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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie


Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 48 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 21 février 2002

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie s'est réuni aujourd'hui à 11 h 09 pour étudier l'état situation du système de soins de santé au Canada

Le sénateur Marjory LeBreton (vice-présidente) assume la présidence.

[Traduction]

La vice-présidente: Mesdames et messieurs, ce matin nous entendrons deux groupes de témoins dans le cadre de notre étude du système de soins de santé du Canada. Il s'agit de représentants de la Fédération canadienne des syndicats d'infirmières et infirmiers et de la Coalition canadienne de la santé.

Mme Kathleen Connors, présidente, Fédération canadienne des syndicats d'infirmières et infirmiers: Lors de ma dernière visite, en mai dernier, nous avions eu une discussion assez vive sur la question des ressources humaines en santé. J'avais alors demandé que l'on réinvite les infirmières afin qu'elles puissent venir tracer un portrait plus large des enjeux importants qui se dessinent dans le domaine des soins de santé.

Le régime d'assurance-santé du Canada exprime mieux que toute autre chose, que ce soit dans le secteur public ou privé, les valeurs canadiennes. En effet, notre régime public d'assurance-soins médicaux traduit les valeurs qui importent le plus pour les Canadiens, tant sur le plan personnel que communautaire: prendre soin d'eux-mêmes, de leurs enfants, de leurs partenaires et de leurs parents âgés. Notre système de soins de santé est le moyen que nous avons privilégié pour prendre soin des personnes et des familles dans les villages, les petites et les grandes villes de tout le Canada.

Peut-être que, pour les chefs d'entreprise aguerris et les analystes et arrivistes politiques de tous crins qui s'identifient à eux, ces sentiments nous font paraître bien naïfs. Pour ces gens, les besoins en matière de soins de santé sont vus comme une occasion favorable à exploiter, et quiconque ne voit pas les choses du même oeil est un faible d'esprit doublé d'un imbécile. Leur étroitesse d'esprit les sert peut-être bien dans le monde des affaires, mais n'a pas sa place en tant que forme de politique gouvernementale. Lorsque ces capitaines d'industrie cèdent enfin la place pour prendre leur retraite, ils ne laissent rien derrière eux; leurs sociétés sont englouties et la main-d'oeuvre pour laquelle ils ne manifestaient que peu de loyauté se retrouve souvent dispersée. Leurs supporteurs dans les officines publiques ne laisseront pas de traces de leur passage. Leurs conseils viendront nourrir l'obscurité de l'histoire.

Tommy Douglas, John Diefenbaker et Lester Pearson ont laissé une succession avec laquelle aucun grand financier de Bay Street ne pourra jamais rivaliser. Aujourd'hui, leur héritage sert à donner des soins aux malades et à redonner l'espoir aux affligés, gratuitement et sans discrimination.

Au Canada, les soins de santé sont synonymes de notre responsabilité collective. Ils ne sont pas un privilège conféré avec la naissance ou résultant du succès dans les affaires. Le régime de soins de santé universel, sans frais et sans discrimination traduit bien l'engagement pris par ce pays envers sa population et la qualité de notre démocratie. Ce régime parle également de la qualité de nos chefs et de leur leadership aux diverses époques où ce cadeau a été a été créé, recréé et revitalisé pour notre plus grand bien.

Notre régime de soins de santé est la main tendue par notre nation vers tous les Canadiens qui souffrent. Nous élisons le gouvernement, et nous finançons le régime. Notre gouvernement administre un régime de soins de santé universel et gratuit. Pourquoi? La réponse est simple: parce que nous sommes Canadiens.

Dans les années 80 et 90, le président de Chrysler, Lee Iacocca, lançait des anathèmes contre les coûts que les entreprises devaient assumer pour les soins de santé privés aux États-Unis. Il disait que ces soins de santé revenaient plus cher à Chrysler que l'acier. Il faisait aussi remarquer que Chrysler n'avait pas à assumer ce fardeau au Canada.

Nous sommes d'avis qu'au Canada, les grandes sociétés, à l'exception de celles qui oeuvrent dans le domaine des soins de santé, ont une attitude irresponsable à l'égard du régime d'assurance-soins médicaux. Non, il ne s'agit pas d'une objection de bien-pensant. Il est évident que ces sociétés se montrent irresponsables envers leurs propres actionnaires.

Les entreprises n'ont orchestré aucune campagne en vue de faire pression pour protéger ce qui, en réalité, permet aux sociétés qui exercent leurs activités au Canada d'économiser des milliards de dollars chaque année. Si le régime d'assurance-santé est privatisé au cours de la prochaine décennie, qui ramassera la facture pour les coûts inhérents à la prestation de soins de santé aux employés de ces grandes entreprises dans ce pays?

Est-ce que ces chefs d'entreprises croient vraiment qu'ils pourront éviter de payer des centaines sinon des milliers de dollars en prestations pour soins de santé pour chaque employé? Les entreprises de haute technologie n'y couperont pas elles non plus. Elles devront pouvoir offrir des régimes de soins de santé concurrentiels si elles veulent attirer et retenir leurs employés.

Si le régime d'assurance-santé est privatisé, complètement ou en partie, dans quelle mesure ces nouveaux coûts viendront-ils ouvrir une brèche dans la productivité de l'entreprise? Quelle sera l'incidence sur notre économie? Si le régime public d'assurance-santé est privatisé, il est peu vraisemblable qu'il en coûtera moins cher pour le gouvernement non plus.

Voilà la raison pour laquelle nous pensons que les actionnaires devraient poser ces questions lorsque l'on cite M. Iaococca lors des assemblées annuelles. Les fiscalistes et les comptables s'enrichiront sur le dos de la réduction ou de l'élimination du régime de soins médicaux, mais une fois que l'on aura établi le total des coûts pour le secteur public et privé, les coûts des soins de santé, loin de s'amenuiser, risquent plutôt de monter en flèche.

Dans un rapport établi pour la Kaiser Family Foundation, en juin dernier, l'Institute for Health Care Research and Policy de la Georgetown University est arrivé à la conclusion que:

le marché des assurances-maladie individuelles est imprévisible, incohérent et onéreux.

Dans quelle mesure est-il onéreux? Un proposant à l'assurance-maladie en parfaite santé devrait payer en moyenne près de 3 000 $ par année.

Madame la présidente, mesdames et messieurs, est-ce l'avenir que nous réserve l'option que représente l'assurance- santé privée? Si c'est le cas, je pense que le comité a le devoir d'avertir la population du Canada de la possibilité qu'elle doive acquitter une énorme facture pour les soins médicaux privés.

Protégeons plutôt notre régime public d'assurance-santé, améliorons-le et élargissons-le. Ce que veulent les infirmières et les infirmiers est en vérité très simple. À notre avis, les faits montrent qu'un régime de soins de santé public, sans but lucratif et à payeur unique est le système le plus juste et le plus efficace. Nous n'avons qu'un conseil à vous donner: regardez les faits.

Par conséquent, les infirmières et infirmiers recommandent un certain nombre de solutions visant à renforcer le régime d'assurance-maladie et à freiner la privatisation des soins de santé au Canada. Nous recommandons que les dépenses publiques en soins de santé soient entièrement rétablies et que ces sommes soient dépensées avec l'obligation de rendre compte. Les administrations devraient exiger que les sommes que le gouvernement fédéral verse aux provinces soient assorties de l'obligation de rendre compte de leur utilisation. De toute évidence, la première priorité devrait être d'engager des professionnels de la santé et d'autres personnes en nombre suffisant pour que le travail soit effectué convenablement. Nous recommandons que le régime d'assurance-santé soit élargi de manière à inclure les soins à domicile, les soins de longue durée et l'assurance-médicaments. Nous ne voulons plus entendre ces discours alarmistes à la Mike Harris. Les dépenses publiques en matière de soins de santé publics, en tant que pourcentage du PIB de notre économie, ne sont même pas à la hausse, et sont loin de suivre une spirale ascendante incontrôlable. Nous devons rétablir les normes nationales qui découlent des principes de la Loi canadienne sur la santé.

Les Canadiens se sont battus pour que notre pays soit en meilleure santé par l'entremise du régime de soins de santé public ainsi que d'autres programmes sociaux et environnementaux parrainés par le gouvernement. Les fondateurs du régime public de soins de santé méritent qu'on leur rende hommage, et nos parents et nos enfants sont en droit de s'attendre à rien de moins.

M. Michael McBane, coordonnateur national, Coalition canadienne de la santé: Nous sommes heureux d'avoir la possibilité de nous exprimer sur les recommandations faites par votre comité dans le volume quatre de votre rapport intérimaire intitulé «Questions et options».

La Coalition canadienne de la santé est une organisation de défense sans but lucratif fondée en 1979 lors de la conférence SOS Medicare à laquelle avaient participé Tommy Douglas, le juge Emmett Hall et Monique Bégin. La coalition regroupe des églises, des aînés, des étudiants, des organisations de lutte contre la pauvreté et des organisations syndicales. Notre mission consiste à prendre la défense du système public de soins de santé du Canada et à l'améliorer.

Nous avons pris connaissance du rapport intitulé «Questions et options» et avons été forcés de constater que les options qu'il présente ne jouissent pas toutes de la même impartialité, qu'elles ne reposent pas sur des faits concrets et qu'elles semblent privilégier une participation accrue du secteur des soins de santé à but lucratif. Nous avons l'intention d'aborder la question de la prestation des soins de santé par des organisations à but lucratif sous l'angle de l'industrie des maisons de soins.

Nous avons trouvé que les soins dispensés dans les établissements à but lucratif étaient de qualité inférieure et plus chers.

Par ailleurs, nous pensons que le fondement moral de l'assurance-santé repose sur le principe que les soins de santé sont un bien public, et non une marchandise, et nous réitérons notre position en ce qui concerne les questions soulevées dans notre mémoire.

Aujourd'hui, nous désirons nous concentrer sur l'expérience que vivent les États-Unis avec les services de santé à but lucratif. Nous avons l'honneur d'être accompagnés aujourd'hui de l'éminent Dr Arnold Relman. Le Dr Relman étudie les résultats obtenus par les services de santé à but lucratif depuis plus de 20 ans, et il a publié plus de 300 articles dans des revues scientifiques.

Les écrits du Dr Relman portent sur diverses questions, y compris la fraude scientifique, les conflits d'intérêt et l'incidence du souci de la rentabilité sur la profession médicale.

Le message adressé par le Dr Relman à ce comité est simple: la création d'un plus grand nombre de services de santé à but lucratif ne réglera pas le problème; elle ne fera qu'empirer les choses.

Dr Arnold Relman, professeur émérite de médecine et de médecine sociale, Harvard Medical School; ancien rédacteur en chef du New England Journal of Medicine; Coalition canadienne de la santé: La Coalition canadienne de la santé m'a demandé de me présenter devant vous aujourd'hui afin d'apporter mon témoignage concernant l'expérience des États- Unis avec les services de santé privés à but lucratif.

Je me penche sur cette question depuis plus de vingt ans et j'ai écrit passablement sur le sujet. En 1985-1986, j'ai siégé à un comité mis sur pied par la National Academy of Sciences en vue de produire un rapport sur les entreprises à but lucratif oeuvrant dans les services de santé. Durant mon affectation à titre de rédacteur en chef et par la suite, The New England Journal of Medicine a publié de nombreux articles sur le sujet et, depuis que j'ai quitté ce poste, je continue d'écrire sur le sujet. Je travaille actuellement à la rédaction d'un livre qui décrit la situation malheureuse dans laquelle se trouve actuellement le système de soins de santé des États-Unis, en accordant une attention particulière au rôle joué par l'entreprise privée.

J'en suis arrivé à la conclusion que la plupart, sinon la totalité, des problèmes que connaît actuellement le système de soins de santé des États-Unis, et ils sont nombreux, résultent de l'empiétement croissant des entreprises privées à but lucratif et des marchés concurrentiels sur un secteur de notre vie nationale qui est à juste titre du domaine public. Ce n'est pas une coïncidence si aucun autre système de soins de santé dans le monde industrialisé n'est autant commercialisé que le nôtre, et si aucun n'est aussi onéreux, inefficace, inéquitable ou impopulaire. À dire vrai, les seules personnes qui sont satisfaites aux États-Unis de notre système actuel de soins de santé soumis aux lois du marché sont les propriétaires et les investisseurs des industries à but lucratif qui vivent des produits du système.

Les États-Unis sont peut-être un chef de file mondial en matière de science et de technologie médicale, et leurs grands centres médicaux fournissent sans doute des soins qui comptent parmi les meilleurs et les plus sophistiqués qui puissent exister partout ailleurs, mais il reste que si on le considère dans son ensemble, notre système de soins de santé est en difficulté et devra très bientôt faire l'objet d'une réforme d'envergure.

Nous avons essayé les services privés à but lucratif avec enthousiasme, comme le dirait notre vice-président. Nous avons en effet essayé les hôpitaux, les centres de soins et de services ambulatoires et les maisons de soins à but lucratif, et plus récemment, nous avons fait l'essai des régimes d'assurance. L'expérience a été un échec. Les entreprises du secteur privé offrant des services de santé n'ont pas réussi à offrir à la société les avantages que leurs défenseurs avaient tant fait valoir.

On dispose maintenant de preuves comme quoi la prestation par le secteur privé de services de santé à but lucratif aux États-Unis a grandement contribué à accroître le coût total des soins de santé et a fait du tort aux institutions sans but lucratif dont tout système de soins de santé a besoin.

N'importe quel bon système moderne de soins de santé doit pouvoir compter sur une énorme infrastructure qui comprend notamment l'éducation, la technologie et les services publics. Le système est incapable de survivre sans cette infrastructure. Or, le système de soins de santé à but lucratif des États-Unis ne participe d'aucune manière à cette infrastructure. Il l'exploite, et il a contribué à aggraver sérieusement les problèmes dont souffrait notre système de soins de santé.

L'expérience des États-Unis donne aux étudiants qui s'intéressent à la politique en matière de soins de santé l'occasion de comparer les coûts et la qualité des établissements sans but lucratif et à but lucratif, ainsi que le rendement comparatif des régimes d'assurance des secteurs public et privé. Les résultats de cette étude sont très instructifs. Les hôpitaux à but lucratif se sont révélés beaucoup plus chers que les hôpitaux sans but lucratif lorsqu'il était simplement question du remboursement des frais par les assureurs publics et privés. Cette situation prévalait à l'époque bénie où les coûts n'avaient pas encore explosé. Cet écart entre les coûts a commencé à disparaître lorsque les payeurs, le gouvernement et les assureurs privés ont commencé à négocier des prix fixes, mais on n'a jamais prouvé que les hôpitaux à but lucratif pouvaient offrir des services similaires à un prix inférieur que leurs contreparties sans but lucratif. Il n'existe tout simplement pas de preuve de cela.

Une étude récente de l'assurance-santé régionale sur les dépenses par habitant pour des services de santé destinés aux personnes âgées, y compris les soins hospitaliers, a conclu que ces dépenses étaient beaucoup plus élevées dans les régions où la population avait été desservie exclusivement par des hôpitaux à but lucratif que dans les régions où il n'y avait pas d'hôpitaux à but lucratif. Ces données parlent d'elles-mêmes.

Maintenant, si nous voulons comparer la qualité des soins, il n'existe aucune preuve concluante concernant la qualité relative des services proprement dits d'un hôpital général dans des établissements similaires soit à but lucratif soit sans but lucratif, parce qu'il est difficile de garantir une quelconque validité scientifique à des études de ce genre. Il est cependant facile d'évaluer la qualité dans les maisons de soins et les centres de dialyse rénale. Ces soins sont en effet rémunérés dans une large mesure à prix fixes négociés avec le régime d'assurance public; le prix est maintenu à un niveau constant. Leurs produits et ce qu'ils sont censés faire sont délimités et clairement définis. Les études réalisées sur les mesures objectives de la qualité dans ces services montrent que les établissements publics et privés sans but lucratif de soins infirmiers et de dialyse fournissent des soins de meilleure qualité et sont beaucoup plus sûrs pour les patients que ceux offerts par leurs contreparties à but lucratif.

Autrement dit, cet exemple montre que lorsque vous fixez le prix et que vous vous concentrez sur un service précis, les établissements sans but lucratif affichent un meilleur rendement que ceux à but lucratif. Certaines des différences ayant été notées sont assez inquiétantes et dangereuses pour la sécurité des patients y recevant des soins.

Comparons maintenant les régimes d'assurance. Il y a un peu plus de dix ans, lorsque l'explosion des prix dans le système des soins de santé américain a conduit les employeurs à insister pour qu'il y ait une autre forme quelconque d'assurance, des entreprises appartenant à des investisseurs ont pris la relève dans le domaine de l'assurance privée. Maintenant, ils sont responsables de la protection d'assurance de plus de la moitié de la population, principalement au moyen de prestations d'emploi.

Un tiers de notre population est protégé par les régimes Medicare et Medicaid, qui sont tous les deux largement financés par le gouvernement. La comparaison de ces deux systèmes, l'un privé et presque entièrement à but lucratif, et l'autre public, est très révélatrice.

Les coûts administratifs du système Medicare sont de moins de 3 p. 100, et tout le reste des dépenses du régime sert à payer les médecins, les hôpitaux et autres fournisseurs qui prennent soin des patients. Les assureurs privés, quant à eux, ont en partant des frais administratifs et d'entreprise qui se situent entre 15 et 30 p. 100. Ces chiffres ne sont pas contestés. En outre, ils doivent consacrer des sommes importantes à l'impartition de nombreux autres services.

Par conséquent, on peut estimer que seulement 50 à 60 p. 100 des dollars versés en prime pour l'assurance privée servent à payer pour les soins des patients assurés par les fournisseurs. Ensuite, les fournisseurs doivent eux-mêmes payer des frais administratifs additionnels afin de tenir compte des réglementations complexes qui se sont développées avec les années en raison du nombre d'assureurs privés différents qui se font concurrence sur le marché pour imposer leurs propres règles au système.

L'ironie de cette situation est qu'au début les assureurs privés furent capables de contenir les prix des primes en opérant des coupures radicales dans l'utilisation, aujourd'hui ils ont épuisé les possibilités de réduire les coûts et font face à une résistance de plus en plus forte de la part des fournisseurs et du public. Plus tard, les payeurs privés ont dû affronter le fait que notre système, avec sa technologie, l'utilisation importante des ressources, les médicaments coûteux, les nouvelles épreuves, un nombre accru de médecins et de spécialistes, a inlassablement fait grimper les coûts des soins de santé.

De nos jours, les prix des primes pour les assureurs privés à but lucratif recommencent à afficher des augmentations à deux chiffres. Aux États-Unis, certaines des plus importantes compagnies d'assurance privée ont déclaré qu'elles ne pourraient survivre sans une augmentation annuelle d'au moins 10 p. 100, et dans certains cas de 20 p. 100, de leur taux d'assurance. Il s'agit là d'une augmentation beaucoup plus rapide que celle avec laquelle les coûts de Medicare et de Medicaid augmentent.

On a pu voir il y a quelques années une démonstration remarquable de l'échec du régime d'assurance privée fondé sur les OSSI (organismes de soins de santé intégrés) lorsque, dans un effort pour réduire les coûts, des personnes âgées qui étaient auparavant assurées par Medicare furent encouragées par le gouvernement à obtenir leurs soins par l'entremise d'un régime d'assurance privée à but lucratif fondé sur les OSSI qui serait payé par le gouvernement. Il est vite devenu évident que les coûts des soins assurés par le système privé étaient supérieurs, et non moindres, et que les aînés étaient de plus en plus insatisfaits des soins qu'ils recevaient.

Il faut se rappeler que les études réalisées sur la satisfaction des patients par rapport aux différents systèmes doivent comparer des malades avec d'autres malades, et non des gens en bonne santé avec des malades. Lorsqu'on a demandé aux personnes âgées malades qui ont dû être hospitalisées ou qui ont eu des maladies graves si elles aimaient le système à but lucratif fondé sur les OSSI que le gouvernement achetait pour eux, elles ont répondu: non. Les personnes âgées ont réagi en quittant massivement le régime privé pour le système public.

En résumé, l'expérience des États-Unis montre que les marchés privés et la concurrence commerciale n'ont fait qu'empirer les choses, pour notre système de soins de santé. On aurait peut-être pu prévoir les conséquences parce que les soins de santé sont de toute évidence une préoccupation du public, et ils sont un droit personnel de tous les citoyens. De par leur nature, ces soins sont fondamentalement différents de tous les autres biens et services commercialisables.

Je crois dans le système capitaliste. Je suis persuadé que les marchés libres sont un mécanisme merveilleux qui permet de distribuer la plupart des biens et services commerciaux suivant les désirs du consommateur et sa capacité de payer. C'est un bon système dans l'ensemble, mais les marchés ne sont tout simplement pas conçus pour assurer efficacement la prestation des soins médicaux, puisque ces soins sont une fonction sociale qui doit être assumée par le secteur public.

Ici aux États-Unis nous sommes en train d'apprendre cette leçon, et bientôt, je pense, nous serons prêts à faire l'essai d'autres options qui feront davantage appel à l'intervention du secteur public. Bon nombre d'Américains ont toujours pensé que les Canadiens avaient eu raison lorsqu'ils ont décidé que le financement des soins de santé était principalement une responsabilité du secteur public. Nous pensons encore que vous avez raison, et que nous devrions vous imiter, plutôt que l'inverse. Je suis à la fois surpris et déçu par le rapport intérimaire de votre comité qui semble en faveur des options qui font appel à une participation accrue du secteur privé dans le domaine des soins de santé au Canada.

Avant que vous ne fassiez vos recommandations finales, je vous demande respectueusement de regarder de plus près l'expérience américaine. Elle devrait convaincre n'importe quel observateur qui s'appuie sur les faits que les marchés privés sont incapables de livrer la marchandise. Ils contribuent à faire en sorte que les soins de santé soient plus chers et de moins bonne qualité.

Pour que le système financé par le secteur public fonctionne efficacement, je pense que nos deux pays doivent commencer à réformer le système de prestation des soins médicaux. C'est là qu'il faut regarder pour trouver des moyens d'optimiser les ressources en vue d'améliorer la qualité de nos soins de santé. Je pense que c'est là que se trouve la nouvelle frontière qui nous permettra d'améliorer l'efficience, l'efficacité et la qualité des soins de santé. Le système de prestation doit être amélioré.

On a beaucoup discuté dans nos deux pays de ce changement. Certains ont suggéré que le système de prestation devrait être fractionné en de nombreux établissements différents très spécialisés. Je pense que c'est une option tout à fait illogique. À mon sens, il serait de beaucoup préférable de réorganiser la façon dont les médecins travaillent ensemble.

À l'heure actuelle, le Canada et les États-Unis comptent dans une large mesure sur les médecins indépendants travaillant de façon individuelle pour offrir des services ambulatoires et hospitaliers sur une base de rémunération à l'acte. Nous devrions encourager les médecins et les autres professionnels du secteur de la santé à s'organiser en équipes autogérées, multidisciplinaires et multi-spécialisées en vue d'offrir des soins complets à des taux payés d'avance et établis par capitation à l'intérieur d'un système de prestation des services sans but lucratif.

J'ai enseigné la médecine durant plus de 50 années, et j'ai consacré énormément de temps à former des praticiens. Je suis convaincu que les médecins donnent de meilleurs soins lorsqu'ils travaillent en équipe plutôt qu'en concurrence les uns avec les autres. Par ailleurs, afin d'encourager la coopération et de décourager le surtraitement, les médecins devraient être rémunérés en fonction du temps plutôt qu'à l'acte. Cette façon de faire contribuerait certainement à réduire les fraudes au niveau de la facturation et le gaspillage des ressources consacrées au règlement des réclamations. Si vous me permettez d'ouvrir une parenthèse, les fraudes représentent un énorme problème aux États-Unis, particulièrement avec les méthodes de facturation au régime public de soins de santé dans les chaînes de grands hôpitaux à but lucratif. Si vous voulez entendre une histoire illustrant à quel point les systèmes à but lucratif sont déchaînés, il suffit de me le demander.

J'aimerais dire juste un mot au sujet du fameux choix du consommateur, qui est le fer de lance de ceux qui croient déjà que les lois du marché vont contrôler comme par enchantement les coûts et améliorer la qualité des services. Il y aurait beaucoup à dire au sujet des moyens à prendre pour informer davantage les gens au sujet de leurs soins de santé et pour leur permettre de participer plus activement aux décisions qu'ils devront prendre.

Toutefois, c'est une erreur fondamentale que de penser que des patients malades peuvent ou devraient se comporter comme des consommateurs ordinaires lors de transactions commerciales. Les soins de santé sont complètement différents des biens et services commercialisables. C'est la raison pour laquelle vous avez besoin d'un régime d'assurance médicale et c'est aussi pourquoi les gens ont besoin des services professionnels et altruistes des médecins et des infirmières.

J'ai consacré de nombreuses années de mon existence à prendre soin de patients désespérément malades dans les unités de soins intensifs d'hôpitaux. Je n'y ai jamais vu de consommateur, mais plutôt des gens malades qui ont désespérément besoin de savoir qu'ils reçoivent les meilleurs soins disponibles et que ces soins sont dispensés par des personnes altruistes et professionnelles qui se préoccupent de leur bien-être.

Je me doute bien que la plupart des Canadiens comprennent pourquoi les soins de santé sont si particuliers et pourquoi ils doivent être assurés par un régime public comme celui que vous avez. Je serais surpris d'apprendre qu'ils veuillent que la justice inhérente à leur système public de soins de santé soit changée par l'introduction des lois du marché.

Si certains Canadiens sont séduits par cette idée, qui est totalement erronée, ils n'ont qu'à jeter un coup d'oeil sur ce que les marchés commerciaux ont fait au système de soins de santé des États-Unis. C'est un exemple qu'aucune nation civilisée et évoluée ne voudrait suivre.

La vice-présidente: Merci, docteur Relman, pour votre exposé convaincant.

Le sénateur Morin: Le Dr Relman a été durant de nombreuses années rédacteur en chef de la principale revue médicale du monde, The New England Journal of Medicine, que je lis encore aujourd'hui malgré le fait que je ne pratique plus depuis de nombreuses années. J'ai commencé à lire The New England Journal of Medicine durant mon internat. J'ai vite réalisé que si je laissais les numéros s'empiler, je ne les lirais jamais. Aussi, j'ai pris l'habitude de lire la revue le jour même où elle arrivait.

Je disais au Dr Relman que durant mes années d'enseignement, nous avions une évaluation individuelle avec les internes et les résidents. Je complétais toujours mon évaluation en disant: «Je vais vous donner un conseil que vous devriez suivre pour le reste de vos jours: lisez The New England Journal of Medicine chaque semaine.» Je tiens à souligner que je vivais au Canada français et que bon nombre d'étudiants ne parlaient pas l'anglais couramment. Je voulais seulement vous montrer à quel point je pense que cette revue est importante. Docteur Relman, durant combien d'années en avez-vous été le rédacteur en chef?

Le Dr Relman: Durant quatorze ans.

Le sénateur Morin: Sous sa direction, la revue a connu un essor remarquable. Je suis désolé d'avoir à dire que, depuis le départ du Dr Relman, les changements qui ont été apportés n'ont pas amélioré les choses. Ceci étant dit, je voulais que vous sachiez à quel point j'ai écouté attentivement son exposé.

À mon avis, il convient de faire la distinction entre les régimes à assureur unique et ceux à assureurs multiples, qu'ils soient du secteur public ou privé. Si vous avez un seul assureur de grande envergure, les avantages sont nombreux, et l'un des avantages du régime public de soins de santé est qu'il y a un seul assureur pour tout le pays. Je pense qu'il y a de nombreux avantages à cela, par exemple, en ce qui concerne les risques, par opposition au danger inhérent au fait d'avoir un grand nombre d'assureurs qui viennent diviser le marché. Cela ne fait pas de doute.

Je ne pense pas que le débat doive tourner autour du fait que l'on doive opter pour le privé ou le public. Le régime est public et nous ne devrions rien y changer. Il est unique pour 32 millions de Canadiens, et à mon sens c'est un avantage. Cette question ne devrait pas faire l'objet d'un débat.

Mais les choses deviennent plus difficiles et ambiguës lorsqu'on aborde la question des fournisseurs à but lucratif. Ce sujet a toujours été délicat. Depuis des années, nous avons un grand nombre de fournisseurs à but lucratif. Les médecins ont un but lucratif. Lorsque les médecins exercent dans un cadre collectif, bon nombre de cliniques enregistrent des bénéfices à la fin de l'année. C'est tout à fait normal. Les cliniques de dentistes et de radiologie fonctionnent sur le même modèle. Certaines nécessitent un important investissement de capitaux, elles font des bénéfices à la fin de l'année et elles paient des impôts sur les gains de capital. C'est tout à fait légal.

Un petit nombre de cliniques très spécialisées ont été mises sur pied en Alberta et ailleurs qui relèvent toujours du système public à payeur unique. Ces cliniques effectuent des procédures spécialisées, par exemple la chirurgie des articulations. Cette façon de faire n'est pas contraire aux principes de la Loi canadienne sur la santé.

Par ailleurs, la plupart des pays de l'OCDE ont des fournisseurs privés. La France par exemple, possède un réseau très développé de cliniques privées qui ne sont pas réellement en concurrence avec les grands hôpitaux universitaires. Les cliniques offrent des soins, par exemple en obstétrique, mais elles ne sont certainement pas en concurrence avec les grands hôpitaux universitaires. Durant deux années consécutives, l'Organisation mondiale de la Santé a considéré que la France disposait du meilleur système de prestation de soins de santé au monde.

Le Royaume-Uni possède un certain nombre d'hôpitaux privés qui semblent de très bonne qualité. Mon fils vit là- bas. Il est très satisfait des soins qu'il reçoit. La Suède a mis au point un système qui fait appel à des fournisseurs privés aussi.

Je ne cherche d'aucune manière à faire la promotion des fournisseurs privés et je n'essaie pas de dire qu'ils sont meilleurs. La solution passe par la réglementation ainsi que le contrôle et l'évaluation, s'il faut en croire les histoires d'horreur que l'on colporte et qui sont censées se passer chez nos voisins du sud. Bon nombre des problèmes des hôpitaux à but lucratif aux États-Unis résultent du fait qu'ils ont été achetés d'institutions sans but lucratif qui se trouvaient dans de très mauvaises conditions financières.

Docteur Relman, si vous en aviez la possibilité, élimineriez-vous tous les fournisseurs privés à but lucratif ou pensez- vous qu'il serait acceptable d'en conserver un certain nombre?

Les OSSI de la Kaiser Permanente ont été comparées, notamment, au National Health Service du Royaume-Uni, et on a montré qu'elles fournissaient des soins plus efficaces et que les patients étaient davantage satisfaits. Le système du Royaume-Uni est le moins cher du monde actuellement. Aujourd'hui, on compare le système de la Kaiser Permanente à d'autres systèmes du monde, et il se classe toujours bon premier.

Peut-être ne vous attendiez-vous pas à cette question, mais que pensez-vous de ce système?

Il s'agit d'une organisation de soins de santé intégrés qui existe depuis 1945. Elle offre couvre 8 millions d'Américains à qui elle offre une protection complète de tous les soins de santé, médicaments, soins à domicile, hôpitaux, services de médecins et services de prévention. Comme je l'ai déjà mentionné, les coûts sont bien en dessous de ceux de n'importe quel pays de l'OCDE.

Le Dr Relman: Merci, sénateur Morin, pour vos bons mots au sujet du New England Journal of Medicine.

Vous avez déclaré que le fait d'avoir un assureur unique plutôt qu'un grand nombre d'assureurs différents comportait de nombreux avantages, peu importe l'aspect à but lucratif ou sans but lucratif. Je suis d'accord avec la première portion de cet énoncé, mais j'imagine difficilement comment un pays pourrait vouloir confier la totalité de son système d'assurance-santé à une entreprise à but lucratif. Il me semble que c'est impensable, et que cela ouvrirait la porte à l'exploitation et à l'abus. Si vous êtes en faveur d'un système d'assurance unique, comme je le suis, et comme le Canada semble l'être depuis de nombreuses années, ce système doit être public.

Vous faites valoir avec raison que, du point de vue de la rentabilité financière, bon nombre d'éléments des systèmes de soins de santé canadien et américain sont à but lucratif, c'est-à-dire qu'ils doivent générer des bénéfices que l'on définit comme l'excédent des revenus sur les dépenses. Autrement, ces systèmes devraient compter uniquement sur les recettes fiscales ou les dons de bienfaisance. Les bénéfices sont nécessaires. Ce n'est pas l'aspect de la rentabilité financière qui me préoccupe; je pense plutôt au fait que ces établissements appartiennent à des intérêts privés en plus d'être à but lucratif. Si un professionnel gagne sa vie en fournissant des services à des patients et s'il doit nécessairement enregistrer un excédent net ou un bénéfice, pour continuer d'exister, je trouve cette situation beaucoup moins préoccupante que si les services professionnels ou les établissements sont la propriété d'une corporation anonyme qui est en liaison avec Wall Street et ses analystes financiers et qui ne vise finalement que les bénéfices et le cours de l'action. C'est là que le bât blesse. Je ne pense pas que le problème tienne au fait que les établissements soient à but lucratif ou non; à mon avis, il concerne plutôt le fait qu'ils appartiennent à des investisseurs privés.

Vous m'avez demandé si je serais en faveur de l'élimination de tous les établissements et de toutes les entreprises de soins de santé à but lucratif. Ma réponse est oui, à long terme. Je suis une personne qui a besoin de preuves. Durant toute ma carrière, je n'ai cessé de demander: Quelles sont les preuves? Où sont les données? Quels sont les faits? Où sont les faits? Les faits, les voici: personne n'a jamais pu démontrer au moyen de comparaisons justes et précises que les établissements à but lucratif sont synonymes d'une plus grande efficacité ou d'une meilleure qualité, et on n'a certainement jamais donné la preuve qu'ils servaient mieux les intérêts du public. Jamais. En ce qui me concerne, les seuls avantages des établissements à but lucratif par rapport à ceux qui sont sans but lucratif tiennent à l'injection de capitaux, et ces capitaux leur sont fournis par des investisseurs. Ils apportent les capitaux qui font défaut au système sans but lucratif ou qu'il ne veut pas avancer.

Cependant, pour pouvoir justifier cette injection de capitaux, ces investisseurs doivent extraire du système non seulement les coûts de l'amortissement, mais aussi des bénéfices. Sinon, ils ne pourraient pas investir. Pourquoi fourniraient-ils du capital si, en contrepartie, ils ne pouvaient pas retirer davantage du système que ce qu'ils y ont investi?

Au début, une collectivité ou un hôpital qui a désespérément besoin d'argent sera heureux de voir arriver les investisseurs. Une association d'hôpital a les moyens de construire un nouvel hôpital, alors que la collectivité ne peut se le permettre. Mais, à la longue, c'est la collectivité qui paiera la note parce que la corporation n'est pas une organisation de bienfaisance. Sa raison d'être est de faire des profits, et elle en fera sur le dos de la collectivité. En dernier ressort, elle retirera davantage de la collectivité que ce qu'elle a investi. Elle n'a pas le choix, elle doit parvenir à obtenir plus que sa mise initiale pour réaliser des bénéfices.

Votre autre question portait sur Kaiser. Kaiser est fantastique et c'est l'un des modèles que nous devrions imiter. N'oubliez pas que Kaiser est une organisation sans but lucratif; elle n'a pas d'investisseurs.

Je pense que le système idéal combinerait un système d'assurance public unifié avec des fournisseurs privés sans but lucratif, qui seraient tenus de rendre des comptes, devraient suivre un budget, seraient évalués en fonction de leur efficacité, et ainsi de suite. À mon sens, les soins de santé devraient être organisés autour d'un système qui mélangerait le secteur public et le secteur privé; le financement devrait provenir du secteur public et la prestation devrait être assurée par le secteur privé. Je ne veux pas que les médecins travaillent pour le gouvernement, à moins qu'ils aient choisi de joindre les rangs des VA ou de l'armée ou encore les services de santé publique. Je pense que le système de prestation des soins de santé devrait être entre les mains du secteur privé, mais que le secteur privé devrait rendre compte de son rendement par l'entremise de budgets et de contrôles qualité. Kaiser donne un exemple fantastique de ce mode de fonctionnement.

Le sénateur Morin: Voici un point très important. Si j'ai bien compris, vous ne visez pas tellement le système à but lucratif, mais plutôt les établissements qui sont la propriété d'investisseurs. À titre d'exemple, l'hôpital St. Gorans, en Suède, appartient aux fournisseurs, aux médecins, aux infirmières et à d'autres membres du personnel. Bon nombre de cliniques privées en France appartiennent à des médecins, mais je pense que l'exemple du St. Gorans devrait plaire à Mme Connors parce que les infirmières et les autres employés sont aussi les propriétaires de l'hôpital au même titre que les médecins. S'il y a des bénéfices à la fin de l'année, ils en réinvestissent une partie et en prennent une autre. Les bénéfices sont répartis également entre tous les employés, les médecins n'en retirent pas davantage que les autres. Voilà le système qui prévaut au St. Gorans. Peut-être que vous trouverez ce type de système plus acceptable.

Le Dr Relman: Oui, en effet. Aux États-Unis, on voit des exemples des deux types de systèmes de prestation des soins, privés, à but lucratif, et qui dépendent des bénéfices nets. Il y a d'abord l'exemple du système Kaiser où l'amélioration du système passe par la réalisation de bénéfices. Personne ne s'enrichit à Kaiser parce que l'on a enregistré un bénéfice à la fin de l'année. Les bénéfices sont réinvestis. Il peut y avoir une petite prime d'encouragement, mais elle est très modeste. Les employés se versent un salaire qui est connu du public et tous les bénéfices sont réinvestis dans l'amélioration du système.

Et il y a l'autre type de système privé appartenant à des investisseurs dans lequel les médecins sont en réalité les actionnaires d'une société privée à responsabilité limitée. Ils sont les seuls investisseurs. Autrement dit, il s'agit d'une entreprise à capitaux privés. Ils sont rémunérés non seulement en contrepartie de leur temps et de leurs efforts en tant que fournisseurs de soins de santé professionnels, mais ils reçoivent aussi leur salaire à partir des bénéfices réalisés par l'institution. Je pense que ce système est contraire à la déontologie. Il va à l'encontre des principes fondamentaux de la profession que vous et moi avons fait le serment de respecter, et je m'y oppose, que ce soit aux États-Unis, au Canada ou en Europe.

Le sénateur Morin: Merci beaucoup. Voilà pour la partie agréable. Nous apprécions réellement votre contribution, docteur Relman.

Maintenant, madame la présidente, passons à la partie moins agréable qui consiste à aborder le mémoire écrit, qui est maintenant du domaine public, de la Coalition canadienne de la santé. Je dois répondre à ce document. Étant donné qu'il a été publié, personnellement, je ne peux pas laisser les choses aller sans réagir, et je devrai le passer en revue page par page.

Avez-vous votre document avec vous, monsieur McBane? On le trouve aussi sur le Web. Il y a un énoncé à la page trois qui me trouble:

Un autre membre, le sénateur Yves Morin, est actuellement mandaté par le ministère de la Santé du gouvernement fédéral pour faciliter la commercialisation de la recherche dans le domaine de la santé au Canada, un mandat qui s'harmonise bien avec la conclusion fondamentale du rapport.

D'où tenez-vous cette information?

M. McBane: Votre mandat figure sur le site Web du gouvernement du Canada.

Le sénateur Morin: Je l'ai juste ici. Je vais vous le lire avec plaisir.

M. McBane: L'autre raison pour laquelle nous avons écrit cela est que l'objectif stratégique du gouvernement du Canada, tel qu'il est publicisé, est de commercialiser la recherche.

Le sénateur Morin: Je suis très heureux d'entendre que je suis soudainement devenu le gouvernement du Canada. Ce n'est pas ce que dit l'énoncé. Permettez-moi de le répéter. Je suis mandaté, et mon mandat est affiché sur Internet. Je vais vous le lire avec plaisir:

Le sénateur Morin conseillera le ministre et le ministère quant aux approches stratégiques pour améliorer la recherche en santé au Canada. De concert avec l'expert scientifique en chef, le sénateur Morin aidera à améliorer les communications avec les chercheurs au Canada et à l'étranger pour rehausser le profil de la recherche en santé.

Le reste du texte mentionne que j'ai été doyen de la faculté de médecine et que j'ai mené une prestigieuse carrière. Peut- être ne serez-vous pas d'accord avec la deuxième partie du mandat.

Mais je ne vois rien ici de ce que vous avez dit. Je suis vraiment étonné.

Vous faites une affirmation fausse et sans fondement. Vous auriez pu nous poser la question, mais vous avez préféré transmettre des renseignements personnels erronés et sans fondement aux médias.

C'est ridicule. Je n'ai jamais rien eu à voir avec la commercialisation. Bien au contraire, ma femme pense que je devrais m'y intéresser davantage; peut-être que cela contribuerait à améliorer nos finances personnelles.

Certains le font, mais je ne m'en suis jamais mêlé. J'ai toujours travaillé dans le domaine de la recherche clinique et de l'administration. Je suis époustouflé. Où avez-vous été chercher cela?

M. McBane: Si vous me permettez, sénateur, je ne fais pas allusion à votre participation personnelle dans des entreprises commerciales. Je fais plutôt référence à l'approche stratégique adoptée par le gouvernement fédéral, mentionnée dans votre mandat, qui vise la commercialisation de la recherche. J'en déduis que cela fait partie de votre rôle.

Le sénateur Morin: Actuellement, 2 000 chercheurs reçoivent l'aide du gouvernement fédéral. Laissez-moi vous dire très précisément que vous n'avez pas vérifié vos renseignements et que vous êtes complètement à côté de la plaque. Toute la recherche en santé financée par le gouvernement fédéral est encadrée par les IRSC. Si vous consultez la loi ayant créé les IRSC, vous verrez qu'il y a eu énormément de discussion sur le sujet. Le principal objectif de la recherche en santé financée par le gouvernement fédéral est d'améliorer la santé des Canadiens et la qualité du système de prestation des soins de santé du Canada.

On a beaucoup débattu de la question à savoir si l'on devait ajouter comme objectif le développement économique des Canadiens. Mais certains ont fait des pressions, et cette idée a été abandonnée.

La recherche en santé financée par le gouvernement fédéral n'a pas pour objectif la commercialisation, et c'est très clair dans la loi si vous y jetez un coup d'oeil.

Votre affirmation est complètement fausse et je m'y objecte avec vigueur. Je suis persuadé que le Dr Relman n'aurait jamais approuvé cela s'il avait été au courant. Vous rendez un très mauvais service à la cause que vous affirmez défendre en agissant ainsi.

Le Canada possède une solide tradition d'activistes du centre gauche dans le domaine des soins de santé. Vous avez mentionné les noms de Tommy Douglas et de M. Broadbent. Un certain nombre de personnes furent des activistes du centre gauche dans tous les domaines, y compris les soins de santé. Ils ont joué un rôle qui a bénéficié énormément au Canada. Ces gens n'auraient jamais eu recours à de telles tactiques. Je n'ai pas l'intention d'écrire à tous ceux qui vous appuient, mais je suis convaincu qu'ils désapprouveraient votre geste.

J'aimerais passer à un autre point. Le sénateur Keon est président du conseil consultatif clinique de WorldHeart Corporation. Pour le bénéfice du Dr Relman, j'aimerais dire que le Dr Keon est l'un des plus éminents cardiochirurgiens au monde. Il est à la tête de l'Institut de cardiologie de l'Université d'Ottawa; il a mené une carrière exceptionnelle en tant que chirurgien cardiologue. Les comparaisons ayant été faites entre divers établissements qui font de la chirurgie cardiaque en Ontario ont montré que l'Institut de cardiologie d'Ottawa a une longueur d'avance sur les autres institutions.

Le Dr Keon s'est distingué auprès de toutes les grandes organisations scientifiques de ce pays: la Société canadienne de cardiologie, qu'il a présidée et aussi le Royal College. Et il y en a un grand nombre. Il a mené une carrière comparable à la vôtre, docteur Relman. Il est également un chercheur exceptionnel. Les travaux de son équipe d'ingénieurs, de cardiologues et de spécialistes de la recherche fondamentale ont conduit à la découverte d'un coeur artificiel qui permettra de sauver des vies en maintenant en vie des patients en attente d'une transplantation. Il s'agit d'une découverte majeure. Elle n'a pas encore été utilisée cliniquement, mais la décision importante consiste à confier à un conseil la responsabilité tout aussi importante de déterminer à quel moment le premier patient recevra ce coeur artificiel.

Une liste d'éminents scientifiques font partie de ce conseil consultatif clinique. Ces scientifiques viennent d'autres régions du monde, je ne nommerai que les Américains. Je suis sûr que vous en connaissez plusieurs. Je cite le Dr Kenneth Franco de l'Université du Nebraska, le Dr Fraser, directeur du Texas Heart Institute, le Dr Hunt qui est à la tête de la division de cardiologie à l'université Stanford, le Dr Kormas de l'Université de Pittsburgh, qui est le principal centre au monde pour la transplantation et les coeurs artificiels. C'est une liste très impressionnante. Elle compte aussi le Dr Young qui est le directeur médical du Heart Failure Centre à la Cleveland Clinic et ainsi de suite. En tout, cette liste compte 20 personnes.

Le Dr Keon est le président de ce conseil consultatif chargé du rôle extrêmement important de déterminer à quel moment et dans quelles circonstances ce coeur artificiel devrait être implanté.

J'aimerais demander à M. McBane, en quoi cet énoncé relatif au sénateur Keon est pertinent. Aviez-vous autre chose en tête?

M. McBane: Nous avons mentionné la participation du Dr Keon à la WorldHeart Corporation afin de soulever la question du système public par rapport au système privé dans les soins de santé. Les Canadiens devraient être mis au courant lorsque des médecins participent à certaines entreprises du secteur privé. C'est une simple déclaration de fait.

En toute franchise, le ton de notre exposé a été influencé par celui de votre rapport intérimaire, qui était complètement...

Le sénateur Morin: Pouvons-nous aborder le sujet? J'aimerais que nous parlions du sénateur Keon, s'il vous plaît. Pensez-vous qu'il n'aurait pas dû accepter le poste de président du conseil consultatif clinique?

M. McBane: Je ne fais qu'énoncer un fait.

Le sénateur Morin: Est-ce un énoncé favorable? L'avez-vous fait pour féliciter le sénateur Keon d'occuper la présidence?

M. McBane: Certains voient cette nomination d'un très bon oeil. D'autres sont inquiets de ce que cela implique.

Le sénateur Morin: Pensez-vous que le Dr Keon tire des avantages financiers de sa participation à ce conseil?

M. McBane: Je n'en sais rien, et au Canada, nous ne le saurons jamais parce que la divulgation des renseignements d'ordre financier n'est pas obligatoire.

Le sénateur Morin: Peut-être que nous pourrions poser la question.

M. McBane: Ce n'est pas le but de mon intervention.

Le sénateur Morin: Au contraire, c'est le but. D'une certaine manière, il s'agit d'une autre insinuation gratuite comme quoi le Dr Keon bénéficie de quelque manière de sa participation à ce conseil, et comme quoi il facilite la commercialisation, tout comme moi. Par conséquent, si je suis votre raisonnement, il ne devrait pas faire partie du comité parce qu'il est membre du conseil consultatif.

J'aimerais que nous abordions le ton de votre rapport.

Le sénateur Keon: Madame la présidente, puis-je me permettre d'interrompre pour une minute? J'ai communiqué avec le rédacteur en chef du Winnipeg Free Press lorsque ce texte a paru. Je tiens à dire, pour le compte rendu, que je ne détiens aucune action dans WorldHeart Corporation. Je ne suis pas rémunéré par WorldHeart. Lorsque nous avons présenté le programme au comité de déontologie, j'ai cédé au chercheur principal mes droits sur les brevets que je détenais en tant que chercheur. Je n'ai aucun intérêt financier dans WorldHeart Corporation. Mon seul intérêt consiste à présider le comité consultatif en vue de protéger les intérêts de l'Institut de cardiologie d'Ottawa pour des raisons d'éthique et d'assurance de la qualité parce que, selon toute vraisemblance, la première implantation de cet appareil aura lieu à l'Institut de cardiologie d'Ottawa.

Le sénateur Morin: J'aimerais que nous abordions le contenu du rapport. Ce sont des points importants.

On nous critique parce que nous avons présenté une liste d'options. Mais il s'agit d'une liste de possibilités, et non de probabilités. Le rapport que vient de publier M. Romanow, qui a été approuvé par la coalition, énonce les mêmes options. Vous les avez approuvées publiquement dans la presse.

Je lis à la page 11:

À leurs yeux, la solution à privilégier consiste à investir davantage de ressources pour régler les problèmes actuels, non pas en augmentant les dépenses publiques, mais plutôt en demandant aux citoyens d'assumer une plus grande part de responsabilité directe pour le coût des soins de santé. Ils mettent en avant plusieurs options, telles que la participation aux coûts, les droits d'utilisation, les avantages imposables et l'assurance privée.

Ce n'est pas parce que M. Romanow énonce ces options que cela signifie pour autant qu'il leur est favorable. Nous n'avons fait rien de plus, et si vous lisez entre les lignes que nous privilégions une option au détriment des autres, vous êtes complètement dans l'erreur.

Mon dernier commentaire vise cette longue dissertation concernant la situation des soins infirmiers aux États-Unis. Il ne fait aucun doute que la situation dans les maisons de soins américaines est épouvantable. La qualité des soins y est mauvaise, mais surtout parce que la réglementation américaine qui les régit est désastreuse, encore pire que dans n'importe quel autre pays. Je fais allusion au dernier numéro de Health Affairs, une revue spécialisée américaine.

Je suis surpris que nous n'ayons pas mentionné la situation canadienne, monsieur McBane. Dans une étude publiée par le Journal de l'Association médicale canadienne le 18 mai 1999, on compare les maisons de soins privées et publiques au Canada. L'article dit que la plupart des maisons de retraite privées et publiques qui ont fait l'objet de l'étude donnent des soins de bonne qualité. On ne fait pas de distinction entre les maisons de soins privées et celles qui appartiennent à l'État.

Il s'agit d'une étude canadienne.

Dr Relman: Où cette étude a-t-elle été publiée?

Le sénateur Morin: Je savais que vous seriez au rendez-vous, docteur Relman.

Dr Relman: J'aimerais voir les chiffres.

Le sénateur Morin: Cette étude a été réalisée dans un contexte canadien. Si cela vous intéresse, nous avons ici un spécialiste canadien, le Dr Réjean Hébert, qui dirige l'Institute of Healthy Aging. Il affirme que la situation dans les maisons de soins au Canada est de beaucoup supérieure à celle de nos voisins américains. Au Canada, environ 50 p. 100 de ces maisons appartiennent à des capitaux public, et 50 p. 100 à des capitaux privés. Notre processus réglementaire est très strict, et la situation est la même dans toutes les provinces.

Mais il en va autrement aux États-Unis. Cet article signale que le processus réglementaire américain diffère de celui des autres pays; il est contradictoire et ainsi de suite, et varie d'un État à l'autre.

À mon avis, nous devrions nous pencher sur le système canadien plutôt que sur celui des États-Unis. Nous sommes obsédés par les États-Unis. Chaque fois que nous voulons parler des soins de santé dans ce pays, il semble impossible de le faire sans mentionner les États-Unis. À mon avis, il n'est pas pertinent pour nous d'examiner la situation des maisons de soins aux États-Unis. Nous devrions examiner le système canadien.

Je n'arrive pas à comprendre pourquoi nous perdons tellement de temps à étudier la situation des États-Unis qui est complètement différente de la nôtre. Nous pouvons inviter bon nombre de spécialistes. Par exemple, le Dr Hébert et d'autres membres de l'Institute on Aging et des IRSC, qui ont examiné en profondeur la situation des maisons de soins et qui pourraient nous donner leur avis sur l'état de ces maisons au Canada. Je suis surpris que nous ne l'ayons pas encore fait. J'en suis même extrêmement désappointé.

Nous avons eu une bonne matinée. D'abord, nous avons pu entendre le Dr Relman, et ce fut merveilleux, mais la suite a été une catastrophe. Le pire dans toute cette histoire est que ce texte a été diffusé dans le public. Il est paru dans le Winnipeg Free Press et sur leur site Web durant des semaines. Je m'insurge vigoureusement contre cette situation.

La vice-présidente: Docteur Morin, permettez-moi de faire un commentaire avant que les témoins ne vous répondent. Vous suggérez que certains membres du comité exercent une influence exagérée sur les autres. Si vous jetez un coup d'oeil sur les antécédents de la plupart des sénateurs qui en font partie, vous verrez que nous ne sommes pas vraiment du genre à suivre le troupeau.

Nous sommes en effet un groupe formé d'un échantillon assez remarquable de la société, le genre précis de personnes qui devraient s'attaquer à une étude des soins de santé. Nous avons parmi nous le sénateur Cook, qui a travaillé dans l'administration d'hôpitaux à Terre-Neuve-et-Labrador; le sénateur Pépin, qui est infirmière; la sénateur Robertson, qui a été ministre de la Santé dans la province du Nouveau-Brunswick et la sénateur Callbeck qui a été premier ministre et aussi ministre de la Santé de l'Île-du-Prince-Édouard.

Le comité compte aussi des sénateurs comme moi qui n'ont pas d'antécédents particuliers dans le domaine médical, mais qui abordent les soins de santé avec le point de vue des utilisateurs du système.

Je me sens grandement offensée lorsque l'on suggère qu'un membre du comité pourrait d'une manière quelconque influencer sa façon de voir les choses ou tout rapport que nous publions. Quiconque nous connaît personnellement ne nous classerait jamais dans cette catégorie de personnes.

Docteur Relman, vous vouliez répondre au Dr Morin, alors je vous en prie.

Dr Relman: Le Dr Morin a raison, comme d'habitude, lorsqu'il dit en parlant du système de soins de santé américain qu'une bonne part des problèmes liés à la qualité des soins des établissements à but lucratif sont attribuables, non exclusivement, mais dans une large mesure, aux lacunes dans la réglementation.

Toutefois, j'aimerais que vous adoptiez une plus large perspective et que vous alliez au-delà du fait que la réglementation est déficiente et que vous vous demandiez plutôt pourquoi elle l'est. À l'échelle du système américain de soins de santé, on trouve une réglementation insuffisante dans les établissements privés à but lucratif, tout autant que dans les établissements privés sans but lucratif. En ce qui concerne le système à but lucratif, il y a tellement d'argent en jeu dans les services de soins infirmiers, hospitaliers, ambulatoires et pharmaceutiques que les organismes réglementaires ont été persuadés, et j'irais jusqu'à dire intimidés, par l'influence politique et financière des propriétaires.

Ceci est un fait. Je ne pense pas que l'on puisse éviter cela aux États-Unis. Rappelez-vous ce que l'informateur disait aux enquêteurs lors du scandale du Watergate.

Il leur disait: «Suivez l'argent.»

Aux États-Unis, la prestation des soins de santé dans les établissements à but lucratif représente beaucoup d'argent. Cet argent est utilisé en partie pour faire en sorte que la réglementation demeure déficiente. Cela s'applique à la Food and Drug Administration ainsi qu'à toutes sortes d'organismes réglementaires. J'ai travaillé durant six ans pour un organisme public qui étudiait la qualité des soins dans les hôpitaux du Massachusetts. Il est clair pour moi que les considérations financières jouent un rôle important.

Sénateur Morin, je suis d'accord avec vous. Si nous avions une réglementation solide, énergique et non discriminatoire, bon nombre des problèmes que j'ai mentionnés en rapport avec la qualité seraient résolus. Malheureusement, il n'en est rien.

Mme Connors: Sénateur Morin, je vous ai entendu dire que, dans la plupart des cas, les établissements de soins de longue durée canadiens sont réglementés.

Lors de conversations avec des infirmières qui travaillent dans ce type d'établissements dans la Province d'Ontario, où les soins de longue durée ont été déréglementés et où il y a eu par la même occasion une prolifération de la construction de tout nouveaux établissements de soins de longue durée par le secteur à but lucratif, des questions cruciales ont fait surface. On a éliminé les critères de durée minimale des soins. Désormais, les infirmières en soins de longue durée, de concert avec les aides-infirmières et les infirmières auxiliaires, doivent dispenser des soins à des personnes âgées dont les besoins sont de plus en plus complexes et énormes sans qu'aucune loi ne réglemente les normes minimales en termes d'heures. Le gouvernement de l'Ontario les a éliminées.

Heureusement, que la même chose ne s'est pas produite dans toutes les provinces. Toutefois, pour le fournisseur de soins, et encore plus pour la personne qui en a besoin et qui les reçoit, le plus important est que la réglementation a été éliminée. Nous devons étudier l'expérience des États-Unis parce que j'ai bien peur que nous soyons à la veille de marcher sur leurs traces.

Nous avons besoin d'un cadre réglementaire solide, non seulement pour les services dispensés par nos hôpitaux et nos médecins, tels qu'ils sont prévus actuellement par la Loi canadienne sur la santé, mais aussi lorsque nous envisageons les soins de longue durée et les soins à domicile qui sont la voie de l'avenir dans la prestation des soins de santé dans ce pays, et le cadre réglementaire doit exister. Nous devons étudier les expériences des pays où ce cadre était absent. Voilà l'origine de notre fixation sur cette question.

Enfin, je représente les personnes qui travaillent dans le système pour assurer la prestation des soins, qui se débattent avec les réalités des cadres réglementaires dans lesquels nous évoluons. Si vous devez ponctionner une partie de votre investissement pour couvrir la marge bénéficiaire de vos actionnaires, cela signifie que vous aurez en bout de ligne moins de temps à consacrer aux soins. C'est ainsi que les choses se sont passées dans les maisons de soins en Ontario. Vous pouvez parler à n'importe quelle aide-infirmière ou infirmière autorisée qui travaille dans le système, elles ne feront que vous répéter encore et encore que c'est bien ce qui est en train de se passer.

M. McBane: J'aimerais répondre brièvement à deux remarques qu'a faites le sénateur Morin, dont l'une portait sur les maisons de soins.

C'est vrai que notre exposé comporte des lacunes. Certaines références devraient s'y trouver. Nous en avons inclus certaines sur notre site Web. Une étude extrêmement importante, encore plus récente que celle que vient de mentionner le Dr Morin, a été effectuée en 2001 par une grande firme de services-conseils en gestion, Price Waterhouse. On peut la consulter sur le site Web de l'Ontario Association of Non-Profit Homes. Il s'agit d'une étude tout à fait crédible qui établit des comparaisons entre des provinces canadiennes, notamment l'Ontario, et plusieurs États américains et autres administrations dans des pays étrangers.

Je conteste l'affirmation du Dr Morin comme quoi le Canada posséderait une meilleure réglementation que les États-Unis. La raison pour laquelle nous sommes au courant des abus qui ont cours chez nos voisins tient au fait que ce pays a un meilleur système d'inspection. Nous ne pouvons pas présumer que de tels abus ne se produisent pas nos maisons de soins à but lucratif. C'est tout simplement que nous ne voulons pas le savoir.

En Ontario, comme vient de le mentionner Mme Connors, le gouvernement Harris a aboli la réglementation minimale des soins infirmiers pour les résidents. Aux États-Unis, le gouvernement a exigé que l'on consacre à chaque résident deux heures de soins par jour. Telle est la réglementation qui prévaut aux États-Unis et que le Dr Morin juge très déficiente. En Ontario, il n'existe aucune norme minimale. L'étude réalisée par Price Waterhouse a montré que, en Ontario, en ce qui a trait aux soins, où les services sont assurés par Extendicare et d'autres entreprises, on consacre en moyenne 15 minutes à chaque résident par jour.

Dans son numéro du 20 février, l'Ottawa Citizen titrait «Les soins de longue durée sont en train de s'effondrer. La situation devient critique pour les personnes âgées qui vivent dans les maisons de soins.»

Nous allons mettre nos références à jour. Je suis d'accord avec vous que nous devrions parler davantage de la situation canadienne. J'encourage votre comité à examiner de plus près la situation des soins de longue durée.

Enfin, j'aimerais dire quelques mots au sujet des options présentées dans le rapport de votre comité. Ne regardez pas ma réaction. J'ai vu les réactions que vous avez suscitées aux quatre coins du pays. J'ai lu certaines des lettres que de grandes organisations de recherche en santé vous ont adressées et qui disaient que votre présentation des options était biaisée. Elles n'ont pas dit la même chose au sujet du rapport intérimaire du commissaire Romanow.

La vice-présidente: J'aimerais beaucoup entendre ce que le commissaire Romanow a dit, quoi qu'il en soit, parce qu'il ne semble pas avoir dit grand'chose de toute façon. Nous nous efforçons de faire connaître toutes les options possibles de manière à susciter un débat en profondeur sur cette question.

Nous prenons bonne note des références que vous nous avez données en Ontario. Mais, nous ne pouvons pas nous concentrer uniquement sur la situation qui prévaut dans cette province. En bout de ligne, nous essayons de considérer toute la situation en adoptant une perspective fédérale. Toutefois, ces références que vous avez faites précisément au sujet de l'Ontario nous seront très utiles.

Le sénateur Keon: J'aimerais profiter de l'énorme richesse intellectuelle du Dr Relman. Je suis tout à fait d'accord avec tout ce que vient de dire le Dr Morin. J'ai également lu chaque numéro du New England Journal of Medicine depuis les 30 dernières années. Docteur Relman, je pense avoir lu pratiquement tout ce que vous avez publié. Je vous admire sincèrement pour vos idées.

Permettez-moi de donner un cadre structurel à votre réponse. Le système de soins de santé du Canada est devenu en quelque sorte une icône nationale. À mon avis, la population en général est absolument terrifiée à l'idée que quiconque puisse vouloir y fourrer son nez et y changer quoi que ce soit. La majorité des Canadiens pensent de cette façon. D'un autre côté, les premiers ministres des provinces, de Vancouver à la Nouvelle-Écosse hurlent qu'ils s'en vont à la ruine.

Quantité de services ne sont pas assurés et les gens doivent payer pour ces services à titre privé. Quant à ceux d'entre nous qui oeuvrons dans le domaine des soins de santé, nous entendons des personnes nous dire qu'elles voudraient ne plus avoir à payer pour leurs médicaments sophistiqués, pour des soins à domicile qui ne sont pas couverts, pour la physiothérapie, et cetera...

Nous voici à la croisée des chemins et nous constatons que nous sommes fort bien protégés pour ce qui est des services hospitaliers et des médecins, même si je dois dire que nos hôpitaux dépendent dans une grande mesure des revenus générés par nos patients plus riches, autrement dit, ceux qui prennent des chambres privées et semi-privées. Tous les services médicaux ne sont pas couverts eux non plus. Ces dernières années, il y a eu environ 25 retraits de la liste des services assurés.

Nous devons aussi trouver le moyen de régler le problème des médicaments qui ne sont pas assurés et des personnes qui ne peuvent se permettre de prendre une chambre privée ou semi-privée, mais qui tiennent à en avoir une malgré tout. Je dois dire qu'habituellement, ces besoins sont comblés par mesure de commisération, mais la situation est en passe de créer un énorme problème.

Les programmes de prévention ne sont pas assurés. Dans le domaine des maladies cardiovasculaires en particulier, il s'agit d'une énorme lacune dans notre système actuellement.

Nous ne pouvons pas organiser les soins primaires parce que le système de rémunération des médecins est incompatible avec une équipe intégrée de professionnels de la santé; il y a en outre les cliniques régionales; les problèmes des soins à domicile et, bien entendu, les cliniques privées prolifèrent.

Nous sommes juste au nord des États-Unis et les gens aisés qui en ont assez de faire la file pour obtenir des services de santé s'adressent à nos voisins du sud. Ils trouvent que leur système est fantastique parce qu'ils peuvent recevoir le traitement le jour même. Ils trouvent le système américain extraordinaire. On me dit cela sans arrêt. De l'autre côté de l'Atlantique, les divers systèmes européens sont en quelque sorte des hybrides des systèmes canadien et américain. La plupart d'entre eux fonctionnent assez bien.

Il ne semble pas possible pour le moment pour nos administrations fédérale et provinciales de dire qu'elles vont assumer tous les coûts. Les gouvernements pensent que cela conduirait le pays à la faillite. Et pourtant, la privatisation galopante semble susciter une une très grande inquiétude chez tous, de quelque bord que l'on se trouve, comme vous avez pu l'entendre ce matin.

Si on devait vous mandater à titre de «grand conseiller» auprès de nos ministres fédéral et provinciaux de la Santé afin de les guider sur ce qu'ils devraient faire à partir de maintenant, que leur diriez-vous?

Dr Relman: Le sénateur Keon possède toutes les caractéristiques d'un bon médecin; il va droit au but. Il veut connaître le problème et comment le régler. C'est effectivement la bonne manière de l'aborder.

Si je disposais de quelques heures plutôt que d'une minute ou deux, je n'arriverais même pas à répondre à toutes les questions que vous soulevez. Je ne peux que vous indiquer la manière dont le Canada ou tout autre pays dans la même situation devrait aborder le problème.

Finalement, on en revient toujours à l'argent et aux services auxquels vous pensez que vos citoyens sont en droit d'attendre. Voilà tout. La question à se poser est la suivante: de combien d'argent le pays dispose-t-il pour fournir ces services auxquels tous les citoyens devraient avoir accès? Quelle somme pouvons-nous dépenser? Comment concevoir un système qui en assurera la prestation avec autant d'efficacité, de compétence et de compassion que possible?

Pour trouver la solution, vous devez réfléchir à l'ensemble des problèmes de financement public, aux problèmes d'assurance, à la protection offerte et à la somme que vous voulez dépenser. Il vous faudra aussi, comme pour nous aux États-Unis, regarder de très près ce qui se passe dans le système de prestation des services.

Sénateur Keon, vous et moi avons grandi dans un système où un médecin qui ne rechignait pas à la tâche, était compétent et connaissait bien son métier, pouvait ouvrir un cabinet et ne se préoccuper que de la qualité de son travail tout en sachant qu'il pouvait gagner très bien sa vie et se mériter le respect et l'admiration de ses patients. Il n'y avait pas de problème, si vous étiez compétent, honnête et si vous preniez grand soin de vos patients.

Aux États-Unis, cette époque est complètement révolue. C'est la raison pour laquelle j'ai dit que j'avais grandi au bon vieux temps. Lorsque les gens ne pouvaient pas payer, vous pouviez leur dispenser vos soins gratuitement. Pourquoi? Parce que vous n'aviez pas de souci à vous faire au sujet de votre revenu; vous aviez le temps et les ressources pour le faire et vous saviez que vous ne seriez pas éliminé par une économie qui vous serre de plus en plus près. Nous vivions dans une économie ouverte. Ce temps est révolu.

Le seul moyen de préserver les bonnes pratiques de médecine et les soins empreints de compassion dans notre nouveau climat économique consiste à avoir recours au travail d'équipe et à éliminer toutes les mesures d'encouragement économique que les fournisseurs ont inventées afin de fournir plus que l'essentiel, plus que ce qui est juste et bien sur le plan médical ou alors moins. Éliminez tous les incitatifs économiques et rémunérez les bons médecins et les bonnes infirmières parce qu'ils sont de bons professionnels. Payez-les pour leur temps; attendez-vous à ce qu'ils donnent un produit de haute qualité qui respecte les normes les plus élevées possibles; et cessez de traiter leur profession comme s'il s'agissait d'une entreprise. Vous avez raison, sénateur Morin, il fut un temps où il s'agissait d'une petite entreprise honorable. Mais nous ne pouvons pas fonctionner de cette façon aujourd'hui en raison de la limitation des ressources et des coûts énormes rattachés à la prestation de vrais bons soins.

Nous devons nous montrer extrêmement prudents à l'endroit des fournisseurs externes qui connaissent mal le système de soins de santé et qui ne sont pas assujettis au même engagement professionnel prépondérant que les fournisseurs professionnels. Nous devons faire très attention pour ne pas laisser ces fournisseurs externes, qui sont peut-être des investisseurs et des hommes d'affaires honnêtes, mais déterminés, exploiter le système. Je n'ai rien contre les hommes d'affaires, et si j'avais de l'argent, je l'investirais dans des entreprises américaines. Je ne m'oppose pas à l'approche commerciale, mais dans le domaine des soins de santé, je ne pense pas que l'approche pure et dure de l'investissement apporte quoi que ce soit.

Nous devons construire un système qui soit économique et rentable, mais un système qui soit fondamentalement sans but lucratif; c'est un système conçu pour la population. Les médecins et les infirmières sont en droit d'être bien rémunérés et d'obtenir le respect auquel ils ont droit, mais ils doivent être payés pour leurs efforts, et non à l'acte. À mon avis, l'avenir va dans ce sens.

Le sénateur Cordy: Moi aussi, je trouve que le document de la Coalition canadienne de la santé est offensant. Je n'ai pas fait d'études médicales, mais je tiens à ce que vous sachiez que le ton général de votre proposition mine les efforts consentis par le comité. Et pourtant, Dieu sait que nous avons travaillé comme un comité. Je ne pense pas que quiconque puisse suggérer que nous sommes un troupeau de moutons. Nous avons tous contribué à chacun des volumes de ce document.

Madame Connors, dans votre mémoire, vous recommandez à la page six ce qui suit:

Dépenser l'argent de façon responsable. Obliger les provinces à rendre des comptes sur les contributions qu'elles reçoivent.

Cette recommandation sonne bien en théorie, mais je suis persuadée que vous savez que les provinces tiennent absolument à conserver leurs prérogatives en matière de contrôle des soins de santé dans leur sphère respective et qu'elles n'apprécient guère de se faire dire comment dépenser les contributions du gouvernement fédéral.

Pourriez-vous nous donner des précisions sur ce que vous entendez exactement, parce que nous devrions toujours viser la responsabilisation?

Mme Connors: J'ai été infirmière durant 30 ans. Lorsque j'ai obtenu mon diplôme d'infirmière, j'étais convaincue que nous avions besoin d'une réforme des soins primaires. Trente ans plus tard, je suis encore là à dire à des comités qu'il faut opérer une réforme des soins primaires. Les gens qui se préoccupent des soins de santé demandent pour quelle raison cette réforme n'a pas lieu. Ceux qui ont oeuvré dans le système ont réclamé cette réforme.

Il doit y avoir des blocages quelque part. On sent un manque de volonté politique d'assumer les responsabilités en ce qui concerne le système et les pratiques multidisciplinaires et des questions de ce genre.

En ce qui concerne la question de la réforme des soins primaires, le gouvernement fédéral a imposé des obligations en contrepartie de ses contributions aux provinces à ce titre. Il les a informées que si elles prenaient la décision de procéder à une réforme, elles seraient tenues d'utiliser ces sommes à la réforme des soins primaires et que des projets pilotes devaient être mis en place. Les provinces ont donné leur accord. La Saskatchewan a mis sur pied un certain nombre de projets pilotes, qui ont montré de façon non équivoque que c'était la voie à suivre dans le futur en matière de prestation de soins de santé, non seulement dans cette province, mais partout ailleurs au pays. Dans ce cas précis, il y avait des obligations de rendre compte de l'utilisation des contributions.

Pour ce qui est de l'acquisition de la nouvelle technologie, le gouvernement fédéral a imposé des obligations de rendre compte de la façon dont les sommes étaient dépensées en indiquant le montant disponible en dollars pour un certain article d'exécution et les provinces pouvaient utiliser ces sommes pour acquérir de la technologie. Ces obligations ont déjà existé.

Mais les provinces sont réticentes. Nous savons qu'elles acceptent ces contributions et qu'elles jettent l'argent par les fenêtres. La première chose que le nouveau gouvernement de la Colombie-Britannique a faite en arrivant au pouvoir a été d'accorder une réduction d'impôt aux personnes qui en avaient le moins besoin. Les entreprises et les gens riches ont bénéficié de cette réduction d'impôt. Est-ce que l'on dépensait cet argent pour acheter de la nouvelle technologie?

L'obligation de rendre compte des dépenses est véritablement au coeur de la question. On devrait sentir une volonté politique de dire que les programmes de soins à domicile sont une priorité. Le sénateur Keon a pris les devants pour parler d'un problème de première importance. En effet, la responsabilisation dans le domaine des soins palliatifs pourrait améliorer la manière dont les soins sont dispensés aux personnes en phase terminale. Ce type de leadership pourrait être mis en place si on exigeait des provinces qu'elles rendent compte de l'utilisation des contributions versées par le gouvernement fédéral.

Nous devons revenir en arrière et regarder comment nous avons obtenu nos hôpitaux dans ce pays. Le gouvernement fédéral a contribué un dollar pour chaque dollar dépensé par une province pour construire un hôpital.

En tant qu'infirmières, et cela reflète le point de vue de notre organisation depuis que j'en suis la présidente, c'est-à- dire presque 12 ans, nous avons déclaré que ce genre de programme devrait être mis en place pour les soins de longue durée et les soins à domicile afin de mettre en place l'infrastructure nécessaire pour sortir des murs des hôpitaux et faire en sorte que les soins de santé soient dispensés sans discontinuité. Il y a des moyens d'y arriver.

La question des ressources humaines en santé est cruciale. Le gouvernement fédéral devrait imposer aux provinces des obligations en ce qui concerne les contributions disponibles pour les aider à combler les déficits en matière de médecins de famille, d'infirmières et de radiologistes et pour toutes les personnes qui sont absolument essentielles à la prestation des soins à tous les Canadiens.

La vice-présidente: Je salue la réponse inspirée de l'excellente présidente que vous avez été. Je suppose que vous voulez continuer madame Connors?

Mme Connors: C'est une question de politique. Tout dépend des élections.

La vice-présidente: Vous savez vous y prendre, de toute évidence. Au nom de mes collègues, je remercie sincèrement tous les témoins.

Nous consacrerons les trois-quarts d'heure qui restent à nos prochains témoins qui représentent l'Association nationale des retraités fédéraux ou l'ANRF. Ces témoins s'étaient présentés devant le comité à Fredericton, mais nous avions pris du retard sur notre horaire et nous trouvions au beau milieu d'une grosse tempête de vent. L'association nous avait remis son mémoire, mais elle avait manqué de temps pour nous le présenter. Aussi, nous allons reprendre là où nous avions terminé.

J'aimerais souhaiter la bienvenue à M. Heath et M. Guy de l'ANRF. Merci d'avoir accepté de venir témoigner devant notre comité et de nous donner une deuxième chance.

M. Rex G. Guy, président national, Association nationale des retraités fédéraux: Merci à vous de nous donner une deuxième chance, madame la présidente. Nous sommes reconnaissants d'avoir la possibilité de revenir.

D'entrée de jeu, je tiens à vous dire que cette matinée a été des plus instructives. Je suis heureux d'avoir pu assister aux témoignages précédents.

En ce qui concerne le débat entourant le professionnalisme et le professionnalisme médical, je tiens à souligner que, si je peux me présenter devant vous aujourd'hui, c'est justement grâce au professionnalisme médical de personnes comme le sénateur Keon, qui, il y a deux ans, m'ont fait subir une greffe de l'aorte sans laquelle je ne serais peut-être pas des vôtres aujourd'hui.

Les honorables sénateurs qui étaient présents lors de la réunion de consultation tenue à Fredericton, le 8 novembre 2001, se rappelleront que pour des raisons de logistique nous n'avions pas été en mesure de présenter notre exposé, même si nous avions déposé notre mémoire pour étude. Je n'ai pas l'intention de répéter le contenu de cet exposé. Je me permettrai toutefois de donner des explications sur certains points que nous soulevions alors et d'en développer d'autres. Nous répondrons avec plaisir à vos questions à la fin de notre bref exposé.

Je suis en compagnie de M. Roger Heath, qui est attaché de recherche auprès de notre association. Il a analysé l'ensemble du débat en cours sur l'avenir de notre système de soins de santé. Je bénéficie également de l'appui du directeur exécutif de l'association, M. Jean-Guy Soulière et de son directeur adjoint, M. Keith Patterson.

Comme vous connaissez déjà les antécédents de notre association et ceux que nous représentons, je vais commencer dès maintenant.

La plupart de nos membres vivaient au Canada bien avant l'introduction du régime public d'assurance-maladie, il y a environ 40 ans. Ils connaissent et comprennent les tribulations que bien des Canadiens et leurs familles ont dû endurer.

Bon nombre de ceux qui réclament à grands cris des changements radicaux dans notre système sont nés après sa mise en oeuvre. Et beaucoup ne comprennent pas les conséquences qui résulteraient de la destruction de notre système de santé. Il est absolument primordial que tous les Canadiens puissent compter sur un système de soins de santé public, efficace, efficient et complet, aujourd'hui et dans le futur.

Mais pour que l'exercice en cours débouche sur la mise en oeuvre d'un système juste, équitable, efficient et efficace, il faudra une volonté politique d'y arriver. Les sempiternels tiraillements inutiles, absurdes et dangereux entre les politiciens des gouvernements fédéral et provinciaux doivent cesser. Nous supplions nos politiciens de cesser de vouloir à tout prix montrer qui a raison, pour enfin retrousser leurs manches et se mettre au travail.

Nous avons suivi le débat sur l'avenir de notre système de soins de santé avec intérêt. Nous avons réalisé des recherches dans de nombreux domaines. Nous avons consulté plus de 120 000 membres des 80 divisions de tout le pays, et nous avons discuté des problèmes avec les 11 autres groupes de retraités formant le Congress of National Seniors Organizations. Les 12 organisations membres du congrès représentent environ 2 millions de Canadiens âgés.

En s'inspirant des résultats de cet exercice, l'ANRF fait les recommandations suivantes. Ces recommandations ne serviront pas à réorganiser le système de soins de santé canadien. Elles décrivent les intérêts primordiaux de nos membres. Elles traduisent leurs préoccupations et nous tenons à vous les présenter.

La première de ces recommandations est que les cinq principes de la Loi canadienne sur la santé soient réaffirmés. Ces cinq principes sont des objectifs, et à ce titre, ils n'empêchent pas l'innovation ou la réforme, malgré les doléances de certains. Ces cinq principes doivent être considérés comme le fondement de la politique. On doit leur donner la même signification dans tout le pays, et les appliquer uniformément d'est en ouest afin d'éliminer les différences qui existent aujourd'hui entre les régimes d'assurance-maladie de chaque province et territoire.

Il ne fait aucun doute que ces principes doivent être redéfinis afin de refléter la réalité et l'environnement dans lesquels nous vivons aujourd'hui. Par exemple, l'expression «services médicalement nécessaires» prend une signification différente selon les provinces. Cette seule distinction nous empêche d'adopter une approche unique des services de santé à l'échelle du pays.

Nous recommandons que l'on augmente les dépenses au titre des soins de santé. Nous sommes arrivés à la conclusion que les Canadiens sont prêts à payer davantage pour pouvoir bénéficier d'un système de qualité. Peu importe que ce financement provienne des impôts du gouvernement fédéral, des provinces ou directement des particuliers. De toute manière, en dernier ressort, c'est toujours le contribuable qui paie. L'argent sort de votre portefeuille et du mien.

Cependant, cet argent doit servir à financer les soins de santé et nous devons nous assurer que tous les changements nécessaires seront apportés au système existant. Il y a beaucoup à faire si nous voulons réaliser des économies et améliorer la rentabilité aussi j'aimerais vous faire part de certaines recommandations qui, à mon avis, nous permettraient de réaliser notre objectif.

Nous recommandons l'instauration d'un programme universel d'assurance-médicaments pour tous les Canadiens. Nous pensons qu'un tel système permettrait d'économiser de l'argent. Il est évident que les gouvernements verraient leurs coûts augmenter, mais le coût global pour ceux qui paient — c'est-à-dire, vous et moi, serait selon nous moindre.

Et pourquoi? Parce que, selon nous, en coordonnant l'achat de médicaments à l'échelle du pays, nous devrions pouvoir obtenir des escomptes importants. Ce programme favoriserait l'adoption de pratiques susceptibles de nous faire réaliser des économies, comme la prescription de médicaments standard. Par ailleurs, une utilisation efficace des médicaments réduit la demande sur les autres parties du système.

De plus, comme l'a souligné votre comité, nous avons un problème parce que nos gouvernements au Canada ont très peu d'expérience en matière de participation aux frais et de mécanismes qui intègrent réellement l'assurance publique et l'assurance privée. Pourtant, l'assurance privée et la participation aux frais pour des médicaments sont monnaie courante au Canada. Un programme national d'assurance-médicaments permettrait d'acquérir de l'expérience dans ce type d'arrangements.

Nous recommandons aussi que les soins à domicile soient intégrés à la Loi canadienne sur la santé. Il en va comme pour l'assurance-médicaments, certaines provinces fournissent des soins à domicile, tandis que d'autres provinces ne le font pas. Cet exemple illustre une fois de plus à quel point les principes actuels de la Loi canadienne sur la santé sont interprétés différemment et il soulève la question de la prestation de services équitables pour tous les Canadiens.

La restructuration des soins de santé des années 90 et la pratique de plus en plus répandue qui consiste à donner un congé précoce aux patients qui reçoivent des soins de courte durée dans les hôpitaux ont entraîné un accroissement de la demande pour les soins à domicile. Et malgré cela, les soins à domicile n'ont pas reçu les fonds suffisants pour suivre l'évolution des congés d'hôpitaux. L'investissement actuel au titre des soins à domicile est cruellement insuffisant.

Le financement public des soins à domicile pourrait être vu par d'aucuns comme venant remplacer le financement privé, et cela mérite considération. Permettez-moi de vous citer un témoignage présenté récemment par le Congress of National Senior's Organizations, dont nous faisons partie, comme je vous l'ai déjà mentionné.

Il y a une ou deux semaines, le Congress of National Senior's Organizations a déclaré en substance à la Commission Romanow que:

Home les soins et les services à domicile aidaient les personnes âgées à conserver leur indépendance. Il a fait valoir que ces services retardent et même éliminent l'institutionnalisation des personnes âgées tout en favorisant leur intégration sociale. Les soins à domicile peuvent contribuer en outre à réduire les coûts du système de soins de santé en diminuant la pression sur l'occupation des lits réservés aux soins actifs destinés aux patients en convalescence et en réduisant la demande pour les lits réservés aux soins de longue durée en institution, on permet ainsi à la population vieillissante de conserver son indépendance et sa dignité et demeurer chez elle et aux patients recevant des soins palliatifs de finir leurs jours dans le confort rassurant de leur milieu familial.

Nous recommandons que l'on accorde autant d'importance au maintien en santé qu'aux soins de santé. Comme le démontre votre rapport, le maintien en santé exige davantage qu'un secteur de la santé bien géré et fait appel à la participation d'autres ministères que celui de la santé. En effet, l'éducation peut inculquer des aptitudes de vie qui accompagneront les personnes durant toute leur vie. Par ailleurs, les programmes communautaires peuvent aider les personnes âgées à conserver leur indépendance plus longtemps.

Même dans leur définition la plus restreinte, les soins de santé sont liés à des décisions qui échappent parfois au contrôle du secteur. Par exemple, l'assouplissement des règles régissant la publicité pour les médicaments que le gouvernement fédéral étudie actuellement pourrait avoir une incidence importante sur les coûts des médicaments, et en particulier sur les dépenses courantes des ménages.

Si le système parvenait à coordonner convenablement les impératifs du système de soins de santé, les règles qui restreignent la publicité sur les médicaments prescrits au Canada ne seraient pas assouplies, et les publicités américaines seraient bloquées à leur arrivée sur le réseau canadien de câblodistribution. L'ANRF appuie vigoureusement les commentaires du comité sur la nécessité de mieux coordonner les actions des divers ministères et du public en matière de soins de santé.

En conclusion, les soins de santé sont de nos jours un sujet de discussion dans pratiquement tous les ménages canadiens. Il ne se passe pas une journée sans que les médias ne publient de rapports nous prédisant la fin de notre système de soins de santé. Ces rapports affirment tantôt que le système est en crise tantôt qu'il ne l'est pas. Les mêmes rapports font valoir que les provinces se débrouilleront seules, et que notre système de soins de santé est au-dessus de nos moyens. Le moins que l'on puisse dire est que toute cette information est à l'origine d'une terrible confusion et de beaucoup d'inquiétude pour la majorité des Canadiens.

Il faut ramener l'ordre et l'objectivité dans ce débat. Votre comité s'y est employé et nous lui en sommes reconnaissants. Pour pouvoir participer activement et sérieusement au débat, les Canadiens doivent recevoir une information exacte.

Je remercie encore une fois le comité de nous avoir invités aujourd'hui. J'aimerais dire une dernière chose.

Tous ceux et celles qui ont suivi les travaux de ce comité ont sans doute été impressionnés par la qualité de la plupart des mémoires qui ont été présentés. On constate qu'il existe énormément d'engagement, de compréhension et de gros bon sens, même à l'extérieur du secteur de la santé. Par ailleurs, le pessimisme des membres du comité en ce qui concerne la possibilité de réaliser des gains d'efficience importants ne vient pas du fait que ce soit difficilement réalisable, mais origine plutôt, en partie, de l'attitude et du comportement de ceux qui ont des intérêts directs dans le système de soins de santé.

L'Association nationale des retraités fédéraux exhorte vigoureusement ce comité à recommander la mise en place de mécanismes facilitant la participation continue du public à la politique des soins de santé. Donner à la population l'occasion de défendre ses intérêts est peut-être le seul moyen de franchir l'impasse dans laquelle nous nous trouvons.

Nous sommes prêts à répondre à vos questions.

Le sénateur Morin: J'ai deux questions à vous poser. Vous recommandez, à l'instar de nombreuses autres organisations, que nous instaurions un système national d'assurance-médicaments ainsi qu'un programme de soins à domicile. Vous recommandez aussi que nous abolissions la participation aux frais dans ces domaines. Cela signifie que dans les deux cas nous devrions compter sur une couverture au premier dollar. Il en est déjà ainsi pour les soins hospitaliers et les soins médicaux. Nous aurions alors une couverture universelle au premier dollar dans deux domaines additionnels qui ne sont pas couverts par le régime d'assurance-maladie, soit l'assurance-médicaments et les soins à domicile. Ainsi, la totalité des soins et des services offerts par le système de soins de santé bénéficieraient de la couverture au premier dollar. Aucun pays dans le monde n'est en mesure d'offrir ce genre de garantie.

Je ne trouve rien à redire à cela, mais actuellement les contributions au titre du système de prestation des soins de santé proviennent à près de 70 p. 100 des dépenses publiques, et à plus ou moins 30 p. 100 du financement privé. Le pays qui enregistre le pourcentage le plus élevé de dépenses publiques au titre de la santé est la Suède, avec environ 85 p. 100. Si nous adoptions un tel système, nous nous retrouverions avec un financement provenant à 100 p. 100 du secteur public, ce qui entraînerait des dépenses supplémentaires de 30 milliards de dollars par année. Avez-vous pensé à l'incidence sur les impôts si les dépenses publiques devaient soudainement grimper de 30 milliards de dollars par année? Ce serait la différence entre un financement public à 70 p. 100, et un financement à 100 p. 100.

Vous avez déclaré, avec raison, que notre système de soins de santé est une mosaïque qui varie d'une province à l'autre. La protection est différente dans chaque province, et nous ne pouvons pas dire que la transférabilité existe. Qu'avez-vous à répondre à cela? Pensez-vous que le gouvernement fédéral devrait assumer un rôle plus important dans notre système de soins de santé? L'administration fédérale a déjà une influence sur ce système par l'entremise de ses contributions aux provinces. Pensez-vous qu'elle devrait assumer un rôle différent pour s'assurer que le système de soins de santé sera similaire et transférable d'une région du pays à l'autre?

M. Roger Heath, agent de recherche et de communications, Association nationale des retraités fédéraux: Votre première question vise la participation aux frais pour l'assurance-médicaments et les soins à domicile. Nous considérons que les utilisateurs paient déjà pour l'assurance-médicaments et que beaucoup ont une assurance privée. Par exemple, bon nombre de nos membres font partie du Régime de soins de santé de la fonction publique, et obtiennent la protection de l'assurance-médicaments dans le cadre de ce régime.

Nous pensons qu'il y a là une occasion à saisir pour le Canada de réaliser des expériences en matière de financement partagé. En médecine, la devise est «d'abord, ne pas nuire». Si nous augmentons les dépenses publiques sans pour autant réduire la participation aux frais pour certaines personnes, dans ce cas nous ne faisons de tort à personne parce que d'aucuns s'en trouveront mieux. La raison principale pour laquelle nous nous concentrons sur l'assurance- médicaments et les soins à domicile est que nous pensons qu'un système bien organisé nous reviendrait moins cher à l'échelle du pays et que nous pourrions offrir de meilleurs soins à domicile et des médicaments à meilleur prix pour un coût inférieur. Je répète qu'il s'agit d'un principe élémentaire de la politique gouvernementale: si vous disposez d'une solution de rechange qui permet d'améliorer la situation et d'économiser, vous avez de solides arguments. Dans le volume quatre de votre rapport, vous mentionniez que les systèmes publics coûtent en général moins cher. Si vous voulez, je peux vous parler de l'analyse que nous avons faite et qui montre que ces deux programmes reviendraient certainement moins cher et contribueraient à offrir de meilleurs soins médicaux.

Pour ce qui est de la mosaïque provinciale, nous adhérons fermement aux cinq principes. L'un de ces principes est celui de l'universalité. Actuellement, les soins de santé diffèrent dans chaque province. De fait, l'un des principaux facteurs déterminants de la protection que vous recevez en termes d'assurance-médicaments est justement la province dans laquelle vous vivez. Nous pensons que le seul moyen de donner à tous le même accès, à l'échelle du pays, consiste à intégrer ces sphères de responsabilité dans la Loi canadienne sur la santé.

Hier, Mme Monique Bégin, ancienne ministre de la Santé, faisait remarquer que le gouvernement fédéral doit faire preuve de leadership en ce qui concerne l'accroissement des dépenses pour le système des soins de santé. J'ajouterais, à l'instar des infirmières, que ces contributions du gouvernement fédéral pourraient être assorties d'obligations de rendre compte de leur utilisation. Il est acceptable pour les provinces d'avoir à rendre compte de l'emploi de ces crédits. Ainsi, on pourrait instaurer à l'échelle du pays un régime d'assurance-médicaments et de soins à domicile, pas nécessairement soumis aux exigences du gouvernement fédéral, mais qui définirait ce qui est médicalement nécessaire. Les trois éléments caractérisant les facteurs les plus importants de la médecine moderne et qui définissent les «services médicalement nécessaires» et font en sorte que ces éléments sont dispensés, peut-être à l'intérieur d'un calendrier d'exécution déterminé dans certains cas, contribueraient à la mise en place du genre de système de soins de santé que veulent avoir les Canadiens.

La vice-présidente: Trouveriez-vous acceptable que des obligations de rendre compte soient rattachées à certains de ces programmes?

M. Heath: Oui, assurément.

Le sénateur Fairbairn: Dans votre mémoire bref et pertinent, vous avez probablement touché les points essentiels de nos efforts mieux que beaucoup d'autres ne l'ont fait. Probablement parce que vous entretenez des liens étroits avec les gens que vous représentez, et que ces personnes concentrent leurs efforts et se montrent très persuasives dans leurs communications avec vous.

Permettez-moi, pour un instant, de commenter ce que vous avez dit au sujet des soins de santé. Comme le disait la vice-présidente, certains membres de notre comité ont des antécédents dans le domaine médical. Toutefois, tous sont des utilisateurs du système ou dans une position où ils doivent aider d'autres utilisateurs. Pour ma part, j'ai une parente âgée de 91 ans qui est encore alerte et qui tient à jouer son rôle et à avoir la meilleure qualité de vie possible, et pour cela elle doit avoir recours à ces soins prolongés dont vous venez de parler. Les soins à domicile sont actuellement l'un des aspects les plus difficiles du débat, et pourtant ils sont l'un des secteurs qui offre les plus grandes possibilités d'aider les gens.

De quelque point de vue que l'on se place, il est clair que la solution à nos problèmes passe par l'augmentation du financement. J'aimerais connaître votre opinion sur quelque chose que j'ai observé en essayant d'aider ma tante à obtenir des soins à domicile. Dans bien des cas, le problème ne tient pas à l'inexistence des services, mais plutôt à la difficulté d'avoir accès à ce qui existe déjà.

Il y a toujours eu des soins à domicile. Cependant, de nos jours, ces soins représentent un élément vital du système de soins de santé étant donné le changement de rôle des hôpitaux et des médecins et l'accent mis sur les soins actifs donnés à domicile. Selon mon expérience, ce système que l'on est en train de développer n'est pas intégré. Il y a un manque de communication entre les divers paliers chargés de faire en sorte que les soins à domicile se concrétisent, de l'hôpital aux médecins, en passant par les évaluateurs et les personnes qui se déplacent pour venir rendre les soins. C'est sans doute l'un des obstacles empêchant les Canadiens âgés d'avoir accès au système, même lorsqu'il est en place et que l'on trouve des gens prêts à dispenser les soins. Il arrive souvent qu'un manque de communication entre les divers paliers soit à l'origine de la difficulté qu'il y a à obtenir les soins et l'aide requis.

Est-ce que cela rejoint certaines des préoccupations des personnes que vous représentez?

M. Guy: Oui, effectivement. Je vous remercie de vos commentaires élogieux. Nous sommes en effet très près de nos membres dans tout le pays. Nous avons 80 divisions qui tiennent régulièrement des réunions et ces sujets sont souvent à l'ordre du jour, ainsi qu'ici à Ottawa lors de notre congrès annuel.

Comme pourrait en témoigner votre vice-présidente, les soins de santé ont suscité beaucoup d'intérêt lors de notre congrès du mois d'août. Par ailleurs, nous entendons encore des commentaires appréciateurs au sujet de l'exposé que la vice-présidente avait présenté à cette occasion.

La vice-présidente: Merci beaucoup.

M. Guy: Pour en revenir au sujet des soins à domicile, je suis de la Nouvelle-Écosse, et chez nous c'est un sujet brûlant, comme bien d'autres choses.

Soit dit en passant, on a bricolé le système d'assurance-médicaments il y a deux jours seulement, en se contentant de modifier certaines exigences d'admissibilité et en fixant le prix des cotisations que les personnes âgées devraient verser pour en faire partie.

Nous bénéficions d'un régime d'assurance-soins médicaux privé, encore que ce soit celui du Régime de soins de santé de la fonction publique. Nous participons à la gestion tripartite de ce régime. Je ne pense pas faire d'erreur en affirmant qu'il s'agit de l'un des plus vastes au pays. Étant donné que nous bénéficions de ce régime, en Nouvelle- Écosse, nous sommes exclus de la participation à l'assurance-médicaments. On nous a déboutés il y a un an ou deux parce que nous avons une assurance privée qui inclut des prestations pharmaceutiques; c'est la raison pour laquelle nous ne sommes pas admissibles à l'assurance-médicaments pour les personnes âgées. Mais cela n'a rien à voir avec la question que vous venez de me poser.

Le sénateur Fairbairn: C'est intéressant.

M. Guy: En Nouvelle-Écosse, la question des soins à domicile est très complexe et très compliquée. Je pense que j'ai ressenti la même chose que vous en essayant de les obtenir pour un membre de la famille. Mon beau-père en a eu besoin, il y a quelques années, et ma femme, en qualité d'aînée de la famille, s'en était occupée. Il faut faire des contorsions extraordinaires pour obtenir des soins à domicile, et cela peut aller jusqu'à la vente de votre maison pour assumer une partie des coûts. La situation est très complexe, en Nouvelle-Écosse, tout comme dans les autres provinces, je suppose.

Le sénateur Fairbairn: J'aimerais faire un commentaire qui trouvera peut-être un écho chez vous. Dans le labyrinthe que vous devez emprunter pour obtenir ces soins à domicile, j'ai découvert que l'annuaire du téléphone n'était pas d'un grand secours. Ceux qui ont grandi en pensant que l'on pouvait tout y trouver, de A à Z, s'apercevront désormais qu'il existe des pages roses ou vertes qui vous disent où se trouvent les soins à domicile, sauf que ce n'est pas ainsi qu'on les appelle. Il faut pratiquement avoir des dons de voyance pour s'y retrouver et pour venir en aide à sa famille.

M. Guy: En Nouvelle-Écosse, on s'inquiète aussi du fait qu'une fois que l'on a décidé que vous êtes admissible à recevoir des soins à domicile, il se peut que l'on vous expédie à 300 milles de chez vous pour y recevoir les fameux soins et que vous vous retrouviez ainsi isolé de vos proches.

M. Heath: L'ANRF a mis sur pied un plan d'assurance pour les soins à domicile ou en établissement à l'intention de ses membres. Il s'agit de la première assurance du genre au Canada. Cinquante pour cent de nos 120 000 membres nous ont demandé des renseignements à ce sujet. Cela montre à quel point cette question est d'actualité parmi les retraités, et non seulement chez les gens âgés. Cinq pour cent de nos membres ont présenté une demande et la moitié d'entre eux bénéficient déjà de l'assurance. Dépendant du prix de la cotisation, l'assuré peut obtenir une assurance pour les soins à domicile seulement, les soins à domicile et en établissement ou les soins en établissement seulement. Les soins à domicile sont de loin l'option la plus populaire auprès de nos membres.

Pour ce qui est de la complexité, la compagnie d'assurance ne veut naturellement pas avoir à débourser pour des services auxquels le membre serait admissible gratuitement s'ils sont offerts par le gouvernement. Aussi, lorsqu'un membre demande à recevoir les prestations de l'assurance, la compagnie désigne une infirmière qui agit à titre d'agent dans la localité et celle-ci démêle l'écheveau de l'assistance disponible.

Des membres nous ont confié que deux choses leur avaient ouvert les yeux au sujet de l'assurance. La première est qu'il faut assister aux réunions d'information afin de bien comprendre ce qui se passe dans leur province au chapitre des soins à domicile et en établissement. La deuxième est qu'il faut reconnaître qu'il y a des obstacles à l'accessibilité à ces soins et qu'il est nécessaire de posséder une certaine expertise pour les obtenir. Comme vous l'avez dit, ce n'est pas facile. Je sais très bien que certaines provinces prennent des mesures afin d'améliorer l'accès aux services, mais je répète que la situation n'est pas la même partout. Un programme national, qui s'appuierait sur des principes exprimés au moyen d'un ensemble de règles bien comprises, ferait sans doute beaucoup pour améliorer l'accès des Canadiens aux soins à domicile pour lesquels ils paient de toute façon.

Le sénateur Fairbairn: Vous n'avez pas très bien répondu à la dernière question. Toutefois, je pense que c'est un domaine où notre rapport final pourrait se révéler très utile. Même si nous ne possédons pas les réponses, nous pourrions au moins essayer de mettre de l'avant certaines lignes directrices parce que la situation présente d'énormes inégalités d'est en ouest.

Même dans les régions où la population peut disposer des systèmes et où les avantages financiers sont supérieurs à ceux d'autres régions, l'accès à ces soins devient purement théorique si vous n'arrivez pas à vous y retrouver dans ce dédale administratif. C'est un sujet de préoccupation et de frustration lorsque vous savez que les services existent pour un membre de votre famille ou pour vous-même, mais que vous ne pouvez pas mettre facilement la main dessus. À mon sens, c'est très frustrant lorsqu'il s'agit d'un service obligatoire au sein d'un système de soins de santé national.

M. Heath: Oui, en effet.

Le sénateur Cook: Je me trouvais dans votre province la dernière fois, et j'ai trouvé vraiment dommage que nous ne puissions pas vous entendre, mais j'ai bien lu votre mémoire. Je suis heureuse de vous voir aujourd'hui.

Sur la dernière ligne, à la page 4 de votre mémoire, vous mentionnez que les soins à domicile devraient être intégrés à la Loi canadienne sur la santé. Qu'en est-il des maisons de soins dans ce contexte, ou alors est-ce que vous les englobez lorsque vous parlez des soins à domicile?

M. Heath: La recommandation vise réellement les soins à domicile. C'est à cet égard que nos membres ont exprimé le plus d'intérêt. Nous pensions que nous ne pourrions pas aller plus loin, aussi nous nous en sommes tenus aux soins à domicile.

Le sénateur Cook: Que pensez-vous de l'idée que les maisons de soins puissent tomber dans la même catégorie, étant donné que nous faisons partie d'une population vieillissante et que notre espérance de vie s'allonge? Les statistiques nous révèlent que nous deviendrons des personnes âgées, puis des aînés fragiles.

M. Heath: Notre position repose sur deux facteurs. Elle traduit l'intérêt de nos membres pour les soins à domicile. L'image de la personne âgée fragile qui est incapable de prendre soin d'elle-même est dépassée et ne correspond en rien à nos membres.

De fait, vous pouvez envisager toute cette question sous l'angle du maintien en bonne santé, c'est-à-dire de traiter les maladies chroniques afin d'éviter qu'elles ne dégénèrent en invalidité, en affaiblissement et pour finir en soins en établissement. La majorité des personnes âgées et la plupart de nos membres ont très à coeur de rester en bonne santé et de conserver leur indépendance. Et cela signifie demeurer dans son domicile. Voilà pourquoi nous insistons tellement sur ce point.

Pour ce qui est de l'autre volet de votre question, si on insiste un peu, oui nous croyons au traitement égal. Nous pensons que le seul moyen d'y parvenir consiste à inclure tous les éléments nécessaires à la prestation des soins de santé sous le chapeau de la Loi canadienne sur la santé, de sorte que ce soient ses principes et ses mécanismes qui les régissent.

Le sénateur Cook: On peut s'attendre à ce que la situation évolue des soins à domicile vers les maisons de soins...

M. Heath: ... puis vers les soins en établissement, oui, en effet.

M. Guy: Pour renchérir sur ce que vient de dire M. Heath au sujet des aînés d'aujourd'hui qui sont des personnes vivantes et énergiques, j'aimerais répéter une chose qui revient régulièrement dans ce genre de discussion. Le jour vient rapidement où chaque personne âgée de ce pays saura se servir d'un ordinateur.

La vice-présidente: Il est important de conserver aussi la qualité de vie.

Mesdames et messieurs, en notre nom à tous, je tiens à remercier M. Guy et M. Heath. Nous apprécions qu'ils aient accepté de se représenter devant le comité, non seulement pour être vus, mais aussi pour être entendus.

La séance est levée.


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