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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie


Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 52 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 1er mai 2002

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 15 h 50 pour examiner l'état du système de soins de santé au Canada.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous entamons aujourd'hui les travaux dont les résultats figureront dans notre prochain volume, soit le volume 6 sur l'état du système de soins de santé, qui sera publié à la fin d'octobre. Ce volume renfermera nos propositions ainsi que leur coût pour le Canadien moyen. Nous espérons pouvoir proposer plusieurs options d'accroissement des recettes de sorte que les Canadiens puissent amorcer un débat en connaissant les véritables enjeux, non seulement en ce qui a trait à l'amélioration de la qualité des soins de santé, mais en ce qui concerne l'impact que la réforme aura sur leur situation financière.

Cet après-midi, notre témoin est M. Michael Decter. M. Decter a déjà été sous-ministre de la Santé au Manitoba et en Ontario. Il a rédigé plusieurs ouvrages sur la santé, notamment Four Strong Winds of Change, publié il y a un an. Il est reconnu comme l'un des théoriciens de la politique des soins de santé parmi les plus créatifs au pays.

Le fait que M. Decter témoigne aujourd'hui devant le comité alors que nous accueillons dans la salle plusieurs élèves du Forum pour jeunes Canadiens, qui consacrent ici une semaine à l'étude du gouvernement et du Parlement, est extraordinaire à mon avis parce que, entre autres choses, M. Decter est un merveilleux enseignant. Je souhaite la bienvenue aux élèves. Nous sommes ravis de vous accueillir.

Comme vous le savez, monsieur Decter, notre séance est informelle, en ce sens que nous aimerions que vous nous fassiez d'abord part de votre réaction à notre rapport. Ensuite, nous vous poserons des questions. Merci beaucoup d'être là.

M. Michael Decter, président, Conseil d'administration, Institut canadien d'information sur la santé: Merci de m'avoir invité. D'abord, je tiens à féliciter le comité pour le volume 5. Je l'ai dit au moment de la publication du document. Je prendrai donc seulement une seconde pour le répéter: votre travail est une réponse très réfléchie et créatrice au dilemme dans lequel se trouve le Canada en ce qui concerne l'avenir de sa politique de la santé. De toute évidence, vous avez décortiqué bon nombre des problèmes à ce chapitre et vous avez produit une merveilleuse mosaïque tout à fait canadienne. Ce n'est peut-être pas aussi pur que certaines des idées lancées au début, mais on y trouve une bonne dose de réalisme.

Je dois dire également que dans ma tendre jeunesse, j'étais en faveur de l'abolition du Sénat, comme on le préconisait dans l'Ouest. Mes opinions se sont tempérées au fur et à mesure que de nombreuses personnes que je respectais et admirais accédaient au Sénat. Je crois qu'à la lumière de cet excellent rapport, je dois me défaire totalement de ces opinions. Je vois maintenant le bien-fondé d'une deuxième chambre du Parlement.

D'après ce que je comprends, vous allez maintenant tenter de franchir le droit le plus difficile de cette course de relais, c'est-à-dire passer du volume 5 au volume 6, pour traiter non seulement des mesures qui doivent être prises, mais de la façon dont on pourrait procéder. C'est là un énorme défi et ce, pour diverses raisons. Le rôle qui revient à votre comité consiste à aborder la question d'un point de vue national, alors qu'une bonne partie de ce qui doit être fait se situe au niveau régional ou provincial. Par conséquent, vous devez relever le défi de trouver comment informer les gens et influer sur le comportement de ceux dont l'emploi ou même le financement ne relève pas directement du gouvernement du Canada.

J'exclus ici, par exemple, les sphères de la recherche où, à mon avis, vous avez fait un superbe travail. Je pense que nous sommes sur la bonne voie au Canada. Une bonne partie de la question relève du gouvernement fédéral. Au fil des ans, si votre travail incite le gouvernement du Canada à affecter davantage de ressources à la recherche en santé et à élargir la portée de cette recherche, alors c'est bien.

Le système de prestation de soins de santé — qui est en réalité la pièce maîtresse — est difficile à examiner en raison de sa taille, de son inertie, de l'affection que les Canadiens lui portent et du malaise qu'ils ressentent actuellement face à son niveau de rendement. De toute évidence, on se rend bien compte que ce ne sont pas les opinions qui manquent, ni la passion que le système attise, peu importe où l'on aille au Canada. Le domaine de la santé est véritablement un champ miné — non seulement sur le plan intellectuel, mais aussi pour les gens concernés.

Je n'ai pas l'intention aujourd'hui de faire un long exposé, notamment parce que vous en avez certainement entendu beaucoup d'autres. J'aimerais faire des commentaires sur certains aspects du rapport, après quoi je serai probablement plus utile en répondant à vos questions.

Permettez-moi d'aborder en premier lieu la stabilité du financement et le concept d'organisme autonome que renferme le principe no 2. Le premier principe est important et, en quelque sorte, il va de soi.

Je vais répondre avec une certaine ironie à votre commentaire voulant que l'on ne puisse s'attendre à ce qu'aucun secteur ne fonctionne de façon efficace si, d'une année à l'autre, ses recettes varient au rythme d'importantes fluctuations indépendantes de sa volonté. Les industries pétrolières, gazières et minières — même les sociétés aériennes — voient leurs recettes fluctuer passablement et ce, indépendamment de leur volonté. Tout le monde dans le secteur des soins de santé croit exactement ce que vous avez dit, à savoir que l'une des véritables difficultés, c'est l'incertitude et les fluctuations du financement. Les marchés financiers ont de la difficulté à accepter l'incertitude — qu'on pense ici aux répercussions de l'affaire Enron — plus qu'ils en ont à digérer des événements négatifs bien précis. Si vous pensez aux marchés financiers, ils ont récupéré bien plus facilement des suites du 11 septembre, aussi horrible fut ce jour, qu'ils ne se sont remis de l'affaire Enron, dont l'effet est corrosif.

Dans le domaine de la santé, nous éprouvons ce même sentiment destructeur que les gens ne peuvent aller de l'avant parce qu'ils ne sont pas certains s'ils sont sur le point de se faire enlever l'argent, d'en recevoir, ou encore d'embaucher du personnel ou d'en congédier. Au cours de la dernière décennie, nous avons connu d'énormes changements. Je comprends bien les gens qui croient que les choses iraient mieux si l'on pouvait mieux prévoir une base de financement sur laquelle on pourrait compter pendant un certain temps, tout en admettant peut-être qu'il faudra modifier ou oublier certains projets selon l'état des finances publiques. Dans le domaine des soins de santé, il y a certainement des choses qui nécessitent un financement fiable et des engagements à long terme. Mais alors, comme dans tous les autres secteurs, il y a aussi des choses qui pourraient être réalisées si on avait plus d'argent à un moment donné.

Au début du système d'assurance-santé au Canada, nous avions effectivement des commissions hospitalières autonomes et dans certains cas, des commissions d'assurance. On les a amalgamées parce que l'on disait qu'elles dédoublaient les efforts; autrement dit, il y avait le ministère de la Santé, et il y avait la commission. Lorsque j'étais au Manitoba, les commissions étaient dirigées par le sous-ministre. Même si la commission était dotée d'un conseil d'administration dont les membres étaient autonomes et nommés, elle était très peu indépendante du gouvernement à cause de l'ampleur du financement. C'est là le plus grave dilemme que doit affronter un organisme indépendant: est-ce raisonnable de penser qu'un gouvernement provincial puisse accorder l'autonomie à une entreprise qui gruge de 35 à 40 p. 100 de ses dépenses totales? Il est facile d'en percevoir les avantages du point de vue du système de santé. Cependant, il est également facile de prévoir que surgira inévitablement l'argument de la responsabilité publique au sein des gouvernements provinciaux.

Si la présidence d'une commission comme celle-là est confiée à quelqu'un de solide, à ce moment-là, le rôle du ministre de la Santé est quelque peu diminué. C'est peut-être une bonne chose, mais il faut un ministre très solide pour confier une large part de ce qu'il doit défendre devant une assemblée provinciale à un organisme indépendant. D'après mon expérience, il y a un gros travail de défense à faire. De fait, j'ai eu le privilège de présider une conférence où, à une heure d'intervalle, l'ancien premier ministre Bob Rae et l'ancien chef de l'opposition Stockwell Day ont tous les deux formulé cette proposition. Je me suis attiré des ennuis pour avoir fait remarquer que tous deux disaient à peu près la même chose, ce qui n'a semblé faire l'affaire ni de l'un ni de l'autre. Je n'ai toutefois pas fait remarquer que c'est là une opinion que formulent plus facilement les gens qui ne sont plus au pouvoir que ceux qui le sont.

Mais c'est là la réalité. Il n'est pas si évident que cela, quand vous détenez le pouvoir et disposez d'un gros budget, et qu'une bonne partie de l'autorité et du prestige dont vous jouissez à titre de ministre de la Santé découle de ce gros budget, de vouloir les donner à un groupe indépendant.

Je suis d'avis que la façon dont nous finançons les hôpitaux et les médecins importe davantage que de déterminer qui exerce le pouvoir. Peu importe que ce pouvoir se situe à l'intérieur ou à l'extérieur, si les formules sont correctes, un bon comportement suivra. Certes, je favoriserais l'autonomie, mais je souligne qu'il serait difficile de rallier les gens à cette option, bien que cela ne veuille pas dire qu'elle est mauvaise.

En ce qui concerne le rôle du gouvernement fédéral, je pense qu'il ne fait aucun doute que celui-ci, pour faire preuve de sa volonté, doit apporter une importante contribution financière à la réforme du système de santé. L'accord conclu en 2000, qui n'a pas trouvé un large écho, était une sorte d'acompte pour le renouvellement du système de santé et à tous les égards, il était orienté dans la bonne direction. Cependant, il faut un effort bien plus soutenu et un mécanisme bien plus solide qu'une simple déclaration des gouvernements disant qu'ils veulent prendre la même voie. On voit certains des problèmes qui existent alors que le gouvernement fédéral ne joue pas un rôle plus déterminant. Décider quelle forme au juste doit prendre le rôle du gouvernement fédéral va tout à fait à l'encontre des enjeux provinciaux, du cadre de l'union sociale et de tout ce qui a été fait pour entraver le pouvoir fédéral à cet égard.

Il est important que le Québec signe l'accord de 2000. Le secteur des soins de santé est suffisamment crucial pour que le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral, peu importe ce qu'en pensent les provinces, soit encore assez important et bien accepté par la population. Je crois que le gouvernement fédéral dispose d'une certaine marge de manœuvre sur le plan financier.

J'aimerais aborder brièvement trois autres enjeux et ensuite, nous passerons aux questions. Les ressources humaines du secteur de la santé constituent un domaine dont nous nous sommes très mal occupés au Canada. En rémission de mes péchés, j'ai pour tâche actuellement de présider le Comité consultatif canadien sur les soins infirmiers (CCCSI). J'ai mis pas mal de temps à comprendre les erreurs que nous avons commises dans les années 90. J'en suis probablement en partie responsable, j'en assume donc la responsabilité. Dans notre quête d'infirmiers et d'infirmières mieux formés, nous avons délaissé la quantité au profit de la qualité. Mauvais choix. Nous avions besoin d'infirmiers et d'infirmières mieux formés, et je pense que le baccalauréat imposé pour entrer dans la profession était une bonne façon symbolique de le dire. Or, il n'était pas nécessaire de ramener le nombre d'inscriptions dans les écoles de nursing de 10 000 à environ 4 000, ce qui s'est avéré tout à fait désastreux. Le gros problème, c'est qu'actuellement, nous ne formons pas suffisamment d'infirmiers et d'infirmières au pays. Nous allons le dire plus officiellement dans le rapport du CCCSI qui sera publié d'ici un mois. Les provinces ont un peu rectifié le tir en augmentant le nombre de ces inscriptions de 10 p. 100 ou 15 p. 100, mais cela ne règle pas le problème quand on a réduit le nombre d'inscriptions de plus de la moitié.

L'argument voulant que tout cela fasse partie d'une pénurie d'infirmières à l'échelle mondiale, que c'est lié au fait que les femmes ne veulent pas aller en nursing parce qu'elles peuvent maintenant faire carrière en droit, en médecine ou ailleurs dans des domaines qui ne leur étaient pas ouverts il y a plusieurs décennies, eh bien cet argument-là ne tient pas. Chacune de ces 4 400 places en nursing fait l'objet de trois à 15 demandes, selon l'endroit au pays.

Si je devais choisir un volet de l'aspect des ressources humaines en santé qui semble nécessiter une réponse directe, je dirais qu'il y a beaucoup d'hommes et de femmes au Canada qui veulent devenir infirmiers et infirmières. Le besoin est énorme. À preuve, non seulement la pénurie absolue, mais les heures supplémentaires que font les infirmiers et les infirmières et le fort taux d'absentéisme pour cause d'accident et de maladie. Chez les infirmiers et les infirmières, on perd une semaine de travail de plus que dans le reste de la population active canadienne. C'est-à-dire que les infirmiers et infirmières perdent en moyenne trois semaines de travail par année à cause d'accidents et de blessures alors que le reste de la population active au Canada, même les gens qui travaillent dans le secteur minier et forestier, perdent en moyenne deux semaines.

Nous n'avons pas assez d'infirmiers et d'infirmières et nous sommes en train de les brûler. Nous avons adopté un modèle industriel selon lequel de nombreux infirmiers et infirmières de Calgary et d'Edmonton, avec leurs heures supplémentaires, gagnent 100 000 $ par année. Le problème, c'est que nous les perdons parce qu'à cause du temps qu'ils travaillent, ils ne se rendent pas en fin de carrière mais ils s'épuisent, et dans ces circonstances, ce sont les soins aux patients qui en souffrent. Il ne s'agit pas d'une usine de construction d'automobiles où, si quelqu'un travaille trop d'heures, il pourrait y avoir une roue non boulonnée ou quelqu'un qui héritera d'une voiture cliquetante. Ce sont des êtres humains.

Nous avons commis certaines erreurs avec les médecins également. Nous avons réduit les inscriptions en médecine au début des années 90 et là encore, j'en suis en partie responsable. Nous n'avons pas apporté les autres changements que nous avions prévu apporter dans le cadre de la politique Barer-Stoddart. Nous n'avons pas réformé les soins primaires, de sorte que nous avons aujourd'hui une pénurie de médecins. Cette pénurie ne peut se régler aussi rapidement que celle des infirmières parce que les délais de formation sont beaucoup plus longs. Nous commençons à entrevoir certains progrès à cet égard.

Je sais que le gouvernement du Canada, par l'entremise de DRHC, finance actuellement deux grandes études. Pour reprendre ce que disait David Sackett, il n'est pas nécessaire de faire un essai clinique à double insu pour faire preuve de bon sens. Le bon sens veut que nous ayons besoin de plus d'infirmiers et d'infirmières au Canada et que ce besoin est urgent. J'ai eu une influence sur cela, qui touche les soins primaires. Je sais que si je dis cela, quelqu'un va me citer et que ce sera une erreur.

J'ai prononcé un discours à l'université Queen's samedi; Ruth Wilson, qui est en charge de la réforme des soins primaires en Ontario, présidait le groupe de discussion et Duncan Sinclair, qui a dirigé la restructuration des hôpitaux en Ontario, était dans la salle. J'ai dit:Vous savez, Ruth, vous avez un travail beaucoup plus difficile à faire que celui qu'a fait Duncan. Lorsque vous restructurez les hôpitaux, vous devez tenir compte des conseils d'administration et de la direction. Si vous ordonnez la fusion de deux hôpitaux, les gens vont discuter des meilleurs moyens de procéder à cette fusion et, dans certains cas, vont se demander s'ils doivent s'y opposer ou non. En fait, il existe une structure de gestion pour y arriver.

Quand on pense aux médecins canadiens — surtout aux médecins de famille en pratique isolée — ils sont submergés de travail. Mon jeune frère est médecin de famille à Brandon, au Manitoba. Il travaille de longues heures et n'a pas tellement le goût d'assister à des réunions pour discuter s'il devrait fusionner avec une demi-douzaine d'autres médecins de famille. Ce n'est pas véritablement dans la nature ni dans la formation de ces gens-là.

Vous allez aborder la question de la réforme des soins primaires. Je vais regretter plus tard de l'avoir dit, mais c'est comme essayer d'amener les agriculteurs à collectiviser leurs fermes volontairement. Le médecin de famille qui pratique seul dans son cabinet affiche nombre des caractéristiques, bonnes et mauvaises, de l'agriculteur des Prairies. Il est extrêmement indépendant et dispose d'une énorme capacité de travail, mais il a aussi une véritable aversion pour le risque du partenariat.

Lorsque j'ai grandi, nombre de projets dans les Prairies visaient à amener les agriculteurs à partager les machines et les tracteurs. Cela paraissait ridicule aux yeux de tous les économistes qui examinaient la question que chaque agriculteur ait plus d'équipement que nécessaire, mais personne ne voulait manquer la récolte. On ne voulait pas être pris de court et incapable de faire sa récolte.

Sans pousser l'analogie trop loin, nous avons tenté pendant 40 ans de réformer les soins de santé primaires. Nous avons connu des succès modestes. Cela nécessite beaucoup d'efforts, mais c'est la bonne chose à faire. Nous serions beaucoup mieux si nous disposions du système de soins primaires que vous envisagez, même si vous ne précisez pas exactement ce dont il s'agirait.

Je suis sûr que vous avez eu des conseils de plusieurs groupes quant à savoir si la réforme devrait être menée par des médecins, des infirmières, ou s'il devrait s'agir d'une réforme multidisciplinaire. Je suis d'accord avec vous pour dire qu'il y a de nombreux modèles réalisables. Le plus difficile, c'est de passer d'un modèle qui ne peut plus véritablement fonctionner — c'est-à-dire la pratique isolée — à un modèle collectif. Les groupes pourraient avoir de nombreuses configurations. Il n'y a pas qu'un seul bon modèle.

La réforme de la santé comporte plusieurs défis. Premièrement, si vous n'avez pas quelque chose de plus solide au premier niveau, où les gens arrivent dans le système, ils iront immédiatement aux niveaux plus intensifs, plus difficiles et plus embourbés du système. Deuxièmement, pour que la population vieillissante demeure en santé, ce dont elle a souvent le plus besoin, c'est de conseils. Les gens ont besoin de parler à quelqu'un. Ils n'ont pas nécessairement besoin de trois autres ordonnances. Pourtant, dans bien des cas, lors de leur visite chez le médecin, on leur donne une ordonnance parce que d'une part, ils s'y attendent, d'autre part, cela fait partie d'un certain rituel.

Cesser de fumer, voilà autre chose d'utile pour la santé des gens. Mis à part le fait que le médecin de famille dise à un patient que la cigarette va le tuer, il est impossible dans le système, tel qu'il est actuellement structuré, d'avoir véritablement un impact sur ce risque pour la santé au niveau des soins primaires.

Si vous regardez les autres pays, vous constaterez que certains d'entre eux ont commencé à gagner du terrain en matière de réforme des soins primaires. Nous devons réfléchir à la façon de le faire. Il pourrait être bon de songer à modifier la Loi canadienne sur la santé ou le financement des soins de santé. Ce que nous donne l'assurance des services d'un médecin, c'est un système très puissant qui est très difficile à changer, même pour les dirigeants du corps médical qui ont une vision différente du système de santé. C'est très difficile de modifier le système de rémunération à l'acte parce que c'est semblable à la façon dont d'autres spécialistes, avocats et comptables, sont rémunérés. Le système est relié à certaines notions d'indépendance.

Cependant, certains volets vont dans la bonne direction, comme la recherche.

Changer les soins de santé primaires pourrait être très avantageux pour le pays, si on peut en préciser les tenants et les aboutissants et qu'on peut voir comment, de façon logique, on peut favoriser le changement. Bien sûr, cela prendra une couleur différente dans différentes régions du pays. Certaines ont fait d'énormes progrès en ce sens. Quand je vivais à Montréal, j'ai déjà eu un excellent service d'un CLSC. Au début des années 60, le Québec s'est attaqué à la question. D'autres régions du pays n'ont pas beaucoup progressé.

Enfin, en ce qui concerne la santé des Autochtones, laquelle relève de la compétence du gouvernement fédéral, des mesures plus urgentes s'imposent. Nos Autochtones ont une espérance de vie inférieure de presque exactement 10 ans à celle du reste de la population. Cela remet rudement en cause notre approche à l'égard de cette question sur une longue période.

Le problème pourrait se régler de l'une ou l'autre des deux façons suivantes. La compétence pourrait être confiée aux provinces. Cela aurait le mérite d'une meilleure intégration. Il nous faudrait un mécanisme de financement que les provinces acceptent d'aborder avec sérieux, et il faudrait le soutien des leaders autochtones qui sont peut-être hésitants à perdre leur accès au gouvernement fédéral et, en toute franchise, au Trésor fédéral.

L'autre façon serait d'avoir un ministre fédéral responsable de la santé des Autochtones. Dotons-nous du type de responsabilité politique que nous avons à l'échelle provinciale, et ayons un ministre distinct qui a un plan d'action. Par exemple, sur une génération, l'objectif pourrait être de faire en sorte que l'espérance de vie de notre population autochtone soit beaucoup plus près que celle du reste de la population, voire la même.

Même si je n'ai pas les données à l'appui — j'espère les avoir bientôt — je dirais que le gradient dans les collectivités autochtones est assez marqué. Les collectivités qui ont connu un développement économique auront une espérance de vie qui est de beaucoup supérieure à celle des collectivités les plus mal en point. Je suis certain que les Autochtones qui ont fait des études plus poussées auront aussi une espérance de vie bien plus proche de celle de leurs homologues professionnels que de celle de leur collectivité d'origine. Vous avez examiné cette question et les chiffres sont très bien connus.

Ce problème n'a jamais eu de porte-parole au sein du gouvernement du Canada. Les sommes en cause sont énormes. La population autochtone se chiffrant à un demi-million, elle dépasse celle de certaines provinces et les dépenses se comparent à celles de plusieurs des petites provinces. Je sais que vous en parlez. En cette ère d'autonomie gouvernementale, il faut la pleine participation des leaders autochtones pour légitimer ces problèmes.

J'aimerais bien que quelqu'un ait un mandat clair et qu'il soit responsable de l'amélioration de la santé de la population autochtone. Je sais qu'à un moment donné dans la vie des gouvernements, les gens s'attendent à ce qu'ils laissent certaines choses en héritage. Dans ce cas, il faut investir et du temps et des ressources pour véritablement changer les choses. C'est toute la nation qui devrait avoir honte d'avoir réalisé si peu de progrès quant aux causes fondamentales du problème, malgré de nombreuses études, alors que nous connaissons tellement de choses sur les causes d'une mauvaise santé, que nous dépensons tellement de ressources à traiter les gens.

Si le gouvernement fédéral décide de jouer un rôle déterminant et d'assumer la direction du changement dans l'ensemble du système de soins de santé, comme la population canadienne le souhaite à mon avis, il doit asseoir sa crédibilité auprès des provinces. C'est dire que le gouvernement du Canada doit mettre de l'ordre dans ses affaires. Ce serait une bonne chose, pas seulement pour cette raison, mais aussi en soi.

Je sais que j'ai été injuste à l'égard de votre rapport, mais si je devais faire des commentaires sur tout ce qu'il contient, vous n'auriez pas le temps de me poser des questions. Je vais donc m'arrêter ici et dire que j'appuie sans réserves les orientations que vous proposez, et que je pense que votre défi consiste maintenant à voir comment traduire vos idées en des plans concrets susceptibles d'être mis en œuvre et réalisés.

Le président: Vous avez dit que la façon dont nous finançons les hôpitaux et les médecins est absolument cruciale. Vous avez dit qu'il faut avoir les bonnes mesures incitatives. Concernant les hôpitaux, nous proposons d'adopter un système de financement axé sur le service, ou un système de financement à l'acte pour les hôpitaux, et de délaisser le système actuel de budget global, parce que la concurrence pourrait s'avérer une mesure incitative tant pour les hôpitaux que pour les autres établissements. Que pensez-vous de cette proposition en particulier, mais de façon plus générale, quelles sont, à votre avis, les bonnes mesures incitatives pour les hôpitaux et les médecins?

M. Decter: Nous ne pouvons réaliser cela qu'avec la régionalisation, parce que je pense qu'il faut plus de pouvoirs pour y arriver, ce qui laisse l'Ontario un peu dans un dilemme.

Le président: À toutes les conférences auxquelles j'assiste avec des groupes de la profession médicale sur la question de la régionalisation, on dit que l'Ontario a pris les devants.

M. Decter: L'Ontario, malgré que Duncan Sinclair ait déployé ses meilleurs efforts, a plutôt eu droit au placebo dans cet essai. À vrai dire, dans les régions de l'Ontario où il n'y a qu'un seul gros hôpital dans un secteur donné, on n'est pas tellement loin du compte. Si on intègre l'hôpital au conseil de district, qui fait la planification, et au centre d'accès communautaire, qui achète les soins de santé, on peut construire quelque chose qui ressemble à un système de prestation de soins à l'échelle régionale — et c'est ce qu'ont fait certaines collectivités.

Premièrement, on n'accorde pas assez d'importance à la densité de la population comme facteur influant sur la capacité de mettre en œuvre un marché interne. C'est là un des dangers de l'expérience européenne transposée au Canada. La répartition du travail entre l'acheteur et le fournisseur se fait bien si la densité de population est suffisante et s'il y a suffisamment de fournisseurs pour qu'il y ait concurrence.

Ainsi, on peut dire au Sunnybrook Health Science Centre qu'il fait un travail extraordinaire en ce qui a trait au remplacement des hanches, ou encore au University of Health Network: Désolé, votre travail n'est pas tellement bon. On pourrait faire plus de remplacements de hanches au Sunnybrook en tenant compte et des coûts et de la qualité du service.

Cependant, si vous avez un seul hôpital à Sudbury, cela cause des problèmes. Vous pouvez certainement mesurer le rendement de cet hôpital, mais pour moi, il n'est pas clair qu'en bout de ligne, cela puisse nécessairement fonctionner dans des régions à plus faible densité de population. Certains théoriciens diront qu'on peut y arriver.

Nous avons deux réalités au Canada. Une bonne partie de notre population, peut-être 70 p. 100, vit dans une poignée de grosses villes où ce modèle peut très bien fonctionner, je pense. La concurrence pourrait permettre d'obtenir un meilleur prix et des soins de plus grande qualité avec le temps. Ailleurs, il faudrait adopter des stratégies permettant d'avoir suffisamment de services pour répondre à la demande. Ce n'est pas une question de concurrence. C'est plus une question de stabilité du financement et de stratégies pour permettre aux fournisseurs de les donner au bon endroit.

À mon avis, la bonne façon de financer les hôpitaux, c'est de les financer pour ce qu'ils font, pour les résultats qu'ils obtiennent. Nous n'avons pas les données nous permettant d'appuyer cette façon de faire de sorte que pour l'instant, je pense que nous en sommes encore à une combinaison de financement pour les hôpitaux parce qu'ils doivent assumer des coûts d'immobilisations et qu'ils doivent être efficaces. La Commission Sinclair a effectivement examiné certains de ces coûts. En ce qui a trait au financement, la véritable mesure incitative pour les hôpitaux devrait porter sur leur efficacité à appliquer les procédures adéquates pour offrir les soins nécessaires aux patients, pour offrir les chirurgies cardiaques nécessaires, peu importe la liste.

Le président: Nous avons un financement axé sur le service.

M. Decter: Je pense que le financement axé sur le service est la bonne façon de faire, mais assorti de quelques conditions. Il faut avoir un système qui soit suffisamment documenté et soutenu par des données suffisamment fiables pour ne pas se faire avoir. Il y a beaucoup de preuves qu'on se fait jouer au sud de la frontière. Vous vous souviendrez qu'un grand hôpital aux États-Unis, le HCA Columbia, a fait l'objet d'un litige de la part du gouvernement des États- Unis pour avoir réclamé en trop des centaines de millions de dollars, voire des milliards de dollars, en gonflant les réclamations.

Il faut un système qui soit honnête si l'on veut qu'il fonctionne. Notre système politique est assez bon pour l'instant. Il nous faut des données de grande qualité. Il nous faut l'indépendance parce que si les règles du jeu ne sont pas perçues comme étant équitables, on fera face à beaucoup de résistance.

Il est frappant de voir que la répartition de l'argent entre les hôpitaux de l'Ontario est l'une des choses les plus stables que tout le monde de la santé connaît depuis des années. Beaucoup réclament un système dont le financement serait axé sur le service. Certains problèmes relevés dans les centres médicaux universitaires requièrent notre attention. Je pense vraiment que l'on s'oriente dans la bonne direction.

Si l'on a un jour des groupes de soins de santé primaires suffisamment solides, je pense qu'ils pourraient être des acheteurs — comme c'est le cas au Royaume-Uni — de certains services. Passer des phases un à trois que vous décrivez peut être un processus assez long.

Le président: Nous avons parlé d'une décennie environ.

M. Decter: En ce qui a trait à la rémunération des médecins, je ne crois pas que la rémunération à l'acte soit la cause de tous les maux en médecine. C'est une bonne façon de rémunérer une médecine fondée sur les interventions. Je n'aimerais pas voir nos chirurgiens généralistes rémunérés autrement. Mais ce n'est pas une bonne façon de payer dans le domaine des soins primaires.

Le président: Distinction que nous avons faite.

M. Decter: Une bonne partie de la rémunération à l'acte qui va dans les hôpitaux disparaît au profit des plans de pratique. Prenez, par exemple, un chef de département qui négocie avec une nouvelle recrue au sujet de son salaire. Bien que l'argent puisse entrer dans les budgets pour payer le plan de pratique des services rémunérés à l'acte, souvent, il sert à autre chose. Il y a une structure de gestion, et à mon avis, c'est la raison pour laquelle nous avons de bien meilleures possibilités d'apporter certains changements avec les spécialistes qui travaillent dans les hôpitaux que nous n'en avons avec les spécialistes au sein des collectivités et les médecins de famille.

Le sénateur LeBreton: En ce qui a trait à la réforme des soins primaires, il y a des régions du pays où certains modèles fonctionnent. Dans les petits centres en particulier, on semble beaucoup plus désireux de travailler en équipes de soins primaires. Nous allons faire face à beaucoup de résistance. Vous avez parlé des médecins qui sont enlisés dans leur indépendance.

Que pourrions-nous faire pour inciter certains médecins qui ont de grosses pratiques, des murs remplis de dossiers et qui travaillent de façon indépendante à s'impliquer dans la composition d'équipes de soins primaires?

M. Decter: Premièrement, l'une des premières cibles que je viserais, ce sont les nouveaux médecins qui entrent dans la pratique. La moitié d'entre eux sont des femmes. Les données de sondage que j'ai en ma possession indiquent que les médecins qui entament leur pratique ou qui l'ont entamée au cours des cinq ou sept dernières années sont plus intéressés par une entente de rémunération prévisible. Cela veut dire qu'ils aimeraient bien mieux avoir un revenu, une prime, une voiture, des vacances prévues et des avantages. Ils ne croient pas nécessairement que la notion de rémunération à l'acte mine en quelque sorte leur autonomie ou leur indépendance professionnelle. L'organisation PARA en Ontario, qui représente les internes et les résidents, a une opinion différente de celle de l'Association médicale de l'Ontario, qui avance à petits pas vers la réforme et qui a pourtant connu des leaders courageux. Cependant, les leaders qui font preuve de courage sont souvent mis au ban de l'Association.

On pourrait adopter comme stratégie de présenter un ensemble de mesures crédibles et attrayantes aux nouveaux médecins qui entrent en pratique familiale pour les inciter à aller dans des groupes, pour qu'ils adoptent un modèle de réforme des soins primaires. Cela peut sembler pouvoir prendre des décennies, mais au moins nous aurions un point de départ.

En ce qui a trait à ceux qui sont déjà dans le système, vous mettez vraiment le doigt sur le bobo quand vous dites que le médecin a une pleine pièce de dossiers. J'ai eu l'occasion de retourner dans ma ville natale de Winnipeg et de visiter l'ancienne clinique de mon père, la Manitoba Clinic, où travaillent quelque 60 ou 70 spécialistes. La salle de dossiers des patients était celle que je reconnaissais le mieux, en ce sens qu'elle n'avait pas du tout changé. Il y avait encore plein de dossiers papier et aucune automatisation.

Je pense que dans ce domaine, on devrait soudoyer les médecins. Je leur offrirais de l'argent pour qu'ils informatisent leur système. C'est dans l'intérêt de tout le monde qu'ils le fassent. Une fois l'information sous format électronique, on peut l'utiliser de multiples façons, y compris de certaines manières auxquelles on ne pense même pas maintenant.

De nombreux médecins sont désireux de participer à des essais cliniques avec leurs patients. Ils se sentent ainsi rattachés à l'innovation en médecine, branchés sur le changement. C'est beaucoup plus facile de le faire si votre pratique est automatisée.

Même si certains pensent que les sociétés pharmaceutiques ne sont pas les meilleures alliées de la réforme, à certains égards, elles pourraient se mettre de connivence pour persuader les médecins de passer de l'ère du papier à l'ère de l'électronique. On trouve des exemples de ce genre de choses ailleurs dans le monde.

Il est très difficile pour un médecin en pratique privée de dénicher les ressources nécessaires pour ajouter un autre spécialiste. La ministre hollandaise de la Santé m'a dit qu'elle avait fait la proposition suivante aux médecins de famille hollandais: s'ils cessaient progressivement de prescrire de façon inappropriée, elle leur remettrait les 200 millions de gilders ainsi perdus de sorte que chacun puisse engager une infirmière praticienne. Je pense qu'elle a tenu parole. Je n'ai pas vérifié, question de ne pas mettre en doute la parole d'un représentant du gouvernement.

Il peut y avoir des mesures incitatives très claires visant le donnant donnant. Donna Segal et Ruth Wilson font actuellement un travail extraordinaire. Si vous tentez de négocier la réforme avec les associations médicales, province par province, le processus sera très long et complexe. Il y a place pour des initiatives plus osées s'adressant à chaque médecin individuellement. Il y a des raisons impérieuses de modifier certaines choses.

Le sénateur LeBreton: Nous avons certains exemples. Il y a un médecin à Prince George, en Colombie-Britannique, qui est très heureux de travailler dans une équipe de prestation de soins primaires. Tout cela revient à une question de qualité de vie. Il y a plus de femmes médecins et cette façon de faire leur accorde une certaine souplesse au cours des années où elles sont en âge de procréer.

Comment attaquerez-vous le problème? Dans les secteurs où les choses sont réalisables d'abord en espérant ensuite que le reste suivra?

M. Decter: Oui, absolument. Je m'attaquerais d'abord aux choses faciles. Je m'attaquerais aux régions où les services sont déficients, où l'on ne trouve tout simplement pas de médecins.

Les Territoires du Nord-Ouest assurent la majeure partie de leurs soins primaires, ou la totalité, à l'aide d'infirmières praticiennes. Dans le nord de l'Ontario, on estime qu'il faut un médecin, sinon les gens pensent être traités comme des citoyens de seconde classe.

Il serait préférable de régler ces problèmes. Dans de nombreuses petites collectivités réparties dans tout l'Ouest et où nous avons fermé des hôpitaux, rien n'a été remis en place. Les gens disent que l'on ne peut pas recruter de médecin pour la collectivité parce qu'il n'y a plus de petit hôpital. Pourquoi ne pas y placer une infirmière praticienne? Pourquoi ne pas établir une entente selon laquelle un médecin viendrait visiter la collectivité une journée par semaine?

Nous pourrions faire preuve de plus de créativité. Nous avons à peu près fait le tour des pays anglophones dans notre effort de recrutement, notamment l'Irlande, la Grande-Bretagne et plus récemment l'Afrique du Sud. Ce qui nous a permis d'amener au Canada de nombreux médecins qui sont très bien. Certains d'entre nous se font certains petits scrupules sur le plan moral quant à ce que nous pourrions avoir fait aux pays qu'ils ont quittés.

Oui, absolument, je m'attaquerais d'abord aux choses faciles. J'irais dans les endroits qui ne sont pas bien servis. Je serais d'accord pour que l'on ajoute des spécialistes autres que les médecins aux groupes de médecins. La question n'est pas de trouver le bon modèle, mais plutôt de déplacer les balises. Nous avons passé beaucoup de temps à chercher le modèle parfait de réforme des soins primaires. À certains endroits, cela a fonctionné en grande partie parce que quelqu'un a tout simplement eu la volonté de changer les choses.

Le sénateur Fairbairn: Monsieur Decter, si j'ai retiré quelque chose de l'étude que nous avons entreprise, c'est que dans ce domaine, on ne peut véritablement pas régler directement quelque problème que ce soit isolément. Il n'y a pas de situations autonomes, tout semble relié à quelque chose d'autre qu'il faut régler également.

Je m'intéresse beaucoup à l'alphabétisation et à la façon dont tout cela s'intègre à peu près à tout. Vous avez tout à fait raison d'aborder la question de la santé des Autochtones et de dire qu'elle revêt une importance énorme et qu'elle constitue une énorme difficulté.

Pensez-vous que l'un des grands obstacles qui empêchent d'améliorer la santé des collectivités autochtones est une question de culture? À votre avis, est-ce que l'éducation et, en fait, l'alphabétisation de base dans nombre de ces collectivités, sont importantes pour amener ces gens à s'intéresser à des problèmes comme les questions de santé? Très souvent, la pénurie de moyens susceptibles de permettre aux gens d'améliorer la façon dont ils prennent soin d'eux- mêmes et de rejoindre ceux qui peuvent les y aider découle d'une piètre éducation. Ces gens-là n'ont peut-être pas nombre des habiletés nécessaires.

M. Decter: C'est extrêmement vrai. Lorsque d'instinct, nous instaurons, dans des collectivités extrêmement défavorisées sur le plan socio-économique en général, un service de santé qui ressemble beaucoup à celui que l'on trouve ailleurs, nous ne faisons pas nécessairement la bonne chose.

Je me souviens très bien d'une expérience que j'ai vécue en tant que jeune fonctionnaire au Manitoba en allant à Norway House, une grande collectivité autochtone qui souffrait d'accès répétés de gastro-entérite. On a retiré alors beaucoup de gens malades de la collectivité. Il s'est avéré que le dispensaire construit pour aider la collectivité déversait ses égouts là où les gens puisaient leur eau. Fait passablement ironique, le dispensaire était la cause de la majeure partie des maladies de la collectivité. Le problème a été réglé rapidement. Pour moi, c'était un peu symbolique de l'effet de certains de nos efforts.

Je ne m'enferme pas dans l'idée qu'il faut appliquer un style et une qualité de services de santé correspondant à ceux du Sud dans ces collectivités. Le problème est plus vaste.

Je vais faire une observation qui va peut-être susciter la controverse. D'après mon expérience, les leaders autochtones sont beaucoup plus disposés à sacrifier la génération actuelle pour leurs enfants. Ils sont très engagés à l'échelle de la collectivité à ce que leurs enfants aient de meilleures perspectives d'avenir qu'ils en ont. Les investissements en santé qu'ils feraient pour le bien de leurs enfants diffèrent de ceux que nous pourrions envisager de faire au regard des problèmes de santé dans la collectivité.

L'exemple le plus révélateur que j'ai à cet égard, c'est celui d'une collectivité du Nord de l'Ontario. Le chef m'avait invité à lui rendre visite à titre de sous-ministre de la Santé. Le ministère des Services communautaires — notre ministère jumeau à cette époque — avait construit une résidence pour personnes âgées. Personne ne s'y était installé. Elle avait été vandalisée. Ce ministère avait une très faible opinion de la collectivité. On m'a incité à ne pas y aller parce que c'était une collectivité qui était irresponsable et désordonnée.

J'y suis allé pour rendre visite au chef et au conseil ainsi que pour visiter la collectivité. J'ai commencé à comprendre leur point de vue. Traduit en cri, ce que la résidence pour personnes âgées voulait dire, c'était unendroit pour aller mourir. Les gens ne voulaient pas que leurs aînés aillent dans un immeuble éloigné de leurs familles et de la collectivité.

Lorsque nous avons examiné les documents, nous nous sommes rendu compte que pendant 15 ans, la collectivité réclamait un stade pour permettre à ses enfants de jouer au hockey contre les équipes des autres collectivités. Après une longue lutte, elle a obtenu son stade. J'ai été frappé par le fait que même si ce n'était pas nécessairement les personnes parmi les plus éloquentes que j'avais rencontrées, les aînés étaient passionnés lorsqu'ils parlaient des enfants, ils disaient vouloir tout faire pour leurs enfants. C'est leur instinct d'agir ainsi. Ce sont les premiers citoyens, et tous les groupes qui sont venus dans notre pays ont toujours voulu quelque chose de mieux pour leurs enfants que ce qu'ils avaient connu eux-mêmes comme enfants.

Quand je parle de changer l'espérance de vie, ça prendra peut-être une génération. Il va peut-être falloir demander ce que ça prendra pour les enfants qui naissent maintenant. Ça nous ramène tout droit aux merveilleux investissements dans le développement de la petite enfance et à l'énorme respect que j'ai pour M. Fraser Mustard qui, tout seul, a fait campagne à cette fin pendant longtemps.

Peut-être avons-nous besoin de nous recentrer sur la collectivité autochtone, ce qui comporterait d'énormes défis. Pour régler ce problème, il faut régler les problèmes de santé de la population, les problèmes de développement de la petite enfance et peut-être faire davantage que de nous intéresser à une grande sophistication sur le plan médical. Je dirais que dans certaines régions du Canada, un bon pourcentage des patients qui sont en dialyse pour cause d'insuffisance rénale terminale sont des Autochtones. On ampute beaucoup plus de membres à cause du diabète dans les collectivités autochtones qu'ailleurs. Ce n'est pas comme si, en un sens, nous étions insensibles aux conséquences d'une mauvaise santé, car nous faisons face aussi à ces conséquences.

Je ne dis pas qu'une plus grande efficacité à cet égard, c'est la solution aux problèmes. La réponse, on la trouve dans les premières années de la vie et les conditions environnantes.

Le sénateur Fairbairn: L'idée d'avoir un ministre responsable de la santé autochtone est intéressante. Pour amener les gens à se sentir à l'aise de se prévaloir des services offerts, il faudrait qu'il y ait un secteur d'éducation des adultes au sein de ce ministère, pas seulement un secteur voué au développement de la petite enfance.

M. Decter: C'est exact.

Le sénateur Fairbairn: C'est tellement difficile, et je vous remercie de vous concentrer là-dessus.

M. Decter: Le problème de l'alphabétisation est énorme. Lorsque j'étais sous-ministre de la Santé de l'Ontario, nous avons conclu une entente avec l'organisation autochtone nationale en vue de transmettre de l'information. L'organisation avait, parmi son personnel, une excellente employée très au fait des questions de santé autochtone et surtout du diabète. M. Ovide Mercredi et moi-même avions convenu de payer chacun la moitié de son salaire. Elle nous aidait également dans la traduction. Nous avions 105 centres d'information sur le diabète dans le sud de l'Ontario et pratiquement aucun dans le nord de la province. Pourtant, le diabète avait l'allure d'une épidémie dans le Nord. Pour la première fois, certains des documents ont été traduits en langue autochtone, de sorte que le processus d'éducation s'est vraiment mis en branle. Les efforts des médecins au Mount Sinai Hospital ont eu des répercussions majeures, même si je ne suis pas retourné pour en prendre connaissance. En grande partie, la solution n'est pas d'apporter un savoir nouveau, mais plutôt d'adopter des mesures qui fonctionnent à Ottawa ou à Toronto et de trouver une façon de les traduire de sorte qu'elles puissent être communiquées et comprises.

Le sénateur Morin: Merci. J'aimerais poser un certain nombre de questions. Le financement durable est une question essentielle. Les recettes du gouvernement sont tellement tributaires des cycles économiques. Comment réagissez-vous au fait que nous avons régulièrement des replis de l'économie? Que devrions-nous faire en pareil moment pour assurer la stabilité du financement? Je réalise que vous avez dit qu'il fallait s'y adapter. Cependant, devrait-on permettre un déficit budgétaire comme on l'a fait au début des années 90 ou plutôt supprimer d'autres programmes comme cela s'est fait récemment? Ce n'est pas facile de maintenir un financement stable quand les recettes ne le sont pas.

Ma question suivante porte sur les soins primaires, qui est un enjeu complexe. Après toutes ces années, on ne constate pas beaucoup de progrès en Ontario malgré l'excellence du rapport Sinclair, si détaillé. Il y a beaucoup de facteurs en cause ici. Comme vous l'avez dit, on constate une certaine inertie et on craint que les médecins deviennent des bureaucrates dans une fonction publique.

J'ai lu le rapport Sinclair attentivement et je n'ai trouvé aucune information indiquant qui devrait être chargé de diriger les activités de l'équipe de soins primaires. J'ai demandé au Dr Sinclair qui contrôlerait l'équipe ou gérerait les activités. Il m'a répondu que le rapport ne donnait pas d'information à ce sujet même s'il s'agit d'une question essentielle. Cette question est véritablement au cœur du problème.

La question des CLSC — les centres locaux de services communautaires — a été discutée et nous avons entendu des histoires d'horreur à ce sujet lors de notre passage à Montréal. Une série d'articles parus dans La Presse constituait une lecture fort intéressante pour les médecins qui avaient travaillé dans les CLSC. Ces derniers étaient forcés d'assister à des réunions pendant des journées entières. Une personne a décrit sa semaine habituelle de travail comme comportant une demi-journée de travail clinique, le reste étant réservé aux réunions et à la rédaction de rapports. Il était vraiment difficile de faire du travail clinique dans ces organismes. Il n'y avait pas de secrétaire pour aider les médecins qui devaient prendre eux-mêmes leurs rendez-vous et effectuer le reste du travail de bureau nécessaire.

Il est dangereux que la situation se reproduise et vous connaissez bien la fonction publique. Vous êtes dans le circuit depuis suffisamment longtemps pour savoir qu'il y a des gestionnaires, des gestionnaires adjoints, des directeurs du personnel et des finances, et cetera. et que c'est la pauvre personne au bas de l'échelle qui doit faire tout le travail. Cette structure pose certainement un problème et il faut l'examiner.

En ce qui concerne la santé des Autochtones, je suis heureux de voir que des études seront menées. Des représentants de Santé Canada sont venus discuter ici de la santé des peuples autochtones. Peut-être pourriez-vous obtenir ces chiffres pour moi de sorte que nous puissions comparer l'information. Les collectivités rurales et isolées sont en mauvais état. On y retrouve du diabète, l'espérance de vie y est faible, et cetera. Comment nos réserves autochtones isolées se comparent-elles avec d'autres collectivités rurales isolées? On serait peut-être surpris de voir qu'il n'y a pas tellement de différences. Le facteur le plus important est peut-être simplement qu'il s'agit de collectivités rurales isolées.

Pour revenir au ministre de la Santé, il y a une grande différence entre la protection et la promotion de la santé et la prestation des soins de santé. La prestation des soins de santé est importante, mais je ne crois pas qu'elle touche véritablement les indicateurs comme l'espérance de vie. Dans notre rapport, nous avons recommandé que la prestation des soins de santé soit confiée aux provinces, en fait, on devrait la confier aux régions. Il s'agit de la façon la meilleure et la plus efficace d'assurer les services de soins de santé, il faut être près des gens, y compris les Premières nations.

Il faut faire un effort énorme dans le domaine de la promotion de la santé. La question du syndrome d'intoxication fœtale à l'alcool est une catastrophe. La majorité des femmes autochtones boivent quand même beaucoup lorsqu'elles sont enceintes. J'ai vu des chiffres récents là-dessus. La population autochtone compte le taux de tabagisme le plus élevé au monde, 72 p. 100. Aucun autre groupe au monde n'a de telles statistiques. C'est véritablement un problème, et il faut faire de gros efforts pour le contrer.

Enfin, les dossiers électroniques sont très importants. Chaque fois qu'une telle mesure a été entreprise récemment, des préoccupations concernant la protection des renseignements personnels en ont stoppé l'évolution. Au Québec, comme vous le savez, la carte à puce est maintenant en difficulté à cause de préoccupations touchant la protection des renseignements personnels. Je ne dis pas que ce ne sont pas des préoccupations légitimes, mais elles sont un obstacle au développement de ce genre de choses. Un sondage récent mené au Québec a montré que 60 p. 100 des membres de la population ne veulent pas que les renseignements concernant leur santé soient mis sur une carte à puce.

Ici en Ontario, vous avez un réseau de soins primaires où un certain nombre d'équipes expérimentales disposent de cette information. Cela aussi a été durement attaqué ces derniers temps. Je ne sais pas si vous avez un commissaire à la protection de la vie privée en Ontario.

M. Decter: Oui.

Le sénateur Morin: On a dit que cette façon de faire n'était pas sûre. Vous connaissez la position du commissaire à la protection de la vie privée en Colombie-Britannique. Ces préoccupations concernant la protection des renseignements personnels qui, jusqu'à un certain point, sont légitimes, nous empêchent d'aller de l'avant.

M. Decter: Permettez-moi de répondre aux cinq points que vous avez soulevés.

En ce qui concerne le dossier électronique de la santé, cela m'inquiète. J'ai la responsabilité en tant que président de l'Institut canadien d'information sur la santé (ICIS) de veiller à ce que la protection des renseignements personnels que nous offrons soit aussi bonne que n'importe quelle autre et qu'elle respecte les normes établies. À ce chapitre, j'ai eu l'occasion de rencontrer non seulement le commissaire fédéral à la protection de la vie privée, mais nombre de ses homologues provinciaux.

Il est presque risqué pour sa survie de dire que la protection des renseignements personnels ne devrait pas être une préoccupation énorme, je vais donc être prudent. Je pense qu'il y a un équilibre à trouver ici entre l'utilisation de l'information pour gérer le système de santé et la collecte de renseignements sur la santé des gens et la protection des renseignements personnels. Même si nous estimons tous que la protection des renseignements personnels est une caractéristique très importante du système de santé, je pense que les gens changent d'opinion lorsqu'on leur dit: Si vous avez le choix entre avoir une protection absolue des renseignements personnels, d'une part, et avoir de l'information qui pourrait sauver la vie de votre enfant ou de votre mère, d'autre part, il faut ici trouver un équilibre.

Ce n'est pas non plus comme si les dossiers papier garantissaient une telle protection. On lit et on a lu depuis des décennies des histoires de médecins qui prennent leur retraite et dont les dossiers se retrouvent à la poubelle. Il y a eu beaucoup de manquements à la protection des renseignements personnels avec les dossiers papier.

La question est soulevée chaque fois que l'on veut informatiser les données. Lorsque nous avons informatisé le Programme d'assurance-médicaments de l'Ontario et que nous avons relié les 2 500 pharmacies, on m'a convoqué devant le Cabinet ontarien à trois ou quatre reprises pour traiter la question de la protection des renseignements personnels. C'était le problème le plus important.

Les gens exprimaient des préoccupations comme celle-ci: si le dossier de mes médicaments est informatisé et que j'ai le VIH/sida, alors le pharmacien de ma collectivité le saura et cela violera mon intimité. C'était l'une des raisons invoquées pour ne pas relier les pharmacies. Vous pensez bien pourtant que lorsque vous faites exécuter une ordonnance rédigée à la main, les pharmaciens ont exactement la même information.

On a tendance à associer la peur de perdre la protection de ses renseignements personnels à ce changement. Il y a des régions du pays où le véritable problème est de savoir qui possède le dossier médical. Est-ce que ce doit être le médecin? Le patient? La personne qui paie? Ou un mélange quelconque de ces personnes? La question que l'on arrive à discuter se rattache au respect de la vie privée.

Protéger les renseignements personnels est très important, mais la gestion du système de santé aussi. Il y a deux techniques très importantes à respecter avant de permettre la circulation des données sur la santé. L'une est le consentement préalable. Pour des choses comme le Registre de remplacement des hanches, nous obtenons le consentement du patient pour toute utilisation des données. L'autre consiste à dépersonnaliser les données. Pour les fins de gestion, on n'a pas besoin de savoir qui a eu une maladie du cœur, mais il faut savoir combien de personnes en ont eu et quel âge elles avaient et ainsi de suite. C'est une question qui peut être gérée. Vous avez raison de dire que cela peut être un obstacle.

Je serais très heureux de vous revenir sur la question de la santé des Autochtones par rapport à celle de la santé des gens qui vivent dans les collectivités éloignées et isolées. Je dirais d'instinct que les deux éléments sont importants. Cependant, je vais obtenir de véritables données avant de pouvoir émettre des hypothèses.

Je pense que vous décrivez bien la peur qu'ont les médecins de se retrouver dans un système bureaucratisé. Nous devrions essayer d'éviter une telle situation. Lorsque je parle d'un système desoins primaires multidisciplinaires, je ne suis pas certain que l'image mentale que je m'en fais est celle d'un système dirigé par un gestionnaire. Il pourrait simplement s'agir d'un bureau dans lequel, au lieu d'avoir un médecin ou une infirmière, il y aurait plusieurs médecins, une infirmière praticienne et d'autres spécialistes. En tant que spécialistes, les gens sont très capables de se référer les patients l'un à l'autre sans avoir nécessairement une lourde structure de gestion ou passer beaucoup de temps en réunions.

Certains des centres de santé communautaire de l'Ontario — peut-être bon nombre d'entre eux — sont davantage issus d'une culture des services communautaires où les réunions sont plus le lot du travailleur social que celui du médecin. Le monde où évolue le travailleur social comporte beaucoup plus de réunions et de coordination. Je ne dis pas que l'un est meilleur que l'autre, mais si l'on essaie d'intégrer les médecins à cette culture, on aura de véritables problèmes. Je pense qu'on souhaite une structure permettant de maximiser le temps passé avec les patients.

En ce qui concerne la stabilité du financement, oui, nous continuerons de vivre des cycles économiques. Je suis passablement certain que nous avons réalisé des progrès en ce qui concerne la gestion de leur ampleur. J'ai eu le privilège d'entendre David Dodge parler à l'université Queen's, vendredi soir, de 30 ans de politiques financières et monétaires. Il a réussi à me convaincre, tout comme l'a fait Alan Greenspan, que nous avons fait des progrès nous permettant non pas d'éliminer les cycles économiques, mais certainement d'en atténuer les aspects les plus graves.

Où cela m'amène-t-il en matière de financement de la santé? Nous pourrions avoir un créneau de dépenses en santé qui garantisse aux prestataires de services un certain niveau de base et qui viendrait diminuer les risques à la marge. D'autres personnes gèrent de cette façon.

On devrait s'attendre à une meilleure productivité dans le domaine de la santé que celle que nous avons connue dans le passé. Dans les années 90, nous avons comprimé le système en disant qu'il devait y avoir des gains de productivité, et il y en a eu. Cependant, on accroît souvent la productivité en investissant dans l'innovation et les nouvelles techniques et technologies. À mon avis, on a oublié cet élément dans le système de santé. Nous ne nous sommes pas engagés de la même façon à l'égard des dépenses en immobilisations, soit l'engagement à offrir aux gens qui font le travail les outils dont ils ont besoin pour le mener à bien.

Un de mes oncles a pris sa retraite après avoir travaillé 35 ans comme chirurgien en neurologie pédiatrique à Winnipeg. Il a passé 20 de ces années à faire campagne pour obtenir une nouvelle table d'opération qui lui aurait permis de mieux faire son travail. Je pense qu'il l'a obtenue deux ans avant de prendre sa retraite. C'est l'un des combats les plus longs dont je puisse me souvenir. Cela ne coûtait pas si cher. Un moment donné, je me suis dit qu'on pourrait passer le chapeau pour la lui acheter.

Nous avons lésiné sur l'équipement en immobilisations et les investissements en immobilisations dans le système, ce qui a ralenti la productivité. Si nous avions un créneau de financement, en investissant davantage dans les immobilisations, nous permettrions aux gens de réaliser certaines de ces choses. Si vous demandiez aux gens dans le système de santé s'il y a une meilleure façon de faire les choses, très peu seraient incapables de vous dire:Oui, il y en a une, mais pour améliorer les choses, j'ai besoin de ceci ou de cela. Dans d'autres secteurs, on fait couramment ces investissements. Dans la santé, c'est la croix et la bannière pour y parvenir.

J'ai essayé de répondre à vos questions. J'ai l'impression d'en avoir oublié une.

Le sénateur Morin: Non, tout y est.

Le sénateur Callbeck: Monsieur Decter, j'aimerais vous poser certaines questions générales concernant la couverture des médicaments d'ordonnance.

Mais avant, je veux vous poser quelques questions touchant le rapport qui a été publié par l'Institut canadien d'information sur la santé. J'ai en main le rapport sommaire diffusé sur l'Internet. D'après ce rapport, il y a une énorme différence dans le coût des médicaments d'ordonnance par habitant. Par exemple, il s'élève à 25 p. 100 ou 30 p. 100 de plus à l'Île-du-Prince-Édouard et en Nouvelle-Écosse que dans les provinces de l'Ouest, au Manitoba, en Saskatchewan et, je crois, en Colombie-Britannique. Y a-t-il une explication à cela? Le rapport aborde-t-il cette question?

M. Decter: Non, je ne crois pas. En tant que président, je dois être prudent. Nous avons 45 bases de données, et nous publions un rapport par semaine. Je suis président bénévole du conseil d'administration et même si j'essaie de me garder au courant de ces questions, je vais faire preuve d'un peu de prudence dans ma réponse.

Notre rôle consiste à recueillir et à publier les données et à les mettre à la disposition des gens pour les aider à mieux gérer et comprendre le système de santé. Nous faisons certaines analyses, mais nous sommes prudents, avec raison je pense, en ce que nous évitons d'en tirer ce qui pourrait avoir des incidences sur les politiques générales. Notre crédibilité s'apparente un peu à celle de Statistique Canada: dans la mesure où Statistique Canada nous dit combien de personnes sont au chômage, qui elles sont et où elles sont, l'organisme est crédible. Dès qu'il dit que le chômage est trop élevé ou trop faible, le gouvernement de l'heure pourrait juger que l'agence va au-delà de son mandat.

Je ne sais pas si les chiffres que vous citez sont les véritables coûts des médicaments ou des dépenses par habitant.

Le sénateur Callbeck: Les dépenses par habitant au titre des médicaments.

M. Decter: Une bonne partie de cela découle de la conception et de la couverture du régime d'assurance- médicaments. Par exemple, le régime d'assurance-médicaments de l'Ontario, pendant les nombreuses années précédant l'instauration du copaiement, payait pratiquement tous les médicaments pour les personnes âgées de 65 ans et plus. On a constaté une augmentation très marquée, de l'âge de 64 à 65 ans, dans le nombre d'ordonnances; cela se comprend bien, parce que les gens disposaient soudainement d'une couverture qu'ils n'avaient pas à l'âge de 64 ans. D'autres provinces ont structuré leurs régimes différemment. Mon ancienne province, le Manitoba, offre une couverture plus universelle mais avec un partage de coûts très élevé — les copaiements et les franchises. Vous payez les 200 premiers dollars vous-même, ce qui a tendance à avoir un certain impact.

C'est probablement une combinaison de ces facteurs qui détermine les différents niveaux de dépenses. En général, la règle est la suivante: meilleure est la couverture, plus élevé est le niveau de dépenses. L'Ontario a une politique de substitution de médicaments génériques dans son régime, ce qui, dans une certaine mesure, permet de ramener quelque peu les coûts vers le bas.

L'une des choses gênantes à l'échelle nationale, c'est que la couverture pour les médicaments ne soit pas plus égale dans tout le pays. Parmi tous les pays de l'OCDE, le Canada est celui dont l'engagement à l'égard'une telle couverture est le plus faible. Essentiellement, la couverture que nous avons en matière de médicaments correspond à celle dont jouissent les Américains dans leur système de santé en général. Autrement dit, nous avons un rôle public. Dans de nombreuses régions du pays, nous payons les médicaments pour les personnes vieilles ou pauvres. Nous laissons les employeurs payer pour leurs employés, si les employeurs ont le dos suffisamment solide pour porter ce fardeau. En général, nos grandes sociétés et les sociétés où les employés sont syndiqués paient. Beaucoup de petites entreprises ne peuvent se permettre de payer ou ne paient pas. Nous laissons les particuliers porter une bonne partie du fardeau.

Je n'ai pas d'objections à ce qu'une partie du fardeau incombe aux particuliers en ce qui concerne les médicaments. Contrairement à ce qui se passe dans d'autres domaines des soins de santé, quelqu'un fait activement la promotion des médicaments. Que le fardeau retombe un peu sur le particulier n'est pas à mon avis une chose terrible. Le problème, c'est l'inégalité de ce fardeau d'un bout à l'autre du pays. Une personne âgée de l'Ontario devra payer très peu pour ses médicaments alors qu'une personne âgée de Terre-Neuve devra assumer une part très importante des coûts. Ce qui en soi cause préjudice.

L'esprit de votre rapport donne à penser que nous devrions conserver un modèle mixte de couverture d'assurance pour les soins non hospitaliers et non offerts par un médecin. En soi, je ne suis pas opposé à cela. J'espère seulement que nous pourrions disposer d'un régime qui permettrait une couverture plus équitable de sorte que je puisse être convaincu que personne ne sera privé de médicaments à cause d'un obstacle financier.

J'étais en faveur de l'établissement d'un minime copaiement dans le régime de l'Ontario. Cela n'était pas populaire à l'époque où j'étais au gouvernement. Je crois que j'avais le soutien du premier ministre, mais personne d'autre ne m'appuyait, pas même mes propres ministres. Il serait beaucoup mieux que nous ayons une véritable couverture nationale, assortie, par exemple, de primes pour la payer plutôt que d'avoir ce ramassis de régimes que nous avons maintenant.

Il serait extrêmement difficile de passer du régime actuel à celui que je souhaite, compte tenu que chaque province a un régime différent et des politiques différentes. On constate aujourd'hui la naissance d'une certaine collaboration entre les provinces et le gouvernement du Canada au sujet de l'harmonisation, tout au moins. Peut-être la première étape consiste-t-elle à harmoniser les règles et les approches et à adopter une meilleure couverture ultérieurement. Notre couverture est extrêmement inégale d'un bout à l'autre du pays.

Le sénateur Callbeck: Oui, cela ne fait aucun doute. Cela me préoccupe vraiment aussi. Les chiffres pour l'Île-du- Prince-Édouard m'ont beaucoup intéressée, soit 25 p. 100 à 30 p. 100 de plus que les autres provinces. En réalité, nous n'avons pas ce que j'appellerais un régime d'assurance-médicaments très développé. Je connais personnellement une femme qui doit prendre des médicaments pour rester en vie. Elle doit prendre ces médicaments. Le coût net pour la famille s'élève à plus de 50 000 dollars par année. C'est le coût net après l'assurance. On me dit que le médicament qu'elle prend est couvert jusqu'à un certain point dans d'autres provinces. Je partage tout à fait votre préoccupation au sujet des différences dans la couverture.

M. Decter: Je me ferai un plaisir de soumettre cette question à nos spécialistes techniques de l'ICIS et de vous donner une explication quant à savoir pourquoi les chiffres varient tellement. Je n'en sais rien.

Le sénateur Callbeck: J'allais vous demander comment obtenir un régime plus équitable, mais vous avez assez bien répondu à cette question.

M. Decter: Il est possible de le faire, mais non sans grande difficulté. On fait un peu un affront au principe fondamental voulant qu'il n'y ait pas d'obstacles financiers aux soins nécessaires lorsque quelqu'un doit payer 50 000 $ pour un médicament qui lui est profitable. Je pense que ce n'est pas correct. J'ai moins de difficulté avec l'idée que quelqu'un paie les 2, 5 ou 10 premiers dollars que je n'en ai avec celle qu'il y a un médicament susceptible de changer la vie de quelqu'un pour le mieux ou de lui sauver la vie, mais que nous n'avons pas trouvé un moyen de le lui payer. Nous verrons apparaître de plus en plus de ce genre de médicaments dans le système, des médicaments très coûteux qui sont très bénéfiques pour certains patients.

L'un des défis que nous devrons relever, c'est de voir comment nous assurer que les bons médicaments sont donnés aux patients, chose que, pour l'instant, nous ne réussissons pas très bien. Dans certains cas, on ne prescrit pas assez, dans d'autres, on prescrit trop. C'est un problème qui doit être réglé tant du point de vue de la sécurité que de l'équité.

Le sénateur Callbeck: Vous avez dit que nous devrions d'abord commencer par harmoniser les régimes et les approches. Diriez-vous que le gouvernement fédéral devrait prendre les devants à cet égard?

M. Decter: Dans l'accord de 2000, les premiers ministres ont convenu que leurs ministres de la Santé travailleraient de concert à cette tâche. Je crois savoir que le travail est en cours. Le gouvernement fédéral joue un rôle important dans ces discussions. Il doit assumer une facture importante de médicaments destinés aux peuples autochtones, aux anciens combattants et aux membres des forces armées.

Je travaille avec M. Hugh Segal à l'Institut de recherche en politiques publiques; nous voulons créer un forum en septembre, probablement avec des gens du Royaume-Uni et de l'Australie. Au Royaume-Uni, tout dans le domaine de la santé est du ressort national. L'Australie nous ressemble plus, c'est une fédération. Il y a certaines leçons à tirer d'autres pays à cet égard.

Je ne crois pas qu'il soit possible d'établir un régime national, car la volonté politique ne semble pas vouloir se dégager. Il y a possibilité d'harmoniser les niveaux de couverture avec le temps, et peut-être le gouvernement fédéral pourrait-il apporter une contribution visant précisément à améliorer le niveau de couverture.

Le sénateur Robertson: J'aimerais revenir à votre commentaire du début sur la gestion indépendante. J'ai trouvé ce que vous avez dit assez intéressant parce que certains d'entre nous ont peiné sur cette question, et quelques-uns de nos témoins sont très en faveur d'un tel type de gestion.

Si on ne gère pas en fonction du principe d'autonomie, comment résoudre la question du manque de continuité récursif à chaque élection provinciale? Parfois, la transition se fait sans heurts, mais souvent tellement de changements importants s'opèrent que le système s'en trouve ébranlé et la population semble avoir du mal à y réagir. Certains s'interrogent sur le mode de financement, d'autres sur l'absence de responsabilisation. J'aimerais entendre votre opinion à ce sujet. Si la gestion autonome ne fonctionne pas, comment doit-on gérer? Y a-t-il un autre modèle que vous auriez étudié ou utilisé qui fonctionnerait mieux?

Vous avez dit que des pots-de-vin pourraient être utiles dans certains cas pour obtenir la coopération du corps médical. La carotte réussit également.

Au sujet d'un financement axé sur les services, si je vous comprends bien, nous retirons les coûts d'hébergement et ce financement deviendrait effectivement une prestation de services de santé dans un hôpital de type hôtel. Si c'est le cas, d'après votre expérience de la gestion d'hôpitaux privés dont nous avons des exemples, n'est-il pas aussi important d'assurer l'efficacité dans la gestion des coûts d'hébergement qu'il est de surveiller l'efficacité des actes et des soins médicaux?

Sans égard à ce que nous proposerons dans notre sixième rapport, après avoir étudié et retenu la manière de fournir ces services, un des facteurs qui ne nous lâchera jamais, c'est de réunir les fonds qui seront évidemment requis lorsque tout le reste aura été fait. Il me semble qu'on aura besoin de fonds supplémentaires.

M. Decter: Permettez-moi d'abord d'entamer la question de la manière de trouver les fonds. De toute évidence, vous ne pourrez pas décider de cette question. Le gouvernement élu devra prendre sa décision à ce sujet. Contrairement à l'opinion de certains, je pense que le courage des gouvernements antérieurs qui ont mis en vigueur la TPS donne une bonne source de revenus continus pour le gouvernement canadien. La population accepterait peut-être une augmentation d'un ou deux centiles sur cette taxe pour financer le système de santé. De tels propos serviraient sûrement à mieux cibler la discussion. Vous, les sénateurs, n'étant heureusement pas élus, vous pourriez proposer l'idée.

Voici quelques exemples. Le ministère des Finances déteste l'idée d'une source de revenus affectés à une utilisation particulière. Pour lui, cette idée figure parmi ce qu'il y a de plus sinistre et odieux dans le monde. J'écoutais Tom Axworthy éloquemment promouvoir l'idée que les villes ont besoin d'un financement différent de celui qu'on leur accorde actuellement. Je pense que les soins de santé devraient passer avant les besoins des municipalités pour la simple raison que de garder celles-ci entièrement dépendantes de la base de financement actuelle n'est pas une bonne idée.

Les Allemands financent en partie leur système de soins de santé de la même manière que nous finançons notre assurance-emploi. Ils font des prélèvements auprès des employeurs et des employés, lesquels l'acceptent volontiers. Une solution encore moins populaire que l'ajout de quelques centiles à la TPS serait de négocier un impôt sur les primes avec les syndicats. Cette mesure serait dénoncée comme un tueur d'emplois.

À l'intérieur du système, je ne verrais pas pourquoi des ententes pluriannuelles entraveraient le rituel de l'adoption de prévisions budgétaires d'année en année. L'ICIS a signé des ententes de financement sur trois ans avec les provinces. Nous avons également des fonds du gouvernement fédéral. La méthode de financement pluriannuel est utilisée pour assurer la prévisibilité et la stabilité ainsi que pour nous permettre de tenir en période de transition d'un gouvernement provincial à l'autre. Nous décalons ces ententes également pour éviter la négociation avec toutes les provinces à la fois. Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas appliquer une formule semblable d'entente pluriannuelle de financement avec les régions et les hôpitaux. Est-il tellement au-delà de nos habiletés de concevoir une formule pluriannuelle qui prenne en compte une responsabilisation adéquate?

Deuxièmement, je doute que le partage efficace soit celui entre les services de soins et les coûts d'hébergement. Il y a un coût relié à l'existence même de l'hôpital — et c'est peut-être là le coût d'hébergement. Il doit être aussi efficace que possible. Je pense que les critères que vous appliquez pourraient être un peu différents. Certains critères de coûts par pied carré ne s'appliqueraient pas aux soins donnés aux patients tandis que dans le cas des services en clinique, vous voudrez mesurer une combinaison de taux de résultats et de consommation de ressources. Nombre d'entre eux ont évolué.

En ce qui concerne la gestion autonome, nous avons accepté ce type de gestion dans le cas de certains organismes. Par exemple, cette gestion va de soi quand il s'agit de réglementation. Quand il y a de l'argent, quelqu'un doit en faire la distribution. Je risque de contrarier la vérificatrice générale avec ce qui suit: Quand le gouvernement accorde des crédits ponctuels dans le cadre de la gestion autonome, il est généralement accepté que ce soit des experts qui décident du bénéficiaire de cet argent. Ce processus donnera peut-être de meilleurs résultats que de le laisser à l'intérieur du monde politique électoral.

Certaines difficultés se produisent lorsqu'on doit approuver des fonds sur une base annuelle comme dans le cas du budget des soins de santé. Confier cette tâche à un organisme autonome soulève certaines préoccupations. Si on choisit une des deux options que j'ai émises plus tôt et qu'on dépose cet argent dans un fonds fédéral ciblé pour la modernisation du système canadien d'assurance-maladie, une tierce personne pourrait-elle gérer suivant le principe d'autonomie, contrôlant donc les dépenses, le tout dans le cadre d'une politique déterminée? Je pense que ce serait possible. Il y aurait certainement un tiraillement de la part du ministère des Finances qui considérerait une telle démarche complètement opposée à sa façon de gérer les finances du pays. Je serais d'accord au sujet de ces objections dans des cas autres que celui du système de santé parce qu'on ferait alors face à certains risques. Par exemple, si on dirigeait toute la taxe sur l'essence vers les travaux de voirie, on pourrait avoir plus de revenus de ces taxes que nécessiteraient les travaux de voirie. Par contre, avec un peu de diligence, je ne pense pas qu'il soit possible d'avoir trop de dépenses raisonnables en ce qui concerne le système de santé. On pourrait d'ailleurs imposer une disposition de temporisation d'un certain nombre d'années.

Pour fins de comparaison en ce qui concerne le succès de certains organismes dans la gestion autonome — et je fais ici une affirmation audacieuse et indéfendable — j'attire votre attention sur la gestion de fonds minutieuse et consciencieuse du Fonds Innovation sous la direction de John Evans, pour qui j'ai une grande admiration. Je ne peux pas en dire autant de la gestion du milliard de dollars investi en vertu de l'entente dans les technologies du système de santé. Si on se fie à la révélation de Lisa Priest en ce qui concerne l'achat de tondeuses à gazon par une des provinces et en admettant que la tondeuse à gazon fait partie d'une technologie importante, je crois qu'on s'attendait à l'achat d'équipements d'IRM et de diagnostique plutôt que de tondeuses à gazon. Ce genre de cas existe.

Il est plus difficile de confier le budget des soins de santé à un organisme de gestion indépendante au niveau provincial. Toutefois, ce serait possible avec des ententes pluriannuelles de financement qui exigent l'intervention du gouvernement au niveau des politiques pour les orienter.

L'objectif est louable. À mon avis, la plus grande difficulté n'est pas l'arrêt de fonds. C'est plutôt une interruption ordonnée, par exemple, par un nouveau ministre qui décide de mettre en plan le fruit de plusieurs années de travail pour fins d'examen. Ça prend de 15 à 20 ans pour mettre la construction d'un nouvel hôpital sur pied. Lorsqu'on arrive à le terminer, il n'est plus de la bonne taille parce qu'on a mis tant de temps à y arriver et, à la fin, personne ne veut faire de compromis sur les dimensions. Le processus n'est tout simplement pas assez rapide pour le monde d'aujourd'hui.

Le sénateur Cordy: En ce qui concerne la question de la responsabilisation, j'ai également lu les documents au sujet du financement fédéral et de l'entente de l'automne 2000 par l'entremise de laquelle une province aurait acheté des tondeuses à gazon. Bien qu'il s'agisse d'équipement au sens technique, je doute que ni le gouvernement fédéral ni la population aurait prévu l'achat de ce type de machine.

De nombreux témoins qui ont comparu devant nous ont parlé de la responsabilisation, ou de la non- responsabilisation, pour les fonds confiés aux provinces. Certains témoins nous ont dit que les fonds semblent se perdre dans un trou noir. Rappelons encore le cas des crédits considérables de l'automne 2000 visant l'achat d'équipement pour les hôpitaux, bien des gens disent qu'ils ne constatent aucune preuve de grandes dépenses au chapitre des équipements dans leurs provinces.

Pour ce qui est de la responsabilisation, certains témoins préfèrent un financement ciblé plutôt qu'un financement global. Pourtant, les fonds de l'automne 2000 étaient effectivement ciblés mais les gens n'ont pas constaté la responsabilisation.

En ce qui concerne l'accès en temps opportun au système de santé et les listes d'attente, je sais que la grève des infirmières l'an dernier en Nouvelle-Écosse aurait causé un retard dans les interventions chirurgicales cardiaques. Le président du conseil d'administration, Bob Smith, a annoncé dans les journaux que si les patients n'obtenaient pas leur chirurgie cardiaque en temps opportun, on les transporterait dans une autre province pour qu'ils subissent la chirurgie requise. On a bien détalé. Les médias n'ont pas relevé le sujet. Je ne sais pas si M. Smith a été réprimandé pour ses propos ou si les patients en question ont été envoyés dans d'autres provinces.

Des Suédois nous ont dit qu'ils publient leurs listes d'attente sur Internet. Les patients peuvent donc consulter Internet pour vérifier quelle institution peut leur offrir le traitement requis dans les meilleurs délais disponibles.

En fin de compte, ma question est la suivante: Comment peut-on garantir l'accès en temps opportun à l'intérieur du système?

M. Decter: Je crois que l'Alberta publie maintenant sur Internet les temps d'attente pour certains traitements. Je dis bien temps d'attente et non listes d'attente. Permettez-moi de faire la distinction entre les deux.

Une liste d'attente n'a souvent pas de définition comme telle à moins qu'on parle d'un organisme comme le Ontario Cardiac Care Network dont la liste d'attente porte sa définition. Le temps d'attente fait l'objet des préoccupations de la population, et ce, à juste titre.

D'abord, la transparence est importante. La visibilité des temps d'attente est un moyen d'orienter les politiques et le rendement. Je crois que les temps d'attente doivent être publiés régulièrement. Dans l'entente, les premiers ministres ont convenu que des données comparatives seraient publiées dès septembre 2002. Je serai curieux de voir si effectivement cette information sera publiée.

Le président: Nous également.

M. Decter: J'aime bien votre proposition dans le volume 5 au sujet de l'établissement d'un temps d'attente maximum pour les traitements, grâce auquel le patient pourrait se prévaloir d'un déplacement vers une autre province s'il n'obtient pas le traitement requis dans la sienne. C'est ce qui se passe actuellement, mais de manière plus informelle et irrégulière. C'est financé par l'entente de réciprocité qui prévoit le remboursement d'une province par l'autre. J'en témoigne personnellement pour avoir aidé certaines personnes à se rendre à Toronto pour des remplacements de hanche ou de genou ou autre chose dans un délai de moins de deux ans. Curieusement, la structure existe pour ce genre de déplacement, mais elle n'est pas liée aux normes d'attente. On est sur la bonne voie.

Le système doit prévoir la responsabilisation. On ne peut pas gérer un monopole à moins de prévoir la transparence du rendement et d'établir un mécanisme de responsabilisation à l'égard de la population. Bien sûr, les électeurs ont le pouvoir d'expulser un gouvernement provincial qui n'aura pas tenu sa promesse, quatre ans plus tard, de réduire les temps d'attente de moitié. Ainsi, l'élément de responsabilisation démocratique générale est respecté. Malheureusement, ça n'aide pas le commun des mortels qui a besoin de faire traiter son genou, sa hanche ou son cœur. Je pense qu'on doit régler les deux cas.

J'aime bien votre idée. Il y a évidemment certains défis à relever dans la création d'une structure pour éviter un trop grand nombre de déplacements à travers le pays. Toutefois, il y a des incitatifs intrinsèques dans la présente structure pour assurer la bonne foi des provinces.

Dans certains cas, nous avons fait plus de mal en refusant le déplacement de patients. Notons, par exemple, la tragédie de la chirurgie cardiovasculaire pédiatrique de Winnipeg où, en rétrospective, le petit nombre de cas ne justifiait pas l'établissement d'un programme. Ces enfants auraient dû être transportés là où un plus grand nombre de cas semblables étaient traités. On a maintenant constaté le lien entre la qualité et le nombre de cas traités, surtout en ce qui concerne les interventions complexes. On pourrait changer l'opinion publique si on arrivait à communiquer ces informations.

Bien sûr, nous voulons tous être soignés près de chez nous. Plus précisément, nous voulons un accès à des soins primaires et de première ligne près de chez nous. Par contre, je ne suis pas certain que bien des gens voudraient subir une chirurgie majeure très spécialisée dans leur petit hôpital communautaire. Je crois qu'ils comprennent que plus une intervention est complexe, plus loin ils devront se déplacer pour l'obtenir.

Nous avons besoin d'un élément de responsabilisation. La perte de cette responsabilisation démocratique générale me préoccupe. Nous devons la renforcer d'une transparence et d'indicateurs comparatifs. Nous avons besoin d'un équilibre des pouvoirs assorti de garantie de services à chaque niveau. Cela prendra un peu de temps. On a un certain nombre de préoccupations légitimes au niveau de l'équilibre entre ce qui est mesurable et ce qui importe, c'est-à-dire qu'il est facile de mesurer les temps d'attente pour les traitements.

Il ne faudrait tout de même pas perdre de vue l'importance de l'accès aux soins de première ligne en tant qu'élément important du système de santé. Par exemple, nous ne voudrions pas d'une part favoriser le déplacement des patients d'un bout à l'autre du pays pour des traitements de hanche, de genou, et cetera, et, d'autre part, négliger les soins de base aux enfants. Il est plus difficile de mesurer ces résultats.

J'aime bien votre idée au volume 5. Je ne crois pas qu'il serait difficile de la mettre en pratique. Ce serait difficile de le faire pour un seul traitement mais pour les plus importants, je pense que c'est réalisable. On pourrait ainsi consolider certains services dans des centres où le nombre de traitements semblables donnerait de meilleurs résultats.

Nous sommes disposés à parcourir de grandes distances dans notre pays pour aller voir jouer une équipe de hockey ou de baseball. Nous ne devrions donc pas hésiter à effectuer un déplacement qui assurerait de bons résultats ou une réduction appropriée du temps d'attente.

Le sénateur Keon: Certaines consolidations ont été effectuées dans tout le pays. Par exemple, le coût de réparation d'une hernie a augmenté de 60 p. 100 parce que les petits hôpitaux qui pouvaient le faire pour 1 000 dollars sont maintenant fermés. La réparation d'une hernie a dû être transmise à un hôpital universitaire où le coût du même traitement est de 2 200 dollars. Il y a d'innombrables exemples du genre.

M. Mazankowski a d'abord proposé de séparer les prestataires des évaluateurs. Nous avons repris sa suggestion.

J'ai entrepris d'examiner cette proposition et j'en ai discuté avec des amis américains. Je suis véritablement convaincu que c'est le bon chemin à prendre. Nous devons introduire un élément de concurrence dans la prestation des services et permettre la sous-traitance sinon nous n'arriverons jamais à contrôler les coûts. Ça pourrait devenir un véritable guêpier parce que nous pourrions nous retrouver avec une clinique Shouldice dans toutes les villes du Canada. Qu'est-ce que vous en pensez?

M. Decter: J'ai quelques commentaires. Premièrement, le Canada a essentiellement échappé au développement d'une structure de centres de chirurgie à coût modique. Presque tous les pays ont un niveau de cliniques entre le cabinet du médecin et les hôpitaux.

Nous n'avons jamais élaboré une base financière pour ce genre d'interventions sauf pour celles qui, par hasard, s'y prêtaient particulièrement bien. En Ontario, nous avons financé notamment des cliniques de radiologie et d'avortement non pas pour des raisons d'efficacité mais plutôt parce qu'elles seraient plus faciles à protéger.

Il y a dans la province une très bonne loi, la Loi sur les établissements de santé autonomes, qui sert bien les besoins de réglementation. On l'a adoptée pour les centres de radiologie. J'ai toujours pensé qu'il serait intéressant de s'en servir comme structure pour une application plus large. On y retrouve un mécanisme d'évaluation des besoins, laquelle figure parmi les éléments les plus souvent oubliés dans ce genre d'exercice.

Si vous voulez introduire un volet concurrence, il faut entrevoir la possibilité de surcapacité. C'est le cas aux États- Unis. On y trouve une clinique d'IRM à tous les coins de rue, les unes plus empressées que les autres d'attirer la clientèle. On peut créer une situation d'offre excédentaire. La Loi sur les établissements de santé autonomes de l'Ontario est assortie d'un mécanisme obligatoire d'évaluation des besoins au service des conseils de santé régionaux afin de déterminer si une clinique est nécessaire.

Un certain niveau de concurrence serait utile. Nous avons actuellement un système un peu étonnant par lequel nous transmettons souvent certaines interventions à un environnement hospitalier à coût élevé alors que nous sommes réticents à instaurer des incitatifs pour assurer le contraire. Lorsque les Américains ont tenté de libérer les DRG des soins ambulatoires, si je ne m'abuse, ils ont donné 100 p. 100 aux cliniques et seulement 85 p. 100 aux hôpitaux. Les hôpitaux ont donc concentré tous ces soins dans une clinique.

J'ai compris cela lors des négociations avec l'Ontario Medical Association alors qu'on m'expliquait que les médecins pratiquent les vasectomies à l'hôpital parce que le coût de l'intervention en clinique leur faisait perdre 4,11 dollars. Je ne trouvais pas que c'était une grosse somme. Ils ont répliqué que si le médecin pratique suffisamment d'interventions de ce genre, ça pourrait effectivement devenir une grosse somme.

Prenons le cas d'une intervention à l'hôpital où le patient paie le médecin pour ses services et les autres coûts sont absorbés par le budget de l'hôpital, tandis que, pratiquée en clinique, une portion des coûts indirects est à la charge du médecin; on assiste alors à la création d'une situation de dérapage pour l'hôpital. On a déjà créé une situation semblable lorsqu'on a fermé plusieurs petits hôpitaux pour centraliser les services. Le travail simple de réparation qui devrait être fait dans les centres de soins locaux par le chirurgien généraliste aboutit dans les centres spécialisés de luxe plus coûteux.

L'élément nécessaire pour équilibrer la réforme des soins primaires est l'investissement dans les cliniques externes. Je ne sais pas si ces dernières devraient être publiques ou privées. La ministre était choquée d'apprendre que la clinique Shouldice est un organisme privé. Je lui ai dit que la bonne et simple raison pourquoi on n'y touchera pas est qu'elle fonctionne très bien. À un moment donné, il faut mettre l'idéologie de côté pour favoriser ce qui fonctionne.

Un exemple intéressant du fait contraire est la clinique Pan Am à Winnipeg qui était une clinique orthopédique très achalandée. Qu'elle soit une clinique privée n'est qu'un accident de parcours. Le gouvernement est en train de l'acquérir au gros prix parce qu'il n'accepte pas le statut privé de la clinique.

Que la clinique soit publique ou privée ne me choque pas dans la mesure où le travail se fait, et ce, efficacement. Je n'ai pas d'objections lorsqu'un hôpital projette d'ouvrir une clinique. Je crois que nous devrions établir un modèle de financement qui offre des incitatifs pour accomplir le travail dans un environnement moins coûteux, pourvu que ce soit fait de façon sécuritaire et efficace.

C'est une grosse pièce manquante au Canada. Nous utilisons toujours des centres hospitaliers modifiés pour accomplir le travail qui pourrait être fait dans un centre chirurgical convenablement financé. Il y a des exemples remarquables. Si vous voulez vous amuser, passez au Loyola University à Chicago pour visiter le Mulcahy Outpatient Center. Passez ensuite dans les corridors de l'hôpital qui est adjacent. Vous seriez étonnés de constater qu'il n'y a pas de patients ambulatoires. Cet hôpital se classe au 5e rang aux États-Unis pour l'intensité de ses soins. Ici, on en ferait probablement un service de soins intensifs.

Ce centre de chirurgie, dont les dimensions ont triplé depuis quelques années, fournit un grand nombre de services que nous offririons dans un centre hospitalier. Il le fait à l'intérieur des heures ouvrables normales. Il ouvre ses portes à 6 heures et les ferme à 18 heures. Si un patient a besoin de soins en centre hospitalier, il y est transporté. La grande majorité de ses patients rentrent à la maison le soir même. C'est un fonctionnement très économique. C'est une structure plus facile à gérer. On n'a pas les coûts d'une structure qui offre des services 24 heures sur 24.

On a besoin d'un cadre réglementaire. On a besoin d'une loi comme celle de l'Ontario. On a besoin d'une structure d'évaluation des besoins.

Si les médecins peuvent pratiquer les vasectomies en cabinet privé tout en obtenant des résultats équivalents à ceux en hôpital, pourquoi y laisser glisser ces interventions? Certaines régions dans l'Ouest sous-traitent avec succès un grand nombre de prestations à des fournisseurs de services, qu'ils soient des groupes de médecins ou des cliniques. C'est une solution bénéfique qui peut libérer le système et donner un bon rendement.

Le président: Merci de la part de nous tous. C'était très intéressant.

La séance est levée.


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