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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie


Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 55 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 9 mai 2002

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 11 h 03 pour examiner l'état du système de soins de santé au Canada.

Le sénateur Marjory LeBreton (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente: Quelques-uns de nos sénateurs sont aujourd'hui en voyage avec d'autres comités, de sorte que nous avons avec nous ce matin quelques membres substituts du comité. Je vous souhaite la bienvenue, sénateur Léger.

Je souhaite la bienvenue aux jeunes guides stagiaires de la colline du Parlement qui assistent à notre réunion ce matin.

Je voudrais vous présenter le professeur Lawrence Nestman, de l'École d'administration des services de soins de santé de l'université Dalhousie. Vous nous avez remis le texte de votre mémoire, et je vous cède donc la parole.

M. Lawrence Nestman, professeur, École d'administration des services de soins de santé, Université Dalhousie: J'ai lu avec grand plaisir le rapport du comité du Sénat. Je suis d'accord avec l'essentiel du rapport, et je constate que vos délibérations ont évolué au cours de la période sur laquelle s'est échelonnée la publication de vos rapports, et je trouve que les grandes orientations que vous avez choisies sont pertinentes pour le Canada.

Je suis assurément d'accord avec le rôle important que vous avez assumé dans vos efforts pour que le gouvernement fédéral tente d'être le guide du réseau de soins de santé au Canada. Je suis également d'accord avec l'autre grand rôle, nommément l'élaboration de mécanismes d'encouragements dans le système de soins de santé. C'est un rôle approprié. Vous devez mettre au point les encouragements voulus pour stimuler le système à ce moment-ci. Cela aidera aussi, comme vous le dites dans votre rapport, à renforcer la reddition de comptes dans le système. Nous sommes à l'ère de la reddition de comptes.

Le secteur où vous n'obtiendrez pas vraiment les résultats escomptés, comme vous le dites dans votre rapport, est celui de la création d'un marché intérieur compétitif. Il y a des limites pour ce qui est des possibilités de concurrence à l'intérieur du système. Je reviendrai là-dessus tout à l'heure.

Je suis aussi entièrement d'accord avec le partage entre l'acheteur, le fournisseur et l'évaluateur, dans l'élaboration du marché intérieur. C'est la bonne façon de procéder. La plupart des régimes de santé du monde continuent de décentraliser et l'on se rend compte de plus en plus des limites du gouvernement pour ce qui est de fournir les services et d'administrer les systèmes.

Je suis certainement d'accord avec l'idée d'un programme national de soins de santé. Il est important que les Canadiens s'identifient non seulement à leur système provincial de santé, ce qui est certainement le cas actuellement, mais aussi à leur programme national, qui fait partie de notre identité nationale. Il est important de préserver le plus possible les caractéristiques nationales de notre régime de soins de santé.

Il y a deux points sur lesquels je ne suis pas tout à fait d'accord. Le premier est la question de la viabilité. Je suis d'accord avec votre définition, mais c'est une définition qui peut devenir statique avec le temps. On sait que les démocraties occidentales peuvent contenir le coût des soins de santé. Presque toutes les provinces et le gouvernement fédéral l'ont fait dans les années 90. Si l'on voit ce qui s'est passé en Suède, en Allemagne et au Japon pendant cette période, ces trois pays ont réussi à enrayer la hausse du coût des soins de santé quand ils se sont butés à des difficultés financières. Bien sûr, cela a eu certaines conséquences négatives, mais la capacité des gouvernements démocratiques d'enrayer la hausse des coûts, de gérer le système, demeure intacte. Si l'on disait qu'ils en sont incapables, ce serait effrayant. Les gouvernements démocratiquement élus ont les pouvoirs voulus pour continuer de contenir les coûts et de maintenir un régime de soins de santé financièrement viable.

Je suis d'accord avec les trois options qui s'offrent à nous pour les systèmes de soins de santé, options auxquelles vous avez fait allusion dans votre rapport, mais la quatrième option, qui consiste à améliorer le régime de soins de santé et à le rendre plus efficace et efficient, demeure une option viable. Ce n'est pas la seule option, nous avons assurément besoin de plus d'argent, mais sur bien des points, nous ne faisons pas les choses comme il faut. C'est un aspect important.

Je vais terminer en touchant un mot du financement fédéral et de son rôle dans le régime de soins de santé. Dans votre rapport, d'après ce que j'ai vu, vous n'avez pas accordé beaucoup d'importance à un régime national de soins à domicile, un réseau de maisons de soins infirmiers, ou un régime national d'assurance-médicaments. Si nous procédons à une réforme de la santé et que tout ce que nous obtenons à l'issue de la ronde actuelle de réforme, c'est un dossier médical électronique, de meilleurs systèmes d'information, et une séparation nette entre l'acheteur, le fournisseur et l'évaluateur, le public sera grandement déçu. Les gens veulent quelque chose de concret et ils s'attendent à ce qu'on ait le courage de réorienter notre système dans une nouvelle direction.

Je vous appuie de tout coeur et je vais vous en expliquer les raisons, mais je pense quand même qu'un programme national de soins à domicile et de maisons de soins infirmiers, ainsi qu'un programme d'assurance-médicaments, sont importants pour un certain nombre de raisons. La première est le contrôle des coûts. Le contrôle des coûts et l'universalité vont de pair. Vous voudrez peut-être que je revienne sur cette question plus tard. En termes d'acceptabilité par le public, l'amélioration de l'accès est une question importante là où les services sont nécessaires.

Je vais m'en tenir là pour l'instant et je suis prêt à répondre aux questions.

La vice-présidente: Je pense que vous étiez présent hier pendant le témoignage de Mme Bégin. Il me semble clair que l'assurance-médicaments coûterait immensément cher. Par contre, il semble que le public va exiger un programme de soins à domicile. À vos yeux, les soins à domicile seraient-ils plus prioritaires que l'assurance-médicaments, ou bien les deux sont-ils indissociablement liés?

M. Nestman: Vous pouvez choisir d'établir un ordre de priorité. L'assurance-médicaments est un dossier difficile parce que le coût des produits pharmaceutiques ne cesse d'augmenter en flèche. Le seul moyen d'apporter des changements, c'est de lancer de nouvelles initiatives dans ce domaine. Si nous continuons de laisser faire, nous serons confrontés à un difficile problème d'escalade des coûts. Je soupçonne que dans deux ou trois ans, un comité du Sénat étudiera le problème du coût des produits pharmaceutiques.

Quant à la question des soins à domicile et des maisons de soins infirmiers, tout le réseau des soins de santé est en train de changer, l'importance des soins aigus diminuant au profit des soins de longue durée et de la réadaptation. Nous devons changer notre réseau de soins de santé en fonction de cette évolution, sinon nous ne répondrons pas aux besoins.

L'Allemagne et le Japon ont mis sur pied des programmes nationaux de soins à domicile et de maisons de soins infirmiers, avec des résultats très positifs en termes de coûts et d'accessibilité.

La vice-présidente: Qu'avez-vous pensé de la suggestion de Mme Bégin qui a dit que s'il s'agissait de nouveaux programmes, il faudrait prévoir au départ des frais modérateurs minimes?

M. Nestman: Je voudrais séparer les deux questions, si vous le voulez bien.

Pour ce qui est des maisons de soins infirmiers et des soins à domicile, le Japon et l'Allemagne ont institué des programmes nationaux dans ces domaines. Les deux pays ont cherché des sources de revenus supplémentaires pour financer ces programmes. Ils ont toutefois constaté, après avoir lancé ces programmes, qu'ils n'étaient pas aussi coûteux qu'ils le croyaient, parce que beaucoup de coûts ont déjà été absorbés par leurs systèmes de soins de santé, que ce soit dans le privé, c'est-à-dire des dépenses qui passent des deniers publics aux particuliers, ou bien il y a déjà une certaine partie du coût de ces réseaux qui est déjà payée.

Beaucoup de provinces assument déjà le coût des soins à domicile. Beaucoup de services sont déjà assurés, notamment dans les maisons de soins infirmiers. Environ 80 p. 100 des coûts dans les maisons de soins infirmiers sont déjà payés par les gouvernements provinciaux dans le Canada de l'Atlantique.

Si l'on mettait sur pied un programme national dans ce domaine, et si l'on fait bien les calculs, on constatera que les coûts seront toujours là, mais qu'ils ne seront pas aussi élevés, parce qu'une partie des coûts sont déjà absorbés par le système.

Il faut des revenus complémentaires provenant d'une source quelconque, ainsi qu'un leadership du gouvernement fédéral, pour mettre ce mouvement en branle. Quant à savoir comment cela devrait se faire, que ce soit au moyen du régime fiscal, par un impôt spécifique ou bien un élément de la TVH, c'est une autre histoire. C'est toutefois un débat important.

Autant en Allemagne qu'au Japon, on fait clairement la distinction entre le coût des soins à domicile et celui du programme national de soins de santé.

La vice-présidente: Ces programmes sont-ils financés par un impôt spécifique dans ces deux pays?

M. Nestman: Oui, c'est bien cela. Les gens l'acceptent parce qu'ils savent tous qu'ils auront besoin de ces services à un moment donné, de sorte qu'il y a une sorte d'identification.

Notre situation est différente parce que le contexte fédéral-provincial est très différent par rapport à l'Allemagne et au Japon. Malgré tout, avec un peu de créativité, nous pourrions mettre en place un arrangement du même genre.

L'Australie a eu de la difficulté dans le passé à contenir les coûts, avant d'instituer un programme national d'assurance-médicaments. C'est seulement quand ils ont introduit une formule uniforme d'un bout à l'autre du pays, ce à quoi nous travaillons maintenant dans le cadre de nos relations fédérales-provinciales, qu'ils ont réussi à surmonter cette difficulté. Certaines étapes nécessaires à la mise en place d'un programme national d'assurance-médicaments commencent déjà à se dessiner. Ce sont maintenant les services dispensés à l'extérieur de l'hôpital qu'il est d'une importance cruciale d'englober dans l'assurance.

À moins d'avoir un programme universel d'assurance-médicaments, il est improbable que l'on puisse contenir raisonnablement les coûts. C'est seulement quand on crée un programme universel que l'on met en place une structure capable de le faire. En tout cas, c'est ce que les Australiens ont constaté.

Aux États-Unis, les programmes de contrôle des coûts fonctionnent bien, mais pas les programmes privés financés par les cotisations des employeurs. Les grandes compagnies comme IBM, Chrysler et Apple se plaignent de leurs programmes parce que c'est le secteur privé qui en contrôle le coût. Le problème, c'est que tout le monde n'est pas sur un pied d'égalité. En conséquence, ces compagnies d'assurance privées ont de la difficulté à contenir les coûts.

Un programme universel national ne signifie pas que nous devons payer tous les coûts nous-mêmes.

Mme Bégin a astucieusement fait remarquer que les pays européens doivent imposer des tickets modérateurs. Le programme allemand de soins dispensés dans des maisons de soins infirmiers ne défraie pas intégralement les coûts. Une partie est payée comptant, des cotisations servent à défrayer les services, et des prestations sont versées aux familles pour les aider à prendre soin de ceux qui leur sont chers. Cependant, on ne s'attend pas à ce que les programmes assument la totalité des coûts. Il faut se rappeler que dans le cas des soins à domicile et des maisons de soins infirmiers, il y a un élément de logement auquel les gens veulent contribuer. Il faut en tenir compte.

Dans le programme allemand, la quote-part des familles est fixée à un niveau tel que le programme ne nuit pas au mode de vie du conjoint qui est en santé. Les gens ne sont pas dépouillés de toutes leurs ressources, contrairement à ce qui arrive quand on est pensionnaire d'une maison de soins infirmiers. Les Allemands se sont attaqués à ce problème avant de mettre en place leur programme.

La contribution publique doit être fixée à un niveau suffisamment bas ou élevé pour ne pas nuire au mode de vie des familles. Les contributions sont importantes et acceptées autant en Allemagne qu'au Japon à l'heure actuelle.

C'est l'une des leçons que le Canada pourrait tirer de ces deux pays, qui ont mis en place des programmes universels sur leur territoire.

C'est la même chose pour les produits pharmaceutiques; on peut s'attendre à des frais modérateurs.

On oublie que, historiquement, avant la Loi canadienne sur la santé qui a supprimé les frais modérateurs, la loi de 1957 sur l'hospitalisation et le programme d'assurance-maladie de 1968 prévoyaient des frais aux usagers. C'est devenu un irritant. C'est pourquoi nous avons fini par mettre sur pied le régime actuel.

Peut-être que vous pourriez mettre en place un programme évolutif, établir des programmes et des frais modérateurs et voir comment tout cela va s'installer d'ici l'an 2010 ou 2012, après quoi vous pourrez décider dans quels domaines vous voulez réduire les frais modérateurs, les laisser tels quels ou les augmenter.

Nous devons apprendre à faire cela pour adapter ces régimes à un modèle canadien. Nous ne pouvons pas importer tels quels les programmes allemand ou japonais. Nous ne devrions pas chercher à mettre au point une version définitive du programme, mais plutôt voir le tout comme une évolution constante au Canada.

Le sénateur Robertson: Monsieur Nestman, j'ai lu le témoignage que vous avez donné à Halifax et j'ai relu une circulaire qui a abouti sur mon bureau ce matin. Je veux discuter de trois domaines.

Vous êtes le premier témoin qui a mis ces questions sur la table. J'aborde tout cela sous l'angle du Canada de l'Atlantique. Vous avez parlé du financement par habitant, et c'est effectivement la situation actuelle. C'est le premier point que je veux aborder avec vous.

La deuxième question, c'est la gestion indépendante à laquelle vous avez fait allusion. Nous avons entendu des témoins nous parler de gestion indépendante. En fait, il y a deux jours, nous avons eu un long débat sur cette question.

Je suis d'accord avec vous quand vous dites que les gens sont écoeurés des tiraillements politiques constants.

Dans l'une de nos 20 recommandations, le comité déclare que nous sommes fermement d'avis qu'il faudrait envisager toute cette question de manière à établir un régime qui serait davantage axé sur le patient plutôt que sur l'aspect politique.

Troisièmement, je voudrais que vous nous parliez de visibilité et de reconnaissance. Je veux dire par là que le gouvernement fédéral doit être plus visible. Certains appellent cela la «visibilité», mais je préfère pour ma part parler de reconnaissance. Il semble que, peu importe quel gouvernement est au pouvoir, il trouve toujours difficile de faire reconnaître ses mérites pour tout ce qu'il fait dans le domaine de la santé, surtout quand les fonds se perdent dans un énorme conglomérat de financement. L'argent est là. C'est très difficile de dispenser des services avec les ressources limitées que le gouvernement fédéral apporte. Ce matin, les chiffres indiquent que 14 ou 16 p. 100 du financement vient du gouvernement fédéral. Une somme énorme a été injectée il n'y a pas si longtemps. Pourtant, pour ma province — j'ai vérifié ce matin — cela représente à peu près deux semaines de soins de santé. En conséquence de la méthodologie qui est appliquée, c'est tout ce que nous avons obtenu. Il faut espérer que nous aurons un débat sur le financement par habitant.

Ce sont les trois points dont je veux discuter avec le comité et avec le Dr Nestman.

M. Nestman: Je vais commencer par la question de la gestion indépendante. Je voudrais que ce soit rattaché au financement, parce que c'est important. Les deux sont liés, à mes yeux.

La question de la gestion indépendante est importante quand on considère les questions auxquelles nous avons été confrontés à la fin des années 90 et qui continueront de se poser jusqu'en l'an 2010. Il ne faut pas perdre de vue que nous sommes passés par un certain nombre de cycles de réglementation dans le régime de soins de santé et que nous avons déjà injecté dans notre système une certaine dose d'administration indépendante dans le passé. Ce serait bon de passer brièvement en revue l'historique de la question.

Beaucoup de ces questions ont été tranchées à l'occasion de la grève des médecins de 1962 en Saskatchewan, alors que 90 p. 100 des médecins avaient fait la grève parce que le gouvernement de la Saskatchewan essayait à l'époque de mettre en oeuvre le premier programme d'assurance-maladie obligatoire et étatique en Amérique du Nord, englobant les services des médecins. On avait fait venir Lord Taylor d'Angleterre pour servir de médiateur dans ce conflit. Les médecins avaient beaucoup de préoccupations.

Quatre des problèmes de l'époque sont pertinents à la question de l'administration indépendante. Premièrement, les médecins craignaient de perdre leur liberté clinique et leur autonomie,c'est-à-dire leur capacité de poser des diagnostics et de prescrire des médicaments à leurs patients en toute liberté; ils estimaient que c'était de la plus grande importance de ne pas avoir un fonctionnaire qui superviserait à partir de Regina leurs habitudes en matière d'ordonnances. On peut comprendre leurs préoccupations en faisant un parallèle avec les OSSI qui existent aujourd'hui aux États-Unis. C'était une préoccupation légitime, compte tenu de l'évolution aux États-Unis. C'était l'une de leurs grandes inquiétudes. Ils ne voulaient pas que des fonctionnaires s'ingèrent dans leur vie professionnelle.

Le deuxième point était leur indépendance en tant qu'entrepreneurs. Dans toute profession, il y a un élément d'entrepreneuriat. Comme vous pouvez le voir ici, les professions de comptables agréé et de vérificateur traversent actuellement une période terrible aux États-Unis; à titre de comptable agréé, je peux en témoigner. Ces professionnels s'efforcent d'établir un juste équilibre entre leur liberté d'entrepreneurs et leurs obligations professionnelles envers le public.

La profession médicale en 1962 s'inquiétait aussi de sa liberté d'entrepreneur, de la capacité des médecins de gagner assez d'argent pour refléter leur formation clinique très poussée et l'estime dont les médecins estimaient jouir au sein de leur communauté. L'inquiétude découlait en grande partie de la perception de ce qui s'était passé au Royaume-Uni, où la profession médicale avait souffert de l'établissement du régime étatique de soins de santé.

Les médecins étaient également inquiets à l'idée qu'ils seraient payés exclusivement par le gouvernement provincial. Ils voulaient un programme où ils pourraient faire payer des frais aux usagers en sus du montant qui leur serait versé par le gouvernement provincial. C'était une autre de leurs préoccupations.

Le troisième point était celui des dossiers des patients. Leur crainte était que dans un régime public, des fonctionnaires auraient accès aux dossiers des patients, ce qui enfreindrait la confidentialité des relations entre le médecin et son patient.

Le quatrième point qui a pris de l'importance était le rôle du collège des médecins et chirurgiens de la province, qui négociait au nom des médecins avec le gouvernement. Il est devenu évident pendant les négociations que le collège des médecins préconisait l'établissement de tarifs de rémunération, mais qu'il avait aussi le mandat de défendre l'intérêt public. Il semblait y avoir un conflit au sein du collège parce qu'il essayait de faire les deux à la fois. Dans la foulée de ce conflit, il y a eu scission au sein du collège des médecins et chirurgiens et l'Association médicale de Saskatchewan a été créée. Par la suite, c'est devenu la norme d'un bout à l'autre du pays.

Ces questions sont importantes dans toute discussion sur l'administration indépendante.

En fin de compte, on s'est entendu en Saskatchewan pour créer une commission des soins médicaux qui serait le plus indépendante possible du gouvernement. Des médecins en seraient membres — un de la faculté de médecine et deux du collège des médecins — et les nominations seraient approuvées par le collège des médecins et le lieutenant-gouverneur. Ils estimaient que la création de ce conseil d'administration chargé d'administrer le programme donnerait la plus grande indépendance possible.

Le ministre de la Santé était membre d'office de cette commission. Habituellement, c'est le sous-ministre qui assistait aux réunions. On voulait que cette activité soit indépendante du gouvernement.

Ce modèle a été accepté et est devenu institutionnel. Des commissions d'hôpitaux ont été créées de la même manière. En 1972-1973, presque toutes les provinces, à quelques exceptions près, avaient une commission des soins de santé qui administrait le programme de la façon la plus indépendante possible. Il y avait une commission des hôpitaux chargée d'administrer les hôpitaux; il y avait des administrateurs de santé publique dans les ministères de la Santé; et un autre ministère, celui de la Santé communautaire et des Services sociaux, administrait les maisons de soins infirmiers et les soins à domicile, ou les services qui étaient offerts à ce moment-là. En 1973, ce modèle était bien établi.

Durant les années 70, 80 et jusqu'aux années 90, toute cette construction a commencé à changer. Des rapports sur la santé un peu partout au pays ont montré que cette structure n'était pas bonne pour assurer la coordination des services. Il fallait coordonner les services hospitaliers et médicaux. Le fait que les maisons de soins infirmiers relèvent d'un autre ministère n'était pas satisfaisant non plus. La santé publique était marginalisée, à 3 ou 4 p. 100 des dépenses publiques.

Durant les années 70, 80 et 90, ces commissions se sont effondrées et leurs fonctions ont été absorbées dans les ministères de la santé. L'idée était qu'il y aurait une meilleure coordination. La plupart des gens soutiendraient que, durant les années 90, nous n'avions toujours pas vu la coordination en question; nous avions seulement vu un jeu de chaise musicale. La question de l'indépendance de l'administrateur avait été éjectée du système.

Entre les années 90 et aujourd'hui, dans tous les régimes de santé du monde occidental industrialisé, nous avons assisté à l'émergence d'un tout nouveau paradigme quant à la façon de réglementer les régimes de soins de santé. Les questions de reddition de comptes, de choix, d'impartialité et d'évaluation sont en train de devenir les grandes priorités en matière de réglementation. Nous continuons aussi à décentraliser les régimes de soins de santé, ce qui avait été amorcé de façon importante dans les années 90. C'est encore amplifié dans votre rapport, où vous proposez qu'il y ait une séparation nette entre l'acheteur et le fournisseur, ce qui est une forme de décentralisation. C'est de la décentralisation. Toutefois, le rôle du gouvernement a changé.

Durant les années 90, nous disions que les gouvernements doivent prendre les commandes du système de soins de santé. Je suis certain que vous avez déjà entendu ce concept. Nous devons changer le rôle des gouvernements fédéral et provinciaux, la façon dont ils assurent la direction du système en leur confiant davantage les commandes. En conséquence, le régime de réglementation doit refléter ce nouvel environnement.

Ce qui est apparu à l'évidence, en particulier en Europe occidentale, qui a maintenant mis en oeuvre beaucoup des concepts du marché intérieur, comme vous le proposez dans votre rapport, ce qui est une bonne chose, c'est que quand on instaure un marché intérieur, il devient évident que l'on augmente en fait le niveau de réglementation dans le système. Les marchés doivent être réglementés. Comme vous pouvez le voir aux États-Unis, la Commission des valeurs mobilières réglemente les marchés. S'il y a une mauvaise réglementation des firmes de comptables agréés, cela crée des difficultés; l'information ne circule pas; de mauvaises décisions sont prises; et des gens perdent de l'argent. Les marchés intérieurs exigent aussi d'être réglementés, et il est beaucoup plus difficile de réglementer un marché que d'occuper un poste de commandement et de contrôle, parce qu'il faut mettre en équilibre les divers pouvoirs discrétionnaires des entrepreneurs et professionnels qui peuplent le système.

Nous sommes maintenant passés à un environnement dans lequel nous devons voir le principe d'autonomie dans une optique complètement différente. Il est devenu évident dans la littérature publiée — c'est assurément le cas en Europe occidentale — qu'une partie du régime de soins de santé doit être administrée d'une manière plus indépendante. Cela comprend l'octroi de permis aux médecins, l'établissement des limites de capacité du réseau hospitalier, les exigences en matière d'immobilisations, et la planification à long terme des ressources humaines au niveau régional. Ces questions constituent le fonctionnement quotidien du régime de soins de santé et elles exigent une certaine continuité, autant au niveau fédéral que provincial.

Le problème actuel réside en partie dans le fait que les sous-ministres et les ministres vont et viennent si rapidement qu'il est quasiment impossible d'assurer la continuation des grandes orientations. Habituellement, quand les sous- ministres partent, l'infrastructure au bas de la pyramide s'en va également. La mémoire institutionnelle disparaît. C'est le chaos. En conséquence, il faut une certaine impartialité dans un noyau permanent.

Les régimes de réglementation changent. Si vous allez à Londres aujourd'hui, vous verrez le régime de réglementation du marché intérieur marqué par une nette séparation entre l'acheteur et le fournisseur et l'existence de fondations hospitalières. L'encadrement du système est beaucoup plus sophistiqué qu'au bon vieux temps où l'on se contentait d'assurer la prestation des services. Selon la nouvelle terminologie, on ne veut plus simplement diriger, mais diriger et canaliser. Autrement dit, comment pouvons-nous manoeuvrer le système en envoyant des signaux au niveau le plus élevé afin d'infléchir le système dans une certaine direction de façon générale, tout en s'en remettant pour les détails aux détenteurs des fonds, aux groupes de soins primaires ou aux réseaux familiaux, comme on envisage de le faire au Canada, pour que les décisions soient prises au niveau local?

La question posée hier était celle-ci: comment répondre aux besoins de Timmins (Ontario), par opposition à Toronto? Les décisions doivent être prises localement. Il faut établir les paramètres généraux, dirigés et canalisés, et s'en remettre pour les décisions aux conseils locaux, aux régions ou à une entité quelconque. Il y a un besoin d'impartialité dans le système, mais pour des raisons différentes de celles qui existaient dans les années 70. C'est pourquoi j'ai fait cette recommandation dans le rapport que je vous ai fait remettre. Ce n'est pas seulement au niveau fédéral-provincial, mais aussi au niveau fédéral.

Durant les années 60, nous avions un organisme appelé le conseil fédéral d'hygiène. C'était un secrétariat permanent qui permettait aux ministres et aux sous-ministres de faire la liaison avec un certain nombre de commissions de la santé qui étaient d'orientation à la fois fédérale et provinciale. Il y avait un secrétariat permanent où travaillaient des gens hautement qualifiés qui traitaient avec leurs homologues dans les provinces. Il en résultait une certaine continuité dans l'élaboration des politiques et une meilleure coordination des relations fédérales-provinciales à cette époque, par rapport à la situation actuelle, ce qui est regrettable.

Il y a un véritable effondrement. Si vous dites que ce n'est pas le cas, alors c'est que vous choisissez de ne rien voir. Ce qu'il nous faut, c'est une infrastructure comme celle que je viens de décrire. Il faut toutefois procéder habilement. Il ne faut pas ajouter aux effectifs. Le concept d'un conseil fédéral d'hygiène version révisée pour le gouvernement fédéral, auquel s'ajouterait une quelconque infrastructure permanente dans les provinces, améliorerait les relations fédérales-provinciales et assurerait une certaine continuité, tout en injectant une certaine dose d'autonomie pour l'administration au jour le jour.

On dit que dans le régime parlementaire, les ministres de la Santé relèvent des assemblées élues et ils doivent donc rendre des comptes à un moment donné. Je soupçonne que si les ministères de la Santé font preuve d'intelligence, ils vont s'occuper d'orienter et de canaliser plutôt que de se mêler de la gestion courante.

La vice-présidente: Dans différents coins du pays, des gens ont proposé un modèle du type américain, avec un directeur général des services de santé, même si le régime serait quelque peu différent de celui des États-Unis.

Le sénateur Robertson: Pour revenir au financement du système et à la visibilité du gouvernement fédéral, il n'y a pas tellement longtemps que l'on a supprimé le financement par habitant. Dans l'un de vos exposés, vous en avez parlé. Je voudrais que vous expliquiez davantage les difficultés que certaines provinces avaient avec le financement par habitant et la difficulté qui se pose, à mon avis et de l'avis de beaucoup d'autres aussi, pour ce qui est de la visibilité du gouvernement fédéral ou de la reconnaissance qu'il peut obtenir.

M. Nestman: Le rôle du gouvernement fédéral est absolument essentiel dans notre régime de soins de santé. J'ai travaillé à l'OMS à Copenhague pendant un certain temps. J'ai aussi travaillé avec l'Union européenne. Après avoir vécu en France et étudié leur régime de soins de santé, ce qui m'a frappé, c'est que certains de ces pays considèrent leur régime de soins de santé comme un système d'envergure nationale. Les Suédois considèrent que leur régime de soins de santé est national. C'est la même chose en Allemagne, parce que le gouvernement fédéral a une grande visibilité dans la façon dont il dirige le système.

Si je compare avec le Canada, où nous commençons à balkaniser notre système entre les provinces et les territoires, je constate que c'est une préoccupation majeure, non seulement pour l'unité nationale, mais aussi quant à l'importance de la coordination des services d'un bout à l'autre du pays. Le rôle du gouvernement fédéral, par l'entremise d'agences d'envergure nationale, est absolument crucial.

Il y a ici deux arguments. Premièrement, il y a le rôle du gouvernement fédéral dans tout cela. Beaucoup d'arguments ont été invoqués pour dire que ce rôle est absolument essentiel du point de vue économique, du point de vue politique et du point de vue social. Ce rôle est important.

Deuxièmement, il est essentiel parce que certaines régions de notre pays n'ont pas les mêmes capacités fiscales que d'autres. Si l'on remonte dans l'histoire du dernier siècle, on constate que certaines provinces riches ont déjà été des provinces démunies. Leur conjoncture a fluctué au fil des années. L'Alberta n'a pas toujours été aussi riche que maintenant. Pendant les 12 années que j'ai passées en Alberta, la situation financière commençait à s'améliorer, mais la province avait des difficultés. La Nouvelle-Écosse, où j'habite actuellement, était une locomotive économique au début du XIXe siècle au Canada. Nous devons voir tout cela dans une optique du long terme. À l'heure actuelle, les quatre provinces de l'Atlantique ainsi que les Territoires, la Saskatchewan et le Manitoba sont les régions du pays qui ont besoin d'aide, et la Colombie-Britannique commence à vaciller quelque peu.

Une formule de partage des coûts qui tienne compte de ces inégalités est absolument essentielle. Les anciennes ententes de partage des coûts, qui étaient intéressantes en termes de visibilité et de crédibilité, faisaient en sorte que les programmes médicaux et hospitaliers étaient tous les deux financés dans le cadre d'ententes de partage des coûts, avec un facteur de péréquation intégré. Les Canadiens pouvaient voir chaque année dans le journal combien Terre-Neuve obtenait de l'Ontario, parce que cela se reflétait dans les paiements de péréquation. Le rôle du gouvernement fédéral à cette époque en était un d'égalisateur social, c'est-à-dire qu'il tentait de percevoir son rôle dans l'ensemble du pays comme celui d'un égalisateur social sur le plan des ressources économiques et de l'accès aux soins de santé. C'était un rôle important parce qu'il était visible.

Quand nous avons adopté la formule du financement par habitant, le gouvernement fédéral a perdu ce rôle. Si vous essayez maintenant d'expliquer aux Canadiens la formule de partage des coûts, vous vous buterez à l'incompréhension totale de vos auditeurs. La plupart des experts ont de la misère à comprendre la formule à l'heure actuelle. La visibilité est disparue, ainsi que la crédibilité. On entend dire: «La part a diminué». Il y a toute une bataille sur l'ampleur exacte de cette part. Les gens ne comprennent plus. Auparavant, c'était très visible.

D'un point de vue comptable, la visibilité et la crédibilité doivent être rétablies. Je recommande fortement que le comité envisage de recommander un nouvel arrangement de partage des coûts comportant une péréquation intrinsèque, une formule qui reconnaîtrait que les différentes régions du pays n'ont pas la même capacité fiscale, certaines étant mieux loties que d'autres.

Je formule ma deuxième recommandation pour des raisons pragmatiques. Vous ne parviendrez pas à une entente sur la réforme des soins de santé et le partage des coûts de la santé au Canada entre les gouvernements fédéral et provinciaux tant et aussi longtemps que l'on n'aura pas prévu une quelconque formule de péréquation intégrée. C'est ce qui va faire ou défaire une entente.

Je ne peux pas envisager que le Canada de l'Atlantique, la Saskatchewan, le Manitoba et les territoires acceptent un quelconque arrangement entre les gouvernements fédéral et provinciaux pour l'assurance-médicaments, les soins à domicile et les maisons de soins infirmiers, à moins qu'une sorte de péréquation soit intégrée à l'entente ou qu'il y ait visibilité. Si l'on examine l'histoire des négociations qui ont mené au régime d'assistance publique du Canada, c'est la péréquation qui a été le facteur déterminant. À mes yeux, cela n'a pas changé. Nous vivons encore dans un régime fédéral-provincial. Cela ne passe pas bien dans certains milieux, et ce n'est pas politiquement astucieux d'en faire mention dans le climat actuel qui règne entre les gouvernements fédéral et provinciaux. Il est toutefois important de le signaler quand il s'agit d'un programme national.

Le sénateur Fairbairn: Je vous remercie d'être resté hier après-midi.

Vous dites dans votre document que l'une des difficultés, dans notre pays, c'est qu'il y a toujours dans les administrations gouvernementales des gens qui s'en vont après s'être occupés de ces dossiers, souvent à des moments critiques. Ils s'en vont ailleurs et nous perdons la continuité. Du point de vue de notre comité, c'est assurément intéressant de pouvoir compter sur quelqu'un comme Monique Bégin, qui a commencé à s'intéresser à la santé il y a longtemps et qui n'a jamais vraiment décroché. Elle est une source continue d'information et de réflexions sur l'évolution du système.

Vous avez entendu hier de sa part, et aussi de la part d'autres personnes et de moi-même, des préoccupations au sujet des soins à domicile et de l'assurance-médicaments. C'est abordé sous un angle différent dans votre mémoire, mais elle a discuté de la possibilité de rouvrir la Loi canadienne sur la santé, ce qui fait bien sûr dresser les cheveux sur la tête de bien des gens quand ils songent aux négociations ardues et épineuses auxquelles cela pourrait donner lieu. L'une des difficultés, c'est que tout le monde voudrait conserver l'acquis tout en y ajoutant un principe ou une quelconque notion d'un régime national de soins à domicile qui, à l'instar de la Loi canadienne sur la santé, serait d'application universelle.

Quand on évoque la possibilité de rouvrir la loi, personne ne se fait d'illusion sur la difficulté que cela comporterait. Cependant, si nous voulons mettre en place un programme national qui serait équitable pour les Canadiens, il faudrait bien emprunter cette voie, ou bien légiférer d'une manière quelconque.

Deux choses m'ont frappée dans votre mémoire: votre opinion sur la question de la péréquation, et votre suggestion que cet élément soit intégré au régime. Je ne suis pas certaine d'avoir jamais vu cela énoncé de cette manière, c'est-à- dire que vous recommandez que les gouvernements provinciaux légifèrent pour inscrire les cinq principes de la santé dans le mandat des autorités régionales de la santé.

Je viens de la province d'Alberta. C'est une province très active dans le domaine des soins de santé à plusieurs égards, notamment parce que l'Alberta a fait volte-face ces dernières années dans le domaine de la santé: les Albertains se sont attaqués directement à certaines questions que les Canadiens du reste du pays et même les Albertains eux- mêmes trouvent parfois difficile. Vous avez notamment mentionné des frais modérateurs. À certains égards, cette proposition paraît avoir une certaine logique. Par contre, du point de vue psychologique, à cause de la façon dont les Canadiens perçoivent notre régime d'assurance-maladie, les frais modérateurs sont, disons, controversés, c'est le moins que l'on puisse dire.

C'est une proposition fascinante qui alimente la discussion. J'essaie de songer à quel niveau — peut-être dans le cadre de l'union sociale — les provinces, au début de la réforme de notre système, pourraient légiférer pour inscrire dans le mandat des autorités régionales et, on peut le supposer, dans leur propre mandat, les cinq principes de la Loi canadienne sur la santé. Si ce débat avait lieu, cela permettrait, en soi, d'ouvrir la Loi canadienne sur la santé.

Si cela avait été fait au tout début, cela aurait été probablement un grand avantage pour la mise en place de notre régime. Ce fut difficile. J'étais une jeune journaliste à cette époque. D'après ce que je me rappelle, il a été assez difficile d'amener les provinces ne serait-ce qu'à s'entendre sur la Loi nationale sur la santé.

Quelles sont vos réflexions pour ce qui est de comprendre le problème de la reddition de comptes? Comment envisagez-vous l'élaboration de ce processus, et quel en serait le résultat? Serait-ce ce conseil dont vous recommandez la création qui pourrait favoriser l'émergence d'idées de ce genre? Est-ce que ces deux recommandations sur la péréquation et sur l'inscription dans la loi des cinq principes feraient l'objet d'une initiative fédérale? Comment cela se ferait-il, à votre avis? Ce pourrait peut-être se faire dans le cadre d'une initiative commune, s'il y avait un organe ou une tribune dans le cadre de laquelle les représentants fédéraux et provinciaux pouvaient avoir des discussions, comme ils l'ont fait avec succès, en fin de compte, dans le cas de l'union sociale. Bien des gens ne pensaient jamais que cela pourrait se faire un jour, mais c'est arrivé. Avez-vous une idée de la façon dont tout cela pourrait se faire?

M. Nestman: Vous dites que les frais modérateurs sont controversés. L'OMS m'a demandé de faire un exposé sur le régime canadien d'assurance-maladie à Moscou et j'ai alors été présenté par un éminent sociologue de l'Université de Moscou qui a passé un mois ici dans cette ville. Il a résumé les trois grands problèmes qui affligent le Canada. Le premier était les frais modérateurs, le deuxième était le hockey, et le troisième était l'unité nationale.

Le sénateur Fairbairn: C'est un bon résumé. Cela dit tout.

M. Nestman: Quant à la liste des cinq points faisant l'objet de la discussion, j'ai effectivement une idée de la façon dont cela pourrait se passer.

La question des soins à domicile est importante. Je me rappelle des discussions auxquelles j'ai participé en Allemagne, alors que l'on hésitait dans ce pays entre créer un régime national séparé pour les soins à domicile et les maisons de soins infirmiers, et intégrer tout cela dans le cadre du budget existant d'assurance-maladie.

Le sénateur Fairbairn: Je m'excuse de vous interrompre, mais nous discutons non seulement de maisons de soins infirmiers, mais aussi de soins à domicile.

M. Nestman: Les Allemands estimaient que les maisons de soins infirmiers et les soins à domicile devaient aller de pair. Nous devons réfléchir à cela. Le lien entre les deux est tout à fait central. Nous, au Canada, plaçons nos personnes âgées dans des établissements à un taux qui est le double de celui observé dans l'Europe de l'Ouest. Nous devons réfléchir à cela. À cette époque, le taux en Allemagne était de 3,4 p. 100, et les Allemands voulaient faire baisser ce taux. Quant à nous, nous nous situons à près de 8 p. 100.

Si l'on crée seulement le programme des soins à domicile, on aura un dysfonctionnement parce que les foyers de soins seront séparés. Ils seront marginalisés de la même manière que la santé mentale et la santé publique ont été marginalisées dans notre pays. Il faut considérer cela comme un tout. Cela va ensemble. Le nouveau domaine des soins de longue durée et de la réadaptation cadre très bien entre les deux.

Quand les Allemands se demandaient s'ils devaient séparer les deux, leur préoccupation était de savoir comment établir le lien entre les soins à domicile, qui comportent un élément social tellement prononcé, et le secteur hospitalier, qui s'occupe des soins aigus. Les cultures sont complètement différentes en termes de prestation des services.

La deuxième question qui est pertinente pour nous est la Loi canadienne sur la santé, qui garantit les services médicalement nécessaires. Comment modifier cette définition pour y intégrer les soins à domicile, qui représentent un élément tellement important? Aucun pays au monde n'a été en mesure de définir «médicalement nécessaire». Hillary Clinton a consacré près du tiers des ressources qui lui avaient été confiées pour essayer de définir l'expression «médicalement nécessaire», et elle n'y est pas parvenue. Les compagnies d'assurance privée n'y sont pas parvenues. Elles décident arbitrairement ce qui est assuré et ce qui ne l'est pas. C'est tout à fait arbitraire, en fonction des facteurs de risque et du revenu. Nous ne voulons pas de cela au Canada. Si l'on compare l'Europe occidentale au Canada, compte tenu des questions éthiques et sociales que nous voulons intégrer à la définition de ce qui est assuré, il est extrêmement difficile de définir «médicalement nécessaire».

Les Allemands et les Japonais ont décidé de laisser les deux régimes séparés à cause de ce problème de définition. Ils ne voulaient pas que leur budget consacré aux soins aigus puisse être détourné vers cette intervention.

La deuxième raison pour laquelle ils ont conservé deux régimes distincts, qui me semble importante, c'est qu'ils estimaient que les hôpitaux et les soins de courte durée avaient un tel poids dans le système que tout nouveau budget risquerait d'être accaparé par ces services qui en profiteraient pour étendre leur mandat, marginalisant ainsi les soins à domicile et les maisons de soins infirmiers.

Songeons seulement aux 23 milliards de dollars que nous avons injectés au moment de l'entente il y a deux ans. Avons-nous multiplié les services de soins à domicile et les maisons de soins infirmiers? Avons-nous changé la structure du système? C'est précisément ce qui les préoccupait.

Ils estimaient aussi que les soins à domicile et les maisons de soins infirmiers n'avaient pas atteint la maturité voulue en termes de leur capacité de prestation de services pour pouvoir rivaliser pour l'obtention de ressources dans le système. Ils ont donc décidé de maintenir deux systèmes séparés.

J'ai participé à titre d'invité à plusieurs de ces discussions à Bonn et à Ingelheim. Ma conclusion est que nous ne devrions pas tenter de rouvrir la Loi canadienne sur la santé pour y ajouter les soins à domicile et les maisons de soins infirmiers. Nous devrions essayer de mettre sur pied un programme séparé de maisons de soins infirmiers et un programme de soins à domicile que l'on pourrait ensuite combiner. Vous pourriez aussi envisager d'y ajouter les soins primaires, si vous le voulez. Cela permettrait d'avoir une plus grande visibilité. Vous pourriez prévoir des facteurs de péréquation avec visibilité et reconnaissance pour la partie financée par le gouvernement fédéral.

Le seul inconvénient, c'est l'absence d'intégration. Les soins à domicile et les maisons de soins infirmiers ne sont pas prêts à faire concurrence au budget des hôpitaux pour l'obtention de budgets. Je ne connais pas un seul système où c'est le cas. Les régions ont reçu le mandat de renforcer les soins à domicile. Les hôpitaux de soins de courte durée accaparent tous les fonds parce que leurs demandes sont illimitées. Nous devrions les séparer et mettre sur pied un programme national séparé.

Nous aurons avec le temps de l'expérience quant à la façon dont tout cela peut fonctionner. Peut-être que dans 10 ou 12 ans, nous aurons un autre rapport d'une autre commission royale qui formulera des recommandations sur la façon dont tout cela pourrait être intégré. Pour l'instant, nous devons chercher à voir comment cela pourrait fonctionner à l'échelle nationale.

C'était le cas des Allemands et des Japonais. Il est intéressant de constater que la Suède envisage également de lancer un programme national de maisons de soins infirmiers et de soins à domicile. Les mêmes questions sont soulevées là- bas et les Suédois ont actuellement le même débat. Ils s'intéressent énormément à ce qui se fait au Canada et examinent aussi ce qu'ont fait le Japon et l'Allemagne. Il est certain qu'ils sont actuellement influencés par ces deux pays.

Vous voudrez peut-être rouvrir la Loi canadienne sur la santé parce qu'il y a certains éléments qui pourraient être rajustés. Les principes de cette loi ont donné aux provinces une assez grande marge de manoeuvre dans la façon d'assurer la prestation de leurs services comme elles le jugent bon. Le système québécois est très différent de ceux de la Nouvelle-Écosse et de l'Alberta. Il y a beaucoup de marge de manoeuvre.

Je me demande si l'Alberta a déjà adopté ma recommandation voulant que les provinces envisagent de légiférer elles-mêmes les principes de la Loi canadienne sur la santé au plan provincial, dans leur loi 11. Les dispositions de cette loi stipulent qu'aucune prestation de services ne sera autorisée à moins d'être conforme à la Loi canadienne sur la santé. Je me demande si cette loi prévoit la possibilité de mettre sur pied un régime provincial. Ce sera intéressant de voir s'il y a des litiges provinciaux dans ce domaine. La Loi canadienne sur la santé n'a pas souvent été contestée devant les tribunaux. J'ai hâte de voir comment la situation va évoluer en Alberta à cet égard.

Le sénateur Fairbairn: Cette loi n'a pas encore donné lieu à suffisamment d'activités pour pouvoir porter un jugement là-dessus, mais c'est à cause de cette partie de la loi 11 que celle-ci, en fin de compte, n'a pas été jugée contraire à la Loi canadienne sur la santé.

M. Nestman: C'est une question intéressante qui est à suivre. Je ne sais pas trop ce qui va se passer.

Le sénateur Fairbairn: Ce sera intéressant de voir comment cela va se répercuter sur les régies régionales.

M. Nestman: Je recommande de légiférer au niveau provincial parce que les régions deviennent très autonomes. Par exemple, les régions d'Edmonton et de Red Deer sont très différentes. Cela s'applique aussi aux régions de Nouvelle- Écosse.

Ces régions acquièrent une plus grande autonomie. Le rapport Mazankowski fait cette recommandation. Tous les rapports recommandent d'accorder une plus grande autonomie aux régions. Les gouvernements provinciaux jouent plus souvent le même rôle que joue le gouvernement fédéral à l'échelle nationale.

La vice-présidente: Exactement.

M. Nestman: Si l'on veut qu'il y ait uniformité dans une province donnée, il faut élaborer des ententes sur les principes de la prestation des services de santé. Cela aiderait les relations fédérales-provinciales si l'on avait la même vision aux niveaux fédéral et provincial, surtout quand on considère que l'Alberta s'est peut-être déjà orientée dans cette direction.

La question clé est celle-ci: peut-on se contenter de reprendre les principes de la loi fédérale et de les inscrire dans une loi provinciale? Il faudra peut-être les moduler pour les appliquer au niveau provincial. Certaines modifications s'imposent peut-être. Un conseil fédéral-provincial pourrait examiner la question et décider de la façon dont cela pourrait se faire.

Il est logique que nous soyons sur la même longueur d'ondes. Cela ne veut pas dire que le système albertain sera le même que le système de Nouvelle-Écosse. Toutefois, dans l'intérêt d'une plus grande visibilité, les domaines qui sont légiférés provincialement doivent être clairs, et les domaines qui relèvent de la loi fédérale doivent être clairs.

Il doit aussi être visible qu'il existe un système national auquel les provinces doivent adhérer. Parallèlement, il doit être entendu que les régions doivent aussi se conformer. Je pense que cela enverrait un message intéressant aux régions, qui pourraient alors inclure dans leurs énoncés de mission des décisions stratégiques, reflétant la version provinciale de la Loi canadienne sur la santé, de manière que les décideurs régionaux puissent orienter leur réseau d'une manière qui est de façon générale conforme aux grands paramètres établis par la province.

Le sénateur Fairbairn: Je vous remercie beaucoup de nous avoir fait part de votre point de vue. Ces questions sont chargées d'émotions et très controversées. C'est un concept intéressant. Je vous remercie de nous l'avoir présenté.

Le sénateur Morin: Je voudrais aborder le dossier des programmes fédéraux d'assurance-médicaments et de soins à domicile. Comme vous l'avez fait remarquer, le Canada est unique au monde par le fait qu'il est tellement décentralisé. Je conviens avec vous que c'est regrettable. Chaque province est très jalouse de ses prérogatives. Je ne vois pas très bien comment on pourrait changer cela, surtout dans la province d'où je viens.

Tout le monde parle de programmes d'assurance-médicaments et de soins à domicile. On se rappelle que le ministre Rock avait présenté ce dossier aux provinces il y a trois ans, et cette proposition a été rejetée à l'unanimité. Si elle avait été acceptée, nous aurions aujourd'hui un programme national de soins à domicile. Les provinces voulaient l'argent, elles l'ont eu et l'ont empoché.

Les provinces soulèvent beaucoup d'objections. Elles disent qu'il est très important que le réseau de prestation de soins de santé relève des provinces. Il est très important que tous les éléments soient intégrés. Vous avez fait allusion à cela.

Le fait d'avoir un programme fédéral côte-à-côte avec les programmes provinciaux introduit toutes sortes de problèmes et d'effets pernicieux. Tout au moins, ça a été le cas historiquement. Je tiens à vous féliciter de nous avoir présenté votre perspective historique sur notre système de soins de santé. Tous les systèmes de soins de santé sont la résultante de leur histoire.

Les programmes fédéraux dans les domaines de la santé mentale et de la tuberculose ont eu beaucoup d'effets pernicieux. À l'heure actuelle, on le constate au niveau provincial, où les hôpitaux ont recours à l'assurance- médicaments pour économiser à même leur budget. Imaginez si ce programme était fédéral. Les provinces ordonneraient à leurs patients de commander leurs médicaments à la pharmacie pendant qu'ils sont hospitalisés. Il y a un problème quand on a deux programmes côte-à-côte et que l'un est financé et administré par la province et l'autre par le gouvernement fédéral.

Nous ne devons pas perdre de vue que la plupart des provinces ont déjà un programme d'assurance-médicaments. Certains sont très complets, tandis que d'autres ne sont pas aussi généreux. L'Alberta a un modèle inspiré du régime d'assurance privée; le Québec a un programme très généreux; et la Saskatchewan a un programme de dernier recours. Je ne suis pas sûr que les provinces ou les habitants de ces provinces seraient disposés à abandonner leur programme. Je me rends pleinement compte que nous avons un problème et qu'il n'y a aucun régime d'assurance-médicaments de dernier recours à l'est du Québec. Il est inacceptable que certains Canadiens ne puissent se permettre d'acheter des médicaments parce qu'ils se trouvent dans une certaine région du pays. Par contre, je ne suis pas certain qu'un programme fédéral créé pour résoudre un problème qui subsiste dans une région du pays soit la solution.

La situation est semblable dans le domaine des soins à domicile. L'Alberta a un bon programme, mais devrait-elle l'abandonner au profit d'un programme financé par le fédéral? Si l'on crée un programme fédéral, il faudra l'administrer. Si l'on se contente de donner l'argent aux provinces, celles-ci pourraient le dépenser à d'autres fins. Comme vous l'avez fait remarquer au sujet des 23 milliards de dollars, on sait ce qui s'est passé. Il y a eu des grèves dans votre propre province, parfois illégales. Au lieu d'avoir un programme de soins à domicile, nous avons eu la grève. Si l'on donne encore 20 millions de dollars, nous aurons peut-être une autre grève. Cela n'a pas de fin. C'est un monopole et aucun gouvernement ne peut résister à une grève des travailleurs de la santé. Je suis toutefois favorable à des programmes fédéraux, et cela s'applique autant aux soins à domicile qu'aux maisons de soins infirmiers.

Certains dossiers sont exclusivement provinciaux, par exemple les soins primaires, comme vous l'avez fait remarquer. À part ces deux programmes, pensez-vous que d'autres initiatives fédérales pourraient être prises? Avez- vous une idée approximative du coût de ces programmes? On a évoqué le chiffre de six milliards de dollars pour l'assurance-médicaments, mais peut-être avez-vous une idée de ce que pourraient coûter les soins à domicile et les maisons de soins infirmiers.

Pour revenir à mes autres questions, je disais donc que certains dossiers sont exclusivement provinciaux. Avez-vous envisagé d'autres initiatives fédérales, à part ces deux programmes, qui permettraient d'accroître l'efficience, l'égalité et l'accessibilité du système? Chacun est en faveur d'une réforme des soins primaires et du système de rémunération des médecins, mais ce domaine est de ressort exclusivement provincial. Ce que nous pourrions en dire ici n'aurait pas grand effet au niveau provincial.

J'ai trouvé des plus intéressantes vos observations sur la péréquation et le partage des coûts. Vous avez énuméré toutes les provinces qui seraient en faveur d'une forme quelconque de partage, mais pas celles qui seraient contre. Je ne suis pas sûr que l'Ontario et l'Alberta seraient en faveur. D'après les chiffres de M. Martin, le fédéral paye 62 p. 100 de tous les coûts de la santé à Terre-Neuve; 68 p. 100 en Île-du-Prince-Édouard; 55 p. 100 en Nouvelle-Écosse, 53 p. 100 au Nouveau-Brunswick; et 29 p. 100 en Alberta. Vous n'êtes peut-être pas d'accord avec ces chiffres et je vais donc vous remettre le document si vous voulez en prendre connaissance. Devrions-nous augmenter la contribution fédérale à Terre-Neuve pour la porter à 80 p. 100 ou 90 p. 100? Le pourcentage est déjà relativement élevé.

M. Nestman: Ce sont des questions pertinentes pour ce qui est d'essayer de mettre en oeuvre quoi que ce soit dans notre pays. Il faut y voir.

Je voudrais répondre à la première question, nommément que le rôle du gouvernement fédéral ne consiste pas à diriger un programme fédéral de soins à domicile, de maisons de soins infirmiers ou d'assurance-médicaments. La santé est de ressort provincial et les provinces ne permettraient pas qu'un programme soit dirigé par le fédéral et centralisé au niveau fédéral. Je ne pense pas non plus que le gouvernement fédéral voudrait se lancer dans un tel projet.

J'entrevois une situation dans laquelle le gouvernement fédéral légiférerait en adoptant une loi nationale sur les soins à domicile et les maisons de soins infirmiers, loi qui énoncerait les principes pour la prestation de ces services. Il est intéressant de constater que les Allemands et les Japonais ont trouvé que c'était un geste libérateur d'élaborer des principes dans ce domaine, au lieu de changer les programmes d'assurance-maladie pour intégrer le tout. Les principes en question sont intéressants parce qu'ils sons associés aux modèles de soins à longue durée et de réadaptation. Ils ne sont pas associés aux modèles des soins de courte durée.

C'est le rôle que le gouvernement fédéral promet de jouer: établir des principes pour la prestation des soins à domicile et les maisons de soins infirmiers, quitte à élaborer ensuite une loi semblable à la Loi canadienne sur la santé pour assurer le partage des coûts. Le gouvernement fédéral pourrait partager le coût avec les gouvernements provinciaux. Cependant, ce sont les gouvernements provinciaux qui administreraient ces programmes dans le respect de ces principes, comme ils le font pour les hôpitaux et les services des médecins, qui sont régis par la Loi canadienne sur la santé. C'est la seule manière dont cela pourrait fonctionner dans un régime comme le nôtre.

Pour l'Alberta, qui a un bon programme de soins à domicile, cela pourrait entraîner certaines modifications. Les Albertains pourraient peut-être implanter cela tout de suite sans faire de changement. Par exemple, quand le programme d'assurance-maladie a été mis en place en 1968 partout au Canada, la Saskatchewan a pu respecter les exigences immédiatement et elle a été la première province à adhérer au programme.

L'initiative fédérale consiste plutôt à «orienter et canaliser»; non pas à administrer le programme, mais plutôt à s'en remettre aux provinces qui se chargeraient des détails.

Je n'ai pas dit quelles provinces étaient contre les initiatives fédérales. On connaît la situation de l'Alberta; on connaît la situation du gouvernement de l'Ontario; et l'on sait pour quelles raisons historiques et culturelles la province de Québec a adopté une position différente. Il faut remonter à 1957, date à laquelle M. Paul Martin père a introduit un programme national d'hospitalisation; et à 1968, quand le gouvernement Pearson a lancé le programme d'assurance- maladie. Les provinces n'étaient pas très contentes. Ernest Manning, de l'Alberta, était catégoriquement contre le programme national d'assurance-maladie de 1968, tout comme l'Ontario et certaines régions du Québec.

À un moment donné, on ne peut pas faire l'unanimité. Diriez-vous que nous n'aurions pas dû aller de l'avant à cette époque? J'affirme que c'étaient des mesures fondamentales et positives qui ont nécessité du courage, et c'est ce qu'il faut actuellement. S'il n'y a pas consensus à l'égard d'un programme fédéral-provincial, cela ne veut pas nécessairement dire qu'une province donnée n'adhérera pas au programme.

L'entente sur l'union sociale que votre collègue a évoquée tout à l'heure n'exige pas l'uniformité pour mettre en place des programmes sociaux. Il s'agit là d'un dossier sur lequel nous ne pouvons pas escompter qu'il y aura uniformité. Il faut faire preuve de courage. Quand le programme d'assurance-maladie a été présenté, les provinces avaient le choix d'y adhérer ou non. En fin de compte, toutes les provinces y ont adhéré. Tout au long du processus, on pouvait sentir l'évolution de l'opinion publique au sujet du programme national d'assurance-maladie. C'est l'un de ces dossiers politiques qui doit donner lieu à des décisions stratégiques.

C'est la même chose pour l'assurance-médicaments. Le programme national d'assurance-médicaments serait dirigé par les provinces, mais sous l'égide de principes fédéraux pour l'administration, le partage des coûts et la mise en oeuvre, et il s'appliquerait aux coûts des médicaments à l'extérieur des hôpitaux. Vous pourriez peut-être englober l'assurance-médicaments dans la Loi canadienne sur la santé beaucoup plus facilement que vous ne pourriez le faire pour les maisons de soins infirmiers et les soins de longue durée, parce que la culture est plus proche. On pourrait modifier la Loi canadienne sur la santé en ce sens.

Vous m'avez interrogé au sujet des coûts, mais je n'ai pas ce renseignement.

Le sénateur Morin: Vous semblez bien connaître la situation en Allemagne. Le programme semble assez coûteux. En fait, l'argent est versé directement aux membres de la famille.

M. Nestman: Oui, c'est bien cela.

Le sénateur Morin: Si quelqu'un veut rester à la maison, il est payé pour le faire. Je ne pense pas que nous pourrions aller aussi loin.

Savez-vous combien cela coûte aux Allemands? Je sais qu'ils ont un pourcentage de personnes âgées plus élevé que nous, mais combien ce programme coûte-t-il?

M. Nestman: J'ai les chiffres, mais il serait difficile d'en donner le détail ici. Je pourrai vous les communiquer plus tard. Le programme a enregistré un surplus pendant les six premières années. Ils ont maintenant un surplus de six milliards de dollars US dans leur programme de soins de longue durée.

Nous pourrions tirer beaucoup de leçons de la mise en place de ce programme. La première est que les Allemands ont jugé qu'une bonne évaluation était l'élément crucial pour déterminer si les gens doivent être placés dans une maison de soins infirmiers ou bien dans un programme de soins à domicile.

Deuxièmement, les Allemands ont infléchi les encouragements, dont vous avez parlé tout à l'heure, plutôt en faveur des soins à domicile que des maisons de soins infirmiers. L'intention était de faire en sorte que les gens restent chez eux, ce qui fait partie de la culture allemande axée sur la famille, mais ils se sont par ailleurs rendus compte qu'ils opéraient un changement en ce sens qu'ils ne seraient pas obligés de donner de l'argent comptant aux aidants naturels.

La troisième leçon que nous pouvons tirer de l'expérience allemande est qu'il faut un bon contrôle des coûts et des limites budgétaires. Les Japonais n'avaient pas établi cela et leurs coûts augmentent en flèche. Les Allemands n'ont pas dépassé leur budget, ce qui fait qu'ils n'ont pas eu besoin d'augmenter les frais autant qu'ils l'auraient cru. Ils réalisent aussi des économies grâce à l'achat centralisé par l'entremise des fonds d'assurance-maladie — un seul système pour tous, un arrangement à contribuable unique à l'allemande.

Là où les Allemands ont commis une erreur, c'est qu'ils ont sous-estimé le nombre de patients atteints de démence. Ils n'ont pas fait de rajustements pour en tenir compte. De plus, ils n'ont pas imposé de limites de capacité pour les maisons de soins infirmiers et les soins à domicile. Ils ont injecté de l'argent et une foule d'entreprises se sont soudainement lancées dans ce créneau. En conséquence, ils ont actuellement une surcapacité. C'est une autre leçon que nous pouvons tirer de l'expérience allemande.

Leur contrôle des coûts a été bon. Je soupçonne que nous pouvons faire exactement comme les Allemands. Le coût total est du domaine public.

La leçon importante, c'est la façon dont ils ont introduit le paiement aux aidants naturels. Nous devrions envisager de le faire au Canada. Nous savons que 25 p. 100 des patients sont actuellement soignés à domicile au Canada, et les membres de la famille ont beaucoup de misère à affronter la situation. Cela touche beaucoup de gens.

Le dispensateur de soins doit renoncer à son emploi pour travailler à la maison. Les Allemands ont décidé de verser une rémunération comptant à ces gens-là et de payer leur cotisation au régime de retraite gouvernemental pendant qu'ils dispensent des soins. Ils ont aussi donné une formation aux dispensateurs de soins à domicile, et ils offrent des cours de recyclage une fois par année. Le gouvernement a aussi mis en place un service de relève pour soulager occasionnellement de leurs tâches ces aidants naturels.

Ce programme jouit d'une acceptation généralisée, mais je précise bien qu'il ne paye pas tous les coûts. Dans le cas d'une personne âgée qui a un revenu modeste, la pension suffit pour payer le reste, et il restera un peu d'argent pour assurer une vie autonome. À l'heure actuelle, dans ma province, les gens placés dans des maisons de soins infirmiers ne sont pas indépendants; ils sont en faillite. Entrer dans une maison de soins infirmiers, dans le Canada de l'Atlantique, cela veut dire faire faillite, non pas dans le sens traditionnel du terme, mais c'est bel et bien la faillite en termes d'indépendance personnelle. Les Allemands ont été confrontés au même problème et ont décidé qu'ils ne laisseraient pas une telle chose se produire.

Nous devrions envisager de verser des prestations en argent comptant aux aidants naturels, mais cela relèverait des provinces et le gouvernement fédéral pourrait seulement recommander l'application de principes. Il faut espérer que les provinces vont s'occuper de ces dossiers.

Le sénateur Morin: Je félicite M. Nestman. Il est le témoin le mieux informé que nous ayons entendu. Sa connaissance des dossiers historiques et des systèmes de prestation de soins de santé à l'étranger est remarquable.

La vice-présidente: Vous dites que le régime allemand enregistre un surplus. Est-il financé par un impôt spécifique? Les retraités versent-ils une partie de leur pension plus des frais modérateurs minimes? Sur quelle base calcule-t-on cela? Vous dites qu'ils ont un surplus, mais par rapport à quelle base de revenu?

M. Nestman: Ils ont un système différent. Ils ont un régime d'assurance-maladie axé sur l'employeur, dans lequel les employés et les employeurs versent de l'argent dans une caisse-maladie pour payer les frais d'hospitalisation. Les Allemands ont créé une caisse-maladie distincte pour les soins de longue durée et les maisons de soins infirmiers. Cela se fait de deux manières. Premièrement, pour les employés dont le revenu dépasse un certain seuil, l'employeur et l'employé cotisent à parts égales à ce programme de soins de longue durée. Habituellement, l'employé commence à cotiser à l'âge de 35 ans et il cotise jusqu'à 60 ans. Après 60 ans, les retraités payent leur propre cotisation à cette caisse et le gouvernement fédéral paye l'autre moitié.

La vice-présidente: Ce sont donc des cotisations?

M. Nestman: Oui. L'argent est spécialement affecté à ce programme. On sait exactement à quoi il sert et qui s'en voit reconnaître le mérite. La responsabilité et la visibilité sont intrinsèques. Cela pourrait se faire ici. Avec un peu de créativité, nous pourrions mettre au point un impôt spécifique, fédéral et provincial, qui serait consacré spécialement à ce programme. Il faut un peu d'imagination pour transposer cela dans la réalité canadienne.

Le sénateur Cook: Je trouve intéressant le concept d'un conseil des services de santé du Canada et je me demande comment on pourrait créer un tel conseil. Vous avez évoqué des partenariats entre les deux niveaux de gouvernement. Vous avez mentionné en passant le cadre de l'union sociale, qui est probablement dans une certaine mesure un obstacle. Le financement global par habitant est un obstacle. Si je vous ai bien compris, vous envisagez un partenariat entre le gouvernement fédéral, le gouvernement provincial et les régies régionales.

Quand je suis embrouillé et que je sens le besoin de tous simplifier, je dessine une pyramide. Cela m'apparaîtrait plus logique si je voyais quelque part dans ce schéma les dispensateurs, c'est-à-dire les gens qui font fonctionner tout le système, qui s'occupent des clients, qui font le travail.

Je trouve votre structure intéressante, ainsi que les processus, et je me demande dans quelle mesure il faudrait s'éloigner du modèle actuel pour tenter de tout mettre cela en oeuvre, compte tenu du fait que les régies régionales ont des énoncés de mission. Aux deux premiers niveaux, vous parlez d'incorporer les cinq principes de la Loi canadienne sur la santé au niveau provincial et au niveau des régies régionales. Est-ce que l'énoncé de mission ne suffirait pas?

Je suis renversée par l'ampleur de la tâche, compte tenu du grand nombre d'intervenants dans le système. Vous évoquez l'idée de retirer des systèmes actuels — qu'ils soient provinciaux ou fédéraux — ceux que vous souhaitez intégrer à votre conseil.

Pourriez-vous élucider ces théories à mon intention?

M. Nestman: Le rôle du Conseil de la santé du Canada doit être allégé et clarifié. C'est important.

Quant à ma façon de voir les choses, j'en reviens toujours à l'époque du Conseil fédéral d'hygiène. C'était une entreprise conjointe des gouvernements fédéral et provinciaux. Les deux étaient partenaires. Il y avait un secrétariat commun qui réglait les contentieux fédéraux-provinciaux. On ne s'entendait pas toujours, mais les désaccords étaient exprimés, discutés, et bien souvent, ils finissaient par s'évanouir dans les engrenages du système. Au niveau de l'élaboration des politiques, on savait sur quel point il y avait désaccord.

J'ai parlé à une personne qui a participé à ce conseil, nommément Fred McKinnon, de Nouvelle-Écosse. Il m'a dit que le Conseil fédéral d'hygiène était une bonne instance parce que l'on parvenait à s'entendre à près de 80 p. 100 quand il y avait désaccord entre le fédéral et les provinces. Le conseil favorisait les discussions. Il y avait encore désaccord sur 20 p. 100 des problèmes, mais le conseil était un instrument qui permettait alors d'apporter des changements en profondeur en cas de désaccord. Aujourd'hui, le désaccord est total parce que nous n'avons aucune structure pour démonter le mécanisme.

La question est de savoir comment tout cela sera mis sur pied et qui seront les partenaires. L'idée est de renforcer le dialogue et la discussion entre les autorités fédérales et provinciales. Quant aux partenaires qui ne sont pas des gouvernements fédéral ou provinciaux, quelle doit être l'influence des régions, c'est une question intéressante. Veut-on un système fédéral-provincial régional? On peut comparer aux discussions qui ont lieu actuellement dans le domaine fédéral-provincial-municipal. Quelle devrait être l'influence des municipalités? C'est un problème qui se pose actuellement dans notre système canadien. Quelle doit être l'attitude du gouvernement fédéral face aux municipalités? C'est une question cruciale.

Considérer les régions comme un autre palier de gouvernement et se demander si elles devraient faire partie d'un éventuel conseil canadien de la santé, voilà qui est une problématique intéressante. Pour moi, les dispensateurs, c'est-à- dire les médecins et les infirmières, ont actuellement suffisamment d'instruments pour formuler leurs besoins et manifester leurs intérêts. Un conseil canadien de la santé doit être impartial parce que, autrement, un nombre infini de fournisseurs et de dispensateurs voudraient s'en mêler. Je n'envisage pas qu'ils seraient membres de ce conseil. Ce ne serait pas un conseil chargé d'exprimer les vues de tout le monde sur le régime de soins de santé; son rôle serait d'élaborer des ententes de gestion des affaires courantes pour décider comment le système doit être administré, et de discuter de grandes questions de principe pour que les deux parties se comprennent bien et tentent de s'entendre, ou bien, en cas de désaccord, pour que la discussion puisse prendre place dans un environnement plus impartial. Voilà la façon dont je l'envisage. Le conseil fédéral d'hygiène ne comptait pas de dispensateurs parmi ses membres.

Qui en serait membre? Ce serait un cercle restreint, selon ma vision des choses. Les régions relèvent de leur ministère de la Santé. C'est par cet intermédiaire qu'elles auraient leur mot à dire au conseil canadien de la santé. Les provinces pourraient peut-être mettre sur pied leur propre conseil de la santé dans chaque province, quoique j'ai un peu de mal à imaginer que cela se fasse dans les petites provinces.

Le sénateur Cook: Je viens d'une petite province.

M. Nestman: Moi aussi.

Le sénateur Cook: J'ai essayé de débrouiller cela dans ma propre province de Terre-Neuve. De la façon dont je vois les choses, c'est exclusif. Nous avons exclu les dispensateurs du service de notre concept. Il faut bien les inclure à un niveau quelconque, peut-être au niveau des régies régionales, parce qu'ils sont les mieux placés sur le terrain. Au sommet, je peux comprendre que les questions de principe et de financement et quelques autres éléments sont importantes, surtout si l'on se retire des organismes existants. Nous devons pouvoir faire pas mal de travail à l'extérieur du cadre. Cependant, il est tout aussi important de mettre en cause l'autre partie, c'est-à-dire les professions médicales, qui sont les dispensateurs des services. Je ne vois pas comment on peut mettre au point une politique satisfaisante pour un pays aussi diversifié que le Canada si l'autre partie prenante n'a pas son mot à dire.

M. Nestman: Quand le Conseil fédéral d'hygiène était opérationnel, même si les dispensateurs n'étaient pas membres du conseil, il y avait des réunions de comité où l'on invitait des médecins à participer aux discussions. On rédigeait un exposé de position et l'on disait: «Il vaudrait mieux consulter à ce sujet les infirmières, les médecins et les techniciens de laboratoire, pour connaître leurs vues». Ce n'était pas un système clos; tout était ouvert.

Le sénateur Cook: C'est en effet comme cela que je vois les choses. C'est pourquoi je vous demande de me guider dans ce labyrinthe.

M. Nestman: Leur participation était plutôt consultative quand on leur demandait de donner leur opinion sur certaines questions devant le conseil. C'est à ce niveau que j'envisage leur participation, plutôt qu'au coeur même de la formulation des politiques. Quant à savoir qui doit être membre du conseil, c'est une question intéressante. Si les membres d'un conseil sont trop nombreux, nous aurons les mêmes problèmes que nous avons aujourd'hui.

Le sénateur Cook: Vous définissez la tâche du conseil, après quoi vous décidez qui en sera membre.

M. Nestman: Pour moi, au point où nous en sommes, les gouvernements ont besoin d'un lieu de réflexion, ce qui n'existe pas à l'heure actuelle. Ils sont dans un environnement de serre chaude; c'est pourquoi les ministres et les sous- ministres vont et viennent. L'instauration d'une certaine permanence dans un organisme comme un conseil canadien de la santé permettrait la tenue d'un dialogue fédéral-provincial. Les sous-ministres ont actuellement leur conseil; les ministres de la Santé ont également leur conseil, et ces fonctions seraient amalgamées à celles d'un conseil canadien de la santé. Ce n'est pas une nouvelle invention. Il s'agit seulement d'essayer de rassembler des éléments actuellement épars. À mes yeux, le secrétariat permanent est l'élément important qui manque actuellement.

La vice-présidente: Je voudrais une précision. Quelle raison a-t-on invoqué à l'époque pour dissoudre le conseil fédéral d'hygiène? Selon vous, y aurait-il un nouvel organe de supervision comme celui dont on parle, un organisme indépendant qui assurerait la reddition de comptes? D'après vous, comment pourrions-nous refermer la boîte de Pandore, pour ainsi dire?

M. Nestman: Vous avez soulevé deux questions. Le Conseil fédéral d'hygiène a été créé après que la Saskatchewan eut lancé ses programmes, quand le gouvernement fédéral et les autres provinces ont commencé à s'intéresser à ce programme. Ils se sont rendu compte qu'il fallait une sorte de secrétariat permanent pour s'occuper des questions fédérales-provinciales, et ils envisageaient que cela deviendrait à un moment donné un organisme d'envergure nationale. Le conseil est donc né d'un besoin, et ensuite, pendant l'ère Trudeau, il a mystérieusement disparu. À cette époque, les relations fédérales-provinciales étaient particulièrement difficiles. Le conseil a alors été balayé, ce qui m'apparaît regrettable.

Envisager l'impartialité sous l'angle provincial, voilà une question intéressante. Je parlais tout à l'heure des années 70, alors que l'on a créé des commissions chargées des hôpitaux et des soins médicaux. L'économiste en chef de la commission royale Hall, en 1964, a lancé tout un débat quand il a soulevé la question de savoir si, dans chaque province, on pourrait mettre sur pied une société d'État qui s'occuperait de l'administration courante du programme, ce qui instaurerait une certaine impartialité. Peter Meekison, un éminent politicologue de l'Université de l'Alberta a également commencé à promouvoir cette idée, de même que beaucoup de gens en Ontario. Le projet ne s'est toutefois jamais concrétisé, parce que nous avons traversé une ère où l'on se débarrassait de ces commissions dans un effort pour coordonner le système.

Il serait intéressant d'examiner si une telle société d'État pourrait s'occuper de l'administration courante du régime d'assurance-maladie. Vous en avez vu des vestiges en Ontario quand on a créé la Commission de restructuration des services de santé. Les Ontariens ont dépassé le modèle existant et ont dit aux intervenants: «Allez-y, faites votre travail». Vous n'auriez pas besoin d'aller beaucoup plus loin, il suffirait de dire: «En bout de ligne, la restructuration débouchera sur une société d'État qui dirigera le système».

L'idée est de transférer les activités courantes du ministère de la Santé et de mettre sur pied un système impartial. On ne peut jamais être absolument impartial dans ce milieu, aucune société d'État ne l'est jamais. Je pense toutefois qu'il y a certaines tâches définies dans chaque province qui pourrait être assumée par une organisation impartiale. Les ministères de la Santé auraient quand même leur place au sommet. Je ne pense pas qu'ils ont fait du très bon travail pour ce qui est d'orienter, de canaliser ou de transmettre des messages stratégiques dans le réseau.

La vice-présidente: C'était assurément l'avis des participants à notre table ronde de lundi, qu'il fallait conserver les ministères provinciaux de la Santé. Ces organisations provinciales seraient ensuite directement liées à cette entité de supervision que vous proposez.

M. Nestman: C'est possible, oui. On pourrait établir des liens associatifs, parce que je crois que tout est lié. Je répugne à recommander d'ajouter un autre rouage au système. C'est pourquoi je m'efforce de poser la question dans mon mémoire: quels éléments du réseau de la santé pourrions-nous absorber dans ces entités, de manière à ne pas faire double emploi?

Ce qui me préoccupe, c'est qu'actuellement, aux niveaux fédéral et provincial, nous mettons sur pied des conseils de la qualité et des instituts de recherche. Ce sont toutes de bonnes initiatives, mais je crains que d'ici 2005 ou 2006, nous nous demanderons: «>Comment organiser tout cela de manière logique? Comment assurer l'administration et la coordination de toutes ces organisations?» C'est pourquoi vous remarquerez que je pose la question suivante: Quel secteur dont nous nous occupons déjà pourrions-nous absorber dans un conseil canadien ou un organisme provincial? Avec un peu d'imagination, vous pourriez probablement faire cette rationalisation, pour éviter d'ajouter tout simplement des dépenses ou de créer de nouvelles fonctions.

La vice-présidente: Vous proposez quand même la création d'un nouveau rouage.

Le sénateur Cook: La péréquation n'est pas un très joli mot dans mon coin du Canada. C'était merveilleux au début. Nous croyons toutefois que la formule est punitive parce que c'est un montant calculé par habitant, et que toutes les provinces de l'Atlantique souffrent d'émigration, pour une raison ou pour une autre. Si l'on envisageait d'instaurer la péréquation dans ce régime, il faudrait faire preuve de beaucoup d'imagination pour trouver une formule qui soit équitable pour les Canadiens.

M. Nestman: Vous avez raison de dire qu'il faudra du courage. Je crois toutefois qu'il faudrait s'y prendre différemment, par rapport à ce qui s'est fait dans le passé. C'est intéressant de lire ce qui s'est publié sur l'expérience du partage des coûts en Europe occidentale et même aux États-Unis. Certains mouvements d'opinion se dessinent actuellement quant à la manière de conjuguer le partage des coûts et la péréquation.

J'ai ici un livre intéressant qui n'a pas encore été publié et qui provient de l'observatoire de l'OMS à Copenhague. L'une des conclusions est que si l'on instaure le partage des coûts et la péréquation, il faut tenir compte du coût du système et intégrer un élément de la santé des populations.

Les gens poseront la question: Pourquoi ne pas financer le tout entièrement en fonction de la population? Le problème est qu'il n'y a pas actuellement de système de rajustement du risque qui tienne compte des fluctuations. Les Pays-Bas et l'Allemagne ont constaté qu'ils peuvent seulement rajuster à hauteur de 30 p. 100 les attributs de la santé d'une région à l'autre. Ils reconnaissent qu'ils n'ont pas la capacité technique leur permettant de faire le reste, soit 70 p. 100.

L'égalisation des coûts réels demeure importante, parce que Terre-Neuve et le Nouveau-Brunswick, par exemple, n'ont pas la même capacité fiscale. Les deux composantes doivent donc être en place.

En finançant la santé de la population par une formule de partage des coûts et d'égalisation des coûts, il faut faire attention aux encouragements que l'on crée en terme de santé de la population. Si l'on sait par exemple qu'il y a beaucoup de gens obèses au Cap-Breton, devrions-nous les récompenser en leur donnant plus d'argent, ou devrions- nous plutôt retirer de l'argent pour qu'ils réduisent leur obésité. C'est une décision cruciale, parce que le signal qu'on transmet peut avoir des effets positifs ou pernicieux. C'est une question cruciale. L'observatoire a constaté qu'il faut faire preuve d'imagination. Si nous devons envoyer des signaux, nous devons nous assurer qu'ils sont importants.

Le sénateur Cook: La santé de la population est liée à la géographie dans ma province, comme dans la plupart des régions du Canada. Il faut voir où les gens habitent et quels services nous pouvons assurer, de façon réaliste, dans le domaine de la santé de la population.

Nous sommes une population vieillissante. Les travailleurs émigrent vers les grandes villes où se trouvent les emplois. La santé publique et la façon dont on l'aborde sont des dossiers sensibles, compte tenu de la géographie de notre pays. C'est vrai de toutes les provinces maritimes.

La vice-présidente: Cela s'applique aussi au Nord de l'Ontario.

Le sénateur Cook: Quels sont les autres éléments de l'infrastructure? Il ne sert à rien d'avoir un bon programme de la santé de la population s'il n'y a rien pour aider une région à se sortir du trou.

M. Nestman: Je suis certainement sensible à cela en Nouvelle-Écosse. Nous éprouvons des difficultés dans le Canada de l'Atlantique, et je pense que l'Alberta et le Manitoba partagent nos préoccupations à cet égard.

Certains services sont difficiles à assurer dans nos provinces parce que leur coût est élevé, par exemple les greffes du poumon. Nous avons beaucoup de misère à attirer les compétences voulues pour de telles interventions. Un conseil canadien comme celui dont je parle pourrait prendre des décisions dans le cadre de programmes nationaux. Nous pourrions financer un centre national où certaines interventions médicales auraient lieu.

Par exemple, en Inde, pays de près d'un milliard d'habitants, l'incidence des cataractes a posé un grave problème. On faisait des interventions chirurgicales pour soigner la cataracte un peu partout dans le pays. Il a été décidé que ces opérations seraient centralisées dans neuf hôpitaux et que l'on payerait les gens pour se déplacer pour aller se faire opérer. C'est devenu un problème national, parce qu'il y a tellement de personnes âgées qui ont besoin d'une opération pour la cataracte.

Ce changement a amélioré la qualité des soins et des opérations chirurgicales pour la cataracte dans ce pays, au point où beaucoup d'ophtalmologistes canadiens s'en vont en Inde parce qu'ils veulent travailler dans l'une de ces unités spécialisées. Cette opération chirurgicale est à la fois compliquée et facile, et le nombre de patients qui défilent dans ces centres est tellement élevé et la qualité des soins est tellement bonne que les médecins peuvent obtenir là-bas une bonne formation en deux ou trois semaines parce qu'ils sont confrontés à tous les problèmes possibles.

Nous devrons peut-être prendre la décision de centraliser certains programmes. Cela pourrait être réparti. Un conseil comme celui dont on discute est le seul organe qui permettrait d'en arriver à un accord là-dessus. C'est là que l'on peut faire des compromis. L'Alberta pourrait obtenir un centre et une autre province en obtiendrait un autre. Voilà le genre de grande manoeuvre qui pourrait prendre place au sein d'un conseil canadien. Nous n'avons pas un tel mécanisme à l'heure actuelle. Certains services sont tellement coûteux et exigent un volume tellement élevé que nous n'avons pas besoin de les offrir partout au Canada.

Nous pourrons peut-être aider Terre-Neuve ou la Saskatchewan en leur donnant un centre offrant un service particulier. Personne n'aime voyager dans notre grand pays, mais les pragmatiques l'exigeront peut-être à l'avenir.

Au Danemark, tous les services aux diabétiques ont été centralisés dans une clinique de Copenhague qui assure les trois quarts des services aux diabétiques de ce pays. Personne ne s'en est plaint. La qualité des soins à la clinique est actuellement réputée dans le monde entier. C'était une grave décision à prendre il y a 25 ans.

Le sénateur Keon: Vous venez de soulever un point très important. J'ai personnellement fait l'expérience d'administrer six programmes nationaux, qui représentent pour ainsi dire la marotte de notre nation. Ces programmes naissent un peu au hasard. Ce qui arrive, c'est que l'on obtient un budget de recherche pour essayer quelque chose, et ensuite, quand on arrive au domaine clinique, le bouche-à-oreille fait son oeuvre et tout le monde au pays apprend que l'on peut faire ceci ou cela. Il faut alors faire la tournée des sous-ministres de la Santé des provinces pour mettre au point une formule de financement pour recouvrer les coûts. Je suis prêt à appuyer votre idée, car il n'existe actuellement aucun mécanisme pour encadrer tout cela, autre que les appels téléphoniques.

M. Nestman: Je suis entièrement d'accord avec ce que le sénateur vient de dire.

En terminant, je voudrais simplement dire que votre comité se trouve actuellement à la croisée des chemins. Ernest Manning a créé le premier programme universel de maternité et d'hospitalisation des enfants en Amérique du Nord. C'était une décision courageuse. Tommy Douglas a créé le programme d'hospitalisation et d'assurance-maladie, ce qui était une autre décision courageuse. Paul Martin a mis en oeuvre certains programmes nationaux pour les personnes âgées. Castonguay, au Québec, a pris des mesures courageuses. Il n'avait pas toute l'information dont il avait besoin pour le faire, mais il a pris une décision radicale en orientant le régime d'assurance-maladie du Québec dans une nouvelle direction. Il y a eu d'autres chefs de file au Canada.

Vous n'aurez jamais une information parfaite pour agir dans le dossier des soins à domicile, des maisons de soins infirmiers ou des soins primaires. Il faut du courage. Je vous encourage à être courageux et à vous inscrire dans la mémoire collective comme l'organisme qui a mis en oeuvre des programmes nationaux. Nous avons tous entendu dire dans le passé que nous ne pouvons pas nous le permettre. Les provinces ont dit qu'elles ne pouvaient pas se permettre l'hospitalisation, l'assurance-maladie ou la Loi canadienne sur la santé proposée en 1983 par Monique Bégin. Les hôpitaux au Québec ont dit qu'ils ne pouvaient pas se permettre de réaliser les rêves de Castonguay.

À un moment donné, vous devez foncer et faire un bond en avant. Nous en savons plus long aujourd'hui sur les soins primaires que nous n'en avons jamais su. Nous en savons un bout sur les soins à domicile dans notre province, et nous en savons beaucoup aussi sur les maisons de soins et l'assurance-médicaments. Passons à l'action. Entrez courageusement dans l'avenir et rédigez un rapport audacieux.

La vice-présidente: C'est ce que le grand public canadien veut également. Les canadiens veulent que l'on fasse preuve de leadership et de courage dans ce dossier.

Au nom du comité, je vous remercie, professeur Nestman, pour votre exposé des plus intéressants. Je suis certaine que nous vous convoquerons de nouveau pour discuter de ces questions.

La séance est levée.


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