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SM36 - Comité spécial

Comité spécial sénatorial sur le projet de loi C-36

 

Délibérations du Comité sénatorial spécial sur la
Teneur du projet de loi C-36

Fascicule 1 - Témoignages du 22 octobre 2001 (séance de l'après-midi)


OTTAWA, le lundi 22 octobre 2001

Le Comité sénatorial spécial sur la teneur du projet de loi C-36 se réunit ce jour à 13 h 30 pour examiner la teneur du projet de loi C-36, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur les secrets officiels, la Loi sur la preuve au Canada, la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et d'autres lois, et édictant des mesures à l'égard de l'enregistrement des organismes de bienfaisance, en vue de combattre le terrorisme, et explorer la protection des droits de la personne et des libertés publiques dans l'application de la loi à l'étude.

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, ceci est la deuxième réunion, avec témoins, du Comité spécial sénatorial sur le projet de loi C-36, la Loi antiterroriste, introduite par le gouvernement en réaction aux événements tragiques du 11 septembre.

Nous avons longuement entendu ce matin la ministre de la Justice et ses collaborateurs. Nous recevrons cet après-midi le Solliciteur général du Canada, le directeur du Service canadien du renseignement de sécurité, ainsi que des fonctionnaires de l'Agence des douanes et du revenu du Canada et du ministère des Finances, pour traiter du blanchiment d'argent et des dons à des oeuvres de bienfaisance.

Le Sénat étudie le projet de loi de façon à ce que nos avis et recommandations puissent être communiqués par avance au Comité de la justice de la Chambre des communes et être éventuellement intégrés au projet de loi avant qu'il soit officiellement renvoyé au Sénat pour un débat final et une étude officielle en comité.

J'ai le plaisir, cet après-midi, d'accueillir notre premier témoin, M. Ward Elcock. Il sera avec nous pendant 90 minutes. J'invite tous les sénateurs à poser des questions concises afin que tout le monde ait l'occasion de participer.

Merci d'être venu, monsieur Elcock. Vous avez la parole.

M. Ward Elcock, directeur, Service canadien du renseignement de sécurité: Je n'ai pas de déclaration liminaire, honorables sénateurs, et si vous voulez me poser tout de suite des questions, je serai ravi d'y répondre.

Le sénateur Andreychuk: Le projet de loi C-36 prévoit des instruments dont vous ne disposiez pas jusqu'à maintenant. Ces outils vous seront-ils également utiles dans vos tâches habituelles, vos enquêtes dans des domaines tels que la drogue, la criminalité organisée et le blanchiment d'argent non lié au terrorisme?

M. Elcock: Honorables sénateurs, les outils mis en place par le projet sont destinés principalement à la police et aux autres ministères. Certaines dispositions nous concernent et sont importantes pour nous, mais en ce qui concerne les outils, ils sont destinés principalement à la police. Le projet de loi prévoit l'utilisation des renseignements que nous pouvons fournir, mais les outils sont principalement pour l'usage de la police.

Le sénateur Andreychuk: Pourriez-vous nous préciser quelles dispositions concernent le SCRS?

M. Elcock: Les renseignements que nous possédons seront le fondement de mesures prises aux termes de certaines dispositions, par exemple à l'égard d'oeuvres de bienfaisance ou du blocage ou de la saisie de biens ou de la création d'une liste de terroristes, et cetera. Un ensemble de dispositions importantes modifiant la Loi sur la preuve au Canada donnera aux tribunaux une plus grande marge de manoeuvre s'agissant d'utiliser des renseignements secrets lors de poursuites. Ce sont là des éléments utiles pour nous car nos renseignements pourront être utilisés plus efficacement que par le passé.

Certaines modifications à la Loi sur les secrets officiels étaient en préparation depuis pas mal de temps et ce sera une bonne chose lorsqu'elles seront en place.

Le sénateur Andreychuk: Peut-on dire que ce qui vous aidera le plus sont les ressources accrues mises à votre disposition, non pas directement sous le régime du projet de loi mais suite à l'incident du 11 septembre et des mesures gouvernementales annoncées?

M. Elcock: Le gouvernement a annoncé un plan d'action. Nous serons heureux de disposer de ressources supplémentaires si c'est ce que prévoit le plan.

Le sénateur Andreychuk: Il est question de vous confier des activités de contre-espionnage ou un rôle en sus du travail de renseignement que vous faites actuellement. Il est question de vous doter d'une capacité d'intervention à l'étranger. Qu'en pensez-vous, outre ce que j'ai pu lire dans les journaux?

M. Elcock: Il y a un malentendu que j'ai déjà fait ressortir la semaine dernière. J'avais déjà fait état de cela par le passé, mais la question ne m'avait jamais été directement posée avant la semaine dernière.

La réalité est que notre mandat légal nous donne pouvoir, s'agissant de menaces contre la sécurité nationale du Canada, d'opérer aussi bien en dehors qu'à l'intérieur du territoire canadien. C'est ce que nous faisons: nous allons chercher les renseignements là où ils se trouvent. Dans certains cas, il peut être plus efficace d'effectuer ces opérations, ou de recueillir ces renseignements, à l'étranger plutôt qu'ici. Nous le faisons déjà. Il n'y a pas de changement de mandat, la seule question est de savoir si nous disposons des ressources voulues pour mener les opérations nécessaires là où nous le voulons. Les opérations à l'étranger, par définition, sont plus coûteuses, risquées et difficiles.

Pour ce qui est du renseignement étranger, aux fins de la Loi sur le SCRS, oubliez la définition du renseignement étranger donnée par le dictionnaire. Aux fins de la loi, il faut distinguer entre les renseignements relatifs à une menace et les renseignements de nature générale qu'il est bon de connaître. Dans la deuxième catégorie figure le prix que tel pays est prêt à payer le blé canadien cette année. Le renseignement relatif à une menace peut être de savoir si tel pays construit une arme nucléaire. Le prix du blé est un renseignement qu'il est bon de connaître et il est recueilli au Canada et non à l'étranger. S'agissant des renseignements liés à une menace, il n'y a pas de limite territoriale à mon activité.

Le sénateur Andreychuk: Vous dites que le mandat du SCRS vous donne les outils dont vous avez besoin. En revanche, vous pouvez manquer de ressources. Le projet de loi C-36 focalise sur l'exploitation de vos renseignements, plutôt que sur l'élargissement de votre mandat. Est-ce exact?

M. Elcock: C'est exact.

Le sénateur Stollery: J'ai passé en revue dans mon esprit les événements des dernières années. Tout le monde parle du 11 septembre et nous convenons tous que cela a été un attentat horrible commis à New York ce jour-là. Cependant, il en allait de même de l'attentat commis contre le vol d'Air India il y a quelques années, qui a envoyé quelque 300 citoyens canadiens au fond de l'océan Atlantique. À mon sens, c'était un acte terroriste. Je ne sais pas pourquoi on ne s'est pas davantage préoccupé de ce sujet alors. Je sais que le travail de police et le travail de renseignement sont deux choses différentes, mais l'enquête semble avoir été un échec retentissant. Nul n'a jamais été condamné pour cet attentat. Je trouve cela étonnant. On parle des auteurs de l'attentat du World Trade Center, mais personne n'a jamais été condamné pour la catastrophe du vol Air India.

Si vous aviez disposé des éléments de ce projet de loi à cette époque, l'enquête sur cette affaire aura-t-elle été moins un échec?

M. Elcock: Je ne pense pas pouvoir établir ce genre de connexion. Comme je l'ai dit en réponse à la question précédente, la plupart des outils contenus dans le projet de loi sont destinés à la police. Il vaudrait mieux demander à la police si ces dispositions lui auraient facilité la tâche.

Il ne m'appartient pas d'en dire plus à ce sujet, sachant que trois personnes ont été arrêtées en rapport avec cet incident. Leur procès aura lieu dans les mois qui viennent.

Le sénateur Stollery: L'attentat contre Air India a eu lieu en 1985. Seize années se sont écoulées depuis lors. J'ai vécu en Algérie pendant la guerre civile et je m'y connais un peu en matière de renseignement. La police agit sur la foi de l'information qu'elle reçoit des services de renseignement. J'imagine que si la police a échoué dans son enquête, c'est parce qu'elle ne possédait pas les renseignements qui exigeaient pas mal d'allées et venues entre le Canada et le Punjab. C'était donc au SCRS d'aller chercher ces renseignements.

La police a arrêté trois personnes en rapport avec l'attentat. Cependant, j'imagine qu'elle a utilisé pour cela des renseignements fournis par le SCRS. Encore une fois, si ces mesures avaient été en place en 1986, ou au moment voulu, aurait-il été plus facile d'attraper et de condamner ces personnes?

M. Elcock: Une distinction cruciale entre le travail du SCRS et celui de la police est que la police a besoin de preuves. Le SCRS se contente de recueillir des renseignements. S'il est exact que nous fournissons des renseignements à la police, parfois ils ne sont pas assez probants pour que la police puisse arrêter ou condamner un suspect. Les renseignements que nous lui donnons peuvent orienter la police dans une certaine direction, mais souvent elle doit recueillir des renseignements supplémentaires pour obtenir la condamnation de quelqu'un. Les changements apportés à la Loi sur la preuve au Canada auraient rendu plus facile la communication de renseignements du SCRS à la GRC et leur utilisation lors d'un procès. Mais je ne fais que spéculer en disant cela. Nous fournissons des renseignements à la police, pas nécessairement des preuves.

Le sénateur Kelleher: J'aimerais faire une mise au point avant de passer à un autre sujet. Celui qui a fabriqué la bombe ayant fait exploser l'avion d'Air India a été condamné. Il a été extradé de Grande-Bretagne et a purgé 12 années de prison en Colombie-Britannique pour homicide. Il y a donc eu une condamnation.

Le sénateur Stollery: Oui, mais des inculpations ont été prononcées plus récemment. Il doit s'agit de personnes qui n'ont pas été condamnées, sinon elles ne seraient pas inculpées maintenant.

Le sénateur Kelleher: Nous pensons qu'un certain nombre de responsables de l'attentat ont été tués dans une fusillade en Inde ou au Pakistan.

Le sénateur Stollery: Je ne vais pas m'attarder là-dessus car des procès sont en instance. À l'évidence, les cerveaux n'ont pas été tués dans une fusillade au Punjab. Ils n'ont pas été emprisonnés. C'est d'eux que je parle. Le public a l'impression que les principaux responsables n'ont jamais été condamnés.

M. Elcock: Si je puis apporter un petit rectificatif, la personne qui a été condamnée était poursuivie pour la bombe qui a explosé à l'aéroport Narita. On pense qu'il y a un lien entre les deux attentats. Les personnes inculpées en Colombie-Britannique le sont uniquement pour l'attentat du vol Air India.

Le sénateur Murray: Monsieur Elcock, j'ai lu les trois rapports des comités spéciaux sur le terrorisme, la sécurité publique et le renseignement de sécurité. Je sais que vous les connaissez. Le plus récent a été déposé en janvier 1999. Il signale, entre autres, que la définition de menace contre la sécurité du Canada, à l'article 2 de la Loi sur le SCRS, est sensiblement différente des dispositions touchant l'exclusion pour raisons de sécurité de la Loi sur l'immigration.

Je ne sais pas si c'est toujours le cas ou bien si le projet de loi C-11 rectifie l'anomalie. Vous pouvez peut-être me le dire. Est-ce important, de toute façon?

Le comité note également que la Commission David McDonald, un comité spécial des Communes et lui-même ont tous deux recommandé que ces définitions soient harmonisées à l'occasion de la refonte en cours de la Loi sur l'immigration. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet?

M. Elcock: C'est une question qui relève du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration, puisqu'il s'agit de sa politique. La définition dans chaque loi sert à des fins différentes. Dans notre loi, elle définit simplement ce sur quoi nous pouvons et ne pouvons pas recueillir de renseignements. Le fait que cette définition soit peut-être un peu plus large que celle d'une autre loi est probablement de peu de conséquence. Mais oui, il y a une différence.

Le sénateur Murray: Le comité sénatorial fait valoir que la définition de la Loi sur l'immigration est beaucoup plus restrictive que celle de la loi qui vous régit. Le SCRS n'a pas exprimé d'avis sur l'opportunité d'harmoniser les deux définitions dans ce projet de loi?

M. Elcock: Non.

Le sénateur Murray: Quelle sera la procédure poursuivie pour dresser la liste des organisations terroristes? Je suppose que vous allez recueillir des renseignements à cet effet et donnerez des avis au ministre et au Solliciteur général.

M. Elcock: Il faudra attendre l'adoption du projet de loi pour mettre en place le mécanisme. En toute probabilité, la liste sera celle des organisations que nous avons identifiées comme répondant à la définition du projet de loi. Il est probable que cette liste sera dressée sur la base des avis que nous donnerons à notre ministre et, par son intermédiaire, au gouverneur en conseil. Ce sera similaire au processus actuel en vertu de l'article 40.1 où nous envoyons une attestation aux deux ministres. Si les ministres sont d'accord et, ensuite, le gouverneur en conseil, les organisations seront inscrites sur la liste. Il faudra un mécanisme de ce genre. Étant donné l'existence d'un mécanisme d'appel, nous devrons justifier l'inscription au préalable.

Le sénateur Murray: En ce qui concerne l'élargissement du mandat du Centre de la sécurité des communications, ou CSC, qui semble envisagé dans cette mesure, prévoyez-vous des problèmes de chevauchement et de double emploi entre son travail et le vôtre?

M. Elcock: Non.

Le sénateur Murray: Existe-t-il des lignes directrices touchant la communication de renseignements à des gouvernements étrangers, c'est-à-dire d'information sur des citoyens canadiens ou même des citoyens originaires de ce pays que vous-mêmes ou d'autres organisations avez pu réunir?

M. Elcock: Je ne sais pas dans le cas des autres organisations, mais en ce qui nous concerne, toute communication est sujette à un examen du CSARS. Ce dernier a accès à tout renseignement que nous divulguons à un gouvernement étranger ou tout renseignement que nous recevons d'un gouvernement étranger, ainsi qu'à son exploitation.

Le sénateur Murray: Y a-t-il un critère de nécessité de savoir?

M. Elcock: Sur le plan de l'accès du CSARS, voulez-vous dire?

Le sénateur Murray: Non, s'agissant de la communication à un gouvernement étranger?

M. Elcock: S'agissant de fournir des renseignements à un gouvernement étranger, nous réfléchissons évidemment de très près avant de le faire. Nous examinons la nature des institutions avec lesquelles nous partageons, leur réputation, leur conception des opérations et leur aptitude à maintenir le secret. Nous tenons compte de toute une série de facteurs avant de communiquer un renseignement à quiconque.

Le sénateur Murray: Y compris la nature de l'information.

M. Elcock: Oui, y compris la nature de l'information.

Le sénateur Murray: Ma prochaine question a un côté spéculatif, peut-être, mais j'ai entendu la ministre de la Justice dire l'autre jour que le seul fait d'occuper un pont, par exemple, n'est pas un acte terroriste. Cela m'a remis en mémoire la confrontation d'Oka en 1990. Est-ce que les outils donnés au SCRS par cette loi vous aideront à anticiper une situation comme celle d'Oka où un territoire a été occupé par la force des armes?

M. Elcock: Comme je l'ai dit en réponse à une question antérieure, le fait est que le projet de loi ne change pas nos pouvoirs. Il ne modifie pas du tout nos pouvoirs. Il n'a pas d'effet sur notre mandat. Il ne nous donne pas de pouvoirs supplémentaires.

Le sénateur Murray: Je poserai la question à d'autres.

Le sénateur Kenny: Monsieur Elcock, pouvez-vous nous dire pourquoi vous jugez nécessaire les changements à la Loi sur les secrets officiels? Pouvez-vous nous expliquer en quoi la Loi sur la protection de l'information améliorera les choses pour le SCRS?

M. Elcock: La réalité est que la Loi sur les secrets officiels n'a aucun effet. Il est impossible de poursuivre quiconque aux termes de la loi actuelle, sauf dans les cas d'espionnage les plus flagrants et à condition d'être prêt à divulguer des masses énormes de renseignements périphériques à l'affaire pour obtenir une condamnation. Il fallait donc une loi adaptée à des organisations comme la mienne. Pouvoir garder un secret n'est pas une chose mineure et il importe donc d'avoir une loi efficace permettant de le faire.

Le sénateur Kenny: Pouvez-vous nous indiquer des éléments précis qui vous apportent de meilleurs outils qu'aujourd'hui?

M. Elcock: Le fait que nous pourrons effectivement poursuivre quelqu'un qui révèle des renseignements secrets est en soi un changement capital. La loi actuelle n'est pas praticable au regard de la Charte.

Le sénateur Kenny: Pourriez-vous nous parler de l'astreinte au secret à perpétuité d'une personne par l'administrateur général? J'aimerais savoir si une personne peut être astreinte rétroactivement.

M. Elcock: Je ne pense pas.

Le sénateur Kenny: Je regarde l'alinéa 10(1)a), où je lis:

...elle a eu, a ou aura accès à des renseignements opérationnels spéciaux.

Ces mots m'amènent à penser qu'il y a là un élément de rétroactivité.

M. Elcock: Je pense que des juristes seraient mieux en mesure de vous répondre que moi, mais je ne suis pas sûr que l'on soit désigné à l'égard des renseignements reçus antérieurement. Je ne sais pas si l'astreinte peut être faite a posteriori. Il y astreinte uniquement à partir du moment où l'on est astreint, si c'est ce que vous voulez dire. En d'autres termes, si vous avez eu accès à des renseignements et que le gouvernement décide de vous astreindre, vous n'êtes astreint au secret qu'à partir de ce moment-là.

Le sénateur Kenny: Que se passe-t-il si quelqu'un n'aime pas être astreint? Quel recours a-t-il?

M. Elcock: Pas beaucoup, aux termes de la loi.

Le sénateur Kenny: Qu'en est-il de l'article 29, l'article 15 du projet de loi? Il est question ici d'une divulgation dans l'intérêt public. Pourriez-vous nous en dire plus? Dans quelle circonstance pourrait-on divulguer des renseignements dans l'intérêt public?

M. Elcock: Il est difficile de concevoir un exemple hypothétique. Les avocats ont jugé indispensable, pour respecter la Charte, de prévoir une défense invoquant l'intérêt public; autrement dit, prévoir une défense pour une personne ayant une raison légitime de révéler un renseignement, à défaut de quoi la loi serait vulnérable à une contestation invoquant la Charte.

Le sénateur Kenny: Pouvez-vous nous donner un exemple concret?

M. Elcock: J'imagine que si la personne estimait, pour des raisons justifiables, que l'organisation ou un de ses membres a commis un méfait, cela pourrait s'appliquer. Si elle suit les étapes prévues dans le projet de loi, ce pourrait être une défense fondée sur l'intérêt public. Il est difficile à ce stade de savoir précisément de que les tribunaux accepteraient.

Le sénateur Kenny: Cela vous gêne-t-il? On dirait que ce n'est pas quelque chose que vous auriez voulu voir dans la loi, mais a été inséré pour la mettre à l'épreuve de la Charte.

M. Elcock: C'est probablement une bonne description, sénateur Kenny.

Le sénateur Beaudoin: J'ai soulevé ce matin la question de l'interception de communications privées. Un article dit que le ministre de la Défense nationale peut autoriser l'interception lorsque ces communications privées émanent de l'étranger. Si la communication est interne au Canada, il n'y a rien de changé. Il faut toujours obtenir un mandat judiciaire. Est-ce le cas dans votre centre?

M. Elcock: Oui. Seuls la police et le SCRS ont pouvoir de demander un mandat en vue d'intercepter des communications au Canada.

Le sénateur Beaudoin: Vous seuls.

M. Elcock: Et la police.

Le sénateur Beaudoin: Lorsqu'il s'agit d'une communication internationale, je crois savoir que l'autorisation est donnée par le ministre de la Défense nationale.

M. Elcock: Cet élément de la loi n'a rien à voir avec le SCRS. Il concerne exclusivement le Centre de la sécurité des télécommunications.

Le sénateur Fraser: Monsieur Elcock, vous savez que les parlementaires s'intéressent de près aux modalités, ou aux lacunes, de la surveillance dans ce projet de loi. Vous êtes supervisé par un comité de surveillance. Pouvez-vous nous expliquer comment cela fonctionne et quel effet exerce l'existence de ce comité? Quels sont les avantages et les inconvénients?

M. Elcock: Je pense qu'initialement l'existence d'un comité de surveillance causait un malaise considérable. C'est un comité de surveillance, pas de supervision. Il y a une différence. Il y avait quelques inquiétudes chez nous à ce sujet, et aussi de la part de nos alliés, particulièrement s'agissant d'un comité ayant un très large accès, et le nôtre a le plus large accès de tous ceux que je connais. Ce malaise s'est dissipé en très grande partie, certainement chez nos alliés. À l'intérieur de l'organisation, la plupart considèrent le CSARS comme un élément important du service et du fonctionnement actuel.

Il y a là quelques résultats positifs importants. Si une personne est accusée d'un méfait, il existe au moins un organe qui peut donner à la personne un «blanc seing», c'est-à-dire faire savoir au gouvernement et au public que la personne est innocente. Évidemment, cette entité peut également confirmer que la personne a mal agi mais, généralement parlant, il est bon de pouvoir établir qu'une personne a respecté les règles.

L'autre avantage de ce type de surveillance est qu'il impose une discipline à l'organisation. C'est une bonne chose dans un tel service.

Le sénateur Fraser: Pourriez-vous m'expliquer comment cela fonctionne concrètement? Est-ce que le CSARS passe chez vous une matinée, une fois par an, ou bien vient-il une fois par mois? Lui transmettez-vous des rapports réguliers sur ce qui se passe ou bien ses membres se présentent-ils simplement un jour en disant qu'ils veulent examiner tel et tel dossier? Comment cela fonctionne-t-il?

M. Elcock: Les membres du comité sont nommés. Au début de chaque année, le personnel à temps plein dresse un plan de travail. Ils mettent en place un processus d'examen. Ils peuvent décider d'inspecter les bureaux des Prairies telle année et celui du Québec l'année suivante. Ils peuvent décider d'inspecter nos bureaux ailleurs dans le monde pour voir comment ils fonctionnent. Ils peuvent passer en revue certaines enquêtes, pour voir si le travail était justifié et correctement exécuté.

Les membres du comité entendent également les plaintes formulées contre le service. Le travail de surveillance est un processus continu.

Le sénateur Fraser: Avez-vous bien dit que, tout compte fait, le service considère que c'est un élément positif?

M. Elcock: Oui.

Le sénateur Fraser: Cela introduit un élément de discipline, ainsi que de protection?

M. Elcock: C'est vrai.

Le sénateur Fraser: Y a-t-il des inconvénients?

M. Elcock: C'est un mécanisme assez lourd. Il exige un effort considérable pour fournir l'assistance dont le CSARS a besoin pour faire son travail. Lorsque ce dernier veut examiner nos dossiers sur une opération donnée, quelqu'un de notre bureau doit aller lui expliquer l'opération. Pendant ce temps, cet agent ne fait pas son travail normal, soit les opérations de renseignements. C'est donc assez lourd et parfois il y a des conflits. Par définition, c'est un processus légèrement contradictoire. Le CSARS et le SCRS n'ont pas été conçus pour être copains. Nous sommes des professionnels se portant un respect mutuel, mais la relation n'est pas toujours amicale.

Le sénateur Fraser: Diriez-vous que la structure mise en place par le Canada est plus ou moins rigoureuse que, par exemple, le comité de surveillance du Congrès américain?

M. Elcock: Le mécanisme de surveillance le plus rigoureux du monde, et de loin, est celui du Canada.

Le sénateur Kenny: Une précision: il y a supervision aux États-Unis, mais ce n'est pas le rôle du CSARS ici.

M. Elcock: Je songeais à cela lorsque j'ai donné ma réponse, sénateur Kenny. Je pense que le système canadien comporte un contrôle plus étroit. Certes, c'est affaire d'opinion. J'ai formulé la mienne car le contrôle au Canada est beaucoup plus étendu qu'aux États-Unis. La supervision aux États-Unis tend à être plus étroite que la surveillance exercée au Canada.

Le sénateur Tkachuk: J'aimerais donner suite à notre discussion de ce matin avec la ministre et les fonctionnaires du ministère de la Justice.

On nous a dit que les dispositions du projet de loi concernant la Loi sur la protection des renseignements personnels étaient nécessaires pour des raisons internationales. Autrement dit, il s'agit de faciliter le partage de l'information entre le Canada, l'Europe, les États-Unis et quelques autres pays. Certains renseignements ne sont-ils pas partagés aujourd'hui à cause de l'absence de ces dispositions?

M. Elcock: Je ne pense pas que notre service soit privé aujourd'hui de renseignements à cause de l'absence de cette disposition dans la loi actuelle. Si j'ai bien compris, le ministère de la Justice juge importante cette disposition afin d'aligner la Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la preuve au Canada. Ainsi, on obtiendrait le même résultat dans les deux cas. Je ne pense pas que ce soit motivé par une lacune qui ferait que les pays étrangers craignent que nous ne puissions protéger nos renseignements.

Le sénateur Tkachuk: Comment les protégez-vous aujourd'hui?

M. Elcock: Nous classifions les renseignements et nous ne les communiquons que sur la base du «besoin de savoir». La Loi sur les secrets officiels et la nouvelle loi, qui sera intitulée Loi sur la protection de l'information, seront bien plus importantes, à cet égard, s'agissant de protéger à l'avenir ce genre de renseignements.

Le sénateur Tkachuk: Nous avons parlé ce matin d'éventuelles activités terroristes au Canada. Avez-vous la preuve aujourd'hui, et l'avions-vous avant le 11 septembre, que des terroristes et des groupes terroristes opèrent au Canada?

M. Elcock: Il y a des groupes terroristes, avec des membres, des adhérents et, dans certains cas, des exécutants au Canada, comme dans les autres pays du monde.

Le sénateur Tkachuk: Depuis combien de temps le savez-vous?

M. Elcock: Cela dépend des groupes. Dans certains cas, nous les connaissons depuis longtemps. Certaines des personnes peuvent n'avoir jamais commis de crimes. L'appartenance à certaines organisations n'a jamais été un problème pour personne jusqu'à présent. Un membre d'une organisation terroriste qui n'a jamais commis d'acte criminel, surtout s'il est muni de faux papiers et parfois même de papiers authentiques, pourrait facilement se déplacer dans le monde.

Le sénateur Tkachuk: Qu'est-ce qui changerait avec cette loi?

M. Elcock: Maintes activités menées par les membres de telles organisations seraient dorénavant criminalisées. La levée de fonds serait criminalisée. Un certain nombre d'activités n'étaient pas considérées comme un délit par le passé. Aujourd'hui, la loi permettra de les arrêter.

Le sénateur Tkachuk: Est-ce que vous communiquiez aux fonctionnaires et aux ministres des renseignements montrant que telles personnes dans telles villes levaient des fonds et étaient membres d'une organisation terroriste qui tuait des gens? Est-ce que vous transmettiez ce genre d'information, ou bien nul n'avait-il besoin de les connaître?

M. Elcock: Il est arrivé que nous transmettions des renseignements de ce type. La difficulté avec la levée de fonds terroriste jusqu'à présent était que, même si l'on savait que quelqu'un levait des fonds pour le compte d'une organisation terroriste, la seule possibilité de poursuite aurait été de prouver qu'un billet d'un dollar recueilli au centre-ville de Toronto a servi à acheter des armes dans une autre ville. C'est presque impossible à faire.

Le sénateur Tkachuk: Avec le projet de loi, il est possible, notamment à la police, de réunir des renseignements sur presque n'importe quel Canadien. Est-ce que les gens que vous suiviez pour cause d'implication dans des organisations terroristes, avant et après le 11 septembre, étaient des citoyens canadiens, des réfugiés, ou des personnes en attente de la citoyenneté?

M. Elcock: Toutes ces catégories sont représentées chez les adhérents de groupes terroristes au Canada.

Le sénateur Tkachuk: Beaucoup de citoyens canadiens se livrent-ils au terrorisme?

M. Elcock: Pour vous donner un exemple, je crois que M. Carter, ce monsieur dont le nom a été ajouté à la liste la plus récente des personnes dont les biens ont été bloqués, est un citoyen canadien.

Le sénateur Tkachuk: Les citoyens sont-ils en majorité?

M. Elcock: Probablement pas.

Le sénateur Tkachuk: De quelle partie du monde tendent-ils à être originaires?

M. Elcock: Ils viennent de toutes les parties du monde. L'une des caractéristiques admirables de la société canadienne est que nous avons des populations venant de virtuellement toutes les parties du monde. Malheureusement, dans certaines de ces régions, des luttes se déroulent, pour une raison ou pour une autre, et souvent on y trouve des groupes terroristes. Des membres de ces derniers aboutissent chez nous, immergés dans le reste de la population.

Le sénateur Tkachuk: Je ne sais pas si j'ai raison ou non, mais il m'apparaît qu'il y a deux sortes de groupes terroristes: ceux qui veulent nous nuire et ceux qui, pour une raison ou une autre, n'aiment pas ce qui se passe dans leur pays et veulent nuire à d'autres.

M. Elcock: Ce n'est pas une mauvaise classification.

Le sénateur Tkachuk: Ceux qui veulent nuire aux Nord- américains, d'où viennent-ils?

M. Elcock: Les groupes les plus éminents en ce moment sont les terroristes sunnites, comme l'organisation de Ben Laden, al-Qaeda, et plusieurs organisations somaliennes et égyptiennes affiliées.

Le sénateur Tkachuk: Le gouvernement devrait-il faire quelque chose pour aider le SCRS à faire son travail? Plus tôt nous mettrons en place les ressources requises pour rassembler des renseignements sur ces groupes et soit les poursuivre soit les expulser du pays et plus les Canadiens se sentiront en sécurité.

Avez-vous formulé des suggestions au gouvernement susceptibles de rendre votre travail plus efficace?

M. Elcock: En ce qui nous concerne, comme je l'ai dit, ce projet de loi ne renforce pas nos pouvoirs. En un sens, les pouvoirs dont nous disposons suffisent largement. Pour ce qui est des ressources, comme je l'ai dit en réponse à une question antérieure, le gouvernement a indiqué qu'il se penchait sur les besoins à plus long terme d'organisations comme le SCRS et d'autres. Une décision à ce sujet interviendra dans un avenir proche.

Ce projet de loi, en revanche, confère, non pas à nous mais aux services de police, des pouvoirs nouveaux permettant de poursuivre pour des comportements qui jusqu'à présent ne tombaient pas sous le coup de la loi.

Le sénateur Jaffer: J'ai une question dont je ne sais pas si elle est appropriée. Vous me direz si elle l'est ou non.

M. Elcock: Il n'y a pas de questions inappropriées, uniquement des réponses stupides.

Le sénateur Jaffer: Vous êtes très aimable. En réponse à une question antérieure, vous avez nommé certains groupes qui vous inquiètent. Il y a des personnes honnêtes dans ces groupes qui m'ont contacté parce qu'elles craignent le profilage racial. J'aimerais savoir si vous établissez des profils raciaux et si, pour dresser cette liste de groupes terroristes, vous aurez un droit élargi de faire du profilage racial?

M. Elcock: Nous faisons effectivement du profilage. Les profils que nous dressons visent essentiellement à communiquer aux services d'immigration un ensemble d'éléments à repérer, s'agissant de groupes ou d'organisations particuliers. Ce ne sont pas des caractéristiques de nature raciale. Les profils ne sont pas axés sur la couleur, mais plutôt sur l'origine, sur les antécédents éducationnels et professionnels, et divers autres éléments. Dans certains cas, nous ciblons, mettons, les Somaliens qui ont fréquenté une école donnée et cela peut donc sembler un profil racial, mais ce n'est pas le cas.

Le sénateur Jaffer: Vous avez mentionné l'immigration. Normalement, une fois que des personnes sont admises comme réfugiés, vous êtes souvent appelés à les rencontrer et à les interroger une fois qu'elles s'établissent. Intervenez-vous également avant ce stade?

M. Elcock: Le projet de loi C-11, qui modifie la Loi sur l'immigration, nous charge d'un filtrage préalable des demandeurs d'asile. Nous ne faisions pas cela jusqu'à présent, mais à l'avenir nous filtrerons les immigrants à leur arrivée. Les noms nous serons communiqués par les services d'immigration et nous espérons les contrôler de manière aussi efficiente que nous le faisons avec les immigrants reçus.

Le sénateur Jaffer: Effectuerez-vous également un filtrage dans les pays d'origine, ou bien seulement à leur arrivée?

M. Elcock: Nous filtrerons sur la base des noms qui nous seront communiqués par le ministère de l'Immigration.

Le sénateur Joyal: Les médias ont fait état d'une cinquantaine d'organisations terroristes au Canada, impliquant plus de 350 personnes. Pouvez-vous confirmer ces chiffres?

M. Elcock: Madame la présidente, les médias ont tiré ce chiffre d'une intervention que j'avais faite initialement au Comité sénatorial du sénateur Kelly. Cette déclaration, qui a été reproduite depuis dans tous les journaux du pays, représentait simplement un instantané à un moment donné dans le temps. Le chiffre que nous pourrions donner à tout moment pourrait être plus élevé ou plus faible, selon ce qui retient alors notre attention. Nous gérons des risques et nous quantifions le plus haut risque à tout moment donné.

Il n'y a rien de magique dans ces chiffres de 350 et 50. La réalité est qu'il existe des terroristes et des adhérents d'organisations terroristes qui cherchent à venir au Canada et qui le sont déjà, et un certain nombre d'organisations ont une structure ici.

Le sénateur Joyal: À votre avis, si le projet de loi est adopté tel quel, pouvons-nous conclure que certaines des personnes que vous surveillez depuis quelques années seront traduites en justice sous peu pour répondre soit d'infractions à la législation fédérale antérieure soit des nouvelles infractions créées par le projet de loi?

M. Elcock: Je ne pense pas qu'il y en aura une foule car il n'y a pas des milliers ou des dizaines de milliers de terroristes au Canada. Je pense qu'il y aura des poursuites en vertu de la nouvelle législation. La législation actuelle ne permet guère, dans la plupart des cas, d'intenter des poursuites, à moins que quelqu'un ait commis un acte terroriste comportant la perpétration d'une infraction. Il y aura probablement des poursuites en vertu de la nouvelle législation, mais le processus pour cela ne sera pas nécessairement facile. Ce sera une procédure judiciaire qui, par définition, avec les divers recours, prendra probablement du temps avant d'aboutir. Cela ne se fera pas du jour au lendemain, mais la législation fournira certainement des outils supplémentaires à la police lui permettant de poursuivre les membres d'organisations terroristes.

Le sénateur Joyal: En d'autres termes, vous n'êtes pas en mesure de nous dire, pour prendre l'exemple de l'organisation al-Qaeda liée à Oussama ben Laden, que ces personnes seront traduites en justice sous peu pour cause d'appartenance à une organisation terroriste contre laquelle le Canada a engagé ses forces armées?

M. Elcock: L'appartenance n'est pas un délit. Pour qu'une personne puisse être inculpée en vertu de la nouvelle loi, la police aura besoin de prouver que la personne a commis certains actes tombant sous le coup de la loi.

Il faudra pour cela intenter une poursuite et un procès. Il y aura toutes les possibilités d'appel et cetera. Ce processus pourra démarrer une fois le projet de loi adopté, mais ce n'est pas un processus qui aboutit du jour au lendemain.

Le sénateur Joyal: En d'autres termes, même si le projet de loi était adopté sous peu, cela ne signifie pas que les membres d'une organisation terroriste seront traduits en justice au Canada dans un avenir proche, pas plus ceux liés à M. Oussama ben Laden que les autres?

M. Elcock: Nous assisterons la police et la police cherchera à poursuivre tous ceux que nous pourrons trouver et qui ont, effectivement commis une infraction à la nouvelle législation. Ce processus, même si nous les identifions tous et avons plusieurs candidats, ne sera pas rapide. La loi offre quantité de recours.

Le sénateur Joyal: Vous avez dit que la teneur du projet de loi servira surtout à la police et non à votre service. Autrement dit, si on insère une clause de temporisation dans ce projet de loi, cela ne vous entraverait pas sensiblement?

M. Elcock: Le projet de loi n'a, à toutes fins pratiques, pas d'effet sur notre mandat à ce stade, si bien que l'ajout de n'importe quelle disposition n'en aurait pas non plus, manifestement. L'ajout d'une clause couperet signifierait que les dispositions qui permettent de poursuivre des terroristes pour certains types d'infractions expireraient.

Le sénateur Joyal: Par exemple, le commissaire à la protection de la vie privé a mentionné que les articles 103 et 104 pourraient retentir sur vos activités. Vous ne craignez pas que même si ces deux dispositions spéciales étaient modifiées, cela gênerait votre fonctionnement normal?

M. Elcock: La raison de cette modification est d'assurer la cohérence entre deux lois. Il s'agit de produire un résultat similaire aux termes des deux lois. Par définition, il pourrait se produire une situation à l'avenir où cette disposition pourrait être invoquée et serait importante. Cependant, comme je l'ai déjà dit, il n'y a à ce stade aucun obstacle nous empêchant de partager nos renseignements avec des services étrangers ou des pays étrangers.

Le sénateur Joyal: Est-il vrai, comme le disent les médias américains, que des terroristes sont actifs au Canada et que nous n'avons pas la capacité de communiquer aux autorités américaines les renseignements dont elles ont besoin. Selon vos connaissances et votre expérience, est-ce vrai?

M. Elcock: Non, je ne le pense pas du tout. La réalité, dans tous les pays démocratiques occidentaux, modernes, est que si vous autorisez la libre circulation des personnes et des capitaux, comme l'exige une économie moderne, certaines personnes vont parvenir à s'infiltrer. C'est vrai aux États-Unis tout comme en Europe occidentale. Nous sommes dans le même bateau et la plupart des organisations avec qui je traite vous diront la même chose.

Le sénateur Joyal: Est-ce que des groupes terroristes basés aux États-Unis sont actifs au Canada?

M. Elcock: Je ne vois pas de quels groupes vous parlez.

Le sénateur Joyal: Celui, par exemple, lié à Timothy McVeigh?

M. Elcock: Les milices ne semblent pas implantées au Canada. Ce n'est pas un mouvement qui a bien su franchir la frontière.

Le sénateur Joyal: Ils pourraient s'installer au Canada pour planifier des activités terroristes aux États-Unis.

M. Elcock: C'est toujours possible.

Le sénateur Joyal: Cela s'est-il produit dans le passé, à votre connaissance?

M. Elcock: Non.

Le sénateur Joyal: Et aucun autre groupe terroriste basé aux États-Unis?

M. Elcock: Cela couvre un vaste territoire. Je n'irais pas jusque-là.

Le sénateur Murray: J'aimerais aborder un sujet avec M. Elcock. Êtes-vous convaincu que le SCRS dispose maintenant des outils adéquats pour décrypter les messages codés?

M. Elcock: Le problème du cryptage est difficile. Il ne fait aucun doute que les groupes terroristes et d'autres font largement appel au cryptage. Il y a quelques moyens de déjouer le cryptage. Il existe certaines techniques de décodage. Le cryptage oblige plutôt à modifier les méthodes d'enquête plutôt que de constituer un obstacle total aux enquêtes.

Le sénateur Murray: Le comité sénatorial a fait savoir que lorsque le SCRS, la GRC et d'autres ont comparu devant le comité, ils ont réclamé un régime législatif ou réglementaire qui obligerait à vous communiquer les clés utilisées pour chiffrer et déchiffrer les messages et données emmagasinés. Plus tard, il a indiqué que vous demandiez une modification du Code criminel afin d'obliger le détenteur d'une clé de chiffrement ou d'un mot de passe à vous le communiquer sur mandat judiciaire. Il a ajouté qu'il est clair que les services de renseignements et de police sont du côté des perdants dans le débat sur le cryptage. Le côté gagnant dans ce débat, apparemment, ce sont les considérations touchant le coût, les exportations, la croissance économique, la vie privée, la confidentialité, et cetera.

Ils disent que les autres solutions seraient coûteuses, longues à mettre en oeuvre et, dans le cas d'un cryptage sophistiqué, inefficace. Est-ce que ce projet de loi n'aurait pas été une bonne occasion de vous doter des instruments que vous recherchiez lorsque vous avez comparu devant le comité sénatorial?

M. Elcock: Je crois que quelques discussions ont eu lieu portant sur certains éléments de ce que l'on pourrait appeler l'accès légal, notamment aux données chiffrées, dans un certain nombre d'autres domaines. C'est une possibilité qui reste d'actualité et il est question d'un deuxième projet de loi qui pourrait contenir certaines de ces dispositions. D'une certaine façon, ce serait une mesure législative plus compliquée.

Le sénateur Murray: J'en ai conscience et j'attends de voir le deuxième projet de loi.

Le sénateur Tkachuk: En ce qui concerne les 72 heures dont vous disposez pour contrôler un demandeur d'asile, si c'est la bonne expression, ce délai est-il suffisant?

M. Elcock: Les 72 heures ne concernent pas notre vérification du nom dans notre système ni d'autres contrôles sur la personne. C'est un délai qui touche l'immigration. Dans la plupart des cas, nous pourrons respecter une échéance de 72 heures car nous faisons surtout ces vérifications par ordinateur. Cependant, ce délai ne concerne pas notre enquête sur des demandes d'asile particulières.

Le sénateur Tkachuk: Les contrôlez-vous tous?

M. Elcock: Oui, tous les noms de demandeurs d'asile.

Le sénateur Tkachuk: Combien de personnes cela fait-il par semaine ou par mois?

M. Elcock: Je crois qu'il y a de l'ordre de 40 000 ou 50 000 demandeurs d'asile par an, c'est donc une liste de noms assez longue.

Le sénateur Tkachuk: Sur ce nombre, combien viennent-ils de pays dont vous avez indiqué qu'ils nous veulent du mal, à votre avis?

M. Elcock: C'est impossible à prédire. Les réfugiés tendent à venir de régions du monde où se pose un problème particulier. Ce problème peut être une famine ou une crise économique, par exemple.

Le sénateur Tkachuk: D'à peu près tous les continents, excepté l'Amérique du Nord et du Sud?

M. Elcock: Oui.

Le sénateur Tkachuk: À quel stade du processus vous demande-t-on de vérifier si une personne a des liens terroristes ou est inadmissible? Le mécanisme de détermination du statut de réfugié est complexe. Je ne sais pas dans quelle mesure le projet de loi C-11 va changer cela, mais aurez-vous à intervenir dès le début, lorsque la demande d'asile est formulée?

M. Elcock: Oui.

Le sénateur Tkachuk: Que la demande soit présentée ici au Canada ou à l'étranger, le nom vous est-il communiqué presque immédiatement?

M. Elcock: Il le devrait, oui.

Le sénateur Tkachuk: Citoyenneté et Immigration détermine ensuite si le demandeur est admissible. Le ministère attend-il votre réponse avant de prendre cette décision?

M. Elcock: Cela dépend de notre capacité à fournir quelque chose rapidement ou non. Dans la plupart des cas, il n'y aura pas de problème. Dans d'autres, cela pourra nous prendre plus longtemps. Le réfugié n'a pas fini toute la procédure, même si sa demande est jugée admissible. Dans d'autres cas, il nous faudra recueillir davantage de renseignements avant de pouvoir donner une réponse au ministère.

Le sénateur Tkachuk: Vous travaillez donc sur cette personne en même temps qu'elle suit la procédure?

M. Elcock: Oui, il peut arriver que nous donnions des compléments d'information au ministère.

Le sénateur Joyal: Monsieur Elcock, est-il arrivé que votre service soit poursuivi en justice par des personnes estimant que vous avez outrepassé votre mandat?

M. Elcock: Il serait surprenant que nul ne se plaigne d'un service de renseignement. Des gens se plaignent de ce qu'ils pensent que nous avons fait ou n'avons pas fait. Oui, cela arrive.

Le sénateur Joyal: Pourriez-vous être plus précis? Quelle était la dernière fois?

M. Elcock: Je ne suis pas sûr de laquelle vous parlez, sénateur.

Le sénateur Joyal: Je vous ai demandé quelle était la dernière affaire.

M. Elcock: Cela ne me revient pas. J'ai un blanc. Nous recevons des plaintes.

Le sénateur Joyal: Quelles sortes de plaintes?

M. Elcock: Les plaintes sont aussi variées que les personnes qui les formulent. Il y a des plaintes de personnes qui pensent que nous transmettons des messages par micro-ondes à travers leurs dents. Nous avons eu des plaintes plus rationnelles de personnes qui pensent être suivies. La filature peut être de notre fait ou être le fait de quelqu'un d'autre. Nous recevons des plaintes d'organisations qui pensent que nous les considérons comme terroristes et qui veulent se défendre contre ces accusations. Il y a une grande diversité de plaintes.

Le sénateur Joyal: Comment les traitez-vous, par rapport au comité de surveillance?

M. Elcock: La procédure énoncée dans la Loi sur le SCRS est que la plainte doit m'être adressée. Je la renvoie ensuite au CSARS qui donne suite.

Le sénateur Joyal: Est-ce que cela déclenche un réajustement de votre opération? Comment réagissez-vous lorsque vous apprenez qu'une plainte a été déposée?

M. Elcock: Cela n'entraîne aucun changement dans nos opérations. Il y a simplement un mécanisme parallèle. Le plaignant fera valoir son dossier auprès du CSARS. Nous donnerons notre réponse au CSARS, lequel tire sa conclusion, quelle qu'elle soit.

Le sénateur Joyal: À la fin de l'année, ou après une certaine période de temps, vous passez en revue ces conclusions. Faites-vous un rapport au ministre, par exemple, sur le type de réajustement effectué s'il s'avère que vos méthodes devaient être adaptées à un contexte spécial?

M. Elcock: Dans la plupart des cas, si le CSARS avait une recommandation qui modifierait notre fonctionnement ou notre façon de travailler, il formulerait cette recommandation au ministre. Le ministre devrait alors décider s'il veut ou non que nous la suivions.

Le sénateur Joyal: Cela est-il arrivé récemment?

M. Elcock: Pas récemment, pour autant que je me souvienne, mais cela est déjà arrivé, oui.

Le sénateur Kelleher: Nous avons parlé tout à l'heure de vos nouveaux crédits. J'ai conscience, tout comme vous, des compressions d'effectifs drastiques que vous avez subies. Je pense que cela est à l'origine de certaines critiques formulées à l'endroit de la performance du SCRS. Est-ce que les crédits supplémentaires qui vous seront alloués rétabliront votre ancien niveau de service et vos effectifs? Je ne vais pas nommer de noms. Ou bien continuerez-vous à manquer de moyens?

M. Elcock: Si nous devions recevoir soudain, le matin de Noël, toutes les ressources que nous avons perdues au titre de la lutte contre le déficit, je ne suis pas sûr que nous saurions quoi en faire. Si nous devions absorber la différence entre l'effectif initial du SCRS et le chiffre actuel, qui est de l'ordre de 700 personnes, il serait impossible pour nous de former autant de gens et de les intégrer dans l'organisation. Cela excéderait notre capacité à faire face.

Le sénateur Kelleher: Pensez-vous que les nouveaux crédits que vous recevrez vous ramèneront à un niveau que vous jugez convenable?

M. Elcock: Comme toute autre organisation, nous savons ce dont nous avons besoin et nous en avons fait part au gouvernement. Nous devrons attendre de voir quelle sera réellement la décision du gouvernement. Comme ce dernier l'a annoncé publiquement, ces questions sont actuellement à l'étude. Les décisions seront prises prochainement.

Le sénateur Finestone: Madame la présidente, j'ai été retenue en dehors de la ville ce matin. Toutefois, j'ai entendu à la radio en cours de route une interview très intéressante d'un ancien directeur du SCRS. Je vous recommande de demander la transcription de ses propos. Il s'inscrivait dans une optique extrêmement intéressante. Cela a suscité dans mon esprit quelques questions dont j'aimerais vous faire part.

Il a déclaré notamment que le SCRS a toujours possédé des droits spéciaux, s'agissant d'intercepter et d'enregistrer des conversations téléphoniques, qu'il s'agisse d'un téléphone cellulaire ou d'une ligne régulière. Ces droits spéciaux s'appliquaient pour une durée d'un an. Cependant, le service n'avait nulle obligation d'informer la partie visée par ces écoutes. Je crois savoir que le projet de loi - et je ne sais pas quel est le numéro de l'article - confère maintenant le droit à la police d'enregistrer les conversations pendant une certaine période, mais avec obligation à la fin de cette dernière, qui est d'un an, je crois, d'informer l'intéressé de cette surveillance. Avec cette divulgation au grand public, la partie surveillée pourrait donc se protéger ou intenter un recours en justice.

Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais cet ancien directeur formulait quatre préoccupations. Si j'avais su que j'allais siéger à ce comité, j'aurais pris des notes, mais c'est difficile à faire en conduisant. J'aimerais connaître votre réaction à cette observation.

M. Elcock: La description de nos pouvoirs est à peu près exacte. L'article 21 de notre loi nous permet de demander des mandats autorisant l'interception de communications, sans en aviser quiconque. La raison de cette absence de notification est que nous sommes, par définition, un organisme agissant dans le secret. Nous ne travaillons pas sous le regard du public. Nous ne recueillons pas des preuves comme la police. Nous ne sommes pas astreints aux normes de la preuve. Notre rôle en est un de prévention, non d'application de la loi.

À notre sens, il est irrationnel d'aviser quiconque. Mais, dans le cas de la police, les règles sont différentes et l'ont toujours été. Le projet de loi donnera à la police des pouvoirs accrus, s'agissant de la durée des mandats d'interception, et cetera, de même que sur le plan des avis.

Le sénateur Finestone: Ils doivent informer l'intéressé après coup.

M. Elcock: Je crois que c'est juste.

Le sénateur Finestone: À votre avis, cela réduit-il votre capacité?

M. Elcock: Cela n'a aucun effet sur nos pouvoirs.

Le sénateur Finestone: Est-ce que la police, munie de ces nouveaux pouvoirs, doit vous informer qu'elle écoute quelqu'un et a mis en place une surveillance?

M. Elcock: Nous essayons de ne pas surveiller la même cible ou d'effectuer la même interception. Il y a coordination entre la police et nous.

Le sénateur Finestone: Ce n'est pas comme ce que l'on voit dans certains feuilletons télévisés, où les agents de divers services se marchent les uns sur les autres.

M. Elcock: Nous essayons de l'éviter.

Le sénateur Joyal: Aux dires de certains, le gouvernement américain a été informé, avant les événements du 11 septembre, qu'une attaque terroriste aurait lieu. Les Américains étaient-ils avertis?

M. Elcock: On s'attendait depuis quelque temps, madame la présidente, à une action terroriste de la part d'al-Qaeda, particulièrement depuis le printemps dernier et l'été.

Le sénateur Joyal: Aviez-vous les mêmes renseignements en provenance de vos propres sources?

M. Elcock: Nous avions quelques renseignements venant de nos propres sources. Nous partageons évidemment ces renseignements avec un certain nombre d'autres services.

Le sénateur Joyal: Vous n'étiez donc pas les seuls à savoir qu'al-Qaeda allait frapper?

M. Elcock: Non.

Le sénateur Joyal: Lorsque vous recevez ce genre d'information, en faites-vous part aux divers services avec lesquels vous êtes normalement en contact?

M. Elcock: Oui.

Le sénateur Joyal: Aviez-vous les mêmes renseignements suite à l'initiative de la coalition internationale en Afghanistan? Avez-vous transmis l'information indiquant qu'il pourrait y avoir des représailles de la part d'al-Qaeda en dehors de l'Afghanistan?

M. Elcock: Étant donné les capacités de cette organisation et ses antécédents, on ne peut minimiser la probabilité de certaines représailles.

Le sénateur Joyal: Disposez-vous d'autres éléments précis qui pourraient vous mettre sur la piste de quelque chose?

M. Elcock: Pas à ce stade, en dépit de tous nos efforts.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Elcock. Nous apprécions votre comparution cet après-midi. Vous nous avez apporté beaucoup de renseignements que nous ne possédions pas.

Honorables sénateurs, nos prochains témoins représentent l'Agence des douanes et du revenu du Canada et le ministère des Finances. Nous les remercions tous de leur présence. Nous allons commencer par un survol qu'effectuera M. Roy, sous-ministre adjoint au ministère des Finances. Nous avons également avec nous un autre vétéran, M. Horst Intscher, également du ministère des Finances, qui est le directeur du Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada. Nous avons aussi Mme Walsh et M. Snider, de l'Agence des douanes et du revenu du Canada, ainsi que M. Lalonde, M. Seeto et M. Ernewein, du ministère des Finances.

Vous avez la parole, monsieur Roy.

M. Yvan Roy, sous-ministre adjoint, conseiller juridique, ministère des Finances: Honorables sénateurs, je n'ai pas prévu de vous faire un long exposé cet après-midi sur les effets particuliers du projet de loi sur le ministère des Finances ou l'ADRC. Je pourrai mettre en lumière sommairement certains éléments qui pourraient vous intéresser particulièrement. Les parties du projet de loi qui nous touchent sont la Partie 4 et la Partie 6. La Partie 4 se trouve à la page 87 du projet de loi, du moins dans la copie que je possède, et la Partie 6 commence à la page 125.

Pour ce qui est de la Partie 4, il y a là un certain nombre de modifications à la loi adoptée par le Parlement l'an dernier et qui érigeaient un organisme responsable de la lutte contre le blanchiment d'argent, soit FinTRAC. Le gouvernement propose d'élargir la mission de cet organisme afin d'assurer qu'il lutte ou contribue à la lutte non seulement contre le blanchiment d'argent mais également contre le financement du terrorisme.

La ministre de la Justice vous a informés que le projet de loi introduit un certain nombre de modifications du Code criminel permettant au Canada de ratifier la Convention des Nations Unies sur la répression du financement du terrorisme. L'une des dispositions particulièrement intéressantes du projet de loi est celle qui interdit le financement du terrorisme.

Nous avons mis en place un organisme qui sera bientôt opérationnel. Celui-ci sera chargé d'examiner et d'analyser les transactions afin d'identifier les tendances et contribuer à la lutte contre le terrorisme, et plus particulièrement le financement du terrorisme. Le projet de loi met en place les outils qui serviront à s'attaquer au financement du terrorisme.

Le gouvernement propose que le centre analyse ces informations et les transmette à un service tel que le SCRS. Le centre transmet ces renseignements lorsque, à son avis, il y a menace envers la sécurité du Canada.

En outre, le centre pourra conclure des accords avec ses homologues d'autres pays afin de mettre en place ce filet dont on parle et d'intervenir conjointement le cas échéant. Voilà ce que vise la Partie 4.

La Partie 6 met en place une loi entièrement nouvelle qui s'intitulera Loi sur l'enregistrement des organismes de bienfaisance (renseignements de sécurité). Cette loi, si elle est adoptée par le Parlement, donnera à l'État les outils pour refuser le statut d'organisme de bienfaisance à certaines organisations. Comme vous le savez, il est possible de faire des dons à des oeuvres de charité et de bénéficier ainsi de déductions fiscales. La loi permettra au ministre responsable de l'ADRC, soit le ministre du Revenu, ainsi qu'au Solliciteur général, d'émettre un certificat refusant à une organisation le statut d'oeuvre de bienfaisance. Ce certificat fera l'objet d'un examen judiciaire de la part de la Cour fédérale. Cette dernière peut alors décider s'il était raisonnable, dans les circonstances, d'émettre ce certificat. Vous verrez qu'il y a là un mécanisme détaillé à cet effet.

Une fois le statut refusé, il en résulte certaines conséquences fiscales. La plus évidente et la plus importante est que l'organisme de bienfaisance ne peut plus remettre aux donateurs de bordereau de déduction fiscale.

D'autres conséquences résultent de cette disposition. Si vous souhaitez que nous les passions en revue, nous le ferons avec plaisir.

Ce sont là deux outils importants qui nous aideront à combattre le terrorisme en asséchant les sources de financement des organisations ayant pour raison d'être de terroriser le public canadien.

[Français]

Le sénateur Bacon: La loi accordera au solliciteur général des pouvoirs additionnels pour contrer le financement du terrorisme. Elle lui donnera même le pouvoir de retirer l'enregistrement d'un organisme de charité.

Ce retrait se ferait-il uniquement dans le cas où il existe une preuve à l'effet que des fonds sont à la disposition des terroristes ou dans le cas où les autorités policières auraient des soupçons d'une telle possibilité?

Si ce pouvoir de retirer l'enregistrement d'organismes de bienfaisance n'existe pas en ce moment, existe-t-il déjà si l'on se rend compte que ceci ou cela profite à des activités criminelles?

M. Roy: À l'heure actuelle, les dispositions importantes à cet égard se retrouvent à l'alinéa 4 de ce qui deviendrait la Loi sur l'enregistrement des organismes de bienfaisance.

Le ministre, le solliciteur général et le ministre responsable du Revenu national devront avoir des motifs raisonnables de croire que l'un ou l'autre des trois éléments qui se retrouvent à cet alinéa 4 s'appliquent en l'espèce.

Une fois le certificat émis, la Cour fédérale doit réviser le tout afin de s'assurer que c'est raisonnable. Il est clair qu'à cet effet les autorités policières devront fournir une preuve car il ne suffit pas d'avoir une opinion qui n'est pas appuyée par quoi que ce soit. Une preuve doit être faite afin qu'un juge soit d'accord avec le ministre habilité, pour qualifier de raisonnable l'émission du certificat. Évidemment, la preuve doit se faire en fonction de l'un des éléments prévus à l'alinéa 4.

Le sénateur Bacon: Avez-vous déjà procédé au retrait de l'enregistrement pour des raisons d'activités de nature criminelle?

M. Roy: Ce pouvoir existe déjà pour les certificats. En matière d'immigration, ce pouvoir, par exemple dans les cas d'individus soupçonnés d'appartenir à des cellules terroristes. En vertu de la Loi sur l'immigration, il est possible, lorsqu'on tente de leur refuser le statut de réfugié, d'émettre un certificat qui est révisable devant les tribunaux.

Vous savez déjà tous qu'aucune décision gouvernementale ne peut être prise sans qu'il y ait possibilité d'une révision judiciaire. Les tribunaux l'ont établi il y a déjà plusieurs années et même les décisions du Cabinet sont révisables.

Ce texte prévoit un processus de révision encadré. Plutôt que de laisser le tout à l'utilisation de la common law, ce texte de loi prévoit le cadre dans lequel cela doit se produire, évitant ainsi l'éventualité de difficultés procédurales. En soi, la révision judiciaire correspond à ce qui se fait généralement dans ce domaine.

Le sénateur Bacon: J'aimerais qu'on revienne à la page 16, l'alinéa 83.05. La loi prévoit que le solliciteur général aura la possibilité de recommander l'inscription d'une personne ou d'une organisation sur la liste des terroristes. Quelles sont les garanties que seules les entités relevant du domaine terroriste seront consignées sur cette liste et qu'on ne retrouvera pas des individus ou des organisations qui s'opposent à la mondialisation, des membres de syndicats ou, tout simplement, des personnes qui pratiquent un culte religieux?

M. Roy: Je suis avocat et conseiller juridique au ministère des Finances. L'avocat que je suis vous dira que ce qui fait foi de tout dans ce domaine, c'est la définition d'activités terroristes et la possibilité que les tribunaux en viennent à la conclusion que les listes créées sont trop larges.

En ce qui a trait à la définition proposée par le gouvernement, je vous dirai qu'elle cherche à éviter d'être trop large et trop vague en s'assurant que les gens qui protestent par des moyens légitimes ne soient pas visés par la définition que vous avez ici.

Une fois qu'on aura qualifié la définition comme étant raisonnable, il y a dans ce cadre donné la possibilité d'intervention des tribunaux pour ramener les choses dans un juste contexte. À mon avis, un cabinet a un intérêt inhérent à s'assurer que les listes ne soient pas trop larges ou trop vagues. Et si cet intérêt inhérent n'est pas satisfait, les tribunaux pourront intervenir.

Il s'agit pour nous de regarder le contexte et de voir s'il risque de fonctionner. Il y a dans ce contexte des vérifications et contrôles qui passent par la définition, par l'intérêt du gouvernement de ne pas aller trop loin et, en bout de ligne, par l'intervention possible des tribunaux pour que le tout reste dans le cadre du raisonnable.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk: J'ai quelques questions sur le blanchiment d'argent. Je siégeais au comité qui a révisé cette loi. À l'époque, on nous a dit qu'il importait d'adopter le projet de loi afin que le centre puisse être mis sur pied. Pouvez-vous nous dire, monsieur Intschster, si FinTRAC est en état de marche? Le centre est-il pleinement fonctionnel?

M. Horst Intscher, directeur, Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada, ministère des Finances: C'est imminent, sénateur. Comme vous le savez, le centre a été créé le 5 juillet 2000. Notre tâche immédiate a été de recruter du personnel et de trouver des locaux. Nous avons été occupés à former des analystes et à mettre en place les systèmes pour faire face aux flux d'information attendus.

Avec nos collègues du ministère des Finances, nous avons également procédé à des consultations poussées avec les entités déclarantes en vue de formuler les règles régissant les déclarations exigées par la loi.

Le règlement a été prépublié en février. Nous avons reçu dans le courant du printemps et de l'été les avis des entités déclarantes. Le règlement a ensuite été révisé. Nous avons scindé le règlement en plusieurs parties afin d'en faciliter la mise en application. Nous comptons être en mesure de recevoir les déclarations volontaires dans une semaine. Le règlement obligeant à déclarer les transactions suspectes entrera en vigueur le 8 novembre, date à laquelle nous serons opérationnels.

Le deuxième ensemble de règles sera publié plus tard cet automne. Elles couvriront la déclaration des transferts de fonds électroniques, des grosses transactions en espèces et les transferts de devises transfrontaliers. Ces contraintes de déclaration prendront effet début 2002.

Le sénateur Tkachuk: Dans la partie du projet de loi relative aux enquêtes, un certain nombre de pouvoirs sont conférés aux fins de la collecte de preuves. Pourrez-vous utiliser cet outil, ou bien des fonctionnaires pourront-ils s'en servir pour convoquer des avocats, des présidents de banque ou des comptables pouvant être affiliés non seulement avec des groupes de type mafia, des criminels organisés, mais également des terroristes? Ce pouvoir pourrait-il être organisé de cette manière?

M. Intscher: Je demanderai à mon collègue, M. Roy, de répondre. Cependant, ce n'est pas là un pouvoir à la disposition de FinTRAC. FinTRAC ne peut recevoir que des renseignements dont la déclaration est obligatoire.

Le sénateur Tkachuk: Et vous les transmettez à qui de droit.

M. Intscher: Si nous avons des motifs raisonnables, oui.

Le sénateur Tkachuk: Les renseignements sont transmis à M. Roy, et M. Roy dit qu'il peut peut-être convoquer ces banquiers. En avez-vous le pouvoir aujourd'hui, ou l'aurez-vous si le projet de loi est adopté?

M. Roy: Actuellement, la loi dans notre pays dit que l'on n'est pas obligé de parler aux autorités si l'on ne veut pas.

Le sénateur Tkachuk: Je sais ce qu'est le droit aujourd'hui.

M. Roy: Le but de l'article 4, modifiant l'article 83.28 est de contraindre certaines personnes à comparaître devant un juge pour donner témoignage. Je ne pense pas que ce soit limité à une catégorie particulière de personnes. Notre expérience avec les institutions financières montre qu'elles collaborent avec les autorités chaque fois que possible.

Ce qui est envisagé, avec ces audiences d'instruction, est de pouvoir traduire devant un juge, afin de faire avancer une enquête, des personnes pouvant être impliquées d'une façon ou une autre avec des activités terroristes et qui ne sont nullement animées par le civisme dont font preuve habituellement les institutions financières.

N'oubliez pas que ces dispositions comportent également quelques garanties. La Constitution donne le droit de ne pas s'incriminer soi-même et, par conséquent, tout ce que vous direz à ces audiences ne pourra être retenu contre vous. Nulle preuve dérivée de ce que vous avez dit ne pourra être utilisée contre vous à l'avenir. Pour répondre plus directement à votre question, cette disposition ne vise pas que des personnes précises, c'est un pouvoir plus large.

Le sénateur Tkachuk: Vous dites que ce n'est pas seulement l'homme avec un pistolet caché dans sa chemise mais également le président d'une banque, le comptable ou l'avocat qui peuvent être convoqué à ces audiences d'instruction. Je ne dis pas que vous allez le faire, je dis simplement que vous avez maintenant le pouvoir de le faire. N'est-ce pas?

M. Roy: Vous avez raison, dans la mesure où on peut considérer que la personne peut apporter des renseignements relativement à une infraction de terrorisme. Cela n'est pas limité à une catégorie donnée de personnes.

Si le projet de loi avait été rédigé ainsi, je suis convaincu que d'aucuns auraient dit que c'est trop restrictif et qu'il faudrait plus pour que cette mesure soit utile. En fin de compte, tout dépend de qui est prêt à utiliser un pouvoir comme celui-ci.

Permettez-moi une autre observation. Du fait que l'on ne peut utiliser ces renseignements contre la personne qui les donne, ou les preuves dérivées des renseignements ainsi obtenus, nous avons là un régime équilibré. Il y a une incitation pour l'État à ne pas utiliser ce mécanisme, à moins de ne pas avoir d'autre choix.

Est-ce que l'État va utiliser ce pouvoir? Je ne peux le prédire.

Le sénateur Tkachuk: Moi non plus. C'est pourquoi je pose la question. Personne d'autre ici ne le sait non plus.

Nous avons entendu avant vous le directeur du SCRS. Je lui ai posé une question sur les différentes catégories de terrorisme. Il y a des terroristes présents au Canada et qui cherchent à nous nuire. Il y en a d'autres qui ne cherchent à nuire qu'à leurs compatriotes dans leur pays. Il a admis que c'était probablement vrai.

L'IRA a été très active en Amérique du Nord. L'Amérique du Nord était sa source de financement. John Lennon leur a donné de l'argent. Il vivait aux États-Unis. L'IRA tue des gens. Ce sont des terroristes, chez eux. Je pense que nous devrions prendre pour cible les organisations de ce genre.

Les organisations ont-elles des branches qui collectent des fonds et les transmettent à l'organisation dans le pays d'origine? Est-ce là le genre d'organisations que vous voulez fermer au Canada? Ou bien visez-vous seulement seuls qui nous veulent du mal? Cela s'applique-t-il à ceux qui veulent du mal aux Américains, mais pas nécessairement à nous? Qui va-t-on prendre dans ce filet?

M. Roy: Je pense que les dispositions dont nous parlons ici s'appliquent à toute organisation se livrant au terrorisme. Cela vous ramène à la définition du terrorisme.

Les activités terroristes ne sont pas seulement internationales, elles peuvent être purement intérieures. Cependant, dans le cas que vous citez, une organisation qui se livre au terrorisme à l'étranger sera couverte par une disposition comme celle-ci. Par conséquent, un certificat pourra être émis à l'encontre d'une telle organisation levant des fonds au Canada dans le but de financer des activités terroristes ailleurs. Encore une fois, l'activité terroriste n'est pas limitée à ce qui se passe chez nous, mais couvre les deux.

Le sénateur Tkachuk: C'est bon à savoir. Le projet de loi s'applique-t-il aux personnes qui lèvent des fonds ou simplement au statut d'oeuvre de bienfaisance de l'organisation qui lève des fonds?

M. Roy: Sénateur, parlez-vous du délit de financement du terrorisme ou parlez-vous de la Partie 6, qui porte spécifiquement sur les organismes de bienfaisance?

Le sénateur Tkachuk: Tout un chacun peut fonder une société sans but lucratif. Il n'est pas nécessaire qu'elle soit enregistrée comme oeuvre de bienfaisance. Le projet de loi est-il conçu de façon à révoquer le statut fiscal mais sans nécessairement réprimer la levée de fonds? Si une organisation nommée IRA Forever ou al-Qaeda-quelque chose lève des fonds en organisant des collectes ou des dîners, et cetera, mais n'a pas demandé le statut fiscal, est-ce licite?

M. Roy: Dans la Partie 6, il est clair qu'il n'est question que de révocation de l'enregistrement aux fins fiscales de ces organisations. Cependant, cela me ramène au délit de financement du terrorisme, à la page 15 du projet de loi. C'est l'article 83.2 du Code criminel. On y lit que quiconque fournit ou réunit, délibérément et sans justification ou excuse légitime, des biens... et cetera. C'est une voie à deux sens.

Si vous faites cela dans le but de soutenir une activité terroriste, alors vous financez le terrorisme et cela est un acte criminel.

Ce sont deux choses différentes. En gros, ce sont deux façons différentes d'attaquer le même problème. Quelqu'un qui fait cela sciemment soutient une organisation terroriste et commet une infraction à l'article 83.2.

Ce que fait l'État sur le plan fiscal consiste à dire à ces organisations qui lèvent des fonds qu'elles n'ont plus le statut d'oeuvre de bienfaisance. Ainsi, cette organisation ne pourra plus recevoir des dons et les donateurs ne pourront plus se prévaloir d'une déduction d'impôt.

M. Ernewein pourra vous expliquer les autres conséquences fiscales de la révocation de l'enregistrement. Il peut vous dire ce qu'il arrivera des avoirs accumulés par l'organisation.

M. Brian Ernewein, directeur, Division de la législation de l'impôt, ministère des Finances: En bref, lorsqu'un certificat est signé par le Solliciteur général et le ministre du Revenu national et confirmé par la Cour fédérale, il a pour effet de révoquer l'enregistrement d'une organisation à titre d'oeuvre de bienfaisance. Donc, l'organisation cesse d'être un organisme de charité aux fins fiscales. Il en résulte deux conséquences principales. L'une est qu'elle ne pourra plus émettre de reçu pour don de charité aux fins fiscales. L'autre est la perte du statut caritatif. Cela déclenche l'application des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu touchant la révocation de l'enregistrement. En résumé, l'organisme de bienfaisance est tenu de se départir de tous ses biens. Ces derniers doivent soit être transférés à une autre oeuvre admissible, c'est-à-dire un autre organisme de bienfaisance enregistré ou, à défaut, être remis à la Couronne sous forme d'une taxe. Donc, en substance, la révocation de l'enregistrement signifie que l'organisme de bienfaisance disparaît en raison de la perte de tous ses avoirs.

Le sénateur Stollery: J'aimerais revenir sur certaines des questions posées par le sénateur Tkachuk. Ce problème du blanchiment d'argent ne date pas d'hier. Lorsque le sénateur Murray était le leader du gouvernement au Sénat, nous avions un projet de loi portant sur le blanchiment d'argent. Nous parlions alors des barons de la drogue colombiens et des milliards de dollars qu'ils recyclaient.

Il est notoire dans le milieu de la drogue que Miami est la plaque tournante du blanchiment. Chaque fois que vous ouvrez un journal de Floride, on y parle d'une nouvelle opération de blanchiment mise à jour. Cette fois-ci, c'est Joe's Pizzeria, avec un revenu de 12 000 $ l'an dernier. La campagne contre le blanchiment d'argent ne semble guère porter de fruits là-bas.

Si je comprends bien comment les choses se passent, et vous pourrez me le confirmer, l'IRA, par exemple, se dote d'un club qui organise des dîners et émet des reçus aux fins d'impôt parce qu'il a obtenu le statut d'oeuvre de bienfaisance en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu. Donc, première mesure, le gouvernement fédéral révoque le droit de délivrer des reçus aux fins d'impôt à ceux qui achètent des dîners au club social de l'IRA. Ai-je bien saisi? Il me semble pourtant que l'IRA est une organisation terroriste universellement reconnue comme telle. Je suppose donc que le club social de l'IRA, s'il existe, ou des organisations utilisant un nom différent ayant le statut d'oeuvre de bienfaisance, perdent la faculté d'émettre les reçus aux fins d'impôt. Est-ce exact?

M. Ernewein: S'il s'agit d'un organisme de bienfaisance et qu'il se livre à des activités terroristes, la conséquence est la révocation de l'enregistrement et donc de la faculté d'émettre des reçus aux fins d'impôt.

Le sénateur Stollery: Que se passe-t-il si quelqu'un me demande 1 000 $ en me disant que l'argent est destiné à acheter des jambes de bois pour des unijambistes. Je donne l'argent à cette association fournissant des jambes de bois. Je ne sais rien de ses activités, mais mon copain Joe me demande l'argent. Sa campagne de levée de fonds est très fructueuse et il se retrouve avec 10 millions de dollars. Que se passe-t-il ensuite? S'il n'est pas question de remettre des reçus aux fins d'impôt, que se passe-t-il? L'argent part pour une cause beaucoup moins respectable que la fourniture de membres artificiels.

M. Roy: En vertu de ce projet de loi, l'une ou l'autre de deux dispositions intervient. Soit cette organisation dont vous parlez est déjà enregistrée auprès de Revenu Canada...

Le sénateur Stollery: Supposons qu'elle ne l'est pas. Pourquoi le serait-elle? Elle se contente de lever des fonds. Beaucoup de gens sont prêts à donner de l'argent sans recevoir en échange un reçu aux fins d'impôt.

M. Roy: L'autre possibilité est le déclenchement de l'article 83.02 ou 83.03. L'organisation utilise l'argent non pas pour les bonnes oeuvres qu'elle revendique mais pour financer des activités terroristes. À ce stade, les personnes qui fournissent ces ressources en toute connaissance de cause, ou ceux qui les reçoivent en connaissance de cause, peuvent être poursuivies. Selon la norme de preuve en matière pénale, il faut prouver au-delà de tout doute raisonnable qu'elles agissaient en connaissance de cause. Dans ces circonstances, la personne sera jugée coupable du crime. Ce sont les deux seules possibilités que nous avons en vertu de ce projet de loi.

Le sénateur Stollery: La probabilité que cela ait un effet réel est minuscule. N'importe qui peut trouver quantité de façons différentes de contribuer de l'argent à une organisation dont il partage la cause. J'ai l'impression qu'il en ira de cette tentative de contrôler les flux d'argent comme de toutes les autres: ce sera inefficace.

Une multitude d'organisations et de concepts contribuent à la violence terroriste. L'imagination humaine n'a aucun mal à inventer divers systèmes pour financer la violence. Le projet de loi a l'air très bien sur le papier, comme tous ces autres mécanismes cherchant à contrôler le blanchiment d'argent et le financement des organisations terroristes mais qui ne semblent jamais marcher. Ce qui se passe dans la pratique, c'est que l'entreprise X ferme ses portes et peu après l'entreprise Y ouvre les siennes. Lorsqu'on analyse ces mesures, on a l'impression qu'elles connaîtront le même sort que toutes les précédentes.

M. Roy: Sénateur, dans une société libre et démocratique, les mesures légales que l'on peut prendre pour enrayer un phénomène comme le blanchiment d'argent ou le financement du terrorisme sont limitées.

Je ne sais pas quelles sommes sont en jeu ici. Vous avez peut-être lu dans les journaux de la semaine dernière que jusqu'à 30 milliards de dollars par an quittent le pays pour aller se réfugier dans les paradis fiscaux.

Que faire pour enrayer cela? Je n'ai aucun moyen, sénateur, pour savoir combien d'argent quitte le pays. Nul ne le sait. Cependant, nous savons que cela se fait.

Le projet de loi dont vous parlez remonte à la fin des années 80, lorsqu'on a ajouté un article au Code criminel pour s'attaquer au blanchiment d'argent. Le gouvernement cherche à mettre en place les outils pour attaquer ce problème. M. Intscher est aujourd'hui responsable de l'organisme qui va mener cette lutte.

Le sénateur Stollery: Combien d'accusations ont été portées au titre de cet article ajouté à la fin des années 80?

M. Roy: Je ne sais pas, sénateur.

Le sénateur Stollery: Y en a-t-il eu?

M. Roy: Je ne sais pas. Je sais que chaque année des avoirs d'un montant considérable sont gelés. Ces avoirs sont ensuite confisqués par l'État. Je n'ai pas de renseignements précis à vous donner.

Ce que j'essaie de dire c'est que nous cherchons, en tant que conseillers du gouvernement, à fournir quelques outils pour affiner les instruments dont nous disposons. Nous, en tant que fonctionnaires, cherchons de nouvelles façons de combattre le problème.

FinTRAC a des homologues à l'étranger. Est-ce qu'ils réussissent mieux que nous? Je pourrais probablement concevoir un système inviolable, mais qui exigera que l'État vérifie par avance la moindre transaction. Si l'on procédait ainsi, le système serait paralysé. Plus rien ne bougerait. Ce n'est donc évidemment pas ce que le gouvernement souhaite. Nous cherchons donc à mettre en place quelques outils pour identifier les principaux réseaux et les combattre.

Si des organismes de bienfaisance servent à blanchir de l'argent pour financer le terrorisme, il faut les réprimer. Le ministre des Finances et le ministre du Revenu national disent qu'il faut leur donner des outils pour combattre ce problème. Si le financement du terrorisme est un problème, et nous le croyons, nous devons nous doter des outils voulus. Lesquels? Nous commençons par ériger le financement du terrorisme en infraction. Vous seriez le premier à me faire des reproches si on lançait un filet trop large qui risquerait d'attraper toutes sortes de gens qui n'ont rien à voir avec cela.

C'est l'équilibre que l'on cherche ici. En érigeant cela en infraction criminelle, l'État doit prouver au-delà de tout doute raisonnable que la personne agissait en connaissance de cause en donnant de l'argent à une organisation. Sans vouloir citer de noms, lorsque vous donnez de l'argent à certaines organisations, en sachant pertinemment ce qu'elles font, il y a lieu de vous poursuivre. C'est à l'État d'entreprendre ces poursuites. Ceux qui donnent quelques dollars ici et là en pensant que cet argent servira à des actions humanitaires ne seront évidemment pas poursuivis. Il ne s'agit pas de s'attaquer à la foule de gens de bonne foi qui donnent à de bonnes oeuvres.

Le sénateur Finestone: Monsieur Roy, vous m'amenez à une question que je n'avais pas pensé à poser. Dans une société démocratique, la règle de droit doit prévaloir. Je présume que ces 147 articles ont été rédigés dans le respect de la règle de droit. La règle de droit doit être respectée et toute dérogation être clairement définie pour être légitime dans une société canadienne démocratique. Adhérez-vous à ce principe?

M. Roy: Absolument, sénateur.

Le sénateur Finestone: Bien. Vous n'avez donc aucune réserve, vous ne craignez pas que ces mesures enfreignent la confiance des Canadiens envers une société démocratique? A-t-on défini le terrorisme de façon assez claire et limitative pour ne viser que les organisations de bienfaisance terroristes? Avons-nous quelque part une définition?

M. Roy: La réponse à la question que vous me posez devrait être donnée par le ministre de la Justice, les ministres du Cabinet et, en fin de compte, par les parlementaires. C'est vous qui adopterez ou non cette loi.

Les juristes ici pourront vous dire que le ministère de la Justice s'est penché de très près sur ce projet de loi. D'ailleurs, la ministre a déclaré qu'aucun autre texte de loi n'a été scruté de si près. Le projet de loi vise le phénomène du terrorisme. Il ne s'applique pas en dehors de ce champ. Voilà le premier point.

Deuxièmement, on trouve une définition du terrorisme dans d'autres instruments, notamment la Convention des Nations Unies signée en 2000. Si vous lisez soigneusement la définition de cette convention et celle employée et en Angleterre et aux États-Unis, vous verrez que nous ne les avons pas reproduites à l'identique dans notre loi car nous avons notre façon canadienne de faire les choses. Cependant, les éléments fondamentaux, les garde-fous sont tous là. Le but est de cibler les phénomènes du terrorisme et rien d'autre.

Nous sommes aujourd'hui confrontés directement à ce phénomène qui nous paraissait très lointain il y a un mois et demi. L'État affirme donc qu'il faut assurer aux Canadiens la sécurité qu'ils réclament, qui fait partie du mode de vie canadien et de ce que la Constitution impose au gouvernement. Nous espérons avoir trouvé le juste équilibre. Ce n'est pas à moi de dire si nous l'avons bien trouvé, mais à vous. Mais, au moment de rendre ce jugement, vous ne devez pas perdre de vue que les Canadiens réclament que des mesures soient prises pour réprimer le phénomène du terrorisme.

Le gouvernement est-il allé trop loin? C'est à vous de me le dire. Cependant, les mesures sont concentrées sur le terrorisme. On parlait tout à l'heure d'autres dispositions, telles que les audiences d'instruction. Là encore, c'est le terrorisme qui est visé et rien d'autre.

L'arrestation préventive est une autre disposition de ce projet de loi. Encore une fois, elle est limitée à cela et rien d'autre. Si la définition est raisonnable, si nous pensons collectivement qu'il faut agir contre le terrorisme, peut-être la justice tranchera-t-elle à l'avenir que ces mesures sont raisonnables dans une société libre et démocratique. C'est certainement l'évaluation qu'en a faite le ministère dont je suis membre.

Le sénateur Finestone: J'admets cela et je perçois votre profond engagement et je pense que les Canadiens partagent ce point de vue. Ils veulent des mesures qui soient raisonnables et justifiables dans une société démocratique. C'est inscrit dans notre Charte et c'est notre obligation. Si l'on va déroger à la Charte, il faut avoir l'assurance que c'est raisonnable et justifiable. C'est l'une des raisons qui motivent ma question.

Avez-vous dressé un tableau des différentes définitions du terrorisme données aux États-Unis, en Angleterre et aux Nations Unies?

Madame la présidente, j'aimerais que l'on demande au ministère de la Justice de produire un tableau des éléments des différentes définitions du terrorisme et des activités terroristes afin que nous puissions vérifier comment la vision canadienne de la société se compare avec ces autres définitions. Cela a toujours été utile de faire ces comparaisons, afin de disposer d'un étalon pour nous mesurer nous-mêmes.

Si un tel document est disponible, je vous demande, monsieur Roy, étant donné la profondeur de votre engagement et votre esprit de collaboration, de nous le fournir ou bien de faire dresser un tel tableau, ou bien devons-nous transmettre la demande par l'intermédiaire de notre greffier?

M. Roy: Sénateur Finestone, je transmettrai bien volontiers votre demande à mes collègues. Je faisais jadis partie du groupe qui rédigeait ces textes de loi. Ce n'est plus le cas, mais je parlerai à mon collègue, M. Mosley. Je crois avoir vu quelque chose du genre et nous allons essayer de vous fournir quelque chose.

Le sénateur Finestone: S'agissant du blanchiment d'argent, on ne s'attaque réellement qu'a l'organisation qui lève les fonds. Vous n'arrêtez pas de nous renvoyer à l'article 83.2. J'ai les articles 83.02 et 83.01 et ils ne me satisfont toujours pas. Comment trouve-t-on et sanctionne-t-on celui qui sollicite les fonds? Il n'émet pas de reçu aux fins d'impôt mais il expédie quand même des fonds.

J'aimerais savoir comment on attrape cette personne, pas seulement l'organisation de charité. Où voyez-vous cela dans l'article 83?

M. Roy: La personne qui collecte les biens est certainement couverte par cette disposition. La personne qui fournit l'argent est englobée dans la disposition, en particulier dans l'article 83.03.

Le sénateur Finestone: À quelle page êtes-vous?

M. Roy: Je suis aux pages 15 et 16 du projet de loi.

Le sénateur Finestone: Le financement du terrorisme?

M. Roy: Oui. La clause ne vise pas seulement la personne qui fournit les fonds mais aussi celle qui les lève. Toutes deux sont coupables du délit, du moment qu'elles agissent en connaissance de cause. Encore une fois, comme j'essayais de l'expliquer, si quelqu'un donne de l'argent pour acheter du lait pour des enfants dans un pays quelconque, de bonne foi, vous conviendrez avec moi qu'il n'y a pas lieu de poursuivre ce genre de comportement.

La loi est rédigée de telle façon que ce scénario soit impossible. La Couronne doit prouver au-delà de tout doute raisonnable que la personne en cause avait l'intention de financer le terrorisme.

Le sénateur Finestone: Disons que la personne a été trompée et a fait un don pour l'enlèvement des mines antipersonnel en Afghanistan. Or, l'argent a été canalisé vers un groupe terroriste. Est-ce que la personne ainsi trompée est protégée aux termes de l'article 83.03?

M. Roy: Si je suis la personne qui a donné l'argent et si je pensais véritablement qu'il servirait au déminage, je ne serai pas poursuivi en vertu de cette disposition. Cependant, la personne qui a réuni l'argent pour un usage autre sera couverte car elle aura levé les fonds en sachant pertinemment qu'ils serviraient à financer le terrorisme.

Le sénateur Finestone: Communiquons-nous à d'autres pays notre liste des organisations caritatives associées au terrorisme? Connaissons-nous les noms et les numéros des organisations terroristes inscrites sur la liste?

M. Roy: Je n'ai pas connaissance de cet aspect des choses, sénateur. Peut-être quelqu'un autour de la table pourrait-il vous répondre. Je ne sais pas.

La présidente: Sénateur Finestone, j'ai d'autres sénateurs sur ma liste. Puis-je vous inscrire pour un deuxième tour de questions?

Le sénateur Finestone: Certainement.

Le sénateur Kelleher: L'article 83.24, page 31, stipule que:

Il ne peut être engagé de poursuite à l'égard d'une infraction de terrorisme ou de l'infraction prévue à l'article 83.12 sans le consentement du Procureur général.

Si vous remontez en arrière, vous verrez que cela s'applique également à l'article 83.08 touchant le blocage des biens, à l'article 83.11 relatif à l'obligation de vérification et au paragraphe 83.1(1) concernant la communication.

Pourquoi faut-il le consentement du Procureur général? Nous promulguons une loi interdisant de faire un certain nombre de choses. Celui qui fait néanmoins ces choses sera poursuivi. Lorsque les avocats de mon ministère s'apprêtent à intenter des poursuites, on s'aperçoit tout d'un coup qu'il faut le consentement du procureur général. Pourquoi cela? Quelle est la justification?

M. Roy: Habituellement on inscrit une disposition de ce type dans le Code criminel ou, de façon plus générale dans notre droit pénal, parce qu'on craint des abus. En droit canadien, il est possible de lancer une poursuite privée. Il est possible d'intenter une poursuite sans le soutien de la police, du procureur de la Couronne ou de quiconque. Vous pouvez le faire de votre propre chef. Vous verrez des dispositions de cette nature partout dans le Code criminel.

Les fonctionnaires et le Parlement, car le Parlement est le législateur, craignent que cette disposition fasse l'objet d'abus. Nous craignons que de fausses dénonciations soient faites. Si une personne se voit accusée d'appuyer le terrorisme, sa réputation en souffrira.

On a donc mis en place un garde-fou. Le procureur général déterminera si l'affaire mérite des poursuites, au lieu de s'en remettre exclusivement aux particuliers.

Je n'ai pas travaillé de près sur cette partie du projet de loi et je ne peux donc vous donner de réponse détaillée. Cependant, lorsqu'il y a des dispositions dans le code exigeant le consentement du Procureur général, cela est habituellement le raisonnement.

Les dispositions du Code criminel intéressant les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité exigent le consentement du Procureur général avant le lancement d'une poursuite. Cette disposition-ci appartient à cette même catégorie générale.

Mes collègues du ministère de la Justice pourront peut-être vous donner une meilleure réponse lorsqu'ils comparaîtront. Cependant, ceci est habituellement la raison de ces dispositions.

Le sénateur Kelleher: S'il existe une loi réprimant certaines infractions, je ne vois pas pourquoi il faut dans chaque cas le feu vert du Procureur général pour intenter des poursuites.

M. Roy: Je souligne que le danger ne réside pas dans les poursuites intentées par les procureurs de la Couronne, mais plutôt celles intentées par des particuliers. C'est pourquoi l'intervention du Procureur général est requise.

Ce n'est pas que le Procureur général ne fasse pas confiance aux procureurs de la Couronne, mais plutôt le fait que, sans cette restriction, n'importe qui dans le pays peut déposer plainte devant un juge et ouvrir une poursuite. Il n'est pas besoin de passer par un procureur de la Couronne pour cela.

Le sénateur Kelleher: Je le sais.

M. Roy: Vous vous souvenez de l'époque où vous étiez Solliciteur général.

Le sénateur Kelleher: Je me demandais si vous aviez participé à ces discussions.

M. Roy: Pas concernant cet aspect, sénateur.

Le sénateur Kelleher: Cela est-il exclusivement le fait du ministère de la Justice?

M. Roy: C'est juste.

Le sénateur Kelleher: Nous pourrons peut-être leur poser la question lorsqu'ils reviendront.

M. Roy: J'espère qu'ils ne me contrediront pas. C'est possible.

Le sénateur Murray: Un document d'information publié par le gouvernement indique que le Canada va ratifier la Convention pour la répression du financement du terrorisme. Connaissez-vous cette convention?

M. Roy: Je n'ai pas le texte avec moi, sénateur, mais je l'ai lu.

Le sénateur Murray: Peut-être d'autres à la table la connaissent-ils. Je lis ici que seulement quatre États ont ratifié cette convention.

M. Roy: Jusqu'à présent, oui.

Le sénateur Murray: Savez-vous pourquoi?

M. Roy: Je crois que cette convention n'est ouverte à la ratification que depuis décembre 2000.

Je crois savoir que c'est dû simplement au fait que les instruments nationaux n'ont pas été créés; le plus important d'entre eux est la criminalisation du financement du terrorisme. Très peu de pays ont de tels instruments en place. Je crois savoir que beaucoup plus sont en train de les créer, depuis le 11 septembre.

Le sénateur Murray: Il n'y a donc pas de raison politique nous ayant empêché de ratifier jusqu'à présent; c'est simplement une question d'instruments. Je présume que le projet de loi dotera le gouvernement des instruments requis pour appliquer la convention. Est-ce le cas?

M. Roy: Vous avez raison.

[Français]

Le sénateur Joyal: La partie 6 du projet de loi traite de l'enregistrement des organismes de bienfaisance: est-elle en tout point identique à celle inscrite dans le projet de loi précédent déposé à la Chambre des communes et retiré ultérieurement? Y a-t-il des différences et si oui à quel endroit?

M. Roy: Il me semble qu'il y a une ou deux différences vraiment mineures.

[Traduction]

Mme Donna Walsh, directrice, Division des initiatives en matière d'observation, Direction des organismes de bienfaisance, Direction générale de la politique et de la législation, Agence des douanes et du revenu du Canada: Il n'y a réellement que deux changements. Le premier est que les motifs pour l'émission d'un certificat en vertu de l'article 4 sont maintenant liés aux dispositions du Code criminel définissant les activités terroristes et les organisations figurant sur la liste en raison de leur implication dans des activités terroristes.

Le deuxième changement est mineur et porte sur la durée du certificat. Dans le projet de loi C-16, la durée du certificat était de trois ans. Nous avons porté cette période à sept ans compte tenu du fait que le statut d'organisme de bienfaisance confère une importante apparence de légitimité à ces activités de soutien. Ce statut facilite la dénégation quant à l'emploi des fonds. C'est une affaire grave et nous avons estimé que sept ans seraient plus dissuasifs et refléteraient mieux la gravité de cette activité.

[Français]

Le sénateur Joyal: Monsieur Roy, une chose me préoccupe quand je lis l'article 2 de la partie 6 et l'article 47 de la partie 4. Dans ma version du projet de loi à la page 87, de l'article 47, on lit:

Loi visant à faciliter la répression du recyclage financier des produits de la criminalité et du financement des activités terroriste, [...]

Le projet de loi définit dans ses dispositions préliminaires ce qu'est une activité terroriste de façon relativement claire.

Dans le cas de la partie 6, je lis le texte de l'article 2.(1), à la page 125:

La présente loi a pour objet de traduire l'engagement du Canada à participer à l'effort concerté déployé à l'échelle internationale pour priver de soutien ceux qui s'adonnent au terrorisme, [...]

La Loi sur le recyclage des produits de la criminalité vise spécifiquement le financement des activités terroristes tel que définies à la l'article 83.01 du Code criminel.

Dans le cas des organismes de bienfaisance, la définition de terrorisme n'est pas comprise dans la loi. M'est avis que dans le cas de la loi qui crée l'Agence sur le recyclage des produits de la criminalité, cela est très précis. Une loi vise les activités terroristes alors que dans l'autre vise le terrorisme en général. Donc c'est plus large. La portée de la loi dans le cas de la Loi sur les organismes de bienfaisance, vise le terrorisme en général sans faire référence à une activité en particulier. Certaines activités terroristes pourraient être perçues comme étant de nature terroriste et elles pourraient ne pas être incluses dans la définition des activités terroristes telles qu'elles sont inscrites au début du projet de loi. Ces définitions sont très précises. Il y a d'autres activités qui pourraient être perçues comme étant des activités terroristes mais qui ne visent pas à commettre un effet immédiat. Cela pourrait, par exemple, être de la propagande. On pourrait définir quelqu'un qui fait un rassemblement et qui invite ou prend adopte l'interprétation du Coran, qui soutient la position de Al-Qaeda - qui est un groupe minoritaire dans l'interprétation du Coran - comme une personne qui s'adonne à une activité couverte par l'enregistrement des organismes de bienfaisance mais ne donnerait pas lieu à une restriction telle qu'énoncée à la partie 4.

Y a-t-il un objectif particulier pour lequel la partie 6, c'est-à-dire la Loi portant la création d'un organisme de bienfaisance, a une portée plus générale que celui de la partie 4?

M. Roy: Je suis moi aussi troublé par cela. La ministre de la Justice, lorsqu'elle a présenté le projet de loi et en cours de témoignage devant différents groupes et instances a souligné le fait que l'on définissait des activités terroristes, mais qu'on ne définissait pas le terrorisme. Si je vous comprend bien, votre première question nous aidait à établir que le changement qui a été fait à l'article 4 pour restreindre le taux aux activités terroristes était probablement bien fait, mais peut-être que dans la rédaction du projet de loi avons-nous oublié d'en restreindre la portée dans son objet à l'article 2 en référant spécifiquement aux activités terroristes.

Je crains que l'article 2 soit exactement le même que celui du projet de loi C-16 où nous ne définissions pas les activités terroristes ni le terrorisme. Je crains que le changement n'ait pas été fait comme il aurait peut-être été bon de le faire. Avec votre permission je vais certainement rapporter ce commentaire à mes collègues pour voir s'il n'y aurait pas lieu de présenter une motion en bonne et due forme pour faire le changement.

Je suis un peu troublé par cela. Si les choses devaient rester telles quelles le sont, je ne suis pas certain qu'il y ait un vice important au projet de loi parce que le certificat qui doit être émis est fonction des activités terroristes à l'article 4. L'article 2 étant celui qui présente les objets de la loi. Quoi qu'il en soit, ma réaction à froid, sénateur Joyal, serait un peu comme la vôtre et de dire que nous devons restreindre dans les objets la portée de ce qu'on a à l'esprit. Cette portée vise les activités terroristes et non pas le terrorisme en soi.

Le sénateur Joyal: Vous comprenez que sur le plan pénal, les gens doivent comprendre l'infraction qu'on leur reproche et non pas simplement recevoir une définition générique qui pourrait être interprétée de manière abusive dépendant des circonstances particulières auxquelles on pourrait se retrouver.

M. Roy: Je crains que vous n'ayez mis le doigt sur quelque chose et nous allons voir si nous pouvons y remédier.

[Traduction]

Le sénateur Joyal: Ma dernière question porte sur l'enregistrement des organismes de bienfaisance, soit le paragraphe 6(2) du projet de loi.

[Français]

La décision rendue au titre de l'alinéa (1)d) n'est susceptible ni d'appel ni de révision judiciaire.

Dans votre présentation, vous avez dit qu'il y avait un processus de révision. Le processus de révision est défini par la procédure à l'article 6, de la page 132. Quelle était la raison fondamentale pour laquelle on exclut dans le projet de loi et ce de façon complète, l'appel de la décision d'un juge de la Cour fédérale?

M. Roy: La raison, vous l'aurez devinée. Ces questions doivent être déterminées de façon expéditive car le gouvernement cherche à éviter les appels à répétition. Le processus pour examiner ces questions est celui qui est prévu aux alinéas 10 et suivants. Le gouvernement ne voudrait pas s'embourber dans une série de procédures judiciaires à n'en plus finir.

Je ne crois pas que cette disposition aille trop loin, mais c'est sûrement le genre de disposition qui attirera l'attention. On ne voudrait que la révision d'un certificat se fasse par voie judiciaire et que, parallèlement, on puisse avoir des procédures par voie de révision judiciaire en vertu de la bonne vieille common law. Ces procédures feraient en sorte qu'on n'en sortirait à peu près jamais.

Plutôt que de s'en remettre aux révisions qui pourraient avoir lieu autrement, un régime statutaire est prévu en vertu de l'alinéa 18 ou 28 de la Loi sur la Cour fédérale.

Le sénateur Joyal: Est-ce qu'on ne pourrait pas prévoir un processus d'appel limité dans le temps qui maintiendrait le principe du pouvoir d'appel de la Cour fédéral d'appel à l'intérieur d'un délai qui nous donnerait une certaine garantie que le processus judiciaire a suivi son cours normal?

M. Roy: Je ne parle pas au nom des ministères concernés, mais cela ne choquerait certainement pas. Des appels pourraient avoir lieu assez rapidement. Je porte à votre attention l'alinéa 11(5) qui prévoit que la détermination faite par le tribunal en vertu de la révision sur les articles 10 et suivants n'est elle-même ni sujet d'appel ni de révision judiciaire.

En cette matière, le gouvernement a choisi de garder les choses simples en s'adressant à un juge de la Cour fédérale pour que l'affaire fasse l'objet d'une décision à ce stade et ce, pour ou contre le gouvernement. Je prends bonne note de votre commentaire, mais je ne peux pas aller plus loin.

[Traduction]

Mme Walsh: J'ajoute que le mécanisme de révision judiciaire consiste à revoir les faits afin de déterminer le caractère raisonnable du certificat. Bien qu'il ne s'agisse pas d'un appel à proprement parler, c'est certainement une révision des faits. Nos lois autorisent différentes sortes de révisions. On a jugé approprié que la décision soit prise dans le cadre du droit administratif et le mécanisme est copié sur celui déjà en usage sous le régime d'une disposition similaire de la Loi sur l'immigration, pour des raisons similaires. Il s'inscrit dans un contexte similaire. Je ne sais pas si cela contribue à la discussion.

Le sénateur Fraser: Je veux m'assurer de bien comprendre ce que nous faisons. Mon attention a été attirée sur un article qui remonte à 1995. Il n'est pas récent, mais je pense que le principe vaut toujours. C'est un article du Congressional Quarterly Researcher qui cite un professeur de droit constitutionnel de l'université Georgetown, parlant de la Constitution américaine. Celui-ci estimait:

[...] manifestement anticonstitutionnel d'ériger en crime le soutien aux activités caritatives de groupes désignés comme terroristes. Le gouvernement ne peut punir quelqu'un pour un soutien par association à un groupe qui poursuit des fins à la fois légales et illégales, à moins de prouver que la personne donnant le soutien visait spécifiquement à favoriser les fins illégales. Il est parfaitement licite pour le gouverne ment d'interdire le soutien aux activités terroristes de toute organisation, mais il est anticonstitutionnel d'interdire aux gens de soutenir un hôpital, une école ou des activités politiques d'un groupe simplement parce que ce dernier se livre également à une activité terroriste illégale.

Expliquez-moi ce que nous faisons dans le cas des amis d'une association de bienfaisance d'un pays quelconque, dont 90 p. 100 sont utilisés pour une aide alimentaire et des hôpitaux et 10 p. 100 vont à un groupe terroriste. Que faisons-nous, en quoi est-ce constitutionnel et est-ce conforme à la Constitution canadienne?

M. Roy: Sénateur, cette citation est tirée d'un article qui a trait à la Constitution américaine. Dans notre pays, vous êtes confrontés au fait que nous pouvons, dans une société libre et démocratique, contrevenir, dans certaines limites, à certaines des garanties inscrites dans notre Constitution. Notre article dit que ce doit être compatible avec une société libre et démocratique.

En ce qui concerne le financement du terrorisme, le gouvernement s'inspire largement du fait que les Nations Unies viennent d'adopter à la quasi-unanimité une convention exigeant que les signataires répriment le financement du terrorisme. Effectivement, lorsque nous regardons nos partenaires, qu'il s'agisse de l'Europe occidentale, de l'Angleterre, de l'Australie ou de la Nouvelle- Zélande, nous voyons qu'ils sont en train de se doter de dispositions légales ayant une ressemblance remarquable avec celle dont vous parlez.

Le gouvernement fera valoir, dans l'éventualité où il devra défendre la constitutionnalité de cela, que nous vivons dans une ère où ce n'est pas seulement une bonne idée de faire cela, mais où c'est également imposé par le droit international. Nous ferons valoir que cette mesure a été conçue exclusivement pour combattre le fléau qu'est devenu le terrorisme. C'est pourquoi il est si important pour votre Chambre et le Parlement dans son entier de vérifier que la définition de l'activité terroriste est suffisamment restrictive pour ne s'appliquer qu'à ceux que l'on vise.

Nous sommes convaincus que tel est bien le cas. Cependant, vous devez vous en convaincre vous-même.

Le sénateur Fraser: Aidez-moi à me convaincre. Prenons l'Association de bienfaisance ruritanienne. Elle verse 10 p. 100 de ses fonds au Front de libération de Ruritanie et 90 p. 100 à des hôpitaux en Ruritanie. Qu'arrive-t-il à ce groupe au titre de cette loi?

M. Roy: Sous le régime de cette loi il peut y avoir poursuite, en dépit du fait que seuls 10 p. 100 des avoirs servent à financer le terrorisme, car la loi telle que libellée dit que si vous utilisez tout ou partie de la somme, cela suffit pour vous poursuivre.

Dans le cas de poursuite, le Canada doit prouver que la personne qui prend ces biens et les transfère pour financer le terrorisme le fait en connaissance de cause. Si une personne au Canada envoie de l'argent à des organisations, sans savoir que cet argent sera détourné pour financer le terrorisme, cette personne n'agit pas sciemment. Je dois souligner, cependant, que la connaissance de cause telle que définie dans notre droit peut aussi englober un aveuglement volontaire. Si la personne devrait savoir mais choisit de ne pas savoir, elle sera probablement couverte par cette clause. Ceux qui ne savent pas ne sont pas couverts et ne devraient pas l'être.

Le sénateur Fraser: Est-il possible pour mon amicale, ou tout ce que vous voudrez, de revenir dans le droit chemin, de transmettre les renseignements au procureur, de témoigner contre le vice-président qui avait des liens avec des terroristes, et puis de se consacrer exclusivement, de manière vérifiable, au financement des hôpitaux et de l'aide alimentaire? L'organisation peut-elle récupérer son enregistrement? Ou bien celui-ci disparaît-il à jamais une fois révoqué?

Je vois, à l'article 11, qu'une oeuvre de bienfaisance précédemment enregistrée peut demander une révision de cette décision. Est-ce là la disposition qui s'appliquerait à mon association de bienfaisance hypothétique?

M. Roy: Je pense que oui.

M. Ernewein: Il y a deux possibilités. Une révision du certificat ou une révision générale pour rétablir le statut d'oeuvre de bienfaisance est possible. Mais cela n'aura pas pour effet de restituer à l'organisation les biens confisqués qui servaient au moins en partie à l'activité terroriste. Cependant, s'il s'agit simplement dorénavant d'agir comme purement une oeuvre de charité, cette possibilité existe.

Il est également possible de créer une nouvelle organisation de charité poursuivant des activités purement charitables, mais cela n'englobe pas le réenregistrement ou la reconstitution de l'organisation antérieure. Redémarrer avec une nouvelle organisation présume, comme vous l'envisagez dans votre question, que celle-ci ait des activités purement caritatives, donc retrouve son objectif caritatif original.

Le sénateur Fraser: Toutefois, les avoirs intérieurs restent confisqués? Ils ne sont pas restitués?

M. Roy: Les avoirs auront été transférés.

Le sénateur Finestone: Madame la présidente, ai-je été bien informée? Nous avons déjà entendu trois membres de l'Agence des douanes et du revenu du Canada. Est-ce qu'ils font partie de l'équipe qui traite les visiteurs à leur arrivée à notre frontière?

Je pose la question car je m'inquiète de la nature de l'enquête qui a lieu lorsque les visiteurs arrivent, alors qu'il n'y a que trois jours pour les évaluer. En trois jours seulement on va déterminer s'ils représentent un danger ou sont des terroristes. Comment peut-on faire cela en l'espace de trois jours? Si c'est à eux qu'il faut poser la question, j'aimerais qu'ils reviennent.

La présidente: M. Jones va vous répondre.

M. Ray Jones, directeur général, Direction des enquêtes, Direction générale des programmes de l'observation, Agence des douanes et du revenu du Canada: Honorables sénateurs, nous n'avons pas ici de témoins du secteur des douanes de l'Agence. Vous voudrez peut-être organiser une réunion avec un groupe distinct ou poser la question aux témoins du ministère de l'Immigration.

La présidente: Sénateur Finestone, nous cherchons à recevoir à notre comité le ministre de l'Immigration. Nous poserons la question alors.

Je remercie les témoins d'être venus pour cette discussion difficile mais utile.

Honorables sénateurs, nous sommes ravis d'avoir avec nous le solliciteur général, Lawrence MacAulay, accompagné de M. Paul Kennedy, sous-solliciteur général adjoint principal, de Nicole Jauvin, sous-solliciteure générale, et de Ian Blackie, le directeur du Groupe de la sécurité nationale.

Monsieur le ministre, nous apprécions le temps que vous nous consacrez. Je ne doute pas, collègues, que vous aurez tous des questions à lui poser. Nous disposons d'environ une heure et demie et je demanderais à mes collègues et a ceux qui répondent d'être aussi concis que possible, une fois que nous aurons entendu la déclaration du ministre. J'essaierai de donner à chacun l'occasion de poser une question principale et une supplémentaire. Nous aurons un deuxième tour afin que tout le monde ait sa chance.

L'honorable Lawrence MacAulay, député, c.p., Solliciteur général du Canada: Honorables sénateurs, c'est un plaisir d'être ici pour vous parler de la loi antiterroriste du gouvernement.

J'apprécie grandement la rapidité avec laquelle vous vous êtes attaqués à l'étude préalable de ce projet de loi sur lequel se penche actuellement le Comité de la justice de l'autre endroit.

Cela n'est certainement pas la procédure ordinaire, mais nous ne vivons pas à une époque ordinaire. J'applaudis votre décision d'entreprendre une étude préalable du projet de loi. Cela démontre combien vous prenez au sérieux ce problème et l'urgence de protéger les Canadiens. Comme je l'ai dit au Comité de la justice et des droits la personne jeudi dernier, le Canada a besoin de cette mesure, nos alliés ont besoin de cette mesure et, surtout, nos services de police et de sécurité ont besoin de cette mesure. Ils ont besoin d'outils puissants pour détecter et dissuader les terroristes et ceux qui les appuient. Ce projet de loi est conçu pour mettre nos organes de police et de sécurité, ainsi que les tribunaux, en mesure de le faire.

La rédaction du projet de loi C-36 a requis une importante somme de travail. Il contient des réformes primordiales et ouvre un champ neuf. C'est un projet de loi audacieux et vaste, mais je souligne qu'il a été conçu au Canada et est conforme aux valeurs canadiennes, à la Charte et aux souhaits de la population.

Les Canadiens réclament des lois plus rigoureuses, des lois qui vont véritablement les protéger. Ils attendent de nous que nous aidions nos voisins du Sud.

Notre gouvernement a adopté un plan antiterroriste à quatre volets. Ses objectifs sont les suivants: premièrement, empêcher les terroristes de s'établir au Canada et protéger les Canadiens contre le terrorisme; deuxièmement, mettre en place des outils pour identifier, poursuivre, condamner et punir les terroristes; troisièmement, empêcher que la frontière canado-américaine devienne l'otage des terroristes, avec toutes les conséquences pour l'économie canadienne; enfin, quatrièmement, collaborer avec la communauté internationale pour traduire les terroristes en justice et remédier aux causes profondes d'une telle haine.

Nous avons déployé depuis le 11 septembre un effort concerté pour passer en revue nos lois et procédures dans le but d'assurer la sécurité de nos frontières et dépister les criminels et terroristes. Nous avons déjà pris des mesures exhaustives afin d'améliorer la sécurité dans les aéroports, aider la GRC et le SCRS à combattre le terrorisme, resserrer nos frontières et geler les avoirs des terroristes.

Au cours des deux dernières semaines, le gouvernement a annoncé que 280 millions de dollars de crédits nouveaux seraient investis immédiatement dans notre sécurité nationale. Je vous rappelle que cela vient en sus des 1,5 milliard de dollars alloués dans le budget 2000 à la GRC, au SCRS, à l'Immigration et aux Douanes.

L'examen de notre état de préparation n'est pas terminé. La fin de semaine dernière, mes collègues et moi-même, membres d'un comité spécial du Cabinet présidé par mon collègue, le ministre des Affaires étrangères, avons poursuivi nos réunions où nous passons en revue toute la panoplie de nos instruments et lois, ceux que nous proposons et ceux que nous pourrions encore introduire. Comme le premier ministre l'a assuré, ce qui doit être fait sera fait.

Nous avons soumis à la délibération du Parlement un ensemble complet d'outils législatifs destinés à dissuader et paralyser les terroristes. Certaines de ces mesures sont extraordinaires et complètent les efforts des États-Unis et de nos alliés. Elles s'appuient sur nos démarches novatrices de lutte contre la criminalité organisée, le blanchiment d'argent et le trafic de drogue. Toutefois, ne vous méprenez pas, nous avons intégré dans cette législation des garde-fous rigoureux, cette loi ayant déjà été examinée, comme l'a dit la ministre de la Justice, de très près à la lumière des exigences de la Charte.

Nous sommes résolus à faire en sorte que ces mesures visent les terroristes et ceux qui les soutiennent.

Elles donneront davantage d'outils d'enquête à la police. Nous pourrons mieux protéger nos renseignements de sécurité, détenir les terroristes avant qu'ils portent préjudice à nos amis, nos citoyens et notre mode de vie. Nous pourrons également saisir l'argent qui soutient ces groupes terroristes. Avec cette loi habilitante, nous donnons effet aux deux conventions antiterroristes des Nations Unies que le Canada n'a pas encore ratifiées. Ces conventions visent à priver les terroristes et criminels organisés de sanctuaires et de leur opposer un front commun de nations déterminées.

Si nous voulons réellement prévenir le terrorisme et traduire les terroristes en justice, nous avons besoin de cette loi. Mais nous devons parallèlement préserver et affirmer les valeurs canadiennes inscrites dans la Charte canadienne des droits et libertés et assurer toutes les garanties de procédure qui s'imposent. Le Procureur général et moi-même estimons avoir trouvé cet équilibre.

J'aimerais maintenant attirer l'attention des sénateurs sur trois mesures antiterroristes spécifiques qui requièrent l'intervention personnelle du solliciteur général.

La première est le blocage et la confiscation des fonds des terroristes; pour combattre les terroristes, il est vital de les priver de leurs sources financières. Ce projet de loi contient de fortes dispositions réprimant le financement du terrorisme. Il renforce ce que nous avons déjà mis en place en complétant les mesures contre le blanchiment d'argent qui ont déjà produit des résultats. Nous allons désigner les groupes terroristes. Nous allons faciliter le gel de leurs avoirs, poursuivre ceux qui leur donnent un soutien financier et refuser ou révoquer le statut d'organisation de bienfaisance de ceux qui canalisent des fonds vers les terroristes.

Notre objectif est d'assécher les sources de financement des terroristes en érigeant en délit criminel le fait de lever et de transmettre des fonds à leurs organisations, soit directement soit indirectement. Nous conservons les dispositions de mon projet de loi antérieur qui refusent ou révoquent l'enregistrement comme organisation de charité des organisations qui mettent des ressources à la disposition des terroristes. Cependant, comme je l'ai déjà souligné, il y aura des garanties assurant des procédures équitables.

Dans ce cas, le solliciteur général et le ministre du Revenu national doivent signer un certificat qui sera révisé par la Cour fédérale et les décisions de révocation de l'enregistrement doivent être publiées dans la Gazette du Canada. Par ailleurs, pour assécher le financement des terroristes, le nouvel organisme FinTRAC sera autorisé à divulguer à la GRC et au SCRS des renseignements financiers touchant les activités terroristes.

Nous faisons cela car il est essentiel de réunir autant de renseignements que possible et d'en faire le meilleur usage en les partageant tant avec les services canadiens qu'avec nos alliés. Il appartiendra au Solliciteur général d'autoriser la communication de cette information au SCRS, à la demande de ce dernier. Tout ce processus est sujet à révision par un juge indépendant de la Cour fédérale.

Passons à la liste des terroristes. Il appartiendra au Solliciteur général de recommander au gouverneur en conseil l'inscription d'une entité sur la liste, lorsqu'il a des motifs raisonnables de croire que cette entité se livre à une activité terroriste. Nous avons édifié un mécanisme de révision judiciaire afin de garantir l'intégrité du processus d'inscription. Le solliciteur général sera tenu par la loi de revoir la liste tous les deux ans et l'inscription est sujette à un contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. C'est là une autre garantie intégrée au projet de loi.

En conclusion, j'exprime le voeu que les honorables sénateurs considéreront favorablement ce projet de loi et nous accueillerons toute suggestion que vous pourriez faire pour le rendre encore plus efficace. Je souligne encore une fois que nous avons besoin de cette législation, nous en avons besoin pour protéger les Canadiens et nos alliés dans leur lutte contre le terrorisme.

La présidente: On m'informe que le ministre devra nous quitter à 17 h 30. De nombreux sénateurs m'ont indiqué qu'ils voulaient poser des questions. Nous ferons de notre mieux pour faire au moins un tour de table et nous essaierons de donner un deuxième tour, si cela vous convient.

Le sénateur Lynch-Staunton: Monsieur le ministre, ma question porte sur la liste. Est-ce qu'elle comprendra des noms de groupes ou des noms de personnes, ou bien les deux?

M. MacAulay: Ce pourrait être les deux. Ce peut être le nom d'une personne ou le nom d'un groupe. Tous les renseignements recueillis par les organismes gouvernementaux, la GRC, le SCRS ou tout autre me sont soumis. Je les évalue et, le cas échéant, je propose la prise d'un décret. S'il est accepté, l'inscription est faite.

Le sénateur Lynch-Staunton: Si je lis la définition de l'activité terroriste, cela va certainement beaucoup plus loin que certaines des activités telles que les attentats du 11 septembre. Elle pourrait s'appliquer à des activités strictement intérieures. Par exemple, les Hell's Angels répondent à n'importe quelle définition de l'activité terroriste que l'on pourrait donner. Pourraient-il être inscrits sur votre liste?

M. MacAulay: Une fois la loi adoptée, les organismes gouvernementaux me transmettent des renseignements. Je dois évaluer ceux-ci et prendre une décision. Dans ma position, je ne peux jamais annoncer ce que je vais faire ou ne pas faire avant de recevoir les renseignements.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je peux vous donner comme renseignement que, sans exception, les Hell's Angels répondent à tous les éléments que peut contenir une définition de l'activité terroriste, idéologie comprise. Il semble que le FLQ en 1970 aurait été dans le même cas. Je me demande si la mafia serait couverte par ces mêmes dispositions.

Ce que j'essaie de vous faire dire, monsieur le ministre, c'est jusqu'où s'étend le filet de la définition du terrorisme dans la société canadienne? Dans l'immédiat, ce projet de loi est le résultat d'un événement terrible. Cependant, dans mon esprit, de la manière dont il est rédigé, il frappe largement au-delà de ceux qui ont causé cet événement ou leurs sympathisants. J'aimerais savoir si vous partagez ce point de vue ou non.

M. MacAulay: Sénateur, ce qui compte dans cette situation n'est pas qui vous êtes mais ce que vous avez fait. Si vous avez fait quelque chose qui, selon mon évaluation, mérite que vous soyez inscrit comme organisation ou personne terroriste, alors un décret confirmera ma recommandation et cette personne ou cette organisation sera inscrite sur la liste.

Vous comprendrez que je ne puis pas dire que tel groupe répond ou ne répond pas à ces critères. Je dois d'abord passer en revue les renseignements avec mes fonctionnaires avant de décider. Le but que nous poursuivons est d'arrêter les organisations terroristes et de stopper leur financement.

Le sénateur Lynch-Staunton: Nous sommes tous d'accord là-dessus. Cependant, je vais quand même vous appâter en prenant l'exemple de la crise d'Oka et l'occupation du pont Mercier pendant tout un été par des gens armés, avec toutes les conséquences pour la sécurité publique et autres. Est-ce que ce groupe serait considéré comme terroriste sous le régime de cette loi?

M. MacAulay: Vous me demandez d'évaluer de manière impromptue une situation que je n'ai pas examinée en profondeur. Or, il faudra une évaluation avant que je puisse former une opinion sur l'opportunité de désigner un groupe.

Le sénateur Lynch-Staunton: Vous avez tout de même déjà commencé l'évaluation, vous n'attendez pas la Sanction royale pour cela?

M. MacAulay: Nous travaillerons pour stopper la levée de fonds terroriste. C'est exactement ce que nous allons faire. Ce que je ne veux pas faire, sénateur, et je sais ce que vous me demandez, c'est de me prononcer par avance. Ce qui compte n'est pas le groupe, c'est ce qu'il a fait.

Ce n'est pas qui vous êtes, c'est ce que vous avez fait. Voilà de quoi il s'agit.

Le sénateur Lynch-Staunton: Cela englobe les Hell's Angels. Merci.

[Français]

Le sénateur Bacon: J'aimerais retourner à l'article 83.05 où on prévoit la possibilité de recommander l'inscription d'une personne ou d'une organisation sur la liste des terroristes. Quels sont les garantis que seul les entités qui relèvent du domaine terroriste seront consignées sur cette liste et qu'on ne retrouvera pas des membres de syndicats ou tout simplement des personnes qui pratiquent un culte religieux? Qui fournira les informations nécessaires à l'inscription sur la liste des terroristes? Est-ce le SCRS?

À la lumière de l'examen de plaintes faite par le comité de surveillance des activités de renseignement et de la sécurité, il y a matière à être inquiet. Il y a lieu de resserrer les opérations du SCRS afin d'éviter que ne soit pas exclut sur la liste des personnes innocentes qui n'ont aucun lien réel avec les organisations terroristes. Je n'ai qu'à citer le rapport du SCRS de 1999-2000, intitulé «L'Examen opérationnel du service canadien de renseignement et de sécurité ». On parle de plusieurs cas.

À l'affaire numéro un du rapport, on disait:

On a trouvé que les rapports des entrevues du service avec le plaignant contenaient de graves inexactitudes au sujet des réponses de celui-ci à d'importantes questions et se fondaient sur les déclarations mal consignées attribuées au plaignant.

C'est un peu gênant. À l'affaire numéro 2 du rapport, on disait:

...même si l'intérêt initial du service pour le plaignant se justifiait par les activités de celui-ci en faveur du mouvement nationaliste étranger, l'enquête n'a pas fourni d'information constituant des motifs raisonnables de conclure que le plaignant était membre d'une organisation terroriste.

À l'affaire numéro 3:

Le comité a trouvé que la note d'information du service était tendancieuse, truffée de conjectures, répétait souvent la même chose comme pour y donner plus de poids et son enquête a révélé l'absence de fondement de certaines affirmations du SCRS et a faussé de certains autres préjudiciables au plaignant.

Ces trois affaires étaient un peu gênantes. Je crois pour le comité qui a constaté que le service applique des critères d'appartenance à une organisation de manière à donner à ce thème une compréhension trop vaste, a valu l'étiquette de terroriste à des nationalistes actifs sur la scène politique, mais pacifique et respectueux des lois.

C'est un peu gênant quand on lis ce rapport. J'aimerais vous entendre là-dessus pour éviter que soit incluses sur cette liste des personnes innocentes qui n'ont aucun lien avec des organisations terroristes puisque le rapport de 1999-2000 nous dit que cela est déjà arrivé.

[Traduction]

M. MacAulay: Je peux vous assurer, sénateur, que nous ne voulons certainement voir personne sur la liste qui n'est pas impliqué dans le terrorisme.

Premièrement, la définition ne couvre pas la dissension légitime. C'est certain. Le CSARS revoit chacune des décisions du SCRS. C'est un survol de tout ce que fait le SCRS.

Votre crainte est qu'une personne ou une organisation ne soit inscrite sur la liste de manière inopportune. Cela peut faire l'objet d'une révision de la Cour fédérale et le fera sans aucun doute.

[Français]

Le sénateur Bacon: Monsieur le ministre, c'est le comité de surveillance des activités de renseignement et de sécurité qui vous le dit: il y a eu des noms de personnes qui ont été placés sur la liste comme étant des personnes terroristes et qui n'en ne sont pas. Est-il permis de resserrer davantage les opérations?

[Traduction]

M. MacAulay: Je dois d'abord évaluer l'information qui m'est communiquée par la GRC et le SCRS et décider si ces renseignements sont exacts ou non. Ensuite je saisis le Cabinet. Ensuite la décision est revue par la Cour fédérale. Si une personne ou un groupe s'estiment injustement inscrits sur cette liste, ils peuvent se pourvoir devant la Cour fédérale. Ce que fait le SCRS est contrôlé par le CSARS.

Vous me dites que le rapport conclut qu'une personne a été qualifiée de terroriste alors qu'elle ne l'est pas. Monsieur Kennedy, vous pourriez peut-être nous en dire plus.

Le sénateur Bacon: C'est ce qui est écrit ici. Si vous lisez ce document, le rapport 1999-2000, il y a trois ou quatre cas de personnes considérées comme terroristes qui ne l'étaient pas.

M. Paul Kennedy, sous-solliciteur général adjoint principal: Je connais cette affaire. Les trois cas sont liés et ont fait l'objet de la même décision d'un comité du CSARS. Un avantage que nous avons ici est que l'activité terroriste est définie dans la loi. Le CSARS avait un désaccord de principe sur la question de savoir si les activités auxquelles se livrait ce groupe étaient bien terroristes. C'est là le point de départ du litige. Le projet de loi cherche à délimiter les activités problématiques. Il lève dont cette ambiguïté.

Le CSARS a pour rôle de déterminer s'il y a faute et de la corriger. Le fait est que le SCRS examine des dizaines de milliers de cas chaque année pour donner des avis aux ministères et organismes concernant les réfugiés et les autorisations de sécurité. Le nombre de cas où il y a eu faute est relativement faible. S'agissant de la qualité du travail du service, n'oubliez pas qu'il se prononce chaque année sur des dizaines de milliers de cas. Il y a toujours moyen de s'améliorer. C'est la raison pour laquelle nous avons le CSARS et les rapports. Il faut mettre les choses en contexte. Dans la vaste majorité des cas, il n'y a pas de problème. Y a-t-il place pour l'amélioration? Oui, certainement. Y a-t-il un mécanisme de contrôle? Le CSARS en est un, et en l'occurrence le ministre et la Cour fédérale en seront un autre. Comme je l'ai dit, la nouveauté c'est que, pour la première fois dans une loi, on cherche à définir l'activité terroriste, si cela peut vous rassurer.

M. MacAulay: Sénateur, le seul fait d'appartenir à une organisation terroriste ne signifie pas que vous serez inscrit sur la liste.

M. Kennedy: Nous traitons ici de deux problèmes. La loi prévoit l'établissement d'une liste d'entités. Le ministre essaie de vous dire que dans la mesure où les organisations terroristes peuvent être identifiées, elles seront sur la liste. On va toujours découvrir des groupes embryonnaires et si l'un se livre à des activités en association avec une entité terroriste, cela aussi constituera une infraction. Autrement dit, la liste n'est pas exhaustive, mais elle sera utile aux gens pour savoir quelles organisations ils ne devraient pas soutenir ou avec lesquelles ils ne devraient pas frayer.

Le sénateur Andreychuk: J'aimerais m'attarder là-dessus, monsieur le ministre. Par le passé, lorsque le CSARS avait autorité sur cette liste, un problème était que l'on ne savait jamais si l'on était suspect ou non. Comme se fera la publication aux termes de cette loi? Je ne m'inquiète pas tant pour les organisations ou les personnes inscrites. Lorsque vous dites qu'une organisation ou qu'un groupe est terroriste, comment la personne innocente qui ne correspond pas à votre définition peut-elle être innocentée?

M. MacAulay: Si le SCRS ou la GRC m'apporte des renseignements et que je les évalue au mieux de ma capacité, avec les ressources dont je dispose, et recommande l'inscription au Cabinet, le groupe est sur la liste.

Le sénateur Andreychuk: Si vous inscrivez une organisation sur la liste, ayant suivi toutes les procédures au mieux de votre capacité, mais que quelqu'un dans ce groupe, assimilé à cette organisation, est totalement innocent d'activités terroristes, selon votre définition, comment fait-elle pour être innocentée? Sera-ce la culpabilité par association? Que se passe-t-il si l'association de cette personne est innocente? Et si cette personne a adhéré au groupe parce qu'on lui a dit que c'était une organisation humanitaire, et qu'il s'avère que ce n'est pas vrai? Comment la personne peut-elle récupérer sa réputation? Comment pourra-t-elle fonctionner dans cette société?

M. MacAulay: C'est le groupe qui est désigné. Si je comprends bien votre question, une personne qui fait affaires avec ce groupe, qui soutient ce groupe et lui fait des dons en argent, commet une infraction si ce groupe est désigné.

Si une personne fait affaires avec un groupe désigné, c'est considéré comme une infraction. Si la personne n'a rien fait de mal, elle n'est pas sur la liste. La seule façon pour elle de commettre une infraction est d'appuyer ou de faire affaires avec un groupe désigné.

Le sénateur Andreychuk: Si je suis innocente et que j'adhère à une fondation, et dis partout autour de moi que c'est un excellent groupe qui fait des choses merveilleuses, et que je m'aperçois ensuite qu'il est inscrit sur la liste, j'aurai déjà annoncé publiquement mon association avec lui. Comment puis-je me dédouaner si je pensais sincèrement que l'organisation était crédible? Autrement dit, comment la personne fait-elle pour éviter le stigmate après coup?

M. MacAulay: Si je comprends ce que vous dites, la personne n'a rien fait de mal. Vous dites qu'elle a fait savoir autour d'elle qu'elle est associée à un groupe qui s'avère être une organisation terroriste. Peut-être M. Kennedy voudrait-il répondre.

M. Kennedy: L'un des grands facteurs que nous avons pris en compte, et vous le verrez aussi bien ici que dans la législation sur le crime organisé, est que nous n'avons pas criminalisé l'appartenance. L'appartenance n'est pas stigmatisée ou criminalisée. Le ministre a raison, nous allons dresser une liste d'entités, c'est-à-dire de personnes ou de groupes, à titre de signal pour autrui. Cela devient comme un signal d'alarme pour les autres.

Évidemment, il est possible que des individus soient associés innocemment à ce groupe. Tout est possible. Le signal pour eux, une fois l'inscription faite, est de se dissocier à ce stade. Leur bonne foi sera évaluée en fonction de ce qu'ils font une fois qu'ils apprennent que le groupe est terroriste.

En ce qui concerne la culpabilité, comme le ministre l'a signalé, si vous vous livrez aux activités décrites, vous avez manifestement un problème. C'est ainsi qu'il faut aborder la chose. Il y a toujours un risque, dès qu'on dresse une liste de groupes.

Je dois vous dire, ayant travaillé sur la partie du projet de loi C-16 concernant les organismes de bienfaisance, et ayant consulté une vingtaine d'organisations bénévoles nationales représentant un grand nombre d'oeuvres caritatives, ils nous ont fait savoir qu'ils voulaient une liste. C'est un peu comme une épée à double tranchant. S'il n'y a pas de liste, ils se plaignent. S'il y a une liste, là aussi il y a des inconvénients.

L'avantage de la liste est qu'elle apporte la clarté au sujet des groupes que nous considérons problématiques. C'est le choix de Hobson, quoi que l'on fasse. Il y a des avantages et des inconvénients. Ces groupes nous ont demandé de leur donner une liste, et c'est ce que nous faisons. De toute façon, les Nations Unies aussi créent des listes. Il y aura des listes.

Le sénateur Fraser: Monsieur le ministre, le solliciteur général établit la liste. Le solliciteur général défend cette liste, si nécessaire, lors d'une audience judiciaire unique qui peut être tenue à huis clos de telle façon que l'intéressé n'a pas connaissance de toute la preuve. Cette personne peut ne pas voir toute la preuve contre elle.

Après deux années, le solliciteur général révise la liste qu'il a lui-même établie et a l'occasion de dire que la liste est toujours bonne. Premièrement, ne faudrait-il pas avoir un réexamen chaque année, peut-être et, deuxièmement, l'examen ne devrait-il pas être effectué par un organe indépendant, quelque chose comme le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité?

M. MacAulay: S'il y a un désaccord sur la présence du nom de la personne sur la liste, il y a un recours devant la Cour fédérale.

Le sénateur Fraser: C'est une certaine protection, mais insuffisante en ce sens que la preuve apportée par le Solliciteur général peut être reçue en tout ou partie à huis clos, l'avocat de la personne ne recevant qu'un résumé. Parfois, le résumé omettra des éléments qui auraient pu être réfutés. Cette personne restera sur la liste aussi longtemps que le solliciteur général le voudra. Le Solliciteur général, sauf votre respect, agit en circuit fermé.

Ne serait-il pas approprié, étant donné l'impact extraordinaire sur la vie des personnes inscrites sur la liste, d'avoir un mécanisme de révision indépendant?

M. MacAulay: La proposition est de revoir la liste tous les deux ans. Cependant, comme je l'ai dit, cette personne ou ce groupe ont un recours en Cour fédérale.

Le sénateur Fraser: Mais une fois seulement.

M. MacAulay: S'il y a des éléments nouveaux, la possibilité existe d'un nouveau pourvoi. Cependant, lorsqu'une liste est dressée et que la Cour est amenée à trancher, le problème est que les éléments de preuve peuvent comporter des noms de groupes ou de personnes ayant fourni les renseignements. Ces derniers peuvent provenir de services étrangers. Des vies pourraient être en danger si ces noms étaient divulgués publiquement. C'est pourquoi nous avons prévu des audiences à huis clos car autrement nous ne pourrions communiquer les renseignements au juge.

Le sénateur Fraser: Je comprends cet aspect.

M. MacAulay: Nous revoyons la liste tous les deux ans car c'est une infraction de traiter avec ceux qui y figurent. Nous la revoyons tous les deux ans. On n'est pas inscrit sur cette liste sans avoir enfreint les règles en rapport avec des actes terroristes.

Le sénateur Fraser: Une personne se voit inscrite sur la liste dans la mesure où il y a des motifs raisonnables de penser qu'elle est impliquée dans des actes terroristes.

M. MacAulay: C'est destiné à tarir le financement des organisations terroristes. Il n'y a pas d'autres moyens de stopper le financement de ces groupes.

Si nous ne protégeons pas les personnes ou les organisations qui fournissent l'information justifiant l'inscription de ces personnes, nous ne pourront utiliser ces renseignements en audience publique d'un tribunal. Nous revoyons l'inscription tous les deux ans car l'inscription n'est certes pas chose agréable. Le fait est qu'il faut s'assurer que les organisations inscrites ont bien leur place sur la liste. C'est pourquoi nous avons cette révision tous les deux ans. Les personnes qui pensent qu'elles ne devraient pas figurer sur la liste ont l'option d'un recours devant la Cour fédérale. C'est assez ouvert.

Le sénateur Murray: La Partie 5 du projet de loi modifie un certain nombre de lois, dont la Loi sur l'accès à l'information, la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, la Loi sur la protection des renseignements personnels, avec chaque fois des termes virtuellement identiques donnant au procureur général du Canada le droit d'émettre à tout moment un certificat interdisant la divulgation d'information dans le but de protéger les relations internationales ou la défense et la sécurité nationales.

Ces lois autorisent déjà le gouvernement à invoquer une exemption pour des motifs de relations internationales, et cetera. Je ne pense pas me tromper en le disant. La façon dont le processus fonctionne aujourd'hui - et votre sous-ministre pourra me corriger car je crois qu'elle le connaît bien grâce à ses fonctions antérieures - le gouvernement invoque la dérogation aux termes de l'une ou l'autre de ces lois. Si la personne qui demande les renseignements en vertu de la Loi sur l'accès à l'information objecte à la dérogation, elle doit s'adresser au Commissaire à l'information. Ce dernier peut convoquer les fonctionnaires et demander pourquoi la dérogation est invoquée. Il peut aller jusqu'à ordonner au gouvernement de produire les renseignements et, si je ne m'abuse...

Mme Nicole Jauvin, sous-solliciteure générale: Non.

Le sénateur Murray: Il peut faire un procès au gouvernement.

Mme Jauvin: Le commissaire, je crois, a le pouvoir de recommander à l'administrateur général de communiquer l'information. Si l'administrateur général ne donne pas suite à la recommandation du Commissaire à l'information, et si ce dernier a d'autres raisons pour vouloir que le renseignement soit rendu public, il peut intenter une action en justice contre le gouvernement.

Le sénateur Murray: Merci. C'est effectivement la procédure. Je m'adresse maintenant au ministre.

Le but de ces modifications, monsieur le ministre, est d'évincer le Commissaire à l'information, d'évincer le Commissaire à la protection de la vie privée, de supprimer la garantie de procédure et d'évincer les tribunaux. N'est-ce pas?

M. MacAulay: Parlez-vous de l'accès à l'information?

Le sénateur Murray: Ou la protection des renseignements personnels ou tout ce que vous voudrez. Les changements ont un libellé virtuellement identique.

M. MacAulay: Monsieur Kennedy, pouvez-vous répondre, bien que cela soit du ressort du Procureur général?

Le sénateur Murray: C'est une question de politique. Disons les choses en termes plus neutres. Les modifications ont pour effet d'exclure ces mandataires du Parlement, d'annuler les garanties de procédure et d'exclure les tribunaux.

M. MacAulay: Je ne pense pas.

M. Kennedy: Pour placer les choses dans leur contexte, il se pose un problème pratique en termes d'interaction des affaires devant la cour, s'agissant d'accès et de vie privée. Je suis sûr que mes collègues du ministère de la Justice pourront vous en dire plus long. Il s'est produit des cas, par exemple, où il y a une procédure séparée en vertu de l'AIPRP. Si vous invoquez la mauvaise exemption, la justice a tranché que nous ne pouvons utiliser les dispositions de la Loi sur la preuve au Canada pour empêcher la divulgation et remédier à cette erreur. Si vous ne faites pas attention et invoquez la dérogation A et que celle-ci n'est pas applicable mais que la dérogation B le serait, vous avez perdu.

Le sénateur Murray: Qu'est-ce que tout cela a à voir avec tout ceci?

M. Kennedy: On constate également que dans les procédures judiciaires où les tribunaux rendent des décisions sur l'admissibilité de preuves que les gens utilisent l'accès à l'information et la protection des renseignements personnels comme véhicule distinct. Ce que l'on cherche à faire ici avec les articles 37 et 38 modifiant l'accès à l'information, c'est de rationaliser le traitement de l'accès aux renseignements mettant en jeu la sécurité nationale. On a conçu ce processus, considéré comme un tout. Cela fait, il fallait voir quelles modifications corrélatives étaient nécessaires, le cas échéant, concernant les autres instruments d'accès à l'information. C'est pourquoi vous devez considérer les modifications à la Loi sur les secrets officiels en conjonction avec l'accès à l'information et la vie privée et les mécanismes créés dans ce domaine. Tout cela porte sur le même sujet. Il faut retourner en arrière et considérer la racine du problème qui se pose.

L'effet d'une catégorie de renseignements étroite serait de donner au Procureur général le pouvoir arbitraire d'interdire la divulgation de certains renseignements. Je vous invite à considérer le modèle de la Loi sur les secrets officiels pour voir ce qui a été créé et les pouvoirs prévus. Cela vous guidera pour ce qui est des raisons pour lesquelles nous avons demandé ces changements.

Le sénateur Murray: Je pense qu'il faudrait revoir cela.

Le sénateur Kenny: Avons-nous aujourd'hui un service de renseignements à l'étranger?

M. MacAulay: Nous avons un service de renseignements qui a le pouvoir de recueillir toute l'information relative à la sécurité du Canada. Voilà ce que nous avons.

Le sénateur Kenny: A-t-il des ressources suffisantes?

M. MacAulay: Le directeur du SCRS a dit disposer des ressources voulues pour exécuter son mandat, mais comme vous le savez, sénateur Kenny, les choses ont changé depuis le 11 septembre. Vous savez que nous lui avons fourni 10 millions de dollars vendredi et nous continuons à évaluer ce qu'il reste à faire.

L'essentiel, à mon sens, pour le SCRS et tous les services de renseignement du monde, est de disposer de la capacité à intercepter et à exploiter les renseignements ainsi obtenus. C'est le gros problème, de même que le grand facteur de coût, de tous les services de renseignements. Vous savez que nous avons le comité et que nous évaluons tout ce qu'il convient de faire, quels changements il faut apporter et quelles ressources sont requises. C'est donc précisément ce que nous faisons.

Le sénateur Kenny: Est-ce que l'augmentation de 5 p. 100 suffit?

M. MacAulay: Pour le moment, oui, une augmentation de 5 p. 100 suffit. Mais nous devons continuer à évaluer la situation, pour assurer d'avoir un financement suffisant en place. Je me suis rendu dans pas mal de pays du monde et je suis sûr que tout service de police ou service de renseignement du monde vous dirait qu'il aimerait davantage de fonds.

Le sénateur Kenny: Que pense le Solliciteur général?

M. MacAulay: Le solliciteur général pense que nous devons évaluer les besoins de concert avec le SCRS et la GRC pour assurer qu'ils ont les moyens voulus pour remplir leur mandat. Le fait est que c'est le cas à ce stade.

Il est arrivé quelque chose le 11 septembre qui n'aurait pas dû arriver. Les États-Unis ont beaucoup plus de ressources et une organisation beaucoup plus grosse, mais il y a eu des défaillances. Nous devons veiller, et c'est le rôle de ce comité du Cabinet, à faire le point et à évaluer ce qui a été fait, en collaboration avec le SCRS, et débloquer les ressources voulues, et c'est ce que nous ferons.

Le sénateur Kenny: La définition de procureur général, dans la Partie 1, tout au début de la partie modifiant le Code criminel indique:

...le procureur général ou le solliciteur général de la province où ces poursuites sont intentées ou leur substitut légitime.

De qui peut-il s'agir? Est-ce une seule personne ou bien pourrait-ce être plusieurs personnes? Peut-on nommer substitut toute une série de personnes en vue d'exécuter cette fonction ou les fonctions mentionnées plus loin dans le projet de loi, ou bien s'agit-il de l'administrateur général du ministère?

M. MacAulay: J'imagine qu'il s'agit des adjoints respectifs des territoires ou provinces. Mais j'aimerais avoir l'avis d'un expert et demander au ministère de la Justice de répondre. Vous faites une évaluation d'ensemble, et je ne doute pas que vous êtes capable de faire une évaluation en profondeur du texte de loi, ce que nous apprécions. Je tiens à ce que vous ayez une réponse exacte.

M. Kennedy: Ces définitions sont celles contenues dans le Code criminel.

Le sénateur Kenny: Pouvez-vous m'éclairer, s'il vous plaît? Peut-on nommer substitut n'importe quel nombre de personnes d'un ministère? Peuvent-ils devenir substituts légitimes ou bien ce pouvoir est-il limité uniquement à l'administrateur général du ministère?

M. MacAulay: C'est limité à l'administrateur général du ministère.

Le sénateur Kenny: Et nul autre?

M. Kennedy: Oui, il y a le ministre et son sous-ministre. Ces règles sont issues de la Loi d'interprétation. C'est là que ces choses sont définies. Dans le code lui-même, certaines activités ne peuvent être effectuées que par le ministre, c'est-à-dire le procureur général ou le solliciteur général. D'autres peuvent être accomplies par le sous-ministre. Toutes ces fonctions sont énoncées. Nos collègues du ministère de la Justice possèdent un manuel qui indique exactement quelles fonctions, aux fins du code, peuvent être remplies par le sous-ministre et lesquelles doivent être assurées par le ministre.

Le sénateur Kenny: Vous dites donc que deux personnes sont concernées: le ministre et le sous-ministre. Le pouvoir ne peut pas être délégué plus bas?

M. Kennedy: Non.

Le sénateur Beaudoin: Ce projet de loi modifie quantité de lois, dont la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. L'article 94 du projet de loi semble impliquer une rétroactivité. La rétroactivité et le droit pénal ne font pas bon ménage. J'aimerais en savoir un peu plus sur la rétroactivité implicite au paragraphe 94(1), page 114.

M. MacAulay: Parlez-vous du fait que la libération conditionnelle ne peut être demandée qu'une fois la moitié de la peine purgée? Est-ce là le changement dont vous parlez?

Le sénateur Beaudoin: Le paragraphe 94(1) stipule:

Les dispositions qui suivent s'appliquent, indépendam ment de la date à laquelle le contrevenant a été condamné à une peine d'emprisonnement ou a été incarcéré ou transféré dans un pénitencier.

Si je ne m'abuse, il y a là une forme de rétroactivité. J'aimerais savoir pour quelle raison. C'est purement pour ma gouverne.

M. Kennedy: Je ne prétends pas être expert en matière correctionnelle, mais j'ai ici une note qui dit que cette disposition exclut du programme de libération conditionnelle accéléré les contrevenants condamnés pour conspiration ou commission des infractions énoncées à l'annexe 1 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Ce programme permet aux détenus d'être libérés sous condition après avoir purgé un sixième de leur peine, quel que soit le jour auquel ils ont été condamnés, incarcérés ou transférés dans un pénitencier.

Nous disons que les contrevenants qui entrent dans cette catégorie ne sont pas admissibles au programme qui permet de libérer les détenus fédéraux non récidivistes après un sixième de leur peine. La libération conditionnelle normale ne peut intervenir qu'une fois purgé un tiers de la peine, et fréquemment les deux tiers.

Mais cette disposition ne s'appliquera pas aux contrevenants auxquels la Commission nationale des libérations conditionnelles a accordé la libération sous condition en vertu de l'article 126 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition avant l'entrée en vigueur du projet de loi.

Cette disposition vise à priver les contrevenants actuellement incarcérés pour ces délits de l'option de libération accélérée après avoir purgé un sixième de la peine.

Le sénateur Beaudoin: La punition n'est-elle pas rétroactive?

M. Kennedy: Non, la punition n'est pas touchée. C'est la date de libération sous condition qui est touchée. Au lieu d'être libérés de manière anticipée, après avoir purgé un sixième de la peine, ils vont relever du régime normal. La peine infligée n'est pas touchée, seulement l'admissibilité à une libération anticipée.

M. MacAulay: Il y a également la possibilité du statut de contrevenant dangereux. Certains de ces contrevenants pourront ne jamais être libérés sous condition, s'ils répondent aux critères.

Le sénateur Beaudoin: Ce n'est pas du tout la question de sécurité qui m'inquiète ici. Je veux savoir pourquoi il y a cette rétroactivité.

[Français]

Mme Jauvin: Vous soulevez un bon point. Le langage ne m'apparaît pas tout à fait clair. Je ne crois pas que l'intention soit de parler de rétroactivité et que cela signifie que c'est nonobstant la date à laquelle le contrevenant a été condamné.

Le calcul commence à un stade différent. Si on pense qu'une interprétation rétroactive peut être donnée, il faut le vérifier. Je ne crois pas que c'était l'intention.

Le sénateur Beaudoin: Ce n'est pas l'intention du législateur?

Mme Jauvin: Je ne crois pas, mais c'est à vérifier.

[Traduction]

Le sénateur Jaffer: La définition de l'activité terroriste fait état d'actes commis au Canada ou à l'étranger. Est-ce que la liste des organisations terroristes qui va être dressée englobera et des organisations canadiennes et des organisations étrangères?

Je crois savoir également que l'on utilise un profilage racial. Vous pourrez démentir si c'est faux. Est-ce que l'on utilisera la profilage racial pour dresser ces listes?

M. MacAulay: L'élément le plus important est celui-ci, et il importe que tout le monde le sache: ce qui compte, ce n'est pas qui vous êtes, c'est ce que vous avez fait.

Ceci n'a absolument rien à voir avec la race ou la religion. Nous agirons sur la foi des renseignements obtenus, quels que soient la personne ou le groupe visés et où ils se trouvent. Si une personne ou un groupe répond aux critères régissant l'inscription sur cette liste, ce nom ira sur la liste, quelle que soit cette personne. Cela n'a absolument rien à voir avec la race ou l'ethnie.

Le sénateur Jaffer: Est-ce que la liste comportera également des organisations étrangères?

M. MacAulay: Oui, c'est possible.

Le sénateur Tkachuk: On nous dit que ceci est un projet de loi très important et c'est pourquoi nous effectuons une étude préalable. Puis-je vous demander pourquoi vous nous quittez si vite?

M. MacAulay: J'ai une autre réunion. J'ai accordé une heure et je peux répondre aux questions sur trois parties de ce projet de loi. Je peux revenir, si nécessaire.

Le sénateur Tkachuk: Notre horaire prévoyait que vous seriez là jusqu'à 17 h 50. Pouvons-nous vous garder jusque-là?

M. MacAulay: Je dois partir à 17 h 30 car j'ai un autre engagement. Je suis désolé. J'ai cru comprendre que vous teniez à me voir aujourd'hui et je n'ai pas voulu éconduire le Sénat. C'est la dernière chose que je ferais. J'apprécie que vous souhaitiez me voir plus longtemps.

Le sénateur Tkachuk: Je ne doute pas qu'il s'agit d'un engagement très important. J'ai demandé à la ministre de la Justice l'identité de ces terroristes présents au Canada et quelle indication nous avons quant à l'origine de ces gens. Je suis sûr que, depuis le 11 septembre, on s'est beaucoup activé pour savoir qui voudrait nuire au Canada.

Avons-nous des indications quant à l'origine de la plupart des organisations terroristes identifiées? De quelle partie du monde viennent-ils? Beaucoup de ces terroristes sont-ils citoyens canadiens?

M. MacAulay: Honorables sénateurs, comme vous le savez et comme un certain nombre de témoins l'ont déjà indiqué ici très clairement, notre pays compte des gens associés à des organisations terroristes. La même chose est vraie de tous les pays industrialisés du monde. Nos services de renseignements et de police s'occupent de notre sécurité nationale. Je ne suis pas libre de vous dire qui ils sont, où ils sont ni d'où ils viennent.

Le sénateur Tkachuk: Vous n'avez pas de données démographiques sur l'origine de ces personnes?

M. MacAulay: J'ai des renseignements, mais je ne divulguerai pas publiquement des renseignements mettant en jeu la sécurité nationale du pays.

Le sénateur Tkachuk: Vous demandez l'autorisation de publier des listes de ces organisations. Vous devez bien avoir quelque idée d'où viennent ces gens. Sont-ils asiatiques? D'où viennent-ils? Sont-ils des réfugiés, des immigrants ou des citoyens canadiens? Qui sont-ils?

M. MacAulay: Sénateur, une liste va être dressée. Comme je l'ai déjà dit, cela n'a rien à voir avec votre pays d'origine, mais seulement avec ce que vous avez fait. C'est ainsi que la liste est dressée. Une fois établie, elle sera publiée dans la Gazette du Canada. Tous les Canadiens en auront alors connaissance. Vous savez pertinemment bien qu'il serait tout à fait inapproprié que je vous indique qui ils sont, ou de qui il pourrait s'agir ou ne pas s'agir.

Le sénateur Tkachuk: Nous avons déjà convenu avec les États-Unis que l'organisation al-Qaeda est celle considérée responsable des attentats du 11 septembre. Nous partons en guerre sur cette base. Est-ce l'un des groupes?

M. MacAulay: Sénateur, je ne puis répondre à cette question. Cependant, j'apprécie votre préoccupation et j'ai conscience de ce qui la motive.

Le sénateur Tkachuk: Pensez-vous que nous pouvons empêcher ces gens de venir dans notre pays?

M. MacAulay: Des mesures seront prises par notre pays et beaucoup d'autres du monde en vue de beaucoup mieux contrôler ce genre d'activités. C'est pourquoi, sénateur, votre gouvernement et le Sénat sont réunis ici même. Je m'attends à ce que vous formuliez des recommandations, que nous pourrons peut-être accepter, afin d'assurer que nous ayons en place les lois voulues. C'est pourquoi nous avons formé ce comité, pour assurer que nous ayons le financement voulu. Je peux vous assurer que nous ferons les deux, et vous nous aiderez.

Le sénateur Tkachuk: Vu les réponses à mes questions, je commence à avoir une idée de la façon dont cette législation sera administrée. Je pense que certains de ces renseignements devraient être fournis au public afin que ce dernier sache ce qui se passe.

Des témoins ayant comparu devant le Sénat au sujet du projet de loi C-11 nous ont dit qu'il n'y a pas grand-chose dans ce dernier pour empêcher les réfugiés d'affluer au Canada. Il n'y a pas de mesures concrètes dans ce projet de loi C-11. Il n'y a pas de moratoire pour les réfugiés. Nous avons une bonne idée de qui sont ces terroristes et d'où ils viennent. Pourquoi ne faisons-nous rien à cet égard, pour préserver notre sécurité?

M. MacAulay: Me demandez-vous pourquoi je ne vous indique pas quels groupes nous évaluons en vue d'une éventuelle inscription sur la liste? La réponse est qu'il serait tout à fait inapproprié que le Solliciteur général fasse cela avant d'évaluer la situation et avant de soumettre son évaluation au Cabinet. Ce serait totalement inconvenant et je ne le ferai pas.

Le sénateur Tkachuk: Dois-je conclure de vos propos antérieurs que vous accepteriez des suggestions ou recommandations concernant le projet de loi sur les réfugiés, le C-11?

M. MacAulay: Je suis venu ici défendre ce projet de loi-ci, qui est de mon ressort. Je n'ai pas travaillé de près sur cet autre texte, mais je serais ravi d'en discuter avec vous à un autre moment. Nous sommes ici pour étudier ce projet de loi-ci et essayer de faire en sorte qu'il soit bon. Nous avons déjà longuement discuté de la manière dont les listes sont constituées et de la procédure qui sera suivie. Peut-être l'honorable sénateur pense-t-il que cela devrait se dérouler davantage sous les yeux du public. Je serais intéressé de savoir ce que le comité pense. Très souvent le Sénat contribue des améliorations au projet de loi. Peut-être pourriez-vous améliorer celui-ci.

La présidente: Merci, monsieur le ministre. Collègues, je vous remercie grandement de votre collaboration. Je l'ai vraiment appréciée.

M. MacAulay: Je tiens à remercier tous les honorables sénateurs.

Le sénateur Finestone: J'aimerais traiter de la question de nos frontières, notamment de la perméabilité de la frontière canado-américaine; il est important que les échanges commerciaux puissent se faire, mais important aussi de pouvoir distinguer entre un touriste et un terroriste, ou un réfugié et un immigrant.

Comment vous y prendrez-vous? Il va falloir faire un filtrage. Les mesures figurent-elles dans ce projet de loi-ci ou dans celui sur l'immigration?

Le sénateur Andreychuk: C'est le projet de loi C-11.

Le sénateur Finestone: Comment ferez-vous? Vous êtes responsable de cette frontière. Si ce sont les touristes qui nous inquiètent, que fait-on pour s'assurer qu'il n'y a pas parmi eux des terroristes et empêcher ces derniers de traverser. Comment va-t-on empêcher un terroriste de traverser, si vous n'avez que 72 heures pour faire enquête?

Mme Jauvin: Ce projet de loi relève du ministère de l'Immigration. Je n'en ai pas une connaissance personnelle ou intime. Nous pouvons parler de certaines mesures nouvelles annoncées récemment pour aider les organismes de surveillance à la frontière, mais je ne sais pas si c'est ce que vous voulez entendre. Si oui, nous pouvons vous donner des détails.

Le sénateur Finestone: Je me trompe peut-être. Je croyais que votre ministère était responsable du SCRS et de la GRC. N'êtes-vous pas responsable des gardes-frontière?

Mme Jauvin: C'est l'Agence des douanes et du revenu du Canada qui administre la frontière, et elle relève du ministre du Revenu, M. Cauchon.

Le sénateur Finestone: Je lui réserverai donc mes questions.

Le sénateur Fraser: En ce qui concerne les listes, je lis à l'alinéa 83.05(1)a):

[...] qu'elle s'est livrée ou a tenté de se livrer à une activité terroriste, y a participé ou l'a facilitée.

Dans les définitions, le projet de loi dit, pour ce qui est de la facilitation, que l'on peut avoir facilité quelque chose même si on ne savait pas qu'on le faisait. Dans divers autres articles du projet de loi, en revanche, le texte spécifie que, pour qu'il y ait infraction, il faut avoir sciemment facilité quelque chose.

Ne conviendrait-il pas d'ajouter également ici le mot sciemment, de façon à ce que l'alinéa se lise: s'est livré ou a tenté de se livrer à une activité terroriste, y a participé ou l'a sciemment facilitée?

Mme Jauvin: Encore une fois, cette définition figurera dans le Code criminel et est donc du ressort du ministre de la Justice. C'est le ministère qui fixera la norme.

Le sénateur Fraser: Il s'agit ici de l'inscription sur la liste, n'est-ce pas?

Mme Jauvin: Le rôle de notre ministre est d'examiner les renseignements qui lui sont remis par les organismes d'application de la loi tels que le SCRS et la GRC et, peut-être, certains services du ministère de l'Immigration et de déterminer s'il y a des motifs raisonnables de croire que ces organisations ont commis des actes ou des activités terroristes. Il doit avoir des motifs de le penser. Il transmet ensuite cette recommandation au Cabinet et doit convaincre ses collègues.

Le sénateur Fraser: En quoi serait-il contraire à l'intérêt public d'insérer le mot «sciemment» ici? Je m'explique. J'ai posé la question au sujet de «faciliter sciemment» ce matin, lorsque la ministre de la Justice et ses fonctionnaires ont comparu. Je vais résumer leur réponse, en espérant ne pas faire d'erreur. Ils ont dit ne pas avoir inclus le mot «sciemment» parce que, dans certains cas, il est difficile d'ignorer ce que l'on fait. Si vous recrutez quelqu'un pour suivre une formation terroriste, vous savez ce que vous faites. Vous facilitez sciemment.

L'exemple classique que les gens citent est celui d'un citoyen ordinaire qui loue son appartement en sous-sol à quelqu'un qui y tient des réunions terroristes. Le propriétaire ne sait pas ce qui s'y passe. Va-t-on le placer sur la liste pour avoir facilité une activité terroriste, ou bien ne faudrait-il pas fixer la barre un peu plus haut et dire qu'il faut avoir facilité «sciemment»?

Mme Jauvin: M. Kennedy voudra ajouter quelque chose, mais je veux faire ressortir que mon ministre et le ministre auquel nous faisons rapport seront responsables de l'administration du critère qui figurera dans la loi telle qu'adoptée. Si la loi dit «facilité», alors ce sera là le critère. Si l'on amende le projet de loi pour dire «facilité sciemment», par suite d'une décision du Cabinet, alors évidemment...

Le sénateur Fraser: Du Parlement.

Mme Jauvin: Du Cabinet et du Parlement, bien entendu. Évidemment, dans ce cas, cela sera...

Le sénateur Finestone: C'est un lapsus intéressant.

Mme Jauvin: Désolée, le Cabinet est la première étape. Pour l'administration, la première étape est le Cabinet, avant que le texte aille au Parlement.

M. Kennedy: Dans le contexte de cette législation, et considérant le mot «facilité» à la page 15, il est flanqué dans la version anglaise du mot «particular» qui me paraît important. La notion ici est que «l'intéressé sache qu'il se trouve à faciliter une telle activité».

D'après tout ce que l'on entend dire, par exemple, au sujet des événements du 11 septembre, ces derniers étaient en préparation depuis des années. Des personnes avaient été prépositionnées pour faire certaines choses, sans nécessairement savoir ce qu'on leur demanderait de faire au dernier moment. Il y en avait d'autres qui les aidaient, qui savaient qu'ils assistaient une organisation terroriste, mais sans nécessairement savoir quelle était la cible ultime de cet attentat terroriste. C'est pourquoi cela figure ici. C'est dû à la nature de la bête que nous combattons.

Vous trouverez sans doute un libellé similaire dans le projet de loi C-24 sur le crime organisé. Si vous avez des relations avec des groupes criminels organisés, des gangs de motards, et cetera, vous savez que leur raison d'être est de commettre des crimes. Sachant cela, vous savez que tout ce que vous faites pour faciliter la vie à cette entité les aidera à réaliser leurs objectifs, soit commettre des crimes. Dans le cas d'un groupe terroriste, c'est de commettre des actes terroristes. C'est un bouclier commode que de dire: je les ai aidés il y a trois ans en les hébergeant ou en leur donnant des faux papiers ou de l'argent ou en facilitant leur voyage dans un autre pays, mais je ne savais pas qu'ils allaient percuter avec un avion le World Trade Center. N'est-ce pas une issue commode? C'est pourquoi vous trouvez ici cette notion de facilitation.

Ces attentats se préparent parfois des années à l'avance. Si vous n'avez rien de tel, c'est donner carte blanche à quiconque veut aider ces groupes, sans risque. Voilà l'explication. Que vous acceptiez ou non cette explication, c'est cela le raisonnement. Si vous regardez le projet de loi C-24, vous verrez qu'il reprend fidèlement les notions de faciliter, participer et encourager contenues ici.

Le sénateur Fraser: Je précise que je ne m'inquiète pas pour ceux qui fournissent des faux papiers et des armes à feu et tout le reste. Je m'inquiète pour les moniteurs de pilotage canadiens qui ont pu apprendre à piloter à ces hommes, sans savoir ce qui était en jeu.

M. Kennedy: Sauf tout mon respect, ceux-là ne seront pas couverts, car le critère est qu'ils aient facilité sciemment, c'est-à-dire en sachant qu'ils avaient affaire à une organisation terroriste.

Le sénateur Fraser: Merci.

Le sénateur Jaffer: Monsieur Kennedy, avec l'exemple que vous avez donné de quelqu'un qui aide une personne parce qu'elle pense qu'une injustice est commise dans son pays, il n'y a pas de définition du terroriste. On définit très bien l'activité terroriste. Parfois, comme l'a dit le sénateur Fraser, la frontière est très mince. Mettons qu'une injustice soit commise au Canada, et que je collabore avec des personnes dont il s'avère plus tard qu'elles avaient d'autres intentions. Ai-je facilité? Voilà mon problème.

J'ai une question sur quelque chose qui n'est pas dans la loi, soit un rapport annuel. Je crois savoir que pour les écoutes téléphoniques, il faut adresser un rapport annuel au Parlement. Que pensez-vous de l'idée d'avoir un rapport annuel sur les organisations, indiquant combien vous voulez mettre sur la liste et en fin de compte, combien y ont été inscrits?

Mme Jauvin: En réponse à votre première question, le gouvernement a manifestement conscience de l'importance de ces décisions de placer des groupes ou des personnes sur la liste. C'est pourquoi la norme est très élevée. Avoir des «motifs de croire» représente une norme rigoureuse en droit pénal. C'est une norme rigoureuse que le ministre devra respecter, de même que le Cabinet. Ensuite, le tout sera soumis à la révision de la Cour fédérale, qui examinera de nouveau tous les renseignements d'un oeil critique. Oui, c'est une décision difficile qui a des conséquences pour les personnes ou les groupes visés. C'est pourquoi la norme est si élevée. C'est pourquoi il y a également révision judiciaire.

Le sénateur Jaffer: Ce n'est pas ce que je vous demande. Je parlais d'un rapport annuel. Je parlais également de la facilitation à son insu. Il y a une frontière étroite entre aider quelqu'un parce qu'on pense qu'une injustice est commise et s'apercevoir ensuite que cette personne a commis un acte terroriste.

M. Kennedy: En ce qui concerne le rapport annuel, vous avez raison. Un rapport annuel est déposé qui indique le nombre de demandes d'écoutes téléphoniques présentées. Cela concerne et le SCRS et la GRC. C'est dû au fait que la procédure de requête est secrète. Normalement, c'est une requête ex parte présentée à un juge, étant donné que si la demande n'aboutit pas en tribunal, on ne sait pas s'il y a eu écoute téléphonique.

En revanche, ici, la liste sera publique, et vous saurez donc exactement combien il y en a. Tout le but de la liste est d'informer le public. Chaque fois qu'un nom sera ajouté à la liste, tout le monde le saura. Il y a donc responsabilité automatique devant le public.

L'autre aspect que vous mentionnez en est un qui trouble la communauté internationale depuis des décennies, c'est-à-dire la différence entre combattants de la liberté et terroristes. Un universitaire a fait quelques recherches et relevé plus de 192 définitions différentes de terroriste ou du terrorisme, et aucune définition ne fait l'unanimité. Or, il y a consensus sur ce que vous voyez décrit ici comme activités terroristes.

Il y aura toujours ce décalage qui fait que mon combattant pour la liberté est votre terroriste et vice-versa. Il faut admettre le fait que l'usage de la violence à la poursuite d'un objectif politique, religieux ou idéologique est inacceptable.

Une fois que l'on s'écarte de cette prémisse, on s'enlise dans le débat sur le brave combattant pour la liberté et le vilain terroriste. Comme je l'ai dit, vous pouvez lire cette étude et vous verrez des définitions diamétralement opposées. Pour notre part, nous commençons par considérer les activités. Tout le monde convient que ces activités sont mauvaises. Elles englobent des éléments tels que actes de violence graves contre des propriétaires, l'intimidation du public, des attentats à la bombe, ce genre de choses. Ce sont des activités qui visent clairement des membres innocents de la société, dans le but de les intimider.

Il faut faire preuve de prudence. Celui qui veut frayer avec des gens militant pour un objectif politique au Canada ou ailleurs doit vérifier qu'ils ne se livrent pas au genre d'activités décrites ici car ce sont elles qui comportent la violence ou risquent d'entraîner la mort.

Le sénateur Jaffer: Vos dernières phrases m'inquiètent encore plus s'agissant de faciliter. Les gens ne deviennent pas terroristes du jour au lendemain. Il y a une évolution. Les militants mènent d'abord une campagne dans l'opinion. Il peut y avoir facilitation, sans que l'intéressé le sache. J'ai beaucoup de mal avec votre dernière explication.

M. Kennedy: L'article 83.19 dit:

Est coupable d'un acte criminel [...] quiconque sciemment facilite une activité terroriste.

Il n'est pas nécessaire d'être averti de l'acte spécifique causant la mort ou un préjudice, mais vous êtes coupable si vous connaissez leur mode opératoire. C'est cela le déclencheur. Si vous ne savez pas qu'ils se livrent au terrorisme, vous n'avez pas l'intention requise. Toutefois, si vous savez que l'organisation est terroriste et fait ces choses et que vous l'aidez, vous facilitez sciemment.

Je sais que c'est une loi complexe. Elle comporte quantité d'éléments qu'il faut mettre en parallèle.

Le sénateur Murray: Monsieur Kennedy, j'espère ne pas être obtus, mais je ne comprends pas ce que vous nous expliquiez tout à l'heure au sujet du lien entre la Loi sur les secrets officiels et les modifications à la Loi sur l'accès à l'information, la Loi sur la protection des renseignements, et cetera.

Les changements à la Loi sur l'accès à l'information, à la Loi sur la protection des renseignements personnels, et cetera, donneront au Procureur général du Canada le pouvoir illimité de simplement déclarer que certains renseignements ne peuvent être divulgués parce qu'ils seraient préjudiciables aux relations internationales, ou quelque chose du genre. Dès lors, les recours auprès des commissaires prévus par ces lois tombent.

D'après le peu que j'ai compris dans votre explication, ces modifications à la Loi sur l'accès à l'information et à la Loi sur la protection des renseignements personnels, et cetera, sont corrélatives à ce que nous faisons avec la Loi sur les secrets officiels. Pourriez-vous me réexpliquer cela?

M. Kennedy: Merci, sénateur Murray, de cette occasion de rectifier mon propos. Le lien est avec la Loi sur la preuve au Canada, et non la Loi sur les secrets officiels.

Peut-être mes collègues du ministère de la Justice pourront-ils mieux que moi expliquer cet aspect. Cependant, sans entrer dans le justificatif, aux termes de la Loi sur la preuve au Canada, le ministre de la Justice a le droit de faire opposition à la divulgation de renseignements. Il s'agit donc de voir quels autres mécanismes pourraient amener la divulgation des renseignements que le ministre de la Justice demande à garder confidentiels en vertu de la Loi sur la preuve au Canada. Ces autres instruments statutaires sont la Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Donc, pour assurer la cohérence, si l'on modifie la Loi sur la preuve au Canada, il faut apporter des changements corrélatifs à ces autres lois.

Le sénateur Murray: Sans être juriste, je ne vois pas la logique. Je regarde pour la première fois les modifications à la Loi sur la preuve au Canada, à la page 74, le nouveau paragraphe 37(1):

[...] tout ministre fédéral ou tout fonctionnaire peut s'opposer à la divulgation de renseignements auprès d'un tribunal, d'un organisme ou d'une personne [...] en attestant verbalement ou par écrit devant eux que, pour des raisons d'intérêt public déterminées, ces renseignements ne devraient pas être divulgués.

Est-ce là ce dont vous parlez?

M. Kennedy: Je suis à la page 87, le nouvel article 38.13.

Le sénateur Murray: Celui-ci stipule:

Le Procureur général du Canada peut à tout moment délivrer personnellement un certificat interdisant la divulga tion, dans le cadre d'une instance, de renseignements dans le but de protéger les relations internationales ou la défense ou la sécurité nationales.

Je ne vois pas en quoi on aurait besoin de bloquer les mécanismes prévus dans la Loi sur l'accès sur l'information ou ces autres que j'ai mentionnées, mécanismes qui permettent au commissaire de déterminer si la dérogation est justifiée.

M. Kennedy: C'est précisément le mécanisme que je vous demandais de considérer. Tout part de la Loi sur la preuve au Canada. Vous avez tout à fait raison, si la procédure suit son cours, vous pouvez avoir une instance, un avis d'opposition est émis, lequel est contesté, l'affaire va en Cour fédérale et ce juge peut ordonner la divulgation. L'information peut être de nature tellement sensible qu'elle amène le procureur général à invoquer cette clause et à délivrer un certificat interdisant la divulgation. Cela intervient donc après toute cette procédure judiciaire.

Une fois cela fait à l'égard de la procédure judiciaire, il faut se demander s'il n'y a pas d'autres mécanismes qui pourraient être utilisés pour contraindre la divulgation de cette information. Oui, il en existe deux autres, la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur l'accès à l'information.

Si vous n'inscrivez pas dans ces autres lois quelque chose de comparable, vous vous retrouvez seulement avec un certificat absolu applicable à une instance judiciaire donnée. À ce stade, quelqu'un peut saisir le commissaire qui peut ordonner la divulgation, ou bien recourir à un autre instrument pour court-circuiter le certificat.

Le sénateur Murray: Cette instance pourrait même avoir été ouverte par le Commissaire à l'information, n'est-ce pas?

M. Kennedy: Ce serait intéressant. Dans le cas que j'ai cité tout à l'heure, où une demande avait été faite sous le régime de la Loi sur l'accès à l'information, une décision erronée avait été prise touchant la dérogation. L'affaire a abouti en Cour fédérale qui a ordonné la divulgation.

Le gouvernement a ensuite essayé d'invoquer la Loi sur la preuve au Canada pour bloquer la divulgation. Je crois savoir que le tribunal a rendu une décision disant que la Loi sur la preuve au Canada ne pouvait être invoquée pour empêcher la divulgation; l'information aura été divulguée sous le régime d'un mécanisme autre.

Donc, il n'est pas nécessairement vrai que cette disposition ici prendrait le pas sur l'accès à l'information ou la protection des renseignements personnels à moins de le spécifier expressément, c'est-à-dire sans relier entre eux tous les mécanismes. C'est ce que l'on essaie de faire ici, on cherche à couvrir les trois régimes.

Le sénateur Murray: Je pense que c'est un problème.

Madame Jauvin, je m'intéresse aux Renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada et à l'article 44, à la page 89 du projet de loi, qui introduit un changement à la Loi sur la preuve au Canada. Je lis l'article 44:

La même loi est modifiée par adjonction, après l'article 54, de l'annexe figurant à l'Annexe 2 de la présente loi.

Je sais que cela n'est pas de votre ressort, mais vous savez probablement ce que l'on cherche à faire ici et pourquoi.

Mme Jauvin: Notre pagination n'est pas la même mais j'ai trouvé l'article. Je ne travaille vraiment pas dans ce domaine, mais je crois que c'est une référence au titre de l'article suivant, soit l'article 39 de la Loi sur la preuve au Canada. Je ne pense pas qu'il y ait vraiment de changement ici.

Le sénateur Murray: Il n'y a pas de changement sur le fond?

Mme Jauvin: C'est ce qu'il me semble, à la lecture du projet de loi.

Le sénateur Andreychuk: J'aimerais revenir à la liste des terroristes pour voir si je comprends les arguments formulés par le sénateur Jaffer et le sénateur Fraser.

Lorsque je lis les dispositions relatives à la liste des terroristes, une personne peut y être inscrite pour avoir facilité une activité terroriste à son insu. En effet, à la page précédente, le paragraphe 83.01(2) dispose:

Pour l'application de la présente partie, il n'est pas nécessaire pour faciliter une activité terroriste:
a) que l'intéressé sache qu'il se trouve à faciliter une telle activité [...]

C'est uniquement si la personne est inculpée que le mot «sciemment» devient important. Une personne peut se retrouver sur la liste sans avoir facilité sciemment. C'est cela le dilemme sur lequel nous cherchons à attirer l'attention. Le problème est encore aggravé par le paragraphe 83.05(1):

Le gouverneur en conseil peut, par règlement, établir une liste sur laquelle il inscrit toute entité dont il est convaincu [...] qu'il existe des motifs raisonnables de croire:

a) qu'elle s'est livrée [...] à une activité terroriste [...] ou l'a facilitée [...]

Nous n'avons absolument aucune idée de la manière dont cette liste sera dressée tant que nous ne verrons pas le règlement. C'est là un pouvoir important qui peut retentir sur la vie de personnes autres que les terroristes, soit celles qui facilitent. Il ne s'agit pas de prendre dans le filet des personnes innocentes qui se trouvent vivre à proximité d'un terroriste ou qui peuvent leur avoir tendu la main. Vous devez me convaincre que le règlement va exclure la personne qui facilite à son insu.

Le sénateur Fraser: Il n'y aura pas de règlement.

Le sénateur Lynch-Staunton: Il n'y en a pas pour le moment.

Le sénateur Murray: La liste sera le règlement.

Mme Jauvin: Vous serez guidé par ce qui figure dans le projet de loi actuellement, en supposant qu'il ne soit pas modifié. Encore une fois, le critère est que le Solliciteur général devra avoir, selon son opinion, des raisons de croire que l'entité a facilité le terrorisme. Évidemment, si la personne a délivré un permis en ignorant...

Le sénateur Fraser: Ou donné une leçon de pilotage.

Mme Jauvin: Le solliciteur général décidera s'il y a des motifs raisonnables de croire que l'entité a facilité une activité terroriste et s'il peut en convaincre ses collègues et un tribunal. Cette conclusion sera tirée dans le contexte de la loi et du Code criminel. N'oubliez pas que le délit criminel de facilitation comprend le critère «sciemment». Tout le contexte entrera en jeu.

Le sénateur Andreychuk: Ne voudrait-il pas mieux calmer nos craintes à cet égard? Le ministre doit être convaincu, pour des motifs raisonnables et probants, que l'entité a facilité une activité terroriste. On peut espérer qu'il se demandera si cela a été fait «sciemment», mais ce n'est pas une obligation. En fin de compte, il peut inscrire toute personne dont il pense qu'elle a facilité le terrorisme. C'était justement ma question initiale. La personne désignée doit se battre pour prouver son innocence. Nous ne saurons pas comment les noms aboutissent sur la liste tant que nous ne verrons pas le règlement.

Le sénateur Murray: Le règlement est la liste. Le règlement ne vous apprendra rien, sauf les noms.

Le sénateur Andreychuk: Nous ne le savons. Je veux savoir comment, quand et sous quelle forme cette liste sera dressée.

Le sénateur Murray: C'est par règlement.

Le sénateur Andreychuk: C'est par règlement et je ne saurai rien de plus tant que je ne verrai pas la Gazette du Canada. C'est cela qui m'inquiète. Pouvez-vous calmer nos craintes de voir des innocents pris dans le filet? Cette clause n'est pas claire et constitue le mauvais message à envoyer au public.

Mme Jauvin: Nous comprenons votre préoccupation. Il faut examiner cela car nous partageons tous le même objectif. La dernière chose que nous voulons est d'inscrire quelqu'un sur la liste qui ne devrait pas y être parce qu'un critère est omis ici. Nous allons certainement revoir cela et chercher des moyens de calmer ces craintes.

Le sénateur Andreychuk: Que se passe-t-il si la personne qui se retrouve sur la liste sans preuve est un résident permanent mais sans la citoyenneté?

La liste restera en vigueur pendant quelque temps. Après la Seconde Guerre mondiale, lorsque tout le monde avait peur du communisme, des gens se sont vus refuser la citoyenneté canadienne parce que, pour une raison ou une autre, on les avait associés avec le communisme. Jusque dans les années 70, dans mon expérience d'avocate, nous nous battions pour obtenir la citoyenneté canadienne pour des personnes qui avaient innocemment assisté à une activité sociale organisée par un groupe qui était une devanture de militants communistes. Ces listes de noms amassés se sont retrouvées dans les dossiers de la GRC et du ministère de l'Immigration et ailleurs. Quelle assurance avons-nous que cela ne se reproduira pas ici et qu'il n'y aura pas des fausses pistes qui nuiront à des innocents?

Mme Jauvin: Nous sommes assurés que la liste sera publiée, si bien que les intéressés seront au courant. Nous sommes également assurés que quiconque conteste sa présence sur la liste peut demander à démontrer pourquoi il ne devrait pas y être.

Le Solliciteur général peut parvenir à cette conclusion et recommander au gouverneur en conseil de rayer le nom de la liste. Il y a également un recours en Cour fédérale. Si un juge décide qu'il n'y a pas de motifs raisonnables de croire que cette personne devrait figurer sur la liste, son nom sera rayé. À ce stade, la personne ne sera plus sur la liste.

M. Kennedy: Il y a des mécanismes distincts dans la Loi sur l'immigration et la Loi sur la citoyenneté. Ce sont les dispositions qui permettent au gouvernement de révoquer le statut de résident permanent et de faire expulser une personne du pays s'il estime qu'elle participe à des activités qui menacent l'État. Les activités y sont définies.

Par ailleurs, il y a un critère pour les personnes qui demandent la citoyenneté, critère qui est le miroir du précédent depuis quelques années. C'est celui qui permet à l'État de refuser la citoyenneté à une personne qui la demande. Une demande peut être présentée tous les trois ans. Il y a là un mécanisme. Il y a actuellement des mécanismes dans la Loi sur l'immigration et la Loi sur la citoyenneté touchant les personnes sur la liste. Il serait très inhabituel que le gouvernement ne prenne pas des mesures contre les personnes figurant sur la liste. Il y a là des instruments. Ces actions sont sujettes à l'examen du CSARS et ce dernier peut formuler des recommandations dans un sens ou un autre. Des mécanismes sont déjà en place.

Le sénateur Lynch-Staunton: La question des listes me trouble beaucoup. Premièrement, je ne pense pas qu'il y aura de règlements qui pourront guider le ministre responsable car il n'en est pas question dans l'article 83.

Je suis troublé par le fait que le titre du chapitre soit «Inscription des terroristes». J'aimerais mieux qu'on l'appelle «Inscription des personnes soupçonnées de terrorisme». Une fois que votre nom est sur la liste, vous êtes coupable.

Ce qui me trouble davantage c'est que les personnes évaluées aux fins de l'inscription n'ont pas la possibilité de se défendre. Le mécanisme est partial. Seuls comptent les renseignements donnés par la police, Interpol, et cetera. Est-ce que l'intéressé a la possibilité de se faire entendre avant la publication de la liste? Si oui, où cela se trouve-t-il?

Mme Jauvin: Vous demandez si la personne peut se faire entendre avant la publication de la liste et la réponse est non. Mais la personne peut se faire entendre une fois qu'elle demande la radiation de son nom.

Le sénateur Lynch-Staunton: C'est terrible. Vous verrez des gens sur cette liste qui ne méritent pas d'y être; c'est inévitable. C'est inévitable avec ce mécanisme entièrement nouveau, et une seule personne est une de trop. Il s'est produit des erreurs judiciaires dans notre pays, en dépit de tous nos efforts. Au moins une personne se retrouvera sur cette liste qui ne méritera pas d'y être. Est-ce que nul ne se soucie de la réputation de cette personne, du préjudice causé à la famille et à l'entourage? Je trouve l'approche un peu grossière, en ce sens que le gouvernement vous met sur la liste et vous devez ensuite vous battre pour en sortir. L'argument qu'on nous donne est que nous vivons une époque inhabituelle. C'est vrai, nous vivons une époque inhabituelle et nous devons prendre des mesures drastiques, mais il faut tout de même protéger l'individu. Si une personne parvient à se faire rayer de la liste après deux ou trois ans, qu'est-ce que cela lui apportera? Les dégâts auront été commis.

Changez à tout le moins le titre en faveur de «Inscription des personnes soupçonnées de terrorisme». Le titre actuel est tellement catégorique qu'il revient à une déclaration de culpabilité. La personne doit ensuite prouver son innocence. C'est contraire à toutes les règles de la justice dans ce pays.

Je vous vois hocher de la tête. Êtes-vous d'accord avec moi?

Mme Jauvin: C'est simplement que je constate que c'est le texte qui vous est présenté et c'est à vous de juger.

Le sénateur Lynch-Staunton: Une liste de noms a été publiée dans la Gazette du Canada au titre de l'une des conventions des Nations Unies sur le terrorisme. Si je vous prends par surprise, je poserai la question à quelqu'un d'autre et j'amènerai la liste avec moi. Mais si vous êtes au courant, pouvez-vous nous en dire plus?

Mme Jauvin: Je sais seulement que le gouvernement a récemment promulgué un instrument par décret. Je ne pense pas que ce soit un règlement. C'est un simple décret.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je pense qu'il s'agit d'une convention.

Mme Jauvin: Il y a un règlement appliquant la convention, puis un décret a été promulgué au titre de ce règlement donnant une liste d'organisations dont les avoirs doivent être gelés. Je crois que c'est de cela dont vous parlez.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je pense que oui. Savez-vous d'où proviennent ces noms?

Mme Jauvin: Le gouverneur en conseil a pris la décision sur la recommandation des ministres qui ont examiné tous les renseignements concernant les organisations nommées.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je regrette de ne pas l'avoir apportée. Je l'apporterai demain pour la montrer à mes collègues.

Mme Jauvin: La liste a été évoquée.

Le sénateur Kenny: A-t-on envisagé de notifier préalablement les personnes sur la liste? Au moment de la dresser, en a-t-il été question?

Mme Jauvin: Le ministère de la Justice s'est contenté de rédiger le projet de loi. Je ne sais pas si M. Kennedy est au courant. Nous ne le sommes pas.

Le sénateur Kenny: Cela poserait-il des problèmes? Cela poserait-il des problèmes si l'on donnait par exemple un préavis de 60 jours aux intéressés avant de les inscrire sur la liste?

M. Kennedy: Oui, cela pourrait en poser. Le but poursuivi est de saisir les avoirs des groupes terroristes. Le terroriste sait que l'étape suivante sera que le Procureur général du Canada demande la saisie des avoirs des terroristes. Le Bureau des institutions financières voudra lui aussi saisir les avoirs. Si les intéressés étaient prévenus, ils feraient sortir rapidement l'argent du pays pour le placer en lieu sûr. La notification coûterait cher.

Tant les organisations terroristes que les organisations criminelles sont des entreprises qui ont besoin de fonds de roulement. C'est l'argent qu'on veut saisir, c'est le but. Avec une notification préalable, l'argent sera parti.

Le sénateur Kenny: Vous ne voyez aucun moyen de régler ce problème avant la notification?

M. Kennedy: Je vous dis quelle est la difficulté. Par ailleurs, l'inscription sur la liste ne fait pas de vous un criminel. Cela peut paraître fastidieux. Le but de l'inscription sur une liste criminalise le comportement des personnes qui traitent avec les individus ou les groupes inscrits. Il est un peu difficile de dire à une personne que si elle traite avec un terroriste elle court le risque de commettre un délit criminel punissable de 10 à 14 ans ou de la prison à vie. C'est une liste de suspects de terrorisme.

Le sénateur Kenny: Que fait l'inscription sur la liste à votre réputation?

M. Kennedy: Je vous ai indiqué la difficulté à placer des suspects de terrorisme sur la liste, avec la conséquence que la conduite de ceux traitant avec ces personnes est criminalisée.

La présidente: Merci beaucoup, collègues, et merci à vous d'être restés pour répondre à nos questions.

La séance est levée.


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