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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 5 - Témoignages


OTTAWA, le lundi 25 novembre 2002

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit ce jour à 11 h pour étudier les répercussions en matière d'intérêt public de la fusion des grandes banques.

Le sénateur E. Leo Kolber (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Nos premiers témoins du ministère des Finances sont M. Gerry Salembier, Mme Colleen Barnes et Mme Rhoda Attwood. Le vice-président du comité, le sénateur Tkachuk, a demandé de faire une déclaration liminaire.

Le sénateur Tkachuk: Avant que le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce n'entreprenne ses audiences sur les ramifications en matière d'intérêt public de la fusion des grandes banques, ce qui lui a été demandé dans une lettre cosignée par les ministres Manley et Bevilacqua, j'aimerais faire lecture de la déclaration publique que voici:

À l'heure actuelle, il n'est prévu qu'aucun des deux ministres responsables ne comparaisse devant le comité pour se prononcer sur la question de la fusion des grandes banques, ce qui est très décevant, en tout cas en ce qui concerne les membres progressistes-conservateurs du comité ici réuni. La non-comparution de ministres devant les comités sénatoriaux, comme celle de M. Martin, alors ministre, lors de l'examen de la Loi sur les services financiers, est une tendance alarmante. Le refus de comparaître de M. Martin avait été perçu par beaucoup comme un affront à l'esprit démocratique et une insulte au processus parlementaire. La non-comparution du ministre Martin a permis de laisser délibérément planer un flou. La tentative la plus récente de fusion, celle de la Banque de Nouvelle-Écosse et de la Banque de Montréal, illustre l'échec législatif du projet de loi. Il nous semble que la lettre des ministres Manley et Bevilacqua n'est rien de plus qu'un écran de fumée pour masquer une politique gouvernementale qui a échoué, et nous avons exprimé cette opinion lors de la période des questions au Sénat. Cependant, dans l'intérêt d'une saine politique financière, nous croyons malgré tout qu'il importe d'entreprendre l'examen proposé ici, même si nous aurions peut-être dû refuser notre aval pour la tenue de telles audiences en attendant d'obtenir une garantie de la comparution du ministre.

Le président du comité, le sénateur Kolber, m'a assuré qu'il lui a été impossible d'obtenir que l'un ou l'autre des ministres comparaisse, même si le ministre Manley a dit à la Chambre des communes, en réponse à une question posée par le Très honorable Joe Clark, qu'il comparaîtrait à un moment opportun. Le sénateur Kolber m'a dit que M. Manley comparaîtrait en février. Nous ignorons si «février» et «moment opportun» sont synonymes. Une date en février est inacceptable aux yeux des membres du comité de notre côté car nous avons convenu de réserver un traitement accéléré à cette étude, ce de façon à publier les conclusions de notre examen avant la fin du mois de décembre. Toujours en réponse à Joe Clark, le ministre Manley a dit qu'il ne voulait pas porter préjudice aux audiences en insérant dans le processus ses opinions personnelles. Bien que je ne puisse pas parler au nom des membres libéraux du comité, je peux assurer le ministre Manley que nous n'aurions pas trouvé leurs pouvoirs de persuasion si forts que nous n'aurions pas été intellectuellement capables de soumettre nos propres vues sur la question.

Je ne pense pas que ces audiences apporteront de la clarté au processus si la politique de l'actuel gouvernement continue d'être déterminée par les caprices du premier ministre. Le Canada ne peut pas tolérer le chaos et l'incertitude qu'une telle politique engendre. Des dizaines de milliers de Canadiens sont les employés d'institutions financières et les banques sont un ingrédient clé de tous les régimes de pension canadiens. En conséquence, leur rendement économique a des répercussions qui s'étendent bien au-delà de l'immeuble Langevin, et le maintien de leur santé et de leur stabilité est important pour l'avenir de tous les Canadiens. Suite à la tentative de fusion avortée du mois d'octobre, ce ne sont pas seulement les institutions financières qui recherchent un leadership politique; les Canadiens recherchent un leadership politique — étant donné surtout que l'actuel premier ministre a annoncé son intention de se retirer. D'autre part, le ministre Manley en particulier aspire à diriger le pays, et j'estime qu'il est d'une importance primordiale qu'il expose sa position et son leadership en matière de fusions bancaires au public ainsi qu'à nous.

J'invite donc formellement le ministre des Finances, une nouvelle fois publiquement, comme je l'ai déjà fait par l'intermédiaire du président du comité des banques, ainsi que le ministre d'État aux institutions financières internationales, à comparaître devant le Comité sénatorial des banques et du commerce avant que nous ne déposions notre rapport final en décembre. J'aimerais également ajouter que l'ancien ministre des Finances, M. Paul Martin, qui ambitionne de devenir premier ministre, sera le bienvenu s'il vient nous donner son interprétation de ce que devrait être l'intérêt public.

Le sénateur Angus: J'aimerais simplement me rallier à la déclaration du sénateur Tkachuk et exprimer mon appui sans réserve pour les vues qu'il a exprimées quant à la comparution des ministres dans le cadre de nos audiences. Premièrement, dans la lettre qui vous est adressée, monsieur, il n'est pas dit de quelle façon ni où le ministre voit un manque de clarté dans l'actuelle loi et dans les lignes directrices distribuées et publiées par le ministère des Finances après l'adoption du projet de loi C-8. En conséquence, l'on nous demande d'apporter de la clarté là où nous ne savons pas ce qui n'est pas clair aux yeux du ministre au départ.

Deuxièmement, ce qui est plus important, le journal de ce matin dit clairement que le Comité des finances de la Chambre, qui a eu le privilège de recevoir une lettre du ministre, a fait savoir qu'il est trop pris par les préoccupations budgétaires, les études pré-budgétaires et ainsi de suite pour pouvoir se concentrer sur cette question particulière. En effet, le comité de la Chambre n'est pour l'heure pas du tout concentré. Par conséquent, comme l'a dit le sénateur Tkachuk au sujet de l'importance de cette question pour tous les Canadiens, pour la communauté financière en général et pour les institutions financières en particulier, il semble que ce «manque de clarté» nous ait été imposé quant à savoir quand il y aura clarté.

Le sénateur Prud'homme: Je viens de prendre connaissance de la déclaration de l'honorable sénateur Tkachuk, et je vais mettre de côté toute pensée partisane suffisamment longtemps pour dire que cette déclaration est plutôt «chargée». J'aimerais faire deux suggestions. Premièrement, cette question devrait être renvoyée au comité directeur pour déterminer si et quand les ministres seraient disponibles. Je serais pour ma part très intéressé d'entendre les ministres Manley et Bevilacqua. Je parle ici en tant que membre indépendant du comité. Nous avons entendu le ministre Bevilacqua sur la question de l'effondrement d'Enron et ses commentaires ont beaucoup éclairé les membres du comité. Je suis certain que la participation du ministre éclairerait beaucoup les membres du comité qui ont décidé d'étudier le fusionnement, question d'une très grande importance pour les Canadiens. Personnellement, je me ferai un plaisir d'appuyer toute motion visant à inviter ces ministres à comparaître en tant que témoins à un moment que le comité directeur jugera opportun dans le calendrier du comité. Il devrait être possible d'entendre les deux ministres — ou en tout cas l'un des deux — étant donné le mandat qui nous a été donné ce matin sous votre présidence tout à fait capable.

Le sénateur Tkachuk: J'aimerais ajouter, sénateur, que le comité directeur s'est déjà penché sur cette question. Le sénateur Kolber a lancé des invitations aux deux ministres. Il ont refusé, d'où la déclaration. Nous avons déjà vu tout cela, alors il n'est nul besoin de recommencer. Merci, cependant, de votre appui en faveur de la comparution des ministres.

Le sénateur Prud'homme: Je préférerais entendre les témoins pendant que nous poursuivons cette discussion sur la façon de nous y prendre — si cela est possible — pour ensuite renvoyer cela au comité.

Le président: Je ne suis pas certain de comprendre ce que vous voulez dire.

Le sénateur Tkachuk et ses collègues ont demandé que les deux ministres comparaissent. Nous avons transmis leur message aux deux ministres en question, et ceux-ci ont dit qu'ils ne pensent pas qu'ils devraient comparaître. Ils ont pour position que s'ils nous demandent conseil, alors pourquoi devraient-ils, eux, nous donner conseil?

J'ai rapporté cela au sénateur Tkachuk, dont je suppose qu'il l'a rapporté à ses collègues. Il n'y a pas grand-chose d'autre que nous puissions faire. Je pense que tout le monde a convenu de faire cette semaine d'audiences et de préparer un rapport à un moment donné. Une fois qu'il aura déposé son budget, le ministre Manley viendra nous entretenir de tout sujet qui nous intéresse.

Le sénateur Tkachuk: Les membres libéraux du comité sont-ils d'avis que le ministre devrait comparaître avant notre rapport?

Le président: Non.

Bienvenue aux représentants du ministère des Finances. D'après ce que j'ai compris, vous n'avez pas de déclaration liminaire à faire.

M. Gerry Salembier, directeur, Division des institutions financières, Direction de la politique du secteur financier, ministère des Finances: C'est exact, monsieur le président. Nous sommes ici pour répondre aux questions que voudront nous poser les membres du comité sur le processus d'examen des fusions tel qu'énoncé ou sur la loi en matière de fusions s'y rapportant.

Le président: Qui aimerait commencer pour les Conservateurs?

Le sénateur Tkachuk: On nous a demandé d'examiner les lignes directrices en matière d'intérêt public en ce qui concerne leur application aux fusions bancaires. Le ministre a-t-il un document sur ce que le gouvernement considère comme étant dans l'intérêt public? D'après ce que je comprends, le ministre Bevilacqua devait esquisser dans un discours les lignes directrices du gouvernement en matière d'intérêt public dans leur application à la fusion de la Banque Toronto Dominion et de la Banque de Montréal. Il devait esquisser les lignes directrices en matière d'intérêt public à satisfaire avant que la fusion ne puisse avoir lieu. Auriez-vous quelque chose qui nous serait utile à cet égard?

M. Salembier: Comme je l'ai dit, nous n'avons aucune déclaration liminaire pour le comité. Vous demandez si nous avons un document portant sur la question de l'intérêt public. Nous n'avons pas de document qui en traite de façon plus détaillée que ce qui a déjà été couché sur papier dans la lettre qui a été envoyée au président du comité. Cette lettre représente le point de vue du ministre sur les questions pour lesquelles il pense qu'il est important que le comité fournisse des éclaircissements supplémentaires.

Le sénateur Tkachuk: Le gouvernement du Canada n'a aucunement réfléchi à l'intérêt public des Canadiens en cas de fusion bancaire?

M. Salembier: Comme je l'ai indiqué, les réflexions du ministre sur ces questions sont contenues dans la lettre qui a été envoyée au président du comité.

Le sénateur Tkachuk: Le ministère n'a-t-il fait aucun travail en la matière? Le ministère dispose-t-il de renseignements de base qui seraient utiles au gouvernement du Canada ou au comité?

M. Salembier: Sénateur, nous n'avons aucun document pour vous portant sur cette question.

Le sénateur Tkachuk: Je trouve cela incroyable.

Le sénateur Angus: Moi aussi.

Le sénateur Tkachuk: Pourquoi donc êtes-vous ici? Vous ne représentez pas la politique gouvernementale. Vous êtes les fonctionnaires qui exécutez la politique gouvernementale. Nous nous attendons à ce que vous nous aidiez dans notre travail. Il n'y a aucun document, aucun mémoire, aucune étude, aucune critique ni analyse de ce qui s'est passé en 1998 ou de ce qui s'est passé lors de la dernière tentative de fusion, émanant du gouvernement, qui soit susceptible de nous aider dans notre travail ici. Est-ce bien cela?

M. Salembier: Les opinions du gouvernement quant à ce qui devrait être examiné dans le cadre de l'analyse d'une fusion bancaire sont énoncées, premièrement, dans les lignes directrices en matière d'examen de fusions. Ces lignes directrices comportent une longue liste de facteurs qui doivent être inclus dans toute évaluation des répercussions en matière d'intérêt public devant être produite par les banques. La lettre adressée par le ministre au président du comité demandait des éclaircissements supplémentaires sur quatre aspects de ces lignes directrices.

Le sénateur Tkachuk: Monsieur le président, je vais céder la parole aux collègues de l'autre côté, car je sais que les membres de mon parti, assis à mes côtés, non seulement sont en état de choc, mais veulent poursuivre cette question. Je cède donc la parole aux sénateurs d'en face, et nous verrons bien par la suite.

Le sénateur Kroft: Voyons si je peux apporter quelque chose de constructif ici. Nous avons les lignes directives régissant le processus d'étude des fusions de banques et qui constituent une annexe à la loi en vigueur. Nous avons la lettre aux présidents des deux comités.

Les directives régissant le processus d'études des fusions contiennent une liste de choses que le ministre ou le gouvernement doit examiner pour arriver à sa décision relative aux répercussions en matière d'intérêt public de la fusion concernée.

Comme vous le savez bien, nous allons, au cours des prochains jours, entendre la plupart voire tous les PDG des principales institutions financières. Ces témoins vont vraisemblablement nous soumettre leurs opinions quant aux considérations qui devraient selon eux intervenir en matière d'intérêt public et à ce qu'ils jugent comme étant raisonnable et important.

Je ne peux que supposer que durant la période menant à l'adoption de la loi actuelle — et depuis l'adoption de cette loi — il y a eu des discussions continues entre les fonctionnaires du ministère des Finances et le secteur bancaire. Ce serait là le cours normal des choses entre une industrie, quelle qu'elle soit, et une branche du gouvernement, s'agissant d'en arriver à un cadre de politique.

Nous ne voulons pas placer le gouvernement dans une position désavantageuse. Nous allons entendre les PDG des banques. Vous êtes ce qui se rapproche le plus d'un PDG du gouvernement et je vous demande donc s'il y a dans les directives ou ailleurs une divergence fondamentale entre le ministère et les banques ou si les directives reflètent un certain consensus? Cette rencontre sera la seule occasion pour nous d'entendre le gouvernement. Je ne veux pas entendre dire plus tard que les banques contestent l'un quelconque des aspects des directives.

Il serait utile que vous indiquiez s'il y a selon vous des aspects du cadre ou de la définition «d'intérêt public» sur lesquels le gouvernement et l'industrie ne sont pas d'accord. Y a-t-il ici consensus?

M. Salembier: Il me faut dire que je pense que les PDG des banques devraient dire ce qu'ils pensent des critères que nous avons fixés pour eux. Je ne pense pas que ce soit tout à fait juste de dire que les directives régissant le processus d'étude des fusions de banques représentent un genre de consensus. Le document n'a pas fait l'objet de négociations.

Le sénateur Kroft: Je demande si c'est le cas. Je suppose qu'il y a eu beaucoup de discussions entre vous-même et l'industrie avant la publication. Pensez-vous que les résultats de la discussion représentent un consensus ou bien y a-t-il à votre avis des points sur lesquels vous n'êtes pas d'accord?

M. Salembier: Je pense qu'il n'est pas juste de dire qu'il y a consensus étant donné que le document n'a d'aucune façon été soumis aux banques pour obtenir leur agrément. Ce document a été élaboré par le gouvernement dans le but d'indiquer quels facteurs devraient entrer en ligne de compte dans l'examen de toute demande de fusion de banques que le ministre est tenu d'entreprendre en vertu de la loi.

Cela étant dit, les grandes lignes des critères qui sont aujourd'hui énoncés dans les lignes directrices sur l'examen des fusionnements de banques ont été versées au domaine public par l'intermédiaire du rapport intérimaire du groupe de travail MacKay en 1997, du rapport final de ce groupe de travail paru en 1998, des délibérations du comité ici réuni, débouchant sur un rapport en 1998 et du Comité des finances de la Chambre des communes.

Je peux en toute quiétude dire que nous n'avons eu aucune indication des banques, dans le courant des discussions régulières que nous avons eues avec elles, selon laquelle le contenu des lignes directrices sur les fusionnements ne cadrait pas avec le déroulement normal des opérations bancaires. Je ne connais rien dans les lignes directrices qui soit impossible ou qui présente des difficultés insurmontables pour le secteur bancaire.

Le sénateur Kroft: En ce qui concerne la question de l'opportunité — le délai de roulement prévu étant d'environ cinq mois —, craignez-vous que cela ne corresponde pas à la position du secteur bancaire? Cela a-t-il été une pierre d'achoppement dans l'une quelconque des discussions?

M. Salembier: Honorables sénateurs, je pense que l'absence d'un délai aurait été davantage une pierre d'achoppement que le délai que nous avons fixé. Du point de vue de l'industrie — ici encore il vous faudra poser la question aux banquiers lorsqu'ils comparaîtront devant vous — plus c'est rapide, mieux c'est dans le cas de tout processus d'approbation gouvernementale. Cela étant dit, le délai de cinq mois représente selon nous une période appropriée et plutôt comprimée pour la conduite de l'analyse complexe qu'exigent ces genres de transactions.

Le sénateur Setlakwe: Lorsque vous parlez de l'absence de problèmes insurmontables en matière d'intérêt public en cas de fusion, songez-vous plus particulièrement aux problèmes susceptibles de survenir lorsque des banques ferment des succursales ou lorsque des entreprises petites et moyennes ou des particuliers se voient dans l'incapacité d'obtenir un financement adéquat? Est-ce là une préoccupation du ministère?

M. Salembier: En disant que les lignes directrices sur les fusionnements des banques ne posent pas de difficultés insurmontables ou en tout cas que le secteur bancaire n'a pas fait état d'un tel problème, je songeais aux exigences énoncées dans les lignes directrices quant aux renseignements que les banques sont tenues d'inclure dans l'Évaluation de l'incidence pour l'intérêt public. Comptent parmi ces exigences l'analyse de rentabilisation et les objectifs visés par les fusions; les coûts et avantages possibles pour les clients, y compris les petites entreprises; l'échelonnement et l'incidence des fermetures de succursales et les mécanismes de prestation de services de rechange; la contribution des fusions à la compétitivité internationale; les effets sur les emplois directs et indirects et la qualité de ces emplois; et la capacité des banques d'élaborer des technologies novatrices. Ce sont tous là des facteurs qui sont esquissés dans les lignes directrices. Nous n'avons eu aucune indication selon laquelle l'explication de ce genres de choses poserait des difficultés insurmontables.

Comme vous pouvez le voir d'après la liste, les deux facteurs que vous avez mentionnés — soit les fermetures de succursales et l'incidence quant à la disponibilité d'aide financière pour la petite entreprise — sont en effet des éléments que nous jugeons importants en vue de l'analyse de toute fusion bancaire.

Le président: Pourriez-vous comparer brièvement votre processus d'examen à celui d'autres pays?

M. Salembier: Oui, bien sûr.

Comme d'autres l'ont, je pense, indiqué au comité lors de leur comparution, les fusions de banques sont une question très chargée dans presque tous les pays, y compris les États-Unis. Nous sommes souvent comparés aux États- Unis relativement à de nombreux éléments importants en ce qui concerne le cadre de réglementation du secteur financier, et ce pour des raisons évidentes. Nos institutions livrent concurrence aux leurs et, en un sens, notre cadre de réglementation livre concurrence au cadre de réglementation américain. Aux États-Unis, les fusions de banques sont examinées par la division antitrust du département de la justice ainsi que par la Federal Reserve Board et le bureau du contrôleur de leur devise.

Il a été dit dans certains quartiers que le système américain est en un sens moins politisé. J'aimerais à cet égard souligner un certain nombre de choses. Premièrement, aux États-Unis, il a été décidé vers la fin des années 90 — c'était, je pense, en 1997 — d'adopter une loi interdisant toute fusion de banques devant résulter en une part du marché des dépôts supérieure à 10 p. 100. Si cela devait s'appliquer au contexte canadien, l'acquisition de Canada Trust par la Banque Toronto-Dominion que nous avons approuvée en l'an 2000 n'aurait pas été possible. La loi interdit également toute fusion de banques devant résulter en une part du marché des dépôts supérieure à 30 p. 100 dans un seul et même État.

Le processus aux États-Unis prévoit également la tenue d'audiences publiques. Par exemple, la fusion de la Bank of America et de la Nations Bank, qui remonte, je pense, à l'année 1998, a fait l'objet d'audiences publiques, tout comme celle de First Union et de CoreStates. La fusion de la BankBoston et du Fleet Financial Group dans le Nord-Est des États-Unis a elle aussi fait l'objet d'audiences publiques, et celles-ci ont été très chargées et ont suscité beaucoup d'émotion. Plusieurs personnalités politiques, dont le maire de Boston et le révérend Al Sharpton, ont participé au processus d'élaboration d'un ensemble de cessions acceptable qui a débouché sur la création d'une banque aujourd'hui appelée Fleet Boston.

Une autre comparaison pertinente peut à notre avis se faire avec l'Australie, où la structure du système bancaire est très semblable à celle du système qui existe au Canada. Quatre grosses banques détiennent la part du lion sur le marché australien comparativement à cinq ici. Bien évidemment, l'Australie est un État fédéral avec division de pouvoirs.

En Australie, le gouvernement a imposé un moratoire sur les fusions des grosses banques. Les quatre plus importantes, la National Australia Bank, la Commonwealth Bank, la Westpac Banking Corporation et l'ANZ sont assujetties à ce que l'on appelle la «politique aux quatre piliers», qui relève en Australie non pas d'une loi mais bien d'une politique. Cette interdiction est en grande partie née d'inquiétudess quant à l'accès au financement pour les petites entreprises. Le gouvernement australien a déclaré que ce moratoire demeurerait en place jusqu'à ce que la concurrence s'améliore.

L'Australie a un processus d'examen des fusions semblable à bien des égards à celui qui est en place au Canada. Il y a, par exemple, des examens simultanés menés par des autorités en matière de concurrence et par les contrôleurs prudentiels. Ces agences livrent leurs conclusions au trésorier fédéral, qui est l'homologue de notre ministre des Finances, et la Bank Act exige que le trésorier donne son aval pour toute fusion de banques.

Le trésorier rend sa décision conformément à ce qui est énoncé dans la loi australienne sur la base du critère de l'intérêt national. Ce critère englobe des questions et de concurrence et de prudence. Il tient également compte de préoccupations publiques plus générales, notamment emploi, développement régional et efficience du secteur bancaire. Cela se rapproche beaucoup de la situation que nous avons au Canada avec les lignes directrices sur les fusionnements de banques.

Il y a d'autres exemples internationaux dont je pourrais entretenir le comité si cela l'intéresse mais en voilà deux que nous avons examinés et qui offrent le plus de ressemblances et de leçons aux fins du débat canadien.

Le sénateur Angus: Comme vous l'aurez sans doute décelé, nous avons un petit problème avec le processus que nous suivons. J'ose cependant espérer que nous pourrons accéder aux désirs des ministres et de votre ministère et, comme l'a dit le sénateur Kroft, en arriver à quelque chose de constructif.

J'aimerais commencer par vous renvoyer à une lettre qui a été reçue par le sénateur Kolber et par Mme Barnes, députée et présidente du Comité des finances de la Chambre des communes. Pourriez-vous nous dresser la liste des cinq banques au Canada qui comptent des avoirs de plus de 5 milliards de dollars?

M. Salembier: Il s'agit de la Banque royale du Canada, de la Banque TD Canada Trust, de la CIBC, de la Banque Scotia et de la Banque de Montréal.

Le sénateur Angus: Cela englobe-t-il la Banque nationale?

M. Salembier: Non, les avoirs actuels de la Banque nationale se chiffrent à environ 3,8 milliards de dollars.

Le sénateur Angus: Quels sont les avoirs de la HSBC?

M. Salembier: Ils sont certainement bien inférieurs à cela — il me semble qu'ils se situent à environ 1 milliard de dollars.

Le sénateur Angus: Qu'en est-il de la Banque Laurentienne?

M. Salembier: C'est sensiblement inférieur à cela, aux environs de 700 millions de dollars.

Le sénateur Angus: Merci beaucoup. Cette lettre porte l'en-tête du ministère des Finances et est signée par le ministre. Je suppose que vous avez participé à la rédaction de la lettre ou en tout cas que vous en connaissiez le contenu lors de son envoi. Est-ce exact?

M. Salembier: Oui.

Le sénateur Angus: Cette lettre énonce les étapes du processus d'approbation en vertu des dispositions du projet de loi C-8, comme on le connaissait à l'époque de son examen par le Parlement. Vous dites que le Bureau de la concurrence a un certain rôle à jouer. En effet, il a ses propres lignes directrices, n'est-ce pas? Pour que les choses soient bien claires, le Bureau de la concurrence a diffusé un ensemble de lignes directrices régissant le processus d'étude des fusions de banques. Il importe de ne pas les confondre avec les lignes directrices sur les fusionnements de banques du ministère des Finances. Est-ce bien cela?

M. Salembier: C'est exact. Le Bureau de la concurrence a un ensemble de lignes directrices en matière de fusions qui s'appliquent aux banques et qui régissent l'analyse que mène le Bureau. Cette analyse fait partie des lignes directrices d'ensemble en matière d'examen des fusionnements de banques qui, comme vous l'avez souligné, sont décrites dans l'introduction de la lettre.

Le sénateur Angus: Cette lettre dit que le Bureau du surintendant des institutions financières, ou BSIF, a pour rôle d'examiner les questions prudentielles. Je pense que les membres du comité comprennent de quoi il s'agit et seront intéressés d'entendre ce qu'a à dire le BSIF. La lettre poursuit en disant que le «gouvernement» traite des questions d'intérêt public. Le Canadien moyen pense que le Bureau de la concurrence fait partie du gouvernement, et c'est mon cas également. Et vous, qu'en dites-vous? Je pense qu'il en est de même pour le BSIF. Est-ce bien le cas?

M. Salembier: Oui.

Le sénateur Angus: Ces organisations font partie du gouvernement, et j'en déduis donc que c'est une autre partie du gouvernement qui s'occupe des questions d'intérêt public. Est-ce bien cela? Et de quelle partie du gouvernement s'agit- il donc?

M. Salembier: C'est le ministre des Finances qui est chargé de prendre cette décision.

Le sénateur Angus: Je suppose, par association, que cela vous englobe, vous les gens du ministère.

M. Salembier: Nous fournissons au ministre des conseils pour l'aider à prendre cette décision.

Le sénateur Angus: Vous vous souviendrez que lorsque le projet de loi C-8 faisait son chemin ardu dans le système, ce fut un processus très difficile. Je pense que la pile sur mon bureau devait faire 36 pouces de haut, et vos collègues du ministère m'aidaient à m'y retrouver. Au fil de son examen au Parlement, plusieurs commentaires critiques ont été faits par de nombreux intervenants tant du côté de la Chambre que de celui du Sénat. Par exemple, j'ai souligné lors d'un discours que nos enquêtes avaient fait ressortir qu'il ne s'agissait pas d'un projet de loi très populaire, dans la mesure où peuvent l'être ces genres de choses. Nous avons par exemple déterminé qu'il s'agissait, du fait de nombreux éléments techniques, d'un très important texte de loi en vue d'un meilleur fonctionnement de nos systèmes financiers, de nos banques et des autres institutions financières.

Il y avait cependant des éléments portant sur les fusions, des seuils qui devaient s'appliquer, et ainsi de suite. Il est clairement ressorti, sur la base de tous les témoignages et de toutes les interventions entendus, que les gens auraient préféré une plus grande clarté dans le projet de loi. L'une des choses que n'a pas pu comprendre le Comité sénatorial des banques, sous le leadership inspiré, capable et dynamique de notre président, était la raison pour laquelle notre comité avait été laissé à l'écart du processus. Cela avait été cerné dans la première ébauche du projet de loi. En effet, le ministre et des fonctionnaires du ministère avaient jugé bon, dans leur sagesse, d'inscrire dans le processus que les questions touchant à l'intérêt public général devaient être soumises non seulement au Comité des finances de la Chambre mais également au comité ici réuni.

Le président: Je suis très flatté par ce que vous dites, mais il me faut supposer que vous avez une question.

Le sénateur Angus: En effet. Je tente d'établir que nous avons une certaine histoire dans ce dossier et qu'il y avait un processus établi. Aujourd'hui, je vois dans cette lettre — comme je l'ai vu à l'époque dans la loi — que le Comité permanent des finances de la Chambre des communes et que le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce devaient se voir chargés de tenir des audiences publiques portant sur les questions d'intérêt public général soulevées par tout projet de fusionnement. Est-il juste de pense que nous sommes ici réunis aujourd'hui à cette fin: une proposition précise de fusionnement a été faite et l'on nous demande de nous pencher sur les questions d'intérêt public général soulevées par la proposition en question?

Le président: Sénateur, nous ne faisons pas tous la même lecture de la lettre.

Le sénateur Angus: Je ne fais que la lire. Je peux le faire en français.

Le président: Vous pouvez en faire lecture comme bon vous semble, mais c'est là votre conclusion.

Le sénateur Angus: La lettre dit que nous «serions chargés de tenir des audiences publiques sur les questions d'intérêt public général soulevées par une proposition de fusion particulière». Je veux savoir s'il y a une proposition de fusion, et si l'on nous demande de nous y pencher. Est-ce bien le cas? Dans la négative, le témoin peut tout simplement dire qu'il ne le sait pas.

M. Salembier: Le gouvernement n'est pour l'heure saisi d'aucune demande de fusion. La lettre renvoie directement aux lignes directrices sur les fusionnements de banques, qui ont été soigneusement élaborées pour exprimer l'intention du gouvernement de demander au comité ici réuni et au Comité des finances de la Chambre des communes d'exprimer leurs vues sur ces questions d'intérêt public en cas de dépôt de projet de fusion et, donc, de lancement du processus d'examen d'une fusion. Or, ce processus n'a pas été enclenché.

Le sénateur Angus: En un mot, donc, la réponse à ma question est non. Nous ne sommes pas ici réunis aujourd'hui pour offrir nos conseils sur les questions d'intérêt public liées à une proposition particulière.

Je vais dans ce cas tenter de déterminer, comme s'y efforcent mes collègues à ma droite, la raison pour laquelle nous sommes ici. Le deuxième paragraphe de la lettre dit que depuis la diffusion des lignes directrices du ministère des Finances «certaines parties prenantes ont déclaré que les critères en matière d'intérêt public liés à l'examen des fusions de banques exigent une plus grande clarté». Pourriez-vous me dire quelles parties prenantes ont laissé entendre cela et me préciser quelles sont leurs préoccupations?

M. Salembier: Des déclarations ont été faites par quelques PDG de banque au cours des douze derniers mois environ. C'est le cas, notamment, d'Ed Clark de la TD Canada Trust. Je pense que d'autres PDG de banque ont fait des déclarations semblables. M. Nixon, de la Banque royale, a fait une déclaration dans la même veine il y a de cela quelques mois. Cependant, étant donné que ces deux messieurs comparaissent devant vous plus tard aujourd'hui, je pense que vous auriez tout intérêt à leur poser la question à eux, afin de savoir s'ils estiment que les lignes directrices méritent d'être davantage tirées au clair.

Le sénateur Angus: C'est peut-être bien le cas. Nous savons au moins maintenant que M. Gordon Nixon et que M. Ed Clark ont «déclaré que les critères en matière d'intérêt public...» et cetera. Y en a-t-il d'autres? Nous ne le savons pas.

Tout ce que j'aimerais savoir, en réalité, c'est pourquoi nous sommes ici? Je ne pense pas qu'il soit déraisonnable pour moi de vous demander, en tant que représentant supérieur du ministère des Finances, de nous dire — et je vous le demande gentiment — quels problèmes vous ont été soumis par certaines «parties prenantes» dans le contexte de leur interprétation de ce qu'est l'intérêt public?

M. Salembier: Les quatre points soulevés dans la lettre constituent la meilleure description que je puisse vous offrir des questions au sujet desquelles le gouvernement estime qu'il serait important d'obtenir des éclaircissements supplémentaires. Vous avez la lettre devant vous, alors il n'est nul besoin que je vous les répète.

Le sénateur Angus: Les parties prenantes vous ont-elles fait des soumissions écrites relativement à un manque de clarté?

M. Salembier: Non.

Le sénateur Angus: Lorsque vous dites «certaines parties prenantes ont déclaré...», vous appuyez-vous sur les rapports de presse lorsque Gordon Nixon se rend à une réunion de l'Association canadienne des courtiers en valeurs immobilières ou ACCVI et dit X et Y? Songez-vous à des réunions plus formelles au cours desquelles la Banque royale a peut-être, possiblement tout à fait à juste titre dans le cours normal des choses, demandé une rencontre avec les fonctionnaires appropriés à Ottawa pour obtenir des éclaircissements? Des réunions du genre ont-elles eu lieu avec les parties prenantes et, dans l'affirmative, avec qui et quand? Pourrait-on s'il vous plaît me fournir quelques précisions?

M. Salembier: Cela s'appuie largement sur des rapports publics, des articles de presse et des déclarations, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, ainsi que des conférences de l'industrie au cours desquelles des cadres supérieurs de banques ont indiqué qu'ils espéraient que des éclaircissements supplémentaires allaient être fournis incessamment. Il n'y a pas eu de mémoires précis ni de réunions spécifiques au cours desquelles des demandes détaillées ont été soumises au gouvernement en vue d'obtenir des éclaircissements sur des points en particulier, non.

Le président: Je me permets de souligner que les mémoires préliminaires déposés par certains des PDG sont truffés de demandes de clarté.

Le sénateur Angus: Cela est vrai. Je l'ai constaté et ai pris bonne note de l'invitation qui nous a été faite par le témoin d'interroger ces intervenants, ce que nous ferons. Cette question est néanmoins très importante pour moi et, je pense, pour de nombreux membres du comité. Le ministère des Finances nous a demandé de tenir des audiences sur ces questions et vous avez cerné les quatre points particuliers qui semblent se passer d'explication.

Vous dites avoir pris connaissance des préoccupations des parties prenantes par le biais des médias mais non pas directement de façon formelle. Est-ce là votre déclaration?

M. Salembier: Oui.

Le sénateur Angus: Monsieur, vous-même et vos collègues, Mme Barnes et Mme Attwood, avez participé intimement au processus et le projet de loi a été adopté. Estimez-vous que les lignes directrices dans leur libellé actuel sont claires, dans la mesure où elles émanent de vos bons offices?

M. Salembier: Elles ont émané de nos bons offices initialement, il y a de cela trois ou quatre ans. Depuis, l'on a entendu des commentaires selon lesquels une plus grande clarté était méritée. Le gouvernement a accepté cette position au point de juger utile que le comité ici réuni et que le Comité des finances de la Chambre se penchent sur la question de savoir si des éclaircissements supplémentaires pourraient être obtenus pour répondre aux préoccupations du secteur bancaire à cet égard.

Si vous le voulez, je pourrais traiter de façon légèrement plus détaillée de chacun des points soulevés dans la lettre.

Le sénateur Angus: Je vous en prie. Ce serait utile. Je pense que nous nous attendions à ce que vous fassiez aujourd'hui une déclaration dans ce but exprès.

M. Salembier: En ce qui concerne l'accès, il existe toute une variété de moyens grâce auxquels les Canadiens accèdent à des services financiers. Il n'est plus vrai de nos jours qu'une succursale bancaire est la seule façon pour le Canadien moyen d'éxécuter le gros de ses transactions financières. Le gouvernement est d'avis que l'accès aux services financiers doit être large et non pas limité à quelques rares privilégiés et que cet accès doit être assuré aux Canadiens tant en région rurale qu'en zone urbaine étant donné que c'est la clé de la santé de leur communauté.

Nous pensons par ailleurs que la qualité de l'accès offert aux Canadiens est importante et que dans le contexte d'une économie développée il est essentiel que les Canadiens aient accès aux services financiers les plus sophistiqués possible sur le plan technologique. S'agissant d'examiner les ramifications d'une fusion bancaire, nous nous attendrions à ce que l'accès demeure large sur le plan régional, englobant les collectivités rurales, et à ce que la qualité de l'accès aux services financiers pour les Canadiens ne soit pas sensiblement réduite par une fusion.

Quant à la question du choix des fournisseurs de services financiers et de la disponibilité de fonds pour les petites entreprises, l'on convient généralement qu'un solide choix entre plusieurs fournisseurs de services financiers constitue un avantage clé pour les Canadiens, tant en tant que particuliers qu'en tant qu'entrepreneurs. De tels choix font par ailleurs une importante contribution à l'économie au sens large étant donné que les services financiers sont un intrant essentiel dans la quasi-totalité des autres activités économiques. Il importe à cet égard que les entreprises et que les consommateurs aient une vaste gamme de choix entre fournisseurs de services multiples lorsqu'il est par exemple question d'obtenir un prêt. Il est possible que, dans le cadre d'un projet de fusion bancaire, la cession de succursales ou de volets de services particuliers soit recommandée par le Commissaire à la concurrence. Dans un tel cas, l'utilisation stratégique de ces cessions pourrait servir d'occasion pour créer ou renforcer des joueurs nouveaux ou existants dans le système financier.

Quant à la création de perspectives de croissance à long terme pour le Canada grâce à des institutions canadiennes plus efficaces et plus concurrentielles sur le plan international, les honorables sénateurs savent bien que le Canada est aujourd'hui doté d'un secteur de services financiers concurrentiel. Nous espérons bâtir là-dessus advenant que soit déposée devant nous une proposition de fusion bancaire. À notre avis, il est dans l'intérêt public que les institutions financières aient une plate-forme pour le genre de croissance à long terme qui alimenterait des emplois de qualité élevée et créerait des possibilités de plus grande croissance économique à l'intérieur de l'espace économique nord-américain.

Au fur et à mesure que les entreprises canadiennes prennent de l'ampleur et deviennent davantage internationales, il est également utile de considérer le rôle que pourraient jouer les banques canadiennes dans la satisfaction des besoins financiers et de conseils financiers qu'auront les entreprises canadiennes à l'étranger, ce grâce à une plus grande disponibilité de fonds ou à des structures ou instruments de financement plus sophistiqués chez elles, sur le marché américain ou ailleurs.

Enfin, en ce qui concerne le quatrième point de la lettre, qui fait état de toute question relative au rajustement ou à la transition, y compris le traitement réservé aux employés, dans le cas de toute fusion d'importance entre deux grosses sociétés, il y a un effet potentiel sur la vie et les moyens d'existence d'un grand nombre de personnes. En conséquence, lorsque nous examinons de telles transactions, y compris les plus petites qu'il nous été donné d'étudier et d'approuver au cours des dernières années, le traitement des employés touchés continue d'être une considération importante dans le contexte de l'analyse de l'intérêt public.

Les employés peuvent être touchés de plusieurs façons, qu'il soit question de cessation d'emploi involontaire, de déménagement imposé ou de la nécessité de s'adapter à un poste différent au sein de la même organisation. À cet égard, compteraient parmi les questions à examiner en cas de fusion dans le secteur financier, y compris celles faisant l'objet des lignes directrices qui nous occupent, le nombre de mises à pied involontaires, les indemnités de départ pouvant être proposées aux employés, l'aide au déménagement, l'aide au recyclage professionnel et les programmes de préretraite.

Le sénateur Angus: Ce sont là les quatre points sur lesquels le ministère aimerait nous voir nous attarder afin de les tirer au clair.

Le président: Non, ce n'est pas vrai. Notre principal défi est de tenter de définir ce qui est dans l'intérêt du Canada. Il nous a été clairement précisé, bien sûr, qu'il est dans l'intérêt du Canada que les citoyens aient accès à des services bancaires, etc., mais cela relève du domaine de M. von Finckenstein. La question, comme vous l'avez si bien expliqué, de savoir si l'entité ainsi créée est financièrement viable — la question prudentielle — relève du BSIF.

Ce qui n'est apparemment pas clair du tout est ce qui est dans l'intérêt du Canada. C'est à nous qu'il revient de définir cela et d'essayer de déterminer si une fusion est dans l'intérêt du Canada.

Le sénateur Tkachuk: Soumettez-nous une fusion à examiner.

Le président: Il nous faut tout d'abord avoir certaines lignes directrices. C'est ce que demandent les banques et les intéressés. Si vous ne voulez pas donner de lignes directrices, c'est très bien, mais c'est ce qu'on nous demande et c'est, je pense, ce qu'il nous faut faire.

Le sénateur Angus: Monsieur le président, j'apprécie que vous aidiez ainsi le témoin à répondre.

Le président: Je n'essaie pas de l'aider.

Le sénateur Angus: Je pense qu'il a besoin d'aide.

Le président: Peut-être bien, mais comme vous pouvez le constater, les PDG des banques ont fait un examen très approfondi de la question dans leurs mémoires.

Le sénateur Angus: J'essaie de cerner notre mandat. Je suis heureux que le témoin ait esquissé les quatre points, mais d'après ce que je comprends, cela va bien plus loin, ce que vous venez en gros de dire: est-ce dans l'intérêt national du Canada?

Le président: Oui, et comment cela est-il défini?

Le sénateur Angus: J'aimerais, si vous permettez, poursuivre avec mes questions.

Le président: Quatre autres sénateurs souhaitent poser des questions.

Le sénateur Meighen: Vous serez heureux d'apprendre que je serai miséricordieusement bref étant donné que le sénateur Angus a poursuivi la piste que j'allais emprunter.

Il me semble que nous sommes confrontés à la tâche de définir un concept qui échappe, je pense ,à toute définition. Je ne vois pas comment nous pourrions définir l'intérêt national du Canada avec quelque clarté que ce soit à moins d'avoir une proposition particulière à examiner dans un contexte bien précis. Ce qui constituerait l'intérêt national du Canada aujourd'hui ne sera pas forcément l'intérêt national du Canada dans dix ans. Le témoin a ajouté de la clarté. Je ne veux aucunement me montrer irrespectueux envers lui, mais ce qu'il a dit pour développer les critères va de soi. C'est ce à quoi je m'attendrais.

Vous m'avez été d'une grande aide en disant que ce n'est vraiment pas de cela qu'il s'agit; qu'il s'agit en fait de déterminer ce qui est dans l'intérêt national du Canada dans le contexte d'une fusion bancaire. Il est extrêmement difficile de faire cela en l'absence de contexte. Nous pouvons tous ânonner des platitudes au sujet d'emplois bien rémunérés, d'une multiplication des emplois disponibles et d'un accès pour tous les Canadiens. Ce sont tous là des objectifs tout à fait valables. Les politiciens sont élus pour décider ce qui est dans l'intérêt national et ils sont élus pour faire cela dans un contexte bien particulier.

Monsieur, que pensez-vous que nous puissions ajouter à ce que vous avez dit et à ce qui est exposé dans la lettre et dans le contenu de l'EIIP tel que décrit dans les lignes directrices sur les fusionnements de banques?

M. Salembier: En ce qui concerne la question de l'intérêt national, il me faudrait tenter d'apporter un peu de clarté à cet exercice. Dans un champ restreint, nous demandons au comité ses opinions quant aux considérations qui devraient intervenir dans l'analyse de toute fusion susceptible d'être proposée.

Le sénateur Meighen: Les voici.

M. Salembier: Je conviendrais qu'un volume considérable de documentation a déjà été examiné.

Le sénateur Meighen: Nous manque-t-il quelque chose dans ces documents?

M. Salembier: Plusieurs personnes que vous allez entendre plus tard aujourd'hui prétendent qu'il manque un peu de clarté dans ces lignes directrices. Un certain nombre d'années se sont écoulées depuis leur élaboration et le gouvernement estime qu'il y aurait lieu de voir si une plus grande clarté ne pourrait pas être apportée à la description de ces considérations énoncées dans les lignes directrices sur les fusionnements de banques.

Le sénateur Meighen: Je ne vois pas où le gouvernement indique de façon spécifique qu'il a besoin d'aide pour ajouter de la clarté. Peut-être que parce que je n'ai pas encore eu l'occasion de lire les déclarations des PDG des banques, j'ignore quels aspects demeurent selon eux obscurs. Pourriez-vous m'aider? Est-ce le cas de tous les critères ou bien seulement d'un ou deux en particulier?

M. Salembier: Ce sont les quatre critères esquissés dans la lettre et dont le gouvernement pense qu'il serait utile que le comité les aborde plus à fond avec les représentants du secteur financier que vous allez entendre plus tard aujourd'hui.

Le sénateur Meighen: Si je ne m'abuse, vous avez vous aussi dit, monsieur, qu'il y avait un manque de clarté dans certains de ces éléments. Pourriez-vous me dire où se trouve ce manque de clarté?

M. Salembier: Je me suis un peu étendu sur ces quatre aspects dans ma déclaration il y a de cela quelques instants. Je n'ai pas grand-chose d'autre à ajouter à cela. La question de la concurrence internationale en est une à laquelle le comité a accordé beaucoup d'attention au cours des dernières années. Il est important de comprendre que les institutions financières canadiennes qui sont concurrentielles à l'étranger tirent des leçons de leurs expériences ailleurs dans le monde. Ces expériences, une fois rapatriées, peuvent enrichir l'envergure et la qualité des services financiers qu'elles offrent aux Canadiens et aux entreprises canadiennes.

Voilà le genre de considération qu'il serait, je pense utile de tirer un peu plus au clair. Je ne peux là-dessus pas vous offrir beaucoup plus de clarté que ce que je viens d'ajouter ici.

Le sénateur Meighen: Sauf le respect que je vous dois, il me semble que tout PDG compétent d'un demandeur de fusion aborderait ces détails avec plus de flair et de compétence que ce dont on a été témoin par le passé. Ce n'est cependant pas à moi qu'il revient de juger.

Ce qui m'échappe c'est un volet dans lequel il y a un manque de clarté. Je n'en vois pas. Je vois des questions qui devraient être examinées et qui ont grand besoin d'explications, mais je ne décèle aucun manque de clarté.

Le sénateur Prud'homme: Vous avez dit au début que vous n'aviez pas de déclaration, et nous avons tout de suite commencé à vous poser des questions. Cependant, par la suite, en réponse aux questions de certains de mes collègues, il m'a semblé que vous aviez un mémoire très exhaustif et bien préparé. Il serait utile pour ceux d'entre nous qui sommes moins au courant d'avoir ce texte. Si vous pouviez le remettre au greffier du comité, je vous en serais reconnaissant.

Mon collègue ne cesse de demander: que faisons-nous ici? Tout législateur sait qu'il y a quelque chose dans l'air qui va forcément finir par tomber. Nous savons qu'une fusion est dans l'air. La question est de savoir quand elle va nous tomber dessus. Va-t-elle nous tomber dessus alors que nous sommes encore mal préparés et incapables de réagir, nous obligeant à réagir après le fait? Je me sens très à l'aise de discuter de la possibilité de fusions futures. Étant donné que je viens tout juste de devenir membre du comité, je n'ai aucun parti pris ni d'un côté ni de l'autre.

Mes collègues ont demandé le nom des cinq grosses banques. En ce qui me concerne, je suis très préoccupé par le nombre de personnes. Pourriez-vous nous indiquer le nombre d'employés qu'a chacune de ces banques? Je suis beaucoup plus préoccupé par la façon dont les gens seront touchés que par la façon dont seront touchées les entreprises. Combien de personnes seront touchées ou pourraient selon vous être touchées?

Lorsque je me rends dans une banque, les gens me demandent si leurs emplois sont en danger. J'ignore la réponse et c'est un domaine dans lequel le comité pourrait, je pense, faire du bon travail. Pourriez-vous me dire combien d'employés a chacune de ces banques?

Le président: Tout cela est du domaine public. Nous réunirons ces données pour vous et vous les fournirons le plus rapidement possible.

Le sénateur Prud'homme: Monsieur le président, si cela est de notoriété publique, alors je suis certain que M. Angus savait quelles sont les cinq principales banques du Canada, mais cela ne l'a pas empêché de demander ces renseignements pour monter son dossier.

Le président: Nous avons beaucoup de travail à faire.

Le sénateur Prud'homme: C'est tout ce que je veux. Je n'abuse de rien.

Le président: Nous obtiendrons les renseignements pour vous.

Le sénateur Prud'homme: Je demande s'il connaît le nombre de personnes. Cela témoignerait d'un intérêt de la part du ministère des Finances.

Le président: Le secteur des services financiers du Canada emploie 235 000 personnes. Connaissez-vous le nombre d'employés qu'a chaque banque?

M. Salembier: Je n'ai pas la ventilation du total. Je pourrais cependant vous fournir ce renseignement.

Le sénateur Kelleher: Monsieur le président, avez-vous récemment reçu une véritable proposition de la part de la Banque Scotia et de la Banque de Montréal en vue d'une fusion possible?

M. Salembier: Non, je n'ai connaissance d'aucune proposition du genre.

Le sénateur Kelleher: Qu'est-ce qui a tout d'un coup poussé les médias à en parler? C'est là-dessus que je dois me baser. Qu'est-ce qui a donc pu amener le déni d'une telle proposition si elle n'a jamais été faite?

Il semblerait que le premier ministre ait exclu cela. C'est ce que j'ai cru comprendre, d'après ce que disent les journalistes. Si aucune proposition n'a été faite, alors pourquoi dire que c'est hors de question?

M. Salembier: Sénateur, je n'ai absolument aucun renseignement que je puis vous offrir là-dessus?

Le sénateur Kelleher: Permettez-moi de m'attaquer à la question d'un autre angle.

Si le premier ministre, comme cela a été rapporté, a exclu la possibilité de fusions alors qu'aucune proposition n'avait été faite, dois-je en déduire que tant et aussi longtemps que l'actuel premier ministre demeure en place il n'autorisera aucune fusion?

Le président: Vous placez le témoin dans une situation très injuste. Il lui est absolument impossible de répondre à cette question.

Le sénateur Kelleher: Je ne voulais pas être injuste.

Le président: Je n'ai aucunement voulu dire que c'était là votre intention, mais je ne vois pas comment le témoin pourrait répondre.

Le sénateur Kelleher: Tout ce qu'il a à dire c'est «Je ne peux pas dire».

Le président: Je sais ce qu'il peut dire, mais j'estime que je dois intervenir en tant que président.

Le sénateur Kelleher: Je pense que j'ai le droit de poser toutes les questions que je veux.

Le président: Vous avez le droit de poser toutes les questions que vous voulez. Cela ne veut pas dire que c'est bien.

Le sénateur Kelleher: J'ai posé la question.

M. Salembier: Je n'ai pas la moindre information là-dessus.

Le sénateur Kelleher: Il n'a pas besoin d'aide venant de vous, sénateur.

Le sénateur Prud'homme: Vous savez qu'il ne peut pas répondre.

Le sénateur Kelleher: Que ce soit lui qui réponde et pas vous. Il est clair que vous ne savez pas grand-chose des contre-interrogatoires.

Le sénateur Prud'homme: Mais si.

Le sénateur Kelleher: Vous ne devriez pas être en train de mener une entrevue.

Le président: Poursuivons donc.

Le sénateur Kelleher: Peut-être que le sénateur pourra arrêter de m'interrompre.

Le président: Il le fera.

Le sénateur Kelleher: Merci.

On nous a demandé de nous prononcer là-dessus pour le ministre. Ai-je raison de supposer que si nous donnons une réponse, alors les banques seront libres de soumettre de nouvelles propositions?

M. Salembier: Oui, les banques sont certainement libres de faire des propositions de fusionnement. Nous n'avons, que je sache, encore reçu aucune proposition de fusion.

Le sénateur Kelleher: Peut-être que ma question est confuse. D'après ce que j'ai compris, le premier ministre aurait apparemment dit qu'il ne va pas pour l'heure envisager de telles propositions. Voici maintenant que le gouvernement ou quelqu'un nous a demandé de fournir des éclaircissements et de conseiller le gouvernement. Dois-je en conclure qu'une fois que nous aurons fait cela le premier ministre, ou le gouvernement du Canada, sera alors ouvert aux projets de fusionnement?

M. Salembier: Je ne peux pas parler au nom du premier ministre. J'ignore ce que le premier ministre savait ou ne savait pas. Je peux cependant vous dire que le gouvernement a établi un processus d'examen des projets de fusion auquel les banques peuvent recourir si bon leur semble. Si, dans le contexte de leurs activités, elles jugent approprié un projet de fusion, alors le processus est en place pour leur permettre de la soumettre.

Le sénateur Kelleher: Si un projet de fusion est déposé une fois que nous aurons donné notre réponse au gouvernement, les fonctionnaires seraient-ils alors ouverts à des propositions?

M. Salembier: Je peux vous dire que le gouvernement est ouvert aux projets de fusion. C'est pourquoi nous avons élaboré un processus pour l'examen des projets de fusion.

Le sénateur Kelleher: Je suis confus. Vous ne cessez de répéter que le gouvernement est ouvert; or, le premier ministre a apparemment fermé la porte à cela. Y a-t-il quelque chose qui m'échappe ici?

Le président: Oui. Le témoin a dit qu'il ne sait rien de ce que le premier ministre a fait.

Le sénateur Kelleher: Le ministère a-t-il joué un rôle dans une quelconque discussion avant que le premier ministre ne décide qu'il n'est pour l'heure pas ouvert aux projets de fusion?

M. Salembier: Sénateur, je n'ai à ce sujet absolument aucun renseignement que je puisse vous fournir.

Le sénateur Kelleher: Vous faites partie du ministère. Vous devez tout de même pouvoir me dire si vous avez ou non joué un rôle.

M. Salembier: Je n'avais connaissance d'aucun projet de fusion. Je n'ai toujours pas connaissance d'un quelconque projet de fusion dont soit saisi le gouvernement.

Le sénateur Kelleher: Je comprends cela. Avant que le premier ministre ne prenne sa décision, le ministère a-t-il donné au premier ministre quelque conseil en la matière?

M. Salembier: Je ne suis au courant d'aucun conseil offert à quiconque à cet égard. Parlez-vous maintenant de la fusion dont il a été question dans les journaux?

Le sénateur Kelleher: Oui.

M. Salembier: Je ne suis au courant d'aucun conseil donné à quiconque relativement à cette prétendue proposition de fusion.

Le sénateur Banks: J'ai un petit préjugé, qui va être mis en évidence. C'est toujours un plaisir d'entendre des témoins qui sont aussi calés que vous l'êtes.

Je suis un peu pingre car je n'ai pas aimé les changements apportés au règlement régissant les institutions financières et qui ont amené la dispareition des sociétés de fiducie dans ce pays. Les sociétés de fiducie autrefois méritaient leur nom, ce qui signifiait vraiment quelque chose. Cela ne compte plus de nos jours. Voilà quel est mon préjugé.

Étant donné que nous n'avons pas de projet particulier à débattre, et que nous ignorons quelles réserves ont les banques quant à la clarté des lignes directrices qui ont été élaborées, il me faut vous poser une question philosophique. J'ose espérer que les ministères ont des avis philosophiques.

L'argument des banques consiste en un sens à dire que pour être concurrentielles dans le monde et pour offrir de meilleurs services financiers aux Canadiens il leur faut parfois devenir plus grosses. Or, il y a dans le monde commercial d'aujourd'hui, et ce un peu partout dans le monde, quantité de preuves qu'être plus gros n'est pas forcément une bonne chose. De fait, certaines émissions de titres ont essuyé toute une chute suite à des fusions.

Le ministère avale-t-il l'argument philosophique voulant que pour mieux nous servir et pour mieux faire, il se pourrait que les banques doivent fusionner? Il doit y avoir une opinion générale là-dessus.

M. Salembier: Cela m'ennuie de vous décevoir, sénateur, mais nous n'avons pas sur ce point d'opinion qui puisse être généralisée pour s'appliquer à toutes les fusions potentielles. Le processus d'examen des fusions est en place pour guider le gouvernement dans toute étude de fusion particulière dont il pourrait être saisi. Les avantages ou les inconvénients côté taille varieront selon le projet de fusion en question. Dans certains cas il sera avantageux d'aller dans une direction tandis que dans d'autres ce sont les inconvénients qui l'emporteront.

Le sénateur Banks: La question «Comment l'intérêt national canadien sera-t-il servi par une fusion bancaire?» est une question philosophique car nous n'avons devant nous aucun projet de fusionnement. De votre point de vue, la réponse à cette question doit être que vous vous reporterez aux lignes directrices régissant les fusions telles qu'elles ont été élaborées. C'est votre position, un point c'est tout, n'est-ce pas?

M. Salembier: Je pense pouvoir dire que oui.

Le sénateur Banks: J'ai lu, comme vous, j'en suis sûr, les soumissions putatives qui nous ont été faites par les porte- parole des banques que nous allons entendre. Ne pouvez-vous pas nous exposer des réserves ou des appréhensions précises qu'ils nourrissent relativement à ce qui manque selon eux de clarté? J'ai été intéressé par votre explication des quatre critères, et c'était clair pour moi. Je ne vois pas comment cela pourrait ne pas être clair pour quiconque, étant donné la nature des questions posées. Cependant, vous ne pouvez pas nous dire, relativement aux rencontres que vous avez eues avec les banques, ce qu'elles ont dit — informellement ou autrement — au sujet de ce qui doit être rendu plus clair afin qu'elles puissent en tenir compte. Il me semble que c'est un petit peu comme si l'on courrait après de la fumée.

M. Salembier: Il n'y a pas grand-chose d'autre que je puisse vous dire par rapport à l'explication sur ces quatre points que je vous ai donnée il y a quelques instants. C'est une question qu'il vaudrait mieux poser aux PDG des banques eux-mêmes. Il leur faudra produire les renseignements requis au sujet de ces points dans le contexte de toute évaluation de l'incidence pour l'intérêt public, s'ils choisissent de mettre de l'avant un projet de fusionnement. Chaque projet de fusion, s'il y en a, devra être examiné selon ses mérites. C'est là l'objet des lignes directrices relatives à l'examen des projets de fusion que nous avons établies: veiller à ce que les considérations pertinentes entrent en ligne de compte avec autant de spécificité que possible.

Le sénateur Banks: Je vais vous interroger au sujet d'une chose que vous avez dite. Vous avez déclaré que le ministère espère qu'il pourra bâtir une meilleure concurrence sur la base ou dans le cadre d'une fusion. Pourriez-vous nous expliquer en quoi cela nous aiderait? Je pense que le Canadien moyen, moi compris, ne comprend pas comment une réduction du nombre des grosses banques amènerait une concurrence accrue.

M. Salembier: J'ai fait cette déclaration relativement à la possibilité que des cessions, soit de succursales soit de branches complètes d'activité, soient nécessaires aux fins du règlement de questions de pratiques anti-concurrentielles que le Commissaire à la concurrence pourrait déceler lors de l'analyse d'un projet de fusion. Examinons un exemple tiré du passé — le cas de figure le plus sûr, ici, étant donné que, comme vous l'avez souligné, nous ne sommes pour l'instant saisis d'aucun projet de fusionnement. Lorsque la Banque Toronto-Dominion a acheté Canada Trust, la branche cartes de crédit de Canada Trust a dû être cédée, ce pour apaiser la crainte du Commissaire à la concurrence quant à la concentration qui en aurait autrement résulté sur le marché des cartes de crédit au Canada. La branche émission de cartes de crédit — c'est-à-dire le côté consommateur du marché des cartes de crédit de Canada Trust — a ainsi été vendue à Citibank Canada, tandis que la branche commerce a été vendue à la First Data Corporation, une grosse maison non-bancaire américaine de traitement de données de marchands. La cession forcée de ces deux branches d'activité a résulté en l'émergence de nouveaux entrants dans ces deux branches au Canada. C'est là un exemple de ce à quoi je songeais lorsque j'ai mentionné qu'en cas de projet de fusion nous nous en servirions comme moyen de renforcer la concurrence à l'intérieur du marché canadien.

Le sénateur Banks: Nous avons dans le secteur financier canadien de nouveaux entrants qui sont des compagnies basées aux États-Unis.

Ma dernière question porte sur une chose qui n'est ni putative ni hypothétique et au sujet de laquelle l'on dispose de preuves historiques. L'intérêt national canadien a-t-il, de l'avis du ministère, été servi par les fusions entre, d'une part, la Banque de Toronto et la Banque Dominion du Canada et, d'autre part, la Banque Impériale du Canada et la Banque de commerce du Canada? Ces fusions ont-elles résulté en des améliorations qui servent l'intérêt national canadien?

M. Salembier: Il me faut dire que, bien que je sois grisonnant, ces deux fusions m'ont précédé.

Le sénateur Tkachuk: Allons-nous expliquer bien clairement qu'il y a aujourd'hui un processus? Afin que les gens comprennent bien, il faut dire qu'il y a en place un processus. Voyons cela. Je sais que cela prendra un peu de temps, mais nous essayons d'organiser notre travail pour le reste de la semaine. Nous nous efforçons d'apporter une certaine clarté à la situation.

À l'heure actuelle, si deux banques souhaitent fusionner, une fois toutes leurs discussions terminées, elles vont voir quelqu'un au gouvernement fédéral et disent «Nous voulons fusionner». À qui s'adresseraient-elles en premier, pour que cela figure clairement au procès-verbal? Il y a un processus.

M. Salembier: La première étape dans le processus, tel qu'énoncé dans les lignes directrices relatives à l'examen des projets de fusion, est de faire une demande écrite au Bureau de la concurrence, au Surintendant des institutions financières et au ministre des Finances indiquant l'intention de fusionner.

Le sénateur Tkachuk: Une fois cette étape franchie, que se passe-t-il ensuite?

M. Salembier: À ce stade-là, les demandeurs sont tenus de préparer une évaluation de l'incidence pour l'intérêt public, dont le contenu est explicité dans les lignes directrices relatives à l'examen des projets de fusion. Le détail du contenu est en fait l'un des objets de discussion que vous allez avoir dans le cadre de vos audiences.

Le sénateur Tkachuk: Permettez que je vous arrête là un instant, monsieur. Une fois cela fait, alors le Comité des finances de la Chambre des communes et le Comité sénatorial des banques examineraient la demande, sur la base de la grande priorité accordée à l'intérêt public, et feraient ensuite des recommandations au ministre ou au gouvernement du jour. Est-ce bien cela?

M. Salembier: C'est exact.

Le sénateur Tkachuk: À ce stade-là, le ministre a le droit de dire «Oui» ou «Non». Est-ce bien le cas?

M. Salembier: Vous avez sauté par-dessus quelques étapes, mais la réponse est oui.

Le sénateur Tkachuk: Décrivez brièvement les étapes que j'ai manquées.

M. Salembier: Le Bureau de la concurrence fera son évaluation des ramifications sur le plan concurrence de la transaction, tandis que le Surintendant des institutions financières mènera son évaluation de toutes les conséquences prudentielles de la transaction, en même temps que le comité ici réuni et que le Comité des finances de la Chambre des communes seront chargés de mener leur enquête.

Le ministre des Finances recevra les rapports du Bureau de la concurrence, du surintendant et des deux comités dans les six mois pour ensuite rendre sa décision quant au passage de la transaction à l'étape suivante, soit la négociation des recours pour corriger tout effet anti-concurrentiel ou tout problème prudentiel de la fusion.

Le sénateur Tkachuk: Je ne veux pas parler pour le compte des banques ni pour le vôtre. J'aimerais cependant que vous vous parliez pour vous.

Dans le processus que nous avons aujourd'hui, où les choses achoppent-elles? Il me semble qu'il s'agit d'un bon processus. Où y a-t-il rupture? Qu'est-ce qui, par exemple, nous amènerait, au lieu d'étudier une véritable proposition de fusion Banque de Montreal-Banque de Nouvelle-Écosse, à nous pencher sur des questions générales que nous avons déjà épluchées par le passé? Où y a-t-il rupture? Où se situent les problèmes?

M. Salembier: Je ne vois pas forcément rupture dans le processus. Il y a certains aspects, dont je vous ai entretenu il y a plus d'une demi-heure, au sujet desquels le gouvernement pense qu'il y aurait lieu d'ajouter plus de clarté. Cependant, je n'irais pas jusqu'à dire que le processus tombe en panne.

Le sénateur Tkachuk: Parlez-vous ici d'ajouter plus de clarté au dernier point, soit l'aspect intérêt public de toute fusion, quelle qu'elle soit? Je pense que c'est cela qu'ils demandent. Sommes-nous censés leur donner conseil quant à savoir si une fusion doit avoir lieu ou non?

Le président: Absolument.

Le sénateur Tkachuk: Est-ce cela qu'on nous demande? Je pensais qu'on avait pris cette décision, ou en tout cas que le gouvernement avait élaboré un processus à cette fin. J'aimerais tout simplement savoir. Est-ce vraiment cela que nous sommes censés faire ici? Le président semble penser que oui. Qu'en pensez-vous?

M. Salembier: Je me reporte au texte de la lettre qui est à l'origine de cette série d'audiences et demande au comité de nous fournir des conseils quant aux considérations qui devraient entrer en ligne de compte dans l'évaluation de l'intérêt public.

Le sénateur Tkachuk: Le sénateur Kelleher a soulevé un certain nombre de points intéressants quant au processus actuel. Je vais poser la question suivante à tout les témoins: d'après les renseignements dont vous disposez, le ministère des Finances n'a joué aucun rôle dans la proposition Banque de Montréal-Banque de Nouvelle-Écosse?

M. Salembier: Je ne suis au courant d'aucune proposition Banque de Nouvelle-Écosse-Banque de Montréal.

Le sénateur Tkachuk: Le sous-ministre pourrait peut-être nous aider s'il se pointait. Il est important pour nous de savoir.

M. Salembier: Il n'y a aucun renseignement que je puisse vous fournir qui vous aiderait à répondre à cette question, sénateur.

Le sénateur Tkachuk: Nous avons des représentants du Bureau de la concurrence; nous pouvons poser notre question à ces gens-là.

Les banques semblent vouloir un processus qui empêcherait quelqu'un de faire échouer une fusion pendant qu'elle est en cours. Est-ce cela qui préoccupe les banques? Un processus est établi. Tout ce travail est fait, mais en cours de route quelqu'un peut faire échouer la fusion avant qu'elle n'aboutisse par le biais de ce processus. En d'autres termes, avant que cela n'arrive au ministère des Finances ou au Bureau de la concurrence, il y a quelqu'un dans le bureau du ministre qui dit «oui» ou «non» avant qu'il ne se passe quoi que ce soit.

M. Salembier: Il vaudrait sans doute mieux que vous posiez cette question aux banques.

Le sénateur Tkachuk: Nous aimerions poser cette question au ministre. Ceci est important. Il est clair que nous n'apprenons pas grand-chose de vous au sujet de la façon dont le dernier processus s'est effondré d'après ce qu'on a lu dans les journaux. J'espère que d'autres fonctionnaires pourront nous dire s'ils ont reçu des renseignements sur cette question et s'ils avaient commencé à faire leurs études et s'il y avait eu une demande formelle. C'est cela que j'aimerais savoir. J'essaie de monter mon dossier afin que les ministres soient convoqués ici pour expliquer ce qui s'est passé. Nous ne pourrons faire notre travail que munis des renseignements dont eux seuls, semble-t-il, disposent. Voilà pourquoi je pose ces questions. Si vous ne pouvez pas répondre, c'est très bien.

M. Salembier: Je ne peux malheureusement pas répondre à cette question. Je ne dispose d'aucun renseignement qui puisse vous aider à faire la lumière sur cette question.

Le sénateur Kroft: Une part importante de ce que nous nous efforçons de cerner ici, nous l'apprendrons en demandant aux banques.

Il y a deux choses que j'aimerais savoir en prévision de nos séances avec les banques. Comme vous le dites, exception faite des distributions préliminaires de soumissions, tout ce que nous savons, nous l'avons puisé dans les discours, les déclarations des médias, et cetera.

Lorsque nous examinions la compétitivité à l'intérieur du secteur bancaire dans le contexte du rapport MacKay puis du projet de loi C-8, l'une des choses que nous ont révélé toutes nos enquêtes est que les banques étrangères ne sont pas désireuses de participer à ce que nous appellerions le «crédit de détail». Ce constat nous est apparu à répétition. Il y a un niveau d'activité bancaire qui les intéresse. Cependant, à quelques rares exceptions, les banques étrangères ne sont pas désireuses de jouer un rôle dans la concurrence pour les opérations bancaires de détail. Cela fait un petit moment que nous avons compilé ces renseignements. Y a-t-il des raisons de penser que nous devrions voir les choses autrement aujourd'hui par rapport à cette époque-là?

M. Salembier: Il est juste de dire qu'il est toujours aussi difficile aujourd'hui qu'à l'époque des délibérations que vous évoquez pour une banque de détail de livrer concurrence à l'extérieur de son marché de base. Il y a cependant de grosses institutions de par le monde qui ont réussi ce pari. La HSBC est sans doute le meilleur exemple au Canada et je citerais également la Citibank. Certaines institutions ont réussi — à force d'efforts et de persistance au fil des ans — le pari. Récemment, l'entrée d'ING sur le marché canadien a changé les choses dans le secteur bancaire de détail. Le défi est de taille pour la plupart des banques de détail à l'extérieur de leur marché national, mais il n'est pas insurmontable.

Je pense que vous songez aux délibérations sur le projet de loi C-8. Depuis ces discussions, la Banque royale a fait des acquisitions sur le marché américain qu'elle juge être des percées importantes sur ce marché. Les défis sont de taille, mais plusieurs institutions pensent être à la hauteur.

Le sénateur Kroft: Nous avons divers critères et considérations. J'aimerais entendre votre réaction à une théorie mise de l'avant de temps à autre par la communauté bancaire et par les médias et selon laquelle, étant donné le nombre énorme d'actions bancaires qui sont détenues directement et indirectement par des Canadiens par le biais de fonds de pension et autres, le prix et la stabilité des actions des banques sur les marchés financiers sont une considération dans l'examen de l'intérêt national d'une fusion.

M. Salembier: Le facteur qui pèse le plus lourd dans la considération par le gouvernement d'une fusion ne serait pas directement l'incidence sur les actions bancaires, mais plus généralement l'incidence sur les possibilités de croissance que pourrait présenter une fusion pour les institutions concernées à l'intérieur du marché national et, ce qui est peut- être plus important, à l'étranger. Les avantages qui pourraient revenir à une grosse institution, pour ce qui est de sa capacité de pénétrer des marchés étrangers, seraient, j'imagine, l'un des aspects que la plupart des acteurs dans une fusion voudraient faire ressortir auprès du gouvernement en vue de son examen de la proposition.

Le prix des actions de banque en tant que tel ne serait pas directement un sujet de préoccupation. Cependant, les possibilités de croissance qu'une fusion pourrait présenter à une institution seraient indirectement une considération importante.

Le sénateur Kroft: Songez-vous à la possibilité qu'une banque utilise ses titres dans le cadre d'une acquisition, mais qu'il n'y aurait pas forcément un intérêt public à assurer un appui ou une stabilité aux actions bancaires plus que ce ne serait le cas pour n'importe quelle autre société ou industrie?

M. Salembier: Si je regarde l'incidence plus large d'un projet de fusion, cela est certainement important pour le gouvernement. Pourrait y intervenir l'incidence sur la valeur des actions. Cependant, les institutions ont pour responsabilité de mener leurs affaires de la façon la plus avantageuse pour leurs actionnaires. La responsabilité du gouvernement est de mettre en place un cadre de réglementation qui le leur permette.

Nous croyons que le processus d'examen des fusions que nous avons établi et auquel nous demandons au comité d'apporter des éclaircissements supplémentaires constitue une partie importante du cadre de réglementation qui permettra aux banques de poursuivre les stratégies d'affaires qu'elle juge être les plus avantageuses pour leurs actionnaires.

Le sénateur Angus: Je vais m'efforcer de me concentrer sur le processus. Lors des audiences portant sur le projet de loi C-8 et après l'adoption du projet de loi, les parties prenantes nous ont dit que la loi, le règlement et les lignes directrices s'y rapportant avaient rendu le processus de fusion bancaire plus lourd qu'auparavant. Partagez-vous cette opinion?

M. Salembier: Il me faudrait dite que non. Je ne suis pas certain que ce soit l'avis de la majorité des parties prenantes. C'est peut-être ce que pensent certaines d'entre elles, mais pas toutes. Nous avons une vision plutôt équilibrée des réformes de la réglementation que nous avons apportées par le biais du projet de loi C-8. En d'autres termes, cette initiative a été largement appuyée par les intéressés.

Le sénateur Angus: Permettez-moi de limiter les intéressés auxquels je songe aux cinq banques que vous avez identifiées plus tôt. La question de savoir si leurs plaintes sont ou non fondées est une toute autre affaire. Cependant, conviendriez-vous avec moi qu'elles se sont plaintes du fait qu'elles ne pouvaient pas s'engager dans les énormes dépenses requises pour l'examen d'un projet de réforme, la compilation de toutes les données comptables et l'obtention de tous les conseils professionnels et autres requis en vue de l'union de deux institutions dans une telle ambiance de doute?

M. Salembier: Ce serait à elles de vous dire si elles jugent le processus trop onéreux. J'estime que la réaction à notre cadre a été plutôt équilibrée.

Le sénateur Angus: Vous avez entendu qu'elles ont trouvé le processus plus lourd et plus difficile suite à l'adoption de ce texte de loi, qui avait pour objet d'assurer plus de clarté.

M. Salembier: J'ai entendu cette opinion, mais je ne suis pas certain de l'attribuer à toutes les parties prenantes.

Le sénateur Angus: Je ne la généraliserai pas à toutes les parties prenantes non plus. C'est là une autre histoire. Je me suis efforcé de limiter cela aux grosses banques.

Suite à l'adoption du projet de loi — et je m'appuie maintenant, comme vous, sur les rapports parus dans la presse — je lis que les fusions de banques sont maintenant hors de question par suite de ce processus. Or, nous avons entendu dire et lu dans les journaux que récemment deux de ces banques ont décidé que l'idée de fusion n'était pas du tout écartée. Dans un autre rapport, je lis que l'un des témoins et qui va participer à nos audiences, M. Réal Raymond, PDG de la Banque nationale, estime que tout ce processus devrait être éliminé et que le jumelage de banques et le processus y afférent devraient dorénavant être déterminés par les rouages du marché dans le secteur privé. Que pensez- vous de ce commentaire?

M. Salembier: Le marché à l'intérieur duquel les projets de fusion doivent fonctionner englobe un cadre de réglementation opérationnelle pour le secteur financier. Le processus d'examen des projets de fusion que nous avons élaboré fait partie de ce cadre. D'aucuns estiment qu'il est trop onéreux, mais ce n'est pas l'avis de tout le monde. La loi prévoit que la décision quant à une fusion soit rendue par le ministre des Finances et cela fait partie du cadre de réglementation à l'intérieur duquel les institutions doivent fonctionner. Cela étant, nous avons pensé que le processus d'examen des fusions élaboré par nous devrait en quelque sorte servir de carte routière pour les institutions désireuses de poursuivre une fusion.

Le sénateur Angus: En réponse à une question de mon collègue, le sénateur Banks, il y a un instant, vous avez dit quelque chose qui a fait naître en moi l'idée suivante. Nous pourrions entendre les témoins et consulter la documentation mise à notre disposition et renvoyer nos commentaires à votre ministère — ce que nous ferons en temps et lieu. Or, n'est-il pas vrai que la tenue de ces audiences et le dépôt de nos conclusions n'empêcheraient pas forcément les fonctionnaires du ministère des Finances d'en arriver à la conclusion qu'il ne devrait à l'heure actuelle pas y avoir au Canada de fusion entre nos cinq grosses banques et que notre système bancaire est très bien tel qu'il existe à l'heure actuelle?

M. Salembier: Il y a beaucoup de «ne» dans votre question, sénateur, mais ce n'est pas le rôle du ministère des Finances de conclure que de façon générale les fusions sont ou ne sont pas une bonne chose. Notre rôle est de fournir au ministre des Finances des conseils relativement à toute demande de fusion qui est faite. Le processus d'examen des projets de fusion est là pour donner des lignes directrices quant aux facteurs qui doivent entrer en ligne de compte dans la préparation de ces conseils.

Le sénateur Meighen: Étant donné cette réponse, quel serait votre rôle si le ministre des Finances, qui a le mot de la fin, disait, avant votre étude, qu'il n'approuverait pas de fusion dans un avenir prévisible? Ne poursuivriez-vous votre étude qu'à condition que les principales parties prenantes retirent leur proposition, ou bien l'abandonneriez-vous?

M. Salembier: Il s'agit là d'une question hypothétique. Je ne peux vraiment pas faire de spéculation là-dessus.

Le sénateur Meighen: «L'intérêt public» n'est pas hypothétique, mais résiste à tous les efforts déployés pour le définir. Il s'agit là d'une possibilité tout à fait réelle s'il faut croire les rapports parus dans les journaux au sujet de ce genre d'intervention. Il se pourrait qu'il soit, de l'avis du ministre, contraire à l'intérêt national de favoriser à un moment donné toute fusion. S'il devait faire une telle déclaration — ce qui, je vous soumets, n'est pas entièrement hypothétique — continueriez-vous d'étudier la proposition faite ou bien l'abandonneriez-vous?

M. Salembier: Je ne peux pas répondre à une telle question hypothétique. Je peux cependant vous dire que le gouvernement du Canada a et continuera d'avoir l'option de faire ce que d'autres gouvernements dans le monde ont fait — soit déclarer un moratoire. L'actuel gouvernement n'a pas fait cela. Il n'y a pour l'instant pas de moratoire en matière de fusions bancaires.

Le sénateur Meighen: Je suis heureux d'entendre cela.

Le président: Mon opinion personnelle, sénateur Meighen, collègues — et je veux entendre tous les témoignages — est qu'il serait possible pour le comité de conclure que les fusions bancaires sont ou bonnes ou mauvaises pour le Canada. Pourquoi ne pourrions-nous pas faire cela?

Le sénateur Meighen: Jusqu'à la prochaine étude ou bien pour toujours?

Le président: Pour toujours, c'est peut-être un peu beaucoup. Dans un proche avenir ou autre. Pourquoi trouvez- vous cela si ridicule? C'est là notre tâche.

Le sénateur Angus: Nous allons donc faire une déclaration aujourd'hui. J'ai lu dans les journaux que vous étiez absolument en faveur des fusions bancaires.

Le président: J'ai dit, parlant en mon nom propre, que j'étais en faveur et que je le suis toujours.

Le sénateur Prud'homme: Vous pourriez cependant être convaincu du contraire d'ici la fin de la semaine.

Le président: Oui, d'ici la fin de la semaine, si j'entends des preuves du contraire. N'est-il pas vrai que la plupart des gens, à l'abord d'une audience, ont un certain parti pris personnel? Entame-t-on un tel travail dépourvu de toute idée? Je ne le pense pas. Ce n'est pas votre cas et ce n'est pas le mien non plus. Je suis certain que ce n'est pas le cas de mes collègues de ce côté-ci de la table. Je tiens à entendre les témoignages et les preuves qui existent.

Le sénateur Meighen: Les partis pris du premier ministre ne sont pas cachés non plus.

Le président: Je n'en ai pas la moindre idée. Je ne sais strictement rien de ce cas particulier.

Merci beaucoup, monsieur Salembier, de votre temps, de vos efforts et de vos réponses probantes.

Le groupe de témoins suivant nous vient du Bureau de la concurrence.

M. Gaston Jorré, sous-commissaire principal de la concurrence, Direction générale des fusionnements, Bureau de la concurrence: Merci de l'occasion qui m'est ici donnée de comparaître devant vous aujourd'hui pour discuter des questions d'intérêt public dans le cadre des fusions bancaires.

Je suis accompagné aujourd'hui de M. Richard Annan, à ma droite, et de M. Gerry Birks, à ma gauche: tous deux ont de l'expérience en matière de fusions dans le secteur financier.

Ma comparution aujourd'hui vise à vous donner un aperçu de notre processus lorsque nous évaluons des fusions dans le secteur financier.

[Français]

Je voudrais d'abord faire quelques observations générales et donner la parole à M. Annan qui nous présentera un exposé sur le processus d'examen.

Nous avons acquis une certaine expérience des fusions bancaires en 1998 lorsque nous avons été appelés à examiner les fusions simultanées. De plus, nous avons eu l'occasion, à la fin de 1999, d'analyser l'acquisition de Canada Trust par la banque Toronto Dominion.

[Traduction]

Dans l'évaluation de chacune de ces transactions, le personnel du Bureau de la concurrence s'est appuyé sur la démarche prévue dans les lignes directrices sur les fusionnements de banques. Ces lignes directrices sont accessibles au public sur notre site Web. Elles décrivent en détail le cadre d'analyse utilisé par le Bureau de la concurrence lorsqu'il évalue les effets d'une fusion bancaire sur la concurrence.

[Français]

Le processus décrit dans les lignes directrices sur le fusionnement des banques a servi dans tous les examens des fusions bancaires que nous avons réalisés depuis quatre ans et il continuera de servir pour les transactions futures.

[Traduction]

Le cadre d'analyse utilisé pour les fusions bancaires est essentiellement le même que pour toute autre fusion. Il s'appuie sur les faits et il doit prendre en compte la structure et les activités actuelles des parties en cause. Lorsque nous aurons à nous pencher sur un projet de fusion bancaire, il se pourrait que nos conclusions ne soient pas nécessairement les mêmes qu'en 1998, tout simplement parce que l'industrie a évolué depuis lors.

Il importe de souligner que les problèmes de concurrence peuvent souvent être résolus. Par exemple, nos préoccupations découlant de la transaction Banque TD-Canada Trust ont été apaisées à la suite du désaisissement de certaines succursales et de la vente de la plus grande partie du portefeuille MasterCard de Canada Trust.

En conséquence des modifications de l'an dernier à la législation sur le secteur financier, deux changements techniques ont été apportés à la Loi sur la concurrence et ces changements auront des répercussions sur le processus d'examen du Bureau.

[Français]

Selon les nouvelles dispositions, le commissaire a le pouvoir de communiquer l'information expressément demandée par écrit par le ministre des Finances. Ce nouvel article de notre loi permettra au commissaire de communiquer tout renseignement recueilli, reçu ou produit dans le contexte d'une fusion.

Le ministre des Finances doit certifier que l'information ne pourra servir qu'aux fins d'une décision à l'égard d'une fusion ou d'un projet de fusion. Auparavant, l'article 29 de notre loi interdisait au commissaire de communiquer des renseignements confidentiels. L'autre disposition de la loi prévoit que le tribunal de la concurrence ne rend pas une ordonnance à l'égard d'une fusion relevant de la Loi des banques et à propos de laquelle le ministre des Finances certifie au commissaire qu'elle est souhaitable dans l'intérêt du système financier canadien.

Cet article a été modifié pour tenir compte du nouveau pouvoir du ministre des Finances d'imposer des conditions à de telles fusions.

[Traduction]

Selon le nouveau processus, le Bureau de la concurrence disposera de cinq mois pour terminer son examen de tout projet de fusion.

Le délai ne débute pas lorsque les propositions de fusion sont annoncées, mais bien lorsque le Bureau de la concurrence a reçu toute l'information nécessaire pour terminer son analyse.

Enfin, à titre d'organisme indépendant, le Bureau de la concurrence a comme responsabilité d'évaluer les fusions de façon équitable, transparente et prévisible. Notre analyse de la concurrence est indépendante de tout autre processus d'examen. Elle se conclut par l'envoi au ministre des Finances et aux parties d'une lettre expliquant nos conclusions. Le ministre des Finances doit par la suite soupeser les considérations de prudence, de concurrence et d'intérêt public pour en arriver à une décision.

Nous croyons que l'intérêt public et les questions de concurrence sont en général complémentaires: dans les deux cas, il s'agit d'assurer l'efficacité du marché, des prix bas et un service de grande qualité pour les consommateurs canadiens.

[Français]

Je vais maintenant céder la parole à M. Annan qui va vous décrire le processus d'examen des fusions tel qu'il s'applique aux banques. Pendant notre présentation, je vous invite à poser toute question qui vous vient à l'esprit.

[Traduction]

M. Richard Annan, directeur des dossiers spéciaux et conseiller stratégique, Direction générale des fusionnements: Nous avons une courte présentation à vous faire. Il s'agit d'un survol ou en tout cas d'une version simplifiée du cadre d'analyse que nous utilisons en vertu de la Loi sur la concurrence pour examiner les fusions et, dans le cas qui nous occupe, les fusions bancaires. Nous avons fait distribuer les lignes directrices régissant le processus d'étude des fusions de banques ainsi que les lettres que nous avons rendues publiques en 1998 et qui résument nos conclusions relativement aux deux fusions bancaires.

Si vous souhaitez avoir une compréhension plus approfondie du processus, je vous encourage à lire ces documents.

Figurent à la page deux les questions relatives au critère juridique devant servir à déterminer si la fusion amènerait une réduction sensible de la concurrence. En gros, nous tentons de déterminer si la fusion créerait, augmenterait ou préserverait le pouvoir de marché. Par là nous entendons la capacité de maintenir les prix à des niveaux supérieurs aux niveaux compétitifs. Un repère type que nous utilisons est une augmentation de 5 p. 100 du prix sur deux ans. Nous nous penchons également sur les dimensions autres que les prix de la concurrence, par exemple réduction de la qualité de service.

Nous examinons et l'exercice unilatéral et l'exercice interdépendant du pouvoir de marché. Le pouvoir de marché unilatéral vise une augmentation des prix par les parties à la fusion, tandis que le pouvoir de marché interdépendant vise une réduction de la vigueur concurrentielle par suite du changement dans la structure de l'industrie.

Conformément aux lignes directrices, il y a trois étapes dans l'examen: l'étape de l'analyse, l'étape de la décision et l'étape des mesures correctives. Si le ministre des Finances décide que la fusion devrait aller de l'avant, alors l'étape des mesures correctives est menée conformément à la Remedies for Competition Act.

À l'étape de l'analyse, nous obtenons des documents, menons des entrevues et recueillons des soumissions auprès des parties à la fusion. Nous organisons également des entrevues et obtenons des documents auprès des concurrents. Nous nous efforçons d'obtenir des documents auprès de clients et, dans ce contexte, les PME ou petites et moyennes entreprises intéressent les groupes de consommateurs et d'autres intervenants de l'industrie. Les membres du personnel du Bureau de la concurrence connaissent bien ces domaines et mettent leurs connaissances au service de l'analyse de ces fusions. Nous recourons également à des experts de l'industrie. En 1998, nous avons passé contrat avec plusieurs experts de l'industrie dont d'anciens banquiers de renom, des spécialistes des services de banque d'investissement, des économistes et des économètres.

Nous avons également compilé une vaste base de données en utilisant celle de l'Association des banquiers canadiens, et nous l'avons augmentée grâce à des données obtenues auprès de non-participants à cette base de données. Nous avons ainsi obtenu un cliché détaillé de ce à quoi ressemble le système financier canadien et des parts de marché des différentes catégories de produits.

L'analyse elle-même comporte quatre étapes: la première est celle de la définition du marché; la deuxième est celle de la détermination des parts de marché et des concentrations sur les marchés ainsi définis; la troisième est celle des facteurs de concurrence clés; et, enfin, la quatrième, est l'examen des gains en efficience.

Les procédures de définition du marché cernent et le produit et les marchés géographiques. Il s'agit là de tout un défi dans le contexte des services bancaires. Nous nous efforçons de déterminer s'il existe des substituts pour différentes catégories de produits. Il n'est pas toujours facile de déterminer si un prêt et une marge de crédit sont des substituts proches par opposition à autre chose. C'est peut-être plus clair dans le cas de produits manufacturiers, et je citerai à titre d'exemple la comparaison entre une voiture et une bicyclette.

Dans le cas de services financiers, les différences côté prix et fonctions ne sont pas toujours évidentes. C'est là encore un exercice difficile. Ayant fait cet exercice, nous pensons qu'il existe dans le domaine des services bancaires aux particuliers de nombreux marchés de produits qui ont leur place. Les comptes d'opérations sont le principal moteur de la relation entre les banques et les consommateurs. Nous pensons que les hypothèques résidentielles, les prêts et marges de crédit personnelles sont distincts en tant que produits.

Nous avons également examiné les comptes d'opérations et services connexes comme par exemple la fourniture de billets de banque et de pièces, la gestion des soldes de règlement, les services de dépôt de nuit et les prêts d'exploitation. Tous ces services sont importants pour l'ensemble des entreprises, y compris les petites. Lors de notre évaluation de 1998, nous avons examiné plusieurs autres marchés de produits qui ne posaient selon nous pas de problèmes: l'épargne à court terme, incluant certificats de placement garantis, fonds du marché monétaire et obligations d'épargne du Canada. Tous ces produits correspondent à un type d'épargne à court terme. Un produit d'investissement était l'épargne à long terme sous forme d'actions, d'obligations et de fonds mutuels. Il existe dans ce domaine une assez vive concurrence.

Pour ce qui est des services aux entreprises, les prêts à terme avec garantie sont considérés comme étant un autre marché de produits. Ce marché englobe les baux et les hypothèques non résidentielles. Ces volets ne posaient selon nous pas de problème. En 1998, nous avons également examiné les marchés de cartes de crédit et marchés de valeurs mobilières, mais je ne vais pas m'épancher plus avant là-dessus.

Les marchés ont également une dimension géographique. Ici, nous nous penchons sur le comportement du consommateur. Jusqu'où ira le consommateur dans sa recherche de solutions de rechange? Jusqu'à quel point les gens sont-ils prêts à recourir à l'importation? Jusqu'où iront les fournisseurs pour livrer concurrence à l'intérieur d'un marché géographique donné? Il s'agit là aussi d'un exercice difficile. Nous avons réfléchi à plusieurs questions: quels sont les schémas de livraison dans tel ou tel cas? Où se trouvent les bassins dans lesquels on puise les clients? Qu'est-ce qui changerait s'il y avait une augmentation de prix? Quelle est l'importance de l'emplacement physique de la succursale par opposition à des mécanismes de distribution de rechange? Il est clair que le marché est en train de changer et que son évolution va se poursuivre à l'avenir. Nous avons également examiné l'utilisation de services bancaires par téléphone et par Internet ainsi que la fréquentation des guichets automatiques bancaires.

Sur le plan géographie, nous avons déterminé que les marchés de produits pour particuliers et PME ont une assise locale et sont dépendants des succursales. Dans le cas des marchés résidentiels, il existe des moyens de rechange de vendre des sources d'hypothèque. En 1998, nous avons déterminé que les marchés étaient essentiellement locaux, bien que nous ayons reconnu qu'à cause d'équipes de vente mobiles, ceux-ci adoptaient un schéma davantage régional.

Nous avons une règle refuge pour les parts de marché. Cela vaut non seulement pour chacune des banques mais également pour le processus de fusionnement. Si les parties à la fusion détiennent moins de 35 p. 100 du marché, ou si les quatre plus grands joueurs dans l'industrie ont moins de 65 p. 100, avec les parties à la fusion représentant 10 p. 100 ou moins, alors il y a peu de chances que cela soulève une question de concurrence. C'est là la règle refuge.

Nous avons soigneusement examiné ces lignes directrices et en sommes arrivés à un mécanisme de sélection. De nombreux marchés de produits et marchés géographiques multiples sont essentiellement locaux et il peut y avoir des centaines de marchés pertinents à examiner. Ainsi, il nous fallait un mécanisme de sélection efficient. Nous avons donc divisé le marché en plusieurs couleurs, dans l'intérêt de la facilité et de la communication. Les marchés rouges sont ceux dont les parties combinées représentent plus de 45 p. 100 du marché en comptes d'opérations. Les marchés oranges détiennent entre 35 p. 100 et 45 p. 100, tandis que les marchés verts sont les marchés refuge de moins de 35 p. 100.

Les véritables algorithmes sont esquissés dans les lettres bancaires et sont quelque peu plus complexes. Ce sont cependant principalement là les principaux moteurs.

Nous nous sommes également penchés sur le degré auquel les fusions bancaires réduiraient la concurrence en raison de comportements interdépendants. Nous avons examiné plusieurs indices: le nombre de vendeurs sur le marché; les situations dans lesquelles les barrières à l'entrée étaient élevées, la stabilité des parts de marché, la transparence des prix entre concurrents, la collaboration au niveau de l'industrie, et le contact multi-marchés. En cas de réduction sensible du nombre de joueurs au niveau ou local ou national, il pourrait y avoir lieu de s'inquiéter de l'effet de ces indices sur la vigueur concurrentielle.

Au-delà de la part de marché, la loi nous amène à dire que la seule part de marché ne peut pas être une raison de conclure à une réduction substantielle ou à la prévention de la concurrence. Il nous faut examiner plusieurs autres facteurs importants. Par exemple: les barrières à l'entrée pour l'industrie, la concurrence étrangère, l'efficience des concurrents restants, le degré de changement dans l'innovation — le changement technologique dans cet exemple pourrait réduire les obstacles à l'entrée et faciliter les choses pour les entrants existants et nouveaux — et la suppression d'un concurrent vigoureux.

En 1998, nous avons trouvé que les barrières à l'entrée ou à l'expansion étaient importantes dans le secteur bancaire et que la nécessité de disposer d'un vaste réseau de succursales ne semblait pas avoir été remplacée par la technologie. Nous avons également constaté qu'il est important d'avoir un réseau de succursales et pour vendre ces services et pour résoudre les problèmes, que les noms de marque sont importants et que les coûts pour changer de fournisseur comptent. Il y a chez le consommateur un fort degré d'inertie en matière de services bancaires et la technologie peut jusqu'à un certain point augmenter les coûts occasionnés par le changement de fournisseur, s'agissant du dépôt direct de son chèque de paye ou du paiement automatique de factures. Ces activités posent problème pour les clients qui veulent changer de banque. Bien sûr, ils n'ont pas peur de changer, mais cela leur complique les choses.

Nous avons conclu que la technologie n'allait vraisemblablement pas remplacer la nécessité d'une présence physique avant cinq à 15 ans. Encore une fois, nous examinions les effets de la concurrence dans une fenêtre de deux ans. La disparition de la nécessité d'une présence physique n'a pas coïncidé avec notre période d'analyse.

En ce qui concerne les efficiences, il y a une défense possible d'une fusion. Les gains en efficience doivent l'emporter sur les effets négatifs côté concurrence. Pour que ces gains entrent en ligne de compte, ils doivent essentiellement être uniques à la fusion en question. Ils ne peuvent pas être réalisés par d'autres moyens tels des entreprises en coparticipation ou la croissance interne.

Une fois terminée notre analyse exhaustive, nous en arrivons à l'étape de la décision. À ce stade-là nous envoyons le rapport et au ministre des Finances et aux parties concernées. Le rapport est rendu public. Je pense que le comité reçoit copie du rapport.

Le ministre décide alors si les problèmes peuvent être réglés. Si le ministre décide qu'il nous faut passer à l'étape des mesures correctives, alors c'est le Bureau de la concurrence qui sera chargé de la négociation des mesures correctives. À supposer que ces discussions aboutissent, le ministre des Finances peut approuver la transaction sous réserve de modalités tenant compte de ces mesures pour pallier les problèmes liés à la prudence ou à l'intérêt public.

Le cadre analytique que nous avons utilisé en 1998 est toujours en place. Il n'a pas changé. Nous appliquerons ce cadre à toute transaction future. Nous examinons également l'effet des changements survenus dans le marché. Dans le cas d'une transaction proposée, nous examinerions tout cela dans le détail.

Nous sommes maintenant prêts à répondre à vos questions.

Le sénateur Kelleher: Les médias rapportent que la Banque de Nouvelle-Écosse et que la Banque de Montréal envisagent un fusionnement. Il semble que le premier ministre nous ait dit qu'il ne veut pas de fusions bancaires en ce moment.

À supposer que cela est exact, quel rôle, s'il en est un, avez-vous joué dans ces discussions relativement à ce projet?

M. Jorré: J'ai pour la première fois pris connaissance du projet dans les journaux.

Le sénateur Kelleher: Vous a-t-on demandé conseil relativement à ce projet?

M. Jorré: J'ai été très surpris par ce que j'ai lu dans les journaux.

Le sénateur Kelleher: Ai-je raison de supposer qu'il est légal qu'il y ait des fusions au sein du secteur bancaire canadien?

M. Jorré: Il est légal d'avoir des fusions dans quelque secteur que ce soit. La fusion proposée doit être assujettie au processus d'examen des projets de fusion en vertu de la Loi sur la concurrence. Dans le cas de banques, d'autres étapes encore doivent être suivies.

Le sénateur Kelleher: Si le premier ministre a exclu la fusion proposée et que vous n'avez pas été consultés à son sujet, dans quelle mesure ce processus peut-il être bon?

M. Jorré: Je ne peux pas me prononcer sur ce qui a pu arriver ou ne pas arriver. Je ne le sais pas. Par ailleurs, nous jouons un rôle bien particulier en vertu du processus d'examen des projets de fusion de banques dans le contexte des questions de concurrence régies par la Loi sur la concurrence.

Le sénateur Kelleher: Aucun conseil ne vous a été demandé?

M. Jorré: J'ai appris qu'une telle transaction aurait pu se faire en lisant les journaux.

Le sénateur Kroft: Ma question concerne le travail que nous devons faire pour comprendre où s'arrête votre travail et où commence la détermination de l'intérêt public dans un contexte gouvernemental ou politique. J'apprécie la clarté de ce que vous avez dit ici, mais pourriez-vous définir brièvement où s'arrête votre travail? Nous nous intéressons à l'intérêt public et à l'intérêt canadien. Pourriez-vous tenter de définir où s'arrête votre rôle?

M. Jorré: La première étape est l'évaluation de la transaction. Nous l'évaluons du point de vue de la concurrence. À la fin de cette étape, nous fournissons une lettre contenant notre évaluation.

Vous avez des exemples des lettres que nous avons fournies pour les transactions de 1998. Les faits varieront d'un dossier à l'autre, mais nous livrons une évaluation du genre, énonçant nos opinions relatives aux questions de concurrence.

Ce produit est déposé auprès du ministre des Finances au côté d'autres choses comme par exemple le conseil prudentiel du BSIF. Le ministre dispose de notre évaluation, qui l'aide en vue de sa décision. Si le ministre des Finances stipule qu'il doit y avoir, pour que la transaction soit autorisée, des mesures correctives, alors c'est notre rôle de négocier ces mesures dans le contexte de la concurrence.

Le sénateur Kroft: Dans quelle mesure examinez-vous les exigences commerciales de la banque? Vous penchez-vous sur l'incidence commerciale sur l'entité? Tentez-vous de déterminer si cela risque de nuire à son développement commercial à long terme? Réfléchissez-vous à la question de savoir si cela va lui être coûteux? Cela aura-t-il une incidence sur le prix des actions ou sur sa croissance potentielle? Dans quelle mesure vous penchez-vous sur ce côté-là de l'équation?

M. Jorré: Nous nous intéressons à l'incidence concurrentielle, ce dans le but du maintien de prix concurrentiels, de services compétitifs et de services de qualité. Nous ne sommes pas préoccupés par l'effet que cela peut avoir sur l'entreprise en tant que telle.

De façon générale, nous croyons que lorsque vous avez un marché concurrentiel vous avez également l'économie la plus efficace et les entreprises les plus efficaces.

Le sénateur Kroft: Vous travaillez sous un ciel philosophique selon lequel un marché plus concurrentiel servira mieux ceux qui en font partie, n'est-ce pas?

M. Jorré: Oui, c'est là le fondement de la Loi sur la concurrence.

Le sénateur Kroft: Si une entité disait que l'efficacité concurrentielle dans le marché intérieur pouvait comporter certaines ramifications négatives, mais que dans le tableau général plus vaste du développement global et du développement industriel le prix en vaudrait la peine, accepteriez-vous le compromis? N'essaieriez-vous pas de justifier une réduction du comportement concurrentiel?

M. Jorré: Non.

M. Annan: Il y a deux éléments. Nous nous appuyons sur des critères juridiques pour déterminer si la fusion amoindrirait sensiblement ou empêcherait la concurrence. Deuxièmement, il y a une défense fondée sur la déficience. Par exemple, si la fusion devait créer de graves déficiences qui l'emporteraient sur les effets concurrentiels, ce genre de préoccupation pourrait entrer en ligne de compte.

Le sénateur Oliver: Il me semble que l'une des principales préoccupations des cinq grosses banques est que le ministre, le BSIF, le Bureau de la concurrence, le Comité des finances de la Chambre des communes et le Comité sénatorial permanent des banques font tous certaines déterminations menant à des duplications.

Les banques maintiennent qu'il y a énormément de duplication dans les activités du Comité des banques, du Comité des finances de la Chambre et de vous-mêmes.

Le rôle du Comité des banques est d'examiner l'évaluation de l'incidence pour l'intérêt public et les effets que la fusion envisagée aurait sur l'intérêt public. Il lui faut examiner les considérations qui devraient s'appliquer dans l'intérêt public dans le cas de toute fusion.

Où proposeriez-vous de tracer la ligne de démarcation entre le travail de notre comité et celui d'autres comités parlementaires? Que faudrait-il faire pour éviter la duplication ou bien celle-ci sera-t-elle toujours présente dès lors que l'on entendra les mêmes témoins et que l'on analysera les mêmes choses? Dans l'affirmative, quelle certitude y a-t-il pour les banques si le comité ici réuni tranche d'un côté et que vous vous tranchez de l'autre sur un même dossier?

M. Jorré: Je ne suis pas certain qu'il y ait duplication dans le sens que le genre d'évaluation que nous menons est très exhaustive et détaillée. Encore une fois, le niveau de détail que nous recherchons est tel que nos travaux sont très approfondis. Je vous renverrais ici encore aux lettres que nous avons envoyées en 1998 et qui traitent de nombreux marchés et de nombreux produits. Je ne pense pas que quiconque d'autre fasse ce genre d'évaluation. J'ignore combien de double emploi il y a dans ce que nous faisons, car je pense qu'il s'agit de matière brute qui est disponible pour la décision d'ensemble et qui permet un examen plutôt exhaustif des questions de concurrence.

Le sénateur Oliver: Y a-t-il quelque chose que fait le Comité sénatorial des banques relativement à l'évaluation de l'incidence pour l'intérêt public que vous faites vous aussi? J'essaie de déterminer où se situe le double emploi.

M. Annan: Honorables sénateurs, je pourrais peut-être vous aider. Je songe à un exemple qui ne concerne pas le secteur bancaire mais qui est certainement d'actualité, et il s'agit de la fusion entre Air Canada et les Lignes aériennes Canadian. À l'époque, le ministre des Transports était très préoccupé par l'aspect intérêt public de cette transaction. Par la suite, des changements ont été apportés à la Loi sur les transports au Canada et à la Loi sur la concurrence en vue d'établir pour ce genre de situation un nouveau processus d'examen des fusions.

Dans le cas de cette transaction, il y a eu des engagements en matière de questions de concurrence qui ont été négociés par nous et qui nous ont été donnés par Air Canada. Il y a également eu des engagements faits au ministre des Transports par Air Canada relativement à des questions d'intérêt public autres que relatives à la concurrence. L'un des engagements reçus par le ministre des Transports concernait l'emploi et ce qui allait être fait en matière de syndicalisation des employés pendant une période de temps donnée. Le deuxième engagement concernait l'accès aux collectivités et le maintien du service aérien à certaines petites localités. Je dirais que des choses comme l'emploi ou l'accès sont des questions qui devraient être examinées sous la rubrique de l'intérêt public, mais ce ne sont pas là les genres de questions sur lesquelles nous nous penchons.

Le sénateur Oliver: Ma deuxième question concerne le professeur James McIntosh. Vous avez dit que votre cadre d'analyse 1998 est toujours en vigueur aujourd'hui. Je suis certain que vous avez lu certains des articles du professeur McIntosh. Il trouve à redire sur votre cadre d'analyse. Il maintient que les critères et la méthodologie que vous avez utilisés dans l'analyse que vous avez faite des projets de fusions bancaires en 1998 n'étaient pas les bons. J'aimerais vous lire deux lignes tirées de son explication. Je vous invite à réagir afin que figure au procès-verbal votre réponse directe à une critique cinglante de votre méthodologie. Il a dit ceci:

Dans votre examen des fusions bancaires demandé en 1998, le Bureau de la concurrence était sceptique quant à la possibilité de gains d'efficience pouvant découler des fusions. Cela s'appuyerait sur sa perception de ce qu'avaient constaté des chercheurs américains en examinant les efficiences d'échelle dans les résultats de fusions de banques américaines. Je pense qu'il a mal interprété cette documentation et a omis de tenir compte de ces déficiences qui étaient pourtant alors bien documentées.

Acceptez-vous ou rejetez-vous ces conclusions?

Il a poursuivi en disant que vous auriez dû examiner des modèles inspirés de banques japonaises et autres étant donné que les modèles de banques américaines que vous avez utilisés étaient trop petits et en tout cas beaucoup plus petits que l'une quelconque de nos cinq banques canadiennes. Qu'avez-vous à dire en réponse à cela? Connaissez-vous ses écrits?

M. Annan: Non. Je peux cependant vous dire ce que nous avons fait dans ce dossier.

Nous avons parcouru de nombreuses études économiques et examiné les efficiences bancaires. En fait, nous avons embauché un grand expert américain en matière d'efficiences bancaires. Sa conclusion a été que si une fusion bancaire réussissait alors elle allait vraisemblablement déboucher sur des gains en efficience. Cependant, si l'on regarde le grand nombre de fusions bancaires qui se sont faites aux États-Unis au cours des dernières décennies, il en ressort qu'environ la moitié d'entre elles n'ont pas débouché sur des gains en efficience. Dans certains cas, même, les coûts ont augmenté, auquel cas l'on dit que ces fusions n'ont pas réussi. Dans l'autre moitié des fusions, certaines économies de coûts sont réalisées. Cependant, l'un des facteurs déterminants dans la réussite était le fait d'avoir une expérience préalable de grosses intégrations ou fusions, ce qui n'était pas le cas des parties concernées. C'était là un facteur dans notre analyse.

Il y avait plusieurs autres choses que nous examinions relativement aux gains d'efficience, dont la non moindre est qu'en vertu de la Loi sur la concurrence la norme est maintenant assujettie à la jurisprudence et au contrôle. En ce moment-même, la cour fédérale est en train de se pencher sur un appel quant à la question de ce qui constitue une norme appropriée.

En ce qui concerne les études spécialisées, nous avons embauché l'un des grands experts dans le domaine, et c'est le conseil qu'on nous avait donné à l'époque. Je sais par ailleurs qu'il existe de nombreuses études bancaires selon lesquelles les économies d'échelle sont épuisées à un niveau plutôt bas, même si d'autres critiques disent que ces études sont dépassées et que des études plus contemporaines montreraient qu'il reste encore des économies d'échelle à réaliser dans le cas de grosses fusions.

Il nous faudra assurément examiner de près la question de savoir s'il y aura ou non à l'avenir des économies d'échelle.

Le président: Que feriez-vous si l'on vous soumettait des preuves convaincantes que si nous maintenions le statu quo dans notre système bancaire, d'ici cinq à dix ans nous serions dominés par des intérêts étrangers, aurions un gros problème de souveraineté et un problème avec des entreprises canadiennes désireuses que des banques canadiennes les financent lorsqu'elles se lancent sur le marché mondial? Qu'en serait-il si cela menaçait et qu'il vous fallait évaluer une fusion donnée? Comment feriez-vous l'équilibre entre les avantages pour la collectivité et les avantages pour l'individu? Ne regarderiez-vous que la concurrence, ou bien tiendriez-vous compte des intérêts nationaux du Canada si vous pouviez les définir ainsi?

M. Jorré: Sauf lorsque la défense de l'efficience s'applique, notre rôle statutaire est d'examiner les aspects concurrentiels.

Le président: Vous vous intéresseriez au niveau macro?

M. Jorré: Pas de la façon que vous venez de décrire. Je pense que la raison pour laquelle le gouvernement a mis en place ce processus grâce auquel le ministre des Finances obtient toute une gamme de conseils est sans doute pour qu'il puisse examiner les autres questions.

Le président: C'est là que nous nous intervenons. Nous regardons le macro.

M. Jorré: L'intérêt public dans son ensemble.

Le président: Il le faut. C'est ce pourquoi nous sommes ici. Autrement, je ne vois pas précisément pourquoi nous serions ici.

Le sénateur Banks: Lorsque vous examinez les fusions bancaires proposées agissez-vous dans l'intérêt national collectif canadien?

M. Jorré: En vertu de la loi, nous sommes là pour protéger l'intérêt public et la concurrence.

Le président: Ce n'est pas là une réponse claire pour moi. J'ignore comment vous définissez «l'intérêt public». Est-ce le petit client qui a besoin d'une succursale bancaire? Je conviens qui lui en faut une. Cependant, pour qu'il en ait une, est-il nécessaire, vous me passerez l'expression, qu'il sème la pagaille dans le pays? J'ignore quelle est la réponse. J'espère que nous trouverons la réponse cette semaine.

M. Jorré: J'ai dit que nous sommes là pour protéger l'intérêt public dans la concurrence.

Le président: D'accord, dans la concurrence.

Le sénateur Banks: L'intervention était la bienvenue, car c'est là l'objet de la question.

L'article 94 de la loi établit les règles sous lesquelles vous fonctionnez. Je conviens que le gouvernement doit pouvoir gouverner. Le gouvernement résiste ou tombe sur la base de ce qu'il décide. Au bout du compte, le ministre peut passer outre à tout ce que vous ou le tribunal auquel vous pourriez renvoyer une question dites. Si vous et le tribunal décidiez que les fusions bancaires n'étaient pas dans l'intérêt public, le ministre pourrait ne pas en tenir compte en invoquant ce qui est décrit dans la loi comme étant les intérêts des institutions financières du Canada.

Ai-je bien compris?

M. Jorré: Si nous déterminions qu'il y avait des questions anti-concurrentielles et si, de surcroît, celles-ci ne pouvaient pas être réglées de quelque façon, alors le ministre des Finances aurait la possibilité, en vertu du régime statutaire, de passer outre à nos conseils.

Le sénateur Banks: Cela peut être merveilleux ou non, selon les circonstances. Les dernières fusions bancaires n'ont pas été autorisées. Je vous demande de communiquer au greffier votre impression de l'efficacité historique des dernières fusions bancaires telle que vous l'avez exposée. Cela remonte assez loin en arrière et je sais que les circonstances étaient différentes. Les dernières grosses fusions bancaires, celles de la Banque de Toronto et de la Banque Dominion et de la Banque de commerce et de la Banque Impériale, ont-elles été bonnes s'agissant du concept de l'intérêt national?

M. Jorré: Je ne pense pas que nous soyons les bonnes personnes pour répondre à cette question. Vous demandez si ces fusions ont été efficaces ou non pour les institutions concernées.

Le sénateur Banks: Vous avez raison. Permettez-moi de reformuler ma question. Si vous appliquiez les critères actuels à ces fusions, celles-ci auraient-elles été permises ou non?

M. Jorré: Je pense qu'il serait sans doute impossible pour nous de répondre à cette question. Il nous faudrait avoir accès à la même quantité d'informations sur ce qui s'est passé à cette époque-là qu'en 1998 pour pouvoir juger des choses. Le monde était très différent à l'époque de ces transactions. Je ne pense pas que nous soyons en mesure de répondre à cela.

Le sénateur Tkachuk: Je vais maintenant couvrir un peu le même terrain que j'ai examiné avec les témoins qui vous ont précédé. Il y a à l'heure actuelle les lignes directrices relatives à l'examen de projets de fusion et je tiens à insister sur le fait qu'il existe un processus dans lequel doivent s'inscrire les fusions bancaires. La demande vous est soumise, puis les demandeurs préparent une évaluation de l'incidence pour l'intérêt public pendant que le Bureau de la concurrence, le BSIF, la Chambre des communes et le Sénat mènent leurs enquêtes. Des conseils sont alors donnés. Le ministre, comme cela est expliqué dans la loi, a le droit de dire «oui» ou «non», tandis qu'aux États-Unis, il y a un processus et les politiques n'y interviennent pas. Ils établissent les règles et le processus suit ensuite son cours. Ils ont un processus qui est suivi et c'est à ce moment-là que vient le «oui» ou le «non». Est-ce bien cela?

M. Jorré: Je ne suis malheureusement pas en mesure de me prononcer sur le processus américain.

Le sénateur Tkachuk: À votre avis la loi prévoit-elle que le ministre des Finances puisse intervenir à tout moment dans le processus? C'est ce qui figure ici dans les lignes directrices relatives à l'examen des fusions du gouvernement du Canada.

M. Jorré: Je ne suis pas tout à fait certain de bien comprendre votre question. Notre processus est mené de façon indépendante dès que nous avons été avisés d'une transaction bancaire. Nous faisons notre travail, nous produisons nos résultats et nous les communiquons au ministre des Finances.

Le sénateur Tkachuk: Je pense que la législation financière autorise le ministre à dire «oui» ou «non» aux fusions bancaires. Le ministre peut-il faire cela à tout moment ou bien doit-il attendre l'aboutissement du processus?

Je pense que le Parlement joue un rôle important dans la décision de savoir si une fusion doit ou ne doit pas avoir lieu, car il est clairement établi dans les lignes directrices que lorsqu'une demande est faite il y a un processus et que le Parlement a alors un rôle important à jouer. J'aimerais savoir quand le ministre peut empêcher ce processus d'être enclenché et ne pas faire intervenir le Parlement.

M. Jorré: Vous avez raison de dire que le ministre des Finances peut barrer le processus. Dans un tel cas, nous ne mènerons pas notre examen. Je parle ici de nous. Je ne me prononce pas sur le processus de qui que ce soit d'autre.

Le sénateur Tkachuk: Il peut stopper l'étude à mi-parcours?

M. Jorré: Oui, en vertu de l'article 94.

Le sénateur Tkachuk: Très bien.

[Français]

Le sénateur Setlakwe: À l'époque, en 1998, vous avez écrit à M. Flod pour lui dire que vous n'étiez pas en faveur de la fusion des banques. Vous disiez, entre autres, que cela conduirait à une diminution de la compétition.

Votre opinion a-t-elle changé depuis ce temps? De nouveaux facteurs vous inciteraient-ils à initier une nouvelle étude pouvant vous amener à changer votre opinion pour ce qui prévalait en 1998?

M. Jorré: Dans ce qu'on fait, il faut chaque fois analyser les faits tels qu'on les constate. Les marchés évoluent et il faut examiner la situation au moment où on a une demande devant nous. Il se peut très bien que les faits aient changé depuis 1998.

[Traduction]

Le sénateur Banks: Avez-vous dit à l'instant que nous avons une demande devant nous?

M. Jorré: Non, je voulais dire au moment où vous êtes saisis d'une demande.

Le sénateur Prud'homme: Est-il juste de dire que si vous recevez une demande de fusion et que vous passez par le processus et en arrivez à la conclusion que la fusion ne serait pas dans l'intérêt du Canada, le ministre ou l'exécutif peut décider de l'autoriser malgré vos résultats? Est-il possible que cela arrive?

M. Jorré: Nous pourrions conclure qu'il y aurait des effets anti-concurrentiels et le ministre pourrait décider de faire autre chose.

Le président: Honorables sénateurs, nous allons poursuivre notre étude sur les conséquences en matière d'intérêt public des grosses fusions bancaires. Nous sommes heureux d'accueillir parmi nous Gordon M. Nixon, Peter W. Currie et Elisabetta Bigsby de RBC Groupe financier.

Monsieur Nixon, je devine que vous avez une déclaration liminaire. Allez-y, je vous prie.

M. Gordon M. Nixon, président et chef de la direction, RBC Groupe financier: Monsieur le président, honorables sénateurs, permettez-moi tout d'abord de vous dire que RBC soutient l'initiative du gouvernement du Canada de clarifier davantage le processus d'examen des projets de fusion. Je crois que nous sommes tous d'accord pour dire que le processus actuel manque de clarté. Cela suscite de la confusion parmi les membres de notre secteur et peut donner lieu à des décisions qui ne servent pas l'intérêt des clients, des employés, des actionnaires ou du public canadien.

De plus, puisque les règles actuelles manquent de clarté, les résultats qu'elles produisent sont incertains. L'incertitude est une entrave à la croissance dans toute industrie, y compris la nôtre.

Nous soutenons tous les efforts qui visent non seulement à déterminer si des fusions servent l'intérêt public mais aussi à établir des lignes directrices et à mieux définir ce processus. C'est essentiel à la fois pour la prise de bonnes décisions d'affaires et pour une saine politique publique.

En particulier, vous nous avez demandé notre opinion sur les grands éléments qu'il faudrait prendre en considération pour déterminer les conséquences pour l'intérêt public. Tel qu'il existe, le processus d'examen des projets de fusion englobe déjà les questions d'intérêt public sous deux angles. Le Bureau du surintendant des institutions financières évaluera l'incidence de toute transaction sur la sécurité et la solidité des banques canadiennes et le Bureau de la concurrence examinera l'incidence sur la concurrence au Canada.

Il y a cependant quelques domaines supplémentaires concernant l'intérêt public que j'évoquerai dans ma présentation. Premièrement, je crois que les fusions devraient être examinées sous l'angle de leur incidence à long terme sur la prospérité et le niveau de vie futurs du Canada. Plus précisément, nous devrions nous demander si la création d'institutions financières plus grandes et plus concurrentielles à l'échelle internationale améliorerait la croissance économique du Canada.

Deuxièmement, je pense qu'il est important d'examiner l'impact qu'auraient les fusions sur les Canadiens en ce qui concerne l'accès aux services financiers et le choix de ces services. En particulier, nous devons examiner toute la variété de modes de prestation des services et de fournisseurs, et comprendre la place dans l'équation de la nouvelle technologie et des concurrents existants.

Troisièmement, je crois qu'il est important d'examiner les questions de transition que soulèvent les fusions par leurs incidences à court et à long termes. Par exemple, quel impact auront les fusions sur le nombre et la qualité des emplois au Canada?

Quatrièmement, je crois qu'il est dans l'intérêt du public d'avoir un processus d'examen des projets de fusion au Canada qui soit cohérent et concurrentiel avec celui d'autres pays. Plus précisément, il nous faut un processus clair, transparent et prévisible, et qui peut être exécuté dans un délai raisonnable.

J'aimerais dire d'emblée que, à mon avis, les regroupements d'entreprises du secteur des services financiers seraient stratégiquement avantageux pour notre pays. Il est important pour la santé et le développement de notre secteur, à la fois au Canada et de plus en plus sur un marché nord-américain, que le secteur change d'échelle de grandeur. Même après des fusions, les Canadiens auront accès à un secteur des services financiers extrêmement concurrentiel et ils bénéficieront des avantages d'une augmentation d'ordre de grandeur. Les regroupements d'entreprises aideront aussi le secteur à améliorer l'efficacité et la rentabilité, ce qui est bon pour nos clients, notre rang international et notre réputation de contreparties stables.

Cependant, je ne peux ni ne veux laisser entendre à votre comité ou au public canadien que les fusions de banques ne doivent pas être gérées avec prudence. Leur exécution, les déplacements d'emplois à court terme, les réductions du nombre de sièges sociaux, les perturbations de services et l'impact sur nos collectivités soulèvent des préoccupations. Ce sont là des préoccupations tout à fait réelles. Mais je crois que ces difficultés peuvent être gérées d'une manière qui respecte l'intérêt public et qui apporte les avantages à long terme d'un renforcement du secteur canadien des services financiers.

Sur cette toile de fond, j'aimerais maintenant revenir sur quatre points de discussion que j'ai mentionnés, en commençant par l'incidence à long terme des fusions sur la prospérité et le niveau de vie futurs du Canada.

Les services financiers sont un secteur important pour notre pays. Ils contribuent à la création de possibilités de croissance à long terme pour le Canada à la fois directement, étant une des industries canadiennes d'envergure mondiale, et indirectement comme soutien important du succès d'autres entreprises canadiennes.

Les banques ont plus de 8 300 succursales et au-delà de 16 800 GAB dans tout le Canada. Nous offrons du financement et du crédit aux Canadiens et à leurs entreprises. Nous sommes de grands employeurs, ayant plus de 235 000 employés au Canada et une masse salariale annuelle de près de 16 milliards de dollars. Les six plus grandes banques ont versé près de 5 milliards de dollars de taxes et d'impôts canadiens l'an dernier. Nous savons tous que les pays ont besoin de secteurs de services financiers solides et viables pour soutenir leur croissance économique et leur prospérité.

Comme je l'ai déjà dit, je crois qu'une stratégie sectorielle d'excellence est cruciale pour améliorer la productivité du Canada et faire avancer celui-ci sur la voie de la prospérité. Je crois également que les entreprises, les pouvoirs publics et d'autres grands intervenants doivent collaborer, comme partenaires, pour mettre au point les bonnes politiques et susciter le bon climat macro-économique pour nos secteurs clés. Nous avons l'occasion d'élaborer de manière coopérative une politique des services financiers qui donne à notre pays et à notre branche d'activité un avantage concurrentiel et qui facilite une plus grande concurrence.

Le secteur des services financiers du Canada est un des meilleurs et des plus concurrentiels au monde. Nous devrions en être fiers. Les banques canadiennes offrent des services à des prix très concurrentiels comparativement à nos homologues américains et de la quasi-totalité des pays, et nous le faisons d'une manière pratique et à l'échelle du pays tout entier. Selon un récent rapport de Standard & Poor's, le Canada a l'un des systèmes bancaires les plus efficaces au monde, offrant une infrastructure de pointe, de bons systèmes de contrôle de gestion, des écarts de taux très concurrentiels sur les prêts et des frais de services compétitifs. Le secteur des services financiers du Canada est l'un des meilleurs au monde pour de multiples raisons, et notamment grâce à la collaboration entre les pouvoirs publics et les banques.

Avec ces atouts, les banques canadiennes ont le potentiel d'être fortes à l'échelle mondiale et d'en récolter les avantages économiques pour notre pays. On peut se demander pourquoi, si notre secteur est si bon, il faudrait se soucier de l'améliorer et pourquoi nous n'avons pas été en mesure de tirer parti de notre potentiel. Le fait est que, malgré des fondations solides sur lesquelles il est possible de bâtir une industrie concurrentielle à l'échelle internationale, les banques canadiennes manquent de taille et de capital et deviennent moins pertinentes sur le plan mondial.

Que pourraient apporter les fusions de banques à la compétitivité internationale du secteur des services financiers du Canada et à la compétitivité internationale d'autres entreprises canadiennes? Premièrement, elles peuvent aider à atteindre l'ordre de grandeur nécessaire pour continuer d'offrir aux Canadiens, particuliers et entreprises, des services concurrentiels sur le plan international. Parmi les 20 plus grandes institutions financières du monde par la capitalisation boursière, pratiquement toutes ont activement participé au mouvement de rapprochement d'entreprises, même sur leurs marchés intérieurs.

Deuxièmement, le Canada a besoin d'industries concurrentielles à l'échelle internationale. Elles génèrent le capital et les emplois nécessaires pour soutenir la vitalité économique permanente. Elles sont essentielles pour maintenir un niveau d'investissement et d'innovation qui retient les jeunes talents brillants au Canada et suscite la création d'emplois générale dont le pays a besoin.

Troisièmement, d'après notre expérience, le regroupement d'entreprises fait émerger des concurrents offrant une vaste gamme de produits et de services. Les économies d'échelle et leur envergure leur permettent d'être plus efficaces avec des coûts unitaires moindres. Cela offre aux Canadiens un potentiel de baisse des prix et d'augmentation des choix. Par exemple, quand les banques canadiennes ont pénétré sur les créneaux des prêts hypothécaires, du courtage de détail et des fonds communs de placement, on craignait pour la concurrence. Mais nous avons plutôt assisté à une augmentation des volumes, une diminution des prix et une plus grande variété de produits. Le fait que les banques ne puissent pas vendre des assurances dans leurs succursales ne rend à mon avis pas service aux consommateurs canadiens.

Je crois que l'innovation est déterminante pour la croissance à long terme pour le Canada, et je sais que le gouvernement fédéral partage cette opinion. Beaucoup de facteurs entrent en jeu ici, mais, clairement, nous devons disposer des ressources d'investissement nécessaires pour financer le développement avant-gardiste en technologie. Les fusions diminuent les investissements redondants et libèrent des ressources qui peuvent être investies dans des innovations supplémentaires.

RBC dépense tout juste un peu moins de 2 milliards de dollars par an en technologie de l'information. Environ 15 p. 100 de ce chiffre, soit près de 300 millions de dollars, sont consacrés au développement de nouveautés. Si les investissements que nous consacrons à la maintenance étaient étalés sur une base plus vaste, ce qui permettrait d'augmenter les nouveaux investissements, cela contribuerait à l'innovation dans notre secteur et dans notre pays. Cela entraînerait non seulement une croissance et des gains de productivité pour le Canada, mais aussi de nouveaux emplois dans des secteurs de grande valeur et professionnels.

Le regroupement d'entreprises aiderait aussi à soutenir la croissance future de notre secteur. Il donnerait aux institutions financières plus de vigueur financière pour prendre de l'expansion à l'extérieur du Canada, où la taille relative a une incidence directe sur les investissements et les acquisitions et sur l'aptitude à appliquer des stratégies d'expansion internationale.

Nous croyons que l'expansion de notre secteur aux États-Unis est avantageuse pour les Canadiens. Elle nous permettra d'augmenter d'échelle de grandeur et d'étaler nos frais généraux sur une base plus large. L'amélioration de notre structure de coûts qui en résultera permettra de pratiquer des prix plus concurrentiels au Canada. À cela s'ajoutent d'importantes retombées pour l'économie par le développement de sociétés fortes, concurrentielles sur le plan mondial. Enfin, les institutions financières doivent prendre de l'expansion à l'étranger pour croître et continuer d'assurer des rendements sains aux millions de Canadiens qui investissent directement dans nos actions.

Les analystes comprennent cela et ils comprennent les difficultés auxquelles nous nous heurtons dans nos efforts pour prendre de l'expansion à l'étranger en raison de notre taille relativement petite. La décote traditionnelle des actions de banques canadiennes attribuée à des taux de croissance plus lents et à l'incertitude au sujet des rapprochements d'entreprises en témoigne.

Le prochain domaine concernant l'intérêt public que j'aimerais aborder est celui des incidences pour les Canadiens en ce qui concerne l'accès aux services financiers et le choix de ces services. Les Canadiens s'inquiètent de l'effet des fusions sur la concurrence dans notre secteur, et c'est bien compréhensible. L'examen par le Bureau de la concurrence, prévu dans le processus d'examen des projets de fusion, assurera qu'il existe une concurrence adéquate pour les Canadiens. De plus, l'impact que pourrait avoir tout changement sur l'accès des Canadiens aux services financiers et sur la disponibilité de crédit, particulièrement pour les petites entreprises, a suscité beaucoup de débats.

Il nous appartient de gérer notre réseau de distribution global efficacement pour que les clients disposent d'un accès raisonnable. Près de 95 p. 100 des opérations s'effectuent aujourd'hui en dehors de notre réseau de succursales où nous avons investi dans des modes de prestation de remplacement et continuerons de le faire. Cependant, nous savons que malgré cette augmentation incroyable de l'utilisation des GAB et des opérations bancaires par Internet et par téléphone, 70 p. 100 de nos clients fréquentent encore nos succursales au moins une fois tous les trois mois pour recevoir des conseils, régler des opérations complexes ou résoudre des problèmes.

Au cours des dernières années, nous avons nettement augmenté notre effectif de vente mobile pour donner à nos clients des conseils sur les placements et les prêts à l'heure et à l'endroit qui leur conviennent le mieux. Les équipes de vente mobiles et les services bancaires par Internet et par téléphone aident à offrir des services aux clients qui pourraient avoir du mal à se déplacer dans une succursale, par exemple des Canadiens handicapés ou ceux habitant en région éloignée. Nous avons récemment annoncé des plans d'investissement dans notre réseau de succursales, en partie pour répondre aux besoins d'accès et nous faisons l'essai d'autres modes de prestation de services aux Canadiens à faible revenu. Par exemple, notre «Succursale Expresse» à Toronto a récemment été montée en partenariat avec la St. Christopher House et avec la communauté locale.

En résumé, l'investissement accru dans de nouveaux modes de prestation ainsi que dans notre réseau de succursales de base demeure notre priorité. Il est clair que nous devons nous pencher sur la question de l'accès pour les Canadiens dans le cadre de toute initiative de fusion par la poursuite de l'expansion des nouveaux modes de distribution et en encourageant la concurrence par la vente de succursales. Beaucoup d'institutions ont manifesté un intérêt pour l'acquisition de succursales ainsi que d'infrastructures en cas de fusions au Canada. Je ne crois pas que quiconque dans notre secteur s'opposerait à une discussion constructive de correctifs pour régler cette question.

Maintenant, j'aimerais aborder la question de la disponibilité de crédit sous deux angles différents — d'abord la petite et moyenne entreprise. Nous devons améliorer notre capacité de faire croître les petites et moyennes entreprises et de faire émerger plus de leaders du marché et de l'industrie, ce qui est un des autres grands enjeux du Canada.

C'est pour s'attaquer à cette question que RBC Groupe financier a collaboré avec les Manufacturiers et Exportateurs du Canada et la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante pour étudier comment le Canada peut aider ses petites et moyennes entreprises à prospérer et à croître. Cette étude peut apporter un éclairage précieux à ce processus d'examen parlementaire. Certes, tout n'est pas parfait; en revanche, les petites et moyennes entreprises sont bien servies par le secteur canadien des banques et nous voulons tous continuer de contribuer à la croissance de cet important secteur.

Notre étude révèle que l'accès aux emprunts et la compétitivité des tarifs au Canada sont solides et que les entrepreneurs s'adressent à une grande variété de fournisseurs de services financiers. Il existe bien une pénurie de prêts à risque plus élevé et de capital de risque, mais les fusions n'auront pas d'impact sur ce sujet.

La grande entreprise présente un problème différent. Les grandes entreprises reconnaissent que des banques plus concurrentielles à l'échelle internationale seraient mieux placées pour répondre à certains de leurs besoins. Cependant, elles craignent aussi que le rapprochement entre elles de grandes banques au Canada puisse limiter leur accès au crédit. Leur crainte serait justifiée si le marché du crédit était limité aux cinq grandes banques canadiennes. Mais en réalité, ce n'est pas le cas, et ne doit pas l'être.

Les grandes sociétés ont accès aux marchés des capitaux et aux banques étrangères comme sources de financement pour leurs initiatives d'expansion et ces marchés sont très concurrentiels. Même si l'augmentation de l'efficacité et des assises financières accroissait l'aptitude d'une banque fusionnée à prêter aux grandes entreprises, la fusion pourrait avoir une incidence sur les limites de crédit. Cependant, le développement de marchés de capitaux plus vastes et l'augmentation de la concurrence étrangère sont des solutions viables et nécessaires à ce problème, avec ou sans fusions.

Le troisième domaine concernant l'intérêt public dont j'aimerais parler est celui des problèmes que pose la transition, notamment l'emploi. Comme je l'ai dit, le secteur des services financiers est un grand employeur au Canada et le potentiel de perte d'emplois en raison des regroupements d'entreprises est, bien entendu, un sujet préoccupant. En cas de fusion, le nombre absolu d'emplois diminuerait au départ, à mesure que des processus en double seraient amalgamés. Cependant, nous estimons que le secteur serait en mesure de réaffecter bon nombre des employés dont les postes deviendraient redondants simplement par l'attrition naturelle. Par exemple, chez RBC, rien qu'à Toronto, nous devons remplacer chaque année les titulaires de 2 000 postes.

De plus, la capacité plus grande d'investissement d'une entité fusionnée offre la possibilité de créer des emplois de plus grande valeur dans les secteur de la recherche et du développement technologiques, ce qui aura un impact positif sur la productivité du Canada.

À mesure que les banques croîtront à l'étranger, nous continuerons de créer des emplois au Canada. Par exemple, à la suite de notre expansion aux États-Unis, nous avons créé des emplois en technologie de l'information et de centre d'appels au Canada.

Nous avons constaté une nette tendance à la revalorisation des emplois depuis dix ans et je ne doute aucunement que les fusions la renforceraient. Inversement, je crois que maintenir le statu quo pourrait avoir de graves incidences négatives pour l'emploi dans notre secteur à long terme. Si les regroupements dans le secteur des services financiers sont mis en oeuvre d'une manière qui coïncide avec l'intérêt du public, ils peuvent permettre de bâtir des entreprises solides, viables et concurrentielles, capables de faire les investissements stratégiques nécessaires pour la croissance et la productivité futures du Canada tout en garantissant que les Canadiens continueront d'avoir accès à des services financiers concurrentiels. L'essentiel est de veiller à ce que le processus soit efficace.

Ceci m'amène à mon dernier point, le processus d'examen des fusions.

Tel qu'il existe actuellement, le processus exige des banques qui fusionnent qu'elles préparent et fournissent de grosses quantités d'informations. Les demandes doivent être déposées auprès du Bureau du surintendant des institutions financières, du Bureau de la concurrence et du ministre des Finances.

De plus, les banques qui souhaitent fusionner doivent préparer une évaluation de l'incidence sur l'intérêt public qui sera la base de l'examen public du projet de fusion par le comité ici réuni et par le Comité permanent des finances de la Chambre des communes. Les rapports du BSIF et du Bureau de la concurrence au ministre seront aussi rendus publics et analysés par les comités parlementaires qui donneront leur avis au ministre. Par la suite, le ministre prendra une décision quant à savoir si les questions d'intérêt public, les questions prudentielles et les préoccupations sur le plan de la concurrence soulevées par la transaction peuvent être réglées. Le cas échéant, des recours peuvent être négociés et, enfin, appliqués.

Ce processus d'examen des projets de fusion des banques est plus complexe, plus difficile et exige plus de temps que ce que connaissent la plupart des concurrents étrangers sur leurs marchés nationaux. Il est clair qu'il faut veiller aux intérêts bien compris des Canadiens, mais ce processus me préoccupe pour plusieurs raisons. Ce processus, et notamment son aspect intérêt public, peut être inopérant dans la pratique, malgré ses avantages plus larges.

Bien sûr, nous ne pouvons pas nous attendre à ce que le résultat du processus soit prédéterminé. Cependant, en tant que PDG d'une grande institution financière, j'ai, avec l'équipe de gestion et le conseil d'administration, la responsabilité envers nos employés, nos clients et nos actionnaires de faire une évaluation circonstanciée des probabilités de succès d'une transaction avant de permettre à l'institution d'entreprendre tout le travail associé à un projet de fusion. Sans des directives claires, qui définissent les critères de l'évaluation de l'incidence sur l'intérêt public, y compris comment les coûts et les avantages doivent être pondérés pour parvenir à un résultat global, les banques qui envisagent des fusions resteront plongées dans l'incertitude au sujet des chances de réussite. Si le processus d'examen des projets de fusion est indûment prolongé, le résultat pourrait facilement empêcher les institutions concernées d'agir et avoir une incidence négative sur le secteur dans son ensemble et sur le public canadien.

Par conséquent, nous sollicitons de votre part une plus grande précision en ce qui concerne le processus d'ensemble et les critères applicables. Nous demandons des lignes directrices plus claires sur ce qui est attendu. En particulier, nous demandons des critères concernant l'intérêt public qui ne comprennent pas les questions qu'aborderont le BSIF et le Bureau de la concurrence. Nous avons besoin de critères qui sont suffisamment bien définis pour pouvoir prendre des décisions éclairées et nous donner un cadre pour structurer les transactions.

Ce processus doit être clair, transparent, appliqué uniformément et réalisé dans un délai comparable à celui de la plupart des transactions sur le marché public. Nous avons besoin d'un processus qui favorise la prévisibilité pour pouvoir prendre des décisions d'affaires éclairées. De plus, nous croyons que toute discussion des recours devrait précéder les éléments concernant l'intérêt public dans le processus, puisque ces recours font partie intégrante de la réponse aux préoccupations concernant l'intérêt public. Nous demandons au comité de recommander des règles qui permettent aux banques individuelles d'apprécier la situation et de prendre des décisions. C'est le résultat que nous espérons voir ressortir de ce processus de consultation. D'un point de vue prudentiel, nous ne croyons pas qu'un processus ouvert et illimité, dont l'industrie n'a pas la possibilité de prévoir l'issue, soit dans l'intérêt du public.

Le gouvernement a reconnu que les fusions représentent une stratégie commerciale légitime pour les banques. Cependant, le processus d'examen des projets de fusion a pour effet de décourager les banques de poursuivre cette stratégie. Cette divergence entre la politique et le processus doit être résolue. C'est le résultat que nous espérons de cette consultation.

En conclusion, j'aimerais réitérer notre soutien à vos efforts pour améliorer la clarté autour de la question des fusions dans le secteur des services financiers au Canada et pour nous permettre de faire les choix stratégiques nécessaires pour assurer la viabilité permanente de notre industrie pour le bénéfice de tous les Canadiens.

Je vous remercie de nous avoir donné l'occasion de vous rencontrer aujourd'hui. Nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions.

Le sénateur Meighen: Merci de votre mémoire bien argumenté et bien présenté, qui nous a fait un exposé plutôt éloquent des arguments en faveur de ce que vous avancez.

Ma question reprendra celles que moi-même et mes collègues avons poursuivies ce matin avec les fonctionnaires du ministère des Finances et les représentants du Bureau de la concurrence. Vous n'étiez sans doute pas ici à ce moment-là. Même si vous nous avez rendu service avec votre présentation, j'ai de la difficulté à comprendre quels éclaircissements sont requis pour deux ou trois aspects sur lesquels je vais revenir dans un instant. Nous avons les lignes directrices relatives à l'examen des projets de fusion. Nous avons les lignes directrices du Bureau de la concurrence. Dans les lignes directrices relatives à l'examen des projets de fusion de Finances Canada, bien sûr, nous avons le détail relatif à l'évaluation de l'incidence pour l'intérêt public.

À mon sens, ce détail couvrirait nombre des questions que vous avez mentionnées. Voilà pourquoi je me débats toujours avec la question de savoir pourquoi nous sommes ici, s'agissant de la clarté que nous pouvons apporter.

Cela étant dit, je remarque — et je vous en remercie — que vers la fin de votre mémoire vous dites: «En particulier, nous demandons des critères concernant l'intérêt public qui ne comprennent pas les questions qu'aborderont le BSIF et le Bureau de la concurrence». Je devine que vous mettez ceux-là de côté et en voulez d'autres. Dans le deuxième paragraphe de la deuxième page de la version française, vous dites: «De plus, nous croyons que toute discussion des recours devrait précéder les éléments concernant l'intérêt public dans le processus, puisque ces recours font partie intégrante de la réponse aux préoccupations concernant l'intérêt public».

S'agit-il là des questions pour lesquelles une plus grande clarté s'impose selon vous à ce stade, ou bien y en a-t-il d'autres?

M. Nixon: Je pense, sénateur, que ce sont là les deux plus importantes. La réponse générale à votre question de savoir pourquoi nous sommes ici en est une qui devrait peut-être plus justement être posée au gouvernement par opposition à des administrateurs de banques.

Le sénateur Meighen: Nous ne parvenons pas à convaincre le ministre de venir nous dire pourquoi.

M. Nixon: L'une des choses qui sont devenues claires depuis l'adoption du projet de loi C-8 est qu'il y a beaucoup d'ambiguïté et d'incertitude autour du processus.

Le sénateur Meighen: Donnez-nous un exemple, monsieur.

M. Nixon: En tant qu'organisations qui avons envisagé le fusionnement comme option stratégique, nous avons reçu des signaux contradictoires quant à savoir si les fusions sont perçues comme étant acceptables ou moins acceptables par le gouvernement. Le processus se prête à l'établissement d'un échéancier et d'un processus dans le cadre duquel, si deux institutions s'y engageaient, il y aurait peu de certitude quant à ce que pourrait en être l'issue. Il y aurait très peu de renseignements quant aux recours qui pourraient être exigés. Il est difficile pour des entreprises de prendre des décisions d'affaires relativement à la question de savoir si une stratégie est dans l'intérêt de ses divers partenaires — actionnaires, employés, et cetera — à moins qu'il y ait un certain degré de compréhension des conditions de la transaction et de ce qui pourrait être acceptable pour le public canadien ou dans le cadre du processus politique.

S'il y avait une plus grande clarté quant à ce qu'est l'intérêt public, alors il serait plus facile pour les institutions financières de prendre de telles décisions.

Clairement, il importe pour nous que les discussions au sujet des mesures correctives aient lieu au début du processus plutôt qu'à la fin. Si nous comprenons autour de quoi tournent ces recours, qu'il s'agisse de questions de concurrence, qui peuvent être réglées par le Bureau de la concurrence, ou de questions d'intérêt public, alors au moins nous aurons en tant qu'organisation la capacité de prendre ces décisions et de déterminer si les recours en question sont dans l'intérêt de nos institutions.

Le sénateur Meighen: N'avez-vous pas dit que la «discussion des recours devrait précéder les éléments concernant l'intérêt public dans le processus»?

M. Nixon: C'est exact.

Le sénateur Meighen: Si j'ai bien compris le processus que vous aimeriez voir instauré, vous iriez voir le BSIF et le Bureau de la concurrence pour déterminer quelles pourraient être leurs préoccupations. Vous en arriveriez vraisemblablement à une entente générale quant à ce que les parties fusionnées potentielles seraient tenues de faire. Une fois cela tiré au clair, si je vous ai bien compris, vous seriez alors mieux en mesure de traiter des questions d'intérêt public.

M. Nixon: Nous espérons que ressortiront entre autres de ce processus certains des critères entourant la question des clauses et conditions qui seraient perçues comme étant dans l'intérêt du public. Nous espérerions que le processus ne fasse pas double emploi avec les exigences du BSIF et du Bureau de la concurrence. Nous sommes convaincus de la capacité de ces deux institutions de traiter des questions de sécurité, de solidité et de concurrence. Il s'agit d'obtenir plus de clarté de la part du gouvernement, et nous espérons que ce processus permettra de cerner la question de l'intérêt public et ces autres questions qui doivent être examinées en vue de traiter de l'évaluation de l'incidence pour l'intérêt public.

Nous estimons que les recours devraient intervenir dans les étapes initiales et pendant le processus plutôt qu'à sa fin, car ces recours sont clairement critiques dans la détermination de l'intérêt public mais sont également critiques pour nous en tant qu'institutions dans notre détermination du bien-fondé des fusionnements du point de vue des actionnaires et de nos autres éléments constitutifs. D'autre part, cela nous permettrait d'avoir des attentes fondées en matière de délais en prévision de fusionnements potentiels car, clairement, il y a un risque important pour les institutions financières, pour les actionnaires, pour les systèmes financiers et pour les clients si l'on se lance dans un processus en l'absence d'un degré élevé de certitude. Je pense que ce que nous demandons, ce qui est tout à fait raisonnable, c'est une bonne carte routière, afin d'être en mesure de prendre de bonnes décisions.

Le sénateur Meighen: Il me semble, monsieur Nixon, que l'on est ici confrontés à une rupture de politique ou à une question de politique plutôt qu'à une question législative. Nous avons tous deux fait état des exigences quant à l'évaluation de l'incidence pour l'intérêt public. Je pense qu'il serait juste de dire que cela doit englober le gros des affaires courantes, des questions d'intérêt public ordinaires. Ce qui reste ce sont le contexte économique mondial, le contexte économique national et l'attitude du gouvernement du jour et du ministre des Finances. Comme pourrais-je, et, d'ailleurs, comment pourriez-vous, espérer prédire cela?

L'autre partie de l'équation est le court-circuitage du processus législatif, dont nous avons tout juste été témoins, deux de vos concurrents ayant apparemment cherché à fusionner et le premier ministre ayant fait savoir que ce ne serait pas possible. Il s'agit clairement là d'une chose que nous ne pouvons pas contrôler, à moins de pouvoir, par un moyen législatif, dire que les autorités élues ne devraient pas pouvoir intervenir. Je pense, franchement, qu'elles devraient pouvoir intervenir, et vous l'avez vous-même dit dans vos remarques liminaires. Cependant, elles doivent intervenir d'une façon qui aide le processus à déboucher sur la bonne conclusion. Je vous demande cela un petit peu en plaisantant, mais préféreriez-vous entendre cela des autorités politiques au début du processus ou à la fin?

M. Nixon: Nous préférerions avoir une définition claire à l'abord d'un processus, afin d'être en mesure de prendre de bonnes décisions. Je ne peux pas me prononcer sur le côté politique de l'équation, sauf pour dire que nous espérons voir découler du processus une plus grande clarté quant aux critères en matière d'intérêt public. D'après ce que nous avons compris, en tout cas, c'est l'une des choses qui ont été demandées au comité dans le cadre de ce processus.

Le sénateur Meighen: Il serait utile qu'aujourd'hui ou demain, si vous ne pouvez pas le faire tout de suite, sans trop aller dans le détail, vous nous expliquiez si le processus est défectueux sur le plan des étapes. Les étapes devraient-elles être classées dans un ordre différent? Certaines étapes devraient-elles être éliminées? Importerait-il d'en ajouter d'autres? Je vous entends parler de «clarté», mais je ne suis pas certain de comprendre tout à fait. Il y a la clarté du processus dont nous pouvons parler, et cela, je le comprends. Je vous entends dire que vous aimeriez plus de clarté à cet égard. Auriez-vous quelque suggestion à nous faire quant au moyen de réaliser cela?

M. Nixon: Je pense que oui. Nous estimons que la question de la concurrence devrait être traitée par le Bureau de la concurrence et que celle de la solidité devrait revenir au BSIF. Ces deux aspects ne devraient pas être rattachés au volet évaluation de l'intérêt public. Ils devraient être examinés par ces deux institutions.

Nous souhaiterions que le gouvernement nous donne dès le départ une meilleure définition de la question de l'intérêt public, des critères qui convaincraient le gouvernement que les fusions seront dans l'intérêt public.

Le sénateur Meighen: Dans l'abstrait, comme aujourd'hui, vu qu'il n'y a pas sur le parquet de proposition de fusion, que l'on sache, ou en tout cas pas dans le détail, lorsqu'il y aurait quelque chose sur le parquet, disant «Voici ce qu'il nous faut pour pouvoir donner notre aval»?

M. Nixon: Avant qu'une fusion n'arrive sur le parquet. Si vous descendez dans l'arène et que tout d'un coup il y a des fusions sur le marché puis un débat autour de l'intérêt public et des recours, cela amène énormément d'incertitude quant au bien-fondé des fusions, car tout dépend des critères utilisés dans l'évaluation de l'incidence pour l'intérêt public. Vous avez dans le marché de l'activité à laquelle les actionnaires devront réagir, en fonction du coût d'exécution de la transaction. Je ne pense pas que l'incertitude serve les intérêts de quiconque. Je ne pense pas qu'elle soit dans l'intérêt de nos institutions ni dans celui du public canadien. Si vous regardez la façon dont les choses se passeraient dans la plupart des pays du monde, vous verrez qu'il y aurait en place des critères beaucoup plus clairement définis de sorte que les institutions puissent prendre des décisions en sachant si elles seront en mesure de satisfaire les critères. Il est difficile pour nous de savoir si nous pourrons satisfaire les critères, alors que nous les ignorons.

Le sénateur Tkachuk: Pour enchaîner directement là-dessus, comment comprenez-vous l'actuelle politique du gouvernement en matière de fusions bancaires?

M. Nixon: Je pense qu'il y a de l'incertitude. Si vous meniez un sondage — que ce soit auprès des personnes dans cette salle ou des gens de l'industrie financière ou des pouvoirs publics — vous recueilleriez des opinions très différentes quant à l'actuelle politique en matière de fusions, et je pense que cela ne fait que souligner l'incertitude dans laquelle on nous demande de mener nos activités dans notre secteur.

Le sénateur Kroft: Je pense qu'il y a une certaine clarté qui se dessine ici. À la lecture de vos mémoires, dont je vous remercie, et de ceux d'autres témoins, j'ai eu de la difficulté à comprendre le sens que vous donniez à certains termes, par exemple l'écart entre la politique et le processus, principalement parce que bien qu'il faille peut-être qu'il y ait quelques mises au point et un peu plus de détails, il me semble qu'il n'y a pas de gros écarts. Une fois le processus enclenché, il est assez bien établi.

Ce que j'entends, et c'est notamment le cas du dernier échange, est qu'en dépit du fait que des changements aient été apportés à la Loi sur les banques, que l'on se soit doté de lignes directrices relatives à l'examen des projets de fusion, que le Bureau de la concurrence ait maintenant une idée très claire de sa position et que les diverses responsabilités du BSIF et le lien entre votre industrie et le Bureau ne semblent pas être un problème, la clarté que vous recherchez semble être la suivante: malgré le fait que toutes ces choses soient en place, vous aimeriez savoir plus clairement si le gouvernement aime vraiment de façon générale l'idée des fusions de banques.

M. Nixon: Cela va plus loin que tout simplement aimer l'idée de fusions bancaires. C'est un petit peu injuste dans le cas d'une demande émanant du gouvernement. Je pense qu'il s'agit plutôt d'une plus grande clarté quant aux exigences que le gouvernement pense devoir imposer afin que les fusions soient acceptables, et je pense que c'est clairement là la question. Je suis d'accord avec vous lorsque vous dites que les exigences qui nous reviennent dans nos relations avec le Bureau de la concurrence et le BSIF sont des exigences que nous comprenons pleinement et qui sont à nos yeux très faisables et praticables, et elles sont d'ailleurs très semblables aux règles auxquelles sont assujetties d'autres entreprises qui veulent faire approuver des transactions ou, dans le cas d'industries réglementées, qui doivent traiter avec des organes de réglementation. Ces exigences sont très claires.

La question tourne autour des exigences ultimes liées à l'approbation du gouvernement et à l'exécution du processus d'évaluation de l'incidence pour l'intérêt public et c'est là, je pense, qu'il y a un degré d'incertitude.

Vous avez tout à fait raison en ce sens qu'il y a un processus tel que si deux institutions veulent fusionner, elles auraient la possibilité de le faire, et la loi prévoit cela.

Le défi pour les deux institutions est de prendre la bonne décision pour s'engager dans le processus et s'acquitter de leurs responsabilités financières en tant que gestionnaires, membres de conseils d'administration et ainsi de suite. Cela devient tout un défi à gérer, car vous demandez à votre organisation de s'engager dans un processus alors que vous ne savez pas quelles exigences seront imposées à l'organisation pour qu'elle réussisse. Se lancer dans un processus du genre et échouer peut porter sérieusement atteinte à une institution.

Le sénateur Kroft: Je continue de voir transparaître dans les mots que j'entends de votre bouche et de celle d'autres de l'incertitude: vous ne le dites pas explicitement, mais votre sentiment est que le seuil que vous découvrirez peut-être une fois lancés dans tout cela pourrait s'avérer être très élevé et a peut-être ses racines dans un certain scepticisme face à la viabilité de l'intérêt canadien en matière de fusions quelles qu'elles soient. Est-ce exact?

M. Nixon: Ce commentaire est juste. Si nous savions quels étaient les seuils, alors la direction pourrait prendre la décision d'affaires appropriée. Or, le résultat est le même.

Le sénateur Kroft: L'argument sur lequel vous insistez, et cela remonte à l'époque du rapport MacKay, est l'importance d'avoir des institutions nationales capables de jouer agressivement leur rôle sur les marchés mondiaux, et dans l'intérêt des institutions elles-mêmes, et dans celui des actionnaires, des clients et de la solidité de l'économie canadienne. Avec un tel résultat, il me semble que la plupart voire la totalité de l'investissement net de cette nouvelle entité serait manifestée à l'extérieur du pays. La capacité financière accrue se manifesterait dans des activités menées à l'étranger, qu'il s'agisse de participation, de financement, d'acquisitions ou autre. Est-ce bien cela?

M. Nixon: C'est le cas alors que nous sommes assis ici aujourd'hui. Si vous regardez les investissements en acquisitions nettes des institutions financières canadiennes, le gros de nos activités — en tout cas chez nous, mais c'est la même chose si vous regardez l'industrie dans son entier — serait à l'extérieur du Canada car les possibilités de croissance sont pour nous plus rapides à l'extérieur de nos frontières.

L'investissement net au Canada par suite de fusionnements serait positif; il viendrait tout simplement de sources différentes. S'il y avait regroupement du secteur des services financiers canadiens, cela offrirait aux plus petites institutions financières canadiennes, aux caisses de crédit et aux banques étrangères la possibilité de jouer un rôle plus important d'un bout à l'autre de notre secteur financier. Cet investissement net est non seulement probable, il est essentiel à la réussite en bout de ligne des fusions pour le Canada. Vous voulez non seulement faciliter la croissance et l'expansion des banques canadiennes à l'extérieur de nos frontières, mais également faciliter les possibilités pour d'autres de venir et de livrer concurrence à l'intérieur de nos frontières. Si nous pouvions atteindre ces deux objectifs, ce serait positif. Ce serait là l'un des principaux objectifs d'une autorisation de la consolidation.

Il y a dans ces discussions une tendance naturelle chez les gens de pousser les choses à l'extrême. Les banques canadiennes ne vont pas se ratatiner et mourir si des fusions n'ont pas lieu. Le secteur canadien des services financiers — et je tiens à insister là-dessus — est l'un des secteurs financiers les plus compétitifs et les plus réussis dans le monde. Il y a peu de pays dans le monde qui ont un secteur aussi sain, aussi dynamique et aussi concurrentiel que le nôtre.

En tant que secteur, réalisons-nous notre plein potentiel, toute notre capacité de croître, de nous élargir et de devenir plus présents à l'échelle internationale, et quels sont les avantages pour le Canada si, en tant que secteur, nous réussissons à l'échelle internationale dans le secteur des services financiers mieux encore que nous le faisons aujourd'hui? Si nous pouvons réaliser cela tout en maintenant un environnement concurrentiel à l'intérieur du marché canadien, alors je n'ai aucun doute qu'il y a et qu'il y aura toujours dans ce pays un environnement extrêmement compétitif. Du point de vue politique, c'est là une bonne chose pour le pays. Ce devrait être là l'un des objectifs de l'autorisation de regroupements d'un point de vue politique.

Le sénateur Kroft: Dans vos remarques, vous dites que vous envisageriez bien sûr que des banques étrangères viennent ici et jouent un rôle plus important.

M. Nixon: Absolument. Cela a été publié dans la journaux. Je ne pense pas que ce soit un secret qu'un certain nombre de banques étrangères aient dit être intéressées à acquérir des réseaux de succursales et des éléments d'infrastructure devenus redondants en cas de regroupement. À plus long terme, ce serait sain pour le pays. Ce serait un défi pour nous en tant que concurrents. En tant que secteur d'activité, nous avons les compétences voulues pour relever le défi et livrer concurrence à ces institutions. Je ne pense pas non plus que ce soit sain à long terme de garder ces autres sociétés à l'écart.

Le sénateur Angus: Votre message m'a frappé comme étant très détaillé comparativement à celui que nous avons reçu de témoins comme vous la dernière fois que la question de fusions était sur la table. Vous avez certainement présenté un point de vue que nous sommes très désireux de comprendre.

Une chose qui ressort sans cesse dans les raisons pour lesquelles la Banque royale aimerait plus de clarté, et j'imagine que les autres banques veulent la même chose, est que lorsque vous vous lancez dans un processus de convergence avec une autre banque, cela doit supposer des coûts énormes et des arrangements fort complexes. Pourriez-vous nous donner une idée des coûts potentiels? J'ai vu le montant d'argent incroyable dépensé la dernière fois par la Banque royale, la Banque de Montréal, la Banque de commerce et la Banque TD , tout cela pour rien, et qui a saigné les actionnaires. Pourriez-vous nous expliquer de quelle façon le processus est complexe et pourquoi il vous faut plus de clarté?

M. Nixon: Le processus est extrêmement complexe. Les fusions sont assorties de coûts énormes. Cependant, le plus grand coût est celui des possibilités perdues et de l'incidence sur nos employés et nos clients, qui sont assujettis à ce genre de processus sans que cela ne débouche sur quoi que ce soit de positif. C'est là quelque chose de très malsain pour le secteur. C'est l'une des raisons pour lesquelles les questions de clarté sont si importantes de notre point de vue.

Même si le stress pour l'organisation qui vit une fusion est énorme, ce sont les employés qui en souffrent le plus. À la veille d'une fusion, il y a énormément d'incertitude quant aux risques en matière de perte d'emplois, de redondance et de stratégies de l'équipe de gestion. Tout cela est déconcertant pour les employés.

Il y a de l'incertitude pour les actionnaires, ce qui constitue clairement un problème. Si vous annoncez une transaction et que vous vivez un long processus étiré et truffé de changements dans les conditions de la transaction, il est certain qu'il y a une incidence sur les actionnaires. Vous courez toujours le risque, selon le degré d'incertitude et le coût, que les actionnaires décident en bout de ligne que la fusion n'est pas dans leur intérêt. Encore une fois, je ne pense pas que ce soit dans l'intérêt à long terme ou dans l'intérêt du public de subir un tel processus. Le processus est très exigeant pour l'organisation et très coûteux, en dollars réels. Je ne me souviens plus du coût exact.

Mes collègues, qui y étaient plus directement intéressés en 1998, me disent que le coût s'est alors chiffré à environ 30 millions de dollars.

Je peux cependant assurer les honorables sénateurs que le coût pour l'organisation sur le plan possibilités manquées et incidence sur le moral est bien supérieur à tout coût monétaire. En tant qu'équipe de gestion, nous avons pour devoir de faire de notre mieux pour éviter cela.

Le sénateur Angus: Ces coûts en vrais dollars et ces autres coûts sur le plan moral des troupes que vous avez mentionnés semblent être très réels. Nous devinons qu'il serait sans doute indiscret de vous demander si vous étiez en train de négocier avec l'une des autres banques, alors je ne vais pas vous poser la question. Cependant, il s'agit d'un secteur très compétitif. Vous avez à juste titre, tout comme les porte-parole du Bureau de la concurrence, souligné que nous avons au Canada un environnement très concurrentiel. Est-il si concurrentiel que cela? Les avantages, qui d'après la description que vous donnez dans votre mémoire sont en train de prendre de l'ampleur, sont-ils si énormes que vous seriez prêts à prendre le risque?

M. Nixon: Absolument. Ce que chacun doit comprendre et apprivoiser, et je songe ici tout particulièrement au public canadien, est que chaque décision comporte ses risques ou ses récompenses. En bout de ligne, la décision à prendre est celle de savoir si le risque vaut la récompense possible. Nous pensons que ce risque en vaut la peine, si l'occasion nous est donnée de le prendre.

L'autre défi auquel nous nous trouvons confrontés est le suivant: si nous ne sommes pas prêts à prendre ce risque, alors à quoi ressemblera notre secteur dans cinq ou dix ans, alors que le monde aura continué de croître et de se développer autour de nous? Il s'agit là d'une question que nous devons examiner dans le contexte des politiques. Nous avons la capacité de protéger notre secteur des services financiers grâce à la réglementation et à la législation, mais cela est-il forcément plus sain à long terme, ou bien ne serait-il pas préférable de bien asseoir nos industries et de bâtir sur les forces que nous avons en tant que secteur pour être des concurrents à l'échelle mondiale? C'est là le risque qui vaut la peine d'être pris. Je n'ai aucun doute qu'en tant que secteur d'activité nous avons la capacité de réaliser notre potentiel car nous avons un secteur fort. Si vous regardez un petit peu partout dans le monde d'aujourd'hui et si vous regardez nos industries et nos sociétés de services financiers, l'histoire est positive. Il s'agit là de quelque chose que nous sommes en mesure de mettre à profit.

Le sénateur Angus: La déclaration que vous venez de faire pourrait bien revenir vous hanter. Lors de notre modeste participation au débat la dernière fois, MM. Cleghorn et Barrett en particulier nous ont dit, au sujet de la fusion de la Banque de Montréal et de la Banque royale du Canada, qu'il fallait que cela se fasse, que c'était urgent et qu'il y avait des coûts énormes sur les plans technologie et investissement; en d'autres termes, s'ils ne se lançaient pas tout de suite dans le jeu ils allaient connaître de graves difficultés et passer d'un classement parmi les 20 premières banques aux deux-centième rang.

Or, nous voici ici aujourd'hui, et il s'est écoulé pas mal de temps depuis. Vous affirmez que votre secteur est très fort. Nous entendons dire de tous côtés que le système bancaire canadien est unique, très bon et qu'il ne faut pas y toucher à moins qu'il y ait un risque ou une récompense évidente. Quatre années se sont écoulées, la Banque royale se porte à merveille et le Canada fait affaire dans le village planétaire.

M. Nixon: Cela ne veut cependant pas dire que nous avons réalisé notre potentiel. Si vous remontez à l'année 1998 — et l'on ne saura jamais — si les fusions avaient eu lieu et si l'on avait poursuivi une stratégie en vue de continuer d'investir et de croître de façon plus agressive aux États-Unis, ce qui était clairement la stratégie de la Banque royale et de la Banque de Montréal à l'époque, c'est-à-dire réaliser une plus grande capitalisation et investir dans le secteur américain de services bancaires aux particuliers et aux entreprises, nous aurions peut-être aujourd'hui une institution financière qui aurait non seulement réussi mais qui aurait sensiblement mieux réussi et qui jouirait d'un bien plus grand leadership international en tant qu'organisation de services financiers. Si vous regardez les 20 plus importantes sociétés de services financiers dans le monde d'aujourd'hui, vous constaterez que nombre d'entre elles ont vécu des regroupements et des fusionnements sur leur marché national. Beaucoup de banques ont pris de l'ampleur au cours des trois ou quatre dernières années par le biais de consolidations, de fusions et d'acquisitions. Il serait très sain pour le pays d'avoir des institutions financières parmi ce groupe, mais ce n'est pas le cas.

C'est pourquoi il faut dans ce débat se méfier de tomber dans les extrêmes. Notre secteur ne dépérirait pas s'il y avait regroupement. Cependant, si nous facilitions le regroupement et maintenions dans ce pays un environnement concurrentiel, alors nous aurions peut-être la capacité de créer des entreprises qui prendraient de l'ampleur et qui seraient plus concurrentielles à l'échelle internationale. Si nous pouvions faire cela, il y aurait des retombées pour le pays. Nous voulons dans ce pays des entreprises qui soient importantes, internationales et mondiales, avec leur siège social dans le pays. C'est une question de potentiel.

Le sénateur Setlakwe: Votre exposé a été très clair pour moi. J'espère que nos conclusions seront tout aussi claires pour vous.

Vous avez répondu à certaines des questions que je me pose en répondant aux questions des sénateurs Kroft et Angus. Cependant, si j'ai bien compris, une capitalisation accrue vous rendrait plus concurrentiels à l'échelle mondiale. Lorsque vous avez dit cela, je réfléchissais au fait qu'il y a quelques années les banques japonaises comptaient parmi les dix plus grosses banques au monde. Si vous les regardez aujourd'hui, je pense que vous conviendrez qu'en dépit de ce qui s'est passé dans l'économie japonaise relativement aux prêts hypothécaires consentis par les banques, ce n'est plus le cas aujourd'hui. J'aimerais donc connaître votre opinion quant à l'importance de la taille dans les fusions bancaires.

À un moment donné, j'ai entendu l'un de vos collègues dire que l'objet de sa mission était de garantir aux parties prenantes un rendement sur l'investissement de 18 p. 100 à 20 p. 100. Il a poursuivi en disant que ses sociétés clientes, et je suppose qu'il voulait parler de ses meilleures sociétés clientes, donnaient à sa banque un rendement de 9 p. 100. Cela m'amène à mon autre question. Dans ce contexte, les banques sont-elles intéressées aux services de détail pour les PME et les particuliers? Je sais que vous avez bien défendu votre dossier dans votre mémoire, mais d'aucuns craignent que votre participation dans une organisation nationale finisse par avoir une incidence sur les PME et les petits emprunteurs dans l'économie canadienne.

M. Nixon: Je vais commencer par répondre à la question sur la situation japonaise. Il me faut être très prudent en parlant du secteur de services financiers de ce pays, car il a vécu de nombreuses années de défis et de restructurations. Le problème auquel se sont trouvées confrontées les banques japonaises était largement dû au fait qu'elles élargissaient agressivement leur bilan au lieu de croître au moyen d'acquisitions ou de fusions. Si vous regardez les 20 plus grosses institutions financières de 1998 comparativement à aujourd'hui, il y a eu tout un déplacement. À l'époque, les banques japonaises étaient classées selon l'importance de leurs avoirs.

Les banques qui affichent de bons résultats aujourd'hui sont celles qui ont tendance à se consolider et à offrir une gamme de services financiers plus diversifiée, au lieu de se consacrer tout simplement au consentement en masse de prêts, ce qui a apporté aux banques japonaises des défis et des problèmes. Les banques qui ont tendance à se classer dans la tranche supérieure ont tiré profit des consolidations pour bâtir leurs entreprises — services aux PME et aux particuliers, comme la Bank of America, Wells Fargo, Royal Bank of Scotland et la Halifax Bank of Scotland. Voilà quelles sont aujourd'hui les banques qui se classent dans cette tranche supérieure, parce qu'elles ont tiré profit de regroupements.

Notre stratégie en tant qu'organisation a été d'essayer de tirer un maximum de notre investissement, non pas du côté prêts en masse de l'équation, mais du côté services aux particuliers et aux PME. Nous nous sommes élargis aux États- Unis et la quasi-totalité de nos investissements ont été consentis dans des activités axées sur les consommateurs et les petites et moyennes entreprises. Il y a la RBC Centura Bank, que nous avons achetée dans le Sud-Est des États-Unis, et qui est une banque pour particuliers et petites entreprises, la RBC Dain Rauscher Inc., qui est un service de gestion de richesse de détail, et la Liberty Insurance, qui sert les consommateurs. Voilà la stratégie que nous avons poursuivie.

L'un de nos défis en ce qui concerne cet argument au sujet du potentiel et de l'échelle, a été la taille de notre organisation. Notre capacité de croître plus rapidement est jusqu'à un certain point déterminée par le fait que nous sommes petits, selon les normes internationales. Au fur et à mesure que nous pénétrons ces marchés, il est plus difficile pour nous de faire des acquisitions et de croître d'une façon qui ne porte pas atteinte à la base de notre organisation et au rendement pour nos actionnaires. Ainsi, nous devons sans cesse jongler en vue de réaliser un équilibre entre la croissance, l'investissement et la protection de la valeur de nos actionnaires. Il nous faut bouger lentement et de façon conservatrice, et il nous est impossible de participer à un niveau regroupement du simple fait que nous soyons petits.

L'on peut regarder la situation des banques japonaises, des banques régionales américaines et de certaines des banques britanniques pour voir un tableau différent côté réussite et croissance. Aujourd'hui, cinq banques britanniques figurent parmi les 20 plus grosses institutions financières au monde. Ces banques ont eu tendance à prendre de l'ampleur sans consentir d'importants investissements en masse, si vous voulez, ou d'investissements dans leur bilan au fur et à mesure de leur croissance. Il vous faut vraiment regarder le mélange.

Il s'agit en fait en bout de ligne d'une question d'exécution. Au fur et à mesure du regroupement, les institutions peuvent faire une mauvaise exécution et finir par nuire à leurs actionnaires. Il y a des exemples de cela dans le marché. Cependant, il y a également de nombreux exemples d'institutions qui ont en fait créé de la valeur pour leurs actionnaires.

Malheureusement, une politique ne peut pas dicter cela — si les entreprises réussiront ou non sur le plan exécution. Il est clair qu'il nous faut avoir une politique qui nous permette de gérer cela au maximum du point de vue risque.

Particuliers et petites entreprises représentent plus de 50 p. 100 de notre activité au Canada. Ils sont clairement notre principale priorité en tant qu'organisation et institution. Nous continuons d'investir dans ces secteurs, et notamment dans celui de la technologie, ce pour offrir des ensembles intégrés afin d'assurer à nos clients une valeur et un service meilleurs. Il est clair que nous nous efforçons d'augmenter notre volet petites et moyennes entreprises dans ce pays. Nous aimerions qu'il se développe plus rapidement, mais je peux vous assurer qu'il s'agit d'un marché extrêmement concurrentiel. Plus de 50 p. 100 de la petite entreprise est desservie par des fournisseurs autres que les grosses banques, et il y a dans ce secteur énormément de concurrence agressive. J'aimerais beaucoup que nous puissions augmenter notre part de marché dans ce secteur car il s'agit clairement d'une grande priorité pour notre organisation.

Le sénateur Kelleher: On nous a dit qu'il est question d'un projet de fusion entre la Banque de Nouvelle-Écosse, BNS, et la Banque de Montréal, BOM. On nous rapporte également que le premier ministre a annulé ce projet de fusionnement. Nous n'en avons pas la certitude car aucun fonctionnaire n'a accepté de venir comparaître devant le comité pour tirer cela au clair pour nous.

Cela étant dit, lorsque des représentants du ministère des Finances et du Bureau de la concurrence sont venus nous rencontrer ce matin, je leur ai posé la question précise que voici: savez-vous quelque chose là-dessus? Ils ont tous deux répondu que non. Je leur ai ensuite demandé si quelqu'un avait cherché à obtenir des conseils sur ces questions auprès d'eux et, encore une fois, ils ont tous deux répondu par la négative.

Ma première question pour vous est la suivante: Vous a-t-on demandé votre avis? Je sais que vous n'avez pas figuré dans les rumeurs au sujet de fusions, mais vous a-t-on demandé quelque conseil que ce soit là-dessus?

M. Nixon: Je peux honnêtement répondre que non. J'aurais bien aimé que quelqu'un me demande conseil. Cependant, pour être franc, j'étais au Royaume-Uni lorsque la nouvelle est sortie, et le sénateur Kolber m'a appelé pour me demander de comparaître devant le comité. Il se trouve que je rencontrais Matthew Barrett le jour où la nouvelle est sortie.

Le sénateur Kelleher: Cela a dû faire un peu déjà vu pour lui. De toute façon, vous m'avez donné la même réponse que celle que j'ai entendue de la bouche des autres témoins plus tôt dans la journée. J'aimerais donc vous poser une question supplémentaire: savez-vous s'il a bel et bien été question de fusion et si le premier ministre a annulé la chose? Avez-vous entendu des rumeurs ou des idées quant aux critères qui auraient été invoqués pour annuler cela?

M. Nixon: Bien franchement, non. Si mon collègue, qui va me suivre aujourd'hui, se fait poser la même question, je serais intéressé d'entendre sa réponse.

Le sénateur Kelleher: C'est une répétition pour lui.

M. Nixon: Je ne peux jeter aucune lumière sur les discussions qui ont eu lieu sur la façon dont les choses se sont déroulées.

Nous avons, au cours de la dernière année, reçu des signaux contradictoires de différents intervenants à Ottawa. Cela témoigne tout simplement de l'incertitude dans laquelle nous avons dû fonctionner. Différentes personnes auront des opinions différentes quant à savoir si les fusions sont acceptables ou inacceptables aux yeux du gouvernement. Je ne peux franchement jeter aucune lumière sur ce qui s'est passé.

Le sénateur Kelleher: Étant donné vos réponses et celles que j'ai reçues plus tôt ainsi que la discussion au sujet du désir d'obtenir plus de clarté, il nous faut examiner le processus des fusions dans son entier. Personne ne semble suivre le processus du côté du gouvernement. Qu'en dites-vous? C'est une question un peu méchante, mais je vous la pose malgré tout.

M. Nixon: Jusqu'à un certain point, la qualité se révèle à l'usage. Les institutions comptent des personnes qui pensent que le regroupement est une stratégie viable. Nous avons vécu une période au cours de laquelle il n'y a pas eu de regroupement. Clairement, il y a dans l'esprit de ces personnes suffisamment d'incertitude quant à la viabilité du processus en place, et les gens ont choisi de ne pas bouger. La situation est aujourd'hui telle que deux institutions ont tenté d'avancer et quelqu'un a appuyé sur les freins. Je ne peux pas dire si c'est une bonne chose, mais il est important pour notre industrie et pour le public canadien d'avoir un ensemble de critères et un processus qui permettent aux gens de prendre des décisions dans un contexte plus transparent.

Il nous faut cette transparence car nos actionnaires et nos employés la méritent. De bonnes décisions d'affaires ne pourront être prises que s'il y a plus de transparence et moins d'incertitude dans le processus. Si nous débouchions là- dessus, alors les organisations seraient mieux en mesure de cerner les intérêts de leurs éléments constitutifs.

Le sénateur Tkachuk: Pensez-vous que dans le climat politique actuel il soit possible qu'une fusion soit réalisée d'ici novembre 2004?

M. Nixon: Cela est toujours une possibilité. Je dirais qu'il y a sans doute 50 p. 100 de chances qu'il y ait une fusion, ce qui ne fait que souligner l'incertitude qui a été évoquée. Franchement, je ne sais pas. C'est très difficile à dire. Je dirais qu'il y a au mieux 50 p. 100 de chances que cela se fasse.

Le sénateur Tkachuk: C'est là le problème.

Le sénateur Kelleher: Vous n'accorderiez pas un prêt sur une telle base?

M. Nixon: Si nous le faisions, nous finirions sans doute par en payer le prix plus tard.

Le président: Merci.

Le témoin suivant est Peter Godsoe, qui est président et chef de la direction de la Banque Scotia.

Allez-y, je vous prie.

M. Peter Godsoe, président et chef de la direction, Banque Scotia: Avec mon groupe de pairs, permettez-moi de dire tout d'abord que c'est un plaisir pour moi d'être ici aujourd'hui. Je vous félicite de mettre à exécution la lettre du ministre et de vous intéresser à l'aspect intérêt public.

Au risque de répéter une évidence, vu la confusion qui entoure parfois ce que nous nous efforçons réellement de faire, je tiens à déclarer que les fusions bancaires constituent une stratégie d'affaires valide qui a été acceptée par le gouvernement en vertu du projet de loi C-8. En d'autres mots, nous avons instauré une politique publique qui permet explicitement les fusions, sous réserve que le processus d'examen formel soit respecté.

Suite à un processus d'intenses consultations publiques mené par le Groupe de travail MacKay en 1998, celui-ci a produit un rapport réfléchi. À sa relecture, j'ai constaté qu'il était clair quant à ce que l'évaluation de l'incidence pour l'intérêt public devrait couvrir. Le projet de loi a été adopté en 2001.

Plus récemment, comme l'ont déclaré aussi bien le premier ministre que le ministre Manley, le mot «clarification» a souvent été employé. Si ces réunions de comité aideront à clarifier cette troisième étape, alors nous aurons plus de certitude et de transparence. Certes, le secteur souhaiterait obtenir cette certitude et cette transparence pour ensuite pouvoir prendre les décisions qui s'imposent.

Notre espoir est que cela soit par ailleurs très prévisible — même si, pour être juste, en Europe, aux États-Unis ou ailleurs, les fusions ne sont pas entièrement prévisibles.

Nous aimerions sortir la question des fusions du contexte d'un concours de popularité politique. Nous reconnaissons que les banques ne jouissent pas d'un amour universel. Voltaire a dit: «Si tu prêtes de l'argent à un homme, tu as un ennemi secret. Si tu ne lui prêtes pas d'argent, tu as un ennemi ouvert». Plus ça change et plus c'est pareil.

Au lieu de revoir les questions générales d'intérêt public déjà acceptées, comme par exemple l'emplacement du siège social, la création d'emplois, la nécessité de centres financiers pour croître et évoluer, le capital intellectuel, le retour des meilleurs et des plus doués, et la mondialisation, questions qui ont été soupesées et épluchées par le Groupe de travail MacKay, j'aimerais traiter — reconnaissant que Gord Nixon a lui aussi abordé ces quatre questions qui vous ont été posées à vous ainsi qu'au comité ici réuni et à Sue Barnes et au comité de la Chambre — des questions d'accès, de choix, de croissance à long terme et de transition. Nous pourrions ensuite passer à la période des questions.

Premièrement, l'accès est une préoccupation légitime dans toutes les régions du pays, avec ou sans fusions. Les comptes à prix abordable, les succursales en zone rurale et le mode de fonctionnement pour la fermeture de succursales, les périodes de préavis officielles, les consultations avec les communautés, l'accès pour les personnes handicapées, le service pour les personnes du troisième âge et l'utilisation de nouvelles technologies sont autant de questions légitimes, avec ou sans fusions.

En matière de fusions, les problèmes peuvent être facilement réglés grâce à des initiatives et engagements en cas de lacunes en vue de la protection de l'intérêt public. L'on peut maintenir ouvertes, au besoin, des succursales en zone rurale lorsque cela est dans l'intérêt de la viabilité économique de la collectivité. L'accès à des GAB pourrait être offert.

Toutes les banques ont des comptes de dépôt de détail à faible coût pour les démunis, catégorie qui a été créée en l'an 2000. Nous avons récemment renouvelé nos comptes de ce type dans le cadre d'un engagement que nous avons fait au gouvernement le mois dernier.

Nous avons beaucoup de chance au Canada d'avoir pu échapper au grave problème d'accès que connaissent les centre-ville des grandes villes d'une partie importante des États-Unis. Quiconque d'entre nous a vécu aux États-Unis a été exposé à cela. J'ai vécu dans deux villes différentes. Nous n'avons pas besoin d'un régime de réinvestissement communautaire. Là n'est pas notre problème. Il y a d'autres problèmes sur lesquels nous pouvons nous pencher.

Il est légitime de prendre en compte les questions d'accessibilité. Peuvent-elles être résolues? Oui. À mon sens, ces questions continueront de se poser, avec ou sans fusions.

La deuxième question concerne les choix. J'ai, dans mon propre esprit, fait une ventilation selon les choix pour les grosses sociétés, les choix pour les consommateurs et les choix pour les petites et moyennes entreprises. Chose plutôt intéressante, du côté des grandes entreprises, nous assistons actuellement à une baisse des liquidités dans les marchés, pas tant au Canada, mais particulièrement aux États-Unis, où il y a de grosses banques, surtout dans les domaines de l'énergie et des télécommunications. Ces préoccupations sont bien réelles. Ce n'est pas une préoccupation ou un problème de fusion. La réalité est que les banques canadiennes sont déjà trop petites pour desservir ces marchés comme chefs de file. Ce n'est pas une question d'échelle, c'est tout simplement un constat.

Toutes les grosses sociétés au Canada ou ailleurs, que ce soit en Europe, aux États-Unis, voire même au Japon, sont desservies par des géants mondiaux, des banques commerciales, des banques d'investissement, parce qu'il leur faut — c'est une nécessité — accéder aux marchés mondiaux, aux marchés américains, pour des obligations, des dettes convertibles, et cetera. Les banques canadiennes ne sont pas un facteur déterminant pour l'entreprise privée.

Passant maintenant aux consommateurs, il y a déjà des questions de choix et de concentration d'envergure qui seront et qui devront être traitées dans le cadre de l'examen par le Bureau de la concurrence. Plus particulièrement, si l'on se penche sur le volet dépôts et investissements, prenez n'importe quel quotidien et regardez les encarts spécialisés, et vous y verrez la prolifération de choix qui existe. Il y a de nombreuses options en matière de CPG, de fonds mutuels et de comptes d'épargne divers à taux élevé. Sous réserve des préoccupations en matière de concentration du Bureau de la concurrence, je ne pense pas qu'il s'agisse là aujourd'hui d'un facteur important dans le contexte d'une fusion bancaire.

Même chose pour le crédit aux particuliers. Les Canadiens disposent de beaucoup de choix dans le domaine des prêts hypothécaires. Un changement d'importance survenu depuis 1998 est que les courtiers en prêts hypothécaires détiennent aujourd'hui une part de marché d'environ 25 p. 100. Je ne parle pas ici des banques mais bien des courtiers indépendants en hypothèques, qui sont passés de zéro à 25 p. 100. Il s'opère des changements. Il y a beaucoup de choix pour les gens qui cherchent de l'argent pour du logement. Prenez les prêts personnels chez HSBC, qui est un bon concurrent. Maintenant que cette banque possède Household Finance, ce sera un concurrent encore plus résistant. President's Choice est aussi en train de monter. Il y a beaucoup de concurrence avec les cartes de crédit. C'est le cas ici depuis 50 ans.

En définitive, l'accès se résume à une seule question , comme le soulignait la lettre des ministres, à savoir le choix et la disponibilité de fonds pour les petites et moyennes entreprises.

Encore une fois, la meilleure ligne de défense demeure l'examen du Bureau de la concurrence, pour s'assurer qu'il y ait prolifération et non pas concentration. Il s'agit d'une solution éprouvée et adoptée par d'autres secteurs au Canada et sur laquelle comptent d'autres pays confrontés au même problème, que ce soit le Royaume-Uni ou les États-Unis.

Nous savons néanmoins tous que ce secteur est responsable d'emplois — 60 p. 100 de tous les Canadiens — et de croissance. Je sais que les honorables sénateurs vont entendre plus tard aujourd'hui des représentants de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante. Je respecte beaucoup cette fédération, Brien Gray, Catherine Swift et Garth Whyte. Nous les consultons régulièrement. Ils auront leurs opinions. Plus de concurrence, c'est préférable de leur point de vue, ce qui est normal.

Enchaînant sur le RBC Financial Group, je peux vous assurer que chez Scotiabank, nous sommes totalement déterminés à continuer à augmenter ce secteur, à faire plus, à multiplier nos prêts et à sortir un nouveau produit. Nous avons une filiale appelée RoyNat, une des banques de capital de risque prééminentes dans ce domaine. Elle compte 1 300 clients et un portefeuille de 2 milliards de dollars, dont 200 millions en capital-risque. Nous faisons cela non pas parce que nous sommes philanthropes, mais bien parce qu'il s'agit d'un secteur profitable et loyal. C'est un bon secteur pour un banquier.

Au-delà de cet engagement, lequel, en toute justice, s'étend à toute l'industrie bancaire, si un vide sur le marché existe, je pense que c'est là que pourrait intervenir une politique d'intérêt public proactive axée sur la recherche de solutions auprès de partisans de fusions et d'autres. Le Bureau de la concurrence et le ministre sont bien placés pour négocier ces genres de choses.

Parlons transition maintenant, et notamment du traitement des employés. Les fusions, en ce qui me concerne, ne sont pas et ne doivent pas être synonymes de pertes d'emplois massives. Je ne serais pas ici aujourd'hui si ce devait être le cas. Ce n'est pas du bon commerce. À la Banque Scotia, nous gérons nos activités pour nos commettants, un terme un peu dépassé, mais nous croyons que des clients satisfaits dépendent d'employés satisfaits. Il est difficile pour moi de croire que si vous allez mal vous allez donner du bon service. Cela ne peut pas fonctionner. Il nous faut avoir cette motivation pour satisfaire nos actionnaires et être des participants importants à nos communautés. Nous savons que des employés loyaux, très qualifiés, formés et motivés sont absolument essentiels à la satisfaction de notre clientèle. Et nous ne pouvons réussir que si notre clientèle est satisfaite.

À la Banque Scotia, 86 p. 100 du personnel, partout au pays, pensent que leur succursale est le meilleur endroit où travailler, ce qui est un pourcentage très élevé. Ils pensent également que la loyauté est réciproque, ce qui veut dire qu'on ne fait pas des mises à pied massives, avec ou sans fusion.

Il nous faut également comprendre que les fusions ne sont pas choses faciles. Elles sont difficiles. J'ai dit au personnel qu'une fusion de grosses banques dans ce pays équivaudrait à au moins trois années d'enfer. Il faut compter environ trois ans avant d'en arriver à l'étape des enseignes pour la succursale, des baux et des choses qu'il faut faire lorsqu'on fusionne des succursales. C'est un long processus. Soixante-quinze pour cent des fusions, partout en Europe et en Amérique du Nord, n'ont pas réussi à cause de problèmes d'exécution, de différends culturels, de précipitation et de mises à pied. Ce n'est pas bon pour les affaires.

Si la Banque Scotia devait participer à une fusion avec une autre banque, nous procéderions à la mise en oeuvre et à l'exécution de manière très prudente, lente et mesurée. Comme je le disais, l'intégration de succursales demande environ trois ans. L'intégration des systèmes demande quant à elle entre deux ans et deux ans et demi à achever. Ce ne sont pas des tâches faciles à réaliser.

Bien sûr, il y aurait des chevauchements de postes. Il est clair, monsieur le président, qu'il n'y aurait pas lieu d'avoir deux présidents de banque. Il n'y aurait pas non plus lieu d'avoir deux COF. Il y aurait donc une certaine rationalisation aux sièges sociaux. Au niveau de l'exploitation et des succursales, ce serait un voyage de deux à quatre ans pour les employés. Il y a dans le système beaucoup d'attrition.

À la Banque Scotia uniquement, nous avons un taux de roulement annuel de 3 500, principalement dans ces secteurs. Cela est beaucoup trop élevé, mais témoigne de la mobilité de la main-d'oeuvre d'aujourd'hui, et ce serait là le moyen de résoudre le problème.

De façon générale, le secteur financier a prouvé qu'il peut faire face à ces problèmes et défis du point de vue de l'incidence sur l'intérêt public. La fusion Toronto Dominion-Canada Trust a été à toutes fins pratiques une fusion de grosses banques. Notre acquisition de Montréal Trust et du Trust national et la fusion Clarica/SunLife — dans les deux cas, les questions d'intérêt public ont été effectivement prises en considération.

De la même façon, il y a eu des rationalisations de succursales au Canada au cours des quatre ou cinq dernières années. Les quatre dernières années ont vu la Banque Scotia réduire son réseau d'environ 300 succursales, contrecoup de la fusion de National Trust et de la façon dont nous rationalisons les petites succursales pour les fondre à des plus grosses. Soit dit en passant, les régions rurales ont été peu touchées. L'incidence sur les employés a été presque imperceptible. Si vous en discutiez avec des employés de la Banque Scotia, vous apprendriez que cela a été fait presque entièrement au moyen de l'attrition et du taux de roulement normal, et également grâce à notre croissance rapide dans le domaine des services électroniques, par exemple service téléphonique et commerce électronique.

J'aimerais maintenant passer à la question de la lettre des ministres sur la compétitivité internationale et les perspectives de croissance à long terme. Le côté positif du débat revient d'une certaine façon à demander: «Pourquoi fusionner si cela va être si difficile et si impopulaire sur le plan politique?»

Au Canada, on ne fusionne certainement pas à des fins de croissance. Nous sommes déjà assez gros aujourd'hui sur nos marchés nationaux pour pouvoir livrer une concurrence très efficace aux concurrents nouveaux, anciens et étrangers ainsi qu'entre nous. Nous en donnons la preuve jour après jour. L'on ne fusionne pas pour faire des économies sur le plan coûts. Il y a certains avantages côté coûts mais, comme je l'ai déjà dit, les études successives ont montré que les fusions qui réussissent sont des fusions axées sur une vision de croissance, une vision d'avenir, mettant le bon avec le bon et poussant vos employés à mettre au point des sources de revenu et des produits. Wells Fargo et Norwest, Royal Bank of Scotland et NatWest et, plus récemment, First Union et Wachovia — nous avons étudié toutes ces fusions. Elles ont toutes visé la croissance et non pas la réduction des coûts. Les clés de la réussite de ces fusionnements ont été la continuité avec les employés et l'adhésion de ceux-ci aux objectifs, la focalisation sur la clientèle et la satisfaction de la clientèle. C'est tout simplement une question de bonnes affaires, et non pas d'automatisme.

L'on ne fusionne pas vraiment pour des gains d'échelle technologique; pour du capital intellectuel peut-être, en réunissant des personnes de plus en plus douées, mais pas pour des questions d'échelle. Nous sommes déjà assez gros pour investir et croître au Canada. Pour ce qui est de la technologie, nous montons très vite sur la courbe de la sous- traitance. Cela fait partie de tout ce que vous faites. Nous avons une entente d'environ 1 milliard de dollars avec IBM pour toutes nos données. Nous réduisons un peu nos coûts, mais ce qui est plus important c'est qu'avec la sous- traitance, tous les gens ont été envoyés ailleurs. Aucun emploi n'a été perdu. Il se trouve qu'ils font cela plus efficacement que nous, et nous bénéficions de leur courbe technologique à la hausse sans avoir à nous en occuper nous- mêmes. Même chose pour l'imagerie, et la tendance va se maintenir. À mon avis, vous ne fusionnez que pour une seule raison. Il y a une raison primordiale qui peut être donnée au peuple canadien: c'est l'échelle d'ensemble de notre assise financière.

Pourquoi faut-il être grand? Pour s'accroître et élargir son marché plus rapidement à l'extérieur du Canada. Nous tous générons déjà du capital excédentaire, ce qui nous oblige à sortir et à chercher à faire des acquisitions. Dans le cas de la Banque Scotia, il s'agit de regarder du côté des États-Unis, de croître plus rapidement au Mexique, dans les Antilles, en Amérique latine et dans certaines régions d'Asie. Pouvons-nous faire cela sans fusionner? La réponse est oui. La Banque royale en est la preuve, comme d'autres, sans oublier la Banque Scotia. Cependant, pour pouvoir acheter aux États-Unis et être concurrentiel sur ce très important marché avec lequel nous partageons un continent, il est de loin préférable de fusionner, ce qui permet d'être plus agressif, car avec une taille plus importante l'on aurait une incidence beaucoup plus forte.

J'aimerais dire, entre parenthèses, que nous savons déjà que la HSBC a pour stratégie d'être la banque de l'ALENA. Elle partage peut-être cela avec Citibank, mais elle ne regarde certainement pas du côté des Canadiens pour offrir à partir du Canada un service sans couture, en passant par les États-Unis et le Mexique. Cela éveille quelque peu nos instincts compétitifs.

Comme vous le savez, l'on ne parle pas ici de ce qui est bon pour la Banque Scotia et les autres institutions canadiennes. La question fondamentale qui est posée est celle de savoir ce qui est dans l'intérêt du Canada et des institutions canadiennes. C'est leur force et leur capacité d'être concurrentiels sur des marchés mondiaux, sans protection, ajouterais-je, et sans un avantage coûts pour les Canadiens, à condition que l'accès à la concurrence se fasse comme il se doit. Nos banques sont des concurrents internationaux qui ont fait leurs preuves. La Banque Scotia a été à Kingston, en Jamaïque, avant d'être à Toronto. D'autres étaient en Californie dans les années 60. Nous livrons concurrence, encore une fois sans aide, partout dans le monde, contre des géants plusieurs fois notre taille, côté capitalisation. Nous réussissons bien. Cet avantage comparatif sur le plan de la taille permet aux autres de faire des acquisitions, de s'agrandir et de croître beaucoup plus vite que nous. Néanmoins, nous gagnons environ 40 p. 100 de notre argent à l'extérieur du Canada. Dans une année normale, nous gagnons 750 millions de dollars à l'extérieur du Canada, principalement pour des services de détail. C'est beaucoup d'argent pour nos actionnaires, dont 95 p. 100 sont des Canadiens. C'est de l'argent qui revient ici et qui vient enrichir des actionnaires Canadiens.

Je pense donc que l'on peut arguer que des banques internationales en bonne santé sont avantageuses pour le Canada, créeront de la richesse pour le Canadien moyen, lui bénéficieront directement ou indirectement, étant donné que 50 p. 100 des actionnaires sont des actionnaires indirects, par le biais de fonds mutuels et de fonds de pension, et offriront des emplois à nos éléments les meilleurs et les plus doués. Nombre d'entre nous revenons des États-Unis, car l'intérêt et le défi de travailler dans nos banques sont aussi bons que n'importe où dans le monde. Les possibilités d'avancement sont bonnes, même pour monter jusqu'en haut. Le Canada est un endroit merveilleux où travailler et il présente des avantages à nos banques qui sont ainsi mieux en mesure de croître à l'intérieur de l'ALENA et à l'échelle internationale.

Devrions-nous donner suite au rapport MacKay de 1998 ou au projet de loi C-8 de 2001? Je pense que oui. Les banques qui ont acquis l'expérience et qui possèdent la détermination nécessaire devraient être autorisées à croître et à livrer concurrence à l'échelle internationale ainsi qu'en Amérique du Nord. Les fusions sont une option en ce sens, mais non la seule. Nous entrevoyons certainement la consolidation du secteur financier à l'échelle de l'Europe et aux États- Unis. Le Canada ne devrait pas s'entourer de frontières artificielles et s'isoler. C'est une politique qui fonctionne rarement à long terme. À bien des égards, sauf dans le cas de nos institutions culturelles, le protectionnisme est contraire à notre dynamisme fondamental en tant que pays. La plupart de nos industries sont ouvertes, allant de l'exploitation pétrolière et gazière au secteur manufacturier. Ce n'est peut-être pas encore le cas des chemins de fer, mais Paul Tellier va s'occuper de cela. Pourquoi les banques ne devraient-elles pas être plus ouvertes alors que l'on tend vers une élimination des barrières et l'accroissement du commerce? Pour ce faire, il nous faut quelque peu clarifier le processus d'examen.

En conclusion, monsieur le président, le Canada dispose désormais de la bonne politique gouvernementale et des bons processus pour les fusions bancaires. Le Groupe de travail McKay, qui a produit un rapport très réfléchi après consultation et près de deux années de travail, a veillé à cela. Si vous relisez le rapport, vous verrez que les points qu'il couvre ressemblent fort à ce qui a été exposé au comité dans la lettre. Les examens du Bureau de la concurrence et du BSIF sont très clairs à nous tous dans l'industrie. Nous savons à quoi nous attendre. Nous appuyons pleinement la clarification de l'examen de l'intérêt public, afin que l'accès aux services et leur diversité soient maintenus et que les questions liées à la période de transition soient réglées, ce dont je suis confiant.

Le sénateur Angus: Nous avons le bonheur d'avoir comme conseiller Eric Reguly, du Globe and Mail. Je suis certain que vous avez lu ses articles. J'aimerais vous rappeler que je viens de la «Belle province de Québec». Au Québec, nous avons une vieille expression que je trouve souvent utile dans la vie et qui est la suivante: «Seuls les idiots ne changent jamais d'avis». Nous savons que vous n'êtes pas un idiot, monsieur Godsoe. D'après ce que l'on lit dans la presse, ce que l'on fait beaucoup dans cette ville, il semble que vous ayez changé d'avis. Je ne vais pas vous faire subir un contre- interrogatoire pour passer en revue, ligne par ligne, la transcription de votre témoignage la dernière fois, même si M. Reguly a esquissé deux ou trois questions évidentes que nous pourrions vous poser.

La sagesse conventionnelle à l'époque voulait que, parce que vous êtes un homme d'affaires futé — vous n'êtes pas le PDG de la Banque Scotia pour rien — vous vous soyez fait coiffer sur le poteau. Les autres gars ont pris de l'avance sur vous dans un domaine qui, vous le reconnaissez et tous les autres le confirment, est très concurrentiel.

Maintenant, c'est vous qui êtes en tête. J'ignore si vous vous êtes promené dans la neige avec le sénateur Kirby ou avec quelqu'un d'autre d'ailleurs, mais vous avez changé d'avis, monsieur. Est-ce bien le cas?

M. Godsoe: Il y a beaucoup de spéculation dans votre question, et étant donné que vous avez résumé le tout en disant que je ne suis pas idiot et que j'ai donc changé d'avis, je préfère m'en tenir à cela. Il y a également ici une petite histoire.

En 1996, les PDG — et je suis le seul qui soit assez vieux pour avoir été à cette réunion, ce qui vous donne une idée du temps que nous avons consacré à cela — ont demandé au ministre des Finances d'alors, M. Martin, un examen du secteur des services financiers. Vous vous souviendrez que nous n'étions pas populaires. Nous avions eu les frais de services sous Blenkarn, les examens du Livre rouge et plusieurs autres choses. C'est ainsi que nous avons demandé un examen réfléchi, un peu dans le genre de ce qu'il y avait eu avec Gibson, établissant le secteur bancaire. C'est ainsi qu'est né le Groupe de travail MacKay à la fin de l'année 1996, et ce groupe de travail était censé définir ce que nous pouvions et ne pouvions pas faire, y compris les fusions. Ce groupe a depuis produit son rapport. En 1998, il n'y avait absolument aucun processus. C'était un territoire tout à fait inexploré.

Aujourd'hui, c'est très clair, bien qu'il y ait encore un petit peu de gris quant à la volonté qui est là, et je pense que Gord Nixon a très bien expliqué cela. Lorsque vous êtes incertain, vous ne bougez pas. Cependant, avec ceci, nous avons une loi ferme; nous avons un processus ferme. Nous pouvons fusionner. Je pense que cela a été un changement fondamental. Je discute avec notre conseil depuis 2001, disant que nous avons à examiner cette seule option. C'est la loi du pays, ou alors vous révoquez la loi. Si vous avez une loi, vous devez l'envisager comme étant l'une des options à examiner, et cela a marqué un gros changement pour moi entre 1998 et 2000.

Le sénateur Angus: C'est une histoire intéressante. Les mots clés que je tire de cette réponse sont qu'il semble que ce soit relativement clair mais que la question de la volonté demeure peut-être une zone un peu grise. Mes collègues et moi-même et, j'imagine, les collègues du président et les sénateurs de l'autre côté, sommes curieux de savoir si une proposition a été sur la table jusqu'à ce qu'on nous demande tout d'un coup d'apporter de la clarté à cette zone grise. Bien évidemment, nous ne pouvons pas traiter de ce qu'est la volonté du gouvernement. Dites-nous ce qui se passe, je vous en prie.

M. Godsoe: Il y a beaucoup de spéculation, et c'est difficile. Je lis autant que vous les quotidiens pour essayer de savoir ce qui s'est passé. Cela semble être très intéressant. Je peux dire, en passant, que ce n'est pas très utile lorsque vous essayez de diriger une banque, car cela plonge les employés dans l'incertitude, et la dernière chose que je veux voir augmenter c'est l'incertitude. Je préfère de loin qu'on s'occupe d'évaluation de l'incidence pour l'intérêt public et de voir si l'on ne peut pas apporter plus de clarté pour l'industrie afin que l'on puisse aller de l'avant avec tout cela.

Le sénateur Angus: Il nous faut comprendre vu notre intérêt pour le côté amélioration.

Le sénateur Tkachuk: En quoi le système vous a-t-il trahi?

M. Godsoe: Je ne pense pas que c'est cela qui est arrivé. À bien des égards — et je ne le confirme ni ne l'infirme — depuis le milieu de l'année 2000, il nous est clair en tant qu'industrie que les fusions des grosses banques allaient être autorisées dans la loi. Cela ne veut pas dire qu'on allait les accueillir chaleureusement sur le plan politique ni que l'évaluation de l'incidence pour l'intérêt public et les autres éléments qui ont été définis allaient être tout à fait clairs. Nous savions clairement dans notre esprit ce que le Bureau de la concurrence allait ou n'allait peut-être pas faire. Nous avons regardé Canada Trust et Toronto-Dominion, et il y avait les deux autres. Nous avions des modèles. Pour ce qui est de Scotia avec l'une quelconque des quatre autres banques, je peux vous dire, sans doute à une trentaine de succursales près, ce qu'il nous aurait fallu faire sur le plan cessions. Nous pouvons tous faire cela. Nous savons ce qui se passera du côté du BSIF ou des responsabilités fiduciaires.

Il y avait donc cette zone grise qui relevait du domaine de la politique, pour lequel nous ne sommes pas très doués. Nous en avons fourni la preuve maintes et maintes fois. Cette incertitude pousse alors les gens à parler, et nous tous avons parlé à nos conseils d'administration. Nous parlons sans doute de cette question à une réunion sur deux avec le conseil d'administration. Nous discutons entre nous. Nous nous demandons si les règles interdisant la vente d'assurance dans les banques vont être levées et de nombreuses autres choses au fur et à mesure de l'évolution du monde. Les discussions sont permanentes.

Nous discutons avec le gouvernement. Nous n'avons pas parlé qu'à un seul ministre, mais à de nombreux ministres. Nous avons discuté avec le ministre Manley lorsqu'il était ministre de l'Industrie. Nous avons discuté avec le caucus et avec des fonctionnaires tout au long du processus, et je suis certain que c'est le cas également de notre groupe de pairs. Nous obtenions des réponses grises, et c'est toujours le cas aujourd'hui. Ce qui a été abondamment clair — et la politique du gouvernement n'a à mon sens pas changé au cours des deux dernières années — est que, sur le plan légal, les banques peuvent fusionner. Les grosses banques peuvent fusionner si elles le veulent. Le processus est clair. Il y a trois étapes. La troisième étape n'est pas très différente des points esquissés dans le rapport MacKay et dans la loi. Beaucoup de cela est clair pour nous. Pouvons-nous nous occuper de la petite entreprise? Pouvons-nous nous occuper des emplois? Pouvons-nous nous occuper des questions du Bureau de la concurrence? Pouvons-nous nous occuper d'accès? Certaines parties ne sont pas claires, d'où notre hésitation. C'est pourquoi vous n'avez pas vu de fusionnement.

L'on espère que l'une des choses qu'établira cette clarification est que si vous soumettez une proposition et que vous suivez le processus, le gouvernement ne changera pas les règles en bout de ligne. Le processus sera, par exemple, oui, les fusions sont une stratégie viable pour le Canada. Si la fusion est considérée comme inacceptable, l'on vous en avertirait pendant le déroulement du processus, ce qui serait juste.

Le sénateur Angus: Est-ce ce dont on vous a informés?

M. Godsoe: Non, absolument pas. Pendant cette période de deux ans, nous n'avons jamais directement demandé.

Le sénateur Angus: Vous n'avez soumis aucune proposition?

M. Godsoe: Non.

Le sénateur Angus: Aucun projet de fusion entre la Banque Scotia et la Banque de Montréal n'a été soumise au gouvernement?

M. Godsoe: La Banque Scotia a tout au long de cette période parlé de fusion avec toute une série d'autres parties. Cela veut dire que vous parlez à d'autres personnes aussi. Il serait logique de supposer que nous avons parlé avec la Banque de Montréal et d'autres, par exemple des compagnies d'assurance, mais il a toujours été clairement établi que c'était notre décision. Il allait nous falloir prendre une décision et faire un dépôt officiel auprès d'Ottawa, ce qui n'a jamais été fait.

Le sénateur Angus: J'aimerais vous lire un passage tiré de la transcription de votre dernière comparution:

La position de la Banque Scotia est que ces fusions doivent être analysées de façon très approfondie, car de notre point de vue elles représentent une mauvaise politique publique. C'est mauvais pour la concurrence, mauvais pour le choix, mauvais pour les consommateurs de la petite entreprise, mauvais pour ce qui est de la concentration potentielle du risque et du pouvoir, et cela crée par ailleurs une concentration qui est malsaine dans un pays de la taille du Canada.

Les fusions proposées élimineraient le tiers du système bancaire tel qu'on le connaît dans ce pays. Que je sache, cela n'a jamais encore été fait dans un pays développé. Nous atteindrions des niveaux de concentration qui existent nulle part ailleurs dans le monde. S'il y avait des fusions, près de 70 p. 100 de la totalité des marchés bancaires élémentaires seraient aux mains de deux banques. Ce serait le cas de 70 p. 100 des services bancaires de tous les jours, des services qu'utilisent presque tous les foyers canadiens: dépôts personnels, comptes d'opérations, prêts, hypothèques et prêts à la petite et moyenne entreprise.

Ayant lu cela et le reste de la transcription de votre déclaration, qui s'inscrit dans la même veine, je ne peux qu'en conclure que vous avez décidé que seuls des idiots tomberaient amoureux dans votre nouvelle entente.

M. Godsoe: Nous n'avions pas de nouvelle entente. Comme je l'ai dit, ce qui a changé c'est que la politique publique l'a accepté disant que si le Bureau de la concurrence accepte — et il a produit des chiffres inférieurs à ceux que j'avais cités alors, et les chiffres sont encore plus bas aujourd'hui — alors nous ferions partie du processus. Ou on allait fusionner, ou on n'allait pas fusionner. Ce n'est pas une chose que l'on fait facilement, car j'estime que certaines fusions ne fonctionneraient pas tandis que d'autres fonctionneraient. Cela a changé.

Le sénateur Angus: Si ce sont là les règles, alors autant jouer.

M. Godsoe: Je joue selon les règles.

Le sénateur Kroft: Vous approchiez de très près relativement à cette question de clarté, et c'est un mot que l'on retrouve dans chaque mémoire et dans chaque article que nous avons vus ainsi que dans les témoignages des témoins qui vous ont précédé. Vous avez regardé M. Nixon, qui a comparu juste avant vous, et qui s'en est approché davantage, et voici que vous utilisez maintenant un langage que je trouve utile. J'en arrive à la conclusion que j'aimerais rejouer des mots que j'ai entendus il y a quelques minutes pour être bien certain de comprendre votre intention.

Le processus que vous avez parcouru avec nous est manifestement très clair. Vous dites que dans le cadre de vos discussions permanentes avec le Bureau de la concurrence cette partie-là des choses est vraiment assez claire. Personne ne parle du BSIF et nous devons supposer que vous savez clairement où vous vous situez par rapport à lui.

En ce qui concerne la procédure prévue pour ce qui est de l'intérêt national dans la partie intérêt canadien, vous avez même dit que cela est assez clair, et je pense rapporter fidèlement vos propos en disant que vous avez déclaré que ce qui est vraiment gris c'est la volonté, et que dans le cadre de vos discussions avec les fonctionnaires vous avez toujours obtenu et continuez d'obtenir des réponses grises.

Il me semble — et j'aimerais éliminer tout doute à cet égard — que l'absence essentielle de clarté est qu'en dépit du processus, ce qui est très peu clair est la réelle intention du gouvernement face à un solide dossier. Bien évidemment, un mauvais dossier, nous en conviendrions tous, devrait être rejeté. Cependant, même avec un bon dossier, la question n'est pas claire s'agissant de la volonté ou de la préférence du gouvernement, selon le terme que vous voulez employer, et c'est là, selon vous, que se trouve le principal élément d'incertitude. Mon interprétation est-elle la bonne?

M. Godsoe: Vous avez très bien dit les choses. Lorsque je parle de réponses grises, je voulais parler, et je pense que vous m'avez bien compris, des cas où l'on dit voici ce qu'il y a d'une part et voici ce qu'il y a de l'autre. Il y a ici une volonté, il y a une idée très claire de ce qui doit être fait côté processus, des questions dont vous devrez peut-être traiter, mais il n'y a aucune clarté, et il s'agit ici d'apporter davantage de clarté. La politique du gouvernement dit que oui, si votre projet de fusionnement est bon, l'on vous écoutera. Si nous ne voulons pas de fusions dans ce pays — et c'est une conclusion à laquelle l'on pourrait très justement arriver — alors il serait préférable, dans l'intérêt de l'industrie, que les choses soient dites clairement. Si l'on en veut, alors il nous faut avoir la transparence, sans quoi il y aura beaucoup trop de choses qui ne seront pas connues. Je pense que la transparence est saine — c'est sain pour la gestion d'entreprise et c'est sain pour ce genre de processus. C'est pourquoi vous entendez si souvent ces deux termes, sans détails précis.

Le sénateur Kroft: Si je vous demandais, ce que j'avais compté faire avant que vous ne fassiez votre déclaration, de me donner quelques exemples de choses qui ne sont pas claires dans le processus — ce n'est pas forcément une question, car nous avons déjà en vérité la réponse. Ce n'est pas que vous ne pouvez pas me citer d'exemples de choses qui ne sont pas claires; la question prédominante semble être le désir de voir clarifier quelle serait la politique privilégiée du gouvernement.

M. Godsoe: Je pense que oui. Nous sommes allés de l'avant dans l'ère post-Mackay. Nous avons pris des parties du rapport MacKay et nous en avons laissé d'autres de côté. Le rapport MacKay était censé produire un équilibre. Les banques allaient en bout de ligne obtenir le droit de distribuer des assurances, les banques et les compagnies d'assurance allaient pouvoir fusionner et les banques allaient pouvoir fusionner entre elles. Certains de ces éléments ont découlé du rapport MacKay, et d'autres pas. Néanmoins, ce rapport allait devoir servir de patron pour la décennie à venir.

Je crois fermement que la seule démarche logique est de devenir plus gros et de se lancer à l'étranger, mais cela doit être contrebalancé par l'intérêt public tel que je le comprends, soit la disponibilité pour la petite entreprise, le maintien de succursales en régions rurales, la participation à l'économie, la garantie d'accès aux pauvres dans les villes, compte tenu de leur viabilité. Nombre de ces questions sont proprement locales et canadiennes et sont des préoccupations tout à fait légitimes qui relèvent du Bureau de la concurrence. Nous n'avons jamais pleinement compris le processus politique car en 1998 le débat tournait en partie autour de la politique et en partie au sujet du fait qu'il n'y avait absolument aucun chemin clairement dégagé.

Je trouve aujourd'hui que nous avons en tête un chemin relativement dégagé, mais nous n'en sommes pas absolument certains, sans quoi vous ne verriez pas un secteur d'activité dont on peut arguer qu'il est l'un des secteurs de l'économie canadienne qui réussit le mieux, qui est assis là sans bouger. Nous en sommes encore très loin. Nous en sommes encore à deux années et demie.

Le sénateur Kroft: À bien des égards, il semble qu'il y ait une certaine idéalisation de ce qui se passe ailleurs. Vous avez fait un commentaire intéressant sur un autre mot clé qu'on entend souvent évoquer, soit la prévisibilité. J'aimerais revenir sur ce que vous disiez à ce sujet. J'ai interprété votre observation comme voulant dire que nous ne devrions pas nous laisser emporter par l'idée que nous sommes le seul endroit où les choses ne sont pas vraiment prévisibles et que ces fusions sont en fait relativement imprévisibles ou en tout cas exposées au climat politique et autres.

M. Godsoe: General Electric, Honeywell et l'Union européenne se sont vus débouter. La dernière grosse fusion de banques au Royaume-Uni a été rejetée par les autorités en matière de concurrence du fait d'une trop forte concentration. Aux États-Unis, lorsque Fleet a fusionné avec Bank of Boston, le processus a été très politisé car il y avait deux banques gigantesques en Nouvelle-Angleterre, mais les parties ne parvenaient pas à un règlement. Elles savaient qu'elles pouvaient se voir refuser leurs demandes sur la base de la théorie de l'autorité en matière de concurrence, et elles pouvaient commettre des erreurs à ce niveau-là ou alors devoir traiter avec des groupes d'intérêt spécialisés qui soulevaient des préoccupations tout à fait légitimes. Cependant, elles savaient que la volonté du pays était telle que si elles proposaient un bon fusionnement, leur demande serait acceptée. Je ne suis pas certain qu'on ait répondu à cette question au Canada.

Le sénateur Oliver: J'aimerais poursuivre dans la même veine. Si j'ai bien compris, vous comprenez l'aspect BSIF, l'aspect Bureau de la concurrence, puis l'on arrive à la troisième partie, qui est politique, et il semble que ce que vous êtes en train de dire est qu'il y a deux aspects à la partie politique. Le deuxième aspect du volet politique concerne le Comité de la Chambre des communes et le comité sénatorial ici réuni, et il y a quatre questions que vous avez, ainsi que M. Nixon, couvertes très clairement, notamment l'accès, le choix, la croissance à long terme et la transition. Vous avez passé cela en revue si facilement — c'était comme de la tarte — que vous n'aurez vraiment pas beaucoup de difficulté à satisfaire ces exigences en matière d'intérêt public.

Ce que vous êtes en train de nous dire, nous le comité sénatorial, est que la dernière partie du volet politique est la suivante: que va faire le gouvernement et pourquoi le gouvernement du Canada ne clarifie-t-il pas sa position relativement aux fusionnements et au processus de fusion? Ce n'est pas vraiment à nous de décider. Tout ce que nous pouvons faire c'est traiter de l'évaluation de l'incidence pour l'intérêt public et des quatre points énoncés dans la lettre des ministres. Si vous êtes raisonnablement satisfaits en ce qui concerne cela, nous gaspillons probablement notre temps en faisant venir davantage de témoins qui viendront nous en parler, car votre grosse préoccupation est de savoir si, advenant que vous fassiez une demande avec un partenaire comme la Banque de Montréal, vous vous fassiez de nouveau descendre par les deux personnes qui ont le dernier mot, soit le premier ministre et le ministre des Finances, avant même que vous ne vous engagiez dans le processus devant le BSIF ou le Bureau de la concurrence. Est-ce bien cela?

M. Godsoe: Pour tirer une chose au clair, nous n'avons jamais déposé de projet ferme de fusionnement, alors personne ne m'a jamais descendu.

Je pense néanmoins que vous jouez un rôle utile. De notre point de vue, la raison pour laquelle nous tous venons ici pour appuyer le travail du comité est qu'à bien des égards vous posez la question: si la réponse à la question est donnée, et si la banque A et la banque B peuvent se présenter et passer par le processus pour aboutir à une résolution positive, est-ce qu'une fusion serait approuvée? C'est une assez bonne question. Je pense qu'il y a des moyens pour vous de le faire, de régler la plupart des problèmes soulevés. MacKay a déterminé quelles questions d'intérêt public légitimes devraient être examinées dans le cadre d'un fusionnement bancaire. La concurrence en est clairement une.

Le sénateur Oliver: C'est là une question qui relève du Bureau de la concurrence.

M. Godsoe: D'autres éléments peuvent bien sûr être ajoutés à la liste si vous estimez qu'il y a d'autres aspects qui n'ont pas été examinés comme il se doit. Nous savons que l'accès et que le maintien de succursales en région rurale sont des préoccupations, qu'il y ait ou non des fusions.

Le sénateur Oliver: Nous pourrons tenir des audiences pour nous pencher sur ces questions et en traiter, mais ce ne semble pas être là la difficulté à laquelle vous-même et M. Nixon vous trouvez confrontés.

M. Godsoe: Vous avez également dans la balance la troisième question contenue dans la lettre du ministre, et que j'ai choisi de traiter en quatrième lieu: en tant que pays, et dans le contexte de la compétitivité internationale, voit-on les banques prendre de l'ampleur à l'extérieur du pays, et cela est-il important et pertinent? Il faut évaluer cela par rapport à la concurrence, à l'accès et aux services ruraux. Comme je l'ai dit, il y a ici une question positive et trois questions négatives. J'estime que les questions négatives peuvent être traitées de façon positive et proactive et je pense qu'il y a du côté du Bureau de la concurrence de nombreuses mesures de protection.

En ce qui concerne la douceur d'une vision et de valeurs, je crois personnellement qu'à long terme, les restrictions en matière de propriété imposées aux banques canadiennes ne sont pas durables. Je dis à nos gens que ce ne sera pas ma génération mais la génération suivante qui vivra cela. Ces restrictions sont en train de tomber en Europe. Vous ne pouvez pas recourir à des restrictions en matière de propriété en Italie ou en France pour arrêter quelqu'un. Il n'y a au Mexique que six banques et nous possédons la quatrième sur le plan rentabilité. Le ministre des Finances du Mexique m'a demandé en passant pourquoi au Canada nous ne pouvons pas appartenir à des intérêts étrangers alors qu'ils nous laissent posséder l'une des plus grosses banques du Mexique. Cela pourrait faire l'objet d'une contestation en vertu de l'ALENA. Un jour ou l'autre ces choses viendront sur le tapis.

Il faut que vos banques prennent de l'ampleur au lieu de reculer. Elles ne réussiront qu'en réussissant.

Le sénateur Oliver: J'aimerais vous pousser un petit peu au sujet de votre premier point que le comité pourrait examiner en vue de l'évaluation de l'incidence pour l'intérêt public, et je veux parler ici de l'accès. Il me semble que l'un des gros problèmes que vous-même et en fait les cinq grosses banques avez est que vous oubliez qu'au Sénat nous sommes censés nous pencher sur les intérêts régionaux. C'est là l'une des choses dont nous sommes responsables. Une chose qui arrive dans le cas des consolidations bancaires, et qui arriveraient certainement avec une fusion de banques, est que les petites régions comme la région de l'Atlantique seraient contrôlées et régies par Bay Street. Ce serait là un gros problème qui aurait à mon sens une grosse incidence sur l'intérêt public.

Nos marchés sont différents, notre analyse du risque devrait être différente — bien qu'elle ne le soit pas, car l'on s'appuie sur le modèle de Bay Street — et l'accès aux capitaux est différent. Si vous deviez fusionner avec la Banque de Montréal ou avec quelqu'un d'autre, les petites entreprises ayant un chiffre d'affaires de 5 millions à 50 millions de dollars par an souffriraient vraiment du fait de la petitesse de leurs besoins, car vous voudriez concentrer le gros de vos efforts sur Toronto. J'imagine que dans la région de l'Atlantique les gens seraient nombreux à être très inquiets si ce genre d'analyse de fusion devait avoir lieu. Ni vous ni Gordon Nixon n'a traité de cette préoccupation régionale dans votre analyse de l'accès. Pourriez-vous faire cela maintenant?

M. Godsoe: Avec plaisir, sénateur. Comme vous le savez, nous avons été fondés à Halifax en 1832 et nous allons y retourner cette année pour notre réunion annuelle.

Nos prêts à la petite entreprise dans la région de l'Atlantique ont augmenté et suivi le rythme de tout ce que nous faisons dans le pays. Ce ne sont pas les hauts-Canadiens ni nous à Toronto, comme vous le dites dans l'Est, qui comptent les points. Je suis convaincu que nous sommes en mesure de régler les problèmes. Les gens comme notre vice- président supérieur, Jack Keith, et ses homologues doivent avoir l'autorité requise et doivent pouvoir livrer la marchandise dans les régions sans quoi il nous faudrait rendre des comptes. J'estime cependant que c'est le cas, qu'il y ait ou non fusion. Notre part de marché en Nouvelle-Écosse est de 30 p. 100.

Le sénateur Oliver: Je pense que ce serait bien pire avec une fusion.

M. Godsoe: Je n'en suis pas du tout convaincu. Je pense que de nouveaux éléments surgiront; les coopératives de crédit deviendront plus proactives et plus puissantes. Elles sont très éclatées en Nouvelle-Écosse, inexistantes à Terre- Neuve et elles se portent très bien au Nouveau-Brunswick. Voilà le genre d'évolution qu'il y aurait. Cependant, il serait légitime pour des personnes ayant des intérêts régionaux, comme vous-mêmes, de veiller à ce que nous prenions des engagements. Je ne suis pas convaincu que nous ne prendrions pas d'engagement si l'on nous en faisait la demande aujourd'hui. Nous entreprendrions de maintenir nos prêts à un certain niveau parce que nous y tenons. Nous ne voulons pas perdre de notre part de marché là-bas. Nous trouvons que c'est une très bonne région dans laquelle travailler.

Le sénateur Kelleher: À la première page de votre mémoire, vous dites que nous avons instauré une politique publique qui permet explicitement les fusions, sous réserve que le processus d'examen formel soit respecté et que toute opération soit dans l'intérêt public.

Je ne vais pas être méchant comme le sénateur Angus et vous demander si vous avez joué un rôle dans le processus de fusion. Supposons qu'il y a de vilaines rumeurs qui circulent autour de cela est que tout d'un coup l'on entend dire par les médias — parce que nous ne pouvons pas obtenir qu'un quelconque fonctionnaire vienne nous parler — que, que ce soit vrai ou faux, cette fusion dont il a été question a été rayée de la carte. Naturellement, vous vous demanderiez quel processus ou quels critères ont été utilisés pour en arriver à une décision négative.

Lorsque les gens du ministère des Finances étaient ici ce matin, je leur ai demandé si l'on avait cherché auprès d'eux des conseils ou des suggestions quant à ce qu'il conviendrait de faire relativement à cette supposée fusion. Ils ont dit que non. J'ai ensuite posé la même question aux porte-parole du Bureau de la concurrence qui ont répondu qu'ils en ont pour la première fois entendu parler en lisant les journaux. J'ai posé la même question à M. Nixon et il a dit qu'il espérait que je vous la pose à vous aussi.

Nonobstant ces rumeurs, vous a-t-on invité à faire quelque commentaire ou à intervenir auprès du gouvernement au sujet de cette question?

M. Godsoe: Non, et j'évite également les journaux.

Le sénateur Kelleher: C'est très bien.

M. Godsoe: J'évite un peu tout le monde à ce sujet. Comme je le disais, c'était de la spéculation et plus cela dure, plus cela nuit à notre organisation au lieu de l'aider. Cela crée de l'incertitude et amène nos employés à s'interroger. Je vais parler à 2 000 de nos employés d'ici deux semaines et demie pour les rassurer. J'ai également envoyé un message par courriel, car cela est perturbateur.

Le sénateur Kelleher: Le ministère des Finances, le Bureau de la concurrence, Gordon Nixon et Peter Godsoe ont tous dit qu'on ne leur a pas demandé d'intervenir. Si c'est bel et bien ce qui s'est passé et si le premier ministre a tout d'un coup stoppé un processus, et si, comme vous dites, nous avons en place une politique publique qui autorise expressément les fusions, alors je me demande si cette croyance qui est la vôtre est maintenant en morceaux, étant donné qu'il semble que quelque chose ait été arrêtée ici.

M. Godsoe: Non. Je reviendrai sur la récapitulation du sénateur Kroft. Il est assez clair depuis la fin de l'année 1999 que les fusions n'allaient pas être interdites. C'est ce que disait le rapport MacKay. Avec le dépôt du projet de loi en 2000 et son adoption en 2001, l'on a enchâssé dans la loi la viabilité des fusions comme stratégie, et au Canada il faut environ dix ans pour changer une loi.

Un processus, un très long processus, a été établi. Ce qui n'était pas certain c'est s'il n'y avait pas des parties du processus que nous ne comprenions pas vraiment. Nous allions en parler avec les gens à Ottawa. Il n'était pas vraiment clairement dit que si l'on faisait toutes ces choses, si l'on répondait bien aux questions, si l'on trouvait des réponses constructives ou des solutions originales et si la fusion était pertinente, alors le ministre et l'appareil politique du jour autoriseraient le fusionnement. Cela a toujours été une zone grise. Cela ne se limite pas à nous. Nous regardons tous cette créature qu'est Hydro One. Quel que soit le pays, la politique peut changer ce qui se passe. C'est là la réalité. En définitive, nous mettions à l'épreuve la volonté politique pendant cette période en discutant avec différents ministres. Je n'étais pas seul à leur parler; nous tous leur parlions. Je pense que cela est tout à fait normal, pour faire avancer les choses en affaires.

C'est pourquoi je suis heureux de la tenue de ces audiences. Nous voilà enfin sur le point d'obtenir en définitive des éclaircissements. Autrement, ne demandez pas au comité ici réuni de siéger, ne demandez pas au comité de la Chambre de siéger, car vous abordez la dernière étape. Les banques pourraient déposer un projet de fusionnement viable assorti de réponses aux différentes préoccupations relatives à l'intérêt public. Ces préoccupations ne sont pas si nombreuses que cela. Nous sommes tous au courant des frais de service, des frais de carte de crédit et des frais d'utilisation de GAB. Il y a de nombreux irritants, mais les vraies questions sont celles de la petite entreprise, de la disponibilité et de la concurrence. Si nous pouvons apporter des solutions à ces questions et présenter un dossier convainquant, alors les fusions seront-elles autorisées? C'est une question tout à fait précise.

Le sénateur Kelleher: Je ne conteste rien dans ce que vous dites. Cependant, cela ne vous préoccupe-t-il pas qu'avant que le processus n'ait même commencé ici formellement la réponse ait été non? Je suppose que ce qui me préoccupe plus que tout ce sont les critères sous-tendant cette réponse. Personne ne nous les dit.

M. Godsoe: Je ne me suis jamais fait dire non. Comme je l'ai expliqué, au cours des 18 derniers mois, et cela remonte jusque-là, les gens à Ottawa ont été très clairs. Légalement parlant — et ce à tous les niveaux — vous pouvez fusionner; le processus est étalé devant vous. Il y a toujours un risque en politique, dans le contexte politique. L'évaluation de l'incidence pour l'intérêt public manque un peu de clarté, en ce sens qu'elle n'a jamais été débattue au niveau politique. C'est ce qui est ressorti du rapport MacKay. Ces incertitudes étaient suffisantes pour que nous tous doutions de la possibilité de jamais entreprendre un fusionnement. Nous n'avons jamais reçu de non venant d'Ottawa, et ceci est en train de nous aider à tirer les choses au clair.

Le président: Notre estimé vice-président a plusieurs questions.

Le sénateur Tkachuk: M. Godsoe a peut-être déclenché le processus par inadvertance, même s'il dit que ce n'est pas le cas. Monsieur Godsoe, j'ignore quel âge vous avez, mais ça me fait un petit peu penser à ce qui se passait lorsque nous étions jeunes et que nous allions au bal: tous les garçons restaient au fond de la salle et les filles restaient sur le côté et nous avions peur de les inviter à danser. Nous restions dans notre coin et les filles finissaient par se lasser et par danser les unes avec les autres. Voilà comment les choses se passaient dans les petites localités de la Saskatchewan. Plus tard, les garçons sortaient, prenaient quelques bières et revenaient, et c'est peut-être alors qu'ils avaient le courage d'inviter une fille à danser.

Vous dites que le Canada a aujourd'hui la bonne politique publique et le bon processus en place. Si nous avons le bon processus et la bonne politique publique, étant donné que vous dites que vous n'avez pas soumis de proposition et que personne d'autre n'en a soumis, comment sait-on qu'il y a un problème?

M. Godsoe: Il vous faut supposer que nous avons cinq banques qui ne peuvent pas fusionner avec des compagnies d'assurance —

Le sénateur Oliver: Pas encore.

M. Godsoe: — en vertu du règlement, à moins que cela ne change. En théorie, elles peuvent fusionner les unes avec les autres, ce qui se passe partout dans le monde. Vous avez sans doute entendu parler dans les journaux d'aujourd'hui du Crédit Lyonnais. La France va se retrouver avec quatre banques, qui vont en gros passer à trois. Nous ne savons tout simplement pas qui seront les propriétaires en bout de ligne. Personne n'a fait d'ouverture.

Il vous faut supposer que nous discutons les uns avec les autres de temps en temps. Nous avons longuement discuté avec nos conseils d'administration car nous étions incertains. Plus récemment, nous surveillions ce qui se passait du côté de l'électricité. Je ne veux pas utiliser Hydro One comme seul exemple, mais il y a la réglementation et les incertitudes. Il est difficile de prévoir ce qui va se passer dans la politique. Nous avons été hésitants. Nous tous dirions qu'une fusion pourrait être une bonne ou une mauvaise chose pour notre institution, mais c'est une option viable de croissance et de perspectives futures qu'il nous faut garder à l'esprit. Le fait que nous n'ayons pas bougé montre que le degré d'incertitude est suffisant pour que cinq banques n'aient pas poursuivi cela activement et agressivement, ce qu'elles auraient fait si elles avaient une plus grande certitude.

Le sénateur Tkachuk: En réponse à une question du sénateur Angus ou du sénateur Kroft, vous avez parlé d'un processus de consultation. Vous avez parlé de toutes les personnes que vous avez consultées et vous avez mentionné le caucus, ce qui m'a étonné. De quel caucus parliez-vous?

Le sénateur Oliver: Du caucus libéral.

Le sénateur Tkachuk: C'est vous qui consultiez le caucus libéral?

M. Godsoe: Non, nous consultions des députés, mais jamais le caucus tout entier. Nous avons de temps à autre discuté avec différents députés. Nous le faisons tout le temps. Nous avons discuté avec des députés conservateurs.

Le sénateur Tkachuk: Pensiez-vous que leur réponse allait être non?

M. Godsoe: Ce n'est pas du tout la réponse que nous avons eue. En vérité, depuis un an et demi, la réponse qu'on nous donne est que les fusionnements bancaires ne sont pas à l'avant-scène dans l'esprit de la plupart des gens. Ils sont beaucoup plus préoccupés par les soins de santé, l'éducation, le leadership et Kyoto. Cependant, là n'est pas la question. Ce que nous nous efforçons véritablement de faire c'est de déterminer ce qu'ils pensent, s'ils pensent que les choses ont changé ou non. «Les fusionnements sont-ils une stratégie viable? Si nous suivons un processus, est-ce possible?»

Le sénateur Tkachuk: Permettez-moi de vous poser une dernière question. Y a-t-il eu des discussions informelles avec le ministre Manley ou le premier ministre du Canada au sujet du fusionnement possible de la Banque de Nouvelle- Écosse et de la Banque de Montréal?

M. Godsoe: J'ai eu des discussions sur les fusionnements avec le ministre Manley chaque année depuis cinq ans, comme j'en ai eues avec d'autres ministres qui ne sont pas ministres des Finances. Je leur ai tout simplement demandé leurs conseils, ce qui se passait selon eux et ce qu'ils envisageaient quant à l'avenir de l'industrie, en leur qualité de leader du pays, mais je n'en ai pas discuté avec le premier ministre.

Le sénateur Tkachuk: Y a-t-il un représentant de votre banque, un membre du conseil d'administration par exemple, qui aurait pu avoir de telles discussions?

M. Godsoe: Non. J'ai eu des discussions à un moment ou à un autre au cours des 18 derniers mois avec la plupart des ministres au sujet de l'avenir de l'industrie, dont les fusions sont un aspect très important.

Le sénateur Tkachuk: Il n'y a donc eu aucune discussion informelle avec le premier ministre ou le ministre des Finances?

M. Godsoe: Nous parlons de situations hypothétiques. J'ai discuté avec d'autres ministres et pas seulement avec M. Manley.

Le sénateur Tkachuk: Vous avez néanmoins eu des discussions avec M.Manley, de façon informelle?

M. Godsoe: Tout dépend du moment auquel vous songez, sénateur. Cela fait deux ans et demi que nous discutons de cela, depuis bien avant ces réunions. Dès la publication du rapport MacKay, dès le dépôt du projet de loi, nous avons eu des discussions continues et très ouvertes, entre nous et les Finances et avec les acteurs politiques, tels que députés et ministres, de même que d'autres fonctionnaires. Je venais régulièrement rencontrer divers ministres, dont celui des Finances, pour parler de ces questions et leur demander: «Hypothétiquement, que pensez-vous de ceci ou cela?» De toute évidence, certaines combinaisons sont plus rationnelles que d'autres.

Le président: Merci, monsieur Godsoe.

Notre prochain témoin est M. John Hunkin, président et chef de la direction de la Banque canadienne impériale de commerce. Vous avez la parole.

M. John Hunkin, président et chef de la direction, Banque canadienne impériale de commerce: Permettez-moi de commencer par vous remercier, vous et les membres de votre comité, de votre invitation à participer à ce débat important.

J'aimerais remercier également l'honorable John Manley et l'honorable Maurizio Bevilacqua d'avoir donné l'impulsion pour la tenue de ces importantes audiences qui, à mon avis, interviennent à un moment critique pour notre secteur.

Je me présente devant vous fier d'appartenir à une institution, la CIBC, qui, sous une forme ou une autre, touche la vie de millions de Canadiens.

Nous avons dans notre clientèle plus de huit millions de particuliers et 460 000 petites entreprises et la banque emploie plus de 42 000 personnes. Des milliers de Canadiens possèdent des actions de notre banque, par l'intermédiaire de leur caisse de retraite ou REER. Nos activités communautaires touchent d'innombrables Canadiens, en particulier notre Course à la vie qui, cette année, a vu 14 000 de nos employés et leur famille se joindre à plus de 135 000 de leurs compatriotes dans 38 localités et lever 14 millions de dollars pour la lutte contre le cancer du sein.

J'ai dit que je suis fier de la CIBC et je le suis particulièrement de nos employés. Je le dis selon la perspective de quelqu'un qui a consacré plus de 33 années de sa vie à la banque et dont le père y a travaillé pendant 44 ans.

Les banques canadiennes font partie du tissu de la nation. De fait, tout comme les chemins de fer ont contribué à unifier le pays, les banques ont été un moteur de la prospérité du Canada. Il y a de nombreuses façons d'aborder un débat sur l'avenir du secteur financier canadien. Cependant, il ne faut jamais perdre de vue que les banques ne sont pas des institutions sans visage mais sont composées d'êtres humains.

Alors que mon mémoire tente de répondre aux questions posées par les honorables sénateurs pour ce qui est de l'accès, du choix, de la disponibilité, des perspectives de croissance, des problèmes d'ajustement et de transition, j'aimerais utiliser mon court temps de parole cet après-midi pour traiter de l'intérêt national plus large et de ce qu'une stratégie de promotion d'un secteur des services financiers fort et dynamique pourrait représenter pour les Canadiens.

D'aucuns disent que ces audiences portent sur les fusions bancaires. Mais à mon avis, les fusions sont certes une stratégie commerciale viable pour notre secteur, mais seulement une option parmi beaucoup d'autres.

Chez CIBC, nous poursuivons une stratégie d'expansion de nos services aux particuliers, aux petites entreprises et aux épargnants et avons investi des centaines de millions de dollars afin de reconstruire notre plate-forme technologique qui dessert plus de 1 000 succursales. Nous avons doté nos employés de la formation et des outils dont ils ont besoin pour mieux servir notre clientèle.

Du côté de la gestion de patrimoine, lorsque Merrill Lynch a décidé en 2001 d'abandonner son activité de courtage au Canada, nous avons réalisé un investissement majeur en rachetant ces opérations de courtage de détail et de gestion de biens. Nous nous sommes également associés à Loblaws dans le cadre d'une stratégie visant à offrir des services bancaires commodes et gratuits, par le biais de President's Choice Financial, qui compte maintenant plus de 1,1 million de clients et gère plus de 7 milliards de dollars d'avoirs.

À CIBC, nous agissons sur plusieurs fronts stratégiques. Ayant vécu de première main les perturbations survenues en 1998, je ne souhaite pas infliger à nos employés, nos clients et actionnaires une autre tentative de fusion tant qu'il n'existe pas pour cela un mécanisme rapide et au résultat raisonnablement prévisible. La prévisibilité est d'importance primordiale. La prévisibilité signifie que les banques qui soumettent une proposition au gouvernement connaissent par avance les éléments d'analyse qu'utiliseront les autorités de réglementation et les décideurs gouvernementaux. Cela permet aux acteurs clés, en particulier au conseil d'administration des deux banques, de prendre des décisions rationnelles et raisonnables sur une éventuelle fusion.

Une meilleure prévisibilité ne sera possible que s'il existe un mécanisme d'examen des fusions bancaires qui soit transparent et fondé sur des paramètres et critères clairement énoncés. À l'heure actuelle, les termes «intérêt public» et «bien public» ne semblent être que des slogans qui politisent le débat. Je pense qu'il faut définir ce que l'on entend par «bien public».

La rapidité de décision est un autre facteur clé. L'activité bancaire recouvre beaucoup de choses, mais elle est avant tout un intérêt dynamique. Encore une fois, pour le bien de nos clients, de nos employés et de nos actionnaires, nous ne pouvons garder en suspens des décisions majeures en attendant la conclusion d'une longue procédure d'examen.

En 1998, notre industrie a perdu un temps précieux pendant que le mécanisme d'examen des fusions a traîné en longueur pendant presque 11 mois. D'aucuns diront que c'était là un lit de torture de notre propre fabrication, mais nous ne sommes certainement pas impatients de nous y étendre à nouveau.

Le mécanisme actuel d'examen des fusions bancaires couvre cinq mois. C'est là une réduction substantielle du délai, mais je pense que l'on pourrait faire mieux. Nous aimerions travailler avec toutes les parties pour tenter de mettre au point une méthode qui aboutirait à une décision en 100 jours au moins. Cela réduirait considérablement la période d'incertitude pour toutes les parties concernées.

Je passe maintenant à la question plus large, celle de savoir si le Canada devrait se doter ou non d'une stratégie nationale pour le secteur des services financiers. Par «stratégie» j'entends avoir pour objectif national d'être un acteur de premier plan dans ce secteur primordial. Allons-nous laisser les choses continuer cahin-caha, avec pour résultat une érosion graduelle mais probable de l'envergure et de la capacité des institutions bancaires canadiennes comparativement à celles de nos concurrents internationaux? La taille compte, pour plusieurs raisons.

Honorables sénateurs, vous connaissez l'argument en faveur d'une grande envergure. Si l'on veut que les banques canadiennes investissent dans la technologie, elles doivent rester compétitives. C'est indéniable, mais un facteur encore plus essentiel aujourd'hui est que l'envergure détermine la capacité à prendre des risques et à servir les moyennes et grandes entreprises. Paradoxalement, alors que l'on a fait porter, à juste titre, beaucoup d'efforts sur le secteur de la petite entreprise, avec de bons progrès à la clé, ce sont en fait les moyennes et grandes entreprises clientes qui risquent de souffrir le plus des tendances actuelles.

Si des moyennes et grosses sociétés canadiennes comme Bombardier, Celestica et BCE veulent poursuivre leur croissance, le financement devra suivre. Les réserves de crédit des banques canadiennes n'ont pas augmenté aussi rapidement que celles de nos grands concurrents internationaux. Dans notre cas, nous avons dû prendre sciemment la décision de limiter nos risques à des niveaux prudents pour un établissement de notre taille. Nous avons l'intention de réduire notre portefeuille de prêts aux entreprises et notre activité de banque d'affaires d'un tiers au cours des trois prochaines années. Nous cherchons également des façons de réduire la volatilité de nos revenus, notamment en réduisant la part des gros prêts aux entreprises. On pourrait penser que les banques américaines ou européennes viendront combler l'écart, mais la réalité est que ces institutions ont tendance à le faire en période de prospérité mais se montrent beaucoup intéressées lorsque la conjoncture est difficile.

Dans ce contexte, la question relative à l'intérêt national consiste à déterminer si le Canada serait mieux servi par des institutions financières en plus petit nombre mais plus fortes, capables non seulement de mieux servir les consommateurs et les petites entreprises, mais aussi de continuer à offrir une option canadienne à nos moyennes et grosses entreprises en expansion. Je crois que la réponse est oui.

L'envergure peut également faire une différence au niveau des services de détail. Comme les honorables sénateurs le savent, CIBC a récemment pris la décision de fermer ses services bancaires en ligne aux États-Unis. Nous l'avons fait après trois années de fonctionnement. Nous considérions tout simplement que nous n'avions pas le luxe d'attendre quatre ou cinq ans avant de parvenir au seuil de rentabilité. Nos actionnaires ont perdu patience. Cela était dû pour une large part au fait qu'ils considéraient l'investissement excessif pour un établissement de notre taille.

Je compare notre expérience à celle du conglomérat financier néerlandais ING, qui a ouvert une banque électronique ici il y a six ans et a récemment annoncé qu'elle est devenue bénéficiaire. ING est environ quatre fois plus grosse que CIBC et a atteint cette taille dans un pays dont le gouvernement a activement encouragé les regroupements et qui jouit aujourd'hui d'un secteur des services financiers très compétitif à l'échelle mondiale.

Ce dont il est réellement question ici aujourd'hui est de savoir si le Canada aura un secteur des services financiers robuste, dont les sièges sociaux seront établis au Canada et dirigés par des Canadiens. Toronto est le quatrième plus gros centre de services financiers en Amérique du Nord de par les effectifs; il y a deux ans, la ville était au troisième rang. Les services financiers génèrent 28 p. 100 du PIB de Toronto et sont le premier moteur du marché immobilier commercial. Le marché des services financiers crée un nombre incalculable d'emplois secondaires chez les fournisseurs. Ce sont là de bons emplois bien rémunérés qui attirent des Canadiens talentueux de tout le pays, le genre d'emplois que nous souhaitons pour nos enfants et petits-enfants. Ce sont là des personnes qui pourraient et iraient s'expatrier si elles ne trouvaient pas sur place de bonnes perspectives professionnelles.

Ce sont également des personnes qui donnent généreusement à Centraide, aux divers hôpitaux, aux arts et aux universités. Pour citer juste un exemple, plus d'un tiers des fonds levés par Centraide à Toronto, soit 28 millions sur les 75 millions de dollars, provenaient du secteur des services financiers. En dernière analyse, c'est réellement de cela dont nous parlons aujourd'hui: l'avenir.

Mon espoir, et je suis sûr que les éminents membres du comité le partagent, est que nous choisirons de privilégier la construction d'un secteur des services financiers dynamique et compétitif. Mon espoir est qu'en le faisant, nous mettrons en place un mécanisme qui raccourcisse la course d'obstacles et dont le résultat sera plus prévisible. Ensuite, si la concentration dans le secteur des services financiers est dans l'intérêt du Canada, nous pourrons nous atteler à la tâche.

Je répondrai volontiers à vos questions.

Le sénateur Oliver: Vous avez présenté une argumentation très convaincante en faveur des fusions bancaires. Les témoins que nous avons entendus aujourd'hui ont indiqué qu'il faut se concentrer sur le troisième palier du mécanisme d'examen des fusions, soit l'évaluation de l'incidence sur l'intérêt public.

M. Nixon, de la Banque royale, et M. Godsoe, de la Banque de Nouvelle-Écosse, ont dit que les deux premiers paliers du processus de fusion sont très clairs, qu'ils comprennent et savent quoi faire pour les franchir. Je parle là du palier du BSIF, celui de la sécurité, et le palier du Bureau de la concurrence. Ils disent que la partie trouble est la troisième, l'évaluation de l'intérêt public, dont on ne sait trop ce que cette notion signifie. Le ministre, dans sa lettre, nous demandait d'examiner quatre éléments. Vous et les deux autres banquiers nous avez donné votre approche générale de cette question. Je pense qu'il y a un quatrième élément. Si les trois critères sont remplis, le gouvernement du Canada va-t-il considérer que les fusions bancaires sont une chose positive et les approuver, tous ces autres critères étant remplis? L'incertitude que tous les banquiers semblent partager tient au fait qu'ils ne savent pas si la réponse sera oui. Ai-je raison?

M. Hunkin: Je pense que vous avez raison. La question est de savoir ce qui est bon pour le Canada. Je pense que ce n'est pas suffisamment clair. Je pense qu'aucun autre type d'entreprise n'entamerait une fusion s'il y avait seulement une probabilité de 50 p. 100 qu'elle soit agréée. Cette entreprise passerait naturellement en revue les exigences réglementaires et financières du Bureau de la concurrence et pourrait déterminer de cette façon si la fusion sera approuvée. Il y a des exceptions, mais elles sont rares. Il est très difficile d'obtenir une telle certitude en l'absence de critères plus précis.

Le sénateur Oliver: Lorsque nous avons mené une étude pour le BSIF il y a quelques années, certains d'entre nous sont allés en Suisse pour examiner son mécanisme d'agrément. Dans ce pays, on peut opérer une fusion en l'espace de deux mois. Le Bureau de la concurrence nous a indiqué aujourd'hui que le délai de cinq mois prévu actuellement dans la loi ne commence qu'une fois que les banques ont fourni au Bureau toute la documentation demandée. Le délai de cinq mois ne démarre qu'alors. S'il faut cinq mois pour fournir toute l'information, tous les documents et toutes les données dont le Bureau pense avoir besoin, le délai ne commence à courir qu'à partir de là. Dans la pratique, le délai en devient un de dix mois. Êtes-vous informé de cela?

M. Hunkin: Non, je n'avais jamais envisagé cela.

Le sénateur Oliver: Vous préconisez 100 jours, et la différence est donc considérable.

Au cours de la fin de semaine, j'ai lu un article sur les fusions bancaires canadiennes et l'intérêt public. Vous et vos collègues avez tous présenté des arguments convaincants en faveur de la fusion de certaines banques canadiennes. J'aimerais vous lire un paragraphe de cet article de James McIntosh, pour voir si vous êtes d'accord avec ce qu'il dit et si cela est également votre expérience. Il dit que:

Les banques à charte ont fait office de centre de profit pour l'économie canadienne au cours de 25 dernières années. Notre système bancaire a également fourni un bon service au public canadien en offrant un large éventail de produits de haute qualité à des prix raisonnables. Pour que cela continue, et ce devrait être l'objectif ultime de la politique gouvernementale, les banques canadiennes doivent être concurrentielles sur le marché intérieur des services bancaires. Mes résultats montrent que l'augmentation de taille est avantageuse du fait qu'elle autorise une diminution du coût de mise en marché des produits.

Est-ce exact? Si vous devenez plus gros, vous pouvez réduire les coûts payés par le client?

M. Hunkin: Je conviens avec M. Godsoe que ce n'est pas seulement une affaire de coût. Cependant, si vous dépensez un certain montant pour mettre au point un produit et que vous pouvez le répartir sur une clientèle plus large, cela permet dans bien des cas une baisse de prix à la livraison. Il existe des économies d'échelle qui pourraient nous rendre plus compétitifs que nous ne le sommes.

Le sénateur Kroft: Notre comité a tenu des audiences en 1998 sur le rapport MacKay. Bien que ce dernier ne portait pas exactement sur les fusions, cette question a fait surface dans les débats. L'un des témoins, et cette position ressortait clairement du débat public à l'époque, estimait que de nombreux groupes d'entrepreneurs canadiens se méfiaient des fusions.

J'aimerais revenir à votre idée d'un objectif stratégique national, au fait que nos services financiers sont un de nos atouts nationaux et importants pour l'expansion à l'étranger des entreprises canadiennes. Cet objectif, qui avait été bien énoncé, n'a pas eu de résonnance auprès des Canadiens. Je pense pouvoir dire qu'il règne la crainte que si les banques s'embarquaient dans cette initiative de leur propre chef, ce ne soit pas une partie à somme nulle, qu'il y aurait des pertes à l'autre niveau, que ce soit celui de l'attribution de ressources ou de la présence sur le marché.

Je me demande s'il y a moyen de mieux cerner l'intérêt national. Étant donné ce qui s'est passé depuis 1998 et à la lumière de la mondialisation, je vous invite à présenter une argumentation plus convaincante.

M. Hunkin: Ayant étudié la liste des entreprises opposées aux fusions en 1998, j'ai constaté que ce sont les quatre grandes banques qui ont exprimé un appui à cette idée, avec des réserves. L'un des problèmes est que les banques se sont par trop précipitées, avant même que toute cette question fasse l'objet d'un débat approfondi et rationnel. Au lieu de cela, le débat est devenu passionnel. La fusion était déjà en route avant que le gouvernement n'arrête sa politique. Pour ce qui est de mon rôle, je peux dire que c'était une erreur. J'espère que cette fois-ci nous aurons une bonne discussion approfondie.

Nonobstant le fait que nous avons une législation qui autorise les fusions, il n'est pas certain que le pays les souhaite. Ce qui me tient le plus à coeur, c'est qu'un bon débat se déroule sur d'éventuelles fusions. Si l'on décide alors qu'il n'y a pas moyen d'améliorer le processus, ou de clarifier la notion de bien public, alors ce sera une décision que nous aurons prise consciemment, au lieu que ce soit par défaut.

Je pense que les fusions transformeraient profondément le secteur bancaire canadien au cours des 10 à 15 prochaines années. C'est pourquoi il vaut la peine de prendre le temps d'y réfléchir et d'en discuter.

Le sénateur Kroft: Dans cette quête de clarté, les deux éléments dont nous ne sommes pas saisis semblent clairs. Nous tentons de faire notre part en clarifiant l'élément intérêt public.

Vous avez eu des discussions avec les fonctionnaires et le gouvernement. Si vous proposiez une fusion que vous considérez comme superbement avantageuse, estimeriez-vous que la politique gouvernementale, indépendamment de la structure juridique, serait favorable à cette fusion? Je parle là de la position gouvernementale. Pensez-vous que vous êtes dans un environnement réceptif, ou qu'il y a des obstacles de nature politique à surmonter afin de faire admettre que les fusions sont une bonne idée?

M. Hunkin: Nous sommes nombreux à réfléchir aux fusions. La réponse est que la plupart des gens ne pensent pas que s'ils en proposaient une, même avec une argumentation convaincante, ils obtiendraient le résultat souhaité. Ils ne se sentent pas assurés du résultat.

C'est pourquoi les gens souhaitent mieux cerner la notion de bien public. Il faut un débat. La question du bien public reste vague et l'on ne sait trop quelle place elle occupe dans la législation.

Le sénateur Kroft: En quelque sorte, vous dites que la volonté publique est plus vague que le bien public.

M. Hunkin: Ce n'est pas moi qui le dit, c'est vous.

Le sénateur Kroft: Mes excuses.

M. Hunkin: Je ne sais pas s'il y a actuellement une volonté politique dans le pays. C'est pourquoi nous avons cette discussion et, si on lui consacre du temps, peut-être finira-t-on par comprendre la problématique. Il y a des divergences de vues parmi les entreprises sur l'évolution des services financiers ces dernières années, du point de vue de la disponibilité de crédit. Les banques canadiennes ne sont plus aussi grosses qu'elles l'étaient il y a quelques années. Je parle pour la CIBC: nous avons annoncé publiquement que nous allions réduire notre portefeuille de gros prêts aux entreprises. Nous allons également réduire notre portefeuille d'investissement. Tout cela finit par se répercuter sur l'industrie. Plus vous êtes gros, plus vous avez d'envergure et plus grand est le risque que vous pouvez assumer à tout moment. Par conséquent, cette notion de croissance et de taille est importante.

Le sénateur Tkachuk: Nous participons à une première. Voici le comité sénatorial et toutes les banques canadiennes qui s'efforcent d'expliquer la politique gouvernementale. Normalement, c'est l'inverse, nous étudions une politique donnée qui nous est présentée. En l'occurrence, nous cherchons à deviner sans que les premiers responsables ne viennent s'expliquer.

M. Godsoe a dit que les banques ont commencé à s'intéresser au mécanisme de fusion lorsqu'il est devenu légal. À mon avis, les fusions étaient déjà légales, mais il n'y avait pas de processus en place pour les réaliser.

Lorsque votre banque a participé au processus en 1998, quatre banques envisageaient d'exécuter deux fusions et ce n'était pas illégal. Le mécanisme exigeait l'avis du Bureau de la concurrence, et c'était tout. Le ministre a temporisé en disant qu'il fallait attendre le rapport du groupe de travail MacKay et écouter ce que le Sénat avait à dire sur le sujet, puis la Chambre. Il y a un mécanisme à suivre. Le problème est que le gouvernement a dit à suffisamment de banquiers qu'il n'y aura pas de fusion. C'est là le problème. Pourquoi avoir ce mécanisme?

M. Hunkin: Je ne suis pas de cet avis. Le problème n'est pas que quelqu'un risque de dire oui ou non. En ce moment, je ne connais pas ces quatre éléments, ou quels sont les critères exacts. C'est ce flou et les délais qui posent problème en ce moment. J'aurais beaucoup de mal, dans les circonstances actuelles, à recommander à mon conseil d'administration d'entamer une fusion dans ces conditions.

Le sénateur Tkachuk: Voyons cela. Je considère que nous sommes là parce que vous pensez que le gouvernement dira non à la fusion.

Vous avez soumis un certain nombre de bonnes idées, dont l'une consiste à raccourcir le processus. Mais cela ne règle toujours pas votre problème, soit l'intérêt public. Il serait utile de définir le rôle du ministre à cet égard, car il peut intervenir à tout moment et dire non au beau milieu du processus.

Qu'y a-t-il dans cette notion d'intérêt public qu'aucun des banquiers ne semble comprendre? Nul d'entre vous n'a suggéré ce que l'on pourrait éliminer pour que nous puissions mieux comprendre. J'espère que les Canadiens comprennent.

M. Hunkin: Je vais devoir répéter ce que j'ai dit. Si j'envisageais une fusion, il ne me suffirait pas de savoir que le gouvernement dirait non à ma proposition. Dire «non» est facile. Ce qu'il nous faudrait, c'est que quelqu'un dise que la proposition répond aux critères et que dans ces conditions elle est bonne.

Cependant, à ce stade, pour autant que je puisse voir, même le gouvernement n'a pas de critère pour déterminer ce qui est dans l'intérêt public. Nous n'avons pas cela. C'est cette incertitude, et la longueur du délai, qui constituent les deux principaux problèmes.

Le sénateur Tkachuk: Pour un gouvernement, le manque de clarté est souvent une bonne chose, car cela lui donne une excuse pour tripatouiller la politique gouvernementale. C'est la situation dans laquelle nous nous trouvons maintenant. Ce que je veux mettre en lumière, c'est que nul n'a présenté de demande, nul n'a éprouvé le processus et ne l'a suivi. Comment sait-on qu'il ne fonctionne pas à merveille?

M. Hunkin: Nous ne le savons pas, et c'est là le problème. C'est la difficulté. Nous ne sommes pas suffisamment assurés du résultat pour infliger à nos organisations trois ou quatre ou dix mois d'incertitude. C'est l'un des plus gros problèmes.

Je ne blâme pas le gouvernement pour ce qui est arrivé en 1998. À l'évidence, il n'y avait pas de soutien pour ce qui était proposé alors, et le refus ne semblait que s'amplifier avec le temps.

Le sénateur Tkachuk: Après tout cela, sommes-nous revenus à la situation de 1998?

M. Hunkin: Nous sommes toujours dans une situation telle que les fusions bancaires sont un sujet très controversé au Canada. À l'évidence, il mérite plus ample réflexion. En ce moment, je ne pense pas qu'il y ait suffisamment de clarté.

Le sénateur Setlakwe: Les témoins précédents, qui faisaient état d'un manque de capitalisation, semblaient dire que leur objectif était d'acquérir des banques de détail américaines. J'ai cru comprendre que le but d'une capitalisation accrue était de vous permettre de livrer concurrence à l'échelle internationale pour des prêts importants, que vous ne pouvez offrir aujourd'hui parce que vous êtes sous-capitalisés. J'aimerais que vous nous expliquiez un peu mieux cela.

Tous les PDG ont déclaré que l'accès aux services financiers est très bon. C'est peut-être le cas au centre-ville de Toronto, mais certainement pas à Thetford Mines. Pourriez-vous démentir cette perception des Canadiens que lorsqu'il s'agit d'offrir des prêts aux petites et moyennes entreprises, les banques se défilent? La perception du public est que les banques n'offrent pas les crédits et, si elles accordent des prêts, c'est uniquement s'il y a une garantie d' une institution provinciale ou fédérale ou si les prêts sont nantis à hauteur de 70 p. 100 des stocks, et cetera. Dans ces conditions, seriez-vous opposé à ce que la Banque de développement du Canada offre des prêts de court terme?

Le président: Cela fait pas mal de questions. Sénateur Setlakwe, je ne pense pas qu'elle fasse partie de notre mandat.

M. Hunkin: Parlons de taille et de capital et de leur finalité. Tout d'abord, cela varie d'une banque à l'autre. Mais surtout, c'est une question de croissance.

L'accent a été mis sur la gestion de patrimoine et les prêts aux petites entreprises. Toutes les banques veulent avoir une plus grande part de cette activité, tant au Canada qu'à l'étranger, dans la mesure où c'est possible. Si nous nous retrouvions intégrés dans une entité plus grande, après fusion, et si j'avais mon mot à dire, je ferais valoir qu'il faudrait saisir toutes les opportunités, pas seulement au Canada mais aussi à l'étranger, pour développer notre activité dans tous les domaines.

Le problème du capital requis pour autoriser la prise de risque dans le domaine des prêts aux entreprises, et en particulier des prêts aux grosses entreprises dont les besoins ne cessent de grossir au fil des ans, est devenu primordial. Nous craignons que les banques canadiennes ne soient plus en mesure de livrer efficacement concurrence dans ce domaine, sur une base prudente.

Certains d'entre nous se sont fait dire par les agences de cotation que les banques canadiennes se sont trop exposées dans ces domaines.

Abstraction faite du marché étranger, le véritable problème se situe ici. Un réel problème pourrait surgir si nous n'avons pas l'envergure voulue. Nous serons moins utiles aux moyennes et grosses sociétés canadiennes, ne pourrons plus appuyer leur expansion. Or, nous avons vu que les banques étrangères en période de ralentissement ne sont pas là pour faire la différence. Le Canada n'est pas leur marché premier.

Le problème de la taille comporte plusieurs facettes. Tout revient finalement au risque, que ce soit le risque au niveau de la stratégie ou celui des opérations au jour le jour. Plus vous êtes gros, et plus facilement vous pouvez assumer de gros risques.

S'agissant de l'accès aux services financiers en dehors du centre-ville de Toronto ou d'Ottawa, je pense que nous faisons de gros efforts. Je peux vous dire que je suis frustré par notre manque de succès évident à cet égard.

Je ne connais pas la solution. J'ai l'impression que si nous avions tenu ces audiences il y a 20 ans, le même problème aurait été mis en évidence.

Je ne peux pas vous dire pourquoi nous ne réussissons pas mieux à cet égard. J'espère que les autres institutions, qui commencent à offrir plus de services bancaires, deviendront plus compétitives. Peut-être cela nous stimulera-t-il à faire mieux. Mais nous pensons réellement que nous déployons de gros efforts, mais il apparaît que ce n'est pas très efficace.

Le sénateur Oliver: Des conseils consultatifs régionaux seraient utiles.

Le sénateur Angus: Monsieur Hunkin, je vous félicite de la clarté et de la franchise de vos propos jusqu'à présent. Si je me fie à ce que vous avez dit, vous ne préparez ou n'envisagez pas de fusion avec l'une ou l'autre des cinq autres grandes banques. Est-ce exact?

M. Hunkin: Y a-t-il des rumeurs?

Le sénateur Angus: Non.

M. Hunkin: J'ai quitté Toronto il y a deux heures et voyez ce qui se passe. Je ne suis au courant de rien, sénateur.

Le sénateur Angus: Vous avez eu la franchise de reconnaître que l'exercice d'il y a quatre ans était une erreur. Vous n'en blâmez pas le gouvernement, c'était peut-être une cascade d'erreurs. Quoi qu'il en soit, pensez-vous que le Canada se porte plus mal du fait que ces deux fusions n'ont pas eu lieu?

M. Hunkin: Nous avons quelque peu reculé sur la scène bancaire internationale. Cela ne fait aucun doute. C'est la réalité, et bien que nous ayons de meilleures capacités aujourd'hui, nous avons néanmoins reculé par rapport aux concurrents.

Plus vite nous réglerons cette question, mieux cela vaudra. Ainsi chacun pourra poursuivre d'autres stratégies et ne plus s'obnubiler sur celle-ci. Si le Canada veut avoir un secteur financier à forte croissance et dynamique, nous avons besoin de toutes les capacités stratégiques dont jouissent la plupart des autres grands pays du monde. Cela englobe la faculté de fusionner. Si nous ne l'avons pas, nous sommes clairement défavorisés.

Le sénateur Angus: Comme vous dites, ces audiences portent sur l'avenir et la question de savoir si le Canada veut ou non de cela. J'ai l'impression que votre perception actuelle est qu'il n'en veut pas. Si vous étiez le premier ministre aujourd'hui, approuveriez-vous une fusion entre la Banque Scotia et la Banque de Montréal?

M. Hunkin: Je ne sais pas ce que je déciderais dans ce cas-là.

Le sénateur Angus: Et entre deux banques quelconques?

M. Hunkin: Cela dépendrait largement de la proposition. Je pense qu'une fusion devrait être une proposition positive et très réfléchie, mais je suis généralement favorable aux fusions, en tant que perspective réellement viable pour les banques canadiennes.

Le sénateur Angus: C'est bien ce que je pensais.

J'ai parlé à un industriel l'autre soir et je l'ai mis au courant de ces audiences. Il m'a dit qu'il emprunte sur le marché sans arrêt et que, tant que la conjoncture est favorable, il peut obtenir des crédits auprès des banques japonaises ou de Morgan Chase ou de grosses banques opérant sur la place de Londres.

Cependant, il a dit que lorsque le vent tourne, son entreprise, une entreprise canadienne, sera la première que ces banques vont laisser tomber. Il a dit qu'il aimerait une option canadienne qui puisse occuper une place de premier plan dans le consortium de financement auquel il s'adresse.

Il a indiqué que les autres grandes banques pouvaient répondre à tous ses besoins. Je me demande réellement dans quelle mesure nous pourrons être équitables si nous approuvons une fusion.

M. Hunkin: Je ne pense pas qu'une seule fusion suffirait. Je ne pense pas qu'une banque suffirait à répondre à tous les besoins des clients. Je pense qu'il faut plusieurs grosses institutions. D'ailleurs, je dis «institutions», car nous avons également un certain nombre de compagnies d'assurance très puissantes, certaines, de par leur taille et leur capitalisation, aussi grosses que nous ou même plus. C'est un phénomène nouveau qui est apparu ces dernières années. Nous ne sommes plus les seules grandes institutions financières au Canada. Un certain nombre de compagnies d'assurance sont très grosses et profitables. S'il n'y avait qu'une seule fusion, il serait intéressant de savoir quelle combinaison ce serait. S'il ne devait y en avoir qu'une seule, ce serait amusant de voir tout le monde se précipiter vers la porte.

Le sénateur Angus: J'ai lu à M. Godsoe un extrait de son témoignage il y a quatre ans, lorsque deux fusions étaient proposées. Il m'a donné une réponse remplie de statistiques, en disant que les fusions auraient réduit le peloton de cinq à trois et que 70 p. 100 de l'infrastructure serait aux mains de ces trois là. Il a expliqué que ce serait très néfaste. Il a utilisé le mot néfaste sept fois. C'est cela qui a motivé ma question. Je comprends maintenant votre argument. Vous dites, eh bien s'il n'y avait plus que cinq institutions, c'est une chose; cependant, nous avons toutes ces compagnies d'assurance-vie et peut-être d'autres institutions qui rivalisent. Est-ce là votre argumentation?

M. Hunkin: Je pense que ces questions de taille et de concentration dont vous parlez relèvent du Bureau de la concurrence, comme c'est le cas de n'importe quel autre secteur.

Le sénateur Angus: Pensez-vous qu'il devrait intervenir?

M. Hunkin: C'est son rôle, car c'est lui qui peut former un jugement objectif.

Le sénateur Angus: M. Réal Raymond, le PDG de la Banque nationale, a estimé dans son rapport que le processus actuel nous étrangle. Il pense que nous sommes dans une impasse et que personne n'en sort gagnant. Il pense que nous devrions laisser faire les forces du marché et préconise de s'en tenir aux restrictions normales imposées aux entreprises, telles qu'un droit de la concurrence vigoureux dans notre pays, avec un bureau de type von Finckenstein, et de s'en tenir à cela.

Est-ce trop de laissez-faire, à votre avis?

M. Hunkin: La réalité, au Canada, c'est que les banques semblent occuper une place spéciale. Une chose que nous avons réalisé la dernière fois est que nous jouons un rôle spécial au Canada. Nous avons en quelque sorte une responsabilité de rang supérieur à l'égard du public canadien. Est-ce bien ou mal? Je ne sais pas. Cependant, c'est ainsi. Certains d'entre nous en ont pris douloureusement conscience la dernière fois. Il faut un processus. Ce sera peut-être un processus plus pointilleux que dans le cas d'une fusion normale, mais il faudra bien en arriver à une sorte de critère raisonnablement objectif de l'intérêt public, afin que l'on puisse former un jugement. Ainsi, ceux à qui nous nous adresserons pourront former un jugement sur des bases autres que seulement politiques.

Le sénateur Angus: La grande inconnue n'est pas tellement l'intérêt public que l'intérêt politique du gouvernement actuel, ou de tout gouvernement en place au moment de la décision.

Le président: Le sénateur Oliver a cité un article d'un économiste, le professeur James McIntosh. Il va témoigner ici. Je ne l'ai jamais rencontré, mais je l'ai appelé pour l'inviter à comparaître devant notre comité et j'ai lu l'une de ses études, tout comme le sénateur Oliver. Je n'ai compris que la moitié car l'économétrie n'est pas ma spécialité. Cependant, je pense avoir saisi l'essentiel de son propos. Lorsque je lui ai parlé, il m'a demandé mon opinion. Je lui ai dit qu'en l'absence de fusion, un certain nombre de choses allaient se produire au cours des dix prochaines années. J'ai dit que nous serions dominés par les banques étrangères, que nos institutions bancaires deviendraient insignifiantes à l'échelle mondiale et que nous ne pourrions financer l'expansion des entreprises canadiennes en dehors de nos frontières. Il m'a répondu: «Vous êtes optimiste». J'ai demandé ce qu'il entendait par là. Il a répliqué: «Tout cela arrivera dans les cinq prochaines années si nous ne faisons rien maintenant».

Partagez-vous son opinion ou la mienne?

M. Hunkin: C'est probablement ce qui arriverait. Si cela s'avère, j'espère que nous pourrons regarder derrière nous et dire: «Eh bien, nous avons eu un bon débat, nous avons tout étudié objectivement et pris une décision». À mon sens, c'est le mieux que l'on puisse faire. C'est pourquoi j'espère que vos audiences seront fructueuses, tout comme celles de la Chambre et qu'il en sortira quelque chose qui nous permette d'avancer.

Le président: Merci d'être venu, monsieur.

Honorables sénateurs, nous allons poursuivre l'étude de l'incidence sur l'intérêt public des fusions entre grandes banques. Nos derniers témoins de l'après-midi représentent la Fédération canadiennes de l'entreprise indépendante.

Veuillez nous présenter votre déclaration liminaire.

M. Garth Whyte, vice-président exécutif, Fédération canadienne de l'entreprise indépendante: Au nom de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante et des 105 000 propriétaires de petites et moyennes entreprises que nous représentons, nous remercions le comité sénatorial de son invitation à comparaître aujourd'hui pour parler du processus d'examen des fusions bancaires.

Nous vous avons remis quelques documents auxquels nous allons nous référer. L'un est une série de diagrammes et l'autre est notre baromètre trimestriel des affaires, un indicateur utilisé par le gouverneur de la Banque du Canada, M. David Dodge, ainsi que les banques privées et d'autres. Nous y avons joint des copies de notre mémoire précédent à ce comité, en date du 5 novembre, au sujet du rapport du groupe de travail MacKay, et notre mémoire au Comité des finances de la Chambre des communes sur le projet de loi C-8, modifiant la législation relative aux institutions financières, le 14 mars 2001.

Au cours des quatre prochains jours, votre comité entendra de la bouche de divers représentants des grandes institutions financières pourquoi les banques canadiennes devraient être autorisées à fusionner. Vous entendrez également des fonctionnaires qui expliqueront le mécanisme d'examen des demandes de fusion. Notre exposé se concentre sur les répercussions pour l'intérêt public de la fusion entre grandes banques et sur l'importance des petites et moyennes entreprises pour l'économie, la création d'emplois et le développement économique local.

Nous parlerons également des préoccupations des petites et moyennes entreprises face à la disponibilité de crédit. Nous indiquerons qu'il est impératif d'avoir un secteur financier compétitif qui soutienne et encourage le démarrage et l'expansion des petites entreprises et nous terminerons en proposant quelques critères de l'intérêt public.

Veuillez passer au diagramme 2. Il s'agit là de données de Statistique Canada, mais elles sont importantes car il est question de déterminer des critères et des raisons de se préoccuper de l'intérêt public. Ce diagramme montre l'importance des petites et moyennes entreprises dans l'économie. Au Canada, 95 p. 100 de toutes les entreprises comptent moins de cinq employés. Il y a 20 ans, le secteur des PME apportait 30 p. 100 du PIB; aujourd'hui, la proportion est passée à presque 50 p. 100 du PIB et à 60 p. 100 de l'emploi total. Les PME sont responsables de toute la création nette d'emplois des dernières années. La petite entreprise est non seulement vitale pour le développement économique local, mais aussi pour la croissance économique d'ensemble et la création d'emplois au Canada.

Je passe maintenant au diagramme suivant. Nous établissons chaque trimestre un baromètre de l'activité économique qui sert d'indicateur. Nous avons réellement pris conscience de ce que nous faisions après le 11 septembre, car à ce stade nous nous sommes demandés comment nous pouvions contribuer. Nous avons commencé à sonder nos membres sur une base hebdomadaire. On sait ce qui est arrivé à la bourse; nous avons tous ressenti sa chute et suivi ses fluctuations.

Nul ne savait ce qui se passait au Canada au niveau des petites et moyennes entreprises. Nous avons constaté qu'elles tenaient bon, qu'elles conservaient leurs effectifs et même les augmentaient. Cela fait 14 ans que nous suivons notre indicateur. La ligne bleue représente l'indice des prévisions des membres de la FCEI pour leurs propres entreprises. C'est une chose que de demander à un économiste ses prévisions pour l'économie, ou ce qu'il adviendra des banques dans cinq ans; c'en est une autre que de demander à un employeur quelles sont ses prévisions d'embauche, combien d'employés il va recruter et si son entreprise se portera mieux ou moins bien.

Lorsque nous comparons notre indice à l'évolution du PIB, on peut voir à quel point les petits entrepreneurs, globalement, ont une idée précise de la conjoncture économique, représentée par la ligne jaune. Encore une fois, M. Dodge se sert de notre indicateur. Sa courbe est presque identique à celle du PIB.

Les propriétaires de petites entreprises sont les «canaris» de l'économie. Après le 11 septembre, l'actualité n'était faite que de mauvaises nouvelles. On y parlait d'Enron, de Nortel, du ralentissement économique, et pourtant nos membres disaient tout autre chose. Tout d'un coup, la presse a annoncé un retournement économique surprenant. On avait négligé près de la moitié de l'économie, soit les entreprises non cotées en bourse. Ce diagramme montre notre indice et ce que disaient nos membres, ce qui correspond au PIB, et la ligne verte montre l'indice boursier.

On y voit que nos membres ont été durement touchés mais qu'ils ont vite repris pied, et heureusement que les petites entreprises étaient là après le 11 septembre. Les PME sont la principale raison faisant que l'économie canadienne se porte si bien. Le rapport du comité sénatorial devrait reconnaître cette réalité et recommander de mettre à profit ce dynamisme des petites et moyennes entreprises. Nous en avons tous retiré d'énormes dividendes et l'investissement dans les PME est une bonne affaire.

Un autre diagramme montre les attentes actuelles, et ce sont des chiffres que nous publions trimestriellement. Nous veillerons à ce que le comité les reçoive régulièrement. L'optimisme est visible. Seuls 12 p. 100 s'attendent à ce que leur activité ralentisse l'an prochain. Si vous regardez les prévisions d'emploi, vous pouvez voir que 93 p. 100 comptent maintenir ou augmenter l'effectif. Cependant, cela nous amène à une autre citation que nous avons entendue, qui parle d'une reprise sans création d'emplois.

En mars, nos membres disaient qu'ils ne parvenaient pas à combler de 250 000 à 300 000 postes, et plus de 400 000 ont été créés l'an dernier. Les PME sont le «tigre du nord», si bien que toute discussion sur des fusions entre banques ou une concentration plus poussée du secteur bancaire doit tenir compte des impacts sur l'économie, les démarrages d'entreprises et l'expansion des entreprises.

Toutefois, la situation est précaire et le diagramme 8 montre les résultats d'une étude que nous avons menée avec la Banque royale et Manufacturiers et Exportateurs du Canada qui comparait 400 entreprises américaines et 800 petites et moyennes entreprises canadiennes. Trois observations s'en dégageaient.

Premièrement, il est apparu que les entreprises canadiennes sont toutes aussi dynamiques et novatrices que les américaines. Deuxièmement, les difficultés qu'elles rencontrent sont similaires et typiques de toutes les petites entreprises. Enfin, les canadiennes étaient presque deux fois plus nombreuses que les américaines à percevoir des obstacles. Ainsi, les canaris de l'économie nous disent qu'il existe des obstacles à la croissance, l'un de ces obstacles étant le système financier actuel, cité par un tiers de nos membres.

M. Brien G. Gray, vice-président principal, Opérations sur le terrain, Fédération canadienne de l'entreprise indépendante: Après avoir longuement analysé la situation, M. Mackay a indiqué dans son rapport de 1998 que la concurrence sur le marché des services aux PME est insuffisante, particulièrement dans certaines régions du pays, telles que le Canada atlantique et certaines autres régions rurales du pays.

Si les sénateurs veulent bien se reporter au diagramme suivant, ils verront que nous sondons régulièrement les membres pour ce qui est de la disponibilité de crédit. Ce diagramme montre que vers la fin des années 80, lorsque nous étions dans une conjoncture similaire à celle de la fin des années 90, environ 16 p. 100 se plaignaient de l'accès au financement. Lors de la récession du début des années 90, le taux a grimpé et a stagné à ce niveau. Il ressort de toutes les données accumulées par les banques et par nous-mêmes depuis la récession que les restrictions imposées à l'offre de crédit sont restées fortes, même après la sortie de récession.

Dans le diagramme suivant on voit que presque toutes les petites entreprises utilisent un éventail de produits qu'elles ont besoin de trouver localement, qu'il s'agisse d'une marge de crédit ou d'un prêt à l'entreprise ou d'une hypothèque commerciale. C'est pourquoi nous avons toujours dit que la présence de succursales à service complet est un critère de l'accès. C'est pourquoi, historiquement, les grandes banques à charte ont été si importantes. Une fusion est intervenue dans ce secteur depuis 1998 qui fait que la concentration y est plus forte.

Les banques parlent de services offerts par d'autres acteurs du marché, mais ces derniers jouent un rôle mineur auprès de notre clientèle, dans l'ordre des choses. J'y reviendrai sous peu.

En 1997 et en 2000, nous avons demandé à nos membres quelle était la taille médiane de leurs emprunts. Pour 93 p. 100 des petites entreprises — celles comptant moins de 20 employés — le prêt médian était de faible montant. Il est intéressant de noter également que nous sommes demandeurs en ce moment.

Je suis sûr que ceux d'entre vous qui venez de régions rurales ont entendu que la valse des directeurs de comptes locaux est érigée en système — ce qui est en soi un facteur de risque — ou que leur pouvoir d'autorisation de crédit a été ramené à un montant entre 10 000 $ et 30 000 $. Si vous appliquez ces limites aux chiffres que vous voyez ici, vous constatez qu'il y a un problème.

Le diagramme suivant est très inquiétant. Il montre les prêts de moins de 200 000 $ et de plus de 200 000 $. Au cours de la récession, le crédit aux petites entreprises a pratiquement été gelé par les grandes institutions financières, alors que les grosses entreprises ont bénéficié d'un meilleur accès au financement. Si, comme M. Whyte l'a fait ressortir, les petites entreprises représentent plus de 50 p. 100 du PIB, il n'est pas tolérable que cette courbe se maintienne, ou alors il ne faut plus attendre que la petite entreprise soit l'amortisseur des fluctuations économiques.

Le diagramme suivant est encore plus inquiétant. Honorables sénateurs, vous voyez là une chute brutale des demandes de crédit de la part des petites et moyennes entreprises. Quelle en est la cause? Il ne fait aucun doute qu'elle tient en grande partie au resserrement du crédit depuis la dernière récession et qui perdure. À mon avis, cela montre à quel point maints entrepreneurs ont été brûlés par les grandes banques canadiennes au cours de la dernière récession. J'imagine qu'ils ont fait voeu, si jamais ils survivaient à la crise, de laisser passer des occasions d'expansion plutôt que de se remettre à la merci d'une banque. Un certain nombre de facteurs ont probablement contribué à cette tendance.

J'ai parlé de la concurrence. Le diagramme suivant est probablement le plus inquiétant de tous. Nos chiffres de parts de marché montrent qu'entre 1989 et 2002, deux de nos plus grandes banques se sont largement retirées du marché des PME. CIBC a été la pire. Il est intéressant que M. Hunkin ait déclaré ne pas comprendre pourquoi sa banque ne réussissait pas mieux. Perdre un tiers du marché des PME ne peut être dû qu'à une décision et pas au fait que les concurrents vous l'enlèvent. Il s'agit là d'une décision stratégique de se retirer d'un secteur clé de l'économie. Nous trouvons cela inacceptable. Il est scandaleux de dire «Je ne sais pas comment cela se fait». La Banque royale perd également des parts de marché et, encore une fois, ce n'est pas le fait du hasard que ces grandes banques perdent des parts de marché. C'est une décision stratégique.

La bonne nouvelle c'est que, dans une certaine mesure, là où c'est possible, les caisses de crédit ont pris la relève. Cependant, dans la région atlantique et en Ontario, en particulier, il n'y a pas de deuxième palier. Le mouvement des caisses de crédit n'est tout simplement pas une solution de rechange réelle à la capacité retirée par les banques. Les deux diagrammes suivants montrent les parts du marché des petites entreprises pour l'Ontario et les provinces atlantiques, respectivement. Vous pouvez voir que nous avions six grandes institutions financières en 1998, dont Canada Trust. S'il y avait une autre fusion — mettons entre la Banque Scotia et la Banque de Montréal — quatre institutions contrôleraient près de 90 p. 100 du marché ontarien et trois institutions contrôleraient près de 75 p. 100 du marché atlantique.

Le dernier diagramme est très intéressant. Depuis que les banques ont commencé à parler de fusions, elles se sont plaintes de tous ces gros concurrents étrangers qui les évinçaient du marché. Nous avons demandé à nos membres qui précisément venait sur le marché et taillait des croupières à nos grandes banques à charte. Nous avons demandé à nos membres s'ils avaient jamais eu recours à ces sources de financement — pas au cours de la dernière année ou des trois dernières années, depuis toujours. Vous pouvez voir que les nombres sont maigres.

Un autre aspect à ne pas perdre de vue, s'agissant du problème des services bancaires complets, est que si une entreprise fait affaire avec, mettons, Ge Capital, c'est probablement parce que sa banque lui a coupé les vivres et qu'elle doit recourir à un crédit-bail pour couvrir un besoin. Ce n'est pas du service bancaire complet. Ce ne sont pas des dépôts. Ce ne sont pas des services de routine. Ce n'est pas une marge de crédit personnelle. C'est un financement ponctuel. Prétendre que GE Capital va s'implanter sur le marché et évincer les banques auprès des petites entreprises est simplement fallacieux.

Qu'est-il advenu de la concurrence? Certaines des plus grandes banques ont choisi d'abandonner notre marché. Il y a eu de grosses réductions de capacité. Il y a eu une contraction de l'offre et une concentration, avec la fusion de Canada Trust et de la Banque TD, qui a conduit à une importante perte d'opportunité dans le système. On aurait pu prendre le réseau de succursales de Canada Trust et permettre à une banque étrangère ou une autre institution de prendre pied sur le marché. Il est très dommage que quelqu'un n'ait pas voulu reprendre toutes ces succursales de Canada Trust de façon à avoir un autre gros concurrent sur le marché.

Les caisses de crédit ne sont pas plus avancées qu'elles ne l'étaient en 1998. Il n'y a virtuellement aucune banque de second rang dans la région atlantique et en Ontario. Les banques étrangères, telles qu'ING, offrent peut-être des services personnels mais elles ne vont pas accorder de prêts commerciaux à Bedford Mines de sitôt. Il ne faut pas compter sur des banques locales. Partout des succursales ferment et les heures d'ouverture sont réduites, notamment chez vous, sénateur Oliver. Je crois qu'Halifax Nord ne possède plus qu'une seule succursale. C'est un gros problème dans les campagnes. Il y a beaucoup de concurrence à Toronto, Montréal, Calgary et quelques autres grands centres, mais c'est beaucoup moins le cas dans les régions, l'épine dorsale du Canada. Nous avons un vaste territoire et il faut assurer les services voulus. Il faut distinguer aussi entre les besoins de financement des grandes entreprises et des petites. Les problèmes d'accès des deux groupes sont très différents.

Enfin, je dirais que les banques n'ont pas su régler les principaux problèmes évoqués par MacKay, tels que le manque de concurrence entre banques pour le service à notre secteur, ni limiter la valse des directeurs de comptes ni ramener au niveau local le pouvoir de décision. Le secteur des PME représente maintenant la moitié de l'économie canadienne, et sa part va croissant. Pour que cette tendance se poursuive, il faut un secteur de la petite entreprise en bonne santé. Le système bancaire canadien est l'un des plus concentrés du monde, selon tous les critères de comparaison, et je prétends que les Américains n'accepteraient jamais une concentration aussi forte. La concurrence dans le domaine des services financiers s'est amoindrie depuis 1998.

En ce qui concerne les critères d'intérêt public, si vous le permettez j'aimerais lire un passage de notre exposé au Comité de la Chambre des communes il y a un an au sujet du mécanisme des fusions:

[...] le gouvernement a mis en place un cadre complet pour l'examen de nouvelles fusions, par opposition au mécanisme assez bizarre et improvisé appliqué en 1998 et en 1999 aux fusions entre banques et à l'entente TD- Canada Trust. Il est vital de procéder à une évaluation exhaustive de tout projet de fusion qui fasse ressortir clairement les avantages et inconvénients, non seulement pour les institutions concernées, mais aussi et surtout les coûts pour l'économie et le secteur des PME.

La FCEI appuie sans réserve la mise en place d'une série de gardes-fous, tels qu'une évaluation par l'autorité réglementaire, une évaluation du Bureau de la concurrence et l'évaluation EIIP, laquelle doit comporter des critères garantissant un service complet au secteur canadien des petites entreprises.

Mais soulignons que ce processus ne doit pas simplement imposer des conditions superficielles pré-approuvées auxquelles les banques feront semblant de se plier pendant quelque temps pour obtenir l'agrément.

Les fusions ou accords stratégiques proposés ne devraient pas non plus pouvoir échapper à l'examen public nécessaire en invoquant quelque subtilité technique, comme on a vu dans le cas de la fusion Canada Trust et Banque TD. L'augmentation ou la diminution de la concurrence sera le véritable indicateur de l'efficacité du processus d'examen.

Nous avons lu la lettre adressée par le ministre à ce comité et au Comité permanent des finances de la Chambre des communes et nous avons lu les lignes directrices relatives à l'examen des projets de fusion. Nous considérons qu'elles sont claires.

Nous posons la question: «Qu'est-ce qui n'est pas clair?». Nous souscrivons au processus tel qu'annoncé. La FCEI approuve la séquence des formalités à suivre. Nous considérons qu'il faudra une notification précoce des possibilités d'intervention. Un préavis de plus de dix jours serait utile. Nous ne voulons pas que les grandes banques puissent détourner le processus d'examen et dicter leurs conditions. Nous jugeons nécessaire la tenue d'un débat public exhaustif, transparent, sur la base de renseignements complets, et ce dans toutes les régions, tous les secteurs, les localités de toute taille et la fourniture de données sur l'impact de la fusion sur l'économie et l'emploi — pas seulement dans les banques concernées, mais aussi dans notre secteur.

Il faudra connaître l'impact sur la fourniture de services bancaires complets dans les petites localités, afin que les petites entreprises puissent négocier les prix et ne soient pas obligées d'accepter ceux qu'on leur dicte. Les résultats du Bureau de la concurrence et du BSIF seront déterminants s'agissant de cerner ces répercussions. Nous craignons également que les promesses faites ne soient pas tenues, si bien qu'il sera essentiel d'en contrôler l'exécution. Nous ajouterions au critère d'intérêt public les répercussions sur la faculté de nouveaux entrants de venir livrer concurrence pour les services bancaires de base, de même que les répercussions pour la croissance des PME, l'innovation, la productivité et le développement économique régional. Une conférence sur l'innovation vient de se tenir à Toronto. Le financement en est un élément vital.

Enfin, nous répétons ce que nous avons dit à votre comité en 1998. N'autorisez pas de fusion tant que des solutions viables ne seront pas en place.

Pour terminer, je vous encourage à considérer en premier lieu et principalement ce qui est bon pour le Canada. L'intérêt public est le mieux servi par une plus grande concurrence, et pas nécessairement par une plus grande concentration.

Le sénateur Tkachuk: Lorsque nous examinions le projet de loi C-8, nous avons recherché des façons d'accroître la concurrence sur le marché en facilitant l'arrivée de nouveaux entrants dans le secteur bancaire. Pensez-vous que cette politique ait donné de bons résultats? Si oui, donnez-moi quelques exemples; sinon, dites-moi pourquoi cela n'a pas marché?

M. Gray: En gros, je ne pense pas que cela ait marché, qu'il s'agisse de l'implantation au Canada de banques étrangères ou de l'offre par des institutions canadiennes, telles que les caisses de crédit, d'une alternative viable aux grandes banques à charte. Dans le cas des caisses, cela tient beaucoup à leur culture et structure. Ce qui rend le mouvement des caisses de crédit si attrayant aux yeux des entrepreneurs, leur indépendance et leur présence locale, sont souvent aussi les facteurs qui les empêchent de se regrouper de manière à ramener leurs coûts à un niveau similaire à celui des banques. Les coûts des banques représentent environ la moitié des recettes, alors que chez les caisses de crédit le chiffre est d'environ 70 p. 100 et va croissant.

Nous avons vu au Québec que le mouvement des caisses populaires Desjardins a dû fortement rationaliser ses services. Le taux de satisfaction de beaucoup de nos membres dans cette province à l'égard de cette institution est en baisse, car ils constatent que la disponibilité de ses services diminue.

La question est celle-ci: «Est-ce que le mouvement des caisses de crédit dans son ensemble parviendra à s'organiser et à offrir une alternative viable d'envergure similaire à celle des grandes banques à charte?» Il n'y a pas eu beaucoup de mouvement en ce sens au cours des quatre dernières années depuis la fusion, or cette possibilité était souvent citée comme une solution lors de ce débat. Les caisses ont dût attendre que des lois soient promulguées, et c'était une partie du problème, mais non pas la totalité.

En ce qui concerne l'arrivée de concurrents étrangers, il en existe qui offrent des services personnels de détail, mais peu de choses sur le plan des crédits commerciaux. Par exemple, nous avons écrit à Andy Mitchell à l'automne 2001 pour lui faire part de notre préoccupation face à la faible disponibilité de produits tels que des hypothèques commerciales dans les petites localités canadiennes, en particulier celles de moins de 30 000 habitants. Nous entendions en effet beaucoup de nos membres se plaindre de ce qu'ils ne pouvaient obtenir ce genre de financement.

La Bank of America ne va pas venir demain offrir ce type de financement chez nous. C'est pour cette raison que nous insistons pour dire qu'il ne faut pas autoriser une concentration ou contraction plus forte de l'industrie tant qu'une concurrence durable ne sera pas établie sur le marché pour remplacer la capacité perdue.

Le sénateur Setlakwe: Félicitations, messieurs. Je veillerai à ce que mes sociétés renouvellent leur adhésion.

Le président: Conflit d'intérêts!

Le sénateur Setlakwe: Oui, absolument.

Le sénateur Prud'homme: Au moins, ils sont gentils avec les petits.

Le sénateur Setlakwe: Vous avez mentionné que les caisses de crédit progressent, surtout au Québec. Cependant, elles n'en sont pas encore au niveau qu'il faudrait. Vous avez mentionné aussi les banques étrangères. Je ne pense pas du tout qu'elles soient un facteur au Canada, où que ce soit.

À votre avis, le gouvernement pourrait-il accroître sa présence? Je songe en particulier à la Banque de développement du Canada comme source éventuelle de prêts à court terme. Actuellement, son mandat ne lui permet que de faire des prêts à long terme. Cependant, si elle pouvait octroyer aussi des prêts à court terme, peut-être auriez- vous là une institution qui pourrait mieux servir les PME et les particuliers.

M. Gray: C'est une solution partielle. Les caisses de crédit cherchent à se regrouper, mais c'est très difficile à cause de cette culture d'indépendance. Vous en avez vu un exemple dans l'Ouest du Canada, autour de Vancouver, où plusieurs caisses de crédit ont tenté de fusionner. Il y a eu quelques alliances, mais les plus grosses qui ont été tentées ne se sont pas faites car il est difficile pour ces caisses qui partent d'une conception très individualiste de s'agrandir et de devenir plus commerciales. C'est là un handicap culturel qu'elles ont.

Par ailleurs, le crédit commercial exige un savoir-faire que l'on n'acquiert pas du jour au lendemain. Il a fallu à nos grandes banques à charte beaucoup de temps pour en arriver où elles sont. Nombre de nos membres diraient qu'elles ont encore beaucoup de chemin à faire.

En ce qui concerne le mouvement des caisses populaires au Québec, nos membres apprécient beaucoup la qualité des services bancaires qu'il leur fournit. Le Québec est exemplaire pour ce qui est des avantages de la concurrence. Dans cette province, vous avez la Banque nationale et le mouvement Desjardins — tous deux d'importantes banques régionales à toutes fins pratiques — qui non seulement offrent un bon service à nos membres québécois mais ont aussi contraint les autres banques à atteindre des niveaux de satisfaction qu'elles ne rencontrent nulle part ailleurs au Canada. On ne peut que conclure qu'elles sont poussées à une meilleure qualité par ces deux grands concurrents au Québec.

Pour ce qui est de la BDC, je dirais que cette institution s'est montrée très novatrice en introduisant de nouveaux produits sur le marché. Au milieu des années 90, lorsque je coprésidais un groupe de travail sur la petite entreprise ici à Ottawa, un membre de ce comité a indiqué que le problème avec les grandes banques à charte était qu'elles regardaient les innovations de la BDC et attendaient de voir si elles allaient marcher. Si c'était le cas, elles emboîtaient le pas.

J'aimerais que les grandes banques à charte mettent au point elles-mêmes beaucoup plus de nouveaux produits à l'intention des petites entreprises. Le problème pour la BDC est qu'elle ne possède pas l'envergure structurelle nécessaire pour occuper la place laissée vacante par nombre de ces banques à charte. C'est une solution partielle, mais pas une solution complète.

Le sénateur Setlakwe: J'ai évoqué la BDC car les grandes banques me disent que leur objectif est un rendement de 18 p. 100 à 20 p. 100. Tel n'est pas le cas de la BDC et il y a donc là un énorme potentiel.

M. Gray: Vous avez raison. Actuellement, la BDC ne représente que 5 p. 100 du marché chez nos membres, un chiffre relativement faible.

Le sénateur Tkachuk: Dans le projet de loi C-8, nous parlions non seulement des caisses de crédit et autres petites institutions dont nous espérions qu'elles se montreraient plus agressives et allaient grandir, nous songions également à de nouveaux entrants — autrement dit, la création de nouvelles banques. Une disposition de la loi le prévoit expressément.

Je n'ai pas vu apparaître de nouvelles banques. Cela fait deux ans que cette loi a été promulguée. Pensez-vous que le démarrage coûte trop cher? Je trouve curieux que nul ne soit intéressé.

M. Gray: La réalité de la structure bancaire au Canada fait qu'il faut avoir une infrastructure et une assise commerciale solides. J'en ai parlé dans la nouvelle version de notre mémoire de 1998. J'y évoquais l'avenir et m'interrogeais sur ce qui arriverait si on autorisait l'arrivée de gros concurrents étrangers. J'y formais également le voeu d'un grand remaniement de la structure concurrentielle, même si l'on n'autorisait pas de fusions.

Même si l'on impose un moratoire sur les fusions et autorise toute la concurrence du monde à s'installer, à notre avis pas grand-chose ne changerait dans les cinq à dix prochaines années.

Il existe une opportunité, mais elle exige énormément d'infrastructure et de gros frais de démarrage. Je vis à Toronto. Dans le quartier de Yonge et Eglinton, Citibank a ouvert une succursale de détail qui n'a duré que 18 mois. La plus grosse banque d'Amérique du Nord n'a pas pu résister plus longtemps que cela, car les banques canadiennes sont tellement dominantes sur le marché que, si vous ne pouvez pas acheter carrément un réseau de succursales pour jeter une tête de pont, il est très difficile de pénétrer le marché. Le coût de l'entrée est prohibitif. C'est pourquoi j'ai utilisé le mot «malheureusement». Canada trust était une excellente plate-forme qui aurait pu servir à un autre concurrent pour se tailler une place sur le marché, et dans nul autre endroit plus important que la plus grande province du pays qui n'a pas de banque de second rang. Le Québec en a, l'Ouest du Canada en a, mais l'Ontario et les provinces atlantiques en sont démunis.

Cela aurait été une excellente occasion. Lors de mes entretiens avec les hauts fonctionnaires du ministère des Finances à l'époque, je leur demandais s'il n'y avait pas d'autres acheteurs pour reprendre Canada Trust. Si M. Glenn avait été là il y a trois ans, cela aurait été possible, mais il n'était pas là. Maintenant il est trop tard et nous sommes effectivement descendus de six banques à cinq. Je ne sais pas si cela répond à votre question.

Le sénateur Tkachuk: Non. Cela ne m'explique pas pourquoi il n'y a pas eu un seul nouvel entrant ou de candidat à l'entrée sur le marché depuis l'adoption de la loi.

M. Gray: Le problème est que le coût d'entrée sur le marché au Canada est gigantesque. Nous avons un vaste territoire et une faible population. Les perspectives ne paraissent peut-être pas très bonnes dans le secteur des prêts commerciaux.

Le sénateur Tkachuk: Est-il possible que les institutions qui régissent l'entrée — j'entends les ministères eux-mêmes — rendent la chose trop difficile? Autrement dit, il faut une culture qui recherche la concurrence et il faut s'attendre à quelques échecs. Sinon, il n'y aurait jamais de nouveaux entrants sur un marché.

De petites entreprises peuvent démarrer et sombrer, toute nouvelle entreprise qui démarre risque d'échouer. C'est la vie. Est-il possible que les ministères soient excessivement tatillons sur le plan de la solvabilité, par crainte de défaillances? Nul ne peut entrer sur le marché parce que les ministères qui vont devoir régir ces nouvelles banques craignent des défaillances ici ou là.

M. Gray: Il y a eu de nouveaux entrants. La Hong Kong and Shanghai Banking Corporation Ltd., HSBC, est relativement nouvelle et s'en tire bien au Canada. Nous avons eu Barclay's dans le passé, qui n'a fait qu'un petit tour. Elle a encore une présence, mais se contente d'offrir du financement «mezzanine» et secondaire. Il en arrive, qui essaient un peu et repartent. Plusieurs petites banques européennes ont essayé de s'installer dans certains créneaux, mais sans toujours pouvoir se maintenir.

M. Whyte: C'est ce genre de débat qu'il faudrait avoir au lieu de simplement laisser les banques fusionner. Le problème est le suivant: Comment donner naissance à un secteur financier meilleur et plus concurrentiel pour servir le secteur de la petite entreprise? Si vous recherchez des critères, nous vous en avons proposés qui seraient excellents pour notre secteur, lequel représente la moitié de l'économie. Quoi que l'on fasse, il est impératif de ne pas autoriser de fusion bancaire qui exacerbe une situation déjà difficile.

Où est le débat postérieur au projet de loi C-8, à la suite duquel tout le monde signerait sur la ligne pointillée pour dire «Oui, voilà ce qu'il faut faire». Où est le débat qui permettrait de savoir, de rechercher les raisons pour lesquelles de nouveaux entrants ne sont pas prêts à s'établir ici et les moyens de rendre le système plus concurrentiel dans le Canada rural?

Le sénateur Tkachuk: Les banques que vous avez nommées sont étrangères. Il n'y a pas eu de groupe national qui se soit formé pour ouvrir une petite banque à Vancouver, à Toronto ou ailleurs?

M. Gray: J'ai entendu parler de quelques projets mais ils sont encore loin de la réalisation. Il y a quatre ans, nous avons fait valoir que l'on ne peut simplement importer le système des banques locales qui existe aux États-Unis, qui est édifié sur toute une structure et une histoire, et espérer que cela marche au Canada. C'est impossible. Toute la dynamique du marché est radicalement différente. Les risques sont grands à cause de la domination des cinq banques à charte qui ne vont laisser personne arracher une part de marché à laquelle elles tiennent. Si les cinq banques n'y tiennent pas, ça va, mais si c'est un marché primordial, elles ne vont laisser personne s'installer sur ce marché.

Le sénateur Tkachuk: C'est là la difficulté. Lorsqu'on parle de fusions et d'intérêt public, nous n'avons que cinq grands joueurs, dont l'un est dominant — le groupe financier RBC. Si vous permettez à deux d'entre eux de fusionner, alors peut-être deux autres voudront-ils en faire autant. Comment décide-t-on qui va être autorisé à fusionner? Est-ce qu'on va organiser une course de 100 mètres pour déterminer le gagnant? Comment fera-t-on car, dans certaines régions, desservies par la cinquième banque, il n'y aura plus de concurrence?

M. Gray: On en arrive à se demander: «Quelle envergure suffit?» Cela signifie-t-il qu'il ne faut plus avoir qu'une seule banque dans le pays? Même si c'était le cas — si elles fusionnaient toutes entre elles — elles n'arriveraient toujours pas à l'envergure qu'elles veulent.

Le sénateur Tkachuk: Je suis d'accord ave M. Whyte, pourtant je ne suis pas opposé aux fusions bancaires.

M. Gray: Nous non plus, mais ouvrez la porte aux concurrents.

Le sénateur Tkachuk: Je suis frustré de voir qu'il n'y a toujours pas eu de débat sérieux sur les nouveaux entrants et la raison pour laquelle ils ne parviennent pas à pénétrer le marché. Je ne comprends pas.

Le sénateur Kroft: Votre exposé m'a enthousiasmé. Si certains des propos que vous avez tenus en marge y avaient été englobés, le mémoire serait encore plus probant. C'est très impressionnant.

Je regrette que vous n'ayez rien fait de plus positif dans l'optique de la raison qui nous réunit ici. Vous avez clairement mis en évidence un problème, et cette situation existe même avant toute fusion. J'aimerais voir toute la vigueur de cette argumentation appliquée à la question qui nous préoccupe. Nous avons déjà eu cette conversation. Il se trouve que vous êtes là car nous tenons ces audiences. Cette situation nous donne un levier très puissant. Vous avez déploré la perte de la plate-forme que constituait Canada Trust. Si l'argumentation fondée sur ces données pouvait être présentée de telle façon qu'une condition préalable à toute fusion soit la vente d'un nombre significatif de succursales ou d'autres éléments des banques, cela créerait d'autres plates-formes d'une capacité suffisante pour changer sensiblement l'équation. Si on se contente de déplorer la situation, sans mettre à profit les conditions dont on pourrait assortir une fusion, on laissera passer une autre occasion.

M. Gray: Je suis parfaitement d'accord. Je n'aime pas m'épancher en regrets, mais nous avions jadis toute une série de sociétés de fiducie dans ce pays qui auraient également pu servir de plate-forme. C'est une occasion perdue. Cependant, vous avez raison, nous devrions tirer les leçons de cette expérience et voir comment on peut utiliser les plates-formes actuelles pour renforcer la concurrence.

Le sénateur Kroft: Il y a une occasion et vous êtes en position de force. Cherchons à élaborer un ensemble de critères qui, peut-être, nous donneront une nouvelle occasion, de façon à ne pas à avoir à regretter les sociétés de fiducie comme Canada Trust. Peut-être pourrait-on arracher aux banques une centaine de succursales qui pourraient servir de point de départ à quelque chose d'important.

M. Whyte: Pourrais-je ajouter un mot? Vous avez raison — il nous fallait attirer votre attention. C'est pourquoi nous avons dressé ces diagrammes. Nous vous enverrons une lettre après les audiences, mais nous n'avons eu que dix jours de préavis de cette réunion.

Le sénateur Kroft: C'est bien. Je ne vous critiquais pas.

M. Whyte: M. Godsoe a des réunions chaque année sur la question.

Le sénateur Kroft: Rien ne se fera demain. Nous avons le temps et mon propos constituait une invitation à en tirer parti.

Le président: Merci d'être venus, messieurs.

Notre prochain témoin sera M. Edmund Clark, du Groupe financier TD. Bienvenue, monsieur Clark. Veuillez nous présenter votre déclaration liminaire. Les sénateurs auront ensuite des questions à vous poser.

M. Edmund Clark, président et chef de l'exploitation, Groupe financier Banque TD: Honorables sénateurs, merci de m'avoir invité à présenter quelques avis sur le processus d'évaluation de l'incidence sur l'intérêt public proposé dans le cadre du processus d'approbation des projets de fusion des grandes banques, à la suite de la demande du ministre Manley le 24 octobre 2002.

Si j'ai bien compris, vous me demandez de vous aider à définir les paramètres du processus d'évaluation de l'incidence sur l'intérêt public et non de vous faire un exposé sur les avantages et inconvénients d'une fusion entre grandes banques à ce stade. Évidemment, si vous avez des questions sur ma position à ce sujet, je serais ravi de vous en faire part.

De manière générale, le gouvernement du Canada semble déjà avoir reconnu le bien-fondé de fusions entre grandes banques. Dans le document daté du 25 juin 1999 intitulé «La réforme du secteur des services financiers canadiens: Un cadre pour l'avenir», le gouvernement fait observer que:

En cette ère de changement économique rapide, de révolution technologique et de mondialisation, les fusions et les acquisitions constituent des stratégies commerciales légitimes assurant la croissance et le succès.

Nous avons récemment été témoins d'une certaine ambivalence. Il semble aujourd'hui, bien que les fusions de grandes banques soient acceptées en principe, qu'elles ne le sont toujours pas dans la pratique. La considération principale dont je veux faire part aux honorables sénateurs est que le restant du débat restera académique aussi longtemps que le gouvernement n'aura pas clairement fait connaître sa position définitive à ce sujet. Toutefois, on vous a demandé de vous pencher sur le processus d'évaluation de l'incidence sur l'intérêt public. Permettez-moi donc de vous faire part de mes vues sur cet élément du débat.

En annonçant le renvoi de cette question à votre comité, le ministre Manley a fait état de certains commentaires que j'ai formulés lors d'une conférence du Bureau de la concurrence l'an dernier, où j'appelais à une plus grande clarté des règles touchant l'intérêt public. N'interprétez pas mes commentaires comme un appel en faveur de règles plus nombreuses. Je ne faisais que souligner que la force la plus destructrice pour une entreprise — pour ses clients, employés et actionnaires — est l'ambiguïté quant à la façon dont les affaires devraient être conduites. La clarté ne signifie pas davantage de règles. En général, moins il y en a, plus les choses sont claires.

J'irais même jusqu'à dire que lorsqu'on examine logiquement la situation actuelle, il est difficile de justifier le bien- fondé d'un processus d'examen de l'intérêt public. En fait, le secteur bancaire préférerait être traité comme n'importe quel autre et ne pas être soumis à un tel examen.

Toutefois, puisque un tel examen de l'intérêt public doit être tenu, je recommanderais, premièrement, d'en restreindre le champ d'application; deuxièmement, d'écourter le processus; troisièmement, de ne pas en faire un processus de type «premier arrivé, premier servi»; et quatrièmement, d'annoncer que vous êtes véritablement prêts à considérer les fusions maintenant ou de nous laisser savoir quand vous le serez.

Laissez-moi expliquer mon premier point: restreindre le champ d'application. Comme vous le savez, le secteur bancaire canadien est l'un des secteurs les plus réglementés du pays. On voit mal quel problème les tests sur l'intérêt public tentent de résoudre qui ne serait déjà pas couvert par les règlements établis. Je comprends très bien et reconnais la nécessité d'équilibrer les intérêts des clients, des banques et de l'économie nationale. Il me semble que c'est ce que visent les lois et règlements existants. En fait, nombreux sont ceux qui s'accorderaient à dire que les lois et règlements en place répondent pleinement à la plupart des préoccupations visées par le processus d'évaluation de l'incidence sur l'intérêt public.

Je ne peux concevoir que l'on puisse croire en l'utilité d'établir deux ou trois ensembles de règles entraînant des chevauchements et des dédoublements, qui seraient gérés par deux ou trois ensembles d'arbitres. Le processus d'examen de l'intérêt public doit éviter de créer une telle situation.

Le Bureau du surintendant des institutions financières a mis en place des règles relatives à la sécurité et à la solvabilité et il peut examiner les éléments particuliers de toute fusion. Le Bureau de la concurrence a des critères pour déterminer si une fusion est anti-concurrentielle ou pas. L'Agence de consommation en matière financière du Canada énonce des règles régissant la fermeture de succursales et elle surveille et fait observer d'autres dispositions en matière de consommation de la Loi sur les banques.

Plutôt que de créer un ensemble de règles faisant double emploi, il faut plutôt décider si le processus de l'évaluation de l'incidence sur l'intérêt public doit couvrir ces aspects, et donc dégager le BSIF, le Bureau de la concurrence et l'ACMFC de leurs responsabilités, ou bien simplement laisser ces organismes faire leur travail. Dans le premier cas, il faudra expressément spécifier que le BSIF, le Bureau de la concurrence et l'ACFMC ne sont plus responsables de ces examens.

Le ministre Manley a suggéré que l'évaluation couvre l'accès aux services bancaires des personnes handicapées, des personnes à faible revenu, des entreprises et des collectivités rurales, mais nous ne comprenons pas clairement l'intention du test et la façon dont, le cas échéant, celle-ci diffère de celle des autres lignes directrices existantes.

Nous avons déjà une législation sur les droits de la personne pour ce qui est de l'accès des personnes handicapées et des initiatives sectorielles sont en cours pour rendre les services bancaires plus accessibles à nos clients ayant une déficience visuelle ou auditive.

Toutes les banques ont signé un protocole d'entente avec le gouvernement démontrant leur volonté de fournir des services aux Canadiens à faible revenu. En outre, le gouvernement peut exercer un pouvoir de réglementation dans ce domaine en vertu de la nouvelle Loi sur les banques, si cela s'avère nécessaire.

En ce qui concerne les modalités de la transition qui découle naturellement d'une fusion et qui peut soulever des inquiétudes, par exemple en matière d'emploi, le droit du travail traite déjà des cas d'excédents de personnel, et je crois que les statistiques montrent que les banques surpassent presque toujours les exigences de la loi.

La nouvelle Loi sur les banques a également instauré l'Agence de consommation en matière financière du Canada et contient des règlements auxquels nous devons nous conformer pour ce qui est du préavis à donner aux clients en cas de fermeture d'une succursale. Ces règlements traitent spécifiquement des fermetures de succursales dans les collectivités rurales. Il faut bien savoir que, aussi imparfaits que nous soyons, toutes les banques canadiennes tentent de développer un capital de confiance. Encore une fois, je crois que les statistiques montreront qu'en bâtissant nos entreprises nous sommes conscients de l'impératif de protéger les intérêts de nos clients et employés, et ce avec ou sans règlements express. Par exemple, alors qu'il y a quelques années d'aucuns affirmaient que les banques ne prêtaient pas suffisamment attention aux petites et moyennes entreprises, ces dernières étaient, sont et seront un élément important de notre activité. Nous travaillons activement à l'expansion de nos services dans ce secteur. Ainsi, TD a investi de grandes sommes dans la création d'un groupe consacré aux services bancaires aux petites entreprises et nous avons vu notre part de ce marché augmenter de 275 points de base depuis la fusion avec Canada Trust.

Bien qu'il soit toujours possible de faire mieux, il est de notre devoir, et aussi de notre intérêt, de continuer à sonder les besoins des clients et à trouver des moyens de les satisfaire. En effet, nous oeuvrons dans le secteur des services et dans un marché hautement concurrentiel au sein duquel la lutte pour attirer les clients et les meilleurs employés est féroce.

L'acquisition de Canada Trust par TD est un exemple typique. La fusion de Canada Trust avec la branche de services de détail de TD ne visait pas uniquement à réduire les coûts, mais également à étendre un modèle d'affaires fructueux et à préserver notre marque centrée sur le client. C'est dans cette optique, et non par respect de quelque directive gouvernementale ou réglementaire, que nous avons pris des engagements envers nos clients, nos employés et la ville de London — notre plus important centre d'emplois à l'extérieur de Toronto.

Parmi ces engagements, mentionnons la garantie de 18 mois de rémunération pour tous les employés touchés par la fusion, l'étalement sur une longue période des fermetures de succursales de façon à rendre l'intégration aussi harmonieuse et facile que possible pour nos clients et nos employés, l'engagement à maintenir les niveaux d'emploi à London et la promesse d'informer régulièrement nos clients et employés.

Je ne dirais pas que la fusion s'est déroulée à la perfection. Mais disons que si nous n'avions pas d'abord pris ces engagements et établi d'entrée de jeu un ensemble de principes d'exploitation pour guider toutes les décisions liées à la fusion, les difficultés auraient été encore plus grandes et les résultats bien moins satisfaisants. Le premier de nos principes était de toujours privilégier le client.

L'une des étapes requises par les lignes directrices relatives à l'examen des projets de fusion consiste à dresser une évaluation de l'incidence sur l'intérêt public. Il s'agit là d'une exigence inhabituelle à laquelle, à ma connaissance, aucun autre secteur n'est astreint. Je fais valoir que, par une stratégie de communication avec les clients, employés et communautés touchées, nous avons créé notre propre évaluation de l'incidence sur l'intérêt public.

Je crois que d'autres institutions financières agiraient de la même façon dans des circonstances semblables. L'échéancier des audiences doit être clair. L'engagement du gouvernement du Canada de rendre sa décision dans un délai maximal de cinq mois est utile, mais la séquence des événements actuellement prévus comporte des paradoxes.

Si vous convenez qu'il faut éviter le dédoublement, laissez le BSIF et le Bureau de la concurrence faire leur travail en premier, puis placez un processus d'examen de l'intérêt public écourté à la toute fin, au lieu de le mener en parallèle. Le processus politique serait alors l'assurance finale. Cependant, cela ne peut être fait que dans un environnement où le gouvernement est véritablement prêt à accepter des fusions importantes, de façon à ce que, à la fin de ce parcours d'obstacles, nous ne risquions pas de nous voir débouter non en fonction des mérites de la fusion, mais en raison d'un changement d'humeur du pays.

Dans le même ordre d'idées, une évaluation de l'incidence sur l'intérêt public ne peut être légitime qu'une fois que le BSIF et le Bureau de la concurrence ont pris leur décision. Lors d'une demande de fusion, nous serions tenus de présenter une évaluation de l'incidence sur l'intérêt public, énonçant des mesures correctrices là où nous le jugeons nécessaire. Si le Bureau de la concurrence exigeait aussi des correctifs, nous n'en aurions connaissance que deux étapes et quelques mois plus tard.

Les désaisissements de succursales, le cas échéant, sont difficiles à exécuter à la satisfaction de quiconque. Lors de l'examen de toute fusion, le Bureau de la concurrence pourrait nous imposer de vendre des succursales et, par le fait même, notre clientèle et de transférer nos employés. Il peut nous prescrire à qui nous ne pouvons pas vendre. D'aucuns voudraient pouvoir nous imposer en sus de vendre à tel ou tel concurrent. Vous pouvez imaginer l'absurdité d'une telle situation, où nous offrons de laisser une succursale ouverte dans une petite ville seulement pour nous faire dire de la vendre par le Bureau de la concurrence, et pour que le concurrent qui en fait l'acquisition décide de la fermer quelques mois plus tard. La réalité est que c'est là un processus difficile à mettre en oeuvre, même sous le régime des règles actuelles.

Il est révélateur que, lorsque nous avons dû vendre 13 succursales à titre de condition à l'approbation de notre fusion, certaines situées dans des petites localités, la concurrence ne s'est pas bousculée pour les acheter. En fait, dans certains cas, nous avons été obligés de nous désaisir de succursales que nous aurions été heureux de conserver et que nos clients auraient préféré continuer de fréquenter.

Les choses n'ont pas été faciles non plus pour les sociétés qui ont fini par acheter nos succursales. C'était une transition imposée par l'autorité réglementaire. Nos clients et employés étaient furieux d'être assujettis à des décisions qui leur échappaient.

Je ne veux pas critiquer le Bureau de la concurrence, je fais simplement valoir que le processus risque d'être marqué par des intérêts contradictoires.

Plus de 200 000 personnes travaillent dans le secteur bancaire. Elles lisent les journaux et sont plongées dans l'incertitude quant à l'avenir de leur secteur, de leur entreprise et de leurs emplois. En outre, on sait que les marchés financiers ont la gâchette facile et ne savent pas digérer une information incomplète. Il faut raccourcir le processus dans l'intérêt des employés, des clients et des actionnaires.

Troisièmement, évitons une situation où le premier arrivé est le premier servi et où tous les autres se verraient déboutés. Le secteur bancaire et le gouvernement se sont par inadvertance retrouvés enfermés dans une situation où le gouvernement est responsable non seulement de la réglementation, mais aussi de la structure des services financiers. Ce n'est pas un état de choses favorable à long terme car Ottawa se retrouvera constamment bombardé de propositions de fusions, jusqu'à ce que l'une d'elles fasse mouche.

À mon avis, aucune fusion entre deux grandes banques ne devrait être approuvée sans que les autres aient également le droit de présenter une demande. La même option doit être offerte à tous. Toute fusion dans une partie du secteur se répercute sur les autres parties et toutes doivent avoir la possibilité de réagir comme bon leur semble.

En dernier lieu, le gouvernement devrait soit annoncer qu'il est maintenant véritablement prêt à envisager des fusions, soit nous dire quand il le sera. Je ne sais pas ce qui s'est dit au cours des deux derniers mois entre les autres banques et le gouvernement mais, comme beaucoup de Canadiens, je lis les journaux. À Halifax, en octobre, le ministre Manley disait que les fusions bancaires étaient légales, et, je cite, que «si quelqu'un veut présenter une demande officielle, c'est son droit et je prendrai ma décision».

Des événements ultérieurs ont fait resurgir l'ambiguïté avec laquelle nous composons depuis quatre ans. Nous ne pouvons accepter une situation où la communication de décisions importantes prend la forme de «coups» médiatiques. Il n'est ni productif ni professionnel de communiquer ainsi les décisions qui touchent notre secteur. Nous ne pouvons pas non plus continuer dans ce climat de «un jour oui, un jour non» qui règne depuis un mois. Il n'est dans l'intérêt de personne d'avoir un processus tel que le public pense qu'il suffit de parler à la bonne personne le bon jour.

Nous ne pouvons avoir un processus où circulent des rumeurs voulant qu'une grosse société d'assurance achète une banque. Si c'est vrai, que la nouvelle soit annoncée afin que tous aient un préavis suffisant pour se mettre aussi sur les rangs. Nous ne pouvons gérer nos affaires efficacement sur la base de la rumeur la plus récente ou en lisant dans le marc de café. Tous les joueurs doivent bénéficier des mêmes informations et d'un processus transparent.

Il faut lever toute ambiguïté entourant l'attitude du gouvernement envers les projets de fusions bancaires dès que possible. Il semble maintenant qu'un projet puisse être rejeté sur la base de l'intérêt public avant même qu'il soit officiellement proposé. Les règles ne devraient pas être modifiées de manière à permettre qu'une proposition soit disséquée pendant des mois par le BSIF et le Bureau de la concurrence, uniquement pour se heurter ensuite au verdict du gouvernement fondé sur de vagues critères d'intérêt public.

Si le gouvernement est prêt à accepter des fusions, qu'il le dise sans équivoque maintenant. S'il a l'intention d'imposer certaines restrictions, qu'il les énonce maintenant.

Si le gouvernement ne peut indiquer clairement sa position touchant les fusions dans un délai rapproché, la meilleure façon pour lever l'incertitude pour les clients, employés et actionnaires, est de nous dire quand il sera prêt. Ainsi, nous pourrons tous nous concentrer sur la gestion de nos entreprises et, si jamais les fusions sont jugées être dans l'intérêt public, nous pourrons alors agir en conséquence.

Le sénateur Angus: Je suis sûr que tous mes collègues sont d'accord pour reconnaître avec moi que c'était là un exposé d'une clarté exceptionnelle et de grande utilité pour nous tous. Vous êtes allé droit au but. J'avais demandé à être le premier intervenant, mais vous avez répondu par avance à la plupart des questions que j'allais vous poser. Je vais néanmoins couvrir certains points.

Est-il exact qu'au début de votre carrière éminente vous avez passé quelque temps à Ottawa au niveau de sous- ministre?

M. Clark: Oui. J'étais sous-ministre associé.

Le sénateur Angus: Autrement dit, vous savez de quoi vous parlez. Vous savez comment les choses fonctionnent à Ottawa, et j'imagine que cela vous est extrêmement utile pour exercer les lourdes responsabilités qui sont les vôtres aujourd'hui. Je vous félicite de votre nomination récente.

M. Clark: Merci.

Le sénateur Angus: Au début de votre exposé, vous avez dit: «Le message principal que je veux vous transmettre aujourd'hui est que le débat sera académique aussi longtemps que le gouvernement n'aura pas fait clairement connaître sa position définitive. Par «position», vous n'entendez pas du tout tous ces critères insaisissables, mais plutôt la question de savoir s'il est politiquement favorable aux fusions, comme vous le dites à la fin. Le gouvernement est-il politiquement en faveur des fusions ou non?

M. Clark: C'est le noeud de l'affaire. On confond l'évaluation de l'intérêt public avec cette condition. Il me semble que c'est un sujet éminemment politique. La population a le droit de connaître la position du gouvernement à ce sujet.

Le sénateur Angus: À la page 5, au troisième paragraphe, vous parlez d'un processus court:

Le processus politique ne servirait alors que de contrôle final. Mais ce changement ne doit se faire que si le gouvernement est véritablement préparé à considérer les fusions importantes, afin que nous ne suivions pas simplement ce parcours d'obstacles pour nous voir déboutés à la fin, non en fonction des mérites de la fusion mais en raison d'un changement d'humeur du pays.

Encore une fois, c'est un changement d'humeur politique, au gré du vent — «ce n'est pas un bon mois pour une fusion» — ce genre de choses, ce genre de caprices. Cela m'amène à ma dernière question. Nous avons été surpris lorsque nous sommes arrivés ce matin et que les hauts fonctionnaires qui étaient là nous ont dit: «Eh bien, posez-nous une question». Ils n'avaient rien à dire. Ils n'ont pas esquissé ce qu'ils souhaitent. Nous nous retrouvons dans une situation étrange.

Étant donné vos antécédents et votre connaissance des rouages du gouvernement, et sachant que vous avez clairement indiqué que tout ce que vous voulez savoir, c'est si le gouvernement est ou non en faveur des fusions, que feriez-vous si vous étiez sénateur? Vous considérez que les lignes directrices relatives aux fusions, tant celles du Bureau de la concurrence que celles du ministère des Finances, sont claires.

Sur la foi de ce que nous avons entendu aujourd'hui, nous ne pouvons dire autre chose que vous. Je crois que je vais simplement transmettre votre mémoire, et c'est tout. Pourriez-vous répondre?

M. Clark: La réalité c'est que lorsque les gouvernements ne disent pas les choses clairement, c'est qu'ils ont de bonnes raisons pour cela. Ce n'est pas parce qu'ils ne veulent pas la clarté. Il y a tout un débat sur cette question. Des personnes raisonnables peuvent avoir des opinions divergentes. Sans aucun doute, il y a des divergences d'opinion à l'intérieur du gouvernement quant à l'opportunité de fusions bancaires. J'admets cela.

D'après ce que l'on m'a raconté des propos tenus aujourd'hui par les témoins, j'ai l'impression qu'il y a un changement par rapport à 1998, ma dernière comparution devant votre comité. Heureusement, mes opinions à ce sujet sont restées inchangées depuis. Je ne pense pas que le système bancaire canadien soit en danger, qu'il y ait ou non des fusions entre banques. Si le gouvernement disait: «Nous ne voulons pas de fusions, disparaissez.», je pense que nous tous nous contenterions de gérer nos affaires et nous nous ferions une raison.

Néanmoins, s'il prend cette position, il y aura manifestement des répercussions sur la politique industrielle canadienne. Le reste du monde concentre ses services financiers. Notre capacité à étendre notre activité à l'étranger sera probablement moindre en l'absence de fusions que s'il y en avait. C'est cela qui est au coeur du débat de politique publique.

Nous pourrions même accepter que le gouvernement nous dise, pour diverses raisons, politiques ou non: «Nous ne voulons pas trancher cette question dans les 18 prochains mois, nous y reviendrons dans 18 mois». Sommes-nous engagés dans une course telle qu'il nous faut bombarder Ottawa chaque semaine avec une proposition pour voir si l'une va faire mouche, ou bien devons-nous rester dans notre coin pendant 18 mois pour voir si des événements politiques vont survenir qui relanceront ce débat? Notre secteur pourrait probablement s'accommoder de deux ou trois scénarios. Nous aimerions simplement savoir quel scénario va s'appliquer à nous car nous pouvons prospérer dans pratiquement n'importe lequel de ces scénarios.

Le sénateur Angus: Pour ce qui est de l'évaluation de l'intérêt public, que l'on nous a demandé de clarifier dans au moins quatre domaines, je veux m'assurer de bien vous comprendre. Vous semblez dire qu'il est déjà clair. Que pouvons-nous ajouter?

M. Clark: Je dis de le considérer selon une perspective étroite, et non large. L'évaluation de l'intérêt public ne revient pas à décider pour ou contre les fusions bancaires, car je suppose que si une demande doit être évaluée à ce titre, c'est que le gouvernement aura déjà opté en faveur de fusions bancaires. Il ne lui reste alors plus qu'à savoir si cette fusion particulière comporte des éléments particuliers bien précis, du point de vue de l'intérêt public, qu'il convient d'examiner. Ce mécanisme d'examen ne doit pas demander une deuxième fois si les exigences du Bureau de la concurrence sont remplis, car si M. Von Finckenstein dit qu'elles le sont, c'est fait. Si M. Lepin dit que nous avons respecté les règles du BSIF, c'est fait.

Par conséquent, il s'agit de limiter cette évaluation à des aspects qui n'ont pas déjà été examinés par d'autres organismes gouvernementaux. On ne peut avoir deux organismes gouvernementaux qui rivalisent pour réglementer la sécurité et la solvabilité ou la concurrence, car alors l'homme d'affaires ne sait plus à quoi s'en tenir.

Le sénateur Angus: J'ai trouvé votre argumentation remarquable sur cette notion de «premier arrivé, premier servi». Je veux m'assurer de bien comprendre. Vous dites: «Je suis d'avis qu'aucune fusion parmi les cinq grandes banques qui ferait l'objet d'un examen ne devrait être approuvée sans que les autres banques n'aient aussi le droit de présenter une demande de fusion». Par «droit de présenter une demande», j'imagine que si les banques X et Y ont présenté une proposition et que le gouvernement l'étudie, alors il se doit de contacter les trois autres banques restantes pour leur dire: «Voyez, nous avons reçu cette proposition qui nous paraît bonne, mais en avez-vous à formuler vous-mêmes?»

M. Clark: L'industrie craint que le gouvernement dise: «J'aime bien cette proposition, mais je ne veux pas en recevoir d'autres car il se passerait trop de choses en même temps». Cela nous amène tous à dire que nous avons intérêt à soumettre notre proposition en premier car «le premier arrivé sera le premier servi», et ce n'est pas une bonne politique publique.

Le sénateur Angus: À votre avis, et sachant que vous pouvez vous débrouiller avec ou sans fusion, considère-t-on dans le secteur des service financiers que si l'on veut évoluer, il faut procéder à des fusions? Y a-t-il place pour plus d'une fusion?

M. Clark: Selon les lignes directrices du Bureau de la concurrence, mathématiquement, la réponse est oui. Évidemment, la problématique se pose en termes différents pour les différentes banques. Pour qu'une fusion respecte les lignes directrices en matière de concurrence, il faudra procéder à des désaisissements. Cependant, ce sera à elles de décider, rationnellement, si elles sont prêtes à payer ce prix. Le gouvernement ne devrait pas leur dire qu'elles ne peuvent pas payer ce prix et que c'est lui-même qui décidera qui va fusionner avec qui. C'est là un degré de microgestion d'un secteur qui n'est pas sain à long terme.

Le sénateur Kroft: Ai-je bien saisi que votre préférence serait que nous n'ayons pas notre mot à dire sur un projet de fusion donné?

M. Clark: Vous devrez vous battre pour trouver un bout de territoire qui n'est pas déjà occupé par d'autres, vu que nous sommes un secteur tellement réglementé.

Nous voulons bien admettre une vérification finale avant que le feu vert soit donné à condition que ce ne soit que cela, une vérification finale. Avant d'en venir là, le gouvernement se sera déjà prononcé en faveur de fusions. Nous en aurons proposé une, et le BSIF aura dit que cette banque est sûre et solide. Le Bureau de la concurrence aura déjà opiné que toutes ses règles sont respectées ou bien que des mesures correctives adéquates sont prévues. L'Agence de protection des consommateurs aura déjà examiné tous nos programmes et succursales désaisies et confirmé que tout est conforme aux règles. Vous pourriez alors quand même dire: «Lorsqu'on fait la somme de toutes ces exigences, il manque quand même tel ou tel petit aspect qui n'a pas été couvert. La réglementation n'est pas parfaite au Canada».

Nous sommes prêts à admettre cela, mais à condition que cet examen soit de portée très étroite et que l'on ne remette pas tout en question avec un processus politique.

Le sénateur Kroft: Merci beaucoup de cette réponse. Nous avons passé pas mal de temps sur ce sujet la dernière fois et notre comité avait quelques idées. Cependant, je salue vos propos.

J'aimerais revenir sur cette idée de «premier arrivé, premier servi», car pour moi c'est quelque chose de nouveau. Cela nous donne un aperçu réellement intéressant de la situation qui existe effectivement à l'heure actuelle, où nul ne veut être le dernier partant, de crainte de manquer le train. On a donc créé cette situation de compétition incroyablement intense. C'est probablement merveilleux pour les avocats, les consultants et tous les autres, mais ce n'est sans doute pas une politique productive.

Néanmoins, je m'interroge sur la façon dont les choses se passeraient en pratique, et je réfléchis à haute voix. Si une proposition était reçue, comme l'a dit le sénateur Angus et comme vous l'avez confirmé, alors d'autres seraient invités à s'engager aussi. Dans son désir de justice et d'égalité, le gouvernement se trouverait alors dans une situation inconfortable. Faut-il empoisonner le puits, afin que nul ne puisse boire? Supposons que deux ou trois demandes soient soumises en même temps. Supposons que chacune constitue un projet solide du point de vue commercial et du point de vue de l'intérêt public. Si vous en aviez deux ou trois, alors le gouvernement serait poussé à dire: «Nous ne pouvons les accepter toutes, aussi nous n'en acceptons aucune». J'essaie de voir ce qui se passerait dans ces circonstances.

M. Clark: Vous avez mis le doigt sur le noeud du problème. Nous disons que le gouvernement a un avantage en ce sens que notre industrie n'est pas aussi compliquée. C'est une situation étonnante, mais il n'y a que cinq institutions financières au Canada qui soient visées par cette loi. Il est assez extraordinaire de prendre cinq grosses sociétés et de leur dire: «Vous, et vous seules, allez être astreintes à cet examen particulier».

Il ne faut pas être grand clerc pour déterminer les différentes combinaisons entre ces cinq susceptibles d'être soumises au gouvernement. C'est une simple opération mathématique.

Lorsque le gouvernement considère ces différentes possibilités il peut dire, pour des raisons de politique publique: «Nous aimons quatre des combinaisons, mais pas la cinquième», et il peut annoncer que c'est là sa politique. Il peut prendre position et dire: «Nous sommes prêts à recevoir des demandes. Nous sommes en faveur des fusions, sauf que nous n'autoriserons pas telle banque à fusionner avec telle autre».

Comme vous le savez, dans le secteur de l'assurance, il a déjà émis une déclaration de politique, non pas une loi, disant: «Nous ne sommes pas en faveur d'un regroupement entre Manulife et Sun Life». C'est là une politique claire et transparente. Manulife et Sun Life savent ainsi comment gérer leurs affaires. Elles savent à quoi s'en tenir.

Évidemment, notre préférence serait qu'il ne se lance pas dans une microgestion tellement détaillée qu'il dirait: «TD peut fusionner avec telle société mais pas avec telle autre». Si cela lui paraît tellement impensable, qu'il nous le dise maintenant et nous gérerons nos affaires en conséquence.

C'est à peu près tout ce que nous disons au gouvernement. Comme je l'ai dit, ce n'est pas si compliqué car le nombre des combinaisons possible est très limité et il peut facilement les imaginer.

Le sénateur Kroft: Vous parlez très clairement. Votre désir de ne pas faire l'objet d'une microgestion est presqu'un résultat inévitable. Cependant, si le secteur peut accepter une intervention aussi directe que de dire: «Vous deux vous pouvez et vous deux vous ne pouvez pas», et si vous pensez que cela marcherait, je me demande comment le gouvernement pourrait être non interventionniste dans un environnement aussi réglementé. Mais, évidemment, c'est là un degré d'intervention assez poussé.

M. Clark: Pour dire les choses carrément, le gouvernement cherche à être interventionniste, mais sans que cela se voie. Il devrait être prêt à dire: «Je ne veux pas de fusions entre vous et un tel» ou bien nous dire que nous pouvons. Ce qu'il ne peut pas faire, c'est dire: «Je ne veux pas avoir l'air interventionniste mais, clin d'oeil, j'espère que vous n'allez pas venir me soumettre une proposition de ce type». Ce n'est pas une façon de gérer le pays. Il devrait se lever et dire: «Voici nos politiques et nous en assumons les conséquences».

Il existe un ensemble de règles en matière de concurrence. Il est évident que la Banque royale et nous-mêmes, si nous fusionnons avec quelqu'un, devront nous désaisir d'un plus grand nombre de succursales que certaines autres banques ayant moins d'opérations de détail. Si nous voulons fusionner et sommes prêts à payer le prix pour cela, ce sera notre décision et nous devrions être autorisés à le faire dans le respect des règles de concurrence.

Le sénateur Kroft: Pensez-vous que l'issue d'une telle situation, qui autorise des spéculations fascinantes — suite aux ordonnances de désaisissement et autres mesures imposées — serait que de nouveaux concurrents entreraient sur le marché, du fait des désaisissements?

M. Clark: Sans aucun doute, s'il y a des désaisissements imposés, vous allez, dans une certaine mesure, remplacer les concurrents perdus. Je pense que c'est une bonne chose. Toute mon argumentation en 1998 était à l'effet qu'il faut des règles de concurrence assez dures pour, d'une certaine façon, imposer l'apparition de nouveaux concurrents ou le remplacement de ceux perdus.

Le sénateur Oliver: Monsieur Clark, ce que la plupart des autres témoins nous ont dit directement ou indirectement — surtout indirectement — est que le gros problème est que ce processus est devenu trop politisé. Il est devenu politisé à deux égards. Premièrement, il a été politisé par le gouvernement — le premier ministre et le ministre des Finances. Deuxièmement, il a été politisé par les deux comités parlementaires, celui de la Chambre des communes et celui du Sénat.

Le message qui semble se dégager de votre excellent exposé est que, vu l'existence de l'Agence de consommation en matière financière du Canada, du BSIF, du Bureau de la concurrence, de la législation en matière de droits de la personne, du protocole d'entente sous le régime de la Loi sur les banques, de la législation du travail et d'autres choses encore, cette évaluation finale de l'intérêt public n'est pas réellement nécessaire, étant donné qu'il existe déjà tellement de contrepoids. Vous dites que vous pouvez très bien vous débrouiller avec le BSIF et le Bureau de la concurrence, et que le reste vous regarde.

Est-ce en résumé ce que vous avez dit?

M. Clark: Oui. Nous ne pensons pas que ce soit nécessaire. L'intérêt public est suffisamment protégé sans cela. Si vous allez tenir un tel examen, alors qu'il soit court et circonscrit et qu'il intervienne à la fin du processus, afin que vous sachiez au moins ce que tous ces autres organismes nous aurons déjà imposé.

Le sénateur Oliver: Mais ce n'est réellement pas nécessaire.

M. Clark: Non.

Le sénateur Oliver: Nous avons toujours l'un de ces «piliers», comme on les appelle, soit la protection donnée aux sociétés d'assurance-vie. Pensez-vous qu'il faille supprimer cela de telle façon que les banques, si elles le voulaient, pourraient fusionner avec Mutual Life, Sun Life et quelques-unes des autres compagnies d'assurance?

M. Clark: J'ai toujours considéré que ces règles ne sont pas conçues pour protéger le consommateur. De ce fait, elles ne sont pas dans l'intérêt des consommateurs. J'ai toujours trouvé curieux, du point de vue politique, que cette législation anti-consommateurs existe.

À l'évidence, l'ouverture du secteur de l'assurance ferait baisser les prix de l'assurance au Canada et donnerait aux consommateurs un meilleur produit. Donc, les banques devraient être autorisées à vendre de l'assurance. Cependant, je ne vois non plus aucun inconvénient, du point de vue de la sécurité et de la solvabilité ou de l'intérêt du consommateur, à autoriser les banques et compagnies d'assurance à fusionner. Je n'ai vu aucun argument crédible pour justifier le maintien de cette seule barrière restante entre les deux types d'institution. Je pense que si un jour une grosse compagnie d'assurance achetait une banque canadienne, vous la verriez changer d'avis et proclamer qu'il est dans l'intérêt du consommateur que les succursales bancaires puissent vendre de l'assurance.

Le sénateur Prud'homme: J'ai lu tout votre mémoire dans les deux langues. La traduction est très bonne.

Seriez-vous satisfait que, au nom de la clarté, le gouvernement dise, pour reprendre vos termes: «Allez-vous en, rien ne va se passer avant deux ans». Je dis deux ans car je suis persuadé que le gouvernement déclenchera des élections en avril 2004 pour éviter la nouvelle carte électorale.

Seriez-vous satisfait de l'entendre dire que rien ne se fera avant au moins deux ans? Un nouveau gouvernement sera alors au pouvoir. Les règles seraient alors suffisamment claires pour qu'il n'y ait pas cette course au «premier arrivé, premier servi» entre banques. Les règles seraient alors les mêmes pour tout le monde. Pas de surprises.

M. Clark: Je pense que tout le secteur dirait: «Encaissons nos gains, acceptons». Ils adoreraient cette solution. Ils l'aimeraient encore plus si le gouvernement était prêt à le faire immédiatement.

Je pense que l'industrie préférerait un moratoire de deux ans et ensuite, après l'élection, il y aurait la clarté que nous réclamons. Au moins, nous pourrions gérer nos affaires pendant les deux ans qui viennent en sachant que nous ne sommes pas censés tenir de conciliabules entre nous et de faire la navette avec Ottawa pour déceler la moindre saute d'humeur. Je pense que l'industrie jugerait cela une amélioration considérable par rapport à la situation actuelle.

Le sénateur Prud'homme: Ce serait un gros soulagement pour les 232 000 salariés des banques. Ils se diraient: «les choses sont claires maintenant, nous pouvons nous concentrer sur le travail et offrir le meilleur service possible. Si cela va arriver dans deux ans ou 30 mois, du fait que nous aurons bien travaillé, les clients seront heureux et peut-être aurons-nous la meilleure probabilité d'être servis avant les autres».

M. Clark: Comme vous le savez, nous avons la conviction que l'on construit une grande banque en commençant par les clients et en tablant sur les employés. Chaque semaine, je passe du temps avec un grand nombre d'employés. Les premières questions posées à chaque réunion portent sur les fusions bancaires: «Que faites-vous? Avez-vous une proposition? Allez-vous à Ottawa? Vendez-vous notre proposition?» Les gens sont terrifiés à l'idée que quelque chose puisse arriver, que nous soyons pris par surprise sans avoir de proposition dynamique. Ce n'est pas une façon rationnelle de gérer une industrie.

Le sénateur Tkachuk: C'était un excellent exposé car il était clair et allait droit au but. Je souscris à l'essentiel de ce que vous avez dit — en particulier le fait que tôt ou tard il faudra une politique publique pour nous guider, faute de quoi nous tournerons dans le vide.

J'aimerais revenir sur quelques-unes de vos suggestions. Vous avez souhaité que la portée de l'examen soit étroite et le processus court. La CIBC préconisait 100 jours. Est-ce là le délai auquel vous songez quand vous parlez d'un processus court?

M. Clark: Je serai clair. La différence entre la CIBC et nous-mêmes est que nous proposons une séquence différente. La séquence actuelle prévoit que l'évaluation de l'intérêt public se ferait parallèlement à nos discussions avec le BSIF et le Bureau de la concurrence. Nous disons que cela ne peut marcher ainsi. Vous pourriez nous dire de garder telle succursale ouverte pendant même que je négocie avec le Bureau de la concurrence qui veut me la faire vendre, alors que je sais bien que le concurrent qui la rachètera va la fermer. Pendant que vous ferez votre examen, vous n'aurez aucun moyen de savoir ce que chacun des autres organismes qui nous contrôlent va exiger de nous.

Nous préconisons donc de placer les choses dans le bon ordre. Premièrement, le gouvernement doit dire s'il veut des fusions ou non. Veut-il ou non recevoir une demande, afin que nous sachions à quoi nous en tenir? Ensuite on s'adresse au Bureau de la concurrence et au BSIF, deux examens qui peuvent être faits en parallèle car ils portent sur des aspects très différents. Nous saurons alors ce que nous devons faire pour répondre aux lignes directrices touchant la concurrence et nous pourrons alors vous affirmer qu'il n'y a pas de problème côté concurrence. Le BSIF vous remettra aussi une lettre disant qu'il n'a pas de doute quant à la sécurité et à la solvabilité de l'institution fusionnée. Ensuite, au moment de procéder à votre examen, vous aurez déjà cerné les questions de votre ressort et vous saurez déjà quelles mesures correctrices seront apportées. Autrement dit, vous connaîtrez la proposition concrète, ce que nous allons faire de chacune de nos succursales.

On pourra ainsi considérablement réduire le délai. Le gouvernement a imposé une échéance globale de cinq mois au processus complet, comprenant le Bureau de la concurrence et le BSIF. J'aimerais bien que le délai de 100 jours préconisé par M. Hunkin soit accepté, mais je doute que le Bureau de la concurrence se contente de 100 jours pour son travail.

Je pense que cinq mois ne sont pas un délai déraisonnable. Si vous avez l'accord politique au départ, trois ou quatre mois suffiront probablement à tous les autres organismes, ce qui pourrait être suivi d'une période d'un mois ou deux semaines pour l'examen politique final, une fois que vous saurez exactement en quoi consiste notre proposition car nous aurons dans l'intervalle répondu aux exigences des autres organismes.

Le sénateur Tkachuk: Nous avons parlé de la notion de «premier arrivé, premier servi», et de la nécessité de donner à tout le monde une chance égale. Je suis totalement d'accord avec cela.

Cependant, dans la réalité, si les règles de concurrence sont fixées de manière équitable — autrement dit, 30 p. 100 du marché ou quelque autre chiffre dans des segments particuliers — une fois cela fait, pourquoi le gouvernement aurait-il à intervenir du tout? Ce n'est pas réellement nécessaire, n'est-ce pas? Il n'y a rien d'autre à faire. Chacun suit le processus. Deux banques se regroupent. Elles se rencontrent et disent, nous dépassons de quelques points ici, de quelques points là. Ajustons ceci ou cela. Est-ce normal?

M. Clark: Il est indubitable que c'est là un ensemble de règles sans commune mesure imposées à ces cinq institutions. Ce serait évidemment parfait s'il y avait un jour un consensus politique pour dire: «Nous avons mis en place suffisamment de règles, il n'est pas nécessaire de procéder à un autre examen politique. Laissons l'industrie se débrouiller à l'intérieur des contraintes qui lui sont fixées».

C'est un jeu politique compliqué qui nous a amenés là où nous en sommes. Ce secteur est devenu politisé. Je pense que, dans l'intérêt de la politique publique, il faut trouver moyen de le dépolitiser car ce serait dans l'intérêt de tous les Canadiens de prendre un peu de recul. La manière d'y parvenir est que le gouvernement déclare sa politique, d'avoir un mécanisme qui ne fasse pas double emploi et qui suive la bonne séquence. Ensuite, on peut soit ne pas avoir d'évaluation de l'intérêt public ou, si l'on en a une, qu'elle soit très courte, étroitement définie, et tienne compte de ce que les autres organismes nous ont déjà imposé en échange de leur agrément.

Le sénateur Tkachuk: La troisième question est l'entrée sur le marché — de nouveaux entrants et de nouveaux concurrents. Il y a beaucoup de concurrence au Canada. Nous avons les cinq grandes banques. J'ai appris aujourd'hui qu'au Québec les cinq grandes banques ne sont pas au premier, deuxième et troisième rang. Les cinq grandes banques commencent au troisième rang, avec la Banque royale. Il y a sept grandes institutions financières au Québec. En Saskatchewan, toutes les banques sont présentes, il y a aussi les caisses de crédit et HSBC. Il y a six, sept ou huit joueurs presque partout sur le marché.

Qu'est-ce qui vient en premier, l'offre ou la demande? Si quatre des cinq banques fusionnaient pour n'en faire plus que deux et que la dernière cherchait également à fusionner, j'ai l'impression que cela créerait de la place pour de nouveaux entrants sur le marché. Autrement dit, le marché est pas mal rempli et c'est pourquoi les banques américaines et d'autres ont du mal à s'implanter parce que nous avons déjà beaucoup d'établissements bancaires. Êtes-vous d'accord? Je songe à la Saskatchewan et à l'Alberta. L'Alberta a aussi les caisses du Trésor, n'est-ce pas?

M. Clark: Je conviens tout à fait que notre industrie est hautement concurrentielle. Les Canadiens jouissent de services à bien meilleur prix — bien meilleur que les Américains. Vous ne pouvez aller dans une grosse banque en Californie et acheter le même ensemble de services au même prix que chez TD Canada Trust aujourd'hui. Nous offrons des forfaits bien supérieurs et cela parce que nous sommes dans un combat concurrentiel à l'arme blanche avec beaucoup d'autres banques à travers le Canada. Étant donné la nature arithmétique des lignes directrices en matière de concurrence — aussi longtemps qu'elles sont rigoureusement imposées comme le Bureau de la concurrence l'a fait avec la fusion TD Canada Trust — vous aurez des désaisissements de succursales qui vont automatiquement renforcer les autres concurrents déjà sur le marché. Ce serait une bonne chose. Je pense que la concurrence est excellente pour le consommateur.

Le sénateur Tkachuk: C'est bien.

Le président: Nous terminerons avec une petite question venant de l'homme du centre-ville de Thetford Mines, et vous avez intérêt à y avoir une succursale.

Le sénateur Setlakwe: Il n'en a pas.

Très brièvement, monsieur Clark, je vous remercie d'un excellent exposé. Vous avez dit que le gouvernement a lieu d'examiner certains enjeux étroitement limités. Est-ce que vous y englobez la perception qui règne — et dont nous avons brièvement parlé avec les autres PDG — à savoir que les banques négligent les petites et moyennes entreprises et les personnes qui cherchent du crédit en région.

M. Clark: Nous sommes tous très sensibles à cette question. Franchement, c'en est une qui doit faire l'objet d'un dialogue même en l'absence d'une fusion bancaire, car je ne pense pas que des fusions feraient grand-chose ni pour empirer ni pour améliorer ce problème.

C'est un problème permanent. Je pense que le système bancaire a reçu le message. Chez TD en tout cas, nous avons isolé trois domaines de croissance pour notre banque, dont la petite entreprise en est un, les prêts commerciaux en sont un autre et l'assurance un troisième, dans la mesure où les règles nous le permettent. Nous consacrons beaucoup de ressources à la petite entreprise et aux prêts commerciaux afin de nous améliorer dans ces services. Nous sommes particulièrement sensibles à l'impératif de ne pas avoir une banque centrée sur Toronto qui ne s'occupe que de sa clientèle de la région de Toronto. Je pense que nous avons conscience du problème, mais nous allons devoir continuer à travailler pour convaincre le public que nous sommes à la hauteur.

Le sénateur Setlakwe: Peut-être devriez-vous songer à ouvrir une succursale au centre-ville de Thetford Mines?

M. Clark: Je le ferai.

Le président: Merci d'être venu nous rencontrer, monsieur Clark. Votre présentation était excellente.

La séance est levée.


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