Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 20 - Témoignages du 15 mai 2003
OTTAWA, le jeudi 15 mai 2003
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 11 h 05 pour étudier l'application de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies.
Le sénateur E. Leo Kolber (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Bonjour, mesdames et messieurs. Notre premier groupe de témoins représente les Commissions des accidents du travail du Canada.
On me dit que vous avez des exposés à faire et que M. Lee prendra la parole en premier. Vous avez la parole.
M. Jim Lee, président, Commission des accidents du travail de l'Île-du-Prince-Édouard: L'Association des commissions des accidents du travail du Canada représente les 12 commissions provinciales et territoriales des accidents du travail au Canada. Nous sommes heureux de témoigner devant vous aujourd'hui pour vous parler de l'importance de désigner les commissions des accidents du travail comme créanciers garantis dans la Loi sur la faillite et l'insolvabilité.
Honorables sénateurs, avant de faire mon exposé, je voudrais apporter une correction à notre mémoire. À la page 2, dans la partie du mémoire qui traite des recommandations, nous écrivons:
Par conséquent, les réclamations des CAT auraient la même valeur que celles inscrites par une banque ou une autre institution de prêt dans les juridictions fédérales, provinciales et territoriales.
L'utilisation de l'expression «auraient la même valeur» est une erreur. Il faudrait lire plutôt:
[...] seraient d'un montant supérieur à celles inscrites par une banque ou une autre institution de prêt.
Nous voudrions donc corriger cette erreur et nous nous en excusons. Je vais commencer par faire des observations en m'inspirant du texte de notre mémoire. Les modifications apportées en 1992 et en 1997 à la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (LFI) ont placé les primes versées aux commissions des accidents du travail dans la catégorie des créances ordinaires dont le remboursement serait déterminé en cas de faillite par un syndic.
Les répercussions financières de cette loi sur les commissions des accidents du travail ont été très lourdes. En 1997, nos membres ont perdu 175 millions de dollars en primes et depuis lors, seulement 2,1 $, soit un peu plus de 1 p. 100 des primes en souffrance, ont été recouvrées.
Nous croyons que le seul moyen de remédier à cette situation est de désigner les commissions des accidents du travail comme créanciers garantis. Les pertes de revenu gonflent les coûts et entraînent un traitement inéquitable des employeurs, qui doivent payer des cotisations plus élevées, et des travailleurs et de leurs familles, quand les pertes de revenu mettent en péril les programmes et les prestations.
Il faut absolument remédier à ce problème qui afflige notre régime d'indemnisation des accidents du travail. Nous sommes profondément convaincus qu'il faut reconnaître les commissions des accidents du travail comme créanciers garantis dans la LFI, parce que c'est un programme essentiel du filet de sécurité sociale du Canada. Il verse chaque année des prestations de six milliards de dollars à plus de 374 000 travailleurs blessés et à leurs familles. En conséquence, ce système doit être désigné fiducie réputée.
Nous proposons que l'indemnisation des accidents du travail soit placée sur le même pied que le Régime de pensions du Canada et le Régime des rentes du Québec, l'assurance-emploi, et l'impôt sur le revenu, qui sont tous créanciers garantis aux termes de la LFI.
Le plus important, à notre avis, c'est qu'il faut invalider la décision refusant aux commissions des accidents du travail le statut de créancier garanti. Nous soutenons que le fait que l'argent servant à indemniser les travailleurs, contrairement aux cotisations du RPC et de l'AE ou à l'impôt sur le revenu, ne soit pas déduit des salaires des employés, mais plutôt payé à même les revenus des employeurs, ne peut pas être un facteur déterminant pour l'établissement du statut du créancier.
La méthode de financement n'est pas une distinction pertinente parce que le régime d'indemnisation des travailleurs a pour objet de remplacer les salaires perdus, tout comme l'AE et le RPC. Du point de vue de la politique sociale, peu importe que ce soit l'employé ou l'employeur qui verse les primes, cela ne devrait pas entrer en ligne de compte. En outre, les travailleurs ont en fait contribué, en ce sens qu'ils ont renoncé à des droits d'une grande valeur en termes de responsabilité civile délictuelle dans le cadre de l'établissement du régime d'indemnisation des travailleurs. Les travailleurs ont effectivement contribué et continuent de contribuer. Les primes que les employeurs payent correspondent, tout au moins en partie, à la valeur d'un droit auquel les travailleurs ont renoncé en matière de responsabilité civile délictuelle.
Depuis les modifications apportées en 1997, l'attitude du gouvernement fédéral a clairement changé en ce qui a trait à la protection des salaires. En annonçant la réforme de la LFI, Industrie Canada a publié en 2001 un certain nombre de documents de recherche. L'un d'eux, intitulé «Priorités statutaires en cas de faillite commerciale», qui a été publié en mai 2001, évoque le besoin de la protection salariale comme élément central de la réforme des faillites commerciales. On reconnaît l'incapacité de l'employé moyen de contrôler les risques auxquels il s'expose et l'effet nocif des faillites commerciales sur les travailleurs canadiens et leurs familles.
Nous croyons que la protection salariale et l'indemnisation des accidents du travail vont de pair. Si l'on protège les travailleurs qui ont un emploi, pourquoi ne devrait-il pas y avoir aussi une protection pour les travailleurs qui ne travaillent pas en raison de blessures ou maladies associées à leur travail? Dans les deux cas, les travailleurs ont besoin de leurs salaires.
Il n'est pas acceptable que la stabilité financière du régime d'indemnisation des travailleurs, qui est une institution publique, soit mise en péril et que la capacité des Commissions des accidents du travail de remplir leurs engagements soit affaiblie à cause de la perte de revenu en primes irrécouvrables.
Le régime d'indemnisation des travailleurs est l'un des trois piliers du filet de sécurité sociale pour les travailleurs au Canada. Il assure le remplacement du salaire et répond aux besoins en matière de sécurité du revenu des travailleurs blessés et de leurs familles, tandis que les régimes de pensions du Canada et du Québec soutiennent les travailleurs à la retraite et que l'assurance-emploi aide les travailleurs en période de chômage.
À l'instar de l'AE et du RPC, l'indemnisation des travailleurs est un programme obligatoire. Tous les trois ont été créés pour améliorer le sort des travailleurs et de leurs familles. La LFI doit être modifiée pour établir les commissions des accidents du travail à titre de créanciers garantis, tout comme le sont le RPC et l'AE.
Notre exposé va démontrer que le régime établi par la loi actuelle ne répond pas à l'intérêt public. Il compromet l'intégrité et l'objet même de l'indemnisation des travailleurs à titre de service public précieux et de programme essentiel du filet de sécurité sociale du Canada.
Mon collègue, M. John Solomon, président de la Commission des accidents du travail de Saskatchewan, va faire le reste de l'exposé.
M. John Solomon, président, Commission des accidents du travail de Saskatchewan: Honorables sénateurs, il serait utile de dire quelques mots sur l'origine des commissions des accidents du travail au Canada pour mieux comprendre notre position sur la Loi sur la faillite et l'insolvabilité.
Le régime d'indemnisation des travailleurs est le plus vieux programme de sécurité sociale au monde. Ce sont les Allemands qui l'ont inventé au XIXe siècle. Il a été implanté au Canada en 1915, et en Ontario à la suite des travaux d'une commission royale présidée par le juge William Meredith. C'est donc le plus ancien programme de sécurité sociale et de sécurité du revenu au Canada, antérieur à la création du RPC et de l'AE.
Avant la création du régime d'indemnisation des travailleurs, les travailleurs canadiens n'avaient aucune protection en cas de blessure ou de maladie professionnelle, ils en étaient réduits à poursuivre leurs employeurs ou leurs collègues de travail. Une poursuite sur dix était couronnée de succès et, dans presque tous les cas, le résultat net était la ruine financière, pas seulement pour le travailleur blessé, mais aussi pour l'employeur, qui devait souvent déclarer faillite.
Au Canada, on dit souvent que le régime d'indemnisation des travailleurs est un compromis historique conclu entre les travailleurs et les employeurs. Les travailleurs ont renoncé au droit de poursuivre leur employeur en cas de lésions professionnelles, en échange d'un régime d'assurance sans égard à la faute, et les employeurs ont financé le régime en échange de cette protection contre toute poursuite judiciaire. Grâce à ce compromis, les travailleurs ont reçu une protection financière en cas de perte de salaire et les employeurs ont été mis à l'abri d'éventuelles poursuites.
Aujourd'hui, nous demandons que la LFI soit modifiée pour que l'on rétablisse les primes des CAT à titre de créances garanties, statut qui est reconnu dans le cas des autres programmes, le RPC, le RRQ et l'AE. Cette modification protégerait la CAT comme élément essentiel et crucial du régime canadien de sécurité sociale. Cette modification comporterait trois avantages pour le régime.
Premièrement, les commissions des accidents du travail continuent de pouvoir dispenser les avantages et les services qui ont été promis au moment de l'adoption de la loi aux travailleurs canadiens, à leurs familles et à leurs employeurs.
Deuxièmement, les autres employeurs ne subventionnent pas les primes que ne peuvent verser les employeurs en faillite. C'est-à-dire que le coût du régime d'assurance en cas d'invalidité causée par le travail est réparti équitablement, comme il doit l'être.
Troisièmement, et c'est peut-être le plus important, les pertes des institutions de prêt ne sont plus subventionnées par les commissions des accidents du travail.
Pour illustrer la valeur du régime d'indemnisation des accidentés du travail au Canada, permettez-moi d'exposer quelques principes de base. C'est un régime d'assurance-invalidité sans égard à la faute financé par des primes versées par les employeurs. Il est obligatoire aux termes de lois provinciales qui contribuent à l'instauration de relations de travail saines sur le marché du travail du Canada, en offrant la sécurité des revenus aux travailleurs, à leurs conjoints et à leurs enfants.
Les commissions des accidents du travail paient également les services de santé et sécurité au travail. Près de six milliards de dollars sont dépensés annuellement en prestations aux travailleurs blessés et à leurs familles et en services aux employeurs.
En 1997, il a été décidé qu'il n'était pas justifié de donner aux CAT le statut de créanciers garantis parce que les primes ne sont pas déduites à même les salaires des employés; cette décision ne tient pas compte du compromis historique et des principes fondateurs du régime d'indemnisation. Cette décision ne prend pas en considération le fait que l'indemnisation des travailleurs est un programme obligatoire, à l'instar de l'AE, du RPC et du RRQ. Tout comme l'AE et le RPC, les prestations versées par les commissions des accidents du travail offrent la sécurité du revenu au travailleur qui est confronté à une perte de salaire à cause d'une blessure professionnelle. Notre expérience a démontré que la perte du statut de créancier garanti a eu une incidence négative sur nos revenus, lesquels servent à assurer la protection des revenus et à verser des prestations. La perte du statut de créancier garanti a également eu une incidence sur les employeurs qui doivent absorber la perte de revenu sous forme de primes plus élevées.
La modification proposée mettrait fin au régime actuel qui favorise l'industrie du crédit au détriment de la sécurité du revenu des travailleurs blessés. Aux termes de cette modification, les commissions des accidents du travail ne seraient plus tenues d'assumer le coût des mauvaises décisions de crédit qui sont prises par les institutions de prêt.
La modification proposée protégerait les prestations des travailleurs pour le remplacement du salaire, la réadaptation professionnelle, le suivi médical et les traitements, même en cas de faillite. Tout aussi important, la modification préserve l'équité en plaçant la sécurité financière offerte par les prestations d'indemnisation des travailleurs sur le même pied que l'AE et le RPC.
Il y a cinq avantages fondamentaux à modifier la loi pour protéger les primes d'indemnisation des travailleurs dans la LFI.
Le premier avantage est d'assurer la primauté et la durabilité du régime de sécurité sociale et financière. Les prestations des CAT, à l'instar de celles du RPC et de l'AE, offrent aux travailleurs blessés une sécurité des revenus ainsi que des prestations de revenu aux conjoints et enfants survivants. Par conséquent, le législateur, c'est-à-dire le gouvernement fédéral doit donner aux primes du régime des accidents du travail la même protection et le même statut qu'aux cotisations de l'AE et du RPC. Nous croyons que le gouvernement fédéral doit aussi agir pour réparer le tort qu'il a causé aux CAT en 1997 et protéger les commissions contre toute perte de revenu injuste résultant de la faillite d'un employeur.
L'importance primordiale et la cohérence des relations fédérales-provinciales sont également des raisons impérieuses de modifier la loi. La législation provinciale donne priorité aux primes ou cotisations d'indemnisation des travailleurs impayés en cas de faillite. En principe, le gouvernement fédéral s'efforce de faire droit aux lois provinciales. En fait, les tribunaux reconnaissent l'importance d'appliquer et de respecter les lois d'une assemblée provinciale. Le changement proposé à la LFI favorise cette cohérence.
La LFI supplante les lois provinciales et crée deux systèmes différents de répartition des biens du débiteur. La cohérence entre les lois fédérales, provinciales et territoriales favorise la certitude dans les relations commerciales, ce qui est un objectif important pour la LFI et l'association souscrit à cet objectif.
L'Association des commissions des accidents du travail du Canada croit qu'un autre avantage très net qui résulterait d'une modification de la loi est la répartition équitable des biens du débiteur, une répartition plus conforme à l'intention des législateurs provinciaux.
Les institutions de prêt peuvent invoquer la loi et ne tenir aucun compte des régimes provinciaux quant à l'établissement des priorités. En fait, la liquidation des actifs avant la faillite est souvent réalisée par les institutions de prêt. L'association croit que cette interprétation et cette application de la loi récompensent les intervenants peu scrupuleux. Placées sur un pied d'égalité, à titre de créances garanties, les cotisations du RPC, de l'AE et de la CAT favoriseraient une répartition plus équitable et, à notre avis, plus juste des actifs des débiteurs.
Un quatrième avantage de la modification de la loi est la durabilité économique du régime d'indemnisation des travailleurs. En l'an 2000, les primes des employeurs ont totalisé plus de six milliards de dollars au Canada. Les primes versées aux CAT font partie du coût de toute entreprise commerciale au Canada. Il est important, autant pour l'industrie que pour l'association, que les primes soient abordables et compétitives et cela devrait être également important pour le gouvernement canadien.
Aux termes de la loi, telle qu'elle est rédigée et appliquée actuellement, les employeurs qui paient fidèlement leurs primes se trouvent à payer pour les faillites, car les CAT ne peuvent pas recouvrer les primes des compagnies insolvables. Les employeurs subventionnent directement de mauvaises décisions de crédit prises par les institutions de prêt en remplissant leurs obligations envers le régime d'indemnisation des travailleurs.
Enfin, mais c'est peut-être le plus important, la modification que nous réclamons a l'avantage de faire assumer la responsabilité des mauvaises décisions de crédit à ceux à qui il revient entièrement d'assumer ce fardeau, à savoir les banques et les institutions de prêt. Dans chaque province et territoire du Canada, le régime d'indemnisation des travailleurs est un programme légiféré et obligatoire; nous ne pouvons pas choisir nos clients ni limiter le risque que nous assumons. Les institutions de prêt, par contraste, peuvent gérer leurs risques en choisissant leurs clients. Autrement dit, l'indemnisation des travailleurs est un programme social à but non lucratif, tandis que les institutions de prêt sont motivées par le désir de faire des profits. Elles peuvent choisir leurs clients et choisir le niveau de risque qu'elles veulent assumer. Les CAT sont à but non lucratif, n'ont aucunement le choix de leur clientèle et versent des prestations aux travailleurs quel que soit le montant des primes versées par leur employeur.
De la manière dont la loi est rédigée et appliquée à l'heure actuelle, le fardeau des prêts commerciaux non recouvrables est assumé non pas par les prêteurs, mais bien par les commissions des accidents du travail. De plus, les travailleurs blessés ne bénéficient pas de la protection salariale qui est offerte par les prestations de l'AE et du RPC. En l'absence de modification à la loi, le coût des prêts commerciaux non recouvrables que doivent assumer les commissions des accidents du travail du Canada ne fera qu'augmenter.
Il est important de réfléchir à la question de savoir qui devrait et qui peut assumer le fardeau des mauvaises créances. Aux termes de la loi actuelle, les institutions de prêt ont réussi à se décharger du fardeau des mauvaises décisions en matière de crédit et à le faire assumer par les CAT. S'il n'est pas acceptable que le RPC ou l'AE finance le secteur bancaire, il est également inacceptable que ce soit les commissions des accidents du travail qui le fassent. Nous soutenons que cette situation est inacceptable.
Qui doit assumer le fardeau des mauvaises créances commerciales, et qui est le mieux placé pour le faire? Nous croyons que ce sont les institutions de prêt qui choisissent leurs entreprises clientes et qui choisissent de leur accorder du crédit. Les chiffres comparatifs sont révélateurs. Depuis 1997, les employeurs canadiens ont absorbé 175 millions de dollars de pertes causées par de mauvaises créances par l'entremise de leurs primes versées au CAT. Par contraste, le montant total du crédit impayé au Canada en 2001 était supérieur à 1,402 billion de dollars.
Il est clair que de permettre aux CAT de recouvrer leurs créances de faillite aurait un effet négligeable sur le coût ou la disponibilité du crédit, mais cela mettrait fin à la pratique inéquitable de forcer les employeurs à faire les frais des faillites pour les institutions de prêt par l'intermédiaire des primes.
Monsieur le président, modifier la LFI pour rétablir le statut de créancier garanti pour les CAT à l'égard des primes impayées atteindrait quatre objectifs: rétablir le régime d'indemnisation des travailleurs à titre de fiducie semblable à l'AE, au RPC et au RRQ; appuyer la compétitivité et la productivité du Canada en mettant fin aux subventions des mauvaises créances au moyen des primes versées par les employeurs au CAT; reconnaître que le régime d'indemnisation des travailleurs est un élément essentiel du filet de sécurité sociale du Canada; et aider les CAT à remplir leur mandat d'offrir des services et des prestations pour aider les travailleurs blessés, leurs familles et leurs employeurs.
M. Lee: D'autres intervenants venant d'autres régions du pays auraient aimé être avec nous ici ce matin comme membres de la délégation. Nous avons une lettre de M. Douglas Enns, président du conseil d'administration de la Commission des accidents du travail de la Colombie-Britannique. Je demanderais à M. Douglas Mah de vous faire part des observations de M. Enns.
M. Douglas Mah, avocat général, Commission des accidents du travail de l'Alberta: Je voudrais vous présenter cette lettre de la Commission des accidents du travail de Colombie-Britannique. On y évoque une situation qui est grave mais qui est assez répandue dans presque toutes les provinces et tous les territoires du Canada. C'est l'histoire d'une compagnie qui a invoqué la Loi sur la faillite et l'insolvabilité pour éviter de payer environ un quart de million de dollars de dettes envers la CAT; cela se passait en 1996. Environ deux mois plus tard, la compagnie a été ressuscitée et a immédiatement été en défaut de paiement envers la CAT sous sa nouvelle incarnation. Comme on vous l'a déjà dit, les CAT n'ont pas le privilège de choisir les gens à qui elles doivent offrir leurs services, de sorte que même un mauvais client doit être inscrit quand il se relance en affaires.
Cette compagnie doit actuellement un million de dollars à la Commission des accidents du travail de Colombie- Britannique. Dans l'intervalle, la CAT a payé 2,5 millions de prestations et de services et elle prévoit dépenser encore 1,5 million de dollars à ce chapitre.
La CAT estime qu'elle est impuissante à percevoir les primes dues par cet employeur, parce que la compagnie peut simplement invoquer la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et inverser les priorités.
Cet exemple illustre une situation qui se répète dans la plupart des provinces et territoires et qui montre que des employeurs peuvent invoquer la Loi sur la faillite et l'insolvabilité pour, en fait, obtenir gratuitement de l'assurance en milieu de travail. Le résultat est qu'environ quatre millions de dollars de prestations ont été payées sans qu'aucune prime ne soit perçue; nous estimons que c'est un manque à gagner considérable.
M. Lee: Honorables sénateurs, je voudrais maintenant vous donner le point de vue de l'Atlantique sur cette question. Dans le Canada de l'Atlantique, comme ailleurs au Canada, il y a des raisons impérieuses d'appuyer la proposition visant à modifier la Loi sur la faillite et l'insolvabilité de manière à rétablir le régime d'indemnisation des travailleurs à titre de fiducie ayant le statut de créancier prioritaire.
L'assurance sociale offerte par l'entremise de la Commission des accidents du travail est essentielle pour les Canadiens de l'Atlantique. Plus de 90 p. 100 de la main-d'oeuvre dans l'Atlantique compte sur ce régime comme assurance-revenu en cas de blessure ou maladie professionnelle.
En 2002, dans l'Île-du-Prince-Édouard, 3 000 travailleurs ont fait appel au régime pour le remplacement de leur salaire et pour recevoir des prestations et des services d'aide médicale. En même temps, pour pouvoir payer ces services, le régime d'assurance que constitue la commission des accidents du travail est demeuré au premier plan des frais généraux des entreprises pour les employeurs du Canada de l'Atlantique. Dans trois des quatre provinces de l'Atlantique, soit Terre-Neuve-et-Labrador, Nouvelle-Écosse et Île-du-Prince-Édouard, les employeurs ont payé les taux de cotisation les plus élevés au Canada. La radiation des primes impayées contribue puissamment à maintenir élevés les taux de cotisation et représente un coût direct pour les employeurs.
Depuis cinq ans, 4,8 millions de dollars ont été radiés et inscrits aux rapports annuels des commissions des accidents du travail du Canada de l'Atlantique. Moins de 5 p. 100 de ce montant total a été recouvré. À l'Île-du-Prince-Édouard, pour chaque tranche de 500 000 $ de primes radiées, on ajoute 5 cents par tranche de 100 $ que l'employeur doit payer à même ses charges salariales.
Si l'on tient compte des effets négatifs des dispositions actuelles de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, il est logique d'envisager de rétablir les commissions des accidents du travail comme fiducies ayant le statut de créancier prioritaire. Les dispositions actuelles de la loi ne servent qu'à gonfler les coûts du régime d'indemnisation des travailleurs et les conséquences en sont très profondes. Les employeurs solvables, qui paient fidèlement leurs primes, doivent absorber le coût de la faillite, et les travailleurs blessés et leurs familles continuent d'être touchés en termes de disponibilité des prestations et services essentiels.
Nous pourrions accroître la compétitivité et la productivité en modifiant la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, et aider à garantir la continuation des prestations et services essentiels pour les travailleurs et les employeurs. Merci.
Le président: Vous proposez que les primes versées aux commissions des accidents du travail soient considérées comme des fiducies réputées. On sait que les modifications apportées en 1992 et en 1997 au chapitre des fiducies réputées avaient justement pour objet de les éliminer.
Si les primes versées aux commissions des accidents du travail étaient considérées comme des fiducies réputées, ne craignez-vous pas que les ministères pertinents de tous les niveaux de gouvernement chercheraient à obtenir le statut de fiducies réputées pour toutes les sommes qui leur sont dues?
M. Mah: On peut invoquer l'argument que cela ouvrirait la porte et risquerait de provoquer une avalanche. Nous croyons que l'indemnisation des travailleurs constitue l'un des trois volets du programme de sécurité sociale au Canada, avec l'AE et le RPC. Par conséquent, nous demandons le même traitement de fiducie réputée que l'on accorde au RPC et à l'AE.
Le président: Vous dites dans votre mémoire qu'en 2001, quelque 374 000 travailleurs et leurs familles ont reçu des prestations du régime d'indemnisation des travailleurs au Canada. Vous estimez à six milliards de dollars la valeur annuelle totale de ces prestations.
Vous avez également estimé que les pertes résultant des faillites depuis 1996 sont de l'ordre de 175 millions de dollars. En dépit de ces pertes, est-il juste de dire qu'aucune commission des accidents du travail au Canada n'enregistre un déficit important?
M. Solomon: Monsieur le président, dans les 12 instances du Canada, c'est-à-dire les deux territoires et les dix provinces, il n'y a maintenant que trois commissions qui sont à capitalisation intégrale. Vous verrez dans les résultats de 2002 que beaucoup de commissions ont des déficits très importants.
«Capitalisation intégrale» signifie que nous mettons de côté de l'argent pour les blessures qui surviennent pendant une année civile donnée, et l'on fait des prévisions sur les 50 prochaines années pour le versement des prestations. Les blessures subies durant l'année déclenchent des paiements qui sont financés à l'avenir par les primes versées par les employeurs. Pour être à capitalisation intégrale, il faut avoir assez d'argent pour indemniser les travailleurs au cours des 50 prochaines années.
En Saskatchewan, par exemple, nous avons subi en 2002 une perte de 93 millions de dollars sur un budget annuel d'environ 250 millions de dollars. C'est attribuable à l'argent qui est mis de côté pour tenir compte des futures augmentations des prestations, et cetera. D'autres instances ont subi des pertes semblables. Comme je l'ai dit, seulement neuf des douze commissions n'ont aucun découvert, c'est-à-dire que 100 p. 100 de leurs besoins futurs sont capitalisés en vue de répondre à leurs obligations futures.
Le président: Vous dites à la page 3 de votre mémoire que les pertes des commissions des accidents du travail depuis 1996, soit sur une période de sept ans, sont estimées à environ 175 millions de dollars. À la page 8, note en bas de page 11, vous dites:
Si 1 p. 100 des revenus, sur la base des données de 2001, étaient dissipés en mauvaises créances, le total national s'établirait à 65 428 000 $.
Il semble toutefois qu'au rythme de 65,5 millions de dollars par année, les mauvaises créances totaliseraient 175 millions de dollars en un peu plus de deux ans et demi.
Vous dites à la page 8 que l'association n'établit pas de statistiques globales des radiations pour mauvaises créances. À la lumière de ces chiffres, ne peut-on pas dire que le montant total des mauvaises créances est inférieur à un demi pour cent, en l'absence de la protection qu'offrirait le statut de fiducie réputée?
M. Solomon: La raison pour laquelle nous n'avons pas conservé tous les détails sur cet aspect précis, c'est que depuis que la loi a été modifiée, certaines instances ont décidé qu'elles ne voulaient pas continuer de se livrer à cet exercice. Nous avons vérifié les dossiers et les chiffres que nous donnons sont des estimations. Je dirais qu'ils sont exacts à plus ou moins 10 p. 100.
M. Lee a donné l'exemple de l'Île-du-Prince-Édouard. Sur chaque tranche de 100 $ de masse salariale, cinq cents sont ajoutés en conséquence de ces pertes attribuables à la LFI et de l'impossibilité de recouvrer des primes impayées par les compagnies qui sont en faillite et insolvables. Ce montant n'atteint peut-être pas cinq cents en charge salariale dans toutes les autres provinces, mais il est certain qu'il est considérable partout. En Saskatchewan, c'est environ un cent. La moyenne est de 1,91 $ par tranche de 100 $ de masse salariale.
Les employeurs qui poursuivent leurs activités subventionnent les employeurs qui quittent les affaires et subventionnent les banques et les institutions de prêt, et nous ne croyons pas que ce soit juste.
Le président: Ne serait-il pas exact de dire que le total des mauvaises créances est inférieur à un demi pour cent en l'absence de la protection qu'offrirait le statut de fiducie réputée?
M. Solomon: Je suppose que c'est à peu près cet ordre de grandeur, oui.
Le président: Monsieur Mah, je me reporte à la lettre que vous avez lue du conseil d'administration de la Commission des accidents du travail de Colombie-Britannique. Vous avez parlé d'une créance d'un million de dollars de la compagnie en faillite. C'est bien cela?
M. Mah: Oui, c'est exact.
Le président: Combien de mois de non-paiement ce montant représente-t-il? Il faut sûrement que ce soit de nombreux mois, n'est-ce pas?
M. Mah: Oui.
Le président: Pourquoi la Commission des accidents du travail de Colombie-Britannique n'a-t-elle pas intenté des poursuites dès le premier mois de non-paiement?
M. Mah: La Commission des accidents du travail de Colombie-Britannique a un statut prioritaire aux termes de la loi provinciale. Normalement, elle s'efforce de faire respecter cette priorité par des moyens judiciaires ou extrajudiciaires. Dès que cela arrive, comme on le dit dans la lettre, la compagnie peut alors déclarer faillite et se débarrasser de la dette.
Le président: Pourquoi ne prend-on pas des mesures plus énergiques dès qu'il semble y avoir défaut de paiement?
M. Solomon: Je ne connais pas bien l'exemple de Colombie-Britannique. Cependant, dans beaucoup de provinces, en cas de problème, les commissions prennent des mesures. Elles obtiennent un privilège sur l'actif, ou bien prennent des mesures juridiques quelconques pour tenter d'obtenir une garantie à cet égard.
Si la compagnie en question invoque la LFI, cela devient un problème. Cet argent est perdu s'il n'y a pas suffisamment de fonds pour rembourser tous les créanciers.
Le président: J'essaie de comprendre pourquoi on ne prend pas des mesures plus rapidement.
M. Solomon: Vous devrez le demander aux gens de la Colombie-Britannique. Je ne connais pas la réponse à cette question.
M. Mah: Nous pouvons trouver la réponse et vous en faire part, sénateur.
Le président: Je vous saurais gré de faire parvenir la réponse au greffier du comité.
M. Solomon: Cette situation tient en partie au fait que les employeurs ne paient qu'une ou deux fois par année, pas tous les mois. Le régime est différent dans chaque province, certains ne paient qu'une fois par année. S'ils ratent leur paiement annuel, le temps qu'on fasse des démarches, ils en sont déjà à la deuxième année puisqu'ils ont été assurés pendant toute une année. La compagnie en question était peut-être dans cette situation.
Le président: Pourquoi ne paient-ils qu'une fois par année? Ne pourriez-vous pas changer cette fréquence? Je pensais que les paiements étaient faits chaque mois.
M. Solomon: Dans certaines provinces ou territoires, il y a des prélèvements mensuels, ailleurs c'est trimestriel et en Saskatchewan c'est deux fois par année, en avril et en octobre.
Le président: Cela ne semble pas être une très bonne manière de diriger une entreprise.
M. Solomon: Toutes nos commissions sont représentatives des employeurs et des travailleurs. Les employeurs avisent les commissions des politiques qu'ils aimeraient voir appliquer. Les grandes entreprises qui paient des primes importantes ont tendance à payer trimestriellement parce qu'elles ne veulent pas faire un seul paiement énorme à la fin de l'année.
Chaque province prend cette décision sur l'avis des intervenants, c'est-à-dire les employeurs.
Le président: Vous n'avez aucun moyen de savoir si une compagnie s'enfonce graduellement dans le pétrin et que vous risquez de ne pas être payé?
M. Solomon: En effet.
Le président: Ne devrait-on pas remédier à cette situation?
M. Solomon: Nous avons 32 000 employeurs en Saskatchewan. S'il fallait contrôler toutes ces entreprises et tous ces employeurs, il faudrait augmenter considérablement le montant des primes.
Le président: Je ne propose pas que vous les contrôliez, mais s'ils payaient mensuellement, vous vous en apercevriez très vite en cas de problèmes.
M. Solomon: C'est une bonne suggestion et beaucoup de commissions s'orientent dans cette voie.
Le sénateur Kelleher: Industrie Canada a procédé à des consultations avant les audiences de notre comité. Les avez- vous rencontrés et leur avez-vous fait part de vos préoccupations?
M. Mah: Oui.
Le sénateur Kelleher: Sont-ce les mêmes préoccupations que vous avez exprimées aujourd'hui?
M. Mah: Ce sont les mêmes préoccupations, oui.
Le sénateur Kelleher: On dirait qu'ils ne vous ont pas écoutés. Est-ce bien le cas et, dans l'affirmative, pourquoi? Parlez-moi de ces consultations?
M. Mah: L'ACATC a été invitée à un forum sur les priorités de l'État tenu à Toronto l'année dernière. Mme Croucher et moi-même y avons assisté, de même qu'un certain nombre de personnes représentant les gouvernements fédéral et provinciaux et des syndics de faillite de partout au Canada, ainsi que le Bureau du surintendant des faillites. Il y a eu une discussion animée, franche et approfondie portant non seulement sur la position des CAT dans le régime de répartition des actifs, mais aussi sur les priorités légiférées de façon générale. Bien sûr, ces discussions n'ont débouché sur aucune conclusion. Nous avons trouvé encourageant le fait d'avoir été invités à la table et, en fait, des fonctionnaires d'Industrie Canada nous ont exhortés à faire cette présentation que nous faisons aujourd'hui.
Le sénateur Kelleher: On vous a roulé. Vous êtes allé leur expliquer quelles étaient vos préoccupations, et on ne semble pas y avoir donné suite dans l'une ou l'autre des recommandations. Pourquoi vous auraient-ils encouragés à venir nous voir, alors qu'ils vous ont claqué la porte au nez? Il y a quelque chose qui cloche.
M. Solomon: C'est en partie une question d'échéancier. Les fonctionnaires étaient déjà en mesure de publier un document mettant l'accent sur la sécurité des revenus et d'autres priorités, parce qu'ils avaient examiné la LFI et son application aux primes d'indemnisation des travailleurs lors de l'examen précédent. Ils estimaient que le gouvernement et le Sénat voudraient entendre un autre point de vue pour voir s'il y avait d'autres priorités. Le travail était en grande partie complété quand nous nous sommes joints au processus.
La conférence sur les priorités dont M. Mah a parlé a eu lieu à la fin du processus; à ce moment-là, leurs priorités étaient déjà fixées. Je ne peux pas vous dire pourquoi le ministère de l'Industrie n'a pas retenu nos suggestions.
Le sénateur Kelleher: Vous n'êtes pas les premiers et vous ne serez pas les derniers à qui cela arrive, si cela peut vous consoler.
Je trouve un peu difficile à comprendre qu'ils n'aient pu faire quoi que ce soit pour répondre à vos préoccupations, au lieu de vous dire de venir nous voir. J'ai quasiment l'impression qu'ils se sont dérobés à leur obligation de procéder à une pleine consultation. Serait-il juste de dire cela?
M. Solomon: Je ne veux pas faire de commentaires sur leur processus décisionnel, mais je trouve que les audiences de votre comité sont un élément très important du processus. Si nos arguments et notre position vous apparaissent raisonnables, nous espérons que cela aura une influence sur le rapport final de votre comité.
Nous ne voulons pas nous lancer dans un débat ou exprimer des opinions qui ne seraient pas fondées sur des faits, sans connaître des renseignements privilégiés qu'ils peuvent posséder.
Le sénateur Kelleher: Il me semble que vous êtes bien gentil pour Industrie Canada. Je n'aurais pas la même gentillesse. Laissons de côté cette question.
Vous dites que le régime d'indemnisation des travailleurs est un avantage social financé par les employeurs. Les employés paient-ils également des cotisations pour financer ce programme?
M. Solomon: Je vous renvoie à notre exposé. Le régime d'indemnisation des travailleurs est le fruit d'un compromis historique. Ce fut le premier programme de sécurité sociale introduit dans notre pays, et il a donc précédé le RPC et l'AE. À ce moment-là, les gouvernements ont décidé que les employeurs paieraient les prestations des travailleurs.
Quand le RPC est entré en vigueur, la nouvelle formule était de 50/50. Ensuite est arrivée l'AE et le ratio a été ramené à 40/60, sauf erreur. Tout au long de l'histoire du Canada, les gouvernements n'ont cessé de changer ces formules. Par exemple, dans le cas de l'agriculture, le gouvernement fédéral finance à hauteur de 40 p. 100 et les provinces doivent absorber le reste, soit 60 p. 100. Au fil des années, différents gouvernements ont des points de vue différents sur les formules en question.
À la suite de ce compromis historique et en conséquence des travaux d'une commission royale, il a été convenu que les primes du régime d'indemnisation des travailleurs seraient payées entièrement par les employeurs, mais cela fait partie en fait du salaire des employés. C'est simplement que ce n'était pas défini comme tel.
Le sénateur Kelleher: Quand un employeur fait faillite, quelles sont vos obligations envers l'employé qui reçoit des prestations?
M. Solomon: Nous assurons le travailleur qui s'est blessé au travail, quoi qu'il arrive à son employeur. Certains groupes sont exemptés du régime d'indemnisation des travailleurs, par exemple les athlètes professionnels et, en Saskatchewan, les agriculteurs, bien qu'ils peuvent choisir de s'y inscrire, et dans d'autres provinces aussi.
Le sénateur Kroft: Je crois comprendre que la dernière fois qu'Industrie Canada a présenté le résultat de son examen, l'orientation générale consistait à réduire au minimum ou même éliminer complètement les modalités apparentées aux fiducies qui existaient dans le système.
Je comprends où le président voulait en venir avec ses questions; il essayait de mettre en perspective le ratio des pertes. Il semble bien, d'après les chiffres que nos attachés de recherche ont pu obtenir, même s'il peut y avoir des écarts d'un régime à l'autre, que ces pertes se situent aux alentours d'un demi à un pour cent.
Pour ce qui est d'Industrie Canada, je ne souscris pas aux propos de mon collègue le sénateur Kelleher en ce sens que le ministère n'a fait aucune recommandation. Ils nous ont donné une liste complète de questions. Si vous avez suivi les témoignages, vous aurez vu, dans le cadre de leur présentation, une liste de 35 à 40 questions qui, d'après eux, avaient été soulevées dans le cadre du processus de consultation.
Cette question n'apparaît pas sur la liste. Peu importe qu'ils soient pour ou contre, la question n'est même pas identifiée.
Quand j'examine les faits des conclusions précédentes sur la question de savoir si les ratios de perte sont un problème important, je me demande si le fardeau a été transféré. Les ressources disponibles ne sont pas infinies. Les fonds qui sont prélevés en un endroit doivent être compensés ailleurs. Si l'argent ne vient pas de vous, il viendra d'ailleurs. C'est la nature même du système.
À mes yeux, l'existence d'une loi sur la faillite et l'insolvabilité est un élément important de la politique publique par laquelle la société, au fil de nombreuses années, a décidé d'apporter une aide dans de telles situations, à la fois par compassion et pour des raisons très pratiques. S'il n'y avait pas d'aide et aucun régime de ce genre, les gens prendraient beaucoup moins de risques et ce ne serait pas souhaitable sur le plan économique et social.
Le fond de l'affaire, sur le plan de la politique publique, c'est d'établir un partage équitable du fardeau. Nous reconnaissons que nous voulons pouvoir compenser et aider les gens qui sont en détresse.
Nous voulons aider à répartir équitablement le fardeau des radiations ou des coûts qui sont engagés pour offrir cette aide. Cependant, ce que je ne comprends toujours pas, c'est le fond même de votre argumentation, quand vous dites que non seulement vous assumez une part trop grande du fardeau, mais qu'en fait, vous ne devriez pas assumer la moindre partie de ce fardeau. Si cet élément devient entièrement garanti ou fiduciaire, la conséquence serait que vous vous retireriez complètement du tableau. Qui assumerait le fardeau? Il serait transféré ailleurs, comme vous le dites, ou tout au moins le laissez entendre, vers les banques ou d'autres créanciers qui peuvent mieux se le permettre.
C'est un jugement arbitraire. Franchement, à voir les chiffres et la politique, je ne suis pas convaincu que le système actuel ne fasse pas de l'assez bon travail pour ce qui est de partager équitablement le fardeau.
De dire que toutes les banques ou tous les magasins à rayons et toutes les compagnies de cartes de crédit peuvent se le permettre, c'est facile à dire. Cependant, les gens mêmes que vous essayez d'aider par les régimes d'indemnisation des travailleurs se retrouveront à assumer le coût de tout cela sous forme d'un coût plus élevé pour ces services, ou de pratiques plus contraignantes en matière de crédit ou quoi que ce soit.
Y a-t-il un partage équitable du fardeau de l'existence d'un régime d'assurance pour atténuer les problèmes en cas de faillite et d'insolvabilité?
Franchement, je dois dire que je ne suis pas convaincu que votre situation particulière représente un fardeau injuste. Ma question est peut-être agressive. Je vous invite à répondre.
M. Solomon: Sénateur, je vous remercie pour votre question. C'est une question pertinente. Si j'applique votre logique jusqu'au bout, alors je suppose que le RPC et l'AE devraient être placés sur le même pied que les primes de la CAT, si vous voulez répartir le risque. Je voudrais toutefois faire quelques observations intéressantes.
Premièrement, les institutions de prêt peuvent déduire leurs pertes de leurs impôts. Les banques et autres institutions financières ne cessent de radier des centaines de millions de dollars pour les investir dans d'autres pays, évitant ainsi de payer de l'impôt sur le revenu au Canada. Est-ce juste? Si vous posez la question aux Canadiens, ils vous diront qu'ils n'aiment pas cela.
Pour ce qui est de l'indemnisation des travailleurs, nous sommes l'un des trois piliers d'un système qui protège les travailleurs. Notre système protège les travailleurs quand ils se blessent. Le RPC les protège quand ils prennent leur retraite ou sont frappés d'une invalidité majeure, et l'AE protège les travailleurs quand ils perdent leur emploi.
Au cours des 90 dernières années, les travailleurs ont négocié ces trois programmes de sécurité sociale. Nous ne croyons pas qu'il soit juste que nous nous trouvions à subventionner les institutions de prêt.
Le sénateur Kroft: Je rejette l'argument voulant que, parce que les deux autres programmes de sécurité sociale sont protégés, vous devez l'être aussi. Peut-être faut-il inverser la proposition. Nous devrions peut-être nous demander pourquoi les autres programmes sont protégés. Je préférerais aborder la question sous cet angle. Je cherche vraiment à appliquer les mêmes règles à tous.
Je pense aussi qu'il y a un certain fondement à l'argument voulant que les banques et les autres organisations du secteur privé qui fournissent des avantages sous forme de services et de crédits aux mêmes gens que vous contribuent également au système.
L'un de mes mentors d'il y a bien longtemps disait: «Marks et Spencer ont fait plus pour l'homme ordinaire que Marx et Engels». Nous devons examiner impartialement la situation de tous les intervenants du système. Je suis plutôt enclin à examiner la situation de ceux qui sont protégés par des fiducies, plutôt que de prendre la proposition par l'autre bout.
Le sénateur Moore: À la page 3 de votre mémoire, monsieur Lee, vous dites:
Actuellement, la réclamation d'une CAT en vertu de la LFI n'est pas garantie dans une faillite à moins que la CAT ait enregistré son intérêt dans un registre provincial de propriété personnelle. Même alors, son intérêt est subordonné aux garanties précédemment enregistrées.
Cela revient à la question posée par le président au sujet de l'échéancier. C'est bien sûr, l'intérêt a été enregistré par après. Préconisez-vous que la CAT ait la priorité absolue, passant avant toutes les autres créances garanties?
M. Solomon: Nous demandons d'avoir le même statut que le RPC et l'AE. Nous ne demandons pas une priorité absolue, mais simplement d'être mis sur le même pied que les deux autres institutions.
Le sénateur Moore: Voulez-vous dire sur le même pied dans le sens que c'est une fiducie?
Le président: Nous avons une protection statutaire, je crois, alors qu'ils n'en ont pas.
Le sénateur Moore: Ils n'en ont pas, en effet.
M. Solomon: C'est exact.
Le sénateur Moore: Votre argument est-il que vous considérez qu'il s'agit d'une fiducie et que vous devriez donc l'avoir vous aussi?
M. Solomon: L'AE et le RPC perçoivent des cotisations pour défrayer les coûts futurs. Ils mettent l'argent ainsi recueilli dans un fonds commun pour que les travailleurs soient protégés à leur retraite ou en cas de perte d'emploi. Nous recueillons des primes pour payer les futurs engagements financiers, qui comprennent les pensions, le remplacement des salaires et les frais médicaux.
Les commissions des accidents du travail sont les seules organisations au Canada qui sont exemptées de la Loi canadienne sur la santé, ce qui veut dire que pour dispenser des services de santé efficients à nos travailleurs blessés, nous pouvons établir notre propre système si nous le souhaitons. Chaque juridiction est différente. Certaines ont leurs propres établissements; la plupart font appel aux établissements publics.
Le président: On me dit que les grandes entreprises au Québec paient des primes mensuelles, tandis que le dépanneur du coin paie une fois par année. Peut-être que certaines petites provinces n'ont pas de grandes entreprises.
Il me semble que, dans le cas de ceux qui payent mensuellement, cela constitue un système de suivi automatique. Dès qu'ils manquent un mois, on sait qu'il y a un problème.
M. Solomon: C'est bien vrai. Chaque système a ses propres processus en place. Les compagnies de grande taille paient plus régulièrement. Si les petites entreprises paient une prime de 100 $ par année en fonction de leur masse salariale, il serait trop coûteux de répartir cette somme mensuellement. Pour les grandes entreprises, oui, c'est le cas.
Le président: Je dis simplement que les grandes entreprises payent et je suppose que ce sont ces entreprises qui vous causent des problèmes importants.
M. Solomon: En Saskatchewan, nous avons beaucoup de petites entreprises qui font faillite. L'effet cumulatif a été d'un peu plus d'un million de dollars au cours de cette période de quatre ans.
Le sénateur Biron: Vous avez dit que vous avez subi une perte de 175 millions de dollars. Si vous étiez un créancier garanti, quelle portion de ces 175 millions de dollars auriez-vous pu recouvrer, à votre avis?
M. Solomon: Nous pourrions en recouvrer la presque totalité.
Le sénateur Biron: Vous avez dit que les primes représentent une partie du salaire des travailleurs. À un moment donné, l'administrateur serait-il également responsable de ce qui est dû?
[Français]
Au Québec, les administrateurs sont responsables des salaires non payés. Vous dites que les cotisations versées aux commissions des accidents de travail c'est comme une partie de leur salaire. Éventuellement, demanderez-vous que les administrateurs soient aussi responsables du paiement des primes?
[Traduction]
M. Mah: Vous parlez de la responsabilité de l'administrateur. Que je sache, dans la plupart des provinces et territoires du Canada, il n'y a pas de responsabilité de l'administrateur à l'égard de l'indemnisation des travailleurs.
Le sénateur Biron: Allez-vous finir par le demander?
M. Mah: Si le problème du sous-financement et de la non-durabilité du système s'aggrave, alors les législateurs provinciaux devront peut-être bien envisager cette option. C'est bien sûr indépendant de notre volonté.
Le président: Dans votre réponse au sénateur Biron, vous avez dit que si les commissions des accidents du travail recevaient ce que vous demandez, alors les 175 millions de dollars seraient entièrement recouvrés.
M. Solomon: Oui, la presque totalité.
Le président: Vous laissez entendre que dans la plupart des cas de faillite, les créanciers garantis recouvrent 100 p. 100 de leurs créances. Je ne pense pas que ce soit le cas, bien que je ne sois pas en mesure de le dire parce que je n'ai pas les statistiques. Cela me semble toutefois douteux.
M. Solomon: C'est le cas, d'après les renseignements dont nous disposons. Je suppose que nous pourrions obtenir la réponse exacte des administrateurs du RPC et de l'AE.
Le président: Je vous invite instamment à tenter d'obtenir ce renseignement et à nous en faire part dans une lettre. Cela m'apparaît improbable. Je ne suis pas en mesure d'argumenter avec vous sur ce point, mais mon instinct me dit que ce n'est pas tout à fait exact.
M. Solomon: Nous obtiendrons ce renseignement à votre intention.
Le président: Messieurs, je vous remercie de nous avoir consacré de votre temps et je vous remercie pour votre patience et votre excellente présentation.
M. Lee: Merci, honorables sénateurs; nous vous sommes reconnaissants de nous avoir donné l'occasion de témoigner devant vous ce matin.
Le président: Nous entendrons maintenant nos témoins suivants, qui représentent The Writers' Union of Canada.
Madame Windsor, vous avez la parole.
[Français]
Mme Deborah Windsor, directrice générale, Union des écrivains du Canada: Je tiens à vous remercier de nous donner l'occasion de vous présenter nos opinions.
[Traduction]
Nous allons dresser un portrait qui vous fournira le contexte de notre proposition. Ce canevas fait clairement état de turbulences. L'année écoulée a vu des perturbations considérables de l'industrie du livre, notamment avec l'effondrement de l'empire de General Distribution Services (GDS). L'insolvabilité et la faillite éventuelle de GDS a eu des retombées catastrophiques sur les éditeurs qu'il distribuait et sur les auteurs publiés par Stoddard Publishing, propriété de General Publishing, qui n'a pas survécu mais n'a jamais déclaré faillite.
On nous a demandé de prodiguer des conseils sur la répartition du fonds d'urgence du gouvernement pour venir en aide aux auteurs. Un grand nombre d'entre eux ont perdu tous les fruits de leur travail pendant une période donnée et seule une poignée d'autres ont eu la chance d'en récupérer une partie. Au cours des dernières années, des changements, moins apparents, ont été causés par l'insolvabilité d'autres éditeurs, y compris Somerville House, Press Gang et Ragweed, avec une perte de redevances pour la plupart et le paiement très en retard de ces mêmes redevances pour quelques heureux. Plus récemment, en janvier 2003, Stewart House Publishing a déclaré faillite.
En raison de ses vastes répercussions sur un grand nombre d'autres éditeurs et auteurs, l'effondrement de General Publishing Services (GPS) a déclenché un extraordinaire mouvement d'aide de la part du gouvernement. Cependant, cette aide ne correspond absolument pas aux sommes nécessaires pour compenser les auteurs des pertes subies. Les éditeurs ont simplement reçu une avance sur leurs subventions, ce qui revient à un emprunt sur l'avenir.
Aucune aide gouvernementale n'est venue atténuer la disparition des autres éditeurs que nous avons mentionnés. La crise a un aspect encore plus sombre qui n'est pas souvent apparent. En 1998, le revenu professionnel net moyen des auteurs canadiens de livres travaillant à leur compte était d'environ 11 480 $. Ils vivent de graves difficultés lorsque leur éditeur, généralement leur seule ou leur principale source d'emploi, tombe en faillite ou devient insolvable. On dit qu'écrire dans notre pays devrait être considéré comme un violon d'Ingres et non comme une vocation. Les écrivains doivent avoir d'autres sources de revenu pour pouvoir écrire.
Lorsqu'un éditeur devient insolvable ou cesse de fonctionner effectivement, qu'il passe sous séquestre ou qu'il obtient du tribunal une protection contre ses créanciers, non seulement ses auteurs y perdent financièrement mais leurs oeuvres peuvent se retrouver dans les limbes pendant un certain temps puis, souvent sans leur consentement, finir entre les mains d'un éditeur qu'ils n'ont pas choisi. Habituellement, ils ne reçoivent pas de redevances et leurs livres se retrouvent sur les rayons de livres au rabais des libraires, où ils sont bradés à bas prix. Ces ventes profitent uniquement au créancier garanti, aux liquidateurs et aux libraires, ce qui bien souvent met fin à tout espoir de trouver un marché pour une nouvelle édition du livre, advenant que l'auteur ait eu la chance de récupérer ses droits ou de trouver un autre éditeur.
Mme Marian Dingman Hebb, avocate, Union des écrivains du Canada: Sans les créations des auteurs, l'industrie de l'édition n'existerait pas. Pourquoi les choses se passent-elles ainsi? Le droit existant — tant la législation que la jurisprudence — est peu clair et déroutant et ne protège guère les écrivains qui, actuellement, ne disposent ni de privilège ni de garantie et qui peuvent très rarement se permettre d'intenter des poursuites contre un syndic ou un séquestre qui conteste les droits qu'ils détiennent. La Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies ne mentionne aucunement les droits d'auteur et les livres, et la Loi sur la faillite et l'insolvabilité ne s'applique que rarement. Cependant, lorsqu'elle s'applique, la protection qu'elle offre aux écrivains est souvent limitée et souvent trop tardive. Un séquestre ou un syndic de faillite peut déjà avoir cédé les droits ou vendu l'inventaire, court-circuitant la réversion légale des droits, ce qui prive l'auteur de possibles revenus générés par les ventes et nuit aux possibilités futures de réimpression de son oeuvre. Nous souhaitons que nos recommandations relatives à la protection des écrivains s'appliquent à ces deux lois, si elles demeurent séparées.
Nous soutenons que les auteurs devraient être traités comme des créanciers privilégiés et qu'ils devraient avoir le droit de recevoir leurs redevances impayées de rang égal avec les salaires impayés des employés. Nous proposons qu'une disposition à cet effet dans la Loi sur la faillite et l'insolvabilité devrait être renforcée par une disposition dans la Loi canadienne sur les sociétés par actions, et dans les lois provinciales correspondantes, pour rendre les administrateurs des sociétés responsables conjointement et individuellement des redevances des écrivains. Cela rendra les éditeurs plus prudents quant à l'utilisation des redevances dues à des auteurs pour de nouveaux projets alors que leurs revenus futurs sont incertains.
Nous pensons également que les auteurs, bien qu'ils ne possèdent pas les exemplaires papier de leurs oeuvres, devraient être traités de la même façon que des fournisseurs impayés pour reprendre possession de leurs marchandises proportionnellement aux sommes impayées. La revendication d'un fournisseur impayé de reprendre possession des biens a préséance sur toute autre revendication. Les «marchandises» de l'éditeur recouvrent la propriété intellectuelle de l'auteur. Si cette propriété intellectuelle n'a pas été entièrement payée, l'auteur devrait disposer d'un privilège sur les livres équivalant aux redevances accumulées ou autres paiements en souffrance. Ce que nous demandons est comparable au droit particulier conféré aux agriculteurs et aux pêcheurs à l'article 81.2 de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, autrement dit une sûreté contre l'inventaire du failli pour garantir les montants de produits non payés.
Nous soutenons que les droits accordés à un éditeur en ce qui concerne les manuscrits non publiés et les livres publiés devraient retourner immédiatement à l'auteur en cas de faillite, sans qu'il doive payer et sans attendre. Le syndic de faillite ne devrait pas être autorisé à exécuter le contrat sans le consentement de l'auteur. En effet, l'édition est une entreprise fondée sur la créativité et il existe souvent des liens personnels étroits entre l'auteur et l'éditeur. Une maison d'édition ne peut être gérée par des économistes et des comptables sans risquer l'intégrité artistique et littéraire des oeuvres produites et mises en marché.
L'article 83 de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité prévoit la réversion des droits attachés à un ouvrage non publié sans coût financier à la charge de l'auteur si l'ouvrage n'est pas publié et qu'aucune dépense n'a été occasionnée par l'éditeur. Si des dépenses ont été occasionnées, l'auteur n'a droit à une réversion que s'il verse au syndic une somme suffisante pour couvrir ces dépenses. Si l'auteur refuse de payer lesdites dépenses, les droits ne lui reviendront uniquement si, après six mois suivant la date de la faillite, le syndic décide de ne pas exécuter le contrat. À ce moment, l'ouvrage pourrait être déjà désuet et avoir perdu de la valeur. L'auteur aura alors sans doute subi une perte de redevances ou les aura perçues avec retard.
Au cas où le livre est publié, l'auteur n'a apparemment aucun droit à une réversion de ses droits quelles que soient les circonstances, aux termes de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. Cependant, le syndic ne peut céder le contrat ou les droits d'auteurs ou accorder une licence sur l'oeuvre sauf en vertu de modalités qui garantiront à l'auteur les mêmes redevances.
Même si l'auteur est prêt à acheter tous les exemplaires ou si le syndic les vend tous à des libraires ou à des revendeurs, la loi n'exige pas expressément que le syndic cède à nouveau les droits d'auteur à l'auteur. Ce dernier est dans les limbes.
Nous estimons que le syndic ne devrait pas être autorisé à transférer ou à céder les droits d'auteur ou les intérêts qui y sont liés. La relation entre l'écrivain et l'éditeur est de nature personnelle et l'écrivain devrait être libre de faire ses propres arrangements de rechange pour la publication de son oeuvre. En fait, il devrait avoir le droit de choisir de ne pas être publié par un séquestre ou par un syndic de faillite ou par un éditeur qu'aurait choisi à sa place le séquestre ou le syndic.
Nous soutenons que les écrivains devraient être des créanciers garantis en ce qui concerne leurs redevances accumulées non payées en cas de séquestre ou de faillite. Leur garantie devrait être l'inventaire de leurs propres ouvrages sur lequel ils devraient avoir une priorité par rapport à tous les autres créanciers privilégiés et garantis, y compris les employés et les institutions financières. Évidemment, certaines de nos propositions sont interchangeables ou elles peuvent être réunies.
Lorsque l'auteur choisit d'acquérir l'ensemble ou une partie des exemplaires d'un ouvrage lui-même, il ne devrait être tenu de payer que le prix d'achat excédant les redevances impayées. Si le prix est inférieur aux redevances, ces dernières devraient être réduites d'un montant égal à celui de l'achat de l'auteur.
Si l'auteur choisit de ne pas acquérir l'inventaire de son ouvrage ou une partie de l'inventaire insuffisante pour couvrir les redevances qui lui sont dues, il devrait avoir le droit de recevoir les revenus produits par leur vente dans la mesure où ils correspondent à des redevances impayées. Cela reviendrait à un privilège de l'auteur sur les exemplaires reliés et les feuilles imprimées de son oeuvre.
En pratique, cela revient à donner à l'auteur la possibilité de prendre les ouvrages à la place des redevances. Cette option ne paie pas les factures ou le loyer, mais c'est mieux que rien, ce qui est généralement le lot de l'auteur en cas de mise sous séquestre ou de faillite.
Il est extrêmement important pour un écrivain d'être en mesure de contrôler l'inventaire de ses livres, car il pourrait s'avérer impossible de trouver un nouvel éditeur si ce dernier doit se trouver en concurrence directe avec le séquestre ou le syndic qui vendent leurs livres chez les libraires ou parfois qui se retrouvent sur les rayons de rabais, ou encore chez des grossistes.
À notre avis, les écrivains devraient avoir le droit d'acheter leurs livres immédiatement au prix déprécié vérifié de l'inventaire. Par la suite, ils devraient pouvoir acheter des exemplaires de leurs oeuvres au même prix que celui que le séquestre ou le syndic est prêt à accepter de toute autre personne, y compris un liquidateur.
Il arrive souvent que le syndic offre à un écrivain l'option d'acheter les exemplaires manufacturés ou destinés au commerce de son ouvrage. À première vue, cela peut sembler équitable, mais lorsqu'il s'avère que l'auteur ne peut se le permettre, les exemplaires sont vendus quelques semaines plus tard à un liquidateur pour 25 cents l'exemplaire. C'est injuste.
Le paragraphe 83(3) de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité exige du syndic de faillite qu'il offre à l'auteur l'option d'acheter les exemplaires manufacturés ou destinés au commerce de son livre conformément aux prix et conditions que le syndic peut juger justes et raisonnables, avant de les vendre à toute autre personne. Cela a été interprété comme une exigence selon laquelle l'auteur achète tous ses livres. S'il existe un inventaire énorme de plusieurs milliers de livres, l'auteur a le choix d'acheter la totalité des 3 000 exemplaires, mais il ne peut en acheter 250.
Nous soutenons que l'auteur devrait pouvoir acheter une partie de l'inventaire. En l'occurrence, le prix ne devrait pas excéder celui que le syndic est prêt à accepter de tout autre acheteur, y compris le liquidateur.
Le prix d'achat des livres vendus à l'auteur devrait être réduit en fonction du montant des redevances impayées, et l'auteur devrait avoir le privilège essentiel d'acheter ses livres à un prix raisonnable qui n'excède pas celui qui serait demandé de toute autre personne.
Si tous les exemplaires de l'ouvrage de l'écrivain ne sont pas acquis par lui, il devrait exister une obligation juridique à la charge de l'acheteur des ouvrages de payer une redevance non inférieure à celle stipulée dans le contrat passé entre l'auteur et l'éditeur failli.
À notre avis, un syndic de faillite ou un séquestre qui décide de continuer à vendre les ouvrages d'un auteur devrait être tenu de payer à ce dernier les redevances dues sur les livres vendus précédemment et qui sont collectés par le syndic ainsi que les redevances sur les exemplaires vendus par le syndic ou le séquestre. Autrement dit, si le syndic effectue la vente, l'auteur touchera des redevances; toutefois, si le syndic se borne à recueillir l'argent des ventes effectuées par des libraires ou autres, l'auteur ne touche rien.
L'applicabilité de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité aux contrats d'édition demeure incertaine, même si la loi est formulée en termes simples. Lorsque les droits d'auteur demeurent la propriété de l'écrivain, un tel accord est résilié par la faillite de l'éditeur. Le syndic de faillite ne peut continuer la publication des ouvrages; cependant, il aura le droit de se défaire du stock disponible.
Lorsque les droits d'auteur ont été cédés à un éditeur, l'article 83 régit la réversion des droits d'auteur et les droits du syndic d'exécuter le contrat ou de céder les droits d'auteur. Cependant, de nombreux contrats, sinon la plupart, pour la publication d'ouvrages sont des accords de licence plutôt que des cessions de droits d'auteur. La question de savoir si un accord d'édition constitue une cession partielle des droits d'auteur ou un accord de licence en vertu duquel l'auteur conserve les droits d'auteur reste parfois peu claire.
En pratique, les syndics peuvent contester qu'une licence exclusive porte un intérêt dans un droit d'auteur. Bien que cela ne constitue manifestement pas une cession des droits d'auteur en vertu de la Loi sur le droit d'auteur, c'est peut- être le cas aux termes de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité; personne ne le sait vraiment. D'après mon expérience, les syndics sont toujours réticents à reconnaître qu'il y a eu réversion des droits de l'auteur.
Quant au paragraphe 83(2) de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, il est, pour dire le moins, extrêmement déroutant. Il stipule que le syndic a le pouvoir de vendre l'ouvrage publié ou d'en autoriser la vente ou la reproduction d'exemplaires moyennant des conditions qui comprennent le paiement de redevances à l'auteur. C'est une disposition importante car elle garantit à l'auteur le versement de redevances provenant des ventes effectuées sous la tutelle du syndic. Toutefois, s'applique-t-elle dans les cas où les droits ont été rendus à l'auteur u fait que l'accord est un accord de licence?
Ainsi, l'inapplicabilité de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité peut profiter, ou non, à un auteur selon les circonstances. Le livre est-il publié? Quel est le sort réservé à l'inventaire? Si elle est applicable, la loi pourrait susciter un renoncement rapide aux droits d'auteur ou les envoyer dans les limbes pour une durée déterminée ou indéterminée.
En plus de la confusion liée à l'application de l'article 83, l'article 65.1 prévoit également qu'en cas de dépôt d'un avis d'intention de déposer une proposition ou d'une proposition à l'égard d'une personne insolvable, il est interdit de résilier ou de modifier un contrat conclu avec cette personne au seul motif que la personne en question est insolvable. Les ordonnances des tribunaux rendues en vertu des deux mesures contiennent également parfois des interdictions visant à empêcher toute personne, y compris les auteurs, d'exercer leurs droits à la suite du défaut du débiteur. Par conséquent, toutes les protections que l'auteur aura négociées dans son contrat ne valent plus rien.
Que l'une ou l'autre loi soit applicable, la plupart des auteurs perdront des redevances. Ils seront tous mêlés à la faillite de leur éditeur s'il reste un inventaire. Mais ce qui préoccupe le plus tous les auteurs c'est que le plus souvent, l'incertitude continuera d'entourer leurs droits.
Mme Windsor: Ce portrait de l'insolvabilité est pathétique et injuste. Les auteurs sont les piliers de toute l'industrie de l'édition. Sans eux, elle n'existerait pas.
En conclusion, nous vous demandons d'accorder une attention sérieuse à nos propositions car elles feraient beaucoup pour rectifier la situation.
Le sénateur Kelleher: Je voudrais revenir sur certains paragraphes de votre mémoire et vous poser quelques questions. Selon vous, l'auteur devrait être autorisé à acheter une partie seulement, et non nécessairement la totalité, de tous ses ouvrages, à un prix égal à celui que le syndic pourrait obtenir ailleurs. L'achat d'une partie des ouvrages par l'auteur et du reste par un autre éditeur ne diminuerait-il pas le prix que l'autre éditeur serait prêt à payer?
Mme Dingman Hebb: Vous voulez dire parce que l'autre éditeur n'obtiendrait pas la totalité des ouvrages? Si l'auteur n'achète qu'une partie de ses ouvrages, c'est sans doute dans l'intention de les vendre à l'occasion de lectures et en pareil cas, il n'en prendra vraisemblablement pas beaucoup. D'après mon expérience, si l'auteur est en mesure d'en prendre suffisamment pour faire concurrence à l'autre éditeur, il préférera probablement les prendre tous car aucun éditeur ne voudra s'approvisionner auprès d'une source concurrente. Contrairement à ce qui se passe dans la plupart des autres secteurs, lorsqu'on vend un ouvrage dans le monde de l'édition, ce n'est pas véritablement une vente; il peut y avoir des ouvrages retournés. Sur le marché, personne ne saurait à qui rendre ces livres car ils sont tous identifiés par des ISBN. Ils sont rendus à l'éditeur original; ils reviennent au syndic. Je ne pense pas que cela serait un problème.
Le sénateur Kelleher: Je vous laisse y réfléchir.
Vous donnez à entendre dans votre mémoire que les auteurs devraient être considérés comme des créanciers garantis pour ce qui est des redevances impayées et que leurs propres ouvrages devraient constituer une garantie qui aurait priorité sur toutes les autres. Si cette proposition était adoptée, le financement des éditeurs par des moyens conventionnels ne deviendrait-il pas quasi impossible?
Mme Dingman Hebb: J'ai énormément réfléchi à cette question et je n'ai pas trouvé de réponse idéale. Vous avez raison. L'actif d'une maison d'édition se résume souvent à un immeuble dont elle est parfois propriétaire. C'est là son principal élément d'actif. Viennent ensuite l'inventaire et les droits contractuels. Cela dit, l'inventaire en est un gros morceau. Le financement des éditeurs dépend de leurs propres actifs, de leurs ventes potentielles et des banques. D'une certaine façon, ils empruntent les redevances qu'ils doivent à l'auteur. Auparavant, ils versaient des redevances une seule fois par année. En partie à la suite des pressions exercées par The Writers' Union, l'usage veut que l'on paie des redevances une fois l'an, de sorte que la trésorerie de l'éditeur est constituée des redevances des auteurs.
Le président: Vous avez parlé d'une fois l'an dans les deux cas. Qu'entendiez-vous par là?
Mme Dingman Hebb: Une fois par année ils...
Le président: Vous avez parlé ensuite des pressions exercées par votre union.
Mme Dingman Hebb: À la suite des pressions que nous avons exercées, il est maintenant courant pour les éditeurs de verser des redevances deux fois par an. Ils devraient le faire plus souvent. En fait, il faudrait qu'ils le fassent sur une base trimestrielle, mais ce n'est pas le cas. C'est une source de financement très importante pour l'éditeur.
Lorsque les banques prêtent aux éditeurs, elles devraient examiner leur situation de près pour s'assurer qu'ils seront en mesure de... et je suis très favorable à ce que les banques prêtent de l'argent aux maisons d'édition. Nous ne voulons pas décourager cette pratique, parce qu'il s'agit là de liquidités nécessaires, mais certains éditeurs s'endettent trop et semblent oublier qu'ils devront verser des redevances à leurs auteurs deux fois par an. Auront-ils suffisamment d'argent dans leur compte en banque pour payer les auteurs? Les maisons d'édition devraient fonctionner de façon à toujours avoir suffisamment d'argent pour respecter leurs obligations périodiques envers l'auteur.
Le sénateur Kelleher: Il est bon que vous y ayez réfléchi.
Mme Dingman Hebb: Cela signifie que vous n'avez pas aimé ma réponse.
Le sénateur Kelleher: Non, je n'ai pas dit cela. J'essaie d'être gentil. Ce n'est pas vraiment dans ma nature, mais je m'y efforce.
D'après votre mémoire, toutes les redevances impayées devraient avoir un statut de créances privilégiées ou garanties analogues à celui des salaires ou fournitures impayées. Cependant, les salaires impayés comportent un plafond de 2 000 $ tandis que les fournitures impayées sont limitées à celles qui ont été livrées au cours des 30 derniers jours. Envisageriez-vous un plafond semblable pour les redevances des auteurs et, dans l'affirmative, sous quelle forme?
Mme Dingman Hebb: Je n'ai pas proposé qu'il y en ait un, mais nous pourrions envisager une telle possibilité. S'il s'agissait d'un livre comme Harry Potter...
Le sénateur Kelleher: C'est de la tricherie. N'importe qui peut vendre Harry Potter.
Mme Dingman Hebb: Vous conviendrez que les redevances accumulées pourraient être considérables, mais c'est une situation inhabituelle. Je n'ai pas vraiment réfléchi à la question de savoir s'il devrait y avoir un plafond à cet égard, mais je pense que cela pourrait être une suggestion raisonnable à un moment donné.
Le sénateur Kelleher: Si vous avez des idées à cet égard et que vous pouviez nous les communiquer, cela serait utile.
Mme Dingman Hebb: Pour ce qui est de votre argument, je ne pense pas que l'on puisse comparer la propriété intellectuelle à une marchandise comme les autres. À mon avis, cela n'a aucun sens. L'entente de livraison est conclue au moment de la signature du contrat, ce qui est probablement deux ans avant la parution du livre. Par conséquent, il ne devrait pas y avoir de limite à cet égard, sinon le processus ne fonctionnerait pas.
Dans votre mémoire, au sujet de la réversion de droits, vous affirmez que le syndic de faillite ne devrait pas être autorisé à exécuter le contrat sans que le consentement de l'auteur et que les droits accordés à un éditeur en ce qui concerne les manuscrits non publiés et les livres publiés devraient retourner immédiatement à l'auteur en cas de faillite.
Est-il courant qu'un écrivain cède à un éditeur ses droits d'auteur sur un actif aussi précieux?
Mme Dingman Hebb: Non, ce n'est pas la pratique courante dans l'édition spécialisée, mais plutôt dans l'édition pédagogique, qui représente une grande part du marché également. Dans l'édition pédagogique, cette situation est plus généralisée.
Le sénateur Moore: Quelle est la part respective du volet pédagogique et du volt spécialisé? Comment se répartissent- ils le marché? Moitié-moitié? Le savez-vous?
Mme Dingman Hebb: Je pense que le secteur pédagogique a plus de poids car on y retrouve certaines sociétés multinationales qui publient de gros manuels. À cet égard, l'un des problèmes est de savoir s'il y a eu cession du droit d'auteur car dans la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, on fait référence au droit d'auteur ou à un intérêt. Les auteurs de manuels scolaires affirment évidemment qu'il n'y a aucun problème s'il n'y a pas eu cession du droit d'auteur. Cela ne semble pas être l'interprétation qu'en font les syndics.
Le sénateur Moore: Je ne comprends pas cela. Je suis d'accord avec votre position à cet égard. L'auteur n'inclurait-il pas dans son contrat avec l'éditeur qu'il conserve la totalité de ses droits d'auteur sur ses ouvrages?
Mme Dingman Hebb: Bien sûr.
Le sénateur Moore: Comment les syndics peuvent-ils penser qu'ils ont acquis cet actif? Cela n'a pas de sens pour moi.
Mme Dingman Hebb: Les syndics pensent effectivement qu'ils ont acquis cet actif et ils ne semblent guère prêter attention aux clauses du contrat. Ils semblent croire que d'une certaine façon, la Loi sur la faillite et l'insolvabilité s'applique de façon globale à toute la situation et qu'il n'est pas nécessaire de se préoccuper des contrats.
Bon nombre de mes collègues juristes ont aussi des discussions à savoir quels types de clauses de faillite il convient d'inclure dans les contrats pour obtenir des résultats. The Writers' Union recommande une clause portant qu'en cas de faillite ou de mise sous séquestre, les droits retournent automatiquement à l'auteur. Nombreux sont ceux, parmi mes collègues, qui pensent qu'une telle clause sera complètement ignorée par les syndics, et je peux attester que c'est le cas. Même face à un libellé précis, comme la réversion des droits intervient une minute avant l'entrée en scène du syndic ou l'auteur peut racheter ses ouvrages pour 1 $, les syndics semblent tout simplement l'ignorer.
Le sénateur Moore: Je ne vois pas comment ils peuvent agir ainsi. Si vous avez un accord écrit, vous avez un contrat. Il existe des lois dans notre pays. Je ne vois pas comment ils peuvent s'approprier l'actif d'un auteur et le céder à un tiers ou le transférer. Ils ne peuvent pas faire cela.
Mme Dingman Hebb: Ils font également fi de la clause sur la cession des droits. J'ai lu dans les recommandations de l'Institut d'insolvabilité du Canada, peut-être que c'était simplement l'une des recommandations que vous a présentées un groupe de témoins, qu'il convenait d'ignorer les clauses qui interdisent la cession d'un contrat et qu'il faudrait établir clairement que de telles clauses sont annulées par la Loi sur la faillite.
Le sénateur Moore: C'est renversant. Cela me dépasse.
Vous affirmez que l'auteur devrait pouvoir racheter ses livres et vous parlez du prix d'achat. Le prix d'achat devrait- il correspondre au prix de détail suggéré dans le commerce, moins 40, auquel on soustrairait ensuite les redevances impayées? Quel est le prix de base à partir duquel vous faites vos calculs? Moins 40?
Mme Dingman Hebb: Ce serait le prix du gros. À mon avis, ce devrait être le prix du manufacturier. C'est le prix qui serait juste, à mon avis, et il arrive parfois que cela se fasse, mais pas lorsque l'auteur veut racheter ses livres parce que l'éditeur connaît des difficultés financières.
Le sénateur Moore: Combien en coûte-t-il à l'éditeur de faire imprimer et relier un livre?
Mme Dingman Hebb: Nous proposons, en cas de difficultés financières, de retenir le prix déprécié vérifié.
Le président: J'aimerais mettre les choses en contexte pour que nous puissions mieux comprendre vos propositions. La plupart des écrivains que vous représentez sont-ils — et je ne sais pas trop comment formuler cela — des écrivains modestes?
Le sénateur Moore: Qui tirent le diable par la queue?
Mme Windsor: Non. L'Union des écrivains du Canada représente des écrivains professionnels. Un écrivain professionnel se définit comme quelqu'un qui a écrit un ouvrage publié par une maison d'édition sérieuse et non par une maison d'édition à compte d'auteur. Nous comptons parmi nos membres de jeunes auteurs, des gagnants du prix Giller, des gagnants du prix du gouverneur général, des auteurs connus, ainsi que de nombreux professeurs pour qui l'écriture est un à côté et d'autres qui sont véritablement des artistes qui tirent le diable par la queue et qui crèvent de faim.
Le président: Je pense qu'on peut affirmer sans crainte de se tromper que l'industrie de l'édition au Canada est très précaire, n'est-ce pas?
Mme Windsor: Tout à fait.
Le président: Bon nombre des meilleures maisons d'édition ont fait faillite. Au cours de ma carrière, la société que je dirigeais il y a environ 25 ans a aidé la maison d'édition McClelland & Stewart Ltd. à rester à flot, en collaboration avec le gouvernement de l'Ontario. Nous avons offert nos services gratuitement; ce n'était pas un investissement d'affaires. N'est-il pas aussi vrai qu'un «best-seller» au Canada est un livre qui se vend à 5 000 exemplaires?
Mme Dingman Hebb: C'est exact, mais de nombreux livres ont un meilleur tirage.
Le président: Je ne dis pas le contraire, mais les éditeurs de manuels et de publications spécialisées sont autorisés à faire de l'autopublication, n'est-ce pas?
Dans bien des cas, les maisons d'édition qui publient des manuels, des publications spécialisées ou d'autres ouvrages du genre font de l'autopublication, n'est-ce pas?
Mme Dingman Hebb: Qu'entendez-vous par «autopublication»?
Le président: Ils possèdent leur propre maison d'édition.
Mme Dingman Hebb: Je ne pense pas. Vous parlez de LooneySpoons ou du type qui a écrit Lemon-Aid?
Le président: McGraw-Hill, par exemple.
Mme Dingman Hebb: Comment pouvez-vous parler d'autopublication?
Le président: McGraw-Hill publie ses propres livres.
Mme Dingman Hebb: C'est juste.
Le président: Vous n'avez rien à voir avec ces maisons d'édition?
Mme Dingman Hebb: Certains de nos auteurs y sont représentés.
Le président: Je comprends, mais ce ne sont pas ceux qui sont en situation précaire. Je ne vous critique pas; j'essaie de mettre les choses en contexte. Tout ce que je dis, c'est qu'un grand nombre de vos membres font affaire avec des maisons d'édition dont l'existence est précaire?
Mme Dingman Hebb: C'est vrai, mais nous ne pensions pas que l'existence de General Publishing était précaire.
Le président: Non, je comprends, mais pour ce qui est de l'édition générale, il n'y a pas tellement de faillite dans ce secteur.
Mme Dingman Hebb: La maison d'édition appelée General Publishing a fait faillite.
Le président: Vous parliez de la société General Publishing; j'avais mal compris. Vous dites dans votre mémoire que l'industrie de l'édition n'existerait pas sans les auteurs, ce qui est un truisme. Le corollaire, je suppose, c'est qu'il n'y aurait pas d'auteurs sans maison d'édition?
Mme Dingman Hebb: Je ne pense pas que ce soit vrai. Si vous remontez 20 ans en arrière, il y avait au Canada de multiples petites maisons d'édition dirigées par des auteurs. Il y en a encore quelques-unes et certaines prennent de l'expansion. L'une des plus importantes, Anansi, a été achetée par General Publishing lorsqu'elle a commencé à avoir du succès. New West Press Co. Ltd. est une coopérative d'auteurs.
Par conséquent, même si les grandes maisons d'édition s'effondrent, il restera toujours des éditeurs. Toutefois, en pareil cas, il serait plus difficile pour un auteur d'assurer sa subsistance car un petit éditeur ou une coopérative d'édition dirigée par des auteurs ne sera pas en mesure de lui verser l'avance dont il a besoin pour passer deux ou trois ans à écrire son livre.
Le président: C'est l'argument que j'essayais de faire valoir, mais vous l'avez fait pour moi.
Par simple curiosité, pourriez-vous nous dire approximativement combien de personnes au Canada gagnent un revenu décent, année après année, en écrivant? Je ne parle pas des rédacteurs de manuels ou des chroniqueurs de journaux, mais bien d'auteurs. Avez-vous une idée?
Mme Dingman Hebb: Qu'entendez-vous par «revenu décent»?
Le président: Disons au moins 25 000 $ par an, ce qui n'est pas un revenu considérable mais acceptable.
Mme Dingman Hebb: Un certain nombre.
Le président: Pourriez-vous être plus précise?
Mme Dingman Hebb: Je ne sais pas exactement combien il y en aurait, mais il n'y aurait pas parmi eux un grand nombre d'écrivains qui vivent de leur écriture. Les écrivains d'occasion seraient plus nombreux car les magazines, et cetera, paient davantage.
Le président: Il y a une trentaine d'années, je me souviens d'avoir passé une soirée avec Michener, qui est évidemment un auteur à succès. Il m'avait affirmé qu'il n'y avait sans doute pas 20 romanciers qui vivaient de l'écriture. Je n'ai aucune idée.
Mme Dingman Hebb: The Writers' Union compte plus d'une vingtaine d'auteurs qui tirent un bon revenu de leurs écrits.
Le président: Ils écrivent des romans?
Mme Dingman Hebb: Pas nécessairement, des essais aussi. Vous parlez de romans seulement?
Mme Windsor: Si vous extrapolez à partir de ce chiffre de 20 par rapport au nombre d'écrivains professionnels à cette époque, et que vous prenez le même pourcentage et que vous l'appliquez au nombre d'écrivains professionnels qui existent aujourd'hui, je pense que le nombre d'écrivains est beaucoup plus considérable mais que le pourcentage d'écrivains «à succès» serait sensiblement le même.
Mme Dingman Hebb: Il y a une vingtaine d'années, The Writers' Union comptait 350 membres; aujourd'hui, elle en a 1 400. Au début, la plupart des auteurs étaient des romanciers, et une poignée d'entre eux auraient gagné leur vie en écrivant.
Le président: Je suis en conflit d'intérêts. J'écris un livre qui paraîtra en octobre, mais je ne suis pas membre de votre organisation.
Mme Windsor: Tant que vous n'êtes pas publié, vous n'avez pas le droit d'en être membre, mais une fois que vous le serez, nous aimerions beaucoup nous entretenir avec vous.
Le président: Je suis publié par McGill-Queen's Press.
Le sénateur Kroft: J'aimerais en savoir un peu plus long à ce sujet, pour mieux comprendre la politique du gouvernement. Souvent, l'État doit intervenir pour s'assurer que dans la société les relations de pouvoir, si l'on peut dire, sont équilibrées.
Je me considère comme un lecteur sérieux et je suis ravi qu'en dépit du fait que depuis des décennies maintenant, on prédit la mort du livre à cause de la télévision, tout ce que nous entendons va dans le sens contraire — même les librairies sont plus grosses que jamais.
Il y davantage d'auteurs et davantage de livres qui forment, ensemble, une composante viable de notre économie. Néanmoins, diverses crises semblent se produire au niveau de ces relations de pouvoir. On se préoccupe de la difficulté qu'ont les écrivains à gagner un revenu décent. Des maisons d'édition semblent desservir un groupe fragile, et je ne parle pas des géants qui publient des manuels et des écrits scientifiques. Il y a aussi les détaillants, au sujet desquels le verdict n'est pas encore tombé. Il y a eu un fort mouvement de consolidation, mais reste à voir si les fusions survenues au pays auront du succès en raison de la guerre contre l'Internet. Y a-t-il un volet sûr dans l'ensemble de l'industrie?
Mme Dingman Hebb: Peut-être que non.
Le sénateur Kroft: En dépit du fait qu'il y a plus de livres et plus de gens qui achètent et lisent des livres, il semble acquis que toute la structure est fragile. Il n'y a pas de figure dominante — pas de victime ni de vainqueur précis. Ai-je raté quelque chose?
Mme Windsor: Je ne le pense pas. Je compare l'industrie à un système écologique. Nous aimons qu'il y ait des auteurs de toute stature, grands et petits, de façon à ce qu'il y ait toujours du sang neuf dans le système. Nous avons aussi besoin des petites maisons d'édition car c'est habituellement elles qui donnent aux nouveaux auteurs leur première chance, à moins qu'ils soient connus pour d'autres raisons. Nous avons besoin des grandes maisons d'édition pour que les auteurs reconnus au Canada reçoivent la reconnaissance internationale qu'ils méritent. Nous avons aussi besoin de petites et de grandes librairies pour que la librairie spécialisée ait sa place. C'est un système écologique qui exige un équilibre complet.
Notre organisation comprend cela et nous avons lancé une initiative pour renforcer l'industrie dans sa totalité. Cependant, nous avons la conviction que la pierre d'assise de tout cet édifice est le récit, sans lequel on ne saurait avoir de livres et sans lequel on ne saurait avoir de films. Le récit est le fondement de la culture canadienne. Par conséquent, c'est le pilier qui soutient tout le système écologique.
Le sénateur Kroft: Les observations de Darwin sont toujours valables dans ce système écologique?
Mme Windsor: Effectivement.
Le sénateur Kroft: Y a-t-il un groupe de créateurs, hormis les auteurs, qui sont dans une situation analogue? Faites- vous cause commune avec un autre groupe de façon à ce que nous ne rétrécissions pas trop le cercle? Où se situent les auteurs par rapport aux autres créateurs? Avons-nous raison de mettre l'accent spécifiquement sur les auteurs et les manuscrits? Y a-t-il d'autres cohortes?
Mme Dingman Hebb: Récemment, les tribunaux ont été saisis d'un cas intéressant. Même si l'article précis de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité invoqué avait été conçu pour venir en aide aux auteurs, le tribunal a jugé qu'il s'appliquait aux oeuvres musicales.
Le sénateur Kroft: S'appliquerait-il aux créations des auteurs de logiciels?
Mme Dingman Hebb: De façon plutôt arbitraire, le Canada et d'autres pays ont assimilé les logiciels à des oeuvres littéraires aux fins de la Loi sur le droit d'auteur. Cela a suscité énormément de débats. À mon avis, les logiciels sont uniques et ne constituent pas une oeuvre littéraire parce qu'ils ne racontent pas d'histoire.
Dans le document de travail du gouvernement présenté au comité, j'ai vu qu'il était question des logiciels. On en parlait comme d'un outil dont se servent d'autres entreprises — des programmes de soutien à d'autres entreprises. Si vous abordez ce problème, il vous faudra traiter les logiciels comme une entité séparée.
Le président: Merci, madame Hebb et madame Windsor.
La séance est levée.