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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 17 - Témoignages du 4 juin 2003


OTTAWA, le mercredi 4 juin 2003

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 15 h 38 afin d'étudier les questions suscitées par le dépôt de son rapport final sur le système de soins de santé au Canada, en octobre 2002, et les développements subséquents. En particulier, le comité est autorisé à examiner la santé mentale et la maladie mentale.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Translation]

Le président: Chers collègues sénateurs, nous allons donc poursuivre notre étude de la santé mentale. Comme je dois aller faire un bref appel téléphonique, je serai remplacer à la présidence par le sénateur Cordy. Avant cela, je vais vous présenter nos témoins: David Conn, coprésident et président de l'Académie canadienne de psychiatrie gériatrique; Maggie Gibson, psychologue au St. Joseph's Health Center de London; Steve Rudin, directeur exécutif de la Société Alzheimer du Canada, et Venera Bruto, psychologue au Health Services Centre.

À Montréal, nous nous sommes subdivisés en deux groupes. Mon demi-groupe est allé visiter ce que je continue d'appeler le Collège MacDonald — c'est-à-dire le Centre de médecine gériatrique du ministère de la Défense — où nous avons beaucoup appris. Je dois cependant vous avouer que nous avons trouvé tout cela très troublant à cause du caractère particulier de cette horrible maladie. Quoi qu'il en soit, nous sommes ravis de vous accueillir tous les quatre aujourd'hui.

Nous demandons habituellement à nos témoins de commencer par un bref exposé. Comme nous pouvons lire vos mémoires, nous préférons vous poser des questions. Je vous invite donc à vous limiter à un survol de votre document pour nous permettre de passer aux questions.

Le sénateur Jane Cordy (présidente suppléante) occupe le fauteuil.

Le Dr David K. Conn, coprésident; président, Académie canadienne de psychiatrie gériatrique, Coalition canadienne pour la santé mentale des personnes âgées: Honorables sénateurs, je suis psychiatre spécialisé en gériatrie et je travaille au Centre Baycrest de Toronto. Je préside aussi l'Académie canadienne de psychiatrie gériatrique et je suis coprésident de la Coalition canadienne pour la santé mentale des personnes âgées qui regroupe plus de 65 organisations d'un peu partout au pays.

Je tiens à remercier le comité de nous avoir invités à lui faire part de notre point de vue sur les problèmes tout à fait particuliers qui se posent dans le domaine de la santé mentale des personnes âgées. Le vieillissement rapide de la population se traduira par une hausse sans précédent du nombre de maladies mentales chez les personnes âgées et, par voie de conséquence, du niveau de demandes imposées au système de santé. Je me propose de commencer par vous parler de certains des grands problèmes auxquels cette partie de la population est confrontée.

Les personnes âgées risquent de souffrir de plusieurs maladies mentales, notamment de troubles de l'humeur, d'anxiété et de troubles psychotiques en plus de complications émotionnelles, comportementales et cognitives associées à toute une gamme de maladies cérébrales comme l'Alzheimer, l'ACV et le Parkinson.

Il arrive très souvent que les troubles mentaux chez les personnes âgées soient mal diagnostiqués ou ne soient pas détectés. La prévalence des troubles mentaux est particulièrement élevée chez certains groupes, comme chez les patients traités dans les établissements de soins de longue durée. Il arrive souvent que les symptômes comportementaux, comme l'agression ou l'agitation physique, aient de graves conséquences: blessures, détresse des aidants et institutionnalisation prématurée.

Les soins d'une personne âgée sont particulièrement complexes. Les personnes du quatrième âge — c'est-à-dire celles qui ont plus de 80 ans — sont généralement frêles, elles souffrent de plusieurs problèmes de santé et doivent souvent prendre plusieurs médicaments. Nous savons qu'il existe des traitements efficaces, mais il n'est pas rare que ceux qui en ont besoin n'en bénéficient pas. D'un autre côté, le recours inapproprié ou sous-optimal aux médicaments psychoactifs pose un grave problème. Cela peut se traduire par une surmédication ou une sousmédication.

À l'évidence, le grand public est mal informé de ces problèmes. La formation du personnel de première ligne est souvent très insuffisante bien que, récemment, les programmes modèles mis en place dans certaines régions du pays aient donné de bons résultats. Quand il faut s'occuper longtemps d'une personne âgée, les aidants naturels subissent un niveau de stress anormalement élevé. Le besoin de services de santé mentale pour personnes âgées est criant et ces services devront être exhaustifs, coordonnés et intégrés au reste du système de santé.

Il faudra tout particulièrement mettre sur pied des services communautaires afin que les personnes âgées qui ont besoin d'être évaluées et traitées à domicile puissent être correctement prises en compte. On note aussi un grave manque d'informations et de données de recherche sur cette population. Même si la prévention primaire constitue un objectif d'une importance vitale, les stratégies proposées en ce sens demeurent imprécises.

Nous suggérons, d'entrée de jeu, que le gouvernement fédéral, en collaboration avec les provinces et les autres parties prenantes, élabore un plan d'action national portant sur la maladie mentale et la santé mentale. Ce plan devra réserver une attention toute particulière aux personnes âgées et à leurs besoins et problèmes uniques.

Je me propose de m'attarder sur quatre grands domaines: la sensibilisation du public, la formation, les systèmes de soins, les ressources humaines, la recherche et les aidants. Je formulerai une suggestion ou deux pour chacun de ces domaines.

Pour ce qui est de la sensibilisation du public, force est de reconnaître qu'il est de plus en plus nécessaire d'informer la population au sujet des problèmes mentaux associés au vieillissement. La maladie mentale n'est pas une réalité incontournable du vieillissement et il n'y a pas lieu, non plus, qu'elle soit source de honte ou de gêne. Parce qu'on connaît mal les signes avant-coureurs de la maladie mentale et le fait qu'il existe des traitements efficaces, les personnes âgées et leurs familles n'ont pas accès en temps opportun aux services dont ils auraient grand besoin.

Il est vrai que le dépistage précoce contribue à l'efficacité du traitement. Par exemple, un diagnostic posé à temps permet d'appliquer des thérapies récentes qui, dans le cas de l'Alzheimer, peuvent ralentir la progression de la maladie. En outre, la détection précoce de la dépression permet de réduire la morbidité et de diminuer le nombre de suicides chez les personnes âgées. Je me dois, ici, de vous signaler que l'incidence du suicide chez les hommes de 80 ans et plus est la plus élevée de tous les groupes d'âge au Canada. Nous recommandons que le gouvernement fédéral finance une campagne d'information publique destinée à mieux sensibiliser la population sur les problèmes de santé mentale des personnes âgées.

Pour ce qui est de la formation, il faut avouer que le nombre de professionnels de la santé formés en gériatrie est parfaitement insuffisant. Nous devons veiller à ce que la formation en soins gériatriques fasse partie du programme de base de toutes les disciplines en santé et qu'elle fasse l'objet d'une insistance appropriée. Nous manquons actuellement de spécialistes en soins gériatriques et les tendances démographiques sont annonciatrices d'une aggravation du phénomène.

Dans les établissements de soins prolongés, 80 p. 100 des résidents souffrent de troubles mentaux sous une forme ou une autre, au point qu'on dit des foyers de soins qu'ils sont les institutions mentales modernes pour personnes âgées. Pourtant, le personnel de ces établissements ne reçoit qu'une formation limitée en santé mentale.

Des stratégies de soutien à la formation s'imposent tout particulièrement dans le cas des travailleurs de première ligne, en milieu communautaire et dans les établissements. Une telle stratégie pourrait être élaborée en collaboration entre le gouvernement fédéral, le Conseil canadien d'agrément des services de santé et les autres parties prenantes. Les normes minimales définies dans les lignes directrices sur l'agrément devraient imposer la prestation d'un certain nombre d'heures de formation à tout le personnel des établissements de soins de longue durée et des organisations de soins à domicile.

Au chapitre des systèmes de soins de santé, il faut reconnaître qu'il existe de très importants écarts d'une région à l'autre du pays dans l'accessibilité aux services de santé mentale, puisqu'ils sont quasiment inexistants dans les régions rurales et les petites villes du pays. Dans la plupart des régions, les services offerts sont mal coordonnés, ils ne sont pas complets et ne sont pas adaptés aux besoins des collectivités multiculturelles. L'expansion des services à la communauté est une dimension fondamentale des soins gériatriques, car de nombreuses personnes âgées ne veulent pas ou ne peuvent pas quitter leur domicile.

La télémédecine permet d'informer, de former et de conduire des évaluations spécialisées dans les régions éloignées. Nous souhaiterions que soit organisée une conférence nationale sur les pratiques exemplaires axées sur la santé mentale des personnes âgées, afin d'apprendre de ce qui se fait de mieux au Canada. Il conviendrait, par ailleurs, de mettre sur pied un comité national qui serait chargé d'élaborer des lignes directrices, fondées sur des faits avérés, en matière d'évaluation, de traitement et de modèle de prestation de services. Par ailleurs, l'élaboration, la diffusion, la mise en œuvre et l'évaluation de ces lignes directrices devraient bénéficier d'un financement. Nous recommandons de financer des initiatives en télémédecine gériatrique, ce moyen favorisant la consultation et l'éducation en santé mentale dans les régions rurales et éloignées, de façon remarquablement efficace.

Les membres de la Coalition et de l'Académie estiment que l'un des plus importants obstacles à la santé mentale des personnes âgées est constitué par la pénurie de ressources humaines. Il est difficile de recruter et de maintenir en poste le personnel compétent. Les établissements de soins de longue durée sont particulièrement exposés à des taux élevés de roulement de personnel. Il faudra diffuser davantage d'informations sur le genre de ressources humaines qui sont nécessaires pour assurer des soins efficaces et sur la façon d'instaurer des milieux de travail susceptibles d'attirer des professionnels compétents et des travailleurs de première ligne. Nous recommandons d'appuyer les stratégies concernant les ressources humaines en santé nationale qui comprendront un volet propre à la santé mentale des personnes âgées.

Jusqu'ici, on n'a réalisé que relativement peu de recherches au Canada sur la santé mentale des personnes âgées. Malgré le financement très limité accordé à la maladie d'Alzheimer, il faudra faire beaucoup plus pour couvrir l'ensemble des questions de santé mentale. Aucun programme de recherche structurée n'est axé sur la santé mentale des personnes âgées. Qui plus est, nous manquons de données nationales qui pourraient nous donner une idée de l'incidence et de la prévalence des différents troubles mentaux, de même que du résultat des traitements et des programmes en santé mentale dans le cas des personnes âgées.

Nous recommandons la tenue d'un atelier, financé par le gouvernement fédéral et coordonné par les principaux intervenants, atelier dont l'objet serait d'établir les priorités en matière de recherche en santé mentale chez les personnes âgées. Les résultats de cet atelier pourraient servir de base à un financement ciblé de la recherche sur la santé mentale gériatrique. Il y aurait lieu que les Instituts canadiens de recherche en santé, les ICRS, et la Fondation canadienne de la recherche sur les services de santé, la FCRSS, contribuent au financement de la recherche fondamentale et clinique dans le domaine de la santé. Il faudrait encourager les ICRS à créer un groupe de travail, en collaboration avec les provinces et les territoires, afin de recueillir des données spécifiques à la santé mentale des personnes âgées, tant au sein des collectivités que dans les établissements de soins de longue durée.

La prestation de soins par les membres de la famille est une tâche particulièrement ardue, exigeante en temps, en ressources et en émotions. À cause de l'énormité de la tâche qui leur incombe, nombre d'aidants naturels de personnes âgées souffrent de dépression. La valeur économique des soins dispensés par des membres de la famille est énorme. Les aidants naturels dispensent la majorité des soins de longue durée au Canada et permettent au système public d'économiser des milliards de dollars.

Il demeure que le soutien dont ils bénéficient est limité, qu'il est habituellement insuffisant et qu'il est essentiellement axé sur le membre de la famille qui est malade, plutôt que sur les besoins des aidants. Nous recommandons que l'on fournisse aux aidants naturels l'appui dont ils ont besoin pour offrir des soins de qualité, notamment en les informant comme il se doit et en leur donnant accès à des niveaux appropriés de soins de relève et de soins à domicile.

Nous recommandons également l'octroi de crédits ou de congés fiscaux à hauteur des coûts réels des dépenses personnelles subies par les aidants naturels. Il est par ailleurs important de continuer d'examiner les régimes d'assurance-emploi et les codes du travail, afin de les modifier pour permettre aux aidants naturels de s'absenter aussi longtemps que nécessaire de leur emploi sans qu'ils risquent de le perdre.

Je terminerai sur une citation de C. Everett Koop, ancien Surgeon general: «Toute personne souffrant de problèmes mentaux ou comportementaux conserve intacte et tout au long de sa vie la capacité de réagir à des traitements en santé mentale».

M. Steve Rudin, directeur exécutif, Société Alzheimer du Canada: Honorables sénateurs, au nom de la Société Alzheimer du Canada, laissez-moi vous dire que je me réjouis de la possibilité de témoigner devant votre comité sur le contexte et la réalité de la maladie d'Alzheimer.

La maladie d'Alzheimer est la principale cause de démence. Elle est caractérisée par des symptômes qui peuvent inclure des pertes de mémoire, des déficiences de jugement, une capacité de raisonnement réduite, des changements d'humeur et des comportements très difficiles. Il s'agit d'une maladie progressive qui a été décrite pour la première fois en 1906 par le Dr Alzheimer, neurologue et psychiatre allemand.

D'importants changements physiques se produisent dans le cerveau des personnes atteintes d'Alzheimer. Les cellules du cerveau se contractent ou disparaissent et sont remplacées par des plaques et par un enchevêtrement de matières filiformes qui finit par détruire les cellules vivantes du cerveau. Les personnes atteintes d'Alzheimer et de démence connexe peuvent avoir besoin des services normalement offerts aux malades mentaux et peuvent même présenter des symptômes psychiatriques comme le délire et la dépression. La maladie d'Alzheimer est un problème social non négligeable et la Société d'Alzheimer du Canada se consacre à la découverte des causes de cette maladie et d'une cure.

On dénombre actuellement au Canada 360 000 personnes atteintes d'Alzheimer et de démence connexe. Cela représente une personne sur 13 chez les plus de 65 ans et une sur 30 chez les 85 ans. En outre, les milliers d'aidants naturels qui doivent s'occuper de ces malades subissent indirectement les effets de la maladie. Si la situation actuelle ne change pas, d'ici 20 ou 25 ans, le nombre de patients de ce genre atteindra près de 750 000.

La maladie d'Alzheimer est une maladie de femme. Les deux tiers des personnes qui en sont atteintes appartiennent au sexe féminin et la majorité des aidants naturels sont aussi des femmes. On est en train d'étudier les raisons susceptibles d'expliquer cette différence de nombres entre hommes et femmes.

Près de la moitié des patients atteints d'Alzheimer réside toujours au sein de la collectivité et l'autre moitié est placée dans des établissements. Les répercussions sur les aidants naturels sont particulièrement importantes. Les symptômes de dépression sont presque deux fois plus courants chez les aidants qui s'occupent de personnes âgées atteintes de démence que chez ceux qui s'occupent de personnes âgées ne souffrant pas de démence.

Sur le plan financier, les chiffres sont presque aussi vertigineux. On dépense actuellement près de 5,5 milliards de dollars pour la maladie d'Alzheimer. Les pertes de temps au travail pour ceux et celles qui doivent s'absenter afin de s'occuper d'un proche, de les transporter à des rendez-vous et autres, se situeraient dans les 3 milliards de dollars.

Dans le mémoire que je vous ai fait remettre, je cite deux études de cas de personnes qui vivent actuellement dans leur collectivité mais dont les situations sont très différentes. La première réside avec son épouse. Il s'agit d'un agent de police chez qui l'on a diagnostiqué l'Alzheimer il y a deux ans environ. Il se rend compte qu'au fur et à mesure de la progression de la maladie, il ne lui est plus possible de faire certaines choses qu'il était capable d'accomplir facilement avant. C'est sa femme qui s'occupe de lui. Il peut s'estimer heureux de bénéficier de ses services.

L'autre cas est celui d'une femme qui habite seule. Quand elle ne sera plus capable de faire tout ce qu'elle fait actuellement, il faudra la placer en institution. Elle redoute cette échéance, et nous ressentirions tous la même chose à sa place.

Il y a plusieurs autres problèmes de mentionnés dans mon document, que je vous invite à lire. Il y a encore plus d'informations dans les articles que j'ai signés et que vous pourrez consulter sur notre site Internet.

À l'instar du Dr Conn, nous sommes convaincus que certaines politiques publiques pourraient grandement aider ceux et celles qui sont aux prises avec la maladie d'Alzheimer. Vous constaterez sans doute qu'il existe un parallèle étonnant entre nos deux exposés. Les soins à domicile revêtent une grande importance pour les personnes en butte à l'Alzheimer, c'est-à-dire non seulement pour le patient mais aussi pour l'aidant naturel. Il est très important d'assurer des soins aux malades mais aussi d'offrir des soins de relève pour assister les membres de la famille.

Les crédits d'impôt pour personnes handicapées ainsi que les programmes de protection du revenu et les congés pour événements familiaux malheureux, que le gouvernement a commencé à mettre en œuvre, sont particulièrement utiles. Nous incitons le gouvernement à déployer davantage d'efforts sur ces plans-là.

L'assurance-médicaments a été adoptée il y a peu. Les programmes de ce genre devraient favoriser la fourniture des médicaments très spécifiques dont ont besoin les personnes atteintes d'Alzheimer. Les deux personnes mentionnées dans les études de cas présentées dans notre document prennent des préparations qui leur permettent de continuer à fonctionner au sein de la collectivité.

Nous nous associons à la plupart des personnes qui travaillent dans le domaine de la maladie mentale et de la maladie d'Alzheimer pour réclamer un investissement supérieur dans le domaine de la recherche. Nous applaudissons à la création de l'Institut canadien de recherche en santé et du financement qu'on lui a accordé. Nous demandons que l'on fasse plus encore à cet égard.

Pendant que nous travaillons à l'instauration d'un monde d'où l'Alzheimer aura disparu, il faudra continuer d'offrir des programmes d'appui aux 360 000 Canadiens et plus qui souffrent de cette maladie.

Nous espérons et nous prions pour qu'en 2006 on annonce la découverte d'un remède pour traiter cette maladie que l'on connaît depuis 1906.

Mme Maggie Gibson, psychologue, St. Joseph's Health Care London: Merci de m'avoir donné l'occasion de témoigner devant vous aujourd'hui. Je vais me livrer à un survol de mon mémoire, car je crois savoir qu'on vous en remis des copies.

Nous employons l'expression «personnes âgées» et parlons beaucoup de troubles mentaux gériatriques et de santé mentale des personnes âgées. Il demeure que ces personnes constituent le groupe d'âge le plus hétérogène de tous. Près de 80 à 85 p. 100 des aînés vieillissent en bonne santé et dans un certain bien-être. Malheureusement, une importante partie de cette population a vraiment besoin d'aide pour survivre, d'une aide sociale, d'une aide en santé et d'une aide psychologique. C'est de ce groupe dont nous allons surtout parler aujourd'hui.

Partant de l'aperçu que vous nous avez fait remettre dans votre invitation à témoigner, je vais vous parler des cinq domaines que vous y mentionnez.

Il y avait d'abord la question de la dépression et de la démence. Je tiens à dire, à cet égard, que si la dépression et la démence sont assez courantes parmi les personnes âgées souffrant de problèmes mentaux, on trouve aussi chez elles un grand nombre d'autres états parallèles, comme la douleur chronique, les troubles de l'anxiété, les problèmes d'apathie d'origine neurologique et les troubles de la structure du sommeil. Plusieurs états présentent des symptômes qui se recoupent et qui exigent donc des traitements intégrés se chevauchant.

La grande difficulté tient au fait qu'il faut coordonner ce genre de traitements. Il existe de nombreuses lignes directrices sur lesquelles on peut s'appuyer pour traiter la dépression, la douleur et l'anxiété, mais la difficulté qui se pose dans le cas de cette population consiste précisément à intégrer les traitements. Ce n'est pas facile.

Il arrive très souvent que les recommandations concernant les traitements soient contradictoires. Ainsi, d'après les lignes directrices sur les pratiques exemplaires à suivre pour la gestion de la douleur, il faut appliquer une approche psycho-éducative en sorte que les patients deviennent acteurs de leurs soins mais, dans le cas de personnes atteintes de démence avancée, ce genre d'intervention ne fonctionne pas. Les lignes directrices sur la dépression nous disent, par ailleurs, qu'il faut donner davantage la possibilité aux patients d'accéder à des milieux stimulants et à des expériences plaisantes mais que les personnes atteintes d'un déficit motivationnel d'origine neurologique ne peuvent profiter de ce genre de situations.

Il est urgent que nous élaborions des lignes directrices de pointe, fondées sur des données valables, sur des résultats de recherche et sur des pratiques exemplaires en vue de favoriser la mise sur pied de programmes intégrés grâce auxquels nous pourrons traiter la comorbidité constatée dans les cas de troubles mentaux chez les personnes âgées.

Les deux questions véritablement fondamentales sont les suivantes: en quoi la comorbidité courante dans ce segment de population influence-t-elle la mise en œuvre des meilleures pratiques pour le traitement d'états différents? En quoi la comorbidité influence-t-elle la réalisation des résultats envisagés? Autrement dit, que cherche-t-on à accomplir? Quel est l'objectif visé? Comment saurons-nous quand ce que nous faisons donne des résultats optimums en matière de santé mentale pour cette population? Pour l'instant, les praticiens sur le terrain l'ignorent.

Vous avez, par ailleurs, mentionné la question des désordres communs, surtout de la dépendance. Nous savons que la consommation excessive d'alcool est associée à de nombreux autres problèmes dans cette population, notamment à l'isolement social, à la douleur chronique, au risque accru de chutes, à l'aggravation des maladies cardiaques et du diabète. De plus, la violence et la négligence à l'égard des aînés sont associées à la consommation excessive d'alcool. Nous savons que l'ajustement entre les services de santé mentale et les services de toxicomanie en général est précaire, à cause des défis que soulève la comorbidité. Par exemple, les comportements qui entraînent la dépendance et l'intoxication peuvent entraver la participation aux programmes de traitement de la dépression ou de la démence, qu'il y ait ou non médication. La dépression peut gêner la participation à des programmes de groupes de thérapie.

Une fois de plus, il est problématique d'intégrer les traitements qui s'imposent dans le cas de personnes souffrant de problèmes de toxicomanie ou de santé mentale. Il y a également des situations où les programmes sont mieux adaptés aux besoins des jeunes qu'à ceux des personnes âgées, celle-ci pouvant nécessiter un rythme différent. De plus elles peuvent être aux prises avec un problème d'alcoolisme ou un autre depuis plus longtemps et elles peuvent subir des états de comorbidité.

La grande question qui se pose au sujet du traitement de l'alcoolisme et de la toxicomanie, dans le cas de personnes âgées souffrant de troubles mentaux, est de savoir si les actuels programmes associés aux services de toxicomanie devraient être mieux adaptés aux besoins des personnes âgées — notamment de celles souffrant d'états mentaux — ou s'il conviendrait mieux de prendre du recul et de réinventer des traitements spécifiquement axés sur les personnes âgées, dans le cadre des actuels programmes de santé gériatrique. Autrement dit, dans quelle direction devons-nous nous orienter en ce qui a trait aux programmes de traitement de la toxicomanie chez les personnes âgées afin qu'ils soient les plus efficaces possible?

La différence entre hommes et femmes sur le plan de l'espérance de vie constitue un problème bien connu associé à la prestation de soins. Comme les hommes ont tendance à mourir plus jeunes que leur conjointe, il est beaucoup plus probable qu'une conjointe soigne son époux à domicile que l'inverse. Il est particulièrement intéressant de constater que, sous l'effet d'un changement démographique, de plus en plus de personnes de plus de 65 ans ont encore un, voire deux parents. Nous nous acheminons vers une nouvelle constellation tout à fait intéressante, celle de la «génération sandwich» où les gens de 60 ou 70 ans peuvent s'occuper de leurs petits-enfants, pour aider leurs enfants, et d'un vieux parent de 80 ou 90 ans. Nous ne savons pas ce que cela donnera à terme et nous ne savons pas non plus ce que décideront les femmes quand elles se retrouveront de plus en plus nombreuses dans ce genre de situation. Cela promet d'être intéressant.

Il est par ailleurs important, en ce qui a trait à la différence entre les sexes dans l'élaboration de services de santé mentale, d'éviter de conférer un caractère socioculturel aux soins de santé. Nous devons songer à chaque patient dans la formulation des plans de soins de santé mais, pour ce qui est de la promotion de la santé et de la prévention, nous devons reconnaître qu'il existe précisément des différences entre les deux sexes. Les hommes ont tendance à mener un style de vie plus risqué que les femmes. Ils sont plus nombreux que leur compagne à fumer, à boire régulièrement ou en plus grande quantité et à adopter des comportements autodestructeurs en réaction à leurs tourments émotionnels. Ils sont moins susceptibles qu'elles de demander une aide médicale et de pouvoir compter sur des réseaux sociaux de soutien. Il existe donc des différences, entre les groupes de personnes âgées et les autres groupes, dont il faut tenir compte en promotion de la santé et en prévention afin de mieux cibler les programmes de promotion.

S'agissant de l'accès aux services de santé mentale et de la continuité des soins, les adultes âgés, comme tous les autres, sont obligés de faire la queue pour bénéficier de services de santé mentale financés par les deniers publics. Quand nous envisagerons de favoriser l'accès, il sera important d'inclure les personnes âgées, c'est-à-dire celles qui se trouvent dans les foyers de soins et les établissements de soins prolongés, au même titre que les autres tranches de la population. Il demeure que le défi important qui se posera sur le plan de l'accès consistera, chez les fournisseurs de soins de santé mentale qui travaillent au contact des personnes âgées, notamment des éléments les plus vulnérables de cette population, à améliorer le degré d'intérêt, le niveau de préparation et les occasions d'intervention. Ce n'est pas, pour l'instant, un choix de carrière pour la majorité des fournisseurs de soins de santé mentale.

Prenons, par exemple, la psychologie professionnelle. Eh bien, le spectre complet, incluant les aspects cliniques, le counselling, la réhabilitation, la psychologie de la santé et la neuropsychologie, est applicable aux besoins des personnes âgées. Il est urgent que le milieu des psychologues, en collaboration avec d'autres professions ayant un intérêt pour la santé mentale des personnes âgées, déploie des efforts concertés. Ces efforts devront porter sur l'élaboration des stratégies avec des partenaires comme les gouvernements, les universités, les collèges et les autres programmes de formation, les organismes de réglementation professionnelle, les groupes de défense et le grand public afin de déterminer comment nous allons pouvoir répondre aux besoins de santé mentale, actuels et émergents, de la population constituée par les personnes âgées. Même si nous ouvrions immédiatement et tout grand les vannes, nous ne pourrions sans doute pas parvenir à combler tous les postes.

À propos du stress de la famille et des personnes soignantes, je veux vous parler de la question des stigmates, en particulier du stigmate de négligence associé à l'utilisation des services de soins de longue durée. Nous bénéficierions grandement d'un changement de culture allant dans le sens d'une approche plus pragmatique et plus axée sur la compassion et pragmatique afin de recenser les meilleures options de soins pour les personnes âgées et les membres de leurs familles et faire en sorte que tout le monde puisse effectivement dépendre du système. En effet, les systèmes qui autorisent une relative dépendance sans dévaluer les gens contribuent à améliorer énormément la santé mentale.

Dans leurs dernières années de vie, il est fort probable que nombre de personnes âgées doivent bénéficier d'une combinaison de services — allant des soins aigus aux soins à domicile, en passant par les soins de relève, les soins de longue durée, les admissions pour des séjours courts ou séjours longs — afin de leur assurer une qualité de vie optimale. Il faut passer à une forme de soins de santé à domicile plutôt que de soins de longue durée. Le dialogue à cet égard est trop souvent antagoniste. Il faudra désormais mettre l'accent sur l'emplacement des soins, sur la recherche de l'optimisation des services et sur une méthode permettant de répondre aux besoins biopsychosociaux complexes en vue de répondre à tous les besoins des membres de la famille et de la collectivité.

Il est absolument nécessaire de mieux tenir compte du rôle d'appui potentiel que l'on pourrait offrir à tous les secteurs du réseau de la santé.

Pour terminer, j'aurai cinq recommandations à vous adresser. Premièrement, les priorités de recherche dans le secteur des troubles mentaux dont souffrent les personnes âgées devraient inclure la formulation de recommandations concernant les pratiques exemplaires axées sur la comorbidité. Deuxièmement, il faudrait prendre des décisions informées quant à la manière et à l'endroit où les besoins des personnes âgées souffrant de toxicomanie pourront être les mieux comblés par le système de santé. Troisièmement, la promotion de la santé mentale, les activités de prévention et d'intervention devraient être traitées en fonction des facteurs de risque associés au sexe, aux comportements sociaux et aux mécanismes d'adaptation. Quatrièmement, les partenaires devraient collaborer en vue d'accroître la disponibilité des professionnels de la santé mentale qui ont de l'expérience et qui ont intérêt à s'occuper des personnes âgées ayant des problèmes de santé mentale. Enfin, les problèmes qui entravent l'utilisation maximale d'un continuum complet de soins devraient être recensés, contestés et éliminés.

Mme Venera Bruto, psychologue, Hamilton Health Sciences Centre: Je tiens tout d'abord à remercier le comité de m'avoir invitée et de se pencher sur les problèmes associés à la santé mentale et aux services dans le domaine de la santé mentale pour les personnes âgées, le tout dans le cadre de la prestation des soins.

Je vais adopter le point de vue d'une psychologue qui pratique la neuropsychologie — essentiellement auprès de personnes souffrant de problèmes neurologiques et médicaux — et qui effectue aussi des recherches cliniques. Je me propose de me concentrer sur des questions qui n'ont pas été soulevées jusqu'ici. Nous allons bien sûr beaucoup nous recouper, tous les quatre, dans nos commentaires et sachez que je suis entièrement d'accord avec ce qu'ont dit les témoins précédents. Je commencerai par vous communiquer certains chiffres sur lesquels je pense qu'il convient d'insister.

Tout d'abord, il y aurait 188 femmes pour 100 hommes de 65 à 69 ans et 241 femmes pour 100 hommes dans le groupe des plus de 85 ans. Cette simple donnée est lourde de conséquences, pas uniquement parce que le vécu d'un homme et d'une femme n'est pas le même au sein de notre société, mais aussi parce que la sexospécificité peut être un excellent prédicteur des conséquences de différentes maladies cervicales, comme l'ACV. En effet, les conséquences d'un ACV sur le cerveau peuvent être différentes selon qu'il s'agit d'un homme ou d'une femme. Ces différences peuvent avoir des répercussions sur l'évaluation, le diagnostic et le traitement des personnes âgées.

À propos du vieillissement de la population, je me propose aussi de vous parler de l'accroissement du nombre des cas d'Alzheimer, de démence vasculaire et d'autres genres de démence ou de dépression. Il convient aussi de parler un peu des changements d'états cognitifs et mentaux associés à divers troubles médicaux.

Comme la population vieillit, de plus en plus de personnes changent d'état mental à cause de problèmes médicaux comme les problèmes cardiaques, les dysfonctionnements rénaux, le diabète et l'hypertension. Tous ces états peuvent donner lieu à une réduction très marquée des capacités cognitives voire à une démence.

On a constaté que près de 30 p. 100 des personnes âgées qui ont besoin de soins médicaux souffrent de délire ou d'encéphalopathie. Les prévalences annoncées pour les personnes âgées qui sont hospitalisées varient de 10 à 40 p. 100. Les études suggèrent que 58 p. 100 des personnes âgées ayant des problèmes cardiaques présentent des épisodes de confusion; 77 p. 100 d'entre elles ont des déficits dans leur capacité d'effectuer au moins une activité importante dans leur quotidien et 53 p. 100 se classent parmi les gens ayant des difficultés de fonctionnement, selon un test qui vise à mesurer la gravité de la démence. En général, on ne pense pas que les personnes appartenant à cette tranche de la population présentent des troubles cognitifs, mais ce genre de déficit existe et il entrave considérablement leur niveau de fonctionnement au quotidien. Cela peut aussi se traduire par un accroissement des soins dont les personnes ont besoin.

À partir de l'incidence relativement élevée de cas de problèmes cognitifs et de confusion chez les personnes âgées ayant eu une crise cardiaque, les observations d'autres enquêteurs donnent à penser que la réadmission en milieu hospitalier pour problème cardiaque est souvent associée à un comportement et à un non-respect des prescriptions médicales, ce qui peut avoir de graves conséquences. Le nombre croissant de personnes ayant besoin de soins va lourdement mettre à contribution les membres de leurs familles et le système de soins de santé; il va imposer des demandes considérables sur les services de soins de santé mentale spécialisés et il aura de lourdes conséquences financières. Qui plus est, le diagnostic et le traitement de ce genre de troubles n'est pas sans répercussion importante sur la qualité de vie des Canadiennes et des Canadiens, surtout dans le cas des Canadiennes âgées. Il est démontré que le délire et la dépression augmentent la morbidité médicale, la mortalité ainsi que la longueur des séjours en milieu hospitalier, chez les patients malades. La démence et l'ACV sont les principales causes d'incapacité chez l'adulte ainsi que d'admission en établissements de soins de longue durée.

Les déficiences psychologiques, psychiatriques et neuropsychologiques chez les personnes âgées peuvent entraîner d'importantes complications. Ces groupes posent aussi des problèmes sur les plans du diagnostic et du traitement. Les enseignements gagnés au contact d'adultes plus jeunes peuvent ne pas être directement applicables aux populations plus âgées. Les personnes âgées sont différentes à bien des égards: notre biologie change avec l'âge, le cerveau change aussi et nos réactions aux médicaments évoluent. En outre, les personnes âgées présentent très souvent des états de comorbidité comme les maladies cardiaques, l'ACV, les troubles rénaux, le diabète et la douleur chronique qui peuvent augmenter le fardeau de la maladie et compliquer le diagnostic et le traitement.

Les réseaux sociaux et les ressources sur lesquels on peut compter varient en fonction du groupe d'âge. Le système social réagit différemment. Les ressources familiales, l'argent, les réseaux de soutien sociaux et les attentes de la société sont également différentes. Nous commençons à peine à comprendre les répercussions de tous ces facteurs. Dans le cas des personnes âgées, nous pouvons nous trouver en présence d'une interaction complexe de facteurs variés: médicaux, neurologiques et neuropsychologiques, psychiatriques, psychologiques et sociaux.

En fin de compte, nous ne pouvons pas simplement prétendre que la personne âgée est un jeune ridé aux cheveux poivre et sel. L'âge d'une personne joue un rôle très important dans l'établissement du diagnostic, ce qui peut nous amener à nous poser des questions à propos de la formation continue des intervenants. Il faut absolument réduire les disparités qui existent sur le plan des compétences entre les intervenants qui participent au système.

La nature des déficits cognitifs est souvent très complexe et elle n'est parfois pas observable lors des visites dans un cabinet de médecin. Il arrive souvent que certains problèmes de santé mentale chez les personnes âgées ne soient pas détectés par les médecins. Leur détection peut exiger non seulement une connaissance du phénomène mais aussi l'application de méthodes et de techniques spécialisées en interprétation de tests. Les méthodes d'entrevue et d'observation peuvent ne pas suffire.

La société multiculturelle et multilingue du Canada peut constituer un autre obstacle aux soins, cette société nous apporte une grande richesse mais elle peut aussi constituer un obstacle quand les personnes qui consultent parlent une langue et que l'évaluateur en parle une autre. C'est un aspect qu'il nous faudra considérer dans nos politiques. Le recours à des interprètes en l'absence de critères normatifs risque d'entraver considérablement l'établissement de diagnostics valables.

Il faudra, pour cette population, recommander la formulation d'un programme national de prestation de services cliniques aux personnes âgées. Comme je le disais plus tôt, le recensement des pratiques exemplaires est compliqué par le fait que l'on n'a pas effectué suffisamment de recherches sur la façon d'appliquer aux populations plus âgées les traitements et les modalités valables pour des personnes plus jeunes. Ainsi, en ce qui concerne la prévention et le changement de comportement pris en tant que sources de prévention, nous avons beaucoup appris sur les populations plus jeunes au sujet de la façon de modifier le comportement et d'appliquer des traitements à cette fin. En revanche, presque aucune recherche n'a été réalisée dans le cas des personnes âgées présentant des états de comorbidité qui compliquent le traitement. C'est une chose que de demander à une personne relativement jeune d'augmenter son niveau d'activité et d'exercice afin de réduire l'hypertension et de contribuer à sa santé cardiaque et cérébrale, quand celle-ci n'a pas de douleur chronique, qu'elle ne souffre pas d'ostéo-arthrite et n'est pas intolérante à l'exercice à cause de problèmes cardiaques ou d'autres états de comorbidité qui compliquent considérablement les traitements visant à modifier le comportement.

Nous avons aussi besoin d'un plan national de formation professionnelle afin de répondre aux besoins de la population vieillissante et nous devrions sans doute élaborer, pour chaque profession de la santé qui est réglementée, un ensemble de compétences de base axé sur la démence, les encéphalopathies, la dépression et les changements neurocomportementaux. L'instauration de telles compétences de base exigera la mobilisation de programmes universitaires, de collèges professionnels, d'organismes de réglementation, d'associations professionnelles et d'autres intervenants à l'appui d'un plan national. Ces autres organisations et groupes ont travaillé à des types de stratégies semblables dans le domaine de l'ACV en Ontario et ils pourraient sans doute vous fournir des informations très importantes sur la façon de préparer de tels plans.

La psychologue que je suis est frappée par le nombre relativement faible de collègues qui travaillent dans des domaines axés sur les besoins des personnes âgées, même si ce groupe professionnel a beaucoup à offrir en matière d'évaluation du diagnostic et de traitement. L'un des obstacles associés à certains des problèmes mentionnés par le Dr Gibson concerne les préférences et les choix, mais il y a aussi des obstacles au financement pour ce groupe de professionnels qui mérite qu'on lui accorde une certaine attention.

Enfin, il sera nécessaire d'établir des priorités en recherche sur la santé mentale et les troubles qui affectent le cerveau à cause de l'âge, l'accent devant porter sur l'état mental cognitif et les changements comportementaux. On accorde une grande attention aux déficiences cognitives, mais les changements neurocomportementaux potentiels sont tout aussi importants et perturbants pour la qualité de vie des malades et de ceux qui s'en occupent.

Nous devrons mettre à l'épreuve ces pratiques exemplaires et ces modèles de prestation de services. La documentation spécialisée actuelle regorge de pistes possibles, mais il nous faudra nous livrer à des évaluations et à des mises à l'essai pour nous assurer que ces constats s'appliquent effectivement à une population de personnes âgées.

Le sénateur LeBreton: Je veux poser une question à M. Rudin. Quand vous dites que l'Alzheimer est davantage une maladie de femme que d'homme, j'aimerais savoir sur quoi vous vous fondez pour l'affirmer. Nous savons que les femmes âgées sont plus nombreuses que les hommes. Est-ce à cause de cela ou est-ce parce que cette maladie touche beaucoup plus les femmes? Dans l'affirmative, vos recherches vous ont-elles permis de déterminer pourquoi?

M. Rudin: La recherche ne nous a pas appris exactement pourquoi l'incidence d'Alzheimer est plus élevée chez les femmes. Pour ce qui est de l'autre volet, celui des aidants naturels, on peut simplement dire que la différence est due au nombre plus important de femmes, à leur espérance de vie supérieure à celui des hommes de même qu'au rôle qu'elles ont toujours joué en tant que prestataires de soins. Jusqu'ici, nous n'avons pas encore pu expliquer scientifiquement l'incidence de la maladie chez les femmes.

D. Conn: Je crois que c'est vrai. Il existe peut-être une amorce de solutions du côté des hormones féminines, les œstrogènes, parce qu'il est effectivement prouvé que les œstrogènes protègent le cerveau contre des effets dégénératifs. Plusieurs études donnent à penser que les femmes qui suivent des thérapies de remplacement hormonal courent moins de risque de démence associé au vieillissement que les autres. Cela pourrait jouer. S'il y a beaucoup plus de femmes que d'hommes qui sont atteintes d'Alzheimer, c'est sans doute à cause de différences purement démographiques.

M. Rudin: Permettez-moi d'ajouter que, la semaine dernière, le Journal of the American Medical Association a publié les résultats d'une thérapie combinée de remplacement hormonal et précisé que celle-ci doublait le risque d'Alzheimer et de démence chez les femmes de 65 ans et plus. La bonne nouvelle remonte à novembre de l'an dernier et la moins bonne est vieille d'à peine une semaine.

Le sénateur LeBreton: Celles à qui l'on administre simplement des œstrogènes semblent donc avoir moins de problème que celles qui bénéficient d'une thérapie combinée.

M. Rudin: Il s'agissait d'une thérapie combinée.

Le sénateur LeBreton: Est-ce à cause d'un facteur biologique? Nous avons plusieurs générations de femmes qui se côtoient, et cela pourrait-il être dû à leur mode de vie? Les femmes travaillent de nos jours, mais celles qui sont les plus âgées ne travaillent pas. Peut-on expliquer cela par des causes sociales? Elles ne se sont pas alourdi la cervelle. Je me demande s'il y a un lien ici.

M. Rudin: Je ne suis ni médecin ni chercheur, et je suis en terrain inconnu. Je suis au courant de plusieurs études qui ont essayé de répondre à ce genre de problèmes. Au Minnesota, une étude a été réalisée auprès d'une congrégation de sœurs, et je ne crois pas qu'elle a permis de dégager des différences marquées entre celles qui avaient été actives sur le plan intellectuel et les autres. Ce sont là des questions très intéressantes pour les scientifiques et il faudra effectuer davantage de recherches pour expliquer ces chiffres.

Mme Bruto: La documentation scientifique propose certaines pistes qui rejoignent votre question, mais il n'y a rien de bien arrêté.

Le vieillissement s'accompagne de changements dans la structure cérébrale des hommes et des femmes. Cela se constate chez les enfants qui se développent normalement, puisqu'ils présentent des différences sur les plans de l'acquisition du langage et de la perception spatiale. Les troubles, comme la dyslexie, constatée chez les garçonnets et chez les fillettes sont différents et le nombre des sujets atteint est également différent. Chez les adultes et chez les personnes âgées, les différences relevées dans l'organisation du cerveau, d'après d'autres études, pourraient expliquer la raison pour laquelle le cerveau arrête de fonctionner quand plus rien ne va. Par exemple, il a été prouvé qu'en cas d'ACV, avec des lésions cérébrales identiques, les perturbations constatées chez les hommes et chez les femmes sont différentes, si bien que les déficiences du langage subies à la suite d'un ACV localisé dans l'hémisphère gauche peuvent être plus importantes chez les hommes que chez les femmes.

Il n'y a pas loin de la coupe aux lèvres pour conclure que les œstrogènes et leur interaction avec les systèmes coénergiques jouent un rôle dans l'apparition de la maladie d'Alzheimer. Il peut y avoir des différences dans la façon dont les pathologies se développent, outre qu'il y a plus de femmes que d'hommes et que nous voyons donc davantage de patientes que de patients.

Le sénateur Fairbairn: À votre connaissance, quelqu'un a-t-il cherché à déterminer si la poursuite de la lecture chez les personnes âgées pouvait leur permettre de demeurer alertes sur le plan intellectuel et de fonctionner? En visitant certains établissements de soins de longue durée, j'ai toujours été frappée par la grande tristesse qui y règne. Les heures sont longues pour ces personnes âgées et, en l'absence de visites, celles qui lisent semblent un peu plus alertes que les autres.

Mme Bruto: Vous venez de poser une question très complexe. Ceux et celles qui semblent avoir plaisir à lire et à se livrer à certaines activités sont-elles moins susceptibles que les autres d'être déprimées? Nous savons que la dépression est une conséquence négative de l'ajustement à la maladie ou à l'incapacité. Elle peut avoir d'énormes répercussions sur la façon dont une personne va se remettre et faire face à l'adversité.

En outre, nous savons que dans le cas de l'Alzheimer ou de tout autre dommage cérébral, ce sont les personnes qui sont les plus instruites qui fonctionnent le mieux sur le plan intellectuel, facteurs qui sont parfois liés à des aspects comme l'intérêt pour la lecture. Je ne sais pas si quelqu'un a étudié précisément l'importance de la lecture, mais si vous examinez la façon dont ces aspects se recoupent, force est de constater qu'ils ont un effet positif.

Si nous essayions de faire en sorte que ces personnes participent à des activités, cela pourrait-il avoir un effet bénéfique? Je ne suis au courant d'aucune étude ayant examiné cet aspect directement. Ce qui est positif c'est que, même chez les patients atteints d'Alzheimer qui souffrent de déficience du langage, la lecture est une des dernières aptitudes à se détériorer. Il serait toutefois intéressant de cerner la chose, si nous le pouvions.

M. Rudin: Plusieurs études épidémiologiques ont cherché à répondre à cette question. La prochaine étape sera d'établir une preuve scientifique et d'en fonder les raisons.

D'après certaines enquêtes, la lecture et les mots croisés ont un effet très positif. Nous sommes aussi peut-être en présence d'une métaphore exprimant plusieurs autres choix et possibilités de mode de vie qui s'offrent aux personnes instruites, qui développent une passion pour la lecture ou qui décident de vivre autrement.

C'est là que la science est importante. Il faut essayer de quantifier nos impressions. Tout cela est-il scientifique étayé? La question est très complexe. Nous n'avons jusqu'ici obtenu que des réponses superficielles.

Grâce à vous, nous pourrons pousser les recherches que nous avons entamées. C'est là un aspect très important qui découle de notre questionnement. Nous n'en savons décidément pas assez pour parvenir à régler ce genre de problèmes.

Le sénateur Pépin: L'Alzheimer est-elle une maladie héréditaire?

M. Rudin: Je céderai le micro au Dr Conn, après vous avoir donné une brève réponse. Il existe un lien héréditaire dans 10 à 15 p. 100 des cas. Cet aspect a bien été étudié. Il existe beaucoup d'excellentes recherches canadiennes qui répondent à cette question.

Le Dr Conn: C'est particulièrement vrai dans le cas de ceux et de celles qui développent la maladie d'Alzheimer de façon précoce. Nous parlons alors de «démence présénile». Les gens qui présentent malheureusement la maladie dans leur quarantaine ou leur cinquantaine sont ceux chez qui l'élément génétique est plus important. Il existe aussi des marqueurs génétiques chez les personnes âgées atteintes d'Alzheimer. La génétique constitue un risque accru chez les personnes âgées, mais pas dans la même proportion que chez les jeunes.

Le sénateur Morin: Je vais poser mes questions au Dr Conn. Nous sommes toujours très surpris de voir l'incidence très élevée de dépression chez les personnes âgées. Ce sont elles qui présentent les taux de suicide les plus élevés. Comme vous le disiez, les traitements précoces de la dépression permettent de réduire le nombre de suicides et les diagnostics également précoces d'un Alzheimer peuvent en freiner l'évolution.

Vous avez dit, je crois, que 10 p. 100 environ des dépressions sont bien traitées chez les personnes âgées, ce qui est nettement inférieur à ce que l'on constate dans les autres groupes d'âge. Cinquante pour cent seulement des cas d'Alzheimer sont dépistés assez tôt.

Ce dépistage pourrait-il être une priorité pour votre organisation? Vous avez parlé de la nécessité d'adopter des lignes directrices nationales. C'est vous qui devriez établir ces lignes directrices. C'est vous qui devriez veiller à ce que des lignes directrices bien rédigées et compréhensibles soient diffusées dans votre milieu.

Pour ce qui est de la prévention, savez-vous si des mesures ayant fait leur preuve pourraient être appliquées à ces deux états ou à d'autres états courants chez les personnes âgées? Dans l'affirmative, il est possible que le gouvernement fédéral pourrait vous aider dans ce domaine. Celui-ci est parvenu à réduire le nombre de fumeurs. C'est une réussite canadienne. Le Canada s'attaque maintenant à l'obésité chez les enfants et je suis sûr que ce programme portera fruit.

Il existe un autre problème social très répandu, mais peu connu. Si votre groupe nous proposait des méthodes préventives, le gouvernement fédéral pourrait vraiment intervenir.

Enfin, je veux vous parler des établissements où les patients atteints d'Alzheimer sont traités. Les foyers de soins n'ont pas été négligés ni par Romanow ni par notre comité. Nos deux structures ont parlé de la question des soins aigus à domicile et nous avons veillé à ne pas parler des soins chroniques à domicile pour plusieurs raisons. Nous avons fait très attention de ne pas mentionner ce type de soins dans nos recommandations. Ni la commission Romanow ni notre comité n'a dit un seul mot des établissements de soins à longue durée. Pourtant, le nombre de patients atteints d'Alzheimer va considérablement augmenter dans ce genre d'établissements.

Dans votre document, vous dites que les établissements de soins de longue durée sont en fait les institutions mentales pour personnes âgées, une grande majorité de patients souffrant de problèmes de santé mentale. Nous devrions formuler plusieurs recommandations en vue d'améliorer la situation de ce côté-là. Bien sûr, nous devrons être réalistes.

Comment allons-nous pouvoir vous aider? Que pouvons-nous faire de façon concrète? Nous avons formulé des recommandations très précises relativement aux soins aigus à domicile. Nous comptons sur vos conseils dans ces domaines.

Je suis intimement convaincu de la validité du rôle des infirmières et des infirmiers. J'ai toujours cru qu'ils avaient un important rôle à jouer dans les soins à longue durée et dans les soins à domicile. Nous avons besoin d'un personnel infirmier qui connaisse les problèmes des patients psychiatriques et des personnes âgées. Nous manquons de médecins généralistes. Nous en avons besoin d'un plus grand nombre dans les équipes de soins primaires.

La présidente suppléante: Sénateur Morin, je crois que nos témoins sont en train d'essayer d'absorber toutes vos questions et ils devraient peut-être vous répondre à celles-ci, avant que vous n'en posiez d'autres.

Le sénateur Morin: J'ai terminé.

Le Dr Conn: Merci pour ces excellentes questions. Je suis sûre que mes voisins voudront contribuer à la réponse, mais je me propose de commencer.

Le sénateur Morin: Je préférerais que vous commenciez, parce que vous êtes le responsable de la coalition regroupant des psychologues, des infirmiers et infirmières et ainsi de suite. J'aimerais avoir votre opinion, en votre qualité de président d'une coalition regroupant toutes les professions et tous les groupes concernés.

Le Dr Conn: Merci. La première question que vous avez posée porte sur toute la question du diagnostic précoce et de l'importance fondamentale de ce genre de diagnostic pour les professions de la santé dans le cas des troubles de l'humeur, des dépressions, de l'Alzheimer et des autres formes de démence.

La Coalition et l'Académie veulent travailler dans ce sens afin d'améliorer la performance des professionnels de soins de la santé partout au Canada. Nous avons adopté des lignes directrices qui devraient être utiles à cet égard. Je m'interroge quant à la valeur de lignes directrices par rapport à des normes nationales. Au Canada, nous n'aimons pas beaucoup les normes nationales, contrairement à d'autres pays qui ont adopté des normes — c'est-à-dire un niveau d'attente — en matière de prestation de services. Les Anglais ont produit des normes nationales destinées à régir les soins de santé mentale prodigués aux personnes âgées. Je ne sais pas dans quelle mesure elles seront mises en œuvre, mais le processus est intéressant.

Nous voulons aller le plus loin possible avec les lignes directrices. Nous pensons qu'une prochaine conférence sur les pratiques nationales exemplaires et l'instauration d'un comité national destiné à formuler les lignes directrices seront des mesures très utiles.

Pour ce qui est des aspects positifs, je dois dire que ces dernières années nous avons nettement amélioré le diagnostic de la dépression. Pendant des années, nous avons critiqué le fait que la dépression était mal diagnostiquée et que les médecins généralistes passaient systématiquement à côté de ce diagnostic. Je crois pouvoir dire que la situation s'est nettement améliorée du côté des généralistes, ces dernières années et que, leur formation ayant porté fruit, nous avons assisté à des grands progrès. Le nombre de prescriptions d'antidépresseur a augmenté pour tous les groupes d'âge. C'est positif. Les laboratoires pharmaceutiques estiment que c'est excellent et, pour notre part, nous y voyons la preuve que nous nous attaquons aux dépressions.

Il convient aussi de ne pas oublier que le traitement de la dépression ne doit pas être uniquement médicamenteux, mais qu'il doit être assorti de psychothérapies et de traitements psychosociaux que l'on applique rarement chez les personnes âgées. On n'a pas pratiqué la psychothérapie chez les personnes âgées pendant très longtemps à cause de Sigmund Freud qui prétendait qu'une fois passé l'âge de 40 ans, la psychanalyse n'a plus d'effet. Or, il est maintenant prouvé qu'un grand nombre de thérapies donnent des résultats, surtout les thérapies de groupe qui fonctionnent très bien chez les personnes âgées.

Vous avez aussi posé la question de la prévention. Vous vouliez savoir ce que nous pouvons faire dans ce domaine d'une importance cruciale. Sur ce plan, il se pose la question de la prévention secondaire, c'est-à-dire de ce qui se produit dans le cas d'une personne qui devient dépressive, que l'on traite mais que nous ne parvenons pas à sauver d'une dépression secondaire. Nous disposons de données valables indiquant que la prévention secondaire fonctionne. Certaines études prouvent que la combinaison antidépresseur et psychothérapie permet de réduire considérablement le nombre de rechutes.

La prévention primaire consiste à éviter l'apparition de la dépression ou de prévenir la maladie d'Alzheimer ou la démence. Nous en sommes aux balbutiements de la connaissance dans ce domaine. Nous devrons effectuer plus de recherches. Il demeure que nous avons déjà réalisé certains progrès très intéressants. Ainsi, on a effectué une recherche très intéressante chez les gens qui présentent ce qu'on appelle une «déficience cognitive légère» — c'est-à-dire qui présentent des troubles de mémoire précoces mais qui continuent de fonctionner parfaitement bien par ailleurs — visant à déterminer quel genre d'interventions permettait d'éviter, chez eux, l'apparition de problèmes plus graves.

C'est un champ d'exploration très intéressant et d'une importance fondamentale dans lequel nous devons effectuer davantage de recherche.

Vous avez aussi posé une question au sujet des lieux consacrés aux soins, notamment aux soins à domicile dans le cas des maladies chroniques. Ce sujet est terriblement important. Il est relativement facile pour une personne récemment opérée de faire sa convalescence à domicile. En revanche, la personne qui souffre de dépression chronique et qui a de la difficulté à fonctionner chez elle n'est pas une priorité pour la plupart des organismes de soins à domicile. Elle est très bas sur la liste. Il manque de ressources. Ce faisant, nous croyons qu'il faudrait investir plus d'argent pour donner davantage de soins chroniques à domicile dans le cas des personnes âgées et d'éviter leur institutionnalisation.

Vous avez mentionné la question des établissements de soins de longue durée, des foyers de soin. On recense au moins 2 000 foyers de soins au Canada qui ont tous beaucoup de difficultés à s'occuper de personnes atteintes de maladie mentale. Les troubles du comportement leur posent un problème tout particulier. C'est d'ailleurs à cause de tous les problèmes que pose la santé mentale dans les établissements de soins à longue durée que notre coalition a été formée, des Canadiens d'un peu partout s'étant regroupés pour se consacrer à cette question. Notre coalition a formulé un ensemble de recommandations et elle s'est consacrée à l'amélioration des soins de santé mentale dans les établissements de soins de longue durée.

Enfin, pour ce qui est du rôle du personnel infirmier pratiquant, je suis tout à fait d'accord avec ce qui a été dit au sujet du rôle fondamental que les infirmières pourraient jouer auprès des personnes âgées dans le cadre de soins communautaires et dans des établissements de soins de longue durée. Nous sous-utilisons le personnel infirmier dans ces rôles.

M. Rudin: Je ne vais pas traiter de tous les aspects dont vous avez parlés, mais je tiens à signaler que la Société Alzheimer du Canada collabore avec la coalition. Je crois qu'il important que vous le sachiez.

Le diagnostic précoce est au cœur de l'essentiel de notre action, puisque nous cherchons à inciter les gens à consulter leur médecin dès qu'ils éprouvent des problèmes de perte de mémoire. Nous sommes convaincus que plus l'intervention est précoce et mieux le patient s'en ressent, même s'il n'est pas possible de le guérir.

Ce mode d'intervention est un couteau à double tranchant, raison pour laquelle nous avons sondé l'opinion publique. Les gens nous ont dit: «Si vous ne savez pas ce qui cause cette maladie ni comment la guérir, alors à quoi sert- il de savoir qu'on en est atteint?» Nous avons obtenu une répartition 50-50. Nous incitons les gens à aller leur médecin. Ils y vont, mais ils ne veulent pas connaître le résultat du diagnostic. C'est un problème. Je crois que les statistiques sont considérablement améliorées dansle cas des personnes qui consultent leur médecin. L'Alzheimer ne peut être diagnostiqué qu'à l'étape de l'autopsie — ce qui va à l'encontre d'une intervention précoce. Les médecins nous affirment que les diagnostics sont précis à 80 ou 90 p. 100, grâce aux tests psychologiques et à des technologies d'imagerie permettant d'analyser le fonctionnement du cerveau et de dépister l'apparition de la maladie. Si les statistiques s'améliorent c'est que plus tôt les gens consultent et plus tôt il est possible de leur prescrire les médicaments disponibles qui permettent de ralentir l'évolution de la maladie.

De très intéressantes découvertes ont été faites aux États-Unis sur le chapitre de la prévention. Les Américains ont mis au point un vaccin dont on a entendu parler pendant un certain temps mais qui a été retiré après que des essais cliniques de phase 2 eurent déterminé qu'il était toxique. On s'est cependant rendu compte, après avoir pratiqué des autopsies sur les personnes vaccinées qui étaient décédées, que ce vaccin avait fonctionné. Les cellules qui s'étaient détruites sous l'effet de la maladie d'Alzheimer avaient commencé à se reconstituer. La nouvelle est très intéressante et elle a donné lieu à une relance de la recherche dans ce domaine.

Du côté des soins à domicile, il faut dire que notre société estime que les soins à domicile de longue durée sont très importants et que les recommandations contenues dans le rapport Romanow et celles formulées par votre comité ne vont pas assez loin pour aider les personnes concernées. Il est vital d'offrir à l'échelle du pays un programme bien structuré et uniforme. Nous ne croyons pas être en mesure de créer suffisamment d'établissements qui pourraient s'occuper du nombre croissant de personnes ayant besoin de tels services.

Comme je l'ai dit dans mes remarques liminaires, la moitié des personnes actuellement atteintes d'Alzheimer et de démence connexe résident dans leur collectivité. Comme ce nombre augmente, nous ne pouvons pas maintenir le rythme en créant des installations adaptées pour offrir les services voulus. Il est indéniable qu'il faut absolument adopter un programme complet et soigneusement conçu de soins à domicile à l'intention des patients ayant besoin de traitements de longue durée. Je sais que la coalition de même que le gouvernement, par le biais de certaines initiatives, cherchent à structurer une telle intervention. Pour l'instant, les programmes offerts un peu partout au Canada ne sont pas vraiment uniformes puisqu'on constate des variations d'une province ou d'un territoire à l'autre, certains services étant très au point et d'autres étant inexistants. Nous encourageons la poursuite déterminée de ce genre de programmes.

Je crois dangereux de supposer — mais nous le faisons tout de même — que le fait de ne pas institutionnaliser les patients va nous permettre d'atténuer une partie des coûts associés aux soins à domicile. Le problème tient au fait que nous ne fermerons jamais de lits pour autant. Il s'agit d'un coût supplémentaire qui vaut sans doute l'investissement.

Mme Bruto: Je voulais vous formuler deux ou trois remarques au sujet de la prévention. Quand les personnes craignent souffrir de troubles de la mémoire et qu'elles se demandent si elles doivent ou non consulter, elles peuvent avoir peur qu'on diagnostique chez elles les signes avant-coureurs de la maladie d'Alzheimer. Pour certains, cela n'a rien de positif. Certains pourront vouloir retarder la nouvelle. Toutefois, il y a d'autres raisons pour lesquelles les gens peuvent souffrir de troubles de la mémoire et de changements d'états mentaux qui sont tout à fait réversibles. Il est donc très important que la détection de ces problèmes ainsi que de la démence et de la dépression soient une priorité.

Certaines constatations scientifiques permettent de penser que la meilleure façon de maintenir le fonctionnement cérébral consiste à traiter l'hypertension, qui est la principale cause de déclin des capacités cognitives. Ainsi, une personne pourra craindre qu'on lui apprenne une mauvaise nouvelle, mais passer à côté d'un diagnostic qui pourrait corriger un autre état. Il est important d'insister auprès des médecins et auprès de la population sur le fait que la détection et la prévention sont très importantes.

Mme Gibson: Quand on parle de prévention, il est très important de ne pas perdre de vue la promotion de la santé. Nombre d'interventions sur les plans psychosocial, du mode de vie et de l'environnement peuvent diminuer les risques de contracter l'Alzheimer ou de souffrir d'autres états chroniques, comme le fait de demeurer alerte, actif sur le plan intellectuel, de lire et de développer des intérêts à long terme pour demeurer actif après la retraite. Toutes ces mesures sont extrêmement bénéfiques sur les plans de la santé et du bien-être. Il est important de recentrer plusieurs de ces aspects sur le plan de la promotion de la santé. Ces actions ne peuvent avoir que des retombées bénéfiques en matière de prévention de certaines maladies.

En revanche, on court le risque que, si les choses sont présentées d'une autre façon, les gens n'entreprennent tout ce qu'il faut faire pour ne pas contracter l'Alzheimer ou d'autres maladies. C'est là une retombée négative. Il est très important, je crois, de faire la promotion de la santé et d'y rajouter un élément axé sur la prévention.

Il faut par ailleurs préciser que nombre de patients ne survivraient pas sans les établissements de soins de longue durée. Les familles, quant à elles, ne parviendront pas à s'en sortir sans ce genre d'établissement et ce n'est pas sans s'être beaucoup interrogées et sans subir d'énormes traumatismes qu'elles y font admettre leurs proches. On se retrouve face à des femmes de 75 ans qui doivent se résoudre à placer leurs époux parce qu'elles ne peuvent plus s'en occuper à domicile. Cette décision n'a rien de réjouissant.

Nous devons veiller, pour le bien-être de la société — c'est-à-dire des personnes âgées et de leurs familles en particulier — à ne pas aborder la discussion sur les soins à domicile et les soins de longue durée dans le contexte d'un échec. Il n'y a pas d'échec dans le cas d'un patient ayant besoin de soins de longue durée, il n'y a pas d'échec familial quand il n'est plus possible de maintenir l'être cher à domicile. Les gens qui se retrouvent dans ce genre de situations ne sont pas face à un échec.

Nous ne voulons certainement pas créer un système à deux vitesses où l'idée que l'on se fait des soins optimums dispensés à des membres âgés de la famille correspond à un maintien à domicile et au recours à des services de soins à domicile, les soins de longue durée étant le «parent pauvre» que beaucoup d'entre nous veulent éviter. Cela décrit mal la réalité des personnes concernées. Il faut absolument que toute discussion sur les soins à domicile et les soins de longue durée s'articule autour des besoins et des avantages que peut procurer chaque élément du système de soins de santé et il faut se garder de toute description favorisant la stigmatisation.

Il ne faut pas non plus oublier que, contrairement à ce qui se passe dans le cas des autres volets des soins de santé, que c'est chez eux que les gens reçoivent les soins de longue durée. Dans nos établissements de soins de longue durée, nous ne faisons pas que dispenser des soins, puisque nous offrons aussi un foyer à ces patients. Ils résident sur place. Nous sommes leurs voisins. Nous sommes aussi leurs prestataires de soins, leurs pairs, leurs familles. Il existe, en matière de soins de longue durée, un élément qui va bien au-delà de ce que l'on constate dans le cas des autres volets des soins de santé, élément dont il faut tenir compte afin d'appliquer une planification efficace.

Le sénateur Cook: Merci pour votre exposé très complet. Je viens de Terre-Neuve où les défis en matière de prestation de services de santé, sous quelle que forme que ce soit, sont particulièrement importants.

Monsieur Rudin, il y a un instant, vous avez dit que ni la commission Romanow ni ce comité n'étaient allés assez loin dans leurs recommandations. Pourrais-je me permettre de dire, au nom de tous les membres du comité, que nous nous sommes effectivement rendu compte de cela au moment où nous avons entamé notre étude. Voilà pourquoi nous nous retrouvons ici cet après-midi, parce que nous avons effectué plusieurs études et que nous nous sommes rendu compte que nous n'étions pas allés assez loin.

Docteur Conn, vous avez parlé du problème de la fragmentation des services et de l'appui à un plan d'action national. Personnellement, je préférerais que nous parlions de «normes», plutôt que de «lignes directrices». J'aimerais que vous nous disiez quel rôle devrait jouer la télémédecine, selon vous, étant donné qu'elle fait partie depuis longtemps de l'ensemble des moyens déployés pour assurer des soins primaires dans ma province, à cause de la géographie des lieux et d'autres difficultés.

Je voudrais que vous nous disiez quelques mots aussi des soins de base. Personne n'a parlé de nutrition et j'aimerais savoir les problèmes que vous rencontrez à cet égard chez les personnes âgées, surtout chez celles qui vivent encore à domicile. Parlez-moi aussi de médicaments. Comment atténuer les pertes de mémoire chez quelqu'un?

Enfin, j'estime que la santé publique pourrait certainement assurer les soins optimums que méritent les Canadiennes et les Canadiens et que notre gouvernement se doit de leur dispenser. Qu'en pensez-vous?

Le Dr Conn: Merci pour ces questions importantes. Parlons tout d'abord de la télémédecine, domaine qui m'intéresse. Je suis convaincu de son potentiel. Certaines provinces, comme Terre-Neuve, sont des chefs de file internationaux dans la mise au point de la télémédecine. De nombreuses autres provinces canadiennes ont aussi joué un rôle marquant sur ce plan. Ma province, l'Ontario, a été un peu plus lente à prendre acte des avantages que présente la télémédecine, mais nous sommes en train de nous y mettre.

Je passe tous les mercredis après-midi à offrir des consultations à des patients qui se trouvent très loin dans le nord- ouest de la province. Ils sont très loin de Toronto, au point d'être dans un autre fuseau horaire. J'offre ce genre de consultations depuis un an et je trouve l'expérience très stimulante. Je pense que les professionnels des soins de la santé, dans les sites éloignés, ainsi que les clients et leurs familles apprécient beaucoup cette technique. Elle donne d'excellents résultats dans le domaine de la santé mentale parce que tout ce que nous avons à faire, c'est à parler avec le patient. En général, l'évaluation exige une interaction entre personnel traitant et patient. Grâce aux nouvelles technologies, cette interaction est excellente.

Certains vous diront que les personnes âgées ne peuvent pas s'adapter à ce genre de technologie. Pourtant, tout le monde regarde la télévision de nos jours et la télémédecine revient à parler à un écran de télévision. Elle fonctionne aussi très bien pour éduquer et informer les gens. Dans certaines séances auxquelles j'ai participé, j'ai été appelé à évaluer directement les patients, mais nous tenons aussi de nombreuses consultations indirectes, par l'intermédiaire du personnel, ou de séances d'information.

L'expansion des services dans les régions rurales et mal desservies donne d'excellents résultats. Je sais que le gouvernement fédéral a joué un rôle de premier plan dans la mise au point de la télémédecine, grâce aux subventions du Programme des partenariats pour l'infostructure canadienne de la santé, le PPICS. Le maintien de l'investissement en télémédecine, dans le domaine de la gériatrie, pourrait donner d'excellents résultats.

La nutrition est un autre domaine fascinant. Il est certain que, jusqu'à un certain point, nous sommes ce que nous mangeons. Il est fréquent que les personnes âgées souffrent de malnutrition. C'est d'ailleurs le problème de base que l'on constate chez presque tous les patients atteints de troubles mentaux. La dépression, la démence et la maladie d'Alzheimer en sont de bons exemples. Les personnes souffrant de troubles émotionnels ne sont pas capables de s'occuper d'elles-mêmes et de bien manger. Les gens déprimés perdent leur appétit, et la nutrition est donc un domaine qui revêt une importance déterminante.

Les patients peuvent présenter des carences vitaminiques. Nous savons, par exemple, que certaines carences vitaminiques, comme en vitamine B12, peuvent donner lieu à un tableau s'apparentant à l'Alzheimer. Quand nous cherchons à déterminer les traitements à mettre en œuvre dans le cas de démence réversible, nous effectuons des analyses sanguines pour déterminer les niveaux de B12 et d'acide folique. La nutrition est donc très importante. Les médecins ne se soucient généralement pas assez de cette question. Nous allons devoir insister davantage sur la nutrition, parce qu'elle est un élément essentiel des soins à conférer à une personne.

Vous avez aussi parlé de la question très importante de la conformité au traitement et nous parlons plutôt maintenant d'observance thérapeutique. L'observance thérapeutique est particulièrement difficile dans le cas des personnes souffrant de troublent de la mémoire, puisqu'il leur est difficile de se rappeler quand elles doivent prendre leurs 10 médicaments dans la journée. Il existe maintenant des dispositifs qui permettent aux gens de s'y retrouver, comme les boîtes de dosettes. Il ne s'agit-là cependant que d'une partie de la solution. Parfois, les membres de la famille aident beaucoup les patients à se rappeler. Certains sont têtus et maintiennent qu'ils savent exactement quand ils doivent prendre leur médicament, alors que ce n'est pas le cas. Le défi est de taille. Les services de soins à domicile peuvent beaucoup aider, grâce à un personnel infirmier qui assiste les patients afin qu'ils s'organisent.

Je suis tout à fait d'accord sur le fait que le système de santé publique a un rôle très important à jouer. Les services communautaires, qui peuvent dépêcher des gestionnaires de soins, par exemple, auprès de personnes âgées résidant encore à domicile, peuvent vraiment changer les choses.

J'ai beaucoup aimé vos questions.

Le sénateur Roche: Merci aux témoins pour leurs excellents témoignages.

Docteur Conn, pourriez-vous nous parler un peu de la Coalition canadienne pour la santé mentale des personnes âgées? Je constate que votre conseil et votre comité directeur est composé de tout un aréopage de professionnels de la santé et je vois ici quels sont vos objectifs. Quand avez-vous été créé et comment fonctionnez-vous?

Le Dr Conn: Il s'agit d'une organisation relativement récente, puisqu'elle a été créée en avril 2002. Nous avons tenu une conférence nationale à Toronto sur les lacunes constatées dans le domaine des services de santé mentale pour personnes âgées, surtout dans le cas des établissements de soins de longue durée. Près de 90 organisations de partout au Canada ayant pris part à l'événement, nous estimons qu'il a été réussi. La réunion fut très intéressante. Nous avons appliqué le concept dit «espace ouvert», qui nous a permis une interaction complète pendant deux jours. Chaque participant a été invité à imaginer un dossier auquel nous avons réservé un temps de discussion. Nous avons optimisé la participation de tout le monde, des clients aux associations professionnelles en passant par les autres. À la fin de la réunion, nous avons conclu qu'il fallait mettre sur pied une coalition nationale afin de travailler sur ces questions et nous avons unanimement convenu qu'il fallait agir dans ce sens.

Nous avons eu le bonheur de bénéficier de l'appui de Santé Canada dans l'organisation de cette conférence, puis dans la mise sur pied de la coalition.

Le sénateur Roche: Un appui financier?

Le Dr Conn: Nous avons fini par faire une demande au Fonds pour la santé de la population et obtenu une subvention.

Le sénateur Roche: Avez-vous un bureau?

Le Dr Conn: Non, pas vraiment.

Le sénateur Roche: Avez-vous un directeur général?

Le Dr Conn: Nous avons une directrice de programme, Shelly Haber, qui est une personne merveilleuse et qui nous aide beaucoup.

Au début, c'est l'Académie canadienne de psychiatrie gériatrique qui s'est occupée de tout. C'est l'Académie qui a payé pour le salaire de cette conseillère en soins de santé, qui est une personne merveilleuse. C'est grâce au fonds initialement versé par l'Académie que nous avons pu mettre tout cela en place.

Le sénateur Roche: La Coalition canadienne pour la santé mentale des personnes âgées a été créée, comme vous l'avez dit, en 2002. Faut-il y voir une reconnaissance du niveau croissant de connaissance et de préoccupation des professionnels de la santé dans le domaine de la santé mentale des personnes âgées?

Le Dr Conn: Sans aucun doute. Nous avons beaucoup de chances de compter à notre comité directeur des représentants de 12 organisations nationales. Nous avons aussi la chance de pouvoir compter sur des fonds de l'industrie.

Le sénateur Roche: Sur le plan structurel, pourriez-vous mettre en œuvre des programmes d'éducation et d'information si nous en faisions la recommandation?

Le Dr Conn: Je pense que oui, parce que nous comptons des représentants de toutes les associations et organisations importantes. Moyennant un certain appui, nous pourrions faire beaucoup.

Le sénateur Roche: Monsieur Rudin, pouvez-vous m'expliquer la différence entre la démence et la maladie d'Alzheimer? Ai-je tort de penser que la démence est beaucoup plus répandue que la maladie d'Alzheimer? Est-ce que l'une débouche automatiquement sur l'autre?

M. Rudin: Non. La maladie d'Alzheimer est une forme de démence, mais il y en a bien d'autres. Il y a la démence vasculaire, la maladie de Pick, le syndrome frontal et ainsi de suite. La maladie d'Alzheimer est la plus fréquente. Près des trois quarts des 360 000 Canadiennes et Canadiens atteints d'une forme ou d'une autre de démence, les trois quarts souffrent de la maladie d'Alzheimer. La démence est la catégorie générale, tandis que la maladie d'Alzheimer est un diagnostic particulier.

Le sénateur Roche: L'incidence de l'Alzheimer et de la démence est-elle en augmentation?

M. Rudin: Oui, monsieur.

Le sénateur Roche: Cela peut s'expliquer à cause de l'augmentation du nombre de personnes âgées, mais l'incidence de la maladie elle-même est-elle en augmentation?

M. Rudin: L'incidence et la prévalence sont en augmentation. Le nombre de personnes atteintes de la maladie et les données démographiques qui expliquent la maladie ne font que compliquer le problème.

Le sénateur Roche: Oublions pour un instant les données démographiques et dites-moi quels sont les principaux facteurs, en ce qui concerne l'incidence et la prévalence de la maladie elle-même, qui sont à la source de ce problème chez les personnes âgées.

M. Rudin: J'aurai espéré pouvoir vous dire quels facteurs entrent en jeu, sénateur. Nous avons à faire à une maladie très compliquée. Il y a bien sûr des facteurs génétiques. Il peut aussi y avoir des facteurs environnementaux. Quoi qu'il en soit, une grande partie du travail de recherche actuel consiste à essayer de répondre à ces questions pour que nous puissions éviter ou prévenir la maladie.

Le sénateur Roche: Pour ce qui est de la question de la sexospécificité, peut-on affirmer que l'incidence de ces maladies est supérieure chez les femmes que chez les hommes? Pourtant, Mme Gibson — à qui je m'adresserai dans un instant — nous a dit que les hommes présentent des comportements beaucoup plus autodestructeurs que les femmes. Pourrait-on dire, de façon générale, que les hommes s'occupent moins d'eux-mêmes que les femmes, à cause précisément du genre de comportement qu'ils affichent? Comment expliquez-vous que cette incidence soit supérieure chez les femmes, tandis que les hommes prennent moins bien soin d'eux-mêmes?

M. Rudin: Je ne pourrai vous répondre qu'à l'aspect quantitatif de votre question en vous disant qu'en moyenne les femmes vivent plus longtemps que les hommes et qu'elles sont beaucoup plus nombreuses que ceux-ci. Quant aux questions de comportement destructif et de science connexe, je vais laisser à mon éminent collègue le soin de vous répondre, parce que je ne le sais pas.

Mme Gibson: Nous ne savons pas encore dans quelle mesure le fait de «s'occuper de soi» permet d'éviter l'Alzheimer. Nous ne pensons pas que les comportements autodestructeurs préviennent l'Alzheimer, nous n'irons pas aussi loin. Nous ne savons pas dans quelle mesure le fait de s'occuper davantage de soi et d'afficher des comportements sains peut permettre d'éviter la maladie. Les comportements autodestructeurs expliquent les taux de suicide plus élevés constatés chez les hommes et chez les hommes âgés. On constate une augmentation du taux de dépression chez les femmes et du taux de suicide chez les hommes en réaction à des crises ou à des bouleversements émotionnels.

Le Dr Conn: Il est assez intéressant, sur le plan statistique, qu'il est très rare que les hommes demandent de l'aide quand ils sont très déprimés, ce qui peut expliquer leur taux de suicide. Ils ne parlent à personne. Ils trouvent très difficile d'admettre qu'ils ont des problèmes psychologiques. Qui plus est, quand un homme est suicidaire, il a tendance à choisir des méthodes beaucoup plus radicales dans une tentative de suicide. Par exemple, il est plus susceptible de se pendre ou d'utiliser une arme quelconque, tandis que les femmes opteront pour des surdoses, même si elles sont faibles.

Le sénateur Roche: Docteur, et vous mesdames et messieurs du panel, est-ce que nous vous rendrions service si nous faisons ressortir le problème de l'incidence croissante de la maladie mentale chez les personnes âgées? Mme Gibson nous a donné un exemple très intéressant en parlant de la génération «sandwich», quand elle nous a dit qu'il s'agit de personnes de 65 à 70 ans qui s'occupent de leurs parents. C'est un nouveau phénomène auquel notre société se trouve confrontée. Nous n'y avons peut-être pas assez réfléchi. Je vais m'arrêter là. J'espère que nous pourrons y réfléchir un peu dans notre rapport.

Mme Gibson: Dès qu'on se rend compte que c'est ce qui se passe, les choses deviennent intéressantes. Dans les établissements de soins de longue durée, il n'est pas question de supprimer des formulaires d'admission la question «Avez-vous un parent vivant?», parce qu'il est tout à fait envisageable que des personnes admises dans ce genre d'établissement aient elles-mêmes des parents dans une institution de ce type.

Le sénateur Cook: À la façon dont notre pays fonctionne, comment envisagez-vous la mise en œuvre un plan d'action national, étant donné que la santé est de responsabilité provinciale et qu'un programme national émanerait, par définition, du gouvernement fédéral? Ce sera très important pour nous.

Le Dr Conn: Le problème que pose l'application d'un plan d'action national dans le traitement des maladies mentales est la prestation de soins de santé dans le domaine, puisque, comme vous l'avez dit, tout cela relève des provinces et des territoires. Le gouvernement fédéral peut jouer un rôle fondamental en établissant des normes et des lignes directrices nationales auxquelles, nous l'espérons, les provinces adhéreraient. Pour que l'exercice aboutisse, il faudra que les provinces et les territoires soient invités à participer au processus.

Plusieurs de mes collègues d'autres organisations nationales, comme l'Association canadienne de psychiatrie et l'Association canadienne de maladies et de santé mentale appuient tout à fait l'idée d'un plan d'action national. Notre coalition y serait aussi favorable. Nous sommes conscients de l'existence de difficultés d'ordre logistique. Je n'ai pas de réponse à cette question, sénateur. Nous devrons faire appel à des spécialistes qui comprennent le processus politique canadien afin qu'ils nous aident à naviguer dans ces eaux.

Le sénateur Cook: Pour cela, il faudrait organiser une conférence des premiers ministres sur la santé ou quelque chose du genre. Pour que l'exercice soit vraiment national et mis en œuvre par tout le monde, il faudrait que toutes les provinces et tous les territoires y adhèrent. Je pense que ce sera difficile.

Le sénateur Léger: Madame Gibson, vous avez dit que 80 à 85 p. 100 des personnes âgées sont en bonne santé. A-t- on effectué assez de recherches et d'études sur le bien-être des personnes âgées? Est-ce que 80 ou 85 p. 100 du financement est consacré à la recherche sur les personnes âgées qui sont en bonne santé? Ces gens-là auraient peut-être des idées à nous communiquer. Je ne parle pas ici de problèmes cérébraux, parce que c'est autre chose.

Quand nous parlons de «santé mentale» et que vous parlez de dépression et autres, êtes-vous certain que suffisamment d'études ont été effectuées sur le bien-être des personnes âgées? Pourquoi ces personnes-là sont-elles bien? Pourront-elles continuer à l'être?

Docteur Conn, si je comprends bien, 80 p. 100 des personnes ayant des problèmes de santé mentale sont en institution. J'en conclus donc que le problème est celui des institutions.

Ma dernière question touche au domaine de Mme Bruto. Les différences culturelles et linguistiques sont fondamentales. A-t-on effectué suffisamment de recherche et a-t-on suffisamment insisté sur cet aspect?

Mme Gibson: On prend de plus en plus acte de l'importance qu'il y a d'étudier les personnes qui vieillissent bien et en bonne santé. L'une des initiatives importantes qu'il convient de mentionner à cet égard est l'Étude longitudinale sur les personnes âgées lancée par l'Institut du vieillissement des instituts canadiens de recherche en santé. Cette étude est en cours d'élaboration et elle sera ciblée sur les cohortes de personnes âgées, de personnes qui vieilliront au cours des 20 prochaines années afin d'essayer de répondre aux mêmes questions que celles que vous avez posées. Il s'agit-là d'une mesure et d'un engagement considérables envers le constat suivant: l'évolution démographique au Canada confirme que la population vieillit et que nous ferions mieux de savoir exactement ce que signifie le fait de vieillir bien.

Il y a une légère opposition entre, d'un côté, l'insistance placée sur un vieillissement en bonne santé et, de l'autre, celle mise sur la maladie, situation qui est relativement problématique parce qu'on part de l'hypothèse que les personnes souffrant d'Alzheimer, par exemple, doivent être automatiquement exclues du nombre des personnes âgées en «bonne santé».

Nous devrons donc déterminer ce qui constitue un vieillissement en santé dans le cas de personnes souffrant de maladies chroniques pour lesquelles nous ne connaissons pas encore de remède: ceux qui souffrent d'Alzheimer, ceux qui ont besoin de services de soins de longue durée pour des états associés à des douleurs chroniques, par exemple, et ceux et celles qui souffrent de troubles comportementaux, comme le syndrome de Down. Nous ne voulons pas dire que le fait de vieillir sans problème doit consister à ressembler le plus longtemps possible à une personne de 45 ans. La norme établie doit tenir compte des étapes du développement que nous franchissons dans une vie. Nous devons mieux comprendre ce que constitue le fait de vieillir dans de bonnes conditions afin de permettre aux segments de la population qui n'ont pas tout pour eux de vieillir de façon à connaître la meilleure qualité de vie possible.

Nombre de recherches ont été entreprises afin d'élaborer des traitements et des programmes de prévention dans le cas de maladies comme l'Alzheimer qui affectent les personnes âgées. Cette recherche vise aussi à mieux comprendre la notion de vieillissement en bonne santé. Il faudra continuer d'effectuer de telles recherches et d'émettre des concepts afin de jeter un pont entre ces deux réalités pour éviter qu'un groupe de personnes âgées soit laissé pour compte et pour qu'il soit possible d'offrir des services à ceux et à celles qui vieillissent en bonne santé. Nous devons faire la promotion de la santé auprès de ceux et de celles qui présentent des handicaps évidents.

Le sénateur Léger: J'aurais pensé que la personne âgée «en bonne santé» n'aurait pas eu besoin de beaucoup d'aide.

Mme Gibson: Si vous n'avez pas besoin d'aide, c'est merveilleux. Toutefois, on ne peut affirmer que ceux qui se portent bien représentent la norme idéale tandis que les autres bénéficieront de toutes nos attentions sur le plan des traitements. Il faut savoir ce que signifie exactement le fait de bien vieillir, avec une qualité de vie optimale, dans le cas des personnes souffrant de déficience cognitive ou de maladie chronique, ou encore de celles qui sont à cheval entre les deux groupes. Quelqu'un, par exemple, pourrait ne tomber dans aucune des deux catégories parce qu'elle ne pourra pas jouer au golfe, même si elle n'est pas complètement handicapée. À quel groupe appartiendrait-elle dès lors? Je prétends qu'elle se retrouverait dans le segment de population actuellement négligé par la recherche.

Le sénateur Léger: Ma remarque ne tenait qu'au bon sens. Jadis, il y avait le patriarche et la matriarche. Aujourd'hui, tout tourne autour de la société. C'est un problème social fondamental.

Mme Gibson: L'autre élément fondamental tient au fait que c'est la première fois dans l'histoire qu'un aussi grand nombre de personnes parvient à un âge avancé. Nous n'avons jamais connu ce phénomène auparavant. C'est une chose que de tenir compte des patriarches et des matriarches quand il n'y en a pas beaucoup, mais il faut savoir comment la société va s'adapter à leur nombre grandissant. Nous ne le savons pas encore.

Le Dr Conn: Pour ce qui est des 80 p. 100, je voulais dire que la prévalence des maladies mentales dans les établissements de soins de longue durée est particulièrement élevée, puisqu'elle peut atteindre 80 p. 100. Au sein des collectivités, on dénombre également un grand nombre de maladies mentales, mais les taux sont nettement moindres, puisqu'ils oscillent sans doute dans les 20 p. 100. Pour bien des maladies mentales, la prévalence est la même chez les personnes jeunes. Les taux de dépression, par exemple, chez les personnes âgées qui continuent à vivre dans leur collectivité, est à peu près la même que chez les personnes plus jeunes. Dans les établissements de soins de longue durée, l'incidence de la dépression est très élevée. C'est cela que je voulais dire. Il est certain que, dans les collectivités, on dénombre énormément de maladies mentales et de démence, comme M. Rudin le disait. Le problème n'est pas uniquement concentré dans les établissements, mais il y est très important.

Le sénateur Léger: Pouvez-vous me dire ce que vous pensez des différences culturelles et linguistiques?

Mme Bruto: Les obstacles culturels et linguistiques sont un énorme problème sur le plan de la détection des difficultés associées à la dépression, à l'anxiété et aux déficiences cognitives. Il est question de comprendre le contexte et les problèmes culturels. Il ne s'agit pas simplement de déterminer comment ces phénomènes s'expriment dans le pays d'origine. C'est parce que, très souvent, les personnes qui viennent au Canada et qui deviennent canadiennes sont différentes de ce qu'elles étaient dans leur pays d'origine. D'un autre côté, elles ne ressemblent pas non plus aux autres composantes de notre mosaïque. Elles sont, en quelque sorte, assises entre deux cultures. Cela pose le problème très délicat du diagnostic des problèmes mentaux. Voilà pour ce qui est uniquement des problèmes culturels.

La chose se complique à cause des obstacles linguistiques pouvant exister entre le médecin et le patient qui requiert des services cliniques. Il est extrêmement difficile d'évaluer une personne afin de déterminer si elle se situe dans les limites normales sur les plans de la mémoire, de l'humeur, du ton affectif et du niveau d'agitation, quand on ne comprend pas la base normative. Il est beaucoup plus difficile de le faire quand on ne peut recueillir les informations voulues directement du patient et qu'il faut s'en remettre à des traducteurs et à des interprètes. On fait appel à des interprètes quand on traite un cas répertorié et que l'on se fonde sur son expérience clinique pour le reste. La documentation spécialisée indique que si l'on doit recourir à un traducteur ou à un interprète, on risque beaucoup de se tromper qu'autrement. C'est un énorme problème.

Le sénateur Léger: J'espère que vous en parlez, parce que nous accueillons un nombre grandissant d'immigrants, année après année.

Mme Bruto: Le mieux que nous puissions faire est de mettre à contribution des médecins pouvant parler la langue. Mais c'est un pis-aller.

Le sénateur Fairbairn: J'ai deux ou trois remarques à faire. J'ai été surpris par l'idée que, sans doute pour la première fois de notre histoire, les personnes âgées de nos familles parviennent à un âge caractérisé par un grand nombre de maladies de ce type. À l'époque des pionniers — quand les gens décédaient beaucoup plus jeunes — nous ne connaissions pas vraiment ces maladies.

Dans votre document, docteur Conn, vous parlez d'âgisme et du fait que les gens croient à tort que les problèmes de santé sont normaux chez les personnes âgées et qu'il n'y a rien à faire à ce sujet. Puis, vous parlez de stigmate. Nous avons beaucoup entendu ce mot lors de nos réunions. Les stigmates peuvent être rattachés à la personne qui sait que quelque chose ne va pas, mais qui ne veut pas s'exprimer. Il y a aussi le stigmate que l'on trouve dans la famille qui a honte ou le stigmate au sein du système de santé, les gens préférant ne pas se retrouver dans des établissements de soins de longue durée ou autres.

Toute ma vie, j'ai baigné dans les communications. On dirait que nous avons énormément d'occasions qui nous sont offertes pour régler ce problème. Tous ceux et celles qui sont assis ont connu des expériences personnelles qui se sont rappelées à eux à l'occasion de ces audiences.

Nous devons aider les gens à comprendre la réalité de ceux et de celles qui souffrent de maladies cognitives différentes — peut-être à des âges différents. C'est là quelque chose de fondamental pour progresser. Comment y parvenir? Quel effet cela pourrait-il avoir sur les personnes actuellement traitées?

Je vais me fonder sur ma propre expérience à titre d'exemple. Ma mère était une matriarche qui a vécu assez vieille pour souffrir de tous ces maux. Elle arrivait sur ses 93 ans quand elle est décédée. Elle était la fille d'un pionnier. Dans ses dernières années, elle a connu de nombreux problèmes de santé: durcissement des artères, démence, Alzheimer — ce qui n'est pas certain parce qu'à l'époque, seule l'autopsie permettait de confirmer ce diagnostic.

En rétrospective, je dois dire que je n'ai pas compris ce qui s'est passé. Si j'avais été plus au courant, j'aurais pu l'aider, aider les autres membres de ma famille et même m'aider personnellement à réagir un peu mieux et à trouver une façon de réclamer une aide extérieure. C'est exactement le même genre de questions que bien des gens se posent, j'en suis certaine, quand ils essaient de composer avec ce genre de situation chez eux ou dans un établissement de soins de longue durée.

Quand on songe à tous les moyens de communication, je me demande ce que pourrait faire la coalition pour communiquer l'information? Comment pouvez-vous faire savoir aux gens qu'il existe des moyens pour améliorer les choses? Comment leur dire que, si ces moyens échouent, il existe de bien meilleures façons de faire face aux difficultés, surtout dans le cas d'une personne qui devient incohérente. Je me demandais si vous aviez réfléchi à tout cela.

M. Rudin: Le problème des stigmates a été le point central de notre dernière campagne de sensibilisation parce que, comme je le disais — et comme vous l'avez si bien présenté — il s'agit-là d'un énorme problème.

Au fil des ans, nous avons insisté sur la notion d'éducation et d'information. Nous avons mis l'accent sur la fréquence de la maladie et sur le fait que les gens peuvent se prévaloir de l'aide qui existe. Nous avons fait la promotion des services offerts par des organisations comme la Coalition — l'existence de groupes d'aide, de groupes de soutien et de médecins qui travaillent dans un domaine bien particulier.

Il existe aussi toute une gamme de produits d'information. Les gens consultent notre site Web ou les informations que nous publions par ailleurs. Nous donnons des renseignements sur des aspects que les gens veulent connaître mais à propos desquels ils craignent poser des questions. Ils peuvent accéder à cette information en tout anonymat et dans le respect de leur vie privée. Nous devons insister sur la sensibilisation et sur la communication d'information concernant l'aide disponible.

Par ailleurs, un nombre incroyable de personnes sont aux prises avec ce genre de problème et nous comprenons les raisons de leurs peurs. Nous essayons de les alléger en mettant en œuvre les moyens que j'ai indiqués. Votre question est délicate. Après vous avoir dit tout cela, je ne pense pas un seul instant que les gens se disent: «Voilà qui règle les stigmates, je sens que tout va bien à présent».

Si un remède se présentait à l'horizon, je crois que les stigmates — du moins dans le cas de l'Alzheimer et de la démence — seraient bien plus faciles à éliminer que dans d'autres domaines dont vous avez entendu parler. C'est en fait par la sensibilisation, l'éducation, l'information et la mise à disposition de ressources que nous parviendrons à régler ce problème.

Le sénateur Fairbairn: Quelle est l'importance de vos troupes sur le terrain? Sur combien de personnes pouvez-vous compter, étant donné ce que vous avez dit au sujet de la campagne que vous menez et de l'utilisation de moyens de communications électroniques pour faire passer vos messages, afin d'intervenir auprès des différents groupes sur le genre de chose dont vous nous avez parlé aujourd'hui?

M. Rudin: Nous avons notre bureau, qui est l'organisation fédérale. Il y a aussi des sociétés provinciales et, dans chaque province, il y a des sections locales et des groupes de soutien dans les municipalités — dont certains sont très importants comme à Toronto, Montréal et Vancouver, tandis que d'autres sont moins gros et se réunissent dans les sous-sols d'église des petites collectivités ou dans les maisons d'un intervenant. C'est ce que nous faisons à la société.

La Coalition fait aussi un important travail. Nous comptons quelque 200 employés en tout, partout au Canada, mais nous avons aussi des milliers et des milliers de bénévoles qui font partie de groupes de conférenciers et d'autres personnes qui ont touché la maladie du doigt — comme vous — et qui sont prêtes à en parler.

Dans mon mémoire, je parle de deux personnes atteintes de la maladie. Elles font partie d'un groupe de gens qui, comme elles, souffrent de cette maladie et qui sont prêtes à en parler, à faire part de leur expérience et à expliquer ce qu'il leur arrive. C'est tout nouveau comme concept. De nouveaux groupes se créent un peu partout au Canada. En août, nous avons une réunion en Ontario à laquelle ces gens-là ont participé. Nous comptons attirer à nos conseils d'administration des personnes souffrant d'Alzheimer. C'est un des buts sur le plan de la sensibilisation et des ressources disponibles pour fournir l'information. Quand nous serons parvenus à trouver un remède, la nouvelle se répandra très vite, mais pour l'instant voilà le genre de ressources dont nous disposons et voilà comment nous pouvons aider ceux et celles qui en ont besoin.

Le sénateur Fairbairn: Je m'en voudrais de ne pas mentionner le nom d'un de nos anciens collègues, Maurice Dionne. Il a été l'un des premiers à parler, puisque, il n'avait même pas fini son mandat qu'il prenait déjà la parole ici et là pour expliquer ce qui lui arrivait. Il a continué ainsi le plus longtemps possible. C'était une communication très efficace.

M. Rudin: Quand j'ai intégré la Société Alzheimer, j'ai eu ma première réunion avec Maurice Dionne et son épouse Precille. M. Dionne venait juste d'annoncer au premier ministre qu'il ne se représenterait pas parce qu'il était atteint de la maladie d'Alzheimer. Il a organisé notre premier petit-déjeuner sur la colline parlementaire afin d'essayer d'attirer l'attention sur cette maladie et expliquer qu'elle peut frapper n'importe qui.

Le sénateur Fairbairn: J'étais là.

M. Rudin: Nous lui avons été très reconnaissants. C'est la toute première personne qui a officiellement annoncé: «Je suis atteint de la maladie.» Je me rappelle sa réponse quand quelqu'un lui a demandé ce qu'il ressentait. Il a dit que sa mémoire était comme une passoire. Cela en a frappé plus d'un.

Le sénateur Fairbairn: Il a dit aussi qu'il rencontrait toujours «un grand nombre de nouveaux amis, tous les jours».

Le sénateur Keon: Vous êtes face à une tâche énorme et les solutions sont minces par rapport à l'ampleur du problème. Il est intéressant de constater, à partir des témoignages d'aujourd'hui, que pour parvenir à un véritable résultat nous soyons condamnés à nous en remettre à des organisations. On parle sans cesse de «plan d'action» au sujet des maladies mentales. Il est certainement important de bâtir des organisations comportant des installations et du personnel, mais l'excès d'organisation est parfois pire que rien.

Je suis par ailleurs étonné de constater que malgré toutes ces sociétés, vous n'avez pas encore véritablement ciblé les maladies en question. Les véritables progrès réalisés dans le passé dans les domaines de la santé, de la médecine et des sciences médicales sont survenus quand les maladies ont atteint des proportions épidémiques. C'est à ce moment-là qu'on s'est mis à les cibler et à obtenir de véritables résultats. Les exemples du genre abondent, comme avec la polio, la tuberculose et, plus récemment, les maladies cardiaques ou, à un moindre degré, le cancer.

J'aimerais que nos témoins nous disent quelle cible nous devrions établir. Je comprends aussi parfaitement le problème des stigmates. Vous ne voudrez sûrement pas bâtir un institut de la maladie d'Alzheimer auquel les gens devront se rendre spécifiquement. D'un autre côté, c'est peut-être ce que vous voudrez faire.

Comment organiseriez-vous la recherche et les programmes d'éducation et d'information, de même que vos programmes de prévention, de diagnostic, de traitement thérapeutique et de développement pour certaines de ces entités énormes? Prenez la maladie d'Alzheimer, par exemple. La meilleure solution consiste-t-elle à s'en tenir au cadre actuel? Par exemple, on pourrait améliorer les soins primaires et d'autres aspects. Serait-il mieux de tout recommencer et de ne pas se focaliser?

Le Dr Conn: Merci. J'ai aimé votre allusion au fait que tant qu'une maladie n'atteint pas des proportions épidémiques, on n'intervient pas véritablement. Or, on parle d'épidémie silencieuse pour décrire les maladies mentales des personnes âgées. Il s'agit bien d'une épidémie, mais elle n'a pas l'effet dramatique d'une polio, par exemple.

Le problème existe et il est grave. Il n'est pas nécessaire de refaire tout le système. Nous disposons déjà d'un grand nombre d'éléments. Il nous faut simplement nous prévaloir de toute la gamme des services, de la prévention aux soins de fin de vie.

Nombre d'éléments sont déjà en place. Il nous faut maintenant appliquer une approche davantage coordonnée, davantage intégrée. Nous avons tendance à travailler en isolation, les uns les autres, et nous n'avons que peu de lien entre nous, surtout dans les grandes villes. Il est souvent difficile aux prestataires de soins de naviguer dans les villes qui offrent de bonnes ressources. Il est difficile pour les fournisseurs de soins de travailler en commun, parce qu'il n'existe pas vraiment d'approche coordonnée.

Il est certain que des personnes s'opposent à un excès d'administration. Il arrive parfois, au Canada, que nous appliquions des approches qui ne sont pas suffisamment coordonnées. Il ne fait aucun doute que les grandes villes comme Toronto abondent de ressources, mais il n'y a pas de cerveau central qui organise le système.

Pour obtenir plus d'argent aux fins d'éducation, d'information et de recherche, nous ne pouvons que nous tourner vers les organismes de financement et espérer les convaincre qu'il s'agit de problèmes graves auxquels il convient de s'attaquer afin de changer les choses.

Il existe des traitements efficaces, mais le problème est de les faire connaître et de les mettre à disposition de la population. Il existe de merveilleux traitements pour la dépression. Il existe des traitements pour les maladies psychotiques. Récemment, nous avons vu apparaître des traitements pour les démences comme la maladie d'Alzheimer.

Il est extraordinaire d'évoluer dans le milieu de la santé mentale en gériatrie. Il suffirait de mettre les ressources à disposition et de pouvoir compter sur suffisamment de ressources pour intervenir dans tous les points de notre vaste territoire.

Mme Gibson: De plus, je ne pense pas que nous parviendrons à régler ce problème à moins de nous attaquer à l'âgisme. Celui-ci définit notre prédisposition à accroître nos ressources dans le domaine. Si vous estimez qu'il n'y a pas grand chose à tirer de cela, si l'on pense que tous ces problèmes dont nous venons de parler font naturellement partie du processus de vieillissement et que l'on ne croit pas qu'il leur reste beaucoup de temps à vivre de toute façon, on ne mobilisera jamais les ressources dans le sens d'une intervention. À un niveau ou à un autre , nous devrons nous attaquer de front à l'âgisme.

De plus, nous devrons réfléchir et présenter les avantages que l'amélioration de la gestion de ce genre de problèmes pourrait présenter pour notre société. Nous devons expliquer les avantages sur le plan économique, avantages qui doivent revenir au système de soins de santé et aux familles, et nous devons expliquer en quoi ces avantages permettent d'augmenter la proportion de personnes âgées qui vieilliront en bonne santé et qui demeureront productives dans les dernières années de leur vie.

Ceux d'entre nous qui travaillent dans ce domaine doivent faire davantage pour expliquer qu'il sera payant pour tout le monde, à long terme, de s'attaquer à cette épidémie silencieuse et de la maîtriser. Pour cela, il faudra expliquer de façon convaincante les avantages que nous pourrons en tirer et présenter les préjugés à l'endroit des personnes âgées. Nous ne voulons pas penser à toutes les mauvaises choses associées au vieillissement, parce que nous espérons tous que nous nous retrouverons dans le groupe de ceux et de celles qui vieilliront bien.

Les décideurs qui font carrière dans ces domaines doivent s'élever au-delà de ces préjugés avant de monter les échelons. Il faut éliminer l'âgisme chez les plus jeunes qui seront peut-être les fournisseurs de soins de demain, de même que chez les décideurs qui pourraient donner un coup de main dans ce domaine. Il est évident que nous devons fournir des réponses claires, concrètes et pratiques quant aux avantages qu'il y a de faire un meilleur travail.

Mme Bruto: Il y a plusieurs années, j'ai lu une étude où il était question de l'illusion positive que les gens entretiennent à propos de leur propre vieillissement. Nous pensons tous que nous allons vieillir en parfaite santé et que nous le demeurerons jusqu'au moment du grand départ. Nous sommes convaincus de retirer un maximum de satisfaction jusqu'au moment de notre décès.

Rares sont ceux et celles qui envisagent la maladie chronique dans leur propre processus de vieillissement ou dans celui d'un membre de la famille. Quand on surimpose cette façon de voir aux problèmes pouvant être associés au vieillissement — comme la maladie d'Alzheimer, les déficiences cognitives, la dépression, l'incapacité et la perte — on sent apparaître un certain désespoir qu'il est parfois difficile de combattre, pas uniquement chez le patient — demandeur de service ou non — mais aussi chez les membres de sa famille et chez les médecins traitants. À cause de cela, les gens peuvent hésiter à demander et à accepter de l'aide.

Nous ne gagnerons pas la guerre en ce sens que, tôt ou tard, nous allons tous mourir. Les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer finiront toutes par souffrir de démence. Nous pouvons cependant remporter des batailles mais, pour cela, nous devrons réduire les symptômes et mieux gérer certains des comportements qui entravent la qualité de vie.

Nous pouvons faire certaines choses pour améliorer la situation ainsi que la qualité de vie des patients. Nous devons insister sur la façon dont nous allons remporter la bataille en améliorant la qualité de la vie et pas forcément en y apportant un remède définitif. Le modèle de soins aigus peut ne pas paraître logique puisque la plupart d'entre nous allons souffrir de maladies chroniques.

Nous devons changer d'état d'esprit. C'est ce que nous nous devons faire du côté des décideurs, des administrateurs d'hôpitaux et de la base. Chaque fois que nous travaillons au contact d'un patient, nous devons appliquer des objectifs consistant à améliorer la qualité de la vie plutôt que de chercher à l'optimiser. Il est toujours possible d'optimiser certains éléments et il ne faut certainement pas se retenir d'essayer de le faire. Cependant, nous devrons dans ce cas adapter nos méthodes en vue d'améliorer la qualité de la vie et envisager la chose d'un œil différent.

Deux patients ayant souffert d'AVC peuvent présenter la même lésion — du moins d'après les résultats de la neuroimagerie. Les deux patients peuvent présenter des profils neurospychologiques semblables. Il demeure qu'ils présenteront des tableaux très différents en ce qui a trait à l'ajustement, l'adaptation et leur qualité de vie. Nous devons mieux comprendre les facteurs qui font que telle personne se retrouve dans tel groupe plutôt que dans tel autre.

À cela, nous allons devoir agir de façon coordonnée. Nous savons, à partir de populations comme celles de patients cardiaques ou ayant fait un ACV, qu'il est payant que les personnes participant au processus, à des niveaux différents, appliquent des approches également différentes. Ces approches sont coordonnées au niveau des unités de soins des accidents cardiocérébraux plutôt que dans des hôpitaux. Ces approches coordonnées, où l'on insiste sur l'éducation, la formation et des pratiques fondées sur l'expérience clinique, font une différence.

La présidente suppléante: Merci à nos témoins. Vous avez certainement aidé le comité à approfondir ses connaissances du sujet à l'heure où il continue d'étudier la santé mentale et la maladie mentale.

Le comité se poursuit à huis clos.


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