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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 22 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 29 mai 2003

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 11 h 10, pour examiner l'application de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies.

Le sénateur E. Leo Kolber (président) occupe le fauteuil.

[Translation]

Le président: Nous accueillons deux témoins, M. Jacob Ziegel, qui est professeur à l'Université de Toronto, et M. Thomas Telfer, qui est professeur à l'Université Western Ontario.

Bienvenue, messieurs.

M. Jacob Ziegel, professeur à l'Université de Toronto: Monsieur le président et honorables les sénateurs, je suis heureux de comparaître devant vous aujourd'hui pour discuter des observations écrites présentées par M. Telfer, moi- même et cinq autres collègues qui enseignent dans diverses facultés de droit au Canada.

Nous espérons que nos propositions pourront aider le comité dans ses délibérations. Le groupe d'observateurs juridiques que nous formons n'a rien à gagner ni à perdre en se prononçant sur cette question.

Notre mémoire se divise en trois grandes parties: la première formule des considérations générales sur la réforme de l'insolvabilité, la deuxième traite de l'insolvabilité des entreprises, et la troisième, de l'insolvabilité des consommateurs.

Comme nous n'avons pas beaucoup de temps, je vais me concentrer sur les grands thèmes liés à chacune de ces rubriques. M. Telfer abordera des questions dont je n'aurai pas parlé et apportera un autre point de vue à certaines que j'examine.

Nous sommes d'abord et avant tout inquiets du fait que le gouvernement fédéral n'a pas présenté au comité sénatorial de propositions précises, ni même une série bien définie de projets de modifications pour la troisième étape de la réforme de la LFI et de la LACC. Il y a maintenant 33 ans que le Comité Tassé a formulé ses recommandations pour une révision complète de la législation canadienne sur l'insolvabilité, et pourtant la tâche est loin d'être terminée.

Même si le gouvernement fédéral présentait ses propositions de la phase 3 demain, il resterait encore des dizaines d'ambiguïtés, de lacunes et de dispositions périmées dans chacune des deux lois, plus particulièrement la LFI, qui est digne d'attention. Vous trouverez à l'annexe A des exemples de dispositions périmées.

Beaucoup de partenaires commerciaux du Canada ont réussi mieux que nous à moderniser leur législation en matière de solvabilité. Nous exhortons le gouvernement fédéral à assumer ses responsabilités politiques sans plus attendre.

Pour accélérer le processus de rédaction, nous recommandons également la création d'un petit comité impartial composé de spécialistes externes en matière d'insolvabilité, qui serait chargé, avec l'aide des ressources techniques voulues, de rédiger le nouveau projet de loi à soumettre à l'étude du gouvernement fédéral.

Parmi les nombreuses questions concernant l'insolvabilité des entreprises qui sont traitées dans notre document, il y en a trois qui justifient une attention particulière. D'abord, il est nécessaire d'intégrer la LFI et la LACC. En août 1996, j'en ai longuement discuté dans les observations que j'ai présentées à votre comité au sujet du projet de loi C-5.

Pour l'essentiel, les problèmes n'ont pas changé. L'intégration est nécessaire pour accroître l'efficacité, la prévisibilité et l'équité au moment de la réorganisation des entreprises. Les partisans du statu quo font souvent valoir qu'il faut que la LACC soit souple pour que les tribunaux aient assez de latitude dans le cas des grandes réorganisations. C'est un leurre. Les juges ne devraient pas avoir à inventer des solutions de toutes pièces. Ils doivent suivre des principes, des normes et, si nécessaire, des règles claires.

En 1997, des groupes d'intérêt n'ont pas hésité à proposer des dispositions précises à ajouter à la LACC. L'Institut d'insolvabilité du Canada a recommandé quelque 70 dispositions de plus, dont certaines étaient fort complexes. Évidemment, les attraits de la souplesse sont subjectifs.

Nous recommandons que le Canada adopte la loi type de la CNUDCI sur l'insolvabilité transnationale. Nous le recommandons, non pas parce qu'elle va régler tous les problèmes dans le domaine, car ce n'est pas le cas, mais pour montrer la bonne volonté du Canada en vue d'une plus grande harmonisation entre les États. Nous croyons que les règles de la loi type valent mieux que les règles schématiques énoncées à la partie 13 de la LFI et à l'article 18.6 de la LACC.

Enfin, au sujet de l'insolvabilité des entreprises, nous jugeons nécessaire l'adoption d'une loi sur les priorités de l'État, étant donné que la position actuelle est confuse. Il y a des dizaines de dispositions fédérales, provinciales et municipales qui accordent toutes la priorité ou la priorité absolue aux créances des autorités publiques et passent souvent outre aux intérêts en matière de sécurité. La jurisprudence, déjà volumineuse à ce sujet, continue d'évoluer. La Cour suprême a rendu plusieurs dizaines de décisions là-dessus.

Nous croyons que ce qu'on appelle la «loi sur les priorités de l'État» serait un bon départ. Cependant, rien ne peut être fait sans le soutien de la LACC et du gouvernement fédéral. Hélas, les autorités prétextent que le gouvernement fédéral doit protéger ses sources de revenu, surtout lorsqu'il s'agit de retenues à la source non versées et de sommes à percevoir. Nous ne remettons pas en cause ces objectifs importants, mais nous croyons qu'ils peuvent être atteints dans le contexte d'une loi sur les priorités de l'État.

Je vais maintenant parler de l'insolvabilité des consommateurs. Ce qui est un peu paradoxal dans ce cas-ci, c'est que le comité sénatorial bénéficie d'une série de recommandations formulées par le Groupe de travail sur l'insolvabilité personnelle, créé par le surintendant des faillites en 2000. Iain Ramsay, professeur à Osgoode Hall, et moi-même en ont fait partie. Il est important de dire que nous nous sommes opposés à certaines recommandations du groupe de travail et que nous avons jugé qu'il n'avait pas réussi à régler certains autres problèmes importants.

Le groupe d'universitaires a adopté la même approche divergente. Nous approuvons, par exemple, les recommandations concernant les exemptions fédérales facultatives dans le cas des faillites de particuliers, ainsi que celles proposant une approche plus tolérante à l'égard de la libération des dettes étudiantes. Nous refusons de permettre aux syndics de poursuivre des particuliers faillis qui leur doivent de l'argent s'ils n'ont pas de revenu excédentaire ou ont un revenu qui se situe au-dessous du seuil de la pauvreté officiel fixé par instruction par le surintendant, en vertu de l'article 68 de la LFI. Nous croyons en effet qu'il est contraire à l'intention du Parlement et à la politique publique que les débiteurs au seuil de la pauvreté qui ont été libérés d'une faillite aient toujours à rembourser les honoraires des syndics même s'ils n'ont pas de revenu excédentaire, conformément à l'article 68.

Nous sommes aussi inquiets du fait que les syndics continuent de remplir plusieurs fonctions incompatibles entre elles et doivent dénoncer leurs clients, les consommateurs, en vertu de diverses dispositions de la LFI.

Pour ce qui est des honoraires, d'après nous, la solution consiste, pour le gouvernement fédéral, à rétablir le programme qu'il a financé entre 1972 et 1978 avec l'AFSI pour les consommateurs au seuil de la pauvreté et qui, de l'avis général, était très utile. Comme nous l'indiquons dans notre mémoire, l'Australie a un régime encore plus simple et plus économique pour rendre le régime de la faillite plus facile d'accès aux consommateurs à faible revenu, et le Canada aurait grand avantage à l'étudier.

J'aimerais maintenant parler des services de consultation à l'intention des consommateurs insolvables et de la participation des créanciers au surendettement des consommateurs canadiens.

Dans notre mémoire, nous exprimons des doutes quant à l'utilité d'offrir des consultations à tous les consommateurs insolvables comme l'oblige la LFI comme condition préalable à la libération de faillite ou à la réalisation d'une proposition de consommateur. Nous ne recommandons pas d'abroger ces dispositions, mais nous faisons valoir qu'il faut par ailleurs enquêter sur l'octroi abusif de crédit par les fournisseurs de crédit et imposer des sanctions à ceux qui accordent de façon irresponsable ou clairement négligente du crédit à des débiteurs démunis ou déjà surchargés de dettes.

Les preuves à propos de cette pratique sont accablantes. Honorables sénateurs, demandez-vous combien de cartes de crédit vous ont été offertes par la poste l'an dernier sans que vous ne les sollicitiez, combien de fois les limites de vos cartes de crédit ont été augmentées sans que vous ne le demandiez, et combien de fois vous avez entendu des messages publicitaires offrant des biens et des services à crédit sans versement initial ni aucun paiement pendant un an ou plus.

Nous ne sommes pas les seuls à être inquiets de la situation à laquelle est attribuable en grande partie le surendettement fréquent des Canadiens. C'est un problème qui est aussi examiné de près au Royaume-Uni et qui a fait l'objet de propositions récentes au sein de l'Union européenne.

Malheureusement, le rapport du groupe de travail ne traite pas de la question même si elle a été soulevée à plusieurs réunions. Nous espérons sincèrement que le Sénat ne négligera pas de considérer cette question dans son rapport.

C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.

M. Thomas Telfer, professeur, Université Western Ontario: Merci de me donner l'occasion de comparaître devant vous aujourd'hui.

Je vais faire quelques brefs commentaires sur la réforme de la faillite et attirer votre attention sur trois sujets traités dans notre mémoire, à savoir les préférences suspectes, la responsabilité des administrateurs et les fournisseurs impayés.

J'ai enseigné à la faculté de droit de l'Université d'Auckland en Nouvelle-Zélande pendant huit ans avant de devenir professeur de droit à l'Université Western Ontario et, par conséquent, je fais certaines comparaisons entre les deux régimes.

J'aimerais d'abord souligner que, même si d'importantes modifications ont été apportées en 1992 et en 1997, la réforme sur la faillite a été fragmentaire. La réforme a porté sur certaines questions précises, mais il y a un certain temps que l'ensemble de la loi n'a pas été examiné.

Les origines de la loi actuelle remonte à la Loi sur les faillites de 1919 qui, elle, s'inspire de la loi anglaise de 1883. On retrouve encore dans la loi actuelle des influences de la loi du XIXe siècle. Nous soulignons certains de ces problèmes à l'annexe A de notre mémoire.

J'aimerais ensuite faire remarquer que le rapport d'Industrie Canada ne formule pas de recommandations précises en matière de politique. La réforme qui a abouti aux audiences d'aujourd'hui a donné lieu à la publication d'un certain nombre de documents de travail, dont certains datent de 1998.

La Nouvelle-Zélande a elle aussi entrepris une étude semblable de son régime en matière d'insolvabilité. L'étude a commencé en 1999 et, après la publication d'une série de documents de consultation, le ministre associé a annoncé des décisions de principe, et on s'attend à ce qu'un nouveau projet de loi soit déposé cette année.

J'aimerais parler plus en détail d'abord des transactions annulables, ou transactions avant faillite, dont il est question à la page 21 de notre mémoire. C'est un des sujets les plus controversés dans le domaine des faillites. Comme il n'y a jamais assez d'argent pour régler toutes les créances, la capacité du syndic d'accroître les biens en annulant les transactions avant faillite est un aspect très fondamental de tout régime de faillite.

Nous proposons dans notre mémoire de modifier différentes dispositions de la LFI à ce sujet. Nous aimerions entre autres qu'on modernise les dispositions en fiducie, expression que les tribunaux ont définie de façon restreinte. Il est aussi question dans notre mémoire du chevauchement des lois fédérales et provinciales.

J'aimerais mettre en garde le comité à propos du choix entre le statu quo, ou le critère de culpabilité conventionnel, et un critère plus moderne, fondé sur les effets, qui pourrait être adopté dans le cadre d'une réforme. À la veille d'une faillite, des débiteurs paient souvent un créancier préféré. Si ces paiements ne peuvent être contestés ou annulés, il se peut que le syndic n'ait rien d'autre à distribuer. Selon le concept conventionnel, le syndic a le pouvoir d'annuler la transaction quand elle est faite dans le but de procurer une préférence. Le critère de culpabilité figure à l'article 95. On a jugé que ce critère était vague, archaïque et difficile à appliquer.

Il vaudrait mieux adopter un régime fondé sur les effets. Le syndic qui annule une transaction préfère un créancier à un autre sans examiner les intentions.

Aux États-Unis et en Nouvelle-zélande, par exemple, on a abandonné le critère de culpabilité pour adopter un régime fondé sur les effets. Cependant, comme ce qui se passe dans d'autres pays le montre, les exceptions ou les défenses à l'égard du régime fondé sur les effets ont entraîné de nouveaux différends. Nous demandons dans notre mémoire s'il est possible de remplacer le critère de culpabilité par un critère fondé sur les effets sans causer plus de problèmes qu'on en règle.

En 1993, la Nouvelle-Zélande a abandonné le critère de culpabilité, qui est proposé ici, pour adopter un régime plus moderne fondé sur les effets. Cependant, les modifications apportées en 1993 n'ont pas répondu aux attentes et ont donné lieu à beaucoup d'incertitude et de conflits pendant 10 ans. Les modifications ont été tellement controversées qu'en 2001, le gouvernement de la Nouvelle-Zélande a annoncé qu'il rétablirait le régime de préférence au moment de la refonte à venir. Je souligne que c'est un choix de politique important et, si dans le cadre d'une réforme, le Parlement décide d'abandonner le critère de culpabilité, il faudrait accorder une attention particulière à l'élaboration d'un nouveau régime fondé sur les effets.

J'aimerais parler en deuxième lieu de la responsabilité des administrateurs à l'égard des salaires impayés. Nous recommandons dans notre mémoire que cette responsabilité des administrateurs à l'égard des salaires soit régie, en cas d'insolvabilité d'une entreprise, par une mesure prévue dans la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, mesure qui s'appliquerait de façon uniforme. Actuellement, cette responsabilité varie d'un endroit à l'autre du pays, autant pour ce qui est de la portée de la responsabilité que de la défense. Une disposition dans la LFI assurerait un traitement uniforme dans tout le pays.

Il y a un autre problème à ce sujet dont nous ne traitons pas dans notre mémoire et c'est la question de savoir s'il y a des sanctions appropriées quand le comportement des administrateurs peut nuire aux créanciers. Je répondrai volontiers aux questions là-dessus en me fondant sur ce que je connais de la Nouvelle-Zélande et des mesures législatives particulières adoptées dans ce pays.

Dans une décision qu'elle a rendue récemment, la Cour d'appel du Québec se demande si la Loi sur la faillite et l'insolvabilité doit prévoir des mesures précises au sujet des transactions répréhensibles ou irresponsables de la part des administrateurs.

En dernier lieu, j'aimerais parler de la question des fournisseurs impayés. L'article 81.1 permet à une personne qui a fourni des marchandises à un acheteur d'en reprendre possession dans les 30 jours suivant la livraison, si l'acheteur est un failli, que les marchandises peuvent être identifiées, qu'elles sont dans le même état qu'au moment de la livraison et qu'elles n'ont pas été revendues.

Ces dispositions qui datent de 1992 ne sont pas entrées en vigueur et sont considérées illusoires. Elles ne s'appliquent pas dans le cas d'une réorganisation, ce qui limite sérieusement leur utilité. Le droit du vendeur de reprendre possession des marchandises dépend en grande partie de ce que l'acheteur a fait de ces biens.

Le délai lui permettant d'exercer son droit est très court, dans le sens où, au moment où le vendeur se rend compte que l'acheteur a fait faillite, le délai pendant lequel il peut récupérer ses biens peut être à la veille d'expirer. La question est controversée parce que les fournisseurs impayés soulignent ces lacunes, tandis que les créanciers garantis s'opposent à toute réforme ou à tout recours parce que le droit de reprendre possession des biens affaiblit leur position. Après tout, les fournisseurs ont la possibilité d'accorder du crédit de façon garantie. Cependant, nous savons que, dans les faits, ce ne sont pas tous les fournisseurs qui vendent des marchandises sur garantie. Si des marchandises sont vendues sans garantie, on peut se demander si le Parlement devrait intervenir pour conférer le droit d'en reprendre possession quand l'acheteur fait faillite.

Je pense que le Parlement a fait un choix de principe quand il a adopté la disposition en 1992. Une réforme pourrait corriger les nombreuses lacunes de la loi, en prévoyant notamment un recours en cas de réorganisation et en examinant les délais pour que l'application du droit de reprendre possession des marchandises soit plus efficace.

Je répondrai volontiers aux questions que vous voudrez bien me poser.

Le sénateur Kelleher: Monsieur Ziegel, dans le premier paragraphe, vous dites que le fait que le rapport d'Industrie Canada ne formule pas de proposition précise vous inquiète.

Le rapport vous a-t-il déçu autant que nous? Industrie Canada nous a fourni une liste de 84 sujets de préoccupation regroupés par thème. Nous espérions recevoir des projets de proposition, mais nous n'avons rien reçu. Tout comme vous, nous nous sommes sentis abandonnés.

Il y a quelques semaines, nous avons entendu des représentants de diverses associations étudiantes, et l'un d'entre eux nous a demandé pourquoi ils étaient traités différemment des autres groupes de consommateurs.

On nous a proposé d'abolir la partie de la loi qui traite des prêts étudiants et de traiter les étudiants comme tout le monde. Qu'avez-vous à dire à ce sujet?

M. Ziegel: Nous approuvons la recommandation du groupe de travail qui permet la libération d'une dette étudiante cinq ans après la fin des études.

Nous approuvons également une autre recommandation énoncée dans le rapport du groupe de travail qui propose de permettre aux tribunaux d'écourter cette période encore davantage dans le cas de difficultés évidentes.

Nous n'approuvons absolument pas toutes les demandes des étudiants. Nous sommes conscients que les prêts étudiants sont financés par l'État. Ils n'entrent pas dans la même catégorie que les prêts consentis par une entreprise privée à des fins lucratives.

Nous comprenons que le gouvernement soit préoccupé par le fait de trop faciliter la libération des dettes étudiantes. En tant que membres du groupe de travail, nous avons cherché un compromis entre des intérêts divergents, et nous avons jugé que notre recommandation pour une libération après cinq ans semblait raisonnable.

Le Canada n'est pas le seul à avoir ce problème. On peut dire que la majorité des pays anglophones, sinon francophones, cherchent une solution à ce problème depuis un certain temps. D'autres pays imposent des restrictions à la libération des dettes étudiantes. Nous sommes tous aux prises avec le même problème et cherchons une sorte de compromis.

Le sénateur Kelleher: Vous recommandez de combiner la LFI et la LACC. Je connais un peu le domaine et je sais ce qui passe en Ontario. Il y a un juge qui tranche toutes ces questions et il agit parfois de façon un peu autoritaire. N'est- ce pas un bel euphémisme? À sa décharge, il faut dire que c'est attribuable en partie au fait que la LACC est tellement vague qu'elle ne lui offre aucune ligne directrice à suivre. Elle laisse le juge décider. Comment pouvons-nous régler ce problème?

M. Ziegel: Sénateur, quand j'ai comparu devant votre comité en 1996, j'ai formulé des observations précises à ce sujet et soutenu que les deux lois devraient être combinées. Le mémoire que mes collègues et moi avons présenté aujourd'hui dit la même chose.

Je devrais préciser, au sujet de l'intégration, que nous ne demandons pas que les mêmes règles s'appliquent aux grandes et aux petites réorganisations. Nous croyons qu'il est possible de tenir compte des différences entre les deux dans le contexte de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité qui a toujours été la principale, sinon la seule, mesure législative sur l'insolvabilité au Canada.

Je vous rappelle aussi que le comité de la Chambre des communes a recommandé, au moment de l'adoption de la loi modificative en 1992, que la LACC soit abrogée après trois ans. Elle ne l'a toutefois pas été, sans qu'on n'ait jamais expliqué officiellement pourquoi. C'est probablement parce que, dans l'intervalle, les professionnels se sont habitués à ce que les tribunaux adaptent la LACC à leurs besoins. À mon avis, on a sérieusement changé le cours de l'histoire de la loi.

Nous en sommes maintenant au point où il y a deux choses à faire. D'abord, les dispositions de la LACC doivent être intégrées à la LFI et, ensuite, si une partie distincte de la LFI est conservée pour les grandes réorganisations, comme on devrait probablement le faire d'après moi, il faut veiller à y inclure un ensemble complet de principes, lignes directrices et règles.

Comme vous l'avez bien fait remarquer, il est inacceptable qu'on demande à un juge de régler tous les problèmes. Si le juge consulte la loi, il n'y trouve rien pour le guider parce qu'elle n'énonce aucune règle ou principe précis. C'est pourquoi les tribunaux ont affirmé la «compétence inhérente de la cour» qui permet essentiellement au juge de trouver une solution aux problèmes dont il est saisi.

C'est une façon très particulière de régler les problèmes juridiques. À mon avis, elle n'est pas compatible avec notre conception de la règle de droit. Elle est très imprévisible pour les requérants. Elle est utile pour les débiteurs qui exhortent le tribunal à trouver une solution adaptée à leurs besoins, mais elle ne l'est pas pour les créanciers et les autres qui peuvent être lésés par la décision des juges.

Pour toutes ces raisons, mes collègues et moi préconisons, premièrement, l'intégration de la LFI et de la LACC et, deuxièmement, la correction des nombreuses lacunes qui existent dans la LACC.

Le sénateur Kroft: Nous avons entendu des exposés à la fois pour et contre plus de souplesse. Je comprends que vous ne voulez pas qu'on mélange tous les genres si on combine les deux lois.

Pour que nous comprenions un peu mieux, pourriez-vous nous indiquer deux ou trois domaines où l'absence de lignes directrices laisse le juge libre de tirer ses propres conclusions? Où pensez-vous qu'il peut être utile de préciser la loi?

M. Ziegel: Je vais vous donner plusieurs exemples d'actualité qui se sont présentés dans le cas d'Air Canada et de la restructuration d'une mine au Québec.

Je parle de savoir si le tribunal a le pouvoir d'autoriser la compagnie débitrice à ne pas respecter les conventions collectives. Actuellement, rien dans la loi ne traite du droit d'un débiteur de rompre des contrats en vigueur. À ce sujet, les tribunaux ont je serais tenté de dire inventé, même si c'est un peu péjoratif, mais du moins adopté des mesures qu'ils ont jugées nécessaires pour que la LACC fonctionne. Elle donne énormément de pouvoirs aux tribunaux.

Le code américain sur les faillites explique en détail le pouvoir des débiteurs de renoncer aux contrats en cas de faillite ainsi que de réorganisation. Dans le mémoire qu'il a présenté à Industrie Canada, l'Institut d'insolvabilité du Canada préconise que certaines précisions soient apportées à ce sujet.

La question de savoir si un tribunal devrait autoriser un débiteur à renoncer aux conventions collectives est un aspect très important du problème. Il me semble nettement déplorable qu'un juge ait à répondre à cette question d'une énorme importance pour les parties sans avoir aucune ligne directrice de la part du Parlement.

On peut comprendre que les syndicats soient très mécontents. Dans la récente décision dont j'ai parlé, la Cour d'appel du Québec a conclu, d'après les faits exposés dans cette affaire, que rien ne permettait au contrôleur de renoncer aux conventions collectives. La cour a également soulevé la question de savoir si le Parlement pourrait même l'autoriser à renoncer à ces conventions.

Il y a maintenant deux points de vue qui s'opposent: en Ontario, on présume que le juge a ce pouvoir et, au Québec, on remet tout ce problème sérieusement en question.

Il me semble que le Parlement doit définir des lignes directrices à ce sujet: c'est la solution évidente. Ces lignes directrices se trouvent dans le code sur la faillite des États-Unis.

Le problème, toutefois, sénateurs, réside dans le fait que le Parlement ne semble pas vouloir s'attaquer à ces questions d'ordre techniques, apparemment parce que les ministres ne voient aucun avantage politique à le faire.

Nous ne croyons pas que c'est la bonne façon d'aborder les problèmes d'insolvabilité. Ce sont des enjeux d'ordre juridique, social et économique qui doivent être réglés, et c'est au gouvernement qu'il appartient de le faire. Nous élisons des gouvernements pour s'occuper de ces problèmes et pas pour qu'ils les refilent aux tribunaux.

Il y a deux autres exemples. On s'est demandé dans le cas d'Air Canada si une ordonnance du tribunal limitant les mesures contre une compagnie débitrice engageait également les organisations émanant du gouvernement. Par exemple, le Bureau de la concurrence a tenu des audiences pour déterminer si Air Canada avait violé les dispositions de la Loi sur la concurrence concernant certaines activités avant faillite. L'article 11 de la loi ne traite pas de cette importante question. Bien souvent dans le cas des grandes réorganisations, il peut y avoir d'autres procédures non résolues.

L'Administration aéroportuaire de Winnipeg a aussi soulevé un problème. D'après elle, Air Canada a perçu des sommes d'argent importantes en droits d'aéroport qu'elle ne lui a pas remises. Cet argent appartient à l'administration aéroportuaire et non pas à Air Canada. Rien actuellement dans la loi ne fournit d'indication sur l'utilisation de fonds détenus par le débiteur en fiducie pour une agence gouvernementale.

Le financement du débiteur est un autre problème courant que la mesure actuelle passe sous silence. En pareil cas, le débiteur a besoin d'une ligne de crédit pour demeure en affaires. Cependant, pour obtenir une ligne de crédit, il doit pouvoir offrir une garantie à la banque. La banque veut non seulement une garantie à l'égard de tous les prêts postfaillite qui pourraient éventuellement être consentis dans le cadre de la restructuration de la compagnie, elle veut la priorité absolue. Autrement dit, elle veut avoir préséance sur les droits de sûreté existants. Quant aux tribunaux, ils sont divisés face à de telles requêtes. Certains tribunaux les accordent, d'autres non, et d'autres encore tentent de négocier une solution médiane entre ces deux extrêmes.

Les tribunaux ne devraient pas être obligés de s'interroger au sujet de la solution qu'il convient d'adopter. La loi devrait leur donner des directives claires.

J'espère que cela répond à votre question, sénateur.

Le sénateur Meighen: Je veux discuter de la question des salaires impayés et de la responsabilité des administrateurs. Au début de ma carrière d'avocat, il m'a été donné de siéger au conseil d'administration d'un magasin de vêtements bien connu de Montréal. Un jour, un huissier est entré dans mon bureau et m'a signifié un bref à hauteur de 865 000 $. À cette époque, tout comme maintenant, je n'avais pas ce montant dans mon compte en banque. J'ai été en mesure de me sortir de cette situation grâce à l'aide de notre conseiller, M. Yoine Goldstein. C'est dire qu'encore aujourd'hui, lorsque M. Goldstein dit quelque chose, j'écoute attentivement.

Mais c'est du passé. Je constate que depuis 12 ans que l'on discute de la protection des salariés, nous ne sommes pas encore parvenus à nous entendre sur la façon de régler le problème.

Vous avez évoqué l'élargissement de la Caisse d'assurance-emploi. Vous semblez privilégier cette option par opposition à un privilège sur l'inventaire et les comptes débiteurs de l'employeur insolvable.

Avez-vous des statistiques ou des données objectives montrant l'ampleur du problème des salaires impayés ainsi que les coûts probables de l'élargisement de la Caisse d'assurance-emploi?

M. Ziegel: Je suis loin d'être un expert dans le domaine, sénateur. Toutefois, le rapport d'Industrie Canada comporte certaines données statistiques. On y trouve un ensemble de prévisions au sujet du recours à la Caisse d'assurance-emploi. Une autre possibilité serait d'accorder un rang prioritaire aux salaires impayés.

Mes amis d'Industrie Canada me corrigeront si je me trompe, mais je crois que dans le cas de la Caisse d'assurance- emploi, on a estimé que les coûts en question seraient d'environ 20 millions de dollars par année. Pour ce qui est des privilèges prioritaires, le chiffre était sensiblement moindre, soit de l'ordre de 12 millions de dollars. Si ma mémoire est bonne, dans un cas comme dans l'autre, ce n'était pas une somme énorme.

Lors des audiences parlementaires de 1991, qui ont débouché sur des modifications législatives en 1992, on avait estimé que 10c. par semaine par employé serait suffisant pour permettre à la Caisse d'assurance-emploi de couvrir les salaires impayés. Je me souviens d'avoir rédigé pour le Globe and Mail un article destiné à la page en regard de l'éditorial dans lequel j'avais utilisé ce chiffre.

Nous n'envisageons pas de grands problèmes. À mon avis, c'était essentiellement une question de volonté politique. Comme je l'ai dit tout à l'heure, pour des raisons qui m'échappent, les politiciens semblent attendre un consensus. Ils ne sont pas disposés à bouger à moins qu'une solution en particulier recueille un appui écrasant. Aussi bien attendre Godot.

À mon avis, le temps est venu pour le gouvernement fédéral d'assumer ses responsabilités. La question des salaires impayés a été discutée ad nauseam. Nous avons sur le sujet un nombre incalculable de rapports qui ont coûté des centaines de milliers de dollars. Des comités sont même allés jusqu'en Europe de l'Ouest pour voir s'ils ne pourraient pas trouver une solution à ce problème. Nous avons de multiples précédents et des tonnes de renseignements. Il faut agir maintenant.

Le sénateur Meighen: Je n'aurais pas pu si bien dire moi-même.

Réuniriez-vous ensemble les salaires impayés et les cotisations à un régime de retraite impayées?

M. Ziegel: Je ne m'y connais pas suffisamment dans ce domaine. C'est un domaine plus complexe puisqu'il met en cause des fonds beaucoup plus importants. En outre, dans bien des provinces, les caisses de retraite tombent sous le coup de divers organismes de surveillance.

Avec votre permission, je n'essaierai pas de vous fournir une réponse précise à cette question.

Le sénateur Meighen: Nous allons essayer de faire bouger les autorités au sujet du problème fondamental des salaires impayés et, dans une autre tribune, à un autre moment, nous tournerons notre attention vers les cotisations impayées aux régimes de retraite.

Dans votre mémoire, vous souscrivez à l'idée d'une règle uniforme relative à la responsabilité des administrateurs d'une société insolvable. Vos commentaires s'appliquent-ils à la Loi sur les arrangements avec les créanciers de compagnies?

M. Ziegel: Pour ce qui est des salaires impayés?

Le sénateur Meighen: Oui.

M. Ziegel: Effectivement.

Le sénateur Meighen: Plus précisément, pour ce qui est de la responsabilité à l'égard des salaires impayés?

M. Ziegel: Oui, ce serait logique.

Le sénateur Meighen: Selon moi, c'est la LFI qui fait problème car, comme vous le faites remarquer dans votre document, elle prévoit divers degrés de responsabilité pour les administrateurs et de multiples possibilités de défenses.

N'avez-vous pas aussi affirmé que nous sommes en présence d'une impasse constitutionnelle puisqu'il s'agit d'un domaine de compétence provinciale? Si c'est le cas, mis à part les voeux pieux, avez-vous une solution magique à nous proposer pour rallier toutes les provinces?

M. Ziegel: Nous avons dit qu'il existe au doute quant à la constitutionalité de ce type de disposition. Nous n'avons pas précisé si nous partagions ce doute. Nous n'avions pas le temps de fouiller la question. Personnellement, je pense qu'on peut avancer des arguments convaincants. La question de la responsabilité des administrateurs à l'égard des salaires impayés a un lien suffisamment étroit avec l'insolvabilité que le gouvernement fédéral peut être justifié d'intervenir en raison de son pouvoir en matière d'insolvabilité.

Je n'ai pas l'intention de vous prodiguer des conseils professionnels. Le ministère de la Justice compte des experts des plus compétents qui pourraient facilement vous informer à ce sujet.

Cela dit, il existe un précédent en ce qui concerne l'intervention du gouvernement fédéral. En effet, la Loi sur les arrangements avec les créanciers de compagnies comporte une disposition, ajoutée en 1997, qui autorise la conclusion d'un arrangement avec les administrateurs de la compagnie, de même qu'avec la société débitrice. Il y est aussi précisé qu'un tribunal peut rendre une ordonnance suspendant toutes poursuites ou procédures à l'égard des administrateurs de la société.

Si cette disposition s'inscrit dans les limites des pouvoirs constitutionnels du gouvernement fédéral, nous sommes déjà sur la voie d'une solution, et le Parlement pourrait adopter une disposition uniforme concernant la responsabilité des administrateurs à l'égard des salaires impayés.

Le sénateur Meighen: Je suppose qu'en bout de ligne, notre moto devrait être: «Au diable les mines, fonçons à toute vapeur.»

M. Ziegel: Pas nécessairement. Tout ce que je dis, c'est qu'il faut régler le problème. Nous n'allons pas renoncer parce quelqu'un a évoqué un aspect constitutionnel.

Le sénateur Meighen: Si vous aviez le pouvoir de décider, accepteriez-vous une défense basée sur la diligence raisonnable de la part des administrateurs?

M. Ziegel: J'y serais ouvert, mais je ne peux pas parler au nom de mes collègues.

Pour ce qui est de ma philosophie personnelle, j'ai du mal à justifier que l'on impose une responsabilité stricte aux administrateurs au titre des salaires impayés, particulièrement s'il s'agit d'administrateurs de l'extérieur qui n'ont rien à voir avec le fonctionnement quotidien de l'entreprise. On peut, tout au plus, poser des questions pointues lors de l'assemblée du conseil d'administration pour s'assurer que les fonds sont disponibles pour satisfaire les revendications des employés.

Le sénateur Meighen: Monsieur Telfer, êtes-vous d'accord?

M. Telfer: Pour ce qui est de la diligence raisonnable, il faut savoir si ce concept s'appliquera strictement aux salaires impayés ou s'il aura une portée plus vaste.

Le sénateur Meighen: Je parle des salaires impayés.

M. Telfer: Je conviens que si l'on veut élargir la diligence raisonnable pour englober toute responsabilité, quelle qu'elle soit, cela soulève des questions plus sérieuses.

Le sénateur Kroft: Je veux revenir sur la comparaison avec les États-Unis. Vous signalez que le système américain comporte des directives précises concernant la rupture de contrats, par exemple.

Il est difficile de ne pas réciter la loi. Dans ces domaines, ne se trouve-t-on pas à laisser le pouvoir aux tribunaux, selon les circonstances? La législation peut-elle vraiment envisager toutes les combinaisons de circonstances possibles pour conférer un sens aux dispositions pertinentes? N'est-ce pas la raison pour laquelle, au Canada, on a souhaité maintenir une certaine souplesse, parce que les circonstances varient tellement? Ou y a-t-il des arguments tout à fait autres?

M. Ziegel: Je ne suis pas d'accord. Les Américains ont beaucoup plus d'expérience que nous dans ce domaine. Le chapitre 11 du American Brankruptcy Code examine en détail les problèmes en tous genres qui sont survenus au Canada. Dans l'ensemble, on y trouve des lignes directrices claires à l'intention des tribunaux américains.

Je ne pense pas me tromper en affirmant qu'on ne peut prévoir tout l'éventail des problèmes susceptibles de survenir lors d'importantes restructurations. Nous avons accumulé énormément d'expérience. C'est au fruit qu'on juge l'arbre.

Les mémoires soumis par l'Institut de l'insolvabilité du Canada comportent quelque 70 recommandations de changements à la loi. Bon nombre de ces changements visent des problèmes dont vous et moi avons discuté ce matin, sénateur.

De nombreux membres de l'Institut participent activement à des restructurations découlant de faillites. Par conséquent, ils parlent d'expérience et ils font état de leurs inquiétudes quant à l'absence de dispositions précises dans la mesure.

Les personnes qui oeuvrent sur la ligne de front partagent les préoccupations que nous évoquons dans nos mémoires.

Comme je l'ai dit tout à l'heure, je pense que c'est un faux problème. C'est une chose de dire que l'on souhaite avoir des dispositions distinctes pour les réorganisations d'envergure; je suis d'accord. À ce moment-là, la question qu'il faut se poser est la suivante: ces dispositions devraient-elles être intégrées ou non à la Loi sur la faillite et l'insolvabilité? Il me semble que c'est autre chose d'affirmer que l'on devrait avoir une mesure ouverte, ce qui laisse aux tribunaux tout le loisir d'édicter les règles à leur guise. En tant qu'avocat, je trouve cela inacceptable. Cela va à l'encontre de l'idée que je me fais du principe de la prévisibilité du droit et du concept de la règle de droit.

Le sénateur Angus: Je voudrais continuer à discuter de la Loi sur les arrangements avec les créanciers de compagnies et de ce que vous appelez les restructurations d'envergure. Si j'ai bien compris, la raison d'être d'une mesure de ce genre est de permettre à une grande société de survivre plutôt que d'être obligée d'accepter l'aliénation de son actif et de son passif. Si je ne m'abuse, c'était là la raison d'être du chapitre 11 de la législation américaine sur la faillite. C'est un seul chapitre.

Si j'ai bien compris vos propos ce matin, vous trouvez que le chapitre 11 a énormément de mérite et qu'il serait bon que nous ayons une mesure analogue. Est-ce juste?

M. Ziegel: Essentiellement, oui.

Le sénateur Angus: D'après moi, les témoins que nous avons entendus plus tôt ne semblent pas chauds à l'idée de mettre en oeuvre le chapitre 11. Pour ma part, je penche plutôt de votre côté, ne serait-ce que pour des raisons démographiques. Les États-Unis sont un pays immense et l'on a vu de nombreux exemples réussis de restructuration de grandes sociétés qui ainsi évité la liquidation.

Selon mon interprétation du chapitre 11, le juge a la possibilité d'ouvrir les conventions collectives et d'aller plus loin que nous. Manifestement, l'un des problèmes liés à notre profil actuel de restructuration, c'est que les syndicats représentent un élément considérable de la dette, soit quelque 3 milliards ou plus. Bien sûr, le juge tente la médiation et fait intervenir ses collègues — et c'est admirable —, mais en réalité, les syndicats ont la possibilité de se retirer de la partie.

Que pensez-vous de cela?

Je crois que M. Collenette examine, entre autres, la possibilité de modifier certaines lois afin de viser un secteur en particulier, au lieu d'opter pour une modification d'application générale. Encore là, j'estime qu'il est rationnel et souhaitable d'avoir des lois uniformes dans certains secteurs transfrontaliers. Ainsi, dans le domaine du transport routier, ferroviaire et aérien, il serait tout à fait logique que nous ayons la même loi qu'aux États-Unis car la plupart des créditeurs, par la force des choses, se trouvent aux États-Unis. Lorsqu'on déclare faillite ici, aux termes de la Loi sur les arrangements avec les créanciers de compagnies, je pense qu'il faut également déclarer faillite aux États-Unis et à ce moment-là, on est en présence d'un conflit entre deux lois.

Pouvez-vous me donner votre opinion sur le bien-fondé d'une modification de nos lois qui viserait à fournir des instructions spécifiques, par opposition à une modification d'application générale, ce qui semble avoir été mal accueilli par certains de nos témoins?

M. Ziegel: Premièrement, vous avez fort bien résumé la situation, sénateur. Vous avez posé deux questions distinctes. Premièrement, le Canada devrait-il adopter des dispositions analogues au chapitre 11? En principe, je dirais oui, mais je tiens à préciser que mes collègues et moi-même n'exigeons pas une copie conforme des dispositions du chapitre 11. Ce que j'ai dit tout à l'heure, c'est que le chapitre 11 aborde de façon beaucoup plus cohérente et systématique pratiquement tous les problèmes auxquels se heurte le Canada. Les États-Unis ont trouvé de bonnes solutions à ces problèmes et nous pouvons tirer parti de leur exemple. Leur expérience montre qu'il est possible d'avoir des dispositions spécifiques sans nuire pour autant à la possibilité de réussir des restructurations. À mon avis, la notion voulant que nous ayons besoin d'une loi ouverte qui laisse la prise de décisions aux juges est théorique; elle n'a pas de fondement dans la réalité.

Vous avez posé une question au sujet des conventions collectives. Vous vouliez savoir si nous devrions conférer aux tribunaux le pouvoir général d'autoriser le démantèlement de conventions collectives dont la portée se limite à un secteur en particulier.

À mon sens, cela fait appel à des jugements de valeurs fondamentales, ce qui n'est pas sans m'inquiéter. L'idée de laisser à un juge le soin de décider s'il convient d'imposer une restructuration d'envergure à un secteur ou d'opter pour le statu quo ne me plaît guère. Ce n'est pas tellement une question de respect des conventions collectives, car nous espérons être en mesure de convaincre les syndicats qu'il est dans leur intérêt d'accepter une modification des conventions collectives existantes. Faut-il recourir au pouvoir coercitif de l'État, par l'entremise des tribunaux, ou se fier au bon sens des parties en cause?

Cela implique des jugements de valeurs et, à mon avis, ce ne sont pas là des jugements qui doivent revenir aux tribunaux. C'est le rôle du Parlement. Lorsque les travailleurs ferroviaires font la grève, nous ne remettons pas le problème entre les mains des tribunaux. Le Parlement décide s'il y a lieu ou non d'ordonner un retour au travail pendant qu'un médiateur étudie les enjeux. De la même manière, je pense que nos juges ont droit à des directives spécifiques.

Restreindre l'application des dispositions à des secteurs particuliers semble un compromis raisonnable. Cependant, cela confirme l'argument que je réitère constamment, sénateur. Certains enjeux doivent être examinés par le Parlement. C'est d'ailleurs la raison d'être des parlements. Il ne s'agit pas de questions que l'on devrait confier aux tribunaux. Les juges n'ont pas demandé cette responsabilité, et s'il devait y avoir des conséquences négatives, on leur reprochera d'avoir tenté de s'attaquer à une tâche pratiquement insurmontable.

Le sénateur Angus: Comme vous le savez, notre comité fait partie du Parlement; nous oeuvrons au moins dans le milieu pertinent.

M. Ziegel: Je souhaite simplement que certains ministres sont à l'écoute. J'espère qu'ils ne se désintéressent pas du dossier en se disant qu'il ne leur rapportera pas de capital politique et qu'il vaut donc mieux laisser tout cela entre les mains des juges.

Le président: Vous avez répété cet argument à maintes reprises.

Le sénateur Angus: Je pense que nous sommes d'accord sur cette question. Voici ce que je considère un élément salutaire du chapitre 11. Le seul fait que la menace plane, qu'un juge peut rendre une décision, est une motivation pour les parties à s'entendre. Au Canada, les syndicats savent pertinemment que les tribunaux ne peuvent intervenir, de sorte qu'ils refusent tout simplement de jouer le jeu. À mon avis, c'est là le problème, et je pense que vous êtes d'accord avec moi.

M. Ziegel: À une exception près, sénateur. Je conteste votre hypothèse selon laquelle nos tribunaux n'ont pas ce pouvoir. Comme je l'ai dit tout à l'heure en réponse à une question du sénateur Kroft, à l'heure actuelle, il semble que nous soyons en présence de décisions contradictoires au Canada. Saisie de certains faits, la Cour d'appel a rendu une décision allant en ce sens, et nous supposons que dans l'affaire d'Air Canada, le tribunal pourrait, le cas échéant, autoriser la direction à rompre une convention collective.

Je veux être tout à fait juste envers le tribunal en ce qui concerne l'affaire Air Canada; le juge n'a pas encore rendu une décision. Une ordonnance a été émise, mais il s'agit d'une ordonnance ex parte. Elle a été contestée, car on ne sait pas si le juge Farley devra se pencher sur la question parce que les parties sont encore en train de négocier. Contrairement à vous, je ne crois pas que nous ayons une réponse ferme en ce moment.

Le sénateur Angus: C'est exact, et ce sera probablement un tribunal d'une instance supérieure qui devra émettre un jugement, et je m'attends à ce qu'une nouvelle décision soit rendue avant la fin de semaine en ce qui concerne cette affaire. Cela reste à voir. Ce serait beaucoup mieux si une décision claire était prise.

Le sénateur Meighen a soulevé la question de la responsabilité des administrateurs, qui a été débattue à fond et à propos de laquelle vous avez bien décrit votre point de vue. Vous avez dit que la LACC prévoit qu'un juge peut ordonner la suspension de poursuites intentées contre des administrateurs. Je crois que cette disposition concerne seulement les salaires et d'autres éléments uniquement durant la période de révision de cette loi. Ai-je raison?

M. Ziegel: Essentiellement, oui.

Le sénateur Angus: Le juge Farley lui-même a déclaré dans les journaux, ce qui est assez étonnant à mon avis, que les administrateurs sont préoccupés par leur responsabilité lors d'importantes restructurations. Pouvons-nous les blâmer?

Je crois que vous avez dit ne pas être d'accord sur la responsabilité stricte. J'espère que je vous ai bien entendu, car vos propos m'ont étonné. Cela concerne directement les salaires et les retenues effectuées par le gouvernement. Considérez-vous une défense basée sur la diligence raisonnable comme au moins un pas en avant?

M. Ziegel: Oui. J'ai signalé plus tôt que sur le plan philosophique j'appuie une défense basée sur la diligence raisonnable. Elle existe déjà dans de nombreuses lois, notamment dans la législation fiscale et dans les modifications apportées récemment à la Loi canadienne sur les sociétés par actions, je crois. Il existe donc des précédents.

Le sénateur Angus: Je suis ravi d'entendre que vous préconisez l'uniformité du droit, surtout lorsqu'il s'agit d'affaires multigouvernementales. Je crois savoir que dans la Loi canadienne sur les sociétés par actions, telle qu'elle a été modifiée récemment, il existe des dispositions en matière d'arrangements qui peuvent être appliquées au lieu de celles de la loi sur l'insolvabilité. Avez-vous des commentaires à formuler à ce sujet, et estimez-vous que ces dispositions sont logiques?

M. Ziegel: Je ne me suis pas penché sur les modifications apportées à la Loi canadienne sur les sociétés par actions en ce qui concerne les arrangements. Je sais par contre qu'au début des années 90, une ou deux compagnies en difficulté financière ont eu recours aux dispositions de cette loi en matière d'arrangements, craignant les répercussions de l'application des dispositions de la LACC. Elles devaient éviter à tout prix d'être déclarées officiellement insolvables. Il s'agissait de deux cas très particuliers.

Je ne suis au courant d'aucun cas récent de restructuration dans le cadre duquel les dispositions en matière d'arrangements de la LACC ont été invoquées. Je crois qu'il peut être difficile de les appliquer dans les cas de compagnies qui sont clairement insolvables et qui nécessitent un grand nombre d'ordonnances de la part du tribunal pour permettre l'annulation, la suspension ou la reformulation des contrats. Diverses questions sont actuellement examinées par les tribunaux en vertu de la LACC, mais non pas dans le contexte de la Loi canadienne sur les sociétés par actions.

Le sénateur Moore: Je m'intéresse à la partie de votre mémoire qui porte sur le conflit d'intérêts des syndics, à la page 29. Vous écrivez:

Toutefois, la législation sur la faillite est différente, car elle établit clairement que, une fois qu'il y a faillite ou que le débiteur a fait une proposition de consommateur, le syndic a des devoirs à l'égard des créditeurs du débiteur et du tribunal. Cela donne lieu à un conflit d'intérêts entre le devoir du syndic envers le consommateur et ses devoirs à l'égard des créditeurs et du tribunal. La LFI accentue le conflit, car elle comporte diverses dispositions qui exigent que le syndic fasse rapport aux créditeurs et au tribunal de la conduite du débiteur après la faillite (voir en particulier l'article 170.1), ce qui, par conséquent, force le syndic à trahir son propre client.

Vous dites que les recommandations formulées par le groupe de travail sur l'insolvabilité personnelle accroîtraient le conflit d'intérêts et qu'il n'existe aucune solution facile à l'impasse actuelle, mais qu'il est important que le Parlement prenne note de ce conflit d'intérêts.

Il y a deux semaines, nous avons reçu comme témoin M. Owen, de Omega One. Il a affirmé qu'il n'existait pas un conflit d'intérêts, mais plutôt une convergence des intérêts. C'est son point de vue sur la situation. À mes yeux, il s'agit d'un conflit d'intérêts. Je me demande si vos préoccupations seraient apaisées si les syndics étaient obligés d'informer par écrit les faillis éventuels, les consommateurs, que leur préoccupation première est de protéger les biens et les droits des créditeurs?

Vous avez déclaré n'avoir aucune solution à offrir, mais vous estimez qu'il est important que le Parlement se penche sur la question. Détenez-vous une déclaration écrite qui indiquerait à un consommateur à quoi s'attendre de la part de son syndic?

Il s'agit d'une question très importante, que vous avez de toute évidence longuement étudiée, alors vous devez avoir une idée des deux côtés de la médaille.

M. Ziegel: Je vous suis reconnaissant d'avoir soulevé le sujet. Vous avez tout à fait raison, mes collègues et moi- même estimons qu'il s'agit d'une question importante, surtout étant donné que ceux d'entre nous qui ont participé au groupe de travail sur l'insolvabilité personnelle n'ont pas réussi à persuader les collègues de la prendre au sérieux.

La solution idéale serait que le syndic ne prenne part au dossier seulement après que le consommateur ait demandé des conseils à une partie indépendante quant à savoir s'il devrait ou non déclarer faillite et de quel type de faillite il devrait s'agir.

Ce n'est pas de cette façon que le système fonctionne au Canada. À l'heure actuelle, les syndics conseillent énormément, ils encouragent et ils invitent les consommateurs endettés à les consulter à propos de leurs problèmes de dettes. Ils conseillent le consommateur sur la procédure à suivre pour régler ces problèmes, mais dès que le débiteur accepte les conseils et qu'il déclare faillite, le syndic change de chapeau, et on s'attend tout à coup à ce qu'il voit aux intérêts des créditeurs.

La façon de concilier les intérêts des créditeurs et des débiteurs n'est pas claire. Vous avez formulé une suggestion, la même que j'ai également exprimée sur une autre tribune, c'est-à-dire qu'il faudrait au moins exiger que le syndic remette au débiteur un document, préparé par lui ou peut-être par le Bureau du surintendant des faillites, au moment auquel il déclare faillite, afin qu'il comprenne clairement ce qui se produit une fois la déclaration faite et la nature de sa relation avec le syndic.

Mais je ne crois pas que cela soit suffisant. Je ne suis pas à l'aise avec le fait que le syndic, qui en sait beaucoup à propos du débiteur, doive préparer un rapport à l'intention du tribunal à propos de la conduite du débiteur, car parfois cette conduite peut contrevenir à la loi. En vertu des dispositions existantes, le syndic doit non seulement préparer ce rapport, mais il doit aussi formuler des recommandations au tribunal. Cela semble aller à l'encontre du fait que le syndic protège le consommateur, comme celui-ci le présume naturellement.

Dans notre mémoire, nous affirmons que le syndic devrait à tout le moins demeurer neutre lorsqu'il formule ses recommandations. Il devrait simplement citer les faits au tribunal et laisser à quelqu'un d'autre le soin de formuler des recommandations. Bien d'autres personnes, notamment le surintendant des faillites et les créditeurs, peuvent tirer leurs propres conclusions à partir des faits et indiquer au tribunal ce qui devrait se produire.

Mes collègues et moi-même estimons qu'il est contraire aux principes établis de la loyauté envers un client qu'un agent brise la confiance de son propre client, ce qu'est en fait le consommateur au moment de la procédure.

Le sénateur Moore: Vous avez mentionné qu'un tel document serait remis au consommateur au moment auquel il déclare faillite. Voulez-vous dire lors du premier entretien? Parlez-vous du premier entretien avec le syndic?

M. Ziegel: Oui.

Le président: Merci, messieurs.

La séance est levée.


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