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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 35 - Témoignages


OTTAWA, le lundi 22 octobre 2001

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, saisi du projet de loi C-11, Loi concernant l'immigration au Canada et l'asile conféré aux personnes déplacées, persécutées ou en danger, se réunit cet après-midi à 14 heures pour examiner ledit projet de loi.

Le sénateur Marjory LeBreton (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente: Nous nous réunissons aujourd'hui pour poursuivre notre examen du projet de loi C-11, Loi concernant l'immigration au Canada et l'asile conféré aux personnes déplacées, persécutées ou en danger.

Notre premier témoin cet après-midi est le professeur Joseph Magnet de la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa. Après votre exposé de 10 ou 15 minutes, nous ouvrirons la période des questions. Merci d'avoir accepté de comparaître devant nous aujourd'hui. Vous avez la parole.

M. Joseph Magnet, professeur, Faculté de droit, Université d'Ottawa: Je me présente devant vous cet après-midi à la demande des membres du comité et de son personnel. Je n'ai pas pour objectif de défendre la cause d'aucun groupe d'intérêt, je suis motivé exclusivement par le désir de défendre la cause de la justice ainsi que l'honneur et l'intérêt de ce grand pays. C'est donc pour moi un honneur et un privilège de comparaître devant le comité pour vous aider à élucider certaines questions.

Je voudrais commencer par féliciter le ministère et la ministre. Ce projet de loi représente la première révision en profondeur d'une loi qui revêt une grande importance pour le Canada depuis une génération. Le ministère a accompli un travail minutieux et intelligent qui a donné lieu à un projet de loi d'une grande importance, d'une simplicité et d'une élégance notable et surtout d'une très grande valeur.

Vous avez déjà reçu la sous-ministre adjointe, Mme Atkinson, qui vous a donné un aperçu général de l'équilibre fondamental qu'il faut établir entre différents facteurs, tels le coût, la rapidité et l'efficacité des formalités d'immigration et les droits des résidents permanents canadiens et des ressortissants étrangers. C'est un équilibre qu'il est essentiel de maintenir.

J'ai déjà lu les bleus. Je sais donc ce que d'autres témoins vous ont dit au sujet du projet de loi. Aussi je n'ai pas l'intention de revenir sur les points que vous avez déjà examinés, même si j'ai remarqué que les observations de Mme Atkinson mettaient beaucoup l'accent sur la rigueur des nouvelles mesures. Puisque le ministère s'est fixé comme objectif fondamental d'instaurer des mesures plus strictes, notamment dans la foulée des événements du mois dernier, et de rationaliser ses propres procédures, permettez-moi d'attirer votre attention sur certains éléments mal définis auxquels le Sénat, cette Chambre de réflexion, voudra peut-être réfléchir.

Je vais donc aborder trois questions précises et vous expliquer brièvement mon raisonnement dans chaque cas. Je vais vous parler de l'article 34, qui porte sur l'interdiction de territoire par rapport aux actes terroristes. Je vais également vous parler de l'article 43, au sujet duquel on vous a déjà fourni certaines explications, et notamment le fait que nous avons affaire à une loi-cadre qui prévoit des pouvoirs de réglementation très larges du type qui a déjà été soumis à votre examen et au sujet duquel vous aviez précédemment certaines préoccupations. Je ne veux pas revenir sur des questions que vous avez déjà étudiées, mais je voudrais présenter certaines préoccupations à cet égard sous un angle complètement différent, en ce qui vous concerne. Je vais également faire certaines observations au sujet de l'article 72, qui concerne le contrôle judiciaire par la cour de mesures prises par des agents d'immigration.

Commençons donc par examiner l'alinéa 34(1)c). Cet article a pour effet de frapper d'une interdiction de territoire des résidents permanents ou ressortissants étrangers qui se seraient livrés au terrorisme. Pour tout résident permanent ou ressortissant étranger trouvé coupable d'actes terroristes, les conséquences sont nécessairement très graves. Il convient donc de se poser la question que voici: Qu'est-ce que le terrorisme?

Ce projet de loi, à la différence d'autres mesures législatives proposées en Grande-Bretagne qui définissaient certains groupes comme étant des groupes terroristes, ne comporte pas de définition du terrorisme. Qu'entend donc le ministère par le terme «terrorisme»? Et comment les personnes chargées de contrôler l'application de cette loi sont-elles censées interpréter ce terme? Comment pourraient-elles essayer de définir ce terme?

Normalement, une loi de ce genre, si elle était votée par le Parlement, sera interprétée in pari materia, pour utiliser le terme juridique. Y a-t-il d'autres lois canadiennes qui pourraient nous aider à élucider le sens de ce terme «terrorisme»? Pas vraiment, à mon avis.

Vous tiendrez dès cette semaine des audiences sur le projet de loi C-36, soit le projet de loi antiterroriste. Comme vous le savez, ce dernier comporte une définition d'activités terroristes qui est assez large. Elle englobe tout acte ou omission commis en partie pour atteindre des objectifs politiques, religieux ou idéologiques dans l'intention d'intimider certains segments de la population et de causer un préjudice à la santé, à la sécurité ou à la propriété d'autrui.

Comme la définition qui se trouve dans le projet de loi C-36 pourrait influer sur la définition du terrorisme de l'alinéa 34(1)c), dont vous êtes maintenant saisis, j'ai essayé de songer à certains exemples qui pourraient nous aider à mieux cerner le concept du terrorisme. Par exemple, la définition pourrait viser une déclaration du genre: «Repentissez-vous, sinon ce sera la fin du monde» ou encore «Ne votez pas pour le Parti québécois, sinon vous vous exposez à d'importants conflits civils». Ces deux déclarations auraient pour objet d'alarmer ou d'angoisser les citoyens. Ce genre de chose pourrait donc éventuellement être visée par la définition du terrorisme, et ce ne serait pas nécessairement des cas limites. De même, les actes d'un étudiant de 19 ans qui occupe le bureau d'un président d'université pour défendre une cause idéologique de jeunes, dans l'intention de causer des dommages à ce bureau, pourraient également être visés par cette définition.

À mon avis, les honorables sénateurs doivent se demander si cette référence, ou encore l'alinéa 34(1)c) qui sera interprété en fonction de l'autre projet de loi qui a été déposé, sont préoccupants. L'interprétation du concept du terrorisme dans diverses lois in pari materia ou le projet de loi antiterrorisme proposé par le gouvernement ne seront peut-être pas à l'origine de notre définition du terrorisme en fin de compte. Nous devrons peut-être chercher d'autres façons de définir le terrorisme.

L'article 43 du projet de loi dont vous êtes saisis complique les choses en prévoyant la création d'une définition du terrorisme par voie de règlement. En fait, le règlement d'application comportera peut-être une définition du terrorisme, et le Sénat n'en serait pas nécessairement saisi.

Il est également intéressant de noter que le pouvoir de réglementation dont il est question à l'article 43, qui permet à la bureaucratie, par l'entremise des formalités constitutionnelles officielles, de définir le terrorisme, ne prévoit aucunement que les règlements ainsi définis soient soumis à l'examen du Parlement. Il est vrai que le paragraphe 5(2) prévoit que tout projet de règlement soit déposé devant le Parlement et que les Chambres du Parlement puissent l'examiner. Ainsi les honorables sénateurs réunis autour de cette table auraient l'occasion d'examiner le règlement d'application. Toutefois, le pouvoir de réglementation qu'on retrouve à l'article 43 n'est pas exercé de la même manière. C'est-à-dire que ce pouvoir-là n'est pas assujetti à l'examen d'autrui. Ainsi les honorables sénateurs n'auraient pas l'occasion d'examiner les règlements définis de cette manière.

Évidemment, ce n'est pas vraiment nouveau, en ce qui vous concerne. Vous avez constaté à maintes reprises que les administrations ont de plus en plus tendance à faire voter des lois-cadres et d'en préciser tous les détails dans les règlements d'application. À bien des égards, cette pratique est tout à fait justifiée. Le travail technique de la bureaucratie se déroule à ce niveau-là, alors que les principes généraux qui nous définissent et nous régissent en tant que nation de même que notre action collective sont énoncés à un niveau supérieur, soit dans des lois-cadres de ce genre.

D'ailleurs, d'aucuns reprochent à la Cour suprême du Canada d'avoir joué un rôle un peu trop interventionniste par rapport à cette tendance. En effet, la Cour suprême du Canada a jeté les bases de contestation constitutionnelle de mesures législatives visant à déléguer à outrance le pouvoir de réglementation à la bureaucratie, notamment quand ce pouvoir influe sur les droits individuels.

Dans cet ordre d'idées, il convient de parler de trois affaires en particulier. Je peux évidemment fournir les citations précises au personnel par la suite, mais mon ami, le sénateur Beaudoin, saura certainement que plusieurs affaires jugées par la Cour suprême - notamment les affaires Eurig Estate, West Bank First Nation, et plus récemment, Ontario English Catholic Teachers - ont eu pour effet d'élargir certains principes démocratiques.

L'affaire Eurig Estate, par exemple, a permis de dégager le principe selon lequel la perception d'impôts suppose un droit de représentation - principe qui est d'ailleurs protégé de manière distincte dans la Constitution et qui s'appuie sur le texte du préambule de la Loi constitutionnelle de 1867. Dans l'affaire Eurig Estate, les juges ont statué que la délégation excessive de pouvoir de réglementation à la bureaucratie pour la perception d'impôts portait atteinte au principe démocratique énoncé dans la Constitution, de telle sorte qu'il était raisonnable de ne pas faire percevoir les impôts en question. Si ce principe sous-tend le jugement dans l'affaire Eurig Estate pour des raisons constitutionnelles, l'idée selon laquelle une délégation excessive de pouvoir en vue de créer des infractions de type criminel - c'est-à-dire des infractions graves qui auraient pour effet de frapper d'interdiction de territoire, et donc de déportation, une personne qui vit au Canada depuis de nombreuses années à titre de résident permanent, et qui a des enfants et un emploi - donc, dis-je, on peut se demander si ce principe démocratique est vraiment pertinent. Les honorables sénateurs voudront certainement réfléchir à la question.

Le principe a également été examiné par la Cour suprême du Canada, mais les tribunaux ne sont pas les seuls organes qui soient habilités à interpréter notre Constitution. Nos valeurs constitutionnelles - le ciment, pour ainsi dire, de notre société - sont interprétées, appliquées et définies par cette Chambre et par l'autre. Les honorables sénateurs voudront peut-être se demander par conséquent s'ils jouissent d'un pouvoir d'examen parlementaire suffisant par rapport à cette grave infraction qui est créée dans le projet de loi.

Je voudrais maintenant aborder brièvement le paragraphe 72(1). Vous avez reçu les témoignages de l'Association du Barreau canadien sur la question, mais je voudrais l'aborder dans ses autres dimensions. J'aimerais parler entre autres du droit d'assujettir au contrôle judiciaire d'un tribunal les mesures prises par des agents ou d'autres représentants du ministère de l'Immigration. Le paragraphe 72(1) prévoit le droit de demander ce contrôle judiciaire par la Cour fédérale, à l'égard de toute mesure prise par ses agents, sous réserve du dépôt d'une demande d'autorisation. Il s'agit d'une disposition tout à fait nouvelle. Je pourrais y revenir un peu plus tard, mais le point essentiel, c'est que l'on prévoit un délai de 15 jours seulement pour le dépôt de la demande d'autorisation. On estime que ce délai est excessivement court, étant donné qu'il faut un certain temps pour préparer adéquatement une demande de ce genre. Et il l'est d'autant plus qu'il n'est pas conforme à la règle générale qu'on retrouve au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale.

On peut facilement imaginer de quel genre de situation il pourrait s'agir: un agent d'immigration prend à l'égard d'une personne une décision qui a le potentiel de changer complètement sa vie. Cette personne se trouve donc dans une situation difficile et n'a que 15 jours pour voir ce qu'elle peut faire. D'abord, elle doit trouver un avocat spécialisé dans le droit administratif ou le droit de l'immigration, et depuis l'endroit où elle se trouve, elle doit donc essayer de mettre la main sur un spécialiste de ce genre ici au Canada. Par exemple, si vous étiez en Bulgarie et que vous deviez vous sortir d'une situation difficile, vous auriez du mal. Il vous faudrait rapidement déterminer à qui vous adresser et ce qu'il y avait à faire. Il faudrait se faire conseiller.

Bon nombre de ces gens-là n'ont pas d'argent, si bien qu'ils doivent se renseigner pour savoir comment accéder à l'aide juridique; la procédure n'est pas la même dans chaque province. En fait, elle n'est même pas disponible dans chaque province dans des cas de ce genre, comme vous le savez déjà. Ils doivent se procurer une analyse de la situation et déterminer quels sont leurs droits. L'avocat doit ensuite faire une enquête, réunir des informations et préparer un mémoire écrit. Tout cela doit donc se faire en 15 jours. C'est donc un délai très court pour accomplir un tel travail.

De plus, cette demande d'autorisation relative au contrôle judiciaire par la Cour fédérale ne peut être faite que par écrit. L'audition orale d'une telle demande par la Cour fédérale sera autorisée dans des cas exceptionnels seulement, d'après ce que prévoit ce projet de loi. Bon nombre de ces demandes écrites sont préparées sans l'aide d'un avocat. J'ai souvent vu des demandes écrites liées à des questions d'immigration qui n'avaient pas été préparées par un avocat lorsque j'étais l'adjoint judiciaire du juge en chef Dixon à la Cour suprême du Canada. Nous avons souvent traité de telles demandes d'autorisation. Elles posent problème souvent parce que le demandeur peut ne pas bien s'exprimer, ou ne pas bien maîtriser l'anglais ou le français, si ce n'est pas sa première langue. Ces demandes sont fréquentes et le temps de préparation est minime.

Lorsque Peter Showler a comparu devant le comité l'autre jour, il vous a dit qu'il a besoin de ressources accrues pour mieux traiter les demandes. C'est pour cette raison que l'arriéré du ministère devient de plus en plus important. À la Cour fédérale, les documents vont se multiplier, mais les ressources resteront les mêmes. Il deviendra de plus en plus difficile de savoir ce qu'il faut faire, puisqu'il n'y a pas d'avocat sur place qui puisse expliquer à la Cour de quoi il s'agit.

Souvent la difficulté est causée par un agent d'immigration qui commet une erreur juridictionnelle grave. À cet égard, il y a trois éléments que les honorables sénateurs voudront peut-être prendre en compte. D'abord, ce projet de loi ne prévoit pas automatiquement le droit de demander le contrôle judiciaire, mais il prévoit le dépôt d'une demande d'autorisation de contrôle judiciaire. Il s'agit là d'un changement fondamental.

La Cour a déjà une charge de travail importante mais désormais le demandeur devra obtenir l'autorisation préalable de soumettre sa demande écrit à la Cour. Cela suppose un investissement accru de temps et de ressources financières et, qui plus est, cette disposition crée une procédure d'autorisation préalable qui vise, on peut le supposer, à éliminer les demandes frivoles, même si elles risquent de poser un important obstacle au demandeur. Ça peut être une bonne idée, en ce sens que le ministère ne souhaite pas non plus que chacun puisse accéder à la Cour fédérale pour se plaindre de n'importe quoi. Et une fois que les portes seront ouvertes, tout le monde saisira l'occasion de présenter ses doléances.

Honorables sénateurs, vous devez vous demander si cette procédure d'autorisation préalable permet de maintenir un bon équilibre ou si elle ne va pas un peu trop loin.

Deuxièmement, honorables sénateurs, vous voudrez examiner la possibilité que la procédure de demande d'autorisation écrite que prévoit ce projet de loi soit trop rigoureuse, en ce sens qu'elle crée un risque important d'erreur à l'égard de la décision erronée de l'agent d'immigration, erreur que la Cour ne sera pas à même de corriger. Voilà la question essentielle.

Troisièmement, le délai de 15 jours représente-t-il un outil adéquat pour réduire le nombre de dossiers? Autrement dit, c'est un délai très court pour préparer au complet l'ensemble des documents, si bien qu'on semble communiquer le message aux gens qu'au fond, on n'a pas envie qu'ils nous fassent des demandes. On espère que la grande majorité d'entre eux ne se retrouveront jamais devant la Cour fédérale parce qu'ils n'auront pas su quoi faire pour préparer leur demande en 15 jours. Est-ce normal de communiquer un tel message?

Enfin, le contrôle judiciaire est un droit sous-jacent à la primauté du droit. Le droit essentiel au contrôle judiciaire jouit d'une protection constitutionnelle. Il va sans dire que l'exercice de ce droit peut être régi par le Parlement du Canada. Mais il reste que c'est un principe fondamental de notre système judiciaire qu'une personne qui subit un préjudice grave en raison d'une décision gouvernementale puisse forcer le gouvernement à répondre de ses mesures administratives en demandant le contrôle judiciaire. Dans l'affaire Baker c. le Canada, Mme la juge l'Heureux-Dubé de la Cour suprême du Canada a expliqué en termes très éloquents la question des droits procéduraux:

L'objet des droits de participation qu'on y prévoit consiste à garantir que les décisions administratives sont prises en vertu d'une procédure juste et transparente qui correspond à la nature de la décision à prendre, qui traduit le contexte législatif, institutionnel et social, et qui donne l'occasion aux personnes touchées de présenter leurs vues et l'ensemble de leurs témoignages pour que le décideur en tienne compte.

Les honorables sénateurs devront donc se demander si ce droit limité de contrôle judiciaire - étant donné qu'une demande d'autorisation préalable doit être présentée en peu de temps - constitue une atteinte à ce droit de participation.

J'espère que mes quelques observations vous auront été utiles. C'est toujours un honneur et un plaisir de comparaître devant vous.

La vice-présidente: Merci, professeur Magnet.

Le sénateur Beaudoin: J'ai une question à vous soumettre qui a déjà été soulevée. Peut-être aimeriez-vous nous faire part de votre analyse, étant donné qu'elle est moins fondamentale. Le paragraphe 5(3) du projet de loi dit ceci:

Il n'est pas nécessaire de déposer de nouveau le projet de règlement devant le Parlement même s'il a subi des modifications.

Cela me paraît étrange. S'il a subi des modifications, il devrait être déposé devant les deux Chambres du Parlement. J'ai soulevé cette question l'autre jour en parlant avec un autre témoin, et j'aimerais donc savoir ce que vous en pensez. On dit dans ce paragraphe qu'il n'est pas nécessaire de déposer de nouveau le projet de loi devant le Parlement, même s'il a subi des modifications. À mon avis, s'il a subi des modifications, il devrait être déposé de nouveau devant chaque Chambre.

M. Magnet: J'aimerais réagir brièvement. À un moment donné, la théorie voulait que le règlement soit élaboré, déposé devant les Chambres du Parlement et examiné par elles; autrement dit, s'il y avait quelques détails mineurs à régler, il n'était pas nécessaire de soumettre ces changements mineurs à l'examen du Parlement. C'était surtout une façon de régler les questions techniques.

Cependant, votre question est d'autant plus pertinente que le genre de pouvoir de réglementation prévu ici va encore plus loin en déléguant certains pouvoirs à la bureaucratie. Le paragraphe 5(3) prévoit effectivement qu'il n'est pas nécessaire de déposer de nouveau le projet de règlement devant le Parlement même s'il a subi des modifications fondamentales, ce qui est tout à fait possible vu l'étendue des pouvoirs de réglementation que prévoit ce projet de loi. Pour bien répondre à votre question, il convient de se demander ceci: le droit de regard du Parlement est-il suffisant et conforme aux principes démocratiques liés au gouvernement responsable, par rapport notamment au pouvoir de réglementation dans un contexte social - c'est-à-dire qu'on ne parle pas de normes d'essence ou de la température à laquelle le gaz est transformé en produits différents, mais plutôt du droit fondamental de certains citoyens d'être membres de notre société, de notre collectivité et de vivre parmi nous?

Le sénateur Beaudoin: Ma deuxième question est dans le même ordre d'idées. Depuis au moins 20 ans, nous accordons des pouvoirs de délégation considérables au gouverneur en conseil. Nous permettons au gouverneur en conseil de prendre des décisions beaucoup plus précises que le Parlement lui-même. Or, le législateur, c'est le Parlement. Le gouverneur en conseil représente l'exécutif. Quand ce dernier a le pouvoir de prendre des mesures par voie législative ou d'élaborer des règlements, il doit se conformer au mandat qui lui est conféré par le Parlement.

Cependant, depuis 1970, ou même depuis 1960, nous conférons de plus en plus de pouvoir au gouverneur en conseil, et ça va trop loin. C'est abusif. Si vous regardez de près certains articles du projet de loi C-11, vous y verrez des dispositions abusives. Le Parlement devrait assumer beaucoup plus de responsabilité à l'égard des lois. Le Parlement n'est pas assez jaloux de son propre pouvoir. Nous en déléguons beaucoup trop. Voilà justement ce qui m'a frappé dans ce projet de loi, à savoir l'article qui porte sur le pouvoir du gouverneur en conseil par rapport au règlement d'application. Ça, c'est ma deuxième préoccupation.

Ma troisième préoccupation concerne les appels. Vous en avez parlé à la fin de votre exposé. Le droit d'appel sous-tend la primauté du droit au Canada. Nous sommes parfois critiqués parce que certains appels peuvent être improductifs, mais c'est finalement au Parlement de changer sa procédure d'appel. J'aimerais donc savoir ce que vous en pensez.

M. Magnet: Je partage vos préoccupations concernant le droit de regard du Parlement, mais il ne faut pas oublier que ce problème est très complexe. Si nous souhaitons que ce soit le Parlement, plutôt que la bureaucratie, qui exerce un droit de regard sur la réglementation, on part du principe que la Codification des règlements du Canada comportera désormais 25 000 pages et qu'il y aura un plan de réglementation très chargé chaque année.

Ce qui est intéressant à propos de notre système de gouvernement, c'est que la bureaucratie au Canada est habilitée à exercer son droit de regard sur la réglementation par voie législative, puisque chaque règlement élargit l'entendue des pouvoirs et de l'influence de la bureaucratie. Chacun vient s'ajouter à un ensemble important de règlements et l'entretient et le grossit. Cette capacité ne relève pas - du moins, pas encore - des comités ni du personnel des deux Chambres. Leur donner cette capacité suppose la modification de notre système et le renforcement des pouvoirs de comités comme le vôtre.

Nous sommes conscients du déficit démocratique qui caractérise notre système de gouvernement. Nous devons cependant nous demander si ce déficit est justifié, puisqu'il nous permet de prendre les mesures que nous jugeons essentielles, ou si nous en profitons d'une manière inappropriée et contraire à nos principes fondamentaux? Voilà le calcul à faire.

Je me rends compte que je n'ai pas vraiment répondu à votre question par un oui ou non définitif, mais disons que je suis sensible à votre crainte. C'est une crainte subtile et sophistiquée que vous exprimez à bon escient et à laquelle les réponses sont susceptibles d'être aussi subtiles et sophistiquées, voire même, dans certains cas, très coûteuses.

Le sénateur Cordy: Comme je ne suis pas experte constitutionnelle, j'ai un peu de mal à suivre les propos du sénateur Beaudoin.

Vous avez parlé de la définition du «terrorisme». Les témoins nous ont justement fait savoir que nous devons absolument définir ce terme. Il reste que peu d'organismes et peu de pays du monde aient encore réussi à définir les termes «terrorisme» ou «activités terroristes» de façon adéquate.

Comment en arriver à une définition du «terrorisme»? Dans votre préambule, vous avez fait état des exceptions qui pourraient être visées par le projet de définition des «actes terroristes». Mais comment en arriver à une définition du «terrorisme» qui soit suffisamment générale pour englober l'imprévu puisque telle est la caractéristique principale des actes terroristes - tout en excluant des situations comme celles que vous avez décrites, entre autres, celle de l'étudiant protestataire?

M. Magnet: Cela demandera du travail. Je me rends compte que les exemples de l'étudiant protestataire et d'autres posent vraiment problème. Cependant, le terrorisme, c'est la pratique théâtrale de l'horreur pour attirer l'attention sur une cause qui ne serait pas autrement connue du public. Voilà ce que c'est. C'est la pratique de l'horreur en vue de s'assurer que ceux qui auront assisté aux actes en question seront amenés à modifier leurs priorités.

Si nous voulons que la loi s'applique à des actes précis, comme vous le dites, ce sera très difficile, parce qu'il y a toutes sortes de façons de retenir l'attention du public et de faire parler de soi. Nous constatons que les moyens qui sont pris pour atteindre cet objectif sont de plus en plus violents. À mon sens, pour s'assurer du bon équilibre, il faut disposer de bonnes informations stratégiques. Autrement dit, il faut savoir à quelles menaces nous sommes actuellement confrontés? À ce moment-là, nous élaborons nos dispositions législatives en fonction d'éléments réels, plutôt qu'imaginaires. Quelle est la véritable menace qui pèse sur nous? Pour avoir une bonne définition du terrorisme qui nous protège contre ce que nous craignons, il nous faut des informations stratégiques sur les menaces éventuelles auxquelles nous pourrions être confrontés - qui incluent, comme vous le dites, sénateur, les imprévus.

Le problème, c'est qu'il y a des lacunes. Nous ne disposons pas des informations stratégiques qu'il nous faut. Je ne peux pas vous dire avec certitude ce que le SCRS sait ou ne sait pas, mais je serais surpris d'apprendre que le SCRS dispose de toutes les données stratégiques nécessaires concernant les problèmes potentiels les plus importants. Je pense que certains des témoins que vous avez reçus ont abordé la question avec vous. J'ai lu ces témoignages, et je n'avais pas du tout l'impression que je n'ai plus besoin de Valium.

Pour moi, il existe un écart stratégique que nous devons nous efforcer de combler de concert avec nos partenaires internationaux. Il nous faut savoir ce qui nous menace et ensuite élaborer nos lois en conséquence. Et au moment de définir nos propositions législatives, nous devons aussi chercher à connaître le champ d'application de ce que nous proposons au moyen d'exercices touchant les cas les plus limites, comme celui de l'étudiant protestataire.

J'aurai peut-être l'occasion de faire des observations plus détaillées sur le sujet quand je comparaîtrai mercredi devant le comité saisi du projet de loi antiterroriste, mais à mon avis, la situation actuelle est très analogue de celle à laquelle nous nous trouvions confrontés en 1970, quand deux personnes ont été enlevées et que nous ne savions pas s'il y avait deux cellules du FLQ, ou plutôt 200 ou 2 000. Nous avons donc décidé de ratisser large, pour découvrir ensuite que les instigateurs étaient peu nombreux. Dans une certaine mesure, on pourrait dire que les mesures prises à l'époque étaient appropriées, puisqu'elles ont permis de régler le problème, mais encore une fois, nous les avons payées cher. Il convient par conséquent de réfléchir longuement à l'opportunité d'une telle approche cette fois-ci. Encore une fois, nous ne savons pas s'il y a eu quatre pilotes kamikase ou plutôt 400 ou 4 000.

Donc, à mon avis, et je vous dis cela en toute humilité, nous faisons actuellement face à une sorte d'écart stratégique. Pour que la loi qui doit établir le bon équilibre entre les droits et les menaces soit bien définie, il faut absolument que cet écart soit comblé.

Le sénateur Cordy: Je suis d'accord avec vous, mais jusqu'à un certain point, cela met encore plus en relief la difficulté que représente l'élaboration d'une définition qui permet d'englober les imprévus. Rétrospectivement, les choses semblent toujours très claires, mais puisque nous ne savons pas ce qui risque de se produire, nous devons élaborer un projet de loi qui permettra de réagir à tous ce qui pourrait se produire à l'avenir. Et vos observations indiquent clairement que telle est la voie à suivre.

Ma prochaine question concerne votre analyse de la disposition portant sur les demandes d'autorisation de contrôle judiciaire; vous avez parlé du fait que les gens disposeront d'un délai de 15 jours. Mais si vous étiez à l'étranger, vous auriez droit à 60 jours. D'ailleurs, l'alinéa 72(2)c) prévoit que le délai peut être prorogé pour motif valable. À votre avis, cet alinéa ne répond-il pas à la difficulté que les circonstances atténuantes que vous mentionniez tout à l'heure risquent de poser?

M. Magnet: À mon avis, non. Et je vous fais cette réponse en ma qualité d'avocat qui a récemment demandé à la Cour fédérale d'exercer son pouvoir discrétionnaire pour organiser une audience rapide sur une situation urgente liée aux suicides dans une réserve indienne. La Cour fédérale est toujours réticente à exercer ce pouvoir. À mon avis, la Cour fédérale ne pourra offrir cette sécurité additionnelle que vous cherchez et qui est peut-être nécessaire dans ce contexte.

En ce qui me concerne, pour être sûr que cet équilibre existe, il faut créer les conditions qui vont lui permettre d'exister. Et les honorables sénateurs devront être convaincus que cet équilibre existe, plutôt que de se dire que les tribunaux régleront les problèmes qui pourraient surgir si nous nous trompons. Il faut que cet équilibre trouve son expression concrète dans la loi.

Le sénateur Cordy: Je ne suis pas avocate. Quand vous présentez une demande de contrôle judiciaire, est-ce que votre demande doit comporter tous les renseignements pertinents, ou suffit-il de faire savoir que l'on a l'intention de présenter une demande de contrôle judiciaire?

M. Magnet: Un juge de la Cour fédérale risque d'être quelqu'un comme moi - c'est-à-dire quelqu'un qui change d'emploi après avoir été professeur de droit ou avoir été en exercice pendant 25 ans. Quand vous vous présentez devant cette personne pour demander un contrôle judiciaire, cette personne va se dire: Je suis occupé, nous avons une grosse charge de travail, et nous devons absolument passer au travers tous ces dossiers. Ainsi le juge voudra déterminer rapidement s'il convient ou non qu'il examine ce dossier. De quoi s'agit-il? Nous parlons souvent de prétentions établies à première vue, mais le juge veut surtout savoir si la demande est fondée; il veut savoir si c'est une demande sérieuse ou si elle lui fera perdre son temps. Il faut qu'on puisse répondre à cette question alors qu'on n'aura pas eu beaucoup de temps pour trouver la réponse.

Donc, pour convaincre un juge du bien-fondé de votre demande, vous devrez avancer de bons arguments. Il ne s'agira pas de lui dire: «Je compte me renseigner sur telle chose, j'aurai tel document ou telle source d'information me sera utile». Le juge voudra savoir pourquoi vous n'avez pas déjà toute cette information-là. La procédure de demande d'autorisation peut être intensive et suppose une solide justification.

Le sénateur Cordy: Si vous avez 15 jours pour déposer votre demande, est-ce que l'avis que vous donnez à la Cour à ce moment-là doit comporter tous les détails, ou suffit-il à ce moment-là de prévenir la Cour que vous comptez déposer une demande d'autorisation?

M. Magnet: Vous devez convaincre le juge chargé d'examiner votre demande d'autorisation que si l'autorisation est accordée, votre demande sera une demande sérieuse. C'est votre seule occasion de le convaincre du sérieux de votre demande.

Le sénateur Andreychuk: Je voudrais revenir sur l'article 34 dont vous parliez tout à l'heure, c'est-à-dire l'expression «se livrer au terrorisme» et la difficulté que pose l'élaboration d'une définition. On fait intervenir alors les procédures d'appel et d'examen administratif.

D'abord, sur la définition du terrorisme, étant donné que cette expression est employée sans contexte, y a-t-il des lignes directrices ou des règles - j'avoue que je n'ai pas réussi à en trouver - dans le cadre du système d'immigration au Canada qui nous aideraient à faire comprendre qu'il s'agit là d'actes graves, par rapport à ceux qui pourraient être compris dans cette autre catégorie, c'est-à-dire les jeunes qui ont quelque chose à prouver? Quelles sont les tendances actuelles en ce qui concerne l'interprétation de ce genre de disposition?

M. Magnet: À ma connaissance, il ne nous arrive pas souvent au Canada d'arrêter des gens soupçonnés de terrorisme. Par contre, nous avons une procédure en bonne et due forme pour les crimes graves. Les tribunaux ont pu se pencher sur cette procédure et ont cru bon de donner une assez grande marge de manoeuvre au ministère, notamment dans l'affaire Chiarelli devant la Cour suprême du Canada. Mais à mon avis, nous n'avons guère d'expérience de ce genre de choses, et que je sache, il n'existe pas non plus au sein du ministère un mécanisme sophistiqué pour traiter d'éventuels cas de terrorisme, par rapport à d'autres crimes graves ou encore le crime organisé.

Le sénateur Andreychuk: Vous nous avons fait part de vos observations sur le paragraphe 72(1), et je comprends très bien ce que vous dites au sujet de la procédure d'appel. Pourriez-vous nous dire ce que vous pensez du paragraphe 64(1)? Êtes-vous du même avis à l'égard de la disposition que voici:

L'appel ne peut être interjeté par le résident permanent ou l'étranger qui est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée, ni par dans le cas de l'étranger, son répondant.

Votre opinion sur la disposition susmentionnée est-elle sensiblement la même que sur le paragraphe 72(1)?

M. Magnet: Non. J'ai bien lu les feuillets bleus des délibérations du comité présentant l'exposé de l'Association du Barreau canadien, et je sais par conséquent que l'Association est très préoccupée - à juste titre - par cette disposition. En ce qui me concerne, il s'agit de créer le bon équilibre. Par rapport au coût des appels, au nombre de dossiers et aux retards qu'ils peuvent entraîner, il me semble qu'il faut s'assurer d'établir l'équilibre approprié entre les droits de ceux qui veulent interjeter appel. Le fait est que bon nombre de ces appels ont pour seul objectif de retarder les choses, et nous le savons très bien.

Quand on crée un système, les gens ont tendance à vouloir l'exploiter au maximum, si bien que le système n'est pas toujours utilisé à bon escient. L'intention est donc d'éliminer le plus grand nombre d'appels non fondés afin de rationaliser les opérations, de faire des économies et d'améliorer les délais décisionnels. Je sais qu'un bon système doit être bien administré. Il doit reposer sur une bonne analyse coût-efficacité. Il doit respecter des principes commerciaux. Je comprends très bien tous ces objectifs. À cet égard, les arguments du Barreau canadien étaient fort convaincants. Donc, je ne peux pas vraiment vous en dire plus. J'ai décidé de ne pas commenter cet aspect-là du projet de loi, même si je sais qu'il vous intéresse beaucoup, étant donné que les représentants du Barreau en avaient déjà longuement parlé.

Quand je vous dis que je ne mets pas sur le même pied le droit d'appel devant la Section d'appel de l'immigration en vertu de l'article 64 et le droit au contrôle judiciaire, c'est parce que le droit de demander le contrôle judiciaire est tout à fait fondamental. C'est l'un des fondements mêmes de notre système. Si une personne subit un préjudice grave à cause de la bureaucratie - c'est-à-dire l'administration omniprésente qui régit la société dans laquelle nous sommes ravis de vivre - notre système constitutionnel prévoit qu'on pourra exercer son droit fondamental de demander un contrôle judiciaire. C'est l'un des préceptes même du droit administratif tel que nous l'enseignons depuis une trentaine d'années, et ce doit est maintenant consacré dans la Constitution. Ce droit prévoit qu'un tribunal pourra examiner l'événement en question avant que l'État puisse imposer quelque chose au citoyen. Nous ne vivons pas dans une société où lorsque quelqu'un se présente devant un tribunal pour faire état du grave préjudice qu'on lui a causé, l'affaire en reste là sans que quiconque ne soit appelé à répondre de ses actes.

L'appel dont il est question à l'article 64 repose surtout sur le rapport coût-efficacité. Accorder ce droit d'appel présente l'avantage de réduire le risque d'une décision erronée. Le coût qui en découle est celui de l'appel, et M. Showler vous a déjà donné des statistiques précises à ce sujet. Ça, c'est différent du droit fondamental de membres de la société d'aller en cour si quelque chose de grave leur arrive et qu'ils estiment que ce n'est pas justifié.

Le sénateur Andreychuk: Avez-vous tenu compte du fait que les termes «résident permanent» ou «étranger», tels qu'on les définit dans ce projet de loi, comprennent les personnes apatrides? Est-ce que cela ne rend pas plus importante l'analyse critique que vous devez faire de notre responsabilité à l'égard des personnes apatrides? De plus, comme vous l'avez dit, l'absence de ce contrôle judiciaire, ces personnes ne pourraient-elles pas être renvoyées dans des pays qui appliquent la peine de mort?

M. Magnet: J'avoue, sénateur, que je n'ai pas envisagé cette possibilité.

Le sénateur Roche: Je tiens à vous remercier, professeur Magnet, pour vos témoignages cet après-midi. Je voudrais revenir sur la question du terrorisme.

Vous avez attiré notre attention sur la disposition de l'article 34 portant qu'un résident permanent pourrait être frappé d'interdiction de territoire pour raison de sécurité du fait de c) se livrer au terrorisme. J'avais cru comprendre, d'après votre explication, que le règlement définirait les détails précis de l'application de cette disposition.

Le projet de loi C-36 comporte une définition du terrorisme, un peu longue, je l'avoue. Conviendrait-il à votre avis d'harmoniser ces deux projets de loi - le projet de loi C-11 et le projet de loi C-36 - par rapport à leur définition du terrorisme, pour que l'application du projet de loi C-11 en ce qui concerne le fait de savoir qui est terroriste et donc frappé d'interdiction de territoire ne ferait plus l'objet d'aucun doute? C'est-à-dire que la personne chargée de prendre la décision pourrait se fonder sur la définition complète qu'on retrouve dans le projet de loi C-36, plutôt que sur une interprétation peut-être subjective dans le contexte de la réglementation.

M. Magnet: Merci, c'est une excellente question. Le projet de loi C-11 est en préparation depuis longtemps. Cette version a sans doute été pondue par le ministère avant les événements du 11 septembre. Par contre, une sorte d'anxiété transperce le projet de loi C-36, d'où cette tentative pour englober tout ce qui pourrait éventuellement nous causer du tort.

L'idée d'assurer une certaine harmonie entre les deux définitions est non seulement rationnelle mais utile. En tant que société et en tant que Parlement, nous participerons certainement à des discussions très énergiques sur le projet de loi C-36. Lorsque les esprits se seront calmés et que l'on profitera d'une certaine rétrospection, après que le projet de loi C-36 aura été en vigueur depuis un moment, nous pourrions peut-être essayer de réaliser cette harmonie. Une certaine excitation et un sentiment d'urgence entourent le projet de loi C-36. Peut-être n'est-il pas indispensable d'assurer sa conformité avec la Loi sur l'immigration pour le moment.

Le sénateur Roche: Pour moi, le projet de loi C-11 n'est pas imprégné de ce sentiment d'anxiété qu'on constate dans l'autre, et comporte donc des considérations à plus long terme. Quelqu'un disait qu'il est fort possible que la Loi ne soit pas réexaminée avant encore 25 ans.

J'aimerais essayer d'obtenir de votre part une réponse un peu plus précise sur le fait de savoir si l'on devrait essayer d'harmoniser les définitions du terrorisme qu'on retrouve dans le projet de loi C-36 et C-11 maintenant, plutôt que plus tard. N'y a-t-il pas un risque de confusion, puisque le projet de loi C-11 prévoit que l'interprétation à donner sera précisée dans le règlement d'application, alors que le projet de loi C-36 comporte une définition explicite? Autrement dit, je me demande si l'on ne devrait pas modifier le projet de loi C-11 pour y incorporer immédiatement la définition du terrorisme qu'on retrouve actuellement dans le projet de loi C-36.

M. Magnet: Sénateur, sans pouvoir vraiment proposer une solution adéquate, je pense que les dispositions de l'article 43 sur lesquelles j'ai attiré votre attention sauront peut-être vous rassurer à cet égard, puisqu'on y dit que la définition du terrorisme sera élaborée par la bureaucratie. J'ai fait quelques commentaires au sujet des craintes de certains à l'égard de l'article 43, mais je me dis aussi que ce dernier comporte peut-être une solution, si l'on y prévoyait la possibilité de réviser en permanence la définition réglementaire du terrorisme, qui répondrait peut-être à votre préoccupation. Il est possible que d'autres législateurs soient du même avis que vous à cet égard.

Le sénateur Roche: Peut-être qu'on pourrait incorporer la définition du terrorisme qu'on retrouve ici dans le règlement d'application du projet de loi.

M. Magnet: Telle est justement l'intention du projet de loi.

Le sénateur Roche: Très bien. Je ne m'étendrai plus là-dessus.

Je voudrais revenir sur l'article 64 dont parlait le sénateur Andreychuk tout à l'heure. Voilà une disposition qui suscite de graves préoccupations chez certains des témoins que nous avons reçus, comme vous le savez. Je vous écoutais attentivement quand vous faisiez part tout à l'heure de vos observations sur le paragraphe 64(1). Pourriez-vous répéter les éléments essentiels de votre réflexion à cet égard?

Plusieurs témoins nous ont fait savoir qu'il convient de modifier le paragraphe 64(1) du projet de loi. Êtes-vous en faveur d'un amendement en ce sens?

M. Magnet: Écoutez, je ne me présente pas devant vous pour voter en faveur de telle ou telle autre ligne de conduite, mais plutôt pour vous aider. Je ne suis pas là pour vous dire d'une part, il y a ceci, et d'autre part, il y a cela et de toute façon, je n'arrive pas à me décider; c'est bien pour cela que je suis professeur.

En tant que législateur, vous trouverez peut-être utile de voir le paragraphe 64(1) sous l'angle de l'analyse coût-bénéfice. Pour moi, c'est ça la bonne approche. Parmi les avantages, notons que plus il y a de procédures et plus il y a d'appels, moins vous risquez de faire des décisions erronées. Dans le cadre d'un système de grande envergure comme le nôtre - étant donné que nous traitons plus de 300 000 dossiers chaque année - il est inévitable qu'on fasse des erreurs. Mais ces erreurs, pour ceux qui doivent passer par le système, ont des conséquences graves qui peuvent changer le cours de leur vie. En tant que société, nous voulons éviter de faire une erreur à l'égard du résident permanent qui vit à nos côtés. Il ne sera jamais possible d'éliminer complètement les erreurs, mais nous pouvons investir davantage dans les procédures en vue de réduire les risques.

Le paragraphe 64(1) porte justement sur l'une de ces procédures, qui suppose les dépenses dont parlait M. Showler, et qui doit nous permettre de nous assurer qu'on commet un minimum d'erreurs. Autrement dit, si l'appel était accueilli, les risques seraient moindres. À mon avis, c'est comme ça qu'il faut voir les choses. Il y a évidemment d'autres façons de concevoir ce genre de mécanismes, mais je pense que cette perspective peut vous être utile. Encore une fois, je ne cherche pas à me dérober, mais plutôt à vous aider le plus possible.

La formulation qu'on retrouve au paragraphe 64(1) est très générale. Autrement dit, un appel ne peut être interjeté par quelqu'un qui est interdit de territoire pour «atteinte aux droits humains». Cette expression revêt une grande importance, vu la philosophie des gens de notre époque. Depuis au moins 50 ans, nous assistons à une révolution sur le plan des droits. Cependant, le concept des droits de la personne tel que l'entendent les tribunaux qui sont confrontés tous les jours à des questions de ce genre, comprend bien des éléments qui ne sont pas bien sérieux. En plus de désigner les actes très graves dont il peut être question ici, la perte de statut que prévoit la Loi peut être décidée pour cause de remarques désobligeantes, de malentendus entre différentes personnes, ou parce que des gens méchants ont fait des choses qu'ils n'auraient pas dû faire aux mauvais moments. Le paragraphe 64(1) refuse le droit d'appel dans tous ces cas aussi. Il faut donc se demander s'il convient vraiment de ratifier aussi large. Étant donné que nous créons un risque important d'erreur du fait de priver de leurs droits des gens qui auraient pu faire des choses qui sans être très graves, ne sont pas très recommandables, voulons-nous aussi créer un risque important d'erreur en les privant de leurs droits par rapport à des décisions qui peuvent totalement changer le cours de leur vie, comme la possibilité d'être déportés après avoir vécu au Canada pendant une dizaine d'années?

Le sénateur Roche: Merci beaucoup. Je ne veux pas vous faire dire des choses que vous n'avez pas dites, mais ayant entendu votre réponse, je dois dire que je suis d'autant plus résolu à demander en temps et lieu que le paragraphe 64(1) soit modifié.

Enfin, je sais que vous n'avez pas envie de nous dire que le projet de loi devrait être modifié à tel article ou à tel autre article, mais nous avons besoin de vos conseils. Ce projet de loi comporte-t-il à votre avis des éléments qui devraient faire l'objet d'amendements - des éléments importants qui vous atteignent dans votre âme d'expert du système judiciaire canadien?

M. Magnet: Merci d'avoir exprimé cela en termes si éloquents. L'Association du Barreau canadien a avancé un certain nombre d'arguments très convaincants. J'ai aussi été frappé par les représentants de la police. Vous avez été très poli, mais à mon sens, ils n'ont vraiment pas su répondre à vos préoccupations d'ordre stratégique. J'étais d'ailleurs assez surpris d'apprendre, à propos de leurs opérations à l'étranger, à quel point leurs capacités sont limitées. Je ne suis pas sûr de pouvoir vous affirmer que cela m'a atteint dans mon âme d'avocat, mais je sais que j'ai trouvé alarmant que leurs capacités soient si faibles en matière de renseignement, même s'ils se sont exprimés avec éloquence devant le comité.

Le sénateur Di Nino: Bienvenue, professeur. Il est évident que certaines des questions les plus importantes vous ont déjà été posées. Mais avec votre permission, je voudrais revenir quelques instants sur l'article 64.

Certains sont tout à fait persuadés que cet article sera probablement contesté devant les tribunaux. Êtes-vous d'accord là-dessus?

M. Magnet: Oui.

Le sénateur Di Nino: D'autres nous ont dit, dans le cadre de ces audiences, qu'il faudrait peut-être envisager de modifier la Charte pour régler un certain nombre de ces problèmes. Il a même été question d'invoquer la disposition d'exemption de la Charte. Pensez-vous que l'une ou l'autre de ces deux initiatives devrait être envisagée?

M. Magnet: Oui, absolument. Cela rejoint ce que je disais tout à l'heure. La Charte des droits n'est pas un pacte suicidaire. Elle ne nous empêche pas de prendre des mesures qui sont à la fois raisonnables et proportionnées aux menaces qui pèsent sur nous. Et je vous dis cela malgré l'existence de l'article 33 et du pouvoir de passer outre aux droits que prévoit la Charte. Même sans passer par là, on peut dire que les tribunaux n'ont pas l'habitude de lier à ce point les mains du législateur qu'il soit dans l'impossibilité de réagir à des problèmes urgents et pressants en ayant accès aux outils les plus appropriés.

Rien ne semble indiquer que, dans les 20 ans qui se sont écoulés depuis la proclamation de la Charte des droits et libertés, cette dernière aurait entravé le travail sérieux de sécurité. Il n'existe pas de telle preuve. Il y a un écart de sécurité, mais cet écart n'est pas causé par la Charte des droits et libertés. Et tant qu'on n'aura pas prouvé que la Charte constitue vraiment un obstacle, ce projet de modification de la Charte se résumera à des paroles en l'air qui visent à rassurer tout le monde.

Il reste que nous ne prenons pas les vraies mesures qui s'imposent pour combler l'écart stratégique dont je parlais tout à l'heure. Envisager d'invoquer la disposition d'exception qu'on retrouve à l'article 33 de la Charte, c'est la même chose: des paroles qui visent à jeter le discrédit sur la société que nous avons édifiée ensemble et qui défend les libertés civiles, dans le seul but de faire plaisir à certaines personnes. Mais nous ne faisons pas ce que nous devons faire, c'est-à-dire doter nos services de sécurité des ressources dont ils ont besoin pour garantir la sécurité de nos frontières.

Le sénateur Di Nino: Merci.

Depuis l'interprétation donnée dans l'affaire Singh, y a-t-il eu d'autres jugements qui répondraient à ces préoccupations - c'est-à-dire d'autres décisions judiciaires dont vous pourriez nous parler pour nous aider à élucider ces questions?

M. Magnet: Il y a de nombreuses autres affaires pertinentes. Je me ferais un plaisir de vous en envoyer la liste, sénateur. J'ai parlé de l'affaire Chiarelli, et l'affaire Baker est évidemment critique. Il y a de nombreuses affaires touchant le droit constitutionnel, administratif et de l'immigration qui vous aideront à mieux comprendre les préoccupations des tribunaux en ce qui concerne l'équité des procédures touchant l'immigration.

Le sénateur Di Nino: Comme vous l'avez déjà dit, certains trouvent l'article 43 quelque peu préoccupant, de même que le pouvoir du gouvernement d'imposer des mesures législatives par voie de règlement. Mais vous semblez dire - à moins que je vous aie mal compris - que ce serait plus approprié ou disons dans l'intérêt des Canadiens que certaines de ces définitions soient précisées dans le règlement d'application. Peut-être que je vous ai mal compris, notamment pour ce qui est de la définition du terrorisme.

M. Magnet: Je suis désolé si mes propos n'étaient pas assez clairs. J'ai des craintes à l'égard de l'article 43, qui prévoit qu'une définition du terrorisme soit explicitée dans le règlement d'application sans que ce dernier soit déposé de nouveau devant les Chambres du Parlement pour examen. Je ne vois pas pourquoi c'est nécessaire et il faudrait donc qu'on fasse valoir des arguments plus convaincants à cet égard. Je dirais qu'il s'agit là d'un concept d'ordre constitutionnel - qui est en étroite corrélation avec les normes constitutionnelles du droit de regard du Parlement, du gouvernement responsable et de la démocratie.

Serait-il possible de contester la constitutionnalité de cette disposition devant les tribunaux? Je pense bien que oui, et j'ai essayé tout à l'heure d'évoquer les arguments qui justifieraient une telle action.

Sénateur Roche, j'espère que vous ne m'en voudrez pas de n'avoir pu répondre à votre question par un oui ou un non définitif, mais disons que j'ai des réticences à cet égard. J'invite donc les sénateurs, s'ils partagent mes préoccupations, à exiger que la police et le ministère vous indiquent les raisons qui justifieraient une telle mesure. Peut-être que les autorités policières et ministérielles ont des renseignements qui nous permettraient de conclure qu'une telle disposition est justifiée, mais je ne les ai pas vus.

Le sénateur Andreychuk: Vous avez dit qu'en évaluant ce projet de loi, il convient de mettre en balance la nécessité de rationaliser les opérations, et celle de l'application régulière de la loi ou la protection des droits, et qu'il s'agit toujours de faire l'équilibre. Par rapport à cette rationalisation, il a été question dans les journaux, depuis des années, d'ailleurs, d'un certain nombre de cas notoires. Par exemple, il y a un conseil d'enquête qui ne rend aucune décision depuis deux ou trois ans, et ils justifient en disant qu'ils ont 40 boîtes de documents. Ça me fait justement penser à l'affaire Microsoft, puisque là aussi, il y avait 40 boîtes de documents mais la décision a été rendue en bien moins de temps.

N'est-il pas vrai qu'une partie de cette rationalisation doit se faire au niveau de l'administration et de la gestion des opérations? C'est au ministère et au gouvernement de s'assurer de la gestion adéquate du volume de travail à accomplir. Ce genre de choses a déjà été fait pour les tribunaux criminels où les dossiers sont parfois en retard et les gens protestent; à ce moment-là, il faut soit prévoir plus de ressources humaines pour prendre en charge les dossiers ou mettre à l'essai une nouvelle formule administrative en vertu de laquelle tout le monde participe à l'effort par le biais de mesures de rationalisation des tâches, de normes de conduite professionnelle et interne, et cetera. À votre avis, le ministère et la ministre n'auraient-ils pas dû envisager des mesures de ce genre dans le contexte de la Loi actuelle, plutôt que d'incorporer ce mécanisme dans la législation?

M. Magnet: Oui, sénateur, vous avez tout à fait raison et tel est justement le raisonnement des juristes. Il est certain que dans le contexte des tribunaux criminels, nous devons nous demander, étant donné que la plupart des cas sont réglés par simple plaidoyer, mais sans procès, pourquoi nous consacrons autant de ressources aux activités entourant l'étape du procès? Pourquoi ne pas les consacrer aux premières étapes du processus pour faciliter les discussions et les négociations de plaidoyers?

Depuis la création de la démarche administrative, nous ne cessons de nous poser cette question. Ne serait-il pas possible de multiplier les ressources à l'étape initiale pour pouvoir régler ces questions-là sans avoir recours à d'autres procédures? Ne serait-il pas possible d'implanter une nouvelle structure au sein de la bureaucratie qui disposerait de son propre système de freins et de contrepoids et qui serait à même de traiter de plus gros volumes de travail plus rapidement et à un coût moindre?

Voilà, en ce qui me concerne, l'analyse qu'il convient de faire pour répondre à ces questions. Autrement dit, par rapport à tous ces appels inutiles qui traînent depuis deux ans à cause de ces 40 boîtes de documents, ne faut-il pas se dire que si la décision n'a pas pu être prise en 15 jours, elle ne devrait pas être prise du tout? L'un des dossiers qui traînent depuis très longtemps et il y en a plusieurs milliers - concerne quelqu'un comme vous ou moi qui a peut-être eu de mauvaises fréquentations mais qui n'a vraiment rien fait de grave. Tout cela aura pour résultat de nous faire commettre une erreur et, qui plus est, une grave injustice.

Voilà le genre de raisonnement et d'analyse qui doit primer et vous devrez insister là-dessus auprès des responsables ministériels lorsqu'ils comparaîtront de nouveau devant vous.

La vice-présidente: Professeur Magnet, au nom de tous les membres du comité, je tiens à vous remercier de votre présence devant nous aujourd'hui. Vous avez tout à fait raison: nous vous avons invité à comparaître pour bénéficier de vos conseils sur la façon d'aborder les éléments les plus contestés du projet de loi.

Nos prochains témoins sont M. Francis Gervais et Mme Carole Brosseau du Barreau du Québec.

[Français]

M. Gervais, Bâtonnier du Québec, Barreau du Québec: Le Barreau du Québec est heureux de pouvoir se présenter devant vous aujourd'hui pour notre présentation relativement au projet de loi C-11.

Je suis accompagné de Mme Carole Brosseau, de notre service de recherche et de législation, qui a travaillé avec une équipe complète, et qui est informée du dossier depuis la première présentation. Je vais lui laisser l'occasion de faire sa présentation concernant les commentaires sur le projet de loi C-11 et j'aurai l'occasion en terminant de revenir avec quelques supplémentaires.

Mme Carole Brosseau, avocate, Service de recherche et de législation, Barreau du Québec: Je vous remercie de nous accueillir devant ce comité pour vous faire part de nos commentaires au sujet du projet de loi C-11. J'aimerais excuser quelques spécialistes en la matière, des membres de notre comité, qui auraient aimé être parmi nous, mais qui, compte tenu du court échéancier, n'ont pas pu se libérer.

D'abord, le projet de loi C-11, dans sa facture, a subi plusieurs modifications, mais la clarification apportée à la loi actuelle est significative et très intéressante. Déjà en 1998, le Barreau du Québec s'était favorablement positionné à l'égard d'une discrimination des règles relatives à l'immigration et celles relatives au statut du réfugié. Donc, la formulation actuelle du projet de loi C-11 nous convient fort bien.

Cependant, à l'article 5 et tout au long du projet de loi C-11, on peut constater le vaste pouvoir réglementaire de cette loi, et compte tenu d'une certaine souplesse, on peut voir un pouvoir réglementaire assez élaboré. Les règlements sont créateurs de droits. Le comité permanent de la justice a proposé une modification quant à la production de certains règlements par les deux Chambres. Cette proposition fait partie du projet de loi que vous êtes en train d'étudier. C'est un pas dans la bonne direction, mais ce n'est pas satisfaisant.

Ainsi à titre d'exemple, dans la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité, adoptée il y a maintenant un an, on prévoyait dans les pouvoirs réglementaires une prépublication de 60 jours permettant à des intervenants, tels le Barreau du Québec ou d'autres, de se prononcer sur la teneur des règlements et sur l'impact qu'auraient ces règlements soit sur la loi elle-même ou sur le recyclage des produits de la criminalité.

Or ce projet de loi prévoit le dépôt, mais il n'y a aucune prépublication permettant aux gens de pouvoir critiquer ou bonifier - parce que la critique peut être positive - la teneur des règlements. Il faudrait aller un peu plus loin et permettre de faire des commentaires et une étude approfondie des règlements qui seront adoptés pour soutenir le projet de loi C-11.

Mon deuxième point tient compte du pouvoir des agents de l'immigration qui est prévu dans la loi. Comme on le sait, l'article 138 du projet de loi prévoit que les agents de l'immigration auront des pouvoirs équivalents à ceux des agents de la paix. Il y a environ un an et demi au Québec, compte tenu de l'augmentation régulière des pouvoirs des agents de la paix, on avait prévu d'avoir un code de déontologie pour les policiers. Au même titre, le Barreau du Québec serait favorable d'avoir un code de déontologie qui, par voie réglementaire, pourrait déterminer la conduite des agents de l'immigration.D'autant plus qu'à l'heure actuelle, lorsqu'on tente de porter plainte contre un agent de l'immigration pour abus de pouvoirs, et cetera, on dit, pour empêcher l'enquête, qu'il s'agit d'une question de relations industrielles. Cela dépasse strictement un cadre de droit du travail. Les pouvoirs de fouille, d'arrestation et de détention détenus par les agents de l'immigration doivent être absolument encadrés dans un cadre déontologique qui leur serait propre. Ce serait une transparence tant pour le gouvernement que pour les citoyens canadiens et les personnes qui bénéficient des dispositions du projet de loi C-11.

Quant à l'interdiction de territoire prévu à l'article 30, on y trouve un certain problème particulièrement quant aux tests qui sont développés dans ce projet de loi. On parle d'un motif raisonnable de soupçonner. Ce test est vraiment très pauvre. On pourra y revenir. On peut faire un parallèle avec le projet de loi C-36 qui est subséquent au projet de loi C-11, mais c'est un test dont la qualité est très peu élevée.

Quant aux fausses déclarations, particulièrement celles qui sont prévues à l'article 40 du projet de loi, on parle de réticence à répondre à des questions. Lorsqu'une personne arrive en sol canadien, cette personne n'a pas nécessairement droit à un avocat au moment de son arrivée. La réticence peut avoir des conséquences très graves. La personne risque d'être renvoyée et de perdre son statut. Outre les exceptions, les conséquences sont tout de même très lourdes.

Pour contrer cela, il faudrait absolument que la personne qui arrive soit bien informée de ses droits, qu'elle ait la possibilité de consulter un avocat, et qu'elle ait accès à des informations très spécifiques par rapport aux services de garde, par exemple, ou aux services d'aide juridique disponibles dans la région où la personne est entrée sur le territoire canadien. C'est tout l'aspect de confidentialité lorsque la Cour fédérale ou le juge aura juridiction pour déterminer si certaines informations seront ou non transmises à la personne concernée. Dans ces dispositions, encore là, on fait un parallèle avec le projet de loi C-36 à plusieurs égards. Ce qui serait important - et cela ce n'est pas tout à fait très clair quand on lit les dispositions concernant la confidentialité des renseignements - ce serait de s'assurer que le juge ait le droit de regarder l'ensemble du dossier, et qu'il puisse remettre à la personne un résumé, le plus tôt possible, afin qu'elle ait droit à une défense pleine et entière.

Il y a toujours une opposition entre la sécurité nationale et le droit à une défense pleine et entière. Il s'agit d'équilibrer les inconvénients. C'est exactement ce qu'on vit actuellement. Il faudrait vraiment - et on approuve justement l'approche judiciaire ou le contrôle judiciaire dans les circonstances - que le droit de regard du juge soit réel.

J'aimerais aussi apporter quelques commentaires concernant la carte d'identification du résident permanent. Je n'ai pas d'objections. Mme Caplan a annoncé il y a quelques jours que cette carte remplacera la fiche d'établissement. Je dois vous avouer que ce sera plus commode. Le moyen est intéressant. Où le bât pourrait blesser, parce qu'on n'en connaît pas le détail, ce serait l'information qui doit être contenue sur cette carte. Il s'agit d'une identification sommaire, c'est-à-dire le nom de la personne, son adresse et sa date de naissance.

Donc un minimum d'informations ne permettant pas de pouvoir juger d'un profil de la personne en question.

Je cède maintenant la parole à M. Gervais.

M. Gervais: J'aimerais conclure sur une question qui nous interpelle au plus haut point. Le Barreau du Québec, dans plusieurs de ses représentations tant devant ce gouvernement que devant les législateurs provinciaux, s'est toujours posé des questions concernant la composition d'organismes - qu'ils soient de nature judiciaire, quasi judiciaire ou administrative - qui ont à déterminer des questions importantes. En fait, les questions qui nous interpellent sont rattachées principalement à la question d'indépendance et d'impartialité des membres. Dans la décision du 18 octobre 2001 rendue par la Cour suprême en matière d'application en immigration dans la cause de Law Society of British Columbia c. Mangat, on revient encore sur les principes d'indépendance et d'impartialité en nous rappelant qu'on doit rechercher l'inamovibilité, la sécurité financière et l'indépendance institutionnelle des gens.

Des questions nous viennent à l'esprit lorsqu'on regarde les dispositions de l'article 153 du projet de loi. Je comprends qu'on indique que les gens sont inamovibles pendant une période de sept ans, mais il n'y a aucune disposition concernant les renouvellements ou les mécanismes de nomination. On indique qu'il y a nomination par le gouverneur en conseil sans aucune forme de connaissance, sans aucune forme de comité extérieur, sans aucune forme de consultation, et sans tenir compte des normes que les tribunaux de la Cour suprême ont toujours retenues. On parle d'une révocation motivée qui peut avoir lieu, mais il n'y a aucun mécanisme mis en place ou du moins décrit dans la loi, qui permettrait au commissaire visé par une telle demande de révocation de pouvoir à tout le moins de faire valoir son point de vue.

Le système tel qu'on nous le propose est particulier parce qu'on semble vouloir tout rapatrier à l'intérieur de la commission. D'une part, on semble vouloir évacuer les tribunaux judiciaires. On voit ceci par les pouvoirs qui sont donnés à la commission de l'immigration et du statut de réfugiés, tant en première instance ou en appel, avec le peu de pouvoir qu'on donne au niveau de la révocation judiciaire.

D'autre part, nous sommes interpellés par le fait qu'on semble vouloir diminuer de façon considérable le rôle des juristes à l'intérieur de la commission. Je m'explique. À l'article 162, on nous dit que chaque section de la commission pourra déterminer des questions de droit, de fait et même des questions de compétence. Les questions seront décidées par un seul commissaire. Lorsqu'on détermine et examine à ce moment quelles sont les qualités requises d'un commissaire, on s'aperçoit que très peu de personnes ayant une formation en droit sont appelées à siéger à la commission. Je comprends que l'expertise peut être nécessaires et qu'il peut y avoir autre chose que des questions de droit, mais il y a des questions importantes, sachant que c'est la volonté de les faire sortir devant les tribunaux judiciaires.

On prévoit également à l'article 167 que la représentation devant la commission peut se faire par un avocat ou un conseil et que d'office, un représentant pourrait être désigné. Que pourrait être ce représentant? Encore une fois, je reviens au jugement de la Cour suprême du 18 octobre 2001 dans Law Society of British Columbia c. Mangat alors que de nouveau, la Cour suprême reconnaissait que dans notre société, il y a des gens qui exercent la profession d'avocat parce qu'ils sont membres d'un Barreau. Étant membre d'un Barreau, la société peut s'attendre à ce que ces gens travaillent avec des normes de discipline, des mécanismes portant sur la responsabilité professionnelle, des garanties d'assurance-responsabilité professionnelle et des garanties relativement au comportement des gens qui vont représenter d'autres personnes. On a reconnu qu'effectivement il y a la possibilité que d'autres personnes puissent représenter les avocats.

Le cri qui me vient du fond du coeur, c'est de dire comme avocat et comme procureur que je peux donner des garanties. Je n'ai pas d'objection à ce que d'autres personnes puissent représenter. C'estce que la loi dit actuellement, et la Cour suprême le mentionne. Mais où sont les garanties qu'on va exiger de ces gens? Autrement dit, toute personne qu'on retrouve sur la rue - je ne vous dis pas qu'ils sont tous comme cela - pourrait pratiquer du jour au lendemain, sans aucune compétence, sans aucune garantie, sans aucune forme d'assurance, et sans aucune forme d'inspection professionnelle. On a vécu de pareilles situations où on a été appelé à intervenir parce que des gens pratiquaient illégalement devant certains tribunaux administratifs. Encore une fois, on ouvre la porte à des charlatans devant des tribunaux de nature administrative alors qu'on enlève la possibilité de se retrouver devant les tribunaux judiciaires.

Cela me surprend qu'à l'article 174, on mentionne que la section d'appel à l'immigration serait une cour d'archives. La cour d'appel du Québec, il y a environ un mois, a été appelée à se prononcer sur la constitutionnalité du tribunal administratif du Québec. Elle a considéré que le tribunal administratif était vraiment un tribunal administratif et non un tribunal judiciaire, parce qu'il n'avait pas les pouvoirs d'une cour d'archives. La première chose que je lis à l'article 174, c'est qu'on veut créer un organisme de nature administrative ayant des pouvoirs qui ressemblent étrangement à ce qu'on reconnaît au niveau des tribunaux judiciaires, c'est-à-dire une cour d'archives. On en fait une cour d'archives de nature plus ou moins judiciaire ou quasi judiciaire, on se défait des décideurs avec des formations de droit et de plus, on enlève la possibilité d'évocation devant la cour fédérale. L'article 71 nous donne la possibilité de procéder avec une demande d'autorisation, mais cette demande d'autorisation au paragraphe 2(d) de l'article 72 peut se faire sans comparution et sans représentation aucune sur simple examen du dossier.

Je pense qu'il faut que les textes soient revus, et que dans la mesure où on veut procéder avec célérité, il est possible de le faire. Il y a des règles qui existent, mais il y a également la protection des droits et des privilèges des gens qui se présentent devant les commissaires ou devant les agents.

On a reconnu également à l'article 167 la possibilité d'être représenté devant la commission, mais, à ma connaissance, il y a également des dispositions dans la loi qui font en sorte que des représentations peuvent être faites aux agents et devant le ministre. Aucune disposition ne prévoit que ces gens pourront être représentés par un avocat ou par tout autre conseil. Je pense que c'est une lacune, dans la mesure où on veut avoir une loi vraiment administrative.

Également, on sait que par la réglementation, on sera tenté de considérer et d'accepter des gens qui viendront exercer des professions au Canada. On a qu'à regarder la décision de la Cour suprême dans Law Society of British Columbia c. Mangat qui nous dit que la nomination et les critères pour les professionnels sont de juridiction provinciale en vertu de l'article 92(8) de la Constitution.

Je comprends que ce n'est pas de la juridiction de ce comité, mais c'est un cri du coeur que nous avons toujours donné et qui revient à mon premier commentaire. Nous avons, dans chacune de nos provinces, des systèmes qui font en sorte qu'il y a des règles de discipline, des mécanismes de vérification, d'inspection, des critères qui sont élevés relativement à l'acceptation des gens. Pourquoi? Pour représenter d'autres personnes. C'est encore une fois la Cour suprême qui nous le disait dans Andrews c. Law Society of British Columbia en 1989. En l'absence d'une profession juridique indépendante, et je cite:

[...] possédant l'expérience et les compétences nécessaires à l'exercice de son rôle dans l'administration de la justice et le processus judiciaire, le système juridique en entier serait dans un état précaire.

C'est ce que la Cour suprême nous dit. Alors de grâce, ne faites pas sortir les gens qui ont une formation en droit. Nous avons été formés justement pour représenter des gens non seulement sur des faits, mais sur des questions de droit qui sont à la base de notre formation et de notre accréditation comme professionnels.

La position du Barreau du Québec en est toujours une de recherche d'équilibre. Nous comprenons qu'il y a des prérogatives que le ministre veut mettre en position; nous n'y avons pas d'objection majeure, mais l'équilibre fait en sorte qu'on doit également préserver les droits des parties visées, des gens qui pourraient bénéficier du processus et des différents acteurs qui peuvent être également appelés à jouer un rôle dans ce domaine.

Le sénateur Beaudoin: Je dois au départ remercier le Barreau du Québec de venir devant nous. Vous êtes les bienvenus. On aime bien vous entendre, surtout sur des projets de loi comme C-11, C-7 et C-36. C'est agréable d'avoir un point de vue un peu différent, et basé sur des principes juridiques.

Maître Brosseau, j'ai bien aimé votre remarque sur le fait que nous légiférons trop par législation déléguée. Ce n'est pas particulier à Ottawa. C'est la même chose à Québec, à Toronto, à Halifax, à Vancouver, bref dans toutes les grandes villes canadiennes. Je trouve qu'on abuse beaucoup de cela. Surtout dans des projets de loi très difficiles comme le projet de loi C-11. On a la même chose dans le projet de loi C-7. Pour ce qui est du projet de loi C-36, on va peut-être s'en sauver un peu parce qu'il y a moins de délégation, étant donné que cela touche surtout au droit criminel.

Auriez-vous des suggestions à faire pour guérir cette tendance que nous avons à légiférer considérablement par législation déléguée? Évidemment, on ne peut pas s'en sauver. Le Parlement ne peut pas tout faire. Le gouverneur en conseil a un rôle très important, mais je me demande si nous, les parlementaires, nous faisons tout pour guérir cet abus qui est partout, dans tous les pays occidentaux actuellement.

Mme Brosseau: Utiliser la voie réglementaire pour légiférer présente le principal problème. C'est un affaiblissement de notre démocratie. C'est pour cela qu'on a toujours dénoncé la voie réglementaire pour légiférer. Bien qu'on fasse confiance à nos élus, je pense qu'avoir des débats démocratiques sur la façon de voir les choses ne peut qu'améliorer ou solidifier nos assises législatives et légales.

D'une part, il y a de plus en plus de législations. Je dirais que la cadence des lois et le rythme dans lequel on les adopte fait en sorte qu'on est obligé de procéder par des voies d'évitement, dont les règlements. Autrefois, on avait des étapes de préparation à la législation beaucoup plus longues. Maintenant, elles sont précipitées, soit par les événements récents où on réagit vite aux événements, ou encore par le rythme dans lequel le processus législatif suit son cours.

D'autre part, vous me demandiez s'il y avait des moyens pour éviter que la voie réglementaire ait trop d'emprise et qu'elle ait des impacts négatifs sur la législation. Il faudrait penser à réviser notre loi sur les règlements, particulièrement la loi fédérale, pour toujours obliger la prépublication des règlements. On l'a maintes fois dénoncé dans des législations. Comme je vous le disais tantôt au niveau du recyclage des produits de la criminalité, on l'a prévu, mais de façon exceptionnelle. C'est parce qu'on a mis beaucoup de pression, compte tenu, notamment, des impacts qu'avait cette législation sur les ordres professionnels. Il y a eu prépublication, consultations, et cetera. Je pense que ce serait un moyen pour contrer un peu la vague ou le contrôle qu'aurait la démocratie sur la législation elle-même.

Donc on ne dénaturerait pas complètement la loi au profit des règlements qui eux, ne seraient pas soumis au même contrôle que la loi elle-même. Ce pourrait être un moyen. Je vous le suggère. C'est pour cela qu'on disait que l'article 5 n'allait pas assez loin, malgré les modifications qui ont été apportées par le Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Vous voyez que c'est utile d'avoir des consultations lors de l'étude de projets de loi. Ces consultations peuvent améliorer les lois. On pourrait le faire de cette façon.

Le sénateur Beaudoin: J'ai lu dans les journaux une certaine critique pour le droit d'appel, que ce soit relativement à la commission de l'immigration ou à d'autres organismes. Je considère que le droit d'appel fait partie de la «rule of law», c'est la règle de droit. Dans un système démocratique, nous avons un tribunal de première instance, un tribunal d'appel et une Cour suprême. J'y crois beaucoup. Je crois aussi aux appels devant les cours de justice et aux appels des tribunaux administratifs. Cela pose un certain problème parce que pour des gens qui viennent au Canada, qui immigrent au Canada ou qui invoquent le statut de réfugié, cela peut prendre beaucoup de temps. Il y a des gens qui sont au pays depuis cinq ou dix ans, et dont le cas n'est pas encore réglé. Quelle est votre réaction en tant qu'avocate? Cela s'adresse également à vous, monsieur Gervais. J'aimerais savoir votre réaction. Sur le plan politique, cela relève de nous, mais pour des juristes, le fait que les appels se multiplient est tout de même un problème.

Mme Brosseau: Votre question a un caractère assez général et un caractère spécifique. Je vais donc passer du général pour tomber dans le spécifique. Sachez que le Barreau du Québec est toujours un peu chatouilleux devant toute limitation de recours. Je suis très modérée dans ce que je dis en ce moment. Cela nous dérange énormément. Notre prédécesseur parlait de l'article 64 et des problèmes que posait la limitation qu'on faisait dans le cadre de tout ce qui était sécurité, grande criminalité, impossibilité d'en appeler, y compris dans le cas de fausses déclarations.

De façon plus spécifique, quand on regarde la loi, on voit en matière de statut de réfugié un processus administratif dans lequel on va en évocation. Cependant, l'évocation est sur permission et la décision finale de l'évocation, qui est le droit de regard d'un tribunal de droit commun sur une décision administrative, est instinctive de droit parce que c'est une décision finale. C'est très encadré et on n'a plus de droit. Donc, si on limite les droits d'appel, on limite aussi les droits.

Je pense que comme vous disiez tantôt, il y avait un aspect purement politique. Si vous nous demandez ce qu'on en pense, le droit de regard - et on l'a dit tantôt - au niveau de l'évocation devrait être de plein droit, surtout dans un cadre comme le projet de loi C-11. D'autant plus que les règles de la cour fédérale ne sont pas des règles très faciles d'accès. Pour des gens qui viennent de l'étranger, avoir à fonctionner dans un système judiciaire comme le nôtre présente d'autres difficultés. Le droit de regard devrait être de plein droit, et tous les aspects humanitaires devraient également être élargis. On en a élargi quelques-uns, mais cela devrait être élargi de façon générale.

M. Gervais: Vous avez souligné qu'il y avait peut-être de longs délais entre le début et la fin du processus. Il y a probablement aussi des moyens de travailler sur les délais intérieurs. On a toutes sortes de solutions qui pourraient être envisagées, comme les délais fixes, les rôles provisoires ou les rôles d'urgence, et même le nombre de personnes qui seraient appelées à décider de ces questions. On pourrait travailler à l'intérieur d'un cadre qui serait celui avec des appels au niveau d'une révision judiciaire qui serait de plein droit, mais en encadrant le tout dans un processus qui serait beaucoup plus court. Cela se fait. Il y a certains domaines où on réussit à le faire. Je pense qu'on pourrait le faire.

Mme Brosseau: D'ailleurs, concernant cette loi, si on se reporte en 1998 lorsque Mme Robillard, qui était alors ministre, avait lancé son document sur ses propositions d'amendement à la loi - rappelons que la loi avec laquelle on vit actuellement a déjà 25 ans et que la réalité de l'immigration depuis 25 ans s'est beaucoup transformée - un des objectifs était de simplifier cette loi et de raccourcir les délais. Est-ce que le fait d'enlever des droits aura cet effet? C'est la question qu'il faut se poser, et je ne suis pas sûre que la réponse soit nécessairement oui.

Le sénateur Beaudoin: Oui, mais comme vous dites, le droit d'appel c'est quelque chose de fondamental dans une démocratie parce que personne n'est parfait et notre système l'exige. Je suis content que le Barreau nous épaule et je vous remercie de votre témoignage.

[Traduction]

Le sénateur Di Nino: Monsieur Gervais, vous avez parlé du fait que dans bon nombre de ces dossiers, les intéressés ne sont pas représentés par des avocats. D'autres témoins nous ont fait part de leurs préoccupations concernant la procédure de nomination à la CISR. J'aimerais donc que vous nous disiez aussi ce que vous pensez de cette procédure.

M. Gervais: C'est-à-dire du fait que les gens qui se présentent devant la Commission ne sont pas représentés par des avocats ou sur la nomination des commissaires?

Le sénateur Di Nino: Je vous invite tout d'abord à nous parler de la représentation des intéressés par des gens qui ne sont pas des avocats. Vous en avez parlé dans votre exposé. De plus, pourriez-vous nous faire part aussi, comme d'autres témoins l'ont fait, de vos vues sur la procédure actuelle de nomination à la CISR, en vertu de laquelle les gens sont nommés de façon partisane en fonction de leur allégeance politique?

M. Gervais: Ma première remarque portait justement là-dessus. Voilà une question à laquelle nous sommes sensibles depuis toujours et sur laquelle nous nous sommes prononcés non seulement ici, mais au Québec. J'ai fait mention en particulier d'une décision rendue par la Cour d'appel de la province du Québec il y a environ un mois; dans cette affaire, le barreau de Montréal remettait en question la compétence du tribunal administratif. Il s'agit là d'un changement majeur en ce qui concerne le système administratif dans la province du Québec. Ils ont attaqué ce système en s'appuyant sur les mêmes arguments que j'ai mentionnés tout à l'heure, à savoir la question de l'indépendance des personnes qui prennent des décisions sur des questions aussi importantes que l'immigration. J'examinais les différents articles de la Loi, notamment l'article 153, qui prévoit que les commissaires restent en poste pendant sept ans. Je posais des questions concernant la méthode de renouvellement du mandat, la méthode et les critères de sélection et les éléments qui motivent ces nominations. On y indique également qu'une personne peut-être renvoyée de la Commission s'il y a des motifs suffisants, mais aucun mécanisme n'est prévu pour permettre à l'intéressé de faire réviser la décision. Ainsi la personne qui fait l'objet du renvoi n'a pas la possibilité de passer devant une commission ou un conseil administratif pour déterminer si le renvoi est justifié ou non.

Je disais donc, au début de mon exposé, que nous ne sommes pas satisfaits du mécanisme que prévoit actuellement la loi relatif à la nomination de ces personnes.

Deuxièmement, j'ai parlé du fait que la loi, selon l'analyse que j'en fais actuellement, semble évacuer une bonne partie du processus judiciaire, si bien que tout est ramené au processus administratif. Cela a aussi pour effet d'éliminer des gens qui ont des connaissances juridiques. Je vous parlais tout à l'heure de l'article 162, qui prévoit que la Commission pourra se prononcer sur des questions de droit et des questions de fait, y compris des questions de compétence. Ce sont des questions très importantes. Quelques commissaires sont membres du barreau et ont donc une formation d'avocat. Mais en ce qui nous concerne, la loi ne prévoit aucunement que ces questions importantes seront décidées par quelqu'un qui a une formation d'avocat.

Certaines lois prévoient que les conseils seront composés de personnes qui représentent diverses professions et différents milieux. Mais dans le cas de la plupart de ces conseils, les questions de droit sont soumises à l'examen d'un tribunal ou d'un commissaire qui a une formation d'avocat. Ce sont les seuls exemples qu'on puisse citer, mais c'était ça ma deuxième observation - à savoir que je ne suis pas satisfait de la composition actuelle de la Commission.

En ce qui concerne la représentation des intéressés par des gens qui ne sont pas avocats, si vous me posez la question à titre personnel, je peux vous dire qu'en tant que membre du barreau, j'ai toujours préféré que les gens sont représentés par des avocats. La Cour suprême elle-même a dit ceci: Personne ne peut vous donner les mêmes garanties qu'un membre du barreau. Je serais naïf de croire que quelqu'un d'autre puisse faire un travail adéquat. Nous avons déjà vu les résultats du travail des commissions administratives. La Cour suprême en a dit autant dans l'affaire Mangat. Ça ne me dérange pas; je peux accepter cette réalité.

Toutefois, du moment qu'on accepte que les gens se fasse représenter par des gens qui ne peuvent offrir le même genre de garanties que nous, en tant que membres d'un barreau, pourquoi la loi n'exige-t-elle pas que ces personnes offrent la même garantie? Pourquoi n'exigerait-on pas qu'une personne qui se présente devant la Commission sans être membre d'un ordre professionnel ou d'un barreau dépose une preuve d'assurance-responsabilité civile professionnelle? Autrement dit, il devrait y avoir une sorte de garantie; ainsi même si je suis convaincu que cette personne n'a pas les mêmes connaissances que moi, étant donné que j'ai un diplôme de droit, au moins on saura que les personnes qu'ils représentent devant la Commission bénéficieront d'une sorte de garantie.

Le sénateur Di Nino: Merci pour ces précisions. Je voudrais changer un peu de sujet et vous demander si l'un d'entre vous aurait des commentaires à faire sur d'autres parties du projet de loi. Nous nous sommes concentrés, à juste titre, on peut dire, sur le processus de reconnaissance du statut de réfugié. Nous avons aussi mis l'accent sur les éléments du projet de loi qui intéressent la sécurité. Vu les événements du 11 septembre, c'est tout à fait normal. Par contre, la Loi sur l'immigration ne se limite pas à des questions de sécurité ou au processus de reconnaissance du statut de réfugié. Du point de vue du Québec, y a-t-il donc d'autres problèmes auxquels s'attaque le projet de loi mais qui à votre avis ne satisfont peut-être pas les besoins du Québec du point de vue du type d'immigrants dont elle a besoin, et cetera?

[Français]

Mme Brosseau: Il y a différentes petites choses que nous n'avons pas dites qui nous inquiétaient dans le projet de loi, mais nous vous avons donné essentiellement les grandes lignes de ce qui étaient, pour nous, les points majeurs.

Par exemple, bien qu'on ait beaucoup modifié les règles et qu'on les ait simplifiées, l'application de l'article 124 n'est pas claire chez les transporteurs, à savoir s'il va s'appliquer. Il y a plusieurs points dans le projet de loi qui nous dérangent un peu, mais il faudrait que vous soyez plus spécifique pour que je puisse vous répondre.

[Traduction]

Le sénateur Di Nino: Oui, si vous voulez. Ce n'est peut-être pas du ressort du barreau, mais le fait est que peu de gens du Québec nous ont fait part de leurs vues sur les dispositions du projet de loi qui concernent le Programme d'immigration des investisseurs, par exemple. Nous n'avons pas reçu beaucoup de témoignages de représentants du Québec sur le fait de savoir si ce projet de loi permettrait à la province du Québec d'attirer des gens qui possèdent les compétences qui manquent actuellement au Québec. Nous avons tendance à mettre tellement l'accent sur les questions touchant les réfugiés et la sécurité que je voulais tout de même vous demander si vous avez des observations à faire au sujet de ces éléments-là ou d'autres questions afférentes.

[Français]

Mme Brosseau: Le cadre particulier du Québec détone un peu. Je comprends que les gens ne vous aient pas entretenu à cet égard. Sachez qu'il y a depuis quelques années déjà un accord Québec-Canada sur le contrôle de l'ampleur de son immigration.

On a une certaine critique à formuler à l'égard du programme, mais compte tenu du fait que le projet de loi accorde une préséance sur toute la question des catégories d'immigrants, ainsi que celle des immigrants investisseurs, cela ne posait pas de problème parce que c'est la politique provinciale qui est sujette à la critique.Il y a déjà quelques années, je pense que cela remonte à deux ans, le Québec a modifié son programme d'investisseurs qui était très florissant, soit dit en passant, en imposant un certain quota. C'est un reproche qu'on fait.

De façon générale, le reproche qu'on pourrait faire au projet de loi C-11 à l'égard des immigrants et des différentes catégories d'immigrants - si on fait abstraction du regroupement familial qui est de compétence fédérale et du statut de réfugié - concerne l'imposition des quotas. Ce n'est peut-être pas la façon de procéder. Si après six ou huit mois le quota dans une catégorie a été atteint - sachez qu'on fonctionne par catégorie - les gens peuvent changer d'idée et chercher à immigrer dans à un autre pays. Le fonctionnement par quota pose un problème. On prévoit les quotas dans le projet de loi C-11. Compte tenu de la préséance du programme provincial et compte tenu que c'est confirmé par la loi, les gens en provenance du Québec en ont moins discuté lors de leur comparution devant le comité de la Chambre des communes.

[Traduction]

La vice-présidente: Merci, madame Brosseau et monsieur Gervais pour votre excellent exposé. Nous vous sommes bien reconnaissants d'avoir accepté de comparaître, malgré le peu de préavis qu'on vous a donné.

Notre prochain témoin est le ministre Cameron Jackson, de la province de l'Ontario.

L'honorable Cameron Jackson, ministre de la Citoyenneté avec responsabilité pour les personnes âgées, Province de l'Ontario: Merci, honorables sénateurs. Je suis accompagné cet après-midi de M. Frank Ryder, responsable, Bureau du soutien d'enquêtes, Police provinciale de l'Ontario; M. Robert Montgomery, sous-ministre adjoint, Affaires civiques, Province de l'Ontario; Mme Carolyn Chaplin, chef de cabinet, Bureau du ministre, Affaires civiques, Province de l'Ontario; M. Scott Newark, vice-président, conseiller spécial, Bureau des victimes de la criminalité, Province de l'Ontario, que bon nombre d'entre vous connaissez déjà, puisqu'il s'agit de l'ex-directeur général de l'Association canadienne des policiers. M. Newark a déjà comparu devant vous et les membres du comité de la Chambre des communes pour discuter de questions relatives au contrôle de l'immigration.

Merci de l'occasion qui m'est donnée cet après-midi de m'adresser au comité et de présenter les vues de l'Ontario sur ce projet de loi très important. L'Ontario est une province qui est heureuse d'accueillir des immigrants. L'année dernière, nous avons accueilli 59 p. 100 des immigrants canadiens. Par contre, notre part de la population canadienne est de seulement 38 p. 100. Au cours des 10 dernières années, l'Ontario a reçu en moyenne plus de 100 000 nouveaux immigrants chaque année - plus de la moitié de tous les immigrants au Canada. La population de l'Ontario est la plus diversifiée, sur le plan ethnique, de toutes les populations du pays, puisque plus de 250 nations du monde y sont représentées.

De fait, dans aucune autre région du pays, l'immigration n'aura autant caractérisé le territoire ontarien. Nous favorisons l'immigration et nous sommes profondément touchés par elle. Il est clair que le programme fédéral d'immigration influe de manière importante sur la dynamique sociale de notre province et sur nos programmes publics, tels que l'assurance-santé, l'éducation et l'assistance sociale. La procédure de sélection des immigrants économiques a également un impact sur la croissance et la prospérité à long terme de l'Ontario.

Ainsi l'efficacité du programme d'immigration, qui dépendra en fin de compte du projet de loi C-11, revêt une importance très considérable pour l'Ontario. Même si le projet de loi propose certains changements positifs, l'Ontario désire exprimer ses préoccupations au sujet du projet de loi et de son éventuel règlement d'application.

À titre de loi cadre, le projet de loi C-11 délègue de larges pouvoirs en vue de l'élaboration des conditions de mise en oeuvre à définir dans le règlement d'application. C'est justement le règlement d'application qui aura le plus d'impact sur l'Ontario et sur d'autres provinces et territoires. Or, les détails du règlement d'application n'ont pas encore été publiés; de même, aucune démarche de consultation n'a été entamée. Jusqu'ici, les consultations menées auprès du gouvernement de l'Ontario ont été plutôt fragmentaires et sporadiques.

Nous estimons que le fait que l'Ontario accueille la majorité des immigrants canadiens justifie qu'on participe à un degré correspondant à l'élaboration des politiques et programmes fédéraux en matière d'immigration. Nous souhaitons donc que la Loi renferme une disposition qui oblige le gouvernement fédéral à tenir des consultations fructueuses auprès de l'ensemble des provinces.

Encore une fois, c'est le règlement d'application du projet de loi C-11 qui influera le plus sur nous. Le gouvernement de l'Ontario est particulièrement préoccupé par l'orientation fédérale dans quatre domaines précis: les immigrants de la composante économique; les critères relatifs au parrainage des immigrants par les familles et le respect des ententes de parrainage; les garanties médicales et l'évaluation des cas de fardeau excessif; et la reconnaissance du statut de réfugié.

Un système d'admission transparent et efficace à l'intention des immigrants qualifiés revêt une grande importance pour la croissance économique de l'Ontario et du Canada dans son ensemble. Le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration a proposé un modèle axé sur le capital humain pour la sélection des travailleurs qualifiés de la composante économique. L'Ontario est d'accord sur cette démarche en principe, mais n'est pas entièrement rassuré en ce qui concerne le délai d'attente et l'application des critères proposés.

Les modèles proposés par CIC sous-estiment l'importance des capacités linguistiques. Des études fondées sur la Banque de données longitudinales sur les immigrants, BDIM, indiquent que les compétences linguistiques sont (coupé) au niveau de la participation des immigrants au marché du travail de l'Ontario. Un autre problème est le manque de tests linguistiques standardisés pour l'évaluation des compétences linguistiques des travailleurs-demandeurs. Par conséquent, de nombreux immigrants qualifiés qui sont censés posséder des compétences linguistiques suffisantes découvrent, dès leur arrivée au Canada, que leurs capacités linguistiques ne sont pas suffisantes pour respecter les normes appliquées dans leur profession ou métier. Ils finissent par subir de longues périodes de chômage ou de sous-emploi. Certains ne trouvent jamais de travail dans leur domaine de spécialisation.

Les modèles fédéraux insistent sur la valeur de l'éducation, et l'Ontario soutient aussi ce principe de base. Cependant, quand la formation supérieure et les compétences linguistiques ne sont pas présentes en tandem, il est peu probable que la situation d'emploi de l'intéressé soit positive. De plus, étant donné que le niveau d'instruction constitue un facteur important pour intégrer le marché du travail, une méthode objective et normalisée d'évaluation des titres de compétences est absolument primordiale. Voilà une tâche hautement spécialisée pour laquelle les agents des visas n'ont pas reçu la formation nécessaire.

Enfin, aucun de ces projets n'aboutira en l'absence de ressources suffisantes pour renforcer la capacité des bureaux à l'étranger à évaluer les demandes présentées par les immigrants de la composante économique. CIC accuse déjà un retard de traitement considérable relativement aux demandes de cette catégorie. Le succès de la composante économique du programme d'immigration dépend d'un investissement fédéral suffisant dans un système d'évaluation fiable, dans des programmes de formation à l'intention du personnel posté à l'étranger, et dans une infrastructure de soutien. L'Ontario tient à ce que notre système soit axé sur la qualité, et pas uniquement la quantité.

Dès l'arrivée des immigrants au Canada, ceux-ci ont besoin d'un coup de pouce pour trouver des emplois et bien s'intégrer à la population. L'Ontario fournit des services d'établissement de même que des cours de formation linguistique, tout comme le gouvernement fédéral. Malheureusement, le mécanisme fédéral de financement des services d'établissement fonctionne de telle manière que les nouveaux arrivants disposent de meilleures ressources au Québec que ceux qui s'installent dans toutes les autres régions du pays. Ce système double introduit donc une discrimination contre 85 p. 100 des néo-Canadiens qui viennent s'installer dans notre pays. Les dépenses fédérales au titre des programmes d'établissement doivent être équitables d'un bout à l'autre du pays et reposer sur la part des nouveaux immigrants qu'accueille chaque province.

L'Ontario est également favorable à l'objectif du projet de loi consistant à assurer la réunion des familles. Des familles fortes sont essentielles à la bonne intégration des nouveaux venus. Cependant, nous sommes également préoccupés par le non-respect des ententes de parrainage de membres de la famille. Les critères fixés pour ce type de parrainage doivent être réalistes. En cas d'éclatement de la famille, si les immigrants parrainés doivent recourir à l'assistance sociale pour survivre, les objectifs du programme de réunion des familles n'auront pas été atteints.

Le projet de loi et l'orientation qu'on annonce pour le règlement d'application auront pour résultat d'élargir la catégorie de la famille. Les conséquences de ces changements pour le régime d'assistance sociale, le système de soins, les services dispensés aux personnes âgées, et d'autres programmes ontariens sont considérables. Les modifications proposées sont également susceptibles d'influer sur les pratiques provinciales dans des secteurs qui relèvent de la compétence des provinces, tels que l'adoption, l'âge de la majorité et les unions de fait. De nombreuses provinces ont déjà voté leurs propres lois dans tous ces secteurs. Jusqu'à présent, il n'y a pas eu suffisamment de consultation sur l'ensemble de ces questions.

Des études menées par Citoyenneté et Immigration Canada, CIC, indiquent que plus les immigrants parrainés passent de temps au Canada, plus ils sont susceptibles de dépendre de l'assistance sociale pour survivre. Or CIC réduit la période de parrainage de 10 à trois ans. De l'avis de l'Ontario, l'obligation liée au parrainage doit s'appliquer pendant 10 ans, ou jusqu'au moment où l'immigrant parrainé obtient la citoyenneté canadienne.

Nous sommes également persuadés que les critères en matière de revenu fixés pour le parrainage ne correspondent pas aux véritables coûts qu'entraîne le respect de l'ensemble des engagements du parrain. D'ailleurs, le bilan de CIC est peu reluisant pour ce qui est de faire respecter les obligations de parrainage et de trouver ceux qui manquent à leurs engagements. L'Ontario se trouve à présent forcé de supporter d'importantes dépenses imprévues et non sollicitées pour assurer du soutien financier sous diverses formes. Il s'agit généralement de formes de soutien financier qui sont assurées à long terme, et dans certain cas, même dès l'arrivée. Le coût pour l'Ontario du non-respect des critères de parrainage pour la catégorie de la famille est évalué à 125 millions de dollars, y compris la part municipale des dépenses d'assistance sociale en Ontario.

Cette information est déjà connue du gouvernement fédéral. Mon collègue, l'honorable John Baird, ministre des Services sociaux et communautaires, a écrit à la ministre fédérale pour lui faire part de ses préoccupations, mais jusqu'à présent, aucune mesure n'a été prise.

Par conséquent, le gouvernement de l'Ontario voudrait qu'on incorpore dans la Loi des dispositions visant à: obliger les autorités fédérales à assumer la responsabilité de faire respecter les ententes de parrainage; à établir un registre de parrains pour être en mesure de déterminer si les parrains respectent ou non leurs engagements; et là où il y a eu manquement aux engagements, à intervenir auprès des intéressés pour les encourager à se conformer aux conditions de l'entente.

Le projet de loi C-11 frappe d'interdiction de territoire tout demandeur qui risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé. Les critères relatifs au «fardeau excessif» seront précisés dans le règlement d'application. On s'attend à ce que ce dernier prévoie un certain nombre d'exceptions, y compris les réfugiés au sens de la Convention qui viennent de l'étranger ou qui sont déjà au Canada, des personnes à l'étranger qui sont admises pour des raisons humanitaires ainsi que les personnes protégées au Canada, de même que les conjoints, conjoints de fait et enfants à charge.

Pour justifier ces exceptions, le gouvernement fédéral indique que leur impact devrait être relativement mineur. Or les faits et les résultats de la recherche nous amènent à tirer une tout autre conclusion. L'Ontario estime que toutes ces nouvelles exceptions pourraient faire sensiblement augmenter le nombre de personnes qui seraient en droit de bénéficier de programmes provinciaux de santé et sociaux - et je dirais même de soins de longue durée ou de soins à domicile, pour lesquels la province ne reçoit aucun crédit fédéral.

Les résultats des examens médicaux que subissent les immigrants et les revendicateurs du statut de réfugié doivent être justes et fiables, pour permettre non seulement de protéger la population canadienne mais d'évaluer avec justesse les dépenses à long terme et des traitements dont pourraient avoir besoin les immigrants concernés.

Le gouvernement fédéral a le droit de prévoir des exceptions pour des raisons humanitaires. Ce faisant, il doit tout de même assumer la responsabilité de leurs éventuelles répercussions financières sur les programmes provinciaux de santé et sociaux.

La grande majorité des dispositions qu'on retrouve dans le projet de loi C-11 portent sur le processus de reconnaissance du statut de réfugié. L'Ontario tient à préserver la tradition humanitaire du Canada, mais cette dernière ne nous oblige pas à faire fi de prudence et de bon jugement. Notre processus de reconnaissance du statut de réfugié doit être juste et bien administré afin que ceux qui ont vraiment besoin de protection l'obtienne et que ceux qui abusent soient renvoyés du Canada dans les plus brefs délais.

Le projet de loi contient un certain nombre de changements destinés à accroître l'efficacité du processus de reconnaissance du statut de réfugié et à améliorer l'exécution des décisions de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Sur le plan purement théorique, certaines des modifications proposées sont valables; les mettre en application, toutefois, c'est une toute autre question. Étant donné que le gouvernement fédéral ne s'engage pas à fournir des ressources additionnelles pour mener à bonne fin cette initiative, il y a lieu de douter que les changements proposés aboutissent.

L'Ontario, ainsi que la Colombie-Britannique et le Québec, ont annoncé publiquement qu'ils souhaitent que le gouvernement fédéral prenne des mesures pour réduire sensiblement les délais impartis pour les décisions de la Commission, et pour renvoyer toute personne dont la revendication a été rejetée ou qui a commis des crimes pendant son séjour au Canada, et que les autorités fédérales supportent l'ensemble des coûts des services assurés aux revendicateurs du statut de réfugié jusqu'au moment où ces derniers obtiennent le statut de réfugié ou sont renvoyés du Canada.

Tout système d'immigration doit nécessairement prévoir une procédure pour contrôler l'application des règlements. Malheureusement, le bilan de Citoyenneté et Immigration Canada est plutôt mauvais pour ce qui est de donner la priorité aux activités d'exécution et de contrôle - notamment dans des cas où un acte criminel est à l'origine du mandat de déportation. De plus, même lorsqu'il y a arrestation de l'auteur de l'acte, les antécédents du ministère ne sont guère plus positifs pour ce qui est de suivre les dossiers, en vue de s'assurer que ces personnes sont bel et bien déportées, comme le prévoit notre législation. L'Ontario a récemment parlé de ses intentions à cet égard et nous exhortons donc les autorités fédérales à se joindre à nous pour affecter les ressources nécessaires à cette activité, pour que nous adoptions une approche coordonnée permettant d'arrêter et de renvoyer les personnes qui ont enfreint les règles ou qui ne sont pas autorisées à rester au Canada.

Dans ce sens-là, nous avons de graves préoccupations concernant la possibilité que le projet de loi C-11 enlève aux 50 000 agents de police du Canada le pouvoir de signaler les interdictions de territoire pour enclencher la procédure de renvoi pour le remplacer par un pouvoir discrétionnaire qui serait exercé exclusivement par des agents fédéraux d'immigration. Nous trouvons étrange que le gouvernement fédéral propose une telle mesure surtout si elle est censée améliorer l'application de la Loi, car tel est justement l'un des objectifs que le projet de loi doit permettre de réaliser, selon ses rédacteurs.

Les craintes de l'Ontario ne sont pas moins grandes à l'égard de l'étape initiale du processus d'examen préalable des demandes de statut de réfugié. Le délai discrétionnaire de 72 heures que propose le projet de loi C-11 n'est pas suffisamment long pour permettre de faire tous les contrôles de sécurité et vérifications judiciaires qui s'imposent, si bien que la mesure proposée n'est guère différente de ce qu'on retrouve dans la Loi actuelle.

Bien que le projet de loi C-11 cherche de diverses manières à rationaliser le processus de reconnaissance du statut de réfugié, les possibilités d'abus du système et de longs délais avant que les autorités puissent renvoyer des personnes qui ne méritent pas de bénéficier de la protection du Canada, sont encore très considérables.

Vu les événements tragiques du 11 septembre, le Canada devrait envisager de recourir à la disposition relative au «tiers pays sûr» qui figure déjà dans la Loi mais n'a jamais été promulguée. De plus, vu le récent dépôt du projet de loi C-36, dont les dispositions revêtent nécessairement une certaine importance pour le projet de loi C-11, nous voyons mal comment on peut encore envisager de faire voter le projet de loi C-11. Moi-même et les fonctionnaires qui m'accompagnent nous ferons un plaisir de vous citer des exemples précis pendant la discussion pour éclairer notre raisonnement à cet égard.

En outre, seul le gouvernement fédéral est responsable du processus de reconnaissance du statut de réfugié et de la procédure de renvoi, mais il ne supporte pas pour autant la majorité des dépenses qu'entraînent les services qui sont assurés aux revendicateurs du statut de réfugié. L'Ontario consacre des millions de dollars chaque année à l'assistance sociale et à l'aide juridique. De plus, les soins de santé, le logement, l'éducation et les services d'établissement financés par la province entraînent également des coûts très élevés pour la province. Nous ne pouvons pas trop insister sur ce point. En même temps, on refuse aux revendicateurs du statut de réfugié l'accès aux services d'établissement et aux cours de formation linguistique financés par le gouvernement fédéral. Cette situation est, pour nous, des plus illogiques.

En conclusion, l'Ontario est fier d'être la destination préférée de la grande majorité des immigrants canadiens. Nous sommes fiers de voir que les nouveaux venus reconnaissent les possibilités très intéressantes que peut leur offrir notre province et qu'ils désirent s'y installer pour mener une nouvelle vie productive. Par contre, nous nous attendons à ce que les nouveaux arrivants respectent la loi et apportent une contribution à la société. Nous nous attendons à ce qu'ils encouragent leurs enfants à être de bons citoyens et à participer activement à la vie de la province et du pays dans son ensemble.

Merci de m'avoir donné l'occasion de vous faire part de nos préoccupations. Nous sommes à votre disposition pour répondre à vos questions.

La vice-présidente: Vous avez parlé tout à l'heure de dépenses imprévues et involontaires de 125 millions de dollars; est-ce que cette somme vient s'ajouter aux autres coûts que vous avez énumérés à la fin de votre exposé?

M. Jackson: Non, d'après notre évaluation, l'ensemble des coûts additionnels se monte à 125 millions de dollars. Les dépenses imprévues et involontaires sont celles qui découlent du projet de loi C-11, si bien que ce chiffre augmentera considérablement au fur et à mesure qu'augmentera le nombre de dossiers à traiter, et aussi du fait que les mesures de sécurité ou d'exécution de la Loi sont affaiblies par ce projet de loi. Donc, en ce qui nous concerne, ce montant est susceptible d'augmenter considérablement.

La vice-présidente: Vous dites que ce montant comprend les dépenses des municipalités?

M. Jackson: Comme vous le savez, les dépenses liées à l'assistance sociale sont en partie à la charge des autorités municipales; ces dépenses sont incorporées dans les impôts fonciers dans la province de l'Ontario.

Le sénateur Andreychuk: Vous avez dit que le financement fédéral au titre de la formation linguistique d'autres programmes a été réduit. Quand est-ce que ce financement a été réduit, et est-ce que la réduction a suivi une période de négociation?

M. Jackson: Non, que je sache, ces services n'ont jamais bénéficié de financement fédéral. Si vous êtes revendicateur du statut de réfugié, par définition, vous n'avez pas accès aux crédits réservés pour les services d'établissement et les cours de formation linguistique. Au fur et à mesure qu'augmente le nombre de revendicateurs, et qu'un nombre accru de revendicateurs décident de s'installer en Ontario, nous nous trouvons dans l'obligation de supporter ces dépenses additionnelles. Donc, le problème, ce n'est pas que le gouvernement fédéral a réduit le financement des services d'établissement et de formation linguistique. Le fait est que ces services n'ont jamais bénéficié de financement fédéral. En même temps, le nombre de revendicateurs ne cesse d'augmenter.

Le sénateur Cordy: Merci beaucoup pour votre exposé. J'ai été très intéressée par ce que vous avez dit au sujet de la réunion des familles parce que la ministre a affirmé que le ministère attache beaucoup d'importance à cette composante du programme. Il va sans dire qu'un nouvel arrivant s'intègre mieux à la collectivité s'il est entouré par sa famille.

Vous avez également parlé de l'éclatement des familles. Comme vous le dites, ce projet de loi réduit de 10 à trois ans la durée des obligations relativement au parrainage de membres de la famille.

Bon nombre de témoins que nous avons reçus estiment qu'un délai de trois ans est trop long pour le parrainage de membres de la famille. Les personnes qui ont émis cette opinion ont cité l'exemple de violence conjugale. Il arrive que la femme d'un immigrant vienne au Canada, après avoir été parrainée par son mari, mais fasse ensuite l'objet de violence conjugale. À ce moment-là, elle est obligée de rester au Canada pendant trois ans, parce que c'est son mari qui est son parrain.

Vous dites qu'un délai de trois ans est trop court. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi vous êtes de cet avis?

M. Jackson: D'abord, en ce qui nous concerne, il n'y a pas de lien entre le fait de vivre avec quelqu'un et d'avoir à assumer certaines responsabilités financières. Nous avons au Canada de nombreux cas de violence conjugale où, dans l'intérêt de la famille, les conjoints se séparent; il reste que notre législation prévoit que le conjoint continue d'assumer ses responsabilités financières à l'égard de sa famille. Donc, pour moi, il s'agit de deux choses bien distinctes.

Nos préoccupations concernent plutôt le respect des conditions liées au programme actuel de parrainage pour que les intéressés respectent leurs engagements, conformément à ce que prévoit l'entente qu'ils ont signée.

Le sénateur Cordy: Je suis d'accord pour dire qu'il arrive fréquemment que deux conjoints ne vivent pas ensemble mais que l'un bénéficie du soutien financier de l'autre, mais si vous venez d'arriver au Canada, vous serez peut-être réticent à quitter votre maison. Vous craindrez peut-être que votre conjoint cesse de vous aider financièrement ou annule son parrainage.

M. Jackson: Que je sache, il n'est pas obligatoire de vivre avec le conjoint qui est l'auteur des actes violents. Il me semble important de bien insister là-dessus.

Le sénateur Cordy: Je reconnais que strictement parlant, ce n'est peut-être pas une condition, mais une femme qui se trouve dans cette situation-là craindrait de quitter la maison, de peur qu'on annule son parrainage. Donc, sur ce point, nous ne sommes manifestement pas d'accord.

Vous avez aussi parlé de la nécessité de renvoyer rapidement les personnes qui commettent des actes criminels graves. Vous dites qu'un moyen possible consisterait à recourir à la disposition touchant les «tiers pays sûrs». Le projet de loi C-11 comporte-t-il des dispositions qui permettraient de renvoyer plus rapidement quelqu'un reconnu coupable d'un acte criminel grave?

M. Scott Newark, vice-président, conseiller juridique spécial, Bureau d'aide aux victimes d'actes criminels, province de l'Ontario: Sénateur, c'est une question à laquelle je me suis beaucoup intéressé. Mon expérience dans ce domaine est liée à ce que nous avons appris, concernant l'application de la Loi de l'immigration, à la suite du meurtre d'un agent de police torontois du nom de Todd Bayliss. Nous avons su à l'époque que justement l'inverse s'était produit, par rapport à la situation dont vous parlez.

Des améliorations considérables ont été proposées en vue d'accélérer la procédure de déportation visant les personnes reconnues coupables d'actes criminels graves. Un projet de loi d'initiative parlementaire, a été proposé par un député libéral qui aurait permis de faire coordonner les deux procédures - c'est-à-dire la procédure fédérale de renvoi et la procédure pénale. Par rapport à certaines infractions graves, après l'exposé des faits, le tribunal aurait été en mesure, après avoir pris connaissance des faits, de prononcer la sentence et d'ordonner la déportation. On avait aussi prévu la possibilité d'en interjeter appel à la Cour d'appel. Il se serait agi d'une procédure accélérée beaucoup plus efficace.

Par contre, ce projet de loi ne contient pas grand-chose d'intéressant; au contraire, certaines de ses dispositions suscitent de graves préoccupations. Comme vous le savez certainement, chacune des dispositions relatives aux interdictions de territoire - que ce soit pour des raisons de sécurité, de criminalité organisée ou d'actes criminels graves - comporte un petit alinéa qui prévoit que le ministre pourra autoriser des exceptions.

De même, le projet de loi prévoit que le règlement d'application pourra fonder ses définitions sur les conditions d'application des dispositions en question. Là aussi, on confère au ministre le droit de prévoir des exceptions.

Je souhaite donc qu'on propose des changements aux dispositions touchant la procédure d'appel. Pour l'instant, le projet de loi contient à mon avis peu de mesures qui permettront d'accélérer la déportation des personnes reconnues coupables des infractions les plus graves.

Le sénateur Di Nino: Je voudrais souhaiter la bienvenue au ministre et à ses collègues. Je suis bien content de vous revoir.

D'abord, vous avez mentionné deux éléments qui inquiètent beaucoup le comité: d'abord, le fait que cette loi-cadre permet au gouvernement de définir ses politiques en passant par la bureaucratie, au lieu de faire voter des lois, comme le disait quelqu'un. Cela nous inquiète, parce que nous ne savons pas du tout ce que contiendra le règlement d'application.

Deuxièmement, le thème qui revient souvent dans les propos des témoins, c'est que ce projet de loi manque totalement de substance; on n'investit pas d'argent frais dans le système. Les ressources qu'il faudrait affecter au système pour qu'il soit en mesure d'atteindre les objectifs précisés dans le dernier projet de loi sur l'immigration et dans celui-ci ne sont pas disponibles. Voilà donc les deux éléments qui inquiètent le plus les gens. Face à cette réalité, nous ne savons trop comment réagir.

Vous avez parlé de vos craintes à l'égard du délai de 72 heures dont dispose l'agent d'immigration pour prendre une décision. On nous a fait savoir, cependant, que si l'agent a des soupçons ou préoccupations à l'égard des antécédents criminels du demandeur, le dossier serait mis de côté et envoyé directement au responsables de la sécurité.

Si je vous ai bien compris, vous avez peur, étant donné que le délai prévu est si court, que les erreurs commises tendent plutôt à favoriser l'autre extrême. Autrement dit, vous pensez qu'on aura tendance à autoriser beaucoup d'admissions, étant donné que le délai de 72 heures ne nous donnera pas le temps qu'il faut pour faire une bonne analyse du dossier et de prendre une décision en conséquence.

M. Jackson: Oui, c'est bien ça, car il n'y a guère de différence entre les lignes directrices actuelles, qui prévoient un délai de 72 heures, et ce que propose le projet de loi. À notre avis, il faut absolument prendre le temps nécessaire de s'assurer que des personnes qui ont un casier judiciaire chargé ou sont l'auteur d'actes très violents ne soient pas admises au Canada aussi rapidement qu'elles le seraient si l'on adopte un système qui autorise l'entrée d'étrangers au Canada simplement parce qu'on n'a pas le temps d'obtenir les renseignements nécessaires. À notre avis, une telle approche est tout à fait inadéquate.

Mon collègue de la Police provinciale de l'Ontario a des statistiques précises sur le nombre de personnes qui ont commis des actes criminels et se trouvent actuellement dans la province. Il suffirait de faire un peu de recherche pour savoir que ces personnes ont été admises au Canada à titre de ressortissants étrangers et ont décidé par la suite de rester ou de revendiquer le statut de réfugié.

Nous tenons par conséquent à ce que l'on prenne le temps nécessaire pour se renseigner sur les étrangers qui souhaitent être admis au Canada. Nous voulons aussi avoir accès aux technologies qui nous permettront de faire un meilleur travail et donc de mieux protéger les citoyens. Je vous signale que les casinos en Ontario disposent d'un équipement très sophistiqué qui permet d'identifier des personnes connues pour leur mauvais comportement ou pourraient être toxicomanes, de manière à les faire immédiatement sortir sous escorte. Pourquoi n'avons-nous pas accès à cette technologie très avancée dans nos aéroports et aux points d'entrée? Voilà la question que nous posent à présent les Canadiens.

Notre gouvernement s'est engagé à fournir des ressources additionnelles pour nous aider à accomplir ce travail. Mais le délai de 72 heures ouvrira encore plus grandes les portes, alors que nous essayons maintenant de trouver les ressources nécessaires pour attraper les personnes qui ont réussi à entrer au Canada de cette manière et ont ensuite commis des actes criminels. En Ontario, ces personnes sont assez nombreuses.

Le sénateur Di Nino: Pourrions-nous demander au représentant de la police de nous communiquer quelques statistiques?

M. Frank Ryder, commandant, Bureau du soutien aux enquêtes, Police provinciale de l'Ontario: Le premier ministre de l'Ontario a annoncé que son gouvernement entend mettre en place un système semblable à celui qu'applique en Ontario l'Équipe des pratiques opérationnelles régionales en matière d'exécution (PORE). Ce système repose sur des démarches coordonnées pour identifier des personnes qui sont illégalement en liberté en Ontario. À l'heure actuelle, notre équipe PORE cherche 241 personnes qui sont illégalement en liberté dans la province. Sur ces 241 personnes, 52 font également l'objet d'un mandat de l'Immigration. Cela vous indique bien qu'il est parfois possible de faire coordonner les activités des deux branches.

Depuis les événements du 11 septembre et l'annonce faite par le premier ministre de l'Ontario, nous cherchons différents moyens de nous attaquer au problème. Avant le 11 septembre, par rapport à ces 241 personnes, il était possible de déterminer lesquelles présentaient le plus de risque pour la sécurité du public, si bien que nous étions en mesure de concentrer nos efforts sur l'arrestation de ces personnes-là. Depuis le 11 septembre, nous avons instauré deux systèmes pour nous permettre de sortir les dossiers des 52 personnes qui font l'objet de mandats de l'Immigration non exécutés. Nous avons élaboré une formule un peu différente selon laquelle les dossiers de ces personnes sont jugés prioritaires, et à ce moment-là, nos efforts viseront surtout à déterminer où se trouvent les personnes en question. À l'heure actuelle, les mesures d'exécution de la loi ne prévoient aucune intensification de nos efforts en vue de trouver de telles personnes.

Le sénateur Cordy: J'aurais besoin d'un éclaircissement en ce qui concerne le délai de 72 heures. D'après ce que j'ai compris, il ne faut pas que l'enquête soit terminée en 72 heures; il faut plutôt qu'elle ait été lancée. Ainsi le dossier peut commencer à être examiné par la CISR. En fait, si des faits nouveaux sont découverts indiquant que l'intéressé est indésirable une fois que le délai de 72 heures est écoulé et que le dossier a déjà été pris en charge par la CISR, il serait aussitôt déporté.

M. Newark: C'est vrai, et en théorie, nous avons toujours la capacité, à la frontière, de garder quelqu'un en détention, de poser ces mêmes questions et d'essayer d'identifier l'individu. En même temps, ce projet de loi permet d'autoriser l'entrée au Canada alors même que l'enquête est en cours. En réponse à la question posée par le dernier intervenant, je devrais préciser que mes activités concernent surtout la justice pénale - en fait, je vais comparaître la semaine prochaine devant un comité sénatorial qui est saisi du projet de loi C-7. Ce qu'on entend dire constamment, c'est que si l'on agit dès le départ, le résultat est toujours plus approprié que si nous agissons après coup; c'est là que tout va mal. Mais cela suppose qu'on consacrera beaucoup plus de temps à l'examen du dossier dès l'étape initiale du processus.

Il ne va de même pour l'immigration: mieux nous contrôlerons l'entrée au Canada à l'étape initiale, plus ce sera avantageux pour nous à long terme. Je vous encourage à examiner de près la section 3, qui comporte toutes les dispositions détaillées à cet égard. Nos craintes concernent une situation où quelqu'un qu'on ne veut pas laisser entrer au Canada, mais qui est déjà au Canada sans qu'on le sache, puisse être libéré sous caution et disparaître. Le fait est que nous avons actuellement 27 000 mandats qui n'ont jamais été exécutés. Cela indique bien que nous avons du mal à trouver les gens une fois qu'ils sont là. C'est là que la situation se corse.

En principe, il me semble préférable de concentrer ses efforts sur l'étape initiale, c'est-à-dire avant que tout le processus s'enclenche, y compris tous ces autres mécanismes et procédures relatifs au processus décisionnel que nous tenons à conserver dans un État de droit. C'est l'étape initiale du processus décisionnel qui est critique: il pourrait s'agir, par exemple, d'avoir recours au pouvoir que nous confère l'article 44 du règlement de prendre les empreintes digitales de toute personne cherchant à être admise ou réadmise au Canada. En règle générale, nous ne faisons pas ce genre de chose. Ou encore, comme vous l'expliquait le ministre, nous pourrions recourir à des technologies plus avancées et nous assurer que ce ne sont pas uniquement les Américains qui s'en servent, mais toutes les nations du monde. De cette façon, nous pourrions savoir quelles personnes ont été jugées indésirables dans leur pays et à quel pays ils ont été renvoyés. Il est donc critique de mettre l'accent sur l'étape initiale, si l'on veut assurer le succès des autres étapes du processus et réduire les frais.

Le sénateur Cordy: J'essaie simplement de vous dire que les gens semblent croire, à tort, que toutes les décisions, y compris la décision finale, sont prises dans un délai de 72 heures.

M. Newark: Le texte du projet de loi est clair. L'idée, c'est que les gens seront libérés sous caution ou admis au Canada après l'expiration du délai de 72 heures. Pour notre part, nous essayons simplement de vous faire comprendre qu'il faut absolument être en mesure de faire le travail qui s'impose dans les 72 heures, si c'est bien ce délai-là qu'on veut fixer.

Le sénateur Di Nino: Monsieur le ministre, j'aimerais vous demander de clarifier quelque chose que vous avez dit tout à l'heure. Les deux fonctionnaires du ministère, et la ministre elle-même, ont affirmé à quelques reprises qu'il y a eu des consultations pendant deux ou trois ans en prévision de ce projet de loi, qui était au fait le projet de loi C-31 qui est mort au Feuilleton à la fin de la dernière législature. Si je ne m'abuse, vous avez qualifié ces consultations d'«insuffisantes» ou d'«irrégulières au mieux». Ces qualificatifs laissent supposer que votre perception des consultations n'est pas tout à fait celle des fonctionnaires et de la ministre. C'est bien ça?

M. Jackson: Vous avez raison. Ce sont bien ces termes-là que j'ai employés en parlant des préoccupations de l'Ontario. Les fonctionnaires de mon ministère ont eu des discussions avec les responsables de CIC, mais aux niveaux politiques et stratégiques, ces discussions n'ont pas vraiment donné grand-chose jusqu'à présent. Le 28 septembre, j'ai écrit à mon collègue, le ministre des Affaires intergouvernementales, ainsi qu'à Mme Elinor Caplan, ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration. Je peux vous remettre une copie de cette lettre, si vous le désirez. Dans la lettre, nous avons expliqué nos préoccupations en disant qu'il convient de tenir des discussions plus approfondies en vue de trouver des solutions aux problèmes de l'accueil et de l'intégration des nouveaux venus au Canada. Il s'agit d'une responsabilité conjointe pour les administrations fédérale et provinciales.

Dans cette lettre, j'ai indique que l'Ontario voudrait ces prochains mois s'entendre avec les autorités fédérales sur une formule plus souple, qui serait officialisée dans un protocole d'entente, pour garantir la tenue de réunions bilatérales régulières entre des hauts fonctionnaires travaillant pour le gouvernement canadien et le gouvernement de l'Ontario.

À notre avis, un processus de ce genre s'impose, étant donné que 60 p. 100 de tous les néo-Canadiens s'installent en Ontario. À bien des égards, étant donné que le Canada est cité comme modèle par les Nations Unies, ceux qui choisissent l'Ontario proclament à autrui en quelque sorte que c'est dans cette province que l'expérience que vivent les nouveaux arrivants est la plus positive. En tant que Canadiens, nous savons que la très grande majorité des nouveaux venus vont vivre cette expérience. Ainsi la tolérance et la compréhension, la maîtrise de la langue et des mesures de soutien à l'établissement sont essentielles pour assurer le succès de cette nouvelle politique et le respect de l'engagement de fonds qui la sous-tend.

Ainsi les voies de communication doivent être bien ouvertes pour que nous collaborions ensemble, que ce soit pour parler du décès de M. Todd Bayliss, agent de police, ou du cas du médecin d'Europe de l'Est, qui est venu au Canada pour pratiquer la médecine mais s'est rendu compte, une fois sur place, qu'il aurait besoin de trois à quatre ans de cours de langue avant de pouvoir exercer sa profession.

Le sénateur Di Nino: J'ai des questions d'ordre économique. J'ai déjà parlé du manque de ressources - notamment depuis le 11 septembre - même si le gouvernement semble plus disposé à présent à affecter de nouveaux crédits au système.

Je crois savoir que la frontière ouverte qui sépare la province de l'Ontario des États-Unis revêt une très grande importance pour l'économie ontarienne. Mais d'après ce que j'ai pu comprendre, à moins que nous n'acceptions de prendre plus au sérieux - du moins de l'avis des Américains - le travail de contrôle des points d'entrée au Canada, il est possible que cette frontière ne soit pas aussi ouverte qu'elle l'a été jusqu'à présent. Cela aurait une incidence considérable sur l'économie de l'Ontario. Qu'en pensez-vous?

M. Jackson: D'abord, vous avez très bien résumé la situation. Nos échanges avec l'État de New York et les États des Grands Lacs représentent 60 p. 100 de notre activité économique. Avant le 11 septembre, j'ai participé à un sommet économique en compagnie du gouverneur Pataki et du premier ministre de l'Ontario.

La situation pour nous est plus compliquée du fait que de nombreux emplois en Ontario dépendent de la libre circulation des biens à la frontière. Les Américains comptent nous tenir au courant des mesures qui seront prises à l'égard justement de la libre circulation des biens, des services et des gens.

Cela a aussi des conséquences importantes pour le tourisme si les gens trouvent frustrant d'essayer de traverser la frontière. Donc, sans vous en donner tous les détails, on peut dire que les arguments liés à la santé économique de la province et du pays dans son ensemble sont fort solides et convaincants, puisque l'importante croissance économique enregistrée en Ontario soutient de nombreux éléments de l'infrastructure fédérale.

Nous avons aussi des préoccupations d'un autre ordre. Par exemple, nous sommes inquiets devant le manque de créativité qui semble caractériser la réflexion stratégique au niveau fédéral et l'élaboration des politiques. Développement des ressources humaines Canada dispose d'un budget plus important pour aider les Canadiens par le biais de mesures de soutien et de stabilisation du revenu ou d'accès à l'emploi que le budget prévu pour administrer l'ensemble des activités gouvernementales dans la province de l'Ontario. Ce seul ministère dispose d'un budget plus important que celui de la province.

Nous trouvons étrange par conséquent que nous n'ayons pas les ressources nécessaires en tant que nation pour être en mesure de réaliser nos grandes priorités économiques; quand nous avons besoin de travailleurs qualifiés et qu'il s'agit d'aller les chercher là où ils existent, nous n'avons pas suffisamment de ressources pour les faire venir rapidement. Donc, de plus en plus, nous constatons que les entreprises prennent elles-mêmes l'initiative d'aller à l'étranger et de faire elles-mêmes ce travail.

Nous avons actuellement une pénurie de main-d'oeuvre, étant donné que notre économie tourne à plein régime. Nous voulons que cela continue d'être le cas. Mais paradoxalement, les politiques gouvernementales ne prévoient même pas qu'une partie des crédits affectés à Développement des ressources humaines Canada servent à évaluer les compétences et qualifications de ceux et celles qui seront bientôt Canadiens. Nous avons une pénurie de main-d'oeuvre.

En conséquence, nous avons besoin d'un système de suivi double à l'intention de ceux dont l'entreprise a déjà fait un examen préalable des titres de compétence - c'est-à-dire où quelqu'un est allé à Londres, en Angleterre, pour faire passer des entrevues aux travailleurs spécialisés de l'industrie du moulage sous pression, ou d'une autre industrie - pour qu'ils puissent venir au Canada aussi rapidement que possible. Je n'ai pas en tête le chiffre, mais je crois savoir que l'arriéré des demandes du côté de l'immigration économique est assez important.

Nous ne sommes même pas en mesure de dire à l'heure actuelle que nous avons amélioré ces dernières années nos délais de traitement de demandes touchant une catégorie particulière d'immigrants. Dans le cas de l'Ontario, nous pouvons affirmer à quel point nous sommes fiers de faire venir des immigrants au Canada qui vont ensuite apporter une contribution à l'économie. Mais l'idée que des gens puissent venir au Canada, à titre de ressortissants étrangers et enfreindre nos lois - par exemple, quand ils assassinent nos citoyens - et que nous ne soyons pas en mesure de les renvoyer rapidement pour assurer la sécurité de la population de l'Ontario nous semble tout à fait inadmissible.

Voilà donc les deux grandes préoccupations de la province de l'Ontario.

Le sénateur Roche: D'abord, serait-il possible de déposer et de faire circuler aux membres du comité dans les plus brefs délais la lettre du 28 septembre adressée par vous et votre collègue, le ministre des Affaires intergouvernementales, à la ministre Caplan, et dont vous avez cité des extraits tout à l'heure?

M. Jackson: Oui.

Le sénateur Roche: J'aimerais bien la lire ce soir.

Monsieur le ministre, j'ai été frappé par quelque chose que vous avez dit tout à l'heure: si je vous ai bien compris, vous estimez qu'il ne convient pas vraiment de faire voter le projet de loi C-11, étant donné que le projet de loi C-36 vient d'être déposé. J'ai l'impression que beaucoup d'autres personnes seraient du même avis.

Cependant, le Sénat a ordonné que ce projet de loi soit mis aux voix à l'étape de la troisième lecture, soit le mercredi 31 octobre. Donc, nous sommes bien obligés de poursuivre notre examen du projet de loi, même si certains ne sont pas très contents d'être autant bousculés.

Ceci dit, le fait que l'Ontario accueille autant d'immigrants - soit 60 p. 100 - m'a vraiment frappé. Je ne comprends donc pas pourquoi le gouvernement de l'Ontario n'a pas été consulté adéquatement. C'est tellement important pour assurer la bonne intégration des immigrants à la société ontarienne et canadienne qu'il me semble primordial de connaître les vues du gouvernement de l'Ontario. Je vous dis cela à titre de résident de l'Alberta: je reconnais que l'opinion de l'Ontario sur la question est tout à fait essentiel.

Étant donné la nécessité de mettre le projet de loi aux voix à la date prévue - et je trouverai peut-être la réponse dans votre lettre - j'aimerais savoir s'il y a des amendements que nous pourrions éventuellement proposer qui répondraient aux préoccupations actuelles du gouvernement de l'Ontario?

M. Jackson: Il y a plusieurs éléments importants. D'abord, sénateur Roche, merci pour vos commentaires. Je pense que le ministre Manley a beaucoup contribué à la discussion et je tiens à dire cela publiquement. Il travaille très fort et ses efforts portent des fruits. Il consulte actuellement notre gouvernement. Je pense donc que grâce à son leadership, il sera peut-être possible de lui poser la question que vous venez de soulever. Je laisse ça de côté pour l'instant.

Comme je suis moi-même confronté à ces décisions politiques au niveau provincial, je sais que nos homologues fédéraux ont toujours la possibilité de nous dire que nous accepterons un plus grand nombre d'immigrants au Canada - c'est ça leur plan - si ce projet de loi n'est pas adopté à la fin octobre. Par conséquent, il pourrait faire l'objet d'autres consultations, et on pourrait aussi demander l'avis du public sur la question; donc, il y a toutes sortes de possibilités.

En même temps, nous estimons qu'il est important de ne pas nous limiter à la question des coûts que cela représente. Les véritables coûts se situent au niveau de l'incapacité de fournir les services requis, car il existe effectivement des lacunes. J'ai insisté tout à l'heure sur la situation des réfugiés. De toute évidence, la politique gouvernementale est inadéquate si on refuse aux réfugiés l'accès aux services de formation linguistique et d'établissement, alors que nous assurons ces mêmes services aux personnes admises au Canada dans le cadre du programme de parrainage. Les gens y sont également admissibles s'ils ont été admis à titre d'immigrants économiques et cela les rassure, bien entendu, de savoir qu'ils ont décroché un emploi au Canada. La catégorie qui pose le plus problème est celle qui n'a pas accès à ces services. Il convient par conséquent de réexaminer l'opportunité d'une telle politique. Pour toutes sortes de raisons, ces questions sont maintenant examinées de façon beaucoup plus approfondie. Les membres éminents de ce comité auront également l'occasion de faire des recommandations dans leur rapport. L'Ontario estime qu'il vaut mieux faire les choses correctement la première fois et donc envisager d'étudier ensemble les deux projets de loi en vue de faire une analyse complète avant qu'une mesure législative définitive soit votée au niveau fédéral.

Nous pourrions vous envoyer de l'information, si vous le souhaitez, sur les questions de sécurité. Nous avons présenté tout cela sous forme de question, étant donné que nous n'avons pas encore de réponses à bon nombre de ces questions.

Le sénateur Roche: Je serais très heureux de recevoir cette information-là.

M. Newark: Pour répondre à votre question originale sur le contexte du projet de loi C-36, il va sans dire que certains des éléments de ce projet de loi-ci lui sont liés. Par exemple, si l'on décide d'établir une liste d'organismes terroristes, il serait peut-être sage de prévoir qu'un tel groupe ne pourrait pas parrainer un immigrant. Enfin, quelles que soient vos décisions, vous devrez prévoir des renvois dans le projet de loi lui-même. Il semble logique d'y incorporer ces renvois et d'y faire mention d'autres infractions. Par exemple, si quelqu'un était partisan ou membre d'un des organismes dont le nom figure sur la liste, on peut supposer que cette personne serait frappée d'une interdiction de territoire aux termes des dispositions de la loi qui concernent la sécurité.

Le fait est que bon nombre de questions d'exécution de la loi sont particulièrement pertinentes, vu la nature du projet de loi C-36. Nous serions donc heureux de vous faire part de nos vues sur la question. Cette information pourrait vous être utile.

Vous allez peut-être demander qu'on vous soumette le règlement dont dépend justement une bonne partie de ce projet de loi. Vous voudrez peut-être examiner l'article 94 du projet de loi, qui énumère les éléments qui doivent être abordés dans le rapport déposé par le ministre. Pour moi, il s'agit plutôt de la liste des bons éléments, par opposition à celle qui comporte les mauvais éléments - par exemple, le nombre de mandats délivrés, le nombre de personnes exclues de l'application des dispositions en matière d'interdiction de territoire, et tout ce qui touche l'exécution de la loi. Il faut dire que cette information permettrait à l'organe législatif de bien faire son travail, au lieu que ce soit l'exécutif qui garde toute l'information pour lui.

Ces quelques changements permettraient d'améliorer grandement le projet de loi C-11 et l'harmonie entre ce dernier et le projet de loi C-36, quelle que soit sa forme définitive.

Le sénateur Roche: Merci. C'est bien utile. Monsieur le ministre, la question de ressources a fait l'objet de longues discussions devant ce comité. Je pense qu'il est fort possible que le comité envisage de recommander que le projet de loi soit renvoyé à la Chambre.

J'ai eu l'occasion de regarder brièvement votre lettre du 28 septembre 2001. Elle porte surtout sur les consultations. Vous constaterez qu'au moins un des discours prononcés sur la question à la troisième lecture portait justement là-dessus.

Je ne vous ai pas bien suivi quand vous parliez de la possibilité que le projet de loi C-11 réduise certains pouvoirs à l'égard de l'exécution de la loi. Est-ce que vous ou un de vos fonctionnaires pourrait me dire quels articles précis posent problème à cet égard?

M. Jackson: Dans la Loi actuelle, il est question de «agents de police»; le nouveau projet de loi parle simplement d'«agents».

M. Newark: Je vous renvoie à l'article 27 de la Loi actuelle sur l'immigration et à l'article 44 du projet de loi. Ces dispositions portent sur les interdictions de territoire et ce qui se produit lorsque la police sait qu'une personne fait l'objet d'une telle interdiction. Tout cela découle du cas d'une personne dont la GRC a appris l'existence il y a environ 18 mois. Cette personne faisait l'objet de mandats d'arrestation émis par Interpol. Les gens se demandaient comment il avait réussi à échapper à la justice depuis si longtemps au Canada.

Étant donné l'expérience que j'avais acquise à l'époque où je travaillais pour l'Association canadienne des policiers, j'ai décidé d'examiner les articles en question. J'ai découvert que d'après la Loi sur l'immigration, les agents de la paix, les agents de police assermentés et les agents d'immigration fédéraux ont un devoir positif, qui est prévu par la loi, de communiquer au sous-ministre toute information relative à une éventuelle interdiction de territoire pour que ce dernier prenne d'autres mesures en vue de son éventuelle déportation.

J'ai été surpris de constater qu'il est maintenant question d'«agents» dans le projet de loi C-11, plutôt que d'«agents de la paix» ou d'«agents de police».

Le sénateur Roche: Alors de quels agents s'agit-il?

M. Newark: J'ai cherché le terme «agent» dans la section des définitions mais il n'y est pas. L'article 6 porte que les agents peuvent être toute personne chargée de l'application de la loi par le ministre fédéral de l'Immigration. Je vous signale en passant qu'à la différence du texte précédent, l'obligation de faire rapport qui existait autrefois disparaît; désormais le ministre jouit d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard.

Sans vouloir vous contredire, il me semble que sur le plan des ressources, retirer de 50 000 agents de police assermentés le devoir positif d'entamer des procédures de renvoi à l'égard de personnes frappées d'interdiction de territoire n'est peut-être pas une très bonne idée si l'on veut améliorer l'exécution de la loi.

Le sénateur Roche: Donc, à votre avis, on devrait employer l'expression «agent de la paix» à l'article 44. C'est bien ça?

M. Newark: Oui, tout à fait.

Le sénateur Roche: Monsieur le ministre, le gouvernement de l'Ontario a-t-il déjà défini sa politique au sujet de la frontière canado-américaine et la nécessité de préserver la libre circulation au profit des économies concernées? À cet égard, nous sommes justement confrontés à un défi: comment conserver la libre circulation entre les deux pays tout en protégeant les populations concernées.

Le gouvernement de l'Ontario a-t-il déjà élaboré une politique sur ce qu'on appelle actuellement le périmètre nord-américain - c'est-à-dire un périmètre délimitant le contour de l'Amérique du Nord? Pourriez-vous nous dire quelles recommandations votre gouvernement ferait aux autorités canadiennes et américaines en vue de garantir des contrôles suffisants à la frontière qui ne donnent pas lieu à des retards? De plus, êtes-vous d'accord pour dire que le fait de cautionner la notion de périmètre nord- américain rapprocherait davantage le Canada et les États-Unis du point de vue du traitement que nous réservons aux immigrants?

Si cette question ne vous semble pas suffisamment précise, je vais vous la reposer. Autrement dit, que pense le gouvernement ontarien de l'idée d'un périmètre nord-américain?

M. Jackson: Le 24 septembre 2001, le premier ministre a fait une déclaration énergique au sujet de la nécessité d'établir un périmètre nord-américain et ce, après en avoir discuté avec l'ambassadeur des États-Unis au Canada et l'ambassadeur du Canada aux États-Unis, de même qu'avec le gouverneur Pataki.

Les événements du 11 septembre ont vraiment permis aux Canadiens de se rendre compte que la sécurité des deux côtés de la frontière est tout à fait critique. Nous n'avons pas nécessairement besoin d'harmoniser nos activités. Les gens disent qu'un niveau plus élevé de sécurité est maintenant justifié. Ces dernières semaines, les différents organes d'information ont indiqué, alors que les enquêtes relatives aux événements du 11 septembre étaient encore en cours, qu'un certain nombre de ressortissants étrangers vivaient illégalement dans nos deux pays. Donc, dans une perspective continentale, les gens sont généralement d'accord pour mettre en place des systèmes qui s'épaulent mutuellement.

Je vous cite à contre-coeur un exemple atroce. Je suis de Burlington, en Ontario, d'où vient la famille DeVilliers. Leur histoire est tout à fait tragique. Jonathan Yeo, qui a assassiné Nina DeVilliers, a été cueilli alors qu'il essayait de traverser la frontière américaine à Buffalo avec une arme à feu chargée dans sa voiture. Les autorités américaines disposaient de suffisamment d'information sur lui pour savoir qui il était. Elles l'ont empêché d'entrer aux États-Unis. Nos agents d'immigration, qui ont reçu un coup de téléphone pour les prévenir qu'il arrivait, l'ont fait passer sans difficulté.

Comme je porte sur mes épaules le fardeau de mes responsabilités publiques au niveau provincial, j'avoue que j'ai du mal à dormir la nuit en sachant le genre de système que nous avons mis en place pour protéger nos familles. Excusez-moi de vous présenter cela en termes si dramatiques, mais je viens d'une collectivité où nous avons perdu trop de gens de cette façon.

Les gens de ma localité savent très bien que nous appliquons des normes différentes et que nous devrions collaborer davantage avec les autorités fédérales. La position de notre gouvernement est claire: comme plusieurs autres premiers ministres provinciaux, nous sommes en faveur de la création d'un périmètre nord- américain.

Le sénateur Roche: Mais qu'est-ce que cela veut dire au juste? Le projet de loi C-11 est-il rédigé en termes suffisamment énergiques pour vous donner l'assurance que les points de passage frontaliers seront suffisamment bien contrôlés pour éviter de créer ce qu'on appelle un «périmètre nord-américain» qui ne dit rien à personne et suscite plutôt de graves préoccupations chez les gens par rapport au respect des valeurs canadiennes?

M. Jackson: Non, ce projet de loi ne nous donne pas cette assurance.

Le sénateur Roche: Donc, le projet de loi C-11 n'est pas suffisant?

M. Jackson: Disons que le projet de loi C-11 ne débouchera pas sur ce résultat-là. Dans mon optique de législateur, un projet de loi traitant de questions de sécurité est lourd et ambigu, comme celui-ci, fait le jeu des mécréants et de ceux qui les défendent devant les tribunaux.

M. Newark: En ce qui concerne l'affaire Yeo, j'ai récemment assisté à une conférence à l'intention des enquêteurs qui se spécialisent dans les crimes violents où ils ont présenté une adaptation pour la scène de l'incident en question. En fait, les douaniers ne lui ont pas fait signe de passer; ils se sont cachés dans le gîte parce qu'ils savaient qu'il était armé. Comme vous le savez, nos douaniers ne sont pas armés. Donc, pour se protéger, ils se sont cachés dans le gîte quand le véhicule est passé.

Je suis d'accord avec le ministre sur la question de savoir si le projet de loi C-11 sera suffisant pour régler les problèmes qui ont été soulevés. Avant les événements du 11 septembre, on peut dire que cette mesure ne représentait guère une amélioration par rapport à ce qui existe déjà. En fait, on pourrait même supposer que les événements du 11 septembre ont fait monter les enchères, puisqu'ils nous ont permis de comprendre à quel point les libertés que nous avions tenu pour acquises sont précieuses, y compris du point de vue de leurs conséquences pour le commerce.

Notre défi consistera donc à déterminer ce que nous pouvons faire à la frontière pour maintenir la libre circulation des biens et des gens tout en appliquant des mesures de sécurité différentes. Pour moi, ces mesures n'ont pas besoin de compromettre notre souveraineté. Il est grand temps qu'on commence à protéger notre souveraineté aux frontières.

Nous parlions tout à l'heure de la technologie de l'imagerie numérique et de la possibilité d'utiliser une base de données pour assurer l'échange d'information. Voilà le genre de choses qui devraient être abordées dans ce projet de loi. Quelqu'un a posé une question tout à l'heure au sujet de nos craintes en matière de sécurité. Eh bien, cela devrait être obligatoire d'appliquer les dispositions législatives actuelles et donc de prendre les empreintes digitales.

Il faut que le projet de loi réponde aux problèmes les plus critiques. Nous ne devrions pas être étonnés de constater qu'il ne le fait pas, puisque le projet de loi a été rédigé bien avant le 11 septembre. Le monde a évolué, et il faut que le projet de loi évolue aussi.

M. Ryder: Je dirais que le défi le plus important qu'a à relever la Police provinciale de l'Ontario de puis le 11 septembre est celui de savoir comment apporter notre contribution aux points de passage frontalier. Une bonne partie de l'effectif de la police provinciale de l'Ontario et des forces policières de nos partenaires municipaux a été affectée aux points de passage frontalier pour aider les agents d'immigration et les douaniers. Ce n'est pas le genre de travail que nous faisons normalement. Nous avons tout de suite compris à quel point ils manquent de ressources.

Le sénateur Roche: Est-ce que le gouvernement de l'Ontario a été invité à témoigner devant le comité de la Chambre des communes saisi du projet de loi C-11?

M. Jackson: Non, je ne crois pas. Je vais vérifier pour en être sûr, mais je ne pense pas. Je suis ministre de la Citoyenneté depuis février, et je ne me souviens pas d'avoir été invité à comparaître.

Le sénateur Roche: Madame la présidente, n'êtes-vous pas étonnée d'apprendre cela? L'Ontario, qui joue un rôle primordial dans le secteur de l'immigration, n'a même pas été invité à présenter ses vues sur le projet de loi C-11 avant qu'il ne soit adopté par la Chambre des communes.

La vice-présidente: En tant que fière habitante de l'Ontario, je suis d'accord avec vous.

[Français]

Le sénateur Robichaud: Les témoins ont dit qu'ils avaient demandé de comparaître devant notre comité, qui a accepté de les recevoir. Si ces témoins avaient demandé à comparaître devant le comité de la Chambre des communes je ne doute pas qu'ils aient été aussi les bienvenus. Je fais une affirmation gratuite, mais je ne veux pas qu'on croit que les témoins n'ont pas été invités et qu'on les ait empêchés de témoigner.

[Traduction]

La vice-présidente: Très bien, mais nous pouvons toujours vérifier.

Le sénateur Rompkey: Monsieur Jackson, depuis un moment, il est beaucoup question ici d'un «périmètre nord-américain». Comment définissez-vous ce terme? Pour moi, le terme «périmètre» laisse supposer qu'on délimite l'ensemble de la zone concernée. Mais en plus de protéger nos littoraux, nous voulons améliorer ou modifier d'une manière ou d'une autre notre façon de contrôler la plus longue frontière non défendue du monde.

Qu'entendez-vous donc par l'expression «périmètre nord-américain»?

M. Jackson: Je ne sais pas ce que signifie ce terme. Par contre, j'aurais moins de mal à vous expliquer le terme «périmètre de sécurité nord-américain». Le ministre Manley participe actuellement à des discussions avec le gouvernement américain. L'Ontario apporte sa contribution par l'entremise de la participation de l'ex-commissaire de la GRC, Norm Inkster et du major-général (retraité) Lewis McKenzie, qui ont été affectés au dossier de la sécurité.

Nous nous sommes engagés, dans le cadre de toutes nos discussions avec les autorités fédérales, à soutenir vigoureusement les efforts de ce dernier. La sécurité de notre province nous intéresse au plus haut point et nous tenons à travailler avec tous les paliers de gouvernement qui souhaitent le faire dans cette optique. Le premier ministre a dit qu'il est prêt à examiner ce concept, mais il s'agirait à ce moment-là d'un périmètre de sécurité, plutôt que d'un périmètre géographique ou nord- américain.

Cette question fait actuellement l'objet de discussions à un haut niveau entre le ministre Manley, notre gouvernement et d'autres provinces. Je crois savoir que l'Alberta, la Colombie-Britannique et le Nouveau-Brunswick ont déjà indiqué qu'ils sont prêts à participer à des discussions exploratoires sur les moyens de garantir la sécurité de nos citoyens.

Je tiens à dire publiquement que nous avons reçu une lettre du gouvernement fédéral au début septembre qui nous demandait de lui faire part de notre réaction concernant le projet de loi C-11 avant le 20 septembre. Mais un délai de deux semaines n'était pas suffisant pour permettre à l'Ontario de communiquer ses préoccupations aux autorités fédérales. Nous avons tenu plusieurs rencontres et dialogué à diverses reprises avec les responsables fédéraux, mais - malheureusement pour nous - nous n'avons pas encore réussi à obtenir quelque réponse que ce soit aux préoccupations que nous avons exprimées. Voilà donc notre situation actuelle.

Nous avons demandé que l'accent soit mis sur un processus bilatéral qui prévoie la signature de protocoles d'entente, pour que les néo-Canadiens, quelles que soient les conditions qui aient à remplir aux termes de la loi dès leur arrivée au Canada, soient bel et bien pris en charge.

La vice-présidente: Au moment où cette lettre a été rédigée, le projet de loi était devant le Sénat, et non la Chambre des communes. Voilà donc qui répond à la question concernant les comités.

Je remercie tous les témoins pour leur présence aujourd'hui.

Je voudrais maintenant souhaiter la bienvenue à notre prochain témoin, M. Serge Charette, président national, Union des Douanes Accise.

M. Serge Charette, président national, Union Douanes Accise: Merci. Nous vous remercions de l'occasion qui nous est donnée cet après-midi de présenter nos vues et nous espérons que notre contribution sera utile dans le cadre de vos délibérations sur le projet de loi C-11.

Chaque année, 110 millions de voyageurs, dont bon nombre sont des immigrants et des réfugiés, traversent nos frontières. Ils passent les douanes en prenant la filière Voyageurs. Nombreux sont ceux qui tentent d'entrer au pays de façon illégale. Quelques-uns d'entre eux réussissent à le faire - non pas à cause du travail de nos membres, mais pour des raisons que je vais vous expliquer.

Le Canada a 147 points d'entrée frontaliers, 13 aéroports internationaux et 15 ports de mer. Le traitement à ces points d'entrée est organisé en fonction d'un système à deux niveaux. Le premier niveau est la ligne d'inspection première que nous appelons la LIP. Tous ceux et celles qui veulent entrer au Canada doivent passer par la LIP. Nous estimons que seuls les agents des douanes doivent être affectés à cette tâche. Ce sont les seuls qui devraient pouvoir laisser entrer des personnes ou renvoyer d'autres voyageurs qui sont suspects ou qui ne possèdent pas les bons documents à la ligne d'inspection «secondaire», soit le second niveau. À ce niveau-là, on pose des questions plus détaillées, et les intéressés ou leurs effets personnels peuvent faire l'objet d'un examen sur place. Des agents d'immigration, de la GRC ou du SCRS peuvent également faire partie du personnel affecté à la ligne d'inspection secondaire, mais seulement à des points d'entrée précis ou des circonstances spéciales.

Entre les 175 points d'entrée et points de sortie, c'est à la GRC que revient la responsabilité d'assurer la sécurité. Notre témoignage aujourd'hui ne portera donc pas - à juste titre - sur la zone de responsabilité de la GRC.

Nous estimons qu'il est très important de vous expliquer ceci par rapport au projet de loi C-11: les agents des douanes travaillant à la LIP jouent le rôle d'agents d'immigration de première ligne. C'est certainement le cas lorsque l'on renvoie des gens aux agents d'immigration à la ligne d'inspection secondaire. C'est d'autant plus le cas lorsqu'il n'y a pas d'agent d'immigration à la ligne d'inspection secondaire, comme c'est le cas pour les bureaux des douanes éloignés.

Je représente 3 500 agents des douanes au Canada. Sur ce nombre, 2 600 sont affectés à la filière voyageurs. Ces membres tiennent à ce que je vous dise que la sécurité à la frontière est une illusion, que c'est un mythe, et qu'elle n'existe pas vraiment.

Les agents des douanes aux points d'entrée frontaliers canadiens sont frustrés devant l'absence d'équipement informatique adéquat, l'état désuet de certains types de matériel, l'absence de formation, le manque permanent de personnel suffisant et d'autres difficultés relevées dans le Rapport du vérificateur général d'avril 2000. Bien avant les terribles événements du 11 septembre, le vérificateur général, Denis Desautels, avait dit qu'étant donné que 110 millions de voyageurs par année entrent au pays et en sortent aux points d'entrée frontaliers, les risques en matière de sécurité étaient élevés. En parlant des agents des douanes, M. Desautels a dit ceci:

Leur rôle principal maintenant est de [...] protéger les Canadiennes et les Canadiens contre les activités illicites, telles que la contrebande ou l'entrée illégale de personnes inadmissibles [...] Notre vérification soulève des préoccupa tions quant à la façon dont ces risques sont actuellement gérés.
Voilà des années que nos membres ont ces mêmes préoccupations.

Il y a à peine quelques semaines, l'Association canadienne des policiers a déconseillé de perpétuer l'idée fausse que le Canada est sécuritaire. L'Association a demandé qu'il y ait plus de personnel à la frontière et que l'exécution de la loi soit prise plus au sérieux. Aujourd'hui, nous nous faisons avec vigueur l'écho de ces sentiments.

Il est malheureux de dire que le Canada ne possède pas assez d'agents des douanes pour faire le travail qu'on attend de nos membres. Le Canada a besoin d'au moins 1 200 agents des douanes supplémentaires, ce qui représente un investissement de 60 millions de dollars. La ventilation et l'analyse des dépenses concernées vous sont présentées en annexe.

Le fait est que les agents non seulement ne bénéficient pas de suffisamment de formation, mais ne reçoivent pas la bonne formation. Dans son rapport d'avril 2000, le vérificateur général Desautels disait, en parlant du personnel à long terme, que 60 p. 100 n'avaient pas reçu de formation en matière d'immigration. Soixante pour cent, madame la présidente. Je répète que les agents des douanes agissent à titre d'agents d'immigration aux frontières canadiennes.

C'est triste à dire, mais malheureusement bon nombre d'agents des douanes n'ont pas d'ordinateur, et nombreux sont ceux qui ont du matériel et des logiciels informatiques inadéquats. Cela veut dire qu'ils n'ont pas accès à des informations fiables et récentes pour faciliter l'exécution de la loi. Le 15 octobre, M. Myron Thompson, député de l'Alliance de Wild Rose, s'est levé à la Chambre des communes pour déclarer que les agents des douanes à Victoria n'ont pas un seul ordinateur. Ils font leur travail dans une remorque veille de 35 ans et utilisent des listes attachées à des planchettes à pince qui, elles, sont vieilles de 30 ans. Des planchettes à pince, madame la présidente! Plus d'un million de voyageurs passent la douane à Victoria chaque année.

Honorables sénateurs, 45 p. 100 des points d'entrée frontaliers sont isolés du point de vue de l'électronique, ce qui veut dire que les agents des douanes n'ont pas un accès direct à la base de données des Douanes, ni à d'autres bases de données. Quelles en sont les répercussions? Eh bien, l'efficacité de nos opérations de contrôle dépend de la capacité des agents de se souvenir de l'information qui figure sur de nombreuses listes sur papier. Par exemple, les bureaux éloignés reçoivent environ deux fois par semaine plusieurs pages de numéros de plaques d'immatriculation que les agents des douanes doivent essayer de repérer éventuellement.

Aux bureaux des douanes équipés de lecteurs de plaques d'immatriculation et branchés sur notre réseau, seulement 70 p. 100 des vérifications faites par la machine sont exactes. Il va sans dire que la situation devient encore plus difficile en hiver, lorsque les plaques sont recouvertes de neige.

Le Système intégré d'exécution des douanes (le SIED) contient de l'information sur des particuliers et des véhicules qui ont à leur compte des dossiers de violation de la loi relativement aux douanes, à l'immigration, et au Code criminel. Ce système comprend également des avis de signalement générés par les Douanes, par le Service d'immigration, la GRC et le SCRS. Mais malheureusement, ces avis ne sont pas mis à jour de façon continue: ainsi ils contiennent souvent de l'information qui remonte à trois ou quatre mois.

L'accès au Centre d'information de la police canadienne (le CIPC) n'est disponible nulle part au Canada pour ceux qui sont affectés à la LIP. Les voyageurs doivent donc être renvoyés à la ligne d'inspection secondaire avant qu'une vérification du casier judiciaire puisse être effectuée ou que l'on puisse établir et vérifier leur identité.

Les agents des douanes n'ont pas les bons outils pour effectuer leur travail. Tous les agents d'exécution de la loi travaillant le long de la frontière canado-américaine (y compris la GRC, les douaniers américains, l'INS aux États-Unis et la patrouille frontalière américaine) portent des armes. Pourtant, nos membres sont de plus en plus nombreux à devoir arrêter au passage des criminels, des meurtriers, des terroristes, des violeurs, des ravisseurs d'enfants, des voleurs, des conducteurs en état d'ébriété, et cetera. Même si les agents des douanes ne pouvaient presque rien faire auparavant dans de telles situations - et ce avant l'adoption du projet de loi C-18 en mai 1998 - le gouvernement actuel s'attend maintenant à ce qu'ils interviennent en utilisant une matraque et du gaz poivré, soit des outils qui sont loin d'être l'équivalent d'une arme à feu.

Madame la présidente, vous ou les membres du comité vous attendriez-vous à ce qu'un agent de la GRC qui patrouille le long de la frontière ne soit pas armé? Est-ce qu'il y en a parmi vous qui voudraient remplir les fonctions de l'agent des douanes dans des conditions semblables?

En outre, le faible nombre d'équipes d'intervention mobiles et de maîtres-chiens limite l'utilisation d'armes et d'outils détecteurs de contrebande, de même que les fouilles exhaustives de véhicules. Par exemple, les maîtres-chiens sont rarement appelés à intervenir à cause du coût de ce genre de services. Pour les mêmes raisons, les grands bureaux de douane ne peuvent avoir qu'un ou deux chiens. Encore une fois, c'est une question de coûts.

Pendant les mois d'été, la moitié de nos 2 600 membres affectés à la Filière Voyageurs sont remplacés par des étudiants, dont la plupart ont une vingtaine d'années. Ces derniers bénéficient de deux semaines de formation, alors que le personnel engagé à plus long terme reçoit 12 semaines de formation. Je me permets de citer encore les propos du vérificateur général: «Comme les étudiants ont peu ou pas d'expérience, mais doivent prendre des décisions importantes à la LIP, nous craignons que cette formation réduite ne puisse poser un risque indu pour les Douanes».

Les agents des douanes sont appelés à contrôler l'application de plus de 70 lois et règlements au nom de différents organismes et ministères fédéraux. Est-ce que vous ne vous interrogez pas - comme nous - sur le genre de formation que reçoivent les étudiants sur les questions d'immigration étant donné qu'ils doivent assimiler toute la matière du cours en si peu de temps? Puisque 60 p. 100 des agents des douanes engagés à long terme ne sont pas formés pour traiter des questions d'immigration, et la moitié des 40 p. 100 restants des agents sont remplacés par des étudiants, cela veut dire que seulement 20 p. 100 de ceux qui travaillent pendant les mois de juillet et août - au grand maximum - ont reçu une formation adéquate pour traiter convenablement les questions d'immigration. C'est effectivement un agent sur cinq.

Deux mille six cents agents des douanes sont affectés à la filière voyageurs, et nous avons une ventilation des chiffres sur un tableau qu'on vous fournira. Je ne vais donc pas prendre le temps de répéter cette information.

Il n'est donc guère surprenant que les agents d'immigration remettent en question la qualité des renvois de la LIP. Il n'est pas non plus surprenant qu'une étude d'EKOS commandée par Citoyenneté et Immigration ait indiqué, en 1991, que chaque semaine, en moyenne 12 000 renvois de la LIP à la ligne d'inspection secondaire n'avaient pas été pris en charge, et ce, au cours d'une période de quatre semaines - au mois d'août.

Chaque jour, les Douanes traitent en moyenne plus de 40 000 transactions commerciales et 300 000 voyageurs, dont un bon nombre d'immigrants et de réfugiés. La direction nous dit que les volumes devraient augmenter mais qu'il est prévu que les ressources demeurent au même niveau.

Comment est-ce possible? Le ministre du Revenu et la direction du Service des douanes prétendent que c'est les technologies qui vont permettre de régler le problème. Ainsi il est prévu qu'on informatise les opérations afin d'accélérer les délais de traitement à la frontière - tout cela à une époque où les Américains ont compris que l'interaction humaine et l'accès à des renseignements exacts et fiables sont plus importants que d'avoir des technologies très avancées. Il est certain que les technologies sont fort utiles quand il s'agit de vérifier une déclaration d'impôt, mais elles ne peuvent remplacer l'agent des douanes quand il s'agit de détecter une goutte de transpiration, un regard fuyant ou d'autres signes de tromperie. La technologie et l'automatisation sont d'excellents outils, nous en convenons. Mais ces dernières ne peuvent se substituer aux agents quand l'objectif consiste à détecter la supercherie. Disposer de plus d'agents qualifiés et bien formés qui soient à même d'utiliser les outils technologiques de pointe, voilà la solution.

Le gouvernement américain réagit aux événements du 11 septembre en investissant presque 1 milliard de dollars canadiens, soit 609 millions de dollars US, pour améliorer la sécurité le long de notre frontière; la moitié de cette somme servira à tripler le nombre d'agents frontaliers, qui passera de 1 773 à 5 319, soit une augmentation de 3 546 agents. Les autres crédits permettront d'acheter de nouveaux équipements, comme des lunettes de vision nocturne et des détecteurs de mouvement dynamiques.

Notre gouvernement est d'avis qu'un investissement de 15 millions de dollars canadiens, soit 9,5 millions de dollars US, débouchera sur le même résultat. Mais 130 agents de plus et un peu d'équipement ne permettront pas de renforcer la sécurité à la frontière. Une telle réponse à la situation actuelle correspond à une grossière sous-estimation des besoins actuels.

Permettez-moi d'insister sur un élément par-dessus toute autre chose, pour que ce soit bien clair: les Douanes ont besoin de plus de personnel. Il nous faut 1 200 agents de plus. Mais nous avons besoin de personnel approprié - c'est-à-dire pas des étudiants. Nous avons besoin de plus de formation et de formation plus complète, notamment sur les questions d'immigration. De même, il nous faut de bons équipements pour être en mesure d'accéder à l'information la plus récente, y compris des ordinateurs et de bonnes bases de données. Comme d'autres agents de la paix, nous avons besoin de bons outils - c'est-à-dire d'armes à feu. Nous avons aussi besoin d'installations convenables - par exemple, des cellules de détention provisoire. C'est ainsi que nous améliorerons les contrôles effectués par les agents des douanes, et non en remplaçant les agents par les technologies de pointe.

Lorsqu'un sénateur américain brandit une balise routière orange dans le cadre d'audiences tenues par un comité du Congrès américain, et dit que c'est avec ça que les autorités américaines essaient de régler leurs problèmes de sécurité à la frontière canado-américaine, du moins à certains points d'entrée, et que nous savons pertinemment que les autorités canadiennes font de même, il est clair que le moment est venu de changer les choses. D'ailleurs, il n'y a jamais eu de meilleur moment. Une balise orange, ce n'est pas de la sécurité. Pour être sécuritaire, il faut que la frontière au complet soit bien protégée.

En conclusion, nous sommes en faveur d'un projet de regroupement du personnel des Douanes, de l'Immigration et d'autres groupes chargés d'exécuter la loi au sein d'un même organisme ou ministère, proposition qui remonte à plusieurs années. Les Douanes ont un mandat double et parfois contradictoire: la sécurité par opposition à la facilitation. Le déséquilibre actuel en faveur de la facilitation doit être réexaminé dans le contexte actuel, où l'on met davantage l'accent sur l'exécution de la loi. Cela ne veut pas dire qu'il faut laisser de côté la facilitation; il s'agit simplement de remplir ce rôle sans compromettre la sécurité.

Évidemment, l'interception indiquée nécessiterait un plus grand nombre d'agents des douanes, sinon, il en résulterait des retards. Le choix est évident: la population canadienne désire et mérite une plus grande sécurité. Les entreprises désirent plus de facilitation et elles en ont besoin. Augmenter l'effectif des agents des douanes est la seule solution qui puisse satisfaire les deux groupes. Le temps est venu d'opérer des changements; nous devons faire des investissements judicieux.

La vice-présidente: Merci beaucoup, monsieur Charette, pour votre excellent exposé.

Le sénateur Morin: Est-ce que la solution consiste à diminuer le nombre de points d'entrée au Canada et d'accroître l'efficacité de leurs opérations?

Ai-je bien compris que d'après vous, l'augmentation des ressources annoncée récemment par le ministre Cauchon n'est pas suffisante?

M. Charette: À notre avis, non. Il nous faut 10 fois plus de ressources que ce qui est prévu. Nous vous avons d'ailleurs fourni une ventilation dans notre annexe qui explique notre analyse de la situation.

Le sénateur Morin: Faites-vous allusion à l'augmentation récemment annoncée par le ministre Cauchon?

M. Charette: Oui. Il a annoncé une augmentation de 9 millions de dollars qui correspond, d'après ce qu'on m'a dit, à 130 agents des douanes additionnels. Mais à la séance d'information à laquelle j'ai assisté la semaine dernière, on m'a dit que la plupart de ces ressources seraient affectées aux aéroports, qu'une partie serait affectée aux ports de mer, et que 2 ou 3 millions de dollars seraient affectés aux installations postales. Donc, cette augmentation n'aura pour ainsi dire aucun effet sur les opérations à la frontière.

Les ressources prévues seront surtout affectées aux aéroports, et ce pour examiner les manifestes de passagers fournis à Revenue Canada. Ils ne sont pas fournis à l'heure actuelle, mais après l'adoption de certains projets de loi qui sont en cours d'étude, ils le seront. La grande majorité de ces 130 personnes qui seront recrutées auront pour tâche d'analyser cette information-là.

Le sénateur Morin: Il a été question d'avoir une seule équipe de douaniers à la frontière dans des installations qui seraient partagées par les États-Unis et le Canada. Qu'en pensez-vous?

M. Charette: Nous avons déjà un certain nombre d'installations partagées et ce système donne de très bons résultats. Ce sont de petits bureaux où un agent travaille seul. Le fait de faire collaborer l'agent américain et l'agent canadien permet aux douaniers de se sentir plus en sécurité - notamment parce que les inspecteurs américains sont armés, alors que les nôtres ne le sont pas. Nous sommes favorables à cette idée-là, mais cela ne peut être envisagé que dans les petits bureaux. Du moment qu'on dépasse un certain volume, ce n'est plus possible, parce qu'un même bureau aurait à traiter le trafic des deux côtés de la frontière canado-américaine. Il faudrait donc des locaux beaucoup plus grands pour abriter des centaines de personnes.

La vice-présidente: Avez-vous répondu à la première question du sénateur Morin concernant la possibilité qu'il y ait moins de points de passage frontaliers? Du point de vue économique, est-ce une solution qu'on peut envisager?

M. Charette: Cela a déjà été fait pendant les années 90. À l'époque, plusieurs points d'entrée frontaliers ont été fermés. Mais les gens se sont plaints à leurs députés du fait d'avoir à aller plus loin pour arriver à un poste frontalier. Cela compliquait la vie aux voyageurs.

En Ontario, il n'a pas été possible à cause des Grands Lacs et du fait que les gens se servent des ponts pour traverser la frontière. Il aurait fallu disposer d'un effectif massif à un seul point d'entrée. Ce serait peut-être mieux de réduire le nombre de points de passage frontaliers, à condition que cela ne gêne pas la population canadienne. On nous a dit que le nombre de postes a déjà été tellement réduit qu'il ne serait plus possible de le réduire encore sans perturber le public voyageur.

La vice-présidente: Et ça semblerait tout à fait contraire au principe de la libre circulation des biens et services.

Le sénateur Cook: Monsieur Charette, j'essaie de réduire tout cela à sa forme la plus simple pour être plus à même de comprendre. Si j'arrive sur un vol étranger et que je fais la queue à l'aéroport en arrivant, est-ce que je suis d'abord accueillie par un agent des douanes?

M. Charette: Oui, c'est exact.

Le sénateur Morin: Autrement dit, à la LIP.

Le sénateur Cook: Et qui se charge des formulaires que je remplis?

M. Charette: Les formulaires que vous remplissez?

Le sénateur Cook: Oui, le formulaire qui demande aux voyageurs d'indiquer s'ils sont citoyens canadiens, s'ils ont visité une ferme ou comptent le faire au Canada, et cetera. Qui a la responsabilité de ce formulaire, les Douanes ou le Service d'immigration?

M. Charette: C'est-à-dire qu'il relève de la responsabilité de plusieurs autorités. Les questions qui se trouvent sur le formulaire sont posées aux voyageurs au nom de plusieurs organismes et ministères. Par exemple, la question concernant la visite d'une ferme; nous posons cette question au nom d'Agriculture Canada. Mais si vous avez acheté quelque chose, c'est nous qui voulons le savoir.

Le sénateur Cook: Et vous envoyez ensuite les renseignements pertinents à qui de droit.

M. Charette: Oui. Si nous apprenons quelque chose qui nous semble suspect, nous allons tout de suite renvoyer l'intéressé à la ligne secondaire pour faire l'objet d'un contrôle par le Service de l'immigration, par exemple.

Le sénateur Cook: Vous dites que vous ne bénéficiez pas d'une formation polyvalente avec des agents d'immigration. Avez-vous une copie de leurs protocoles? En fonction de quoi ma réponse pourrait vous inciter à me renvoyer à un agent d'immigration?

M. Charette: Ça varie selon l'agent, et selon les réponses qu'on nous donne aux questions posées. Par exemple, en ce qui concerne le pays d'origine, nous réagirons d'une certaine manière si vous êtes Canadien. Mais si vous répondez non à cette question-là, nous allons continuer notre interrogation en vous demandant d'où vous venez. Ensuite, nous regarderons votre passeport. Les réfugiés, qui arrivent souvent aux points d'entrée sans passeport ni papiers parce que leur documentation a été perdue ou volée, sont automatiquement renvoyés au Service d'immigration. Nous recevons également des avis de signalement. Si nous apprenons que telle personne doit être renvoyée au Service d'immigration, nous tenons évidemment compte de cette information-là également.

Le sénateur Cook: Seriez-vous en faveur de la création d'équipes multidisciplinaires à tous les points d'entrée? Serait-il possible de fusionner les descriptions de tâches pour qu'une seule personne ait toutes les compétences et qualifications voulues pour traiter tous les voyageurs qui entrent au Canada, sans qu'on soit obligé de recourir aux services d'un douanier, d'un agent d'immigration et d'un agent de police? À votre avis, est-ce que ce serait utile?

M. Charette: Le système est déjà structuré ainsi, essentiellement. Les agents des douanes effectuent le travail de contrôle préliminaire relativement à 70 lois différentes. Nous faisons cela au nom du Service d'immigration, de la Commission de l'énergie atomique, d'Agriculture Canada, de Pêches et Océans et de bon nombre d'autres ministères. Si nous trouvons de la viande, par exemple, nous allons vous renvoyer au responsable d'Agriculture Canada; si vous êtes malade, nous vous enverrons au Service d'immigration ou, si vous êtes résident canadien, à Santé Canada.

Tout dépend de ce qu'observe et de ce que voit l'agent des douanes. Il y a plusieurs réactions possibles. Vous ne disposez que d'environ 30 secondes pour prendre votre décision finale.

Le sénateur Cook: C'est ça que j'essaie de comprendre. Vu cette réalité, pourquoi ne bénéficiez-vous pas de formation multidisciplinaire, de façon à connaître les responsabilités des autres intervenants du système? Serait-il possible d'appliquer un protocole différent à la frontière?

M. Charette: En théorie, tous les douaniers ont besoin de ce type de formation, et ils devraient y avoir accès. Pendant les années 90, le problème qui s'est posé était un problème de main-d'oeuvre. À un moment donné, le nombre d'agents en poste coïncidait parfaitement avec le nombre d'agents qu'il fallait affecter à la ligne, si bien que nous ne pouvions plus nous permettre de les envoyer à la formation. C'est pour cela que nous indiquons dans notre annexe que nous connaissons depuis toujours un problème de manque de personnel et qu'il faut accroître l'effectif de 15 p. 100, ne serait-ce que pour être en mesure de remplacer les personnes qui doivent être formées pour acquérir les compétences et les connaissances relatives aux responsabilités des autres organismes et ministères dont vous parliez tout à l'heure.

Le sénateur Cook: Ne faudrait-il pas au moins prévoir le même protocole ou description de tâche pour les douaniers et les agents d'immigration?

M. Charette: Non, pas tout à fait. Nous exécutons seulement une partie de leurs tâches à titre de premier point de contact avec les voyageurs. En posant des questions, nous arrivons à déterminer que telle personne doit être renvoyée au Service d'immigration, et c'est ça qu'on fait. En même temps, il nous faut recevoir une formation adéquate pour que les agents puissent déterminer plus facilement et plus rapidement quelles personnes doivent être adressées au Service d'immigration. Voilà ce qui manque actuellement. L'étude d'EKOS indiquait qu'au début des années 90, nous n'avions pas réussi à détecter 50 000 cas de ce genre au cours d'une période d'un mois.

La vice-présidente: Sénateurs, je vous demande de poser de brèves questions, dans la mesure du possible. Merci.

Le sénateur Roche: Monsieur Charette, vous avez clairement indiqué que le système de contrôle frontalier ne marche pas très bien à l'heure actuelle. Vous vous présentez devant le comité aujourd'hui pour demander - à juste titre - qu'on vous fournisse de plus amples ressources, votre manque de ressources étant une question qui suscite énormément de préoccupations au sein du comité. À votre avis, le projet de loi C-11 présente-t-il des avantages du point de vue de sa capacité de répondre à vos préoccupations? Êtes-vous en faveur du projet de loi C-11, ou souhaitez-vous qu'on y apporte certains changements?

M. Charette: Le contenu du projet de loi C-11 n'est pas vraiment un sujet de préoccupation pour nos membres, puisque nous exécutons les dispositions de la loi telles qu'elles existent et en fonction des instructions que nous recevons à cet égard. Par contre, il nous semble indispensable, à la lumière notamment des modifications que propose ce projet de loi, que nos membres soient bien formés pour être en mesure de bien faire respecter les exigences de la législation. C'est particulièrement le cas des étudiants, qui ne bénéficient pour l'instant que de deux semaines de formation. Cette situation nous préoccupe au plus haut point.

Nous avons un protocole d'entente avec les autres ministères et organismes que nous représentons. Les protocoles d'entente, tels qu'ils sont actuellement formulés, prévoient que les seuls à pouvoir exercer ces fonctions sont des inspecteurs ou des agents des douanes. Ces protocoles ne font aucunement mention de la possibilité que des étudiants ayant reçu seulement deux semaines de formation remplacent des agents des douanes. Cela nous inquiète beaucoup.

Le sénateur Roche: Vous avez parlé tout à l'heure du sénateur américain qui a brandi une balise routière orange pendant les audiences. Je suppose que nous avons tous vu cela à la télévision. Est-ce vrai tout ça? Autrement dit, à ces points de passage frontaliers très éloignés, se contentent-ils de placer une balise orange au milieu de la route à 22 heures, quand tout le monde rentre à la maison? Qu'est-ce qui empêcherait quelqu'un de contourner cette balise et de traverser la frontière? Qu'est-ce qui empêcherait quelqu'un de faire ça?

M. Charette: Pas grand-chose, en fait. Du côté américain, à certains postes, ils ont du matériel de détection et ils ont des activités de surveillance. Mais du côté canadien, rien n'empêcherait quelqu'un de faire ce que vous dites. La GRC fait des patrouilles, et il est donc possible que des agents interceptent des personnes qui essaient de passer la frontière. Mais comme nous le savons tous, le nombre de patrouilles a également été réduit de façon importante.

À part les agents de la GRC qui peuvent être sur place, il n'y a vraiment rien qui empêcherait quelqu'un d'entrer au Canada de cette manière.

Le sénateur Roche: Est-ce pour cette raison que vous demandez qu'il y ait des patrouilles 24 heures sur 24?

M. Charette: Oui.

Le sénateur Roche: En ce qui concerne les armes à feu, vous préconisez le port d'armes par les agents affectés à la LIP. À mon avis, cela risque d'ouvrir une véritable boîte de Pandore. Êtes-vous au courant d'incidents où le fait que l'agent n'était pas armé aurait nui aux intérêts canadiens? Est-ce que cela aurait permis à quelqu'un de s'évader? Quels sont les faits qui militent en faveur du port d'arme?

M. Charette: Comme d'autres témoins, je me permets de vous citer l'exemple de Nina DeVilliers, qui a été assassinée par quelqu'un dont a refusé l'entrée à la frontière américaine, mais qui a réussi à entrer au Canada malgré le fait qu'il était armé.

Les inspecteurs des douanes ne sont pas armés. Évidemment, la sécurité des agents est une considérable primordiale. Si un inspecteur estime que sa sécurité pourrait être menacée de quelque façon que ce soit, conformément aux instructions que nous avons reçues, il doit laisser entrer l'intéressé et essayer ensuite de le faire intercepter un peu plus loin par la GRC, la police locale ou la police provinciale. De toute évidence, dans le cas en question, cette stratégie a échoué.

Nous ne savons pas combien de personnes de ce genre seraient susceptibles d'opposer une résistance ou de réagir de façon excessive. Ce que nous savons, c'est que nous sommes des agents de la paix, et nous voulons bien faire notre travail. Mais cela ne veut pas dire qu'il faut fermer les yeux sur la situation et se contenter de dire aux gens qui nous semble suspects: «Allez-y; passez» et dès qu'ils ont le dos tourné, prendre le téléphone pour appeler la police. Ce n'est pas une bonne stratégie. Ou alors nous appliquons la loi, ou alors nous ne l'appliquons pas. De toute évidence, nous ne l'appliquons pas actuellement.

Le sénateur Roche: Cependant, il me semble que la formation supplémentaire qu'il faudrait donner aux agents pour leur apprendre à bien se servir d'une arme à feu, et des munitions, et cetera, compliquerait énormément un système qui manque gravement de ressources; dans cette logique, il semble préférable de prévoir plus de personnel, plutôt que de donner des armes à feu aux agents qui sont déjà en poste.

M. Charette: Sénateur, nous confisquons des milliers d'armes chaque année à la frontière. Tous nos agents ont suivi un cours sur le maniement des armes à feu. Nous confisquons des armes et des munitions. Dans certains cas, nous confisquons des armes qui sont chargées. D'ailleurs, il y a quelques semaines, une arme a été accidentellement déchargée. Un étudiant essayait d'enlever les balles d'un pistolet. Il l'a déchargée par inadvertance. Il va sans dire qu'on n'aurait jamais dû demander à un étudiant de faire ce genre de chose. Voilà ce qui nous semble très inquiétant.

Le sénateur Di Nino: Monsieur Charette, j'ai quelques très brèves questions à vous poser. Depuis le 11 septembre, le ministre a déclaré - et vous me corrigerez si je me trompe - que vous êtes maintenant en état de grande alerte. J'aimerais que vous nous expliquiez ce terme. J'aimerais également que vous nous indiquiez quelle formation vous avez reçue ou êtes en train de recevoir concernant le traitement de substances telles que l'anthrax ou d'autres qui pourraient être encore plus dangereuses?

M. Charette: En ce qui concerne l'anthrax, il me semble qu'un document nous a été envoyé à ce sujet cette semaine. Notre comité de la santé et de la sécurité en a discuté pendant la fin de semaine. Mais j'ignore la teneur du document en question. Par contre, un de nos vice-présidents nationaux m'accompagne aujourd'hui. Il pourrait peut-être vous dire ce qu'il en est, puisqu'on lui a fourni une copie de la documentation qu'il a pu analyser avec les autres membres du comité. Malheureusement, je n'ai pas pu en prendre connaissance jusqu'à présent.

Le sénateur Di Nino: Je trouve cela très surprenant. Est-ce que j'ai bien compris que les personnes qui sont chargées de protéger nos frontières n'ont pas reçu de formation sur la façon de traiter des substances qui peuvent être mortelles? C'est bien cela que vous nous dites? Je ne veux pas vous faire dire des choses que vous n'avez pas dites, mais si c'est vrai, c'est tout à fait inadmissible.

M. Charette: Un cours de formation a été dispensé au collègue de Rigaud. Cependant, c'était assez limité et il ne portait pas sur le traitement de substances comme l'anthrax ou sur le genre de situation qui existe à l'heure actuelle.

Le sénateur Di Nino: Quand le ministre dit que vous êtes en état de grande alerte, qu'est-ce que cela veut dire au juste? Est-ce que c'est juste des grands mots?

M. Charette: Être en état de grande alerte signifie que nous allons interroger essentiellement 100 p. 100 des personnes qui se présentent à un poste frontalier tant que cet état d'alerte sera en vigueur. Le nombre a baissé depuis. Cela signifie également que nous devons examiner le contenu de tous les véhicules qui traversent la frontière. De même, nous avons dû faire appel à la GRC, à la police provinciale et aux forces de police locales à la frontière pour éviter de faire passer des gens que nous allons arrêter plus tard. Grâce à l'aide des agents de police, nous pouvons les arrêter immédiatement. L'absence de cette possibilité nous inquiète aussi.

Nous aimerions pouvoir faire cela nous-mêmes. Nous voudrions avoir accès à des cellules de détention, pour pouvoir exécuter nous-mêmes ces fonctions. Mais si la personne est armée, il est évident que si nous sommes munis seulement de gaz poivré et de matraques, nous ne serons pas en mesure de jouer ce rôle. Nous devrons les faire passer, conformément à nos instructions, et appeler la police après leur départ.

Le sénateur Di Nino: Ce n'est pas très rassurant, monsieur Charette. Mais comprenez-moi bien: ce n'est pas vous ou vos membres que je critique. Je pense que vous êtes des victimes, comme tous les autres.

Le sénateur Rompkey: J'ai une petite question à poser. Dans vos témoignages tout à l'heure, vous avez parlé de manifeste de passagers. Pour les vols d'arrivée, recevez-vous un manifeste de passagers? Aux aéroports, êtes-vous prévenus à l'avance du nom des passagers? Je sais que certaines personnes font l'objet de profils que vous gardez dans vos bases de données. Êtes-vous en mesure de savoir à l'avance s'il y a des gens qui arrivent qui correspondent à vos profils?

M. Charette: Non, pas pour le moment. Lorsque le projet de loi S-23, dont la Chambre des communes est actuellement saisie et qui va bientôt passer l'étape de la troisième lecture, aura été adopté, nous aurons cette possibilité. Ce projet de loi nous autorisera à le faire.

Le sénateur Rompkey: À ce moment-là, vous allez recevoir les manifestes de passagers?

M. Charette: Oui. Toutes les compagnies aériennes devront nous les fournir. Je vous expliquais tout à l'heure que plus des deux tiers des 130 personnes qui seront recrutées auront pour travail d'examiner les manifestes et de déterminer quelles personnes devraient ou ne devraient pas être admises au Canada.

Pour les compagnies aériennes, la priorité est de transporter les gens d'un point à l'autre, et non de vérifier leur identité. Donc, rien ne garantit que l'information saisie par leurs systèmes sera exacte. Par exemple, j'ai remarqué aujourd'hui que mon nom de famille, Charette, est écrit avec deux R. Mais mon nom à moi s'écrit avec un seul R. S'il y a une erreur de ce genre sur le manifeste des passagers, j'arriverai à passer.

[Français]

Le sénateur Robichaud: Je crains les armes à feu. Malgré celles-ci, vous rendez des services inestimables au pays. Vous dites que vous avez besoin de plus de ressources. Vous faites quand même un travail remarquable, ce à quoi nous nous attendons d'ailleurs.

Une fusillade dans un poste frontalier, où beaucoup de gens circulent, pourrait rapidement créer un état de panique générale et occasionner des pertes de vie ou des blessés. Ne serait-il pas préférable, en cas de doute, d'aviser la police afin que l'arrestation de personnes suspectes se fasse ailleurs?

M. Charette: Cette inquiétude est valable. Nous pensons que si tous les douaniers étaient armés, personne n'oserait utiliser d'arme ou essayer de nous intimider, craignant une réaction immédiate de notre part.

Cela arrive souvent aux douanes. La consigne veut que si un colosse de six pieds veut traverser la frontière, nous devons le laisser passer. Les personnes de ce genre ne sont pas toujours armées. Ces personnes arrivent à la frontière, et parce qu'elles connaissent le système, elles peuvent essayer d'intimider une personne qui leur semble frêle, qui est seule, et lui dire: «Je passe. C'est pas toi qui va m'arrêter!» Que cet individu soit armé ou non, il faut le laisser passer.

Le sénateur Robichaud: Mais si le douanier est armé, il va lui sommer d'arrêter?

Le sénateur Morin: Si l'individu ne s'arrête pas malgré l'ordonnance, allez-vous tirer?

M. Charette: Non.

Le sénateur Morin: Cela sert à quoi d'être armé à ce moment?

M. Charette: La personne sera consciente que nous pouvons prendre des mesures additionnelles. Nous pouvons tirer un coup dans les jambes en guise d'avertissement. Cela permettrait d'arrêter la personne jusqu'à l'arrivée des policiers. Cela ne veut pas dire que nous allons tirer sur tout le monde.

Selon une étude publiée par Revenu Canada au milieu des années 1990, 78 p. 100 de la population est sous l'impression que les douaniers canadiens sont armés. Il y a une très bonne raison pour cela. Lorsqu'ils traversent la frontière en direction des États-Unis, ils voient que les douaniers américains sont armés.

Le sénateur Robichaud: Dans combien de situations vous servir d'une arme à feu aurait facilté votre travail?

M. Charette: Je ne peux pas vous le démontrer. Cela arrive assez souvent dans les petits postes de douanes.

Le sénateur Robichaud: La majorité de vos membres serait-elle d'accord pour porter des armes?

M. Charette: Oui.

Le sénateur Robichaud: Ce n'est pas hypothétique?

M. Charette: Non. Lors d'une étude faites en 1991, 85 p. 100 des membres avaient répondu «oui» au port d'arme, mais sur une base volontaire. Cela créait une situation difficile. Nous avons donc fait un nouveau sondage qui a démontré clairement que la majorité de nos membres désirait que nous continuions à demander le port d'arme. Je reçois régulièrement des courriels des membres à cet effet.

Le sénateur Robichaud: Est-ce que cela deviendrait une condition d'emploi?

M. Charette: Nous n'aurions pas de choix.

Le sénateur Robichaud: Je vous encourage à trouver d'autres façons que celle du port d'arme.

[Traduction]

La vice-présidente: Monsieur Charette, je vous remercie au nom des membres du comité pour votre excellent exposé et d'avoir répondu à toutes les questions des sénateurs. Je me souviens d'avoir été présente à une audience de comité il y a trois ou quatre ans lorsque la question des armes à feu a été abordée.

Le comité poursuit ses travaux à huis clos.


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