine connotation pénale. Les gens à qui j'ai parlé récemment croient toutefois que les juges pourraient ne voir là qu'une simple accusation de méfait. Je leur ai assuré de mon mieux que le gouvernement ne voyait pas les choses ainsi. Le gouvernement considère qu'une attaque contre un culte religieux est un crime grave. Peut-être pourriez-vous examiner ce libellé.

Mme McLellan: Je vous remercie, c'est une bonne suggestion.

Le sénateur Jaffer: À la page 34 du projet de loi, le paragraphe 83.28(10) intitulé «Investigation» porte ceci:

(10) Nul n'est dispensé de répondre aux questions ou de produire une chose aux termes du paragraphe (8) pour la raison que la réponse ou la chose remise peut tendre à l'incriminer.

Vous avez dit que cette disposition restait inchangée. Je constate que non. Pourriez-vous nous préciser ce qu'il en est?

Mme McLellan: Voulez-vous dire qu'à votre avis nous ne protégeons pas le droit de ne pas s'incriminer?

Le sénateur Jaffer: Je sais que vous en avez parlé. Cet article semble dire que même si la réponse ou le renseignement vous incrimine, vous êtes forcé de répondre. Je voudrais un éclaircissement.

Mme McLellan: Vous êtes forcé de répondre parce que, dans notre législation, la contraignabilité et la protection contre l'auto-incrimination sont deux concepts différents. Nous n'avons pas l'équivalent de l'invocation du septième amendement. Nous ne l'avons jamais eu. La Charte protège contre l'auto-incrimination. Cela veut dire que, comme nous l'avons fait au paragraphe 83.28(10), nous devons inclure un mécanisme grâce auquel toute preuve obtenue dans le cadre d'une audience d'investigation ne pourra pas être utilisée contre l'intéressé dans une poursuite pénale, pas plus que toute preuve dérivée. C'est ce que prévoit l'alinéa 83.28(10)b). Ce n'est toutefois pas la même chose que le contraignabilité qui permet de vous contraindre à témoigner. L'audience d'investigation est un exemple de contraignabilité, mais elle s'accompagne d'une protection essentielle contre l'auto-incrimination.

M. Mosley souligne que le paragraphe 82.28(8) précise également la signification de cette disposition.

Le sénateur Tkachuk: Madame la ministre, le projet de loi confère des pouvoirs importants au gouvernement. La plupart des Canadiens en concluront que nous avons un problème dans notre pays.

Je vous ai entendu parler avec éloquence, devant le comité de la Chambre des communes qui étudie le projet de loi C-36, de la nécessité d'assurer la sécurité. Pour un conservateur, c'était assez agréable à entendre de la bouche d'une libérale. Je fais également le parallèle entre la sécurité nationale et la souveraineté. Il n'y a pas de souveraineté sans sécurité. Non seulement les événements du 11 septembre nous ont réveillés, mais ils ont eu de profondes répercussions sur notre économie. Plus nous réglerons ces problèmes rapidement, plus nous agirons et convaincrons les gens que nous nous attaquons à ces problèmes rapidement, mieux ce sera pour l'économie.

Je suppose que, si nous avons ce projet de loi, c'est parce que nous craignons que des terroristes se trouvent à l'intérieur de nos frontières. Autrement, pourquoi proposer cette mesure? Son but est de repérer les terroristes présents sur notre territoire. Avons-nous établi une liste des groupes terroristes qui se trouvent dans notre pays? Savons-nous d'où ils viennent et comment ils sont entrés chez nous?

Mme McLellan: Vous soulevez une question intéressante. Il serait tout à fait naïf de notre part de croire qu'il n'y a pas de terroristes au Canada, au sens propre de la définition, ou de gens qui les soutiennent. Nous avons l'obligation, non seulement envers les Canadiens, mais envers nos alliés, de nous attaquer efficacement à cette réalité. Sans vouloir esquiver le reste de votre question, le ministre le mieux en mesure d'y répondre serait le solliciteur général qui est responsable du SCRS. Je n'ai évidemment aucun rôle à jouer dans le renseignement. C'est seulement en tant que membre du Cabinet que je joue un rôle dans l'établissement de la liste des entités terroristes.

Le solliciteur général est responsable du SCRS et de la GRC et c'est lui qui recevrait des renseignements à partir desquels il adresserait des recommandations au gouverneur en conseil, en ce qui concerne les entités terroristes qui se trouvent à l'intérieur ou à l'extérieur du Canada. Il vaudrait sans doute mieux lui poser cette question étant donné qu'il est beaucoup mieux placé pour y répondre que moi.

Le sénateur Tkachuk: Je ne sais pas s'il peut le faire ou non. Vous semblez être le principal ministre chargé de ce dossier. Les gens doivent vous avoir dit que nous avons un problème dans notre pays. Vous avez dû demander quel était le problème. Vous ne semblez pas pouvoir répondre à la question de savoir s'il y a des terroristes au Canada, qui ils sont et comment ils sont entrés chez nous? Vous dites qu'un autre ministre peut nous donner une meilleure réponse. Je veux savoir ce que vous en pensez vous-même. Je lui poserai aussi la question, mais je veux savoir ce que vous en pensez.

Mme McLellan: Mon opinion est bien claire. Comme je l'ai dit, il serait naïf de croire qu'il n'y a pas de terroristes ou de gens qui les soutiennent au Canada.

Le sénateur Tkachuk: Nous supposerons donc qu'il y en a. Les Tigres tamouls sont-ils considérés comme un groupe terroriste? Croyez-vous qu'il s'agit d'un groupe terroriste?

Mme McLellan: Vous me posez une question qu'il vaudrait mieux adresser au SCRS et au solliciteur général. N'oubliez pas que je ne joue aucun rôle en ce qui concerne le SCRS, comme procureur général ou ministre de la Justice et vous ne voudriez sans doute pas que je joue un rôle.

J'ai toutefois un rôle à jouer en tant que membre du Cabinet. Si mon collègue, le solliciteur général, recommande sur la foi de renseignements émanant du SCRS, de la GRC ou d'un autre organisme d'enquête qu'un groupe soit désigné comme entité terroriste, le Conseil déterminera s'il a des motifs raisonnables de procéder à cette désignation.

Jusqu'ici, le SCRS n'a pas transmis de renseignements à cet égard au solliciteur général pas plus que le solliciteur général ne s'est adressé au gouverneur en conseil.

Le sénateur Tkachuk: Le projet de loi s'applique à tout le monde au Canada. Nous n'avons pas décrété l'état d'urgence. Nous ne sommes pas en guerre. Nous adoptons ce projet de loi parce que nous croyons qu'il y a des terroristes au Canada. Je crois qu'il y a des terroristes au Canada.

Permettez-moi de vous poser une question de plus à laquelle vous pourrez peut-être répondre. Croyez-vous que les terroristes sont des citoyens de notre pays? Croyez-vous que des réfugiés sont venus dans notre pays et s'y sont livrés à des activités terroristes?

Mme McLellan: Je ne peux pas répondre à cette question.

Le sénateur Tkachuk: Le savons-nous?

Mme McLellan: Je sais seulement que si le gouvernement demande l'extradition d'une personne, à titre de procureur général, je peux autoriser mon ministère à émettre un mandat d'arrestation provisoire si je dispose de suffisamment de renseignements, aux termes de la loi canadienne, pour le faire. Une fois l'intéressé arrêté, les avocats du ministère établissent s'il est citoyen du Canada, résident permanent ou réfugié. Quelle que soit la façon dont nous répondons aux demandes d'extradition, la façon de procéder ne sera pas nécessairement différente. La Loi sur l'extradition prévoit l'extradition d'une personne qui revendique le statut de réfugié.

C'est seulement si nous procédons à une arrestation provisoire que nous saurons si l'accusé est un réfugié, un Canadien ou un ressortissant d'un autre pays. Les Américains, les Britanniques ou les Français peuvent avoir certaines raisons de demander son extradition. Dans une poursuite criminelle fédérale, une fois que les accusations ont été portées, l'accusé est identifié et nous savons alors s'il s'agit d'un citoyen, d'un revendicateur du statut de réfugié ou d'un résident permanent. À part cela, je ne veux pas me perdre en conjectures.

Les représentants du SCRS, ou peut-être même mon collègue le solliciteur général, pourront peut-être en discuter avec vous.

Le sénateur Tkachuk: Pourquoi avez-vous présenté ce projet de loi?

Mme McLellan: Comme je l'ai dit, il serait naïf de croire qu'il n'y a pas de terroristes ou de gens qui les soutiennent au Canada. La citoyenneté de ces personnes est une toute autre question. D'autres que moi, y compris le SCRS, seront mieux placés pour en discuter avec vous.

La présidente: La ministre doit nous quitter. Elle témoignera de nouveau avant la fin de notre étude préliminaire.

Mme McLellan: Merci, honorables sénateurs. J'ai apprécié cette occasion de parler avec vous de ce travail extrêmement important. C'est ce qui nous permettra, comme parlementaires, de rassurer les Canadiens quant à leur sécurité. C'est également indispensable pour nous permettre de coopérer avec nos alliés.

Je vous remercie d'avance pour le sérieux examen auquel vous allez soumettre ce projet de loi. Je compte sur vos avis et vos recommandations et je vous assure que le Comité de la sécurité nationale et moi-même les examinerons très attentivement.

La présidente: M. Mosely doit partir avec la ministre. Nous vous remercions tous les deux d'être venus.

Sénateurs, nous avons maintenant avec nous les représentants du ministère de la Justice, Donald Piragoff et Stanley Cohen.

Le sénateur Fraser: Messieurs, sous le titre «Définitions et interprétations», paragraphe 83.01(2) sous-titré «Facilitation» on peut lire ceci:

(2) Pour l'application de la présente partie, il n'est pas nécessaire pour faciliter une activité terroriste:

a) que l'intéressé sache qu'il se trouve à faciliter une telle activité;

Un profane comme moi-même, peut conclure qu'une vieille dame qui loue son sous-sol à un jeune homme qui se révèle être un terroriste a facilité une activité terroriste. En parcourant le projet de loi j'ai remarqué que toutes les mentions de la facilitation précisaient que cela devait être fait «sciemment», ce qui semble raisonnable. Si vous facilitez sciemment le terrorisme, vous n'êtes pas quelqu'un d'irréprochable. Je me demande si j'ai raté quelque chose. Pourquoi est-il dit ici que peu importe que vous le sachiez ou non?

M. Piragoff: L'infraction de facilitation d'une activité terroriste se trouve à la page 28, au nouvel article 83.19. Il porte que quiconque facilite sciemment une activité terroriste est coupable d'un acte criminel. Il y a d'autres infractions telles que la contribution ou la participation à un groupe terroriste dans le but d'accroître la capacité de tout groupe terroriste de se livrer à une activité terroriste ou de la faciliter. Au début, il y a une définition qui s'applique au mot «faciliter» que ce soit la principale infraction lorsque l'intéressé facilite une activité terroriste ou le but ultime s'il apporte son aide au groupe terroriste dans le but d'accroître sa capacité de se livrer à une activité terroriste ou de la faciliter. Cela vise, par exemple, ceux qui donneraient des leçons de vol ou procureraient des faux documents pour aider un groupe terroriste à se livrer à une activité terroriste ou à la faciliter.

Le sénateur a fait remarquer qu'une personne peut faciliter une activité terroriste à son insu ou sans savoir si l'activité terroriste en question a bien eu lieu. Cette disposition vise à résoudre un problème que pose actuellement le Code criminel en ce qui concerne la complicité car vous devez être informé de l'infraction dont vous êtes complice. Cette disposition viserait une personne qui sait qu'elle aide un groupe terroriste en fournissant des faux documents, mais ne sait pas que le World Trade Center sera attaqué le 11 septembre et que ces documents serviront à faire entrer des gens illégalement aux États-Unis, par exemple. C'est le concept de la facilitation. Vous savez que vous aidez les terroristes. Vous ne savez pas exactement quels crimes ils commettront, mais vous savez qu'ils feront quelque chose de mal. Voilà pourquoi la définition précise que vous n'avez pas à connaître l'activité terroriste qui aura lieu.

Le sénateur Fraser: Dans ce cas, pourrais-je demander à mes collègues francophones d'examiner la version française? Elle me paraît un peu plus vague. Lorsque je m'y suis reportée c'était encore moins clair.

La présidente: Quel est le numéro de cet article?

Le sénateur Fraser: C'est à la page 15, article 4, le paragraphe 83.01(2).

La présidente: Sénateurs, il semble que nous ayons deux versions différentes du projet de loi. La numérotation semble légèrement décalée. Tant que ce ne sera pas réglé, nous pourrions peut-être indiquer le numéro des articles plutôt que des pages.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je demande au sénateur Kenny de m'excuser de l'avoir interrompu cavalièrement, mais j'ai cru important de souligner que la ministre était dans l'erreur lorsqu'elle a répété que l'examen aurait lieu au bout de trois ans. En fait, le projet de loi prévoit clairement qu'il doit avoir lieu dans les trois ans. Il pourrait commencer six mois plus tard ou un an plus tard. Je ne sais pas pourquoi on nous a laissés sur cette impression. Le Parlement a certainement le droit, si ce projet de loi est adopté tel quel, sans changement à l'article concernant son examen, d'entreprendre de le réexaminer trois semaines après la sanction royale.

Cela dit, j'ai plusieurs questions à soulever, pour me renseigner plutôt que pour discuter car je ne crois pas utile de discuter avec les fonctionnaires.

Il n'y a aucune disposition de réglementation dans ce projet de loi, autrement dit, je n'y ai trouvé aucune mention d'un règlement d'application. Néanmoins, il y a actuellement un certain nombre de lois qui sont en vigueur ou sous forme de projets de loi qui contiennent leurs propres dispositions de réglementation.

Vous attendez-vous à ce que ce projet de loi nécessite un règlement d'application avant d'entrer en vigueur s'il est adopté sous sa forme actuelle?

M. Piragoff: Le sénateur Lynch-Staunton a raison de dire que cette loi n'oblige pas à prendre des règlements. Elle contient des renvois à d'autres lois, mais la plupart de ces renvois sont des modifications corrélatives qui modifient un mot ou le numéro d'un article. Certaines de ces autres lois peuvent contenir des pouvoirs de réglementation, mais à ma connaissance, aucun des amendements proposés ici n'exige qu'un règlement soit promulgué pour que ces dispositions entrent en vigueur.

Même s'il ne s'agit pas vraiment d'un règlement, le projet de loi prévoit que le gouverneur en conseil doit prendre un arrêté pour établir la liste des entités désignées comme des groupes terroristes.

Le sénateur Lynch-Staunton: Pourriez-vous vérifier? Nous avons l'impression que les règlements sont parfois adoptés sans examen parlementaire et qu'ils ne reflètent pas nécessairement les intentions du Parlement.

Avez-vous vérifié les conventions des Nations Unies qui ont été mentionnées tout à l'heure et qui sont mises en oeuvre dans ce projet de loi pour s'assurer qu'elles sont conformes à la Charte?

M. Stanley Cohen, avocat général principal, Section des droits de la personne, ministère de la Justice: Nous avons examiné le travail réalisé relativement à la Convention des Nations Unies. Ce travail était de nature réglementaire et ces conventions feront l'objet de dispositions législatives plus précises qui entreront en vigueur au Canada en temps voulu, en ce qui concerne la désignation, l'établissement de la liste, et cetera. Le règlement est un moyen de faire avancer rapidement les choses au départ, mais en fin de compte, il doit y avoir un cadre législatif.

Le sénateur Lynch-Staunton: N'ayant pas lu les conventions, à part leur titre, je n'ai aucune idée de leur teneur. Sommes-nous convaincus qu'elles n'entrent pas en conflit, directement ou indirectement, avec une des dispositions de la Charte?

M. Cohen: Oui, nous avons analysé la Charte et réuni des avis juridiques à ce sujet.

Le sénateur Lynch-Staunton: Tout le monde est convaincu que les conventions remplissent les critères?

M. Cohen: Oui.

Le sénateur Lynch-Staunton: Est-il exact que l'article 96, qui modifie la Loi sur les armes à feu, permettra à des policiers armés de l'étranger de venir chez nous?

M. Piragoff: Cette disposition est suffisamment vaste pour le permettre.

Le sénateur Lynch-Staunton: Que permet-elle d'autre?

M. Piragoff: Elle rétablit une disposition concernant le droit du ministre provincial d'exempter certaines catégories d'employés. En fait, il s'agit des personnes qui peuvent avoir à porter une arme à feu comme condition d'emploi. Par exemple, les gardiens de la Brink's ont besoin d'une exemption spéciale pour porter une arme à feu lorsqu'ils sortent de leur camion pour aller dans la rue. C'est le genre de chose que permet cette disposition. Le projet de loi précise également que le gouvernement fédéral a aussi le droit d'accorder ces exemptions.

Le sénateur Lynch-Staunton: À qui pensez-vous à part les gardiens de la Brink's qui ont déjà le droit de porter des armes ou un revolver?

M. Piragoff: Les gardiens de la Brink's en ont le droit parce qu'ils ont été exemptés.

Le sénateur Lynch-Staunton: Vous élargissez les exemptions?

M. Piragoff: La loi accorde au gouvernement fédéral, et pas seulement au contrôleur des armes à feu de la province, le pouvoir d'accorder également des exemptions.

Le sénateur Lynch-Staunton: Cela comprend les policiers de l'air?

M. Piragoff: Oui.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je crois qu'il y a des policiers de l'air sur les vols d'Air Canada à destination de Washington, ce qui leur permet d'atterrir à l'aéroport Dulles. Cela pose-t-il des problèmes aux Américains? Avons-nous un accord réciproque? Les Américains feront-ils preuve de la même générosité en permettant aux Canadiens d'atterrir aux États-Unis que nous en montrons en leur permettant d'atterrir chez nous?

M. Piragoff: Je ne connais pas tous les détails des ententes entre les autorités américaines et canadiennes. C'est une question que vous pourriez poser au solliciteur général.

Pour en revenir à votre première question, un de mes collègues a mentionné que la loi contient un pouvoir de réglementation. Il se trouve à l'article 38.16 proposé à la page 89. Il s'agit d'un amendement à la Loi sur la preuve. Il permet au gouverneur en conseil de prendre, par règlement, les mesures nécessaires à l'application des articles relatifs à la protection des renseignements concernant la sécurité nationale et la procédure judiciaire; par exemple, des règlements régissant les avis, les certificats, et cetera.

Il peut y avoir également certains règlements, non pas dans le projet de loi, mais des règlements corrélatifs découlant de la partie 4 qui modifie la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité, la loi qui crée le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada. Il faudra peut-être adopter de nouveaux règlements pour tenir compte du nouveau mandat que confère cette loi. Le mandat actuel concerne le blanchiment d'argent par le crime organisé. Le projet de loi élargirait ce mandat au blanchiment d'argent relié à des activités terroristes. Il faudra peut-être prendre des règlements, mais la loi contient déjà les pouvoirs de réglementation.

Le sénateur Lynch-Staunton: C'est dans la loi actuelle?

M. Piragoff: C'était dans le projet de loi C-22 que le Parlement a adopté l'année dernière. Je pourrais vérifier certaines autres lois, si vous le désirez, et vous envoyer une note.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je l'apprécierais. Merci.

Le sénateur Beaudoin: J'aimerais en revenir à la question que le sénateur Murray a soulevée. La ministre a dit que la loi ne déclarait pas un état d'urgence. C'est une question un peu technique, mais je crois nécessaire de la résoudre. Si nous remontons à une cause de 1976 portant sur la Loi anti-inflation, deux juges ont dit que s'il y avait urgence, cela devait être mentionné dans la loi. Bien entendu, c'était l'opinion de deux juges seulement, les juges Beetz et Grandpré. Tous les autres ont dit qu'une loi pouvait laisser supposer une situation d'urgence. Je voudrais votre opinion.

Cette loi est tellement importante et fait tellement de choses que nous sommes enclins à la considérer comme une loi d'urgence ou les tribunaux pourraient la considérer comme telle. Ce n'est toutefois pas la position adoptée par le ministère de la Justice.

M. Cohen: Je dois d'abord vous répondre que le préambule du projet de loi souligne certainement la grave menace à laquelle le pays est confronté. Si l'on désire parler de situation urgente sans justifier cette mesure par l'état d'urgence, le préambule parle d'actes de terrorisme qui menacent nos institutions politiques, la stabilité de notre économie et le bien-être de la nation, ce qui souligne la gravité de la situation et justifie ce genre d'arguments.

Le projet de loi est certainement de nature à promouvoir la paix, l'ordre et le bon gouvernement du pays. Sans me lancer dans une discussion quant à savoir s'il y a urgence et si cette mesure repose sur un pouvoir d'urgence, il existe des fondements législatifs permettant au gouvernement d'agir comme il le fait en adoptant cette loi pour répondre au caractère urgent et grave des problèmes auxquels cette mesure vise à remédier. Cela nous amène à la justification que prévoit l'article 1 de la Charte en raison du caractère urgent et important de ce problème.

Le sénateur Beaudoin: Voilà ma question. Aucun droit n'est absolu. Lorsque nous légiférons, nous pouvons limiter les droits dans une certaine mesure. Nous le faisons. Bien entendu, ce projet de loi le fait dans certains domaines. Le problème ne s'arrête pas là. Il s'agit de voir si c'est justifié en vertu de l'article 1 de la Charte.

À mon avis, certaines restrictions sont justifiées par l'article 1 de la Charte parce que l'objectif visé est important. C'est urgent. À mon avis, cette mesure est conforme, à bien des égards, à l'arrêt Oakes. La détention, le droit au silence et des conversations privées sont les trois aspects dont nous pouvons avoir à discuter à la lumière de la Charte étant donné que nous devons interpréter l'article 1. Sommes-nous trop restrictifs ou ces limitations tiennent-elles compte des circonstances? S'il ne s'agit pas d'une mesure d'urgence, l'interprétation qu'il faut en faire aux termes de l'article 1 de la Charte est évidemment différente. Tel est le but de ma question.

M. Cohen: Je suis d'accord avec vous. Néanmoins, je dirais qu'étant donné la nature grave de la menace que représente le terrorisme et la nécessité d'y faire face de façon permanente, ces limitations peuvent être justifiées en vertu de l'article 1. Il faudrait examiner chaque mesure pour voir si les dispositions de la loi sont raisonnables et proportionnées. C'est en grande partie sur cette question que portent vos discussions. En fait, vous créez les arguments que les tribunaux devront examiner à l'égard de l'article 1 et ils devront également voir comment ces mesures s'appliqueront à l'avenir.

Le contexte futur dépendra, bien entendu, de la façon dont les tribunaux considéreront la chose. Si la menace du terrorisme disparaît, comme nous l'espérons tous et si ces mesures sont utilisées d'une façon qui semble disproportionnée, un tribunal pourra être appelé à déterminer s'il s'agit ou non d'une application raisonnable de la loi.

Jusqu'ici, nous n'avons pas élaboré ce projet de loi en supposant que cela se traduirait nécessairement par son invalidation, mais cela peut avoir une influence sur la façon dont le projet de loi sera interprété ou appliqué.

À notre avis, la sécurité nationale justifie ces mesures et, sur le plan de la jurisprudence, cette justification n'est pas tout à fait la même que celle du droit pénal. La sécurité nationale peut servir à justifier les écarts par rapport aux normes auxquelles nous nous sommes habitués jusqu'ici.

Le sénateur Beaudoin: Il a été question, ce matin, de la Loi sur les mesures de guerre, mais elle n'existe plus. Sauf erreur, nous avons changé entièrement notre législation sur les mesures d'urgence en 1988. Si nous comparons cette loi avec la Loi sur les mesures de guerre, nous voyons qu'elle est très différente de la Loi sur les mesures de guerre de 1914 et de 1939 de même que celle qui a été invoquée en 1970. Il n'y a aucune comparaison entre une loi comme celle-ci et la Loi sur les mesures de guerre de la Première et de la Seconde Guerres mondiales. Je tenais à le préciser. Je voudrais savoir ce que vous en pensez.

M. Cohen: Je vous dirai que le projet de loi est assujetti à la Charte. La Loi sur les mesures de guerre a été adoptée dans des circonstances différentes à une époque différente. Bien entendu, lorsqu'elle a été invoquée, en 1970, c'était avant la Charte. Je crois que la situation a beaucoup changé, ce qui situe ce projet de loi dans un contexte entièrement différent. Il permet aux Canadiens qui estimeraient que ces mesures ont fait l'objet d'abus ou d'une application excessive de les contester devant les tribunaux. C'est une garantie pour tous.

Le sénateur Andreychuk: Si je me souviens bien, pour ce qui est de nos obligations internationales, il y a 11 conventions ou traités qui ont des répercussions sur notre sécurité nationale ou qui concernent le terrorisme. Avons-nous ratifié toutes ces conventions? Considérez-vous cette loi comme la loi habilitante particulièrement pour le terrorisme et son financement?

M. Piragoff: Il y a 12 conventions qui visent spécialement ou principalement les activités terroristes. Le Canada en a ratifié 10. Les deux que nous n'avons pas ratifiées, mais que nous avons signées sont la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et la Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l'explosif. Une fois adoptée, cette loi permettra au Canada de ratifier les deux conventions restantes.

Le sénateur Andreychuk: Si ce n'est pas une loi d'urgence, pourquoi n'avons-nous pas légiféré avant pour mettre en oeuvre ces deux conventions?

M. Piragoff: La convention sur le financement du terrorisme n'a été conclue qu'en 1999. Jusqu'ici, quatre pays seulement l'ont ratifiée. Nous sommes nettement en tête.

Le sénateur Andreychuk: Comme il n'était pas nécessaire de légiférer immédiatement, dois-je conclure que la situation ne vous semblait pas urgente lorsque vous avez signé ces conventions?

M. Piragoff: Je ne suis pas certain d'avoir compris la question.

Le sénateur Andreychuk: Il nous a fallu deux ans pour ratifier la convention sur le financement du terrorisme. Cette loi nous a été proposée assez rapidement après le 11 septembre. Je sais que cela a forcé le ministère de la Justice à agir. Nous n'avions pas prévu, il y a deux ans, la nécessité de mettre en place rapidement une loi habilitante, n'est-ce pas?

M. Piragoff: Non. Pour ce qui est de la convention sur la répression des attentats terroristes à l'explosif, le gouvernement a travaillé à un avant-projet de loi pendant plus d'un an, sinon davantage. Pour ce qui est de la convention sur le financement du terrorisme, les divers ministères en ont discuté au cours des 12 derniers mois. En même temps, le ministère s'occupait de la loi sur le blanchiment d'argent. Cette mesure soulevait plusieurs problèmes qu'il fallait résoudre. C'était juste une question de progression logique. Il s'agissait d'abord de mettre en place le processus du CANAFE puis de passer à l'étape suivante, c'est-à-dire la convention sur le financement du terrorisme.

Le sénateur Andreychuk: Êtes-vous convaincus que ce projet de loi va permettre la mise en vigueur complète de ces deux conventions?

M. Piragoff: Le projet de loi a pour but de nous fournir les bases législatives qui nous permettront de ratifier ces deux conventions.

Le sénateur Andreychuk: Je voudrais en venir à la question des organismes de bienfaisance. Quand je siégeais au Comité sénatorial spécial sur la sécurité et les services de renseignements, nous avons longuement discuté de la façon dont il faudrait enlever leur statut aux organismes de bienfaisance qui participent à des activités terroristes. Deux grandes questions nous préoccupaient. La première était que le processus ne devait pas être confié à ceux qui étaient chargés d'enquêter sur le terrorisme. Autrement dit nous voulions une analyse neutre pour établir si la preuve réunie par le SCRS ou la GRC justifiait la suppression de ce statut. Le projet de loi semble être allé dans la direction opposée. Pourriez-vous me dire ce que vous en pensez?

M. Piragoff: Je laisserai le solliciteur général vous répondre. Un grand nombre des dispositions du projet de loi portant sur les organismes de bienfaisance et leur inscription ont été reprises de l'ancien projet de loi C-16 qui n'a pas dépassé l'étape du comité à la Chambre des communes. Le solliciteur général et ses fonctionnaires seraient mieux en mesure de répondre à ces questions.

Le sénateur Andreychuk: Il n'y a aucune disposition d'appel pour les organismes de bienfaisance. Il y a la première demande au tribunal, qui sera suivie de la décision d'un juge, mais aucune procédure d'appel. Comment l'expliquez-vous?

M. Piragoff: C'est une question de politique. Vous devriez demander au solliciteur général pourquoi on a décidé de ne pas prévoir de procédure d'appel.

Le sénateur Jaffer: Comme vous êtes ici, monsieur Cohen, pourriez-vous nous parler de la définition des activités terroristes donnée dans le projet de loi? Il est dit que l'intention suffit et qu'il n'est pas nécessaire qu'un acte de terrorisme soit commis. Cela m'inquiète. J'ai peut-être mal compris. Pourriez-vous me dire ce qu'il en est?

M. Piragoff: L'intention est un critère important pour la principale raison que nous ne voulons pas qualifier de terroristes certaines activités simplement parce qu'elles ont eu des conséquences néfastes. Par exemple, disons qu'une manifestation pacifique dégénère en émeute et cause des décès ou des incendies, mais que les manifestants n'avaient aucunement l'intention de se livrer à de tels actes au début ou pendant la manifestation. Il est important de mettre l'accent sur l'intention de la manifestation ou de la protestation et pas seulement sur ses conséquences.

Quant à savoir si l'intention seule suffit, la disposition concernant l'intention doit également être interprétée à la lumière des premiers mots de la définition.

L'alinéa b), page 13, ligne 30 de la version anglaise commence par les mots «acte - action ou omission, commise au Canada ou à l'étranger». Cela suppose qu'un acte a été commis. De plus, il faut que cet acte ait visé plusieurs objectifs pour que l'action ou l'omission en question soit considérée comme une activité terroriste.

[Français]

Le sénateur Bacon: Il a été déclaré que les droits et les libertés restent protégés entre autres par l'application de la Charte canadienne des droits et libertés. Cependant, n'y a-t-il pas une menace à nos libertés civiles? Est-il vrai de dire qu'à compter de maintenant, il sera difficile et périlleux pour des organismes qui luttent contre la mondialisation de tenir des manifestations contre les positions du gouvernement? Est-il vrai qu'à compter de l'adoption de ce projet de loi, nous nous retrouverons dans une situation où tous seront susceptibles de se faire arrêter sans mandat, de se faire interroger sans qu'aucun acte criminel ne soit reproché ou d'être détenus de manière préventive et de figurer sur une liste de terroristes sans même le savoir?

[Traduction]

M. Cohen: Il ne fait aucun doute que le projet de loi remet en question notre notion de la liberté. Nous vivons à une époque où notre conception de ce qui constitue nos libertés se trouve ébranlée.

D'un autre côté, la nécessité de légiférer est manifeste. Le Parlement doit déterminer si cette mesure est raisonnable et proportionnée compte tenu de ce qui a été fait. Lorsqu'on parle de l'arrestation préventive, il faut voir si les pouvoirs qui sont prévus ici s'accompagnent de garanties suffisantes pour qu'ils ne deviennent pas un instrument d'oppression ou d'abus. Les limites de temps imposées pour l'exercice de ce pouvoir, ce qu'il adviendra des intéressés, s'ils peuvent être gardés au secret ou traduits devant un juge et ce qu'il adviendra d'eux par la suite sont autant de questions extrêmement importantes.

L'arrestation préventive permet de faire comparaître une personne devant un magistrat qui déterminera s'il y a lieu de lui imposer des conditions. En principe, c'est un moyen d'identifier une personne et d'étudier les dangers qu'elle peut poser de même qu'une façon de faire savoir que l'État est au courant de ce que l'individu en question prépare. Une fois que cette personne est conduite devant un juge, le projet de loi prévoit un mécanisme pour lui imposer certaines conditions qui peuvent limiter sa liberté de mouvement ou sa liberté d'association, mais c'est dans le but d'identifier et en même temps d'éliminer une menace. Quant à savoir si cette procédure sera jugée raisonnable et proportionnée, cela dépendra du contexte dans lequel elle sera utilisée. En fin de compte, si elle est utilisée dans le contexte d'une menace terroriste, le pouvoir de procéder à cette arrestation devrait survivre à une contestation judiciaire.

Pour ce qui est de contraindre les gens à répondre à des questions, ce n'est pas et ce ne sera pas une procédure courante du droit pénal canadien à compter de l'entrée en vigueur du projet de loi. Ce pouvoir se limite aux enquêtes sur les activités terroristes. Ce n'est pas un moyen à la disposition générale de la police. Le but de cette mesure et la limitation de son usage sont importants.

En ce qui concerne l'interrogatoire, dans la mesure où l'intéressé est protégé par certaines garanties, il s'agit de voir à quoi il est exposé. Les réponses qu'il peut donner ne l'exposent à aucun risque personnel. Son témoignage ne peut pas être utilisé contre lui dans une autre poursuite pénale. Aucune preuve découlant de son témoignage ne peut être utilisée contre lui dans une autre poursuite. Cela vous montre le genre d'équilibre que l'on a cherché à établir dans le projet de loi de façon à ce que l'exercice de ces pouvoirs soit proportionné.

Pour ce qui est de la question épineuse des revendications et des protestations, on a cherché à parvenir à l'équilibre en employant, à l'article 4, division 83.01b)(i)(E) les mots «sauf dans le cadre d'activités licites de revendication, de protestation ou de manifestation d'un désaccord, ou d'un arrêt de travail licite, qui ne sont pas exercées dans le but de provoquer une des situations mentionnées aux divisions(a) à (c), c'est-à-dire de causer la mort ou des blessures graves, de mettre en danger la vie d'une personne ou de compromettre gravement la santé ou la sécurité de la population. Nous avons cherché à établir un juste équilibre entre des activités normales dans une société libre et démocratique où il peut y avoir des revendications et des protestations, par exemple au sujet de la mondialisation. Nous cherchons à tenir compte de la différence entre les revendications et les protestations organisées de façon licite, conformément aux normes et aux valeurs des Canadiens et les activités qui mettent en danger la vie, la santé et la sécurité des gens. Nous avons cherché à inclure des garanties et à rendre la loi raisonnable et proportionnée compte tenu de la nature de la menace qu'elle vise à contrer.

M. Piragoff: Pour ce qui est de ce qu'on a appelé l'arrestation préventive, le projet de loi n'utilise pas du tout cette expression. En fait, le titre qui figure à l'article 83.3 est «Engagement assorti de conditions». Le but de cette disposition n'est pas d'arrêter une personne, mais de la placer sous surveillance judiciaire pour l'empêcher de se livrer à une activité terroriste. Cette disposition est semblable à celle qui existe déjà à l'article 810 du Code criminel et qui permet, à une personne qui craint qu'une autre personne puisse commettre un acte de violence contre elle, de demander au tribunal de la placer sous supervision judiciaire. Par exemple, on s'en sert souvent dans les cas de violence conjugale. Une personne peut demander au tribunal d'imposer des conditions à son conjoint parce qu'elle craint de façon légitime et raisonnable que ce dernier puisse commettre un acte de violence.

Cette disposition s'appuie sur les dispositions existantes du Code criminel. Il y a un précédent. Ce n'est pas quelque chose de nouveau. L'engagement assorti de conditions part du principe que l'intéressé sera relâché. On ne s'attend pas à ce qu'il soit arrêté et demeure incarcéré. On procède à l'arrestation lorsque c'est nécessaire pour conduire l'intéressé devant le tribunal et non pas lorsqu'il suffit de le sommer à comparaître. Toutefois, s'il s'agit d'une urgence et si la personne en question est en route vers l'aéroport, par exemple, elle peut être arrêtée.

Toute cette procédure vise à conduire l'intéressé devant un juge pour que le juge évalue la situation et décide s'il y a lieu d'imposer à cette personne certaines conditions, par exemple celles de ne pas quitter la ville, de se présenter chaque jour à la police, et cetera. Le but de l'arrestation préventive n'est pas l'arrestation. C'est seulement un moyen de faire comparaître une personne devant un tribunal pour une supervision judiciaire. Nous avons déjà ce genre de dispositions dans le Code criminel, par exemple dans le contexte du cautionnement, ainsi que l'article 810 qui ne prévoit pas d'arrestation. Dans ce cas-ci, toutefois, il y a arrestation. Je voulais préciser les choses.

[Français]

Le sénateur Bacon: N'est-il pas vrai que la détention préventive, telle que libellée à l'article 83.3(4), ouvre la porte à des arrestations et des détentions abusives? Vous semblez élargir les possibilités d'arrestations basées sur des soupçons des policiers, par rapport au motif raisonnable qui est un critère plus exigeant que celui relevant des soupçons. Quelles balises guideront les forces policières pour éviter des abus, notamment dans l'usage du pouvoir d'arrestation et de détention préventive, étant donné que le libellé de l'article fait référence à des soupçons plutôt qu'à des motifs raisonnables?

[Traduction]

M. Piragoff: Les policiers devront fonder leurs soupçons sur des motifs raisonnables au lieu de les inventer. Qu'ils aient des motifs raisonnables de croire ou de soupçonner, ces motifs peuvent être examinés.

Pourquoi s'agit-il de soupçons raisonnables plutôt que de motifs raisonnables? Si le policier a des motifs raisonnables de croire qu'une infraction sera commise, ce qui constitue le premier critère, et s'il a des motifs raisonnables de croire qu'une certaine personne va commettre cette infraction, il a des motifs suffisants pour arrêter l'individu en question et l'accuser.

Cette disposition s'appliquera si les autorités ont des motifs raisonnables de croire qu'une activité terroriste sera mise à exécution, par exemple si l'on apprend, de certaines sources, qu'un ambassadeur sera la cible d'une tentative d'assassinat au Canada ou qu'un attentat à l'explosif aura lieu au cours d'une manifestation et sera commis non pas par les manifestants, mais par d'autres personnes qui voudront profiter de l'occasion. La police a parfois des motifs raisonnables de croire qu'une infraction va être commise, mais n'a pas des motifs raisonnables de croire que telle ou telle personne va la commettre, mais si elle a des motifs de soupçonner certains individus, non pas de simples soupçons, mais des raisons de soupçonner des personnes qui sont associées à certains éléments. La police n'a pas encore de motifs pour arrêter les personnes en question et les accuser, même si elle les soupçonne sérieusement d'être impliquées. Cette disposition permet de faire en sorte que les individus en question soient arrêtés, conduits devant un juge et placés sous surveillance judiciaire dans le but de prévenir la mise à exécution d'un acte terroriste.

Le sénateur Tkachuk: Mes questions concernent également l'information. Dans le Globe and Mail du vendredi 19 octobre, j'ai lu un article selon lequel le commissaire à la protection de la vie privée, M. George Radwanski, aurait de sérieuses inquiétudes au sujet du projet de loi C-36 et de ses effets sur la législation régissant la protection des renseignements personnels. La partie 5 intitulée Modifications à d'autres lois, article 87, qui modifie l'article 69 de la Loi sur l'accès à l'information porte ce qui suit:

69.1 (1) Le procureur général du Canada peut, à tous moments, délivrer personnellement un certificat interdisant la divulgation de renseignements dans le but de protéger les relations internationales ou la défense ou la sécurité nationales.

Quelle définition vous-même ou le procureur général donnez-vous de la «sécurité»?

M. Piragoff: Cette modification figure dans la Loi sur la preuve ou correspond à une modification de la Loi sur la preuve. Je n'ai pas le numéro de l'article sous la main, mais je crois que c'est dans ces amendements.

Le sénateur Tkachuk: Qu'y a-t-il dans ces amendements?

M. Piragoff: Il y a la définition de la «sécurité nationale», par exemple. «nuisible aux intérêts de l'État» est défini dans la Loi sur la sécurité de l'information, l'ancienne Loi sur les secrets officiels.

Le sénateur Tkachuk: Trouve-t-on des définitions multiples de la «sécurité nationale» dans différentes lois?

M. Piragoff: Le certificat d'interdiction figure à l'article 38.13 de la Loi sur la preuve au Canada. La disposition dont vous parlez en ce qui concerne le Commissaire à l'information est essentiellement la même que pour le certificat qui serait délivré en vertu de la Loi sur la preuve au Canada.

Le sénateur Tkachuk: Dans ce cas, pourquoi avez-vous besoin de cette mesure?

M. Piragoff: La Loi sur la preuve au Canada s'applique aux instances pénales ou administratives qui ont été engagées. Pour ce qui est du Commissaire à la protection de la vie privée ou du Commissaire à l'information, l'instance n'est pas nécessairement engagée.

Le sénateur Tkachuk: Dites-moi les choses simplement. Je ne suis pas avocat et j'essaie de comprendre les choses comme n'importe quel citoyen les comprendrait. Je crois que le procureur général peut émettre un certificat en invoquant la sécurité nationale pour rejeter une demande de renseignements émanent des médias ou de n'importe qui d'autre. Cela s'appliquerait-il de cette façon? Est-ce bien ce que le procureur général ferait en termes simples?

M. Piragoff: Le procureur général peut se servir de cette disposition, en dernier ressort, pour empêcher des renseignements d'une importance cruciale pour la sécurité nationale d'être divulgués dans le cadre d'une instance judiciaire à laquelle la Loi sur la preuve au Canada s'applique ou dans le cadre de toute autre procédure gouvernementale. Ce pouvoir existe chez nos alliés pour permettre à un ministre d'émettre un certificat empêchant la divulgation. Aux États-Unis, il y a différentes catégories de certificats. Certains émanent du président et d'autres du procureur général des États-Unis. Le Royaume-Uni a également un système de certificats de même, je crois, que la Nouvelle-Zélande et l'Australie.

Le sénateur Tkachuk: Je ne cherche pas à discuter. J'essaie seulement de comprendre ce que cela veut dire. Peu m'importe que le certificat serve à protéger la sécurité nationale. Je m'inquiète du fait que les ministres peuvent se servir de la sécurité nationale comme d'une excuse pour empêcher la divulgation de renseignements qui devraient être communiqués au public. Quelle définition de la «sécurité nationale» appliquerez-vous? Y en a-t-il plusieurs? La loi doit inclure des définitions. Le procureur général pourrait dire: «Je ne vous laisserai pas avoir ces renseignements pour telle ou telle raison».

M. Piragoff: La Loi sur la preuve au Canada ne contient pas de définitions explicites. Elle confère le pouvoir de protéger les renseignements reliés à la sécurité nationale. Il s'agit d'une procédure permettant à une personne de s'opposer à la divulgation. Dans la législation actuelle, tout est noir ou blanc. Si un juge de la Cour fédérale estime que les renseignements en question se rapportent à la sécurité nationale, les choses ne vont pas plus loin et rien n'est divulgué.

Le projet de loi vise à mettre en place une procédure très semblable à celle qui existe aux États-Unis. Nous essayons de fournir le maximum de renseignements. Même si le juge estime que l'information se rapporte à la sécurité nationale, il peut ordonner qu'elle soit divulguée sous la forme de résumés expurgés ou encore permettre au gouvernement d'admettre certains faits.

Par exemple, si la partie adverse allègue l'existence d'un certain fait et veut les documents le prouvant, le juge peut décider de ne pas communiquer ces documents mais, pour les fins du procès, accepter l'hypothèse que le fait en question existe. L'État perdrait sur ce point.

Tel est le principe à la base de ce projet de loi. Il s'agit de promouvoir la divulgation de l'information. Ce faisant, il donne au gouvernement une garantie de dernier recourt. Si toutes les mesures qui permettent la circulation de l'information empêchent de protéger certains renseignements, le gouvernement doit protéger les renseignements délicats et ceux que nos alliés nous communiquent. Telle est la raison d'être de ce certificat.

Le sénateur Tkachuk: Le certificat peut-il être examiné? Si le ministre refuse qu'un renseignement soit divulgué en invoquant la sécurité nationale et si je demande des renseignements qu'on refuse de me donner toujours pour cette même raison, que puis-je faire? Disons que je ne crois pas le ministre, quels sont mes recours?

M. Piragoff: Il n'y a pas de révision du certificat émis par le procureur général.

Le sénateur Tkachuk: Si nous prenons l'exemple des États-Unis, les Américains ont une répartition des compétences, comme vous le savez. Ici, nous avons un régime parlementaire. Si le pouvoir exécutif dit une chose, personne d'autre ne peut faire quoi que ce soit. Aux États-Unis, il y a des comités de surveillance et la CIA fait rapport aux comités du Sénat et de la Chambre des représentants. Lorsqu'une personne agit mal, certains recours existent.

Au Canada, il semble que ce ne soit pas possible. Nous n'avons pas de définition. Selon moi, cela veut dire que cette loi pourrait être utilisée à des fins qui ne correspondent pas aux intentions de cette mesure. Si nous n'avons pas une définition de la sécurité nationale, avons-nous au moins une définition des menaces pour la sécurité? Existe-t-il un moyen de définir une personne ou une organisation comme une menace pour la sécurité du pays? Avons-nous cette définition?

M. Piragoff: Le procureur général exerce ces pouvoirs de façon quasi judiciaire. Il doit les exercer comme s'il était un tribunal ou un juge. Il n'est ni juge ni tribunal, mais il exerce un pouvoir quasi judiciaire.

La ministre a déclaré à l'autre endroit que, pour les modifications proposées en ce qui concerne le Commissaire à la protection de la vie privée et le Commissaire à l'information, elle souhaite entendre les opinions des députés et des sénateurs quant à savoir si un mécanisme de reddition de comptes ou de transparence pourrait être inclus pour l'utilisation des certificats. Elle examine actuellement la question.

Le sénateur Andreychuk: Le sénateur a posé sa question en disant qu'il n'était pas avocat, mais moi je suis avocate. Voulez-vous dire que, lorsqu'un juge déclare qu'un renseignement peut-être communiqué sous certaines conditions, le ministre peut signer un certificat interdisant sa divulgation?

M. Piragoff: Un mécanisme permet d'aseptiser ces renseignements pour qu'ils puissent être divulgués. En fin de compte, le procureur général a le pouvoir discrétionnaire d'émettre un certificat disant que même une fois aseptisés, ces renseignements nuiraient à la sécurité nationale.

Le sénateur Andreychuk: Si un renseignement est demandé par les tribunaux plutôt que le Commissaire à l'information, si un juge aseptise un document, ce projet de loi donne-t-il le dernier mot au ministre pour ce qui est de la divulgation des renseignements en question?

M. Piragoff: Oui, c'est la garantie prévue.

Le sénateur Andreychuk: C'est ce que je pensais avoir lu.

M. Piragoff: Cette garantie est nécessaire, car certains renseignements en notre possession ne nous appartiennent pas. Ils peuvent nous avoir été remis par un pays étranger.

Le sénateur Andreychuk: Je voulais que vous précisiez les bases juridiques. En fait, le ministre a le dernier mot.

M. Piragoff: C'est exact.

Le sénateur Kelleher: On me dit que le projet de loi protège les renseignements délicats en vertu de la Loi sur la preuve au Canada. Est-ce exact?

M. Piragoff: C'est exact.

Le sénateur Kelleher: Il y a quelques années, j'ai eu des problèmes à propos d'un mandat. Les agents du SCRS sont allés au tribunal témoigner contre quatre personnes contre lesquelles nous avions porté des accusations. Nous pensions que ces quatre personnes étaient celles qui avaient fait exploser l'avion d'Air India, mais nous n'avions pas de preuve dans le cas d'Air India.

Toutefois, nous avions porté d'autres accusations contre elles pour avoir tenté de placer une bombe dans un avion d'Air Canada à destination de New York. Au cours du procès, les agents du SCRS ont fait allusion à leurs sources. Les avocats de la défense ont demandé au juge que nous produisions nos sources afin que la défense puisse les contre-interroger. C'était parfaitement ridicule, car si nous commencions à produire nos sources, tout travail deviendrait impossible. Vous ne pouvez pas faire marcher un service d'espionnage si vous devez révéler vos sources. Comme nous ne pouvions pas révéler nos sources, le juge a prononcé un non-lieu. Comme je l'ai dit, je crois que nous avions mis la main sur les suspects de l'affaire Air India et que les individus en question étaient les coupables. Nous avons perdu cette cause.

Je pensais qu'il s'agissait de renseignements très délicats. On ne peut certainement pas nous forcer à révéler nos sources. Ces amendements vont-ils empêcher que cela ne se reproduise?

M. Piragoff: Oui. Le certificat émis par le procureur général, au sujet duquel d'autres sénateurs ont posé des questions, sera la garantie ultime que des renseignements tels que les sources d'information et les noms des informateurs ne seront pas divulgués.

Le sénateur Kelleher: Nous pourrions nous en servir?

M. Piragoff: Oui.

Le sénateur Kelleher: Le juge ne va pas nous taper dessus? C'est ce qui m'inquiète.

M. Piragoff: La loi reconnaît que, si le procureur général exerce le pouvoir de retenir des renseignements, le juge de première instance peut évaluer les conséquences que la non-divulgation des renseignements en question peut avoir sur un procès. Cela pourrait entraîner un non-lieu.

D'autres modifications visent à communiquer le maximum de renseignements à ce juge de première instance. Le juge de la Cour fédérale essaiera, par exemple, de préparer une copie aseptisée ou dira qu'aux fins du procès, on peut supposer l'existence de certains faits. Mais dans un procès pour meurtre, par exemple, c'est au juge de première instance de la Cour provinciale qu'il revient de décider s'il est possible de tenir un procès équitable sans les renseignements en question. C'est laissé à la discrétion du juge et non pas de la Cour fédérale.

Le sénateur Kelleher: C'est ce qui m'inquiète.

M. Piragoff: Il y a deux choses qui entrent en ligne de compte. Il y a, d'une part, l'intérêt de l'État à protéger certains renseignements et d'autre part, l'intérêt de l'accusé à avoir un procès équitable, un droit qui est protégé par la Charte. Il peut arriver que les deux intérêts ne puissent pas être conciliés et il s'agit alors de voir si, dans les circonstances, il est plus important de poursuivre l'intéressé ou de protéger les renseignements. C'est un choix difficile, mais il peut être parfois nécessaire de le faire.

Le sénateur Kelleher: Il n'y a aucune protection contre le juge de première instance.

M. Cohen: En fin de compte, le fait que la loi confère au juge le pouvoir d'assurer l'équité du procès contre l'accusé doit être considéré comme une garantie.

Si ce n'était pas inscrit dans la loi et si le juge de première instance n'avait pas la possibilité d'exercer ce contrôle sur la procédure, le risque serait le même. Vous pourriez perdre une contestation judiciaire portant sur le droit à un procès équitable. Il est donc préférable de l'inclure dans la loi.

Le sénateur Kelleher: C'était, je crois, dans l'intérêt national. Je ne pense pas que le juge de première instance était prêt à accorder beaucoup de poids à cette considération.

Le sénateur Fraser: Messieurs, de nouveau en ce qui concerne la détention préventive, nous pouvons tous comprendre pourquoi il est nécessaire de pouvoir arrêter des gens si l'on a des soupçons raisonnables. Je ne suis pas tout à fait à l'aise avec la possibilité d'incarcérer ces personnes pendant un an si elles refusent d'accepter les conditions imposées par le juge. S'il s'agit de véritables terroristes et de bandits, ils accepteront certainement ces conditions. Néanmoins, il est déjà arrivé que la police se trompe de coupable. Le mois dernier, nous avons été informés de plusieurs cas d'erreur sur la personne. Un innocent pourrait refuser d'accepter des conditions qui seraient raisonnables pour un terroriste, mais pas pour un innocent et se retrouver en prison pendant un an. Cette durée d'un an n'est-elle pas excessive? N'est-ce pas un châtiment «cruel et inhabituel»? Ne pourrait-on pas prévoir une période plus courte tout en atteignant les objectifs du projet de loi?

M. Piragoff: La période d'un an dont vous parlez est la même que celle que prévoit déjà l'article 810 du Code criminel dans les cas de violence conjugale. Par exemple, si le conjoint - le coupable - refuse de se soumettre à certaines conditions, il peut être envoyé en prison pendant une période maximum d'un an.

Le sénateur Fraser: Si on le sait coupable.

M. Piragoff: Non, c'est basé sur la crainte. En fait, le critère de l'article 810 est moins exigeant que pour l'arrestation préventive. J'invite les sénateurs à comparer les deux. L'article 810 du Code criminel parle de «crainte raisonnable» et non pas de «motif raisonnable de croire» ou de «soupçon raisonnable». Le critère du Code est celui de la crainte, qui est moins exigeant.

M. Cohen: J'aurais une chose à ajouter. Un an représente une durée maximale. Ce n'est pas la peine obligatoirement imposée. Si l'intéressé ne respecte pas les conditions de son engagement, c'est une forme de désobéissance à une ordonnance d'un tribunal, ce qui revient à un outrage au tribunal.

Vous avez utilisé les mots «cruel et inhabituel» en pensant évidemment aux dispositions de la Charte contre les punitions ou les traitements cruels et inhabituels. Étant donné que cette peine n'est pas obligatoire, que c'est laissé à la discrétion du juge et qu'il peut s'agir d'une forme de désobéissance plutôt grave dans le contexte du terrorisme, je ne pense pas que ce soit contraire aux normes de la société ou aux normes de la décence. Compte tenu des pouvoirs discrétionnaires qui sont accordés, ce genre de peine serait probablement jugé conforme à la Charte.

La présidente: Au nom du comité, je remercie tous nos témoins du ministère de la Justice.

La séance est levée.


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