Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 15 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 27 février 2003
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit ce jour à 9 h 05 pour examiner, afin d'en faire rapport, la situation actuelle du régime financier canadien et international (dimension canadienne de la faillite d'Enron).
Le sénateur E. Leo Kolber (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Nous reprenons ce matin notre examen du système financier canadien et international, notamment des aspects canadiens de la faillite d'Enron.
Nous avons le plaisir d'accueillir Sir Robert Smith, président de Weir Group PLC, de Londres. Bonjour, Sir Robert.
M. Robert Smith, président, Weir Group PLC: Je suppose que les membres du comité ont pu lire le mémoire.
Le président: Oui, merci.
M. Smith: Je voudrais dire pour commencer que notre rapport est moins axé sur l'établissement de règles et de conditions que le rapport Sarbanes-Oxley. Essentiellement, nous avons donner certains pouvoirs aux comités de vérification, par exemple en matière de nomination des vérificateurs — les bons — et de formuler des recommandations sur le type de compétences requises, sur un mandat clair que tout le monde pourra examiner, et sur un mécanisme de reddition de comptes en les obligeant à faire chaque année rapport de leurs activités dans le rapport du conseil d'administration et dans les rapports et comptes annuels; et, finalement, d'établir une politique sur les services autres que de vérification, de façon à préciser clairement quels autres services ils pourraient offrir.
Si vous me le permettez, je vais résumer brièvement le rapport.
Le président: Je vous en prie.
M. Smith: Suite à l'affaire Enron, il y a eu beaucoup d'activité au sein du gouvernement britannique. Essentiellement, même si nous pensions que nous étions moins tributaires de règles et avions la conviction que le fond prime sur la forme, tout comme l'expression d'opinions sincères et réelles plutôt que symboliques, personne ne pouvait dire que la même chose ne se produirait pas chez nous. Plusieurs mesures ont donc été prises: l'étude Higgs, consacrée au rôle et à l'efficacité des administrateurs externes; quelque chose qu'on a appelé le groupe de coordination sur les questions de vérification et de comptabilité, comprenant des représentants du gouvernement, de la profession comptable et des instances de réglementation, qui a entrepris de revoir la réglementation de la profession comptable et a produit des recommandations à ce sujet; et notre ministre d'État, Patricia Hewitt, a fait une déclaration exhaustive le 29 janvier. La fonction de vérification s'est trouvée au coeur de toute cette activité.
En septembre dernier, j'ai été invité à présider un comité qui a déposé son rapport à Noël. Dans ce rapport, nous avons indiqué à quoi servent les comités de vérification, et on trouvera une liste de leurs fonctions à la partie 2 du rapport, page 6. Je ne vous donne pas les détails, je signale simplement que vous y trouverez en abondance des mots comme «surveiller» et «revoir». Il importe de souligner que les comités de vérification ne doivent pas assumer le rôle des gestionnaires ou des vérificateurs. Il faut bien faire attention à ne pas miner le rôle des autres parties.
Nous avons attaché beaucoup d'importance au renforcement de l'indépendance des vérificateurs. Cela veut dire que le comité de vérification aura maintenant un rôle clé à jouer en matière de nominations, de rémunération — sous réserve de l'approbation des actionnaires — d'efficacité des activités de surveillance, et d'élaboration d'une politique sur les services autres que de vérification. En ce qui concerne la rémunération, nous offrons certaines indications sur l'importance de la rémunération pour telle ou telle firme de vérificateurs, ou tel ou tel service ou direction d'une firme donnée de vérificateurs, et sur son importance par rapport aux gains des associés individuels. Nous avons rejeté l'idée d'un roulement obligatoire des firmes de vérification. Nous pensons qu'il convient de revoir le problème de l'indépendance chaque année.
L'aspect le plus controversé de notre rapport concerne la politique sur les services autres que de vérification. Nous savons que Sarbanes-Oxley interdit totalement certains types de services autres que de vérification. Quant à nous, nous avons décidé de ne pas dresser de liste de ces services. Nous pensons plutôt qu'une interdiction globale de prestation de services particuliers ne serait probablement pas la meilleure politique et risquerait d'entraver l'efficacité et l'efficience en ne nous permettant pas d'utiliser nos propres vérificateurs. Même s'il y avait des interdictions, il ne serait pas raisonnable de les imposer par le truchement des indications données aux comités de vérification. D'autres solutions existent, comme renforcer les principes d'éthique s'appliquant aux vérificateurs. Nous recommandons que le comité de vérification formule et applique une politique de protection de l'indépendance des vérificateurs. C'est lui qui déciderait quels services autres que de vérification devraient être interdits pour l'entreprise considérée, lesquels devraient être autorisés et lesquels pourraient être dispensés par le vérificateur à condition de ne pas dépasser une certaine somme d'argent.
Nous nous sommes penchés aussi sur la composition et les ressources du comité mais il est difficile d'établir de manière détaillée ce qui est nécessaire à ce chapitre. Ici encore, Sarbanes-Oxley est très précis au sujet des exigences. En ce qui nous concerne, nous avons pensé que des personnes qui ne sont pas nécessairement qualifiées en comptabilité pourraient néanmoins parfois posséder suffisamment d'indépendance et de détermination pour poser des questions très embarrassantes jusqu'à ce qu'elles obtiennent des réponses. Nous avons pensé qu'au moins l'un des trois membres indépendants du comité de vérification — nous parlons ici de listes d'entreprises — devrait être un expert en finances, par exemple un ex-directeur des services financiers ou un ex-associé supérieur d'une firme de vérification. Nous ne disons pas qu'il doive nécessairement être expert en comptabilité mais ce serait souhaitable.
Un facteur beaucoup plus important est de s'assurer que ces personnes soient indépendantes d'esprit, déterminées et persistantes, de façon à continuer à poser des questions même une fois que les experts se sont arrêtés. Il faut absolument leur donner les ressources nécessaires pour solliciter d'autres opinions, aux frais de l'entreprise.
Nous avons conclu que les rapports et la reddition de comptes sont importants. Il est bien beau d'établir un mandat clair et de choisir des personnes qualifiées, il faut aussi que tout soit transparent. Nous estimons que le comité de vérification devrait faire rapport de ses activités au moyen d'un rapport des administrateurs, au sein du rapport annuel, et que le président du comité de vérification devrait participer à l'assemblée générale annuelle pour répondre aux questions, par le truchement du président du conseil d'administration. C'est là un élément crucial du programme de réforme.
Si, par exemple, le comité de vérification pense qu'un vérificateur doit être remplacé ou que l'on devrait lancer un appel d'offres et que le président du groupe, au conseil d'administration principal, rejette cette recommandation, les deux seraient obligés de faire un rapport à ce sujet devant l'assemblée générale annuelle. En ce qui concerne le rôle du comité de vérification à l'intérieur du conseil d'administration, nous sommes fermement en faveur d'un conseil unitaire. Nous rejetons l'idée que le comité de vérification travaille de manière complètement indépendante du reste du conseil d'administration, en jouant le rôle de conseil d'administration de tutelle. Nous pensons en effet qu'il est très difficile de porter un jugement sur les diverses décisions du conseil d'administration comme administrateur externe, à moins d'être relativement proche de la gestion quotidienne de l'entreprise. Sinon, on risque d'être top éloigné de l'action.
Ces propositions font maintenant l'objet de consultations qui s'achèveront le 14 avril, l'objectif étant de les intégrer ensuite à notre code combiné, lequel est un ensemble de règles que doivent respecter les sociétés cotées en bourse. Ces dernières doivent soit respecter ces règles, soit expliquer pourquoi elles s'en écartent.
Je serais heureux de répondre à vos questions.
Le sénateur Kroft: J'aimerais parler d'abord des ressources des comités de vérification, que vous venez de mentionner. À la page 8 de votre rapport, au point 314, vous dites quelque chose qui m'intéresse beaucoup, c'est-à-dire que le conseil d'administration devrait donner des fonds au comité de vérification pour lui permettre de solliciter des avis indépendants, d'ordre juridique, comptables ou autre, s'il juge cela nécessaire.
Au cours de nos audiences, certains témoins nous ont dit qu'il serait utile que le comité de vérification ait accès à des avis de vérification complètement indépendants, n'émanant pas des vérificateurs de l'entreprise. On a ainsi recommandé que le comité fasse appel à un associé principal à la retraite d'une firme comptable, ou à quelqu'un de ce genre, non pas pour repenser, revoir ou refaire des vérifications complètes mais plutôt pour jouer le rôle de ressource additionnelle du comité de vérification lorsqu'il examine les états financiers. Autrement dit, ce conseiller externe ne serait pas chargé de faire une nouvelle vérification mais pourrait dire, par exemple, qu'il serait utile que le comité creuse un peu plus tel ou tel sujet, ou qu'il pose certaines questions légitimes auxquelles il n'avait pas nécessairement pensé. Il s'agirait donc de ce genre de ressource relativement permanente. Quand j'ai évoqué cette possibilité devant des comptables, ils n'ont pas sauté de joie. Je suis très sérieux. Pour des comptables à la retraite, considérant notamment le jeune âge auquel ils ont tendance à prendre leur retraite, il y aurait là une possibilité d'activité professionnelle intéressante.
J'ai été frappé par les avantages éventuels de cette proposition. Ayant fait partie du comité de vérification d'une grande entreprise, j'estime qu'une telle ressource pourrait être extrêmement bénéfique. Je ne veux pas faire d'interprétation erronée de votre recommandation mais ne pensez-vous pas que cette idée y serait conforme?
M. Smith: Ce ne serait pas contradictoire. Voici quel a été notre raisonnement au moment où nous avons formulé cette conclusion. Supposez que vous fassiez partie d'un comité de vérification. Vous accueillez le directeur des finances, et le conseil d'administration doit se réunir dans une ou deux heures. Vous avez reçu des documents à l'avance. Vous n'êtes pas l'autorité mondiale sur tel ou tel mécanisme fiscal. On vous dit que les meilleures firmes de vérificateurs et d'avocats du Canada ont approuvé une technique comptable particulière qui augmentera massivement les profits de l'entreprise. On vous dit que le président du conseil, le PDG, le directeur des finances et toute l'équipe des finances ont également approuvé cette idée. Vous êtes donc là avec vos papiers, sans être particulièrement expert en la matière, et vous vous dites qu'il y a derrière tout ça quelque chose qui ne va pas. Au fait, on vous a aussi annoncé que vous avez déjà accepté certaines mesures de ce genre, de beaucoup moindre importance, lors de réunions antérieures du comité de vérification. Votre situation est difficile. Que doit faire un membre du comité de vérification face à un tel arsenal d'opinions d'experts? Nous avons voulu que le comité de vérification puisse dire: «Non, ça ne marche pas, je ne suis toujours pas satisfait. Je ne comprends pas les détails de cette technique comptable. Je veux obtenir un autre avis». Avec notre recommandation, le comité pourrait solliciter cet autre avis.
Je ne vois rien de mal à ce que le comité ait accès à une telle ressource. Nous avons dit dans notre rapport que le secrétariat de l'entreprise devrait peut-être être mis à la disposition du comité. Si cette ressource existe, je pense que les membres du comité devraient provenir du conseil d'administration de l'entreprise. Je ne pense pas qu'il devrait y avoir des membres du comité de vérification qui ne font pas partie du conseil unitaire. Je ne vois rien de mal à ce que quelqu'un siège là purement comme ressource éventuelle. Toutefois, ce qui nous préoccupait à ce moment-là, c'était le cas d'investigations in extremis, lorsque les gens sont mal à l'aise.
S'il y a des membres du comité de vérification qui se sentent mal à l'aise à traiter de tel ou tel sujet, je ne vois rien de mal à ce qu'ils aient accès à l'expert voulu, pendant leurs réunions, pour pouvoir lui dire: «Pourriez-vous me résumer cela?» Toutefois, il faut aussi veiller à ne pas avoir deux groupes de vérificateurs, ce qui serait une erreur car on aurait des gardiens de gardiens. Il faut assurer un certain équilibre entre la création de richesse par l'entreprise et la nécessité d'éviter les méfaits.
Le sénateur Kroft: Je suis parfaitement d'accord avec vos mises en garde. Je ne voudrais certainement pas, comme vous le dites, qu'on en arrive à des gardiens de gardiens. Il ne faut pas perdre de vue que c'est la direction de l'entreprise, et son conseil d'administration, qui assument la responsabilité ultime des décisions. Créer une armée de surveillants ne servirait à rien.
J'aimerais aussi dans ce contexte vous demander si la publication de rapports trimestriels est devenue aussi fréquente au Royaume-Uni qu'en Amérique du Nord. Publier un rapport en fin d'année, c'est une chose, parce que ça donne plus de temps de préparation. On a plus le temps de préparer le rapport mais, si le comité de vérification doit produire des rapports trimestriels, il va tenir des réunions en sachant qu'il y aura deux jours après un appel de conférence avec tous les analystes financiers. C'est à ce moment-là qu'on tombe dans les délais serrés dont vous avez parlé. Les choses se précipitent et on a moins la possibilité de demander à quelqu'un d'autre de se pencher sur telle ou telle question. Qu'en pensez-vous?
M. Smith: Je vais vous donner mon avis personnel de président du conseil d'une société cotée en bourse au Royaume-Uni. Personnellement, je n'aime pas les rapports trimestriels. J'ai l'impression qu'on fait perdre beaucoup de temps à la société en produisant des informations qui sont à peine différentes de celles qu'on a publiées trois mois avant. Cela dit, j'ai des amis dans des entreprises qui aiment bien ce système. La raison en est que, si un analyste leur demande leur avis sur l'entreprise entre deux rapports trimestriels, ils peuvent facilement répondre: «Je ne vous dis rien, vous n'avez qu'à lire le prochain rapport trimestriel».
On peut donc voir les choses de deux manières. Personnellement, je n'aime pas cela. Je pense qu'il est suffisant de publier un rapport intermédiaire, au milieu de l'année, puis un rapport de fin d'année, avec les résultats de l'année complète. Si vous pensez devoir faire une déclaration quelconque pendant l'année, parce que la situation s'est détériorée par exemple, faites-le. Toutefois, cela ne devrait se faire que dans des circonstances relativement extrêmes. Je m'oppose aux rapports trimestriels. Je pense que cela ne fait qu'ajouter à la bureaucratie et n'informe pas mieux les marchés. Mais c'est un avis personnel.
Le sénateur Kroft: Finalement, comme cela influe sur le talent disponible pour les comités de vérification et pour le conseil d'administration, étant donné la sensibilité accrue de ces questions, qui entraînent plus de réglementation, que diriez-vous de la taille et de la qualité du bassin d'administrateurs potentiels au Royaume-Uni? Est-ce que cela vous pose un problème?
M. Smith: Oui. Au fait, il y a un rapport d'un certain Derek Higgs qui pourrait peut-être vous intéresser.
Le sénateur Kroft: Oui, nous l'avons.
M. Smith: Il porte sur le bassin d'administrateurs externes. Mon opinion personnelle est qu'on peut l'élargir. Je pense qu'il y a beaucoup de personnes de talent — et je ne parle pas ici de diversité ou de choses comme ça. Je parle de gens de qualité qui ne se sont pas trouvés dans le circuit où on trouve généralement des administrateurs externes. Je pense que les chasseurs de têtes doivent faire plus d'effort et faire preuve de plus d'imagination.
Pour les comités de vérification, qui nous font particulièrement peur, vous avez parlé d'associés prenant tôt leur retraite. Dans certaines entreprises, ils la prennent au début de la cinquantaine, et ces gens-là seraient parfaits pour des comités de vérification. En outre, s'ils avaient joué un rôle plus large au sein de leur firme d'origine, ils auraient aussi quelque chose d'autre à apporter au comité. Je pense qu'on n'a pas assez bien cherché dans ce domaine. Il y a des personnes de talent, il suffit de les trouver.
Le sénateur Kroft: Dans ce rapport, Higgs parle de mandats de durée limitée. Il dit que les gens, au bout de 10 ans, ne peuvent plus être considérés comme des administrateurs externes. Il y a ensuite la question de l'engagement de 10 ans; dans son rapport, il dit que les administrateurs externes devraient normalement servir pendant deux mandats de trois ans, bien qu'un mandat plus long puisse être justifié dans des circonstances exceptionnelles.
Encore une fois, cela est relié à notre sujet. Mon expérience m'a permis de constater qu'une telle période permet d'acquérir les connaissances et l'expertise voulues. En revanche, on court toujours le risque — et cela vaut pour les administrateurs de sociétés à but non lucratif, à but lucratif ou autres — que le désir d'apprendre s'émousse avec les années.
M. Smith: Je pense que M. Higgs disait que deux mandats de trois ans seraient la règle mais qu'on pourrait dans certains cas aller jusqu'à trois. À son avis, quand on fait partie d'un comité de vérification depuis neuf ans — et je suis d'accord avec lui — il est très difficile de prétendre qu'on est encore indépendant. Toutefois, il y a certaines sociétés très complexes où un directeur externe peut avoir besoin de plusieurs années pour bien comprendre son fonctionnement. Comme vous l'avez dit, à juste titre, on devient alors utile pendant un certain nombre d'années. On a vu passer plusieurs présidents, on a vu passer plusieurs PDG, et la vie devient peut-être un peu trop confortable. Cela dit, même si l'on ne peut plus prétendre à l'indépendance au bout de neuf ans, je pense que les vieux de la vieille, comme vous dites, peuvent encore apporter quelque chose aux conseils d'administration. Ce sont des gens qui ont une longue mémoire de l'entreprise, qui ont connu des récessions et toutes sortes d'événements. On ne peut plus prétendre qu'ils sont indépendants mais il serait peut-être bon de les avoir à sa disposition pour expliquer aux jeunes ce qu'était la vie il y a 15 ans.
Toutefois, je dois dire qu'une personne qui fait partie d'un conseil d'administration depuis 10 ou 12 ans devrait peut- être chercher autre chose pour parfaire son développement spirituel.
Le président: Sir Robert, il y a huit ou neuf mois, je voyais Alan Greenspan à la télévision qui témoignait devant un comité du Congrès. Il disait qu'il avait fait partie des comités de vérification de plusieurs grandes entreprises mais qu'il ne savait pas quelles questions poser. Et ce n'est pourtant pas un naïf. C'est quelqu'un qui semble tout à fait brillant, mais ça ne l'a pas empêché de dire catégoriquement qu'il ne savait pas quelles questions poser.
Moi-même, j'ai fait partie pendant plusieurs années du comité de vérification de DuPont, une énorme entreprise et, franchement, je ne savais pas non plus quelles questions poser. Possède-t-on des données empiriques ou des études montrant que les comités de vérification sont un outil efficace pour régler le problème de supervision des comptes d'une entreprise? D'autre part, avez-vous envisagé des solutions nouvelles, qui pourraient même paraître excessives de prime abord? Peut-être devrions-nous envisager à plus longue échéance de remplacer les comités de vérification par autre chose, disons un groupe professionnel qui ferait la critique de ce que font les vérificateurs. Cela permettrait d'apporter beaucoup d'expérience professionnelle dans le processus, alors que des gens comme moi, qui ont au demeurant beaucoup d'expérience des affaires, sont loin d'être des spécialistes en ce qui concerne les arcanes de la planification fiscale et d'autres sujets aussi ésotériques.
M. Smith: Tout d'abord, je ne connais aucune donnée empirique à cet égard. Je suis assez âgé pour avoir fait partie de conseils d'administration où il n'y avait rien qui puisse ressembler à un comité de vérification. C'était généralement le conseil lui-même qui examinait les comptes, en discutant avec le vérificateur. Les choses ont changé petit à petit.
Personnellement, je ne pense pas qu'il soit bon de demander une deuxième opinion à un autre groupe de professionnels. Le secret du succès est d'assurer l'indépendance de ses vérificateurs et de veiller à ce qu'ils travaillent de manière efficace. Je ne connais pas d'autre méthode que de prendre certains membres du conseil d'administration qui sont plus qualifiés que d'autres à cet égard — peut-être en ajoutant des spécialistes du marketing ou d'autres activités commerciales — en les obligeant à rendre des comptes. Seuls les vérificateurs externes peuvent passer des semaines et des mois à l'intérieur d'une entreprise pour examiner en détail le fonctionnement de son système de vérification interne. Et il est important que ce soit des gens de l'extérieur, des gens totalement indépendants, et dont l'indépendance et l'efficacité seront vérifiées une fois par an. À mon avis, ce sont les membres du conseil qui devraient faire ça. Après tout, c'est le conseil qui doit rendre des comptes aux actionnaires de l'entreprise au cas où quelque chose irait mal.
Je pense que ce sont ces administrateurs indépendants qui devraient obliger les vérificateurs à rendre des comptes. Si vous faites appel à un deuxième groupe de vérificateurs, qui jugera qu'ils sont indépendants? Qui leur donnera des instructions? Qui s'assurera qu'ils font leur travail correctement?
À condition que les vérificateurs externes existants soient indépendants et correctement rémunérés, qu'ils reçoivent des instructions correctes et qu'ils rendent des comptes à la fin de l'année — et ce sont tous les membres du conseil d'administration qui devraient leur faire rendre des comptes — je pense que cela devrait être une garantie suffisante.
J'ai une certaine expérience d'entreprises qui travaillent avec des conseils de supervision. Le danger est que ces gens- là sont beaucoup trop distants des activités quotidiennes de l'entreprise. Pour être efficace, il faut savoir ce qui se passe.
Vous avez raison quand vous dites qu'il nous est arrivé à tous de ne pas savoir quoi faire face à une question qui était soumise à un conseil d'administration ou à un comité de vérification. Il n'y a pas de honte à cela. Il y a des gens qui gèrent des pays entiers et qui prétendent être au courant de tout ce qui s'y passe.
Si vous faites partie d'un comité de vérification, vous avez le droit d'exiger des explications. Vous n'êtes pas le directeur des finances, vous n'êtes pas le vérificateur externe, vous n'êtes pas le vérificateur interne, vous êtes là uniquement pour vous assurer que les systèmes voulus fonctionnent comme il faut.
Si vous demandez: «Avez-vous cette année exercé un jugement financier quelconque différent des années précédentes ou qui ait un effet matériel sur les comptes?» et qu'on vous mente ou qu'on refuse de vous répondre, vous pouvez tirer vos conclusions. Vous avez fait votre travail.
Pour jouer ce rôle-là chez DuPont, vous n'avez pas à être chimiste. Vous êtes là pour interroger les gens qui sont payés pour assurer la bonne gestion de l'entreprise et pour veiller à qu'il n'y ait pas de délit. Le service de vérification interne, quant à lui, doit veiller à ce que les mécanismes de contrôle voulus soient mis en oeuvre et qu'il n'y a pas de corruption en haut de la pyramide de l'entreprise. Nous pouvons tous sentir quand il y a des relents de corruption.
Le président: C'est certainement une excellente réponse. Si on vous dit que vous êtes malade, il est toujours bon d'obtenir un deuxième avis. Nous considérons tous que la grande majorité des entreprises sont honnêtement gérées. En tout cas, c'est ce que j'espère.
M. Smith: Vous pourriez avoir certains doutes parce que vous ne comprenez pas un mécanisme fiscal compliqué, par exemple. Vous pourriez être en train de vous dire: «Ceci change profondément les profits de cette année, change profondément l'actif, ou change profondément la facture fiscale, et je suis mal à l'aise». Quoi que les experts puissent vous dire, vous avez le droit de demander une deuxième opinion. Cela dit, je n'aurais pas chaque année une armée de vérificateurs sur le pied de guerre pour venir tout surveiller. Cela ne ferait que compliquer la situation. En revanche, vous avez absolument le droit, et même le devoir, si vous vous sentez mal à l'aise, de dire à la société que vous avez entendu toutes les explications qu'elle avait à donner mais que: «Je sais que les résultats trimestriels seront publiés la semaine prochaine, je sais qu'il y aura bientôt l'assemblée annuelle, mais je ne suis pas content. Je veux une deuxième opinion avant d'aller plus loin. Et vous allez en assumer le coût».
Le président: Je suis sûr que vous avez raison. Vous êtes un expert en la matière. Prenez cependant la catastrophe d'Enron. D'après ce que j'ai lu, ils avaient des centaines de sociétés outre-mer, un peu partout, et on peut penser que leur comité de vérification n'avait aucune idée de ce qui se passait.
En revanche, nous avons entendu il y a quelques mois des témoins du Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l'Ontario, l'un des plus gros fonds de placement du Canada, qui ont vendu Enron en haut de la courbe tout simplement parce qu'ils avaient pris la peine de lire les états financiers, et toutes les notes de bas de page, et qu'ils en avaient conclu que quelque chose n'allait pas. On peut se demander ce que faisait le comité de vérification d'Enron.
M. Smith: Il serait peut-être dangereux pour moi de faire des commentaires sur Enron. Toutefois, j'ai la conviction que, si les meilleurs comptables, les meilleurs avocats et les meilleurs gestionnaires disaient que tout allait bien, le comité de vérification devait naturellement penser que tout allait bien.
Je crois comprendre qu'il y avait à Enron un comité d'éthique qui a été dissout au moment où ces décisions ont été prises. Je crois comprendre aussi que ces décisions étaient très importantes du point de vue des profits de l'entreprise. Certaines personnes auraient peut-être dû poser des questions. Je n'insiste pas parce que c'est un domaine très dangereux et que je n'en sais pas assez sur ce qui s'est vraiment produit.
Je ne suis pas un spécialiste des produits dérivés, bien que je m'en sois déjà occupé. Je ne suis pas non plus un spécialiste de toutes les questions fiscales mais, si j'étais membre externe d'un comité de vérification, j'ose croire que j'aurais posé des questions jusqu'à ce que j'obtienne satisfaction.
Le président: Je suis sûr que vous avez raison. Le but de notre comité est de produire un rapport contenant des recommandations sur les mesures que devrait prendre le gouvernement pour prévenir ce genre de choses. Vous semblez être plus porté à agir selon des principes plutôt que des règles. Vous avez peut-être raison.
M. Smith: Je vais vous dire pourquoi. Quand on a un système de règles, le danger est que les gens se contentent de cocher des cases. Si aucune case n'est cochée, on suppose que tout va bien. Au Royaume-Uni, le système des principes comptables est tel que l'on peut dire à la fin de la procédure que tout est parfait sur le plan juridique et technique, mais est-ce vraiment exact? N'y a-t-il pas là un problème de forme primant sur le fond? Je veux dire par là qu'il ne suffit pas que les choses soient juridiquement et techniquement correctes, je veux savoir aussi qu'elles nous présentent une image fidèle des transactions de l'année.
Voilà le genre de questions que je poserais aux vérificateurs et aux autres. Si on s'en remet trop à des règles précises, le risque est que les gens diront tout va bien pour A, B, C et D. Comme il n'y a pas de E ni de F, tout le reste doit aller bien aussi.
Ma deuxième préoccupation au sujet d'un système fondé sur des règles est que certaines choses qui pourraient être autorisées pour une certaine catégorie d'entreprises pourraient ne pas l'être pour une autre. Il faut exercer continuellement des pressions sur le comité de vérification. Il faut vérifier l'indépendance des vérificateurs chaque année.
Par exemple, quand on parle de services autres que de vérification, on décidera de la politique en vigueur pour la société et on produira un rapport à ce sujet à la fin de l'année. Si vous dressez des listes en disant que certaines choses sont interdites et que les autres sont autorisées, vous courrez peut-être au devant des problèmes.
Je sais que les Américains, entre autres, aiment avoir des certitudes. Ceci est autorisé, cela ne l'est pas. Ma crainte est que cela n'amène à cocher des cases. Une fois qu'on sort de là, on est relativement libre de faire ce qu'on veut. À mon sens, il devrait cependant y avoir un critère primant sur tous les autres, c'est-à-dire est-ce que c'est vrai, est-ce que c'est juste, est-ce que c'est le fond plutôt que la forme.
Le président: Vous avez probablement raison. Notre problème, qui est aussi le vôtre, est de rétablir la confiance des investisseurs. Je ne sais pas si l'investisseur typique pourra accepter ce que vous dites. Moi, oui.
M. Smith: On a causé un tort énorme aux marchés financiers avec ces scandales parce que les gens ne savent plus s'ils peuvent se fier aux chiffres. Je pensais que nous faisions beaucoup de progrès. Plusieurs organismes internationaux de normes de comptabilité et le Accounting Standards Board du Royaume-Uni disaient très clairement comment on doit traiter les diverses catégories d'actifs et les divers types de dépenses et de revenus. Et puis, il y a eu Enron et il a fallu tout revoir.
Chaque pays possèdent des principes de comptabilité généralement reconnus, qui ont tendance d'ailleurs à évoluer vers des normes internationales. On peut supposer qu'Enron et les autres les respectaient. Il y avait un vérificateur qui approuvait les comptes. Il y avait un conseil d'administration qui les approuvait. Il faut croire que beaucoup de professionnels disaient que tout allait bien.
En conséquence, je vous renvoie la question. Les règles sont claires, il faut traiter les différents éléments d'actif d'une certaine manière, tout est fixé.
Que faites-vous si cela n'est pas fait? J'imagine que c'est ce qui s'est passé à Enron, ou pensez-vous qu'ils ont respecté toutes les règles?
Le président: Apparemment non puisqu'ils transformaient toutes sortes de dettes en éléments d'actif.
Je suis d'accord avec vous. La conclusion est qu'il y avait là-bas une bande de truands, et que les truands doivent aller en prison.
M. Smith: En principe. On ne peut présumer de ce que décidera la justice mais supposons que ce sera le cas.
L'investisseur typique sera-t-il plus rassuré si on lui dit que la SEC, la Banque d'Angleterre ou l'organisme de réglementation a établi des règles rigoureuses, ou aura-t-il confiance dans le conseil d'administration de l'entreprise qui lui dira qu'il a défini clairement le mandat du comité de vérification et que celui-ci produira un rapport chaque année et répondra aux questions? Le président du comité de vérification devra répondre en public, lors de l'assemblée générale annuelle, et les actionnaires pourront dire, par exemple: «Nous constatons que telle ou telle firme reçoit 10 fois plus d'honoraires d'activités autres que de vérification. Croyez-vous qu'elle est encore indépendante? Pourquoi avez-vous autorisé cela? Nous constatons que vous avez fait certains commentaires au sujet de diverses dépenses. Dites-nous exactement comment vous êtes arrivés à cela». Et ils devront répondre à ces questions.
Le président: Il faut qu'il y ait là quelqu'un qui soit suffisamment informé pour pouvoir poser les bonnes questions. J'aimerais pouvoir vous donner une réponse intelligente mais je ne connais pas la réponse. C'est pourquoi nous tenons ces audiences.
M. Smith: J'aimerais moi aussi pouvoir vous donner une réponse, car il s'agit d'une question de confiance et de rétablissement de la confiance. Si les instances internationales de normes comptables établissent des règles sur la manière dont on doit traiter les divers éléments d'actif et de passif, et si votre conseil d'administration a l'ordre de s'assurer que les vérificateurs externes vérifient que les choses sont faites comme il faut, je ne vois pas ce qu'on peut faire d'autre.
Le président: Pensez-vous que l'on pourrait changer ce qui est devenu une culture de l'immédiat? Je ne sais pas si c'est votre domaine. Vous parliez tout à l'heure de rapports trimestriels. Il y a 40 ans, quand j'étais en affaires, je ne m'intéressais pas particulièrement aux comptes trimestriels. Je m'assurais qu'ils étaient corrects et publiés, mais nous n'avions pas de première ni de deuxième prévisions de profit pour le trimestre suivant, avec toutes sortes d'indications pour les analystes, ce qui enrage les patrons et leur fait faire fausse route. Croyez-vous qu'on peut changer cela?
M. Smith: Vous parlez d'un changement d'attitude des marchés financiers. Il ne s'agit pas seulement de vision à court terme, il s'agit aussi de savoir si le gouvernement rend les gens plus prospères ou si les enfants ont de meilleurs résultats à l'école. Il y a tellement de pression sur les gens pour qu'ils produisent plus, plus vite et plus tôt.
Il se peut que certaines des choses qui se passent actuellement à l'échelle mondiale détendent un peu la situation mais, si vous dites à vos actionnaires que vous aurez une expansion cumulée de 15 p. 100 au cours des cinq prochaines années, on vous dira: «Ça ne suffit pas. Quand allez-vous acheter quelque chose?»
Le président: Peut-être devrions-nous faire appel, dans cette discussion, à un philosophe plutôt qu'à un économiste.
M. Smith: Je ne sais pas comment on peut éliminer de la nature humaine la cupidité et la vision à court terme, mais je sais que c'est probablement en dehors du mandat du comité de vérification au Royaume-Uni.
Le sénateur Moore: Bonjour, Sir Robert, et merci d'être venu aujourd'hui. Je voudrais vous parler de la composition des comités de vérification. Vous dites à la page 6 de votre rapport que ces comités devraient comprendre au moins trois membres indépendants, des administrateurs externes. Devons-nous penser que certains des autres membres pourront être des administrateurs internes?
M. Smith: Non. Tous les membres du comité de vérification doivent être externes. Je pense l'avoir indiqué un peu plus clairement plus loin dans le mémoire. Il faut que les comités de vérification ne contiennent que des administrateurs externes. Il ne peut y avoir d'administrateurs internes. Le critère complémentaire est qu'ils doivent être tous indépendants.
Le sénateur Moore: Oui.
M. Smith: Je précise à la page 37 ce que j'entends par indépendance. Par définition, le président du conseil ne peut être indépendant. Il a des délais à respecter et toutes sortes de responsabilités. Il ne devrait pas faire partie du comité de vérification. Si ce n'était pas clairement indiqué, je l'affirme clairement maintenant. Tous les membres du comité de vérification doivent être externes, tous les membres du comité de vérification doivent être indépendants, et nous espérons qu'il y aura au moins trois membres, mais ce code combiné porte sur des entreprises de toute taille cotées en bourse et il se peut fort bien qu'une petite entreprise n'ait même pas trois administrateurs externes, et encore moins indépendants. Dans ce cas, ou elle se conforme au code, ou elle explique dans son rapport qu'elle est trop petite et qu'elle n'a qu'un administrateur interne — le PDG — et deux administrateurs externes, et que sont ces deux-là qui composent le comité de vérification.
Le sénateur Moore: Normalement, les administrateurs sont élus par les actionnaires. Est-ce également le cas des administrateurs externes?
M. Smith: Oui. Ils sont généralement reconduits à tour de rôle, une fois tous les trois ans, mais ça peut être moins que cela. Si un administrateur externe est nommé durant l'année, il doit être confirmé par les actionnaires à la fin de cette année-là, puis tous les trois ans ensuite.
Le sénateur Moore: En bas de la page 6, vous faites référence au rapport Higgs. À la page 27 de ce rapport, nous lisons que les administrateurs externes devraient examiner attentivement la performance des gestionnaires par rapport aux buts et objectifs convenus, et surveiller la manière dont cette performance est rendue publique.
Je pensais que les administrateurs étaient là pour défendre les intérêts des actionnaires et pour veiller à ce que les cadres fassent bien leur travail, en fonction de buts convenus. Sommes-nous en train de créer des gardiens de gardiens? Qui possède le rôle principal, ici, les administrateurs internes ou les administrateurs externes?
M. Smith: Tous les membres du conseil d'administration, qu'ils soient internes ou externes, assument la responsabilité des résultats de l'entreprise devant les actionnaires, mais les administrateurs internes jouent un rôle particulier qui concerne la gestion quotidienne globale de l'entreprise. Les administrateurs externes travaillent avec eux et les surveillent, mais ils en sont tout aussi responsables.
Le sénateur Moore: Le rôle de l'administrateur externe est-il plus important que celui de l'administrateur interne pour ce qui est de la surveillance des gestionnaires?
M. Smith: Oui. Normalement, l'administrateur interne n'est pas considéré comme étant l'un de ces gardiens, si vous voulez. Il est là pour gérer l'entreprise. Certes, il lui appartient de veiller à ce qu'on fasse des vérifications internes et à ce qu'on dise la vérité dans les comptes. Les administrateurs externes exercent une double fonction: faire la promotion de l'entreprise, peut-être par des contacts ou en contribuant à sa stratégie, mais aussi veiller à la bonne gouvernance de l'entreprise.
Le sénateur Kroft: Ma confusion émane plus du rapport Higgs que du vôtre, mais je sais que vous connaissez bien les deux.
Je ne saisis pas clairement, à la lecture des documents qui nous ont été fournis, si l'on est absolument convaincu que le président doit être externe.
Je crois comprendre que l'on dit, dans le rapport Higgs, que le titulaire de ce poste doit être indépendant au moment de sa nomination. Pourriez-vous nous préciser ce qu'on attend du président, du point de vue de son indépendance et de son caractère interne ou externe?
M. Smith: Higgs parle d'indépendance au moment de la nomination. Il affirme, et il a raison, qu'il ne peut y avoir de président externe. On peut avoir un président à temps partiel mais, en dernière analyse, le rôle du président du conseil est de veiller à ce que le conseil fonctionne. Et puis, c'est lui qui va organiser le recrutement ou le congédiement du PDG.
Le président du conseil joue un rôle central dans l'entreprise. C'est plus que quelqu'un qui vient une fois par mois à une réunion du conseil et participe à un ou deux comités du conseil. Il assume une responsabilité cruciale: s'assurer que le conseil fonctionne et que le PDG fait son travail. C'est un rôle beaucoup plus grand que celui d'un administrateur externe, et il convient de le rémunérer en conséquence.
Le sénateur Kroft: Je suis heureux d'avoir soulevé cette question qui me semble extrêmement importante. Je ne conteste pas du tout que le rôle du président du conseil soit important et englobe des responsabilités importantes, la première de toutes étant de veiller à ce que le conseil fonctionne correctement et à diriger le conseil dans l'organisation de la succession des cadres supérieurs, notamment du PDG.
Peut-être y a-t-il ici des différences culturelles ou linguistiques entre nous. Considérant la manière dont les choses ont rapidement évolué au Canada et aux États-Unis — peut-être pas aussi rapidement d'ailleurs que certains d'entre nous l'eussent souhaité — ajouter l'adjectif «interne» au mot «président» n'exprime pas le fait que le président a plus de travail à faire. Cela indique plutôt très clairement que le président n'exerce absolument aucune responsabilité opérationnelle dans l'entreprise.
Quand on parle de président externe, on ne veut pas nécessairement dire qu'il ne joue pas un rôle important, pour lequel il doit être considérablement rémunéré. Son rôle fondamental est de préserver l'indépendance du conseil par rapport à la gestion. Quand vous commencez à dire que les présidents ont tellement de choses à faire qu'ils deviennent des présidents «internes», je m'y perds.
M. Smith: Je me suis bien gardé de dire qu'ils étaient internes. J'ai dit qu'on pouvait les payer beaucoup plus et qu'ils avaient un gros travail à faire, mais je n'ai certainement pas dit qu'ils devaient être «internes». Je suis complètement d'accord avec vous, le président ne doit pas être un président interne, sinon c'est à toutes fins pratiques le président- directeur général de l'entreprise.
Vous avez tout à fait raison. Si vous pensez utile de préciser qu'il est externe, c'est ce que je vais faire. Le PDG et les autres cadres du conseil sont les administrateurs internes. Ils s'occupent de la gestion quotidienne de l'entreprise. Le président externe ou à temps partiel n'est pas un administrateur interne de l'entreprise. Nous n'avons peut-être pas seulement une différence terminologique, nous avons aussi une différence d'accent. Je parle avec un fort accent écossais, et je ne pense d'ailleurs pas parler très bien l'anglais non plus.
Le sénateur Kroft: En ce qui concerne précisément la question des comités de vérification, quelles sont vos idées — je sais que cela peut dépendre de la taille de l'entreprise — en ce qui concerne le temps qu'il faut consacrer à ce travail, la rémunération et la formation? C'est une question qui nous préoccupe et nous serions très heureux de connaître votre avis.
M. Smith: Higgs a tenté d'aborder la question de la rémunération. À titre d'information générale, la plupart des administrateurs des sociétés cotées en bourse au Royaume-Uni envisageraient une rémunération de base pour un administrateur externe de l'ordre de 26 000 à 27 000 livres sterling par an pour une entreprise relativement petite, en allant jusqu'à 35 000 ou même 40 000 livres pour une multinationale.
En outre, si vous êtes membre d'un comité, vous toucherez un peu plus, soit 5 000 livres dans une petite entreprise, et 10 000 ou 20 000 dans une très grande multinationale. Et vous toucherez encore autre chose si vous présidez un comité. Je parle ici des très grandes sociétés.
Nous pensons qu'il devrait y avoir au moins trois réunions du comité de vérification par an. Deux de ces réunions devraient coïncider avec la préparation des résultats semestriels ou annuels, et la troisième devrait être consacrée à planifier la vérification pour l'année à venir. Dans certains cas, il faudra peut-être des réunions plus fréquentes. Ces réunions ne devraient pas être de simples réunions d'une heure avant la réunion du conseil.
J'ai fait partie de nombreux comités de vérification et de conseils d'administration. Souvent, se réunir la veille de la réunion du conseil, en journée ou en soirée, permet d'approfondir les sujets complexes qui doivent être discutés.
Ce rôle exige cependant plus qu'assister à seulement trois ou quatre réunions par an. Il va falloir faire un peu de lecture. Il faudra peut-être se réunir pour discuter de questions particulières. En règle générale, participer à un comité de vérification exige un investissement de quatre à cinq journées complètes par an. Vous consacrerez peut-être le même nombre de jours à un comité de rémunération, ou à un comité de santé et de sécurité, ou à un comité d'évaluation du risque. Les grandes entreprises, qui sont complexes, peuvent avoir besoin d'un nombre assez élevé d'administrateurs externes.
Vous avez parlé de formation. Le président disait un peu plus tôt, avec beaucoup de candeur, qu'il lui arrivait de ne pas savoir quelles questions poser. Nous nous sommes tous trouvés dans cette situation. En ce qui nous concerne, nous avons recommandé un programme d'initiation, pas seulement pour tous les administrateurs mais aussi, spécialement, pour les membres du conseil faisant partie du comité de vérification ou d'un sous-comité. C'est à cette occasion qu'on peut leur dire exactement ce que seront leurs fonctions. On peut aussi les orienter vers les questions qu'ils peuvent songer à poser comme membres du comité de vérification. De temps à autre, on peut organiser des sessions de recyclage si de nouvelles normes sont publiées sur la préparation des rapports financiers.
Par exemple, on a récemment fait beaucoup de tapage au Royaume-Uni sur le traitement des fonds de pension des entreprises. C'est un sujet très complexe, qui oblige à analyser les profits et les pertes, le bilan, des calculs actuariels, etc. Ça exige certaines connaissances. C'est le genre de questions dont on ne peut traiter correctement, comme membre d'un comité de vérification, ou membre d'un conseil d'administration, si quelqu'un ne nous a pas expliqué à l'avance comment la norme a été élaborée, quel est son effet sur les comptes et quand et comment elle sera appliquée.
On devrait donc fournir une certaine formation technique aux nouveaux membres d'un conseil d'administration. Pour ce qui est du temps que l'on doit consacrer à cette tâche, j'en ai parlé un peu plus tôt. Je ne sais si j'ai répondu à toutes vos questions.
Le président: Je vous remercie beaucoup de nous avoir généreusement donné de votre temps pour discuter de ces questions. J'espère que vous trouverez un écho à vos recommandations dans notre rapport.
M. Smith: Merci beaucoup. J'attends avec impatience de voir comment vous allez améliorer les marchés financiers. Nous sommes tous sur le même bateau et personne ne possède toutes les réponses.
Le président: Nous devrions au moins nous entendre pour ne pas leur causer plus de tort.
M. Smith: En effet, ce serait une bonne chose. J'ai présidé l'association écossaise des comptables agréés, en 1997 et, dans mon discours de clôture, quand je suis parti, j'ai dit ceci: «Nous avons des comités de conformité, des comités de vérification, des instances de réglementation. Au fond, nous savons tous ce qu'est le bien et ce qu'est le mal.»
Je ne sais pas si c'est à ce moment-là que les choses ont commencé à déraper.
Le président: J'en douterais beaucoup. Je vous souhaite beaucoup de succès dans toutes vos activités.
Nous allons maintenant accueillir comme deuxième témoin M. Ken Hugessen, de Mercer Human Resource Consulting.
Bienvenue, monsieur Hugessen. Nous sommes très intéressés par ce que vous avez à nous dire. Nous espérons produire un rapport sur la gouvernance des entreprises, d'ici fin juin au plus tard. Notre défi est de formuler des recommandations et nous serions donc très heureux d'avoir un aperçu des questions de rémunération. Nous espérons aussi que vous nous ferez quelques suggestions qui pourraient déboucher sur des propositions législatives. Peut-être pourriez-vous nous indiquer la voie que l'on pourrait envisager en la matière.
M. Ken Hugessen, directeur, Politique canadienne de rémunération, Mercer Human Resource Consulting: Merci de m'avoir invité à comparaître devant le comité aujourd'hui, monsieur le président. J'ai l'intention de vous faire quelques recommandations assez précises.
Mon exposé durera une dizaine de minutes. Comme je suis consultant, je ne peux m'empêcher de travailler avec des diapos, et je crois que vous en avez reçu le texte.
Je vais commencer à la page 3. Je vais vous présenter le contexte de notre travail, qui a changé de manière spectaculaire au cours des 10 dernières années — et le changement s'est encore accéléré après le scandale Enron. Je veux dire par là que le client de nos conseils sur la rémunération des cadres, qui était essentiellement la gestion, il y a 10 ou 15 ans, est aujourd'hui presque exclusivement le comité des ressources humaines du conseil d'administration, ou le comité de la rémunération. Cela reflète les préoccupations des instances de direction sur qui devrait fixer la rémunération du PDG et des autres cadres supérieurs. En fait, notre firme a adopté une série de lignes directrices qui nous obligent à avoir un mandat écrit du comité de la rémunération avant d'offrir une opinion ou un avis sur la rémunération des cadres.
Certaines sociétés sont à l'avant-garde dans ce domaine. Je peux dire ainsi que la Banque de Montréal a encouragé le président de son comité de rémunération, il y a cinq ans, à faire appel à nous en toute indépendance de sa haute direction. Beaucoup d'autres sociétés lui ont emboîté le pas. Je crois pouvoir dire qu'environ la moitié des sociétés du TSE 60 ont aujourd'hui des consultants qui travaillent directement pour leurs comités de rémunération.
Je quitte cette page en disant qu'il est probablement évident que notre travail nous met en contact avec les plus grandes entreprises du Canada. Pour ma part, je travaille exclusivement avec des comités des conseils d'administration de ces entreprises.
Les pages 4 et 5 montrent quelles sont les principales préoccupations des clients, aujourd'hui. Après le scandale Enron, je peux dire que la première est la clarté du mandat et l'indépendance du comité, ce qui veut dire comment il agit, comment on voit qu'il agit, comment il obtient ses informations et comment il prend ses décisions. La question la plus délicate dans ce contexte est la rémunération au rendement. Nous lisons tous les journaux et nous avons donc tous vu des exemples flagrants de rémunérations qui, selon le public, n'ont strictement rien à voir avec les résultats des entreprises. Les comités constatent qu'ils sont aujourd'hui obligés de faire de l'évaluation du rendement, ce qui n'était pas le cas autrefois.
Évidemment, le sujet le plus controversé est celui des options d'achat d'actions, c'est-à-dire leur effet sur le comportement des bénéficiaires et la question de savoir si c'est une bonne ou une mauvaise chose. Vous avez sans aucun doute constaté que le Régime de pensions du Canada vient de prendre position contre ces options alors que le régime des enseignants de l'Ontario a déclaré qu'il peut les accepter, tout comme OMERS. Notre opinion est qu'elles sont un outil utile mais qu'on en a abusé. Il y a des choses que le législateur et les instances de réglementation peuvent faire pour y remédier.
L'attitude à l'égard du niveau global de rémunération des cadres est très canadienne: on n'aime pas que les gens gagnent beaucoup d'argent. En ce qui concerne la rémunération des administrateurs, y compris les options d'achat d'actions, deux questions très claires se posent. Nous voulons plus de travail, de temps et d'attention de nos administrateurs. Il faut les payer beaucoup mieux qu'ils ne l'ont été. La plupart des niveaux de rémunération actuels rappellent l'époque où les administrateurs étaient choisis parmi les membres du club de golf. Cela a changé il y a cinq ou 10 ans. On constate aujourd'hui une réaction viscérale contre les options d'achat d'actions, le public ayant l'impression que les administrateurs, comme je le disais dans un récent article, boivent à la même coupe empoisonnée que les cadres. Pour l'avenir proche, en tout cas, nous ne recommandons pas l'octroi d'options mais plutôt l'octroi d'actions, réelles ou fictives.
Il y a aussi tout un ensemble de problèmes de conformité. En ce qui concerne Sarbanes-Oxley, j'espère que vous n'allez pas nous imposer cela ici. Je lisais plus tôt que c'était une réaction adéquate à une situation effroyablement mauvaise, considérant l'opinion de la population américaine sur les entreprises et leur gouvernance. Toutefois, cela nous laisse avec un héritage de travail de conformité extraordinaire, d'intérêt douteux à longue échéance. Ce qu'il faut vraiment changer ici, c'est le comportement des administrateurs, plutôt que les assujettir à des règles qui, comme le disait le témoin précédent, deviennent en fait des paravents derrière lesquels on peut se cacher. Enron est célèbre non pas pour ses actes illégaux mais pour ses actes légaux qui ont entraîné sa faillite.
En ce qui concerne les pratiques de divulgation, le public a une opinion très ferme. Les plus grandes entreprises se font une vive concurrence pour être les meilleures du point de vue de la divulgation, certaines voulant tout divulguer. Bien qu'il y ait en fait très peu à cacher ici, on doit vivre avec un héritage juridique dans lequel moins on en disait, plus on dissimulait, mieux ça allait. Cette époque est pratiquement révolue.
Finalement, on ne cesse de nous parler de l'indépendance et de la responsabilité des consultants en rémunération des cadres. En bref, notre monde devient un microcosme de ce par quoi les vérificateurs et comités de vérification doivent passer. Ça ne fait pas autant la manchette des journaux mais c'est pratiquement la même chose.
Je ne vous ennuierai pas avec tous les détails de la page 6. Vous nous avez demandé notre avis sur les effets de diverses formes de rémunération. L'octroi de grosses quantités d'options sans une certaine période minimum de conservation risque d'inciter les cadres à faire monter les cours pour ensuite tout liquider. Nous en avons eu des exemples célèbres au Canada sans qu'il soit nécessaire d'aller chercher les pires aux États-Unis.
Il y a d'autres questions qui attirent moins l'attention de la grande presse, par exemple les RSRA. Plusieurs de ces programmes représentent un transfert massif de richesses des actionnaires vers les cadres. Nous n'avons rien contre cela à condition que le comité comprenne ce qu'il approuve quand il l'approuve. À mon avis, toutefois, ce sont les dernières bombes furtives en matière de rémunération.
Beaucoup d'autres choses sont relativement prévisibles. Le sujet le plus chaud est celui des options. D'aucuns estiment qu'elles encouragent un comportement terriblement mauvais, ce qui n'est pas notre opinion. Ce qui favorise ce type de comportement, c'est le recours excessif aux options en l'absence de toute contrainte. Par contre, utilisées correctement, sous une surveillance adéquate, elles peuvent être utiles. J'ai constaté avec plaisir que la CVMO demande que l'on divulgue les opérations de couverture, ce que nous appuyons vigoureusement. Octroyer des options puis les protéger par des opérations de couverture semble aller directement à l'encontre de la raison pour laquelle on les accorde.
La page 7 contient des données historiques. Nous nous sommes exprimés sur plusieurs de ces questions devant le comité de Guylaine Saucier. Nous pensons que les actionnaires du Canada devraient faire preuve de beaucoup plus de militantisme. Comme le témoin qui m'a précédé venait du Royaume-Uni, je peux dire qu'il y a des bonnes idées là-bas. On voit plus de coalitions d'actionnaires décidés à agir.
Le plus gros défi pour l'avenir concerne le bassin d'administrateurs indépendants compétents. Le travail est tellement décrié et la rémunération tellement lamentable qu'on se demande pourquoi quelqu'un accepterait de le faire. Cela posera de sérieux problèmes lorsque la génération actuelle prendra sa retraite. En fait, c'est déjà un problème. Je reviendrai plus tard sur l'idée de donner du pouvoir aux administrateurs.
Il y a sans doute certains problèmes qui peuvent être corrigés par la voie législative mais ceux dont je vais parler maintenant procèdent plus des attitudes. À l'heure actuelle, bon nombre d'administrateurs ont le sentiment de devoir leur poste prestigieux au PDG de l'entreprise. C'est à l'évidence une attitude regrettable si le travail de l'administrateur doit être de surveiller le PDG. Il serait donc positif, selon nous, d'encourager une attitude plus indépendante chez les administrateurs canadiens.
La création de la Canadian Coalition for Good Governance est un premier pas dans la bonne voie. Cette initiative a été prise par Claude Lamoureux, Stephen Jarislowsky et plusieurs autres. Nous pensons que c'est une bonne initiative. Ces gens-là ont pour habitude de lancer des grenades dans les assemblées générales annuelles, ce qui a souvent été tout à fait justifié; ils ont maintenant une attitude plus constructive.
Mon opinion est qu'il y a des problèmes de reddition de comptes et de gouvernance au sujet de leur propre comportement. Certes, ils sont très habiles à déceler les carences de gouvernance des entreprises, mais beaucoup plus vagues quant à leur propre gouvernance et quant à leurs actes et à leur responsabilité individuelle.
Bien des gens se comportent comme s'ils étaient des actionnaires alors que beaucoup sont en fait des employés rémunérés et non pas des actionnaires au sens où on l'entend généralement. Il existe à mon avis une grosse différence entre les employés de groupes d'actionnaires institutionnels et des actionnaires comme Ted Rogers ou Galen Weston. Ils se comportent très différemment.
La page 8 est notre contribution au débat. Vous pouvez la consulter directement sur notre site Web. C'est le plan de route que nous proposons pour un comité de rémunération. Si je devais choisir un seul élément, ce serait l'indépendance du président et des membres du comité. Il faut qu'ils rendent compte de leur rendement. Nous les encourageons à tenir régulièrement des discussions à huis clos de façon à ce que leur travail et leurs réunions ne soient pas totalement dominés par des membres de la haute direction leur faisant des exposés parfaitement incompréhensibles. Ça c'est déjà vu.
Je passe maintenant à la notion de responsabilité publique. Lors d'assemblées générales de banques, nous avons vu des résolutions demandant au président du comité de la rémunération de se lever pour présenter un rapport. Cela aurait un effet salutaire sur les cadres des entreprises mais c'est une grosse étape à franchir.
J'ai parlé de meilleure divulgation. Cette question se règle d'elle-même. Aujourd'hui, chacun veut divulguer plus et mieux que son voisin et avoir le système de procurations le plus clair possible.
Éliminer les options d'achat d'actions sera difficile car personne ne sait vraiment si ce serait une bonne chose. Le fait qu'elles ne soient pas comptabilisées dans les dépenses a encouragé des abus, et leur imposition, notamment au Canada, en fait une forme de rémunération bien préférable aux autres.
L'octroi d'actions avec obligation de conservation, et c'est ce que tout le monde réclame, est pénalisé par notre régime fiscal. En effet, le régime actuel encourage un comportement que plus personne ne souhaite aujourd'hui.
Je vais faire quelques dernières remarques, après quoi je me prêterai à vos questions.
Au sujet de mesures législatives, je ferai une mise en garde en disant que le problème actuel est qu'il y a quelques pommes pourries dans le tonneau. Quand j'entends dire qu'il nous faut un changement massif, je réponds: «Dites-moi à qui vous pensez, après Enron et cinq autres». Cela met rapidement fin à la discussion. Même Ken Lay est en train de rétablir sa réputation. Il ne savait pas ce qu'il faisait. Ça n'a rien de rassurant mais ça semble être l'argument du moment.
L'effet des options est l'autre chose qui m'inquiète. Il ne fait aucun doute que l'on a abusé des options, phénomène qui a été encouragé par l'impression qu'elles ne coûtent rien. Les gens ne peuvent en percevoir le coût et celui-ci n'a pas été indiqué de manière assez claire aux actionnaires, sans compter qu'elles représentent un incitatif fiscal injustifié.
Si nous pouvions changer une chose, ce serait d'insister non seulement sur l'indépendance mais aussi sur le comité de rémunération. Il y a là une philosophie. À mon avis, on peut soit dire aux gens quoi faire, et créer ainsi une situation où ils seront fortement motivés à trouver des échappatoires — ce qui est, dans une certaine mesure, l'histoire d'Enron — soit leur donner le pouvoir d'agir eux-mêmes et les obliger à rendre des comptes à leur clientèle, dans ce cas les actionnaires. Nous pensons que ce serait plus positif.
Voici, en conclusion, mes deux recommandations. Je ne veux pas que l'on puisse dire que j'ai rejeté toute action législative. C'est votre rôle. Tout d'abord, il est important d'assurer une certaine égalisation des avantages fiscaux entre les divers types d'incitatifs boursiers, et de continuer à privilégier la propriété d'actions par rapport à de simples paiements en liquide. Si la solution consiste simplement à abandonner la préférence accordée aux options d'achat d'actions, vous vous retrouverez avec beaucoup de programmes de paiement en liquide et vous irez à l'encontre de ce que disent tous les groupes d'actionnaires, c'est-à-dire qu'ils veulent plus de vraie propriété. Les options et la propriété sont utiles. Ces choses devraient être des incitatifs car elles amélioreront le rendement des entreprises.
Deuxièmement, je vous invite à vous pencher non pas tant sur Sarbanes-Oxley mais plutôt sur ce qu'a fait la Bourse de New York. Il y avait là aussi un message — peut-être destiné au secteur privé — c'est-à-dire s'assurer qu'on choisit bien les membres privés du comité de rémunération, la plupart ou la totalité étant indépendants; un processus concernant des exigences de huis clos; et la possibilité d'agir en toute indépendance des gestionnaires pour se former sa propre opinion.
Finalement, une question délicate concerne les rapports faits à l'AGA. Obliger quelqu'un à se lever et à rendre compte de ce qu'il a fait serait salutaire et forcerait les gens à réfléchir sérieusement.
Le sénateur Kroft: Je vais commencer par votre dernière remarque, c'est-à-dire l'effet salutaire d'obliger les gens à rendre compte publiquement de ce qu'ils font. J'ai participé à beaucoup d'assemblées annuelles, tout comme vous, et je me demande comment on pourrait prévoir suffisamment de temps dans une assemblée annuelle pour que ça se fasse. Si vous considérez qu'il y a dans une assemblée annuelle typique une présentation de diapos, des remarques liminaires, l'élection d'administrateurs et un déjeuner, vous n'aurez que quatre minutes et demie pour ça.
C'est une question simple mais un vrai problème. Malgré les meilleures idées au monde, il arrive parfois que ce ne soit pas possible. Il ne faut pas oublier les employés programmés qui vont se lever pour poser des questions pipées.
M. Hugessen: Je vais être franc et vous dire que cette question est trop concrète pour produire une réponse intelligente d'un consultant. Pour être réaliste, disons que cela devrait en grande mesure se faire par consentement. On pourrait prévoir qui rendra compte de quoi, et cette personne pourrait faire un rapport sommaire et être disponible pour répondre aux questions. Le vrai problème auquel vous faites allusion est que, si M. Verdun se présente à votre AGA, celle-ci risque de durer longtemps. Le fait est que des gens comme lui peuvent monopoliser les AGA, et sont probablement en train de le faire en ce moment même à la CIBC.
Le président: Sénateur Kroft, mon expérience, et c'est peut-être aussi la vôtre, m'a montré qu'une AGA de courte durée est un phénomène purement canadien. L'AGA de DuPont durait plusieurs heures. Même Jesse Jackson y assistait, pour des raisons que j'ignore. Quand les gens de DuPont venaient à l'AGA de Seagram, ils demandaient constamment comment on pouvait faire accepter ça. Nos AGA prenaient d'une heure à une heure et demie, en gros.
Le sénateur Kroft: Passons à des choses plus précises. À la page 8 de votre mémoire, vous parlez des réunions à huis clos.
J'estime que la solution pour avoir une gouvernance efficace est d'avoir un président externe indépendant, distinct du PDG. Je veux dire par là qu'il faut choisir un principe fondamental duquel pratiquement tout le reste découlera et que, si vous n'avez pas adopté ce principe, il sera extrêmement difficile de faire le reste.
Si vous avez cela, vous pensez que le comité de rémunération devrait se réunir à huis clos?
M. Hugessen: C'est ce que nous indiquons mais nous disons aussi que le comité de rémunération devrait faire rapport à huis clos au conseil d'administration au complet.
Le sénateur Kroft: À huis clos, ça veut dire quoi, par définition?
M. Hugessen: Hors de la présence des gestionnaires. Je ne veux pas faire fi de votre autre remarque, étant donné que je peux certainement accepter ce que vous avez dit sur l'existence d'un individu autre que le PDG qui possède les pouvoirs requis pour atteindre les mêmes résultats. J'ai travaillé avec plusieurs sociétés où des dirigeants à temps partiel y sont parvenus, à mon avis. Il y a certainement beaucoup de travail indépendant qui se fait. Je ne m'arrêterai pas aux noms, je pense que c'est le contenu qui compte.
Le sénateur Kroft: Je ne contesterais pas le contenu si c'était ce qui compte vraiment. Je suis sûr que c'est le cas. Toutefois, les chances que cela se produise sont meilleures lorsqu'il y a un président indépendant plutôt qu'un administrateur principal. J'ai eu cette discussion avec suffisamment d'administrateurs principaux qui sont convaincus qu'ils peuvent accomplir tout ce que peut faire un président externe. Ma réponse est toujours la même: «Faisons-nous donc plaisir à tous les deux et soyez le président externe». Ça semble toujours finir par être une question d'ego de la part des PDG, car il y a toujours quelqu'un qui s'appelle le président du conseil, et ils n'aiment pas ça. Mon sentiment est qu'on finit par en sortir.
Je ne veux pas sortir de votre spécialisation mais, sur la question de la gouvernance et des réunions à huis clos, c'est- à-dire des administrateurs externes se réunissant pour des raisons plus larges que la simple rémunération, il ne peut y avoir de questions plus larges que la rémunération. Je parle à nouveau d'expérience. Quand on parle de rémunération, on parle aussi de succession, de mesure du rendement, de plan stratégique, de productivité, et cetera.
C'est un sujet très large. Il ne s'agit pas seulement de savoir combien cette personne sera payée.
Avez-vous constaté que les PDG et les cadres supérieurs sont aujourd'hui plus à l'aise avec l'idée de membres externes du conseil se réunissant pendant une retraite d'une demi-journée ou d'un souper, selon ce qui marche le mieux, pour discuter de rémunération, de questions de RH et de questions similaires, ou y a-t-il plutôt une sorte de repli et de résistance en réponse à ce qui se passe?
M. Hugessen: Je peux répondre à la deuxième partie de votre question. Ce n'est pas la tendance. La réponse générale à la première partie est que oui, on est beaucoup plus à l'aise avec ça.
Je pense que la manière dont ça se fait est importante. À mon avis, il est important d'institutionnaliser le processus plutôt que de placer quelqu'un dans la position difficile de devoir dire: «Avons-nous besoin d'une réunion à huis clos?» C'est une question difficile à poser étant donné que cela revient à demander aux autres administrateurs s'ils ont à dire au sujet des gestionnaires quoi que ce soit qui exigerait leur départ de la salle. D'après nous, cela devrait être une partie régulière des réunions. Le président de cette réunion, qui est indépendant de la gestion, devrait y être sensible.
La durée doit être raisonnable. Si quelqu'un se penche sur ma rémunération et mon rendement et que nous avons une grande discussion là-dessus, et qu'on sait où l'on va, il convient que la durée de cette réunion reste raisonnable, à moins qu'il n'y ait un problème. Évidemment, s'il y a un problème, prenez tout le temps que vous voulez.
Je fais une mise en garde quand vous parlez de retraite sans le PDG...
Le sénateur Kroft: C'est peut-être aller trop loin.
M. Hugessen: Le problème, s'il y en a un, concerne les administrateurs qui visent en fait le poste de PDG, et c'est là qu'il peut y avoir des tensions. En revanche, ils ne posent plus de problème sur les questions de vérification et de rémunération.
Le sénateur Kroft: Nous discutions hier de la même question avec un autre témoin, et je voudrais vous demander ce que vous pensez de ses remarques. J'ai été intéressé d'apprendre, et je crois que c'est ce que vous avez dit, qu'on exige maintenant un mandat écrit d'un comité des RH ou de la rémunération, quelle que soit sa forme concrète.
M. Hugessen: Exact.
Le sénateur Kroft: Puis-je reprendre la question au point de départ du processus? Si j'en crois mon expérience et mes observations, et aussi les témoignages recueillis par ce comité, il me semble que très souvent, si ce n'est dans la plupart des cas, même si cela peut se produire à l'étape suivante, c'est la gestion qui identifie, recommande et, peut-être même de manière provisoire, retient les services d'un consultant en rémunération, et c'est ensuite repris par le comité. Qui vous engage vraiment?
M. Hugessen: Je comprends parfaitement la question. Elle est tout à fait pertinente et oblige à faire un survol historique. Si j'avais répondu à cette question il y a cinq ans, je vous aurais dit que j'avais été engagé parce que Matt Barrett avait décidé de me présenter au président du comité de la rémunération. Aujourd'hui, c'est un groupe d'administrateurs qui choisit en toute indépendance de travailler avec un consultant. Le système a beaucoup changé.
En outre, il y a 10 ans, mes honoraires étaient en grande mesure payés par la direction de l'entreprise. C'est elle qui les approuvait. Certes, ce sera toujours le cas dans une certaine mesure, puisque c'est la société qui fait le paiement, mais, à mesure que le temps passe, la proportion des contrats obtenus de manière indépendante augmente. Nous traitons avec de grandes entreprises parce que le président du conseil d'administration et le président du comité de la rémunération nous ont demandé de venir faire un exposé devant le comité, le PDG assistant à une partie de l'exposé et le comité prenant ensuite la décision. C'est une pratique de plus en plus fréquente mais ce que vous avez décrit était vrai dans le passé.
Nous ne sommes pas arrivés où nous en sommes aujourd'hui en une seule étape. Je dirais que ce processus, au moins dans notre firme, était plus vrai il y a cinq ans ou il y a trois ans. L'une des choses que nous avons jugées nécessaire de corriger était ce à quoi vous avez fait allusion, c'est-à-dire la direction disant: «Nous allons recruter le consultant, faire des vérifications pour nous assurer que ce sera un bon consultant pour vous, et nous prendrons deux mois pour nous assurer qu'il ne vous dit rien de stupide». Au moment où vous arrivez devant le comité, tout est précuit et vous vous retrouvez avec un rapport épais et toutes sortes de raisons pour faire ce que souhaite la direction de l'entreprise. Le comité est complètement noyé. Vous pouvez prétendre que c'est lui votre client mais ce n'est pas vrai.
Notre processus est très clair. Nous exigeons un mandat écrit du comité. C'est le président du comité de la rémunération qui le signe. En outre, nous exigeons d'avoir accès à huis clos au comité, à notre demande et non pas à la demande des gestionnaires, parce qu'il est trop facile de contrôler le processus. En particulier, nous ne cachons pas que nous sommes une grande firme. Nous défendons de nombreux intérêts. Une autre caractéristique de nos lignes directrices est que nous sommes tenus de divulguer toute autre relation que nous avons avec la direction.
Le sénateur Kroft: Passons maintenant à l'étape suivante, car toutes ces choses sont reliées, à mon avis, et dites-moi s'il vous est arrivé souvent, dans des affectations différentes au sein de sociétés différentes, de retrouver les mêmes personnes, parce que ce sont les PDG de conseils d'administration multiples, ou des personnes différentes au sein des mêmes conseils, ce qui vous amène à traiter avec les mêmes personnes pour des entreprises différentes?
Je vais continuer et vous poser tout de suite la dernière partie de cette question pour que vous puissiez répondre à la question globale, que j'ai également posée au témoin d'hier. Typiquement, quand vous préparez votre matrice et que vous décidez où les salaires devraient être, dans quel quartile ou à quel point de la médiane, au-dessus ou au-dessous, une entreprise veut-elle typiquement se trouver? Est-ce qu'on vous dit qu'on voudrait, par principe, que les cadres, et c'est d'eux qu'il s'agit, se situent dans le troisième quartile ou à la médiane? Si c'est la médiane, comment réglez-vous la question d'arithmétique, et qui est au-dessus et en dessous pour faire une médiane? Si c'est un quartile au-dessus de la médiane, comment faites-vous pour éviter de passer au-dessus?
M. Hugessen: Je sais que tout le monde n'est pas d'accord avec la divulgation de la rémunération mais l'une des bonnes choses, à l'évidence, est que ce n'est pas le consultant qui doit prendre la décision pour le conseil. Tout ce que fait le consultant, c'est qu'il présente des options au dirigeant de l'entreprise, dans une hiérarchie claire, et c'est l'entreprise qui décide elle-même.
Comment prend-elle la décision? Je recommande une échelle et une fourchette, ce qui est l'échelle traditionnelle — revenus, capitalisation boursière — mais, de plus en plus, c'est le rendement. Si la compagnie a un rendement élevé, nous accorderons plus d'incitatifs et plus d'actions; si ce n'est pas le cas, nous ne le ferons pas.
Nous avons effectué une analyse relativement détaillée que nous mettrons à jour cette année. Il y a d'assez bonnes informations montrant qu'il y a un différentiel assez élevé dans le secteur bancaire du Canada aujourd'hui.
Le sénateur Kroft: Le rendement a tendance à être le rendement du point de vue des profits, du bilan ou de la valeur de l'action?
M. Hugessen: On sait que bon nombre de programmes d'incitation à court terme reposent uniquement sur les résultats d'exploitation, le BPA, la croissance du BPA, et cetera. À notre avis, le comité devrait être sensible à l'expérience de l'actionnaire. Dire à un groupe d'actionnaires que «nous avons atteint notre objectif de BPA et nous allons donc payer des primes», pendant une année où votre action s'est effondrée par rapport aux actions comparables, ne nous semble pas particulièrement judicieux à cette époque.
Le système global doit donc certainement tenir compte de la valeur absolue de l'action mais aussi, c'est tout aussi important, de sa valeur relative. Où mes actionnaires auraient-ils pu investir leur argent, ailleurs que dans mon entreprise? Voilà des choses qui méritent d'être examinées attentivement chaque année par le comité de la rémunération, et durant l'année. Nous croyons qu'ils passeront plus de temps à l'avenir, sur notre conseil, à surveiller les quatre ou cinq mesures du rendement, dont la plupart peuvent être tirées d'un rapport d'analyste, pour prendre ensuite à la fin de l'année une décision en matière de rémunération qui reflète l'expérience cumulée sur la manière dont l'entreprise a été gérée durant l'année.
Le sénateur Moore: Monsieur Hugessen, j'aimerais parler d'une remarque qui figure à la page 9, concernant l'imposition des options d'achat d'actions. Vous avez dit dans vos remarques liminaires que le régime fiscal encourage un comportement que l'on sait ne pas vouloir. Pour mon information, quel est le régime fiscal actuel touchant les options d'achat d'options?
M. Hugessen: Les options d'achat d'actions offrent trois gros avantages. Tout le monde comprend qu'une option a une valeur. Si vous connaissez quelqu'un qui pense le contraire, dites-moi son nom, je lui donnerai 10 $ pour acheter toutes ses options et nous serons tous les deux très heureux.
Tout d'abord, au moment où l'entreprise donne des options à un individu, il n'y a pas d'impôt à payer. Je dois payer de l'impôt sur toutes mes autres sources de revenu mais je n'en paie pas au moment où on m'accorde une option.
Deuxièmement, vous avez une souplesse extraordinaire, si le cours de l'action monte de manière raisonnable, quant au moment où vous devrez payer l'impôt. La plupart des options ont une durée de 10 ans et elles sont typiquement acquises fermement au bout de trois ou quatre ans. Vous avez donc cette fenêtre d'opportunité, du point de vue fiscal, qui vous permet de décider quand vous voudrez réaliser le revenu, pour autant que le cours de l'action ait monté, bien sûr. Quand vous déciderez finalement de le faire, vous serez imposé comme s'il s'agissait d'un gain en capital. Si vous comparez cela à un dollar de salaire ou à l'octroi d'actions mêmes, ce qui serait préférable aux yeux de nombreux actionnaires, il n'y a pas de comparaison. L'octroi d'actions est imposable immédiatement. Le mieux qu'on puisse faire, c'est d'avoir recours à des manoeuvres assez compliquées qu'on appelle des unités d'actions restreintes ou des unités d'actions différées. Toutefois, les unités d'actions restreintes ne vous donnent que trois ans de report, ce qui n'est pas aussi bon que de trois à dix. Et elles ne produisent pas de gains en capital à la fin.
Les observateurs vous diront qu'il y a ici un compromis. Les options n'engendrent pas de déduction pour l'entreprise, alors que le paiement ultime en vertu de ces autres programmes le fait. La combinaison de ces trois avantages est très difficile à égaler. Ce que nous recommanderions, c'est de conserver l'imposition avantageuse des options par rapport à du liquide, mais d'accroître les opportunités pour les autres actions, restreintes, à condition que l'individu qui les possède les conserve pendant une période de temps raisonnable.
Je n'ai pas réfléchi complètement à cette idée et je n'ai donc pas de proposition particulière à vous faire.
Le sénateur Moore: En ce qui concerne la troisième caractéristique, au moment où le cadre qui a reçu des actions par le truchement d'une option veut s'en départir, le niveau d'imposition n'est-il pas le même que si je vendais des actions que j'ai achetées moi-même directement? Est-ce que le régime fiscal est différent, du point de vue des gains en capital?
M. Hugessen: Il ne s'agit pas de vente réelle des actions. Le premier événement est l'obtention de l'option; le deuxième événement est que vous avez toute cette souplesse; le troisième événement est que vous acquérez des actions. Vous avez un prix d'exercice de 10 $ et l'action vaut aujourd'hui 25 $, ce qui vous donne une excellente journée. Vous allez devoir placer ces 25 $, qui sont considérés comme un gain en capital.
Le quatrième événement, pour bien des gens, est de vendre immédiatement les actions. Leur coût d'achat est de 25 $ et, si vous les vendez immédiatement après les avoir acquises, il n'y aura absolument pas de gain en capital. Voilà la vraie raison pour laquelle les gens ne conservent pas les actions. Comme PDG, si vous avez une option pour 1 million de dollars d'actions et que celle-ci vaut aujourd'hui 2,5 millions, vous décidez d'exercer l'option. Tout d'abord, il vous faut le million de dollars. Ce n'est pas gratuit. Deuxièmement, il y a l'impôt, même s'il est à un taux réduit. Toutefois, vous devez quand même trouver les 300 000 $ ou 400 000 $, plus le million, et il y a des courtiers qui vont vous dire: «Nous allons appuyer sur un bouton et vous donner la valeur nette sur-le-champ».
[Français]
Le sénateur Biron: L'Office d'investissement du régime de pensions du Canada a annoncé qu'il voterait carrément contre les régimes d'option d'achat d'actions et que lors des assemblées annuelles, toute résolution quant à une forme de rémunération par actions devrait être adoptée par les actionnaires non intéressés par ces régimes.
[Traduction]
M. Hugessen: Veuillez m'excuser, je ne reçois pas la traduction.
Le sénateur Biron: Je vais répéter en anglais. À l'assemblée annuelle, l'octroi d'options d'achat d'actions devra être accepté par les actionnaires qui ne peuvent en profiter. Cela veut dire que les initiés qui pourraient tirer avantage d'une telle décision n'auront pas le droit de voter là-dessus. Est-ce que cela ne permettrait pas de résoudre le problème, comme vous le dites à la page 4, si ce sont seulement les actionnaires non initiés qui peuvent voter?
M. Hugessen: Si. Je ne suis pas devin mais je crois comprendre que la Bourse de Toronto va changer les règles d'approbation des options d'achat d'actions. Une question étroitement reliée, à mon avis, est celle des actions à droit de vote multiple. Les pires abus que j'ai constatés dans le secteur de la rémunération concernent précisément ce système qui assure à toutes fins pratiques un contrôle absolu à des parties qui ne sont évidemment pas intéressées. Je ne sais pas comment régler ce problème mais il est très réel.
Il serait certainement utile, au sujet des options, que ce soit des parties désintéressées, ou «une majorité de la minorité» comme quelqu'un l'a dit, qui aient le pouvoir de les approuver. Je crois comprendre que la Bourse de Toronto l'envisage en ce moment même.
Le président: Je ne pense pas que l'on puisse faire beaucoup au sujet des actions à droit de vote multiple, si ce n'est les interdire totalement à l'avenir, mais je ne suis même pas sûr que ce soit aussi la bonne solution.
Puis-je vous poser plusieurs questions d'affilée? Je voudrais que vous me précisiez quelque chose. J'ai été pendant trois ans chef du comité des RH de la Banque TD. À ce moment-là, j'ai décidé de recruter notre propre consultant, de New York, Fred Cook, un bon gars que j'avais connu quand j'étais chez DuPont.
Cela dit, c'est nous qui l'avons recruté, pas la direction, mais j'ai quand même dû en discuter avec le VP exécutif, qui relevait du PDG. Je ne savais donc pas vraiment quelle était la limite de mon indépendance. Cela vous est-il arrivé?
M. Hugessen: Oui, et c'est pourquoi nous avons adopté ces lignes directrices. La ligne de démarcation peut être extrêmement mince. Nous avons la conviction que, dans la grande majorité des cas, nous pouvons faire assez de travail pour pouvoir conseiller en toute indépendance le comité. Certes, Fred est un type très occupé, il a toute l'Amérique du Nord, mais il vous faut suffisamment de temps pour savoir sur quoi vous devez conseiller votre client et ne pas devenir trop tributaire de ce que vous donne la direction.
Cela dit, nous sommes fortement en faveur de la collaboration. Des relations d'adversaires sont une énorme perte de temps, et l'administrateur passera tout son temps à se demander lequel des consultants qui se battent en duel est le plus brillant.
Le président: Avez-vous recommandé que l'on interdise, par voie législative, la retarification des options?
M. Hugessen: Non, et je ne le ferais pas.
J'ai été victime, en fait, de leur interdiction. Voilà un bon exemple de ce qui arrive quand on essaie d'imposer son jugement aux administrateurs. L'entreprise à laquelle je pense a été très durement pénalisée par un changement de réglementation, si je peux m'exprimer ainsi. Le résultat net — et je m'exprime ici en tant qu'actionnaire — a été qu'il fallait soit retarifer soit réémettre. Les conséquences fiscales et comptables d'une retarification étaient tellement lourdes que nous avons réémis. Le résultat net de cela est que nous avons doublé la dilution que nous aurions voulue.
Le président: N'auriez-vous pas pu annuler la première option?
M. Hugessen: Si on fait ça, c'est une retarification. C'est la définition.
Le président: J'entends bien, mais l'actionnaire qui a été pénalisé ne peut retarifer. Comment la direction de l'entreprise peut-elle justifier qu'elle accorde aux cadres qui ont causé l'effondrement d'une option sa retarification à un prix plus bas, alors que l'actionnaire reste pris avec le prix plus élevé?
M. Hugessen: Ce n'est pas la direction, c'étaient les actionnaires. Ils se sont dit: «Voici un groupe de gens que nous devons conserver dans l'entreprise, ce qui n'a pratiquement aucune valeur à cause d'un changement de réglementation. Que faire?» Ils ont fait ce qu'ils devaient faire. Ils ont émis les options additionnelles sans rien changer aux vieilles.
Cela se fait constamment. En dernière analyse, l'interdiction de retarification, et c'est ce que c'est, oblige à considérer que tout événement qui pourrait produire ce résultat est d'une certaine manière attribuable à la direction de l'entreprise, ou que l'entreprise devrait subir les mêmes conséquences que l'actionnaire. C'est un excellent concept, dans 90 p. 100 des cas. Le problème concerne les 10 p. 100 restants. Je parle ici non pas en tant que conseiller mais en tant qu'investisseur. Je ne vois pas pourquoi je devrais tolérer cette tranche supplémentaire d'options. Ce sont les administrateurs, pas la direction, qui ont décidé d'émettre ces nouvelles options.
Le président: Je comprends ce que vous dites mais j'ai du mal à partager votre avis. En ce qui concerne les différents types d'imposition des différentes formes d'options, avez-vous déjà adressé un mémoire au ministères des Finances?
M. Hugessen: Non, pas directement. Certains actionnaires institutionnels nous ont demandé notre avis à ce sujet. Je crois comprendre que certains l'ont peut-être fait, mais pas nous.
Le sénateur Kroft: Je croyais bien connaître ce domaine mais je n'ai aucune idée de ce que sont les RSRA.
M. Hugessen: Ce sont des régimes spéciaux de retraite anticipée.
Le sénateur Kroft: Je n'avais encore jamais vu ce sigle.
M. Hugessen: Ça existe.
Le président: Est-ce relativement nouveau?
M. Hugessen: Non, pas tellement. Comme les niveaux de rémunération ont augmenté, les RSRA aussi. Ils sont reliés à votre rémunération en espèces. Tout le monde peut voir sa prime doubler, de 1 à 2 millions de dollars. On peut ne pas comprendre ça mais c'est arrivé à un cadre chevronné, à la fin de sa cinquantaine, quand son passif de retraite a augmenté d'une dizaine de millions de dollars.
Le sénateur Kroft: J'ai besoin d'une explication. Le passif de retraite est-il fondé sur le revenu combiné du salaire de base et de la prime?
M. Hugessen: Souvent.
Le sénateur Kroft: Est-ce une décision de l'entreprise?
M. Hugessen: Oui.
Le sénateur Kroft: À moins que le contraire ne soit effectivement prévu dans les dispositions du régime de retraite, ce qui est possible, je suppose.
M. Hugessen: Ou on peut l'enlever.
Le sénateur Kroft: Cela veut-il dire que l'octroi d'une forte prime — son plus grand impact — est de réviser la valeur de la prestation de retraite plutôt que la valeur du revenu courant?
M. Hugessen: C'est exact.
Le sénateur Kroft: C'est beaucoup plus direct et brutal que d'essayer de le faire par une augmentation du salaire de base.
M. Hugessen: Précisément, et c'est invincible, ce qui explique pourquoi on appelle cela une «bombe furtive».
Le sénateur Kroft: Voilà donc le lien. Vos cinq meilleures années de salaire étaient de 100 000 $ par an, puis vous ajoutez à cela une prime de 1 million de dollars et, soudainement, les chiffres changent et la pension de retraite augmente considérablement, d'un seul coup.
M. Hugessen: Oui. Ce n'est généralement pas aussi insidieux que vous l'indiquez mais le niveau des primes a considérablement augmenté, jusqu'à une période récente. Il a beaucoup augmenté à la fin des années 90.
L'une des choses qui nous inquiétaient un peu à ce sujet était qu'on ne voit pas réellement le changement de passif dans le programme de retraite. Il s'agit d'un cadre qui avait de nombreuses années de service et qui cotise à un régime comprenant des primes, c'est une question de mathématiques. Si la rémunération en espèces double, la pension double aussi. Ça marche comme ça.
Le sénateur Kroft: Nous n'aborderons même pas la question des régimes de pension à prestations définies.
M. Hugessen: Pas avec moi, en tout cas, je vous induirais en erreur.
Le sénateur Fitzpatrick: Je regrette de ne pas avoir entendu vos déclarations liminaires. J'ai beaucoup apprécié les quelques questions que je viens d'entendre.
Je voudrais revenir sur les options. J'essaie de savoir ce que vous pourriez recommander. Je crois comprendre que vous ne vous opposez pas à l'annulation des options et à la réémission de nouvelles options à un prix plus bas.
Le problème, et vous me corrigerez si je me trompe, c'est que la Bourse de Toronto a changé les règles il y a quelques années et qu'on est maintenant obligé d'avoir un régime d'options. Autrefois, on pouvait faire ce dont vous avez parlé, et il y avait un niveau de 10 p. 100, je crois, quant aux nombre d'options qui pouvaient être en circulation.
Franchement, je pensais que c'était un meilleur système que celui d'aujourd'hui, sous réserve d'une modification. Il n'était pas nécessaire de soumettre cela à l'approbation des actionnaires. On était simplement limité au maximum de 10 p. 100.
Je me demande si on ne pourrait pas revenir à l'ancien système, dans lequel on pouvait annuler les options. Vous pouvez émettre de nouvelles options à un prix plus bas si les circonstances semblent le justifier, à condition que les actionnaires donnent leur approbation.
Pouvez-vous me dire si vous pensez que ce serait une approche utile?
M. Hugessen: Ce le serait. Notre thèse est qu'on peut réglementer l'activité des administrateurs ou alors les assujettir à une responsabilité personnelle plus élevée pour les décisions qu'ils prennent. Vous ne pouvez faire les deux. Si vous essayez, vous vous retrouvez avec des gens qui contournent les règlements, et c'est Enron. Il y a eu fort peu d'actes illégaux chez Enron.
À notre avis, ces administrateurs devraient expliquer à l'AGA pourquoi il y a une résolution recommandant ces choses-là. Ce serait beaucoup plus fort que d'essayer de dire: «Nous savons mieux que vous ce qu'il faut faire dans des circonstances absolument extraordinaires. Nous allons nous en tenir à cela».
Essayer de deviner ce qu'il faudrait faire dans une situation donnée et imposer sa décision à celle d'un groupe d'administrateurs — à condition qu'ils soient indépendants et qu'ils démontrent qu'ils agissent de cette manière — me semble extrêmement risqué. Pourquoi voudrait-on faire cela?
Le sénateur Fitzpatrick: Si les administrateurs recommandent d'annuler les options et d'en émettre de nouvelles à un prix plus bas, les actionnaires devront-ils voter là-dessus, tout comme ils votent sur la nomination des administrateurs ou sur les états financiers vérifiés?
Je ne suis pas sûr de bien vous comprendre.
M. Hugessen: Je pensais que nous parlions de la possibilité d'interdire la retarification, par voie législative.
Le sénateur Fitzpatrick: Non. Je parle de changer le système, de façon à ce que, si vous n'avez pas de régime approuvé, les administrateurs peuvent adresser des recommandations à la direction ou aux actionnaires, lors d'une assemblée générale annuelle, pour que les options soient annulées et que de nouvelles options soient émises à un prix plus bas.
Si vous parlez de législation concernant le pourcentage d'options que l'on peut avoir en circulation à un moment donné, je ne vois pas de problème avec ça.
Sinon, je ne vois pas la nécessité d'envisager un texte de loi.
M. Hugessen: Nous sommes d'accord.
Le président: Je vais conclure cette partie avec une question oiseuse qui vous permettra de démystifier quelque chose. J'ai eu des relations avec des entreprises qui ont recruté un nouveau type. Vous le payez une somme X et lui garantissez une prime de 50 p. 100. Si vous la garantissez, pourquoi ne pas l'inclure dans son salaire?
M. Hugessen: Parce que vous ne voulez pas continuer de la payer. Supposez qu'il ait un salaire de 1 million de dollars et une prime de 500 000 $. Vous lui donnez la prime la première année. La deuxième année, elle n'est pas garantie.
Le président: C'est seulement pour la première année?
M. Hugessen: Ça pouvait être pour deux ou trois ans. C'était à la mauvaise époque. Dans les banques d'affaires, c'était devenu complètement absurde, notamment à New York, où vous aviez des garanties de 3 millions de dollars par an pendant trois ans. Ensuite, il n'y avait plus de garantie.
Le président: Pourquoi ne m'a-t-on jamais offert ça?
Le sénateur Kroft: Comme banquier d'affaires à New York, je peux vous dire que cette époque-là est révolue.
M. Hugessen: Nous travaillons beaucoup dans ce domaine, et c'est brutal.
Le président: Merci. J'espère que vous lirez notre rapport avec intérêt et que vous y retrouverez peut-être votre influence.
M. Hugessen: Absolument. Je l'espère. Merci de m'avoir écouté. J'espère que mon témoignage a été utile.
Le président: Le témoin suivant est le professeur Richard Long, de l'Université de la Saskatchewan. Je regrette que le sénateur Tkachuk ne soit pas ici, il est très fier de tout ce qui vient de la Saskatchewan, tout comme nous, d'ailleurs. Nous aimons croire que c'est la Saskatchewan qui dirige le pays.
M. Richard Long, professeur, College of Commerce, Université de la Saskatchewan: Je ne m'en étais pas rendu compte. Le sénateur Tkachuk en sait peut-être plus que moi.
Le président: Nous lui poserons la question.
Vous nous avez envoyé un mémoire et je vais donc vous demander de limiter vos remarques liminaires à une dizaine de minutes. Je l'ai lu, il est très intéressant.
M. Long: Merci. Je n'ai pas eu beaucoup de temps pour le préparer, sinon je l'aurais présenté autrement. On m'a téléphoné vendredi après-midi en me demandant d'envoyer mon mémoire lundi matin.
Je suis heureux de pouvoir m'adresser à votre comité pour parler de rémunération des cadres supérieurs car c'est une question très importante pour tout le monde. Comme on me donne une dizaine de minutes, je vais m'efforcer d'être bref.
Votre rôle est de produire des recommandations, mais il est important de comprendre l'origine du problème avant d'en formuler.
Je vais commencer par la fin. À mon avis, loin de récompenser la bonne gestion et d'améliorer le rendement des entreprises, bon nombre de systèmes de rémunération d'aujourd'hui incitent en fait à la mauvaise gestion et nuisent à la performance de l'entreprise, aux intérêts des actionnaires et au monde des affaires du Canada.
Sir Robert Smith disait plus tôt qu'il ne savait pas quand les choses avaient commencé à déraper sur les marchés financiers, quand il parlait d'Enron. On a beaucoup discuté à ce sujet de problèmes de vérification. Je prétends quant à moi que le problème d'Enron n'était pas un problème de vérification mais de gestion.
Ce problème de gestion s'explique en partie, voire en grande mesure, par un problème de rémunération des cadres. Par exemple, l'année avant la chute d'Enron, ses 200 premiers cadres supérieurs ont touché 1,4 milliard de dollars de rémunération. Et c'est cette année-là que les régimes de retraite des employés ont été lessivés et que les actionnaires ordinaires ont quasiment tout perdu.
Je ne veux pas dire que Ken Lay était le diable. De fait, on se pose beaucoup de questions sur l'ampleur des actes illégaux qui ont pu être commis. Quoi qu'il en soit, le problème est que la structure de rémunération des cadres leur donnait des incitatifs extrêmement puissants à faire précisément ce qu'ils ont fait, c'est-à-dire à faire croire que leur performance était meilleure qu'elle ne l'était. Il est difficile à qui que ce soit de résister aux types d'incitatifs et aux sommes dont il s'agissait.
Le président: Pensez-vous que cela était particulier à Enron ou que c'est général?
M. Long: Pas du tout. C'est un problème général des systèmes de rémunération des cadres. La situation n'est peut- être pas aussi dramatique dans tous les cas mais elle peut entraîner de manière subtile une mauvaise gestion très dommageable. Et ce n'est pas nécessairement illégal.
Il y a aujourd'hui trois problèmes fondamentaux en matière de rémunération des cadres, et ils sont reliés. Le premier concerne le montant de la rémunération de beaucoup de cadres. Le deuxième est la structure de versement de cette rémunération. Et le troisième, le processus d'établissement de la rémunération. Je vais les aborder dans l'ordre.
Comme vous le savez sans doute, la rémunération des cadres supérieurs en Amérique du Nord a explosé ces dernières années. Voici quelques chiffres. Dans les années 60, la rémunération des cadres supérieurs des sociétés cotées en bourse aux États-Unis représentait en moyenne 43 fois le salaire moyen d'un ouvrier. En 1990, on était passé à 100 fois; en l'an 2000, 475 fois; en 2001, 531 fois.
Il ne semble pas par ailleurs que la mauvaise gestion des entreprises ait empêché la rémunération des cadres de monter. Nous lisons dans le Globe and Mail des titres comme celui-ci: «Rémunération des cadres déconnectée des profits; la rémunération totale augmente de 54 p. 100 en 2001, malgré une baisse moyenne de 13 p. 100 des profits des entreprises examinées».
La rémunération des cadres a également augmenté de manière spectaculaire au Canada, bien que les sommes n'aient pas été aussi exubérantes qu'aux États-Unis, chef de file mondial en la matière.
La question est celle-ci: quelles sont les conséquences de sommes aussi élevées? À part ce qu'elles coûtent directement aux actionnaires, elles ont une conséquence beaucoup plus subtile mais beaucoup plus dommageable qui est la démotivation et le cynisme des employés. Leurs salaires et bienfaits sociaux à eux sont limités, voire réduits. Il est certain que les salaires et avantages sociaux moyens dans l'industrie ont été en stagnation dans les années 90, alors que la rémunération des cadres explosait complètement.
Quand un patron annonce que l'entreprise a des problèmes, que vont faire ces employés qui ont vu sa rémunération exploser alors que la leur stagnait? Le patron leur dira qu'il faut se serrer les coudes parce que nous sommes tous dans le même bateau. Et l'employé répondra: «D'accord, mais mon bateau à mois est une barque qui fuit, alors que le tien est un yatch qui fuit. Nous ne sommes pas dans le même bateau.»
Examinons également la réaction du public. Ce genre de choses jette le discrédit sur tout le monde des affaires dans l'esprit du citoyen ordinaire et de l'actionnaire. Ce n'est pas un problème négligeable.
Pourquoi la rémunération des cadres a-t-elle explosé? Pourquoi touchent-ils aujourd'hui de telles sommes? La réponse vient en partie de la structure des systèmes de rémunération, et aussi en partie de la procédure utilisée pour fixer cette rémunération.
Voyons d'abord la structure, qui est mon deuxième problème. Je précise que le degré de gravité de ces problèmes va croissant. Pour moi, le montant réel est le moindre de nos problèmes en matière de rémunération des cadres.
La structure du système de rémunération est plus importante que les montants touchés par les cadres. Un bon système de rémunération des cadres, tout comme un bon système de rémunération du personnel, est un système qui maximise les comportements favorables aux objectifs de l'entreprise et minimise les comportements contraires.
Tout système malsain de rémunération du personnel est dommageable à l'entreprise. Il y a beaucoup de systèmes malsains de rémunération du personnel, on n'a pas à se limiter aux systèmes de rémunération des cadres. Un système malsain de rémunération des cadres peut être plus dommageable que tous les autres. En effet, il influence non seulement le comportement des cadres supérieurs mais aussi le comportement de tous les autres cadres de l'organisation et de tous les autres employés. C'est ce qu'on appelle un effet de cascade.
Les cadres supérieurs savent ce qu'ils doivent faire pour toucher leurs primes et tirer le maximum de profits de leurs options d'achat d'actions, ce qui fait que leurs objectifs deviennent ceux d'autres membres de l'organisation, notamment si les autres cadres supérieurs ont les mêmes objectifs en matière d'options, etc.
Cet effet de cascade est positif si le système de rémunération des cadres est sain. Par contre, il est négatif si le système est malsain car il multiplie les dysfonctionnements à mesure qu'il se répercute aux autres paliers de l'organisation. Pour prendre un exemple spectaculaire, j'affirme que ce phénomène s'est manifesté chez Enron. Les problèmes se sont multipliés à mesure qu'ils descendaient dans la hiérarchie. Je conviens que Ken Lay ne comprenait peut-être pas tout ce qui se passait dans son entreprise, mais je pense que tout le monde comprenait ce qui permettait aux cadres de toucher leurs primes. Je pense que tous les cadres supérieurs le comprenaient fort bien.
Le plus gros problème de la structure de rémunération des cadres, ces dernières années, a été le recours excessif aux options d'achat d'actions. Ces régimes ont eu beaucoup de succès parce qu'on a eu l'impression qu'ils ne coûtaient rien à l'entreprise, alors qu'ils coûtaient en fait beaucoup aux actionnaires. Certes, ils ne coûtaient peut-être rien à l'entreprise mais ils entraînaient une dilution importante pour les actionnaires ordinaires, ce dont on commence à se rendre compte.
Comme aux États-Unis, on tente à l'heure actuelle de comptabiliser les options d'achat d'actions dans les dépenses. C'est cependant difficile à faire car, quand on émet de telles options, on ne sait pas si les cadres en recevront un bénéfice quelconque. On ne sait pas au moment de leur émission si elles coûteront quoi que ce soit à quelqu'un et il est donc difficile de les quantifier.
Une autre étude faite aux États-Unis a révélé que les options d'achat d'actions sont la méthode la plus dispendieuse de rémunérer des cadres. On peut obtenir le même effet en utilisant d'autres formes de rémunération qui coûtent moins aux actionnaires. Par exemple, des régimes d'achat d'actions ordinaires coûtent beaucoup moins cher aux autres actionnaires que des régimes d'options, étant donné la manière dont les options sont structurées dans la plupart des cas.
Comme je l'ai dit, à mon avis, ces régimes constituent un incitatif puissant à mal gérer, sans compter qu'ils donnent des récompenses injustes à des cadres d'entreprises différentes.
Apparemment, les options d'achat d'options sont une excellente idée puisqu'elles obligent les cadres à porter leur attention à la hausse du cours de l'action et, de ce fait, à accroître la richesse des actionnaires. C'est fort bien en théorie. Toujours en théorie, les options d'achat d'actions lient la rémunération des cadres à leur performance mesurée en fonction du cours de l'action. Le problème est que le cours de l'action n'est pas une bonne mesure du rendement des cadres, ni même une bonne mesure du rendement de l'entreprise. Des études ont montré qu'environ deux tiers de la variation du cours de l'action n'ont rien à voir avec la performance de l'entreprise mais plutôt avec la conjoncture générale, avec la conjoncture du secteur et avec la situation du marché. Une firme peut facilement avoir une très bonne performance générale et voir le cours de son action s'effondrer sans que la gestion y soit pour quoi que ce soit. Et vice versa. Le cours de l'action d'une entreprise peut augmenter de manière spectaculaire sans compétence ou performance exceptionnelle de sa haute direction. L'action est donc un indicateur très incertain du rendement de l'entreprise.
De plus, un PDG ne peut améliorer le rendement de son entreprise par une bonne gestion que de manière lente et progressive. Il faut faire de la R-D, lancer de nouveaux projets, envisager de nouveaux investissements, construire de nouvelles usines et recruter et former de meilleurs cadres et employés. Tels sont les paramètres fondamentaux d'une bonne gestion, et cela prend du temps. Et il faut aussi du temps pour que cela se traduise par une amélioration du rendement de l'entreprise. Donc, augmenter le cours de l'action en améliorant la gestion est un processus très lent et incertain. On peut fort bien améliorer le rendement de l'entreprise sans qu'augmente le cours de l'action, pour des raisons qui n'ont rien à voir avec les patrons.
Paradoxalement, il est beaucoup plus facile à un PDG d'influer sur l'action à court terme par une mauvaise gestion que par une bonne gestion. C'est ici qu'on voit apparaître le caractère pervers de l'incitatif. Il existe de nombreuses manières de manipuler l'information pour manipuler le cours des actions — certaines légales, d'autres non, et beaucoup, douteuses. Tout ce qu'il faut aux cadres, lorsque ces options sont sur le point d'être exercées, c'est de parler en public d'innovations. «Nous allons sortir un nouveau produit qui va révolutionner l'industrie». Dans un cas connu aux États-Unis, c'est précisément ce qu'ont fait les cadres. Ils ont prétendu qu'ils avaient un médicament miracle, le cours de l'action a monté, ils ont vendu et on a constaté qu'il n'y avait pas de médicament miracle. Ces gens-là iront probablement en prison. Ils ont été condamnés mais ils ont fait appel.
Il y a cependant beaucoup d'autres manières, qui ne sont d'ailleurs pas illégales, pour manipuler le cours des actions. Par exemple, on peut faire des choses foncièrement mauvaises, comme couper les budgets de R-D. Cela fait augmenter les profits dans l'immédiat. Deux ou trois ans après, l'entreprise agonise parce qu'elle n'a plus de nouveaux produits, mais les cadres sont alors partis avec les profits de leurs options. On peut aussi réduire les budgets de formation professionnelle. Ce n'est pas particulièrement visible dans un plan de deux ans, ça l'est à long terme. On peut réduire la rémunération du personnel. Cela permet de faire des économies dans l'immédiat mais, comme vos meilleurs employés vous abandonnent peu à peu, cela se traduit par une baisse de rendement. Différer des travaux de maintenance ou des décisions d'investissement permet aussi d'économiser de l'argent dans l'immédiat mais c'est mortel à long terme.
Soyons clairs: je ne crois pas que tous les cadres soient foncièrement malhonnêtes ou corrompus. De fait, je crois que la plupart essaient de bien faire pour leurs actionnaires, leurs employés et leurs clients. Toutefois, si tel est le cas et qu'ils reçoivent des options massives d'achat d'actions, ce résultat aura été obtenu malgré leur système de rémunération et non pas à cause de lui. Pourquoi avoir un système qui incite à la mauvaise gestion?
Comment les systèmes dysfonctionnels de rémunération des cadres voient-ils le jour et que peut-on y faire? Incidemment, il existe beaucoup d'autres méthodes que l'octroi d'options d'achat d'actions pour rendre dysfonctionnel un système de rémunération des cadres. De fait, il y a beaucoup de méthodes, par exemple des régimes d'actions fictives qui, techniquement, ne sont pas des régimes d'options mais font exactement la même chose. C'est un facteur à ne pas oublier.
Dans son rapport de lundi, l'Office d'investissement du Régime de pensions du Canada recommande que l'on interdise les régimes d'options d'achat d'options, et j'en parlerai dans une minute. Les gestionnaires ou les comités de rémunération peuvent utiliser d'autres manières pour offrir les mêmes incitatifs sans les appeler des régimes d'options. Il faut faire attention quand on croit avoir trouvé la pilule magique.
Le troisième problème est le processus d'établissement de la rémunération des cadres. Je vais en parler rapidement. Comment la rémunération est-elle établie? Le conseil d'administration crée un comité de la rémunération comprenant plusieurs administrateurs externes et non-cadres. Ce comité engage une firme de consultance en rémunération qui va lui fournir des données sur la manière dont les autres cadres sont rémunérés dans des entreprises comparables. Les consultants doivent choisir des entreprises comparables. Évidemment, celles qu'ils choisissent influent considérablement sur les données qu'ils fournissent. Cela semble être un processus rationnel et raisonnable. Toutefois, beaucoup de consultants en rémunération aimeraient décrocher des contrats avec d'autres entreprises, ce qui les place dans un conflit d'intérêts potentiel. Beaucoup sont en effet recommandés par les PDG. Il est donc dangereux pour eux de recommander bas quand ils offrent des comparaisons sur la rémunération des cadres. Qu'ont-ils à y gagner? Probablement de ne pas être engagés la prochaine fois. Donc, lorsqu'ils rassemblent des données, ils auront tendance à dériver vers le haut.
Le sénateur Kroft demandait quelle est la rémunération typique des cadres lorsqu'on reçoit les données. Les recherches montrent que la plupart des conseils d'administration estiment que leurs cadres sont supérieurs à la moyenne. Comme ce sont eux qui les ont nommés, ils ne sont pas portés à penser qu'ils ne sont que moyens.
Si toutes les firmes font cela et accordent à leurs cadres des augmentations supérieures à la moyenne, vous pouvez imaginer ce qui va se produire — et qui s'est produit.
Finalement, bon nombre d'administrateurs externes sont eux-mêmes des PDG et peuvent donc être très favorables à une rémunération élevée des cadres.
Que peut-on faire maintenant? Il y a plusieurs solutions. La première concerne la gouvernance des conseils d'administration et les comités de rémunération. Le développement le plus encourageant à la matière vient d'organismes tels que le Fonds de pension des enseignantes et des enseignants de l'Ontario, qui tente d'améliorer la gouvernance des entreprises. De même, le récent rapport de l'Office d'investissement du Régime de pensions du Canada concernant les principes et lignes directrices des votes par procuration contient de nombreux principes avec lesquels je suis d'accord, notamment, en fin de compte, interdire les options d'achat d'actions.
À mon avis, il n'y a rien que l'on puisse faire avec des options d'achat d'actions qu'on ne pourrait faire à moindre coût avec d'autres mécanismes. Le risque d'abus est trop élevé.
Il y a beaucoup d'autres recommandations que l'on peut faire touchant la gouvernance des entreprises, et j'en fais beaucoup moi-même.
Le sénateur Moore: Vous parliez tout à l'heure d'un régime d'actions fictives, en disant que c'est la même chose qu'un régime d'options d'achat d'actions. Je crois me souvenir que le témoin précédent a lui aussi parlé de régime d'actions «fantômes». De quoi s'agit-il?
M. Long: Un régime d'actions fictives ou fantômes relie la rémunération en espèces d'un cadre au cours de l'action à un moment donné. Vous savez comment fonctionne un régime d'options: on offre au cadre la possibilité d'acheter des actions dans le futur, parfois jusqu'à 10 ans dans le futur, ce qui est le maximum autorisé, à un prix fixe. Si, durant cette période, le cours de l'action dépasse le prix d'exercice, le cadre peut exercer ses options et recevoir ou vendre les actions.
Un régime d'actions fantômes fait exactement la même chose, sauf que cela n'implique pas d'actions ni d'options. Essentiellement, un certain nombre d'options fantômes sont fournies à l'individu. Il y a un prix d'exercice. N'importe quand au cours des 10 prochaines années, le cadre peut «exercer» — je mets le verbe entre parenthèses parce qu'il n'exerce en fait rien du tout — et l'entreprise lui donne l'argent qu'il aurait reçu s'il avait possédé ces actions.
Le sénateur Moore: On lui verse donc quoi, le profit?
M. Long: Oui. L'entreprise lui verse la différence entre le prix d'exercice et le prix obtenu au moment où l'exercice se produit. Je suis surpris que cette méthode ne soit pas plus fréquemment utilisée. L'avantage pour l'entreprise est qu'elle peut comptabiliser toute la somme en espèces dans ses dépenses, en la déduisant de l'impôt. En vertu des règles régissant les options d'achat d'actions au Canada, le coût ne peut être inclus dans les dépenses.
Le sénateur Moore: Et cela ne produit pas non plus l'effet de dilution des options traditionnelles.
M. Long: C'est cela. La somme versée figure au bilan, au vu de tout le monde.
Le sénateur Moore: C'est intéressant.
Le sénateur Kroft: Voyons le revers de cette médaille. Le fait qu'aucune dépense ne soit reliée à l'option d'achat d'actions est un avantage. Vous dites qu'on ne peut pas les comptabiliser dans les dépenses, mais l'absence de dépenses, avec ou sans revenu, a précisément été l'un des attraits des options d'achat d'actions. Aujourd'hui, on demande à ce que les sommes soient incluses dans les dépenses de façon à ce que l'entreprise assume légitimement le coût des options.
J'ai tendance à adopter la ligne dure sur ces questions. Je ne suis pas nécessairement un abolitionniste mais je suis en faveur d'un usage correctement discipliné des options. Il y a aussi le revers de la médaille. Je comprends que les options fantômes sont utiles pour les sociétés fermées qui ne veulent pas disperser leurs actions ou les diluer. Cela incite les cadres à agir pour la croissance et la performance sans dispersion des actions, ce qui est un avantage.
On peut présenter des arguments favorables pour le monde des compagnies Internet, et chaque cycle aura un équivalent d'innovation. La prochaine vague émanera peut-être du projet du génome humain. Il s'agira peut-être de l'industrie de la biotechnologie ou de nouvelles formes d'énergie. Quel que soit le cas, à l'ère de la technologie, les sociétés ont souvent des coûts de démarrage énormes en développement technologique qui excèdent largement leur aptitude à générer quoi que ce soit qui ait une valeur au bilan.
Le marché peut être très attiré par le concept, on peut obtenir «de la valeur» — et je mets cela entre guillemets — qui se reflète dans les actions. Certaines d'entre elles n'ont peut-être même pas encore été émises. Comme ce genre de sociétés doit essayer d'attirer des personnes relativement talentueuses sur un marché compétitif, les options sont presque leur seule solution. Les actions fantômes n'ont pas tout à fait le même impact que des options dans une entreprise qui n'enregistrera aucun profit avant cinq ans parce qu'elle doit tout réinvestir dans sa technologie. Êtes- vous d'accord?
Je crains que l'on aille trop loin et qu'on élimine un outil qui, dans des circonstances adéquates, peut présenter un intérêt réel.
M. Long: Je conviens avec vous que les compagnies Internet ont eu recours aux options d'achat d'actions pour rémunérer leurs cadres. Ce système ne répond cependant pas aux meilleurs intérêts des actionnaires ordinaires, et je ne pense même pas qu'il soit dans le meilleur intérêt de l'entreprise si l'on compare les effets concrets des options à l'achat d'actions réelles. Tout ce qu'on peut faire avec des options peut l'être aussi avec des actions. En fait, les actions sont supérieures aux options. Pourquoi? Parce que les actions ont une valeur intrinsèque et des perspectives à long terme. Les options d'achat, étant donné la manière dont elles sont établies, sont revendues immédiatement par la plupart de leurs détenteurs. Au lieu de conserver les actions, les recherches montrent, je crois, que la plupart des gens les revendent pour obtenir des espèces dès qu'ils en ont l'occasion. Essentiellement, un régime d'options d'achat d'actions est un régime de non-propriété, alors qu'un régime d'achat d'actions est un régime de propriété.
Les résultats américains montrent que les sociétés ayant des régimes de propriété large obtiennent de meilleurs résultats que leurs concurrentes, de manière notable, surtout si ces régimes sont combinés à des régimes de participation des employés à l'actionnariat et aux décisions, ce qui permet de valoriser leur contribution. Je suis fortement en faveur de systèmes d'achat d'actions à large participation.
Roger Martin, doyen de l'École de gestion Rotman de l'Université de Toronto, disait, selon un article récent, qu'il s'opposait aux options d'achat d'actions, par rapport à l'achat d'actions ou à tout autre régime similaire. Il pense qu'on ne devrait pas s'en servir du tout. Je ne suis pas d'accord. Je pense que les actions ont un rôle important à jouer parce qu'elles engendrent une culture de propriété dans le personnel. Je ne pense pas par contre que l'on puisse faire quoi que ce soit avec les options qu'on ne pourrait pas faire mieux avec des actions.
Le sénateur Kroft: Des témoins précédents nous ont parlé de l'impact et de l'efficacité de ces options, à la fois pour l'entreprise et pour l'individu, selon le traitement fiscal des différentes méthodes. L'entreprise ou l'individu peut obtenir un avantage fiscal dans un régime plutôt que dans un autre.
M. Long: En effet. À l'heure actuelle, les options sont préférables pour l'individu, du point de vue fiscal. Autrefois, on devait payer l'impôt au moment de l'exercice, ce qui obligeait à vendre une proportion élevée des actions pour avoir des espèces. La Loi de l'impôt a été modifiée en 1991 de façon à ce qu'on n'ait plus à payer l'impôt tant que les actions n'ont pas été vendues. On peut donc aujourd'hui prendre les options et les vendre quand on veut, ce qui est l'avantage des régimes d'options.
À l'heure actuelle, au Canada, une société qui accorde pour 100 000 $ d'actions à un employé — octroi d'actions — ne peut enregistrer la somme dans ses dépenses. Ce n'est pas le cas aux États-Unis, où on peut le faire aux fins de l'impôt sur les sociétés, ce qui constitue une autre source d'épargne importante.
Ce n'est pas possible au Canada. C'est possible aux États-Unis. De même, il faut les ajouter aux états financiers, ce qui oblige les sociétés à accepter un compromis. Au Canada, on ne peut pas inclure les options d'achat d'actions ou les actions dans les dépenses, aux fins de l'impôt sur les sociétés. Il faudrait peut-être envisager de modifier les règles fiscales touchant les régimes d'octroi d'actions.
Aux États-Unis, depuis 1973, il existe un régime fiscal qui appuie un recours très large aux régimes d'actionnariat du personnel, grâce à la Employee Retirement Income Security Act. Il n'existe rien de tel au Canada, alors qu'un tel système pourrait être bénéfique du point de vue du rendement, de la rémunération des cadres et de la rémunération des employés.
Le sénateur Kroft: Il va manifestement falloir faire quelque chose si nous établissons des règles imposant la comptabilisation des options dans les dépenses. Il va falloir changer les règles disant qu'on ne peut pas.
M. Long: La difficulté que pose la comptabilisation des options dans les dépenses explique pourquoi l'Office d'investissement du Régime de pensions du Canada a pris position contre les options.
Le sénateur Kroft: Si l'on utilise Black-Scholes comme méthode d'évaluation, cela veut dire qu'il s'agit plus de tenir compte du chiffre adéquat que du concept. C'est une question qui suscite un débat énorme et qui représente tout un défi. On semble accepter dans le monde des grandes entreprises et dans le monde de la rémunération que l'option, dès le jour où elle est émise, possède une valeur inhérente, selon Black-Scholes, qui est approximativement égale à 35 p. 100 du cours de l'action. Je ne veux pas ouvrir ce débat-là mais on n'a jamais tenté de tenir compte de cette valeur du point de vue fiscal.
M. Long: Si, aux États-Unis, si l'on parle de l'imposition des entreprises, puisque celles-ci peuvent comptabiliser cette valeur comme dépense.
Le sénateur Kroft: Toutefois le bénéficiaire n'a pas d'impôt à payer, même si une évaluation traditionnelle permettrait de calculer la valeur que représente cet octroi d'actions. Il n'y a pas d'impôt.
M. Long: C'est exact. Il y a un décalage parce qu'on demande aux entreprises d'imaginer quel pourrait être le coût ou le bénéfice potentiel au moment où les options d'achat d'actions sont effectivement exercées, alors qu'on n'a pas vraiment le moyen de le savoir. Black-Scholes fait certaines hypothèses et estimations basées sur la variabilité du marché dans l'industrie considérée. Cela exige beaucoup de calculs complexes. On pourrait probablement se retrouver dans une situation où une entreprise a comptabilisé les options dans ses dépenses à un prix donné et que, cinq années plus tard, le cours de l'action s'étant effondré, l'option ne coûte plus rien à l'entreprise. Elle ne coûte rien aux actionnaires et les employés n'ont reçu aucun gain.
À mon avis, les options d'achat d'actions posent tellement de problèmes et ouvrent tellement la porte aux abus que l'on devrait se demander très sérieusement si elles présentent vraiment un intérêt. Certaines études montrent que c'est une manière dispendieuse d'ajouter de la valeur du point de vue de l'entreprise.
Le sénateur Kroft: Êtes-vous un abolitionniste sur la question des options d'achat d'actions?
M. Long: J'y suis venu, petit à petit. Je pensais autrefois qu'on pouvait s'en servir — qu'elles avaient une certaine utilité. Aux États-Unis, il existe des régimes très larges permettant d'octroyer des options d'achat d'actions à tous les employés d'une organisation. Certaines études montrent que cela améliore le rendement de l'entreprise, et l'améliore suffisamment pour éviter l'effet de dilution. Les régimes à large participation d'options d'achat d'actions aux États- Unis sont neutres pour les actionnaires, selon les études que j'ai consultées.
Il existe une étude qui montre que les régimes d'options d'achat d'actions des cadres aux États-Unis sont en fait négatifs pour les actionnaires.
Le président: Merci.
La séance est levée.