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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 11 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 6 février 2003

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit ce jour à 11 h 05 pour examiner, afin d'en faire rapport, la situation actuelle du régime financier canadien et international (perspective canadienne sur la faillite d'Enron).

Le sénateur E. Leo Kolber (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous poursuivons notre étude sur la perspective canadienne de la faillite d'Enron. Notre premier témoin est M. Guy Legault, représentant l'Association des comptables généraux accrédités du Canada. Si vous avez une déclaration liminaire, veuillez la présenter.

[Français]

M. Guy Legault, président, Association des comptables certifiés du Canada: C'est avec plaisir que je me trouve de nouveau devant votre comité. J'ai suivi avec intérêt les nombreux témoignages que vous avez entendus au cours de cette enquête. J'aimerais vous féliciter de la profondeur et de l'étendue de vos travaux.

[Traduction]

Lors de notre dernière comparution en mai dernier, nous avions parlé de normalisation comptable et de gouvernance d'entreprise. Je vais me concentrer aujourd'hui sur la normalisation et soumettre quelques idées nouvelles à votre attention.

Lors de notre dernière comparution, CGAA Canada venait de charger le Centre pour la collaboration gouvernementale d'approfondir certaines questions clés touchant la normalisation comptable au Canada et d'élaborer un document de réflexion pour aider l'ensemble des décideurs à comprendre ce que des événements comme les faillites d'Enron et de WorldCom signifient pour l'avenir des normes comptables au Canada. Nous avons commandé cette étude parce que nous sommes convaincus que, dans une économie qui se mondialise et dans laquelle les capitaux circulent pratiquement librement d'un pays à l'autre, il est essentiel que tous les intéressés, notamment les pouvoirs publics, les sociétés et les investisseurs, aient accès à une information financière fiable et comparable de la plus haute qualité.

Nous croyons tout aussi fermement que la façon dont cette information est produite doit être soumise à des normes extrêmement rigoureuses de transparence, de responsabilisation et de démocratie La conformité à ces normes ne doit pas être une question qui relève uniquement de la profession comptable; elle doit plutôt faire l'objet d'un débat public et ouvert.

Comme je l'ai écrit dans l'avant-propos du rapport du centre, au XXIe siècle, les normes comptables ne sont plus simplement des règles alambiquées à l'intention des comptables et servant à la préparation de l'information financière pour leurs clients. Aujourd'hui, les normes d'information financière revêtent un intérêt de premier plan pour les gouvernements de tous les pays du monde... C'est donc aux responsables de l'élaboration des politiques et aux parties prenantes du Canada qu'il incombe de réexaminer le processus d'élaboration de ces normes dans le cadre d'une évaluation globale des pratiques actuelles de gouvernance d'entreprise.

Le document qui a été rédigé par le centre, sous la conduite de son directeur, M. Don Lenihan, est le résultat d'un processus de consultation — une sorte de table ronde virtuelle grâce à laquelle un groupe d'éminents Canadiens s'est penché sur les questions qui lui ont été soumises au cours d'une série de conférences téléphoniques et d'entrevues face à face.

[Français]

Nous mettons à votre disposition ce rapport et je vous le recommande fortement.

Votre constaterez que toutes les questions pertinentes ont fait l'objet d'un vif débat à l'issue duquel il n'a pas toujours été possible de dégager un consensus. Par contre, pour ce qui est de savoir s'il devrait y avoir ou non un jeu universel de normes comptables en vigueur dans tout les pays, les membres du groupe étaient pratiquement tous d'accord.

Selon un bon nombre d'entre eux, le débat qui oppose un système fondé sur des règles à un système fondé sur des principes est beaucoup trop simpliste puisque tous les systèmes sont fondés à la fois sur des règles et des principes.

À quelques rares exceptions près, les membres du groupe estimaient qu'à long terme les travaux de l'International Accounting Standards Board, ou IASB et du FASB américain tendront probablement à converger. Ce qui nous conduira vers une sorte de troisième voie idéale.

J'aimerais attirer votre attention sur l'accord de Norwak passé en octobre 2002 dans lequel le FASB et l'IASB se sont entendus pour faire converger les normes comptables mondiales.

[Traduction]

Dans la deuxième partie de son rapport, le centre s'est tourné vers l'avenir et s'est demandé comment la normalisation canadienne devrait idéalement se présenter au XXIe siècle. En réponse à cette question, le groupe a dégagé un ensemble de principes de base sur lesquels le régime de normalisation idéal devrait reposer. Les termes compétence, exactitude, transparence, simplicité, équité, impartialité, équilibre et indépendance reviennent souvent dans cette partie du rapport.

Je pense pouvoir affirmer sans me tromper que tous les membres du groupe souscrivaient aux idées véhiculées par ces termes, mais il serait exagéré de dire qu'ils ont été unanimes à considérer que le régime de normalisation canadien actuel satisfait à ces critères.

Avant de poursuivre et de proposer une remise en cause du statu quo, j'aimerais qu'il soit bien clair que je ne doute pas du souci d'excellence de l'instance de normalisation canadienne, pas plus que je ne mets en doute l'intégrité de ceux qui travaillent à cette tâche. En revanche, je m'interroge sur la sagesse de ses promoteurs qui continuent à prétendre que le régime est au-dessus de tout reproche. Parce que, pardonnez-moi ma franchise, il ne l'est pas.

L'Institut canadien des comptables agréés finance et administre le Conseil des normes comptables, qui rend des comptes au Conseil de surveillance de la normalisation comptable, lequel relève du Conseil d'administration de l'Institut des comptables agréés. Il y a là une apparence de conflit d'intérêts qui me paraît inacceptable.

Suite à l'affaire Enron, les autorités responsables ont tiré la même conclusion, ce qui les a amenés à créer encore un autre palier de surveillance l'an dernier. Je veux parler, bien entendu, de la création du Conseil canadien sur la reddition de comptes, ou CCRC. Bien qu'il s'agisse d'un pas dans la bonne direction, ce Conseil présente lui aussi le défaut d'être doté d'une structure non inclusive.

L'auteur d'une étude comparative récente sur la normalisation comptable au Canada, aux États-Unis, au Royaume- Uni, en Allemagne, au Japon, en Nouvelle-Zélande et en Australie a constaté que le Canada est le seul pays où l'instance de normalisation relève entièrement d'une association professionnelle de comptables. C'est le seul pays de ce groupe dont l'instance de normalisation ne reçoit pas de financement d'organismes autres que des organismes comptables professionnels.

Se pourrait-il que tous ces pays soient dans l'erreur et que seul le Canada ait raison? Je ne crois pas.

Toutefois, l'indépendance n'est pas à elle seule une garantie de perfection, comme nous l'avons vu aux États-Unis ces dernières années. Cependant, le gouvernement américain a agi rapidement en adoptant la Loi Sarbanes-Oxley pour resserrer les règles; désormais les chefs de la direction et les directeurs financiers des sociétés ouvertes doivent se porter personnellement garants de la véracité des états financiers.

Si l'on juge inopportun que les vérificateurs passent des ententes lucratives de services de conseil avec leurs clients, pourquoi ce principe ne vaut-il pas pour la façon dont les comptables canadiens structurent leur processus de normalisation?

Nous jugeons que le statu quo est intolérable et qu'il sera fort probablement impossible de remédier à cette situation sans l'intervention du Parlement. En effet, rien ne donne à penser que le détenteur d'un monopole accepte de lui-même de se départir de son privilège.

C'est pourquoi nous demandons aux honorables sénateurs de recommander l'adoption de réformes législatives et la promulgation de modifications réglementaires pour faire respecter les principes de transparence et d'indépendance aux fins de la normalisation comptable au Canada. Il suffit d'une modification de la Loi canadienne sur les sociétés par actions et d'un changement au règlement d'application de cette loi pour instaurer les réformes nécessaires.

[Français]

Pour ce qui est du modèle de gouvernance qui pourrait être utilisé, nous disposons maintenant au Canada et ailleurs d'un bon nombre de modèles. Que l'on opte pour un modèle relevant du secteur public comme en Australie, par un modèle géré par le secteur privé comme aux États-Unis ou un modèle hydride administré conjointement par les secteurs public et privé, le Parlement pourra, en consultant les parties prenantes, créer un modèle approprié. Il est évident que la profession comptable continuera à jouer un rôle important dans la normalisation comptable.

Le maintien du statu quo n'est pas dans l'intérêt du public. Je vais me faire un plaisir de répondre à vos questions.

[Traduction]

Le sénateur Angus: Vous dites en gros que le Canada fait fausse route sur le plan de la normalisation comptable. Tous les pays occidentaux revoient de près les mécanismes de responsabilité suite à l'affaire Enron et d'autres scandales; pourtant, au Canada, nous avons une profession qui fait sa propre police. L'Institut canadien des comptables agréés reste à toutes fins pratiques seul responsable du processus de normalisation.

Ayant déclaré que l'apparence de conflit d'intérêts est inacceptable, vous ajouteriez à votre propre crédibilité si vous nous rappeliez la position de votre organisation. Je sais qu'il y a une divergence entre votre organisation et l'ICCA. Je pense que cela tient au fait que les comptables certifiés ne font pas de vérifications.

Y a-t-il là un conflit? J'espère que vous pourrez m'assurer qu'il n'y en a pas — et expliquer pourquoi — afin que nous puissions considérer votre argumentation sous un jour positif.

M. Legault: Appelons un chat un chat. Vous évoquez une rivalité territoriale. Il ne s'agit pas de rivalité territoriale. Notre organisation et nos membres ont le droit de vérifier les comptes des sociétés, y compris des sociétés publiques, dans huit provinces et territoires aujourd'hui, en comptant l'Ontario où nous attendons le règlement d'application. Vous savez probablement qu'une nouvelle loi y a été adoptée. Ce n'est qu'une question de temps avant que toutes les autres juridictions suivent.

En considérant le problème, je suis sûr que le Canada fait siennes les valeurs de la diversité et de la tolérance, que nous chérissons la concurrence car celle-ci favorise l'innovation, et que nous sommes ouverts au débat. Nous vous demandons de faire en sorte que le Canada puisse rivaliser avec les pratiques optimales en vigueur dans le monde. Nous vous demandons d'examiner notre institution et de déterminer si nous avons le meilleur système.

Nous avons recensé sept pays. Dans certains, il n'y a qu'une instance responsable, d'autres en ont plusieurs. Nous avons constaté qu'ils assurent tous par des moyens différents l'indépendance par rapport à la profession comptable. Les normes comptables sont trop importantes pour l'économie pour être laissées aux soins des seuls comptables. Les comptables ont les connaissances expertes, mais la direction de l'institution doit être indépendante.

Le Comité international de normalisation comptable en place avant le conseil actuel était composé de comptables. À sa réunion annuelle de 2000, la Fédération internationale des comptables, qui compte 150 membres dont les organisations canadiennes, a décidé à l'unanimité de couper les liens avec le conseil des normes comptables internationales afin que celui-ci devienne un organe indépendant placé sous la responsabilité de fiduciaires indépendants et levant ses propres fonds. C'était une décision unanime. Est-que ce qui est bon pour l'association internationale et les principaux pays n'est pas assez bon pour le Canada?

Je vous demande ceci: est-ce que vous donneriez aux trois grands constructeurs automobiles la responsabilité de fixer les normes de sécurité pour l'ensemble de l'industrie automobile? C'est la situation que nous avons ici. Je pense que tout esprit objectif devrait conclure que nous sommes là devant un problème de politique publique.

Le sénateur Angus: Je suis d'accord avec vous. De nombreux témoins, lors de cette série d'audiences, ont soulevé des questions similaires à celles que vous avez évoquées ce matin. Il y a au Canada un manque d'uniformité. C'est là un problème qui met en jeu directement la confiance des investisseurs: selon les normes que l'on applique, soit les PCGR américains ou les PCGR canadiens, ou encore les normes du CNCI et celles des compagnies qui établissent leurs propres rapports trimestriels, on obtient des résultats extrêmement différents. C'est pourquoi les investisseurs n'ont plus confiance dans les chiffres. C'est l'une des raisons pour lesquelles le problème se pose aujourd'hui.

Nous avons abordé avec les représentants de l'ICCA la question du conflit d'intérêts dans le système canadien et ils nous ont dit que le conseil de surveillance fait tout pour éviter qu'il y ait un conflit d'intérêts. Le président et les membres du conseil ne sont pas des comptables. Il est maintenant dominé par des non-comptables. Comment réagissez-vous à cela? Je n'aimerais pas que notre comité pense que ce conseil est indépendant si, à votre avis, il ne l'est pas.

M. Legault: Comme je l'ai dit dans mes remarques liminaires, nous ne mettons pas en doute l'intégrité des personnes invitées à siéger à ce conseil de surveillance pseudo-indépendant, qui est censé être indépendant. Nous disons, comme les honorables sénateurs le savent, que non seulement l'existence d'un conflit d'intérêts pose problème, mais que l'apparence d'un conflit est déjà un problème. Nous voyons bien deux structures de composition différentes mais, en fin de compte, tout revient au conseil d'administration de l'ICCA qui prend les décisions sur le financement et la dotation en personnel. On ne peut que conclure qu'il y a manifestement une influence indue ou une possibilité d'influence indue lorsque l'institut paie les factures, paie les salaires et loge l'organisation et, par ce biais, possède le contrôle.

En dépit de cette structure qui présente une forme d'indépendance, il existe cette apparence réelle de conflit d'intérêts, si bien que le critère n'est pas rempli.

Le sénateur Angus: Monsieur Legault, vous avez clairement exprimé le malaise. Vous avez dit que la solution est simple, qu'il suffit d'une modification de la LCSA et de quelques changements corrélatifs au règlement d'application de cette loi.

Il serait utile, monsieur le président, que vous nous soumettiez le texte de la modification que vous préconisez. Avez- vous déjà rédigé quelque chose ou pourriez-vous nous envoyer un texte?

M. Legault: Nous ne sommes pas allés jusque-là. La raison est qu'il nous faut au préalable une déclaration de politique publique à ce sujet. Si vous en êtes déjà à ce stade, je me ferai un grand plaisir de vous faire parvenir un texte rapidement. Nous pensons qu'il existe plusieurs options, et elles sont esquissées dans le rapport du Centre pour la collaboration gouvernementale.

Nous avons des précédents au Canada avec des organisations comme le CRTC ou NAV CANADA qui se présentent davantage comme des organisations indépendantes. Le gouvernement a deux choix: soit il crée un organisme statutaire par une loi, soit il crée une autre organisation sans but lucratif composée d'une certaine façon et s'en remet à elle à partir de là. À l'avenir, cette organisation se perpétuera d'elle-même et travaillera de façon indépendante.

Le pouvoir est actuellement délégué à l'institut par référence au manuel dans le règlement. Par conséquent, on peut procéder soit au moyen d'une modification du règlement pour faire référence au manuel d'une autre organisation, s'il s'agit d'une organisation privée sans but lucratif, soit, s'il s'agit d'un organisme statutaire, une loi peut-être nécessaire.

Le sénateur Angus: Je vous arrête là. La réalité est qu'un débat de politique publique sur ce sujet se déroule en ce moment même. Il y a manifestement un problème, sinon ce débat n'aurait pas lieu.

Vous préconisez un changement substantiel de la manière dont les normes sont établies dans ce pays et indiquez qu'une modification simple réglerait le problème. Si vous pouviez nous donner ce texte — dans une lettre au président que nous pourrons annexer au procès-verbal — ce serait très utile.

M. Legault: Je le ferai.

Le sénateur Fitzpatrick: Vous avez dit, et je suis d'accord, que nous devrions avoir au Canada des pratiques exemplaires. Il s'agit de savoir lesquelles sont les meilleures. J'y viendrai dans un instant. Mais vous avez dit aussi que la structure est différente aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Allemagne, au Japon et dans quelques autres pays.

Je sais que la réponse est subjective dans une certaine mesure, mais avez-vous des données, autres que des renseignements anecdotiques, prouvant que ces autres structures sont meilleures que la nôtre sur le plan de la fiabilité de l'information, des défaillances, ce genre de choses? Est-ce juste une affaire d'apparence? Il serait utile de disposer de quelques statistiques à l'appui de cette affirmation. Peut-être avez-vous ces renseignements ici, sinon vous pourrez nous les faire parvenir plus tard.

M. Legault: Nous avons déjà remis au greffier le rapport sur les structures de normalisation comptables auxquelles j'ai fait référence dans ma déclaration. Ce rapport compare le système dans divers pays et examine les modes de financement.

Une note dans ce rapport traite justement du point que vous soulevez, sénateur, indiquant que nous n'avons pas pu aller jusqu'à examiner les résultats sur le marché financier de ces instances de normalisation. C'est évidemment une tâche beaucoup plus difficile.

Comme je l'ai dit dans mon exposé, nous n'avons pas mis en cause et ne mettons pas en cause les résultats de notre système. Certaines de nos normes figurent parmi les meilleures du monde. Cependant, notre structure et nos institutions ne remplissent pas le critère de l'indépendance, contrairement à ce que demande la pratique mondiale. C'est cela qu'il faut rectifier, à mon avis.

Cela dit, je répète que nous ne prétendons pas que les résultats soient mauvais, mais nous disons qu'il y a un manque de responsabilité. Je pense que les parlementaires devraient s'en préoccuper. Si les choses tournent mal, vers qui se tourne-t-on? Qui pourrait-on blâmer? Il vaut mieux remédier au problème aujourd'hui, lorsque ces questions occupent l'actualité, et garantir une pleine reddition de comptes à l'avenir.

Le sénateur Fitzpatrick: Dites-vous que votre organisation devrait assumer lui aussi une part de responsabilité?

M. Legault: Il faut bien voir que les normes comptables n'ont pas besoin d'être établies dans une structure de gouvernance dominée par des comptables. Il faut l'expertise des comptables pour décider ce que devraient être les normes mais, sur le plan de la gouvernance de l'organisation, toutes les parties prenantes doivent être présentes. Voilà ce que nous disons.

Le sénateur Fitzpatrick: Vous souhaitez une modification législative à cet effet. Il serait utile que vous nous présentiez, si ce n'est déjà fait, le modèle de cette nouvelle structure que vous recommandez. Quelle y serait la représentation? Qui seraient les représentants, de façon à ne pas seulement avoir l'apparence d'une structure appropriée, mais une structure qui est réellement efficace et efficiente?

M. Legault: Ce sera avec le plus grand plaisir. Comme je l'ai dit, nous pensions devoir d'abord vous convaincre. Si vous êtes déjà prêts à examiner des modèles, nous serons plus que ravis de vous en proposer.

Le président: À écouter les sénateurs, il me semble que vous avez encore un travail de persuasion à faire. Pourriez- vous expliquer pourquoi les avocats ou les ingénieurs n'ont pas de conseil de surveillance — ou bien en ont-ils un? Je ne dis pas que vous avez tort. J'essaie simplement de mettre à plat le problème.

M. Legault: Les gens en général ne trouvent pas cette partie de l'argumentation très intéressante, mais il faut distinguer entre les normes comptables et les normes de vérification. Les normes comptables font en sorte que les rapports financiers soient comparables d'une société à l'autre et même d'un pays à l'autre. Toutes les parties intéressées doivent avoir leur mot à dire.

Les normes de vérification, pour leur part, sont des normes professionnelles. Jusqu'il y a peu, les normes professionnelles étaient partout établies par la profession. Aux États-Unis, c'est maintenant le fait de la SEC. Au Canada, le CCRC a décidé d'instaurer un autre conseil de surveillance pour les vérificateurs comptables.

Tous ces changements sont intervenus suite à ce que nous avons appris au cours des 18 derniers mois. La comptabilité a un impact majeur sur l'économie, et lorsqu'il y a des défaillances comptables, c'est un gros problème.

L'autoréglementation a ses avantages, mais nous sommes arrivés à un point où il faut décider quels éléments peuvent relever de l'organisation professionnelle. Nous disons aujourd'hui que les normes comptables devraient être décidées à l'extérieur, par une instance séparée. C'est ce qui se fait partout ailleurs.

Nous pensons également que les comptables et les vérificateurs ont beaucoup de connaissances à contribuer à l'établissement des normes de vérification, mais l'environnement aujourd'hui est tel qu'il faut créer d'autres structures.

Le sénateur Kelleher: Merci d'être venu comparaître devant le comité. Dans quelques semaines, nous allons faire un voyage à New York et Washington. Nous nous pencherons entre autres sur le nouveau régime établi par la Loi Sarbanes-Oxley. Il y a eu beaucoup de discussions sur la question de savoir si les sociétés canadiennes devraient être exemptées en tout ou partie. Comment faudrait-il traiter les compagnies canadiennes actives aux États-Unis?

Pourriez-vous nous donner quelques idées sur les points à aborder dans nos entretiens avec ces responsables? Il se pourrait même que nous rencontrions les auteurs de la loi. Je ne sais pas si nous parviendrons à élucider tout ce que nous avons besoin de savoir.

M. Legault: Nous vous fournirons nos commentaires sur les nouvelles normes indépendantes qui ont été récemment recommandées. Ils recouvrent beaucoup de ces questions.

Nous sommes évidemment là aujourd'hui pour parler de la structure de normalisation comptable. Pour ce qui est de la Loi Sarbanes-Oxley — et je sais que l'on en a conscience aux États-Unis — on s'inquiète des effets que cela aura sur les petites et moyennes entreprises canadiennes. Il ne faut pas mettre en place des règles qui vont paralyser le secteur des PME au point qu'il ne puisse plus être le moteur de l'économie qu'il a été toutes ces dernières années.

Il faut se garder d'appliquer à tout le monde des principes, simplement parce qu'on pense qu'ils sont judicieux et rationnels. Le fardeau de ces nouvelles règles pourrait pénaliser certaines petites et moyennes entreprises. Je me ferais un plaisir de vous transmettre par écrit des avis détaillés.

Le sénateur Kelleher: Premièrement, suite à la question du sénateur Angus lorsqu'il vous demandait de fournir des propositions détaillées, sachez que les membres du comité sont soucieux de ne pas imposer de fardeau excessif aux petites et moyennes entreprises, comme vous l'avez dit. Toute proposition détaillée que vous pourriez nous soumettre à cet égard serait des plus appréciées.

Deuxièmement, pour en revenir à la Loi Sarbanes-Oxley, préconisez-vous que nous adoptions le texte même de cette loi ou que nous en rédigions une nous-mêmes?

M. Legault: Nous n'avons pas pris de position sur l'opportunité d'adopter ou non cette loi et malheureusement je ne suis pas en mesure de répondre à votre question.

En fait, nous avons pris position sur à peu près chacune des dispositions, ce qui signifie qu'il est peu probable qu'on veille l'introduire telle quel chez nous. Certains ajustements sont probablement nécessaires.

Le sénateur Kelleher: Avez-vous des avis personnels, indépendamment de ceux de votre organisation? Je suis sûr que vous avez étudié cela.

M. Legault: Je suis ici pour représenter mon organisation et je préfère m'en tenir à cela. Comme je l'ai dit, je suis venu aujourd'hui parler des normes comptables et de leur importance en tant que sujet de politique publique. Sauf votre respect, c'est tout ce dont je suis disposé à parler aujourd'hui. Ce ne serait pas rendre justice que d'aborder ces autres sujets à ce stade.

Le sénateur Kroft: Au risque de revenir sur un terrain que mes collègues ont déjà couvert, j'aimerais retourner à votre thème principal, l'indépendance ou l'apparence d'indépendance du conseil de surveillance. C'est un point important et c'est de cela que vous êtes venu parler aujourd'hui.

Je vous poserai des questions très directes car nous vous avons reçu, vous et votre organisation, à d'autres reprises et nous savons qu'il y a d'autres éléments de contentieux. Il ne s'agit pas de mettre en doute votre crédibilité, mais nous devons être objectifs s'agissant du statut des deux organisations de comptables. Je veux que les choses soient claires et garantir que votre crédibilité soit inattaquable.

J'ai remarqué que, par souci de franchise et d'objectivité, vous avez quelque peu modifié les termes employés. Vous avez choisi d'omettre dans votre exposé verbal la partie de votre texte qui fait état d'une relation trop intime.

Pour en revenir au CCRC, pourriez-vous m'expliquer encore une fois les raisons exactes qui vous font dire qu'il manque, au moins en apparence, à l'objectivité? Vous avez parlé de dotation en personnel et de locaux. Il serait utile que vous m'expliquiez précisément ce qui, dans la composition et les autres aspects, nuit à l'image d'indépendance.

M. Legault: Parlez-vous du CCRC, le Conseil canadien sur la reddition de comptes?

Le sénateur Kroft: Oui. À la page 3, vous parlez de la boucle formée par le conseil des normes et l'institut des comptables. Plus loin, vous dites: «Bien entendu, je parlais ici de la création du Conseil canadien sur la reddition de comptes, ou CCRC, qui a aussi le défaut de s'être doté d'une structure exclusive.» Ma question porte sur cette remarque.

M. Legault: Le CCRC est un pas dans la bonne direction sur le plan de la gouvernance. Il ne comprend pas que des représentants d'une association professionnelle, mais aussi des commissions des valeurs mobilières. Le Bureau du Surintendant des institutions financières siège également au conseil d'administration.

Le sénateur Kroft: Y a-t-il des membres venant d'en dehors de la profession?

M. Legault: Au niveau du conseil d'administration, le conseil comprend des représentants ne faisant pas partie de la profession. Il y a également quatre comptables, dont trois sont les directeurs généraux des instituts provinciaux de comptables agréés, l'autre n'étant pas encore désigné.

Au Canada, nous avons trois organes professionnels reconnus. Cette organisation se penchera sur les normes de vérification comptable. Nous pensons qu'il y a un manque d'ouverture dans ce conseil en ce sens qu'il n'englobe pas les autres organes professionnels.

Néanmoins, c'est un pas dans la bonne direction en ce sens que la composition est plus diversifiée. Toutefois, on semble répéter les erreurs du passé, à savoir l'absence d'ouverture à tous les organes professionnels en matière de normalisation comptable.

Le sénateur Kroft: Cela nous ramène au contentieux familier entre l'institut et la CGA, c'est-à-dire la reconnaissance des organes professionnels. Votre analogie avec le secteur automobile est sensée. Vous dites que c'est comme choisir un constructeur automobile pour fixer les normes de sécurité applicables à tous. Mais vous auriez pu faire l'analogie où tout le secteur automobile fixerait seul les normes de sécurité.

Effectivement, une seule association de comptables est représentée au conseil d'administration du CCRC. Quels sont les chiffres? Pourriez-vous nous dire le nombre de membres du conseil d'administration du CCRC? Combien y a-t- il de vérificateurs professionnels et qui sont les autres? J'essaie de déterminer où se situe le contrôle ultime de la gouvernance du conseil. Combien y a-t-il de membres, combien sont des comptables professionnels et combien appartiennent à d'autres professions?

M. Legault: Je vais devoir me fier à ma mémoire, mais il y a un conseil exécutif de quatre membres. Quatre comptables siègent au conseil d'administration et, je crois, celui-ci compte sept autres membres.

Le sénateur Kroft: Laissant de côté pour le moment laquelle des professions comptables il représente, les comptables professionnels sont une minorité au conseil d'administration. Le comité exécutif est composé de quatre personnes. Qui sont-ils?

M. Legault: Il y a un représentant de l'Institut des comptables agréés, un du BSIF et David Brown, et une autre personne représentant les commissions des valeurs mobilières.

Le sénateur Kroft: Le problème n'est pas que la profession comptable domine ou même contrôle le CCRC, le problème que c'est une seule profession comptable, que les deux professions ne sont pas représentées.

M. Legault: C'est un problème tout à fait différent des normes comptables. Il s'agit ici des normes de vérification, qui sont des normes professionnelles. C'est aussi une façon de fonctionner. Il faudra attendre de voir ce qui se passera lorsque le conseil commencera à travailler, mais on nous a dit que les normes seront élaborées par l'Institut et transmises au CCRC qui les appliquera à tout le monde.

Par conséquent, même si nos membres sont représentés au CCRC, il restera le problème qu'ils seront couverts par des règles conçues par quelqu'un d'autre. En tant qu'organisation professionnelle, nous trouvons offensant de ne pas avoir notre mot à dire. C'est un débat totalement différent de celui sur les normes comptables.

Le sénateur Kroft: Je comprends maintenant vos réserves.

Le sénateur Tkachuk: Aux États-Unis, l'organe responsable des normes comptables était distinct. Autrement dit, ce n'est pas comme chez nous, où l'Institut des comptables agréés est responsable. Aux États-Unis, il y avait une instance distincte, plus indépendante.

Aux États-Unis, ils avaient conscience des problèmes posés par les contrats de consultants passés avec les cabinets de vérification, n'est-ce pas?

M. Legault: Vous parlez là de deux choses différentes. Vous avez d'un côté l'organisation responsable de l'établissement des normes. Vous parlez là de problèmes qui ne relèvent pas réellement des normes comptables. Ce sont des règles d'éthique qui régissent la profession.

Le sénateur Tkachuk: Les professionnels eux-mêmes.

M. Legault: Il y avait un conseil de surveillance qui ne semblait pas faire son travail. Comme vous le savez, les membres ont tous démissionné. On commence à créer un autre conseil de surveillance uniquement pour la vérification.

Le sénateur Tkachuk: Le problème n'était pas au niveau des normes comptables, c'était un problème d'éthique et d'autoréglementation de la profession. Il avait trait aux pratiques commerciales.

M. Legault: Certains des problèmes chez Enron mettaient en jeu les normes comptables et d'autres les pratiques commerciales. Il y avait aussi des problèmes d'éthique et d'autres encore étaient simplement des comportements criminels.

Le sénateur Tkachuk: Avons-nous connu au Canada le même genre d'effondrement ou de calamité qu'aux États- Unis, avec ces manquements à l'éthique et ces comportements professionnels douteux et même criminels?

Je comprends ce que vous dites au sujet de l'apparence des choses, mais avons-nous eu les mêmes problèmes qu'aux États-Unis, où existait pourtant un conseil indépendant?

M. Legault: Nous avons connu notre part de problèmes, que je préfère ne pas détailler. La question est de savoir si nous voulons attendre jusqu'à ce que nous ayons le même genre de catastrophe qu'aux États-Unis ou bien voulons- nous assurer une structure de responsabilité qui prévienne ce genre de choses?

Le sénateur Tkachuk: Au Canada, des sociétés ont eu des ennuis à cause de pratiques commerciales douteuses ou peut-être même de comportements criminels. Sur le plan purement comptable, vous devriez pouvoir nommer quelques exemples. Il ne m'en vient pas à l'esprit.

M. Legault: Moi non plus. Je pense que certaines sociétés ont dû revoir leur bilan. Je serais ravi de faire quelques recherches et de vous donner la réponse. Évidemment, il y a eu le débat sur l'inscription en charges des options d'achat d'actions, mais c'est là un problème de normalisation. Les sociétés ont décidé de commencer à le faire volontairement avant que l'instance de normalisation ne les y oblige.

Cela fait partie des problèmes couverts par les normes comptables.

Le sénateur Tkachuk: On peut considérer que les conseils indépendants n'ont pas exactement résolu le problème. Autrement dit, là où il en existe, les problèmes sont pires ou tout aussi grands que chez nous.

M. Legault: Parlez-vous des États-Unis?

Le sénateur Tkachuk: Oui.

M. Legault: Je l'ai fait ressortir moi-même. Nul système n'est parfait. Nous avons vu ce qui s'est passé aux États- Unis. Il est difficile d'avoir des règles couvrant toutes les situations, dès lors qu'il y a intention criminelle. Toutefois, nous persistons à penser qu'il est préférable de mettre en place les meilleures pratiques et de tenter de prévenir les gros problèmes.

Le sénateur Tkachuk: Je ne souhaite pas que le gouvernement finance une autre organisation encore, qui ne fera pas un meilleur travail que celle que nous avons, en dépit de ce que vous jugez être un problème de conflit d'intérêt apparent.

M. Legault: Pour ce qui est du financement, sachez que la plus grande partie du financement provient des usagers. À l'heure actuelle, nos membres contribuent au financement en achetant le manuel. Nombre des mécanismes sont financés par les usagers.

Le président: C'est comme l'assurance-dépôt, qui est essentiellement financée par les banques.

Le sénateur Fitzpatrick: Ma question fait suite aux remarques du sénateur Tkachuk. Il me serait utile d'avoir quelques statistiques sur le nombre de défaillances de sociétés survenues au Canada du fait de pratiques comptables inappropriées, comparé aux États-Unis, au Royaume-Uni, à l'Australie et à d'autres pays. Je sais bien que tous ces pays sont de tailles différentes. Peut-être notre structure ici est-elle bonne, mais l'une des façons de le déterminer est de comparer nos résultats avec ceux des structures d'autres pays. Je comprends ce que vous dites au sujet de l'apparence, mais je pense qu'il faut aussi se préoccuper d'efficacité. Peut-être notre structure est-elle efficace. Il me faut plus de données pour être convaincu.

Le président: Est-il possible d'obtenir de telles statistiques? Existent-elles?

M. Legault: Il y a là deux problèmes. Je ne suis pas sûr que ces statistiques existent, et l'une des raisons tient à la difficulté de déterminer à quoi sont dues les défaillances. Lorsqu'Enron a fait faillite, tout le monde a jeté le blâme sur le vérificateur, mais on s'est rendu compte plus tard que beaucoup de gens étaient en cause. Qu'est-ce qui a déclenché la faillite? Était-ce le plan d'entreprise? Était-ce la comptabilité? Il y a eu plusieurs causes. Cependant, je ne suis pas sûr que ces statistiques existent et, le cas échéant, je ne sais pas si on peut y avoir accès.

Le sénateur Fitzpatrick: C'est justement mon argumentation. Si vous voulez nous convaincre, il faut nous apporter des preuves et faire quelques recherches pour nous donner des éléments.

M. Legault: Vous dites que ce n'est peut-être qu'une apparence de conflit d'intérêt. Si ce n'est que cela, et si nous sommes convaincus qu'on peut s'en accommoder, pourquoi alors créer un Conseil sur la reddition de comptes? Pourquoi imposer ces nouvelles règles aux vérificateurs et comités de vérification pour en garantir l'indépendance? C'est la même problématique.

Le sénateur Tkachuk: C'est une bonne question.

M. Legault: Si c'est nécessaire, c'est nécessaire pour toutes nos structures et institutions.

Le président: Le critère de réussite, en fin de compte, n'est-il pas la confiance des investisseurs? Il nous faut décider si cela va renforcer la confiance des investisseurs. Vous pourriez tout aussi bien dire qu'il n'y a pas eu d'incendie à Montréal au cours des six derniers mois, alors pourquoi a-t-on besoin de camions de pompier? J'admets que l'exemple n'est pas brillant.

Le sénateur Fitzpatrick: Veuillez pardonner mon ignorance, mais je ne connais pas la réponse: existe-t-il aussi aux États-Unis deux professions comptables, comme il en existe chez nous dans six ou sept provinces?

M. Legault: Il y a deux désignations aux États-Unis. Il y a le CPA et le CMA, le comptable en management accrédité. Les comptables en management n'ont pas le droit d'effectuer les vérifications aux États-Unis.

Le sénateur Kroft: Dans tout ceci, parlons-nous seulement des sociétés cotées en bourse, c'est-à-dire que lorsque vous parlez de petites et moyennes entreprises, il s'agit uniquement des sociétés ouvertes?

M. Legault: Non, au Canada, les normes comptables s'appliquent aussi bien aux sociétés ouvertes que fermées et aux PME. C'est là où nous lançons l'alerte. Il faut être très prudent dans toutes ces choses. Parfois, on pense que les nouvelles règles que l'on veut mettre en place ne toucheront que les sociétés ouvertes, mais ce n'est pas le cas. Nos normes comptables s'appliquent à toutes les sociétés.

Le président: Merci de votre temps, monsieur Legault. Nous vous demanderons peut-être de revenir.

Sénateurs, notre deuxième et dernier témoin est M. Dimma, représentant Home Capital Group Inc. Je connais M. Dimma depuis une quarantaine d'années. Nous sommes de vieux amis.

Veuillez nous présenter votre déclaration liminaire.

M. William A. Dimma, témoignage à titre personnel: Je suis ravi d'être de nouveau parmi vous, honorables sénateurs. Étant un partisan si ardent d'une gouvernance des sociétés de première qualité, il est bon de savoir qu'un important comité sénatorial s'intéresse tout autant, voire plus, aux façons de l'améliorer. Avec votre permission, je parlerai une quinzaine de minutes, ensuite de quoi je ferai de mon mieux pour répondre à vos questions et commentaires.

La première partie de mon propos servira à faire ce que j'appellerais «situer le contexte». Dans la deuxième partie, je vous proposerai 11 modifications modestes des pratiques exemplaires, mais qui ne requièrent pas nécessairement des mesures législatives ou réglementaires. Vous n'entendrez pas forcément beaucoup de choses nouvelles dans la partie sur le contexte, mais je vous promets que vous entendrez les choses selon l'optique du bénéficiaire ultime d'une bonne gouvernance et performance et de la victime ultime d'une mauvaise gouvernance et performance, à savoir l'actionnaire.

Presque toute la douzaine des grosses faillites récentes aux États-Unis ont leur origine dans l'avidité. Ne vous méprenez pas. Je sais bien, et je crois que nous savons tous, que l'appât du gain est un élément naturel et normal de la condition humaine. C'est une motivation essentielle. Il est le moteur de la croissance économique dans un système de libre entreprise. Si le mot vous choque, utilisez un euphémisme: «acquisivité excessive». Bien entendu, c'est quelque chose à freiner et à maîtriser. C'est un peu comme une voiture surpuissante, dotée d'un moteur de 350 chevaux et des freins défectueux, ou pas de freins du tout. L'esprit de lucre sans contrepoids conduit souvent les entreprises au désastre. Cela n'a jamais été démontré de manière aussi frappante qu'aux États-Unis au cours des 18 derniers mois.

La propriété d'actions et les options d'achat d'actions, comme vous le savez, ont largement été considérées comme un outil essentiel, ces 20 dernières années, pour faire se rejoindre les intérêts de la direction et ceux des actionnaires. La combinaison entre propriété et options d'achat d'actions a régulièrement glissé en faveur des options, principalement pendant la période d'envolée des cours qui, du moins aux États-Unis, a duré de peut-être de 1991 à 1992 jusqu'à l'effondrement qui a commencé par les sociétés de technologie vers le milieu de 2000 et qui a malheureusement contaminé l'ensemble du marché vers l'été 2001 et par après. Mais les options, en l'absence de mécanismes de protection, peuvent avoir des conséquences perverses, j'y viendrai dans un moment.

Mais auparavant, permettez-moi de dire quelques mots sur ces mécanismes de protection. Un trop grand nombre de sociétés les ont trop souvent ignorés, grâce à l'immobilisme des autorités réglementaires. Permettez-moi de vous en nommer une demi-douzaine environ.

Premièrement, il y a l'usage des options de performance. Les sénateurs connaissent bien, j'en suis sûr, leur principe, qui veut que une ou plusieurs haies — internes, externes ou peut-être les deux — doivent être franchies avant que les options puissent être exercées.

Il y a d'ailleurs là un grand paradoxe. Aux États-Unis, comme vous le savez peut-être, les options ordinaires, aussi appelées «options vanille» ne sont toujours pas obligatoirement inscrites aux charges. Ce n'est que depuis peu que quelques sociétés le font volontairement. Les options de performance, tellement plus sensées selon la perspective des actionnaires, doivent être passées en charge, ce qui en dissuade évidemment l'utilisation. Heureusement, cette dissuasion dysfonctionnelle du recours plus généralisé des options de performance n'existe pas au Canada. Cela dit, les options de performance ne sont pas non plus très répandues au Canada. Pourquoi? Simplement parce que les cadres préfèrent recevoir des options ordinaires et, jusqu'à récemment et même encore aujourd'hui, la plupart du temps les premiers dirigeants obtenaient habituellement ce qu'ils voulaient dans ce domaine.

Un autre mécanisme de protection consiste à exiger que les options soient détenues pendant une période de temps fixe, une fois exercées, avant d'être vendues. La détention pendant deux ans après l'exercice me paraît tout à fait sage, mais très peu de sociétés ont mis en place volontairement une telle condition.

Une autre méthode consiste à contrôler le nombre d'options. Il y a cinq ou six ans, Michael Eisner, qui était et est toujours le premier dirigeant de Disney, a reçu pour 5,5 millions de dollars d'options Disney. Cela semblait beaucoup à l'époque. Mais, depuis, il y a eu quelques octrois d'options encore plus grands, bien que moins connus, chaque fois de l'ordre d'un milliard de dollars.

Par ailleurs, l'inscription aux charges des options, qui se répand très rapidement aux États-Unis et au Canada, va bien entendu limiter certains des montants les plus extravagants accordés par des conseils d'administration excessivement dociles confrontés à des PDG vedettes et à des experts-conseils en gestion externes qui savent qui paie les factures.

Enfin, l'étalement de la période d'acquisition, mettons 20 p. 100 par an entre la fin de la première année et la cinquième année, est hautement préférable mais pas aussi courant que le droit d'acquisition complet et immédiat au moment de l'octroi. Je dois dire que la pratique canadienne à cet égard est sensiblement meilleure que celle de notre voisin du Sud.

Même avec ces mécanismes de protection et quelques autres, des problèmes peuvent survenir. Mais en leur absence, les problèmes qui ont surgi au cours du dernier grand marché haussier ont été d'une ampleur sans précédent. Permettez-moi de vous rappeler quelques-uns de ces problèmes, les médias en ont été remplis. J'y fais référence dans certains des documents que je vous ai remis et je serai donc bref.

On a dangereusement privilégié les expédients à court terme, conçus pour gonfler artificiellement et temporairement les cours des actions. En font partie de nombreuses fusions et acquisitions qui ne présentaient aucun intérêt à long terme mais étaient très juteuses pour les actionnaires au moment de l'offre, et particulièrement pour les dirigeants dotés d'options.

Certains ont simplement joué avec le feu au niveau des règles comptables et de leur interprétation. Il y avait la pratique comptable axée sur les règles, l'approche américaine, par opposition à la pratique axée sur les principes. Le modèle européen est axé sur les principes et le modèle canadien très largement aussi, encore que le Canada soit pris entre ces deux géants et emprunte un peu à chacun. La comptabilité axée sur les règles autorise davantage la fraude et la tromperie, encore qu'aucun système n'est à l'abri d'un comportement carrément malhonnête.

Il y a eu également l'exploitation caractérisée de renseignements d'initiés pour encaisser les plus-values avant la chute inévitable des cours des actions à des niveaux plus raisonnables.

Aux États-Unis, et je ne vous ennuierai pas pendant plus de 20 secondes avec cela, comme exemple de grosses compagnies américaines s'étant rendues coupables d'un ou plusieurs des comportements dont j'ai parlés, on peut citer Adelphia Communications, Arthur Andersen, Enron, Global Crossing, ImClone, Marion International, Tycos, WorldCom et même la très estimée et vénérable Xerox.

Cela a déjà été évoqué, mais nous avons échappé au Canada à cette épidémie récente de fraudes, de tromperies, d'excès et de défaillances, même si nous en avons eu notre part antérieurement. Livent et Bre-Ex viennent à l'esprit. Je ne connais aucune faillite notable au cours des 18 derniers mois qui approche, même de loin, celles que j'ai mentionnées aux États-Unis. Certes, certaines compagnies ont déchu, et l'on pourrait citer Nortel, mais je crois que rien dans cette société n'a approché le genre de choses dont j'ai parlé, hormis peut-être d'avoir payé trop cher une demi-douzaine d'acquisitions qui se sont avérées ne valoir qu'une fraction du prix payé.

Ainsi, la différence entre l'expérience récente des deux économies, du moins à court terme — et Dieu sait que nous n'avons pas lieu de nous rengorger car nous pourrions être les prochains — explique à mon avis pourquoi le Canada a largement évité ou choisi de ne pas adopter de nouvelles règles, alors que les États-Unis ont mis en place des règlements plutôt draconiens. Il est beaucoup trop tôt pour dire quelle approche est la meilleure. Peut-être les environnements américains et canadiens sont-ils suffisamment différents, à divers égards, pour justifier que les deux pays suivent une approche quelque peu différente.

J'étais à New York la semaine dernière et ai constaté déjà une tendance à s'illusionner et à revenir en arrière au niveau de l'exécution pratique des règles imposées par Sarbanes-Oxley et les commissions boursières. C'est un mouvement subtil mais réel qui donne à penser que l'intention du législateur ne sera pas entièrement concrétisée.

Au fait, je ne sais pas si vous avez lu et analysé le rapport Higgs de 120 pages récemment publié au Royaume-Uni. S'il est entièrement mis en oeuvre, et il y aura beaucoup d'étapes à franchir avant qu'il en soit ainsi, les changements seront non seulement nombreux mais, dans certains cas, très intrusifs. Par exemple, le rapport prescrit un critère d'indépendance très exigeant. Moi, avec d'autres, ai personnellement promu ce que je considérais un critère très rigoureux. Le mieux prévoyait l'absence de toute incitation financière, de quelque sorte que ce soit, pour un administrateur d'une société, hormis les simples jetons de présence. Le rapport Higgs interdit d'en verser également à tous les membres de la famille, ce qui est probablement un changement opportun, mais pas nécessairement dans tous les cas. Nul ne peut présider plus deux sociétés cotées. Par conséquent, mon bon ami John Evans, qui a jusqu'à récemment été administrateur indépendant d'Alcan Inc. et de Torstar Corporation, ne pourrait plus le faire si le rapport Higgs était adopté chez nous. En outre, il est interdit à deux administrateurs de siéger ensemble à des conseils différents, un autre élément intéressant.

Les lignes directrices canadiennes actuelles destinées à asseoir l'indépendance sont à la fois faibles et déroutantes. Je pense que le comité Saucier, qui a déposé son rapport à l'automne 2002, s'est laissé intimider s'agissant d'adopter des définitions plus rigoureuses. Je considère Guylaine Saucier comme une amie et une collègue. Le comité s'est efforcé d'établir des distinctions quelque peu byzantines entre apparenté et non apparenté, interne et externe, dépendant et indépendant. À mon avis, un simple critère d'indépendance similaire à ce que je propose serait plus utile.

Je passe maintenant de la description, ou de «l'état de l'union», en quelque sorte, à la prescription. J'ai un dernier commentaire sur ce débat interminable entre plus de réglementation, c'est-à-dire observation obligatoire de règles, et l'approche canadienne plus répandue de l'application volontaire des pratiques exemplaires plus divulgation obligatoire. Je pense que tout dépend largement du problème spécifique dont on parle dans le domaine général de la gouvernance. Si vous me permettez une petite pointe d'humour, je me situe dans le camp de Mackenzie King, lorsqu'il disait, à propos de la conscription pendant la Seconde Guerre mondiale, «plus de réglementation si nécessaire mais pas nécessairement plus de réglementation».

Nous avons tenu mardi une réunion des membres de l'Institut des administrateurs de corporation. Janet McFarland en a fait état dans le Globe and Mail du lendemain. Nous avons parlé de l'avenir de la gouvernance, des choses qu'il faudrait changer. Je peux vous en parler, sans rien divulguer de confidentiel, puisque le Globe and Mail s'en est déjà chargé. Peter Dey, qui présidait le célèbre comité Dey, en est maintenant venu à recommander le respect obligatoire des 14 lignes directrices proposées par son comité en 1995. Je pense pouvoir dire que la plupart des autres membres trouvent que ce serait aller un peu trop loin. Il y avait une divergence considérable entre les deux camps. La question devra être débattue plus avant.

Je parlerai maintenant brièvement de plusieurs domaines où des changements de pratique me paraîtraient sensés. Gardez présent à l'esprit — je sais que vous le ferez — que ces changements peuvent être imposés soit par la loi ou les règlements actuels soit être introduits sous forme d'adoption volontaire de la pratique recommandée combinée à une divulgation obligatoire dans les cas où une pratique bonne, mauvaise ou neutre est suivie à la place.

N'oubliez pas que la réglementation se répercutera sur la structure et le processus. Toutefois, une réglementation moindre retentira sur la culture et les comportements.

Nombre des problèmes qui se sont posés aux États-Unis au cours des 18 derniers mois, et probablement déjà même avant, tiennent autant à la culture et aux comportements qu'à d'autres facteurs.

Parmi ces 11 points, certains sont déjà appliqués par certaines sociétés, mais je vous promets que tous ne le sont pas par toutes les sociétés. Le premier consiste à séparer les rôles de président et de premier dirigeant. Même les États-Unis, enfin, lentement et avec hésitation, se rangent à ce point de vue. Le Wall Street Journal a publié il y a six mois environ un article que je qualifierais presque d'épique, dans lequel il reconnaissait qu'il pouvait y avoir quelque intérêt à séparer les fonctions de président et de premier dirigeant. C'était le dernier bastion de soutien aux premiers dirigeants. C'est un pas en avant.

L'argument en faveur de la séparation est très convaincant, du moins dans le cas des sociétés au capital très ouvert. Pourquoi? Je l'explique par un syllogisme en quatre parties. Chacun doit être responsable devant quelqu'un. On ne peut se faire rapport à soi-même. Les deux rôles sont conçus pour être complémentaires par le biais de ce que l'on a appelé une tension créative et une interaction constructive. On ne peut réellement obtenir ces deux attributs si la même personne joue les deux rôles. Enfin, la schizophrénie est une maladie dangereuse.

Qu'est-ce qui a empêché que cette séparation devienne universelle, particulièrement aux États-Unis mais dans une certaine mesure au Canada aussi? Il y a deux raisons. L'une n'est pas mauvaise et l'autre n'est pas très bonne. La première raison est le sentiment que le pouvoir, s'il est dilué, sera moins efficace et/ou moins efficient. C'est un souci raisonnable, encore qu'il me paraît non fondé. Il y a ce désir insurmontable chez beaucoup de PDG — Dieu merci pas tous — d'accaparer autant de pouvoir que la société va le tolérer. Ce n'est pas une raison raisonnable.

La deuxième raison est que le premier dirigeant d'une société très ouverte doit faire rapport, sans équivoque et ambiguïté, aux actionnaires par le biais du conseil d'administration au complet, dirigé par un président indépendant. Cela paraît aller de soi, mais ce n'est pas le cas dans le monde réel. Lorsque les rôles de président et de premier dirigeant sont confondus, ce genre de rapport non seulement ne se fait pas, il est impossible. Même lorsque les rôles sont séparés, le premier dirigeant a souvent assez de poids, du moins à court terme, pour reléguer le conseil en marge et dominer à peu près tous les aspects de l'entreprise, y compris son orientation stratégique, les décisions majeures telles qu'une fusion, sa propre rémunération, avec certaines limites, les régimes de droit des actionnaires et les relations et communications avec les actionnaires.

Je vois quelque mérite dans la notion que dans les sociétés où existe un bloc de contrôle, ce dernier ait un droit légitime de nommer le président. En effet, il peut exister une tyrannie de la minorité. J'en traite dans l'un des documents que vous avez peut-être eu l'occasion de lire. Si un président réellement indépendant peut mieux représenter les actionnaires minoritaires, il pourrait représenter moins bien le bloc de contrôle qui, par définition, représente plus d'actions, du moins dans la plupart des cas. J'admets que l'on peut avoir le contrôle avec moins de 50 p. 100.

Il va sans dire que les droits des actionnaires minoritaires doivent être scrupuleusement respectés, toujours et partout.

Dans le cas des sociétés au capital très ouvert, le président devrait non seulement être distinct du premier dirigeant, mais aussi pleinement indépendant. Cela me ramène à ce que je disais de l'indépendance. Il ne devrait pas être un ancien dirigeant ou quelqu'autre initié. Il ne devrait pas être un fournisseur actuel ou antérieur de services à la société. Il ne devrait pas être — sauf rare exception — un partenaire de pêche ou de golf fréquent du premier dirigeant.

La quatrième recommandation est que, dans le cas des grosses sociétés, le poste du président soit à temps plein ou presque. C'est un changement. La Banque royale aujourd'hui s'en approche pas mal. Le savoir c'est le pouvoir. À moins que le président soit prêt à consacrer beaucoup de temps à ses fonctions, il ne pourra pas compenser la réalité voulant que le savoir est le pouvoir, et il faut du temps pour accumuler le savoir.

Si vous me le permettez, j'aimerais citer brièvement un passage très révélateur de Peter Grace, l'ex-premier dirigeant de W.R. Grace & Co., sur ce même sujet. Il a été cité dans Barron's comme ayant déclaré:

Voulez-vous dire que si je travaille 100 heures par semaine pendant 4,3 semaines par mois en moyenne, c'est-à-dire que j'abats 430 heures par mois, un administrateur quelconque va se présenter et, en trois ou quatre heures, m'en remontrer? C'est complètement fou. Aussi intelligent que vous soyez, si je travaille 100 fois plus que vous sur un sujet donné, vous n'allez jamais me rattraper. C'est impossible.

Voilà en gros la réflexion qui sous-tend cette question de la séparation des pouvoirs.

Cinquièmement, le président du conseil doit être rémunéré de façon équitable et compétitive. Il n'y a rien de gratuit si l'on veut une bonne gouvernance de société. Qu'est-ce que j'entends par là? Plus précisément, il devrait être rémunéré autant par heure ou par jour que le premier dirigeant. Son travail est tout aussi important, même s'il est moins accaparant.

Sixièmement, le président du conseil ne fait clairement pas partie de la direction. Il surveille la direction et dirige le conseil, lequel constitue à son tour un intermédiaire crucial entre la direction et les actionnaires.

Septièmement, le président et le conseil collaborent créativement avec la direction à l'élaboration de la stratégie. Ils travaillent de concert là-dessus, mais le président et le conseil délèguent entièrement l'exécution de la stratégie à la direction, sous réserve que cette exécution reste fidèle à la stratégie et au concept et fidèle au plan d'entreprise et aux conditions financières.

Huitièmement, le conseil possède et, si nécessaire, use du pouvoir d'engager et de congédier le premier dirigeant. Trop souvent, cette décision est prise tardivement, particulièrement lorsque le directeur général a plus de pouvoirs que le président, et particulièrement s'il est à la fois président et directeur général.

Neuvièmement, le conseil seul — et je souligne «seul» — a le pouvoir de nommer les nouveaux administrateurs et, si nécessaire, les congédier. Normalement, il demande à cet effet l'avis du premier dirigeant, mais ce dernier ne doit pas gérer ce processus.

Dixièmement — et c'est crucial — le conseil a le pouvoir absolu de fixer la rémunération du premier dirigeant: son montant, sa composition, ses éléments et les conditions à remplir pour mériter la partie variable. Le conseil, ou le comité du conseil, est appuyé en cela, si nécessaire, par un expert-conseil en rémunération des cadres qui — et c'est important — n'exerce aucune autre fonction pour la société ou sa direction. Cet expert-conseil est redevable exclusivement au conseil et non à la direction.

Onze, nonobstant tout ce qui précède, le conseil et la direction comprennent bien que le premier dirigeant et son équipe gèrent l'entreprise. Rien de ce que j'ai dit n'a quelque chose à voir avec la gestion de l'entreprise. Nul conseil ne peut gérer, mais toutes les équipes de gestion doivent être supervisées par un conseil actif et engagé qui possède non seulement la responsabilité ultime, mais l'exerce. Ce contrôle ultime du conseil doit être réel et non pas seulement emprunter le jargon de la gouvernance, lequel trop souvent se préoccupe de la forme plutôt que de la fonction.

Voilà qui conclut mes remarques liminaires, honorables sénateurs, sauf que j'aimerais répéter une chose, si vous le permettez. Dans le milieu canadien, l'adhésion volontaire à la meilleure pratique dans certains domaines dont j'ai parlé vaut au moins autant, et peut-être plus, qu'une législation ou réglementation nouvelle. Ce n'est là que mon point de vue personnel. De nombreux faucons de la gouvernance, peut-être effrayés par les défaillances récentes de la gouvernance aux États-Unis et la ruée vers de nouveaux textes de loi, veulent emboîter le pas aux États-Unis et promulguer des lois et règlements plus stricts. Je comprends cela dans certains domaines. C'est particulièrement nécessaire s'agissant de la vérification comptable et des comités de vérification, mais dans d'autres cas je ne pense pas que ce soit la bonne façon de procéder. Si nous les Canadiens n'avons pas lieu de nous rengorger, nous n'avons pas non plus encore atteint les mêmes profondeurs de perfidie si je puis employer le terme, que celles que l'on a vues aux États-Unis au cours des 18 derniers mois.

Le sénateur Meighen: Monsieur Dimma, c'était là un exposé clair, concis et stimulant.

Convenez-vous avez moi que l'affaire Bre-X se serait néanmoins passée même si ce que vous préconisez avait été en place?

M. Dimma: Le témoin précédent l'a déjà dit. Je pense qu'aucun règlement, nouvelle loi ou règle de gouvernance ne fera de grande différence en cas de fraude.

Le sénateur Meighen: Il y a un règlement contre la fraude. C'est le Code criminel.

M. Dimma: Je parlais de la détection. Pour répondre à votre question, oui, je suis d'accord avec vous.

Le sénateur Meighen: Vous avez préconisé, parmi les diverses mesures de protection, que le niveau des octrois soit réglementé.

M. Dimma: Des octrois d'options.

Le sénateur Meighen: Oui, des octrois d'options. Quelle serait l'éventuelle norme? Est-ce que ce serait fonction de la capitalisation de la société, ou du salaire? À quoi les options seraient-elles reliées?

M. Dimma: Sénateur Meighen, je ne recommande pas de réglementer le niveau des octrois d'options. Je recommande que les conseils adoptent une approche plus rigoureuse et plus dynamique de ces niveaux. Bien qu'ils soient excessifs — et certains des octrois sont carrément obscènes — je ne pense pas qu'il faille tenter de les réglementer.

Le sénateur Meighen: Je vous ai donc mal compris. Il incombe donc au conseil de dire que 500 millions de dollars sont un chiffre obscène et absurde; ai-je bien saisi?

M. Dimma: Exactement, et je pense que l'inscription aux charges aura un effet bénéfique à cet égard.

Le sénateur Meighen: Les conservateurs en matière d'économie affirment toujours que le marché assure une régulation et tend à imposer sa propre discipline. Je penche en ce sens moi-même. Pourquoi le marché n'a-t-il pas régulé les salaires faramineux qui sont devenus chose courante, particulièrement aux États-Unis?

M. Dimma: Je ne suis pas sûr d'avoir une réponse complète, mais un facteur est que les options restent un phénomène relativement nouveau en matière de rémunération des cadres et beaucoup de gens ne savaient pas trop quel en serait le résultat au cours de la période de cinq à sept ans d'un octroi d'options. Évidemment, l'incroyable hausse du marché qui s'est produite a fait que certains octrois d'options sont devenus fantastiquement généreux.

Un autre facteur est que les États-Unis, et peut-être le Canada dans une certaine mesure, ont du mal à déterminer où les chefs d'entreprises s'inscrivent dans le spectre économique. Faut-il les rémunérer comme Michael Jordan?

Le sénateur Meighen: Pour terminer, j'aimerais votre avis sur l'idée d'un administrateur dirigeant comme solution de remplacement ou complément aux mesures que vous avez préconisées. Par ailleurs, et vous en avez parlé, je ne crois pas qu'aucun de nous ici ne considère que les Canadiens aient beaucoup moins l'appât du gain que les Américains. Nous sommes peut-être un peu moins avides, parce que nous sommes trop modestes, mais le fait est que les Américains ont tendance, dans bien des cas, à considérer que les choses sont à prendre ou à laisser. S'agissant de sociétés cotées dans les deux pays, il nous sera très difficile de dire: «Une minute, nous faisons les choses différemment». Même les sociétés qui ne sont pas cotées là-bas seront peut-être mal perçues si elles ne se mettent pas au garde-à-vous et acceptent toutes les règles de la Loi Sarbanes-Oxley ou autre.

Dans quelle mesure pouvons-nous faire cavalier seul dans ce domaine?

M. Dimma: Je répondrai d'abord à la première question, la plus simple. Je pense qu'un administrateur dirigeant vaut mieux que rien, mais c'est néanmoins un pis aller. Cela permettrait au moins que certaines choses se fassent. Cela permettrait au conseil de se réunir sans la direction. Cela facilite probablement l'évaluation des administrateurs, que ce soit une évaluation par les pairs ou une évaluation collective, mais je ne pense pas que cela change grand-chose dans le tableau d'ensemble. Si le PDG orchestre l'essentiel de la réunion du conseil, il y aura quand même un déséquilibre inopportun entre la direction et le conseil. Par conséquent, ce serait mieux que rien, mais ce n'est pas aussi bien qu'une séparation nette.

La deuxième question est très difficile. Je soupçonne que nous allons peu à peu être forcés d'adopter quelque chose de similaire à Sarbanes-Oxley, comme c'est le cas de beaucoup d'autres domaines de notre société. Cela va de toute façon de soi dans le cas des sociétés cotées aux États-Unis. Cela deviendra un problème pour celles qui ne sont pas cotées là-bas mais aimeraient néanmoins attirer des investisseurs américains.

J'ai l'impression, que cela nous plaise ou non, que nous serons entraînés dans cette direction.

Le président: Si vous êtes coté à la Bourse de New York vous devez suivre ses règles, à moins que nous obtenions les exemptions dont il est question.

Le sénateur Kroft: Pour ce qui est des exemptions, il est question d'en demander pour les sociétés intercotées et les compagnies européennes demandent la même chose. Y a-t-il un espoir de les obtenir ou bien est-ce exclu, à votre avis?

M. Dimma: Tout dépend de la mesure dans laquelle vous intercotez pour attirer des investisseurs américains. Lorsque j'y réfléchis, c'est à peu près la seule raison d'intercoter. Si vous demandez des exemptions et devez ensuite expliquer les raisons de la différence, je soupçonne que vous affaiblirez l'intérêt des Américains pour vos actions. Je ne suis pas sûr qu'il soit intéressant pour les sociétés qui dépendent beaucoup d'actionnaires américains de réclamer cette exonération.

Le sénateur Kroft: J'applaudis dans l'ensemble à votre exposé, monsieur Dimma, ne serait-ce que parce que je partage presqu'entièrement vos vues.

Selon mon expérience des conseils d'administration, pour ce qui est de la séparation des fonctions de premier dirigeant et de jouer sur les deux tableaux, il n'y a aucun doute. Pour ce qui est de ce rapprochement — je ne parlerais pas «d'équilibre des pouvoirs» mais on se rapproche d'un tel équilibre...

M. Dimma: Oui.

Le sénateur Kroft: ... avez-vous personnellement des exemples où cela fonctionne réellement? Sur le plan de la rémunération, cela marche probablement. Mais s'agissant du choix des administrateurs, cela devient plus difficile. C'est encore plus difficile lorsqu'on parle d'enjeux stratégiques. Pourriez-vous nous donner des exemples de réussite à cet égard?

M. Dimma: C'est une excellente question. Comme toujours, c'est l'application qui est épineuse. J'ai essayé de poser au moins le principe que le conseil ne peut pas et ne doit pas chercher à gérer la compagnie. Je conviens que, sur le plan pratique, il faut définir ce que cela signifie. Vous avez mentionné un certain nombre de facteurs.

J'ai siégé à une cinquantaine de conseils au cours de 40 années. Je n'ai vu qu'un seul cas où un président, qui se trouvait avoir une très forte personnalité, a tenté d'empiéter sur ce que j'appellerais les prérogatives de la direction. Il en a résulté un affrontement et l'un des deux a été écarté. Cependant, je ne pense pas que ce soit la norme. Un premier dirigeant réfléchi qui reconnaît un rôle légitime au conseil et un président qui ne cherche pas à trop en faire peuvent travailler en collaboration et avoir une relation très harmonieuse.

J'espère que cela ne paraît pas excessivement idéaliste. J'ai vu de telles situations.

Le sénateur Kroft: C'est rassurant. Au début de votre exposé, vous avez parlé d'«options vanille». Entendez-vous par là les options ordinaires?

M. Dimma: Oui.

Le sénateur Kroft: Vous avez également parlé d'options de performance. Encore une fois, je suis d'accord avec presque tout ce que vous avez dit à ce sujet.

Vous avez dit que les options vanille ne sont pas portées aux charges mais que le type plus attrayant le devient moins parce qu'elles doivent être inscrites aux charges?

M. Dimma: Nous ne parlons là que des États-Unis. Oui, il en a été ainsi au cours des 15 dernières années. Cela n'a pas de sens. En gros, cela revient à dissuader de recourir largement aux options de performance. Cela convient très bien à certains.

Le sénateur Kroft: J'avoue que je devrais être mieux renseigné en tant que membre de ce comité, mais dites-vous qu'au cours des 15 dernières années les options liées à la performance devaient être inscrites aux charges aux États- Unis, que la pratique ou la loi l'exigeaient?

M. Dimma: La pratique l'exigeait certainement, et je crois la loi aussi — oui, certainement la loi aussi.

Le sénateur Angus: Merci d'être revenu nous rencontrer encore une fois sur le même sujet, qui est évidemment important si l'on veut asseoir la confiance des investisseurs. Il faut régler ces problèmes de gouvernance des sociétés. Cela fait plus d'un an que vous avez comparu la dernière fois. Nous parlons toujours et encore des mêmes problèmes.

Dans votre exposé vous avez décrit les attributs d'un administrateur indépendant et la façon d'assurer cette indépendance. Vous avez lié cela à juste titre à la rémunération. En gros, pour être un administrateur véritablement indépendant, dites-vous, le jeton de présence devrait être la seule rémunération. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet? Nous avons au Canada un bassin beaucoup plus restreint de gens sophistiqués et expérimentés susceptibles d'être des administrateurs indépendants, c'est-à-dire des gens qui ne sont pas des prestateurs de services ou des avocats ou consultants agissant pour ces sociétés ouvertes.

Que faudrait-il, à votre avis, comme rémunération pour attirer des administrateurs compétents? Le rapport Higgs prescrit ce qu'il ne faut pas faire, et vous avez parlé de copinage de pêche et de golf. Nous viendrons à Nortel dans un instant. J'aimerais avoir votre avis sur une rémunération raisonnable.

M. Dimma: C'est également une excellente question. Tout d'abord, permettez-moi d'annoncer un préjugé. À ce stade de ma carrière, la question n'est pas aussi importante qu'elle pouvait l'être il y a 20 ans. Je ne pense pas avoir de préjugés personnels, à moins que ce soit un résidu du passé.

Je pense que les administrateurs sont très mal payés au Canada. Ils sont mal payés par rapport à ce qu'ils devraient faire. Il y a cinq ou dix ans, quelqu'un a dit qu'ils étaient la meilleure affaire en ville. Je pense qu'il en est toujours ainsi. Ils ne sont peut-être pas énormément sous-payés par rapport à ce qu'ils avaient coutume de faire — et c'est peut-être un cliché que de parler de club de vieux complices, mais cela c'est le passé.

Comme je l'ai dit dans mon livre, pour le meilleur ou pour le pire, les administrateurs devraient être payés à peu près le même montant per diem que le premier dirigeant. Lorsque j'ai écrit cela, on m'a pas mal critiqué, en disant que les administrateurs ne valent pas cela. Personne ne l'a dit aussi brutalement, mais on tendait à penser que c'était excessif. Je persiste à penser qu'un administrateur joue un rôle tout aussi important que le premier dirigeant, et s'il fait bien son travail, il devrait être payé à peu près le même montant pour le temps qu'il engage.

J'irais jusqu'à dire que les honoraires d'aujourd'hui devraient à peu près doubler, en dollars canadiens, pour les administrateurs canadiens. Comment on répartit le montant est une autre affaire.

Le sénateur Angus: C'est intéressant et tout à fait conforme à ce que vous avez déclaré publiquement. Pensez-vous que tous les administrateurs d'une société devraient être payés la même chose? Les membres des comités de vérification, les présidents de comités de vérification, les présidents de comités RH — tous ont de lourdes responsabilités, tant légalement au titre de la Loi Sarbanes-Oxley que dans la pratique, étant donné leur rôle de leader. Cela va créer deux catégories d'administrateurs, et je sais que vous êtes contre. Cependant, cela devient un problème épineux au niveau de la rémunération.

M. Dimma: Je pense que les administrateurs jouant le même rôle devraient être payés exactement la même chose. Malheureusement, tel n'est pas le cas. Je connais beaucoup de cas, et vous aussi j'en suis sûr, d'administrateurs américains que l'on va chercher et qui sont payés en dollars US, ce qui signifie qu'ils touchent une prime de 52 p. 100. Je désapprouve, mais je ne suis pas sûr d'avoir une solution pour arriver à attirer des administrateurs américains dans les sociétés canadiennes.

Le sénateur Angus: Peut-être suffira-t-il de doubler le jeton de présence.

M. Dimma: Cela suffirait dans la plupart des cas.

Pour ce qui est de rémunérer plus le président qu'un membre de comité, je n'y vois pas d'inconvénient. Si le rôle est différent, parce que vous avez assumé une responsabilité supplémentaire, alors oui, vous devez être payé plus. Cependant, vous ne devriez être payé plus par heure de travail. Comme président, vous allez devoir fournir davantage d'heures. On vous paiera peut-être au départ un jeton de présence plus élevé, mais le taux devrait être le même par heure. Mais vu que vous avez consacré davantage de temps à votre fonction, vous gagnerez davantage. Vous gagnerez davantage et aurez un jeton de présence plus élevé.

Le sénateur Angus: Lorsque vous parlez de jeton de présence — et je veux m'assurer de bien comprendre — j'ai cru vous entendre dire que le seul intérêt financier d'un administrateur devrait être son jeton de présence. Vous êtes opposé aux options. Vous êtes opposé à l'octroi d'actions aux administrateurs; exact?

M. Dimma: Non. Lorsque je parlais de jeton de présence, j'entendais toute leur rémunération. Pour ce qui est des options, je me rapproche un peu de la notion britannique voulant que les options pour les administrateurs ne soient pas une chose appropriée. Je ne pensais pas cela il y a quelques années. J'ai changé d'avis en partie du fait de certaines choses qui se sont produites.

Pour être juste, je ne connais pas d'exemple, mais il y en a peut-être, où des administrateurs ont touché des montants ridicules sous forme d'options. Il y a eu quelques cas dans la Silicon Valley, avant que le toit s'effondre. Il y avait quelques conseils, et peut-être celui de SISCO en faisait-il partie, dont les administrateurs, une année, ont empoché chacun 1,5 million de dollars en exerçant des options.

Le sénateur Prud'homme: En montant brut?

M. Dimma: Oui, mais ce n'est pas là le problème. Pour ce qui est des options pour les administrateurs, je suis partagé. Dans l'ensemble, je pense qu'il vaudrait mieux les payer correctement et stopper les options. Des actions à dividende différé qui reportent le paiement d'impôt jusqu'à la retraite sont une solution attrayante.

Le sénateur Angus: Le modèle que je vois apparaître dans certaines grandes sociétés canadiennes est un ensemble comportant un certain montant en espèces, payable trimestriellement et une partie sous forme d'actions, par exemple un total de 50 000 $, avec un quart de 30 000 $ payable chaque trimestre et le solde de 20 000 $ payé en actions, toujours sur une base trimestrielle.

M. Dimma: Cela me paraît raisonnable. Ces renseignements sont publics. J'ai siégé au conseil de Sears Canada pendant 20 ans et j'ai participé à la conception du système de rémunération des administrateurs, bien que celui-ci suivait d'assez près le modèle américain. Un tiers en espèces, un tiers en actions et un tiers en actions à dividende différé. Ce n'est pas une mauvaise combinaison. Il devrait y avoir des actions dans l'équation, mais peut-être vaudrait- il mieux que ce soit des actions plutôt que des options d'achat d'actions.

Le sénateur Angus: Le titre de votre article m'a accroché: «Compétence individuelle, impotence collective». Vous y parlez non seulement d'Enron mais aussi de Nortel. Si j'ai bien saisi votre raisonnement, les deux entreprises ont sombré dans de graves problèmes — peut-être des problèmes différents, mais graves dans les deux cas. Les administrateurs des deux sociétés étaient, du moins en apparence, des gens honnêtes ayant une bonne réputation d'intégrité et de compétence dans les domaines qu'ils étaient censés connaître.

J'aimerais m'attarder un moment sur Nortel. Vous avez également dit dans votre déclaration que la seule chose qu'on puisse leur reprocher, outre la baisse des actions, rétrospectivement, était quelques acquisitions imprudentes. Dans le texte, vous avez également reconnu qu'un certain nombre de cadres et d'administrateurs sont passés à la caisse et ont fait de gros «coups». Les administrateurs de Nortel — des amis à nous que nous rencontrons dans les clubs de pêche et de golf autour de Toronto — sont toujours en place. Ce doit être un sujet un peu délicat. Je ne veux embarrasser personne, mais ne nous leurrons-nous pas?

M. Dimma: Le président de Nortel est un bon ami à moi et vous êtes nombreux à le connaître. C'est un éminent Canadien du nom de Red Wilson. L'ancien premier dirigeant de cette société a exercé des options pour 135 millions de dollars six mois avant l'effondrement du cours. J'aime croire qu'il l'a fait parce que la date d'échéance des actions approchait et que c'était donc approprié et qu'il n'y avait rien de plus. C'est tout ce que je puis dire. Mais la perception n'était certainement pas bonne lorsqu'on sait que l'actionnaire ordinaire a vu le cours tomber de 124,50 $ à environ 1,50 $. Depuis, l'action est remontée à un peu moins de 4 $.

Oui, je pense que c'est un problème.

Le président: Puis-je intervenir? Lorsque M. John Roth a vendu pour 135 millions de dollars d'actions, c'était de notoriété publique.

M. Dimma: Oui.

Le sénateur Angus: On ne l'a su que dix ou quinze jours plus tard.

Le président: Est-ce que les autres actionnaires n'auraient pas pu vendre eux aussi leurs actions, s'ils l'avaient voulu?

Le sénateur Angus: L'action avait alors encore chuté de 25 $.

Le président: Je ne pense pas. Je suis dans votre camp — je suis d'accord avec vous — mais il n'a pas vendu ses actions en se cachant.

M. Dimma: Pourrais-je dire une chose sur ce sujet que vous soulevez, sénateur? Inévitablement, les gens de l'intérieur sont mieux renseignés que ceux de l'extérieur. Je n'impute rien à M. Roth, mais c'est la réalité, n'est-ce pas?

Le sénateur Angus: Ce à quoi je voulais en venir, en fait, c'est que la plupart des administrateurs de Nortel — tous, à ma connaissance — méritent le qualificatif de membres intègres de la société, tout comme ceux d'Enron. Je me demande donc pourquoi vous parlez de «compétence individuelle, impotence collective». Voilà ma question.

M. Dimma: J'aime croire, sénateur, que les onze humbles propositions de changement remédieraient collectivement à l'impotence.

Le sénateur Angus: Je trouve cela incroyable car aucun changement n'a encore été apporté dans le cas de Nortel. Si on regarde les 11 mesures, il y avait certainement une bonne séparation entre le directeur général et le président — M. Wilson et M. Roth — et le successeur. Pour ce qui est de tous les autres points, je les ai soigneusement notés car je siège à un panel à Toronto dans deux semaines. Je trouve, comme vous, ce sujet fascinant. Cependant, on est abasourdi de voir qu'avec un conseil composé de gens si qualifiés, une telle chose puisse se produire.

M. Dimma: En résumé, sénateur, mon argumentation est qu'il faut remédier au déséquilibre de pouvoir entre la direction et le conseil. Il faut renforcer le pouvoir du conseil. C'est certainement vrai sur le plan de la rémunération et des règles de base qui indiquent quand on peut exercer ses options et combien de temps il faut les détenir avant de les exercer. Il y a beaucoup de choses qu'un bon conseil, s'il en a le pouvoir, peut mettre en place et qui aurait évité au moins cette partie du problème de Nortel.

Le président: Je reste dérouté. C'est un sujet déroutant. Premièrement, je pense que le public a des attentes très exagérées quant à ce qu'un conseil peut faire. Prenons un exemple concret.

Le sénateur Angus: C'est justement ce que nous avons fait.

Le président: Un autre exemple est celui de la Banque de Toronto-Dominion qui a perdu 2 milliards de dollars l'an dernier. Demandez donc à n'importe lequel des administrateurs s'il ou elle avait la moindre idée de ce qui se passait. Peut-être étaient-ils au courant. J'ai siégé à ce conseil pendant 28 ans. L'activité principale d'une banque, bien entendu, c'est de prêter de l'argent, indépendamment de tous les autres services. Comment diable un administrateur pourrait-il savoir quels sont les prêts et quelle en est la qualité? Le directeur du crédit, deux fois par an, confie aux administrateurs des lignes directrices du genre, nous ne prêterons que 5 p. 100 au secteur métallurgique ou 6 p. 100 à l'industrie vestimentaire. Le membre du conseil d'administration ne sait pas réellement ce qui se passe.

M. Dimma: J'admets, sénateur, qu'il y a des aspects de la gestion sur lesquels le conseil ne peut pas exercer grande influence, et j'ai l'impression que c'est le cas de ce conseil.

Le président: Avez-vous jamais parlé avec un administrateur de Nortel, comme je suis sûr que le sénateur Angus l'a fait, tout comme moi, pour lui demander: «Pourquoi avez-vous payé ces prix aberrants pour certaines des entreprises que vous avez achetées?» Il est facile de voir clair rétrospectivement. Néanmoins, je me demande encore aujourd'hui pourquoi ils ont fait cela.

Le sénateur Meighen: Peut-être pensaient-ils que quelqu'un d'autre paierait ces prix-là s'ils ne le faisaient pas.

Le président: C'est une bonne réponse, sénateur Meighen.

M. Dimma: La solution évidente au problème que vous soulevez, à savoir qu'un conseil d'administration ne peut empêcher toutes ces bévues, c'est qu'il faut une direction avisée — une direction qui pèse les risques et les avantages. Ce que je dis est une évidence.

Le président: C'est la responsabilité du conseil d'engager et de congédier le premier dirigeant.

M. Dimma: Exactement.

Le président: Je ne critique pas; c'est simplement que je ne connais pas les réponses.

Le sénateur Angus: C'est une discussion académique très intéressante. Cependant, la réalité, comme vous l'avez si bien fait remarquer, c'est que vous pouvez avoir des membres très responsables au conseil qui prennent au sérieux leurs obligations fiduciaires et pourtant ces choses incroyables se produisent néanmoins. C'est là où intervient le facteur d'impotence.

M. Dimma: L'exemple classique, comme vous le savez sans doute, est Enron où le président du comité de vérification était peut-être trop savant. C'est un professeur de comptabilité d'une des grandes écoles de commerce, au Texas, je crois. En dépit de cela, le problème a été largement causé par des irrégularités comptables.

Le président: Il faut distinguer, à mon sens, entre un acte frauduleux et un mauvais jugement. Est-ce qu'Enron volait ou était-ce une erreur de jugement? B.C. a payé je ne sais plus combien pour Téléglobe et a dû absorber une perte de 10 milliards de dollars. Ce n'était pas du vol, c'était une erreur de jugement.

Le sénateur Kroft: Pourquoi le président d'Enron, qui est un expert, ne savait-il pas que l'on tripotait la comptabilité? Ce n'était pas une erreur de jugement. Il aurait dû être au courant, ou alors le mécanisme était boiteux.

M. Dimma: La seule excuse c'est qu'ils se sont lancés dans des produits dérivés sophistiqués, que même un professeur de comptabilité a du mal à comprendre.

Le sénateur Angus: C'est vrai. Avec tous les produits structurés qui ont fait leur apparition avec les instruments dérivés, les plus grands gestionnaires tels que les premiers dirigeants de banque et autres institutions financières gagnent peut-être un quart de ce qu'empochent les négociants de ces produits sophistiqués. Nous sommes nombreux à siéger à ces conseils et nous savons donc que ce sont des choses très complexes. Il faut peut-être même un doctorat en financement des sociétés de Beijing pour les comprendre.

Les vérificateurs arrivent et vous conseillent de passer quelque chose par pertes et profits ou d'absorber une certaine perte et les membres du conseil n'ont pas la compétence collective voulue pour comprendre tous les détails et donc ils suivent le conseil des vérificateurs. C'est pourquoi je dis que le comité de vérification possède aujourd'hui une responsabilité toute nouvelle et revêt une importante toute nouvelle à cet égard.

M. Dimma: Si je puis ajouter un mot, il me semble — et c'est facile à dire rétrospectivement — que, dans le cas d'Enron, Andersen porte une lourde part de responsabilité. Le cabinet a beaucoup tardé à prendre les décisions difficiles qui s'imposaient, peut-être parce que c'était l'un de leurs gros clients. Mais le cabinet a disparu, n'en parlons donc plus.

Le président: Un jour il faudra que nous ayons une discussion sur la façon de modifier la culture d'entreprise.

M. Dimma: La culture est un élément important de la problématique, sénateur.

Le président: Comme les membres de ce comité l'ont dit des centaines de fois, elle a évolué au cours des 40 dernières années vers une préoccupation avec les gains à court terme. Je crois que M. Rousseau, de la Caisse de dépôt, vient de prononcer un discours dans lequel il disait qu'il faudrait arrêter de publier des états financiers trimestriels, ou quelque chose du genre. Jadis, les membres de conseils ne se préoccupaient guère des états trimestriels. Il fallait les publier, mais on ne s'en préoccupait pas, on ne recevait pas toutes sortes d'appels qui font que, tout d'un coup, quelqu'un casse le prix de vos actions. Cela n'arrivait pas. Dans votre souvenir, cela arrivait-il?

Le sénateur Angus: Non, il n'y avait pas toutes ces indications.

M. Dimma: Comme vous le savez, les compagnies se rendent compte que ces indications sont de la foutaise et elles ont arrêté de le faire. Cela n'a pas aidé.

Le président: Warren Buffett a dit qu'aucune de ses compagnies ne donne d'indications.

Le sénateur Kroft: Une suggestion qui nous a été faite au début de nos audiences et que nous avons soumise à d'autres témoins — et je remarque qu'elle ne figure pas sur votre liste — est que les comités de vérification demandent des avis comptables indépendants. Il peut y avoir là un rôle pour d'anciens partenaires de cabinets, qui ont 61 ans, qui sont à la retraite et veulent rester un peu actifs. Ce ne serait pas toute une nouvelle vérification en règle, cette personne jetterait tout simplement un coup d'oeil sur les comptes et signalerait un certain nombre de choses qu'elle serait bien placée pour repérer. Autrement dit, ce serait un autre niveau d'indépendance par rapport à la direction et au conseil.

Le président: Une note de prudence, oui.

Le sénateur Kroft: Avez-vous jamais entendu cette idée ou y avez-vous réfléchi?

M. Dimma: L'un des conseils que je préside, Home Capital, le titre avec lequel le sénateur Kolber m'a présenté, vient d'engager quelqu'un. Il fallait un délai d'attente de 18 mois entre son départ de chez Ernst & Young et son arrivée chez nous, mais il a maintenant pu nous rejoindre au comité de vérification. Dès que les 18 mois seront écoulés, et que l'annonce sera faite, il deviendra président du comité de vérification. Je pense que c'est de cela dont vous parlez.

Le sénateur Kroft: Je songeais plutôt à une personne qui serait engagée à contrat par le comité de vérification, plutôt qu'à un membre.

Le sénateur Angus: C'est une question de ressources humaines.

M. Dimma: Cela paraît sensé.

Le président: Merci d'être venu, vous nous avez beaucoup éclairés. Vous êtes un bon catalyseur.

M. Dimma: J'ai apprécié ma visite.

La séance est levée.


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