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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 6 - Témoignages du 6 février 2003


OTTAWA, le jeudi 6 février 2003

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 8 h 35 pour étudier l'impact du changement climatique sur l'agriculture, les forêts et les collectivités rurales au Canada et les stratégies d'adaptation à l'étude axées sur l'industrie primaire, les méthodes, les outils technologiques, les écosystèmes et d'autres éléments s'y rapportant.

Le sénateur Donald H. Oliver (président) occupe le fauteuil.

[Translation]

Le président: Honorables sénateurs, le comité, à la suite de sa dernière étude, a publié un rapport intitulé «Les agriculteurs canadiens en danger». Dans ce rapport, le comité a constaté que les difficultés liées à l'environnement représentaient pour l'agriculture et le Canada rural un enjeu d'une urgence telle qu'il a décidé d'entreprendre une étude exhaustive des effets du changement climatique sur l'agriculture et les forêts dans les collectivités rurales.

Le comité se penche sur les effets attendus du changement climatique sur l'agriculture, les forêts et les collectivités rurales du Canada et, fait plus important encore, se demandera comment ces secteurs peuvent s'adapter aux changements climatiques prévus. Le comité devrait présenter ce rapport d'ici la fin de 2003. Nous comptons respecter cette échéance et probablement même la devancer.

Après avoir eu des rencontres avec les divers ministères fédéraux à propos des aspects généraux du changement climatique, le comité a eu droit à un aperçu des enjeux régionaux par l'entremise des six bureaux régionaux du Réseau canadien de recherche sur les impacts climatiques et l'adaptation (C-CIARN).

Aujourd'hui, le comité reçoit le Sierra Club du Canada, organisme bien connu qui s'intéresse activement aux questions touchant le changement climatique.

La semaine prochaine, nos réunions porteront principalement sur les préoccupations de l'industrie, que nous aborderons avec des représentants de l'industrie forestière et des regroupements agricoles.

Je cède maintenant la parole à Mme Elizabeth May et à M. von Mirbach.

Mme Elizabeth May, directrice exécutive, Sierra Club du Canada: Honorables sénateurs, merci de nous avoir invités à comparaître devant vous aujourd'hui. Nous avons préparé notre exposé en fonction de l'ordre de référence donné au comité, c'est-à-dire étudier les impacts du changement climatique sur l'agriculture, les forêts et les collectivités rurales de même que la portée éventuelle des mesures d'adaptation aux changements que nous ne pourrons pas éviter. M. von Mirbach tentera pour sa part de s'intéresser à l'agriculture, aux collectivités rurales qui ne dépendent ni de l'agriculture ni des forêts et aux forêts à titre d'enjeux distincts.

L'essentiel de l'exposé et des travaux régionaux que le Sierra Club a effectués dans ce domaine porte sur les forêts. M. von Mirbach évoquera aussi les questions touchant la forêt. Pour ma part, je m'intéresserai aux questions que nous jugeons préoccupantes pour l'agriculture.

Dans la rubrique «collectivités rurales», je vais profiter de l'occasion qui m'est donnée pour attirer l'attention des sénateurs sur les impacts subis par les pêches et les petites collectivités rurales qui dépendent d'elles. Je vais également dire un mot des impacts du changement climatique sur les forêts et du rôle potentiel des forêts comme moyen de répondre à la menace que présente le changement climatique, y compris les mesures d'adaptation.

Voilà les principaux domaines que nous nous efforcerons de toucher dans notre exposé, dont nous tenterons de limiter la durée à moins de 20 minutes.

Nous allons débuter par un tableau dont je sais que vous l'avez vu. Il fait état des données relatives à la température et au dioxyde de carbone observées partout dans le monde au cours d'une période s'étendant de l'an 1000 jusqu'en l'an 2100 ainsi que d'augmentations rapides. À maints égards, ce phénomène a des impacts véritables. À mes yeux, il s'agit d'un tableau absolument terrifiant. Il indique clairement que nous devons savoir gré au gouvernement du Canada d'avoir ratifié l'Accord de Kyoto et que nous devons tout mettre en œuvre pour en arriver à l'une des lignes qui indiquent les résultats les plus faibles en ce qui a trait à l'augmentation des émissions de CO2 du point de vue de l'impact sur la température.

À l'examen du tableau, on ne doit surtout pas oublier que, selon le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), les effets des réductions des émissions de dioxyde de carbone seront considérablement décalés, même si nous parvenons à l'objectif ultime, soit une diminution de 70 p. 100 des émissions mondiales de CO2. Le chiffre de 70 p. 100 est une extrapolation scientifique établie par le GIEC pour donner une idée de l'importance de la réduction de la production de CO2 nécessaire pour éviter un dédoublement des niveaux dans l'atmosphère. Même si nous atteignions cet objectif demain, nous devrions attendre pendant plus de 100 ans que la température se stabilise et pendant plus de 1000 ans que l'augmentation du niveau de la mer cesse. Dans le système, nous avons déjà escompté les impacts à long terme, et pourtant nous continuons de rejeter plus de CO2 dans l'atmosphère.

Quels sont les impacts de ce genre de bouleversement des températures sur l'agriculture, les collectivités rurales et les forêts?

Je vais maintenant dire un mot de l'agriculture et des collectivités rurales, du point de vue des menaces d'abord et de celui des possibilités ensuite. M. von Mirbach vous entretiendra après des forêts.

De toute évidence, l'un des impacts majeurs pour l'agriculture tient à l'aggravation du phénomène des sécheresses, lequel s'explique par des températures plus élevées qui se traduisent par une évaporation plus marquée. On n'observera pas de changement majeur dans les précipitations annuelles. En moyenne, cependant, il y aura moins d'humidité dans le sol. On constate déjà ce phénomène dans les Prairies et partout au pays. On dénote une diminution du débit minimum moyen de la plupart des fleuves et des rivières. La rivière Rouge, de ce point de vue, fait exception à la règle.

Cette réduction du débit minimum moyen des fleuves et des rivières s'observe du bassin de la rivière Saint-Jean au Nouveau-Brunswick jusqu'aux Rocheuses. Voilà le résultat d'une concentration de dioxyde de carbone dans l'atmosphère supérieur d'environ 30 p. 100 à ce qu'elle était avant la Révolution industrielle. On compose aujourd'hui avec une diminution de l'humidité moyenne dans le sol et du débit des fleuves et des rivières. Nous pouvons en conséquence nous attendre à plus de sécheresses, avec les conséquences que l'on sait sur les agriculteurs.

J'ai dit que les précipitations moyennes n'allaient probablement pas augmenter, mais nous serons témoins d'une augmentation du nombre de chutes de pluie violente survenant au cours de courtes périodes. L'air plus chaud, en effet, contient davantage d'humidité. Ce phénomène se traduira par une érosion du sol plus poussée. Avec le réchauffement des températures, un plus grand nombre de parasites survivront à l'hiver, ce qui entraînera une recrudescence des problèmes imputables aux insectes. Les pénuries d'eau constitueront aussi un véritable problème, en particulier dans les Prairies.

Dans les collectivités rurales non forestières, ce sont les pêches qui sont le plus menacées, mais suivant un modèle différent. Fait ironique, les eaux de la région côtière de l'Atlantique refroidissent en raison de l'effet du courant du Labrador. Selon certaines hypothèses, l'une des principales raisons qui expliquent que les stocks de morue ne se soient pas reconstitués après le moratoire tient au fait que les eaux plus froides représentent un stress environnemental peu propice à la régénérescence des populations.

Dans une bonne part de la Colombie-Britannique, l'eau se réchauffe, en particulier dans les cours d'eau à saumons, où le frai ne s'effectue qu'à une température idéale. Au cours des dernières années, le MPO et Environnement Canada ont à l'occasion signalé que la température était tout simplement trop chaude pour que les poissons puissent se reproduire.

Quelles sont les possibilités qui s'offrent pour le monde de l'après-Kyoto? L'une des principales est que les agriculteurs pourront planter des arbres sur les terres marginales. Ce sont des secteurs où l'agriculture n'est pas rentable, de toute façon. En plantant des arbres, les agriculteurs pourront obtenir des crédits d'émission de dioxyde de carbone. Dans de tels cas, nous pensons qu'il est important de planter des espèces indigènes.

En contexte forestier, la plantation d'arbres représente un sujet controversé, mais je tiens à en parler parce qu'il s'agit d'une chose que les agriculteurs peuvent faire pour améliorer les puits de carbone et la rétention d'eau dans certains secteurs. L'adaptation peut aussi constituer un moyen de réduire les émissions de dioxyde de carbone. Les agriculteurs peuvent adopter des méthodes culturales de conservation du sol sans labour et planter des brise-vent qui contribuent à restaurer les terres dégradées et à améliorer les puits de carbone.

Les agriculteurs peuvent également s'associer à la production d'énergie éolienne. Les agriculteurs de l'Iowa affirment tirer davantage d'argent de la location de la périphérie de leur ferme aux fins de la production d'énergie éolienne destinée à la vente que de l'agriculture.

Les collectivités de pêche se trouvent dans une situation différente. Pour protéger des pêcheries viables, elles doivent miser sur des stratégies de gestion adaptative. Je tiens à féliciter le ministère des Pêches et des Océans qui a tenté d'intégrer à l'ensemble de son système décisionnel le principe selon lequel il vaut mieux pécher par excès de prudence. Auparavant, on faisait le contraire, et ce sont les stocks de morue qui en ont fait les frais. La leçon semble avoir porté.

Lorsque l'environnement donne l'impression d'être en proie à de nouveaux stress, nous devons cependant apporter une attention toute particulière à nos pêcheries. Par exemple, nous devrions protéger toutes les frayères et les aires migratoires principales le long du littoral. L'exploitation pétrolière et gazière accrue, en particulier dans la région de l'Atlantique, est l'une des nouvelles menaces qui pèsent contre elles. L'exploitation pétrolière et gazière peut coexister avec la pêche, mais pas partout ni tout le temps. Nous devons désigner des secteurs pour assurer la protection des frayères et des routes de migration contre d'autres formes de développement industriel.

M. Martin von Mirbach, directeur, Forêts et diversité biologique, Sierra Club du Canada: Je vais dire quelques mots de l'impact des forêts sur le changement climatique, ce qui constitue une autre approche de la question des mesures d'atténuation.

La différence entre «puits» et «réservoirs» est l'un des secteurs où l'on note une confusion considérable. Selon le moment, les forêts sont des sources, des réservoirs ou des puits de carbone. Le piégeage est l'action par laquelle le carbone présent dans l'atmosphère est absorbé. Les arbres jeunes et en croissance peuvent piéger du carbone grâce au phénomène de la photosynthèse. Lorsque des matières végétales se décomposent en raison d'événements naturels ou de l'exploitation forestière, les forêts constituent également des sources.

En dernier lieu, la forêt est un réservoir où, au fil du temps, de grandes quantités de carbone sont stockées sur le territoire. La distinction importante est la suivante: les anciennes forêts constituent de bons réservoirs de carbone parce que le volume général est élevé; en revanche, les jeunes forêts en croissance sont des puits de carbone efficaces. Les deux ont un rôle important à jouer pour l'atteinte des objectifs de l'Accord de Kyoto et la lutte au changement climatique, mais, à long terme, un réservoir forestier est plus précieux qu'un puits.

Autre facteur clé, l'expansion de l'infrastructure industrielle est inévitablement une cause de déforestation. Le Canada compte 418 millions d'hectares de forêts, et nous sommes un pays en croissance. L'expansion continue de l'infrastructure dans la forêt entraîne de la déforestation, d'où une perte de carbone.

Comme je l'ai indiqué plus tôt, les vieilles forêts emprisonnent plus de carbone que les jeunes. Ainsi, la conversion de forêts vierges en forêts secondaires aménagées entraîne généralement une perte importante de carbone. Il est désolant de constater que les forêts du Canada sont au total une source nette de carbone: de 1920 jusque dans les années 70, les forêts du Canada absorbaient plus de carbone grâce à leur croissance qu'elles n'en émettaient sous l'effet de la décomposition. À la fin des années 70 et au début des années 80, la tendance s'est renversée. À l'heure actuelle, les forêts rejettent plus de carbone dans l'atmosphère qu'elles n'en emprisonnent.

Dans le graphique, la ligne fine indique la prévalence des dégâts causés par les insectes qui ont connu une augmentation marquée dans les années 70 de même qu'une forte augmentation de la prévalence des feux de forêt à la fin des années 70 et dans les années 80. Ce sont ces bouleversements du territoire forestier national tout entier qui expliquent principalement que les forêts, de puits qu'elles étaient, sont aujourd'hui des sources. S'il est difficile d'affirmer avec certitude que tel ou tel incendie ou telle ou telle infestation d'insectes est imputable au changement climatique, tout indique qu'il s'agit d'un facteur important.

En ce qui concerne la déforestation, l'information produite pour la table ronde du secteur forestier illustre certaines des sources de la déforestation, y compris la conversion agricole et l'exploitation forestière. Dans ce cas-ci, l'activité forestière ne tient compte que des routes et des jetées. On ne tient pas compte des activités de coupe parce qu'il n'y a pas de déforestation lorsque la forêt repousse. On indique également la déforestation imputable à l'infrastructure institutionnelle ou industrielle, qu'il s'agisse de l'exploitation pétrolière, minière ou hydroélectrique, de même qu'au développement urbain, aux transports et aux loisirs.

En pourcentage des forêts canadiennes, le taux annuel de déforestation n'a rien d'excessif. Cependant, étant donné la taille de nos forêts, il n'en demeure pas moins important en chiffres absolus. On estime que de 55 000 à 88 000 hectares par année sont frappés par la déforestation, ce qui correspond à un débit de carbone de 14 à 16 mégatonnes.

En ce qui concerne certains des effets attendus et observés du changement climatique sur les forêts, il est juste de dire que ces dernières font face à des stress sans précédent.

Parmi ceux-ci, mentionnons des maladies et des insectes nouveaux. L'enjeu tient au fait que, au moment où les régions climatiques migrent vers le Nord, on constate que les insectes sont nettement mieux en mesure que les arbres de s'établir dans ces régions. Ces derniers n'arrivent tout simplement pas à suivre le mouvement et à se déplacer aussi rapidement que les insectes, tant s'en faut. Même si le climat convient à une nouvelle espèce d'arbres, le sol risque de ne pas convenir, tandis que les insectes coloniseront sans tarder les nouveaux habitats. On impute à trois hivers doux consécutifs les effets dévastateurs du dendroctone du pin en Colombie-Britannique, ce qui a permis à ces insectes de passer l'hiver dans ces régions, une première. Tôt ou tard, après des centaines ou des milliers d'années, les arbres finiront par s'adapter et à pouvoir résister à ces insectes, mais le stock génétique dans ces régions n'a jamais eu besoin de constituer une telle résistance, et les espèces sont donc plutôt vulnérables.

Les changements dans les courbes de précipitation ont eu un impact sur les forêts au même titre que sur l'agriculture. On pense notamment aux sécheresses et à l'assèchement de même qu'aux inondations éclair. Les sécheresses sont particulièrement probables. Comme le montre le graphique précédent, des données laissent croire à une augmentation marquée de la fréquence et de la gravité des feux de forêts. Une fois de plus, il s'agit d'un phénomène inquiétant dans la mesure où il a pour effet d'abaisser l'âge moyen de la forêt en général et donc la quantité de carbone que la forêt peut emmagasiner. La gravité des feux de forêt fait craindre l'avènement d'une boucle de rétroaction.

Les phénomènes météorologiques extrêmes risquent en outre d'être plus fréquents. Une fois de plus, on parle d'événements localisés, mais qui peuvent avoir des impacts marqués sur la santé des forêts.

J'ai aussi indiqué qu'on projette et observe des taux de croissance accrus, en raison de la prolongation de la saison de croissance et de la présence de dioxyde de carbone dans l'atmosphère, milieu plus propice à la croissance. Certaines données indiquent que les arbres poussent effectivement plus vite, même si certains laissent entendre que ces épisodes ne dureront que pendant des décennies. Suit une recrudescence du phénomène de la respiration des plantes ayant pour effet d'annuler l'augmentation du taux de croissance.

De façon générale, les impacts les plus alarmants, du point de vue humain, tiennent purement et simplement à l'incertitude. Nous ne sommes pas en mesure de prédire avec certitude ce qui se passera ni où. Cette incertitude a déjà eu un impact sur le climat d'investissement. On a beau dire que telle ou telle région se prête mieux à certains types d'activité, les investisseurs dans un centre de ski, par exemple, perdront leur mise.

La carte que vous avez sous les yeux indique certains des changements climatiques prévus suivant un dédoublement des concentrations de dioxyde de carbone dans l'atmosphère, ce qu'on considère comme une estimation prudente de l'évolution probable de la situation. Les concentrations seront vraisemblablement nettement plus grandes.

La carte que vous voyez en haut de l'écran représente la couverture terrestre, et la tache verte, la forêt boréale, qui s'étend de Terre-Neuve jusqu'au nord de la Saskatchewan. Avec un dédoublement des concentrations de dioxyde de carbone dans l'atmosphère, essentiellement toute la région, à l'exception de certains secteurs du nord du Québec et du Labrador, verseront de la forêt boréale dans la zone tempérée. Une fois de plus, cela ne signifie pas que les forêts tempérées remplaceront les forêts boréales du jour au lendemain. Le problème, c'est que les forêts existantes ne se trouveront plus dans la zone climatique qui leur convient le mieux. Les forêts ne disparaîtront pas nécessairement, même s'il existe de tels risques au niveau local, mais elles feront face à des stress sans précédent.

En ce qui concerne les mesures d'adaptation pour les forêts, certains des témoins que vous avez entendus auparavant ont évoqué les nouvelles espèces que nous pourrions être en mesure de planter. L'un des facteurs que nous devons prendre en considération, c'est que l'ampleur de la forêt canadienne est telle qu'on peut difficilement imaginer qu'une entreprise humaine soit en mesure de gérer efficacement la transition d'une zone climatique à une autre. Si nous sommes peut-être en mesure d'extrapoler la zone climatique qui conviendra à un arbre dans 50 ans, il ne s'ensuit pas nécessairement que des semis plantés dans la région en question y seront bien adaptés. Voilà un autre facteur dont on doit tenir compte. Le climat change, mais la question de savoir quelles espèces planter et à quels endroits le faire soulève énormément d'incertitude. C'est l'une des raisons qui expliquent que l'industrie forestière ait tardé à adopter et à mettre en œuvre sérieusement des mesures d'adaptation.

Cependant, en règle générale, l'une des remarques les plus importantes que l'on puisse faire ici, au vu de l'incertitude qui entoure l'évolution de la situation et ses impacts, la mise en œuvre de vastes aires protégées revêt une importance particulièrement critique dans la mesure où elles constituent des corridors nord-sud par où les espèces pourront migrer vers leur nouvel habitant. Nous faisons face à deux types de migration. La première concerne la capacité des espèces de migrer 50, 100 ou 200 kilomètres vers le nord. Avec la fragmentation de plus en plus grande du territoire au sud, cette migration devient difficile. Nous avons toujours la possibilité de préserver ces possibilités dans un certain nombre de forêts et de territoires nordiques, où les bouleversements qu'entraînent des réseaux routiers poussés et d'autres formes d'aménagement ne sont pas encore trop marqués. Dans la mesure où elles peuvent freiner cette fragmentation, ces aires protégées deviennent des outils extrêmement précieux pour l'adaptation des espèces.

Le recours à des aires protégées procure des avantages triples. Il nous permet de répondre à l'objectif qui consiste à constituer un réseau d'aires protégées représentatives. Il permet à des espèces de s'adapter au changement climatique, et les aires protégées elles-mêmes stockeront en moyenne plus de carbone que les forêts qui sont exploitées énergiquement à une échelle industrielle. Les aires protégées devraient ouvrir en particulier les voies de l'immigration nord-sud, mais aussi se trouver en terrain montagneux, où les espèces peuvent assez facilement migrer en altitude pour atteindre un climat plus convenable. Ce n'est pas la solution privilégiée dans la mesure où elle aurait pour effet de créer ce que nous appelons des «îlots d'extinction». Les espèces concernées pourraient survivre pendant plus longtemps que si rien n'est fait, mais, de façon générale, le déplacement vers un habitat relié plus vaste revêtira à partir de maintenant une importance plus grande.

Mme May: Je voulais dire un mot de l'accent que vous mettez sur l'adaptation. La question a été controversée. Certains d'entre vous ont par exemple remarqué que, dans le cadre du débat sur le changement climatique, on a parfois accusé les partisans de l'adaptation d'avoir abandonné la lutte. L'adaptation, c'était le langage de ceux qui ne souhaitaient rien faire pour réduire les émissions. Le Sierra Club du Canada est fermement déterminé à explorer les questions relatives à l'adaptation et à faire en sorte que les populations, les industries et les secteurs qui seront touchés par le changement climatique comprennent les modifications qui doivent être apportées maintenant.

La réalité, cependant, c'est que, à cause de ce que nous avons déjà fait à l'atmosphère — et j'ai déjà évoqué l'augmentation de 30 p. 100 des concentrations de dioxyde de carbone dans l'atmosphère, d'environ 275 parties par million avant la Révolution industrielle à 370 parties par million aujourd'hui — nous aurons beau réduire les émissions de dioxyde de carbone et d'autres gaz à effet de serre avec toute la célérité, l'intelligence et l'énergie dont nous sommes capables, nous n'allons pas pouvoir récupérer toutes les substances que nous avons déjà libérées dans l'atmosphère. Le changement climatique est donc irréversible. L'objectif de l'accord de Kyoto et des accords subséquents sera de faire en sorte que le changement climatique se limite à des niveaux auxquels nous serons en mesure de nous adapter et qui auront pour effet de réduire au minimum les effets catastrophiques. Ce faisant, nous éviterons les résultats les plus néfastes, à savoir faire comme si de rien n'était. La réalité, c'est que nous devons miser sur l'adaptation, l'atténuation et la réduction des émissions de dioxyde de carbone. Nous avons besoin de beaucoup plus que ce que prévoient actuellement les budgets de tous les pays du monde. Nous devons dans les deux cas faire beaucoup plus que ce qui est dans nos moyens.

Honorables sénateurs, je sais que vous vous intéressez tout particulièrement au Canada, mais l'adaptation aux phénomènes météorologiques extrêmes et aux bouleversements qui s'imposent revêt une importance toute particulière pour les pays en voie de développement, les régions les plus pauvres du monde, où des catastrophes naturelles comme l'ouragan Mitch peuvent balayer d'un seul coup dix années de développement et de majoration du PIB dans des pays comme le Honduras et le Guatemala. Souvent, on rebâtit l'infrastructure aux mêmes endroits, et des phénomènes météorologiques de plus en plus nombreux les détruiront de nouveau. L'adaptation est importante, au Canada et dans le monde.

L'un des principaux messages que nous tenons à vous communiquer, c'est que le changement climatique au Canada aura des effets sur nos forêts, notre agriculture et nos collectivités rurales, de façons marquées et éventuellement catastrophiques. On doit de toute urgence réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais des possibilités s'offrent aux collectivités rurales. Des possibilités s'offrent aussi au secteur forestier. La meilleure façon d'aider nos forêts à contribuer à l'atténuation des effets du changement climatique consiste à conserver de vastes écosystèmes intacts. Il en va de même pour la protection des pêcheries. Nous devons nous assurer que les écosystèmes où elles prospèrent ne soient pas confrontés à de multiples stress.

C'était donc un bref exposé d'un certain nombre d'enjeux, et nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions.

Le président: Sénateurs, Mme May doit nous quitter dans environ 25 minutes pour se rendre au Comité de l'énergie, mais M. von Mirbach va rester pour prendre part à notre discussion.

Votre premier transparent faisait état d'un soubresaut marqué dans l'augmentation des températures, et ainsi de suite. Vous avez notamment déclaré que le gouvernement, Dieu merci, avait adopté l'accord de Kyoto, faute de quoi nous serions en difficulté. Si nous devions adopter une série d'accords comparables à celui de Kyoto, pensez-vous que nous pourrions régler le problème du réchauffement planétaire et du changement climatique, de sorte que nous n'aurions plus à nous préoccuper de l'adaptation? Est-ce là l'effet des accords comme celui de Kyoto?

Mme May: Dans le graphique, nous étudions un certain nombre de modèles différents illustrant jusqu'où nous nous situons du point de vue de l'augmentation de la température moyenne dans le monde. Franchement, si on met pleinement en vigueur l'accord de Kyoto et que tous les pays signataires atteignent leur objectif, l'impact total sera de retarder de six à dix ans seulement le dédoublement des concentrations de carbone dans l'atmosphère mondial.

La conférence des parties sur le changement climatique fait référence à la Convention-cadre sur les changements climatiques, que le Canada a signée et ratifiée en 1992. C'est notre cadre, et c'est là que nous avons débuté. L'accord de Kyoto n'est que le premier, comme vous l'avez dit, d'une série d'accords. L'essentiel, c'est d'adopter une politique à long terme. Par exemple, les mesures prises par le Canada ne devraient pas, selon nous, viser simplement à atteindre tout juste les objectifs de l'accord de Kyoto. Nous devrions aujourd'hui mettre au point des solutions de façon que les réductions que nous effectuons pour 2008 à 2012 aient pour but de modifier de nombreux aspects de notre économie. Ainsi, il sera plus facile d'effectuer les réductions plus radicales pour ce que, dans les négociations internationales, on appelle la prochaine période budgétaire. Bientôt, nous allons entreprendre la négociation de la nouvelle série de protocoles qui s'appliqueront aux pays en voie de développement et qui prévoiront des réductions plus draconiennes, et cetera.

Même si on parvenait à négocier les accords mondiaux les plus ambitieux qui soient, on ne réussirait pas à stopper avant des siècles les effets du changement climatique à prévoir à raison d'une augmentation d'au moins 30 p. 100 des concentrations de CO2 dans l'atmosphère. Les accords ne nous dispensent certainement pas de réfléchir aux méthodes d'adaptation. Ils ne règlent absolument pas le problème. Voilà pourquoi le débat sur l'Accord de Kyoto a été si complexe. Les critiques qui mettaient en doute la volonté du gouvernement de ratifier l'accord de Kyoto pourraient facilement s'emparer de ce que je viens de dire pour affirmer que cet accord ne sert à rien. En soi, si rien d'autre n'est fait, l'accord retardera de six à dix ans le moment du dédoublement des concentrations dans l'atmosphère.

Le président: Vous avez utilisé le mot «retardera». Y a-t-il des données scientifiques qui indiquent un renversement possible de la situation?

Mme May: M. von Mirbach a dit ne pas savoir si nous pourrions éviter le dédoublement des concentrations de CO2. Il s'agit d'une question controversée. La communauté scientifique a choisi le dédoublement des concentrations de dioxyde de carbone comme seuil à partir duquel les impacts seront si graves qu'ils seront assurément dangereux et, dans certains cas, catastrophiques. L'objectif qui consiste à éviter le dédoublement des concentrations de CO2 fait partie de l'ordre du jour international depuis 1992. De nombreuses personnes, y compris des scientifiques et des négociateurs, doutent aujourd'hui de notre capacité d'y parvenir, et ils commencent à établir des modèles de prévision de ce qui arrivera si ces niveaux triplent, quadruplent et ainsi de suite. Les scénarios qui entourent le dédoublement des niveaux de CO2 dont on vous a parlé ne constituent pas les pires éventualités qui soient. En fait, ils représentent ce qui va arriver si nous n'empêchons pas ces concentrations de doubler. C'est tout ce qu'ils disent.

Pour ma part, je crois que nous pouvons encore éviter un dédoublement. C'est important. Cela aura-t-il pour effet de renverser l'importance de l'augmentation de la température dont nous sommes aujourd'hui témoins? Pas avant 100 ans au moins, même si on met en œuvre le calendrier de réduction des émissions le plus ambitieux.

Le sénateur Wiebe: Merci de votre témoignage d'aujourd'hui. Tous les témoins que nous avons entendus n'ont pas manqué de souligner les effets et les préjudices que les humains, à cause de leurs actions, font subir au climat et à notre monde. Notre comité en est conscient, et c'est la raison d'être du mandat qu'on nous a confié, c'est-à-dire trouver des moyens d'adaptation à ce changement.

Ce que nous avons constaté au pays au cours de la dernière année — l'incapacité des gouvernements à tous les niveaux de s'entendre sur l'urgence d'apporter des changements dans le contexte de l'accord de Kyoto — montre bien qu'il faudra beaucoup de temps avant que le Canada et le monde ne dégagent un consensus sur la gravité du problème.

Conscients du problème, nous sommes à la recherche de moyens d'adaptation. Merci d'avoir soulevé un certain nombre de questions à propos desquelles nous pourrons formuler des recommandations. Dans chacun de ces secteurs, les mesures d'adaptation seront très coûteuses. Si nous demandons à nos agriculteurs de se convertir aux cultures sans labour, chacun devra consentir un investissement initial de 100 000 $ uniquement pour l'équipement.

Si nous choisissons de planter des arbres, nous devrons opter pour des espèces capables de conserver un système radiculaire. Nous aurons beau recouvrir le sol, le territoire concerné, en l'absence de systèmes radiculaires, deviendra un désert. Il faudra beaucoup de temps avant qu'on soit en mesure d'obtenir un rendement et de récolter les arbres en question.

Je vous félicite des suggestions que vous avez faites, mais avez-vous d'autres idées de moyens d'adaptation possibles, et pensez-vous que le grand public, les gens qui ne travaillent ni dans l'agriculture ni dans les forêts, soient disposés à accepter les coûts qu'entraînera l'adaptation des industries agricole et forestière à ces changements rapides?

Mme May: Vous posez de bonnes questions. Laissez-moi vous dire que même les suggestions que nous avons faites pourraient procurer des avantages économiques avant ce que nous pensons généralement du point de vue de la récolte, par exemple.

Vous voudrez peut-être envisager la possibilité d'inviter d'autres témoins. Je ne sais pas si vous avez pensé à James Bruce, qui travaillait auparavant pour Environnement Canada. Il a présidé le groupe socioéconomique du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat. Il s'est intéressé à la possibilité d'utiliser le sol comme moyen de piégeage en réponse au changement climatique et comme moyen de créer un meilleur potentiel d'emmagasinage. M. von Mirbach a souligné la différence entre «réservoirs» et «puits», et, lorsque nous faisons état de l'amélioration de nos puits et de nos réservoirs dans la mouvance de l'après-Kyoto, nous tenons toujours à rappeler qu'il ne s'agit pas d'une solution de rechange à d'importantes réductions des émissions de gaz à effet de serre.

M. Bruce m'a également fait part d'une présentation qu'il a faite devant le Comité de l'agriculture de la Chambre le 5 décembre. À cette occasion, il a cité un rapport spécial du GIEC dans lequel on estime que des activités concernant le territoire et la forêt — piégeage par le sol — pourraient, à l'échelle mondiale, capturer 500 mégatonnes de carbone par année, soit près de 10 p. 100 des émissions nettes. Il est difficile de vérifier si les sols stockent effectivement du carbone puisé dans l'atmosphère, mais, en théorie tout au moins, on pourrait imaginer que les agriculteurs puissent recevoir des prestations en espèces sous forme de crédit d'émission de carbone pour leur contribution à l'atteinte des objectifs de l'Accord de Kyoto, selon l'importance que prendra au Canada le régime d'échange de droits d'émission de carbone, qui n'a pas encore été dévoilé. Les agriculteurs auraient intérêt à planter des arbres. Bien avant de récolter la fibre, ils récolteraient le carbone.

En réalité, l'accord de Kyoto attache une valeur monétaire à ce que nous avons toujours considéré comme étant sans valeur, à un produit gratuit — le carbone. Le fait de monnayer le carbone, même si nous n'appliquons pas le bon prix au cours de la première période budgétaire, a un impact économique ayant pour effet de transformer notre perception des forêts, des sols et de la pollution. Il ne s'agit plus seulement de rejeter dans l'atmosphère une substance néfaste pour nous; ce faisant, on gaspille de l'argent. Voilà qui change les perspectives.

À la Bourse de Chicago, on échange des droits d'émission de carbone. Le phénomène apparaît aux États-Unis, même s'ils n'ont pas ratifié l'accord de Kyoto. Peut-être les agriculteurs pourraient-ils en retirer des avantages pécuniaires immédiats.

Il est certain que le malheur des agriculteurs en des temps de sécheresse accrue et continue occasionnera des coûts pour les contribuables. Le gouvernement fédéral a accordé une aide considérable — certes insuffisante, du point de vue des agriculteurs qui souffrent — aux agriculteurs pour les aider à faire face aux années où les récoltes avortent faute de précipitations suffisantes. De plus en plus, des cultures échoueront à cause de la sécheresse, et il apparaît donc sensé de se tourner vers l'agriculture, partenaire qui pourrait nous aider à faire face à la menace que représente le changement climatique en renforçant la capacité des agriculteurs de produire de l'énergie renouvelable et de toucher des sommes en contrepartie de cette activité et de leur capacité d'emprisonner du carbone dans le sol.

De nos jours, on insiste également pour le versement de subventions en vue de la production d'éthanol. Nous sommes certes favorables à la production d'éthanol, mais seulement si on utilise des déchets ligneux et les portions non comestibles du maïs. Certaines personnes rêvent maintenant de produire du maïs pour produire de l'éthanol. Si on le fait selon le principe du cycle de vie, il n'y a plus d'avantage du point de vue des gaz à effet de serre.

Le président: On peut planter du maïs non comestible.

Mme May: Vous pouvez le faire, mais utilisez plutôt des épis dépouillés et les déchets pour produire de l'éthanol. La solution repose dans des systèmes de production d'éthanol adéquatement conçus qui reposent sur l'utilisation de déchets — un système de production d'éthanol à côté d'un moulin qui utilise les déchets ligneux ou d'éthanol à titre de biocarburant fondé sur le maïs, mais pas sur la production de maïs comme moyen d'alimenter une usine de production d'éthanol. Au fond, les avantages tirés de la réduction des émissions d'échappement, attribuables au fait que la voiture fonctionne à l'éthanol, sont perdus à l'autre bout à cause de l'énergie qu'il faut utiliser pour faire pousser le maïs — les tracteurs, les pesticides, et cetera. Nous mettons plutôt l'accent sur un système de production d'éthanol alimenté aux déchets. Voilà un autre secteur où il y a des avantages possibles.

Nous devons envisager les politiques relatives au changement climatique dans tous les secteurs, pas uniquement du point de vue de ce qu'il faut faire pour l'environnement, mais aussi de façon plus holistique; nous devons nous demander comment mieux faire tourner l'économie, de façon plus intelligente et plus efficiente. Nos façons de faire peuvent avoir en simultané une incidence sur d'autres problèmes, par exemple trouver des moyens de garder nos collectivités rurales en vie. Je ne pense pas que tous les Canadiens tiennent à vivre en ville. Comment lutter contre le changement climatique au moyen d'une bonne politique sociale économique et environnementale?

On peut apporter d'autres solutions qui se justifient sur le plan économique. L'industrie forestière a beaucoup fait pour réduire les émissions de CO2 de ses usines. Ses représentants se méfient. Que font-ils pour s'adapter aux niveaux de changement climatique? Il est difficile de planifier aujourd'hui en fonction de ce que sera le climat canadien dans 100 ans. Le Service canadien des forêts doit contribuer à doter les scientifiques de capacités suffisantes. Bon nombre de tableaux que nous avons montrés ont été conçus à partir des travaux de scientifiques et des efforts du gouvernement fédéral. Ce sont de bonnes données scientifiques.

Le sénateur Gustafson: J'aimerais reprendre où le sénateur Wiebe a terminé. Nous constituons désormais un pays urbain, sur le plan politique et économique. Les gouvernements — je ne m'acharne pas contre le gouvernement libéral puisque la question de savoir qui est au pouvoir importe peu — adopteront automatiquement des politiques fondées sur la loi du plus grand nombre: c'est ainsi que fonctionne le processus démocratique.

Par nécessité, les exploitations agricoles deviennent de plus en plus grandes. Elles doivent grandir pour survivre, et le sénateur Wiebe y a fait allusion. Dans notre région du sud des Prairies, où la sécheresse sévit, l'expansion des exploitations agricoles a pour effet d'entraîner une élimination progressive des brise-vent. En même temps, la pépinière où on faisait pousser des arbres n'existe plus. Elle produisait des milliers d'arbres utilisés pour la reforestation, les brise-vent et ainsi de suite.

Vous avez fait allusion au Protocole de Kyoto. Fait intéressant, l'industrie automobile n'est pas visée par l'accord. À votre avis, qu'en pensent les agriculteurs de l'Ouest? Qu'en pensent les producteurs pétroliers de l'Ouest? Ils disent: «Vous vous bercez de belles paroles, mais vous ne prêchez pas par l'exemple». Voilà les réserves que m'inspirent bon nombre de ces questions.

Ce que vous dites est bien beau, mais destinez-vous votre message au Canada urbain? Le destinez-vous au gouvernement? Le comité a fait un travail remarquable pour formuler des recommandations pour l'agriculture. Je ne cherche pas à ouvrir un débat politique, mais je pense que les enjeux sont plus vastes. Nous ne mettons pas dans le mille dans l'ensemble du Canada. Le Canadien moyen n'a aucune idée de la souffrance, de la situation qu'on vit là-bas. C'est très grave.

Mme May: De façon générale, je pense que la vie en milieu rural éveille des images romantiques, même chez les Canadiens qui vivent en milieu urbain. Il est difficile d'exploiter une ferme familiale. Ma famille vient d'une petite collectivité du Cap-Breton. La vie n'y est pas facile, mais on en a une vision idéalisée. En ce sens, ces gens ne veulent pas la voir disparaître.

Je sais que nous digressons un peu par rapport au sujet qui nous occupe, c'est-à-dire le changement climatique, mais je tiens à dire qu'on devrait aussi tenir compte de ce qui arrive à l'environnement lorsque nous perdons un petit agriculteur ou un petit producteur de bétail. Tout devient plus grand, et les torts causés à l'environnement par les exploitations en question s'aggravent. En cette ère de mondialisation, les agriculteurs peuvent grandir sans céder à la tentation du gigantisme, et la solution consiste à rechercher des créneaux comme l'agriculture biologique, où le rendement est meilleur, mais on devra pour ce faire passer par une période de transition.

Par l'entremise de la Coalition du budget vert, à laquelle le Sierra Club et 15 autres groupes environnementaux nationaux appartiennent, nous avons proposé au ministre Manley de mettre des fonds à la disposition des agriculteurs qui souhaitent effectuer la transition de l'agriculture industrialisée à l'agriculture biologique. Cette dernière est moins énergivore, de sorte qu'elle a un impact moindre du point de vue du changement climatique. Comme elle ne fait pas appel à des poisons, l'environnement local est moins touché. Il faut cependant effectuer cette transition. Les petites exploitations agricoles contribuent au maintien en place des populations locales.

Le sénateur Gustafson: Les petits agriculteurs qui demeurent sur la ferme le font au prix de grands sacrifices personnels parce qu'ils doivent occuper un autre emploi et travailler 16 heures par jour. C'est à peu près le seul aspect positif qu'on puisse trouver.

Mme May: Je voulais revenir sur ce que vous avez dit au sujet de l'industrie automobile. Elle n'est pas exempte de l'accord de Kyoto. Le directeur du changement climatique du Sierra Club du Canada a fait la une du Globe and Mail pendant les vacances de Noël pour dénoncer ce qui venait d'être fait. Le gouvernement n'a pas exempté l'industrie automobile du protocole, mais il a pris la décision, ce qui, à notre avis, était une erreur, de les exclure du groupe qu'on appelle les «gros émetteurs industriels». Le gouvernement a choisi de ne pas se concentrer sur la pollution produite par les usines où sont fabriquées les voitures, et plutôt de se tourner vers la pollution produite par les voitures qu'elles fabriquent. L'industrie automobile devrait être réglementée de ce point de vue. Le gouvernement a le pouvoir de fixer les niveaux prescrits d'économie énergétique auquel l'industrie automobile doit se conformer, et son approche consiste pour le moment à négocier avec les trois grands de l'automobile. Nous pensons que les industries automobiles devraient être tenues de se conformer aux normes que la Californie s'est engagée à atteindre en 2009, de façon que le parc de voitures du Canada soit aussi efficient que celui de la Californie. Nous constituons un important marché pour les voitures, et nous n'allons donc pas nous marginaliser sur le plan économique.

Le président: Le problème avec l'agriculture biologique, c'est qu'il faut trois ans pour effectuer la transition.

Mme May: C'est exact.

Le président: Demandez-vous au gouvernement de financer l'agriculture qui souhaite effectuer cette transition?

Mme May: De la subventionner ou de l'aider pendant une période de trois ans. C'est précisément là que réside le problème.

Le sénateur Tkachuk: J'aimerais poser quelques questions au sujet de votre organisme lui-même. Combien de membres le Sierra Club compte-t-il, et d'où tire-t-il son financement?

Mme May: Nous n'avons pas une base colossale. Nous comptons 10 000 membres et partisans aux quatre coins du Canada. Nous n'avons pas recours au publipostage direct. Vous ne recevrez jamais de publicité importune de notre part.

Contrairement à nombre d'autres organismes, nos membres ne sont pas que des donateurs: ils interviennent aussi dans l'organisation à titre de bénévoles. Le Sierra Club ne se résume pas à des personnes comme M. von Mirbach et moi qui vivons et travaillons à Ottawa. On y retrouve également des membres et des bénévoles de l'Union des pêcheurs des Maritimes et des éleveurs de bétail qui tentent de survivre. Nos membres nous fournissent des renseignements de première main sur ce qu'ils vivent. Ils vivent pour la plupart en milieu urbain, mais nous avons aussi de nombreux membres qui nous sensibilisent à ces questions.

Notre financement vient du public, surtout de nos membres et d'autres. Le gouvernement ne nous a rien donné depuis quelques années, même si nous accepterions volontiers des crédits de sa part. Nous n'acceptons pas d'argent de la part de grandes sociétés industrielles.

Le sénateur Tkachuk: Vous avez dit: «De nos membres et d'autres»?

Mme May: Je voulais parler des fondations. À titre d'exemple, la Fondation de la famille J. W. McConnell de Montréal a appuyé notre Coalition Jeunesse Sierra. Nous sommes présents dans 25 campus universitaires du Canada, où nous nous employons à améliorer l'efficience énergétique et l'éthique environnementale générale. Je serais heureuse de vous faire parvenir nos états financiers par courrier.

Le sénateur Tkachuk: Nous vous en saurions gré.

À propos du changement climatique, on nous parle de l'augmentation des températures et de la quantité de carbone dans l'atmosphère. Quelle est donc la température normale?

Mme May: Il n'y a pas de température normale. Ce qu'il y a, ce sont des moyennes générales. Le graphique que nous vous avons soumis présente les moyennes, lesquelles fluctuent. Vous le voyez, il est impossible d'établir une température normale. Les moyennes occultent les extrêmes et, si les températures moyennes mondiales ont augmenté d'environ 1 degré Celsius au cours du dernier siècle, à cause du changement climatique provoqué par l'activité humaine, c'est la moyenne. L'augmentation du taux dans le nord du Canada, par exemple, est trois fois plus rapide et a un impact trois fois plus grand. Il n'y a pas de température normale unique.

Le sénateur Tkachuk: Vous dites que cette augmentation de 1 degré Celsius a été provoquée par l'activité humaine, mais il y a eu des changements climatiques de ce genre dans l'histoire humaine. Pourquoi sautons-nous à cette conclusion? Des témoins antérieurs nous ont dit que les données à ce sujet remontent à un nombre X d'années. Dans l'histoire, on a été témoin d'augmentations spectaculaires de la température. Par exemple, on nous dit que les Vikings sont venus ici au cours d'une période de réchauffement, soit de l'an 1300 à l'an 1500. Puis la température a refroidi, et ils ne sont plus venus à cause de cette raison. De toute évidence, nous avons déjà été témoins de fluctuations. À quoi étaient-elles imputables?

Mme May: Ce sont des fluctuations, et on en tient compte ici. On le voit dans l'étendue des températures moyennes mondiales. Cette zone correspond à la mesure des températures réelles, tandis que celle-ci correspond à ce qu'on appelle les «données indirectes»: on remonte en arrière pour s'intéresser à des choses comme le pollen et les relevés géologiques. Nous disposons de mesures réelles de concentration de CO2 dans l'atmosphère il y a 160 000 années. Elles proviennent d'échantillons provenant du cœur des glaces de l'Antarctique. Nous disposons également de données indirectes qui remontent à 20 millions d'années. On n'a pas sauté aux conclusions, je vous l'assure. Les 2 000 scientifiques qui composent le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat des Nations Unies ne tiennent compte que des travaux parus dans des revues à comité de lecture. Puis, en tenant compte de tout l'éventail des points de vue présentés, ils négocient, à titre de scientifiques, les scénarios les plus crédibles. Certains sont nettement plus alarmistes que ceux que les membres du groupe ont retenus par consensus, et il y a aussi des spécialistes qui pensent que les effets seront moindres. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat en est venu à la conclusion que les températures plus élevées et les augmentations de la concentration de CO2 dont nous avons été témoins ont été provoquées par l'activité humaine. Ce qui diffère par rapport aux épisodes que nous avons connus par le passé, c'est non seulement l'importance de l'augmentation de la température, mais aussi la période au cours de laquelle elle devrait se produire. Si on considère que l'écart de la température moyenne générale entre 2003 et la dernière période glaciaire n'était que de cinq degrés Celsius et que, selon le graphique, on prévoit une augmentation d'environ 5 degrés Celsius d'ici 100 ans par rapport à aujourd'hui, les scientifiques ont de quoi s'alarmer. Cela ne signifie pas que le climat n'ait pas fluctué au fil des ans, ni que les températures n'aient pas changé d'une période à l'autre. Seulement, la communauté scientifique s'entend désormais sur ce point: il ne fait aucun doute que les émissions de gaz à effet de serre entraînent un réchauffement de l'atmosphère. Les incertitudes qui demeurent sont pour la plupart localisées, c'est-à-dire qu'on demande quel impact l'augmentation de la vapeur d'eau aura sur un secteur donné et quel en sera l'effet sur le cycle des courants océaniques. J'ai fait brièvement allusion à cette situation en disant que le courant du Labrador draine plus d'eau froide à partir des côtes de Terre-Neuve en réaction au changement climatique. On dispose d'une abondante documentation scientifique laissant entendre que le Gulf Stream s'arrêtera et que l'Europe, qui en a bénéficié, aura des températures hivernales s'apparentant davantage à celles que le Canada a connues au cours du dernier millénaire.

Le sénateur Tkachuk: Il y a des scientifiques qui prétendent que nous nous dirigeons vers une ère glaciaire. Il s'agit pour une bonne part de spéculation. Le débat est animé. Il a beau y avoir 2 000 scientifiques, ils ne sont pas tous d'accord. Bon nombre d'entre eux divergent d'opinion. Nous utilisons le mot «scientifiques», mais de qui parlons- nous? S'agit-il de météorologues, de physiciens, de biologistes ou de chimistes?

Mme May: C'est une question trop vaste pour que nous puissions y répondre ici et avoir malgré tout du temps pour toucher les autres aspects.

Le sénateur Tkachuk: La question est importante. Certains prétendent que la catastrophe est imminente.

Mme May: Seize académies scientifiques nationales ont examiné les travaux du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, y compris la National Academy of Sciences des États-Unis, au même titre que des scientifiques triés sur le volet par le président Bush, et ils en sont venus à la conclusion que les résultats du groupe étaient corrects. En fait, ils étaient probablement même prudents. Nous pourrions revenir sur les qualifications de ces scientifiques, et je souhaiterais avoir plus de temps pour le faire, parce que j'aimerais vous convaincre.

Le président: On nous a déjà parlé des travaux du comité constitué par le président Bush.

Le sénateur Tkachuk: J'ai lu les résultats sur le site Web. Cependant, ce n'est pas ce à quoi je voulais en venir.

Mme May: Ces personnes possèdent un éventail de qualifications qui font d'elles des spécialistes aux yeux de leurs gouvernements respectifs.

Le sénateur Hubley: Pour les besoins de la cause, j'admets que nous vivons un réchauffement de notre climat. L'un des principaux messages que renferme le volet de votre mémoire consacré aux forêts, c'est que le changement climatique aura sur les forêts et l'agriculture des effets graves et peut-être catastrophiques. Puisque, en raison de leur gagne-pain, ils subiront les effets les plus durs et les plus directs, les agriculteurs et les pêcheurs devront apporter les changements les plus marqués.

Si nous devions faire des recommandations au gouvernement concernant l'importance de la mise au point d'une stratégie d'adaptation et de sommes à dépenser, devrions-nous considérer que c'est dans la recherche et les données scientifiques que se trouve la réponse?

Si nous devions recommander des investissements, vers quoi pensez-vous que nous devrions nous tourner à ce stade- ci?

Mme May: C'est une question difficile. Il est certainement sensé de renforcer la capacité scientifique de notre gouvernement. Elle a été grandement réduite au fil des ans, et nous avons besoin des chercheurs d'Agriculture Canada, du ministère des Pêches et des Océans et d'Environnement Canada, qui peuvent aider et conseiller divers secteurs. Cependant, il importe également d'aller sur le terrain et de faire des choses, d'aider les collectivités au moyen de projets de démonstration. Je ne veux pas noircir le portrait parce qu'il faut que l'Accord de Kyoto transforme notre société d'une façon généralement positive pour que soient adoptées des politiques fonctionnelles sur le plan économique, social et environnemental. Si nous sommes en mesure de commencer à dépenser les sommes dont nous disposons pour favoriser l'adoption de mesures qui nous paieront de retour, nous serons en mesure d'économiser assez d'argent au titre de l'utilisation d'énergie pour financer les mesures d'adaptation au changement climatique. La discussion d'aujourd'hui ne porte pas sur ce que nous pouvons faire pour éviter les émissions inutiles de dioxyde de carbone, mais il s'agit dans de nombreux cas de mesures économiques qui pourraient aider la communauté agricole à planter des arbres et à faire bouger les choses.

Au Canada, nous avons déjà été témoins de l'adoption de certaines mesures d'adaptation. L'exemple que je vais citer maintenant n'a aucun rapport avec la situation d'aujourd'hui, sauf qu'il concerne un milieu rural, mais on vous a probablement dit que, au moment de l'aménagement du lien fixe vers l'Île-du-Prince-Édouard, les ingénieurs ont tenu compte de ce qui allait arriver si le niveau de la mer était de un mètre supérieur. Certaines mesures d'adaptation font en sorte qu'on s'arrime à des mécanismes de planification existants. Tenons compte de ces questions dans la planification de l'infrastructure pour les collectivités qui bordent les Grands Lacs. Dans la stratégie d'adaptation pour ces localités, on devra prendre en compte le fait que les lacs vont s'éloigner de leurs rives actuelles. Les niveaux des Grands Lacs vont baisser au moment même où ceux des océans vont monter: dans la planification des embarcadères, des quais, des jetées et d'infrastructures de base, on devra tenir compte du changement climatique.

Avec votre permission, monsieur le président, je pense que je devrais maintenant me rendre au Comité de l'énergie.

Le président: On m'informe à l'instant que le comité accuse un certain retard et que nous pouvons vous garder encore un peu avec nous.

Mme May: Très bien. Je vais vous croire sur parole.

Le sénateur Day: J'aimerais poser un certain nombre de questions au sujet des forêts que je pourrai garder en mémoire jusqu'à ce que nous abordions cette question.

Premièrement, j'aimerais vous interroger au sujet du refroidissement des eaux de la côte Atlantique. J'avais l'impression que la plupart des personnes qui s'inquiètent de l'appauvrissement marqué des stocks de morue dans la région de l'Atlantique — du moins celles qui n'en imputent pas la faute aux phoques — pointaient du doigt le réchauffement des eaux de la région. Cette eau plus froide ne se trouve-t-elle qu'au large du Labrador?

Mme May: Non, c'est l'eau plus froide qui, de façon générale, a un effet sur les stocks de morue. On n'a pas observé de tendance au réchauffement des eaux au large de Terre-Neuve et de la Nouvelle-Écosse. En fait, l'eau s'est refroidie. Nous n'utilisons pas l'expression «réchauffement planétaire» parce qu'elle est trompeuse. Comme je l'ai indiqué, si le Gulf Stream s'arrête, ce qu'on appelle le «réchauffement planétaire» se traduira par du temps glacial pour l'Angleterre, phénomène auquel ce pays n'est pas préparé, faute de chauffage central. Les conséquences sont très différentes selon les régions du monde. Dans l'ensemble, les augmentations de la température auront un effet sur les courants océaniques. Il se trouve que les scientifiques qui étudient le cycle thermique du courant du Labrador, la circulation thermohaline constante des courants marins à l'échelle de la planète, admettent que pour un secteur étudié à fond, il demeure de nombreuses inconnues.

À titre d'exemple, nous savons qu'une molécule d'eau qui débute dans le courant du Labrador au large de Terre- Neuve et du Labrador reviendra tôt ou tard à son point de départ, après avoir parcouru le réseau de courants ou, si vous préférez, la circulation thermohaline sous-marine. Cette molécule d'eau a fait le tour du monde par l'entremise du Gulf Stream. Ce qu'ils ne savent pas, c'est si cette molécule d'eau prend un an ou 5 000 ans pour accomplir ce trajet. Ils ne savent pas combien de temps l'ensemble du système prend pour faire le tour du monde.

Certains scientifiques sont convaincus que les effets d'El Niño deviennent plus marqués en raison du réchauffement des eaux du Pacifique imputable au changement climatique. Quant à la morue, les eaux au large de la région atlantique du Canada se refroidissent toutes du fait que le courant du Labrador reçoit l'eau du reste des courants du monde, lesquels poussent l'eau froide vers la surface. L'eau remonte à la surface pour amorcer le cycle, et on a noté une augmentation de cette eau froide.

On note également un effet moins marqué de fonte des glaciers et des glaces de l'Arctique, ce qui contribue également à l'augmentation des eaux plus froides. Cependant, l'effet le plus sensible est celui du courant du Labrador. Au large de la région atlantique, l'eau est devenue plus froide, et non plus chaude.

Le sénateur Day: Y a-t-il des scientifiques qui croient que l'appauvrissement des stocks de morue sur la côte Est s'explique par des eaux plus froides?

Mme May: Oui.

Le sénateur Day: L'appauvrissement des stocks de saumon sur la côte Ouest s'explique-t-il par des eaux chaudes?

Mme May: Exactement, en vertu du même phénomène atmosphérique.

Le sénateur Day: C'est intéressant. On aura probablement besoin de plus de recherche dans ce domaine.

Mme May: Je ne dis pas que le refroidissement de l'eau explique entièrement que les stocks de morue ne se rétablissent pas, ce qui constitue un mystère. Il y a également des scientifiques qui pensent que la recrudescence de l'activité de prospection sismique de l'industrie pétrolière et gazière a nui à la capacité de reproduction des morues parce que, pour s'accoupler, elles font appel à la communication acoustique. Le fait qu'elles n'arrivent pas à s'entendre pourrait être un facteur. Il s'agit peut-être et probablement d'une combinaison d'un certain nombre de facteurs.

Le président: Y compris les phoques, parce qu'ils mangent environ 40 livres de morue par jour.

Mme May: Oui, mais les scientifiques qui étudient le phénomène sont moins convaincus qu'il s'agit d'un facteur primordial. Ce sont tous des facteurs, assurément, mais l'explication la plus probable du déclin est la surpêche, surtout la pêche hauturière à la drague plutôt que la pêche côtière plus petite. Les bateaux de pêche à la drague pouvaient traquer les derniers spécimens en raison de leur capacité de se déplacer un peu partout. Cependant, après l'interruption de la pêche, la plupart des scientifiques s'attendaient à ce que les populations se soient rétablies. Le moratoire date maintenant de dix ans. Ils cherchent les causes probables du non-rétablissement des stocks de morue. Du point de vue des recherches scientifiques, le changement climatique vient parmi les trois principales causes

Le sénateur Day: Dans votre mémoire, vous dites que les collectivités qui dépendent de la pêche s'adaptent à ces changements. Hormis l'adaptation de la quantité de poisson qu'ils peuvent tirer de la mer, quelles autres stratégies d'adaptation les pêcheurs pourraient-ils adopter?

Mme May: Il faudrait surtout mieux inculquer le principe de précaution et être en mesure de reconnaître quand un stock de poisson, par exemple, arrive à ce que Brian Tobin a un jour appelé l'«extinction commerciale». Les stocks de morue sont toujours présents, mais les populations ne sont pas en bonne santé; on ne peut plus pêcher de morue, et on peut à peine en trouver. Le monde est confronté à toutes ces difficultés environnementales, en particulier le changement climatique, mais l'appauvrissement de la couche d'ozone joue peut-être un rôle dans la mesure où elle favorise la pénétration d'une plus grande quantité de rayons ultraviolets dans les couches supérieures de l'océan. Certains pensent que ce phénomène a eu une incidence sur la capacité de se nourrir du capelan, qui est l'une des principales sources d'alimentation pour la morue. En présence de tous ces stress environnementaux, on doit éviter d'en ajouter de nouveaux. Voilà pourquoi nous insistons sur la nécessité de protéger les frayères et les routes migratoires. C'est là que réside la clé. On pourrait penser que cela n'a rien à voir avec l'adaptation, mais c'est faux. Ce faisant, on admet les impacts du changement climatique et on protège les pêcheries durables contre des pertes attribuables à des décisions qui ont été prises comme si les populations de crabes des neiges, de homards, de merluches ou de je ne sais quoi allaient être là pour toujours et qu'il ne fallait pas s'inquiéter puisque le MPO surveillait les niveaux de pêche. Cependant, personne n'a de contrôle sur les autres impacts.

Le président: Je viens de recevoir une autre note. Vous devez partir. Cependant, avant votre départ, j'aimerais permettre au sénateur Wiebe de poser une dernière question, puis vous pourrez courir à votre prochaine rencontre.

Le sénateur Wiebe: Ma question est difficile, et vous ne voudrez peut-être pas y répondre.

Mme May: Dans ce cas, j'inviterai M. von Mirbach à le faire à ma place.

Le sénateur Wiebe: Elle fait suite à une question que vous a posée le sénateur Tkachuk. À mon avis, l'un des aspects les plus frustrants vient du fait que nous entendons de nombreux rapports scientifiques au sujet de ce qui arrive à notre climat. Certains disent qu'il s'agit d'une progression naturelle; d'autres disent que nous courons au devant de graves dangers.

À la lecture de ces rapports, j'essaie de déterminer qui les a financés. Ce que je constate, c'est que, chez nous, ce sont les plus grands pollueurs et les gouvernements qui polluent le plus qui financent ces rapports qui nous disent qu'il s'agit d'une simple progression normale — qu'il ne faut ni s'alarmer ni s'inquiéter.

Est-ce là une évaluation juste des écarts observables au sein de notre communauté scientifique?

Mme May: D'abord, permettez-moi de dire que les données scientifiques dont il a été ici question ne soulèvent pas de grands débats. Les scientifiques qui affirment que les gaz à effet de serre transforment le climat sont aussi près de l'unanimité qu'on peut l'être sur une question scientifique au sein de notre société. Même les scientifiques qui se qualifient d'anticonformistes et qui s'opposent à l'accord de Kyoto reconnaissent que les gaz à effet de serre influent sur le climat. Ils souhaitent simplement débattre de la gravité probable de la situation ou de savoir si un deus ex machina apparaîtra soudain pour tous nous tirer d'affaire. Il est difficile d'aller à l'encontre des données scientifiques qui montrent que l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre transforme le climat de la planète.

J'ai eu récemment l'occasion de contre-interoger un scientifique faisant partie de la poignée d'anticonformistes à l'occasion d'une émission de la CBC. Je ne sais pas si vous étiez à l'écoute, mais j'ai essayé de faire parler Michael Enright de son financement, qui vient des producteurs de pétrole et de charbon. Il ne faisait aucun doute que son institut sur le changement climatique était financé par des sociétés qui exploitent des combustibles fossiles. Je ne suis pas parvenue à mes fins.

Cependant, j'exclus qu'il se trouve quelque part un scientifique légitime et objectif qui ne croit pas que le changement climatique soit un véritable problème et qui ne soit financé par personne. C'est un peu comme pour la question du tabac. Je pense que vous allez constater que la plupart des médecins qui affirment que le fait de fumer ne cause pas le cancer du poumon sont à la solde de Philip Morris; j'ai l'impression qu'il en va de même pour le changement climatique.

Le président: Merci d'être venue. J'espère que nous nous reverrons.

Mme May: M. von Mirbach est un excellent témoin, et je suis désolée de devoir aller témoigner devant un autre comité. Je vous remercie, monsieur le président.

Le sénateur Day: J'aimerais faire un commentaire au sujet de la dernière question. Ce n'était pas une question difficile du tout pour Mme May. En fait, je pense que c'était une question tendancieuse.

Des témoins antérieurs nous ont indiqué que les mécanismes de modélisation dont on dispose aujourd'hui, un peu comme ceux qui ont servi à l'élaboration des graphiques que vous nous avez présentés à la fin de votre exposé, où on constate une majoration des températures sur 100 ans, ne sont pas suffisamment précis. On pourrait par exemple obtenir de l'information pour indiquer à l'industrie forestière les arbres qu'elle devrait planter au Québec, par exemple, ou dans le nord de l'Ontario. Comme vous le savez et comme les membres du comité le savent, il s'agit d'une décision aux graves conséquences. Si vous plantez des arbres en vue de la reforestation, la récolte ne se fera que dans 60 à 80 ans. Il serait utile de planter les bons arbres.

Êtes-vous en mesure de confirmer ce commentaire au sujet de la modélisation?

M. von Mirbach: Oui, vous avez tout à fait raison. C'est un aspect très important. Les utilisateurs de modèles rappellent sans cesse à leurs interlocuteurs les limites des modèles, ce que les modèles sont ou ne sont pas, ce qu'ils font et ne font pas. Un modèle ne permet pas de prédire l'avenir avec un degré considérable de fiabilité; il ne sert qu'à définir un scénario. Ce dernier repose sur les hypothèses à la base du modèle. Pour ceux qui les utilisent, les modèles ont ceci d'utile qu'ils permettent d'examiner des scénarios de rechange. Par conséquent, un modèle qui projette un certain type d'activité sur une période de 100 ans ne permet pas de prédire de façon fiable ce qui va arriver. Le monde est trop complexe pour cela. Cependant, il permet de dire ceci: si nous ne faisons rien ou que nous choisissons la mesure A plutôt que la mesure B, quelles sont les différentes avenues qui s'offrent à nous? À mes yeux, un modèle est un scénario, une projection qui nous permet de prendre aujourd'hui des décisions le plus éclairées possible. Cependant, aucun modèle n'est fiable. On y trouve de l'information qui éclaire la prise de décisions réelle aujourd'hui, sans toutefois nous dire ce qui va arriver.

Le sénateur Day: Espérez-vous, pensez-vous ou prévoyez-vous que, grâce au perfectionnement des systèmes de modélisation, on sera un jour en mesure de prédire ce qui est susceptible d'arriver avec un certain degré d'exactitude?

M. von Mirbach: La modélisation du changement climatique fait l'objet d'une attention scientifique soutenue et de nombreux examens par des pairs. En effet, les 1 600 membres du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat constituent en soi le plus imposant dispositif d'examen par les pairs du monde. Les modèles ont été validés au niveau global, en ce sens qu'on peut, dans un cas, remonter aux conditions en vigueur en 1958, par exemple, repartir dans l'autre sens, voir ce que le modèle prédit et comparer à ce qui s'est effectivement produit.

Les modèles ont été validés au niveau global, en ce sens que ce qui est effectivement arrivé correspond généralement à ce que les modèles avaient prédit.

Le problème, c'est que les modèles sont extrêmement limités dans leur capacité de prédire les impacts locaux avec exactitude. Du point de vue d'un agriculteur, d'un forestier, d'un propriétaire foncier ou de quiconque d'autre, ce sont les impacts locaux qui comptent, et non les impacts mondiaux. Les impacts mondiaux ont une incidence sur des facteurs comme le prix du blé, par exemple, ce qui, en contrepartie, a des effets sur les gens, mais il est extrêmement difficile de prédire les impacts climatiques locaux.

Le sénateur Day: Devrions-nous recommander l'injection de fonds supplémentaires dans ce secteur de recherche particulier, ou savons-nous que nous ne serons jamais en mesure de faire des prédictions locales précises?

M. von Mirbach: N'étant pas un scientifique, j'hésite à répondre à cette question. Comme Mme May l'a dit, on a besoin de plus de recherche financée par les gouvernements. Je ne me risquerai pas à avancer des secteurs sous-financés donnés.

Le sénateur Day: Je vous remercie de votre franchise.

En poussant, un arbre absorbe du dioxyde de carbone et libère de l'oxygène: c'est la photosynthèse dont on nous a tous parlé à l'école. J'aurais cru qu'un arbre qui pousse plus vite absorberait plus de dioxyde de carbone et libérerait plus d'oxygène. Par conséquent, les arbres plus jeunes, qui tendent à pousser plus vite, seraient plus utiles que les plus anciens. N'est-ce pas exact?

M. von Mirbach: C'est le paradoxe ou le dilemme qui caractérise la comparaison de la capacité de piégeage des arbres plus jeunes au potentiel de stockage des forêts anciennes.

On s'est beaucoup intéressé aux arbres à croissance rapide. Vous avez tout à fait raison. L'arbre qui pousse vite absorbe plus rapidement le carbone de l'atmosphère. Du point de vue des investisseurs dans d'éventuels crédits liés à l'accord de Kyoto, les crédits seront évalués en fonction de l'écart entre les volumes de 2008 et de 2012: plus vite vous pourrez faire pousser un arbre au cours de cette période, et plus vous obtiendrez au titre des crédits. Si, par conséquent, on ne tient compte que de la première période budgétaire, les arbres à croissance rapide constituent effectivement un meilleur investissement.

Le défi concerne donc les règles de Kyoto. La limite des arbres à croissance rapide, c'est qu'ils parviennent aussi à maturité plus rapidement. D'actifs, ils deviennent passifs. Une fois parvenus à maturité, les arbres — et certaines espèces de peuplier hybride à croissance rapide utilisés dans le sud de l'Ontario parviennent à maturité en 20 ans — sont un passif.

Ce sera peut-être après la première période d'engagement, mais ces arbres deviendront des passifs pour le Canada et l'atmosphère parce qu'ils mourront ou seront abattus, et le gros du carbone sera alors relâché dans l'atmosphère.

À long terme, la valeur d'un terrain sera fonction du volume moyen qui y est stocké. Dans ce cas, le volume moyen pour les espèces à croissance rapide ne sera pas supérieur à celui des espèces indigènes à croissance plus lente. Si, cependant, vous visez des avantages pour les 15 à 20 prochaines années, les arbres à croissance rapide constituent une meilleure solution.

Si, en revanche, vous êtes à la recherche d'investissements à long terme dans des solutions au problème de changement climatique, les forêts qui maintiennent un taux stable et régulier de même qu'un volume élevé — et la tendance veut qu'il s'agisse d'espèces indigènes, dont la croissance est souvent plus lente — sont une meilleure affaire.

Le sénateur Day: Est-ce pour cette raison que vous dites que les anciennes forêts produisent plus de carbone que les jeunes?

M. von Mirbach: Exactement. La plantation d'espèces à croissance rapide suscite de l'intérêt. Si, cependant, on doit raser d'anciennes forêts pour créer une plantation, on génère un passif puisque le carbone présent dans les arbres abattus est relâché dans l'atmosphère. Tout dépend de la méthode de comptabilité adoptée, mais, si on n'en tient pas compte dans la méthode utilisée dans le cadre d'un régime d'échanges, on se retrouve à coup sûr avec des passifs publics sur les bras. En vertu de certains des régimes d'échange proposés, on peut craindre que les crédits à court terme soient des biens échangés en privé, tandis que les risques à long terme seront publics. Nous ne pensons pas que ce soit dans l'intérêt des Canadiens, même si un tel régime plaira peut-être aux investisseurs, aux courtiers et aux négociants de droits d'émission de carbone.

Le sénateur Day: Le régime d'échange de droits d'émission de carbone altère la nature jusqu'à un certain point. C'est ce que vous nous avez expliqué.

M. von Mirbach: Il risque de le faire, à moins que nous n'arrêtions les bonnes modalités. À l'heure actuelle, il n'y a pas de régime d'échange de droits d'émission de carbone au Canada. Le gouvernement du Canada s'est engagé à en créer un, mais il n'en a pas encore arrêté la conception. Nous sommes impatients de participer à la mise au point de ce régime, de manière qu'il envoie les bons messages, c'est-à-dire ceux qui incitent les intéressés à faire ce qu'il faut dans l'intérêt à long terme de l'atmosphère, de la biodiversité, de la conservation des sols et de la viabilité communautaire.

Le président: Si on adoptait de bonnes pratiques sylvicoles dans ces plantations, nommément la coupe des arbres plus vieux lorsque des individus plus jeunes sont prêts à les remplacer, et que ce cycle était reconduit en permanence, on pourrait à coup sûr préserver l'équilibre de la nature, n'est-ce pas? On couperait les arbres plus vieux et on donnerait la préférence aux plus jeunes au nom de la préservation de l'équilibre.

M. von Mirbach: Oui, à long terme. Dans un tel cas, il n'y a pas de crédits, mais il n'y a pas non plus de débits. Cependant, on ne peut en toute justice s'attendre à ce que les investisseurs en quête de crédits en obtiennent un au cours du cycle de croissance, à moins qu'ils ne soient donc disposés à assumer la responsabilité des débits au cours de la période de coupe. Voilà où on doit établir des règles claires, de façon que la forêt gérée en fonction des règles de la viabilité se trouvera dans un état plus ou moins stable à long terme.

Par exemple, dans une forêt boréale naturelle non exploitée, on tend à observer une augmentation nette des émissions de carbone. Le phénomène s'explique par le sol. Les déchets végétaux qui s'accumulent à l'automne de chaque année finissent dans le sol, la majorité des aiguilles et des branches se décomposant et retournant dans l'atmosphère, mais un certain pourcentage s'accumule dans le sol. À la fin de la dernière ère glaciaire, il n'y avait pratiquement pas de sol sur une bonne partie du territoire canadien. Le sol qui existe aujourd'hui est l'apport d'un cycle de croissance jamais perturbé. L'exploitation forestière intensive tend à nuire à ce processus, et il n'y a pas d'accumulation du sol.

Le président: Les arbres morts ne pourrissent pas, et ainsi de suite.

M. von Mirbach: Exactement.

Le sénateur Day: Je veux clarifier certain point que vous avez soulevé au sujet de la conversion de forêt vierge primaire en forêt secondaire aménagée, phénomène qui entraînerait des pertes au titre du carbone. Lorsque je relirai vos propos dans deux ou trois semaines, je vais me demander ce que vous vouliez dire. Pouvez-vous nous fournir plus d'explications?

M. von Mirbach: Trois facteurs entrent en jeu. Nous nous attaquons à des forêts qui n'ont pas encore été exploitées. L'industrie forestière y compte. Lorsque nous entrons dans une forêt vierge n'ayant jamais encore été exploitée, nous perdons du carbone pour trois raisons.

Premièrement, l'infrastructure routière et les jetées ou les billes sont empilées avant d'être chargées à bord de camions constituent des incursions plus ou moins permanentes sur le territoire. Certaines routes sont remises en valeur, mais, en général, les travaux routiers de base se traduisent par l'élimination permanente d'une partie du territoire. On estime que de 5 à 10 p. 100 du territoire cesse en permanence d'être productif.

Deuxièmement, en général, on assistera à une réduction de l'âge moyen de la forêt. Par exemple, la forêt boréale est sujette à un cycle lié aux feux qui varient d'une région à l'autre du pays. Ici, je fais appel à un exemple abstrait. Prenons une forêt qui, en moyenne, brûle tous les 120 ans. C'est là le cycle naturel. Dans bon nombre de régions du Canada, il n'y a pas de forêt vieille de 400 ans à cause des feux et des insectes qui les déciment périodiquement. Lorsque nous exploitons ces secteurs, l'âge de rotation — c'est-à-dire l'âge auquel l'exploitation forestière s'effectue — est habituellement inférieur à l'intervalle moyen entre deux feux de forêt. Si, sur le territoire en question, l'intervalle entre deux feux est de 120 ans et qu'on commence à exploiter le territoire en question, on récoltera peut-être à des intervalles moyens de 80 ans. L'âge moyen de la forêt est donc réduit. Il faut un long cycle d'exploitation forestière pour que cela se produise. Au gré de la diminution de l'âge moyen de la forêt, le volume moyen diminue: ces jeunes arbres à croissance rapide ont beau piéger du carbone, il y a moins de carbone sur place pour commencer.

Le sénateur Day: Cependant, ils absorbent davantage de carbone dans l'atmosphère pendant leur croissance.

M. von Mirbach: Oui, mais s'il faut abattre de vieux peuplements à volume élevé pour générer ces arbres, ces peuplements à volume élevé commencent immédiatement à émettre dans l'atmosphère, en raison, par exemple, des rémanents d'exploitation qui se décomposent. Ces produits forestiers ont une certaine capacité de stockage, mais tout dépend desquels. Si vous fabriquez du papier hygiénique, les substances ne demeurent pas dans l'atmosphère aussi longtemps que si vous fabriquez des meubles.

Troisièmement, les feux sont un phénomène aléatoire. Si l'intervalle moyen entre deux feux est de 120 ans, il ne s'ensuit pas qu'aucun arbre n'atteindra un âge supérieur à 120 ans. Ce qu'il faut comprendre, c'est que, en moyenne, les feux détruisent les arbres tous les 120 ans environ. Certains peuvent vivre jusqu'à 180 ou 220 ans. Sur un territoire naturel, on préserve des îlots de forêts anciennes, tandis que, en vertu d'un régime d'exploitation forestière efficient et planifié de façon rationnelle, selon une rotation de 80 ans, on coupe les arbres dès que le peuplement atteint l'âge de 80 ans. Dans une exploitation forestière bien planifiée, on ne fait aucune exception à cette règle.

Le sénateur Chalifoux: Il y a quelques années, j'ai eu la chance de faire partie du Sous-comité chargé de l'étude des forêts boréales ici au Canada. Nous nous sommes rendus en Finlande et en Suède, où les responsables nous ont dit ce qu'ils faisaient de leurs forêts. Ils avaient perdu leurs forêts boréales vers les années 1500. Ils ont conçu un excellent plan de gestion des forêts et de l'exploitation forestière.

Je m'inquiète de la situation de la forêt boréale au Canada, où la coupe à blanc est répandue. Pour revenir sur ce qu'a dit le sénateur Day, est-il envisageable et serait-il utile d'établir des pratiques de gestion comme celles de la Finlande et de la Suède? Dans ces pays, on gère avec beaucoup de soin.

On n'est pas autorisé à couper un arbre avant qu'un inspecteur n'y ait d'abord jeté un coup d'œil.

Autre souvenir de ce voyage, je n'ai vu là-bas aucune trace d'animal. Il n'y a pas de traces de lièvres. Je n'ai rien vu. C'est triste. Les responsables songent à réintroduire certains des animaux de plus petite taille dans cette forêt.

M. von Mirbach: Avant l'avènement de l'exploitation forestière en Finlande, je me risquerais à dire qu'il y avait plus de carbone sur ce territoire. La Finlande a échappé à la vigilance en se tournant vers des forêts aménagées avant que le phénomène du changement climatique ne se manifeste. Elle y est arrivée de justesse. Ce n'est pas à nous qu'il revient de décider si c'est équitable ou non. Le problème, c'est que, à supposer que nous convertissions nos forêts à cette forme d'aménagement, nous perdrions beaucoup de carbone. Nous avons été heureux et reconnaissants de voir les recommandations du sous-comité du Sénat, y compris celle selon laquelle 20 p. 100 des forêts devraient être vouées à l'exploitation forestière intensive, un peu comme on le fait en Finlande. Nous serions d'accord, à condition que les 20 p. 100 en question visent non pas le territoire forestier exploité aujourd'hui, mais bien plutôt des régions où les terres agricoles sont marginales, dégradées et non rentables. En commençant à exploiter des arbres sur des terres où il y a aujourd'hui peu de carbone pour maintenir la productivité, on n'appauvrit pas la biodiversité. On ajoute du carbone et on répond aux besoins de l'industrie forestière en sources fiables de fibres à long terme.

Le sénateur Chalifoux: Je viens du nord de l'Alberta. Là, et dans la province voisine de la Saskatchewan, nous avons été victimes d'une sécheresse aux effets terriblement dévastateurs. Je suis une enfant des années 30 et pour la première fois de ma vie, j'ai été témoin d'une tempête d'alcalis pendant que je me rendais en Saskatchewan, l'été dernier, phénomène imputable à l'assèchement total des lacs. On aurait presque dit une tornade; ses effets ont été passablement dévastateurs. En ce qui concerne les stratégies d'adaptation, le Canada, à votre avis, fait-il suffisamment pour aider les agriculteurs à s'adapter au formidable changement que nous vivons et à ce qui se passe sur leur terre? Je m'intéresse également beaucoup à la culture du chanvre. Cela serait-il utile? Je sais qu'il existe des problèmes de mise en marché, et ainsi de suite, mais le chanvre est une culture si diversifiée. À votre avis, une telle culture contribuerait-elle à faire la promotion de stratégies d'adaptation pour les secteurs agricole et forestier? Nous devons commencer à nous intéresser à ces questions.

M. von Mirbach: Il existe un vaste éventail de phénomènes qui pourraient avoir un impact économique sur les agriculteurs et les Canadiens qui vivent en milieu rural. Si on compte sur le gouvernement du Canada pour immuniser les Canadiens contre tous les impacts du changement climatique et qu'il avait l'obligation de le faire, je dirais qu'il ne fait pas assez, non. Pour ma part, je suis d'avis que nous devons nous efforcer de fournir divers outils et incitatifs pour permettre aux particuliers de prendre leurs propres décisions et d'adopter leurs propres stratégies d'adaptation. En ce qui concerne les agriculteurs, on peut penser à des connaissances grâce auxquelles ils pourraient explorer les diverses récoltes qu'ils peuvent faire pousser dans le contexte du changement climatique.

Les impacts éventuels sur les Canadiens sont considérables. Je pense que nous devons prévoir des outils, des informations et des mécanismes de facilitation puisque nous ne pouvons tout simplement pas indemniser tout un chacun pour d'éventuelles pertes imputables au changement climatique.

Le sénateur Chalifoux: À votre avis, les Canadiens qui vivent en milieu urbain ont-ils conscience de l'impact que le changement climatique a sur nos secteurs ruraux et de ses effets sur les centres urbains?

M. von Mirbach: J'ai bien peur que non. On se demande parfois à la blague si des hivers plus doux seraient avantageux pour les Canadiens, comme si le climat s'apparentait au chauffage et qu'il suffisait de hausser ou de baisser le thermostat.

Le véritable enjeu, que les Canadiens qui vivent en milieu rural ressentent davantage que ceux qui résident en milieu urbain, c'est l'incertitude. Nous avons rencontré une propriétaire de cabane à sucre du sud de l'Ontario qui administre une exploitation que son grand-père a créée. Il espérait que ses petits-enfants lui succèdent; cette continuité est plus importante pour les Canadiens qui vivent en milieu rural que pour les autres. C'est à la rupture de cette continuité et à son impact financier et affectif que les Canadiens qui vivent en milieu urbain ne se montrent pas encore très sensibles. Ils y voient une occasion et un défi commerciaux plutôt qu'un changement radical de mode de vie.

Le sénateur Chalifoux: À la télévision, j'ai vu une nouvelle qui m'a vraiment terrifiée. Cette année, les ours noirs de la Colombie-Britannique n'hibernent pas. Ce phénomène a une incidence sur tous les habitants de la forêt. Vous avez fait allusion au dendroctone du pin et à d'autres choses de ce genre. Chez moi, j'ai remarqué cet hiver la présence d'insectes qui devraient être en hibernation ou morts. Voilà ce qui m'inquiète vraiment. Je vieux savoir si le Sierra Club se préoccupe véritablement des effets du réchauffement planétaire sur les animaux.

M. von Mirbach: Les impacts sont variés, et nous travaillons en collaboration avec d'autres groupes. En ce qui me concerne, j'ai fait des études en philosophie, et non en sciences. La question est aujourd'hui de déterminer comment inciter les Canadiens à changer leur comportement. Nous avons eu certaines discussions à propos des données scientifiques, de la question de savoir si ce que nous faisons est suffisant et adéquat. Les citoyens doivent également digérer et apprécier les impacts réels. On a déjà effectué certains travaux en ce sens. Les données scientifiques ont montré que les impacts du changement climatique se font davantage sentir dans le Nord; nous avons récemment vu certains porte-parole inuits des plus éloquents faire état des impacts du changement climatique observés dans le Nord. De tels témoignages ont sur les Canadiens une incidence que même des tas de présentations raffinées ne peuvent égaler. Au fur et à mesure que les changements se feront sentir dans le Sud — vous avez décrit des changements que vous avez vous-même observés — nous allons être témoins d'une transformation des comportements. Il est difficile de détecter clairement les effets du changement climatique, mais, quand j'étais enfant, le soleil était notre ami, et ma mère m'envoyait jouer dehors. Depuis l'appauvrissement de la couche d'ozone, les mères ne réagissent plus de la même façon aux coups de soleil subis par leurs enfants. De nos jours, elles les protègent du soleil. C'est un changement de comportement qui est apparu à cause non pas de résultats scientifiques, mais bien plutôt d'observations faites par des citoyens qui ont deux yeux pour voir et un brin de jugeote. Nous devons nous fier à ce genre de renseignements et, à titre d'organisation composée de membres, les intégrer à nos interventions chaque fois que nous sommes en mesure de le faire. À titre d'organisation environnementale non gouvernementale, nous nous efforçons de communiquer avec les gens à un certain nombre de niveaux différents, au niveau cognitif tout autant qu'émotif.

Le sénateur Chalifoux: Je tiens à féliciter le Sierra Club de ses témoignages, de ce qu'on observe dans la réalité et des efforts qu'il déploie pour aider les Canadiens du XXIe siècle à prendre conscience de ce qui leur arrive. Ils ne pourront pas acheter de pain à l'épicerie à moins que le Canada rural ne fasse pousser du blé.

Le sénateur Gustafson: Il y a des scientifiques qui ont laissé entendre que, en ce qui concerne la forêt boréale, il faudrait laisser la loi de la nature suivre son cours. Si, en d'autres termes, on commence à intervenir et à ne planter qu'un seul type d'arbres, on perdra tous les autres types d'arbres qui devraient être là pour nourrir la forêt. C'est très grave.

Le sénateur Chalifoux a fait référence aux animaux. La loi de la jungle, si je puis me permettre, fonctionne vraiment. Dans les Prairies, nous avons éliminé les coyotes à grand renfort de poison, puis les renards ont fait leur apparition et répandent la maladie. Il n'y a plus d'équilibre. On semble observer le même phénomène dans la forêt. C'est ce que j'observe, et je vous invite à nous faire part de vos commentaires.

Ma corbeille à papier fait pitié à voir. Si elle n'est pas remplie tous les soirs, c'est que je n'ai pas fait mon travail. Bon nombre de documents ne me sont d'aucune utilité. Je n'ai pas entendu grand-chose à ce propos. Nous coupons des tas d'arbres pour faire circuler des documents inutiles.

Le sénateur Day: Vous les recyclez.

Le sénateur Gustafson: Vous soulevez une autre question. Cela fonctionne-t-il vraiment? Je n'ai pas entendu beaucoup de scientifiques invités à témoigner devant nous aborder la question sous cet angle. Je pense que c'est important.

M. von Mirbach: L'idée qu'il faut laisser la nature suivre son cours rend compte du fait que nos forêts sont si vastes que nous ne pouvons tout orchestrer nous-mêmes. De mémoire, je ne peux citer le nombre d'arbres que nous plantons chaque année. Même si nous en plantions 100 fois plus qu'aujourd'hui, nous ne pourrions pas grand-chose contre ce genre de changement systémique. Nous n'avons d'autre choix que de créer les mécanismes. Si nous militons en faveur de la création de vastes aires protégées, c'est pour créer des mécanismes grâce auxquels la nature pourra suivre son cours.

En ce qui concerne l'établissement des coûts, je vais revenir à une chose que Mme May a dite plus tôt. Dans l'accord de Kyoto, on commence à accorder une valeur monétaire à l'environnement. Le défi pour le gouvernement consiste à envoyer de bons signaux en ce qui a trait à l'établissement des coûts de manière à inciter les gens à faire ce qu'il faut et à éviter les erreurs. En ce qui concerne le gaspillage de papier, l'industrie forestière est anxieuse d'obtenir des crédits en contrepartie du carbone emmagasiné dans des produits forestiers. Jusqu'à un certain point, j'y serais favorable, à condition qu'on leur impute des débits correspondants pour le pourrissement de ces mêmes produits. Si on construit une bonne table de travail qui durera une soixantaine d'années, on emprisonne le carbone, qui demeure absent de l'atmosphère, mais, lorsqu'on fabrique des emballages superflus qui finiront dans des sites d'enfouissement ou se décomposeront à brève échéance, il faudrait prévoir des débits correspondants. Si on envoie les bons messages en ce qui a trait à l'établissement des coûts, la production d'articles superflus que nous jetons et qui se décomposent serait pénalisée. Nous ne nous faisons pas tous une idée très claire de la procédure, mais, en théorie, nous pourrions mettre au point, en ce qui concerne l'établissement des coûts, de meilleurs signaux que ceux qui existent aujourd'hui. Sans être parfaits, ils pourraient être meilleurs.

Le sénateur Hubley: Je viens des Maritimes, tout comme le sénateur Day. Sur votre transparent en couleur, la région des Maritimes est colorée en jaune. Cela signifie-t-il que nos forêts sont moins touchées par le changement climatique?

M. von Mirbach: Merci de soulever ce point. Il s'agit d'une carte grossière. Il y en a une autre, et j'en ai cherché une copie. Elle se trouvait sur un site Web. Je ne l'ai pas sauvegardée. La carte à laquelle vous faites allusion est inadéquate. Elle fait simplement état des changements subis par la forêt boréale. C'est Ressources naturelles Canada qui l'a produite.

J'ai vu une carte qui est un peu plus raffinée et qui comporte quelques régions climatiques différentes. Les Maritimes font partie de la forêt acadienne, et l'impact y est moindre que dans certaines régions nordiques du Canada. Dans les modèles que j'ai vus, la région demeure au même point, si on postule un dédoublement des émissions de carbone. La région sera soumise au stress d'insectes inconnus jusque-là. Voilà qui est tout à fait conforme à l'idée selon laquelle l'effet de refroidissement de l'Atlantique annulera certains des changements prévus pour la région de l'Atlantique au Canada.

J'ai cherché une carte de l'ensemble du Canada donnant une meilleure idée de la situation dans les régions forestières. En vain.

Le sénateur Wiebe: Ce matin, nous avons consacré un temps considérable à l'étude des effets que le changement climatique aura sur le producteur agricole. J'aimerais maintenant m'intéresser aux effets que le changement climatique pourrait avoir sur chacun des habitants du pays. Notre pays est vaste sur le plan géographique, mais, à l'échelle de la planète, sa population est toute petite.

Nos agriculteurs ont été très efficients. Nous produisons une énorme quantité d'aliments, qui sont pour la plupart exportés. Les Canadiens travaillent moins d'heures par année pour se nourrir qu'il y a 30 ans, 50 ans ou même 100 ans parce que, au pays, nous avons adopté une politique d'alimentation bon marché.

Quel effet le réchauffement planétaire aura-t-il sur l'offre d'aliments aux Canadiens et la sécurité de cet approvisionnement? Serons-nous en mesure de produire assez d'aliments pour nourrir notre population? Qu'arrivera-t- il au coût de notre alimentation si le réchauffement planétaire se poursuit?

M. von Mirbach: Je vais faire quelques commentaires généraux parce que ce n'est pas un domaine dans lequel je possède une expertise particulière. Les coûts pourraient augmenter, mais je ne me prononcerai même pas sur cette question. Je pense que les coûts peuvent changer et que les citoyens pourront s'y adapter de diverses façons.

En règle générale, le Canada sera probablement moins menacé par les questions touchant la sécurité alimentaire que d'autres régions du monde. Le fait que d'autres régions du monde seront soumises à des problèmes extrêmes de sécurité alimentaire représentera clairement un enjeu pour nous. Je fais allusion à la dimension éthique du problème du changement climatique. Même si certains des impacts sont plus extrêmes dans le nord, les impacts sur le plan humain se feront sentir dans bon nombre de pays en voie de développement. Historiquement, ces derniers n'ont pas fait partie du problème. Ils n'ont pas été à l'origine des émissions produites entre 1860 et 2000. À cause de l'insécurité alimentaire ou de l'augmentation du niveau de la mer, il pourrait y avoir jusqu'à 100 millions de réfugiés environnementaux. Ils ne sont pas à l'origine de leur propre malheur: c'est nous — la communauté mondiale et les gros émetteurs — qui le sommes collectivement. La sécurité alimentaire représente un enjeu international, de taille par-dessus le marché.

De façon générale, quel sera l'effet sur les Canadiens? Eh bien, nous ne serons pas touchés dans la mesure où nous ne risquons pas de trouver les tablettes des magasins dégarnies. En revanche, nous serons concernés en ce sens que nous devrons prendre des décisions extrêmement difficiles en ce qui a trait à l'obligation qui nous échoit de venir en aide à ceux qui sont moins fortunés que nous. Du point de vue de la sécurité alimentaire, nous ne serons pas les plus mal en point, mais nous aurons une obligation vis-à-vis de ceux qui le seront.

Le sénateur Wiebe: Ma dernière question porte sur les moyens que nous prenons pour nous adapter. Au cours des dernières années, la multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes saute aux yeux. Nous serons victimes de périodes de sécheresse prolongée. Nous serons confrontés à plus d'orages et à des précipitations plus abondantes. Il n'y a pas de perte nette d'eau. S'il y a réchauffement, il y a plus d'évaporation partout où il y a de l'eau. Plus d'évaporation se traduit par des pluies.

Nous avons beau parler d'adaptation. Comment nous adapter en faisant en sorte que Toronto et Vancouver bénéficient de réserves d'eau suffisante? Nous pouvons nous adapter en aménageant des barrages de manière à emmagasiner de l'eau pendant les périodes de précipitations et survivre pendant les périodes plus sèches. Mais en aménageant un barrage, on crée une aire d'évaporation plus grande, ce qui contribue à des phénomènes extrêmes comme les orages.

Avez vous étudié les moyens de gérer ces extrêmes et de s'y adapter?

M. von Mirbach: Il est difficile de s'adapter aux extrêmes. En particulier, il se pose peut-être au niveau local des problèmes d'ingénierie qui ont leurs propres coûts environnementaux, économiques et sociaux. On peut jusqu'à un certain point s'adapter aux extrêmes en tenant compte de tout l'éventail des écarts possibles. Je ne suis pas forestier, mais j'ai eu des discussions avec des représentants de ce domaine qui m'ont dit que, lorsqu'il s'agit de planter des arbres, on doit miser sur des semis provenant d'une certaine région pour produire de bons peuplements en santé. On préconise les peuplements relativement locaux qui, postule-t-on, sont adaptés à la région concernée. Il existe des cartes donnant des orientations aux pépinières qui fournissent les semis. J'ai discuté avec certaines personnes, sans obtenir de réponse claire, sur une éventuelle remontée des frontières vers le nord. Il s'agirait d'un changement modeste qui ne nous prémunirait pas contre des phénomènes météorologiques extrêmes, mais pourquoi ne pas encourager la plantation de semis d'espèces plus méridionales que ce qu'on aurait fait il y a dix ans? Rien ne garantit qu'une tempête insensée ne va pas décimer les récoltes, mais on aurait à tout le moins des arbres potentiellement plus résistants que si rien n'est fait.

Il s'agit d'une simple modification des pratiques que l'industrie forestière, à notre avis, peut et devrait adopter. Dans mes discussions, j'ai rencontré certaines personnes qui se disent d'accord en principe, mais aussi un peu de réticence à aller de l'avant. Je n'arrive pas à m'expliquer cette réticence. Je vous invite à interroger vos témoins à ce sujet la semaine prochaine.

Le sénateur Gustafson: Je voudrais en revenir à ce qu'a dit le sénateur Wiebe en ce qui concerne la politique d'alimentation à bon marché de même qu'aux liens qu'elle entretient avec la communauté agricole et la situation mondiale.

Le comité s'est rendu en Europe, aux États-Unis et en Irlande du Nord. Ce qu'on observe dans ces pays, surtout en Europe et aux États-Unis, c'est qu'on commence à regrouper sous un même toit les politiques environnementales, rurales et agricoles. Cette situation se révèle avantageuse pour la communauté agricole.

Comme l'a indiqué le sénateur Wiebe, ce n'est pas ce qu'on observe au Canada parce que la communauté agricole a fait les frais du plus gros des problèmes. Hier, j'ai entendu dire qu'un important pourcentage d'agriculteurs avaient quitté leur exploitation au cours des quatre dernières années. S'il fallait suivre les recommandations de la communauté scientifique, il n'y aurait tout simplement pas assez de bras pour venir à bout de la tâche.

Si, d'un point de vue mondial, on s'intéresse au cas de l'Éthiopie et de pays analogues — mon fils siège à la Banque de céréales vivrières du Canada —, on constate qu'il n'y a pas assez de nourriture dans le monde pour qu'on l'envoie à ces gens, que les aliments passent par des ONG et ainsi de suite. C'est une question importante à laquelle je ne vois personne proposer des solutions. Nous vivons dans une société éclairée, et pourtant nous achetons des actions dont le prix est fonction de ce que nous prévoyons, puis les événements nous donnent tort, il y a une période d'effondrement et les actions qui valaient 100 $ tombent à 50 cents. Cependant, nous savons que c'est la façon de faire. Sur le plan de la réalité — et je réfléchis maintenant en agriculteur —, la terre est on ne peut plus réelle, mais elle signifie peu de choses pour le grand public. Nous avons accueilli ici des représentants du ministère de l'Agriculture, et ils savent mieux que quiconque que leurs budgets ont été réduits et qu'ils ne sont pas en mesure de faire ce qui devrait être fait.

Voilà une partie du problème que connaît notre société. Comment faire passer ce message?

M. von Mirbach: Je n'ai pas la compétence requise pour répondre à une telle question, sinon pour dire que, en général, le défi qui nous attend a de quoi nous inspirer une sainte terreur. Par ailleurs, le Canada bénéficie de meilleures possibilités d'adaptation efficace que de nombreuses autres régions du monde en raison de sa population relativement limitée par rapport à son territoire relativement grand. Si certaines régions deviennent moins productives, nous ne serons pas entièrement dépourvus de solutions de rechange. Nous avons la possibilité de nous adapter de façon plus efficace.

Il est difficile de mobiliser la volonté politique et de créer, en tant que société, un ordre de priorité faisant en sorte que l'aide financière aille dans les secteurs où on en a le plus besoin. Tous les Canadiens devront s'intéresser à cette question.

Le président: Au nom du comité, je vous remercie, monsieur von Mirbach et madame May du Sierra Club, de cet exposé des plus impressionnants. Nous avons été ici pendant deux heures, et chacun a encore de nombreuses questions à poser, ce qui indique bien dans quelle mesure vous avez stimulé notre réflexion.

Je dois également préciser que, du point de vue de la question qui nous intéresse, c'est-à-dire l'adaptation au changement climatique, Mme May et vous avez abordé plus de points saillants des questions qui nous préoccupent que bon nombre des témoins que nous avons entendus auparavant. Ce que vous avez dit aujourd'hui jouera un rôle majeur dans les recommandations que nous formulerons à la fin de notre étude.

M. von Mirbach: Merci de l'occasion que vous nous avez donnée de nous faire entendre.

Le comité poursuit ses travaux à huis clos.


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