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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 4 - Témoignages du 20 novembre 2002


OTTAWA, le mercredi 20 novembre 2002

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 16 h 45 pour examiner, afin d'en faire rapport, la situation actuelle du régime financier canadien et international (perspective canadienne de la faillite d'Enron).

Le sénateur E. Leo Kolber (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Bon après-midi, mesdames et messieurs. Nous sommes réunis aujourd'hui pour examiner, afin d'en faire rapport, la situation actuelle du régime financier canadien et international, qui est peut-être la perspective canadienne de la faillite d'Enron.

Nous accueillons aujourd'hui de l'Association de protection des épargnants et investisseurs du Québec Mme Pellerin, M. Cournoyer, M. Belzile et Mme Didier.

Vous êtes les bienvenus.

[Français]

Mme Jocelyne Pellerin, présidente, Association de protection des épargnants et investisseurs du Québec: L'Association de protection des épargnants et investisseurs du Québec (APÉIQ) tenait à rencontrer les membres du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce afin d'exposer le point de vue des actionnaires individuels sur les mesures qu'il conviendrait de prendre pour éviter les scandales financiers du genre d'Enron.

Fondée en 1995 par M. Yves Michaud, l'Association de protection des épargnants et investisseurs du Québec compte aujourd'hui plus de 1 300 membres. Comme son nom l'indique, notre association a fondamentalement pour mission de défendre les intérêts des épargnants et investisseurs du Québec, mais aussi de l'ensemble du Canada.

Pour atteindre ses objectifs, l'APÉIQ a dû notamment prendre des recours en justice pour que les actionnaires aient le droit de présenter des propositions aux assemblées générales des sociétés cotées en bourse. L'Association a aussi entrepris des recours collectifs contre des entreprises telles que Cinar ou Nortel, qui ont spolié ou induit les actionnaires en erreur. Nous inscrivons régulièrement des plaintes au sujet de délits d'initiés auprès des autorités réglementaires.

L'APÉIQ informe ses membres, sensibilise le public aux problèmes de gouvernance des sociétés et maintient un site Internet riche en informations sur les questions de régie d'entreprise et de défense des droits des actionnaires. C'est le seul site francophone en ce domaine en Amérique du Nord.

Dans notre mémoire déposé au comité sénatorial, nous avons exposé les principales préoccupations des investisseurs concernant l'amélioration des règles de gouvernance d'entreprise.

Le Canada a connu sa part de scandales financiers au cours des dernières années et on ne peut prétendre avoir une situation plus enviable ici qu'aux États-Unis. Le Conseil canadien des chefs d'entreprise proclame qu'il appartient au secteur privé de régler la présente crise. De notre point de vue, nous croyons que la situation s'est tellement dégradée que nous assistons à la fin de la légitimité de l'autoréglementation. Les gouvernements ne peuvent plus rester les bras croisés pendant que les investisseurs se font dépouiller de leur maigre pécule.

Plusieurs mesures peuvent être apportées pour améliorer la gouvernance d'entreprise. Nous en citerons quelques- unes que nous considérons d'importance capitale, touchant notamment le Comité à l'éthique, la qualité des conseils d'administration et les règles de transparence.

Il n'est pas suffisant que l'entreprise ait adopté un code d'éthique pour la conduite des affaires si aucun mécanisme n'est mis en place pour favoriser l'adhésion de l'ensemble du personnel aux valeurs éthiques, s'il n'existe ni mesures de contrôle ni sanctions pour ceux qui ne s'y conforment pas.

Nous allons donc soumettre en 2003 une proposition d'actionnaires à certaines sociétés afin de créer un Comité à l'éthique, dont le mandat sera de prendre tous les moyens nécessaires pour favoriser une culture d'entreprise fondée sur les standards les plus élevés en matière d'éthique.

La qualité des conseils d'administration est devenue un sujet de critique à la lumière des derniers scandales. On doit donc se pencher sérieusement sur les attentes des actionnaires pour améliorer le fonctionnement des conseils d'administration.

La plus récente proposition que nous avons faite pour accroître la représentativité des conseils d'administration touchait le vote cumulatif. Cette disposition, prévue par la LCSA et la Loi des banques, vise à permettre aux actionnaires minoritaires de concentrer leur vote sur un candidat en particulier.

Toutes les banques ont fait la recommandation à leurs actionnaires de voter contre cette proposition. Voilà qui illustre bien que malgré les dispositions d'une loi, il est difficile de faire avancer la cause des actionnaires.

L'indépendance des administrateurs est un sujet très discuté actuellement. En ce qui nous concerne, l'indépendance des administrateurs constitue une problématique en soi, mais nous nous préoccupons également de l'indépendance des membres de tous les comités qui relèvent du conseil d'administration: le comité de vérification, le comité de la rémunération, le comité d'éthique.

La séparation des postes de président du conseil d'administration et de chef de direction est un sujet particulièrement sensible dans le milieu des affaires, comme a pu le constater Mme Guylaine Saucier dans le cadre de la Commission sur la régie d'entreprises qu'elle a présidée l'an dernier. Pour nous, la sensibilité des dirigeants ne peut et ne doit pas être ménagée lorsque de meilleures règles de régie d'entreprise doivent être adoptées pour le mieux-être des investisseurs.

L'APÉIQ a présenté aux banques une proposition visant la séparation des postes pour la première fois en 1999. Pour le moment, la Banque Royale, la Banque Laurentienne et la Banque Nationale appliquent ce principe. Pour améliorer la régie d'entreprise, l'APÉIQ considère qu'il faut accroître l'imputabilité des dirigeants et des comités relevant du conseil d'administration. À cet effet, nous prévoyons défendre en 2003 une proposition visant à obliger les présidents des comités à présenter un rapport verbal dans le cadre des assemblées annuelles des actionnaires. Les excès et les abus des derniers mois nous ont amenés à prendre cette position.

Les règles de transparence et de divulgation constituent la base des lois en valeurs mobilières. Les sujets qui nous préoccupent le plus sont les transactions d'initiés, les honoraires versés aux vérificateurs ainsi que la rémunération des hauts dirigeants.

Nous considérons les délais pour divulguer les mouvements de capitaux des initiés comme une donnée cruciale à transmettre le plus rapidement possible aux investisseurs. Nous proposons donc d'obliger les hauts dirigeants de dévoiler leur intention de transiger en bourse les titres de la société qu'ils dirigent non plus après le fait, mais avant la transaction. Une période de dix jours nous apparaît comme étant un minimum à respecter.

La divulgation des honoraires versés aux vérificateurs externes demandée par l'APÉIQ est maintenant chose faite par toutes les banques, à l'exception de la Banque Scotia. Grâce à cette proposition de l'APÉIQ, il a été clairement démontré que la pratique de verser des honoraires beaucoup plus importants en consultation qu'en vérification externe est largement répandue et courante, nuisant à l'indépendance des vérificateurs.

Enfin, la transparence requise des entreprises appelle également la divulgation de toute forme et de toute source de rémunération des dirigeants. Un corollaire a ce principe est l'octroi des prêts personnels. L'APÉIQ entend présenter une nouvelle proposition en 2003 visant à interdire les prêts personnels consentis aux hauts dirigeants d'une société. Nous avons constaté que la rémunération des hauts dirigeants s'est accélérée de manière exponentielle au cours des dernières années.

Les stratégies de rémunération des sociétés nord-américaines des années 1990, axées sur une utilisation croissante des options d'achat d'actions, sont mises en cause. Pour l'APÉIQ, il est impératif de trouver des formules alternatives comme l'octroi d'actions comportant l'obligation de détenir ces actions pour une période minimale, afin de faire concorder les intérêts des dirigeants et ceux des actionnaires. C'est pourquoi l'APÉIQ présentera une proposition à certaines sociétés en 2003 visant l'abolition de leurs régimes d'achat d'actions destinés aux hauts dirigeants.

Les problèmes récents ne concernent pas tant la comptabilité que les professionnels comptables. En effet, c'est l'application laxiste des normes comptables et la malhonnêteté, beaucoup plus que les déficiences des normes elles- mêmes, qui sont à l'origine de certains scandales récents. Il serait illusoire de croire régler les problèmes par une simple mise à jour des normes comptables. C'est pourquoi l'APÉIQ souhaite que le Conseil canadien de reddition des comptes, nouvellement créé, s'attelle à la tâche rapidement et exerce avec autorité et rigueur une surveillance serrée des vérificateurs des sociétés cotées en bourse.

La loi américaine adoptée cet été, connue sous le nom Sarbanes-Oxley, s'appliquera à plusieurs compagnies canadiennes dont les titres sont transigés sur les parquets des bourses américaines. On voit donc que les plus importantes compagnies cotées à la Bourse de Toronto se verront soumises à une réglementation plus sévère. On s'attend donc à ce que ces entreprises répondent sur le marché canadien à la même rigueur administrative.

Par exemple, nous croyons à une responsabilisation accrue des dirigeants d'entreprise. Ainsi, nous nous apprêtons à déposer une proposition aux assemblées d'actionnaires, demandant que le chef de la direction et le responsable des finances de la société par actions certifient personnellement que l'information produite aux rapports périodiques contenant des états financiers présente une image fidèle, à tous égards, des faits, de la situation financière et des opérations de la société.

La Loi canadienne sur les sociétés par actions a été révisée l'an dernier. Plusieurs dispositions de la nouvelle loi sont fort contraignantes pour les actionnaires. Nous citerons pour seul exemple l'exigence de détenir 2 000 dollars d'un titre afin d'être habilité à déposer des propositions d'actionnaires. En effet, cette exigence a ses limites, si l'on se rapporte au cas de Nortel. Lorsqu'on assiste à la débandade boursière d'un titre, il faudrait continuer à engloutir nos économies pour conserver notre droit à soumettre des propositions d'actionnaires.

Nous voulons également souligner la problématique des actions subalternes. Cette structure n'avantage pas les investisseurs qui sont bel et bien actionnaires mais qui ne détiennent que peu ou pas de droits de vote. Les règles de la démocratie corporative voudraient qu'une action donne un droit de vote. Une législation devrait prévoir que le privilège de détenir des actions à vote multiple soit limité dans le temps.

Il existe un grand pan des marchés financiers qui échappe encore au règles de transparence. Il s'agit des fonds communs de placement. Il serait important de contraindre les intervenants de l'industrie des fonds mutuels à faire montre de transparence dans le cours normal des affaires.

Je terminerai en évoquant les devoirs fiduciaires. On parle de plus en plus, en matière de bonne gouvernance, d'amener les gestionnaires des caisses de retraite, les investisseurs institutionnels et les gestionnaires de fonds communs à divulguer publiquement leurs votes sur des propositions d'actionnaires et dans quel sens ils ont voté. Certain pays ont légiféré ou envisagent de le faire, afin d'obliger les gestionnaires de ces fonds à se prononcer lors des votes puisque leurs mandants ne peuvent le faire. Au surplus, les mandants devraient avoir un pouvoir d'initiative qui leur permettrait de donner des orientations aux gestionnaires de fonds.

[Traduction]

Le sénateur Kolber: Je vous remercie de votre exposé et je vous souhaite la bienvenue au comité. Dans votre mémoire, vous mentionnez que la simple application des lois existantes permettrait d'assainir grandement les marchés financiers.

D'autres personnes qui ont témoigné devant nous nous ont dit qu'à certains égards, il n'y a rien qui ne va pas avec une partie de la loi à l'étude, mais il semble qu'elle ne soit pas très bien appliquée. J'en déduis que vous devez abonder dans le même sens.

Quelles mesures prendriez-vous pour appliquer avec plus de rigueur la loi actuellement à l'étude?

[Français]

Mme Rachel Didier, secrétaire corporative, APÉIQ: Dans notre mémoire, nous faisons référence à l'article qui porte sur la présentation de propositions par les actionnaires.

Cette disposition oblige les actionnaires à détenir depuis au moins six mois une valeur de 2 000 dollars d'actions. Le problème qui se pose actuellement — et j'apporte l'exemple du cas de Nortel — repose sur le fait que même si vous avez acheté les actions de Nortel depuis au moins six mois, au moment où vous déposez vos propositions, cette action a subi une baisse considérable, auquel cas la compagnie Nortel a refusé de présenter notre proposition en 2002 parce que la valeur de nos actions ne représentait pas le montant de 2 000 dollars.

[Traduction]

Le sénateur Kelleher: Je ne pense pas que c'était ma question.

[Français]

M. Réjean Belzile, membre du conseil d'administration, APÉIQ: L'application de la loi est de juridiction provinciale et souvent, il s'agit de la Commission des valeurs mobilières. De façon générale, les commissions des valeurs mobilières n'ont pas les ressources pour mener des enquêtes et faire en sorte que les gens qui enfreignent la loi puissent être réprimandés et même mis à l'amende.

Il faudrait apporter des améliorations à la loi, et Mme Pellerin pourra vous donner des exemples. Il reste toujours le manque de ressources financières qui s'étend peut-être même au niveau de la Gendarmerie Royale. Puisque les cas de fraude exigent beaucoup de ressources et de compétences, les organismes chargés d'appliquer la réglementation ne les possèdent pas nécessairement.

Les organismes de surveillance n'ont pas les ressources et peut-être pas non plus la pugnacité nécessaire pour poursuivre les délinquants, et il s'agit, à l'heure actuelle, d'un problème fondamental. Mme Pellerin peut donner des exemples qui démontrent que la loi actuelle pourrait être renforcée afin d'éliminer certains problèmes.

Mme Pellerin: En somme, vous parlez de l'ensemble de la LCSA et non seulement ce qui concerne les assemblées d'actionnaires. C'est bien cela?

[Traduction]

Le sénateur Kelleher: Je m'intéresse au fait qu'il y a eu passablement de critiques du fait qu'il y a une mesure législative à l'étude qui préviendrait de nombreuses fraudes, mais qu'elle n'est pas appliquée ni utilisée, ou que les sanctions ne sont pas très sévères. C'est ce que vous dites dans votre mémoire. Vous dites que vous évoqueriez également «la pertinence d'imposer des peines pénales dans les cas de fraude». Vous dites que vous aimeriez mentionner que le seul fait d'appliquer les lois existantes permettrait d'assainir grandement les marchés financiers.

C'est cela que je vous demande.

M. Belzile: J'ai répondu.

Le sénateur Kelleher: Votre réponse était parfaite. Vous vous en êtes remis à Mme Pellerin, et je ne pense pas qu'elle répondait à la question non plus.

[Français]

M. Belzile: Il y a deux problèmes différents. Il y a celui de l'application de la réglementation actuelle pour lequel j'ai répondu à l'effet que beaucoup d'organismes chargés d'appliquer la réglementation n'ont pas les ressources suffisantes. Il y a peut-être aussi un manque de volonté ou d'agressivité de la part des organismes chargés de l'application de la réglementation.

L'autre élément est qu'il y a des améliorations à apporter à la loi. Nous ne prétendons pas que la réglementation actuelle est complète et couvre tous les domaines. Plusieurs améliorations pourraient porter sur la certification personnelle des états financiers par les dirigeants d'entreprise. Nous croyons que cet élément, au sein de l'Association, fait l'objet de propositions.

[Traduction]

Le sénateur Kelleher: J'ai une autre question. Ma première n'a pas donné de résultats heureux.

La loi Sarbanes-Oxley aux États-Unis est mentionnée dans le mémoire. Elle suscite une polémique. Que pensez-vous de l'approche fondée sur des principes par rapport à l'approche fondée sur des règles de la loi Sarbanes-Oxley? De quel côté penchez-vous dans ce débat?

[Français]

M. Belzile: Personnellement, je crois que la réglementation devrait davantage se baser sur les principes plutôt que sur les règles très précises. Plus on veut établir des règles précises, plus il est facile de les contourner. C'est pourquoi je crois que la loi devrait s'appliquer sur des principes généraux. J'avoue qu'ici je parle davantage en mon nom personnel qu'au nom de l'Association.

[Traduction]

Le sénateur Kelleher: L'Association a-t-elle une position à ce sujet?

[Français]

Mme Pellerin: On sait très bien que même avec une réglementation basée sur des règles très précises, le génie humain peut très bien inventer une solution et contourner ces règles. L'Association est d'accord avec la question des principes parce qu'à partir du moment où les professionnels respectent les principes qui sont adoptés, le public s'en trouve beaucoup plus protégé.

[Traduction]

Le sénateur Kroft: J'aimerais également me reporter à vos commentaires au sujet de la loi Sarbanes-Oxley. De toute évidence, c'est un important point de référence pour nous dans notre étude.

Vous faites un énoncé passablement général selon lequel ce qui vaut pour les investisseurs américains vaut également pour les investisseurs canadiens. Est-ce ainsi que vous caractérisez Sarbanes-Oxley? Que ce qui est bon pour eux l'est aussi pour nous? N'avez-vous aucune préoccupation quant à l'application de parties de cette loi dans le contexte canadien?

[Français]

Mme Pellerin: Concernant la loi Sarbanes-Oxley, l'Association prône la certification des états financiers. Comme nous l'avons mentionné dans notre mémoire, nous ferons des propositions aux assemblées des actionnaires, obligeant les présidents et les vice-présidents aux finances à authentifier les états financiers de l'entreprise. Évidemment, nous sommes d'accord pour qu'il y ait des sanctions si jamais il y avait des manquements à cette obligation. Ces sanctions pourraient être de nature monétaire, c'est-à-dire que les fraudeurs seraient obligés de remettre les montants d'argent. De plus, on pourrait prévoir des peines d'emprisonnement pour ceux qui contreviendraient à ces obligations.

La société n'a d'autre choix que d'aller dans ce sens et l'Association fera certainement toutes les représentations qu'elle jugera nécessaires afin que tous les paliers de gouvernement aillent dans ce sens. Le projet de loi 107 du gouvernement du Québec prévoit notamment des sanctions plus sévères, et nous sommes très heureux des initiatives prises par le gouvernement du Québec.

Par ailleurs, il y a aussi la question de l'indépendance des vérificateurs.

[Traduction]

Le sénateur Kroft: J'aimerais poser une autre question au sujet de la loi Sarbanes-Oxley, car vous semblez avoir adopté cette loi de façon générale. On s'inquiète que les dispositions de la loi Sarbanes-Oxley seraient passablement dispendieuses pour les entreprises plus petites. Le soi-disant argument d'une taille unique; qu'en pensez-vous?

[Français]

M. Belzile: Il est vrai que l'application intégrale de la loi américaine pour les entreprises de plus petite taille — c'est l'argument est souvent avancé au Canada — coûte très cher. Je crois que l'on pourrait peut-être ouvrir les entreprises de petite taille. Toutefois, pour la majorité des entreprises, nous avons fait des représentations auprès des entreprises. C'est notre rôle. Nous avons fait 820 propositions depuis cinq ans. La plupart des éléments ont été présentés sous forme de propositions aux assemblées des actionnaires.

Dans le cas de la loi américaine, elle prévoit des pénalités beaucoup plus fortes pour les contrevenants. Que ce soit une petite ou une grande entreprise, elle devrait être soumise à la même loi ou à la même rigidité face aux principes d'honnêteté. Nous sommes aussi d'accord que les autorités canadiennes augmentent les pénalités pour entreprises qui sont délinquantes.

On parle beaucoup de coûts additionnels pour les entreprises. On demande aux entreprises d'améliorer leur système de gestion interne, de certifier personnellement les états financiers, ce qui peut amener des coûts additionnels. Mais je crois que le prix à payer en vaut la chandelle, compte tenu des scandales qu'on a connus aux États-Unis.

[Traduction]

Le sénateur Kroft: Que pensez-vous d'avoir des administrateurs extérieurs pour les entreprises plus petites? Il y a plusieurs règles qui régissent l'exigence d'administrateurs extérieurs.

[Français]

M. Belzile: Si c'est une société ouverte, certains actionnaires sont en dehors du cercle proche des propriétaires actuels et il est normal d'avoir des administrateurs indépendants. L'entreprise peut être aussi efficace, sinon plus, avec l'apport d'administrateurs indépendants et extérieurs même si elle est de taille moins importante. Je ne vois pas nécessairement des coûts astronomiques rattachés à cette pratique si elle est adoptée par l'ensemble des entreprises.

Le sénateur Angus: Nous vous souhaitons la bienvenue. On envoie nos meilleurs souhaits à M. Michaud.

Votre mémoire mentionne que vous êtes la seule association de protection des actionnaires au Québec et au Canada, soutenue principalement par les cotisations de ses membres, et vous dites: «Elle doit quêter ici et là pour poursuivre ses activités alors qu'elle devrait disposer de ressources suffisantes pour élaborer et défendre des dossiers souvent complexes.»

Où trouvez-vous l'argent à part les petites cotisations dans vos membres? Prétendez-vous que le gouvernement fédéral ou le gouvernement provincial doit vous appuyer?

Mme Pellerin: Je crois, oui, le gouvernement fédéral, Industrie Canada ou d'autres instances pourraient certainement donner un coup de main aux associations d'actionnaires. Il n'y a pas que la nôtre.

Le sénateur Angus: Vous dites que vous êtes la seule. Esixte-t-il d'autres associations?

Mme Pellerin: Du même genre d'intervention que nous? Nous sommes vraiment les seuls qui présentent des propositions d'actionnaires aux assemblées des compagnies. C'est la même chose pour les recours collectifs: nous avons entrepris des recours collectifs contre Cinar et Nortel. Nous faisons aussi des plaintes à la Commission des valeurs mobilières lorsqu'il y a des délits d'initiés. Nous sommes donc vraiment les seuls dans ce domaine.

Le sénateur Angus: Avez-vous fait des demandes de subventions?

M. Belzile: Je suis à l'association depuis le début et j'ai déjà fait des demandes au ministère de la Consommation dans le cadre de certains programmes. On a reçu aucune subvention. On nous disait que tous les fonds étaient déjà alloués et qu'il n'y avait pas suffisamment de fonds pour en donner à de nouvelles causes.

Le sénateur Angus: C'était au niveau fédéral?

M. Belzile: Oui, à l'époque.

Le sénateur Angus: Avez-vous fait une demande Québec?

M. Bélisle: Oui, au Québec nous avons fait une demande.

Le sénateur Angus: M. Landry adore ces sujets.

M. Belzile: Nous relevons un peu du service public parce que nous travaillons pour les actionnaires, c'est notre seul but. Le problème que nous avons depuis la fondation de l'association est celui de la recherche d'une source de financement permanente qui nous permettrait de faire des études beaucoup plus approfondies. Notre seul personnel est une assistante administrative à temps partiel et tous les gens ici autour de la table sont bénévoles. Il n'y donc pas de personnel permanent sauf cette assistante administrative.

Depuis la création de l'Association, en 1995, nous avons fait avancer certains dossiers. Maintenant, en termes de gouvernance d'entreprises, nous avons démontré un certain leadership et, malheureusement, malgré la présence de M. Michaud qui a été notre porte-parole et notre financier à la recherche de fonds, il reste toujours des problèmes chroniques de financement.

Le sénateur Angus: Il y a d'autres organisations qui viennent souvent devant nous, comme, par exemple, Democracy Watch. Connaissez-vous cette association?

M. Belzile: Oui.

Le sénateur Angus: Prétendez-vous qu'ils doivent aussi recevoir des subventions?

Mme Pellerin: On va se préoccuper davantage de notre mission.

M. Belzile: On va leur laisser leur choix.

M. Cournoyer: Sénateur Angus, je pense que nous conviendrons tous qu'au cours des dernières années, nous avons assisté à une augmentation incroyable du pouvoir des dirigeants dans les sociétés aux dépens des petits actionnaires. M. Jarislowski vous a dit que le petit actionnaire n'est pas là. Il sait probablement de quoi il parle.

Le sénateur Angus: Il représente les petits actionnaires.

M. Cournoyer: Oui, et j'aimerais beaucoup avoir assez d'argent pour qu'il s'intéresse à mes fonds. Dans ce contexte, il est important que les gouvernements rétablissent l'équilibre des forces et aident les petits actionnaires à faire valoir leurs intérêts et leurs points de vue dans la gestion des grandes sociétés. À l'heure actuelle, même les investisseurs institutionnels sont très passifs. Imaginez la position d'un investisseur individuel. Il est rarement écouté, il est très mal représenté dans les conseils d'administration, les directions des grandes sociétés disposent toujours des votes nécessaires pour faire approuver la liste. J'ai assisté à l'assemblée annuelle de la CIBC l'an dernier et lorsque le temps est venu de voter pour nommer le vérificateur, le président a dit: «Je ne sais pas si cela vaut la peine de voter, nous ici sur la tribune disposons de 96 p. 100 des votes.» Bravo pour la démocratie!

Dans ce contexte, je vois mal, à part les gouvernements, qui pourrait nous aider un peu à rétablir un certain équilibre.

Le sénateur Angus: Je comprends et j'ai beaucoup de sympathie pour les actionnaires minoritaires. Il y a même des sénateurs qui ont perdu de l'argent dans Cinar, Nortel et toutes ces compagnies que vous avez nommées. Je voudrais poser des questions sur la situation des recours collectifs, surtout en ce qui concerne l'affaire ayant trait à Cinar, qui a été réglée hier, je crois.

Il est mentionné dans les journaux de ce matin qu'il y avait un règlement pour la poursuite de Cinar. Dans le même journal, j'ai vu des articles concernant les petits actionnaires qui n'ont pas été des demandeurs dans ce recours collectif. D'une part, plusieurs recevront un gros chèque et d'autres, rien. Comment réconcilier cela?

Mme Pellerin: Ce n'est pas tout à fait exact. Ce qui s'est passé hier dans le cas Cinar, c'est que Mme le juge du tribunal de New York, dans une étape préliminaire, s'est prononcée de façon favorable aux termes du projet de règlement intervenu entre Cinar et les représentants des actionnaires. Le recours collectif qui a été entrepris et qui est conjoint entre les Américains et les Canadiens couvre l'ensemble des actionnaires.

Le sénateur Angus: Même si on n'est pas enregistré comme demandeur?

Mme Pellerin: Exactement, c'est l'ensemble.

Le sénateur Angus: Comment cela va-t-il se passer?

Mme Pellerin: Le cinq novembre dernier, les actionnaires de Cinar qui voulaient se prononcer contre les termes du règlement, pouvaient se présenter à la cour et dire qu'ils voulaient être exclus et qu'ils avaient des représentations à faire concernant le règlement dans le cas où il y avait des articles qui ne leur plaisaient pas.

Le sénateur Angus: Comment pouvaient-ils être au courant du règlement?

Mme Pellerin: Il y a eu un avis dans les journaux. Ce genre de procédure doit passer par les tribunaux, parce que c'est un règlement conjoint, États-Unis-Canada. Les deux tribunaux, un tribunal américain et un tribunal canadien, se sont prononcés en faveur, et, à partir de ce moment, il y a eu dans les journaux un avis légal, public, donnant toutes les informations ayant trait à ce projet de règlement. Toute la documentation était disponible sur le site Internet de nos procureurs. On l'a également mis sur le site de l'APÉIQ, à titre d'information.

À l'APÉIQ, nous nous sommes assurés qu'il y avait un gestionnaire de réclamation au Canada, à Montréal, et tous les Canadiens, Québécois ou Ontariens, pouvaient téléphoner à ce bureau.

Le sénateur Angus: Même s'ils ne se pas encore enregistrés.

Mme Pellerin: Oui et ils pouvaient avoir de l'information. Il y avait une personne qui répondait à toutes les demandes et on m'a assurée qu'il y avait des demandes à tous les jours à ce sujet.

Le sénateur Angus: C'est un service que votre association rend aux petits actionnaires?

Mme Pellerin: Oui. Si les recours collectifs n'existaient pas, que se passerait-il? Vous savez combien coûtent des recours judiciaires. Cela prend beaucoup de temps et d'argent. Ce n'est pas facile. C'est très compliqué de s'engager dans un processus judiciaire. Mais une association comme la nôtre peut faire un recours collectif et cela facilite l'exercice de défense et de représentation face à des entrepreneurs fautifs.

Le sénateur Angus: Merci beaucoup pour cette élaboration. Étant donné que la situation n'est pas encore parfaite, admettez-vous qu'on a fait des progrès depuis 10 ans et même depuis les cinq dernières années dans la régie d'entreprises?

M. Belzile: Oui, dans certaines grandes entreprises.

Le sénateur Angus: Surtout au Canada?

M. Belzile: Depuis la publication du rapport Day de 1995, je pense qu'il y a une prise de conscience et il y a eu des améliorations. Il y a toutefois beaucoup de chemin à faire. Je pense qu'on va faire un bout de chemin rapidement à cause des scandales. Les propositions que nous retrouvons dans tous les documents, nous les faisons depuis 1997 et 1998. On s'est fait traiter de «futiles». On demandait, par exemple, la séparation du poste de directeur général et celui du président du conseil d'administration. On se faisait dire que cela était futile. Maintenant, on ne dit plus cela et les chefs d'entreprises sont relativement d'accord. Il y a eu une évolution relativement lente et s'accélère depuis à peu près six mois à cause de tous les scandales. Il y a une prise de conscience et, dans ce sens, je suis optimiste que la situation va s'améliorer.

Le sénateur Angus: Peut-être que vous avez perdu un peu de temps en vous concentrant sur les grosses banques au lieu des Cinar et des compagnies de la sorte qui sont apparues sur la scène avec deux ou trois couples mariés comme actionnaires principaux et, tout à coup, les pauvres petits actionnaires n'ont rien. Mais les banques sont plus grosses et les administrateurs, franchement, sont assez expérimentés.

M. Belzile: Je peux vous expliquer l'historique rapidement: il est vrai que les banques ne sont pas les plus mal gérées en termes de gouvernance des entreprises. Se sont peut-être les entreprises les plus opaques et les plus difficiles à comprendre. C'est au niveau des institutions financières qu'une bonne gérance est importante. Ce choix a été aussi la conséquence de nos manques de ressources. Pour pouvoir présenter des propositions aux entreprises, il faut détenir des actions, avoir de l'argent pour acheter des actions, et nous n'avons pas les fonds pour acheter des actions dans 100 entreprises. Pour aller défendre des propositions d'entreprises, il faut des gens.

Le sénateur Angus: Et des subventions!

M. Belzile: Nous ne sommes que six membres, tous bénévoles. Si nous avoions du personnel, cela irait mieux. Si nous avions de l'argent pour acheter des actions et des gens pour nous représenter, ce serait plus facile. Si nous allons, par exemple, à Vancouver, les frais de ce voyage sont 2 500 $ et c'est déjà 10 p. 100 de notre budget. Quand vous nous dites cela, je vous réponds: «Donnez-nous les moyens et nous allons couvrir un plus grand nombre d'entreprises.» Je veux aussi préciser qu'on n'a pas seulement fait des propositions aux banques mais aussi à certaines grandes entreprises, dont cinq l'année dernière. Notre réservoir est limité parce que nos ressources sont limitées, mais si nous avions les moyens, nous pourrions couvrir beaucoup plus d'entreprises, et à la limite, toutes les entreprises.

Mme Pellerin: Cela explique aussi un peu les limites de nos interventions en passant par les assemblés d'actionnaires. Améliorer les dispositions d'une loi serait grandement utile pour accroître la protection des actionnaires et des investisseurs. S'il faut commencer à visiter chacune des assemblés d'actionnaires pour faire adopter une proposition, on en a pour les 100 prochaines années. Aller aux assemblés des actionnaires nous donne la possibilité d'expliquer les problématiques, c'est tout, comme, par exemple, en ce qui a trait aux paradis fiscaux dans les banques.

Le sénateur Angus: Dans votre mémoire, vous avez souligné le fait que les grosses compagnies canadiennes soient maintenant sujettes à la loi Sarbanes-Oxley. Nous avons des problèmes au Canada avec l'indice TSX et nous aimerions voir devant les assemblées annuelles d'actionnaires d'autres compagnies que celles qui sont visées par cette loi.

M. Belzile: Ce serait aussi notre vœu le plus sincère.

[Traduction]

Le sénateur Oliver: Je m'intéresse aux actions à droit de vote multiple. J'ai votre exposé en anglais, et je pense que quelque chose s'est perdu dans la traduction. Je ne comprends pas la phrase.

Je sais que dans le cas des actions à droit de vote multiple, vous pouvez avoir un contrôle de 4 ou 5 p. 100 des actions, mais non de la totalité. Vous donnez des exemples dans votre mémoire — Subway, Teck Magna et d'autres. Ensuite, vous dites:

Une législation devrait prévoir que le privilège de détenir des actions à vote multiple soit limité dans le temps.

Je ne comprends pas ce que vous voulez dire.

Ensuite, vous dites:

Une période de cinq ans pourrait, par exemple, être accordée aux entrepreneurs, afin de permettre le démarrage d'entreprises.

Je ne comprends pas ces deux phrases. Pourriez-vous me les expliquer? Quelle sorte de loi voudriez-vous? Une loi fédérale? Et que dirait-elle?

[Français]

M. Belzile: Cela pourrait se faire par amendement à la Loi des sociétés par actions. Pour une période de cinq ans, les entreprises qui ne sont pas en démarrage pourraient maintenir le système de vote multiple, qui est souvent invoqué parce qu'il concerne les fondateurs de l'entreprise. Par la suite, la loi pourrait prévoir que les statuts de la société soient refondus pour éliminer cette aberration du vote multiple.

[Traduction]

Le sénateur Oliver: Si vous êtes une société familiale, la famille détient le contrôle des votes et l'a eu depuis 50 ans, pourquoi, au bout de cinq ans, la loi vous obligerait-elle à abandonner ce contrôle?

[Français]

M. Belzile: C'est parce que cela touche les entreprises qui émettent des actions dans le public, des sociétés publiques. Même si ce sont des sociétés familiales qui cherchent des fonds, les actionnaires devraient avoir les mêmes droits.

Le sénateur Angus: Elles devraient avoir le choix.

M. Belzile: Selon eux, les actionnaires devraient avoir les mêmes droits que dans n'importe quelle société. Évidemment, si, après avoir émis des actions dans le public, la famille détient encore 60 p. 100 des actions, c'est normal qu'elle ait encore le contrôle et qu'elle ait 60 p. 100 du droit de vote.

Ce qui nous apparaît aberrant, c'est le fait qu'une entreprise familiale se retrouve avec 80 p. 100 du droit de vote alors qu'elle ne détient que 10 p. 100 des actions après avoir fait de multiples émissions dans le public.

[Traduction]

Le sénateur Oliver: Pourquoi voudrions-nous le faire à titre rétroactif? Pourquoi n'accorderions-nous pas des droits acquis à toute personne qui détient ces actions à vote multiple maintenant et peut-être adopter une loi pour la modifier à l'avenir? Pourquoi voudriez-vous la rendre rétroactive?

[Français]

M. Belzile: On ne veut pas que ce soit rétroactif.

[Traduction]

Le sénateur Oliver: Même cinq ans, ce n'est pas beaucoup de temps pour une société familiale.

[Français]

M. Belzile: La loi pourrait stipuler qu'au départ, les nouvelles sociétés peuvent adopter le système de votes multiples mais qu'après cinq ans, si elles émettent des actions dans le public, les statuts devront être refondus pour leur retirer ce droit.

[Traduction]

Le sénateur Oliver: Vous accorderiez des droits acquis à toute entreprise actuelle qui a des actions à droit de vote multiple? Vous ne parlez pas d'adopter une loi pour modifier cela?

[Français]

M. Belzile: À tout le moins, en ce qui a trait aux nouvelles sociétés qui émettent des actions dans le public, il faudrait que ce droit disparaisse après un certain nombre d'années.

[Traduction]

Le sénateur David Tkachuk (vice-président) occupe le fauteuil.

Le vice-président: Comme il n'y a pas d'autres questions, nous vous remercions beaucoup d'être venus aujourd'hui.

La séance est levée.


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