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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 45 - Dixième, onzième, douzième, treizième et quatorzième rapports du comité


Le mardi 11 décembre 2001

Le Comité permanent sénatorial des Affaires sociales, des sciences et de la technologie a l'honneur de présenter son

DIXIÈME RAPPORT

Votre Comité a été autorisé par le Sénat le 1er mars 2001 à étudier pour en faire rapport l'état du système de soins de santé au Canada.

Conformément à l'article 2:07 des Directives régissant le financement des comités du Sénat, la demande de budget présentée a été imprimée dans les journaux du Sénat le 24 avril 2001. Le 16 mai 2001, le Sénat a approuvé un déblocage de fonds de 5 000$ au comité. Le 13 juin 2001, un déblocage additionnel de fonds de 278 000$ a été approuvé par le Sénat.

Le rapport du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration recommandant un déblocage additionnel de fonds est annexé au présent rapport.

Respectueusement soumis,


Le mardi, 11 décembre 2001

Le Comité permanent sénatorial des Affaires sociales, des sciences et de la technologie a l'honneur de présenter son

ONZIÈME RAPPORT

Votre Comité a été autorisé par le Sénat le mardi 24 avril 2001 à examiner pour en faire rapport l'état de la politique fédérale sur la préservation et la promotion de l'esprit communautaire et du sentiment d'appartenance au Canada.

Conformément à l'article 2:07 des Directives régissant le financement des comités du Sénat, la demande de budget présentée a été imprimée dans les journaux du Sénat le 16 mai 2001. Le 13 juin 2001, le Sénat a approuvé un déblocage de fonds de 4 000$ au comité.

Le rapport du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration recommandant un déblocage additionnel de fonds est annexé au présent rapport.

Respectueusement soumis,


Le vendredi 14 décembre 2001

Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a l'honneur de présenter son

DOUZIÈME RAPPORT

Votre comité, auquel a été déféré le Projet de loi S-12, Loi modifiant la Loi sur la statistique et la Loi sur les Archives nationales du Canada (documents de recensement), conformément à l'ordre de renvoi du mardi 27 mars 2001, a étudié ledit projet de loi et en fait maintenant rapport sans modifications.

Ont été jointes en annexe au présent rapport les observations de votre Comité sur le Projet de loi S-12.

Respectueusement soumis,

ANNEXE

Le projet de loi S-12, Loi modifiant la Loi sur la statistique et la Loi sur les Archives nationales du Canada (documents de recensement),

Observations du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie

Durant ses délibération sur le projet de loi S-12, le Comité a entendu diverses opinions concernant les modifications proposées à la Loi sur la statistique et à la Loi sur les Archives nationales du Canada. Ces modifications entraîneraient le transfert de tous les documents des recensements relatifs à la population et à l'agriculture de Statistique Canada aux Archives nationales du Canada et les rendraient accessibles au public après 92 ans. Jusqu'au recensement de 1901 inclusivement, les documents ont déjà été mis à la disposition de la population mais ceux des recensements subséquents ont été exclus en raison de l'interprétation des dispositions de confidentialité en rapport avec la collecte des données de recensement. L'interprétation de ces dispositions, qu'on retrouve dans les textes législatifs à partir de la Loi sur la statistique de 1918 et dans des règlements et directives avant cette date, a fait l'objet d'un débat parmi les témoins.

La plupart préconisent une certaine mesure prévoyant l'ouverture éventuelle des dossiers. D'après ce que le Comité a entendu, sans cette communication, les historiens perdraient d'importantes données sur notre patrimoine national et les personnes intéressées à la généalogie seraient privées de renseignements essentiels sur leurs ancêtres. On a également fait valoir que d'autres pays publiaient automatiquement leurs documents de recensement après une période désignée; par exemple, les États-Unis et la Grande-Bretagne ouvrent leurs dossiers après 100 ans et 72 ans respectivement. Au Canada, les documents antérieurs à 1901 se sont révélés d'une importance pratique : des témoins ont parlé de leur utilisation par les Métis de Sault Ste. Marie pour faire valoir leurs droits de chasse historiques devant les tribunaux ontariens.

Cependant, les partisans d'une publication des documents de recensement historiques n'avaient pas la même idée sur la pertinence du projet de loi S-12 à l'égard des problèmes de confidentialité. Certains étaient d'avis que la population ne s'inquiète tout simplement pas de la publication de ces données, notant qu'il n'y a eu aucune plainte concernant la diffusion des documents canadiens antérieurs à 1901 ou de ceux de Terre-Neuve avant 1949. Par ailleurs, on a fait remarquer que le projet de loi pourrait rendre publics des renseignements de nature médicale ou génétique, ce qui risquait d'affecter les parents ou les descendants du répondant. Il a été suggéré par un témoin que l'industrie des assurances pourrait se servir de l'information pour prendre des décisions sur la couverture à offrir. On a toutefois fait remarquer que plusieurs maladies graves mais évitables sont également de nature génétique et que, grâce à un arbre généalogique précis, elles peuvent faire l'objet d'un traitement précoce et même de mesures de prévention.

Le projet de loi S-12 donne le droit de s'opposer à la divulgation de ses propres données de recensement, mais le mécanisme envisagé exige que la personne présente une demande à l'archiviste national 91 ans après la collecte des données. En admettant que l'individu soit encore vivant, l'opposition ne serait valide que si l'archiviste estime injustifiée la communication des renseignements.

Le Comité a par ailleurs entendu une solution de compromis de Statistique Canada, selon laquelle l'accès serait plus limité que ne le prévoit le projet de loi S-12. L'accès aux documents de recensement historiques ne viserait que la recherche généalogique sur sa propre famille et la recherche historique. Seuls les membres de la famille (ou leurs mandataires) et les chercheurs qui effectuent des études historiques (projets de recherche soumis au Conseil de recherches en sciences humaines pour évaluation par les pairs) auraient accès aux dossiers. Les chercheurs auraient un accès illimité, mais ne pourraient rendre publics que les renseignements suivants : nom, âge, adresse, état matrimonial et lieu de naissance. Qui plus est, les personnes qui consultent les documents devraient signer un engagement ayant force exécutoire, attestant qu'elles acceptent ces conditions.

Le Comité a examiné le rapport du Comité d'experts sur l'accès aux dossiers historiques du recensement, constitué en 1999 pour étudier la question de la diffusion. Le Comité d'experts en est arrivé à la conclusion qu'aucune garantie perpétuelle de confidentialité n'était censée couvrir les documents de recensement. Toutefois, il a mis en garde contre la communication des dossiers créés après l'entrée en vigueur de la Loi de la statistique de 1918, car la population peut percevoir la publication de ces données comme la révocation d'une garantie donnée par le gouvernement. C'est là également la principale inquiétude de Statistique Canada. L'organisme tient en ce moment des assemblées publiques dans tout le pays afin de savoir si la publication des dossiers vieux de 92 ans pourrait atténuer la collaboration lors de recensements futurs.

Malgré l'obligation de répondre prévue par la Loi sur la statistique, Statistique Canada compte sur la collaboration du public et se préoccupe par conséquent du maintien de l'intégrité du système statistique canadien. L'intégrité de Statistique Canada repose sur son aptitude et son efficacité à respecter ce que les hauts fonctionnaires ont appelé sa « promesse inconditionnelle de confidentialité ». Selon un sondage mené par la firme Environics, les Canadiens s'inquiètent de ce que, si une mesure législative telle que le projet de loi S-12 était adopté, leur collaboration à l'occasion des recensements pourrait en être affectée.

En résumé, plusieurs témoins et membres du Comité étaient en faveur de la diffusion des documents de recensement historiques après 92 ans, mais ne s'entendaient pas sur la pertinence de la protection offerte par le projet de loi S-12. Certains membres préférant la solution de compromis au processus décrit dans le projet de loi, celui-ci a été adopté avec dissidence.


Le vendredi 14 décembre 2001

Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a l'honneur de déposer son

TREIZIÈME RAPPORT

Votre comité, auquel a été déféré la teneur du Projet de loi S-21, Loi visant à garantir le droit des individus au respect de leur vie privée, conformément à l'ordre de renvoi du jeudi 26 avril 2001, a examiné ladite teneur du projet de loi et en fait maintenant rapport comme il suit:

Contexte

Au cours des audiences qu'il a tenues sur le contenu du projet de loi S-21, Loi visant à garantir le droit des individus au respect de la vie privée, le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a entendu plusieurs témoins qui se sont prononcés sur le concept de Charte du droit à la vie privée, telle qu'elle est présentée dans le projet de loi. Les témoins ont également traité de la teneur de divers articles avant d'en décrire les effets éventuels.

La sénatrice Sheila Finestone, marraine du projet de loi, a tout d'abord affirmé que la réaction du Canada aux événements tragiques survenus le 11 septembre aux États-Unis devait être inspirée par des principes démocratiques, notamment l'importance du droit à la vie privée. Elle a fait valoir que, si le droit à la vie privée est un droit fondamental, il n'en est pas pour autant absolu ou inflexible. Conformément au premier article de la Charte canadienne des droits et libertés, il peut être restreint par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. La sénatrice Finestone a expliqué que le projet de loi a été conçu de manière à établir un droit explicite à la vie privée - ce que la législation canadienne ne prévoit pas encore - tout en concrétisant le principe selon lequel la vie privée est essentielle à la dignité, l'intégrité, l'autonomie, le bien-être et la liberté des individus ainsi qu'à l'exercice plein et significatif des droits et libertés de chacun. Elle a décrit comment le projet de loi s'appliquerait aux personnes et matières qui relèvent de l'autorité législative du Parlement en les protégeant contre, par exemple, la discrimination génétique et la surveillance. La sénatrice a fait remarquer que le projet de loi primerait sur toute autre mesure législative ordinaire et appellerait un examen de la législation fédérale actuelle ainsi que de toute nouvelle loi visant à assurer leur conformité avec le projet de loi. Il lui a semblé illogique de ne pas toucher aux dispositions législatives existantes, car cela reviendrait à accorder aux mesures législatives antérieures à la Charte une immunité spéciale et injustifiée.

Le conseiller de la sénatrice Finestone, le spécialiste du droit à la vie privée Eugene Oscapella, a fait remarquer que le projet de loi pourrait constituer un modèle à l'aide duquel évaluer les exigences comme celle de porter une carte d'identité. Il a traité d'autres atteintes à la vie privée pour lesquelles il faudrait instaurer une charte du droit à la vie privée, notamment en matière de restriction de l'utilisation du chiffrement électronique et de l'accès au courriel ou à Internet par des organismes gouvernementaux. M. Oscapella a fait valoir que, parce que la protection au cas par cas par la Charte canadienne des droits et libertés n'est pas assurée, il serait bon que l'on puisse recourir à une Charte du droit à la vie privée.

La sénatrice Finestone a répondu directement aux critiques concernant le projet de loi S-21. Selon certains, le projet de loi changerait la notion que quiconque est libre d'agir à moins que ses actions ne soient interdites par la loi et instaurerait la notion que les individus ne seraient libres d'agir que si l'atteinte du droit à la vie privée d'un individu est jugée légitime. La sénatrice a refusé cette interprétation, mais était disposée à remanier le projet de loi pour que celui-ci mentionne qu'une atteinte au droit à la vie privée serait justifiable si elle ne transgresse pas la loi. Pour d'autres, le projet de loi saperait le travail des organismes d'application de la loi, dont les activités et les normes ont déjà été approuvées par le Parlement, ou par des tribunaux par le truchement du common law, sans faire l'objet d'un examen aux termes du projet de loi S-21. La sénatrice a convenu que c'était possible, mais s'est dite confiante que les tribunaux seraient en mesure de maintenir l'équilibre actuel entre les atteintes à la vie privée justifiées par des organismes d'application de la loi et le droit des individus à la vie privée. À ceux qui ont suggéré que le projet de loi S-21 mènerait à un nombre excessif de procès, elle a répondu que les déclarations de droit devaient comporter des recours en cas de violation de ces droits. Après avoir présenté le projet de loi au Sénat - auquel aucun projet de loi de finances ne peut être introduit - elle n'a pas été en mesure de confier la responsabilité de l'application du projet de loi au commissaire à la protection de la vie privée. Elle a toutefois suggéré que ce projet de loi pourrait être amendé à la Chambre des communes de manière à confier au commissaire à la vie privée un rôle dans la résolution des litiges.

La spécialiste du droit à la vie privée Valerie Steeves a présenté des arguments supplémentaires en faveur du projet de loi S-21 et des principes qu'il incarne. Elle a laissé entendre que le Canada dispose d'un ensemble de mesures disparates en matière de législation sur la protection des renseignements personnels et que ce qu'il lui faut c'est une déclaration générale de principe. Elle a énuméré les quatre angles sous lesquels le respect de la vie privée peut être envisagé et qui émanent de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada ainsi que des recherches universitaires sur la question : la vie privée comme droit fondamental, comme valeur sociale, comme valeur démocratique et comme composante essentielle de la protection des données. Mme Steeves a expliqué comment chacun de ces points de vue a contribué à l'évolution des mécanismes stratégiques de protection de la vie privée - le Code criminel, la Charte, des lois particulières - et que pourtant ce processus s'est déroulé sans l'appui ni l'orientation d'aucun principe de fond. Nous nous retrouvons donc désormais avec un ensemble disparate de mesures de protection mais sans aucun langage commun sous-jacent.

Mme Steeves estime que le projet de loi S-21 pourrait fournir ce fondement commun, car il nous ramènerait au premier principe en s'attachant à la vie privée comme droit fondamental. Elle a fait remarquer que nous avons le choix de recourir au langage des droits de la personne ou au langage de l'efficience et de la responsabilité financière. Elle a laissé entendre que, si nous utilisions ce dernier, il serait beaucoup plus facile de sacrifier la vie privée au nom de la commodité, tandis que si nous utilisons le langage des droits de la personne le débat porterait sur les principes de la liberté démocratique. Pour elle, le Canada sera en meilleure posture pour s'attaquer à la réglementation de la vie privée en matière génétique et médicale, ainsi que pour ce qui est du terrorisme et des crimes haineux si nous recourions à ce second langage.

Mme Steeves a reconnu le rôle essentiel que joue le commissaire à la vie privée dans ce pays, tout en signalant que toutes les questions de vie privée ne passent pas nécessairement par son bureau. Il est donc à son avis nécessaire d'établir un énoncé de principe général sur la vie privée. Elle a suggéré d'éliminer les articles 4, 5 et 6 du projet de loi, critiqués par le commissaire à la vie privée et Justice Canada, pour les remplacer par un libellé inspiré de la Déclaration canadienne des droits, qui confère aux tribunaux le pouvoir de vérifier si les autres lois fédérales respectent ses principes.

Le commissaire à la vie privée fédéral appuie l'esprit du projet de loi S-21, car celui-ci constitue un cadre permettant d'évaluer les lois actuelles et futures à la lumière des droits à la vie privée, la Loi sur la protection des renseignements personnels présentant une lacune importante à cet égard. La Loi présente une autre lacune, puisqu'elle n'a pas préséance. Il a appuyé la notion de primauté du projet de loi S-21, selon lequel toute loi existante et future doit respecter les droits à la vie privée.

Le Commissaire s'inquiétait essentiellement des articles 4 et 5, selon lesquels quiconque estime que le gouvernement fédéral ou un organisme du secteur privé sous réglementation fédérale viole ses droits à la vie privée pourrait intenter des poursuites. Il a fait remarquer qu'il existe actuellement un processus pour ce type de situation: le Commissaire à la vie privée. Il a fait valoir que le projet de loi S-21 créerait un processus parallèle accompagné d'un ensemble de décisions parallèles sur les mêmes questions. Il a dit craindre que cela ne crée un recueil dangereux de décisions conflictuelles. Il a signalé que ce processus serait onéreux pour l'État et pour le secteur privé et qu'il soulèverait la question de savoir quelles décisions priment.

Le Commissaire à la vie privée a également indiqué que le projet de loi S-21 est présenté comme s'il n'existait aucune législation en matière de protection des renseignements personnels au Canada. À son avis, cela pourrait créer des problèmes de crédibilité de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques et pourrait menacer l'efficacité des autres lois sur le respect des renseignements personnels. Il estime par ailleurs que le régime législatif actuel protège adéquatement les droits à la vie privée des Canadiens dans les situations qui tombent sous le coup de la juridiction fédérale et s'est dit confiant que les outils législatifs en place répondent aux préoccupations exprimées, notamment à propos des renseignements personnels d'ordre médical.

L'avocate générale principale de la Section des politiques en matière de droit public du ministère de la Justice a estimé que l'approche adoptée dans le projet de loi S-21 constituait un point de référence novateur pour le travail que le gouvernement effectuera sur la protection de la vie privée et a déclaré appuyer le préambule et l'énoncé de principe du projet de loi. Elle a expliqué que le ministère avait néanmoins plusieurs réserves importantes ay sujet du projet de loi S-21 sous sa forme actuelle.

De l'avis du ministère de la Justice, le projet de loi S-21 devrait soulever bien des incertitudes et pourrait entraver bon nombre de programmes et de politiques publiques, car il met en doute la légitimité des régimes d'application de la loi en vigueur qui se conforment à la Charte canadienne des droits et libertés et des autres lois pertinentes. Certains ont également dit que l'application du projet de loi pouvait être problématique. Par exemple, les individus qui se livrent à certaines activités, comme la surveillance de leurs propres biens, pourraient être passibles de poursuites en vertu du Code criminel. Le ministère a estimé que, même si le projet de loi S-21 est amendé pour restreindre l'application de la loi aux organismes fédéraux et aux institutions gouvernementales, les ministères fédéraux auraient toujours de la difficulté à assumer leur mandat pour ce qui est des activités comme la surveillance des biens et, éventuellement, la sécurité.

Le ministère s'est demandé si ce serait le gouvernement fédéral ou le gouvernement provincial ou les deux ordres de gouvernement qui seraient responsables du point de vue constitutionnel du projet de loi S-21. Certains ont dit également craindre sérieusement que le projet de loi permette de faire ce que bon nous semble, à moins qu'un organe démocratiquement élu n'en décide autrement.

Le projet de loi S-21 pourrait, selon certains, être contraire à l'approche adoptée par les tribunaux pour ce qui est d'appliquer la Charte canadienne des droits et libertés, car il ne serait pas possible pour ces derniers de prendre en compte le contexte pertinent et les valeurs conflictuelles dans de nombreuses situations. Le ministère a estimé qu'il était probable que le projet de loi serait interprété différemment de la Charte canadienne des droits et libertés pour ce qui est d'établir un équilibre entre le droit à la vie privée et l'intérêt public. Étant donné la primauté de cette loi, il faudrait, selon certains, reprendre de nombreux aspects de la loi, ce qui pourrait être très onéreux pour le gouvernement et le secteur privé.

Le ministère n'était pas convaincu que la simple élimination des articles 4, 5 et 6 suffirait à faire du projet de loi un texte fonctionnel. Certains se sont dit très inquiets de ce que l'article 11 prévoie la préséance de ce projet de loi. Le ministère s'est également dit préoccupé de l'interaction entre le projet de loi et la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Charte canadienne des droits et libertés et la Loi sur les langues officielles.

Observations

Le Comité est tout à fait conscient que les droits à la vie privée sont devenus particulièrement fragiles dans le sillage des événements du 11 septembre. Ses observations sont fondées sur le principe que la vie privée est un droit de la personne. Nous reconnaissons que le fait qu'il soit mentionné dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et le Pacte international relative aux droits civils et politiques est un signe manifeste qu'il constitue un droit méritant le plus haut respect. Nous comprenons l'idée de légiférer un énoncé de principe en matière de respect de la vie privée, notamment un droit à la vie privée. Le Comité loue la sénatrice Finestone pour la vigilance qu'elle a démontrée dans la poursuite de la protection des droits de la personne en cette période d'anxiété et de sécurité accrues.

Le Comité signale qu'il n'y a pas de définition unique et universelle de la protection de la vie privée. Si cette expression signifie en général le droit de ne pas être dérangé, nous estimons qu'il y a néanmoins bien des façons de la définir. Pour certains, c'est la liberté de choisir dans quelles circonstances et dans quelle mesure dévoiler sa vie, son attitude et son comportements à autrui. Pour d'autres, c'est le droit à un espace qui leur est propre, le droit d'avoir mener des communications privées, d'être libres de toute surveillance et de faire respecter l'intégrité de leur corps. Il s'agit pour nous d'interprétations qui sont toutes valides et nous ne voyons pas la nécessité de n'en retenir qu'une.

On nous a dit que l'infrastructure législative existant actuellement au niveau fédéral à propos de la protection de la vie privée est considérée par bien des gens comme un ensemble disparate de mesures de protection. Pour le Comité, il n'y a pas de droit constitutionnel explicite à la vie privée, même si les articles 7 et 8 de la Charte canadiennes des droits et libertés ont été interprétés par la Cour suprême du Canada comme fournissant une protection contre des atteintes déraisonnables à la vie privée. Nous soulignons que la Loi sur la protection des renseignements personnels s'applique exclusivement au secteur public fédéral pour ce qui est seulement de la collecte de données. Dans ce contexte, la Loi limite la collecte, l'utilisation, la divulgation et l'élimination de renseignements personnels détenus par le gouvernement et les organismes fédéraux. Nous estimons également que la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques s'applique au secteur privé sous réglementation fédérale à l'égard de la collecte, l'utilisation et la divulgation de renseignements personnels, mais uniquement dans le contexte d'activités commerciales. Si cette loi s'appliquait aussi aux renseignements personnels d'ordre médical et aux questions provinciales, ce serait encore exclusivement en ce qui concerne les activités commerciales.

On nous a dit, et nous en avons convenu, que le projet de loi S-21 deviendrait une loi générale dont la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, et toute autre loi existante et future spécialisée concernant la vie privée constitueront l'armature; il établit les principes de base en matière de protection de la vie privée au Canada.

Le Comité s'inquiète néanmoins de l'interaction entre le droit à la vie privée, le Code criminel et le fardeau de la preuve et de la manière dont cette interaction évoluera en pratique une fois le projet de loi S-21 devenu loi. Le fardeau de la preuve dans ce contexte fait référence à l'obligation de prouver que les activités auxquelles on s'adonne sont licites, par opposition à faire ce que bon nous semble tant que cela n'est pas illégal. Le paragraphe 5(3) du projet de loi S-21 énonce qu'une atteinte à la vie privée peut se justifier si elle est licite. Il incombera donc à celui qui est responsable de l'atteinte au droit à la vie privée de prouver que cette atteinte était licite. On nous a dit que ceci s'oppose aux lois en vigueur, en vertu desquelles quiconque, y compris la Couronne dans certains cas, est libre d'agir à moins que l'acte en question soit interdit par la loi. On nous a expliqué ce que ce type de fardeau de la preuve inversé n'est utilisé dans nos lois que très rarement et avec beaucoup de précautions. Qui plus est, il est indiqué à l'article 126 du Code criminel que quiconque contrevient à une loi fédérale sans motif licite est coupable d'infraction. Donc, toute atteinte à la vie privée aux termes du projet de loi serait considérée en vertu de l'article 126 comme la violation d'une loi et constituerait donc une infraction, sauf si l'on prouve qu'elle est légitime. Le Comité estime que cet aspect de la loi doit être étudié plus avant.

Le Comité a également certaines préoccupations concernant le rôle du commissaire à la vie privée fédéral relativement au projet de loi S-21. On nous a dit que, parce que le projet de loi établirait un processus de grief distinct de celui prévu par la Loi sur la protection des renseignements personnels, il pourrait y avoir conflit entre décisions rendues, ce qui soulèverait des questions de préséance. Le Comité aimerait que le commissaire à la vie privée participe plus directement à l'application d'une Charte du droit à la vie privée. Nous croyons comprendre qu'un projet de loi faisant intervenir ainsi le commissaire ne peut émaner du Sénat et nous estimons donc que c'est là un autre aspect du projet de loi qui doit être étudié davantage.

Enfin, le Comité est d'avis qu'il faudrait examiner plus sérieusement la suggestion avancée par Mme Steeves de modeler le projet de loi sur la Déclaration canadienne des droits. L'article 3 de cette déclaration exige du ministre de la Justice qu'il examine chaque projet de loi et règlement pour établir si certaines des modalités n'y sont pas conformes. Tout écart doit être communiqué à la Chambre des communes au plus vite. Le Comité signale que l'article 6 du projet de loi S-21 est très similaire à cette disposition, mais que le projet de loi va beaucoup plus loin en établissant un mécanisme aux articles 4 et 5 qui permettrait aux individus de faire appliquer leur droit à la vie privée. De par son libellé, la Déclaration canadienne des droits a pour principal objectif de servir de guide d'interprétation des lois fédérales et d'autoriser les tribunaux à revoir les mesures administratives prises en vertu des lois canadiennes à la lumière des droits et libertés qu'elle reconnaît.

Donc, pour modeler le projet de loi S-21 sur la Déclaration canadienne des droits, il faudrait éliminer les articles 4 et 5. Les tribunaux auraient toujours le pouvoir d'examiner les autres lois fédérales pour vérifier qu'elles cadrent avec les principes établis dans le projet de loi S-21. Le Comité souligne que, au moment de l'entrée en vigueur de la Charte canadienne des droits et libertés, bien des gens s'attendaient à ce que la Déclaration canadienne des droits ne soit plus utile et perde de sa pertinence. Au contraire, les tribunaux s'en sont servis et continuent de le faire pour interpréter et protéger les droits et libertés des particuliers. Après étude et révision, une Charte du droit à la vie privée pourrait avoir la même utilité.

Respectueusement soumis,


Le vendredi 14 décembre 2001

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a l'honneur de déposer son

QUATORZIÈME RAPPORT

Votre Comité, qui a été autorisé le jeudi 1er mars 2001 à examiner les faits nouveaux et à en faire rapport depuis que la sanction royale a été donnée durant la deuxième session de la 36e législature au projet de loi C-6, Loi visant à faciliter et à promouvoir le commerce électronique en protégeant les renseignements personnels recueillis, utilisés ou communiqués dans certaines circonstances, en prévoyant l'utilisation de moyens électroniques pour communiquer ou enregistrer de l'information et des transactions et en modifiant la Loi sur la preuve au Canada, la Loi sur les textes réglementaires et la Loi sur la révision des lois, dépose maintenant son rapport.

Contexte

En novembre 1999, le Comité a tenu des audiences détaillées pour étudier le projet de loi C-6, maintenant appelé Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques 2000, L.C. ch. 5 (ci-après la Loi). Lors de ces audiences, les témoins représentant le secteur de la santé se sont pas prononcés unanimement en faveur de la loi telle que présentée. Leur souci premier concerne la possibilité que la Loi rende plus difficile la tâche de recueillir, d'utiliser et de divulguer des renseignements personnels sur la santé, et donc de pouvoir maintenir un système de santé efficient et efficace.

La Loi impose des obligations aux organisations concernant la collecte, l'utilisation et le divulgation des renseignements personnels dans le cours d'activités commerciales. La responsabilité de la surveillance, de la réparation et de la vérification en vertu de la Loi appartient au commissaire à la protection de la vie privée.

Les obligations réelles créées par la Loi sont contenues dans le Code type de l'Association canadienne de normalisation. Le Code a été incorporé par renvoi au paragraphe 5(1) de la Loi, ce qui lui donne force de loi. Le Code type aurait été le fruit de cinq années de négociations entre intervenants provenant surtout du secteur des affaires; d'après les témoignages recueillis par le Comité en 1999, il semblerait toutefois que le secteur de la santé n'ait pas participé suffisamment à la négociation du Code type et qu'en conséquence celui-ci ne reflète pas les réalités de ce secteur.

Pour cette raison, et en reconnaissance de l'importance et de la complexité des enjeux, le Comité a recommandé de modifier le projet de loi C-6 de manière à soustraire la collecte, l'utilisation et la divulgation des renseignements personnels sur la santé de l'application de la Partie I. Le gouvernement a accepté la recommandation et a modifié le projet de loi avec l'ajout du paragraphe 30(1.1). Ce paragraphe, qui fixait un sursis d'un an, est entré en vigueur le 1er janvier 2001 (SI/2000-29). La Loi commencera dès lors à s'appliquer aux renseignements personnels sur la santé le 1er janvier 2002.

Observations et recommandations

Le Comité sait que des discussions ont cours depuis 1999 entre certains intervenants du secteur de la santé et le gouvernement pour clarifier et résoudre ces questions. Ces discussions n'ont pas abouti à un consensus définitif, bien que des progrès importants aient été accomplis.

L'Institut de recherche en santé du Canada (IRSC) a étudié la problématique dans le cadre de travaux préliminaires et de consultations auprès des intervenants concernés qui ont duré deux ans et ont abouti à des recommandations sous forme de, qu'il a soumis au Comité pour étude (annexe 1). Le Comité a étudié le règlement proposé par l'IRSC et le félicite de son travail. Il appuie l'esprit du projet de règlement. Le Comité est convaincu que le règlement recevra une attention complète et équitable lors de ces discussions, menées dans le cadre approprié.

De même, le Groupe de travail sur la protection de la vie privée - ce forum de discussion est composé de certains intervenants du secteur de la santé - a informé le Comité qu'il avait réussi à réaliser certains progrès vers un consensus dans le secteur en axant la discussion sur les principes sous-jacents au caractère privé des renseignements sur la santé (Annexe 2). La discussion n'a pas débouché sur une position unifiée mais a permis de s'entendre sur plusieurs points et notamment sur un processus pour régler les points en suspens. Le Groupe de travail était toutefois d'avis que le processus nécessiterait la participation active et le leadership du gouvernement fédéral. Toutefois, dans une lettre à l'Association médicale canadienne (annexe 3), le gouvernement a nettement laissé entendre qu'il appartient aux membres du Groupe de travail sur la protection de la vie privée et au commissaire à la protection de la vie privée de régler les problèmes soulevés par le Groupe de travail. Le Comité recommande que les intervenants, le commissaire à la protection de la vie privée et les ministères fédéraux et provinciaux, que préoccupent la prestation, la gestion, l'évaluation et l'assurance-qualité des services de santé poursuivent leurs discussions.

Dans une lettre datée du 20 novembre 2001 et adressée au président du Comité (annexe 3), le commissaire à la protection de la vie privée s'engage à maintenir une surveillance vigilante afin que les renseignements personnels sur la santé soient recueillis, utilisés et divulgués uniquement comme il se doit. À cette fin, il affirme son intention d'interpréter les alinéas 7(2)c) et 7(3)f) de la Loi d'une manière générale, afin de ne pas décourager ni empêcher la recherche sérieuse en santé. Nous avons étudié attentivement l'intervention opportune et judicieuse du commissaire et nous sommes convaincus que la formule qu'il propose apporte l'assurance de protection des droits à la vie privée des individus tout en permettant aux organisations de recueillir, d'utiliser et de divulguer des renseignements personnels à des fins de recherche en santé d'une manière appropriée. Le Comité est cependant d'avis qu'il faudrait néanmoins un règlement tel que ceux proposés par l'IRSC pour clarifier la loi et la rendre plus certaine, et pour garantir que ses objectifs seront atteints sans compromettre la poursuite de recherches importantes visant à améliorer la santé des Canadiens et les services de santé qui leur sont offerts. De plus, des orientations et des directives plus précises s'imposent concernant la prestation, la gestion, l'évaluation et l'assurance-qualité des services de santé.

Le Comité est également conscient que conformément au paragraphe 29(1) de la Loi, la Partie I fera l'objet d'un examen par un comité du Parlement cinq ans après son entrée en vigueur.

Pour toutes ces raisons, le Comité estime qu'il n'est pas justifié pour l'instant d'intervenir davantage. Néanmoins, le Comité a l'intention de suivre attentivement le débat ainsi que les approches et les solutions qui émergeront. Plus important sans doute, il reconnaît qu'il faut aborder la question de la protection des renseignements personnels dans le contexte de l'établissement du dossier de santé électronique Le Comité s'est prononcé ouvertement en faveur de l'établissement du dossier de santé électronique, tout en se disant très conscient des risques que cela peut présenter pour la protection des renseignements personnels sur la santé. Il espère travailler avec toutes les parties intéressées à la recherche d'une solution qui fera la part entre le besoin de protéger les renseignements personnels et le besoin d'établir un dossier de santé électronique.

Respectueusement soumis,

La vice-présidente

MARJORY LEBRETON


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