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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 32 - Témoignages (séance du 11 juin)


OTTAWA, le mardi 11 juin 2002

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 9 h 33 pour étudier le projet de loi S-26, Loi concernant les motomarines dans les eaux navigables.

Le sénateur Catherine S. Callbeck (présidente suppléante) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente suppléante: Le projet de loi S-26, élaboré à l'initiative du sénateur Spivak, a franchi l'an dernier les étapes de la première et de la deuxième lecture au Sénat, après quoi il a été renvoyé à notre comité. Le sénateur et son personnel ont fait la recherche de base et ont supervisé la rédaction du projet de loi. Il est le reflet des préoccupations qu'entretient le sénateur depuis longtemps à l'égard de la sécurité publique et de la protection de l'environnement.

Nous entendrons aujourd'hui M. Currie, représentant de l'Association canadienne des manufacturiers de produits nautiques.

M. J.A. (Sandy) Currie, directeur général, Association canadienne des manufacturiers de produits nautiques: Nous nous réjouissons de cette occasion de vous expliquer pourquoi nous nous opposons au projet de loi S-26. Je vous ai remis un mémoire très détaillé et je me contenterai aujourd'hui de résumer notre point de vue et d'ajouter quelques remarques. J'aurai ainsi plus de temps pour répondre à vos questions. Après une brève description de notre association et de ce qu'on entend par navigation de plaisance, je résumerai nos arguments contre l'adoption du projet de loi S-26.

L'Association canadienne des manufacturiers de produits nautiques (ACMPN) défend les intérêts des entreprises canadiennes de fabrication et de distribution des produits liés à la navigation de plaisance. Elle regroupe des membres de toutes les provinces qui approvisionnent le marché de la navigation de plaisance en bateaux, moteurs, remorques et autres produits et services.

La navigation est-elle populaire? Laissons parler les chiffres: en décembre 2001, selon les données de la Garde côtière canadienne (GCC), quelque 2 125 000 embarcations étaient titulaires d'une licence, soit des embarcations munies d'un moteur de 9 HP et plus. En plus de toutes ces embarcations, des milliers de plus petites embarcations, à moteur ou non, naviguent sur nos eaux: des canoës, des bateaux à pédales, sans oublier les voiliers, bien entendu. Je suis certain de ne pas exagérer en estimant leur nombre à 900 000 environ, ce qui porte le nombre total de bateaux en circulation à un peu plus de 3 millions. Selon une étude de marché que nous avons menée en 1998, le nombre d'utilisateurs par année est estimé à un peu plus de 2 en moyenne par bateau. Bref, plus de 6 millions de Canadiens naviguent chaque année.

Malgré cette popularité manifeste, la navigation de plaisance accuse un déclin au pays si on se fie aux ventes des produits récréatifs. À preuve, notre industrie n'a pas vendu plus de bateaux et de moteurs l'an dernier que voilà une décennie.

Quelqu'un a posé une question concernant le nombre de motomarines en service. Depuis que l'industrie recueille des données sur les ventes, soit 1991, 72 856 unités ont été écoulées au Canada. Si on compare, l'industrie a vendu 485 767 hors-bord durant la même période. En 2001, un peu moins de 5 000 motomarines ont été vendues. On ne peut pas parler de croissance exceptionnelle du marché! Mais ce n'est pas tout.

L'EPA, aux États-Unis, a établi la vie utile d'une motomarine à 350 heures environ, et l'utilisation moyenne à 77,3 heures par année. Il faut en conclure que la flotte de motomarines en usage est beaucoup plus restreinte qu'on ne l'imagine. Si l'on s'en tient aux chiffres de l'EPA, on peut sans problème affirmer que, en moyenne, une motomarine devrait être mise hors service après cinq années d'utilisation environ. Il faut donc penser que la flotte ne compte pas beaucoup plus que 39 000 unités. Toutefois, la saison de navigation étant plus courte ici qu'aux États-Unis, nous préférons considérer que la vie utile d'une motomarine est de 7 années, ce qui porte donc l'effectif de la flotte à quelque 50 000 unités. Par contraste, il est intéressant de constater que l'EPA a établi qu'un hors-bord pouvait servir entre dix et quinze années environ.

Pourquoi nous opposons-nous à l'adoption du projet de loi? Notre opposition s'appuie sur cinq arguments: il est inutile; il repose sur des prémisses erronées et inexactes; il est injuste et discriminatoire; il va à l'encontre d'une bonne politique gouvernementale et il serait difficile à appliquer. Je vais développer ces raisons l'une après l'autre.

Pourquoi ce projet de loi est-il inutile? En vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada, un processus équitable est déjà utilisé aux fins de l'élaboration de règlements visant à restreindre la conduite des bateaux. Pourquoi s'encombrer d'une autre loi qui aurait le même effet? Comme nous l'avons déjà souligné dans notre mémoire, la navigation de plaisance est couverte par d'autres lois qui englobent les besoins de l'industrie et des plaisanciers en matière de sécurité et de protection de l'environnement.

Nous sommes aussi d'avis que ce projet de loi est inutile parce que ses fondements ne résistent pas à l'examen. Ils reposent sur des mythes, que nous examinerons aussi en détail.

Le premier de ces mythes veut que les motomarines puissent causer des blessures et des décès quand elles entrent en collision — c'est vrai, comme tout véhicule qui se déplace avec des passagers à bord. Cependant, sans vouloir minimiser l'importance de ce phénomène, il faut aussi donner l'autre versant de la médaille et le mettre en perspective.

Il appert que les motomarines présentent le même taux d'accidents mortels que les bateaux à moteur conventionnels et que, de plus, aussi surprenant que cela puisse sembler, elles sont deux fois plus sécuritaires que les chaloupes et les canoës. Ce qui signifie qu'il n'y a aucune raison de leur réserver un traitement spécial. Nous reviendrons sur cet aspect dans la partie sur l'application.

Un rapport préparé en 1996 par Conseils et Vérification Canada (CVC) concluait que les motomarines ne posent pas plus de risques pour la sécurité que d'autres embarcations à moteur. Les auteurs recommandent les mesures suivantes pour améliorer la sécurité de la navigation: l'imposition de restrictions relatives à l'âge des conducteurs et à la puissance des moteurs des embarcations; des conditions obligatoires concernant les compétences des propriétaires- utilisateurs, ainsi que l'imposition d'une limite de vitesse universelle de 10 km/h et d'une zone «interdite d'accès». Le rapport conclut également qu'il s'avère inutile de stipuler des restrictions exprès à l'égard des motomarines puisque le processus en place laisse suffisamment de latitude pour la réglementation. Enfin, il recommande l'adoption de lignes de conduite très strictes à l'intention des utilisateurs occasionnels qui préfèrent louer une motomarine plutôt que d'en acquérir une.

En dépit d'affirmations récentes à l'effet contraire, personne n'a demandé l'avis ni de l'industrie, ni des fabricants. Le groupe de travail formé pour conseiller Conseils et Vérification Canada comprenait des participants de tous azimuts, soit deux représentants de services de police, deux employés de la Garde côtière, trois représentants du provincial, un du municipal, deux représentants d'associations de propriétaires de chalet, deux spécialistes de la sécurité des bateaux, deux utilisateurs de motomarines et deux représentants de l'industrie.

Depuis la fin des travaux de ce groupe, l'industrie, dans son ensemble, a collaboré avec la Garde côtière canadienne à la mise en place d'un système d'agrément des compétences des utilisateurs des embarcations, dans le cadre duquel tout utilisateur d'une embarcation récréative motorisée doit passer des examens pour démontrer qu'il a les compétences nécessaires pour naviguer. Ces restrictions imposées aux utilisateurs en ce qui a trait à l'âge et à la puissance auront une incidence positive sur le comportement de tous les plaisanciers. Il faut seulement déplorer le délai de trois ans qui s'est écoulé avant l'adoption des règlements.

La recommandation fondamentale relative aux limites de vitesse à proximité des rivages et à la délimitation d'une zone «interdite d'accès» a été mise à exécution uniquement dans l'Ouest, jusqu'en Ontario, et seulement en eaux douces en Colombie-Britannique. Au Québec, la mesure est appliquée au cas par cas. L'industrie exhorte les autres provinces à instaurer de tels règlements le plus tôt possible.

Toujours au sujet de la sécurité, je vais maintenant aborder la question de la compétence des utilisateurs. Récemment, la GCC a publié une version mise à jour de son cours accrédité visant l'obtention de la Carte de conducteur d'embarcation de plaisance (CCEP). Aux États-Unis, les règlements sur la compétence des utilisateurs ne relèvent pas du gouvernement national, comme c'est le cas au Canada: chaque État rédige et adopte ses propres règlements. Au Canada, au contraire, les mêmes règlements sont appliqués d'un océan à l'autre. Actuellement, plus de 75 écoles offrent les cours et administrent des examens agréés par la GCC. Dans la trousse d'information, vous trouverez un exemplaire du cours accrédité par la GCC qu'offrent les Escadrilles canadiennes de plaisance (ECP), de même que des exemplaires des tests accrédités administrés par ECP et l'Association canadienne de Yachting. Comme vous pourrez le constater, ces tests sont disponibles dans les deux langues officielles; il existe aussi des tests à l'intention des enfants.

L'exigence CCEP existe depuis 1999 seulement, de sorte qu'il est difficile d'en mesurer l'impact sur la sécurité nautique. Malgré l'absence de données, nous savons que quelque 500 000 plaisanciers ont suivi un cours, réussi un examen ou les deux. Lors des expositions ou de nos rencontres sur l'eau, les plaisanciers nous disent qu'ils approuvent une telle norme et qu'ils sont très heureux d'avoir amélioré leurs compétences pour recevoir leur CCEP. Bref, nous savons que la réglementation est bénéfique, mais il faudra encore des années pour mesurer la portée réelle de ces bénéfices.

Dans son allocution de la semaine dernière, le sénateur Spivak a abordé la question du système de direction quand les gaz sont coupés. L'Association canadienne des manufacturiers de produits nautiques s'est engagée à mettre au point une norme raisonnable pour ce genre de dispositif. Pour y arriver, la Society of Automotive Engineers (SAE), aux États-Unis, a créé un sous-comité sur les motomarines. Outre des représentants de l'industrie, de la UL et de la Garde côtière américaine, on a demandé la contribution de parties intéressées telles que M. Paulo, de Calgary. À ce jour, toutes les entreprises ont présenté un avant-projet sommaire, après avoir mené toute une batterie de tests. Certaines ont même mis en marché les premières versions de ces produits.

Lors de la dernière réunion, le comité a entendu le capitaine Scott Evans, de la U.S. Coast Guard. Il a affirmé aux membres du comité que les motomarines étaient de superbes engins et qu'elles ne présentent aucun défaut. À ses yeux, les travaux du comité s'inscrivent dans un processus continu d'amélioration du produit. Il a pressé le comité de se hâter d'établir une norme relative au système de direction demandé et de donner aux fabricants un échéancier très serré pour l'application de cette norme.

Selon le deuxième mythe, les motomarines seraient très polluantes. Or, selon la U.S. Environmental Protection Agency, elles produisent moins d'émissions polluantes que les moteurs hors-bord. Au Canada, seulement 50 000 motomarines sont en circulation, contre 1,6 millions de hors-bord. À noter, vu le taux rapide de mise hors service des motomarines, il s'en trouve certainement plus sur nos lacs qui sont dotées de la technologie conforme aux normes de l'EPA américaine que ce qu'on pourrait penser.

Les fabricants de moteurs à allumage commandé — soit les moteurs hors-bord ou en-bord non diesel — ont signé un protocole d'entente avec Environnement Canada afin de se conformer aux règles strictes de l'EPA à l'égard des moteurs marins. En fait, le Canada est en avance sur les États-Unis en ce qui concerne l'acceptation par le marché des moteurs issus des nouvelles technologies. Le protocole d'entente est en vigueur depuis le début de l'année modèle 1999, ce qui signifie que des embarcations dotées de la nouvelle technologie sont vendues dans le marché canadien depuis 1998.

Vous avez sous les yeux un graphique qui résume les dernières données de l'EPA sur les moteurs hors-bord les plus vendus et certains modèles de motomarines. Les zones en bleu correspondent aux produits dotés de l'ancienne technologie et en vert, ceux qui sont dotés de la nouvelle. Dans le graphique, vous trouvez à droite les moteurs hors- bord et à gauche, trois modèles de motomarines, avec le modèle et le nom du fabricant.

Les lignes transversales permettent de comparer le rendement des hors-bord et des motomarines parmi les plus populaires par rapport à la norme 2006 de l'EPA et à la norme 2002 de la California Air Resources Board (CARB), qui est plus sévère que celle de l'EPA. Les graphiques mettent aussi en regard les donnes par rapport aux normes 2004 et 2008 du CARB.

Il appert que les niveaux d'émissions des motomarines et des hors-bord, à l'exception d'un modèle de motomarine, sont conformes aux normes 2002 de l'EPA et du CARB, voire en deçà dans certains cas. Qui plus est, tous les modèles satisfont à la norme 2004 du CARB. Cependant, aucun ne rejoint la norme 2008.

Nous sommes d'avis que ces données démolissent complètement tous les mythes voulant que les motomarines soient très polluantes.

Passons au troisième mythe, soit le bruit excessif attribuable aux motomarines. Les motomarines ne sont pas bruyantes par nature. Elles comptent manifestement parmi les bateaux motorisés les plus silencieux sur l'eau, avec un niveau sonore à plein régime de 78 décibels à 75 pieds de la rive. Les graphiques comparent les niveaux sonores des embarcations conduites à plein régime, remorquées et à vitesse normale devant un rivage. Quand les embarcations sont remorquées, les niveaux sonores restent à un peu moins de 70 décibels, même si les moteurs sont coupés.

Dans la plupart des provinces, les restrictions à la conduite des bateaux limitent la vitesse des bateaux motorisés, y compris les motomarines, à 10 km/h à moins de 100 pieds du rivage. Cela réduit encore davantage le niveau sonore. Nous appuyons ces mesures puisque nous reconnaissons que les utilisateurs de motomarines partagent avec d'autres leur espace récréatif.

Il est très difficile de prendre au sérieux l'étude «Drowning in Noise: Noise Costs of Jet Skis in America», réalisée par Komanoff et Shaw, que le sénateur Spivak a citée la semaine dernière. L'étude manque d'objectivité et de rigueur scientifique. Sous les apparences d'une procédure scientifique se cachent des prémisses qui auraient pu difficilement donner des résultats autres que ceux souhaités par les opposants aux motomarines. Les auteurs ne tiennent pas compte des différences entre les États-Unis et le Canada relativement à la manière de naviguer et aux lieux de prédilection des Canadiens. Selon nous, ces prémisses ne s'appliquent pas à la situation au Canada et l'analyse qui en découle n'est donc pas valide. Un spécialiste viendra plus tard réfuter dans le détail les assertions du rapport.

Comme j'ai très peu de temps, je me limiterai à quelques observations sur l'étude. Tout d'abord, les auteurs ont choisi de façon très sélective des données qui proviennent d'une analyse désuète des niveaux sonores de motomarines de modèles anciens, très peu vendus ou utilisés de nos jours. Par ailleurs, l'étude a été réalisée à partir de modèles informatiques et non sur le terrain ou par enquête objective. Or, les modèles informatiques sont très sensibles aux hypothèses induites. Enfin, certaines des prémisses de base sont erronées.

En bref, il est très difficile de donner du crédit à une telle étude, sans fondement et tendancieuse, et j'affirme qu'il est irresponsable de citer ses conclusions pour défendre l'adoption d'une loi.

Selon le quatrième mythe, les motomarines auraient une incidence négative sur la faune et la flore. Nous pouvons fournir des études indépendantes faisant autorité qui illustrent que les motomarines ont peu ou pas d'incidence sur la zostère marine, les mammifères marins, les poissons et autres formes de vie aquatique. De fait, elles ont une moins grande incidence sur les oiseaux nicheurs que les bateaux traditionnels ou d'autres activités humaines. Aucun problème majeur n'existe qui doit être résolu par des moyens aussi costauds que le projet de loi S-26.

Pour résumer, je crois que ce n'est pas une bonne politique gouvernementale que d'adopter un document législatif comme le projet de loi S-26, dont le but est de briser des mythes et non de régler des problèmes réels, sans aucune assurance qu'il atteindra les résultats souhaités. Par conséquent, le risque d'entacher la réputation des législateurs est réel, et il l'est davantage si le projet de loi est discriminatoire et inutile.

En ce qui a trait aux normes de construction, le sénateur Spivak, dans son allocution la semaine dernière, affirmait ce qui suit:

De toute apparence, il est interdit de faire de la discrimination à l'égard des motomarines en permettant des restrictions locales qui les dissocient des autres types d'embarcations, mais il est normal d'avantager les motomarines en permettant aux fabricants d'établir eux-mêmes les normes de sécurité.

La version du règlement TP1332, Normes canadiennes de construction des petits bateaux, en vigueur jusqu'à 1999, avait en fait été rédigée à la fin des années 70. À l'époque, le règlement était à la fine pointe mais, pour des raisons financières, la GCC ne l'a jamais modernisé par la suite. Nous ne jetons pas le blâme sur la GCC, mais nous croyons important de rappeler les faits.

Avec l'ouverture des marchés internationaux dans le domaine nautique, soit les bateaux et les produits connexes, les milieux industriels de nombreux pays ont commencé à réclamer la mise à niveau des normes. Le Canada, les États-Unis et l'Europe sont des leaders dans ce domaine, et le concept d'une réglementation internationale a peu à peu vu le jour. Incidemment, le groupe d'experts chargé de l'élaboration de la norme ISO 13590 réunissait des représentants de divers organismes de garde côtière, y compris les gardes côtières canadienne et américaine, la SAE, l'UL, le American Boat and Yacht Council, des fabricants de motomarines, de même que des experts techniques ISO. Il est tout à fait faux d'insinuer que l'industrie a manipulé la Garde côtière canadienne pour imposer ses propres normes de sécurité.

La norme ISO 13590 a été parmi les premières normes adoptées, et le Canada a été l'un des premiers pays à l'intégrer à son propre régime réglementaire national.

Auparavant, les fabricants de motomarines ne pouvaient se conformer à l'ancienne norme TP1332 puisque le document avait été publié avant même qu'on ne construise la première motomarine. C'était le cas pour beaucoup d'autres types d'embarcations de plaisance: l'industrie avait évolué rapidement et la Garde côtière arrivait mal à maintenir ses règlements à jour. Comme cela se produit souvent, l'industrie est allée plus vite que l'appareil gouvernemental.

Le sénateur Spivak a également évoqué les rappels de motomarines. Oui, les fabricants de produits, que ce soit des grille-pain ou des automobiles, des lits d'enfant ou des bateaux, mettent en marché à l'occasion des produits défectueux et se voient obligés de les inspecter et de les réparer dans l'intérêt du client. Quand une entreprise rappelle toutes les unités en circulation d'un produit, cela ne signifie pas que toutes sont défectueuses. Cela signifie que le fabricant veut dépister tous ceux qui doivent être réparés et faire les réparations au besoin. Il est tout simplement illogique d'affirmer que toutes les motomarines rappelées étaient défectueuses.

Nous affirmons donc que le projet de loi S-26 est discriminatoire et erroné. Premièrement, l'objet unique du projet de loi est d'exercer une discrimination contre l'utilisation des motomarines sur les voies navigables canadiennes. Or, le Règlement sur les restrictions à la conduite des bateaux, qui découle de la Loi sur la marine marchande du Canada, couvre déjà tous les types de bateau. À cela s'ajoute l'exigence du règlement voulant que toute proposition visant à modifier les restrictions à la conduite des bateaux fasse l'objet d'un examen pondéré, incluant la consultation obligatoire de toutes les parties touchées. Par contre, le projet de loi ne requiert pas la consultation du groupe le plus touché, c'est-à-dire les plaisanciers eux-mêmes; il ne comporte par ailleurs aucune disposition sur la signalisation, au contraire du régime réglementaire en place.

La trousse de matériel distribuée ce matin comporte deux exemplaires d'une brochure intitulée «Guide des administrations locales — Restrictions à la conduite des bateaux». Elle décrit en détail les diverses procédures que doivent suivre les instances locales désireuses d'établir des restrictions à la conduite des bateaux. À première vue, j'avoue que le processus peut sembler laborieux. Cependant, quand on a compris qui est responsable de quoi, la tâche devient beaucoup moins gigantesque et il devient possible de régler en toute équité les problèmes en jeu.

Depuis la publication de la brochure, certaines provinces se sont retirées du processus, de sorte que les seuls participants sont dorénavant le Québec, l'Ontario, le Manitoba et l'Alberta. Malgré le changement, il semble qu'il en découlera une réponse plus rapide aux demandes répétées d'un règlement sur les restrictions à la conduite des bateaux puisque le Bureau de la sécurité nautique de la Garde côtière canadienne assumera dorénavant le rôle jadis dévolu aux gouvernements provinciaux.

Actuellement, l'industrie est prête à collaborer avec le Bureau de la sécurité nautique de la GCC afin de rendre la brochure et le processus plus clairs qu'ils n'apparaissent dans leur version actuelle.

Par ailleurs, le projet de loi S-26 recommande des amendes 20 fois supérieures à celles qui sont imposées en cas d'infraction au Règlement sur les restrictions à la conduite de bateaux. Suivant la Loi sur les contraventions, entrée en vigueur le 20 juin 1996, les amendes les plus sévères visent les entraves graves aux normes de sécurité, telles qu'un nombre insuffisant de vêtements de flottaison individuels ou de gilets de sauvetage à bord; l'absence d'un extincteur ou le fait de laisser les dispositifs électriques en marche pendant un ravitaillement. Tout plaisancier mis à l'amende doit payer 200 $ plus les frais de tribunaux. C'est négligeable comparé à l'amende de 2 000 $ proposée dans le projet de loi S-26.

Comment justifier qu'un type d'embarcation soit ainsi pris à partie? La proposition est hautement déraisonnable et discriminatoire.

Le projet de loi S-26 abolit en outre le pouvoir discrétionnaire du ministre. Il permet aux associations de propriétaires de chalets et à d'autres groupes non élus d'exiger et d'imposer une interdiction ou des restrictions visant les motomarines. On céderait le contrôle fédéral des voies navigables à ces soi-disant autorités locales. L'incidence sur le rôle du gouvernement fédéral est énorme.

Dans une décision rendue récemment par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, le juge Esson, dans son verdict en faveur de l'appelant, M. Dean Kupchanko, confirme que les droits en matière de navigation relèvent exclusivement du gouvernement fédéral. Voici comment le juge Esson s'exprime:

Il ne fait aucun doute dans mon esprit que le contrôle législatif des voies navigables, mis en cause dans cette affaire, appartient exclusivement au Parlement du Canada. Tout ce qui touche de près ou de loin à la navigation et au transport sur l'eau semble avoir été dûment remis entre les mains du Parlement canadien par l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.

Pour ce qui est de l'exécution, l'un des motifs de notre opposition au projet de loi S-26 a trait à l'application inadéquate, voire inexistante, de beaucoup de lois et règlements. L'adoption d'une nouvelle loi, surtout si elles est inutile, risque d'aller à l'encontre du but de ses promoteurs si elle n'est pas appliquée. Il vaudrait mieux consacrer les ressources à l'application des lois actuelles qui sont adéquates.

À ce sujet, que fait-on quand surviennent des accidents mortels? Étant donné l'absence de statistiques fiables à l'échelon national, je m'en remettrai à des données de la Police provinciale de l'Ontario. Entre 1997 et 2001, soit une période de 5 ans, 232 décès ont été attribués à des accidents de bateaux en Ontario. Parmi eux, 63 ont été associés à la consommation d'alcool, 49 mettaient en cause des canoës et des kayaks, 107 des embarcations à moteur et 9 des motomarines. Ce portrait rapide appuie notre point de vue: il faut consacrer plus de ressources à l'application et aux campagnes de sensibilisation du public. Rien ne laisse croire que le projet de loi S-26 améliorera ces statistiques.

En conclusion, l'ACMPN enjoint respectueusement votre comité à rejeter ce projet de loi boiteux qui, à notre avis, est inutile, fondé sur des prémisses plus que fallacieuses — dont il ne traite pas pour la plupart — et potentiellement nuisible pour les politiques gouvernementales et leurs responsables. Beaucoup d'autres parties, sur une base collective ou individuelle, dont 10 000 plaisanciers qui ont signé des pétitions, s'opposent au projet de loi S-26, pour des raisons différentes. Mais tous s'entendent sur un point: ce document législatif est de qualité très douteuse.

La présidente suppléante: Merci de ce témoignage, monsieur Currie. Vous affirmez que ce document législatif, le projet de loi S-26, était inutile. Dans votre mémoire, vous indiquez qu'à votre avis, la Loi sur la marine marchande du Canada prévoit déjà un processus équitable d'élaboration de restrictions sur la conduite des bateaux. La semaine dernière, nous avons entendu le sénateur Spivak nous expliquer qu'il existait certes un processus, mais qu'il était fastidieux et complexe. Il comporte 20 étapes, si je me souviens bien. De plus, il peut être interrompu à n'importe quelle étape.

J'aimerais que vous nous donniez votre point de vue sur ce processus. À votre avis, il est équitable. Pourriez-vous développer? Êtes-vous satisfait de ce processus? Pourrait-on l'améliorer? Si oui, comment?

M. Currie: À notre avis, le processus est équitable parce qu'il repose sur un a priori de consultation de toutes les parties touchées. Toutes les restrictions sur la conduite des bateaux opposent deux parties. Au bout du compte, il se trouvera toujours une partie au centre, comme un gouvernement local. Certains élus sont aussi des plaisanciers, mais pas tous.

Le débat se passe toujours entre deux groupes qui ont des philosophies opposées. Le plus important est d'entendre le point de vue de chacun, après quoi les politiciens locaux pourront trancher dans l'intérêt de toutes les parties. Selon nous, c'est ce que permet le processus en place.

Le diagramme illustré dans la brochure peut donner l'impression que la tâche est titanesque. Mais si on y regarde de plus près, il ressort que la collectivité locale n'a pas à franchir les 20 étapes. Il suffit de réunir toutes les parties, de bien cerner le problème, puis les intéressés décident ensemble si un compromis est possible.

Le compromis peut ou non abolir une restriction à la conduite des bateaux. L'une des parties peut s'engager sur l'honneur à des changements de comportement, tandis que l'autre partie en vient à accepter l'évolution normale des choses. Un tel engagement d'honneur peut faire progresser le dossier et aboutir à une entente du type «fin de l'histoire». Il n'y a alors plus rien à ajouter.

En revanche, s'il est nécessaire de poursuivre la discussion, les parties auront au moins eu la possibilité de livrer leurs arguments, puis le processus suivra son cours, simplement.

Loin de moi l'idée de diminuer la lourdeur des nombreuses étapes de la brochure. Je veux simplement souligner que tout dépend des efforts mis dans la consultation locale. Si on se préoccupe de réunir toute l'information possible pour que toutes les parties puissent en discuter, la collectivité locale a fini son travail et c'est ensuite une question de formalités quand elle remet le dossier à une instance supérieure. Dans certains cas, elle peut soumettre une proposition au Bureau de la sécurité nautique avant qu'elle n'aboutisse à Ottawa. D'autres fois, la proposition peut passer directement de la municipalité au gouvernement provincial.

De moins en moins de gouvernements provinciaux se mouillent dorénavant. Je ne sais pas s'il faut accuser le manque de fonds ou simplement un désintéressement pur et simple. Certains gouvernements provinciaux se sont retirés. Je ne sais pas s'il faut parler de tendance: six provinces sur dix ne participent plus au processus.

Il existe probablement des moyens de réunir un groupe de travail, qui se pencherait sur les moyens à mettre en place pour préserver le concept et polir les angles afin d'accélérer le processus.

Si les consultations se déroulent durant la saison de navigation, du début de mai à la fin d'août, il est tout à fait réaliste que les parties parviennent à rédiger une restriction à la conduite des bateaux, si nécessaire, qu'elle soit publiée dans la Gazette et mise en vigueur pour la saison suivante. Moi-même plaisancier et propriétaire de chalet, c'est ce que je souhaite. Et je suis certain que c'est ce qui se passe le plus souvent.

La présidente suppléante: Autrement dit, le processus en 20 étapes présenté dans le diagramme n'est ni trop long ni trop complexe. Ai-je bien compris?

M. Currie: Il ne serait pas impossible de supprimer quelques étapes mais, quoi qu'il en soit, je ne trouve pas que le processus soit trop long ni trop complexe. À mon sens, il est équitable.

Des centaines de règlements sur les restrictions à la conduite des bateaux sont déjà en place. On pourrait au moins s'appuyer sur ces modestes percées historiques. Si des centaines de collectivités ont pu y arriver, pourquoi ne pas donner une chance à un programme de gestion de la qualité globale et tenter d'améliorer le système? Je ne vois vraiment pas l'intérêt d'ajouter quelque chose de nouveau.

La présidente suppléante: À la page 5 de votre mémoire, vous affirmez que le niveau sonore excessif est le fait de conducteurs irréfléchis de motomarines, que ces appareils ne sont pas bruyants par nature. Qu'entendez-vous par «conducteur irréfléchi»?

M. Currie: Quelqu'un qui conduit avec agressivité, qui s'amuse à percuter les vagues laissées par une autre embarcation. C'est le genre de comportement que l'industrie décourage absolument. Ce pourrait aussi être un groupe de conducteurs de motomarines qui s'amusent ensemble, mais trop longtemps dans une zone exiguë, peu importe qu'ils soient près ou non du rivage. Un tel groupe peut devenir une nuisance dans la région.

S'il est conduit en eaux tumultueuses ou s'il percute les vagues, un bateau est soulevé hors de l'eau et le moteur tourne légèrement plus vite. Par conséquent, le niveau sonore devient plus agaçant. Je possède un moteur hors-bord et je peux vous assurer que si je l'installe à l'arrière de mon bateau, je peux faire plus de bruit qu'avec n'importe quelle motomarine. Tout dépend de la compétence du conducteur et de son respect des autres.

Le sénateur Spivak: En 1996, on estimait à 53 660 le nombre de motomarines en circulation, et on projetait une augmentation de l'ordre de 20 à 30 p. 100 par année. Dans une lettre adressée à Charles Komanoff, vous indiquez que le nombre de motomarines en service actuellement au Canada se situe entre 80 000 et 100 000.

Pourriez-vous nous procurer de la documentation faisant état du nombre de motomarines en service ainsi que des ventes annuelles?

Personne ne semble s'entendre sur le taux de rotation à l'intérieur de la flotte. De fait, l'EPA estime que, vu le taux de rotation, la nouvelle politique relative aux émissions ne sera pas appliquée à 75 p. 100 avant 2030 ou 2050. Comment arrivez-vous à concilier ces chiffres?

M. Currie: Dans nos préparatifs en vue de ce témoignage, nous avons vérifié les chiffres de vente des fabricants qui nous ont fourni des données. Le nombre que je vous ai donné correspond aux ventes depuis 1991.

Le sénateur Spivak: Les chiffres sont donc erronés dans la lettre où vous donnez une estimation de 80 000 à 100 000 unités?

M. Currie: Ils sont en effet erronés à la lumière des données recueillies en vue de notre témoignage d'aujourd'hui.

Le sénateur Spivak: J'aimerais revenir sur votre affirmation concernant le caractère discriminatoire du projet de loi. La discrimination est partout. Par exemple, si un règlement sur la navigation interdisait le ski nautique, les skieurs s'en trouveraient lésés. Le protocole d'entente intervenu entre le ministère de l'Environnement et l'ACMPN donne la définition ci-dessous:

Un moteur hors-bord signifie tout moteur à explosion de type marin qui, lorsque bien fixé en position d'utilisation, se trouve, avec son dispositif de propulsion, à l'extérieur de la coque du bateau.

Puis, à 2.3, il est stipulé que:

Un moteur de motomarine est un moteur à explosion ne correspondant pas à la définition d'un moteur hors- bord, d'un moteur en bord ou d'un moteur semi-hors-bord.

Dans ce protocole d'entente, une note spéciale sur les motomarines suggère qu'elles appartiennent à une catégorie à part, du moins selon les définitions du protocole. Pouvez-vous nous donner votre point de vue à cet égard?

En 1994, les provinces de la Colombie-Britannique, de l'Ontario et du Québec ont approuvé des modifications proposées par des collectivités locales, avec l'aval de la Garde côtière canadienne. La responsabilité ministérielle incombait à Transports Canada. Dans le modificatif publié dans la Gazette, les collectivités locales, les autorités provinciales — l'Ontario, la Colombie-Britannique et le Québec —, le ministère des Transports et la GCC déclarent de concert qu'il s'agit du seul mécanisme de contrôle des activités de navigation à cet égard.

En dépit de cela, l'Association canadienne des manufacturiers de produits nautiques s'est présentée non seulement au Cabinet, mais aussi à une réunion des parties sur la question pour dire aux participants: «Nous pensons que ce n'est pas adéquat. Vous devriez faire ceci et cela.» Et le gouvernement a adopté cette politique.

Maintenant, nous devons composer avec un processus en 20 étapes selon lequel, à tout moment de l'élaboration d'un règlement sur la conduite des bateaux, quelqu'un peut s'amener et dire: «Je ne suis pas d'accord.» Je ne comprends pas pourquoi vous parlez d'absence de consultation.

Supposons que le projet de loi S-26 soit inéquitable. Tous les intéressés suivent les étapes et disent ce qu'ils ont à dire. Arrive le moment de la publication dans la Gazette. Les fabricants de motomarines cesseront-ils de s'interposer pour dire: «Non, ce n'est pas ce que nous voulons», en dépit de ce que la collectivité locale souhaite? Vous engagez- vous, en votre qualité de défenseur ou de président des fabricants, à ne plus vous opposer au processus? C'est en partie ce qui a motivé l'adoption d'un tel projet de loi.

M. Currie: Si vous nous demandez de nous engager, peu importe les circonstances, à ne jamais présenter notre point de vue dans un processus d'application d'une restriction à la conduite des bateaux à l'échelon national, la réponse est non. Mais c'est une simple question de bon sens. Dans certains cas, des propositions de restrictions dans une zone donnée visent un type d'utilisation bien précis. C'est arrivé l'été dernier. Dans ce cas précis, il y avait tout lieu de mettre en doute le fondement de cette restriction et de monter aux barricades. Mais c'est un aspect positif du processus de réglementation des restrictions à la conduite des bateaux. Il permet de vérifier que des discussions ont lieu et de considérer l'ensemble de la situation plus sobrement.

Dans le cas auquel je fais référence, nous avons jugé que la restriction proposée était légitime, raisonnable et sensée, et nous nous sommes retirés du dossier. Encore une fois, cela fait partie intégrante du processus.

Le sénateur a mentionné plus tôt que les plaisanciers vivaient là où ils pratiquent leur loisir. Ce n'est pas mon cas. J'ai un chalet d'été au nord de Toronto, dans une région où au plus 200 ou 300 personnes vivent à l'année. Durant la saison de navigation ou d'ouverture des chalets, 50 000 personnes ou plus se retrouvent ensemble, dans un périmètre de 5 kilomètres autour de la municipalité locale. Presque tous les propriétaires des résidences riveraines possèdent un bateau.

Si les consultations n'ont pas lieu durant l'été, les saisonniers n'ont aucune chance de savoir qu'un processus est en cours, encore moins de donner leur version des faits. Pourtant, trop souvent par le passé, les consultations ont eu lieu hors de la saison estivale. Je n'essaierai pas de vous expliquer pourquoi. Je me contenterai de dire que beaucoup de consultations se sont déroulées alors que la majorité des utilisateurs des plans d'eau ne pouvaient pas exprimer leurs commentaires, qu'ils soient pour ou contre. Si on parle d'équité, le processus en place est tout à fait efficace, surtout pour ce qui est de la période d'exécution.

Pour revenir à vos commentaires au sujet de la mise hors service et des émissions de gaz polluants, je n'oserais pas dire que le modèle de l'EPA est erroné. Cependant, les hypothèses de l'EPA relatives à la croissance du marché de ces produits ne peuvent pas être importées chez nous. Malheureusement, pour diverses raisons, et bien que les fabricants rêvent d'augmenter leurs ventes de 20 p. 100 chaque année, ce n'est pas du tout ce qui se passe dans ce segment du marché de la navigation de plaisance. Oui, les ventes ont connu des sommets, mais elles ont depuis chuté considérablement. Le nombre d'embarcations en service actuellement avoisine les 50 000 unités. Je ne me trompe certainement pas en affirmant que, au moment où je vous parle, le taux de mise hors service est probablement supérieur aux ventes de motomarines neuves. Comme nous en avons parlé, le marché a déjà fait place aux nouvelles technologies.

Le protocole d'entente englobe les motomarines. Les fabricants ont signé un document dans lequel ils s'engagent à vendre exclusivement des produits conformes aux normes de l'EPA au Canada. Il ne servirait à rien de discutailler sur la définition du moteur. Les fabricants ont dit que c'est ce qu'ils feraient, et c'est ce qu'ils font.

Le sénateur Spivak: Je comprends bien. J'ai lu le protocole d'entente, et je félicite les fabricants d'avoir consenti à ses conditions. Je m'intéresse surtout à votre allégation voulant qu'il soit discriminatoire de mettre les motomarines dans une catégorie à part, et je veux tout simplement souligner que le protocole les dissocie des autres types de bateaux.

J'aimerais revenir sur l'exemple de 1994. Selon moi, il est impossible de servir l'intérêt public quand les fabricants s'opposent complètement à l'adoption de restrictions — pas des interdictions, mais plutôt des limites de vitesse et autres — alors que trois provinces, la Garde côtière canadienne, le gouvernement fédéral et les collectivités locales, qui sont les mieux placées pour voir ce qui se passe, avaient tous donné leur aval. C'est là où le processus devient risqué.

L'Association canadienne des manufacturiers de produits nautiques défend l'intérêt des entreprises qui fabriquent et distribuent des produits nautiques au Canada. Est-ce que cela comprend Kawasaki, Yamaha, Bombardier, Polaris et American Honda?

M. Currie: Pas American Honda. Honda, Yamaha et Kawasaki sont des entreprises japonaises. Les divisions canadiennes sont indépendantes des entreprises américaines. Par exemple, la direction de Honda Canada rend compte directement à ses supérieurs au Japon; c'est la même chose chez Kawasaki et Yamaha.

Le sénateur Spivak: Je pose cette question parce que ces fabricants ont formé la Personal Watercraft Industry Association aux États-Unis. Cette association invite tous les États, par l'entremise d'un modèle législatif, à se doter de règlements raisonnables qui restreignent les heures d'utilisation et les sauts, et imposent des limites de vitesse très basses à proximité d'autres embarcations, des bateaux ancrés, des quais et des aires de baignade. Nombre d'États ont adopté de telles restrictions. Je me demande pourquoi l'Association canadienne des manufacturiers de produits nautiques s'oppose à de telles restrictions et crie à la discrimination. Ce sont les entreprises que vous représentez.

M. Currie: La PWIA regroupe de bons collègues à nous. Cependant, le Canada et les États-Unis n'ont pas la même vision de la sécurité nautique.

Le sénateur Spivak: Êtes-vous contre les restrictions demandées aux États-Unis?

M. Currie: Non, nous ne sommes pas contre. Si les Américains acceptent que de telles restrictions régissent leur marché, tant mieux pour eux. Tant mieux si elles fonctionnent chez eux.

Le sénateur Spivak: Je parle du Canada.

M. Currie: À notre avis, l'approche canadienne n'est pas la même. C'est ce qui nous différencie d'eux.

Le sénateur Jaffer: À la page 3, vous déclarez que le projet de loi S-26 est, tout d'abord, inutile et, par ailleurs, qu'il est fondé sur des prémisses erronées. Ses caractères inéquitable et discriminatoire représentent-ils les troisièmes et quatrièmes arguments?

M. Currie: Oui.

Le sénateur Jaffer: Vous affirmez que la législation en vigueur suffit, mais qu'il manque de ressources pour la faire appliquer?

M. Currie: C'est exactement ce que je dis. J'ai moi-même un chalet au bord de la rivière Moon, dans la région de Muskoka. Nous ne sommes pas situés sur l'un des trois principaux lacs. Si vous connaissez cette région, je ne vous apprendrai pas que la navigation de plaisance y est très en vogue.

Presque partout en Ontario, la police provinciale, hormis quelques exceptions, fournit à elle seule les services de police de la navigation. Il se trouve environ 2 000 chalets près de notre rivière, et probablement autant de bateaux. Chaque été, la police provinciale nous rend une visite, et je me permets d'affirmer que les agents ne passent pas la journée entière sur l'eau. Ils arrivent avec leur bateau sur une remorque, mettent le bateau à l'eau, restent selon le temps dont ils disposent, puis ils s'en vont ailleurs.

Je ne crois pas qu'un bateau de police devrait patrouiller le secteur en permanence. Cependant, si on veut que les plaisanciers respectent les lois, il faut leur faire sentir qu'ils sont très susceptibles de recevoir la visite d'une organisation policière à un certain moment quand ils sont sur l'eau. La police pourrait effectuer une inspection superficielle des petites embarcations, pour vérifier la présence de gilets de sauvetage et d'extincteurs à bord, de même que de tout l'équipement obligatoire. Ce serait suffisant pour les plaisanciers.

Très peu d'agents de police sont affectés à la navigation, et beaucoup d'entre eux s'occupent aussi de la circulation. Dans Muskoka, le seul endroit en Ontario qui fait exception, certains agents sont affectés à temps plein à la navigation durant l'été. Dans le reste de la province, si des agents de police devaient être affectés à la navigation mais qu'un grave accident de la circulation se produit dans la région, ces agents doivent délaisser le service nautique pour aller sur les lieux de l'accident. En règle générale, la police de la navigation est reléguée aux derniers rangs.

La GRC patrouille le Secteur de la capitale nationale. La police de la région métropolitaine de Toronto possède son unité marine. À Vancouver et à Halifax, la Police de Ports Canada est à l'oeuvre. Mais dans la grande majorité des endroits, les services de police de la navigation sont assurés par la GRC ou par une organisation policière provinciale, sur une base provisoire, selon le temps, la main-d'oeuvre et les ressources disponibles.

Les plaisanciers paient chaque année 200 millions de dollars en taxes sur le carburant. Pas un sou ne sert à la sécurité des embarcations, malgré les taxes provinciales et la TPS prélevées à la vente des bateaux. Pas un sou pour la sécurité des embarcations.

Le Bureau de la sécurité nautique de la GCC est financé à risque. Son budget n'est pas permanent. C'est peu si on compte que 6 millions de Canadiens font de la navigation de plaisance.

Il faut envoyer plus d'agents de police sur l'eau, et il faut donner aux organismes chargés d'assurer la sécurité, tels que la Garde côtière canadienne, des ressources financières qui leur permettront d'engager des effectifs et de mettre en place des programmes d'information et de sensibilisation.

La Garde côtière canadienne est si pauvre qu'elle n'a même pas de budget cette année pour faire la promotion du programme de certification des conducteurs d'embarcations de plaisance. C'est à ce point sérieux.

Une nouvelle loi s'ajoutera aux autres documents. Si personne ne circule pour la faire appliquer, à quoi pourrait-elle servir?

Le sénateur Jaffer: Vous croyez qu'il y a moins de surveillance policière maintenant qu'auparavant? A-t-elle diminué?

M. Currie: Oui, j'en suis convaincu. Dans nos préparatifs, nous avons tenté de réunir des données sur la police de la navigation. Cependant, nous n'avons pas réussi à trouver des données fondées qui confirmeraient ou infirmeraient cette intuition. Vous pourriez probablement obtenir des données à cet égard auprès de la Police provinciale de l'Ontario ou de la GRC.

Une chose est sûre cependant: voilà cinq ans environ, en Colombie-Britannique, il se trouvait plus de bateaux de police de la GRC hors de l'eau que sur l'eau. La GRC n'avait pas assez d'argent pour faire les réparations courantes, pour payer les agents à bord des bateaux ni l'essence.

Je n'ai pas de données. Je ne peux pas vous le démontrer. C'est notre opinion sur la situation. Les autorités policières locales pourraient peut-être vous donner des chiffres précis.

Le sénateur Jaffer: Je présume que vous possédez votre chalet depuis longtemps?

M. Currie: Oui.

Le sénateur Jaffer: Quand vous l'avez acheté, est-ce que la police patrouillait plus souvent que maintenant?

M. Currie: Non, elle ne vient pas plus souvent. L'an dernier, j'ai subi un accident avec le bateau d'un plaisancier qui, selon moi, n'était pas en règle. J'ai appelé la Police provinciale de l'Ontario. En toute honnêteté, c'est seulement parce que je savais qui appeler à Orillia que des mesures ont été prises, cela dit sans porter de blâmes contre la Police. Mon premier interlocuteur a appelé quelqu'un d'autre, et des mesures ont été prises. Ce n'est pas ce que vit la population en général, bien au contraire. Des voisins m'ont déjà rapporté des incidents et me disaient qu'ils aimeraient que quelque chose soit fait. Je pouvais seulement leur répondre que la police de la navigation n'était tout simplement pas là et qu'on ne pouvait rien faire.

Le sénateur Adams: Vous avez parlé des gens et des associations qui essaient de contrôler le plaisir des résidents des chalets l'été. Vous avez parlé d'amendes sévères. Au Canada, les propriétaires de chalets disposent seulement de trois ou quatre mois d'été pour apprécier leur chalet et y avoir du plaisir. Le sénateur Spivak a donné quelques statistiques, qui proviennent presque toutes des États-Unis. Les résidents de la Floride et de la Californie peuvent jouir de leur chalet toute l'année. Quelle est la longueur de votre saison au chalet? De juin à septembre?

M. Currie: J'ai la chance d'avoir accès à mon chalet douze mois par année mais, bien entendu, je ne navigue pas douze mois. J'ai mis mon bateau à l'eau il y a deux semaines, et je le retirerai probablement à l'Action de grâce. Je pourrai donc en profiter en juin, juillet, août, septembre et deux semaines en octobre, la fin de la saison de navigation.

Je suis dans Muskoka, qui se trouve à deux petites heures au nord de Toronto. Mais deux heures de plus au nord et la saison est déjà plus courte. Dans beaucoup de régions, elle dure uniquement de la mi-juin à la fête du Travail.

Le sénateur Adams: Une autorité quelconque est-elle en place pour contrôler l'âge des conducteurs d'embarcations? Je crois qu'il y a des restrictions relatives à l'âge des conducteurs de certains appareils. Il est inscrit sur certains que le conducteur doit avoir seize ans et plus.

M. Currie: Si vous voulez savoir si la Garde côtière est habilitée à faire appliquer cette limite d'âge, non, dans ce cas précis, elle ne le peut pas. La Garde côtière décrète le règlement. Il appartient aux autorités policières d'un territoire donné de faire la surveillance policière auprès des navigateurs. Ces autorités ne se limitent pas à contrôler les permis de conduire des utilisateurs d'embarcations de plaisance. Elles surveillent aussi la contrebande, les délits liés à l'alcool et d'autres problèmes.

Le sénateur Adams: Vous avez parlé d'un appel à la police après avoir entendu une plainte d'un voisin. Avez-vous appelé la Police provinciale de l'Ontario ou la GRC?

M. Currie: J'ai appelé la PPO. Je ne crois pas qu'il existe un poste de la PPO dans la région où je navigue. Il y en a un à Bracebridge, à 45 minutes de route les jours de beau temps. Si leur bateau est à l'eau, il est presque aussi rapide d'aller en bateau à deux kilomètres d'où j'habite que d'y aller en voiture.

Mon chalet se trouve dans une région où le réseau routier est bien développé. Mais si je me trouvais dans le nord- ouest de l'Ontario, dans le nord du Manitoba, en Saskatchewan ou en Alberta, l'officier de police le plus près pourrait bien se trouver à deux heures de distance — en avion.

Le sénateur Adams: Au Nunavut, la GRC a un bateau. Elle l'utilise seulement dans les cas de noyade cependant. Elle ne fait pas de travail d'application de la loi sur l'eau.

Si ce projet de loi est adopté, qui sera chargé de l'application? Si ce n'est pas la Garde côtière, qui alors?

M. Currie: Les mêmes qui ne peuvent pas fournir les services maintenant.

Le sénateur Adams: Pourraient-ils imposer des amendes allant jusqu'à 2 000 $?

M. Currie: Je ne crois pas que le projet de loi propose de laisser les propriétaires de chalet appliquer la loi eux- mêmes. Il est très nébuleux sur la question de l'application. J'imagine que les législateurs prévoient un autre statut d'autorité d'application dans le régime actuel.

Je ne me plains pas du niveau de services pour dénigrer les policiers. La police ne donne pas aux plaisanciers le soutien auquel ils estiment avoir droit à titre de contribuables. La police ne dispose pas des moyens pour faire appliquer les règlements. Les législateurs peuvent forger des lois tant qu'ils veulent, si on ne donne pas à la police les bateaux ou les capacités d'aller patrouiller sur l'eau, à quoi bon?

Le sénateur Adams: Je ne peux pas me plaindre de ce qui se passe à mon chalet. C'est le seul autour du lac. Les membres de ma famille ont d'autres chalets. Je déplore simplement le fait que nous payions des milliers de dollars en équipement pour une très courte saison.

M. Currie: J'imagine que, à l'endroit où se trouve votre chalet, vous naviguez quelques semaines et non plusieurs mois.

Le sénateur Oliver: Monsieur Currie, je suis certain que vous avez longuement réfléchi avant de nous livrer vos commentaires aujourd'hui, pour faire avancer nos délibérations. Cependant, si je soupèse les arguments que vous nous avez présentés, ils m'apparaissent relativement unilatéraux. À mon sens, votre témoignage manque d'équilibre. J'ai plaidé à la cour pendant 36 ans; j'ai donc l'expérience de la défense d'un point de vue unique sur une cause. Tout de même, j'ai toujours cherché l'équilibre, mais je n'en trouve pas dans votre témoignage.

Quand la présidente vous a interrogé au sujet de la Loi sur la marine marchande du Canada, plus précisément sur l'existence d'un processus qui en découlerait, elle tentait elle aussi de trouver un équilibre dans vos propos sur la législation.

Laissez-moi vous présenter les choses ainsi. Je tiens compte de votre témoignage. Dans votre lecture du projet de loi, avez-vous trouvé des aspects positifs que notre comité sénatorial devrait examiner de plus près en vue de donner aux Canadiens ce qui est le mieux pour eux? Nous servirions l'intérêt public en retenant de ce projet de loi des éléments positifs à mettre en oeuvre.

M. Currie: Au bout du compte, les aspects qui doivent retenir l'attention sont la sécurité et l'application. Bien entendu, nous avons notre propre opinion sur cette loi. Nous aimerions que ces discussions sur la sécurité nautique aboutissent à son amélioration, notamment par des recommandations sur la création de mécanismes intelligents de délivrance de permis aux embarcations, qui donnent aux policiers les moyens d'enquêter sur les accidents et d'intervenir en cas de vol de produits, ou encore sur la mise en place de mécanismes de financement de la Garde côtière, afin qu'elle améliore ses services aux propriétaires de bateaux, ou même qu'elle puisse continuer de leur fournir des services. Voilà les résultats que nous attendons. À nos yeux, l'enjeu de la discussion est la sécurité avant toute chose.

Il est intolérable que penser que 232 personnes ont perdu la vie en Ontario au cours des 5 dernières années. Si nous pouvions trouver un moyen d'améliorer la situation à l'issue de ces travaux, ce serait un grand accomplissement, même si le projet de loi lui-même ne va pas plus loin. En reconnaissant la nécessité de trouver des solutions aux problèmes de sécurité et le manque de ressources pour ce faire, vous aurez franchi un grand pas dans la bonne direction. Il faut donner plus de soutien à ceux qui rédigent les règles et qui les font appliquer. Ce serait à mon avis un bon début.

Le Sénat représente l'autorité supérieure dans le processus législatif du Canada. Si votre comité formule des recommandations visant l'augmentation des ressources là où il en manque, on aura fait de grands progrès.

Le sénateur Oliver: C'est un aspect du projet de loi. Cependant, il aborde aussi la question de la jouissance paisible, comme nous l'appelons. Je vous ai entendu dire aujourd'hui que les motomarines ne polluent pas, qu'elles ne sont pas bruyantes et qu'elles sont totalement inoffensives pour les oiseaux nicheurs et la faune marine. Très honnêtement, ces propos me font réagir: je suis en total désaccord.

J'ai lu le communiqué de la Bibliothèque du Parlement. Permettez-moi de vous en citer cinq ou six lignes: «Les motomarines servent quasi exclusivement à des fins récréatives, pour donner des sensations fortes, à l'instar des motoneiges. En ce sens, leur moteur est généralement très puissant, leur puissance d'accélération élevée, de même que leur vitesse. Si la grande partie des conducteurs de motomarines trouvent l'expérience excitante et agréable, l'agencement des caractéristiques de conception énumérées ci-dessus donne lieu à plusieurs effets négatifs, dont la plupart sont décuplés si la conduite est irréfléchie. Les motomarines sont bruyantes et incommodent les autres. Le bruit s'accentue quand elles sont propulsées hors de l'eau, une manoeuvre très fréquente des utilisateurs. Les moteurs des motomarines, usuellement à deux temps, produisent des émissions particulièrement polluantes.»

Voilà un aperçu de l'information de base que nous a fournie la Bibliothèque du Parlement aujourd'hui. Rien dans votre témoignage négatif ne peut remettre en cause la véracité de cette information.

M. Currie: Permettez-moi de m'inscrire en faux. Les données de l'EPA, une association américaine, sur les émissions polluantes et leurs données d'essais sur les émissions sonores démontrent, à notre avis, qu'un moteur de motomarine ne pollue pas plus qu'un moteur hors-bord bien calibré. Ces données ne viennent pas de l'industrie, monsieur: elles ont été recueillies et colligées par l'EPA, aux États-Unis.

Malheureusement, vous le savez sûrement, Environnement Canada est désavantagé du fait que l'organisme n'a pas les budgets pour mener des essais. Toutes les données sur les émissions polluantes proviennent des États-unis. C'est déplorable, mais c'est ainsi. Ce sont des chiffres réels.

Les plus anciennes embarcations sont mises hors service rapidement, un autre fait important. Par voie de conséquence, les motomarines en service sont de plus en plus propres chaque jour, tout comme les moteurs hors-bord.

Pour ce qui est du bruit, le document que vous avez en main dit la vérité. J'ai déjà abordé cette question plus tôt. Les conducteurs agressifs, une attitude que les fabricants ne préconisent pas, produisent les niveaux sonores plus élevés qui peuvent, de fait, apparaître gênants pour certaines personnes. Cependant, au bout du compte, les niveaux sonores illustrés par les graphiques sont réels.

Le sénateur Oliver: Vous avez mentionné l'imposition d'une limite de vitesse de 10 km/h à proximité du rivage. Je ne suis pas familier avec la question, mais j'ai entendu dire que ces engins voguaient à des vitesses considérablement plus élevées, même à proximité des rivages. Cette statistique ne m'apparaît pas très sérieuse.

M. Currie: Cette critique vaut autant pour les utilisateurs de moteurs hors-bord. S'ils ne respectent pas les règles, nous aurons des problèmes. Nous continuons d'entendre parler, dans nos collectivités et non pas dans notre industrie, de gens qui naviguent dans des zones qui leur sont interdites, notamment les aires de baignade. Même si de tels comportements sont à proscrire à tout prix, que peut faire l'industrie sinon répéter qu'elle s'y oppose totalement? C'est tout ce que peut faire l'industrie, qui représente l'ensemble de la navigation de plaisance et non seulement l'industrie des motomarines. Nous pouvons seulement enjoindre les conducteurs de s'abstenir, de ne pas pénétrer dans ces zones, de rester au large. Au bout du compte, il faut que des policiers prennent en chasse les conducteurs qui naviguent trop près des rivages ou des baigneurs, pour les chasser de ces zones.

Le sénateur Oliver: C'est là l'objet du projet de loi.

M. Currie: Non, pas à mon avis. Le projet de loi applique un traitement spécial à un type d'embarcation marquée au fer rouge, mais il ne fait rien pour empêcher les irresponsables de se comporter comme ils le font.

Le sénateur Oliver: Vous avez affirmé avoir en main de nombreuses pétitions. Pouvez-vous nous expliquer leur origine, s'il vous plaît?

M. Currie: Nous avons travaillé en collaboration avec la Mid-Canada Marine Dealers Association, une association des métiers de la marine centrée à Winnipeg, de même qu'avec des associations corporatives d'autres provinces. Ensemble, nous avons rédigé la pétition. Nous l'avons fait circuler parmi les membres et à d'autres intéressés de la communauté des plaisanciers. Nous l'avons aussi affichée chez des marchands et dans des marinas partout au pays. On demandait aux clients de la signer pour manifester leur opposition au projet de loi S-26.

Le sénateur Phalen: À la page 4, vous déclarez que l'industrie a continué de collaborer avec la Garde côtière canadienne à la mise en place d'un système d'agrément des compétences.

M. Currie: Oui. M. Anderson était ministre des Pêches et des Océans au moment de la promulgation des règlements. Ils sont en vigueur depuis 1999. Le système est progressif. Sur une période de plusieurs années, le nombre de plaisanciers et de bateaux assujettis aux exigences du programme CCEP augmente. Le prochain jalon a été fixé au 15 septembre prochain, moment où tous ceux qui conduisent une embarcation à propulsion mécanique de quatre mètres ou moins devront détenir une CCEP.

Le sénateur Phalen: Qui assure les services de surveillance policière?

M. Currie: Encore une fois, il appartient aux policiers de contrôler les permis.

Le sénateur Phalen: J'ai observé des conducteurs de motomarines. Certains sautent sur l'appareil, y restent sur une certaine distance, puis ils se jettent en bas. Je suis sûr qu'ils n'ont pas de permis. Vous avez aussi parlé d'une restriction relative à l'âge.

M. Currie: Il faut avoir seize ans pour conduire une motomarine. Cette restriction est déjà en vigueur.

Le sénateur Phalen: Et existe-t-il des restrictions relatives aux aires de baignade?

M. Currie: On a fixé une zone «interdite d'accès» à proximité des rivages, que doivent respecter tous les bateaux, et une limite de 10 km/h à moins de 30 m des rivages.

Le sénateur Spivak: Il n'en est pas ainsi dans toutes les provinces.

M. Currie: Vous avez raison. Outre le bon sens et la présence d'un agent de police pour intercepter les fautifs, rien ne peut être fait.

Le sénateur Phalen: Et c'est impossible.

M. Currie: Je ne crois pas que la police de la navigation augmentera ses effectifs de 150 p. 100 dans un avenir rapproché.

Le sénateur Spivak: J'aimerais souligner que c'est l'office national des transports qui régit la sécurité aux États-Unis. Je ne sais pas ce qui distingue le Canada des États-Unis puisque les mêmes appareils, fabriqués par les mêmes entreprises, sont vendus des deux côtés de la frontière. Pourquoi les normes de sécurité ne sont-elles pas les mêmes? Le National Transportation Agency formulait les recommandations suivantes dans une étude, en 1998: «Évaluer la conception des motomarines et apporter les modifications nécessaires pour améliorer les commandes de conduite et prévenir les blessures. Élaborer, en concertation avec la Garde côtière des États-Unis, des normes de sécurité exhaustives qui tiennent compte des risques particuliers imputables aux motomarines.»

Votre argument relatif au caractère discriminatoire du projet de loi ne tient tout simplement pas la route puisque les motomarines sont des appareils conçus expressément pour la vitesse et les sensations fortes, ce qui en soi est merveilleux parce que les gens doivent s'amuser. Par contre, ils ne devraient pas s'amuser à proximité des baigneurs et des pêcheurs, entre autres. C'est l'opinion des organes compétents.

Quand une embarcation de 150 HP se trouve entre les mains d'un jeune de 16 ans qui conduit à 100 milles à l'heure qui s'amuse à faire des «wheelies», ce que nous montrent toutes les publicités, on ne parle plus de petite embarcation familiale. Il existe de petites embarcations familiales, mais ces engins sont conçus pour la vitesse et les sensations fortes. Est-ce que je me trompe?

M. Currie: Je ne crois pas qu'il existe des motomarines de 150 HP. Je ne crois pas non plus qu'elles puissent avancer à 100 milles à l'heure.

Le sénateur Spivak: 70 milles à l'heure. Ça vous va?

M. Currie: Non, madame le sénateur. Sauf peut-être les produits modifiés pour la compétition.

Le sénateur Spivak: C'est la publicité qu'on voit.

M. Currie: Il n'en est pas ainsi. Selon l'engagement d'honneur qu'ils ont pris, les fabricants de motomarines ne construisent pas d'appareils dont la vitesse peut excéder 60 milles à l'heure. Je serais fort surpris que quiconque annonce un produit plus rapide.

Le sénateur Spivak: Quoi qu'il en soit, ces engins se retrouvent le plus souvent entre les mains de jeunes gens parce qu'ils aiment le plaisir et l'excitation. Je suis d'accord pour que les jeunes s'amusent. Cependant, je ne vois pas en quoi il serait grave d'avoir les mêmes règlements pour les motomarines que pour les motos hors route, que personne ne veut voir dans son terrain de jeux, ou pour les tout-terrains. C'est une question de bon sens.

Ce projet de loi ne propose rien qui diffère du processus actuel. Il propose les mêmes mécanismes de consultation publique et le même pouvoir discrétionnaire revient au ministre. Il raccourcit le processus et permet un contrôle à l'échelon local. J'aimerais vous entendre à ce propos.

Vous avez affirmé que le contrôle local pourrait être assuré par des agents non élus. C'est le contraire qui se passe à Winnipeg, où ce sont les élus qui limitent l'utilisation des motomarines sur la rivière Rouge, notamment, parce qu'elles font du bruit et que les résidents s'y opposent. La plupart du temps, des élus, tels que les conseils municipaux, exercent le contrôle à l'échelon local. Ce pourrait être n'importe qui, à la discrétion du ministre. Allez-vous changer d'opinion sur la nature discriminatoire du projet de loi?

M. Currie: Non, je suis désolé, nous ne changerons pas d'opinion. Le projet de loi stipule très clairement qu'une association de propriétaires de chalets aurait le pouvoir de promulguer une restriction à la conduite des bateaux. Or, une association de propriétaires de chalets n'est rien de plus qu'un groupe de personnes qui décident de se réunir pour former une association. Ce ne sont pas des élus.

Le sénateur Spivak: Je vais vous lire quels types d'autorités locales sont prévues dans le projet de loi:

Autorité locale:

a) Administration métropolitaine, ville, village, canton, district, comté ou municipalité rurale constitué en personne morale ou autre organisme municipal ainsi constitué, qu'elle qu'en soit la désignation;

b) Entité — telle une association de chalets, une autorité de gestion des parcs ou une administration portuaire — à laquelle le ministre confère le statut d'autorité locale pour l'application de la présente loi.

Si le ministre considère qu'une autorité locale ne satisfait pas à la définition, c'est terminé.

M. Currie: Peut-être. À notre avis, le système en place fonctionne. Certes, un petit polissage et une certaine simplification ne feraient pas de tort. Les embarcations à moteur et les baigneurs ne font pas bon ménage. Il existe certainement un moyen, par l'éducation permanente et de meilleurs mécanismes d'application, de tenir les embarcations à moteur loin des baigneurs, des canoteurs et des pêcheurs. J'abonde tout à fait dans votre sens.

Le sénateur Spivak: Et serez-vous d'accord avec moi que, jusqu'à ce jour, cela n'a pas fonctionné?

M. Currie: Dans un sens, je ne suis pas d'accord. On ne peut pas parler d'une épidémie de conducteurs d'embarcations à moteur qui circulent dans les aires de baignade. Cela se produit, et il faut l'empêcher, et des mécanismes d'application inadéquats ont, malheureusement, laissé la porte ouverte à ces malheureux événements, certainement trop souvent. Cependant, il n'est pas juste selon moi de parler d'un problème grave. Nous devons trouver un moyen de mieux éduquer les petits groupes de plaisanciers qui ne semblent pas vouloir entendre les consignes de sécurité.

Le sénateur Spivak: Les résidents des bords de lacs sont-ils les mieux placés pour juger de la gravité de ce problème à votre avis? N'est-il pas vrai que les autorités locales ou les gens qui vivent dans une région sont les meilleurs juges de cette situation, et ne faut-il pas leur donner les moyens d'exprimer facilement leurs préoccupations?

M. Currie: C'est assez juste. Le système actuel leur donne déjà cette tribune. Il est cependant un peu trop lourd aux yeux de certains, et il faut donc le simplifier.

Le sénateur Adams: Avez-vous des données sur le nombre de propriétaires de chalets qui possèdent des motomarines? Certains propriétaires n'ont ni bateau ni canoë, rien.

M. Currie: Des fabricants ont fait des études de marché, pour connaître notamment le nombre de motomarines entre les mains des propriétaires de chalets. Je n'ai pas fait ce travail moi-même, mais 60 p. 100 des propriétaires de motomarines sont aussi propriétaires d'une propriété de vacances. À mes yeux, une propriété de vacances est un chalet qui se trouve sur le bord d'un lac ou à proximité. Je n'ai pas apporté le rapport, mais je crois que plus de 60 p. 100 des propriétaires de motomarines ont aussi un chalet.

Le sénateur Adams: On ne classe plus ces appareils selon la puissance du moteur, mais selon le cylindrage. Les plus puissants ont un moteur de 700 cm3 environ. C'est la même chose pour les motoneiges. Je possède deux appareils, un de 440 cm3 et un autre de 500 cm3. Je ne peux pas aller à 100 milles à l'heure en plein champ.

La plupart des motomarines sont munies d'une pompe à éjecteur. Elles n'ont plus d'hélices.

M. Currie: La plupart sont des pompes à eau.

Le sénateur Adams: Les motomarines sont-elles aussi dangereuses que les moteurs hors-bord?

M. Currie: On ne voit plus de nos jours d'accidents liés aux hélices parce que plus rien ne traîne dans le sillage du bateau. Le système est simple. L'eau est aspirée aux trois quarts, vers l'arrière. L'eau est ensuite pressurisée par un rotor dans un tube, puis expulsée à l'extérieur de la poupe de l'embarcation. Le fait de tourner l'injecteur provoque un changement de direction du bateau lui-même.

Le sénateur Spivak: Nous aurions beaucoup de questions techniques sur les nouveaux designs à vous poser.

Monsieur Currie, accepteriez-vous de répondre à des questions écrites sur les nouveaux modèles?

M. Currie: Demandez à Mme Robson de m'appeler, ou communiquez avec moi.

La présidente suppléante: Monsieur Currie, allez-vous soumettre vos réponses au comité?

M. Currie: Certainement, avec grand plaisir.

La présidente suppléante: Merci de nous avoir présenté le point de vue de l'Association canadienne des manufacturiers de produits nautiques et d'avoir partagé avec nous vos connaissances.

Le sénateur Spivak détient des documents, des lettres et des pétitions afférentes au projet de loi S-26. Elle demande l'autorisation du comité pour les verser comme documents à l'appui dans les dossiers du comité.

Êtes-vous d'accord?

Des voix: D'accord.

La séance est levée.


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