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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 9 - Témoignages du 5 décembre 2002


OTTAWA, le jeudi 5 décembre 2002

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 11 h 10, pour examiner, en vue d'en faire rapport, la situation actuelle du régime financier canadien et international (la perspective canadienne de la faillite d'Enron).

Le sénateur E. Leo Kolber (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Nous poursuivons nos audiences et examinons, en vue d'en faire rapport, la situation actuelle du régime financier canadien et international et, plus particulièrement, la perspective canadienne de la faillite d'Enron.

Nous accueillons ce matin M. Purdy Crawford, qui est avocat-conseil chez Osler, Hoskin and Harcourt, société à responsabilité limitée.

Bonjour, monsieur Crawford. Nous sommes heureux de vous accueillir. Je sais que vous avez une déclaration à faire, après quoi, les sénateurs vous poseront des questions.

M. Purdy Crawford, avocat-conseil, Osler, Hoskin et Harcourt, s.r.l.: J'ai fourni des exemplaires de mon exposé aux sénateurs. Vous avez peut-être déjà dans vos dossiers les deux ou trois articles qui y sont annexés.

J'ai intitulé mon exposé «Confiance des investisseurs à l'égard des marchés financiers canadiens.» Comme vous le savez, sur la scène internationale, nous sommes souvent associés aux États-Unis, qu'on le veuille ou non. Il s'agit ici de la confiance des investisseurs canadiens à l'égard des marchés financiers canadiens et de la confiance des investisseurs étrangers à l'égard du Canada.

Il y a beaucoup de questions de politique d'intérêt public qui sont liées, pour les sénateurs, à la confiance des investisseurs, outre la saine régie des sociétés. Notre pays est très bien placé pour devenir l'un des grands créateurs de richesse, ce qui va lui permettre d'avoir les ressources nécessaires pour répondre aux besoins de sa population et aider davantage la population des autres pays du monde.

Cependant, je vais limiter mes propos à ce qui touche la régie des sociétés. À ce que je sache, aucune enquête n'a été effectuée pour savoir comment la communauté internationale perçoit le Canada comme endroit où investir, et je ne sais pas dans quelle mesure ces sondages traitent de la régie des sociétés. La Bourse de Toronto en a peut-être effectué, mais il me semble qu'il serait important d'avoir cet élément d'information pour décider si nous allons suivre les États-Unis ou adopter une solution typiquement canadienne. De par mon expérience polyvalente, je suis persuadé que les sociétés sont mieux régies au Canada, et cela dit sans vouloir offenser les États-Unis qui constituent, je pense, une des grandes sociétés du monde. Je suis aussi persuadé que c'est la même chose dans le cas des analystes en valeurs mobilières ainsi que des employeurs et des émetteurs avec lesquels ils travaillent.

Je parle par expérience. Au cours des années, j'ai fait partie du conseil d'administration de certaines sociétés américaines cotées en bourse. Je suis actuellement membre du conseil d'une entreprise dont je préside le comité de vérification. J'ai présidé un comité sur les normes des analystes, établi par des organismes canadiens d'autoréglementation et composé de responsables de la CVMO. Je ne peux tout simplement pas croire que les courriels et autres documents envoyés par les sociétés les plus réputées de New York, les cabinets de courtage, pourraient l'être par des gens du calibre de ceux qui dirigent nos maisons de courtage au Canada. Je suis sûr que cela arrive dans une certaine mesure, mais je dis qu'il y a une question de nuance, et que tout n'est pas noir et blanc.

Je suis aussi convaincu que nos lois sur les valeurs mobilières sont aussi valables que les lois américaines, même si nous faisons peut-être preuve de laxisme dans leur exécution. Je dis cela en raison de mes antécédents et aussi parce que je préside actuellement un comité qui examine les lois sur les valeurs mobilières en Ontario. Nous avons rendu public un projet de rapport pour commentaires. Nous étudions actuellement les commentaires reçus et nous allons bientôt présenter la version finale du rapport. La plupart de nos premières observations ont été reprises par l'Ontario dans son récent projet de loi dont je vais parler tout à l'heure.

Que devrions-nous faire au Canada pour que nos marchés financiers inspirent confiance et pour répondre aux initiatives des États-Unis? Les marchés nous devancent. Ils perçoivent ce qui va se passer et réagissent bien à l'avance. Je pense que les marchés vont se rétablir bien avant que nous ayons complètement déterminé comment réagir.

Beaucoup d'informations récentes indiquent que les investisseurs vont payer une prime pour la saine gestion des entreprises. Il faut se demander ce qu'on entend par saine gestion. Comme vous le savez sans doute, si on applique les normes du Globe and Mail, Enron ou WorldCom se seraient assez bien classées pour ce qui est de la saine gestion.

Jusqu'à récemment du moins, il n'a pas été possible d'établir de lien entre la saine gestion et le rendement, du moins si on évalue la saine gestion en fonction des bonnes réponses qui sont données. En fait, une analyse effectuée par deux professeurs de Montréal indique, entre autres, que les 25 sociétés ayant obtenu les meilleures notes pour ce qui est de la saine gestion avaient un rendement moins satisfaisant que les 25 sociétés ayant la moins bonne gestion, d'après le sondage du Globe and Mail. Deux autres articles intéressants, l'un intitulé «Second Thoughts On Board Independence» et un autre, tiré du numéro de septembre de la Harvard Business Review, intitulé «What Makes Great Boards» disent la même chose. La situation peut bien changer étant donné que les grands investisseurs accordent plus d'importance à la qualité de la gestion. Il se peut bien que les sociétés ayant une saine gestion finissent par être mieux cotées sur les marchés.

Les récentes mesures législatives et les règles adoptées par la bourse et la SEC aux États-Unis et par ses homologues canadiens veulent régler les problèmes de mauvaise conduite, de comptabilité de compromis, de fraude, etc. Cela n'a aucun rapport avec la valeur pour l'actionnaire, sauf dans un sens négatif, ce qui peut être important. Si vous arrêtez les escrocs, vous maintenez au moins la valeur. En fait, si les lois et les règles incitent les administrateurs à être plus conservateurs et prudents, elles peuvent nuire au rendement. C'est une question d'équilibre entre le risque et l'assurance ou la prudence.

Je ne nie cependant pas que ces nouvelles mesures ne sont pas fondamentalement importantes. Elles le sont et elles doivent l'être. L'intégrité de nos marchés financiers n'en exige pas moins. À ce sujet, pour prévenir la mauvaise conduite, la comptabilité de compromis, la fraude et le reste, les administrateurs doivent s'assurer des valeurs et de l'intégrité du PDG, et veiller à ce que le PDG et les autres dirigeants aient transmis leurs valeurs à l'ensemble de l'entreprise, c'est-à-dire qu'ils prêchent par l'exemple. Si un administrateur ne fait pas confiance au PDG, soit que le PDG s'en aille, soit que l'administrateur parte. Je pense que ce sont les valeurs fondamentales que les administrateurs doivent rechercher pour ce qui est de la gestion des entreprises.

La concentration des entreprises est beaucoup plus grande au Canada qu'aux États-Unis. Nous avons établi des règles très complexes à ce sujet. Les sociétés qui veulent un bon rendement d'actions doivent être prudentes dans leurs transactions entre entités apparentées, et les administrateurs doivent agir de façon tout à fait indépendante. Je crains toutefois la tendance à aliéner l'actionnaire. Dans mon milieu, les actionnaires peuvent apporter leur contribution, que leur participation soit de 20, 40 ou 60 p. 100.

À ce propos, dans son classement des conseils d'administration des entreprises, le ROB a considéré que les administrateurs venant d'une société mère qui contrôle la filiale cotée en bourse ne sont pas indépendants. C'est une erreur. Aux États-Unis, les règles ne vont pas aussi loin, même si, à une exception près, les grands actionnaires ne sont pas considérés indépendants pour les comités de vérification.

La Bourse de Toronto a révisé les lignes directrices qu'elle propose le 28 novembre. Je présume qu'elle en a soumis la nouvelle version à l'approbation de la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario. Il semblerait que, si un actionnaire contrôlant entretient des relations commerciales avec la filiale, aucun des dirigeants ou des administrateurs de l'actionnaire contrôlant serait considéré indépendant au sein du conseil d'administration de la filiale cotée en bourse. C'est seulement une ligne directrice, mais on propose que le comité de rémunération ne soit composé d'aucun représentant de la société mère contrôlante.

C'est la raison pour laquelle j'attire l'attention sur nos règles complexes concernant les transactions indépendantes parce que je ne pense pas qu'il faudrait nécessairement aliéner les actionnaires dans ce cas. Il faudrait peut-être que la majorité des administrateurs soient indépendants, mais pas privés de leurs droits.

C'est donc dire qu'il faut une solution éclairée pour les affaires courantes du Canada. Je suis sûr que la contribution de votre comité et celle de beaucoup d'organismes de l'ensemble du Canada vont permettre d'en arriver à une solution.

Certains ont proposé de simplement adopter la loi Sarbanes-Oxley des États-Unis et les règles de la Bourse de New York pour régir nos activités. C'est bien sûr les règles qui s'appliquent dans le cas des valeurs internationales.

J'aimerais cependant que nous proposions une solution typiquement canadienne. Nous devrions exiger que la majorité des administrateurs faisant partie des grands comités soient indépendants. Il faudrait exiger, ce qui est seulement une ligne directrice proposée par la bourse actuellement, que, si c'est un dirigeant de l'entreprise qui préside le conseil d'administration, il devrait y avoir un administrateur principal ou un administrateur président, selon l'expression employée dans les règles américaines, ce qui, je pense, sera obligatoire en vertu de la loi Sarbanes-Oxley.

Le projet de loi 198 du gouvernement de l'Ontario propose bien des mesures pour régler ces questions. Il accorde, entre autres, à la CVMO le pouvoir d'imposer des amendes et d'ordonner l'abandon des profits; il augmente de 1 à 5 millions de dollars les amendes maximales imposées par le tribunal; il interdit la manipulation des marchés pour que l'intérêt public général n'exerce pas autant de pouvoir; il accorde à la CVMO le pouvoir d'établir des règles pour les comités de vérification; il prévoit des examens sur l'information continue, la responsabilité civile en cette matière, l'accréditation des états financiers, etc.

Le régime doit être moins complexe dans le cas des petites sociétés qui veulent être cotées à la bourse. Le système de marché nous oblige à avoir un taux de tolérance au risque plus élevé pour les jeunes entrepreneurs. C'est un bon équilibre. On veut encourager les jeunes entrepreneurs — les nouvelles sociétés cotées à la bourse — à avoir une saine gestion, mais ce peut être néfaste pour notre société d'être trop exigeant à leur égard pour ce qui est des coûts et de l'indépendance des administrateurs.

Je vais terminer en posant simplement la question suivante: devrait-il y avoir un organisme de réglementation du commerce des valeurs mobilières au Canada?

Le président: Merci de votre exposé.

M. Crawford: Je tiens à dire que nous devrions en avoir un, peu importe la façon dont il est créé. Idéalement, il faudrait que le gouvernement fédéral et les provinces collaborent. Évidemment, c'est un sujet controversé de nos jours. Nous discutons en détail de la question dans l'ébauche de notre rapport traitant des lois sur les valeurs mobilières.

On peut régler beaucoup de questions avec la collaboration des différentes commissions du Canada, comme le fait qu'il y ait seulement une commission qui s'occupe de l'enregistrement, et une autre qui approuve les prospectus. Il faudra peut-être légiférer pour permettre la délégation réciproque ou régler la question de ce que les organismes de réglementation appellent l'abstention.

Ce dont on ne peut s'occuper, ce sont les mesures de politique pour répondre aux problèmes du marché. Le comité m'a beaucoup appris sur le travail des Autorités canadiennes en valeurs mobilières. Elles sont bien organisées et font du bon travail. Cependant, les choses s'éternisent parce qu'il faut parvenir à un compromis. La Colombie-Britannique a pris l'heureuse initiative d'essayer de simplifier la loi. De leur côté, les ACVM cherchent à uniformiser la loi; et il y a le rapport auquel je travaille, qui est exigé par la loi, mais tout le monde s'oriente dans des directions différentes. Il faut adopter une orientation commune.

Le sénateur Meighen: C'est toujours avec plaisir que nous vous accueillons, monsieur Crawford. Merci de nous faire profiter de vos conseils à un prix très raisonnable. Nous l'apprécions beaucoup. Maintenant que vous êtes retourné travailler chez Osler, Hoskin & Harcourt, vous aurez peut-être plus de temps pour nous faire part de votre expérience.

Vous avez abordé la question d'un organisme de réglementation du commerce des valeurs mobilières au Canada, qui est souvent réclamé, comme entité unique ou regroupement national coordonné. Dans quelle mesure pensez-vous que l'absence de cet organisme a un lien avec le laxisme avec lequel, comme vous l'avez souligné, la réglementation sur les valeurs mobilières est appliquée? Dans quelle mesure également ce laxisme est-il attribuable au manque de ressources au sein de la CVMO et d'autres organismes de réglementation?

M. Crawford: Le manque de ressources est probablement un facteur. Cependant, il reste que la SEC, compte tenu de la taille des États-Unis et du nombre de sociétés cotées en bourse qu'elle doit réglementer, ne dispose pas d'autant de ressources que la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario, de façon relative. Avec la loi Sarbanes-Oxley et la création d'un nouveau conseil qui sera chargé de superviser la profession comptable, elle ne reçoit pas du Congrès le financement nécessaire à ses activités.

Dans l'ensemble, il y a deux problèmes dans ce cas. Que ce soit attribuable au système pénal, à la CVMO ou à la province, le délai entre la tenue de l'enquête et le dépôt des accusations semble beaucoup trop long. Il semble l'être davantage au Canada qu'aux États-Unis. Je ne suis pas expert en la matière. J'ai entendu des gens en discuter il y a quelques semaines. Il doit y avoir plus de collaboration entre les représentants du ministère de la Justice, ou ceux qui s'occupent des poursuites criminelles, et la province et les autres enquêteurs. Le ministère de la Justice n'a pas les ressources pour engager des poursuites dans tous les cas, et il devrait être en mesure, en collaboration avec les provinces, de choisir les causes les plus importantes pour créer des précédents, ou pour essayer d'établir une approche commune. Une commission s'en remet à une autre, et je suis sûr que cette situation a nui à l'application de la loi.

Le sénateur Meighen: Sur un autre sujet, vous avez dit qu'il était souhaitable d'avoir des lois différentes ou moins complexes pour les petites sociétés. Pourriez-vous nous dire comment on distingue une petite entreprise d'une grande entreprise et les règles qui, d'après vous, devraient être moins complexes, et j'imagine moins lourdes pour les petites entreprises?

M. Crawford: J'ai commencé à réfléchir à la question. Il faut mettre beaucoup d'effort pour y répondre. Il est important d'inciter les nouveaux venus sur les marchés financiers ou les petites entreprises qui y sont déjà à se doter de normes plus élevées. Des documents actuellement publiés aux États-Unis prédisent que la loi Sarbanes-Oxley fera en sorte qu'il y aura moins de sociétés cotées en bourse ou que moins d'entreprises européennes le seront cotées en bourse aux États-Unis, etc.

Il faut trouver un juste équilibre entre établir des normes de base et encourager le risque et les entrepreneurs. Il faut que les administrateurs soient indépendants. Je pense que les lignes directrices de la bourse exigent que la majorité des administrateurs le soient. Selon les règles proposées, il serait obligatoire qu'il y ait deux administrateurs indépendants. Des entrepreneurs ont souvent du mal à en trouver.

Les entrepreneurs qui se lancent dans le capital de risque se font habituellement guider. Certains entrepreneurs ont l'impression que les administrateurs servent seulement à leur donner bonne réputation. Ce n'est pas une critique, c'est la réalité. Beaucoup d'entrepreneurs pensent de cette façon. Il faut leur montrer que des gens d'âge mûr ayant du discernement et de l'expérience peuvent les aider dans leurs affaires. Je ne sais pas comment faire la distinction entre les deux, mais il doit y en avoir une.

Le sénateur Meighen: Vous pensez qu'une distinction peut et doit être faite?

M. Crawford: Oui, je pense qu'on peut en faire une.

Le sénateur Meighen: Vous parlez souvent de la nécessité et de l'importance d'avoir des administrateurs indépendants. Je suis d'accord avec vous. Pour me faire l'avocat du diable, il semble qu'il est de plus en plus difficile d'en trouver parce que les règles à ce sujet sont de plus en plus sévères. Si le conjoint d'un administrateur indépendant détient des parts et est le fournisseur d'une entreprise, l'administrateur n'est plus indépendant. Et il y a d'autres règles.

J'aimerais savoir si vous pensez que nous allons trop loin dans le cas des conflits qui nous préoccupent. Je crains que des conflits ne soient pas divulgués. Je pense que, si un conflit est divulgué, le risque de conflit est considérablement réduit. Tout le monde le sait.

Nous avons tous des intérêts, et nous savons tous quels sont les intérêts qui, d'après le législateur, doivent être divulgués. On peut juger de l'opinion d'une personne à la lumière de ses intérêts. Quel est votre avis là-dessus?

M. Crawford: Je cite à la page 4 Jay Larsh, professeur de la Harvard Business School:

L'indépendance est une condition psychologique et juridique. Vous pouvez avoir des administrateurs qui, techniquement, sont indépendants, mais qui ne donnent pas l'impression de l'être quand ils sont nommés à un conseil.

Nous connaissons tous des administrateurs fort influents et puissants qui n'ont pas peur de dire ce qu'ils pensent, mais dont l'indépendance n'est pas garantie.

La General Electric a établi, récemment, des lignes directrices sur l'indépendance des administrateurs. D'après ces lignes directrices, si vous faites partie du conseil d'administration de la société, que vous fournissez des produits à la General Electric, que ces produits représentent au moins 1 p. 100 de votre chiffre d'affaires, vous n'êtes pas, à première vue, un administrateur indépendant, bien que le conseil puisse juger que vous l'êtes.

Les règles sont de plus en plus complexes. Par exemple, la SEC a statué, dans un premier temps, que l'administrateur qui siège au conseil d'administration d'une entreprise et qui a un enfant qui travaille pour cette même entreprise ne peut être considéré comme un administrateur indépendant. La SEC a aujourd'hui modifié cette règle de manière à ce qu'elle s'applique aux cadres ou aux cadres dirigeants. Je trouve cela intéressant.

Je ne sais pas ce que disent à ce sujet la Bourse de New York et la loi Sarbanes-Oxley, mais il est important, à mon avis, que les administrateurs qui font partie de comités importants — c'est-à-dire les comités de nomination, de régie, de rémunération, de vérification — soient indépendants. Même si vous comptez une majorité d'administrateurs indépendants, et quatre ou cinq qui ne le sont pas, si vous ne faites pas partie d'un de ces comités, votre contribution en tant qu'administrateur sera grandement réduite. Je m'en tiendrais donc à la règle de la majorité, et je définirais celle-ci avec soin.

Le sénateur Kroft: Quand nous avons commencé notre étude, en juin, nous avons sollicité l'avis des représentants de la Bourse de Toronto et de la CVMO, entre autres, sur la position à adopter. Devons-nous servir de modèle et imposer des normes sévères, ce qui encourageait les investisseurs à faire affaire avec nous puisque nous serions perçus comme un endroit où tout le monde est traité de façon équitable? Devons-nous prendre garde de ne pas imposer des normes trop sévères, pour éviter que les investisseurs ou les responsables du financement public nous perçoivent comme un obstacle? Il est difficile de prendre une décision dans ce contexte.

Vous avez abordé un point intéressant, soit la perception qu'on a du marché canadien. Il serait utile d'avoir des renseignements là-desssus, s'ils existent. Le Financial Times a déclaré, ce matin, en manchette, que le président de la Bourse de New York a indiqué, hier, dans un discours, que les règles de régie des entreprises adoptées par les États- Unis vont nuire à la Bourse de New York parce qu'elles vont dissuader les sociétés étrangères de s'inscrire à la bourse américaine. Si la Bourse de New York craint de ne pas être considérée comme un lieu de transaction intéressant et concurrentiel, nous allons en ressentir les effets. Nous devrions savoir à quoi nous attendre dans ce contexte.

Vous avez soulevé ce point et insisté sur le fait que nous devrions avoir accès à ces renseignements.

J'aimerais vous parler de la rémunération, même si vous n'avez pas abordé le sujet dans votre exposé.

M. Crawford: C'est exact.

Le sénateur Kroft: Cela cadre avec le principe de régie sur lequel vous voulez focaliser.

Il m'apparaît de plus en plus évident que les incidents qui sont à l'origine du problème auquel nous sommes confrontés aujourd'hui n'auraient pas eu lieu si les personnes qui, autrement, auraient eu un comportement tout à fait correct, ne s'étaient pas laissées tenter par les récompenses exagérées qu'on leur avait fait miroiter. Je voudrais que vous nous parliez un peu de la rémunération. Est-ce cette question, à votre avis, est importante? Est-ce que le problème est aussi grave au Canada qu'il ne l'est aux États-Unis? Pouvons-nous en discuter un peu?

M. Crawford: Avant que ne surviennent les faillites d'Enron et de WorldCom, entre autres, ce qui m'intéressait avant tout, c'étaient les ressources humaines, les programmes de leadership, le perfectionnement des employés et, donc, la rémunération.

Il y a un comité qui a réalisé une excellente étude sur la rémunération et qui arrive aux mêmes conclusions que le Conseil canadien des chefs d'entreprises. Il est évident qu'on est allé trop loin aux États-Unis. J'étais d'accord avec l'idée, par exemple, d'offrir des options d'achat d'actions aux administrateurs. Or, je ne sais plus si c'est une bonne chose. Quand vous offrez un régime de rémunération aux administrateurs ou aux cadres, vous devez établir la valeur des options que vous offrez. Si celle-ci est raisonnable, il n'y a rien de mal à les offrir, à la condition que vous puissiez les exercer rapidement.

Le problème aux États-Unis, c'est que les dirigeants se voyaient offrir un grand nombre d'options d'achat d'actions, ce qui faisait augmenter le prix des actions, qu'ils écoulaient ensuite en réalisant de gros profits, avant que leur prix ne chute. On a assisté au même genre de scénario au Canada, bien que, dans le cas d'une des grandes entreprises, le geste n'était pas délibéré.

Je trouve la situation très inquiétante. Nous recevons les résultats des études qu'effectuent les experts-conseils en rémunération, qui s'emploient constamment à mesurer la performance de sociétés comparables. Par ailleurs, le marché canadien étant lié de près au marché américain, nous devons recruter des personnes de toutes les régions du monde ou, du moins, de l'Amérique du Nord, et tenir compte de la rémunération qui est offerte aux États-Unis. Le Canada n'est pas allé aussi loin que les États-Unis dans ce domaine, mais quand on a des entreprises qui opèrent sur les marchés canadien et américain et qui emploient des travailleurs américains, il faut faire très attention.

Pouvons-nous interdire les systèmes de rémunération? Ils ont essayé de le faire, aux États-Unis, par le biais du régime fiscal. Si la rémunération dépassait x nombre de dollars, vous n'aviez pas droit à une déduction. Toutefois, cela n'a rien changé à la situation. Le comité pourrait recommander que les administrateurs exercent un contrôle là-dessus.

J'ai de la chance, dans un sens. Je fais affaire avec des conseils d'administration qui, dans presque tous les cas, sont composés de personnes intègres. Nous examinons le rendement des PDG, recrutons nos propres experts-conseils en rémunération quand cela s'impose, et essayons de garder la haute main sur le régime de rémunération.

Concernant les options d'achat d'actions, on pourrait fixer une période d'acquisition assez longue — on pourrait en acquérir tant par année pendant cinq ans — et instituer des critères de rendement. Les dirigeants ne recevraient des options d'achat d'actions que s'ils remplissent certains critères. C'est la solution que je propose à la plupart des conseils d'administration auxquels je siège — sauf qu'elle n'est pas toujours bien accueillie. Vous ne pouvez avoir droit aux options que si vous remplissez certains critères de rendement sur une longue période. C'est un régime assez efficace.

On peut aussi, par exemple, offrir des actions spéciales. Encore une fois, vous avez accès aux actions, sauf que vous devez pour cela remplir certains critères. Toutefois, les actions vous appartiennent et leur valeur augmente et diminue, ce qui n'est pas le cas des options d'achat d'actions, où le risque de baisse est inexistant.

Le sénateur Kroft: Nous sommes conscients du fait que les PDG ou les conseils d'administration efficaces et bien intentionnés subissent des pressions dans ces domaines. Pour ce qui est de l'idée d'établir des paramètres — qu'il s'agisse de l'imposition d'un délai avant que les options d'achat d'actions ne puissent être exercées ou l'imposition de critères de rendement — pour éviter tout dérapage, est-ce que ces paramètres figureraient dans une loi ou dans un règlement? Est-ce qu'il faudrait, à long terme, essayer de changer la culture d'entreprise?

M. Crawford: Il faudrait adopter un ensemble de mesures et changer, en partie, la culture d'entreprise. On pourrait, par exemple, réglementer la durée de vie des options. En ce qui me concerne, j'aimerais qu'on fixe un salaire de base peu élevé, qu'on accorde des incitatifs annuels ainsi que des options à long terme, et qu'on impose des critères de rendement assez sévères. Le PDG et ses employés, s'ils affichent un bon rendement, vont gagner beaucoup d'argent, parce qu'il y en a beaucoup à distribuer. S'ils n'affichent pas un bon rendement, leur salaire sera inférieur à la moyenne. On peut réglementer la durée de vie des options, parce qu'il est plus difficile de réglementer le salaire versé à une personne dans le marché nord-américain.

Le président: Est-ce au comité de discuter de tout cela, ou est-ce une question qui relève plutôt des marchés boursiers?

M. Crawford: Il serait bon que le comité aborde la question.

Le président: On le ferait de façon très générale, sans entrer dans les détails.

M. Crawford: Vous ne pouvez pas entrer dans les détails. Il s'agirait plutôt de donner un avertissement aux administrateurs. Il existe un problème au niveau des bourses. La Bourse de New York craint de perdre des sociétés qui sont inscrites sur le marché boursier — et elle a raison, parce que j'ai appris que les bourses en Europe et à Londres attirent maintenant des entreprises nord-américaines.

Par ailleurs, les marchés boursiers, du fait qu'ils sont publics, éprouvent certaines difficultés. La Bourse de Toronto fait partie de ceux-ci. Rien ne prouve qu'ils ne s'attaquent pas au problème de façon adéquate. Toutefois, le problème est bien réel. Il faudrait peut-être établir des règles très strictes afin d'augmenter le nombre de sociétés inscrites à la bourse, mais il se peut qu'un Européen ayant une culture différente ne voie pas les choses de la même façon.

Le sénateur Angus: Il est vrai que les pratiques de gestion, quand elles laissent à désirer, ne constituent pas le seul facteur qui mine la confiance des investisseurs. La bulle a éclaté, que ce soit dans le cas d'Enron ou de WorldCom, ou d'entreprises comme JDS ou Nortel au Canada, où il n'y a pas nécessairement eu fraude. Les actionnaires ont perdu espoir et ne croient plus aux chiffres, ainsi de suite. Ce que vous faites dans ce domaine est positif.

Pour ce qui est de la position que le Canada devrait adopter à l'égard de la loi américaine Sarbanes-Oxley, j'ai lu ce matin dans les journaux que Gordon Nixon avait proposé la même chose, hier, dans un discours.

J'aimerais en savoir un peu plus sur le rôle que vous avez joué à titre de président du comité de vérification d'une société ouverte américaine. Je ne connais pas bien vos antécédents, mais je pense que nous ne pourriez plus, en vertu de la loi Sarbanes-Oxley, assumer la présidence d'un comité de vérification au sein d'une société ouverte américaine. Est- ce exact?

M. Crawford: Il faut remplir deux critères. D'ailleurs, je ne serais pas déçu si je n'étais pas choisi.

Le sénateur Angus: J'en suis certain.

M. Crawford: Il faut remplir deux critères. Il faut d'abord être expert comptable, ce que je ne suis pas. En fait, la SEC a émis des lignes directrices à ce sujet au cours des deux ou trois derniers jours. La définition est très longue et complexe. Il faut aussi — j'oublie quel est le terme exact — avoir de bonnes connaissances en comptabilité.

Le sénateur Angus: Être un spécialiste des questions financières.

M. Crawford: Je ne sais pas si je suis un spécialiste des questions financières, mais c'est ce que pensent les employés et les conseillers de l'entreprise avec qui je fais affaire.

Le sénateur Angus: Je pense la même chose. Toutefois, vous devez posséder ces compétences pour faire partie du comité, non pas pour le présider.

M. Crawford: C'est exact.

Le sénateur Angus: On voit à quel point la loi Sarbanes-Oxley est ridicule. Vous possédez une vaste expérience en matière de gestion du fait que vous avez été PDG d'une importante société ouverte internationale, soit Imasco, et vous possédez aussi beaucoup d'expérience comme membre de conseils d'administration, conseiller des commissions des valeurs mobilières, ainsi de suite. Franchement, en tant qu'actionnaire, je serais très heureux de vous avoir comme président du comité de vérification ou de rémunération.

Les entreprises canadiennes qui sont intercotées sur le marché boursier américain vont être obligées, en théorie, de répondre aux exigences de la loi Sarbanes-Oxley. Vous allez être obligé d'embaucher plusieurs comptables agréés au sein du comité de vérification, des comptables qui ne possèdent peut-être pas le genre d'expérience que vous recherchez.

M. Crawford: J'ai participé à la restructuration d'une entreprise dans le cadre de la CCAA, et ce sont les créanciers obligataires qui désignent les administrateurs. Nous avons plusieurs excellents administrateurs, sauf que nous n'avons pas encore trouvé un expert comptable. Tous ceux que nous avons trouvés jusqu'ici sont excellents, sauf qu'ils ont des conflits d'intérêts.

Je reviens à ce qu'a dit le sénateur Kroft. Nous devons, de manière générale, projeter une image positive si nous voulons attirer les investisseurs dans nos marchés financiers. Nous sommes capables de bien faire les choses, peut-être encore mieux que les Américains, sans exagérer. C'est ce qui arrive souvent sur le plan législatif. Interdire l'octroi de prêts ou toute forme d'aide — non pas garantir, mais aider à obtenir des prêts — est une mesure excessive. Il faut interdire aux personnes de considérer l'entreprise comme une banque, et c'est ce que nous avons fait au Canada, comme vous l'avez noté récemment. Toutefois, il est exagéré de dire que toute forme d'aide en vue d'obtenir des prêts est illégale.

Le sénateur Angus: C'est vrai. Je suis d'accord. Vous avez parlé, en réponse à une question du sénateur Meighen, du comité de rémunération, du comité de vérification, des ressources humaines, du principe de régie sur lequel focalise la loi Sarbanes-Oxley. Êtes-vous en train de dire que la majorité seulement des administrateurs sont indépendants, qu'ils ne le sont pas tous? C'est ce que vous laissez entendre. Ce que vous dites sur l'administrateur indépendant, à la dernière page, est intéressant. Je trouve qu'ils sont allés un peu loin.

Gordon Nixon propose que le Canada et les États-Unis signent une entente internationale qui tient compte du fait que notre économie, notre structure organisationnelle, nos marchés financiers sont différents. Par conséquent, il faudrait trouver une solution typiquement canadienne. Sommes-nous sur le point d'en trouver une? Croyez-vous que les sociétés canadiennes inscrites à la bourse américaine devraient se conformer en tous points à cette loi?

M. Crawford: J'ai lu les commentaires de M. Nixon. Il est peu probable qu'on arrive, à l'intérieur d'un délai raisonnable, à conclure le genre d'entente qui nous permettrait d'appliquer une solution typiquement canadienne aux sociétés canadiennes qui sont intercotées sur le marché boursier américain. Après tout, c'est le président qui décide, et cette décision influe sur notre politique.

Le sénateur Angus: A-t-on fixé un délai, disons février ou mars 2003, ou est-ce que les sociétés intercotées doivent déjà se conformer aux dispositions de la loi Sarbanes-Oxley?

M. Crawford: Tout ce que je peux dire, c'est qu'il y a diverses dispositions qui entrent en vigueur à des moments différents. Dans certains cas, le délai est assez long, dans d'autres, non. Je n'ai pas ces données avec moi. Je ne peux vous indiquer quelles sont les diverses dates d'entrée en vigueur.

Le sénateur Angus: Est-ce qu'il y a encore un peu d'espoir?

M. Crawford: Oui.

Le sénateur Angus: On a commencé à parler de la régie d'entreprise dans le rapport Dey, et cette expression est, depuis, très à la mode. C'est pour cette raison, sans doute, que le Canada a damé le pion aux États-Unis, comme vous l'avez signalé. On a séparé les fonctions de PDG et de président. On semble dire dans le milieu que la régie d'entreprise ne pose pas vraiment de problème, pourvu qu'on ait un bon administrateur principal et que le conseil d'administration tienne des réunions publiques. Le fait que le président soit, ou non, membre du conseil n'a peut-être pas vraiment d'importance. Qu'en pensez-vous?

M. Crawford: Je suis d'accord. C'est ce que je pense. Il y a des cas où le président ne fait pas partie du conseil et n'est pas aussi influant ou indépendant que certains autres administrateurs. C'est compliqué.

Le sénateur Angus: Est-il vrai qu'aux États-Unis, le PDG et le président n'est habituellement qu'une seule et même personne?

M. Crawford: Oui. J'ai eu une discussion là-dessus il y a trois semaines de cela, lors d'une réunion d'un conseil d'administration, à New York. J'ai dit qu'à défaut d'avoir un président indépendant, il faudrait peut-être avoir un administrateur président. Ils m'ont tous regardé comme si j'étais un extrémiste venu du Nord, une personne aux tendances conservatrices.

Le sénateur Angus: Ma dernière question concerne l'indépendance du président. Elle a rapport avec ce que vous avez dit au sujet de l'économie mondiale ou de l'économie interliée. Vous avez dit que les normes américaines doivent s'appliquer aux niveaux de rémunération. Ainsi, quand on recrute de nouveaux cadres supérieurs pour bon nombre de ces entreprises, il n'y a tout simplement pas d'abondance de talents au Canada et il faut se tourner vers les États-Unis. Je constate moi-même qu'au niveau supérieur, les candidats ne se ruent pas à la porte s'ils ne peuvent être à la fois président et chef de la direction. Avez-vous observé le même phénomène?

M. Crawford: Jusque dans une certaine mesure, je suis d'accord avec ce que vous dites.

Le sénateur Angus: Ce n'est pas la fin du monde, n'est-ce pas?

M. Crawford: Non, ce n'est pas la fin du monde.

Le sénateur Oliver: Monsieur Crawford, pour me préparer à notre rencontre d'aujourd'hui, j'ai relu un chapitre du nouveau livre de Bill Dimma sur la régie d'entreprise, hier soir, notamment celui qui porte sur l'accréditation des administrateurs. Je sais que vous connaissez cet ouvrage. L'auteur énumère plusieurs des motifs pour lesquels les premiers dirigeants et les administrateurs sont opposés au principe de l'accréditation.

Un des articles que vous nous avez distribués aujourd'hui dans votre documentation, intitulé «What Makes Great Boards Great», est tiré du Harvard Business Review. Étant donné ce que j'ai suggéré au sujet de l'accréditation des administrateurs, j'aimerais vous lire deux ou trois lignes de cet article, à la page 107, et vous demander ce que vous en pensez. M. Sonnenfeld écrit:

Patrick McGurn, de l'Institutional Shareholder Services, comme d'autres experts, a souvent mis en question la littéracie financière de membres du comité de vérification d'entreprises en difficulté. Il est certes vrai que de nombreuses personnes nommées au conseil d'administration le sont parce qu'elles sont connues, riches et bien branchées — qu'elles sont tout sauf compétentes sur le plan financier. Par contre, tout autant d'administrateurs ont la formation et les connaissances voulues pour détecter les problèmes et eux non plus ne font pas bien leur travail.

À la lumière de cette observation qui se trouve dans la documentation que vous nous avez soumise aujourd'hui, pourriez-vous nous donner votre opinion au sujet de la notion d'accréditation?

M. Crawford: Il se trouve que je suis d'accord avec Bill Dimma. Tant que vous maintenez le statu quo à l'égard de vieux comme moi, il faudrait qu'il y ait un processus. C'est l'un des garde-fous à mettre en place. Je n'en ferais pas une exigence au départ, mais dans la quête de nouveaux administrateurs, il faudrait qu'il y ait un processus d'accréditation.

Comme vous le savez, certaines institutions ont versé une partie des fonds pour aider l'Institut des administrateurs des corporations à mettre sur pied un programme, de concert avec l'école d'administration Schulich. Je crois que cette initiative vaut son pesant d'or.

J'ai également dîné, un soir cette semaine, avec le doyen Ross de l'université McGill. Il cherche à donner de l'expansion à l'école d'administration de McGill, si j'ai bien compris. C'est une excellente idée. Il faudrait que cela se fasse.

Le sénateur Oliver: J'aimerais savoir ce qui devrait, selon vous, être un préalable pour de pareils cours. À une conférence à laquelle j'ai assisté au sujet de la régie d'entreprise, on a dit qu'il faut toujours commencer par avoir une personne comme vous, qui est bien connue et qui a beaucoup d'expérience, dans ces écoles et là où on donne ces cours pour donner de l'information au sujet des meilleures pratiques à suivre.

Je suppose qu'il faudrait aussi inclure quelque chose au sujet de la compétence en matière financière. De quoi d'autre faudrait-il tenir compte, selon vous?

M. Crawford: Il est certain que dans le domaine financier, au sein d'une entreprise privée, le facteur décisif, ce sont les chiffres. La stratégie et les ressources humaines ont effectivement de l'importance, mais si vous ne saisissez pas la portée des chiffres, vous avez un problème. J'ai moi-même connu cela. Si vous ne comprenez les chiffres et que vous laissez passer une couple de réunions du conseil avant de poser des questions, il vous sera difficile de le faire par la suite. La partie financière est importante.

Pour en revenir à la question du sénateur Crawford, comprendre les ressources humaines, les gens et leur développement, de même que le fonctionnement des plans incitatifs, est très important. En bout de ligne, les opérations sont fondamentales; la stratégie est importante, mais si vous n'avez pas les ressources pour la mettre en oeuvre, vous n'irez pas bien loin.

J'ai parlé au responsable du programme éducatif de l'école Schulich. J'ignore s'il faut que des personnes comme moi soient là, mais ils ont besoin de conseils pour élaborer le programme. Les avocats encadrent l'infrastructure autour de laquelle gravite la régie d'entreprise, de sorte que leur rôle est important, mais l'expérience, le savoir-faire et la compétence ont aussi leur importance.

Le sénateur Oliver: Dans une étude menée en 2002 au Royaume-Uni auprès d'administrateurs chevronnés, quelque 65 p. 100 ont dit qu'ils n'avaient pas de formation en évaluation des risques d'entreprise, qu'ils ne savaient pas comment poser une question à ce sujet et qu'ils n'y étaient pas préparés. Qu'avez-vous à dire à ce sujet?

M. Crawford: Dans une certaine mesure, la profession comptable a semé la confusion à cet égard. Elle aimerait prendre en charge le risque d'entreprise. Je ne l'en blâme pas. Elle voit la question en termes comptables, elle veut savoir si vous avez la bonne assurance contre les risques pour ceci ou pour cela. En réalité, pour la plupart des entreprises avec lesquelles nous travaillons, le plus grand risque est de savoir si vous avez des personnes du calibre voulu à long terme. C'est là une question de ressources humaines. Certains des risques financiers sont importants, mais cette question dépasse de loin le cadre financier. Elle relève des opérations et des ressources humaines. Il importe au plus haut point que les conseils d'administration fassent en sorte que tous les grands risques soient focalisés et qu'ils relèvent soit du conseil, soit des comités pertinents. La question ne relève pas seulement du comité de vérification.

Le président: Avez-vous réfléchi à la façon dont un conseil d'administration devrait être composé, surtout dans une grande entreprise? Faudrait-il diversifier le talent? Cela ne peut pas être inscrit dans une loi — ce n'est pas ce que je veux dire. Comment, selon vous, peut-on le faire, puisque au sein des conseils d'administration dont je faisais partie, nous étions tous plus ou moins à l'image les uns des autres?

M. Crawford: Je crois beaucoup à la diversité d'expérience au sein des conseils — non seulement à la diversité de la représentation hommes et femmes, mais également en termes de compétence et de savoir-faire. Aux États-Unis, on avait l'habitude de privilégier mes collègues chefs de direction; ils étaient forts et indépendants. À vrai dire, ils sont tellement ravis de faire partie du conseil d'un de leurs amis que je ne crois pas qu'ils sont aussi indépendants qu'ils le prétendent.

Il faut une heureuse combinaison de personnes ayant fait des études en administration des affaires, ayant des connaissances économiques, des connaissances commerciales, des connaissances psychologiques. Cela signifie que l'accréditation ou la formation est importante, parce que si vous incluez un psychologue ou quelqu'un qui serait compétent au sein d'un comité de ressources humaines, il faut aussi qu'il puisse assumer ses fonctions de manière responsable au sein du conseil d'administration. Par conséquent, il a besoin de plus d'aide sur le plan financier que le dirigeant expérimenté, par exemple.

Le sénateur Kelleher: Un des grands problèmes que l'on a fait ressortir, particulièrement aux États-Unis, est le comportement antidéontologique. Comme nous le savons tous, il est difficile de dicter le comportement au moyen de lois. D'après votre expérience et vos antécédents, que nous proposeriez-vous comme moyen de régler ce problème? Bien souvent, c'est de là que vient le problème, de même que de la cupidité.

M. Crawford: Comme je l'ai dit tout à l'heure, si vous faites partie d'un conseil et que vous croyez que le chef de la direction et les autres dirigeants de l'entreprise sont intègres, cela aide beaucoup par rapport au type de comportement dont on s'inquiète aux États-Unis. À condition, bien sûr, qu'ils aient le niveau d'intelligence requis, qu'ils ne soient pas paresseux et qu'ils soient disposés à approfondir les questions. Je ne vais pas me lancer dans un débat sur Enron. C'est là une toute autre question.

Il est difficile d'enseigner l'éthique. Toutefois, on peut apprendre quelles sont les répercussions, sur le plan éthique, de ce que font les gens. Beaucoup d'analystes de l'investissement des États-Unis, entre autres, font fausse route. C'est facile quand on est jeune, à son arrivée dans une entreprise où une certaine pratique a cours, de ne pas réfléchir aux répercussions de ce que l'on fait, sur le plan éthique. Les écoles de droit ou d'administration des affaires n'ont peut-être pas besoin d'offrir un cours consacré à l'éthique. Toutefois, il est très important de faire en sorte que le programme contient plein d'exemples de situations où une transaction a des répercussions éthiques. On peut faire beaucoup dans ce domaine. Certains s'en moquent. D'autres au moins en profiteront.

Je me souviens d'un jeune avocat auquel j'ai enseigné le droit en Ontario. Il s'agissait d'un cours d'admission au Barreau. Le fait que de jeunes avocats signent des procès-verbaux comme s'ils avaient été présents à la réunion me préoccupait. En fait, un tribunal venait de se prononcer à ce sujet. Je parlais devant une classe de 400 étudiants environ. J'ai dit que ce n'était pas bien et qu'il ne fallait pas le faire. Il ne devrait pas signer comme quoi on est présent à une réunion où certaines choses se sont produites quand on ne l'est pas. On m'a hué. Mais tout cela a changé maintenant. Toutefois, je suis sûr que c'est parce qu'on ne comprenait pas les répercussions de ce que l'on faisait sur le plan éthique.

Je n'ai pas vraiment répondu à votre question. Je crois qu'on peut faire beaucoup dans ce domaine.

Le sénateur Kelleher: Dans le même ordre d'idées, êtes-vous disposé à commenter le code de régie d'entreprise du Conseil canadien des chefs d'entreprise? Le code a-t-il été utile?

M. Crawford: C'est un bon code qui est utile. Je ne suis pas sûr qu'il rajoute quoi que ce soit à la documentation ou aux lignes directrices sur le sujet au Canada. Toutefois, s'il permet de sensibiliser quelques chefs de la direction à la question, cela me suffit.

S'il fait contraste à ce dont a accouché le comité des gens d'affaire du Conference Board des États-Unis en termes de rémunération, vous aurez la réponse à ma question.

Le sénateur Kroft: Monsieur Crawford, j'aimerais vous poser une question précise au sujet des comités de vérification. Comme vous, j'ai présidé des comités d'audit d'entreprises publiques et je suis très sensible aux énormes pressions et défis qui viennent avec cette charge, aujourd'hui plus que jamais. Tout au long des présentes audiences, j'ai cherché à trouver un moyen d'aider à rendre plus efficace cette partie du travail de régie d'entreprise, d'une façon qui inspirerait davantage confiance aux investisseurs.

Au tout début de nos audiences, un des témoins nous a entraînés dans un débat au sujet des comités de vérification qui jouiraient de conseils indépendants. Cela a soulevé toutes sortes de préoccupations. Toutefois, j'aimerais faire une suggestion ou une proposition et connaître votre réaction. Le comité de vérification dispose de toutes sortes de conseils et de moyens de consultation du vérificateur de l'entreprise, tant en présence qu'en l'absence de la direction.

J'aimerais connaître votre réaction à l'idée d'un comité de vérification qui aurait à sa disposition un expert indépendant lors de la réunion trimestrielle pour faire des observations sur l'utilité de creuser telle ou telle question, selon l'ordre du jour. Récemment, un expert du domaine a laissé entendre qu'il existe des personnes aux nombreux talents qui prennent leur retraite à 55 ans ou à 60 ans. Il y aurait moyen pour ces gens de rendre de grands services dans le domaine de la régie d'entreprise.

Sans entrer dans le détail, comment réagiriez-vous à l'idée que le comité de vérification ait de pareils experts à sa disposition? De toute évidence, il y aurait un aspect financier; il faudrait que l'entreprise paie les services. Avez-vous des observations à faire quant à l'à-propos de faire profiter le comité de vérification de conseils indépendants venant de l'extérieur, non pas pour produire un autre rapport de vérification, mais pour l'aider dans son travail?

M. Crawford: La loi Sarbanes-Oxley comporte un élément plutôt unique. Elle dicte les responsabilités directes à l'égard du comité d'audit. Dans la structure habituelle, le conseil délègue au comité d'audit — j'ignore quelles sont les répercussions sur le plan de la responsabilité. Le vérificateur répond au comité d'audit, pour l'embauche et le licenciement et ainsi de suite.

Je ne cherche pas à esquiver votre question. Il est très important d'insister sur le fait que le président du comité d'audit devrait rencontrer régulièrement le membre de la firme de vérification responsable de l'entreprise et établir des rapports avec elle. Il faudrait constamment souligner que le président répond au comité d'audit, non pas à la direction, parce que si c'était le cas, alors en théorie, vous n'auriez pas besoin de conseils d'expert du comité d'audit. Ce n'est pas toujours le cas.

J'estimerais important pour le comité d'audit d'avoir à sa disposition des consultants qui peuvent le conseiller de temps à autre au sujet de questions comptables ou financières importantes. Toutefois, je suis moins sûr de l'utilité d'avoir en permanence une sorte de protecteur.

Je serais un très chaud partisan de la première voie. Les entreprises de vérification ont appris leur leçon. Elles seront plus indépendantes.

Le président: Monsieur Crawford, je vous remercie d'être venu témoigner. Votre intervention a été très utile et fort instructive.

Le comité poursuit ses délibérations à huis clos.


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