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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 19 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 8 mai 2003

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 11 h 05 pour faire l'étude sur l'application de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies.

Le sénateur E. Leo Kolber (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Ce matin, nous entendrons des témoins de l'Institut d'insolvabilité du Canada et de l'Association des professionnels de l'insolvabilité et de la réorganisation.

Nous allons commencer immédiatement par les déclarations préliminaires et nous passerons ensuite à la période de questions. Vos disposez d'environ une heure et 10 minutes.

Vous pouvez commencer.

M. Larry Prentice, président de l'ACPIR, syndic de faillite, CIRP (Chartered Insolvency and Restructuring Professionals), Institut d'insolvabilité du Canada et Association des professionnels de l'insolvabilité et de la réorganisation et CA-CIRP (spécialiste en insolvabilité et en réorganisation): Je vais d'abord vous expliquer un peu qui nous sommes et ce qui nous amène ici. M. Fortin fera la même chose en ce qui concerne l'Institut. Et M. Kent répondra à la plupart de vos questions.

L'ACPIR est une association professionnelle à laquelle appartiennent plus de 90 p. 100 des syndics en exercice au Canada. Nous comptons plus de 900 membres réguliers et environ 400 membres stagiaires qui suivent un programme d'enseignement conduisant à l'obtention d'une licence à titre de syndic de faillite, programme qui est administré par une organisation formée de notre bureau ainsi que du Bureau du surintendant des faillites. Étant donné la structure adoptée par l'Institut d'insolvabilité du Canada, environ 60 de nos membres sont aussi membres de l'Institut d'insolvabilité.

Nos membres agissent à titre d'observateurs dans le cadre d'affaires liées à la LACC, de syndics de faillite, de syndics lors de propositions et assument divers postes créés par la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, la LFI, ainsi que la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, la LACC.

Notre énoncé de mission précise que nous sommes déterminés à inspirer au public le plus haut degré possible de confiance dans nos services et à promouvoir un système juste, honnête et efficace d'administration de l'insolvabilité et de reprise des activités à l'échelle du Canada. C'est dans ce contexte que nous comparaissons devant vous aujourd'hui.

Nous sommes ici pour discuter des rapports de deux groupes de travail. L'un d'eux porte sur les questions qui touchent les consommateurs, et l'autre sur la réforme des lois sur l'insolvabilité. Ces deux rapports ont été présentés il y a quelques semaines.

Les recommandations que nous présentons dans ces rapports ont une incidence directe, dans certains cas, sur les situations concrètes dans lesquelles les membres de notre association évoluent à titre de syndics, de séquestres ou d'observateurs. Cependant, ces recommandations ne visent pas à défendre les intérêts professionnels ou financiers de nos membres, mais plutôt à améliorer de façon générale le régime canadien d'insolvabilité et de réorganisation au Canada.

L'initiative de réforme commerciale a touché un grand nombre des membres de notre association, dont environ 70 p. 100 sont également membres de l'Institut d'insolvabilité du Canada, ainsi que des membres de l'Institut d'insolvabilité qui sont avocats ou banquiers. M. Fortin vous décrira l'organisation de ce processus.

Notre initiative de réforme en ce qui concerne les enjeux pour les consommateurs, un aspect qui sera couvert par le deuxième groupe de témoins, était motivée par le désir de réagir aux conclusions du rapport du Groupe de travail sur l'insolvabilité personnelle, le GTIP, et de s'attaquer à des aspects que le GTIP n'avait pas abordés dans son rapport.

Notre initiative en ce qui concerne les consommateurs a fait appel à trois groupes de travail et près de deux douzaines de nos membres se sont penchés sur les principaux résultats obtenus par les groupes d'étude du GTIP. Notre processus a nécessité des centaines d'heures de travail sur une période qui a commencé en octobre 2001 pour déboucher sur un rapport final achevé il y a environ six semaines. Ce groupe a poursuivi ses activités même après que le rapport du GTIP a été terminé.

Pour les deux rapports, celui sur le droit commercial et celui sur les consommateurs, il est important de signaler que notre association, l'ACPIR, est affiliée avec l'Institut canadien des comptables agréés. En effet, chacun des deux rapports des groupes de travail mixtes a reçu l'approbation de l'ICCA qui représente quelque 60 000 comptables agréés de tout le Canada.

Nous allons aborder les aspects liés aux faillites des entreprises et je vais demander à M. Fortin de vous décrire les rouages de l'Institut d'insolvabilité du Canada ainsi que le processus que nous suivons dans les cas d'insolvabilité commerciale.

M. Jean-Yves Fortin, président, Institut d'insolvabilité du Canada et Association des professionnels de l'insolvabilité et de la réorganisation, avocat: J'aimerais vous présenter brièvement l'Institut d'insolvabilité du Canada. Il s'agit de la première organisation sur l'insolvabilité du secteur privé au Canada. L'Institut est une organisation sans but lucratif qui se consacre à la reconnaissance et à la promotion de l'excellence dans le domaine de l'insolvabilité. Ses membres sont issus du groupe des spécialistes les plus expérimentés dans le domaine de l'insolvabilité au Canada. Ils sont choisis sur invitation seulement, et l'effectif est limité à 125 spécialistes dont l'un est votre savant conseiller, M. Goldstein, qui est également fellow de l'Institut. Il est formé également de représentants des organismes de réglementation et de compensation, des grandes institutions financières, ainsi que de membres éminents du milieu universitaire.

On peut facilement affirmer qu'aucun arrangement d'envergure ne se conclut au Canada sans qu'au moins un de nos membres y participe. Prenez n'importe quel dépôt d'une certaine envergure, et vous constaterez rapidement que tous nos membres y participent directement. L'Institut fournit une tribune permettant à ces spécialistes d'échanger des idées, de communiquer leurs expériences à leurs collègues, ainsi qu'à des hauts représentants de l'appareil judiciaire et des administrations provinciales et fédérale.

J'aimerais vous expliquer les rouages de notre organisation ainsi que le processus ayant conduit à la rédaction de nos rapports.

[Français]

Le procédé était relativement simple. Nous avons formé des comités à l'intérieur de l'Institut. Ces comités se sont penchés sur les divers aspects pratiques de la législation et des amendements qui pourraient y être faits.

[Traduction]

Nos comités ont commencé à se réunir en 2000. Nous avons produit un rapport initial en 2001. Ce rapport a été déposé et soumis à nos membres pour discussion lors de notre première réunion. Enfin, en 2001, en ce qui concerne le rapport sur l'insolvabilité des entreprises, lors de notre assemblée annuelle tous nos membres ont pu voter électroniquement sur chacune de nos recommandations, ceci de nous assurer que l'ensemble de l'institut en arrivait à la même conclusion. M. Kent vous donnera un aperçu de ces conclusions.

Ce processus a nécessité nombre d'heures de travail de la part de beaucoup de professionnels ayant travaillé à titre bénévole. L'aspect le plus surprenant, sur lequel j'aimerais insister, est que personne ne prêchait pour son saint. En effet, il était vraiment remarquable de voir ces personnes exprimer en toute liberté et objectivité leur point de vue et faire état de leur propre expérience. C'est ainsi qu'est né notre rapport.

En ce qui concerne l'aspect de l'insolvabilité personnelle, je vais vous le décrire brièvement parce que le processus est aussi important à cet égard. On a donc créé un groupe de travail au sein de l'Institut et de l'Association. Le rapport produit a été présenté à nos membres et soumis au vote. Il ne faut pas oublier que la plupart de nos membres sont beaucoup plus expérimentés dans les questions d'ordre commercial que dans les cas de finances personnelles; toutefois, un nombre suffisant sont assez versés en la matière. Dans ce cas également, on a suivi le même processus. Nous avons voté sur chaque sujet, et les membres de l'Institut ont voté sur chacune des recommandations du rapport.

Nous sommes très satisfaits du déroulement du processus parce que chacun a été sollicité et s'est vu offrir la possibilité de faire connaître son opinion. Je vais laisser à M. Kent le soin de vous faire part des conclusions en ce qui a trait à l'insolvabilité des entreprises.

M. Andy Kent, membre du conseil de l'IIC, Institut d'insolvabilité du Canada et Association des professionnels de l'insolvabilité et de la réorganisation, avocat: Honorables sénateurs, j'ai été mandaté par mes collègues afin d'essayer de vous convaincre que ce domaine mérite votre attention. Je me sens quelque peu incompétent pour accomplir la tâche qui m'a été confiée parce qu'il s'agit d'un domaine qui peut sembler technique et aride, mais qui joue néanmoins un rôle dans notre système économique, à la fois en ce qui concerne la manière dont nous traitons les entreprises en situation de crise et aussi la manière dont nous les finançons.

J'ai la chance d'exercer ma profession à la fois pour le compte de sociétés qui empruntent de l'argent, pour des banques qui prêtent de l'argent, pour des entreprises qui sont dans des situations financières précaires ainsi que pour des institutions financières ayant prêté de l'argent à ces entreprises en situation précaire. Je dispose ainsi d'un regard privilégié de tous les angles possibles. C'est un domaine qui a des répercussions sur notre économie. De l'avis de ceux qui exercent leurs activités dans le domaine, il serait extrêmement utile de procéder à une réforme législative.

J'aimerais vous entretenir brièvement, avant d'aborder nos recommandations proprement dites, des raisons nous ayant conduits à cette opinion. La première est qu'il s'agit d'anciennes lois. En fait, si on examine l'historique de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, on constate qu'elle comporte de nombreuses dispositions qui remontent à 1918. Cette loi est largement inspirée de la première loi visant à réglementer les banques au Royaume-Uni, en Angleterre, vers le milieu des années 1800. J'ai eu récemment l'occasion de tenter une interprétation de certains articles de la loi, ce qui m'a amené à remonter à la jurisprudence en Angleterre dans les années 1800.

L'Angleterre contemporaine utilise une législation entièrement différente. Cette législation a en effet été modifiée en profondeur, et complètement remaniée dans l'intervalle. Les Anglais trouveraient que notre droit sur la faillite est incroyablement archaïque. L'historique de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies nous apprend que cette loi a été adoptée à titre de mesure d'urgence durant la Dépression. En fait, certaines dispositions furent éliminées du droit des sociétés britannique, à l'époque 20 articles, et je le répète, ces dispositions avaient été adoptées dans les années 1800. Dans une large mesure, ces dispositions sont les mêmes aujourd'hui.

Le fondement de notre législation en matière d'insolvabilité est véritablement la loi britannique qui avait cours durant la seconde moitié des années 1800, et il est très archaïque. Au cours de ma carrière — que j'exerce depuis 25 ans — je me suis rendu compte que notre secteur a l'impression que cette loi est considérée avec indifférence par Ottawa. Afin de régler les problèmes pratiques en rapport avec les dépôts de procédures, on a été amené petit à petit à modifier radicalement cette loi.

Dans la réalité vraie, lorsqu'il est question de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, on constate qu'il ne s'agit plus du tout d'un texte législatif. Nous évoluons au milieu d'un système de common law, mais il ne s'agit pas vraiment d'un bon système de common law parce que nous disposons de très peu de jugements écrits. La plupart de ces affaires se retrouvent devant les tribunaux à court préavis et le juge ne fournit aucune raison par écrit. Tout est dans la pratique.

Il s'agit donc d'une évolution assez extraordinaire et qui va à l'encontre de toutes les théories du droit que j'ai apprises à la faculté. Ce système fonctionne en raison de la qualité de nos juges et des spécialistes en cause, mais il nous expose parfois à la catastrophe, et c'est un système difficile à défendre lorsqu'on le décrit à des étrangers.

Il arrive même parfois qu'il occasionne des problèmes ici même, au pays. Je vais vous donner un exemple très simple. L'année dernière, je crois, il y a eu en Saskatchewan une affaire au cours de laquelle on a demandé à un juge de signer une ordonnance demandant un séquestre intérimaire, une demande qu'un juge ontarien aurait pu satisfaire en l'espace de cinq minutes. Il n'y avait pas d'opposition, mais le juge s'est donné la peine de lire l'ordonnance et il a rédigé un long jugement éclairé, articulé et réfléchi expliquant pourquoi il considérait qu'il n'avait pas la compétence pour signer cette ordonnance.

Si vous pouviez voyager dans le temps et revenir à l'époque à laquelle j'ai commencé à exercer le droit, dans les années 80, et si vous aviez demandé alors à un juge ontarien de signer cette ordonnance, il aurait réagi exactement de la même manière. Mais durant l'intervalle de 20 ans qui s'est écoulé depuis lors, nous avons créé tout un ensemble de droit qui n'existe nulle part dans sa forme écrite.

Il s'agit d'une évolution assez extraordinaire parce que tous les autres pays développés disposent d'un système codifié de droit en matière d'insolvabilité reposant sur des lois. À bien des égards, le Canada, surtout en ce qui concerne nos affaires les plus importantes, ne dispose plus d'un tel système. Il est difficile d'expliquer à une institution financière étrangère susceptible d'envisager de faire affaire avec le Canada qu'elle doit avoir confiance ou avoir foi dans un tel système. S'il se trouve que vous êtes un spécialiste qui connaît bien le domaine, cela vous confère un avantage sur le plan concurrentiel parce qu'il est très difficile de l'expliquer ou de le comprendre à moins d'en faire continuellement l'expérience.

Si on adopte la perspective de la politique et de la théorie du droit, c'est très difficile à justifier. Nous disposons d'un régime juridique qui est censé être ouvert, que les gens peuvent comprendre et lire, aussi il est difficile sur le plan théorique de défendre ce système ou de le justifier. Beaucoup sont d'opinion qu'une réforme est nécessaire, et je voudrais vous décrire brièvement les principaux secteurs à améliorer.

Nous avons fait 86 recommandations précises. L'un des aspects du processus qui m'a particulièrement plu est le fait que lorsque nous avons voté sur ces propositions — il y en avait environ 90 lorsque nous avons pris le vote — nous nous étions fixé un seuil aux deux tiers. C'est-à-dire que nous voulions obtenir l'appui d'au moins les deux tiers des votes sur chaque proposition prise individuellement afin d'être sûrs que nous exprimions un fort élément de consensus. Les spécialistes de l'insolvabilité sont par nature irascibles et difficiles à convaincre en ce qui concerne la nature de nos activités, aussi je n'avais pas de grandes attentes. J'ai donc été agréablement surpris de constater que 86 de ces propositions ont été adoptées, et dans bien des cas dans une proportion supérieure à 90 p. 100. Il était remarquable d'obtenir un tel consensus pour ces propositions de la part des avocats et des comptables les plus en vue du pays.

Cela ne signifie pas que je suis personnellement d'accord avec l'ensemble des propositions — je ne suis pas ici pour exprimer mes opinions personnelles, je suis simplement le porte-parole chargé de présenter notre rapport. Toutefois, le fait est que nous avons obtenu un large consensus sur la nécessité d'opérer une réforme et un appui massif pour les propositions que nous avons transmises à Industrie Canada en mars 2002.

Pour ce qui est des détails, la première chose dont j'aimerais vous entretenir, et qui me préoccupait beaucoup à l'époque où j'ai participé à cet exercice, est la question du gouvernement d'entreprise du débiteur. À cet égard, nous ne nous intéressons pas à ce qui s'est passé avant que la société ne dépose des procédures ou n'éprouve des problèmes financiers. Nous voulons parler de la manière dont l'emprunteur est géré durant le processus de réorganisation. Durant cette période intermédiaire de 20 ans, nous avons accordé au débiteur un vaste éventail de pouvoirs additionnels. Si ces pouvoirs sont bien utilisés, c'est à l'avantage de tout le monde. Cela permet de sauver des entreprises en exploitation. S'il y a une entreprise à sauver, des emplois à sauvegarder, le débiteur est probablement le mieux placé pour effectuer ce sauvetage, soit en vendant, soit en réorganisant la dette, quels que soient les mécanismes privilégiés.

De toute évidence, le débiteur se trouve dans la meilleure position — certainement mieux placé que les créanciers ou que quiconque. Aussi, accorder ces pouvoirs au débiteur est une bonne chose, tant et aussi longtemps qu'ils sont utilisés à bon escient. Le problème tient au fait que nos lois ne font pas mention de manière significative du gouvernement d'entreprise d'un débiteur. Par conséquent, nous avons recommandé une série d'amendements destinés à créer un cadre au sein duquel le débiteur serait géré pendant la réorganisation, un cadre assorti de freins et contrepoids et qui donnerait aux tribunaux le pouvoir d'intervenir en cas de problèmes. Je reviendrai sur ce point lorsque j'aborderai la question du pouvoir légal d'autoriser un débiteur-exploitant à emprunter, une question liée à celle du financement du débiteur durant la réorganisation.

Les droits des actionnaires sont devenus un problème dans bon nombre d'affaires importantes entendues au Canada, comme celle mettant en cause Philip Services (Ontario) et Laidlaw. Le problème tient au fait que nos lois ont été rédigées dans un objectif modeste, qui était celui de permettre à un débiteur de réorganiser ses dettes sur son bilan — autrement dit le passif — sans faire référence à quoi que ce soit d'autre. De nos jours, une société peut se retrouver devant un problème comme celui des réclamations présentées par des personnes qui invoquent les droits des actionnaires pour affirmer qu'on leur a menti par l'entremise des marchés publics.

Aux États-Unis, le Code of Bankruptcy comporte des dispositions explicites à l'égard de ces réclamations. Nos lois n'en font aucune mention. Lors du dépôt de procédures en vue d'une réorganisation, une grande société peut choisir l'endroit du dépôt. Si ces procédures sont déposées au Canada, il n'existe aucun mécanisme pour s'en occuper. Par conséquent, les sociétés n'ont d'autre choix que de les déposer aux États-Unis où il existe un véhicule pour traiter ce genre de réclamations d'une manière intelligente, juste et raisonnable. Au Canada, nous ne disposons d'aucun mécanisme à cet égard. Ainsi, on se retrouve dans des situations où il devient difficile de réorganiser une entreprise canadienne en vertu de notre droit, parce que nos lois ne tiennent pas compte en règle générale de ces réclamations au titre des droits des actionnaires.

Certaines lois sur les sociétés comportent des dispositions relatives aux réclamations des actionnaires. Par exemple, la Loi canadienne sur les sociétés par actions comporte des dispositions à cet égard. Il en va de même pour certaines lois provinciales, tandis que d'autres n'en comportent pas. Cela finit par ressembler à une sorte de loterie, dépendant de l'endroit où la société est organisée, que de trouver un véhicule habilité à traiter ce genre de réclamations. Il s'agit donc d'un système où la confusion règne. Il devient difficile d'expliquer pourquoi nos lois sur l'insolvabilité ne comportent aucun code destiné à tenir compte des réclamations des actionnaires, alors que d'autres systèmes de réorganisation les traitent comme si elles faisaient partie de l'effort de réorganisation.

Le troisième aspect que je voulais aborder est celui «du prêt DIP» autrement dit le prêt au débiteur-exploitant. M. Goldstein m'a demandé d'aborder cet aspect, et ensuite, je me tiendrai prêt à répondre à vos questions.

Toute la question du prêt DIP tourne autour de la détermination des moyens de financer une société pendant qu'elle tente de se réorganiser. Les propositions visent à faciliter le prêt DIP afin de permettre aux sociétés de poursuivre leurs activités et de se financer tout en se réorganisant. Les situations dans lesquelles le prêt DIP peut susciter la controverse sont celles où l'on n'a pas confiance dans la direction et dans sa façon de dépenser l'argent. Mais, lorsque l'on fait confiance à la direction et aux décisions qu'elle prend concernant la façon de dépenser l'argent, les investisseurs ne voient aucun inconvénient à avancer du financement. Par conséquent, dans les cas où l'on entretient des préoccupations à l'égard de la direction, on continue de s'affronter au sujet du financement.

Je vais conclure ici et je suis prêt à répondre à vos questions.

Le président: Avant de commencer à poser des questions, je voulais vous faire part d'un dilemme mineur que je vais vous demander d'élucider. Le voici.

Dans l'édition du mercredi 7 mai 2003 du Financial Post, on rapporte que vous auriez dit au sujet de nos préoccupations à l'égard de la faillite ce qui suit: «Cette situation frôle le ridicule» et peut-être que c'est vrai, après tout. Cependant, dans votre rapport, à la page 74, vous dites ce qui suit:

L'expérience canadienne de deux systèmes de réorganisation a généralement été positive. La qualité principale de l'approche à deux systèmes est qu'elle répond au fait que différents types de législations en matière de réorganisation sont appropriés à différents types de débiteurs.

Donc, d'un côté vous dites que c'est un peu ridicule, et de l'autre vous affirmez que l'expérience a été généralement positive. Allez-vous vous ranger d'un côté ou de l'autre? Autrement dit, pouvez-vous nous donner une idée de l'ampleur de ce qui nous attend?

M. Kent: La partie de notre rapport à laquelle vous faites allusion aborde la question de savoir s'il est significatif d'avoir deux lois, soit la LACC et la LFI qui portent toutes les deux sur la réorganisation. Nous sommes en faveur d'un système différent pour les grandes sociétés et les petites entreprises. Le Code of Bankruptcy des États-Unis va dans ce sens. Il est judicieux d'avoir deux systèmes indépendants. Je maintiens ce commentaire.

Quant à l'article du Financial Post, il fait référence à la façon dont les personnes qui vivent à l'extérieur de notre pays peuvent percevoir notre système, un système dans lequel nous ne pouvons pas dire quelles sont les règles du jeu sur tout un éventail de questions, et dans lequel un juge est dans le doute quant aux règles à suivre et à ses pouvoirs, ce qui fait qu'il ne sait pas toujours très bien comment aborder les affaires difficiles. Lorsque ces situations surviennent, à l'échelle internationale, les étrangers trouvent étrange qu'une économie développée comme la nôtre se trouve dans un tel doute et dans une position semblable en ce qui concerne les questions fondamentales.

Le président: Je ne veux pas avoir l'air d'insister, mais on nous dit que la LACC a le mérite d'être assez souple et de ne pas être rendue inopérante par un excès de règles. Mais nous y reviendrons.

Le sénateur Oliver: Lorsque notre comité s'est penché sur la restructuration des banques, un certain nombre de témoins sont venus nous dire que nous ne devrions pas envisager d'imposer de nouvelles règles et de nouveaux règlements aux grandes banques et sociétés de fiducie. Il y a bien d'autres groupes et organisations qui exercent leurs activités dans le domaine du financement et qui sont totalement déréglementés. On nous suggérait des noms de sociétés comme GE Capital.

Il me semble que GE Capital est un intervenant fréquent dans votre secteur et que cette organisation réunit des fonds destinés à des prêts DIP pour des sociétés. Vous semblez réclamer davantage de protection pour ces groupes non réglementés qui accordent du financement DIP. Avant de leur accorder la priorité par rapport à ceux qui prêtent de l'argent depuis des années et qui ont pris tous les risques, ne devrions-nous pas examiner d'autres règles B par exemple, déterminer si GE Capital devrait d'abord avoir à prouver, avant de bénéficier de toutes ces mesures de protection, si la restructuration va donner de bons résultats et si, en fin de compte, elle bénéficiera aux actionnaires et aux employés de la société? Ne devrait-il pas y avoir une telle norme?

M. Kent: Il est souvent difficile au début d'une affaire de prévoir comment elle tournera. Il est tout aussi difficile de prédire ce qui va se passer au début d'une affaire, même si la décision de fournir de l'argent doit se prendre au tout début — si l'entreprise a besoin de cet argent pour poursuivre ses activités.

Le sénateur Oliver: Que se passerait-il si ces montants avaient été négociés trois mois auparavant? Supposons qu'il n'y avait pas de fonds de roulement, pas d'inventaire et que la direction savait que la fin était proche, mais que la société avait entrepris de négocier une toute nouvelle ligne de financement. Quelques jours plus tard, la société annoncerait la mise en place d'une nouvelle ligne de financement de 20 millions de dollars. Est-ce que cela fait une différence au moment où le financement est négocié?

M. Kent: D'une certaine manière, il est préférable de commencer plus tôt que plus tard, parce que les chances sont meilleures si on s'adresse à quelques sociétés. De cette manière, on se trouve en face d'un processus plus concurrentiel et la société sera peut-être en mesure d'obtenir le meilleur arrangement possible, dans les circonstances. Si cela est négocié à 48 heures d'avis, il peut être difficile de trouver une solution de rechange. Il est certain que lorsque vous agissez au nom d'un débiteur, vous devez vous engager dans un processus qui se déroule sur plusieurs semaines au moins en vue de négocier des solutions de rechange pour trouver du financement, dans la mesure où vous en avez besoin. Il arrive souvent, en pratique, que les prêts DIP ne soient pas beaucoup utilisés. Une fois que vous avez obtenu le financement, cela inspire confiance et lance le message que vous restez dans la course et on traitera avec vous d'une manière différente.

Dans bien des cas, il peut y avoir un financement DIP de 50 millions de dollars en place, alors que l'emprunt maximum était de 5 millions ou 10 millions de dollars auparavant. Cela donne confiance et rassure tout le monde comme quoi les entreprises sont viables et ne seront pas touchées par l'insolvabilité administrative. Par ailleurs, si les règles étaient claires, ce serait plus facile pour d'autres personnes de participer, y compris pour les institutions nationales. Cela reviendrait moins cher de participer. Et cela permettrait aussi aux prêteurs existants de déterminer plus facilement quel est le risque de voir arriver de nouveaux investisseurs qui injecteront de l'argent frais.

Nous avions recommandé une série de facteurs à considérer par un tribunal chargé de décider du bien-fondé d'accorder un prêt DIP dans une affaire en particulier. Le plus gros problème consiste à déterminer si la direction fait les choses comme il se doit. Si on détermine que la direction fait ce qu'il faut et que l'entreprise a besoin de cet argent, la plupart des juges diront: «D'accord.» Si la direction n'inspire pas confiance, alors il se peut que l'on éprouve des réticences à lui laisser avoir cet argent, parce qu'elle pourrait le dépenser à mauvais escient ou encore entraîner l'entreprise dans une direction qui n'est pas très avisée sur le plan des affaires ou de l'économie.

Le sénateur Oliver: D'après votre expérience, est-ce que la plupart du financement provient de prêteurs traditionnels ou de prêteurs de capitaux?

M. Kent: Un peu des deux. Le premier véritable prêt DIP auquel j'ai participé remonte à 1995. Il s'agissait du dossier Dylex. Le deuxième auquel j'ai participé était celui de Eaton's, en 1997. Et le suivant a été pour la Banque de Nouvelle- Écosse.

Depuis cette époque, on constate que le financement DIP est accordé par les banques ou les consortiums existants. Et aussi par des outsiders. J'affirme cela sans preuve, mais il est probable que les prêteurs existants ont réalisé la majorité des prêts DIP. La plupart des prêteurs DIP ne veulent pas s'engager dans une situation controversée où ils n'ont pas déjà une participation et se retrouver au beau milieu d'une bagarre.

Le sénateur Kroft: L'une des avantages découlant de notre travail est qu'il nous donne l'occasion de rencontrer les meilleurs penseurs et spécialistes, quel que soit le sujet abordé. C'est certainement le cas pour l'étude qui nous occupe. Je pense que tous les Canadiens vous sont redevables pour cet effort et cet engagement.

Il y a là un vaste éventail de sujets, et nous n'en sommes qu'aux tout débuts. Il y a matière à penser dans cette longue liste.

Le simple fait que vous soyez parvenus à réduire vos recommandations à 86 est un indice de l'ampleur de ce à quoi nous nous attaquons. Toutefois, vous ne devriez pas trop vous en faire à ce sujet. Je ne sais pas si l'un d'entre vous était présent hier lorsque le ministère de l'Industrie a produit son document de consultation, mais nous avons dû composer avec leur réticence à faire quelque recommandation que ce soit. À vrai dire, nous avons l'embarras du choix.

Dans vos recommandations, à la section D, vous mentionnez comme l'un de vos domaines de prédilection celui du gouvernement d'entreprise du débiteur. Vous comparez l'expérience américaine et l'expérience canadienne. J'aimerais vous demander de nous résumer en une phrase, à titre de prélude à ce qui suit, votre réponse à une de mes opinions. Chez les gens d'affaires, on a l'impression que le chapitre onzième du système américain permet plus facilement à une société de suivre un processus et d'en émerger en tant qu'entreprise en exploitation que le système canadien. Il s'agit d'une remarque d'ordre général. Je voudrais seulement obtenir la réponse la plus courte et la plus simple à cette question.

M. Kent: Je ne peux pas m'appuyer sur beaucoup de chiffres à cet effet, mais ceux qui existent ne vont pas dans le sens de cette affirmation. Le taux d'insuccès au titre du chapitre onzième est relativement élevé. On a beaucoup critiqué les États-Unis au sujet de la lenteur et du coût élevé de ce système. Chez nos voisins du Sud, certains pensent que ce chapitre onzième est une très mauvaise chose. Nous ne disposons d'aucune preuve comme quoi il serait supérieur aux propositions contenues dans la LACC ou la LFI.

Le sénateur Kroft: En gardant à l'esprit que l'insolvabilité peut être une bonne chose, en ce sens qu'elle indique que quelqu'un prend des risques quelque part — si l'insolvabilité n'existait pas, le niveau de prise de risques et l'entrepreneurship seraient probablement très bas — les dirigeants doivent faire en sorte que les activités se poursuivent, quel que soit le processus, qu'il s'agisse du chapitre onzième ou de l'un des mécanismes que nous avons retenus. Vous avez fait un certain nombre de recommandations à cet égard. Elles semblent essentiellement avoir été conçues pour permettre aux dirigeants de demeurer en place et de continuer à superviser les activités de la société pendant qu'elle suit les procédures de faillite. Cela semble être l'objectif.

M. Kent: C'est exact.

Le sénateur Kroft: Je sais qu'il existe un certain nombre de dispositions, mais pourriez-vous nous résumer votre position en ce qui concerne les assurances? Nous travaillons aussi actuellement à la rédaction d'un rapport sur le gouvernement d'entreprise qui aborde les obligations et les responsabilités des dirigeants. Pourriez-vous nous résumer les questions qui touchent les mesures de protection mises à la disposition des dirigeants afin de leur permettre de continuer à jouer leur rôle confortablement, c'est-à-dire s'ils étaient assurables.

M. Kent: Le marché de l'assurance est dynamique par les temps qui courent, pour diverses raisons. À mon avis, il devient de plus en plus difficile d'obtenir de l'assurance pour les dirigeants et les cadres supérieurs. Ce marché subit une contraction.

Mais il existe d'autres produits. Il y a en effet désormais des produits que les dirigeants peuvent s'offrir à titre personnel, non par l'entremise de leur société, mais de leur propre chef.

Le principal problème en ce qui concerne l'assurance des dirigeants tient au fait qu'il s'agit d'un système fondé sur les réclamations. Si la police arrive à échéance et que les réclamations n'ont pas encore été présentées, vous vous retrouvez sans couverture. Le problème avec le contexte de l'insolvabilité est que les réclamations peuvent survenir longtemps après que la police soit arrivée à échéance. Certaines dispositions existent pour venir en aide aux dirigeants aux prises avec ce problème. Il s'agit d'un problème qui est au coeur du contexte de l'insolvabilité.

Le sénateur Kroft: Après avoir jeté un coup d'oeil très rapide sur votre liste de dispositions particulières, je n'ai vu aucune mention des réclamations en dommages par les actionnaires. Il est davantage question des préoccupations au sujet des créanciers et de la situation des créanciers.

M. Kent: Il existe une disposition distincte dans la section sur le capital-actions qui mentionne le droit d'éteindre les réclamations de capital. Prenons, par exemple, la proposition 62, à la cinquième ligne, on y mentionne les réclamations pour fraude en matière de valeurs mobilières. Le Code of Bankruptcy des États-Unis permet de faire la même chose. Cela revient au même.

Le sénateur Kroft: Je veux bien me faire comprendre en ce qui concerne la position de l'actionnaire par rapport à celle des créanciers. On présume que dans une situation d'insolvabilité, la position des actionnaires est réduite à néant. Les valeurs qui restent sont substantiellement ou entièrement à porter au crédit des créanciers. Une fois les procédures terminées, la valeur résiduelle devrait probablement leur revenir. Par conséquent, il n'y a rien là pour satisfaire les réclamations des actionnaires, à part l'assurance. Pour ce qui est de la valeur en cause, le créancier prend la place de l'actionnaire.

M. Kent: Oui, en effet, on semble penser que dans la plupart des cas, les actionnaires sont tenus à distance. On ne devrait pas leur accorder un veto sur le processus. Dans le dossier de Peoples Jewellers, vers le milieu des années 90, un plan de réorganisation avait échoué parce qu'on l'avait soumis à l'approbation des actionnaires et qu'ils avaient voté contre. Ils avaient demandé la mise sous séquestre, et on a constaté par la suite que ce fut une mauvaise décision.

Beaucoup sont d'opinion que, dans la plupart des cas, les tribunaux devraient avoir le pouvoir de réorganiser le capital-actions. Mais cela ne devrait pas se faire automatiquement, toutefois, parce qu'il y a des cas où une société peut se retrouver sans liquidités, alors que le capital-actions possède toujours une certaine valeur. Le tribunal devrait avoir le pouvoir de protéger le capital-actions dans ces cas. Donc, le tribunal devrait en avoir le pouvoir, mais si les actionnaires sont convaincus que leur réclamation est légitime, ils devraient pouvoir s'adresser au juge et lui demander sa protection dans une situation particulière.

Le sénateur Kelleher: Nous présenter 82 propositions, c'est nous offrir tout un assortiment. J'ai de l'appétit, mais pas à ce point. Par conséquent, je vais piger dans le lot et vous mentionner plusieurs choses qui me viennent à l'esprit et qui me semblent litigieuses. L'une de ces remarques vise les conventions collectives. Cette situation est remontée à la surface avec l'application de la LACC dans le cas d'Air Canada, alors que Air Canada a montré des signes de vouloir faire fi, je suppose, de la convention collective en vigueur. Notre ami qui est à la tête du tribunal, après avoir entendu les représentations, a décidé qu'il valait mieux pour le moment suspendre les procédures et attendre pour prendre la décision.

Dans toute réorganisation, les conventions collectives posent évidemment un problème de taille. Nous remarquons que la situation est la même aux États-Unis. Pourriez-vous nous faire part d'une décision un peu plus définitive dans ce domaine, ou alors de suggestions?

M. Kent: Le rapport recommande qu'un tribunal se voie accorder le pouvoir d'autoriser un débiteur à mettre fin à ce qu'il est convenu d'appeler des contrats à exécution différée.

Le sénateur Kelleher: Je sais.

M. Kent: Lorsque j'ai rédigé le rapport dans sa première version, j'ai exclu les conventions collectives de cette disposition parce certains des efforts ayant conduit à la réforme des années 80 ont échoué dans ce domaine en raison de la controverse entourant cette question. Les membres de l'Institut ont exprimé massivement l'opinion que cette exclusion n'avait pas sa raison d'être, et que le pouvoir de dissolution devait s'appliquer aux conventions collectives, et c'est la raison pour laquelle notre rapport le mentionne. Cette opinion reflète celle des spécialistes du domaine.

Dans l'affaire Canada 3000, la société a décidé d'opter pour une liquidation pure et simple parce qu'elle n'arrivait pas à s'entendre avec ses employés. Le conseil d'administration a démissionné et a laissé les passagers se débrouiller tout seuls un peu partout dans le monde parce que ses membres étaient inquiets au sujet de leurs responsabilités personnelles. Ce fut une affaire très malheureuse, parce qu'à l'origine, Canada 3000 avait été une bonne petite compagnie aérienne, bien gérée, et c'est à la suite d'acquisitions ayant mal tourné qu'elle s'est retrouvée en difficulté. La société ne pouvait pas procéder à une nouvelle rationalisation, parce qu'elle ne venait pas à bout des problèmes avec le syndicat.

Il y a des raisons de s'inquiéter lorsqu'une entreprise est forcée de réduire rapidement ses effectifs et qu'elle dispose d'une convention collective. Le régime de la négociation collective a été conçu sans tenir compte de ce genre de problème. De nombreuses considérations de principe viennent soutenir le régime existant, mais elles n'ont pas été conçues avec ce problème particulier et pointu à l'esprit. Heureusement, cela ne se produit pas très souvent. Mais, lorsqu'une telle situation se présente, le régime syndical standard n'est pas suffisamment flexible pour permettre de réagir en temps utile. J'essaie de vous expliquer l'opinion collective des spécialistes.

Il y a bien sûr des cas où l'on voit des compagnies échouer et se résoudre à la liquidation parce que les responsables éprouvent de la difficulté à s'en sortir avec les conventions collectives. Peu importe la raison, cela se termine toujours de la même manière, c'est-à-dire que plutôt que de faciliter une transaction révisée et la poursuite des activités de l'entreprise, on se retrouve avec plus d'entreprise du tout et des chômeurs, et bonjour la visite. Les gens du secteur sont d'avis que c'est bien triste.

Cependant, il est difficile d'établir avec précision le pouvoir accordé à un juge en rapport avec la LACC dans ce domaine. Il faut faire preuve de prudence, parce qu'une affaire est actuellement en instance. Les tribunaux se retrouvent dans une position difficile en raison de l'absence de lignes directrices dans la loi. Le commentaire que j'ai fait comme quoi la situation frôlait le ridicule faisait allusion au fait que les tribunaux n'ont aucune ligne directrice concernant ce qu'ils devraient faire dans ce domaine, et il serait utile qu'ils en aient. Ce sont ceux qui prennent les décisions stratégiques, et non les juges, qui devraient prendre ces décisions, quelles qu'elles soient.

Le sénateur Kelleher: Comment le juge Farley compte-t-il trancher dans ces situations, alors? Nous savons tous que les lois ne comportent pour ainsi dire pas de lignes directrices à cet effet et qu'il n'y a pas beaucoup de lois non plus. Alors, comment nous en sortir dans de telles situations? Que suggérez-vous? Dans ce cas particulier, nous ne pouvons pas attendre durant plusieurs années que le gouvernement décide d'adopter une loi.

M. Kent: Je suis un peu mal à l'aise avec cette question, parce que j'ai des clients qui sont visés par cette affaire, tout comme nous tous dans le milieu, car il y a une cause en instance.

M. Fortin: Premièrement, j'aimerais mentionner quelque chose. Récemment, un très bon juge de la Cour d'appel du Québec a rendu une décision très articulée. Il explique que le seul pouvoir qui semble exister dans la loi en ce moment est celui de répudier un contrat ou de ne rien faire du tout, mais qu'il n'existe pas de voie mitoyenne. C'est la décision qu'il a rendue. Je ne sais pas ce qui va se passer avec Air Canada. Il y a un risque que les syndicats aillent en appel, et que ce soit la Cour d'appel de l'Ontario qui doive rendre une décision.

Au fil des années, on s'est presque toujours tiré de ces situations en adoptant une décision quasi-consensuelle. Notre ami, M. Farley — je ne suis pas dans sa juridiction, aussi je peux dire «notre ami, M. Farley»...

Le sénateur Kelleher: Vous en avez de la chance.

M. Fortin: Il semble prêt à rendre une ordonnance. En fin de compte, voici ce qui se passe: sur une base consensuelle, les gens ont tendance à se mettre d'accord et à en venir à une certaine forme d'entente. Le problème tient à ce que la jurisprudence soit insuffisante. Il n'existe pas de certification. Il n'y a pas de lignes directrices. La loi doit comporter des lignes directrices qui nous permettront d'orienter nos décisions.

En fin de compte, il s'agit d'une décision de principe. Le gouvernement du Canada doit décider s'il va emprunter l'itinéraire A ou l'itinéraire B. Le problème que nous avons en ce moment est qu'il n'existe aucune règle et que nous devons réinventer la roue chaque fois. Avant l'affaire Air Canada, cette situation ne défrayait pas beaucoup la chronique. Plus maintenant. Elle est devenue un sujet de discussion permanent.

Cette situation existe non seulement pour les conventions collectives, mais aussi en ce qui concerne les contrats à exécuter. Nous devons nous décider. L'affaire Eaton's a permis de trouver des choses très intéressantes et créatives, mais elles avaient été créées de toutes pièces par des juges. C'est alors que l'intervention prend toute son importance. Il faut codifier une partie de ces décisions, et déterminer quels sont les pouvoirs accordés au juge. Cela donnera lieu à tout un débat, mais je ne pense pas qu'un juge ait le pouvoir de forcer des syndicats à modifier leurs contrats de travail dans le cadre de notre système juridique. C'est mon opinion personnelle. L'Institut est d'avis, et nous étions d'accord, qu'il devrait y avoir, dans la loi, des dispositions permettant au juge de rendre une décision au cas par cas.

Le sénateur Kelleher: Le prochain domaine que j'aimerais aborder avec vous est celui qui tourne autour de la sempiternelle question qui revient régulièrement à la surface, au bout de quelques années, c'est-à-dire celle de l'ordre de priorité à l'égard de réclamations salariales. Lequel d'entre vous aimerait s'attaquer à cette question?

M. Kent: Nous avons recommandé de n'accorder aucune priorité aux réclamations salariales. Bon nombre des rapports qui se sont penchés sur cette question en profondeur ont recommandé la mise en place d'une forme quelconque de programme d'assurance plutôt que d'accorder une priorité.

Le problème avec la priorité ne vise pas vraiment les créanciers, parce que si par exemple, on devait accorder une priorité plus grande que celle accordée à l'inventaire et aux comptes débiteurs, dans ce cas, les banques dans l'éventualité où elles prêteraient sur garanties, accorderaient des prêts moins importants. Il ne s'agit pas d'un problème pour les banquiers. Beaucoup d'entreprises au Canada dépendent d'un financement garanti. Elles obtiendraient l'équivalent d'un mois ou de deux mois de salaires en moins sur le plan de la capacité d'emprunt.

Dans l'affaire de la Saskatchewan Wheat Pool, où nous avons représenté les prêteurs au cours de la dernière réorganisation, l'organisation dispose désormais d'une ligne sur marge. Il était d'une importance cruciale pour la poursuite de leurs activités de s'assurer de disposer d'une réserve suffisante de liquidités pour financer les transactions. Il y avait de grands écarts dans les besoins de financement. Dans l'éventualité où l'on aurait retiré l'équivalent d'un mois ou de deux mois de salaire, cela aurait eu pour effet de limiter encore davantage leur accès à un fonds de roulement.

Ces mesures auraient une incidence négative sur les entreprises qui, dans l'économie canadienne, jouent un rôle assez important, pas les grandes qui peuvent emprunter sans offrir de garanties, mais les PME qui sont un moteur important de notre économie. Elles se verraient ainsi offrir un accès plus limité à du financement garanti pour leur fonds de roulement. Étant donné que j'ai déjà représenté des sociétés emprunteuses, je peux vous affirmer que ce n'est pas une bonne chose. Le problème tient au fait que cela toucherait tout le monde. Les coûts cachés indirects seraient beaucoup plus élevés que le coût des éventuelles primes d'assurance qui seraient requises.

Je n'ai jamais pu consulter de chiffres sur les montants réels de ces pertes. Mais j'ai l'impression qu'elles sont relativement peu élevées. Dans l'éventualité d'une proposition d'assurance, il ne serait pas nécessaire que les primes soient particulièrement élevées pour les financer.

Le sénateur Kelleher: Est-ce que vous connaissez une société prête à offrir ce type d'assurance?

M. Kent: Je ne pense pas que le marché privé puisse l'offrir. Le débat d'orientation a surtout tourné autour de la possibilité que le gouvernement l'exige à titre de prolongement des programmes d'assurance-emploi ou quelque chose du genre. C'est le débat qui a cours depuis quelques années. Plusieurs rapports ont débouché sur une recommandation semblable, mais elle n'a jamais vu le jour.

Le président: Pourrions-nous revenir aux conventions collectives? Dans le cas d'Air Canada, que je ne connais pas très bien, il semblerait que la société qui désire obtenir une réorganisation, en l'occurrence Air Canada, pourrait disposer d'arguments solides si elle voulait faire valoir que ses conventions collectives l'acculent à la faillite. Je ne sais pas si c'est vrai ou non, mais l'entreprise pourrait présenter une prétention établie à première vue à cet égard. Si elle obtenait gain de cause, pourquoi un juge hésiterait-il à les annuler?

M. Kent: Une partie du problème tient au fait qu'il existe des lois qui accordent certaines mesures de protection. La Cour suprême du Canada a rendu des décisions dans lesquelles elle faisait valoir que la compétence inhérente d'un tribunal n'a pas préséance sur une loi. Les lois éclipsent la compétence inhérente. Dans l'exercice de ses fonctions, le tribunal invoque la compétence inhérente, mais il se montre réticent à faire quelque chose qui entrerait en contradiction avec une loi.

Les syndicats feront valoir que la compétence inhérente ne va pas jusqu'à permettre de faire quelque chose qui entre expressément en contradiction avec une disposition législative.

Le président: Comment une société qui se trouve pratiquement en faillite peut-elle envisager une réorganisation sans cela?

M. Kent: Nous avons consacré un an et demi à la rédaction d'un rapport — parce qu'il y a beaucoup de points comme celui-là dans notre loi. Nous avons découvert l'existence d'une culture de la réorganisation en l'absence de lois pour la justifier. Aussi, aujourd'hui, nous déclarons qu'il faut modifier les lois afin qu'elles viennent soutenir cette culture de la réorganisation. Nous risquons d'avoir de plus en plus de problèmes parce qu'il n'existe aucun fondement juridique pour bien des choses que nous faisons.

Le président: Pourquoi pensez-vous que les mesures législatives permettent à un commerce de détail d'annuler un bail, alors que cela s'apparente à un lien sur la propriété d'autrui?

M. Kent: Cette décision a été controversée.

Le président: Et pourtant, on ne peut pas annuler une convention collective, ce qui représente un lien sur le temps d'autrui.

M. Kent: Les conventions collectives font partie d'un régime législatif particulier et il existe des tribunaux spécialisés chargés d'entendre les litiges qui les concernent. En ce qui a trait aux locations, elles ne sont pas assujetties à ces mesures de protection juridiques particulières. Elles sont comme n'importe quel autre contrat. Dans l'exercice de la compétence inhérente, le tribunal n'entre pas en contradiction avec des dispositions juridiques expresses.

Le président: Je suis convaincu que vous avez raison, mais le fait est que cela tient presque de la discussion philosophique. Soit nous permettons aux gens de se réorganiser, soit nous ne le permettons pas. S'ils veulent procéder à une réorganisation, nous devons commencer par essayer de déterminer ce qui les a conduit à la faillite. Est-ce trop simpliste?

M. Kent: Dans l'esprit des experts, il serait utile de disposer d'un mécanisme qui indiquerait comment s'occuper des conventions collectives des sociétés qui tombent sous la protection des lois sur l'insolvabilité, afin de faciliter la réorganisation de sociétés ayant d'importantes responsabilités liées à des conventions collectives, particulièrement si elles doivent procéder à une réduction des effectifs. Il faut pouvoir réagir rapidement dans ces cas. Si elles doivent réduire les effectifs, cela signifie qu'elles perdent de l'argent dans certains secteurs. Elles ne sont pas en mesure de continuer à le faire.

Le président: Pensez-vous qu'il y ait quelque chose dans l'âme canadienne qui fasse en sorte que les conventions collectives soient sacro-saintes?

M. Kent: Pour être en mesure de bien comprendre la culture réelle d'un pays sur le plan des affaires et de la politique...

Le président: Aux États-Unis, il existe une disposition juridique permettant d'annuler une convention collective.

M. Kent: Oui. Pour comprendre comment opère le monde des affaires et le monde politique d'un pays, il suffit d'examiner comment son système d'insolvabilité fonctionne en pratique, pas sur le papier. Vous constaterez rapidement les différences qui existent d'un pays à l'autre.

Si vous voulez apprendre à connaître le Canada, étudiez son régime d'insolvabilité. Un étranger en apprend beaucoup sur notre pays et très rapidement lorsqu'il a affaire à notre régime d'insolvabilité. Nous nous débrouillons tant bien que mal.

Le président: C'est bien le Canada.

Le sénateur Oliver: Nous protégeons les conventions collectives.

M. Kent: Nous avons peur de jouer les trouble-fête. Nous hésitons à faire des choses controversées. Nous avons peur de dire que quelque chose est ridicule dans les journaux, parce que les gens vont penser que nous sommes des empêcheurs de tourner en rond. Nous avons tendance à sous-évaluer et à faire preuve de cohérence...

Le président: Votre rapport ne dit pas que la situation est ridicule.

M. Kent: Il s'agit d'un système de règlement extrajudiciaire des différends. Plaider ma cause jouerait en ma faveur. Invoquer le chapitre onzième serait formidable en ce qui me concerne.

Nous évoluons dans un système qui est conçu pour encourager les solutions de rechange, y compris le règlement des différends et la négociation, ce qui est une bonne chose. C'est un meilleur système.

Mais le problème c'est que nous ne nous en sommes pas occupés. Il est devenu archaïque. Il faut le moderniser et le codifier afin de le renforcer, pas l'éliminer.

Le sénateur Hervieux-Payette: Est-ce que cela s'applique aussi à l'impôt sur le revenu qu'une société doit payer? Est- ce que cela se trouve dans la même catégorie que les conventions collectives? Ils vont recevoir leur argent, quoi qu'il arrive?

M. Kent: Tout dépend du genre de réclamations dont il est question. L'impôt sur le revenu déduit des chèques des employés fait l'objet d'une priorité particulière. L'impôt sur le bénéfice est traité comme une réclamation non garantie.

Le sénateur Hervieux-Payette: Il y en a une partie qui doit être payée quoi qu'il arrive.

Le sénateur Moore: Monsieur Kent, je reviens aux questions que vous avait posées le sénateur Kroft en ce qui concerne le gouvernement d'entreprise et les préoccupations que vous entretenez au sujet de la manière dont l'emprunteur est géré durant le processus de réorganisation. Vous avez mentionné que le débiteur se trouve dans la meilleure position. Est-ce que cela signifie que l'on doit conserver le conseil d'administration qu'avait la société jusqu'au point de l'extinction de la dette, ou alors faut-il nommer un nouveau conseil? Qu'est-ce que cela signifie?

M. Kent: L'une de nos recommandations vise à faciliter l'arrivée de sang neuf. Il ne faudrait pas que cela devienne obligatoire, mais plutôt l'encourager. Il faut leur accorder des mesures de protection. Une des raisons pour lesquelles la réorganisation qui s'est effectuée chez Unitel en 1995 s'est bien déroulée a été que nous avons pu créer un comité indépendant de trois sages qui nous ont aidés durant tout le déroulement du processus. Il est difficile de procéder ainsi dans ces cas, en raison de la responsabilité personnelle.

Nous aimons encourager le conseil d'administration à demeurer en place. Nous aimons encourager des membres éminents du monde des affaires à proposer leurs services dans ces situations de crise et à venir prêter main forte.

Dans certaines affaires ayant connu un retentissement important, les membres du conseil d'administration ont démissionné parce qu'ils étaient incapables de supporter le risque personnel. Nous aimerions faire en sorte de faciliter les choses afin que des gens responsables participent parce que nous sommes persuadés qu'il est préférable de faire les choses correctement.

Nous voulons également donner au tribunal le pouvoir de forcer ce genre de choses à se produire, dans les situations où une direction intransigeante ne le permet pas. Nous voulons mettre en place le filet de sécurité, si la direction ne coopère pas, il suffit de remplacer les dirigeants par les responsables d'une firme comptable, et poursuivre la réorganisation, et éviter d'avoir recours à la liquidation. Nous préférerions voir un cabinet d'organisation diriger la société, si le conseil a perdu la confiance d'importants actionnaires.

Le sénateur Moore: Vous conservez les membres du conseil d'administration et les hauts dirigeants?

M. Kent: Si ces gens sont compétents. Nous suggérons de les encourager à faire appel à un directeur général de la réorganisation indépendant. Le problème tient en partie, pour la direction existante, et s'il s'agit d'une entreprise raisonnablement bien gérée, au fait que l'entreprise dispose de suffisamment de personnel pour diriger l'entreprise. Mais, elle n'en a pas assez pour à la fois diriger l'entreprise et la réorganisation. Une réorganisation représente beaucoup de travail additionnel pour les dirigeants. Donc, l'un des problèmes tient seulement aux ressources disponibles.

Parfois, il y a un climat néfaste dans l'entreprise. Cela peut être justifié ou non, mais il se peut qu'il y ait une fatigue ou un manque de confiance à l'égard de la direction. Cette désaffection peut être méritée, ou encore elle peut être le résultat de l'association avec un problème. Il y a un avantage à faire appel à une personne indépendante parce que, si cette personne jouit de la confiance du milieu des affaires, elle peut contribuer à susciter la confiance à l'endroit du débiteur.

Dans l'affaire de Consumers Packaging, en 2001, l'élément clé nous ayant permis de sauver la société fut qu'en raison d'un accident attribuable à un bon gouvernement d'entreprise, les directeurs indépendants étaient majoritaires. L'actionnaire contrôlant qui possédait environ 70 p. 100 des droits de vote de cette société avait été pour ainsi dire limogé à titre de président directeur général.

À tort ou à raison, il n'avait plus la confiance des actionnaires. On a fait appel à un PDG indépendant. Nous avons réussi notre processus de réorganisation qui a permis de sauver six usines et des milliers d'emplois. L'élément clé au début de cette affaire a consisté à s'occuper de la question de la direction. Par hasard, il s'est trouvé que nous disposions d'un nombre suffisant de directeurs indépendants pour pouvoir le faire. Si la situation avait été différente, nous aurions pu être forcés d'en venir à la liquidation.

Nous commençons par ces mécanismes parce que ce sont des outils très utiles. Ils peuvent permettre de sauver une entreprise, mais ils peuvent aussi être utilisés à mauvais escient ou tomber entre de mauvaises mains. Il faut mettre en place des mécanismes destinés à faire en sorte qu'ils soient utilisés par les bonnes personnes et dans des buts louables.

Le sénateur Moore: Si l'équipe de direction d'une société a fait en sorte de se retrouver dans un tel pétrin financier, qui pourrait leur faire confiance pour régler le problème? Je trouve que c'est un peu paradoxal.

M. Kent: Il n'y a pas de règle coulée dans le béton. Dans certains cas, la chose à faire est de commencer dès le début avec un nouveau conseil d'administration. Je me souviens d'un cadre supérieur de O&Y qui était venu me confier lors d'une audience destinée à rendre une sanction tenue en février 1993: «Andy, lorsque nous avons commencé cette procédure, nous ne comprenions pas de quoi il était question. Nous refusions de fournir de l'information et nous tentions de manipuler les créanciers et de continuer à fonctionner comme nous l'avions toujours fait auparavant. Il nous a fallu des mois pour comprendre ce qui se passait.» Il a déclaré que dans ce type de procédures, il faudrait tout simplement se débarrasser de la direction dès le premier jour, et que c'est la seule chose à faire.

Nous avions compris ce qui se passait dans ce cas précis. En effet, la direction ne comprenait pas les procédures qui avaient été amorcées. Le problème est que beaucoup de ces sociétés ont besoin de leurs dirigeants, peut-être pas des cadres supérieurs, mais certainement des cadres intermédiaires parce que ce sont eux qui connaissent le mieux l'entreprise. Dans certains cas, les difficultés sont simplement le résultat de la malchance — de circonstances indépendantes de leur volonté. Ce n'est pas toujours vrai que tous les problèmes sont la preuve que la direction existante est formée de naïfs, de voyous ou d'incompétents.

Le sénateur Moore: Pensez-vous que le financement DIP devrait être mis à la disposition des entreprises ayant un endettement inférieur à 5 millions de dollars?

M. Kent: Il y a deux écoles de pensée dans le milieu et nous ne sommes pas arrivés à un consensus. La première est celle-ci: «Pourquoi les petites sociétés ne se verraient-elles pas accorder les mêmes possibilités que les grosses sociétés?» Et l'autre école est la suivante: «Il existe un risque réel d'abus, d'injecter dans des entreprises qui devraient être liquidées ou qui devraient avoir de nouveaux dirigeants de l'argent qui ne fera que prolonger leur agonie.» Dans le cas des petites entreprises, il est coûteux de mettre en place les freins et contrepoids nécessaires. Certains processus seraient trop gourmands en temps et en énergie pour une petite entreprise.

Le sénateur Moore: Comment en est-on arrivé au seuil de 5 millions de dollars?

M. Kent: Ce comité l'a fixé en 1996. Il y avait eu des propositions pour qu'il soit fixé à 10 millions, mais ce comité entretenait des inquiétudes et pensait que peu d'entreprises à l'extérieur du centre financier du Canada auraient accumulé un tel endettement. Beaucoup de sociétés dans bien des régions de notre pays ont des dettes inférieures à 10 millions de dollars.

Le sénateur Moore: Vous avez étudié la jurisprudence et vous avez tiré des conclusions des expériences de faillites passées et du niveau d'endettement.

M. Kent: Le Comité sénatorial des banques avait fait cette recommandation. Des témoignages avaient été présentés à cet égard devant le comité à l'époque. L'Institut d'insolvabilité du Canada avait recommandé que l'on fixe un seuil de 10 millions de dollars, mais le comité, en se fondant sur les témoignages dont il disposait, a déterminé qu'un montant de 5 millions de dollars serait convenable parce que l'on semblait penser que peu d'entreprises à l'extérieur de l'Ontario pourraient se prévaloir de la LACC si le seuil était fixé à 10 millions de dollars.

Le sénateur Kroft: Monsieur Kent, il y a quelques minutes vous avez suggéré que si nous voulions comprendre comment le système fonctionne, il ne servait à rien de lire les règles, les règlements ou les lois, mais qu'il fallait plutôt se pencher sur des procédures ayant vraiment eu lieu. Il y a quelques jours, j'ai été frappé par un titre dans un journal où on pouvait lire que K-Mart avait frôlé la faillite. Il s'agissait d'une importante affaire relevant du chapitre onzième de la loi américaine. Peut-être que c'est une question insidieuse, mais à titre d'observateur, pensez-vous que la même situation aurait débouché sur le même résultat si une entreprise similaire avait frôlé la faillite dans l'économie canadienne?

M. Kent: On a procédé à passablement de réorganisations au titre de la LACC pour des commerces de détail au Canada. Je serais enclin à penser que les possibilités de réorganisation seraient sensiblement les mêmes au Canada pour K-Mart. La première fois, Eaton's a eu la possibilité de se réorganiser. Par la suite, l'entreprise a connu d'autres difficultés, mais les outils étaient en place afin de tenter une réorganisation. Et finalement, elle a réussi à se réorganiser convenablement, tout comme Dylex en 1995. Je participe personnellement aux procédures d'insolvabilité de Cotton Ginny pour le débiteur, et cette cause est toujours en instance. Il existe des outils pour ces réorganisations. Il y a bien quelques problèmes techniques, mais de façon générale, les outils sont en place. Si nous devions rédiger une nouvelle loi, il y aurait lieu d'ajouter quelques nouvelles règles. Toutefois, de nombreux commerces de détail se sont adressés à nous et il semble que nous ayons réussi la plupart des réorganisations que nous avons entreprises.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette: J'ai une question à poser à M. Fortin. Une des questions qui me préoccupe le plus — et j'ajoute cela suite à mes batailles avec le ministère du Revenu — c'est lorsqu'il y a un jugement de la cour pour une pension alimentaire et qu'il y a aussi un jugement contre un failli qui n'a pas payé ses impôts. Le gouvernement se paie d'abord, et s'il n'y a plus d'argent, la famille n'a rien.

M. Fortin: Il y a un principe de droit fondamental derrière cet élément. Suite à une faillite personnelle, la pension alimentaire n'est pas une dette libérale. La dette subsiste après la faillite alors que la dette de l'impôt, elle, ne subsiste pas. Le service de l'impôt s'opposera donc à la libération du débiteur.

Le sénateur Hervieux-Payette: Cela a pour résultat que le processus dure dix ans? S'il y a une pension alimentaire de 500 $ par mois pendant que les enfants sont jeunes et que le jugement de faillite se prolonge sur une période de six ou sept ans, la mère et ses enfants ne recevront rien pendant tout ce temps. À chaque mois, la pension alimentaire s'accumule et le débiteur se retrouvera avec une dette de 3 000 $.

M. Fortin: Si cela se produit, c'est qu'il y a eu une inefficacité à mettre en oeuvre les dispositions législatives. Vu qu'il s'agit d'une dette non libérable, il est possible d'obtenir une ordonnance de la cour de la faillite pour faire payer la pension alimentaire. Très souvent, les avocats spécialistes du droit matrimonial oublient de consulter les avocats spécialistes du droit de l'insolvabilité et vice-versa.

En pratique, c'est ce qui arrive. Vous avez raison. Si on se donnait la peine de faire cet exercice, on pourrait passer facilement à côté de ce problème.

Le sénateur Hervieux-Payette: Devrait-on l'indiquer dans la loi au lieu de se présenter devant la cour? Les mères ne peuvent pas se permettre d'aller devant une cour.

M. Fortin: Si vous voulez mettre cette disposition en oeuvre, il faudrait en même temps donner la permission et la faculté de rééquilibrer la pension alimentaire. Souvent le problème qui surgit en droit matrimonial, c'est que le tribunal ne veut pas rééquilibrer la pension alimentaire, et le tribunal de faillite fait en sorte que la pension ne soit pas payée. Cela n'a aucun sens. Le tribunal devrait rééquilibrer la situation.

Si la pension alimentaire est de 500 $ et que je n'ai pas les moyens de la payer parce que je suis un failli non libéré et que celle-ci est diminuée à 300 $ à 350 $, je pourrais aisément payer ma pension alimentaire une fois que j'aurais un travail. Tout le monde y trouverait son compte. Malheureusement, ce n'est pas comme cela que cela se passe, mais c'est de cette façon que cela devrait se dérouler. Si on l'imposait dans la loi, cela fonctionnerait.

Le sénateur Hervieux-Payette: Je pense que c'est un changement important et majeur. Je vois des centaines de cas où des mamans et des enfants ne reçoivent pas de pension alimentaire. Je me bagarre avec le ministère du Revenu pour faire valoir mon point de vue. Cela n'a pas de bon sens qu'une famille n'ait pas droit à un revenu raisonnable.

On ne parle pas de pension alimentaire de 5 000 $ par mois. Il s'agit généralement de 300, 400 ou 500 $ par mois, soit 6 000 $ par année pour une pension alimentaire. Et ce n'est même pas payé. Six mille dollars de revenus de la pension alimentaire fera une grosse différence pour une famille de deux ou trois enfants vivant avec un revenu annuel de 20 000 ou 25 000 $.

On doit étudier ce problème et le régler parce que, généralement, c'est la famille, les enfants qui sont pénalisés.

M. Fortin: M. LeBlond qui est un syndic de faillite du Québec va répondre aussi à votre question.

M. Stéphane LeBlond, vice-président, Association des professionnels de l'insolvabilité et de la réorganisation, Comité des pratiques en matière d'insolvabilité personnelle, syndic de faillite, CIRP et CA: Comme l'a mentionné M. Fortin, les pensions alimentaires font partie des quatre principales catégories de dettes dont on ne peut être libéré par une faillite. Il y a aussi des provisions dans la Loi de la faillite, dont l'article 136, ayant trait aux priorités dans la distribution des dividendes et de la dette relative à la pension alimentaire accumulée dans les douze derniers mois. Malheureusement, dans la plupart des faillites personnelles, le débiteur n'a pas de biens saisissables et l'actif sert à payer la faillite dans la majorité des cas. S'il reste des biens dans l'actif, ce sera dans une faible proportion.

Une fois que le débiteur a déposé sa faillite, pour ses revenus postérieurs, le percepteur des pensions alimentaires au Québec peut saisir les revenus et s'assurer du paiement de la pension. Si le débiteur n'a pas payé sa pension alimentaire, c'est parce qu'il n'a pas de revenus saisissables ou peu de revenus saissisables. Il n'y a pas de solution facile à court terme pour régler le problème que vous avez soulevé.

Le sénateur Hervieux-Payette: Lorsqu'une personne qui gagne un revenu paie son impôt à la source et que la pension alimentaire n'est pas payée, le problème existe toujours. Il arrive fréquemment que l'impôt passe directement chez l'employeur, on va déduire à la source le montant dû selon une cédule de remboursement de cinq, six ou sept ans. Pendant ce temps, aucun support financier ne sera versé à la famille.

M. LeBlond: En ce qui concerne l'impôt déduit à la source pour les revenus courants, on ne peut pas faire grand chose. En ce qui a trait à une dette d'impôt que le débiteur devait avant la faillite, celui-ci est libéré de cette dette par la faillite. Le ministère ne peut donc se faire rembourser postérieurement à la faillite, car il fait partie des créanciers dont les dettes sont effacées par le processus de libération, généralement entre 9 et 12 mois suivant la date de la faillite.

Le sénateur Hervieux-Payette: Le ministère ne saisit donc jamais un salaire sans avoir un jugement de faillite?

M. LeBlond: Dans une situation de faillite, le ministère devient un créancier ordinaire, contrairement aux États-Unis où les dettes fiscales dans certains États ne sont pas libérables. La dette d'impôt est une dette libérable depuis, je crois, 1949 au Canada.

Le sénateur Hervieux-Payette: L'application pourrait certes être améliorée. Notre conseiller spécial doit être au courant de cette situation.

[Traduction]

Le président: J'aimerais poser une dernière question qui ne nécessite qu'une brève réponse. Est-ce que l'un des critères pour autoriser le financement DIP ne devrait pas être une analyse visant à déterminer si la réorganisation a des chances de réussir?

M. Kent: C'est une question d'ordre pratique. Il est souvent difficile de déterminer cela au tout début d'une procédure. Si le tribunal n'est pas persuadé qu'il y a des perspectives raisonnables, alors très bien; mais il est souvent difficile au tout début d'une procédure de répondre à cette question.

M. Fortin: Je pense qu'il est très important d'insister sur le fait que nous sommes favorables à ce que des amendements soient apportés aux deux lois, surtout à la LACC, mais nous ne voulons pas nous retrouver avec le système américain. C'est très important. Dans votre réflexion, ne vous imaginez pas que nous voulons nous doter d'un chapitre onzième. C'est beaucoup trop onéreux; le système canadien a besoin d'être modernisé, mais il n'a pas besoin d'être remanié en profondeur. Ce n'est pas ce que nous voulons.

Le président: Nous croyons comprendre que c'est la voix de la sagesse.

Nous accueillons notre prochain groupe de témoins, M. William Courage, M. Alan Spergel, M. Stéphane LeBlond et M. George Lomas.

Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Monsieur Courage, avez-vous le courage de commencer?

M. William Courage, vice-président, ACPIR, syndic de faillite, Institut d'insolvabilité du Canada et Association des professionnels de l'insolvabilité et de la réorganisation: Dans ce domaine, beaucoup de gens sont très heureux de rencontrer quelqu'un qui fait montre d'un peu de courage.

Je suis heureux de comparaître devant le comité aujourd'hui en compagnie d'une délégation de l'Association des professionnels de l'insolvabilité et de la réorganisation, l'ACPIR, et de l'Institut d'insolvabilité du Canada, l'IIC. M. Prentice et M. Fortin vous ont déjà parlé de nos deux organisations.

Monsieur le président, vous avez déjà fait un travail remarquable en présentant les personnes qui se trouvent devant vous. Alors, je ne pense pas que je vais recommencer. Nous sommes tous des syndics de faillite et des professionnels de l'insolvabilité et de la réorganisation.

Nous désirons faire une déclaration préliminaire dans laquelle nous vous ferons part de nos cinq principales recommandations, un peu comme les dix plus grands succès de David Letterman, sauf que nous n'en présenterons que la moitié. Nous serons ensuite à votre disposition pour répondre à vos questions concernant ces recommandations ou toute autre qui figure dans notre exposé écrit.

Nos deux organisations ont rédigé de concert cet exposé en réponse aux recommandations du Groupe de travail sur l'insolvabilité personnelle, le GTIP. Comme nous l'avons mentionné, notre présentation a également obtenu l'appui de l'Institut canadien des comptables agréés, une organisation qui regroupe 68 000 comptables agréés.

Notre mémoire et notre exposé d'aujourd'hui reposent sur les efforts de syndics de faillite, de nos deux organisations ainsi que d'avocats en insolvabilité qui ne comptent pas parmi nos membres. Nos recommandations sont le résultat de centaines d'heures d'examen et de discussion entre un large groupe de nos spécialistes les plus expérimentés.

Comme nous le mentionnons dans notre sommaire, certaines recommandations sont peut-être favorables aux intérêts des syndics de faillite; mais d'autres sont à leur détriment. En tant qu'organisations professionnelles, la réalisation du présent examen et l'obtention d'un consensus sur nos recommandations avaient pour but de venir en aide au gouvernement du Canada afin d'améliorer la justice et l'efficacité du régime d'insolvabilité personnelle et de faire progresser les objectifs qui sont de réhabiliter le débiteur, de lui permettre de repartir à zéro et de promouvoir la confiance des créanciers dans l'intégrité du système.

M. George Lomas, membre de l'IIC, Comité en matière d'insolvabilité personnelle, syndic de faillite, Institut d'insolvabilité du Canada et Association des professionnels de l'insolvabilité et de la réorganisation: Nous tenons à mentionner d'entrée de jeu que nous approuvons la majorité des conclusions auxquelles est parvenu le GTIP comme quoi le régime d'insolvabilité personnelle est fondamentalement sain. Il nécessite certaines améliorations graduelles plutôt qu'une refonte en profondeur.

Il s'agit d'un système au sein duquel nous, en tant que syndics, sommes appelés à jouer plusieurs rôles. Les syndics sont des fonctionnaires du tribunal. Dans une faillite, nous sommes chargés d'administrer les biens du débiteur au jour le jour et de maximiser les produits de cet actif. Si, au lieu de déposer une cession des biens, un débiteur décide de faire une proposition de consommateur à ses créanciers, nous l'aidons à la rédiger.

Même si nous sommes choisis par les débiteurs et si nous les conseillons, ils ne sont pas nos clients et nous ne sommes pas là pour défendre leurs intérêts. Nous assumons la responsabilité d'équilibrer les intérêts concurrentiels des débiteurs et des créanciers. S'il y a un client, c'est l'actif du failli. Les syndics sont chargés du maintien de l'intégrité du régime de faillite et d'insolvabilité.

En tant que syndics, nous sommes aussi un groupe d'intérêts. Toutefois, comme nous l'avons mentionné, lors de la rédaction de notre mémoire, nous avons suivi comme cadre de référence les critères du GTIP et les objectifs du régime de faillite et d'insolvabilité, plutôt que les intérêts personnels de nos membres. Nous avons puisé dans notre expérience concrète et notre connaissance approfondie de l'actuel régime d'insolvabilité pour proposer des améliorations.

M. Alan Spergel, coprésident, ACPIR, Comité des pratiques en matière d'insolvabilité personnelle, syndic de faillite, Institut d'insolvabilité du Canada et Association des professionnels de l'insolvabilité et de la réorganisation: Comme vient de le dire M. Lomas, nous sommes d'avis que l'actuel régime d'insolvabilité est essentiellement sain, en dépit de certaines preuves du contraire. Les critiques reprochent notamment à ce régime de permettre à certains haut salariés d'adopter un style de vie au-dessus de leurs moyens, pour ensuite déposer une cession des biens afin de ne pas avoir à assumer leurs dettes. Vous vous rappelez peut-être d'avoir lu, en mars, un article du Globe and Mail où il était question d'un avocat qui devait un montant de 300 000 dollars en impôts non payés lorsque la LACC a présenté une requête de mise en faillite. Il s'agissait de sa deuxième faillite en moins de dix ans. L'article mettait l'accent sur son style de vie somptueux. Il reste que la plupart des personnes insolvables sont des gens ayant des revenus modestes et qui déposent une cession des biens volontairement, et seulement en dernier ressort. Pour la plupart des débiteurs, la faillite est une expérience traumatisante. Nous le savons parce que nous travaillons avec eux. On nous demande notre appui afin d'alléger l'impact financier et affectif qu'occasionne l'insolvabilité tant sur les débiteurs que sur les créanciers.

Aujourd'hui, nous souhaitons mettre en relief cinq de nos recommandations qui, à notre avis, méritent que l'on s'y arrête en priorité. Nous avons regroupé ces recommandations prioritaires dans deux catégories — celles qui amélioreraient l'équité de la proposition personnelle et du processus de faillite et celles qui contribueraient à rationaliser le processus.

La première de nos recommandations relatives à l'équité vise le traitement équitable accordé aux diverses épargnes- retraite lors des faillites. De nos jours, les régimes enregistrés d'épargne-retraite, à l'exception de ceux détenus par les sociétés d'assurance, sont considérés comme faisant partie des biens du failli accessibles à la distribution aux créanciers. Cependant, les épargnes-retraite investies dans des régimes constitués sont en règle générale insaisissables. Il est injuste que les épargnes-retraite d'une personne soient protégées, et pas celles d'une autre. Il s'agit après tout d'une politique gouvernementale visant à encourager les Canadiens à accumuler des épargnes privées, en plus du Régime de pensions du Canada, le RPC, en vue de leur retraite. Il s'agit d'une injustice particulièrement grave étant donné le nombre croissant de Canadiens qui sont des travailleurs autonomes ou qui ne possèdent pas de régime de retraite constitué. Nous attirons votre attention sur le fait que le gouvernement de la Saskatchewan a récemment adopté une loi visant à rendre insaisissables tous les REER.

Nous reconnaissons que les particuliers ont davantage le contrôle sur leurs REER. Si tous les REER étaient exemptés de la saisie, un débiteur peu scrupuleux pourrait cotiser temporairement à un REER en vue de contrecarrer ses créanciers. C'est la raison pour laquelle nous recommandons fortement la mise en place de mécanismes visant à empêcher l'abus. Par exemple, on pourrait exiger des débiteurs qu'ils convertissent leur REER en un REER immobilisé ou en une rente accessible uniquement après la retraite.

[Français]

M. LeBlond: Notre deuxième recommandation relative à l'équité est la réduction de la période de temps requise avant qu'une dette d'étude puisse être libérée dans le cadre d'une faillite. Les gouvernements encouragent les étudiants à emprunter pour financer leurs études post-secondaires. Pourtant, dans l'actuelle Loi sur la faillite et l'insolvabilité, les dettes d'étude sont parmi les seules dettes à ne pas être effacées par la faillite. Les autres exceptions sont les dettes relatives à des dommages accordés par les tribunaux relativement à des blessures physiques, décès intentionnel, agression sexuelle ainsi que les ordonnances relatives aux pensions alimentaires pour des enfants ou des ex-conjoints. Il nous apparaît pour le moins inéquitable de placer les anciens étudiants sur le même pied que OJ Simpson et les mauvais pères.

Cette catégorie de débiteurs inclut des étudiants qui deviennent médecin, avocat ou comptable agréé. Elle inclut aussi ceux qui étudient pour devenir coiffeur, mécanicien ou programmeur analyste. Aujourd'hui, les dettes d'étude sont libérables seulement si la faillite se produit plus de 10 ans après la fin des études. Ces débiteurs ne peuvent même pas s'adresser au tribunal pour obtenir une libération de cette dette, durant cette période, ce qui les rend uniques parmi les faillis.

[Traduction]

Nous attirons votre attention sur le fait que durant la dernière série d'amendements apportés en 1997, la période pendant laquelle le failli ne pouvait être libéré était passée de zéro à deux ans. Par la suite, seulement six mois après cet amendement, le délai de libération a été prolongé jusqu'à dix ans, sans consultation. Nous vous demandons instamment de réduire cette période à cinq ans, et de permettre au failli de demander au tribunal de le libérer au bout d'un an en invoquant des circonstances spéciales.

Notre troisième recommandation relative à l'équité porte sur le traitement du revenu en vertu des articles 67 et 68 de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, la LFI. Nous expliquons en long et en large dans notre mémoire écrit les détails de cette recommandation, en réponse à la recommandation assez étoffée faite par le GTIP sur le même sujet. Nous proposons en particulier que les remboursements d'impôt d'avant la faillite et d'après la faillite soient dévolus au syndic pour distribution aux créanciers.

Le GTIP a mentionné que depuis quelques années, un certain nombre de décisions du tribunal ont contribué à rogner l'actif de la masse. Cela contribue à réduire les fonds disponibles pour l'administration des biens et pour l'indemnisation des créanciers. Nous sommes en faveur des recommandations faites par le GTIP qui traiteraient le revenu de la même manière qu'il l'était avant que ces décisions ne soient rendues.

La première de nos recommandations relatives à la rationalisation consiste à encourager davantage de débiteurs à faire une proposition du consommateur. Grâce à cette option, qu'il est également convenu d'appeler proposition au titre de la Section II, les débiteurs peuvent tenter d'en arriver à une entente avec leurs créanciers et offrir de rembourser un pourcentage de la dette plutôt que de déposer une cession des biens. Les modifications apportées à la LFI en 1992 restreignaient la possibilité d'avoir recours à une proposition du consommateur aux particuliers ayant une dette de 75 000 dollars ou moins, à l'exclusion d'une hypothèque résidentielle.

Et maintenant, plus d'une décennie plus tard, il semble que ce plafond de 75 000 dollars soit trop bas. Il force de nombreux travailleurs autonomes et de haut salariés dont les dettes excèdent ce montant à entreprendre une réorganisation de type commercial qu'il est convenu d'appeler proposition au titre de la Section I. Il s'agit d'un processus plus coûteux et plus compliqué à administrer. Nous sommes en faveur d'élever le plafond des dettes à 250 000 dollars pour tous les types de dettes, sauf les hypothèques résidentielles. Cette mesure permettrait à davantage de personnes de se prévaloir du processus simplifié, conformément à l'intention de la loi.

Notre deuxième recommandation relative à la rationalisation vise à permettre au syndic de se servir de son jugement professionnel pour accroître le nombre de paiements en défaut dans le cadre d'une proposition du consommateur. En ce moment, une proposition est automatiquement annulée lorsqu'un débiteur manque à trois paiements. On devrait pouvoir faire preuve d'une certaine souplesse lorsqu'un débiteur fait preuve de bonne foi, mais éprouve temporairement de la difficulté à faire ses paiements, peut-être en raison de la perte de son emploi. En accordant au syndic le pouvoir discrétionnaire de prolonger la période de paiements en défaut de trois paiements à six paiements, on pourrait éviter l'annulation prématurée d'une proposition. Cela permettrait de maintenir l'intégrité du processus de proposition, tout en respectant les intérêts du débiteur et des créanciers.

M. Courage: En résumé, le message que nous adressons au comité est que le régime d'insolvabilité personnelle fonctionne raisonnablement bien et ne nécessite pas une réforme draconienne. Toutefois, l'adoption rapide de plusieurs modifications à la Loi sur la faillite et l'insolvabilité permettrait d'améliorer considérablement le système.

Monsieur le président, nous espérons que notre mémoire écrit et notre exposé seront utiles aux délibérations du comité. Nous répondrons à vos questions avec plaisir.

Le président: Avant que nous ne passions à la première question, pourriez-vous nous expliquer, pour le compte- rendu, comment fonctionne le système en ce qui concerne les prêts étudiants?

M. Courage: À l'heure actuelle, mesdames et messieurs, si un étudiant termine des études post-secondaires pour lesquelles il a emprunté de l'argent, et dépose une cession des biens en vertu de la loi sur la faillite ou encore une proposition du consommateur dans les dix ans qui suivent la date à laquelle il a terminé ses études, il ne peut obtenir la libération de ses dettes.

Durant cette période de dix ans, il n'existe aucun droit d'appel. L'étudiant ne peut présenter de demande au tribunal en invoquant des circonstances difficiles. Il a la possibilité de demander une suspension des procédures en vertu de la loi sur la faillite, ce qui, pendant la durée de l'administration, empêche les mesures de recouvrement. Cependant, une fois l'administration de la faillite terminée, soit autour de deux ans, entre les mains du syndic, les mesures de recouvrement peuvent être autorisées.

Si une personne choisit d'avoir recours à la faillite à l'intérieur de cette période de dix ans et si le syndic décide de fermer le dossier et que la suspension des procédures prend fin, ou encore si la période de protection en vertu de la loi sur la faillite prend fin, et si le failli a été libéré de toutes ses autres dettes, alors l'étudiant doit attendre encore dix autres années avant de pouvoir aller en appel, de comparaître devant le tribunal et de lui demander de le libérer de cette dette. À ce moment-là, le fardeau de déclarer qu'il n'existe aucune possibilité de rembourser cette dette appartient à l'étudiant.

C'est l'état actuel de la loi. Soit dit en passant, dans les modifications de 1997 qui avaient fait l'objet d'une vaste consultation, il était question d'une période de deux ans. C'est le processus budgétaire de 1998 qui l'a fait grimper à dix ans, sans consultation. Je pense que des présentations ont été faites relativement à ce budget, mais qu'aucun changement n'a été apporté.

Notre principale préoccupation en ce qui concerne l'état actuel de la situation est qu'aucune autre catégorie de débiteur n'est empêché de s'adresser au tribunal pour demander la libération de ses dettes. Ces étudiants se voient imposer un intervalle de dix ans, et nous pensons que c'est injuste. Il y a eu des discussions afin de déterminer s'il devait en être autrement pour les prêts-étudiants. Il est inéquitable d'imposer un délai de dix ans avant de pouvoir s'adresser au tribunal. Dix années, c'est aussi trop long pour ce qui est de l'efficacité opérationnelle. Aussi, sur le plan de l'efficacité opérationnelle, nous affirmons que dix ans, c'est trop long, mais la principale inquiétude tient au fait qu'il n'existe pas de droit d'appel, et ce qui est inéquitable selon nous.

Le sénateur Kroft: J'ai plusieurs questions sur le dernier point. Il n'existe pas de moyen terme. De toute évidence, vous vous concentrez sur le droit d'appel. Je ne sais pas ce qu'il adviendra de la question du délai de dix ans ou cinq ans, mais est-ce que le droit d'appel pourrait être séparé du délai? Est-ce une possibilité que nous devrions envisager? On pourrait argumenter en faveur de laisser le délai à dix ans, mais de donner le droit d'appel. Vous semblez accorder beaucoup d'importance à ce droit d'appel.

M. Courage: Le GTIP n'a pas séparé ces deux questions, et M. Goldstein, le président du GTIP, aurait été en mesure de vous expliquer pourquoi. Évidemment, on pourrait les séparer parce que ces deux questions sont séparables. Toutefois, dans un souci d'équité, nous pensons qu'il est important d'accorder le droit d'appel. Nous pensons aussi qu'un délai de cinq ans est trop long, mais il est évident qu'il s'agit de questions distinctes.

Le sénateur Kroft: J'aimerais revenir aux commentaires que vous avez faits concernant les REER. Vous avez mentionné que la Saskatchewan avait adopté une loi qui exclut les REER de la masse des biens lors d'une faillite. Pourriez-vous, pour notre édification et pour le compte-rendu, nous expliquer quelles sont les réalités qui entrent en jeu dans ce domaine en matière de compétence?

M. Spergel: De façon générale, certains types de REER sont couverts par les lois sur les assurances, qui sont habituellement des lois provinciales. En Ontario, les REER qui sont administrés par des compagnies d'assurance sont exclus.

Je crois comprendre au sujet de la loi adoptée en Saskatchewan que cette disposition a été assouplie. Je crois que la loi a été adoptée, mais qu'elle n'a pas encore été proclamée. En ce qui a trait à tous les REER, qu'ils soient administrés par une compagnie d'assurance, qui est assujettie aux lois provinciales, ou par une banque à charte ou une autre institution, qui est assujettie à une loi fédérale, cela ne change rien. Essentiellement, cela revient à mettre tous les REER sur le même pied, ou à uniformiser les règles du jeu. Il y a de l'injustice — autrement dit, un traitement inégal — parce que cette disposition existe dans toutes les provinces, à ma connaissance.

Le sénateur Kroft: Est-ce que la distinction qui est faite entre les REER des compagnies d'assurance et les autres REER a quelque chose à voir avec le lobbying exercé par les compagnies d'assurance? Cette distinction repose-t-elle sur un fondement logique ou intellectuel?

M. Spergel: Le lobbying a été efficace, mais ces régimes sont établis différemment. En règle générale, un REER détenu par une compagnie d'assurance comporte un bénéficiaire désigné, ce qui a tendance à compliquer le processus. On pourrait faire valoir, afin que tous soient sur un pied d'égalité, que c'est très bien de mettre le REER à la disposition des créanciers. Cependant, que fera-t-on des droits du bénéficiaire désigné? Mais notre argument va dans le sens opposé, c'est-à-dire que les REER détenus par une institution financière, qui ne comportent pas de bénéficiaires désignés, ne sont pas exclus et peuvent être saisis en vertu de la loi sur la faillite parce qu'ils font partie des biens.

Il est possible qu'une personne qui met de l'argent de côté en prévision de la retraite ne réalise pas la différence qu'il y a à placer son épargne-retraite auprès d'une compagnie d'assurance ou d'une banque. Cette personne peut, à son insu, ne pas protéger ses épargnes-retraite et subir les conséquences de ce traitement différent. Même si ces sommes servent le même but, elles sont en réalité traitées de façon très différentes en vertu de la loi actuelle sur la faillite.

Le sénateur Kroft: Votre position repose sur le fait que l'intention visée par la loi en créant ces fonds de retraite préférentiels est de les réserver pour le moment de la retraite — et qu'il devrait y avoir une certaine symétrie entre les régimes de pension et qu'ils devraient être immobilisés sans aucune possibilité de retrait avant la retraite.

M. Spergel: Précisément.

Le sénateur Kroft: Cela a pour effet de rendre la situation plus équitable.

M. Spergel: Oui, ainsi les règles du jeu sont plus uniformes.

Le sénateur Kelleher: Puis-je vous poser une question au sujet de l'administration sommaire pour laquelle la limite est passée de 10 000 à 15 000 dollars? À quel moment cette limite a-t-elle été fixée? Vous en rappelez-vous?

M. Lomas: C'était en 1997.

Le sénateur Kelleher: Mon petit doigt me dit qu'en élevant cette limite à 15 000 dollars, on ne se trouve pas à faire une si grande augmentation que cela, si on tient compte des périodes d'inflation que nous avons traversées et du nombre d'années qu'il faudra attendre avant de pouvoir réformer cette loi de nouveau, en supposant que nous réussissions à la réformer cette fois, et dans la mesure où le gouvernement emboîtera le pas.

Pensez-vous qu'une limite de 15 000 dollars est un peu basse? Qu'en pensait le comité? Y a-t-il eu beaucoup de discussion sur ce point?

M. Spergel: Nous pensions que cette augmentation était cohérente par rapport à la dernière. La cohérence est toujours un principe important, et particulièrement pour les comptables. La dernière fois qu'il y a eu une augmentation, on est passé de 5 000 à 10 000 dollars, aussi nous avons trouvé que c'était un rythme d'accélération normal que de le porter à 15 000 dollars. On pourrait certainement trouver des arguments en faveur d'une augmentation plus élevée, étant donné la longueur des délais nécessaires lorsque l'on veut procéder à une augmentation.

Pour le moment, je pense que nos propres analyses sur le nombre d'actifs qui seraient touchés révèlent qu'il serait assez minime. Il n'y aurait pas une incidence très marquée sur le nombre d'actifs visés par cette mesure. Peut-être qu'en effectuant des analyses plus poussées nous en viendrions à déterminer quel montant de biens réalisables entraînerait une augmentation du nombre d'administrations sommaires qui sont, à vrai dire, assez simplifiées.

Le sénateur Kelleher: Étant donné les problèmes comptables qui sont survenus aux États-Unis, je n'avais pas réalisé que c'était un élément aussi important.

M. Spergel: Tout dépend de ce avec quoi vous voulez vous uniformiser.

Le sénateur Kelleher: Je vais éviter ce terrain.

M. Courage: Sénateur Kelleher, dans sa formulation actuelle, la loi stipule que le montant est fixé à 5 000 dollars; le chiffre de 10 000 dollars provient, je pense, du Bureau du surintendant des faillites. Il est fort possible que le surintendant ait pu décider d'augmenter ce montant. C'est l'un des changements importants qui sont survenus en 1997 — le surintendant pouvait garder un oeil sur l'échelle et la rafistoler au besoin, s'il le jugeait raisonnable.

On nous donne l'occasion de nous adresser au comité, aussi nous avons pensé la saisir pour faire valoir notre désir de changement. Nous sommes aussi en mesure de parler avec le surintendant à ce sujet de façon régulière.

Le sénateur Kelleher: Je m'interroge au sujet de votre proposition concernant la deuxième faillite en l'espace d'un certain délai. Quelle était l'opinion du comité à ce sujet? Y avait-il beaucoup de dissension?

M. LeBlond: Les deuxièmes faillites représentent environ 10 p. 100 des dépôts, cette année. La plupart du temps, lorsque le débiteur présente une demande en vue d'obtenir la libération pour une deuxième faillite, il n'y a pas d'opposition. Le tribunal prend en considération certains facteurs et, la plupart du temps, la seule condition imposée à la libération du débiteur est qu'il la reçoive dans deux ou trois mois. Il n'y a aucune condition financière rattachée à la libération. Si nous optons pour le processus simplifié recommandé dans notre rapport, cela reviendrait à éliminer ce processus et pourrait épargner du temps au tribunal et tout ce qui s'ensuit. Cela permettra aussi d'économiser beaucoup de papier.

Notre recommandation est différente de celle du GTIP concernant les deuxièmes faillites lorsque celles-ci surviennent dans les cinq ans suivant la première. Nous recommandons, pour ces demandes, que la libération soit accordée automatiquement au bout de 24 mois, plutôt que de dix-huit mois, comme il est suggéré dans le rapport du GTIP.

Le sénateur Kelleher: N'êtes-vous pas inquiet à l'idée que cela pourrait entraîner une augmentation du nombre de deuxièmes faillites?

M. LeBlond: Les créanciers disposent toujours du droit de s'opposer à la libération du débiteur, tout comme le syndic. Tous les intervenants au processus peuvent s'opposer à la libération du débiteur s'ils considèrent qu'il abuse du système.

Le président: À propos de la question du sénateur, j'ai fréquenté la faculté de droit au début des années 50; en 1951, j'ai suivi un cours sur les faillites, et je ne m'en souviens pas vraiment.

Le sénateur Kelleher: L'avez-vous réussi, du moins?

M. Courage: On dirait que oui.

Le président: Notre professeur nous avait dit que les faillites étaient plus courantes dans certains groupes ethniques. Toutefois, si une personne avait fait faillite cinq ou six fois, ce n'était pas à cause de son caractère; mais c'était plutôt le signe d'une grande capacité de récupération. Sénateur Kelleher, essayez de ne pas l'oublier.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette: Ma question concerne l'augmentation de 75 000 dollars à 250 000 dollars de dettes. Pourriez-vous nous donner des explications sur cette hausse?

M. LeBlond: Cela fait 10 ans que l'on étudie les propositions des consommateurs qui ont un plafond de 75 000 dollars de dettes, excluant la dette pour l'hypothèque de la maison familiale. Or, aujourd'hui, il y a de plus en plus de travailleurs autonomes et les gens ont de plus en plus de dettes, parce que le crédit est de plus en plus facile.

Si on compte, dans les dettes, un endossement pour une corporation ou encore des dettes relatives au travailleur autonome, plus le financement d'une automobile — le coût d'une automobile moyenne, au Canada est d'environ 30 000 dollars —, on dépasse facilement le seuil des 75 000 dollars. On le voit régulièrement dans nos pratiques à travers le Canada.

C'est une façon de rationaliser la procédure, et le système bénéficiera de cette augmentation de plafond sans qu'aucun des acteurs du système ne souffre de préjudice.

Le sénateur Hervieux-Payette: Donc autant le créancier que le débiteur vont être servis par cette nouvelle formule?

M. LeBlond: C'est notre prétention.

Le sénateur Hervieux-Payette: En ce qui concerne les exemptions personnelles, dans le rapport du groupe de travail, on nous parle d'une dichotomie. C'est la même chose aux plans provincial et fédéral, de même qu'aux États-Unis. Le débiteur aurait-il la possibilité de choisir les exemptions fédérales? Pour l'habillement et l'ameublement, 7500 dollars, cela va, parce que, généralement, cela fait des années que l'on possède ces choses et on ne pourrait pas les vendre. Toutefois, vendre une auto 3 000 dollars, ce n'est pas beaucoup, cela ne doit pas être une auto en très bonne condition. Je regarde ce qui est écrit à la page 29 du rapport final du groupe de travail sur l'insolvabilité personnelle. Trouvez- vous ces montants pratiques, et si oui, les recommanderiez-vous?

M. LeBlond: LE GTIP ainsi que notre association, recommandons que le débiteur puisse avoir le choix entre les exemptions provinciales et les exemptions fédérales, indépendamment de la province dans laquelle il se trouve et de la profession qu'il exerce. S'il est agriculteur en Alberta, vraisemblablement, il va choisir les exemptions provinciales, qui sont plus généreuses à cause de la spécificité de cette province. Comme le GTIP, on demande à ce qu'il n'y ait pas de «cherry picking», que ce soit un ensemble d'exemptions ou l'autre. Nous sommes d'accord avec le GTIP pour la majorité des montants. Cela reste ouvert à la discussion et peut même faire l'objet d'études par le ministère de la Justice ou par n'importe quel autre organisme qui peut avoir accès à des statistiques plus représentatives sur le marché canadien.

Quant à votre remarque pour les voitures, je la trouve fort appropriée, sauf que, de plus en plus, les autos sont louées.

Le sénateur Hervieux-Payette: De toute façon, ils ne sont pas propriétaires.

M. LeBlond: Alors que le GTIP parle de 3 000 $ pour les autos, nous on parle de 5000 $. Cela ne fait pas une grosse différence. Dans certains cas, si le débiteur est au Québec et que son auto sert pour l'exercice de son métier, il va avoir intérêt à choisir l'exemption provinciale qui est plus généreuse que l'exemption fédérale.

Le sénateur Hervieux-Payette: Cependant, vous dites qu'ils doivent choisir entre les exemptions fédérales ou provinciales. Je pensais qu'il y avait des montants au fédéral qui devaient être révisés un peu à la hausse.

M. LeBlond: C'est possible.

Le sénateur Hervieux-Payette: Un véhicule à 5 000 $ est manifestement un véhicule usagé. Il y a un gros marché pour ces voitures au Canada, et en général, il n'y a pas beaucoup de financement, sinon par les institutions bancaires. Il s'agit d'un prêt personnel, habituellement, sans garantie financière.

M. LeBlond: On ne parle pas ici de 3 000 $ ou 5 000 $ pour la valeur de l'automobile, mais de la valeur résiduelle du véhicule après que Ford Credit ou GMAC, par exemple, dans le cas de financement traditionnel, aient déduit ce qui est dû sur ce véhicule.

[Traduction]

Le sénateur Moore: Monsieur Spergel, vous disiez qu'en Ontario, les REER administrés par les compagnies d'assurance étaient insaisissables.

M. Spergel: Oui, ils sont insaisissables en cas de faillite ou de mise sous séquestre.

Le sénateur Moore: Est-ce que votre organisation a établi un tableau des REER qui sont ou ne sont pas exclus de la saisie, par province et par territoire? Avez-vous cela sur le papier?

M. Spergel: Nous ne l'avons pas avec nous aujourd'hui.

Le sénateur Moore: Avez-vous fait ce tableau?

M. Spergel: Non, nous ne l'avons pas fait, mais je crois comprendre que dans la plupart des provinces, sinon dans toutes, les REER sont en règle générale exclus de la saisie. Je ne connais pas de provinces où ils ne sont pas exclus. Mais nous pouvons dresser cette liste pour vous.

Le sénateur Moore: J'aimerais en prendre connaissance.

Le sénateur Kroft: Ma question ne vise pas une recommandation en particulier, mais elle porte plutôt sur les cartes de crédit.

Selon vous, quel pourcentage de la dette des consommateurs origine du dépassement du crédit accordé sur les cartes, d'après votre expérience?

M. Lomas: D'après mon expérience personnelle, je dirais que près de 75 à 80 p. 100 des personnes qui viennent à mon bureau ont une dette de carte de crédit qui dépasse largement leur capacité de rembourser.

Le sénateur Kroft: Cette réponse ne me surprend pas. En gardant ceci à l'esprit, que se passe-t-il dans le monde réel en ce qui concerne les privilèges accordés aux détenteurs de cartes de crédit? À quel moment sont-ils exclus et à quel moment peuvent-ils recevoir de nouveau une carte?

M. Lomas: En tant que syndics, nous sommes obligés de confisquer toutes les cartes de crédit d'un failli ou d'un consommateur qui fait une proposition. En vertu de la loi, le failli n'est pas autorisé à se voir accorder un crédit supérieur à 500 dollars pendant la durée de sa faillite.

Il y a des sociétés innovatrices qui offrent des cartes de crédit garanti. Autrement dit, le débiteur dépose 1 000 dollars, et il obtient une limite de crédit de 1 000 dollars. Du moment qu'il la rembourse d'une manière régulière, il peut conserver sa carte de crédit. La situation varie en ce qui concerne le moment où l'on offre à ces personnes de nouvelles cartes de crédit. Le plus souvent, ce moment survient très tôt après la libération.

Le président: Nous prenons bonne note que vous approuvez de façon générale la recommandation du groupe de travail en ce qui concerne la protection, dans une certaine mesure, des REER des débiteurs qui sont travailleurs autonomes et qui ont fait faillite dans l'optique de leur accorder un traitement équivalent à celui des salariés qui bénéficient d'un régime de retraite.

Si les provinces, à l'exception de la Saskatchewan qui dispose d'une protection imposée par la loi, accordaient certaines mesures de protection aux REER, mais ne modifiaient pas leurs lois en vue de protéger tous les REER d'une certaine manière, est-ce que le fait que les REER soient protégés en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité encouragerait les débiteurs à se prévaloir de cette Loi qui protège leurs REER plutôt que de s'efforcer de sortir de l'endettement en prenant une entente avec leurs créanciers sans avoir recours à la faillite?

M. Spergel: Si vous vous rappelez, dans notre rapport, nous avons mentionné que nous recommandons une disposition anti-échappatoire. Dans cette éventualité, nous recommandons l'adoption d'un droit de reprise ou d'une retenue de toutes les cotisations ayant été faites dans les trois ans suivant la date de la faillite. Évidemment, cette mesure permettrait de tenir compte de toutes les situations où les cotisations à un REER seraient utilisées comme véhicule pour éviter d'avoir à rembourser ses créanciers.

Le président: Est-ce suffisant?

M. Spergel: La durée?

Le président: Oui.

M. Spergel: Dans d'autres cas, normalement, nous revenons un an en arrière en ce qui concerne les préférences, ce qui revient essentiellement à ce qui serait créé. Il s'agit d'une préférence en soi. La loi est ainsi faite.

Dans ce cas, nous recommandons une période de trois ans. Certains diront que, loin d'être suffisant, c'est un peu trop exigeant. Il s'agit en quelque sorte d'un compromis, mais c'est le meilleur moyen que nous ayons trouvé pour tenir compte de la plupart des tentatives d'échappatoire.

M. Courage: On a suggéré que certains débiteurs pourraient être tentés de s'en remettre à la LFI plutôt que d'essayer de se débrouiller par eux-mêmes. Selon notre expérience, les débiteurs ne souhaitent pas faire faillite. Ils n'ont aucune envie de se prévaloir de cette loi, à aucun moment.

Le président: Même si cela signifie protéger les économies de toute une vie?

M. Courage: C'est la raison pour laquelle nous essayons d'instaurer un certain équilibre. La plupart des débiteurs vont puiser dans leurs REER. Il est rare que dans une faillite on trouve un montant élevé prélevé dans un REER. Je veux parler de personnes ayant atteint un âge assez avancé dans certains cas. Parfois, ce sont des travailleurs autonomes qui ont réussi à mettre de l'argent de côté, mais en raison de circonstances défavorables et d'une combinaison d'emprunts, ils risquent d'être acculés à la faillite. Cela devient un jugement de valeur qui ne nous appartient pas que de décider si oui ou non ces épargnes-retraite devraient être protégées.

Nous affirmons, évidemment, que si une personne jouissait du soutien ou avait la capacité d'obtenir le soutien d'un régime de retraite, ses épargnes auraient été protégées. Ses revenus ouvrant droit à pension auraient été protégés. Un travailleur autonome dans les mêmes circonstances ne serait pas protégé. C'est l'iniquité fondamentale que nous essayons de corriger.

Le président: Nous comprenons. Merci de votre temps. Vos exposés ont été instructifs et utiles.

La séance est levée.


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