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SM36 - Comité spécial

Comité spécial sénatorial sur le projet de loi C-36

 

Délibérations du Comité sénatorial spécial sur la
Teneur du projet de loi C-36

Fascicule 1 - Témoignages du 22 octobre 2001 (séance de la soirée)


OTTAWA, le lundi 22 octobre 2001

Le Comité sénatorial spécial sur la teneur du projet de loi C-36 se réunit aujourd'hui à 18 h 45 pour examiner la teneur du projet de loi C-36, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur les secrets officiels, la Loi sur la preuve au Canada, la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et d'autres lois, et édictant des mesures à l'égard de l'enregistrement des organismes de bienfaisance, en vue de combattre le terrorisme et d'explorer la protection des droits de la personne et des libertés publiques dans l'application de la Loi à l'étude.

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, le Comité sénatorial spécial sur la teneur du projet de loi C-36, que nous étudions pour la première fois aujourd'hui, a entrepris ses travaux ce matin, pour les poursuivre cet après-midi et ce soir. Nous accueillons un invité spécial, l'honorable Claude Bisson, commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications, accompagné de la secrétaire de la Commission, Mme Joanne Weeks.

Nous sommes heureux que vous ayez pu nous accorder un peu de votre temps ce soir. Votre témoignage revêtira un grand intérêt pour tous les membres du comité. Bien des Canadiens et des Canadiennes ne connaissent pas beaucoup le Centre de la sécurité des télécommunications; il sera donc intéressant d'obtenir votre point de vue sur le projet de loi, monsieur Bisson, de même que d'entendre ce que vous faites à titre de commissaire.

[Français]

M. Claude Bisson, O.C. commissaire, Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications: Je suis ravi de cette occasion qui m'est donnée de prendre la parole devant vous ce soir en tant que commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications, poste que j'occupe depuis sa création en juin 1996. Je suis accompagné par Mme Joanne Weeks, secrétaire de la Commission, également depuis 1996, et qui est responsable des opérations de mon bureau au jour le jour. Une version écrite de mes observations de ce soir a été remise au greffier du comité à votre intention.

[Traduction]

Je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant votre comité. Je vais faire quelques observations au sujet des dispositions du projet de loi antiterrorisme qui portent sur le Centre de la sécurité des télécommunications ainsi que sur le rôle de son commissaire, après quoi je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Vous comprendrez que je vais restreindre mes commentaires, tant dans ma déclaration d'ouverture qu'en réponse aux questions, aux articles du projet de loi qui portent sur le Centre de la sécurité des télécommunications et son commissaire. Je n'ai pas eu assez de temps pour étudier le projet de loi, et je ne suis pas non plus suffisamment informé pour vous donner une opinion bien précise sur d'autres volets du projet de loi.

Je suis tout à fait conscient des préoccupations soulevées par d'autres personnes qui prétendent que ce projet de loi a été rédigé à toute vapeur, et qu'il va peut-être trop loin dans la volonté de renforcer la capacité de notre pays de contrer l'immense danger que pose le terrorisme. S'agissant de l'examen des nombreuses mesures proposées, votre rôle est immensément important, compte tenu de ce que nous savons être aujourd'hui une menace pressante et fatale.

Les rédacteurs du projet de loi ont dû tenir compte de l'équilibre essentiel entre les besoins d'un État de recueillir de l'information pour protéger ses citoyens et les droits individuels de ces citoyens à la protection de leur vie privée et de leur liberté. Je sais que l'un des objectifs explicites de votre comité est d'explorer la protection des droits humains et des libertés civiles dans l'application de cette mesure législative proposée, et je vous souhaite bonne chance dans vos délibérations.

Il doit être réconfortant pour vous de savoir que même si ce projet de loi a été rédigé en toute urgence, ses éléments qui portent sur le Centre de la sécurité des télécommunications et son commissaire font l'objet d'un examen et de discussions au sein du gouvernement depuis des années.

[Français]

Dès 1990, un comité spécial de la Chambre des communes examinant la Loi sur le Service canadien de renseignements de sécurité recommandait que le Parlement institue le CST par une législation. Le gouvernement a décidé à l'époque de ne pas suivre cette voie, mais il a indiqué, et je cite :

[...] qu'il envisageait de donner au ministre de la Défense nationale des capacités supplémentaires pour l'examen du CST.

Ceci a éventuellement débouché, en 1996, à ma nomination en tant que premier commissaire du CST. La question d'une loi instituant le CST a refait surface en 1996, alors que le Commissaire à la protection de la vie privée effectuait une vérification de la conformité du CST aux dispositions de la loi sur la protection de la vie privée.

Le commissaire, à l'époque, concluait que dans la mesure où sa vérification pouvait en rendre compte, le CST exerçait ses activités en conformité avec la Loi sur la protection des renseignements personnels et en conformité avec les principes régissant des pratiques équitables de traitement de l'information. Toutefois, en 1996, le commissaire recommandait également l'adoption d'une loi habilitante pour le CST.

[Traduction]

Au cours de la même année, le vérificateur général a déposé un rapport sur le milieu du renseignement de sécurité au Canada dans lequel il exhortait le gouvernement à examiner les avantages d'un cadre législatif régissant les activités du Centre de la sécurité des télécommunications (CST). Le vérificateur général a répété cette opinion dans un bref rapport de suivi en 1998.

De même, en 1999, le Comité spécial du sénateur Kelly sur la sécurité et le renseignement de sécurité recommandait que le CST soit assujetti à sa propre loi du Parlement et que cette loi prévoie que le CST devienne un organisme permanent et distinct.

J'en viens maintenant à mon rôle. Dans chacun des quatre rapports annuels que j'ai présentés au ministre de la Défense nationale depuis ma nomination - et qui ont été déposés au Parlement - j'ai soulevé la question de la loi sur le CST. J'ai alors soutenu, et dans les rapports et ailleurs, que cette loi serait une bonne chose pour consolider les assises du CST en précisant son mandat et ses pouvoirs, ses liens avec le Parlement, le gouvernement et le ministre de la Défense nationale.

Je suis donc heureux de voir qu'une telle mesure législative est maintenant à l'étude, bien que je sois attristé par la tragédie qui en fait une priorité.

Depuis sa création en 1946, le CST s'est très bien tiré d'affaire sans une loi constitutive. Il offre ses services au gouvernement depuis des décennies, malgré l'absence d'une base réglementaire. Cependant, l'adoption du projet de loi fera en sorte que le Centre puisse continuer de répondre aux besoins du Canada et ce, de façon plus transparente, mesure dont nous devons nous réjouir. Dans mon rapport annuel, j'ai soulevé certains des enjeux qui devraient être pris en considération dans la rédaction de la loi du CST. Par exemple, j'ai indiqué que la vitesse à laquelle les changements se produisent dans les milieux de la technologie touchant la sécurité et le renseignement constituerait tout un défi pour les rédacteurs. Une loi constitutive du CST doit être suffisamment souple pour s'assurer qu'elle ne devient pas désuète en raison des changements apportés aux méthodes ou à la technologie du renseignement. Cette loi doit insister sur les rôles, les responsabilités et les principes généraux, plutôt que de donner des directives détaillées, par exemple, sur l'utilisation de technologies spécifiques. Je crois que l'avant-projet de loi qui vous sera soumis prochainement permettra d'atteindre cet objectif.

J'ai également beaucoup réfléchi au cours des dernières années sur les moyens les plus efficaces d'assurer la surveillance du CST. Comme vous le savez très bien, le mandat du CST consiste à recueillir des renseignements touchant l'étranger au nom du gouvernement du Canada. Le projet de loi fera en sorte qu'il continue d'en être ainsi. En vertu du projet de loi C-36, le ministre de la Défense nationale peut autoriser le CST à intercepter des communications étrangères dans le seul but d'obtenir des renseignements touchant l'étranger dans les conditions suivantes: premièrement, la communication s'adresse à des entités étrangères situées à l'extérieur du Canada; deuxièmement, l'information recueillie ne peut présumément être obtenue à l'aide d'autres moyens; troisièmement, la valeur supposée de l'information tirée des renseignements touchant l'étranger en justifie la collecte; et quatrièmement, des mesures satisfaisantes doivent être en place pour protéger la vie privée des Canadiens et des Canadiennes et s'assurer que les communications privées ne seront utilisées ou retenues que si elles sont essentielles aux affaires internationales, à la défense ou à la sécurité.

Depuis ma nomination au poste de commissaire du CST en juin 1996, je me suis familiarisé avec les activités et les pratiques du Centre. J'ai également examiné les politiques et les procédures qui le régissent. Entre autres, j'ai repéré les mécanismes dont le CST dispose pour protéger la vie privée des Canadiens et des Canadiennes et j'ai essayé de voir s'ils sont appropriés aux circonstances. À ce jour, j'en suis convaincu. Cependant, j'ai informé le CST que je continuerai d'examiner l'utilisation qu'il fait des nouvelles technologies pour améliorer ses mesures de protection. Je vous assure que je demeurerai vigilant.

[Français]

J'ai maintenant terminé mes observations préliminaires et je serai heureux, avec l'aide de Mme Weeks, de répondre à vos questions.

[Traduction]

Le sénateur Kenny: Monsieur, ai-je raison de penser que votre rôle consiste à examiner les activités du Centre afin de voir si elles sont conformes à la loi, mais que vous ne vous intéressez pas à son efficacité ni à sa capacité de recueillir de l'information électronique?

M. Bisson: Mon mandat consiste à examiner les activités du Centre pour m'assurer qu'elles sont conformes à la loi. Cela ne changera pas.

Le sénateur Kenny: Donc, ce n'est pas la peine de vous poser des questions pour chercher à savoir si sa technologie est à jour, ou si le Centre a la capacité d'analyser l'information qu'il reçoit. Devrions-nous réserver ces questions pour quelqu'un d'autre?

M. Bisson: Le fonctionnement du CST n'est pas mon domaine.

Le sénateur Kenny: Lorsque vous recueillez de l'information électronique, vous vous retrouvez avec beaucoup de choses. D'abord, comment faites-vous la distinction entre les documents que vous avez le droit de recueillir et les autres?

M. Bisson: Ce n'est pas à moi d'en décider. C'est le travail du CST.

Le sénateur Kenny: Mais vous surveillez tout cela, n'est-ce pas? Vous avez la responsabilité de vous assurer que le Centre respecte la loi. Comment vous en assurez-vous sans poser cette question précise?

M. Bisson: Le nouveau projet de loi apportera un nouvel élément à la loi, mais toutes les interceptions doivent provenir d'un pays étranger ou impliquer des étrangers. Dans mon travail, je m'assure que le CST dispose de tous les mécanismes - c'est-à-dire d'abord des politiques et ensuite des mécanismes - pour être certain qu'il n'intercepte pas des communications impliquant un Canadien ou une Canadienne. Si par hasard, il s'avère qu'il en est ainsi, alors je m'assure qu'il y a des mécanismes en place pour détruire ces communications.

Le sénateur Kenny: Pourriez-vous nous donner un exemple de la façon dont vous pouvez dire, ou comment le CST peut dire s'il intercepte ou non une communication d'un Canadien? Quand il s'agit d'un signal électronique qui est donné, peut-être sous forme de code, comment le CST sait-il si ce signal n'origine pas d'un Canadien ou ne lui est pas destiné? Comment sait-on qu'il s'agit d'un étranger?

M. Bisson: Je préférerais que vous posiez ces questions au CST. Ce sont ses employés qui font le travail.

Le sénateur Kenny: Comment pouvez-vous alors vérifier leur travail? Vous prenez simplement leur parole?

M. Bisson: Nous ne vérifions pas toutes les interceptions qu'ils font. Nous avons établi un programme de vérifications aléatoires des interceptions.

Le sénateur Kenny: Vous faites des vérifications ponctuelles?

M. Bisson: C'est exact.

Le sénateur Kenny: Que se passe-t-il lorsque vous faites une vérification ponctuelle? Décrivez-nous-en une. Dites-nous comment ça fonctionne.

M. Bisson: Je crois que Joanne Weeks pourrait le faire mieux que moi parce qu'elle est plus familière que moi avec ces techniques.

Mme Joanne Weeks, secrétaire de la Commission, Centre de la sécurité des télécommunications: Nous avons un programme de vérification des fonds de renseignements du CST, que ce soit la voix ou l'image, une télécopie ou un texte. Tout le travail que nous faisons consiste à contrôler les fonds de renseignements. Notre système fait en sorte qu'à la source, là où l'information est recueillie, certains renseignements qui peuvent être identifiés immédiatement comme provenant du Canada peuvent être éliminés. Il y a des critères d'élimination pouvant inclure les codes de région du Canada, les codes postaux, les adresses, les adresses de courriel qui, lorsqu'on les demande, n'apparaissent tout simplement pas dans le système.

Si un renseignement devait apparaître par inadvertance, comme une pièce jointe d'un courriel, ce qui peut se produire, le renseignement est traité en conformité avec la Loi sur la protection des renseignements personnels et normalement détruit.

Après une période intensive de vérification, M. Bisson, le commissaire, vient nous voir et nous lui expliquons notre méthodologie et nos procédures. Il dispose alors d'une expérience directe et pratique en ce qui a trait au travail de son personnel.

M. Bisson: Nous avons un bureau au centre-ville d'Ottawa, au 90, rue Sparks. C'est de là surtout que nous travaillons. Nous avons également des bureaux sur le chemin Heron. Les gens de notre équipe s'y rendent souvent. Pas moi. Je travaille surtout au bureau du 90, rue Sparks. Je fais rapport pour mon équipe. Nous décidons quelles mesures doivent être prises ensuite.

Je me suis rendu au CST beaucoup plus souvent en 1996 afin de me familiariser avec ses activités. Maintenant, j'y vais tous les deux ou trois mois, dans ces eaux-là.

Le sénateur Kenny: Pour être bien clair, le terme «rejets» a été utilisé. Pouvez-vous nous dire ce que cela veut dire?

Mme Weeks: Je suis désolée, madame la présidente et sénateur Kenny, d'avoir utilisé un terme de jargon. Un rejet, c'est comme un bloc, quelque chose qui empêche l'information de passer, à cause de caractéristiques prédéterminées ou définies.

Le sénateur Kenny: Pour que nous comprenions bien, vous dirigez le personnel du commissaire. Combien d'employés font ces vérifications techniques?

M. Bisson: Je suis commissaire à temps partiel, j'ai mon bureau à Montréal, mais je viens à Ottawa, disons, une fois par semaine, habituellement pour toute la journée. Mme Weeks est ici et agit à titre d'adjointe administrative. Nous avons également des contrats personnels. Mon second mandat se terminera en juin de l'an prochain. Ainsi, notre programme actuel est valide jusqu'au mois de juin. Nous établissons un calendrier de trois ans et décidons quoi faire. Comme je l'ai dit, nous ne pouvons pas tout faire.

Le sénateur Kenny: Monsieur, ma question est la suivante: Combien d'employés a Mme Weeks?

M. Bisson: Environ cinq personnes qui sont des contractuels.

Le sénateur Kenny: Quelles sont leurs compétences?

Mme Weeks: Nous avons toute une variété de compétences et de talents. Nous avons des spécialistes techniques d'un très haut niveau. Nous avons des gens qui s'occupent d'administration. Nous avons décidé d'engager des cadres supérieurs du gouvernement, d'anciens fonctionnaires ou des fonctionnaires à la retraite, y compris des spécialistes en TI, plutôt que d'avoir du personnel à temps plein. Nous engageons des gens de façon contractuelle, selon la nature des études que nous sommes sur le point d'entreprendre.

Le sénateur Kenny: Donc vous avez cinq personnes qui font toutes ces études.

Mme Weeks: C'est exact.

Le sénateur Kenny: Combien d'interceptions ces cinq personnes doivent-elles superviser ou examiner?

Mme Weeks: Nous avons mené une étude particulière portant sur un mois. À deux reprises, nous avons examiné toutes les communications interceptées. Dans une, il y en avait des millions et des millions, nous avons donc dû décider d'en examiner un certain pourcentage. Nous l'avons fait pour établir une base de comparaison.

Nos conclusions ont été très étonnantes en ce qui a trait au très petit nombre d'interceptions qui provenaient du Canada. Elles ont été traitées en conformité avec la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Le sénateur Kenny: Donnez-nous quelques statistiques alors. Quel pourcentage d'interceptions devez-vous examiner pour établir un niveau de confort statistique?

M. Bisson: Nous ne jugeons pas cela en fonction de pourcentages. Cela serait impossible.

Mme Weeks: Au cours de cette période d'un mois, monsieur, nous avons examiné toutes les communications vocales et toutes les communications visuelles interceptées. Bien honnêtement, je ne sais pas quel pourcentage des interceptions de textes nous avons examiné. C'était dans les quelques millions. Cependant, nous avons été très satisfaits des résultats des vérifications.

Le sénateur Kenny: Quel est l'ordre de grandeur des interceptions que vous avez effectivement étudiées? Vous m'avez un peu désarçonné quand vous avez parlé de millions et de millions de communications interceptées avec cet effectif de cinq personnes. Vous avez également dit que vous aviez examiné toutes les communications vocales et toutes les communications écrites interceptées. Combien d'interceptions de communications orales et écrites avez-vous faites durant le mois au cours duquel vous avez réalisé l'étude?

Mme Weeks: Cela remonte à il y a 18 mois. Il y en avait des centaines de milliers.

Le sénateur Kenny: Comment cinq personnes peuvent-elles examiner des centaines de milliers de communications interceptées?

Mme Weeks: Nous n'étions pas cinq. Il s'agissait de deux personnes qui ont recueilli l'information dans des ordinateurs réservés aux fins de contrôle.

Le sénateur Kenny: Je ne comprends pas. Nous parlons ici de centaines de milliers de messages. Comment deux personnes peuvent-elles les évaluer afin que vous ayez la certitude que ces communications se font en toute légalité?

M. Bisson: Ce qui est important, si je puis me permettre, ce n'est pas la quantité. Ce qui importe, c'est d'examiner les politiques qui sont en place au CST pour voir si elles sont respectées.

Le sénateur Kenny: Je comprends, monsieur, mais la question que j'ai posée à Mme Weeks est la suivante: Si, durant le mois au cours duquel les politiques ont été vérifiées, tous les messages écrits et oraux ont été examinés, comment deux personnes ont-elles pu accomplir ce travail si on parle de centaines de milliers de messages?

Mme Weeks: Madame la présidente, sénateur Kenny, nous avons sélectionné une période de communications d'un mois. L'étude en soi s'est poursuivie pendant près d'un an. Il ne s'agit pas d'un mois de vérification. Au cours d'une année, nous avons examiné les fonds de renseignements d'un mois en particulier. Nous n'aurions jamais pu réaliser ce travail en un mois. Cependant, pour établir un échantillon, nous avons choisi une période d'un mois et nous l'avons étudiée en profondeur.

[Français]

Le sénateur Bacon: Si je comprends bien, un décret de 1999 a reconduit le commissaire dans ses fonctions et a aussi élargi le mandat en ce qui a trait aux plaintes, lui permettant d'informer le plaignant des résultats de son enquête.

Sur quoi le commissaire se base-t-il pour juger qu'une plainte est frivole, vexatoire, sans objet ou entachée de mauvaise foi, ce qui fait en sorte qu'il ne fait pas d'enquête sur les faits qui sont survenus?

M. Bisson: Depuis que le mandat a été élargi en 1999, nous n'avons pas reçu de plainte formelle qui nécessitait une enquête sur la plainte. Nous recevons bien des plaintes que nous pouvons à l'occasion juger complètement frivoles. Il peut s'agir aussi d'une plainte qui n'est pas frivole, mais qui n'est pas de mon ressort. Nous leur répondons à ce moment que ce n'est pas mon mandat de régler le problème des ressources humaines, par exemple. Prenons l'exemple d'un employé du Centre, qui n'y serait plus, et qui se prétendrait congédié injustement. On lui répondrait que malheureusement ce n'est pas de notre ressort. Nous n'avons donc pas eu depuis deux ans de plainte justifiant une enquête, mais nous disposons des mécanismes appropriés pour s'en occuper.

Le sénateur Bacon: Je vous ai entendu dire tout à l'heure les mots «urgent and priority» en ce qui a trait au projet de loi C-36. Je suis très contente de vous l'entendre dire. Nous avons essayé de faire dire cela à quelques ministres aujourd'hui, ils n'ont pas répondu de cette façon.

Quand on parle de type de plaintes, par exemple, vous devez juger aussi si les activités de la CST sont légales, mais vous dites qu'il n'y a pas eu de plaintes du tout.

M. Bisson: Il y a deux choses. Les plaintes sont des plaintes qui viendraient, par exemple, d'un employé du CST. Nous n'avons pas eu à examiner la légalité d'un acte prétendu illégal. Quant au reste, le mandat qui m'est confié par l'arrêté en conseil du gouvernement est de déterminer si le Centre opère de façon légale et se conforme aux lois du Canada. S'il ne s'y conforme pas, je dois faire rapport immédiatement au procureur général du Canada et au ministre de la Défense nationale.

Les nombreux rapports soumis au ministre - les rapports annuels et les rapports classifiés - n'ont jamais porté sur un geste illégal qui aurait été posé à l'intérieur du Centre.

Ils ont porté sur des questions de politique, de procédure, mais pas sur des questions de légalité.

Le sénateur Bacon: Vous parlez d'un rapport annuel et aussi de rapports confidentiels. Il y en a plusieurs?

M. Bisson: Des rapports confidentiels, à peu près quatre par année.

Le sénateur Bacon: Ils sont remis au ministre?

M. Bisson: C'est cela.

Le sénateur Beaudoin: Il y a quelque chose qui me tracasse un peu. Ce n'est pas vous le Centre. Vous, vous êtes du CST?

M. Bisson: C'est cela.

Le sénateur Beaudoin: Vous recevez une plainte et vous l'étudiez. Pouvez-vous vous prononcer sur la légalité?

M. Bisson: Je n'ai pas reçu de plaintes à l'heure actuelle.

Le sénateur Beaudoin: Non, mais si vous en receviez une?

M. Bisson: Si on s'apercevait que la plainte est bien fondée et qu'elle révèle une illégalité commise par le Centre, je ferais rapport au ministre de la Défense nationale et au procureur général de qui relève le Centre. Je n'ai pas besoin d'avoir de plaintes pour le faire. Si, dans notre travail d'examen des politiques et des opérations, on se rendait compte d'une illégalité, c'est non seulement mon devoir mais mon obligation de le rapporter immédiatement.

Le sénateur Beaudoin: Ce matin, j'ai posé la question à la ministre de la Justice. On nous a dit qu'il y avait deux systèmes. Si l'enquête part de l'extérieur du Canada, c'est le ministre de la Défense nationale qui autorise le Centre à intercepter les communications privées. C'est ce que dit la loi. L'article 102 du projet de loi confirme que c'est le ministre de la Défense nationale qui autorise le Centre de la sécurité des télécommunications à intercepter les communications privées. Si la c'est à l'intérieur du Canada, si j'ai bien compris la réponse de la ministre, on suit notre système constitutionnel, c'est-à-dire qu'on va devant un juge et on obtient un mandat. C'est la légalité. La légalité pour l'intérieur du Canada et la légalité pour l'extérieur. Autrement dit, si cela origine d'un endroit à l'extérieur du Canada, c'est le ministre qui donne l'autorisation. Si c'est à l'intérieur du Canada, on suit ce qu'on fait tous les jours en droit criminel, le mandat est donné par un juge de la Cour supérieure. Si vous avez la possibilité de vous prononcer sur la légalité de la plainte, si je comprends bien, vous suivez deux systèmes différents?

M. Bisson: Je ne voudrais pas contredire d'autres témoins qui ont beaucoup plus d'expérience et beaucoup plus de poids que moi, mais je vais essayer d'expliquer cela clairement.

Jusqu'à aujourd'hui et d'ici à ce que le projet de loi devienne loi, le ministre de la Défense nationale n'a rien à autoriser. Pourquoi? Parce que tout ce que fait le Centre jusqu'à aujourd'hui ne concerne que des gens situés à l'extérieur du Canada, qui ne sont pas des citoyens canadiens et qui se trouveraient à l'extérieur du Canada. Le ministre n'a aucune autorisation à donner, il n'a rien à faire jusqu'à maintenant. Le Centre doit simplement s'assurer que la communication ne concerne que des gens qui ne sont pas des Canadiens et qui vivent à l'extérieur du Canada. Selon la nouvelle disposition du projet de loi qui permettrait au ministre de donner les autorisations, il pourrait y avoir quelqu'un qui serait au Canada et qui serait un Canadien, mais l'autorisation et l'enquête que ferait le Centre devrait viser un organisme ou une personne située à l'extérieur. C'est la première condition que je lis, à l'article 273.65(2)a), je le cite :

[...] l'interception vise des entités étrangères situées à l'extérieur du Canada.

Le ministre sera appelé à intervenir à ce moment parce qu'il y aurait quelqu'un au Canada qui serait en communication avec cette entité étrangère à l'extérieur du Canada.

Actuellement, cela ne peut être fait. Il faut que ce soit à l'extérieur du Canada, aux extrémités. Le ministre pourra alors décider, en sachant que les conditions de l'article 273.65 sont remplies, que telle entité étrangère à l'extérieur du Canada doit être interceptée même si elle a une communication avec un Canadien situé à l'intérieur du Canada. Ce n'est pas le Canadien qui sera visé, mais l'entité étrangère située à l'extérieur du Canada.

Le sénateur Beaudoin: Il va pouvoir intercepter une communication privée?

M. Bisson: Oui.

Le sénateur Beaudoin: Quand vous êtes au Canada, vous suivez la tradition de nos lois et de notre système qui fonctionne d'ailleurs très bien. Pourquoi ne pas suivre le même système pour l'étranger? J'ai relevé quatre arrêts de la Cour suprême sur l'interception des communications privées. Ils vont tous dans la même direction. Il faut demander un mandat de la cour. C'est un excellent système qui fonctionne très bien chez nous. Cependant, quand c'est à l'extérieur, on dit qu'on ne s'adressera pas au judiciaire, mais à l'exécutif. C'est un choix. Cependant, j'ai un peu de mal à comprendre pourquoi on fait cela. Pourquoi ne va-t-on pas devant la cour? C'est la loi.

M. Bisson: Il y a un article très important sur lequel vous allez être appelé à voter, c'est l'article 273.69. Cela met le point sur vos préoccupations. Les nouvelles dispositions, qui autorisent le ministre, ne seront pas assujetties à la partie VI du Code criminel sur la protection de la vie privée dans les communications. Précisément pour que le ministre, lorsqu'il est convaincu que toutes les conditions prévues à l'article 273.65, - et dont la plus importante est que l'entité visée soit à l'extérieur du Canada - puisse émettre une autorisation au Centre dans la mesure où toutes les conditions sont remplies.

Le sénateur Beaudoin: Si le ministre peut le faire, le juge pourrait le faire? Non pas avec la loi actuelle, mais si le projet de loi est adopté tel quel?

M. Bisson: Sûrement, aujourd'hui, alors que la loi n'est pas encore en vigueur, on pourrait procéder en vertu du Code criminel et se présenter devant un juge et obtenir une autorisation pour intercepter les communications d'un Canadien. Cependant l'intention du projet de loi c'est de faciliter sans porter atteinte à la protection des renseignements privés des Canadiens, s'adopter une situation particulière lorsque l'entité qu'on vise, la personne ou l'organisme, est de l'extérieur du Canada. C'est cette personne que l'on vise. Par ricochet, on va forcément intercepter une communication dont l'une des extrémités est au Canada. Soit que le Canadien loge la communication avec l'organisation visée ou l'organisation communique avec le Canadien. C'est un choix qu'a fait le législateur pour permettre une méthode particulière lorsque les conditions 273.65 sont remplies.

C'est le nouveau mandat qui m'est donné. Les autres éléments de mon mandat sont déjà inscrits dans les décrets du gouvernement de 1996-1999. Le nouveau mandat est de faire un examen des autorisations que le ministre va donner et de faire rapport.

Le sénateur Beaudoin: Je comprends. C'est un choix.

M. Bisson: C'est un choix politique qui a été fait par ceux qui présentent le projet de loi.

[Traduction]

Le sénateur Finestone: Je dois admettre que je ne comprends absolument rien de ce qui a été discuté. J'aimerais savoir combien de communications, est-ce que vous avez dit un demi-million? Combien de conversations en un mois avez-vous évaluées? Avez-vous dit que c'était dans les millions? Combien?

Mme Weeks: Madame le sénateur, nous avons pris une période d'un mois et examiné les communications, mais cela nous a pris plus d'un an à le faire. Notre période visée était d'un mois, mais cela nous a pris beaucoup plus de temps pour examiner les communications.

Le sénateur Finestone: Combien en avez-vous examiné durant l'examen d'un an de cette période d'un mois?

Mme Weeks: Je crois qu'il y avait plus de 250 000 transactions. Ce n'est pas un examen sur papier, madame le sénateur; l'information apparaît rapidement à l'écran.

Le sénateur Finestone: Je ne comprends toujours pas ce que vous faites, mais peut-être pourrez-vous répondre à mes questions. Vous recueillez de l'information électronique, d'après ce que je comprends, qu'il s'agisse d'une communication verbale, d'une image ou d'un texte, n'est-ce pas?

M. Bisson: Nous ne recueillons pas l'information.

Le sénateur Finestone: Vous l'examinez. Est-ce que vous utilisez quelque chose de semblable au système Carnivore ou au système Equinox qui comprennent des mots clés qui identifient des menaces potentielles ou des problèmes de sécurité potentiels? Comment faites-vous la différence entre un échange d'amoureux et un échange de terroristes; pouvez-vous me le dire? Je veux savoir si ces gens-là sont des amis ou des ennemis.

Mme Weeks: Sénateur Finestone, nous tâchons de nous assurer que ces communications, tant étrangères que canadiennes, ne sont pas interceptées, recueillies ou gardées par inadvertance. Nos vérifications consistent à déterminer l'origine et la destination de ces communications pour nous assurer que la vie privée des Canadiens et des Canadiennes est respectée.

Le sénateur Finestone: Est-ce que vous voulez seulement savoir s'il s'agit de la voix, d'un texte, d'une donnée ou d'une image d'un Canadien qui est intercepté? C'est bien ça?

Mme Weeks: Oui, c'était l'objectif du contrôle, de nous assurer que la vie privée des Canadiens et des Canadiennes est protégée.

Le sénateur Finestone: Si vous constatiez que ce n'est pas le cas, est-ce que ces personnes seraient soustraites aux dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels au Canada?

Mme Weeks: Les communications étrangères ne sont pas protégées par cette loi; c'est exact.

Le sénateur Fraser: Monsieur Bisson, vous savez probablement que de nombreux parlementaires ont parlé des diverses méthodes possibles de contrôle de divers éléments du projet de loi. Vous êtes le premier véritable contrôleur qui comparaît devant nous.

Compte tenu de votre expérience de commissaire, mais également de votre expérience de juriste, j'aimerais vous demander, non pas une opinion politique, mais une opinion pratique et juridique quant à savoir s'il est possible d'avoir un contrôleur indépendant comme vous qui examine certains éléments du projet de loi, une fois en place, qui impliquent des décisions du Cabinet. Je pense en particulier aux fameuses listes; le Cabinet peut établir des listes de personnes, de groupes ou d'organismes soupçonnés d'être terroristes. Une fois que votre nom apparaît sur cette liste, vos biens peuvent être saisis. Le projet de loi prévoit un recours d'appel unique à un tribunal. Cependant, cette audience peut se tenir à huis clos, et il se peut que vous n'entendiez pas toute la preuve qui est présentée contre vous. Si le tribunal dit que votre nom figure sur la liste, alors vous êtes pris. Après, seul le solliciteur général examine la liste tous les deux ans et dit: «Je crois que je vais garder votre nom sur la liste.»

Ma question est la suivante: est-il possible, d'un point de vue pratique ou légal, que quelqu'un comme vous, ou un groupe de personnes comme vous - juges à la retraite, juges surnuméraires, membres du Conseil privé, des gens de renom sur le plan intellectuel ou du renseignement - qui examinerait cette liste une fois par année ou à peu près et dirait: «Oui, les personnes qui sont sur cette liste sont là pour une bonne raison, et les bonnes procédures ont été respectées pour en décider.»

Voyez-vous où je veux en venir?

M. Bisson: Tout à fait. Cependant, madame le sénateur, vous avez dit qu'un juge examine cette liste.

Le sénateur Fraser: À mon avis, cela n'est pas satisfaisant parce qu'il s'agit d'un examen une seule fois.

M. Bisson: Pour avoir été juge pendant 27 ans, je dirais qu'il s'agit là d'un contrôle satisfaisant.

Le sénateur Fraser: Je ne sais pas si vous avez lu cette disposition. L'élément qui me dérange, c'est que d'abord, vous devez présenter une demande. Si vous êtes un pauvre immigrant innocent qui ne maîtrise ni l'une ni l'autre des langues officielles, ou ne sait pas ce qui se passe, il ne sera peut-être pas assez au courant pour présenter une demande de contrôle.

Supposons que vous demandiez la révision. L'audience peut être tenue à huis clos. Ni vous ni votre avocat ne sont présents pour entendre les preuves qui sont présentés contre vous. On ne vous communiquera peut-être pas toutes les preuves qui ont été présentées contre vous. Vous en obtiendrez peut-être seulement un résumé, si tant est que vous l'avez. Cela ne m'apparaît pas comme un contrôle judiciaire normal auquel nous devons avoir confiance. Ce contrôle se fait seulement une fois. Après, votre nom peut rester sur la liste pendant les 20 années suivantes.

M. Bisson: Vous êtes consciente que nous discutons d'une chose qui est tout à fait en dehors de mon domaine de préoccupations.

Le sénateur Fraser: Mais vous avez toute cette merveilleuse expérience.

M. Bisson: Vous avez parlé d'un groupe ou d'un conseil de révision. C'est possible. C'est un choix que le législateur doit faire. C'est possible. Cela pourrait avoir beaucoup d'allure.

[Français]

Le sénateur Joyal: Un point est resté en suspend dans les réponses fournies aux questions du sénateur Beaudoin. Lorsqu'il s'agit d'une conservation ou d'interception d'une conversation entre un Canadien et une entité étrangère, le Canadien n'a plus le droit à la vie privée protégée de la même façon que s'il s'agit d'une conversation ou d'interception d'une conversation entre deux Canadiens au Canada.

M. Bisson: Vous avez utilisé les termes «de la même façon», je pense que vous avez parfaitement raison. Il y a une autre façon et on verra à l'application de l'article 273.65(d). Le ministre n'émettra pas d'autorisation sans s'assurer que des mesures satisfaisantes pour protéger la vie privée du Canadien sont en place. Le Canadien ne serait pas visé. C'est l'entité étrangère qui est visée et qui serait partie à la conversation. Le ministre devra s'assurer d'avoir des mécanismes en place. Ce sera l'un des nouveaux éléments des pouvoirs qui me seront accordés par la loi. Je devrai vérifier et faire une revue pour m'assurer que le ministre a bien utilisé sa discrétion lorsqu'il a décidé d'autoriser l'interception de la communication.

Le sénateur Joyal: Sauf que vous faites vous-même enquête sur la façon dont le ministre a utilisé ces pouvoirs, mais vous faites enquête et rapport au ministre.

M. Bisson: Oui.

Pour un organisme qui fait l'objet d'un contrôle, le rapport est remis à une entité ou à une autorité autre qui a pour but de s'assurer qu'il y a une sorte d'«arm's lenght» entre l'agence qui fait l'objet de la vérification et la personne qui s'assure que le rapport qui est fait a la capacité objective de prendre une décision. L'article 273.65(8) stipule:

[Traduction]

Le commissaire du Centre de la sécurité des télécommuni cations doit examiner la question et faire rapport annuelle ment au ministre sur le contrôle.

[Français]

Vous enquêtez sur les décisions du ministre, mais vous en faites rapport à lui?

M Bisson: En vertu du paragraphe 8, je ne suis pas celui qui portera un jugement de valeurs sur les décisions du ministre pour lui dire qu'il a mal agi pour telle ou telle raison. Mais je pourrais lui indiquer, dans le rapport que je lui ferai annuellement ou plus souvent, si nécessaire, qu'il doit retenir que dans tel cas, l'autorisation ne comportait pas toutes les sauvegardes requises. Nous établirons les mécanismes à l'usage.

Je comprends où vous voulez en venir: je fais rapport au ministre et vous allez me dire que le ministre en disposera comme il le veut.

Le sénateur Joyal: C'est exact. Ce n'est pas comme si vous faisiez rapport au procureur général du Canada ou au premier ministre. En Grande-Bretagne, le «commissioner » qui serait votre homologue, fait rapport au premier ministre. Le premier ministre détient une autorité différente du ministre concerné, en l'occurrence le ministre de la Défense. Le premier ministre à le pouvoir d'être informé et a la capacité de juger objectivement de la décision du ministre de la Défense dans les circonstances pour savoir si les mesures de sécurité de vie privée étaient satisfaisantes lorsqu'un Canadien était en cause.

Dans le cas présent, vous analysez les conditions prévues à l'exercice du pouvoir donné au ministre à l'extérieur de la protection donnée au code pénal et vous faites rapport à ce même ministre. Ceci me laisse perplexe.

M. Bisson: Je suis un premier lecteur comme vous depuis lundi dernier du projet de loi. Le ministre voulait, par le paragraphe 8, s'assurer que ses autorisations avaient été bien exercées conformément à la loi.

On ne demande pas tellement au commissaire d'être juge de la valeur de l'autorisation donnée par le ministre. Votre préoccupation est valable. Est-ce que le rapport ne devrait pas être fait à quelqu'un d'autre, en plus du ministre?

Le sénateur Joyal: Si vous prenez l'article 6 de la partie 5.1 du projet de loi, aux pages 129 et suivantes, on constate qu'il y a au moins un juge de la Cour fédérale qui intervient pour revoir le certificat émis par le ministre du Revenu pour déterminer si une agence de bienfaisance ne contrevient pas aux dispositions de la loi. À ce moment, un juge de la Cour fédérale intervient. Cette autorité extérieure a une sorte de capacité d'intervention indépendante.

Votre honnêteté ou votre probité ne me préoccupe pas, au contraire. Mais le fait qu'on donne à un ministre un pouvoir exorbitant, eu égard au code pénal qui implique un Canadien, et que la surveillance de l'exercice de ce pouvoir exceptionnel n'est pas reliée à une autorité extérieure pouvant ordonner au moins un cran d'arrêt au cas où il y aurait un abus de l'exercice de ce pouvoir exorbitant me laisse songeur.

Il faut contrôler de près l'exercice de ce pouvoir exorbitant et non pas en faire simplement une sorte de gestion interne. On s'entend, entre nous, et si je vous dis que si cela n'a pas été très bien, on fera mieux la prochaine fois. La justice est ainsi faite. Ce n'est pas à vous que je le dirai. Vous avez siégé à la Cour supérieure et à la Cour d'appel. Il y a différents niveaux pour s'assurer de la capacité d'apporter à chaque fois une opinion objective pour protéger les droits des Canadiens.

M. Bisson: Je suis d'accord avec vous quand vous dites qu'il s'agit d'un pouvoir exorbitant: l'article 273.69 met de côté la partie 6 du Code criminel qui existe depuis 30 ans. Quant au mécanisme, je suis satisfait que vous ferez valoir vos revendications à l'occasion des réunions de ce comité. Je ne détiens pas l'autorité nécessaire de faire rapport sur la législation. Vous exprimez une préoccupation fort valable. Il est indéniable que le pouvoir est exorbitant.

Depuis que les dispositions de la partie 6 du Code criminel ont été mises en vigueur, depuis 1971, c'est la première fois que l'on y fait une brèche. On ne requiert pas un mandat judiciaire. On fait une brèche pour des motifs valables. J'en suis convaincu. Il faut s'assurer que des sauvegardes soient mises en place.

Le législateur va songer à quelque chose de différent du paragraphe 8. Vous allez faire valoir vos préoccupations adéquatement, j'en suis convaincu. On pourra vous expliquer mieux que moi le véritable sens du paragraphe 6.

[Traduction]

Le sénateur Beaudoin: Est-ce exagéré que de mettre de côté ce qui existe déjà dans notre système? Je ne peux pas vous poser cette question, j'en suis sûr, mais ce qui me vient à l'esprit, c'est que l'article 273.69 est possiblement ultra vires, qu'il va au moins à l'encontre de la jurisprudence de la Cour suprême sur les mandats d'interception de communications privées.

M. Bisson: La seule réponse que je puisse vous donner, c'est que vous êtes un meilleur constitutionnaliste que moi.

Le sénateur Murray: J'ai plusieurs questions dont je devrais connaître la réponse, mais que je n'ai pas. Qui est le chef du Centre de la sécurité des télécommunications?

M. Bisson: Le Centre a un nouveau chef depuis le 9 août, il s'agit de M. Keith Coulter.

Le sénateur Murray: Est-il un militaire?

M. Bisson: Je ne l'ai rencontré qu'une fois, en août, et c'était au tout début de son mandat. Mme Weeks peut vous donner plus d'information.

Mme Weeks: M. Coulter, qui je crois comparaîtra devant votre comité, si je ne m'abuse, avant la fin de la semaine, a effectivement des antécédents militaires et a déjà été fonctionnaire.

Le sénateur Murray: Je voulais savoir s'il comparaîtrait devant le comité.

La présidente: Sénateur Murray, il accompagnera le ministre de la Défense nationale.

Le sénateur Murray: J'ai une autre question dont je devrais connaître la réponse. Est-ce que les activités du CST sont assujetties à un contrôle par le Comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité?

M. Bisson: Non.

Le sénateur Murray: Vous êtes le commissaire chargé de cette surveillance?

M. Bisson: C'est exact.

Le sénateur Murray: Vos fonctions consistent, on le dit ici, à surveiller les activités pour vous assurer qu'elles sont conformes à la loi et alors, en réponse à une plainte, à entreprendre toute enquête que vous considérez nécessaire, et à informer le ministre et le procureur général de toute activité qui peut ne pas être conforme. Vous êtes également tenu de présenter un rapport annuel.

La loi dont vous relevez est la Loi sur la défense nationale. Je n'ai pas cette loi sous les yeux. J'ai ces modifications. Qu'est-ce que ces modifications ajoutent à votre mandat?

M. Bisson: Tout est nouveau ici. Il n'y a rien dans la Loi sur la défense nationale au sujet du Centre de la sécurité des télécommunications et de mes fonctions. Elles ont été établies par décret, comme je l'ai dit dans ma déclaration d'ouverture, il y a 55 ans et il en est ainsi depuis.

Le sénateur Murray: Votre mandat et tous les pouvoirs inscrits se retrouveront dans une loi pour la première fois?

M. Bisson: Oui.

Le sénateur Murray: On fait ici référence aux pouvoirs du CST de protéger les systèmes et les réseaux d'informatique du gouvernement du Canada de tout méfait en interceptant des communications privées.

Est-ce que cette référence aux systèmes ou réseaux informatiques du gouvernement du Canada inclut également ceux du Sénat et de la Chambre des communes?

M. Bisson: Ça, je n'oserais l'affirmer. Vous avez effectivement certains privilèges. Le gouvernement du Canada n'est pas le volet législatif. Je ne fais que lire les mots.

Le sénateur Murray: Le CST aurait alors besoin de pouvoirs explicites avant de pouvoir toucher à nos réseaux?

M. Bisson: Vous pourriez peut-être poser la question aux bonnes personnes.

Le sénateur Murray: Si vous attrapiez quelqu'un en train de le faire, est-ce que vous nous en aviseriez immédiatement?

M. Bisson: Oui.

Le sénateur Murray: On fait ici référence, à l'article 273.64, à des questions de vie privée:

(2) Les activités mentionnées aux alinéas (1)a) ou b) [...]

b) doivent être soumises à des mesures de protection de la vie privée des Canadiens lors de l'utilisation et de la conservation des renseignements interceptés.

Un peu plus loin, à l'article 273.65, on dit:

(2) Le ministre ne peut donner une autorisation que s'il est convaincu que les conditions suivantes sont réunies:

d) il existe des mesures satisfaisantes pour protéger la vie privée des Canadiens [...]

Nous avons déjà une Loi sur la protection des renseignements personnels au Canada.

M. Bisson: C'est exact, monsieur.

Le sénateur Murray: Lorsque je vois que dans ces dispositions, on parle de «mesures» et de l'obligation pour le ministre d'«autoriser», je commence à me demander si elles s'appliqueront sans égard à celles que contient déjà la Loi sur la protection des renseignements personnels.

M. Bisson: À mon avis, cela ne devrait pas être le cas. La Loi sur la protection des renseignements personnels existe. Le commissaire à la protection de la vie privée a mené une vérification il y a environ cinq ans. Le CST est certainement assujetti à la Loi sur la protection des renseignements personnels.

L'alinéa 273.65(2)d) ne s'applique que lorsque le ministre autorise une interception. Le CST va continuer de faire la majeure partie de son travail comme il l'a fait jusqu'à maintenant et sera assujetti à la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Le commissaire à la protection de la vie privée peut décider l'an prochain d'en faire une autre, comme il a fait en 1996. Les portes seront ouvertes, bien sûr. Le Centre n'est pas un endroit secret fermé à tout le monde. Le vérificateur général y est déjà allé. Le commissaire à la protection de la vie privée aussi. Nous sommes là. Ce n'est pas un endroit où ces gens-là font ce qu'ils veulent et de la façon dont ils le veulent.

Le sénateur Murray: À votre connaissance, est-ce que le CST mène aujourd'hui des activités qui ne sont pas couvertes par ces modifications?

M. Bisson: Non, certainement pas.

Le sénateur Murray: Existe-t-il des lignes directrices sur la communication de l'information, que ce soit au sujet de citoyens canadiens ou d'étrangers, avec des homologues du CST dans des pays étrangers?

M. Bisson: On ne transmet certainement pas de renseignements au sujet de Canadiens. Le Centre transmet effectivement de l'information à nos partenaires. Nous avons des partenariats avec le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande, l'Australie et les États-Unis depuis 50 ans maintenant.

Le sénateur Murray: Avez-vous examiné l'information qu'a transmise le Centre à ces autres pays?

M. Bisson: Mme Weeks répondra à la question, mais nous le faisons nécessairement.

Mme Weeks: La majeure partie des communications se fait dans l'autre sens. La plupart des communications nous sont transmises par nos alliés.

Le sénateur Murray: Je vois. Examinez-vous l'information que nous donnons à nos alliés?

Mme Weeks: Oui, nous le faisons.

Le sénateur Murray: Et vous êtes convaincus qu'elle est transmise de la bonne façon?

Mme Weeks: Le commissaire s'en est dit satisfait, oui.

Le sénateur Murray: Y a-t-il des lignes directrices à ce sujet?

Mme Weeks: Oui, il y en a.

Le sénateur Murray: Quelles sont-elles en général?

Mme Weeks: Il y a des politiques et des lignes directrices. Il y a aussi maintenant une nouvelle directive ministérielle sur la communication de l'information.

Le sénateur Murray: Outre la politique et les lignes directrices, lesquelles proviennent présumément du ministre?

Mme Weeks: Il s'agit ici de politiques internes, mais le ministre a publié récemment une directive ministérielle.

Le sénateur Murray: Nous aurons peut-être l'occasion d'en discuter.

M. Bisson: Il faut se rendre compte qu'aux États-Unis, l'équivalent du CST est une vaste organisation de 22 000 personnes qui travaillent en banlieue de Washington. C'est ce que l'on appelle la National Security Agency. Le Canada profite grandement de l'information que nous fournit cette agence parce qu'elle a des moyens techniques que nous n'avons pas.

Le sénateur Murray: Merci. Nous pourrons poursuivre l'étude de ces questions.

Le sénateur Tkachuk: Je sais que vous assurez la surveillance d'une partie de la loi, mais que vous ne l'administrez pas. Les sénateurs Joyal et Murray ont posé des questions au sujet de cet article. Le ministre autorise l'interception ou l'écoute électronique d'une conversation entre un Canadien et un étranger.

M. Bisson: Non. La nouvelle loi vise les entités étrangères. Il se peut qu'il y ait un Canadien à l'autre bout.

Le sénateur Tkachuk: C'est nouveau?

M. Bisson: Tout à fait nouveau.

Le sénateur Tkachuk: Avant, seules les conversations entre deux entités étrangères pouvaient être interceptées. Maintenant, on pourrait intercepter un appel entre l'Arabie saoudite et le Canada, par exemple, mais il faudrait une permission pour le faire. C'est exact?

M. Bisson: Le Centre s'intéressera d'abord à l'Arabie saoudite, mais comme il y a un Canadien d'impliqué dans l'interception, le ministre devra donner son autorisation.

Le sénateur Tkachuk: C'est exact. «Des mesures satisfaisantes sont en place pour protéger la vie privée des Canadiens». Eh bien, on envahit déjà leur vie privée. On écoute leurs conversations téléphoniques.

M. Bisson: Oui.

Le sénateur Tkachuk: Comment le Centre peut-il protéger la vie privée des Canadiens quand il empiète déjà sur cette vie? Que se passe-t-il, si dans cette conversation, on entend le Canadien parler de quelque chose qui est illégal mais pas de nature terroriste? Par exemple, cela pourrait être d'envoyer de la pornographie infantile de l'autre côté de la frontière, une chose du genre.

M. Bisson: Il faut lire la dernière partie de la phrase qui dit que l'information ne peut être utilisée ou conservée que si elle est essentielle aux affaires internationales, à la défense ou à la sécurité.

Le sénateur Tkachuk: C'est quand même assez large comme portée.

M. Bisson: Ça ne couvre peut-être pas la pornographie juvénile dont vous avez parlé.

Le sénateur Tkachuk: Je ne sais pas de quoi le ministre aurait besoin. J'ai de la difficulté à comprendre. Comment me protégerez-vous moi, en tant que citoyen canadien, si le ministre veut écouter ma conversation téléphonique avec quelqu'un d'Arabie saoudite ou d'Afghanistan qu'il estime être un terroriste?

M. Bisson: C'est l'inverse. On écoute l'entité étrangère, mais vous êtes à l'autre bout de la ligne.

Le sénateur Tkachuk: Comment sait-on que je suis à l'autre bout de la ligne?

M. Bisson: Grâce à d'autres moyens, on sait que cette entité étrangère aura une communication avec un Canadien.

Le sénateur Tkachuk: Le Centre écoute et maintenant il veut la permission de continuer à l'écouter?

M. Bisson: Non. Le Centre a d'autres raisons d'avoir des doutes. Quelqu'un, au nom du ministre, présentera les motifs justifiant la demande d'autorisation. Ne pensez pas que le ministre va signer un chèque en blanc.

Le sénateur Tkachuk: Je n'essaie pas ici de faire les difficiles. J'essaie seulement de voir comment vous protégez les citoyens canadiens. Il y a d'autres aspects de ce projet de loi qui nous inquiètent. Entre autres, de la possibilité que l'on écoute les conversations des Canadiens pour simplement respecter ces quatre critères. Comment allez-vous vous convaincre que l'organisation qui fait de l'écoute clandestine est en train de protéger les droits des Canadiens et de s'assurer que seules les communications privées sont utilisées si elles sont essentielles aux affaires internationales? Dès qu'on fait de l'écoute illicite de mes conversations, on envahit déjà ma vie privée. Quelles dispositions le projet de loi renferme-t-il pour me protéger après?

M. Bisson: Ce sera mon devoir de m'assurer que le CST respecte cette disposition du projet de loi. En fait, votre vie privée est envahie, même si la communication qui est ciblée se fait dans un pays étranger. Cela ne fait aucun doute. Cependant, le ministre ne donnera pas d'autorisation sans garanties satisfaisantes. Le ministre va probablement émettre une directive au CST. Nous allons voir comment l'alinéa d) fonctionnera.

Le sénateur Tkachuk: Bonne chance.

Le sénateur Andreychuk: Est-ce que le poste de commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications que vous occupez est toujours pourvu par mandat? D'après notre loi, ce poste n'est pas un poste permanent?

M. Bisson: Je continue d'exercer mes fonctions. Il y a une disposition qui dit que la personne qui occupe le poste, ou le Bureau, continue d'exercer ses fonctions. C'est ce qu'on dit au paragraphe 273.62(7).

Le sénateur Andreychuk: Laissons de côté le projet de loi C-36; je crois comprendre d'un comité antérieur auquel j'ai siégé que la fonction de surveillance n'était pas inhérente, que le gouvernement pouvait annuler ce travail.

M. Bisson: Vous avez tout à fait raison. J'ai d'abord été nommé pour un mandat de trois ans par décret en juin 1996. Le gouvernement aurait pu décider en juin 1999 de mettre un terme à mon mandat. Cependant, ce mandat est maintenant prévu par la loi, ce que je demande depuis des années.

Le sénateur Andreychuk: Le projet de C-36 vient légiférer vos fonctions. C'est un avantage.

M. Bisson: Exactement. Pas pour moi, mais pour la population canadienne.

Le sénateur Andreychuk: Exactement. Ce n'était pas une fonction sur laquelle nous pouvions compter comme le CSARS, qui était prévu par la loi.

M. Bisson: Oui.

Le sénateur Andreychuk: D'après ce que je comprends, actuellement, si quelqu'un vous soumet une plainte et que vous faites enquête, votre rapport n'est présenté qu'au ministre et le plaignant n'en connaît jamais l'issue.

M. Bisson: Ça n'a jamais été le cas depuis 1999. Lorsqu'on a renouvelé mon mandat pour trois ans en 1999, on m'a donné le pouvoir explicite de faire rapport à la partie plaignante.

Le sénateur Andreychuk: Est-ce que vous lui donnez un rapport complet, ou simplement la décision qui a été rendue?

M. Bisson: Comme je l'ai signalé tout à l'heure, je n'ai pas encore examiné une plainte au complet. Lorsque je ferai rapport à une partie plaignante, je lui remettrai probablement le raisonnement qui sous-tend la décision de «rejeter une plainte» ou d'une «plainte bien fondée».

Le sénateur Andreychuk: Depuis 1999, vous n'avez eu à rendre aucune décision au sujet d'une plainte?

M. Bisson: Non.

Le sénateur Andreychuk: Vous avez dit tout à l'heure que vous avez vérifié toutes les transmissions pendant un mois. Je vous ai entendu dire que durant tout votre mandat, il n'y avait pas eu de violation de la loi. Si une communication est par accident mal interceptée et qu'après vous en être rendu compte, l'information est détruite, vous n'appelez pas cela une transaction illégale? Si les choses sont corrigées, vous ne dites pas que la transaction était invalide?

M. Bisson: Si une communication impliquant une entité canadienne est interceptée par accident et immédiatement détruite, non, la loi n'est pas transgressée.

Le sénateur Andreychuk: Mais en fait, il y a eu des transmissions qui étaient contre la loi, mais qui ont été corrigées à votre satisfaction?

M. Bisson: Oui, comme je l'ai dit, il se fait un très grand nombre de communications et à bien des égards, une communication canadienne peut être interceptée par erreur.

Comme l'a précisé Mme Weeks, c'est l'objectif du mécanisme de rejet. Une communication qui implique des Canadiens va disparaître. Il peut se produire des erreurs de temps en temps. Le CST ne prétend pas qu'il n'y a jamais eu d'interceptions de communications de Canadiens. Cependant, il existe des politiques pour assurer l'élimination de ces communications.

Le sénateur Tkachuk: Monsieur Bisson, je me sentirais beaucoup plus à l'aise si vous deviez faire rapport au Parlement et non au ministre. Si vous faites rapport au ministre, vous dites: «Voyez-vous, monsieur le ministre, nous avons ici un petit problème. Je pense que lorsque vous avez signé une ou deux de ces autorisations, nous avons perdu le contrôle et nous nous sommes retrouvés à écouter toute une série de choses que nous n'aurions pas dû écouter.»

Je ne sais pas si le ministre est votre ami. Vous avez été nommé par décret. Il pourrait être votre ami. Nous savons comment les choses se passent. Je ne dis pas que dans votre cas, cela s'est produit. Vous êtes un juge fort respecté. Cependant, peut-être que ce ne sera pas vous. Vous ne serez peut-être pas là pour toujours. Ce sera quelqu'un d'autre. Cela pourrait être un ami intime du ministre, et le ministre pourrait dire: «Vous savez, on va tout simplement enterrer l'affaire dans le rapport.» Ou peut-être que le décret est annulé. Que se passe-t-il?

M. Bisson: Je ne crois pas qu'un seul ministre oserait agir ainsi.

Le sénateur Tkachuk: Je ne le sais pas. Je dis seulement que vous ne faites pas rapport au Parlement. Vous faites rapport aux mêmes personnes qui font ce travail.

M. Bisson: Oui.

Le sénateur Tkachuk: Après, la seule chose que vous pouvez faire, c'est d'écrire dans votre rapport que le ministre ne vous a pas écouté, et je vous dis aussi bonne chance pour cela.

M. Bisson: Comme je l'ai dit, s'il y a quelque chose d'illégal qui se fait - mais vous ne supposez pas que c'est illégal - j'ai le devoir de le signaler au procureur général. Supposons que cela n'est pas illégal.

Le sénateur Tkachuk: La même personne qui a donné l'autorisation, le procureur général, aurait autorisé cela.

M. Bisson: Non, le procureur général ne fait pas...

Le sénateur Tkachuk: Je vous pose simplement la question, vous sentiriez-vous plus à l'aise de faire rapport au Parlement? Ne croyez-vous pas que le processus serait plus clair et meilleur?

M. Bisson: Je fais déjà un rapport annuel au Parlement. Mon rapport annuel est public. Comme je l'ai dit, je remets également un rapport classifié au ministre. Certains de ces rapports ont été obtenus grâce à la Loi sur l'accès à l'information, mais certaines sections en avaient été supprimées. C'est bien de faire rapport au Parlement, mais il devrait y avoir un mécanisme permettant de présenter un rapport classifié à quelqu'un.

[Français]

Le sénateur Fraser: En réponse au sénateur Joyal, vous avez dit tout à l'heure qu'une partie du projet de loi était exorbitante. À quelle partie du projet de loi faites-vous référence?

M. Bisson: Je fais référence à l'article 273.69. La partie VI du Code criminel est en vigueur depuis maintenant 30 ans. Et il est sûrement exorbitant qu'une telle chose ne soit pas soumise au Code criminel.

Le sénateur Fraser: Oui.

M. Bisson: Je pense que personne ne va nier ce caractère exorbitant.

Le sénateur Fraser: Est-ce que dans votre tête exorbitant signifie excessif?

M. Bisson: Non, pas du tout, exorbitant dans le sens de hors norme.

Le sénateur Fraser: Diriez-vous de très inhabituel?

M. Bisson: Oui, de très inhabituel. Sauf erreur de ma part, c'est la première fois que certaines choses ne seront pas assujetties à cette disposition. Autrement, comme le sénateur Beaudoin l'a souligné, il faut recourir à des mandats judiciaires. Ce n'est pas excessif mais ce n'est pas dans la norme. Cette protection existe depuis 30 ans, depuis 1971.

[Traduction]

Le sénateur Kenny: En ce qui concerne l'échange d'information avec les alliés qui ont la capacité de faire de l'écoute électronique, pourriez-vous nous donner les grandes lignes des politiques et des lignes directrices qui régissent ces échanges?

M. Bisson: La principale caractéristique, c'est que le partenaire ne fera pas d'interceptions que le CST ne pourrait faire. Nous ne pouvons dire aux États-Unis que nous ne pouvons intercepter des communications entre des Canadiens et leur demander de le faire pour nous. Mme Weeks pourrait vous donner plus de détails, mais c'est la caractéristique la plus importante.

Le sénateur Kenny: J'ai entendu dire que c'était le contraire - et peut-être pourriez-vous faire des commentaires - que nous avons transmis de l'information à d'autres organismes avec lesquels nous ne pouvions faire affaire et que nous leur avions donné l'information pour qu'ils l'analysent.

M. Bisson: Tout à fait faux.

Le sénateur Kenny: Qu'en savez-vous, monsieur?

M. Bisson: Si vous me demandez si je suis là tous les jours pour voir si nous avons transmis de l'information aux États-Unis au sujet de citoyens américains, la réponse est non. Cependant, la politique stipule qu'il n'y a pas de collecte d'information de la part d'aucun des pays partenaires qui intercepteraient des communications de personnes de l'un ou l'autre de ces pays. Nous ne le faisons pas au Canada. Ils ne le font pas aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande, en Australie ou au Royaume-Uni.

Le sénateur Kenny: Je parlais d'information recueillie sur des Canadiens qui pouvait être transmise aux Américains, par exemple, afin qu'ils puissent l'analyser et l'utiliser même si nous ne pouvons le faire selon les dispositions actuelles.

Mme Weeks: Il existe deux conventions internationales depuis la création de ces organismes. La première stipule que l'on ne recueille pas d'information au nom d'un autre, la deuxième que l'on n'utilise pas les services de l'un et de l'autre pour recueillir de l'information qu'il serait illégal de recueillir dans son propre pays. C'est établi par convention. C'est leur façon de procéder, et c'est au coeur de leurs politiques.

Le sénateur Kenny: Comment vous en assurez-vous?

Mme Weeks: Dans toutes nos vérifications, nous n'avons vu aucune preuve d'une telle situation, et en bout de ligne, lorsque vous abordez les politiques que vous avez vérifiées avec vos partenaires internationaux lors de réunions à cette fin, il faut prendre la parole des intéressés.

[Français]

Le sénateur Joyal: Monsieur Bisson, lorsque le droit constitutionnel à la vie privée est violé ou non respecté, il doit normalement y avoir un mécanisme pour obtenir réparation dans notre régime de droit fondé sur le respect de la règle de droit.

Ce qui m'inquiète dans cet article, lorsqu'on continue la lecture du chapitre, au haut de la page 125, on lit:

Le procureur général du Canada peut tout simplement délivrer un certificat qui, à toutes fins pratiques, dispense le ministre de la Défense qui a autorisé l'interception de la communication privée de rendre disponible quelque informa tion que ce soit.

La semaine dernière, le commissaire à la vie privée a attiré l'attention du public canadien sur ces deux dispositions. Si nous les lisons en succession avec les dispositions précédentes, en pratique, le Canadien placé dans une situation où il n'est pas protégé par une autorisation judiciaire n'est pas non plus protégé et ne peut pas se protéger dans le contexte où il y aurait une invasion injustifiée de sa vie privée. Il suffirait pour le procureur général d'émettre le certificat mentionné aux articles 103 et 104. À ce moment, on ne reconnaît pas au Canadien en question sa capacité de pouvoir protéger son droit à la vie privée. Est-ce que ces deux dispositions ne vont pas carrément à l'encontre de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés?

M. Bisson: Je vais me limiter aux articles qui concernent mon mandat. Prenons l'hypothèse que le Canadien se plaindrait que sa vie privée a été indûment violée par l'autorisation donnée par le ministre. Je peux recevoir la plainte et j'en disposerai suivant la preuve qui me sera faite. Je ne vois pas comment l'article 103 viendrait interagir avec les dispositions qui concernent le Centre de la sécurité et des télécommunications.

Le sénateur Joyal: Vous faites une enquête. Vous arrivez à la conclusion qu'il y a eu une intrusion indue dans la vie privée d'un citoyen. Ce dernier décide d'intenter une poursuite pour obtenir réparation. Le procureur général du Canada, qui serait mis en cause, n'aurait qu'à utiliser le pouvoir qui lui est donné à l'article 104 aux termes duquel il peut simplement émettre un certificat et déclarer que ces renseignements sont essentiels à la sécurité, à la défense et aux relations internationales du Canada. À toutes fins pratiques, on nie au citoyen, par le biais du pouvoir additionnel donné au procureur général du Canada, sa capacité de faire valoir ses droits.

M. Bisson: Je ne voudrais pas m'aventurer dans des dispositions que je n'ai pas eu l'occasion d'étudier. Je ne suis pas sûr que la portée des articles 103 et 104 aillent aussi loin que vous ne le croyez. Le procureur général du Canada peut émettre un certificat pour empêcher la divulgation des renseignements mais il ne peut empêcher le citoyen de se plaindre...

Le sénateur Joyal: Ce n'est pas ce que je dis. Ce n'est pas ce que le commissaire à la vie privée a mentionné.

M. Bisson: J'aime mieux ne pas intervenir parce que ce ne sont pas les dispositions sur lesquelles je me suis penché depuis une semaine.

[Traduction]

La présidente: Un dernier mot du sénateur Beaudoin.

Le sénateur Beaudoin: La question est simple. Elle porte sur l'article 24 de la Charte.

[Français]

Et je cite:

Toute personne, victime de violation ou de négation des droits et libertés qui lui sont garantis par la présente Charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

C'est dans la Charte, dans la Constitution et donc plus important qu'un projet de loi qui n'est pas un acte constitutionnel.

La personne pourrait très facilement poursuivre devant un tribunal et j'arrive à la conclusion que l'article 24 s'applique. C'est tellement clair. Les articles 103 et 104 sont intéressants et importants, mais ils font partie d'une loi, ce n'est pas une Constitution. C'est la Constitution qui l'emporte. Cela m'apparaît clair.

[Traduction]

Le sénateur Joyal: Il serait bon que les membres du comité lisent le communiqué de presse publié la semaine dernière par le commissaire à la protection de la vie privée. Le commissaire a soulevé précisément la question des articles 103 et 104 eu égard à la protection de la vie privée.

Le sénateur Beaudoin: Il va comparaître devant nous et nous lui poserons la même question.

La présidente: Je tiens à remercier les témoins d'être venus nous rencontrer ce soir. C'est là une nouvelle question qu'aborde un comité parlementaire et nous sommes heureux que vous ayez pris le temps de venir nous voir.

La séance est levée.


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