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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 14 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 6 mai 2003

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, à qui a été renvoyé le projet de loi C-6, Loi constituant le Centre canadien du règlement indépendant de revendications particulières des Premières nations en vue de permettre le dépôt, la négociation et le règlement des revendications particulières, et modifiant certaines lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 9 h 04 pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Thelma J. Chalifoux (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Notre premier témoin ce matin est l'honorable Robert Nault, ministre des Affaires indiennes et du Nord. Il est accompagné de MM. Gilles Binda et Robert Winogron d'Affaires indiennes et du Nord Canada.

L'honorable Robert D. Nault, ministre des Affaires indiennes et du Nord: Madame la présidente, je suis heureux de venir vous parler aujourd'hui du projet de loi C-6, lequel constitue une initiative législative essentielle parce que, bien simplement, cette loi vise à régler des revendications de longue date d'une manière juste et honorable, et parce que le règlement de ces revendications offrira aux Premières nations de multiples possibilités. Comme vous le savez sans doute, les revendications particulières sont habituellement issues de promesses non respectées ou d'un manquement de la Couronne à ses obligations envers les bandes indiennes ayant signé un traité ou toute autre entente, ou à ses obligations aux termes de la Loi sur les Indiens. Vous vous souviendrez aussi que le gouvernement du Canada s'efforce de régler les revendications particulières depuis maintenant 30 ans à l'aide de sa politique sur les revendications particulières. Bien entendu, nous avons connu certains succès dans la mesure où nous avons conclu 246 ententes de revendications particulières au Canada. Ces ententes, d'une valeur totale de 1,4 milliard de dollars, ont permis d'agrandir considérablement l'assise foncière des Premières nations de quelque 16 000 kilomètres carrés, à ce que je sache.

Nous savons depuis longtemps que le processus de négociation et le rythme auquel nous réussissons à conclure des ententes justes et équitables laissent beaucoup à désirer. Pour tout dire, nous n'avançons pas assez vite. C'est injuste pour toutes les parties et en particulier pour les collectivités des Premières nations dont le potentiel demeure inexploité à cause de ces revendications en suspens.

Le gouvernement a donc mis sur pied la Commission sur les revendications particulières des Indiens en 1991 à titre de mesure intérimaire pour aiguillonner le processus de règlement des revendications particulières. La Commission s'est révélée très utile en nous aidant entre autres à mieux comprendre les revendications particulières et la façon de les aborder. Toutefois, les membres de la Commission savaient bien, tout comme nous, que nous avions absolument besoin de quelque chose de mieux pour régler efficacement les griefs du passé et édifier des économies autochtones dynamiques et florissantes, capables de soutenir des collectivités des Premières nations dynamiques et florissantes.

Le processus actuel n'en finit plus et les Premières nations sont préoccupées par les questions d'indépendance, d'impartialité et de reddition de comptes. Non seulement le processus actuel de négociation constitue une source de frustrations pour les deux parties, mais il empêche les Premières nations de réaliser leur plein potentiel. En 1996, nous avons donc établi avec les Premières nations un groupe de travail mixte chargé d'étudier le moyen d'aborder et de régler plus efficacement les revendications particulières. Nous savions que pour régler les quelque 600 revendications particulières en attente avec un minimum de célérité et d'équité, nous devions mettre en place de nouveaux mécanismes et de nouveaux processus. En 1998, le groupe de travail mixte a recommandé la constitution d'un organisme indépendant pour le règlement des revendications particulières. Cet organisme, nous en retrouvons l'essence dans le Centre canadien du règlement indépendant des revendications particulières des Premières nations prévu par le projet de loi C-6.

Ce centre au nom plutôt lourd a une raison d'être des plus sérieuses: servir de mécanisme neutre et transparent pour aider le gouvernement du Canada et les Premières nations à régler les revendications particulières plus efficacement et plus rapidement afin que la Couronne puisse respecter ses obligations et que les Premières nations puissent aller de l'avant et édifier leurs économies et leurs collectivités. Je tiens à souligner que le Centre de règlement des revendications sera un organisme indépendant du gouvernement dénué de préjugés et éloigné des influences. Sous la direction d'un président-directeur général, le Centre comportera deux entités distinctes: une Commission qui facilitera le règlement des revendications particulières et un Tribunal qui tranchera les litiges quand tout effort raisonnable pour négocier une entente et tout mode de règlement extrajudiciaire des désaccords auront échoué. En plus du commissaire en chef et du vice-commissaire en chef, la Commission comprendra cinq membres. De son côté, le Tribunal aura un président et un vice-président ainsi que cinq autres membres. Étant donné que le Tribunal est un organisme décisionnel, la majorité des membres seront des avocats et des avocates.

J'ai demandé aux Premières nations de proposer des candidats à ces postes. Un des éléments clés de la loi proposée est que la Commission aura pleins pouvoirs pour employer toutes les techniques modernes de règlement des différends dont la facilitation, la médiation, l'arbitrage non exécutoire, ou encore, l'arbitrage exécutoire si les deux parties y consentent. La Commission assumera une tâche actuellement confiée à mon ministère, celle de donner aux Premières nations les fonds qui leur permettront de participer au processus de règlement.

Cette mesure constitue une autre façon de faire en sorte que les décisions du Centre soient bel et bien prises de façon indépendante. Ce sera la Commission, et non le ministère, qui financera la participation des Premières nations à ce processus et qui sera responsable de l'affectation des fonds. D'ailleurs, à condition que le Secrétariat du Conseil du Trésor soit d'accord, la Commission établira ses propres critères de financement pour les activités de recherche et de préparation nécessaires à la constitution de dossiers de revendications, ainsi que pour leur traitement tout au long du processus. Ce financement visera entre autres les études techniques et les experts conseils, les consultations communautaires et les dépenses effectuées par les Premières nations pour la soumission et la négociation de leurs revendications particulières.

Honorables sénateurs, j'aimerais réfuter quelques mythes, ou malentendus si vous préférez, au sujet du projet de loi C-6.

Premièrement, le projet de loi n'impose pas de limite financière pour le règlement des revendications particulières. Il impose bel et bien une limite financière de 7 millions de dollars au Tribunal relativement aux décisions exécutoires qu'il peut prendre aux étapes de la détermination de la validité et de la fixation de l'indemnité. Toutes les revendications particulières, quelle que soit leur valeur, pourront être soumises à la Commission et bénéficier de ses services.

Nous avons fixé ce plafond de 7 millions de dollars au Tribunal dans les domaines précités parce que nous savons, par expérience, que la majeure partie des revendications ne dépassent pas ce montant. En décembre dernier, 78 p. 100 des 246 revendications particulières réglées avaient une valeur inférieure à 7 millions de dollars. De plus, un examen des revendications particulières en suspens indique que la majorité pourront être soumises au Tribunal sans outrepasser cette limite.

La négociation d'importantes revendications particulières exige souplesse, imagination et coopération, ce que seule la Commission peut offrir et non le Tribunal. Les services de règlement extrajudiciaire des différends, de médiation et de facilitation fournis par la Commission aideront le gouvernement du Canada et les Premières nations à régler ces revendications. De plus, nous avons prévu un examen des règlements du tribunal qui sera effectué après qu'il aura fonctionné pendant un certain temps, ce qui nous permettra d'y apporter tout changement pertinent.

La deuxième idée erronée porte sur la définition d'une «revendication particulière» en vertu du projet de loi C-6. Le projet de loi C-6 exprime en termes juridiques la politique actuelle sur les revendications particulières. La définition employée dans le projet de loi C-6 reflète l'évolution de la jurisprudence depuis que la politique a été établie, soit en 1972. De plus, cette définition témoigne mieux du type de revendications particulières que les Premières nations présentent de nos jours. Le projet de loi C-6 clarifie les règles du jeu afin que toutes les parties puissent bénéficier des services du Centre.

Bref, je tiens à vous assurer que nous aurons d'autres occasions d'améliorer le fonctionnement du Centre de règlement des revendications. Nous voulons mettre le Centre sur pied et permettre ainsi aux gouvernements du Canada et des Premières nations de déterminer si le Centre a besoin d'outils supplémentaires pour remplir son mandat.

D'ailleurs, nous ferons un examen complet du mandat et de la structure du Centre trois à cinq ans après l'entrée en vigueur de la loi. Cet examen portera entre autres sur l'efficacité et l'efficience du Centre en général, ainsi que sur la Commission et le Tribunal en particulier. Une fois cet examen terminé, le ministre déposera le rapport à la Chambre des communes. Ce rapport comportera des recommandations sur les modifications à apporter à la Loi sur le règlement des revendications particulières dont des modifications à ses fonctions, à ses pouvoirs et à ses responsabilités, ou à ceux de la Commission et du Tribunal.

La Loi sur le règlement des revendications particulières est le fruit d'une longue expérience et de nombreux rebondissements positifs et négatifs — d'une foule d'études et d'examens et surtout, d'un travail acharné. Pour reprendre les propos que le sénateur Austin vous a tenus en mars, «la démarche typiquement canadienne» que nous avons choisie reflète ce que nous avons appris des autres pays alors que nous avons adopté leurs pratiques exemplaires tout en évitant leurs erreurs.

Selon moi, le règlement des revendications particulières est la clé de voûte pour édifier des collectivités et des économies autochtones dynamiques. Le règlement des revendications particulières a déjà suscité des progrès remarquables alors que les Premières nations investissent leurs indemnités dans leurs collectivités et que ces dernières en bénéficient.

Madame la présidente, honorables sénateurs, comme je vous l'ai dit au début, la Loi sur le règlement des revendications particulières constitue une loi d'une importance capitale tant en soi que dans le cadre d'un ensemble législatif destiné à donner aux Premières nations la possibilité d'atteindre rapidement l'autonomie gouvernementale et l'indépendance économique. Parmi ces lois, mentionnons la Loi sur la gouvernance des Premières nations, que vous aurez bientôt l'occasion d'étudier je l'espère, la Loi sur la gestion financière et statistique des Premières nations et la Loi sur la gestion des terres des Premières nations.

La Loi sur le règlement des revendications particulières, comme les autres lois, représente l'équité pour les Autochtones. Nous devons les écouter et entendre ce qu'ils nous disent au sujet du respect de nos promesses, de la reconnaissance de nos responsabilités et du besoin de les assumer pleinement. Nous devons susciter un respect mutuel et établir des relations de confiance afin que les Autochtones puissent jouir de la qualité de vie que tous les autres Canadiens et Canadiennes tiennent pour acquise.

Je vous demande d'adopter rapidement ce projet de loi et je serai ravi de répondre à vos questions.

La présidente: Merci beaucoup.

Le sénateur Stratton: Monsieur le ministre, je vous félicite d'avoir eu le courage de parrainer ce projet de loi. C'est toute une tâche. Pour avoir déjà traité avec Affaires indiennes et du Nord Canada, à la fin des années 70, ainsi qu'avec l'ancien ministre Jake Epp, je comprends vos objectifs.

Nous sommes mal à l'aise lorsque des représentants des Autochtones viennent témoigner devant le comité et nous disent qu'ils sont catégoriquement opposés à ce projet de loi, et aux projets de loi C-7 et C-19. C'est un peu dérangeant d'entendre cela. Lorsqu'on leur demande pourquoi ils sont contre le projet de loi — et on peut d'abord parler du projet de loi C-6 — ils nous disent qu'il est trop mal fait pour être modifié et qu'il serait préférable de le déchirer et de recommencer à zéro. Et ils disent ceci parce que durant les délibérations du groupe de travail, on n'a pas adopté ni pris en compte la plupart de leurs recommandations.

Qu'en pensez-vous? Je trouve que c'est là l'aspect le plus troublant de tout ce processus.

M. Nault: Tout comme vous, sénateur, je trouve malheureux que certains leaders comparaissent devant le comité et proposent le rejet complet d'une série de projets de loi qui, à notre avis, amélioreront leur situation. Je ne peux pas parler au nom de ces leaders, mais je peux vous donner ma propre opinion.

Certains leaders autochtones prétendent qu'ils sont souverains et que le gouvernement du Canada n'a pas le droit d'élaborer des lois sans leur consentement. Nous estimons avoir la responsabilité, tout comme le Parlement, de présenter des mesures législatives qui répondent aux besoins de ces peuples.

Je doute fort que ces leaders-là acceptent les mesures que je vous ai présentées. Cependant, tout comme moi, beaucoup croient que les peuples autochtones du Canada, qui font partie de notre famille constitutionnelle, ont besoin d'institutions fortes pour aller de l'avant.

Je vais prendre l'exemple des institutions qui ont déjà été créées au nord du 60e parallèle. De nombreuses négociations, menées au cours des années dans les territoires, ont permis de mettre au point des structures de gouvernance pour les peuples autochtones — à la fois des structures d'autonomie et de revendications territoriales ainsi qu'une forme de gouvernement public. Si on demandait à certaines personnes ce qu'elles pensent de ces revendications et ententes, elles les qualifieraient également d'inacceptables.

Oui, nous vivons effectivement dans un contexte fertile en opinions divergentes sur certaines questions. Cependant, je crois que beaucoup sont d'avis, tout comme moi, que pour progresser, nous devons mettre en place ces structures institutionnelles et que toute la génération actuelle doit participer au débat pour déterminer la place des peuples autochtones dans notre famille canadienne, à la condition qu'ils croient faire partie de la famille canadienne.

Comme vous le savez, je ne peux négocier la souveraineté. Je n'ai pas de mandat, pas plus que n'importe quel autre ministre du gouvernement, pour négocier ce genre d'entente.

Je crois que la série de mesures législatives que nous avons proposées nous permet de respecter nos obligations à l'égard des peuples autochtones et de consolider notre position, en tant que gouvernement, sur les droits inhérents à l'autonomie gouvernementale au sein de la famille constitutionnelle.

Or, je m'oppose catégoriquement à ceux qui vous ont dit que le projet de loi actuel ne reflète pas le travail du groupe de travail ou ses recommandations. Je vous recommande fortement de comparer les deux. Vous allez constater seulement deux différences, à mon avis.

La première est que, pour respecter la Loi sur la gestion des finances publiques, j'ai dû établir des paramètres pour limiter les coûts. De toute évidence, les peuples autochtones préféreraient qu'il n'y ait pas de limite de 7 millions de dollars imposée au Tribunal. Franchement, moi non plus, parce que le Tribunal aurait plus de poids s'il était plus souple. Cependant, comme le prévoit la Loi sur la gestion des finances publiques, nous devons administrer le budget. Comment y arriver sans limiter les coûts annuels ou sans restreindre l'inflation des revendications particulières? Voilà pourquoi les paramètres existent.

La deuxième différence porte sur la recommandation de nommer conjointement les commissaires et les arbitres. Comme vous le savez, par décret, la prérogative appartient au premier ministre. À ce que je sache, cette prérogative n'a pas été cédée à la légère ni très souvent. J'ai tenté de contourner la difficulté en menant des discussions avec l'Assemblée des premières nations et d'autres leaders et en proposant que nous travaillions en étroite collaboration avec eux pour proposer des noms au premier ministre, comme nous le faisons normalement, et lui permettre à lui ainsi qu'à son Cabinet de prendre les décisions finales. C'est ainsi qu'on procède normalement pour les nominations par décret.

Il me semble que l'autre problème soit une croyance que d'une façon ou d'une autre, la définition d'une «revendication particulière» restreint les gens quand, en fait, nous croyons qu'elle élargit les possibilités de présenter des revendications grâce à la structure législative déjà en place et à la jurisprudence qui s'est accumulée depuis que les revendications particulières ont été présentées en 1973. À notre avis, cette définition est tout à fait utile.

Autrement, je ne vois pas vraiment d'autres différences. Le groupe de travail a dit qu'il faut que la Commission soit indépendante, qu'il faut un tribunal auquel on peut s'adresser, en dernier recours, pour voir si nous pouvons résoudre nos différences. Je peux vous assurer que la structure que nous avons mise en place prévoyait une utilisation minimale du Tribunal, une utilisation de dernier recours. Nous sommes censés négocier, ce qui est le rôle de la Commission, celle- ci a tous les outils à sa disposition et les commissaires sont indépendants. Si vous ne croyez pas que notre gouvernement ou le gouvernement précédent a nommé des gens compétents au sein des différents conseils et commissions de tout le pays, je vous implore de me donner une liste de ceux qui, selon vous, n'auraient pas bien assumé leurs responsabilités. Peut-être pourrions-nous commencer par la vérificatrice générale. Une fois que l'on nomme des gens, ils semblent se révéler extrêmement indépendants et capables de prendre leurs propres décisions, et nous pensons que cette attitude est une garantie de succès.

Je vais faire un bref commentaire. Personne ici, y compris le ministre, ne sait dans quelle mesure ce centre réussira parce qu'il est spécifique au Canada. Il n'a jamais été mis à l'essai nulle part ailleurs. C'est là une autre possibilité unique que nous avons au Canada d'essayer quelque chose qui n'a jamais été tenté auparavant et ensuite d'examiner son fonctionnement après trois ou cinq ans pour voir ce qui en ressort, quels sont les succès et les échecs, corriger les erreurs et améliorer le processus. Nous admettons tous que notre objectif principal est de permettre au système de résoudre plus rapidement des revendications particulières, et que cela ne prenne pas 60 ans, contrairement à ce qu'on m'a dit, uniquement pour résoudre les revendications déjà inscrites dans le système au rythme actuel. Nous devons faire quelque chose de différent, et nous devons le faire selon une démarche typiquement canadienne. Si vous me dites, ou à quiconque ici, que l'on peut m'assurer ou que je peux vous assurer que cette démarche sera un succès, je suis ici pour vous dire que cela n'est pas le cas. C'est la meilleure mesure que nous puissions prendre, nous allons la mettre à l'essai et voir comment elle fonctionne. Sinon, rien n'empêche les Autochtones de prendre une voie différente. Ce n'est pas un tunnel sans issue. C'est un autre outil qui nous permet d'améliorer notre capacité de régler les revendications.

Je vais m'arrêter ici. Vous avez posé une question longue et générale et je vous ai donné une réponse encore plus longue. Si vous me questionnez plus en détail, je vous répondrai plus en détail.

Le sénateur Stratton: On reproche notamment à la mesure d'être paternaliste, comme d'habitude. On parle encore de colonialisme. Je ne vous répète que les commentaires qui nous ont été faits. Au XXIe siècle, il est certain qu'on aurait pu prévoir plus de collaboration en ce qui concerne le processus de nomination. J'ai discuté de cette question avec le sénateur Austin. Au XXIe siècle, peut-être faudrait-il envisager les choses sous un nouvel angle, plus particulièrement en ce qui concerne les nominations à la Commission.

Je me souviens d'avoir travaillé à la Commission canadienne du blé il y a quelques années lorsque les révisions permettaient de tenir des élections libres pour les commissaires — pas pour toute la Commission, mais pour une certaine partie, afin d'assurer une période de transition — et donner ainsi aux agriculteurs une plus grande confiance dans la Commission. Je ne suis pas certain si on a réussi, mais c'est certainement un processus plus démocratique.

J'admets que les commissaires devraient avoir les connaissances appropriées, et vous avez dit que la majorité devraient être des avocats et des avocates, et on peut comprendre pourquoi. Cependant, pourquoi ne permettez-vous pas aux Autochtones de proposer une liste de noms? Je me souviens de la discussion au lac Meech sur les nominations au Sénat au cours de laquelle on proposait que les provinces soumettent une liste à partir de laquelle le premier ministre ferait ses choix. Certes, les Autochtones pourraient faire la même chose ici, et le premier ministre pourrait choisir un certain nombre de commissaires à partir de cette liste de sorte que les Autochtones puissent être bien représentés par des gens en qui ils ont confiance. C'est là l'enjeu fondamental. Le Sénat a reçu un projet de loi concernant la nomination de juges et de sénateurs dans lequel on utilise pratiquement la même idée. Le processus de nomination doit venir de la base. Pourquoi ne pas envisager ce type de processus ici?

M. Nault: Nous l'avons envisagé, et j'ai fait cette offre à l'Assemblée des Premières nations de sorte que le ministre des Affaires indiennes — moi ou mon successeur — travaille avec elle pour établir une liste qui serait présentée au cabinet du premier ministre. J'ai fait cette suggestion à l'APN par écrit pour ce qui est de l'avis que nous donnerions au premier ministre. Cela n'est pas dans le projet de loi, mais c'est certainement dans une lettre. Je suis tout à fait disposé à vous en fournir un double.

J'ai également précisé dans cette lettre d'autres préoccupations qui ont été soulevées. D'après ce que je comprends, quatre d'entre elles ont été abordées dans toutes les lettres qui ont circulé partout au pays. J'ai répondu à ces préoccupations à maintes reprises pour dire que je ne crois pas que le Centre parvienne à changer le processus de nomination par décret, mais cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas influencer le processus décisionnel par le biais du ministre et de l'APN qui feraient ensemble ces suggestions. Cette offre a déjà été faite, sénateur.

Le sénateur Stratton: Seriez-vous disposé à vous engager ici à ce que la liste soumise au premier ministre inclue des noms proposés avec l'accord des Autochtones?

M. Nault: Tout à fait. Cela a été couché sur papier. J'ai déjà envoyé la lettre.

Le sénateur Stratton: Pouvez-vous m'en faire parvenir un double?

La présidente: Le comité recevra la documentation qui sera remise à tous les membres.

Le sénateur Stratton: Monsieur le ministre, ma question est facile mais pas la réponse. On va nous renvoyer trois projets de loi par ordre chronologique, soit les projets de loi C-6, C-7 et C-19. Quels sont les liens entre les trois? Je pense que nous avons besoin d'une vue d'ensemble. Peut-être que vous ou un fonctionnaire du ministère pourriez nous donner un aperçu des liens entre les trois mesures législatives. Si nous voulons bien examiner ce projet de loi et les autres qui nous seront envoyés, nous devons en connaître et en comprendre la nature. J'apprécierais que vous puissiez nous aider ici.

M. Nault: Je peux le faire pour vous. Les liens spécifiques entre les projets de loi C-6, C-19 et C-7 sont leurs objectifs, soit l'établissement d'institutions modernes permettant aux peuples autochtones d'édifier des économies dynamiques. Comme je l'ai dit à bien des gens partout au pays, il faut reconnaître un troisième palier de gouvernement.

Je l'ai répété à maintes reprises. C'est ce que nous appelons la «politique sur l'autonomie gouvernementale». Je suis un peu plus direct dans mon opinion. Si nous avons protégé les droits des Autochtones dans la Constitution et que nous croyons qu'il y a un droit inhérent à l'autonomie politique, nous nous dirigeons de ce fait vers un troisième palier de gouvernement.

Ce troisième palier de gouvernement ne peut se concrétiser sans bâtir les institutions qui conviennent. La plus grande faiblesse dans les collectivités, c'est qu'elles n'ont pas les institutions que nous tenons tous pour acquises.

C'est à se demander pourquoi le succès ne se mesure pas à l'argent que l'on investit dans un projet. Je crois que nous faisons fausse route. Nous devons partir de la prémisse consistant à bien ancrer d'abord les éléments fondamentaux, et capitaliser ensuite sur ces éléments.

Le projet de loi C-6 consiste à nous assurer que nous pouvons travailler en partenariat pour trouver une façon de régler nos différends par la négociation de certaines revendications particulières. Cela n'empêche pas les Autochtones ou le gouvernement de s'adresser au tribunal si nous ne croyons pas qu'il y a suffisamment d'arguments pour justifier une revendication particulière et demander réparation des torts causés dans le passé.

En tant qu'ex-négociateur syndical, je rêve d'avoir tous ces outils qui nous font défaut maintenant pour négocier un règlement. Nous devons toujours procéder par mesure spéciale lorsque nous voulons négocier, et cela coûte cher. Le système envisagé serait construit sur mesure pour nous permettre de travailler ensemble et d'en arriver au résultat que nous recherchons tous, c'est-à-dire le règlement de certaines revendications, petites et grandes.

Les projets de C-19 et C-7 concernent davantage la gouvernance, et leur objectif est d'essayer d'établir les éléments essentiels d'une bonne gouvernance, que ce soit les codes électoraux, l'administration financière ou l'administration pure et simple. Le projet de loi C-19 permettrait d'établir une série d'ententes et de liens touchant l'administration financière.

La relation financière entre les gouvernements est importante. Il n'y a pas de relation financière entre les gouvernements autochtones et le gouvernement du Canada. Le projet de loi sur les institutions financières vise à établir ce type de structure institutionnelle entre nos gouvernements.

On peut dire que si l'on veut que le gouvernement autochtone soit un succès au Canada, il doit avoir le moyen de générer des recettes. Croyons-nous que le gouvernement du Canada va continuer de tout payer? Je ne pense pas que ce soit l'objectif des gouvernements autochtones, ni du nôtre.

On doit être capable de bâtir une économie dynamique. C'est exactement l'objectif des projets de loi C-19 et C-7.

Certains croient que c'est du colonialisme? Il le semble bien. Il faudrait peut-être demander à ces gens ce que cela veut dire aujourd'hui. Moi, cela me dépasse. Je ne sais plus ce que cela veut dire. Tout ce que je sais, c'est que les jeunes Autochtones bien instruits quittent la réserve dès qu'ils le peuvent simplement parce qu'ils n'entretiennent aucun espoir de réussir dans leur collectivité.

Il y a quelques exceptions. En général, cependant, dans les 600 collectivités ou plus que j'ai eu l'occasion de visiter, il y a beaucoup de travail à faire et nous devons structurer des institutions pour que nos projets se réalisent.

Sénateur, je peux vous donner une ventilation et relier tous les points entre eux, comme on dit. Mais en général, madame la présidente, c'est l'objectif de cette série de mesures législatives.

Je tiens à vous assurer qu'il y en aura d'autres. Nous croyons qu'il y a encore beaucoup de travail à faire. Si nous pouvons mener à terme certaines de ces initiatives, nous pourrons commencer à aborder la question des femmes autochtones, dont on parle régulièrement à l'échelle internationale.

Nous devons régler l'un des problèmes les plus criants dans la réserve, c'est-à-dire la définition d'«appartenance». Tôt ou tard, nous allons devoir nous pencher là-dessus. Tel que c'est actuellement inscrit dans la Loi sur les Indiens, aux paragraphes 6(1) et 6(2), il n'y aura plus d'Indiens de plein droit dans certaines collectivités d'ici 20 à 30 ans.

Si c'est vraiment l'intention du gouvernement du Canada, maintenons telle quelle la Loi sur les Indiens et les choses suivront leur cours. Je n'aurai pas à intervenir. Cependant, si nous voulons améliorer la vie des peuples autochtones dans leur culture et leur communauté d'intérêts, nous devons régler ces problèmes. Nous ne pouvons nous en laver les mains chaque fois que quelqu'un n'est pas d'accord.

Je vous dis que c'est la raison pour laquelle je suis ici aujourd'hui et pour laquelle je continue d'occuper le portefeuille. Cela est important pour tout le monde.

Le sénateur Sibbeston: Je viens d'une région du pays où les relations entre les Autochtones et le ministre sont bonnes. Le ministre est souvent venu dans le Nord. En général, l'expérience a été positive.

La semaine dernière, au Comité sur l'énergie, nous avons entendu le témoignage des Premières nations du Yukon. Le grand chef était là. Les représentants ont parlé de leur participation au projet de loi C-2 et au processus d'examen socio-environnemental qui a été mis en place au Yukon.

C'était vraiment agréable de voir le résultat du travail des Premières nations, du gouvernement territorial et du gouvernement fédéral. C'était fort agréable d'examiner ce projet de loi.

J'ai assisté la semaine dernière à la manifestation qui a eu lieu sur la Colline du Parlement. Les Autochtones manifestaient contre le gouvernement au sujet de plusieurs projets de loi qui vont être déposés. J'ai siégé à un comité créé par l'APN. Cela me fait mal de voir la disparité émotive et le conflit qui existent actuellement. Certaines de ces mesures législatives soulèvent de vives réactions.

C'est une expérience nouvelle pour moi. Je suis habitué à de bonnes relations.

Monsieur le ministre, un groupe de travail, je crois, a été créé en 1996 qui a fait son rapport en 1998. Nous avons entendu le témoignage de représentants de l'Assemblée des Premières nations la semaine dernière qui nous ont tracé l'historique de ce groupe de travail et de ses recommandations.

Les gens ont travaillé fort. Ils prétendent que le résultat, c'est-à-dire le projet de loi C-6, va en réalité envenimer la situation. Ces gens disent qu'ils préféreraient garder la Commission actuelle plutôt que d'être assujettis aux dispositions du projet de loi C-6.

Ce témoignage est réellement alarmant. Je ne connais pas tous les détails. Si vous lisiez la transcription des délibérations, l'impression générale qu'on en retirerait serait que ce projet de loi n'est pas adéquat. Il n'améliore pas le système actuel. Les gens sont inquiets de constater qu'une fois les travaux du groupe de travail soumis aux fonctionnaires, de nombreux changements y ont été apportés. Les choses ont été édulcorées. Ce qui en est ressorti est très différent de ce à quoi les gens ont participé. J'aimerais savoir ce que vous en pensez, s'il vous plaît.

Comment convaincrez-vous les leaders autochtones dans le Sud, ceux qui sont contre tout cela? Est-ce que le Parlement adoptera ces mesures législatives et les imposera aux gens, en dépit de leurs hauts cris et de leur résistance à l'adoption des lois?

M. Nault: Nous n'avons pas l'intention d'imposer le projet de loi C-6 à qui que ce soit. C'est un choix qui sera fait à l'égard de certaines revendications particulières. Le Centre pourra accéder à divers outils de négociation. Si vous décidez de ne pas les utiliser, sénateur, vous n'êtes pas tenu de le faire.

Quant à la perception que d'une façon ou d'une autre, on recule, ce n'est pas juste. Je doute beaucoup que quiconque puisse argumenter dans les moindres détails que nous avons empiré la situation.

J'ai répété à maintes reprises qu'il faudra au moins 60 ans, au rythme actuel des progrès qui sont enregistrés, pour régler les revendications en suspens aujourd'hui.

Je doute que quiconque soit capable de vous expliquer en détail comment ce processus viendra édulcorer le système, simplement parce qu'il n'y a pas d'indépendance ni aucune structure qui permette de travailler en partenariat pour atteindre les objectifs de ce projet de loi. À notre avis, vous verrez très peu de différences entre le projet de loi et les recommandations du groupe de travail mixte, sauf pour la structure administrative et les nominations. La différence est négligeable. Je ne comprends pas pourquoi certaines personnes s'y opposent et je pense vraiment que cette mesure législative fera une grande différence.

Sinon, si je voulais faire économiser beaucoup d'argent au gouvernement du Canada, je m'en tiendrais à l'ancien système. Ainsi, nous serions assurés d'un rythme de progrès très lent et d'un petit budget et les choses demeureraient ainsi pendant de nombreuses années. Mais, dans le scénario contraire, c'est-à-dire avec le projet de loi à l'étude, cela accélérerait le règlement des revendications particulières de façon juste et équitable. C'est la raison pour laquelle le projet de loi a été déposé.

Je suis accompagné aujourd'hui d'un collègue qui siégeait au groupe de travail et qui s'intéresse à la question depuis longtemps. Je sais qu'un membre du groupe de travail représentant l'APN a exercé beaucoup de pressions sur vous. Je vais demander à M. Winogron, qui a un point de vue différent, de vous dire comment le groupe de travail a fait son travail et de vous parler de certains des enjeux qu'il a abordés.

M. Robert Winogron, avocat-conseil, Affaires indiennes et du Nord Canada: J'ai participé au groupe de travail mixte dès sa création, et pour tout dire, il existait un autre groupe de travail mixte bien avant. La question a fait l'objet d'études depuis plusieurs années.

Durant les deux années au cours desquelles nous nous sommes intéressés à cette question, nous avons accompli beaucoup de travail, nous avons eu des négociations et débats houleux sur les recommandations finales dans le but d'atteindre nos objectifs. Nous avons vécu une expérience enrichissante et ce qui est particulièrement remarquable, c'est que, en bout de ligne, les recommandations ont toutes été négociées et acceptées.

Dans ce groupe de travail, nous vivions dans un monde optimiste. Ainsi, nous avons convenu que nous tenterions de recommander, par exemple, de n'imposer aucune limite à la valeur des revendications soumises. C'était là l'idéal que nous espérions tous atteindre, mais en fin de compte, nous avons réalisé que cela n'était pas faisable. Les caractéristiques dont le ministre a parlé sont les principales différences, en ce sens qu'il était nécessaire d'imposer une limite. Le processus de nomination était une question politique qui a été abordée différemment. Les grandes caractéristiques de la Commission et du Tribunal, et l'indépendance que procurent ces mécanismes, se retrouvent dans le projet de loi que vous étudiez. Toutes les conditions importantes que garantissent l'indépendance et la reddition de comptes sont dans le projet de loi. Je ne peux que répéter ce qu'a dit le ministre. Nous vous invitons à examiner ces deux caractéristiques et à voir que les conditions importantes, mis à part les différences dont le ministre a parlé, se retrouvent toutes dans le projet de loi.

Le sénateur Sibbeston: Je sais que le problème des nominations pourrait être réglé. J'espère pouvoir apporter un amendement à ce sujet. Mon personnel a examiné le mode de nomination. Il existe des précédents au gouvernement touchant les nominations effectuées par le gouverneur en conseil après recommandation. Dans la plupart des cas, la nomination est faite sur recommandation d'un ministre de concert avec l'organisme intéressé. Cependant, il existe plusieurs cas où les recommandations sont faites par des commissions ou des comités. Elles sont présentées, après quoi le gouverneur en conseil procède aux nominations. Il existe aussi des précédents où le ministre mène des consultations et se laisse influencer par les commissions ou conseils. Monsieur Nault, accepteriez-vous d'effectuer certains changements dans le projet de loi? Les comités sénatoriaux tentent d'améliorer les projets de loi, si possible. J'ai fait ressortir quatre questions qui, à mon avis, pourraient être améliorées, dont le mode de nomination. Je sais que la question a été soulevée à l'autre endroit.

À votre avis, pourrait-on améliorer cette partie du projet de loi sans nécessairement diluer le moindrement l'indépendance du Tribunal? Dans ce cas, comme je l'ai dit au comité, les peuples autochtones n'ont pas le haut du pavé. C'est le gouvernement fédéral qui prend toutes les décisions relativement aux revendications des peuples autochtones. Le gouvernement fédéral est le «gros joueur», en ce sens qu'il a tout l'argent, le pouvoir de nommer qui il choisit et le pouvoir de prendre les décisions. Même lorsqu'il met en place un tribunal indépendant, le gouvernement fédéral se réserve quand même la plupart des pouvoirs et des influences.

En ce qui concerne les nominations, le gouvernement fédéral ne pourrait-il pas céder un peu de terrain en acceptant d'adopter un mécanisme de consultation avec les Autochtones? Dans une certaine mesure, cela satisferait les Autochtones.

M. Nault: Sénateur, vous me placez dans une position difficile parce que la décision ne m'appartient pas; elle s'appuie sur un processus qui existe depuis longtemps — la prérogative du Cabinet du premier ministre. Vous me demandez si j'accepterais de proposer un processus qui prévoit une plus grande participation de nos partenaires, et la réponse est oui. C'est ce qui m'a incité à présenter la lettre au chef national mentionnant que nous serions disposés à travailler avec lui, son administration et ses collègues, pour déterminer s'il existe une façon de présenter conjointement une liste de candidats au cabinet du premier ministre.

Cela ne me pose aucun problème. Comme je l'ai dit, vous me placez sur la sellette parce que je ne sais pas si je serais capable, selon la nature de votre amendement, de convaincre qui que ce soit à l'autre endroit d'être d'accord avec moi. Tout ce que je peux dire, c'est que je souhaite trouver des façons de travailler avec les autorités autochtones pour que les bonnes personnes soient nommées. Comme je l'ai déjà dit aux honorables sénateurs, notre seul intérêt est de régler les revendications à un rythme beaucoup plus rapide. C'est le seul objectif de ce projet de loi.

Si les choses ne fonctionnent pas, si l'on ne respecte pas les commissaires et les arbitres et que tout s'écroule, nous aurons échoué. Et si nous échouons, le gouvernement du Canada trouvera une autre façon de régler le problème. Si le projet de loi échoue parce qu'il ne fonctionne pas, les Autochtones et leurs avocats trouveront une façon de contourner la difficulté. Oui, la Loi doit être efficace et efficiente. «Efficace» s'applique au processus de confiance, et «efficiente» à toute la question qui consiste à nous assurer, sur le plan administratif, que nous respectons la Loi sur la gestion des finances publiques et le budget. Comme l'a dit mon collègue, dans un monde idéal, le projet de loi serait peut-être un peu différent. Mais nous savons tous que nous ne vivons pas dans un monde parfait. C'est ma réponse à une question difficile, même si la question peut sembler facile. Je ne suis pas le seul intervenant lorsque nous présentons un projet de loi.

En tant qu'ex-premier ministre, sénateur Sibbeston, vous savez qu'il existe de nombreux intervenants autour de la table lorsque nous examinons des projets et vous connaissez les résultats. Je ne crois pas qu'il convienne que le ministre dévoile le contenu des discussions qui ont abouti au projet de loi tel qu'il est, sauf pour dire que je veux vraiment qu'il soit efficace.

Le sénateur Sibbeston: Une dernière observation. Ce n'est pas un gros problème que d'amender ce projet de loi pour dire que «le ministre doit procéder aux nominations de concert avec...». Le gouverneur en conseil conserve toujours sa prérogative. Même si c'est une façon de dorer la pilule, les Autochtones l'accepteront peut-être s'ils constatent qu'ils sont consultés.

J'admets que votre lettre vise cet objectif sans l'intégrer officiellement au projet de loi, mais s'il mentionnait «de concert avec...», par exemple, cela aiderait beaucoup à atténuer l'opposition au projet de loi. C'est le genre de chose que j'avais en tête.

Le sénateur Christensen: Madame la présidente, mes questions et mes commentaires seront brefs. Les deux questions que je voulais soulever, c'est-à-dire le groupe de travail de 1998 et la limite, ont été abordées.

Le caractère paternaliste de la Loi sur les Indiens crée une sorte de relation de haine et d'amour, ce qui n'est pas confortable. Je sais que le ministre s'intéresse à la question depuis un bon moment. Nous ne voulons pas maintenir la Loi sur les Indiens, mais en même temps, certains veulent s'y accrocher parce qu'elle donne une assurance et une certitude que l'on ne retrouve pas ailleurs.

Ceux d'entre nous, comme le sénateur Sibbeston et moi, qui nous intéressons aux négociations des revendications territoriales en cours depuis longtemps, constatons cette inquiétude face au changement proposé à cause des impondérables que cela comporte. C'est une réaction naturelle et humaine.

À mon avis, les mesures législatives qui sont proposées vont permettre aux Autochtones de prendre des décisions et de les libérer de certaines restrictions imposées par la Loi sur les Indiens. Ils pourront prendre leurs propres décisions sur la façon dont ils veulent voir les choses évoluer.

Vous avez mentionné qu'il y a d'autres options que le processus de revendications particulières inscrit dans le projet de loi. Pour les fins du compte rendu, pourriez-vous décrire certaines des options qui sont disponibles si l'on ne veut pas adopter ce système?

M. Nault: Je comprends que la loi nous oblige à demander aux Autochtones de choisir les processus de revendications particulières qui sont déjà dans le système. Il en existe environ 600. Nous ne pouvons pas éjecter ces revendications du système et les soumettre au nouveau centre. C'est la Première nation qui doit faire ce choix. De toute évidence, l'autre possibilité, c'est le litige, qui demeure un choix. C'est l'un des divers outils à ajouter à l'arsenal pour accélérer le règlement des revendications.

Si le projet de loi était adopté, nous enverrions une lettre à toutes les collectivités autochtones qui ont déposé une revendication ou une série de revendications pour leur demander ceci: «Qu'est-ce que vous préférez? Voulez-vous conserver le système actuel?» Légalement parlant, nous devons leur poser cette question. Elles auront le choix de travailler avec la Commission, dans l'espoir que cela améliorera notre capacité de régler les choses avec succès, ce que nous n'avons pas réussi à faire jusqu'à maintenant. Bien sûr, la lettre serait rédigée en termes juridiques. C'est l'obligation qui nous incombe actuellement.

Si la Commission et le Tribunal voient le jour, nous les encouragerions alors à soumettre les nouvelles revendications à ce processus. C'est le but de l'exercice.

Nous aurons deux processus en marche pendant un certain nombre d'années — le processus actuel ou la Commission. Tout le monde semble croire que le système actuel est préférable à celui qui est proposé dans le projet de loi. Je ne suis vraiment pas d'accord, mais c'est ce que vous ont dit les gens qui ont comparu devant vous.

Le sénateur Christensen: On nous a beaucoup parlé de la limite. Vous avez expliqué le plafond de 7 millions parce que la Commission est autonome et indépendante et qu'il doit y avoir une limite à sa capacité de dépenser. Cela ne l'empêche pas d'entendre et de régler des revendications qui dépassent ce montant, mais elle devrait obtenir une approbation de fonds spéciale. Est-ce exact?

M. Nault: Les parties doivent demander de s'adresser au tribunal. La revendication est soumise à la Commission, qui négocie. Elle est ensuite présentée au Tribunal selon l'intérêt qu'ont les parties d'y trouver une solution. Elles peuvent même aller jusqu'à demander l'arbitrage exécutoire, et ce serait la solution.

La revendication ne sera soumise au Tribunal que si la Première nation la limite à 7 millions de dollars.

Le sénateur Christensen: Mais qu'adviendra-t-il si elle supérieure?

M. Nault: Si tel est le cas, elle devra être négociée à l'extérieur du processus.

À l'interne, nous avons beaucoup discuté de cette limite de 7 millions de dollars. Mes collègues sourient parce que la bataille a été assez féroce. J'ai proposé que la limite soit insérée dans le règlement et non dans le projet de loi. Elle sera dans le règlement parce que nous voulons l'augmenter s'il s'avère qu'elle mine le succès et l'efficacité du Tribunal.

Nous voulons être capables de soutenir dans trois ans que la limite devrait être de 15 millions de dollars, par exemple. Nous voulons pouvoir prouver que nous respectons quand même la structure administrative et financière et le budget que nous avons établis pour le Tribunal et le Centre de la Commission.

L'examen après trois et cinq ans est important parce que nous ne saurons qu'à ce moment-là à quelle fréquence on a eu recours au Tribunal. Beaucoup de gens qui me donnent des conseils disent que le Tribunal ne sera pas utilisé très souvent. Ce sera un mécanisme de dernier recours parce que le fait de s'adresser à ce tribunal éliminera de nombreux pouvoirs des tribunaux. On s'y adressera dans le but de trouver une solution finale qui sera proposée par les arbitres à l'extérieur des tribunaux.

Cela n'est pas simple pour une Première nation d'expliquer cela à sa collectivité et de faire accepter le mécanisme. On mettra ce résultat final de côté, sauf pour un appel de certaines questions qui seront soumises aux tribunaux.

Le sénateur Christensen: Une limite de 7 millions de dollars a été imposée dans le processus de travail du Tribunal?

M. Nault: C'est exact.

Le sénateur Austin: Comme le sait le comité, je suis le parrain de ce projet de loi. Je suis déjà intervenu au Sénat en faveur de cette mesure législative.

J'aimerais examiner certaines des questions administratives pour tester l'efficacité de ce qui a été présenté dans le projet de loi C-6. M. Pangowish a soulevé l'une des grandes questions dans son témoignage de la semaine dernière. Est- ce que le processus prévu par le projet de loi C-6 est conçu pour inciter les gens à en venir à un règlement?

Je vais poser deux questions. Aura-t-on suffisamment d'argent et assez de personnes pour administrer le processus de règlement des revendications?

Deuxièmement, comment le projet de loi C-6 réduira-t-il le délai imposé au travail de la Commission pour accélérer le processus de règlement?

M. Nault: Je vais peut-être avoir besoin de M. Winogron pour m'aider à répondre à votre deuxième question.

En ce qui concerne votre première question au sujet du financement, sénateur, nous en avons discuté à maintes reprises avec le groupe de travail et avec les personnes qui travaillent toujours ensemble à ce dossier. Nous avons tenu plusieurs réunions au fur et à mesure que le projet de loi a progressé dans les deux chambres. Nous croyons qu'il y aura suffisamment de ressources et que la Commission et le PDG auront toute latitude pour affecter les ressources nécessaires, par exemple, à la recherche et aux consultations sur les revendications.

Notre plus gros problème, c'est de faire accepter une revendication. Nous avons réduit les délais en inscrivant dans le projet de loi une certaine période — je pense qu'au bout de six mois le ministre doit indiquer que la revendication a été acceptée. Si la revendication n'est pas acceptée, il faut expliquer le retard. Actuellement, notre délai moyen est d'environ sept ans avant de prendre une décision sur une revendication. Il existe maintenant une façon d'accélérer la décision du gouvernement. Cette décision sur l'acceptation sera plus conséquente parce que notre ministère et le ministère de la Justice devront respecter des délais pour émettre une opinion sur une revendication.

C'est là une de mes frustrations en tant que ministre. J'écris des lettres de façon régulière à mes collègues du ministère de la Justice pour leur demander l'état de telle revendication et la date de leur avis. Ils invoquent leur faible budget, le roulement de leurs avocats, l'absence d'un responsable du dossier — toutes ces excuses merveilleuses et désuètes pour lesquelles les choses retardent. Cependant, le processus a été établi et nous croyons avoir les ressources financières nécessaires pour régler les revendications de façon plus rapide.

Sauf votre respect, la deuxième question est que nous cherchons à créer un centre d'excellence dans le domaine des revendications. Les personnes qui travailleront pour le Centre et les arbitres connaîtront mieux les revendications de nature semblable, et nous n'aurons pas à réinventer la roue chaque fois qu'on nous soumettra une revendication. Les arbitres et les commissaires auront une bonne idée de la valeur d'une revendication particulière, et nous pourrons la défendre beaucoup plus rapidement, tant au sein du gouvernement du Canada qu'auprès de nos collègues. C'est la raison pour laquelle nous croyons que les choses iront plus vite.

En ce qui concerne les délais, j'aimerais que M. Winogron vous donne le libellé spécifique et les moyens que nous avons proposés pour les respecter davantage.

M. Winogron: Dans le processus actuel, lorsqu'une revendication est présentée, les longs délais sont dus notamment à l'absence de structure officielle pour traiter la revendication. Celle-ci est complète ou incomplète. Dans ce dernier cas, cela prend souvent beaucoup de temps pour la compléter, ne serait-ce que pour faire la recherche.

Une Première nation présente sa revendication. Elle a fait certaines recherches, mais elle peut avoir besoin de poursuivre la recherche au fur et à mesure des discussions. Et ensuite, le gouvernement effectue sa propre recherche pour confirmer les choses. Ce processus est long.

Une fois la revendication complétée, le dossier est soumis au ministère de la Justice qui émettra une opinion juridique. Le dossier est ensuite classé avec les autres dossiers que traite le ministère de la Justice. Ce seul processus est long parce qu'il y a plus de dossiers que d'avocats. Par conséquent, les choses traînent en longueur.

Il faut savoir faire toute une série d'examens internes avant d'émettre une opinion. L'opinion est renvoyée au ministère et transmise au revendicateur — soit qu'elle est acceptée, soit qu'elle est rejetée — et le processus suit ensuite son cours. Si la revendication est refusée, le revendicateur peut la soumettre à la Commission sur les revendications particulières des Indiens qui l'examine; si elle est acceptée, elle passe ensuite à l'étape de la négociation.

Dans ce projet de loi, nous avons essayé de raccourcir chacune de ces étapes. Les revendications vont être traitées en fonction de leur validité — sont-elles valides ou non, et si tel est le cas, quelle est l'indemnisation? Dans ces deux domaines, le processus est amélioré.

À l'étape de la validité, les choses fonctionneront ainsi: nous allons tenir des réunions de recherche conjointes. Les revendicateurs et le gouvernement se réuniront immédiatement, discuteront de ce qui est nécessaire et feront la recherche ensemble. Les projets pilotes ont montré que cela accroît l'efficacité tant en ce qui concerne le temps que les coûts parce que le travail n'est pas dédoublé.

Le Tribunal, qui agira en tant qu'interlocuteur, sera en mesure de déterminer si la revendication correspond à la définition de «revendication particulière». Actuellement, nous passons beaucoup de temps à discuter avec la Commission sur les revendications particulières des Indiens et les revendicateurs eux-mêmes pour déterminer si une revendication est en fait une revendication particulière. Cela aussi nécessite beaucoup de temps et de ressources.

Contrairement à la Commission actuelle, le Tribunal aura le pouvoir de rendre des décisions finales pour lesquelles il ne peut être interjeté appel, et qui ne seront assujetties qu'à un contrôle judiciaire. On évitera ce long processus qui consiste à soumettre la revendication à la Commission des revendications des Indiens pour obtenir une deuxième opinion.

Pour ce qui est de la validité, on constatera une amélioration considérable en temps et en coûts. Pour ce qui est de l'indemnisation, la Commission assurera les fonctions de médiation ou de facilitation pour garder les parties sur la bonne voie afin de déterminer, ou tenter à tout le moins d'accepter la valeur de la revendication.

Actuellement, les avocats des revendicateurs et du gouvernement du Canada se disputent presque continuellement sur la valeur de la revendication. Ces négociations prennent souvent de nombreuses années. Avec l'aide de la Commission et de ses services de médiation et d'arbitrage, nous serons en mesure de réduire le temps nécessaire pour convenir d'une évaluation.

Enfin, pour ce qui est de l'indemnisation, nous aurons la possibilité — lorsque les revendications seront inférieures à 7 millions de dollars — d'avoir une décision finale acceptable pour toutes les parties, peu importe ce qu'elle sera. Elle ne sera pas assujettie à un second examen par la Commission des revendications des Indiens. Bien sûr, tout le système est optionnel, mais toutes les parties qui accepteront le processus savent que, en bout de ligne, si vous êtes au Tribunal et que vous demandez soit une opinion sur la validité, soit sur l'indemnisation, une décision finale sera rendue. Tous ces outils sont conçus pour permettre à la Commission de négocier de façon efficiente et efficace.

Le sénateur Austin: Permettez-moi de revenir à deux aspects de votre réponse. Le premier est qu'on dispose d'un certain délai pour déterminer si la revendication est valide à première vue et si elle devrait être négociée. Quel est ce délai encore?

M. Winogron: Je n'ai pas dit qu'il y avait de délai imposé pour cela. J'ai dit que le Tribunal pourra rendre une décision finale sur la validité de la revendication si elle est de 7 millions de dollars ou moins, si elle est valide ou non.

Le sénateur Austin: Revenez donc au début du processus de travail de la Commission. Un revendicateur se présente et demande l'aide de la Commission pour de la R-D. Ce que je veux savoir, essentiellement, c'est s'il y a une mesure incitative pour que les deux parties accélèrent ce processus.

Nous avons énormément de revendications. Je suppose que ce processus va en générer encore davantage. Je ne m'encombre pas de questions de grands principes, mais j'insiste sur l'efficacité, la mise en oeuvre de ce processus. Y a-t- il suffisamment de gens, est-ce qu'on a suffisamment de fonds, et est-ce qu'on a établi un délai qui oblige le gouvernement à instaurer ce processus?

Si le revendicateur résiste, qu'advient-il de la revendication? S'il ne veut pas conclure le processus, il n'est pas obligé de le faire. Cependant, quelle obligation le gouvernement a-t-il d'agir de façon opportune et efficace?

M. Winogron: Le processus de travail de la Commission renferme un mécanisme qui prévoit que le ministre doit examiner la question et rendre une décision quant à savoir si oui ou non il négociera la revendication. Il n'y a aucun délai spécifique d'imposé pour cela, même si une disposition indique que le ministre doit faire rapport tous les six mois sur les progrès de son examen. S'il a besoin de plus de temps, il doit le justifier. Il devra faire une déclaration publique pour expliquer à quelle étape le processus en est rendu et, s'il a besoin de plus de temps, pourquoi il en est ainsi.

Le sénateur Austin: Que répondez-vous à l'argument de M. Schwartz qui dit que, selon le processus actuel, la Commission peut examiner la validité du refus du ministre, mais qu'en vertu du projet de loi C-6, la Commission n'aura pas ce pouvoir?

M. Nault: Est-ce que vous parlez de la Commission actuelle?

Le sénateur Austin: La Commission actuelle, selon M. Schwartz, peut examiner le refus de la validité de la revendication. Il soutient que les futurs revendicateurs n'auront plus ce pouvoir, ceux qui n'ont pas déposé leur revendication en vertu de la loi actuelle.

Lorsque le projet de loi C-6 entrera en vigueur, la nouvelle Commission ne pourra pas intervenir si le ministre décide que la revendication n'est pas valide. Pourriez-vous faire des commentaires à ce sujet?

M. Winogron: Je connais M. Schwartz et nous avons réglé cette question depuis longtemps. Je dirais que les choses sont claires. Le projet de loi renferme une disposition habilitante permettant à la Commission d'intervenir au sujet d'une décision de ne pas négocier une revendication — rien dans le projet de loi ne l'empêche de le faire. Cette disposition permet également à la Commission de faire beaucoup plus. Une fois que le ministre aura décidé qu'il ne veut pas négocier une revendication, le processus de règlement des différends s'enclenche. La Commission est donc impliquée dès le début, mais dès que le ministre rend cette décision, la Commission est déjà en mesure de tenter de régler le problème avec tous les outils dont elle dispose. En bout de ligne, la Commission peut faire toute une gamme de choses. Rien ne l'empêche de faire rapport sur l'état de la question. De plus, le revendicateur a alors la possibilité de s'adresser au Tribunal. Par conséquent, lorsque M. Schwartz dit que le revendicateur est désavantagé dans ce scénario, je n'en crois rien. À mon avis, la Commission a le pouvoir de faire rapport et de participer à la négociation, après quoi le revendicateur a la possibilité de s'adresser au Tribunal.

Je devrais peut-être ajouter qu'on proteste depuis longtemps contre ce qu'on considère un conflit d'intérêts. La Commission et le Tribunal vont certainement atténuer cette impression parce qu'ils seront des organismes indépendants. Si le ministre refuse de négocier la revendication et que le Tribunal prétend qu'elle est valide, le Tribunal aura le dernier mot. C'est ça l'impartialité. Ainsi, le revendicateur serait en bien meilleure posture.

Le sénateur Austin: Le rôle du Tribunal ne m'inquiète pas, mais plutôt celui de la Commission. A-t-elle le même pouvoir de déclarer que le ministre a erronément rejeté la validité de la revendication? A-t-elle ce même pouvoir que la Commission des revendications des Indiens a montré en ce qui concerne la revendication de la Saskatchewan?

M. Winogron: Elle n'a pas le même pouvoir. La Commission actuelle est habilitée en vertu de la Loi sur les enquêtes à tenir une enquête publique. Elle n'a pas le pouvoir prévu dans la Loi sur les enquêtes, mais rien dans le projet de loi n'empêche la Commission d'émettre un avis de quelque façon que ce soit, selon qu'elle le juge approprié, et elle a le pouvoir de se prononcer sur le fondement de la revendication.

Le sénateur Austin: Est-ce que vous vous attendez à ce que, dans certains cas, la Commission informe le public qu'une revendication refusée par le ministre a été refusée à tort et qu'elle doit être négociée?

M. Winogron: Je ne sais pas à quoi m'attendre.

Le sénateur Austin: Vous avez dit que rien n'empêcherait la Commission de faire ce que je viens tout juste de dire.

M. Winogron: C'est exact. Rien dans le projet n'empêcherait la Commission d'agir ainsi.

Le sénateur Chaput: Monsieur le ministre, lorsque j'ai écouté votre exposé sur une question aussi complexe, j'ai été impressionnée par la façon dont vous avez donné des explications aussi claires. Même moi, j'arrive à comprendre la nature du projet de loi C-6, ce qui prouve que vous avez une vision claire et que vous savez ce qui doit être fait et comment. Je veux croire que le projet de loi est bon et qu'il permettra aux Premières nations d'améliorer leur situation. Cependant, comme vous le savez, l'Assemblée des Premières nations n'est pas en faveur du projet de loi C-6 dans sa forme actuelle.

Certains leaders nous ont manifesté leurs préoccupations avec véhémence. Malheureusement, leurs arguments, même s'ils étaient assez lourds, n'étaient pas clairs. Je ne suis pas arrivée à comprendre les raisons de leur opposition, ce qu'ils voulaient, ce qu'ils approuvaient et ce qu'ils n'approuvaient pas. Ils veulent une commission et ils veulent un tribunal, mais s'ils sont d'accord avec le groupe de travail, ils ne sont pas aussi élogieux envers le travail qui a été effectué après le groupe de travail.

Cela étant dit, je sais que c'est une question émotive, ce qui rend difficile de discuter de façon rationnelle avec les opposants au projet de loi. Leur perception de ce que le projet de loi sera ou ne sera pas est tellement éloignée de vos explications que cela me perturbe. Monsieur le ministre, je crains que l'adoption de ce projet de loi contre la volonté de tant de personnes ne crée un énorme ressac. Qu'en sera-t-il de ce ressac? Qu'est-ce qui nous attend tous? Y a-t-il une façon de rallier plus d'opposants à votre façon de voir les choses avant que le projet de loi ne soit adopté?

M. Nault: Je tiens à rappeler aux sénateurs que lorsque le gouvernement conservateur a créé la Commission sur les Indiens, l'Assemblée des Premières nations s'y est aussi opposée. Je pourrais vous dresser une liste des projets de loi qui nous ont été soumis, que nous avons adoptés et qui ne faisaient pas l'unanimité parce qu'on ne savait pas si on pouvait être assuré que nous faisions la bonne chose. Ces mesures législatives sont maintenant fort bien accueillies dans tout le pays, y compris la loi créant la Commission sur les Indiens. C'est un fait. La Commission était une mesure intérimaire adoptée en vertu de la Loi sur les enquêtes, jusqu'à ce que l'on crée une structure permanente. Aujourd'hui, les gens disent qu'ils aiment la Commission et qu'on devrait la conserver. Je suis surpris parce qu'elle n'a pas de mordant — elle ne peut que faire des recommandations et n'a pas le pouvoir de forcer le ministre à faire quoi que ce soit. La Commission proposée est plus forte et a plus d'indépendance pour amener le gouvernement à régler ces revendications, d'où l'importance du Tribunal.

Je ne peux pas répondre à la question politique concernant ceux qui estiment que le projet de loi doit être rédigé par l'Assemblée des Premières nations, et transmis au Parlement. Comme vous le savez, ce n'est pas une procédure acceptable pour le gouvernement. Notre obligation gouvernementale est de rédiger la loi en nous fondant sur les recommandations qui nous ont été données par le groupe de travail. M. Winogron vient tout juste de vous expliquer de façon succincte comment cela a été fait. Nous croyons que la majeure partie du projet de loi satisfait aux recommandations énoncées dans les paramètres avec lesquels nous devons vivre dans un monde réel de problèmes financiers, et que la mesure législative permettra grandement d'améliorer les choses.

Si nous n'adoptons pas ce projet de loi, nous gardons le système actuel tel qu'il est constitué. Si je ne croyais pas à ce projet de loi, je ne serais pas ici aujourd'hui avec vous. Je recommande fortement que vous adoptiez le projet de loi C-6 et que vous fassiez ce que nous avons fait dans le passé — c'est-à-dire prouver que le système et la loi auront un impact positif. Cela semble la seule façon de procéder dans notre contexte politique, soit en considérant l'opinion des différents groupes régionaux de leaders autochtones de tout le pays, opinion qui diffère selon l'endroit où vous êtes.

Par exemple, le projet de loi C-19, qui vous sera présenté, est à toutes fins utiles entièrement appuyé sauf par un groupe de la Colombie-Britannique. La majorité des chefs de la Colombie-Britannique m'écrivent pour me dire qu'ils endossent le projet de loi C-19 parce qu'ils ont eu un rôle énorme à jouer dans son élaboration. De même, vous constaterez, lorsque vous parlerez avec les chefs, qu'ils sont disposés à examiner le projet de loi C-6 et que s'il s'avère un succès, ils vont recommander à leurs peuples d'intégrer leurs revendications au processus. Cependant, je ne peux vous donner d'assurance ici tant que nous n'aurons pas eu l'occasion de faire fonctionner le processus. La seule façon dont je peux vous convaincre de nos bonnes intentions à l'égard des peuples autochtones, c'est que nous allons examiner la Loi dans trois à cinq ans afin de réfléchir sur les résultats obtenus et sur les succès ou les échecs que nous aurons peut- être enregistrés.

Le sénateur Léger: D'après ce que je comprends, on veut mettre ici l'accent sur l'accélération du rythme par rapport au «rythme autochtone», disons, c'est-à-dire tout de suite, par opposition aux 60 ans. Nous touchons ici une question de culture.

À mon avis, tout va trop vite, et l'on saute à droite et à gauche ces jours-ci. L'autre rythme, 60 ans, est certainement trop long. Est-il possible de faire la même chose à ce rythme? J'essaie de respecter la culture. Tout ce que le gouvernement dit au sujet de l'amélioration du pays, de la situation des Autochtones, c'est la même chose que ce que disent les Autochtones.

Je sais que nous sommes en voie d'établir un troisième palier de gouvernement, comme vous l'avez dit. Il appartient maintenant au gouvernement de décider. Pourrions-nous donner moins l'impression que le gouvernement dit: «Nous sommes le gouvernement et nous devons prendre une décision. Nous allons prouver dans trois à cinq ans que cela fonctionne»?

Je trouve que le libellé est très puissant et empreint d'autorité, et c'est peut-être nécessaire. Cependant, est-il possible que les choses viennent davantage des Autochtones?

M. Nault: Je crois que c'est le cas. C'est ce que j'ai dit tout à l'heure. Si vous comparez les recommandations du groupe de travail au projet de loi, vous y verrez très peu de différences, sauf du côté financier, la limite, et comme l'a dit le sénateur Sibbeston, les nominations. Il n'y a virtuellement aucune différence.

Si les nominations étaient bonnes, cela résoudrait notre problème. Nous aurions des personnes qualifiées et compétentes qui assumeraient le rôle de commissaires et d'arbitres. Pour les fins de l'argumentation, nous allons supposer qu'avec les recommandations des peuples autochtones, nous pouvons y arriver, comme cela a été le cas dans le passé. Ça m'inquiète moins que d'autres. Il y a beaucoup de gens compétents chez ces Autochtones.

Comme nous l'avons déjà dit, la limite est du ressort du Tribunal. C'est un mécanisme de dernier recours. En principe, c'est la Commission qui fera le gros du travail dans ce centre. Nous croyons que la Commission sera l'organisme auquel nous nous adresserons pour apporter les améliorations et en arriver à une entente plus rapidement. Aussi, bien honnêtement, compte tenu de l'indépendance du Centre, beaucoup de pressions s'exerceront sur le ministre qui décidera de ne pas accepter une revendication.

Lorsque, actuellement, la Commission des revendications des Indiens fait des recommandations, aucune pression n'est exercée sur le ministre pour approuver la revendication et entreprendre les négociations. Les rapports sur la Commission indiqueraient que nous n'avons pas réussi à convaincre les gouvernements d'accepter les recommandations et d'aller de l'avant. Le processus se veut un processus indépendant et plus transparent. Nous espérons qu'en retour, les gens y auront davantage confiance.

Vous parlez de la culture. La loi impose certaines obligations. Lorsqu'on accepte une revendication, on accepte la responsabilité de torts basée sur l'obligation fiduciaire que nous imposent la Loi sur les Indiens, un traité ou une autre loi. Cela ressemble beaucoup à un processus juridique. Nous pourrions décider de ne pas avoir de négociations et de soumettre tout aux tribunaux si nous ne croyions pas qu'il serait à notre avantage en tant que société d'avoir un processus comme celui-ci.

Par conséquent, pour les fins de la discussion, il n'est pas nécessaire de penser en termes de culture, sauf se rappeler que les peuples autochtones, à l'instar de tous les Canadiens, croient qu'il est utile de s'asseoir autour d'une table de négociation et de trouver une façon de procéder. Nous croyons que c'est ce que nous avons fait ici.

Le sénateur Léger: Est-ce que le groupe de travail fonctionne toujours ou si ses délibérations sont terminées?

M. Nault: Non, c'est terminé. Il a fait ses recommandations. Il existe un groupe de travail qui se réunit de temps en temps pour discuter du projet de loi et voir quelles seront les prochaines étapes, s'il est adopté. Nous croyons que le projet de loi sera adopté et mis en application. Nous avons commencé à parler de sa mise en oeuvre.

C'est peut-être un peu tôt, mais nous devons en parler. Nous discutons actuellement avec l'APN au sujet de la mise en oeuvre sur le plan technique. Nous devons aller de l'avant, même si nous ne sommes pas d'accord sur tout. À notre avis, le projet de loi sera largement accepté par les revendicateurs autochtones une fois adopté. Je fais ici une prédiction prudente qui repose sur les discussions que nous avons actuellement.

De même, nous avons demandé à la Commission des revendications des Indiens de participer aux discussions. Comme vous le savez, nous allons abolir cette commission et transférer son personnel et ses fonctions. Nous allons devoir décider du rôle des commissaires actuels. Tout cela est sur la table actuellement, et nous pouvons faire avancer les choses à partir d'une base solide et positive quand le Sénat aura décidé d'adopter le projet de loi.

Le sénateur Léger: J'aimerais assister à un débat du groupe de travail. J'ai entendu le contraire la semaine dernière. Tout a été dit. Peut-être que les deux parties de l'argumentaire du groupe de travail pourraient être entendues.

Le sénateur Stratton: J'aimerais revenir à la raison pour laquelle il y a désaccord au sujet du projet de loi. Vous avez dit que vous avez écouté le groupe de travail et incorporé pratiquement toutes ses recommandations sauf deux.

Vous avez tenté de justifier de telles objections. De quoi est-il question ici? Est-ce un problème de souveraineté pour l'APN ou les Premières nations? Est-ce qu'elles veulent que vous vous adressiez à elles à titre de nations souveraines? Est-ce là leur objection? Cela a été discuté. Ce qu'ils entendent par là me gêne.

Nous avons posé les questions suivantes: «Êtes-vous une nation souveraine au sein du Canada? Est-ce que vous êtes d'abord des Cris et ensuite des Canadiens? Quelle est votre définition?» Est-ce la base de l'objection? Je ne comprends toujours pas.

M. Nault: D'après mon expérience des 15 dernières années, l'APN estime qu'aucun projet de loi ne doit être accepté si elle n'y consent pas et ne le rédige pas. Si cette position a changé, je n'en sais rien.

Le Cabinet m'a accordé certains pouvoirs permettant la rédaction de la première ébauche du projet de loi — C-7, par exemple — avec l'aide des peuples autochtones, tout en respectant les obligations qui nous sont conférées par le secret des délibérations du Cabinet dans la rédaction finale que bien sûr, nous avons terminée.

Vous me demandez si nous parviendrons éventuellement à régler la question. Comme je l'ai dit, pas ici mais ailleurs, je suis tout à fait en faveur du droit inhérent à l'autonomie politique. Je veux réaliser ce troisième palier de gouvernement, mais je crois qu'il doit faire partie de notre famille constitutionnelle. Je n'accepte pas que d'autres croient que leurs gouvernements sont souverains au Canada, je n'ai pas le mandat de négocier cette prétention et aucun gouvernement ne s'engagera dans cette voie.

La preuve en est que nous n'avons conclu qu'une seule entente importante d'autonomie politique dans ma carrière politique. En 15 ans, il n'y en a eu qu'une. Et cela a été difficile pour tout le monde.

Politiquement parlant, j'ai tenté à maintes reprises d'amener le chef national de l'APN et son bureau à accepter un processus commun de consultation. Vous pouvez vérifier vous-mêmes — le chef national s'est fait élire avec un programme disant qu'il n'avait aucune collusion avec le gouvernement, et qu'il s'opposait au gouvernement. Si c'est le scénario qui a été retenu, je ne peux changer la dynamique sur le terrain. J'ai certainement fait passer le message à maintes reprises que le ministre et son gouvernement veulent travailler avec les peuples autochtones dans les paramètres du mandat que nous avons.

Je ne peux pas vous donner une autre réponse que celle-là. Vous allez devoir poser ces questions directement aux personnes concernées. Je peux vous renvoyer au Globe and Mail d'hier où le chef national aurait dit: «Nous sommes souverains.» Peut-être devrions-nous savoir ce que l'on entend par «souverain». Je ne sais pas ce que cela veut dire, j'attends qu'on nous précise cette notion; je ne sais pas ce que l'on entend non plus par «colonialisme», sauf que ce terme est utilisé régulièrement de façon arrogante. C'est malheureux parce que, en bout de ligne, nous devons tous nous décider à créer de bonnes structures institutionnelles pour améliorer la vie des peuples autochtones. Lorsqu'on va dans les collectivités, on a vraiment l'impression d'être dans un autre pays. Le seul intérêt que j'ai, c'est de les voir réussir.

Je dois participer à un vote dans environ deux minutes. Madame la présidente, avant de m'attirer plus d'ennuis qu'il m'en faut, je vais profiter de l'occasion pour partir. Cependant, je vous laisse mes collègues, si vous voulez, pour que vous puissiez continuer vos délibérations. Je vous souhaite tous la meilleure chance possible dans cet important travail, ce projet de loi qui me tient à coeur et qui, à mon avis, fera une grande différence dans nos relations avec les peuples autochtones.

La présidente: Merci beaucoup, je l'apprécie. J'apprécie que vos spécialistes restent avec nous. Il ne reste que quelques autres questions.

M. Nault: Ils sauront probablement mieux y répondre que moi.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur le ministre.

Le sénateur Sibbeston: Madame la présidente, je tiens à dire que les peuples autochtones se méfient beaucoup des fonctionnaires d'Affaires indiennes et du Nord Canada. Que cela nous plaise ou non, c'est la réalité. Ce qui m'inquiète, c'est que le ministre ait soulevé cette question de souveraineté. J'avoue que cette question de souveraineté n'a jamais été soulevée par aucun des témoins de l'APN. Pour moi, c'est un faux-fuyant. La question n'est même pas sur la table. On veut tenter de nous induire en erreur d'une façon ou d'une autre.

Par respect, je dois dire que j'ai été très impressionné par les représentants de l'APN. Ils disent qu'ils ont travaillé en collaboration avec le gouvernement fédéral pendant deux ans. Au terme des travaux du groupe de travail en 1998, les documents ont été soumis au ministère. Ils ont dit qu'on ne leur a pas donné l'occasion de participer à la rédaction de ce projet de loi. Le projet de loi a vu le jour sans leur participation. C'est ce qui inquiète les autorités de l'APN.

Je crois que le gouvernement a eu raison de les impliquer dans les discussions et dans le groupe de travail, mais une fois le travail fini, il vous a été remis à vous — les fonctionnaires — et vous avez tout chamboulé. C'est mon impression générale. Vous aviez le contrôle, et par votre bureaucratie, d'une façon ou d'une autre, vous vous êtes assurés que les peuples autochtones n'auraient pas le dernier mot.

C'est leur récit, et c'est l'image que l'on a des fonctionnaires. En général, les fonctionnaires sont contre les peuples autochtones. C'est ce que pensent les peuples autochtones. Je suis désolé si vous n'aimez pas ce que je dis, mais c'est la réalité.

Nous avons un problème avec ce projet de loi parce qu'il n'a pas l'appui de l'APN. Les spécialistes — Rolland Pangowish et leur avocat, Brian Schwartz — sont très déçus de ce projet de loi. La situation politique actuelle nous donne l'impression qu'il y a beaucoup d'Autochtones dans tout le pays qui sont opposés au projet de loi, et pourtant le gouvernement est bien déterminé à le faire adopter.

Le gouvernement est géant, les peuples autochtones sont petits. C'est là l'histoire des peuples autochtones de notre pays, n'est-ce pas — mauvais traitement, traitement injuste, et ainsi de suite? Maintenant les choses changent un peu, les choses s'améliorent. Cependant, il semble toujours y avoir quelque chose qui empêche d'agir correctement.

Il y a des cas d'exception — le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest — où le gouvernement se tire bien d'affaire. Dans le Sud, pour une raison ou pour une autre, la façon dont le gouvernement traite les questions autochtones ne semble pas être très bonne.

Qu'est-ce qui s'est produit une fois que cela est entré dans le système? Qu'est-ce que vous avez fait pour que ce projet de loi soit si ardemment contesté par les Premières nations?

M. Gilles Binda, conseiller principal en matière de politique, Affaires indiennes et du Nord Canada: Je dois admettre que j'ai été affecté au dossier après la présentation du rapport du groupe de travail Cependant, lorsque je suis arrivé, la première chose que j'ai eue en main a été le rapport du groupe de travail — des réunions auxquelles je devais assister. Le groupe de travail a produit son rapport en 1998, et le rapport a été analysé en détail par le gouvernement. Il a été soumis aux instances supérieures — bien supérieures à mon niveau — et, comme l'a fait remarquer M. Winogron, on a retrouvé dans ce rapport des voeux pieux, comme le fait de ne pas imposer de limite au Tribunal.

Le sénateur Sibbeston: Mais c'est un processus auquel le gouvernement fédéral participait.

La présidente: Laissez le témoin répondre, sénateur.

M. Binda: Oui, les Autochtones et le gouvernement travaillaient ensemble. Cependant, ils examinaient une série de recommandations. Les gens aux niveaux supérieurs ont examiné ces recommandations. Compte tenu de la situation financière du Canada, le gouvernement devait faire preuve de responsabilité à l'égard des contribuables, de sorte que l'on a examiné le rapport et que l'on a voulu créer une entité qui travaillerait dans les paramètres d'un cadre financier applicable.

Prenons l'exemple de l'absence de limite; personne ne sait combien d'argent serait dépensé. Impossible de mettre ça dans un budget fixe. Vous pouviez soudainement vous retrouver avec de grosses décisions impliquant d'importantes sommes qui seraient bien au-delà du budget.

Lorsqu'on s'est rendu compte de cela, les fonctionnaires ont dit: «Retournons à la table.»

La présidente: Qui sont les hauts fonctionnaires? De quel ministère?

M. Binda: Par «hauts fonctionnaires», on entend les fonctionnaires de notre ministère et du gouvernement.

Ils sont revenus et ont dit: «Retournez à la table pour discuter avec les Autochtones de quelque chose d'un peu différent». C'est là que nous avons lancé l'idée d'une limite. Nous avons également lancé l'idée de modifier légèrement le processus de nomination parce que là encore, les instances supérieures nous ont dit que le processus a été établi au gouvernement depuis longtemps. Les nominations par le gouverneur en conseil se font de cette façon.

Nous avons eu de nombreuses discussions et présentations impliquant notre sous-ministre adjoint, dans tout le pays. Nous avons également mandaté le chef Ed John de la Colombie-Britannique qui a parcouru le Canada. Il a tenu près de 30 réunions dans de nombreuses provinces avec des groupes différents et a fait rapport de ses conclusions à son retour. Là encore, il y avait des problèmes. Tout le monde était d'accord avec l'APN et l'on parlait de la limite et du processus de nomination, mais au niveau de la base, les gens étaient d'accord pour créer cette entité parce qu'ils considéraient que c'était une amélioration par rapport au statu quo, c'est-à-dire avoir un tribunal qui pourrait prendre des décisions exécutoires pour le gouvernement du Canada, même si le ministre n'était pas d'accord au départ sur la validité de la revendication. Si le Tribunal déclare que la revendication est valide, le gouvernement doit accepter cette décision et négocier la revendication.

Nous avons eu de nombreuses discussions avec les Autochtones après le groupe de travail commun. M. Schwartz, M. Pangowish et leurs spécialistes y ont participé. Le ministre a fait remarquer que la création d'un tribunal et d'une commission améliorerait beaucoup la transparence et l'indépendance et qu'il transférerait 14 millions de dollars, somme que le ministère des Affaires indiennes et du Nord gère actuellement pour aider les Autochtones qui participent à la recherche, à la négociation, au financement des prêts et des subventions, et qui serait transférée du ministère à cette nouvelle commission. Nous tentons actuellement de créer un organisme qui serait plus indépendant du gouvernement. MM. Schwartz et Pangowish ont dit que l'on percevait un conflit d'intérêts parce que le gouvernement du Canada finançait les Autochtones, contrôlait les sommes affectées à leur recherche, décidait ensuite si une revendication était valide et déterminait comment les critères d'indemnisation seraient négociés. Avec le projet de loi C-6, nombre de ces questions seraient abordées par la Commission et le ministre n'exercerait pas autant de contrôle.

Le sénateur Sibbeston: Je dois répondre en disant que dans les recommandations du rapport du groupe de travail, je sais qu'il n'y a pas de limite pour les revendications individuelles, mais qu'il y avait une formule de cinq ans. Les auteurs du rapport n'ont pas voulu recommander un fonds sans limite pour le processus de revendication. Vous devez admettre que leur proposition est raisonnable, dans une certaine mesure, en ce sens qu'il y avait une formule prévue pour un financement sur cinq ans.

Je tiens à dire également que lorsque le gouvernement fédéral a décidé de créer un groupe de travail, il aurait dû lui donner suffisamment de pouvoirs pour que les participants sachent qu'il s'agissait d'un processus sérieux et utile et que leurs recommandations auraient une chance d'être mises en oeuvre ou acceptées par le gouvernement fédéral. Vous avez dit qu'une fois que le rapport a été entre les mains des hauts fonctionnaires, il a été changé. Pour moi, c'est tout comme si l'APN et les peuples autochtones s'étaient fait avoir et avaient cru que leur participation serait utile et efficace.

À votre avis, à quoi servirait de faire des recommandations si, au niveau supérieur du gouvernement, on n'est pas d'accord? Cela ne serait pas considéré comme un travail sérieux. Si ce que vous dites est vrai, je crois alors que l'APN a été bernée. Peut-être que c'est en partie ce qui explique son opposition — c'est une réaction émotive au projet de loi parce que l'APN a participé à une initiative sérieuse, en toute bonne foi, pour constater qu'en bout de ligne, le gouvernement fédéral n'a pas accepté certains des points importants de ses recommandations.

Que cela serve de leçon au gouvernement fédéral. S'il veut impliquer les Autochtones dans un processus, il doit s'agir d'une entreprise sérieuse. L'APN doit croire que ce qu'elle recommande a une chance d'être accepté. Autrement, personne ne collaborera plus avec vous. Vous n'êtes pas sérieux parce que vous demandez la participation et ensuite vous n'acceptez pas les recommandations. À quoi sert tout cela?

M. Binda: J'en prends bonne note, sénateur. Lorsque les gens du groupe de travail mixte étaient à la table — les Premières nations et le gouvernement du Canada —, on n'a jamais pensé que les recommandations seraient mises en oeuvre. On a demandé au groupe de fournir des recommandations sur la création d'une entité indépendante chargée d'examiner les revendications. Ces recommandations ont été examinées et la plupart d'entre elles se retrouvent dans le projet de loi. Quelques-unes n'y sont pas. C'est la même chose pour la plupart des projets de loi — on fait des rapports, beaucoup de choses sont recommandées, elles sont examinées et les décisions sont prises. C'est ainsi que l'on en est arrivé au projet de loi C-6. Comme le ministre l'a fait remarquer, il y a seulement deux grandes différences entre le rapport du groupe de travail mixte et le projet de loi: la limite des revendications et le processus de nomination.

Le sénateur Stratton: Nous avons parlé des recommandations du groupe de travail. Est-ce qu'il existe un résumé de ces recommandations en style télégraphique de sorte que nous puissions les comprendre rapidement? Je ne les ai pas encore lues, et il serait suffisant que le ministère nous donne un aperçu des recommandations pour nous montrer ce qui a été accepté, ce qui ne l'a pas été et les raisons à l'appui. Ainsi, tout le monde autour de la table comprendrait clairement. On revient constamment à cela, et je crois que cela pourrait être fait. Espérons que cela pourra aider à mieux comprendre le conflit.

Lorsque nous avons rencontré l'APN, ses représentants ont parlé de souveraineté et ont dit qu'on ne devait pas rejeter la question comme non pertinente parce qu'elle était importante. Pour les fins du compte rendu, il faut le dire. Je vous demande d'en tenir compte, et peut-être que ce faisant, vous allez éliminer nombre des perceptions erronées et des confusions au sujet des efforts du groupe de travail. J'aimerais que vous nous fournissiez cet aperçu.

La présidente: Depuis hier, j'ai un nouveau membre du personnel à mon bureau qui travaille exactement à cela.

Le sénateur Stratton: J'aimerais voir l'information.

La présidente: Il serait utile de comparer les recommandations du groupe de travail et le projet de loi.

Le sénateur Stratton: Si nous obtenons cette présentation du ministère, nous verrons alors les différences, différences que les fonctionnaires pourraient alors expliquer. Il nous faut les voir.

Le sénateur Watt: J'aimerais poser beaucoup de questions, mais je vais me limiter à trois domaines. Premièrement, je pense qu'il faudrait demander aux gens qui ont participé à la consultation comment elle s'est déroulée, surtout dans quels délais. Combien de temps le ministère a-t-il consacré aux explications qu'il a données aux gens au niveau des collectivités, gens qui n'avaient aucune connaissance des aspects juridiques et de la façon dont le gouvernement fonctionne?

Ma deuxième question ressemble plutôt à une recommandation. Ce matin, nous avons discuté du groupe de travail mixte, et il me semble qu'une personne affirme une chose et qu'une autre dit le contraire. En un sens, on se traite de «menteurs», si vous me permettez d'être aussi direct. Je ne crois pas que ce soit juste. J'aimerais que les peuples autochtones puissent raisonnablement expliquer leur point de vue. Le gouvernement du Canada pourrait peut-être alors intervenir dans le processus et déposer les délibérations du groupe de travail mixte, pas seulement un résumé, mais tout le texte.

Ainsi, nous pourrions comparer les deux approches — celle du groupe de travail et celle adoptée par la suite par le gouvernement. Nous pourrions avoir le tout sur la table et voir les choses noir sur blanc. C'est important.

Le point suivant a été soulevé par le ministre des Affaires indiennes. Je me souviens qu'il n'y a pas trop longtemps, le ministre a dit qu'il ne connaissait pas beaucoup le droit inhérent à l'autonomie politique. C'est pourquoi il n'a pas donné de détails. Il croit maintenant au droit inhérent à l'autonomie politique et à un troisième palier de gouvernement.

Je retourne à la question posée par le sénateur Austin. Quel est l'intérêt des peuples autochtones? Il faut que l'intention du gouvernement d'accepter un troisième palier de gouvernement soit absolument claire pour les peuples autochtones. Est-ce qu'il y a quelque chose dans les trois mesures législatives proposées qui indique que c'est la première étape et que les autres étapes seront franchies plus tard?

M. Binda: Je vais tenter de répondre à vos questions, sénateur.

Votre première question concernait le temps consacré aux consultations. Un groupe de travail a été créé en 1990, et un autre en 1996. Ce sont les deux principaux groupes qui se sont intéressés à cette question. En 2000, 2001 et 2002, nous avons tenu des réunions avec l'APN pour tracer un portrait d'un modèle adapté ou modifié de ce projet de loi. Nous avons eu de nombreuses discussions avec les spécialistes de l'APN à la table et les leaders de l'APN y ont assisté. L'ancien chef Mercredi nous a parlé.

Le sénateur Watt: Vous voulez dire que cela était prévu avant que le rapport ne soit présenté au gouvernement?

M. Binda: Non. Le rapport a été déposé en 1998. Après, on a passé un an à voir comment nous pourrions l'adapter et le modifier en fonction des recommandations. Quelques recommandations, selon les cadres supérieurs, ne s'intégraient pas au système, dont le fait de ne pas avoir de limite financière pour le Tribunal.

Nous sommes alors retournés à la table. Nous avons tenu des réunions en 2000, 2001 et 2002. Le chef John a parcouru le Canada pour expliquer le projet de loi et la proposition fédérale aux collectivités. Il a ensuite fait rapport au ministre.

Le sénateur Watt: Combien de temps a été consacré aux collectivités?

M. Binda: Le travail s'est fait sur une longue période. Le chef John a également recommandé aux collectivités de faire parvenir leur opinion par écrit au ministre. Ça a été fait sur une période de près d'un an. C'est tout ce que je peux vous dire au sujet du calendrier.

Nous avons travaillé avec l'APN à la version modifiée du document. Nous lui avons montré ce que nous voulions faire. Nous avons incorporé nombre de leurs recommandations pour le modifier légèrement. Nous avons également tenu des consultations.

Nous nous sommes également entretenus avec les provinces sur les répercussions que cela aurait sur elles. Nous avons fait beaucoup de consultations. Le chef Ed John a dit qu'au niveau de la base, les gens étaient d'accord. Certains dirigeants appuyaient la position de l'APN, mais les gens de la base disaient que c'est ce qu'ils voulaient. Ils disaient: «Cela va nous aider à obtenir de l'argent pour nos revendications, et cela pourrait améliorer la collectivité. Nous voulons quelque chose qui améliorera le processus...»

Le sénateur Watt: Mais que dire des autres questions que j'ai soulevées?

M. Binda: L'autre concernait la comparaison entre le projet de loi C-6 et le rapport du groupe de travail. Le bureau de la présidente est en train de faire une comparaison. Je vais soumettre le commentaire à mon ministère.

La présidente: Nous allons alors travailler ensemble.

Le sénateur Watt: Pourriez-vous déposer cette comparaison plus tard ici?

La présidente: Certainement, sénateur.

Le sénateur Watt: Elle devrait être déposée par les Affaires indiennes et non par votre bureau.

La présidente: Le ministère s'est déjà engagé à la déposer ici.

Le sénateur Watt: Et ma troisième question concernant l'autonomie politique et le troisième palier de gouvernement?

M. Winogron: Je ne peux répondre à cette question, sénateur. Je peux vous parler des mesures incitatives pour les revendicateurs qui concernent spécifiquement ce projet de loi et la raison pour laquelle un revendicateur d'une collectivité autochtone voudrait utiliser ce processus.

Premièrement, c'est un processus entièrement optionnel. La Première nation peut décider de l'utiliser ou non. Le processus est subventionné. L'organisme contrôle le financement, donc c'est un décisionnaire indépendant au niveau de la préparation et, si une revendication est acceptée, au niveau de la négociation.

L'une des importantes mesures incitatives, c'est aussi que l'on a dit au Tribunal de ne pas envisager de limite de temps lorsqu'une revendication est en attente depuis longtemps parce qu'elle a été interrompue. Ni la doctrine des verrous en common law ni quelque limite que ce soit ne sont prises en compte lorsqu'on décide de la validité d'une revendication.

Comme vous le savez, de nombreuses affaires en litige devant les tribunaux sont interrompues et ensuite rejetées parce que trop de temps s'est écoulé. Cette défense n'est pas offerte au gouvernement fédéral, ni aux gouvernements provinciaux, si la question est soumise à nouveau à la province ou au territoire.

C'est là une importante mesure incitative. Le financement également. Comme c'est un processus optionnel, cela constitue une mesure incitative. Le fait qu'il n'y ait pas de défense liée au temps est une importante mesure incitative qui invite les revendicateurs à utiliser ce processus.

Le sénateur Watt: Quand vous optez pour ce processus, n'est-il pas vrai que vous perdez la capacité de soumettre la question à une enquête? Autrement dit, dès que vous optez pour le processus, il n'y a pas d'autre issue.

M. Winogron: Ce n'est pas vrai.

Le sénateur Watt: Vous ne pouvez pas utiliser les autres outils disponibles parce que vous vous êtes embarqués dans ce processus, n'est-ce pas?

M. Winogron: Premièrement, ce n'est pas exact. Le revendicateur a le droit de retirer une revendication à toutes les étapes du processus jusqu'au moment de la décision. Vos options ne sont fermées que lorsque le Tribunal rend sa décision.

Le sénateur Watt: Lorsqu'il se retire, il peut seulement choisir de l'adresser aux tribunaux, n'est-ce pas?

M. Winogron: Oui.

Deuxièmement, je pense que vous faites référence à la Commission des revendications des Indiens qui existe actuellement. Cette commission, comme l'a dit le ministre tout à l'heure, sera démantelée une fois que cet organisme sera opérationnel. Cette option ne sera plus offerte aux revendicateurs. C'est exact.

La présidente: J'ai une dernière question qui concerne l'arbitrage exécutoire. Toutes les parties doivent accepter l'arbitrage exécutoire. Si la Première nation veut l'arbitrage exécutoire et que le gouvernement n'est pas d'accord, qu'est-ce qui se passe?

M. Winogron: Il n'y aura pas d'arbitrage exécutoire.

La présidente: Existe-t-il une autre option?

M. Winogron: On peut alors s'adresser au Tribunal si la revendication est conforme aux critères en ce sens.

Je dirai brièvement que l'arbitrage exécutoire est l'une des caractéristiques dont nous avons longuement discuté avec le groupe de travail mixte. L'avantage de cette disposition particulière, c'est que l'arbitrage exécutoire peut être adapté aux besoins de la personne. Si les parties sont d'accord, nous pouvons éliminer certains ou la totalité des paramètres qui existent actuellement dans le processus. On peut toujours négocier la suppression des 7 millions de dollars et de tous les autres paramètres.

Bien sûr, cette décision doit être exceptionnelle parce le processus est en place. Cependant, si une situation qui favoriserait l'adoption d'une approche très restreinte et bien spécifique se présente, alors toutes les parties peuvent s'en prévaloir également.

La présidente: Il ne nous reste plus beaucoup de temps, je suis certaine qu'on vous réinvitera pour une autre discussion. Je tiens à vous remercier tous les deux d'être restés avec nous après l'intervention du ministre, de sorte que nous avons pu entreprendre une vraie bonne discussion.

La séance est levée.


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