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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 24 - Témoignages du 18 septembre 2003


OTTAWA, le jeudi 18 septembre 2003

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 11 heures afin d'examiner l'application de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies.

Le sénateur Richard H. Kroft (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Mesdames, messieurs, j'aimerais tout d'abord vous transmettre les excuses de nos collègues conservateurs. Ils ont été conviés d'urgence à une réunion tenue à 11 heures. Ils espèrent se joindre à nous plus tard, selon le déroulement de leur réunion.

Le sénateur Prud'homme: Je souligne, pour le compte rendu, qu'aucune règle n'interdit à notre comité, au contraire d'autres comités, de siéger même si les deux partis ne sont pas officiellement représentés.

Le président: C'est exact. Merci de cette précision.

Je voudrais maintenant souhaiter la bienvenue à nos invités d'Edmonton. Nous discuterons aujourd'hui par vidéoconférence avec M. Dunlop, conseiller spécial en droit de l'Alberta Law Reform Institute, et avec M. Lown, directeur de l'Institut.

Bonjour, messieurs. Je vous remercie de vous joindre à nous. Si j'ai bien compris, vous vous intéressez particulièrement à certaines parties de la législation à l'étude.

Avant d'aborder le corps de votre présentation, pourriez-vous prendre un petit moment pour nous expliquer ce qui vous intéresse particulièrement dans cette législation et comment cet intérêt est né. Qu'est-ce qui vous a amenés à venir témoigner devant le comité sur ce sujet? Cette explication nous situera en contexte.

M. Peter J.M. Lown, directeur, Alberta Law Reform Institute: Honorables sénateurs, merci de nous donner l'occasion de témoigner devant le comité. Ce matin, je parlerai au nom de l'Institut. Mon collègue, le professeur Dunlop, est un expert en la matière que l'Institut a engagé à titre de conseiller spécial sur cette question.

Je vous ai fourni, à l'endos du mémoire, certains renseignements sur l'Institut. Pour mieux le situer, il s'agit de l'organisme responsable de la réforme du droit albertain.

Avant d'amorcer un examen de la question, l'Institut a soupesé différents facteurs, dont la confusion possible au sujet de la saisissabilité dans certains cas, ainsi que l'apparente iniquité des règles de saisie changeantes selon la source du produit et selon les provinces, avec les problèmes qui peuvent s'ensuivre pour une population mobile.

Au terme de cette réflexion, l'Institut a décidé d'entreprendre l'examen de la question. Pour ce projet, nous avons retenu les services du professeur Dunlop, un expert reconnu du domaine. Nous sommes sur le point de publier notre rapport final. Nous attendons cependant le projet de loi du Bureau des conseillers législatifs du ministère de la Justice.

Il nous arrive très rarement de publier les recommandations d'un rapport final avant sa publication officielle. Dans ce cas-ci, le synchronisme entre l'examen du comité et la publication de l'information que nous avons recueillie nous a incités à faire une exception. Nous avons convenu de vous faire part des orientations de politique que le conseil de l'Institut recommandera dans le rapport.

Ces recommandations se trouvent à la page 13 du mémoire que nous vous avons soumis.

Le président: Nous vous en remercions.

M. Lown: Nous avons par ailleurs été convaincus par les réflexions de la Conférence pour l'harmonisation des lois aux Canada. Selon la Conférence, la saisissabilité des régimes d'épargne est essentiellement de portée nationale, et diverses provinces doivent s'y pencher ensemble sous les auspices de la Conférence. C'est dans ce contexte que nous avons étudié cette question. Cette information peut aussi vous en dire un peu sur ce que nous sommes et sur notre engagement à cet égard.

Le président: Merci. Je vous invite maintenant à nous livrer votre exposé, après quoi nous vous poserons des questions.

M. C.R.B. (Dick) Dunlop, professeur et conseiller spécial, Alberta Law Reform Institute: Mesdames et messieurs, je vais vous épargner la lecture de notre mémoire, qui vous a été distribué je crois. Plutôt, je commencerai par quelques généralités, après quoi je vous exposerai nos premières observations plus en détail.

Tout d'abord, nous avons observé que notre angle d'approche diverge du vôtre. Nous nous intéressons avant tout au droit et aux lois de l'Alberta. Dans ce projet en particulier, nous avons centré notre examen sur l'exécution des jugements pécuniaires en Alberta, et plus précisément sur la protection des régimes d'épargne des saisies, en vue de proposer les réformes qui s'imposaient.

Le conseil de l'Alberta Law Reform Institute et les chercheurs n'ont pas étudié les modifications à la Loi sur la faillite et l'insolvabilité dans l'optique de votre mandat. Nous n'avons pas étudié comme tel la pertinence d'intégrer les recommandations du groupe de travail à la Loi. Cependant, nous avons bel et bien envisagé d'utiliser le rapport du groupe de travail comme modèle possible de la réforme du droit albertain. Finalement, nous avons constaté plusieurs points de divergence avec le groupe de travail. Les fondements de notre ligne de conduite vous seront peut-être utiles.

Notre objectif aujourd'hui, mesdames et messieurs, n'est pas de vous proposer notre solution aux questions dont vous êtes saisis. Nous voulons simplement rendre compte de nos propres conclusions, partager nos connaissances sur ces questions et vous aider, si possible. J'ajouterai que les recommandations que nous vous soumettons aujourd'hui ont été adoptées par le conseil de l'Institut, de la même façon que les recommandations de la Commission du droit du Canada relèvent du commissaire. Notre travail consiste à rendre compte des recommandations et à exposer le raisonnement qui les sous-tend.

Essentiellement, nous recommandons que les régimes enregistrés d'épargne-retraite, les REER, les régimes de participation différée aux bénéfices, les RPDB, ainsi que les fonds enregistrés de revenu de retraite, les FERR, échappent entièrement aux recours des créanciers. La position que nous recommanderons au gouvernement albertain sera de protéger entièrement le régime et son contenu de la saisie-exécution — enforcement, selon le terme consacré en Alberta — ainsi que de l'exécution en juridiction d'equity — le séquestre — par un créancier ordinaire. Nous proposons aussi l'insaisissabilité complète des sommes payables au titre du régime.

En apparence, l'exemption peut sembler généreuse et illimitée. Mais ce n'est pas le cas: selon nous, une fois que l'argent est versé — nous faisons une différence entre les sommes payées et les sommes payables — ou une fois que les biens ont été cédés au titre du régime, l'argent ou les biens doivent être saisissables par les créanciers. Dans ce cas, l'exemption que nous proposons ne devrait pas s'appliquer.

Cette recommandation est fondée sur l'objet de l'exemption selon notre compréhension. L'exemption s'applique aux fonds investis dans un régime en vue de la retraite — l'épargne-retraite — reconnu par la Loi de l'impôt sur le revenu. À notre avis, l'exemption devrait s'appliquer à ces fonds et à ces biens. Une fois les fonds retirés, ils ne sont plus disponibles au moment de la retraite. Une fois des biens retirés d'un régime, ils peuvent être utilisés n'importe comment. Par conséquent, nous sommes d'avis que l'exemption doit cesser à ce moment, et que les biens doivent devenir entièrement accessibles aux créanciers, conformément aux règles générales de notre Civil Enforcement Act.

J'ai terminé ma déclaration préliminaire. Je ne souhaite pas aller plus en détail dans le contenu du mémoire. Cependant, je suis prêt à répondre à vos questions.

Le sénateur Moore: Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Dans votre liste, qui comprend les REER, les DPDB et les FERR, avez-vous envisagé d'ajouter les régimes enregistrés d'épargne-étude, les REEE? Je n'en vois aucune mention. Pourtant, un témoin précédent nous a affirmé que leur contenu, y compris les profits, devrait échapper à la saisie-arrêt en cas de faillite. Avez-vous des commentaires sur ce point? Votre groupe a-t-il étudié la question?

M. Dunlop: Au début du projet, nous avons dû en établir la portée. Nous avons décidé à cette étape de nous restreindre aux régimes d'épargne-retraite. Nous étions conscients que d'autres régimes exonérés d'impôt ou donnant lieu à un avantage fiscal pourraient aussi faire l'objet d'une exemption. Toutefois, notre objectif nous imposait de nous en tenir à l'épargne-retraite. Nous voulions établir une politique, et il serait probablement légitime d'adopter une politique d'exemption des REEE ou d'autres types de régimes exonérés d'impôt de la saisie ou de la saisie-arrêt. Nous avons toutefois résolu de nous en tenir au domaine de l'épargne-retraite, et c'est pourquoi nous avons décidé d'exclure les REEE. Notre décision ne signifie en rien qu'il n'y a pas lieu d'élaborer une politique d'exemption des REEE.

Le sénateur Moore: Je comprends, vous n'avez pas fait d'étude formelle des REEE. Cependant, auriez-vous des réflexions personnelles à partager avec nous à ce sujet?

M. Dunlop: Je peux difficilement répondre à cette question, monsieur, sans tenir compte de tous les autres candidats à l'exemption. Une chose est sûre, le conseil ne s'est pas penché sur cette question.

Le sénateur Moore: Je comprends.

M. Dunlop: L'exemption de tous les régimes donnant lieu à des avantages fiscaux serait sans doute justifiée, mais c'est encore hypothétique pour l'instant. Je ne suis pas en mesure de vous donner un point de vue catégorique.

Le sénateur Moore: Votre collègue pourrait-il nous donner le point de vue de l'Institut à ce sujet?

M. Lown: Je peux uniquement confirmer ce que vous a dit M. Dunlop: quand nous avons défini la portée du projet, nous nous sommes confinés aux régimes d'épargne-retraite. Nous avons convenu que, si l'épargne est encouragée en vue de la retraite, les deux principaux incitatifs étant le report de l'impôt et l'inaccessibilité des fonds aux créanciers, il faut veiller à une application complète et uniforme de la politique. Par analogie, on pourrait avancer que les régimes d'épargne-étude sont tout autant encouragés et qu'il serait tout à fait à propos de se demander s'il ne faudrait pas aussi créer des incitatifs comme le report de l'impôt et la protection contre les créanciers.

Je peux vous expliquer le cadre de politique, mais je n'ai aucune opinion personnelle à cet égard.

Le sénateur Massicotte: J'aimerais comprendre le cadre conceptuel de votre réflexion. Essentiellement, vous affirmez que les épargnes versées dans un régime réglementé et utilisées uniquement pour la retraite devraient être à l'abri des réclamations des créanciers. J'imagine que les revenus de rentes issus de ces produits seraient aussi exemptés. Est-ce exact?

M. Dunlop: Nous nous en sommes tenus aux FERR; nous n'avons pas étudié l'exemption des rentes hors FERR. Si les compagnies d'assurances les vendent, elles seraient exemptées au titre de la disposition sur l'exemption de la Loi sur les assurances. Nous défendons une politique d'exemption de l'argent ou des biens contenus dans un REER, un DPDB ou un FERR, de même que des sommes payables.

Le sénateur Massicotte: Si je comprends bien, s'il se trouve dans un REER, autogéré ou non, l'argent non retiré au début de la retraite est exempté. Mais s'il a été retiré, pour quelque raison, il ne l'est pas. C'est bien cela?

M. Dunlop: Oui, c'est exact. Si le titulaire d'un REER le transforme en FERR, ou s'il transfère le contenu à un FERR, les deux régimes seraient protégés. De fait, l'argent transféré serait protégé.

Si, en revanche, une personne retire l'argent, pour quelque intention que ce soit, l'argent ne se trouve plus dans un régime d'épargne en vue de la retraite, mais qu'il se trouve entre les mains d'un débiteur, qui peut l'utiliser pour sa retraite, mais qui peut aussi en faire autre chose. Par conséquent, cet argent, s'il est versé dans un compte bancaire, devrait être susceptible de saisie-exécution ou de saisie-arrêt.

Le sénateur Massicotte: Que faites-vous de ces avoirs? Prenons le cas d'un titulaire de REER, qui ne sait absolument pas si et quand il utilisera l'argent. Que proposez-vous si le régime est assorti d'une option de retrait? Quels seront les recours du syndic ou du tribunal?

M. Dunlop: Nous avons dû nous pencher sur cette question parce que le groupe de travail a soutenu que, pour être protégé en cas de faillite, un REER doit être immobilisé — ce qui est très rare dans le cas des REER individuels — ou devenir immobilisé. Autrement dit, le failli doit opter pour l'immobilisation de son régime.

Nous avons envisagé cette éventualité. Je me suis entretenu à cet égard avec Robert Klotz, qui a comparu devant le comité. Dans sa version provisoire de cette partie du rapport du groupe de travail, il affirme qu'il serait possible, dans un système judiciaire provincial, de restreindre l'exemption aux REER, et même de permettre l'immobilisation d'un régime qui ne l'était pas initialement.

Nous avons examiné cette possibilité, mais nous l'avons rejetée. Tout d'abord, pour ce qui concerne la politique elle- même, nous sommes d'avis que l'argent qui se trouve dans un régime prévu pour la retraite, tant qu'il n'est pas retiré, doit faire l'objet de l'exemption telle que nous la concevons. L'immobilisation ou non du régime est en fait accessoire par rapport à la raison pour laquelle l'argent s'y trouve. Il y a été placé en vue de la retraite.

Certaines personnes qui éprouvent des difficultés pigent dans leur REER. D'autres, l'utilisent pour acheter un bien ou pour parfaire leur éducation. Bref, quelle que soit la raison, si l'argent est sorti du régime, les créanciers devraient y avoir accès.

Nous avons réfléchi à la possibilité de créer un régime d'immobilisation facultatif régi par la législation provinciale. Toutefois, nous n'avons pas trouvé de moyen pratique d'appliquer un tel mécanisme. Personnellement, même si le conseil de l'Institut ne s'est pas penché sur la question, j'ai beaucoup de difficulté à imaginer le traitement donné aux régimes immobilisés à l'intérieur de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. Je serais fort étonné que les surintendants des pensions acceptent de surveiller le statut des REER immobilisés. Ce n'est pas leur mandat. Ce mandat peut changer mais, pour l'instant, ce n'est pas de leur ressort. Les syndics veulent clore les dossiers au plus vite pour passer à autre chose. Ils ne veulent surtout pas de mécanismes de surveillance du statut des régimes immobilisés. Nous avons des réserves sur l'application pratique d'un tel mécanisme. Quoi qu'il en soit, nous avons préconisé une politique de protection de l'argent tant et aussi longtemps qu'il se trouve dans le régime, il doit être protégé. Dès qu'il en sort, il échappe à la protection. J'espère avoir répondu à votre question.

Le sénateur Massicotte: Toute votre argumentation, qui m'apparaît très solide, consiste à dire que certains produits d'assurance sont prévus pour la retraite et qu'ils doivent par conséquent être soustraits aux réclamations des créanciers. Si j'étends ce raisonnement, il serait juste d'accorder le même traitement à des produits qui ne sont pas des produits d'assurance.

Je croyais que les produits d'assurance échappaient aux réclamations des créanciers parce qu'ils dépendent du décès du titulaire; les bénéfices reviennent au conjoint ou à la famille. C'est un principe d'équité et de justice.

Or, selon certaines dispositions législatives — je ne sais pas si c'est intentionnel —, des produits de retraite sont en fait des assurances-vie, et ils sont donc aussi liés au décès du titulaire. Les distinctions sont floues.

Si je comprends bien, votre argumentation est la suivante: je sais que, à la base, les produits d'assurance-vie sont achetés au bénéfice des bénéficiaires du décédé. Et vous demandez qu'on ajoute les produits de retraite dans la même catégorie.

Pouvez-vous m'expliquer brièvement pourquoi les produits de retraite devraient globalement être exemptés au profit de la partie contre qui il ya a réclamation, à qui on a prêté de l'argent et qui a donc une obligation morale très forte? Pourquoi faudrait-il exclure en totalité ces avoirs, même s'ils sont prévus pour la retraite?

M. Dunlop: Votre question soulève plusieurs points. Je commencerai par développer sur la question de l'exemption des produits d'assurance. Mes recherches, qui se fondaient sur celles d'autres de mes collègues, démontrent que l'exemption des produits d'assurance-vie est un autre de nos nombreux emprunts aux Américains. C'est un concept hérité des législateurs américains. À l'origine, cela se passait au XIXe siècle, il s'agissait de protéger la veuve et ses enfants au décès de leur pourvoyeur, pour que cet argent échappe aux créanciers. L'intention de base a rapidement été étendue.

Depuis la Confédération, les compagnies d'assurances canadiennes ont vendu ont seulement des produits d'assurance-vie classiques, mais aussi des annuités. Ces compagnies considèrent qu'elles font partie de leur gamme de produits. Certaines annuités, plus étroitement à l'espérance de vie, comportaient des éléments d'assurance. Pour d'autres, le lien est moins clair.

Auparavant, l'industrie de l'assurance entrait tous ces produits dans la gamme des produits d'assurance-vie et considérait par conséquent qu'ils étaient exemptés. Ce n'est pas ce que la Cour suprême du Canada a décrété. Dans une affaire jugée dans les années 50, Gray c. Kerslake, la Cour a en effet affirmé que les annuités n'étaient pas des produits d'assurance.

L'industrie de l'assurance a convaincu les surintendants de modifier la définition d'«assurance-vie» dans la loi uniformisée sur l'assurance-vie, afin qu'elle intègre la notion d'annuité et toute entente conclue à cet égard. Par extension, un REER, s'il est bien conçu, doit offrir à l'assuré la possibilité d'opter pour le versement d'annuités.

Une fois la modification adoptée, les créanciers, y compris ADRC, ont manifesté leur désaccord et leur intention de contester cette nouvelle définition en justice. Les tribunaux, après quelques hésitations, ont fini par trancher, en rappelant que cette modification émanait des législateurs canadiens. Les REER vendus par les assureurs sont des assurances-vie parce que c'est ce que stipule la loi, et ils sont exemptés parce que c'est ce que stipule la loi. Toutes sortes d'arguments ont été invoqués pour contester le libellé très clair de cet article de loi, mais sans succès.

Or, pendant que ce débat faisait rage, le marché des REER était en pleine effervescence. Si je m'en remets aux conversations que j'ai eues avec d'autres, dont Ed Rothberg, qui a aussi comparu devant vous. Si j'ai bien compris, les vendeurs d'assurances et d'autres vendeurs de REER qui ne sont pas des assureurs se plagient maintenant les uns les autres, de sorte que les régimes sont devenus très similaires.

Deux événements sont survenus. Tout d'abord, la notion d'assurance a été atténuée, édulcorée, de sorte qu'il est devenu extrêmement difficile d'en déceler la trace dans certains REER. Par ailleurs, les produits vendus par les assureurs et les autres se ressemblent de plus en plus.

Il est intéressant de constater que tous les projets de réforme que nous avons examinés, quel qu'en soit le résultat ultime, reconnaissent qu'il serait impossible de nos jours de justifier pourquoi les produits d'assurance sont complètement exemptés et pourquoi les autres produits ne sont jamais exemptés.

La comparaison des REER avec d'autres produits de pension est tout à fait différente. Là encore, le Alberta Law Reform Institute diverge sensiblement d'opinion par rapport au groupe de travail. Pour le groupe de travail, il faut distinguer les produits de pensions. Il faut les distinguer parce que, notamment, ils sont immobilisés. Or, les REER individuels, presque sans exception, ne le sont pas. C'est une différence de taille.

Nous avons conclu qu'il fallait mettre l'accent sur les ressemblances. La similarité vient de ce que les deux sont des régimes d'épargne-retraite; de plus, les deux sont reconnus et exemptés par la Loi de l'impôt sur le revenu. Les deux visent un même objectif et, par conséquent, ils devraient recevoir le même traitement. La recommandation est motivée non seulement par la différence entre les REER qui sont des produits d'assurance et les autres, mais aussi par la différence entre les produits de pension et les autres REER qui ne sont pas des produits d'assurance. Selon nous, ce type de régime d'épargne devrait être globalement exempté.

Un dernier point: l'exemption des pensions et des sommes payables au titre d'un régime de pensions est généralement complète. L'exemption des polices de REER et des sommes payables est aussi complète. Une fois l'argent versé, une fois le chèque de pension touché, les créanciers y ont droit. Cependant, tant que le chèque n'est pas émis, l'exemption s'applique. C'est pourquoi nous soutenons que les REER hors assurance doivent recevoir le même traitement.

Le sénateur Massicotte: Dans cet ordre d'idées, je comprends pourquoi il n'est pas logique d'exclure un seul produit; vous m'avez convaincu. Toutefois, je ne vois pas pourquoi vous soutenez que les pensions ou les prestations futures de retraite devraient être protégées contre les créanciers. Quand une entente met en cause une très forte obligation morale — je vous passe un dollar, je veux le ravoir —, pourquoi faudrait-il protéger les avoirs? J'entends bien qu'il s'agit de décisions marginales, mais pourquoi poursuivre en ce sens si le concept de base est erroné?

M. Dunlop: Nous avons abordé cette question en nous demandant à priori s'il y avait matière à demander une modification à l'exemption des pensions ou des sommes payables. Nous n'avons vraiment rien trouvé, bien qu'une personne ait soutenu devant nous que, à tout le moins, les rentes de pension payables devraient être saisissables. Nous nous sommes demandé s'il y avait matière à modifier l'exemption des polices de REER, mais nous n'avons rient trouvé de probant.

Vous avez tout à fait raison, sénateur, quand vous affirmez que l'enjeu concerne deux politiques opposées. D'un côté, il y a la politique bien établie au Canada, reprise en droit canadien dans une certaine mesure, qui est d'encourager l'épargne en vue de la retraite. Cette politique est confirmée par les développements économiques des 20 ou 30 dernières années, qui donnent à penser que cette précaution revêt une importance encore plus grande de nos jours. D'un autre côté se trouve l'aspiration très légitime des créanciers judiciaires, qui souhaitent que le système d'exécution des jugements soit le plus efficace et le plus efficient possible. Plus les exemptions sont nombreuses, moins l'exécution peut être efficiente. C'est irréfutable. Nous avons dû composer avec ces deux visions divergentes.

À nos yeux, il fallait protéger les créanciers dans une certaine mesure, en leur accordant un droit sur les fonds une fois sortis des régimes. Nous avons cependant précisé que tant que l'argent se trouve dans l'un des trois instruments que nous avons examinés, il devrait être protégé. Nous avons été encouragés par l'absence de critiques et de protestations, même de la part des créanciers eux-mêmes, pour ce qui est de l'exemption des régimes de pensions et des polices de REER.

Je sais que vous avez entendu des opinions plus tranchées en faveur des créanciers. Je me limiterai à dire que le conseil de l'Institut, après examen de la question, a conclu que le meilleur compromis — il faudra tôt ou tard en arriver à un compromis — était d'exempter toute somme se trouvant dans un régime, mais non celui qui en est sorti.

C'est la meilleure réponse que je puisse vous donner. M. Lown pourra la compléter.

M. Lown: La question a été soumise très clairement au conseil de l'Institut. Comme le conseil compte quatorze membres qui tous se font un plaisir d'exprimer leur opinion, vous pouvez imaginer que les travaux ont été bien diffusés.

Il n'y a pas si longtemps, notre régime d'exécution a subi une refonte majeure. Le but était de simplifier, de rationaliser et de rendre plus efficient le processus de recouvrement des dettes prévu dans la Civil Enforcement Act de l'Alberta. Nous espérons que le régime provincial, hautement critiqué parce qu'il complexifiait indûment le champ d'opération des créanciers, est dorénavant plus équitable et que les règles sont beaucoup plus concrètes et précises.

La question a été soumise au conseil. Au contraire de ce qu'on pourrait penser, ce n'est pas tant l'analogie avec les produits d'assurance qui est ressortie de la discussion — nous avons presque admis que la législation avait créé une exemption pour ces produits. C'est un fait. Nous n'avons pas vraiment débattu de la pertinence de modifier cette politique ni de son bien-fondé. Nous avons plutôt porté notre attention, comme je l'ai déjà dit, à l'intention. Si des produits sont destinés à constituer un fonds d'épargne similaire à un fonds de retraite, ils devraient jouir de la même protection que les produits de pensions. Cela nous ramène à la question suivante: Quelle importance donne-t-on à la définition d'un produit aux fins de report de l'impôt? Une grande importance. Et quelle importance donne-t-on à la perte de protection? Une grande importance, si le régime est résilié.

Je crois que votre question précédente avait trait aux cycles d'un régime. Quand le titulaire atteint un certain âge, le régime doit être modifié. Il cesse d'être un instrument d'investissement; il devient un instrument de paiement du capital accumulé. À nos yeux, il est très clair que si l'intention est d'épargner pour l'avenir et si cette épargne est protégée, alors la protection devrait être automatique ou autogérée, au même titre que les cotisations à un régime de pensions d'entreprise. À vrai dire, nous en sommes grosso modo arrivés à la conclusion — tout à fait sûre je crois — que ces produits sont immobilisés de fait, au même titre que les régimes de pensions immobilisés aux termes de la loi.

M. Dunlop: Notre conclusion repose sur deux raisons au moins. La première vient de ce que, si l'argent est retiré, il est imposable; la deuxième est que, si l'argent est retiré et que les règles que nous proposons s'appliquent, les créanciers y auront accès. Il existe une troisième raison: on peut vouloir épargner pour sa retraite et continuer de le faire. Donc, pour diverses raisons, nous ne sommes pas convaincus que la distinction entre les régimes immobilisés et les régimes non immobilisés est aussi significative que ne le prétend le groupe de travail.

Le président: Merci. J'ai quelques questions pour nos témoins. Je suis très intéressé par votre approche. Vous avez pris du recul et vous avez fait ressortir certaines discordances, que j'avais moi-même relevées. Je suis tout à fait d'accord avec la remise en cause de la distinction entre des produits d'assurance semblables et d'autres produits d'assurance — j'ai moi-même sourcillé quand j'ai vu cette distinction —, qui tout compte fait découle du lobbying efficace des assureurs depuis un siècle. J'apprécie aussi que vous insistiez sur le fait que les pensions sont des pensions, peu importe la forme, et que vous demandiez s'il est juste de protéger certains de ces produits et pas d'autres. Votre approche globale de cette question est fort édifiante.

J'aimerais aborder des points précis. Vous avez affirmé qu'il ne serait pas pratique d'exiger l'immobilisation permanente des régimes. Nous n'avons pas encore eu de discussion éclairée à ce sujet. Selon vous, une fois que le titulaire a décidé de retirer des fonds d'un régime, ils devraient devenir non seulement imposables, mais aussi accessibles aux créanciers.

Pourquoi faites-vous cette précision? Une telle possibilité devient pertinente seulement si elle s'applique avant la réhabilitation d'un failli. J'imagine que, si les créanciers ont un droit sur ces fonds, il faudrait être bien désespéré ou bien étourdi pour les retirer d'un régime protégé. Cependant, une fois le processus terminé et le failli dégagé de toute obligation, qu'en est-il? Le risque est à court terme, pendant l'exécution du mandat du syndic?

M. Dunlop: Nous nous sommes concentrés sur le régime provincial, et non sur la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. Je vous concède que le failli est peu susceptible de retirer les fonds de son REER, surtout quand le syndic lui aura signalé que l'argent devient un bien de la faillite, sauf s'il y a un choix.

Pour ce qui est des conclusions du groupe de travail, mes réserves concernaient surtout, toujours dans l'optique d'un régime provincial, la durée de la surveillance du REER et l'attribution de cette responsabilité. Je n'ai trouvé aucune réponse pratique.

Le même problème se pose à l'intérieur du régime provincial. Il n'y a pas de syndic, mais il semble que les créanciers puissent garder un oeil sur tout. Il est cependant légitime de dire: «Non, la machinerie est lourde et trop difficile à mettre en marche. De toute façon, notre politique est différente. Selon nous, que le régime soit immobilisé aux termes de la loi ou dans les faits, il est visé par notre objectif de politique et il devrait par conséquent être protégé.»

Le président: Ma prochaine question portera sur le début du processus. Il y a eu diverses règles, suggestions et lignes directrices concernant le droit des créanciers aux fonds versés en catastrophe dans un régime, camouflés d'une certaine façon. Sur cette question, vous vous êtes contentés de dire, si je comprends bien, qu'une loi régit déjà les transports frauduleux et qu'elle fait très bien le travail. Si l'intention, semblez-vous dire, était manifestement de déjouer les créanciers de façon illégale, il faudrait appliquer la loi. Ce serait mieux que la récupération ou des plafonds. Ai-je bien compris l'essence de votre position?

M. Dunlop: Nous avons réfléchi à la pertinence d'un mécanisme de récupération. Cependant, le conseil n'a pas été convaincu du bien-fondé de la récupération, du moins dans un régime provincial.

La récupération pose le problème suivant: le débiteur a prétendument investi dans un régime — son intention réelle n'est pas connue — en toute conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu. C'est l'élément important. Autrement dit, cet argent doit être visé par notre exemption.

Il est exact qu'il est difficile de fonctionner avec les lois sur les préférences et les transports frauduleux. Si l'intention est frauduleuse, si le résultat est frauduleux ou si une transaction a été effectuée alors qu'une personne est insolvable, la transaction est réputée frauduleuse.

La loi sur les transports frauduleux pose problème en Alberta, notamment parce que, par respect des traditions, nos lois se fondent sur la loi d'Elisabeth I. Nous remontons au temps de Shakespeare et de Ben Jonson. Des avocats qui exercent au XXIe siècle doivent s'en remettre à une loi élisabéthaine quasi impénétrable pour décider s'ils peuvent instituer une poursuite en Alberta.

Il faut revoir les lois sur les préférences et les transports frauduleux. L'Institut a d'ailleurs inscrit ces deux éléments sur sa liste des problèmes urgents à régler. La communauté des gens d'affaires a été interpellée par certaines décisions récentes, dont celle de la Cour suprême du Canada dans Ramgotra, qui faisait suite à un jugement rendu en Saskatchewan. Ils sont troublés par ces affaires.

Si j'en reviens à la situation dans la province, il faut s'attaquer à la racine du problème. Or, la racine du problème tourne autour des lois sur les préférences et les transports frauduleux. Il faut les rajeunir, passer du XVIIe au XXIe siècle. C'est un projet de réforme tout à fait légitime et urgent.

À notre avis, la récupération automatique ne réglera pas le problème. La recommandation du groupe de travail visant la récupération automatique sur trois ans sera beaucoup trop généreuse dans certains cas de faillites, et beaucoup trop sévère dans d'autres. Certains faillis éprouvent des difficultés pendant 20 ans et ils ont frôlé l'insolvabilité pendant des années. Ces trois années seraient une bénédiction pour eux. Beaucoup d'autres personnes, au contraire, sont en faillite ou éprouvent des difficultés financières depuis moins d'un an. En établissant une règle simpliste de trois ans — ou de deux ans, ou même un an — ne ferait que balayer sous le tapis les problèmes de fond. Quel que soit le nombre, il sera arbitraire. On fixe la limite à trois années avant la date de la faillite, avant la délivrance du bref d'exécution, et on récupère toutes les sommes versées dans un REER.

La récupération automatique nous pose un problème de principe. Selon nous, il serait erroné de modifier arbitrairement les règles d'exemption pour permettre la récupération automatique des sommes versées dans un régime depuis un certain nombre de mois ou d'année. De plus, la récupération ne réglerait pas le problème réel — la désuétude et l'évolution inadéquate des lois sur les préférences et les transports frauduleux.

M. Lown: J'aimerais préciser que, à la lumière de la politique et de son intention, et sans égard à l'âge de nos lois sur les préférences et les transports frauduleux, le conseil n'a pu se résoudre à ce que toutes les transactions effectuées dans une période donnée soient automatiquement considérées comme frauduleuses. Il faut nous concentrer sur la mise à jour et la modernisation de la loi plutôt que sur l'appréciation du délai à prescrire pour l'exécution de la récupération automatique.

Le président: Merci. J'aimerais maintenant vous interroger sur la portée et l'ampleur du problème que vous avez étudié. Disposez-vous de statistiques sur le nombre de REER ou d'autres types de régimes d'épargne faisant l'objet d'attaques des créanciers? Avons-nous une idée de l'ampleur du problème?

M. Dunlop: Non, nous n'avons pas recueilli de statistiques ni de chiffres. Nous avons utilisé les statistiques provenant d'autres sources, dont celles du groupe de travail. Nous avons aussi tenu compte de commentaires empiriques sur la présence des REER dans les inventaires des biens des faillis dont se servent les créanciers judiciaires.

Beaucoup d'avocats et de syndics nous ont affirmé que les débiteurs n'avaient pas de REER ou qu'ils les avaient épuisés, qu'ils en avaient retiré d'importantes sommes, dans certains cas la totalité, pour le soustraire aux créanciers. La plupart du temps, soit que le débiteur n'avait pas de REER, soit qu'il avait très peu de valeur. Il y a de rares exceptions mais, le plus souvent, les faits empiriques démontrent que le régime était vide ou très peu substantiel.

Le sénateur Prud'homme: Je suis toujours content de m'entretenir avec des Albertains — j'adore votre province.

Soi dit en passant, vous avez parlé des quatorze membres du conseil, mais j'en compte seulement treize. J'ai aussi remarqué que le personnel juridique de l'Institut, dont un membre est P.J.M. Lown, est diversifié. Faites-vous aussi partie du conseil?

M. Lown: Oui, j'en fais partie.

Le sénateur Prud'homme: N'êtes-vous donc pas mieux placé que quiconque, un consultant par exemple, pour influencer la décision finale du conseil de l'Institut?

M. Dunlop: Êtes-vous en train d'insinuer que j'étais bien placé pour leur vendre quelque chose?

Le sénateur Prud'homme: Qui est M. Lown?

M. Dunlop: J'ai essayé de vendre des choses qui...

Le sénateur Prud'homme: Pas vous. Il y a un certain M. Lown qui siège au conseil de l'Institut. Il est aussi c.r., directeur et membre du personnel juridique. Cela fait de vous un conseiller. Non? Il n'y a rien là de mal, mais je veux m'assurer que vous donnez des conseils, à titre de membre du personnel juridique, et que le conseil compte bien quatorze membres, bien que j'en dénombre seulement treize.

M. Lown: Laissez-moi préciser. Premièrement, l'Institut peut avoir un conseil de quatorze membres. Un siège est vacant actuellement, de sorte que la liste compte treize membres seulement. Deuxièmement, le conseil nomme le directeur, qui fait office à la fois de directeur exécutif et de chef des opérations. Cette personne doit, outre ses responsabilités administratives, faire de la recherche. Dans certains domaines, j'agis comme conseiller du conseil. Pour d'autres, je suis, en plus d'acquitter mes fonctions de berger pour de qui est de la recherche et de portier pour ce qui est de ce qui est soumis au conseil, un membre appelé à voter sur la position du conseil pour une politique donnée. Je rédige le procès-verbal et je joue mon rôle de berger et de contrôleur de l'accès au conseil. Je suis donc assez d'accord pour dire que j'ai plus d'influence que d'autres sur ce qui se passe. Je tente de le faire avec le plus de justesse, d'ouverture et d'indépendance que possible.

Le sénateur Prud'homme: Je suis en politique depuis 40 ans. Le portier joue toujours un rôle essentiel. Devrions-nous nous pencher sur certaines différences entre les provinces? Cet aspect vous intéresse-t-il d'aucune façon? L'Île-du- Prince-Édouard a ses lois, l'Alberta a les siennes, et le Québec ainsi que le Manitoba en ont d'autres. Votre Institut voit-il un problème dans l'interprétation des différentes avenues d'évitement des mécanismes de protection des investisseurs?

M. Dunlop: Oui, la diversité des lois qui régissent le commerce et les entreprises pose un sérieux problème dans ce pays. La Conférence pour l'harmonisation des lois au Canada, la CHLC, tente actuellement de résoudre un à un tous les aspects du problème, en rédigeant des projets de loi qui, on l'espère, seront acceptés par les autres administrations. Vous le savez sans doute, les provinces ne vont pas toutes dans le même sens. Les efforts de la CHLC n'obtiendront peut-être pas le même succès partout. La CHLC et l'Association du Barreau canadien, l'ABC, sont très au fait des problèmes que rencontrent les gens d'affaires en raison des divergences importantes entre les lois qui régissent des contrats ou des transactions essentiellement semblables.

Cela dit, de l'autre côté de la médaille, il faut reconnaître que nous évoluons dans un nouveau cadre. Il est tout à fait juste de permettre aux provinces d'expérimenter et de mettre diverses solutions à l'épreuve. Il reste à espérer que le résultat ultime sera l'uniformité. Il peut arriver que l'uniformité soit trop précoce et qu'il en résulte un précédent qui ne fait pas l'unanimité. Bien que je sois partisan de l'uniformité des lois commerciales, il est essentiel selon moi que les entreprises et les individus, compte tenu notamment de la mobilité entre les territoires, acceptent une certaine souplesse et qu'ils donnent la chance à l'expérimentation.

C'est particulièrement important pour ce qui est des exemptions. Par nature, elles sont étranges parce qu'elles sont un reflet très clair des différentes tangentes empruntées par l'économie et même les valeurs des collectivités. Il est tout à fait normal que l'Alberta et la Saskatchewan aient prévu des exemptions extraordinaires pour les fermiers. Il n'est pas surprenant que les pêcheurs bénéficient d'avantages dans les provinces maritimes. Les disparités locales sont reflétées dans la nature des exemptions.

Par ailleurs, les REER ne sont pas si différents entre l'Alberta et l'Ïle-du-Prince-Édouard. Ils sont commercialisés sur une échelle nationale, et ils sont régis par deux lois fédérales: la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et la Loi de l'impôt sur le revenu. L'uniformité est plus facile à réaliser dans certains domaines que dans d'autres.

J'ai répondu à votre question, monsieur, en n'y répondant pas vraiment, parce que l'enjeu est beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît.

Le sénateur Prud'homme: Les différents acteurs canadiens se consultent-ils? Rencontrez-vous des organismes provinciaux similaires au vôtre, pour travailler à l'élaboration de règles applicables partout au Canada?

M. Lown: Oui, nous entretenons des liens avec d'autres organismes chargés de proposer des réformes législatives. Nous échangeons, sur une base formelle et continue, des renseignements et des suggestions. Sur le plan formel, la CHLC, dont je suis l'ancien président, représente les gouvernements de tous les territoires et de toutes les provinces, ainsi que le gouvernement fédéral. Son mandat est d'uniformiser les lois. En matière de droit commercial, la CHLC a adopté une stratégie fondée sur un accord sur les échanges intérieurs, lequel vise l'abolition des obstacles dans la mesure du possible. La Conférence est active dans plusieurs dossiers qui convergeront vers l'harmonisation et l'uniformisation globales du droit commercial. Elle poursuit des objectifs à court et à moyen terme dans divers domaines, dans un contexte de dialogue constant sur les moyens d'uniformiser le cadre et le contexte du droit commercial au Canada.

Le président: Sur ces mots, nous allons mettre fin à la vidéoconférence. Un autre témoin est prêt à comparaître par vidéoconférence. Je voudrais vous transmettre nos remerciements les plus sincères pour votre participation, ainsi que pour le mémoire que vous nous avez soumis. Ce fut très édifiant. Vous avez jeté un éclairage extrêmement intéressant sur nos travaux. Merci encore et bonne chance dans votre travail.

M. Dunlop: Je vous remercie de l'invitation, monsieur.

M. Lown: Merci.

Le président: Notre prochain témoin sera Mme Janis Sarra, professeure à l'Université de la Colombie-Britannique. Je vous souhaite la bienvenue. Merci de vous joindre à nous ce matin.

Nous sommes prêts à entendre votre déclaration préliminaire.

Mme Janis Sarra, professeure, Université de la Colombie-Britannique: Messieurs, merci de votre invitation à discuter avec vous de la réforme de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité.

J'occupe les fonctions de doyenne adjointe et de professeure agrégée à la faculté de droit de l'Université de la Colombie-Britannique. Mes domaines d'enseignement et d'étude sont le droit de l'insolvabilité et le droit des compagnies. Je souligne au préalable que j'ai fait partie des universitaires ayant participé à la rédaction des mémoires soumis par l'Institut d'insolvabilité du Canada et par l'Association canadienne des professionnels de l'insolvabilité et de la réorganisation, tant dans le domaine de la réforme du droit commercial que dans celui de la réforme du droit de l'insolvabilité personnelle.

J'aimerais aborder aujourd'hui le thème de l'intérêt public à l'intérieur des processus de restructuration des compagnies. Il s'agit d'un aspect dont les mémoires ne traitent pas mais qui, malgré son caractère discret, est très important dans le processus de réforme.

Vous le savez sûrement, la déclaration de l'insolvabilité de certaines grandes entreprises, tant au Canada qu'aux États-Unis, a entraîné de graves problèmes pour diverses parties intéressées, dont les grands créanciers, les travailleurs, les fournisseurs, les requérants en responsabilité civile, les pensionnés et les investisseurs en actions.

L'un des défis qui se présente au comité sénatorial est de recommander des réformes qui garantiront une balance équitable pour les multiples parties qui sont touchées quand une compagnie est frappée de difficultés financières. L'intérêt public, selon moi, doit être pris en compte pour diverses raisons dans l'exercice de la réforme du droit de la faillite. L'insolvabilité d'une compagnie comme Air Canada remet en cause l'accès continu aux réseaux de transport nationaux à un coût abordable aussi bien que toute la question de la souveraineté en matière de services aériens. D'autres cas d'insolvabilité — les Aciers Algoma et Consumers Packaging Inc., notamment — ont quant à eux une incidence sur l'offre de produits nationaux tels que les contenants d'acier et de verre, et sur l'avenir économique de régions entières.

Mon troisième exemple est celui de la Croix-Rouge, vastement publicisé, et de la contamination de plus de 20 000 personnes transfusées. Dans cet exemple, l'intérêt public est en jeu non seulement parce qu'il faut trouver des solutions équitables aux réclamations et à l'insolvabilité, mais aussi parce qu'il faut concevoir un système qui, dans ce cas précis, garantit l'offre continue de sang propre.

Les exemples de faillite et, par voie de conséquence, l'efficacité de l'outil d'arrangement proposé dans les projets de disposition à intégrer à la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, sont le fondement d'une réflexion essentielle sur la réforme du droit de la faillite, sur le fonctionnement actuel du système et sur les possibilités d'amélioration.

Les pertes subies par les entreprises ont des répercussions à l'échelon individuel, mais elles ont aussi un impact sur l'assiette fiscale — les coûts des services sociaux augmentent, ceux de la santé aussi, et cetera. Ce matin, je me concentrerai sur la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, la LACC, le principal instrument de restructuration utilisé au Canada dans la dernière décennie. Son efficacité en a fait le fondement de tous les principaux arrangements. C'est ce que démontrent mes recherches. J'ai aussi constaté l'excellent travail des tribunaux canadiens, qui ont réussi à mettre en balance les intérêts complexes qui sont mis en jeu quand une entreprise connaît des difficultés financières.

Plus précisément, les tribunaux ont utilisé à la fois le cadre législatif — de nature minimale, comme le confirment tous les mémoires et tous les interlocuteurs que vous avez reçus — et leur compétence inhérente pour superviser l'élaboration d'arrangements complexes, fondés sur la prépondérance des intérêts. À cet égard, les tribunaux du pays ont dû user d'une grande prudence pour se conformer à un régime large de la faillite et de l'insolvabilité où la hiérarchie des créances et des réclamations est prescrite.

Jusqu'à tout récemment, je considérais dans mes études que le libellé permettait de tenir compte de l'intérêt public et que les tribunaux avaient été très efficaces à cet égard. Or, en prenant connaissance de vos audiences et des comptes rendus, j'ai réalisé que la plupart des auteurs des mémoires, y compris ceux auxquels j'ai participé à titre d'universitaire, ont passé énormément de temps à clarifier les droits des créanciers, et plus particulièrement ceux des grands prêteurs garantis, aux fins des arrangements découlant de la LACC. J'appuie certaines recommandations. Plusieurs d'entre elles, notamment celles qui portent sur le financement du débiteur et la régie des compagnies, pourraient donner des orientations fort utiles aux tribunaux.

D'un autre côté, si ces recommandations sont codifiées sans qu'il soit tenu compte de la notion d'intérêt public, la prépondérance accordée aux intérêts multiples dans le régime actuel sera balayée au profit d'un groupe d'intérêt bien circonscrit, les grands prêteurs garantis.

Je vous exhorte à vous pencher très sérieusement sur cet aspect. Avant de formuler vos recommandations sur la réforme législative, interrogez-vous sur les moyens à mettre en oeuvre pour garantir un équilibre juste entre ces divers intérêts.

Dans la dernière partie de mon exposé, je vais traiter de trois éléments qui m'apparaissent importants.

Le premier est la codification. C'est un virage par rapport à mes études précédentes. Si nous adoptons tous ces mécanismes supplémentaires pour protéger les prêteurs garantis, nous devrons investir les tribunaux d'un pouvoir discrétionnaire express et leur permettre de juger en fonction de l'intérêt public. Jusqu'à maintenant, c'est ce qu'ils ont fait, tant la Cour suprême que les instances d'appel. L'exercice a porté fruit. Dans certains cas, les parties ont réussi à démontrer les coûts sociaux et économiques de certaines stratégies. Les tribunaux ont déjà demandé à leurs superviseurs, nommés au titre de la LACC, de leur fournir une partie de cette information. Ils peuvent ainsi avoir un portrait plus large de la situation quand une compagnie débitrice estime manquer de marge de manoeuvre pour établir un plan d'activités viable et acceptable par les créanciers. Je vous demande d'analyser la pertinence de codifier cet aspect.

Je parlerai ensuite de deux aspects concernant les travailleurs. Premièrement, certains recommandent d'habiliter les compagnies débitrices en processus d'arrangement à ignorer unilatéralement les conventions collectives. C'est très risqué. Il est certain que, durant le processus d'arrangement, une certaine latitude est nécessaire en ce qui a trait à la convention collective, tout comme elle est nécessaire pour ce qui est des ententes de crédit ou des contrats exécutoires.

Cependant, les conventions collectives de travailleurs entrent dans une catégorie à part. Il existe au Canada des mécanismes de rémunération différée. Ces mécanismes fonctionnent de telle façon que, quand surviennent les difficultés financières, les travailleurs ont déjà versé un capital humain. Si on l'entend dans son sens le plus large, ce capital humain comprend non seulement le travail, mais aussi la loyauté, les idées et l'emploi à long terme. Souvent, ils ont offert leur contribution contre une compensation différée telle que des prestations de pension. Par conséquent, à l'étape de l'élaboration du plan d'activités, qui exige des concessions de toutes parts, il est primordial que toutes les parties voient dans la convention collective l'instrument permettant aux travailleurs de faire valoir leurs intérêts.

Le deuxième aspect qui touche les travailleurs — j'avoue mon découragement quand je lis les comptes rendus — est le désintérêt notoire à l'égard d'un éventuel régime national de rajustement des salaires ou d'une réévaluation de la place donnée à la priorité des salaires à l'intérieur de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité.

Malgré certaines divergences, les statistiques révèlent que, après une faillite, les grands prêteurs garantis réussissent en général à obtenir entre 75 et 100 cents par dollar, alors que les travailleurs obtiennent en moyenne 7 à 15 cents seulement par dollar. Il faut sérieusement poser la question de la répartition des pertes en cas de faillite. Pour ce qui est restructurations, comment faut-il évaluer les contributions respectives aux fins d'un arrangement? Des études empiriques sont nécessaires. Je parle au nom de tous ces gens qui n'ont peut-être pas l'information ni les ressources nécessaires pour participer à vos audiences.

Le troisième volet de mon exposé sur l'intérêt public pose un autre défi clé au comité: recommander des mécanismes équitables en matière de protection de la responsabilité des dirigeants des compagnies en difficulté financière.

De toute évidence, il est primordial de reconnaître et de protéger la bonne foi et la diligence des dirigeants et des administrateurs au cours du processus d'arrangement. Cependant, je me demande si une règle visant l'extinction globale de toute responsabilité pendant cette période ne risque pas de les inciter à dissimuler leurs difficultés financières à leurs fournisseurs et autres créanciers.

Les faits sous-jacents dans l'affaire Magasin à rayons People inc. (syndic) c. Wise, jugée récemment à la Cour d'appel du Québec, ont mis ce problème en lumière. La Cour suprême du Canada a autorisé un recours en appel dans cette affaire. Je suis certaine que la Cour suprême nous donnera des orientations très intéressantes pour comprendre l'étendue de la responsabilité du directeur et de l'administrateur au sens de la législation en vigueur. Votre réflexion devra notamment porter sur l'équilibre à trouver entre l'équité et l'efficacité à l'intérieur des stratégies d'arrangement proposées.

Je m'arrête ici mon exposé sur l'intérêt public. Je serai très heureuse de prêter mon concours au comité, dans la mesure de mes capacités, pour toute question relative au processus de réforme.

Le président: Merci beaucoup de cet exposé et de votre offre d'assistance continue. Pour ce qui est de vos derniers commentaires, j'espère que vous serez un peu rassurée en apprenant que toute notre séance d'hier a été consacrée à des représentants de grands groupes syndiqués, dont TCA, le CTC et d'autres encore. Vous n'avez sans doute pas encore vu le compte rendu, malgré les merveilles que peut faire la technologie. Vous constaterez que certaines réflexions à l'égard desquelles vous avez déploré le manque d'intérêt se trouvent maintenant au compte rendu. Dans le cas contraire, il nous sera sans doute utile d'entendre votre point de vue.

Le sénateur Massicotte: Essentiellement, vous demandez qu'on accorde plus de place aux réclamations des employés. Pourriez-vous développer sur ce que vous entendez au juste par là? Vous parlez de ce qui leur est dû en compensation des contributions antérieures en efforts et en temps. Vous englobez les primes de départ et les engagements non provisionnés au titre du régime de retraite. Cela concerne les réclamations.

Seriez-vous en faveur de l'ouverture des conventions collectives? Vous affirmez qu'en cas de faillite ou d'insolvabilité, toutes les parties doivent faire des concessions pour qu'une solution émerge. Jusqu'où iriez-vous? Pouvez-vous nous donner des détails?

Mme Sarra: Tous ces aspects sont liés, mais je vais quand même les traiter l'un après l'autre.

Pour ce qui est de la priorité des salaires, le mieux serait d'établir un fonds de protection national des salaires, inspiré de la réussite de l'assurance-chômage et d'autres filets de sécurité sociale. Il existe plusieurs façons de financer un tel fonds. La tarification pourrait être personnalisée, un peu à l'image des régimes d'indemnisation des accidentés du travail, ou elle pourrait être fondée plus globalement sur l'assiette fiscale. On résoudrait ainsi le problème des travailleurs qui font des réclamations salariales individuelles. Le filet de sécurité offert aux employés serait plus équitable. Ma préférence va à cette solution.

Pour revenir à la priorité des salaires, les études démontrent que les travailleurs obtiennent des sommes négligeables — par rapport à ce qui leur est dû. Cela pose problème du fait de l'impact économique des pertes d'emplois et des pertes fiscales. Nous devons concevoir des stratégies qui reconnaissent la priorité des salaires non seulement à cause des dommages directs subis par les individus, mais aussi des retombées sur l'économie.

Il existe plusieurs modèles à l'échelon mondial. Plusieurs pays du continent européen se sont dotés d'un régime national de rajustement des salaires. Nous devons réfléchir sérieusement à la position du Canada à cet égard.

La question des conventions collectives est primordiale. J'ai étudié de nombreuses affaires relevant de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, la LACC, durant la dernière décennie. Mes travaux ont fait l'objet d'un livre publié au printemps. Dans toutes ces affaires, les conventions collectives ont fait l'objet de concessions. Les parties doivent reconnaître la nature permanente de ces contrats exécutoires, le fait qu'il s'agit d'arrangements qui rend chaque partie redevable envers l'autre — soit on doit un rendement, soit on doit de l'argent. Il faut trouver un nouveau terrain d'entente.

C'est la même chose pour les ententes de crédit garanti. Les créanciers garantis peuvent négocier une nouvelle entente qui proposerait de nouvelles modalités de remboursement et un nouveau capital, et qui prévoirait par ailleurs les bénéficiaires éventuels de toute valeur positive générée par l'arrangement. Les conventions collectives représentent aussi un moyen pour les travailleurs, par l'entremise de leurs représentants syndicaux, de négocier ensemble les concessions qu'ils sont prêts à faire et la valeur positive attendue en échange.

Certaines propositions que vous avez reçues m'inquiètent. Certains prétendent en effet que l'ignorance unilatérale a pour effet d'annuler ce mécanisme extrêmement précieux qui a joué un rôle clé dans nombre de processus d'arrangements. Soyez très prudents. La loi dispose que, en vue de sauvegarder une compagnie, il faut négocier avec tous les créanciers; en bout de ligne, si le nombre de créanciers en faveur du plan est insuffisant au regard de la loi, la compagnie devra déclarer faillite. À ce point, les conventions collectives ont déjà été résiliées. Ce sont elles qui incitent les syndicats à négocier. D'un autre côté, c'est l'existence même de ces conventions qui incite la compagnie débitrice à négocier.

Le sénateur Massicotte: Dans la première partie de votre réponse, vous proposez la constitution d'un fonds d'assurance en cas de défaut de verser les salaires. Ce fonds pourrait-il servir aussi pour les primes de départ et les régimes de pensions non provisionnés?

Ma seconde question porte sur la dernière partie: Quel est le processus le plus efficace pour conclure un nouvel arrangement avec des employés? S'il s'agit de simples négociations entre les deux parties devant un juge, suivant la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, s'il le faut, qui sera investi du pouvoir décisionnel?

Mme Sarra: Tout d'abord, pour répondre à votre question sur les primes de départ et les engagements non provisionnés au titre des régimes de pensions, je dirais que oui, le fonds devrait être disponible à ces fins. Je ferais toutefois une mise en garde pour ce qui concerne les régimes de pensions non provisionnés, à cause du litige en cours au Canada relativement aux sommes qui devraient être placées en fiducie et à la pertinence de créer d'autres recours. Le problème doit être évalué à partir du moment où la compagnie était encore solvable: s'est-elle appuyée sur les bons calculs actuariels pour établir la suffisance des fonds?

Vous n'êtes pas sans savoir, honorables sénateurs, qu'au temps où les premières causes relevant de la LACC ont été jugées, les fonds de pensions étaient encore excédentaires. Les compagnies débitrices et les créanciers pouvaient y puiser pour financer leurs arrangements. Les temps ont changé. Après l'affaire Enron, beaucoup de compagnies ont constaté que leurs caisses de retraite étaient sous-provisionnées et qu'elles font face à des réclamations potentiellement énormes.

Le problème apparaît plutôt urgent. De quelque façon qu'on l'envisage, les victimes sont des requérants qui comptent parmi les plus vulnérables du régime, parce qu'ils ont fini de fournir leur travail à la compagnie et ils comptent énormément sur ces pensions pour finir le reste de leurs jours. Nous pouvons en faire les bénéficiaires d'un système national de rajustement ou, à tout le moins, inscrire leur cause parmi les priorités absolues.

En réponse à la seconde question, il se passe différentes choses. Parfois, les parties arrivent à une entente, notamment si elles ont entretenu une longue et saine relation de négociations avec le syndicat, ce qui n'est pas toujours le cas. Les tribunaux ont très efficacement utilisé les juges, non pas le juge chargé de superviser toute l'affaire, mais un juge qui connaît bien la législation et qui souvent est très versé dans les relations de travail. Il arbitre un processus de résolution des conflits en marge de la procédure principale. Ce fut une réussite dans le cas notamment de la Croix- Rouge, des Aciers Algoma, comme vous le savez sûrement et, bien que la procédure soit encore en cours dans le cas d'Air Canada, cette méthode a grandement contribué à faire avancer les choses.

Le sénateur Moore: Madame Sarra, vous avez mentionné que la codification de certains éléments pourrait faire pencher la balance en faveur des grands créanciers. Vous nous avez demandé d'être prudents. Pourriez-vous préciser pour le compte rendu ce qui, à votre avis, ne doit pas être codifié? Vous souhaitez que les juges conservent le plus de latitude possible pour être en mesure de collaborer avec les parties à la sauvegarde de la compagnie. Toutes les parties font des concessions, mais l'entité reste en vie et les emplois ainsi que la productivité sont préservés. Pouvez-vous nous dire ce qu'il ne faut pas codifier?

Mme Sarra: Pour ce qui concerne l'importante question du financement du débiteur-exploitant, il faut éviter de donner un droit de veto aux prêteurs au cours du processus, parce qu'ils ont des informations privilégiées. Au bout du compte, ils ont toujours un droit de veto sur le processus parce qu'ils mettent les réclamations dans une classe à part et, sans eux, il est impossible de conclure un arrangement.

À court terme, dans le bref intermède où le tribunal a ordonné la suspension des réclamations pour donner le temps à la société de proposer un plan viable, aucune disposition relative au financement du débiteur-exploitant (DIP) ne devrait avoir pour effet de mettre fin prématurément à la procédure.

Je souscris à toutes les recommandations qui donnent au tribunal la possibilité d'examiner la régie de la compagnie débitrice, de lui imposer une forme quelconque de plan de comptabilité financière initiale et, éventuellement, d'exiger un rapport de surveillance. De toute évidence, les avis aux créanciers avant l'annonce officielle posent un problème réel. Les choses s'améliorent, mais les ordonnances ex parte ont causé maints problèmes, parce qu'elles mettaient au parfum les prêteurs existants et donnaient l'avantage aux prêteurs du débiteur-exploitant. Ce ne devrait plus être possible si aucune partie ne reçoit d'avis.

Certaines recommandations proposent que, si aucune entente n'intervient avec les grands créanciers, le tribunal ne devrait pas l'imposer. À toutes fins utiles, cela rendrait toute restructuration impossible. Souvent, les tribunaux ont ordonné le financement provisoire pour que la compagnie puisse poursuivre ses opérations pendant la période courte mais réaliste où elle élabore sa stratégie d'arrangement. Sans possibilité de financement du débiteur-exploitant, en sachant que très peu de personnes s'engageraient à financer un bateau qui coule, la compagnie se retrouverait complètement à sec, sur-le-champ. Il devient alors très tentant de simplement liquider les avoirs plutôt que de vendre un commerce viable. C'est probablement le plus gros problème, à mon sens.

Je vous propose aussi de tenir compte des bouleversements survenus dans le paysage des prêts garantis ces cinq dernières années. Ces changements ne concernent pas seulement les intérêts multiples dont j'ai parlés: certains de nos plus importants créanciers garantis sont aussi visés.

Dans les premières causes que j'ai étudiées, les grands prêteurs étaient les banques à charte, par l'entremise de GSA et autres produits à intérêts garantis. Les banques, relativement peu nombreuses au Canada, entretiennent des liens permanents avec les entreprises et les collectivités, et elles étaient toujours prêtes à discuter des compromis possibles.

Ces dernières années, des prêteurs de consolidation de dette sont arrivés en masse des États-Unis. Pour ne pas perdre l'accessibilité au marché canadien, ils rachètent des parts ainsi que des prêts et le crédit dans de nombreuses catégories de dettes, de sorte à influer sur le processus d'arrangement. Leur intérêt est tout autre: ils veulent optimiser la valeur à court terme de leurs réclamations. Ils ont d'autres motivations.

La place précaire donnée à l'intérêt national dans les plans élaborés est menacée, avant même la réforme législative. Toute mesure leur conférant un droit de veto aurait des effets désastreux sur les modalités de répartition découlant du processus.

Je voudrais enfin souligner le caractère très délicat de l'attribution de la responsabilité aux dirigeants et aux administrateurs. Nul doute que l'imputabilité devient névralgique quand une compagnie connaît des difficultés financières. La plupart des décisions judiciaires rendues au Canada ordonnent aux dirigeants et aux administrateurs des compagnies qui sont en difficulté financière, insolvables ou au bord de l'insolvabilité de tenir compte des intérêts des créanciers ou d'agir dans l'intérêt de leur compagnie, sans oublier pour autant les dommages potentiels pour les créanciers. C'est un atout pour l'avenir. La Cour d'appel du Québec, je l'ai déjà mentionné, a récemment dit non, en affirmant que c'était toujours les actionnaires, toujours.

C'est un pas dans la bonne direction. On a proposé la codification en cette matière. Mais il y a un hic: si la loi précise «l'intérêt supérieur direct des créanciers», il faut entendre l'intérêt supérieur des grands prêteurs garantis, à moins que la loi ne stipule par ailleurs qu'il faut tenir compte des intérêts multiples et de l'intérêt public.

À mon avis, tout arrangement conclu aux termes de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies doit viser à optimiser la valeur générale de l'entreprise. Il est plus sain de parler des responsabilités des dirigeants et des administrateurs à l'égard de l'intérêt supérieur de la compagnie et de l'optimisation de sa valeur que de restreindre cette responsabilité aux «créanciers», un terme qui désigne dans les faits les «grands prêteurs.»

Le sénateur Moore: Je suis toujours étonné de voir que, dans la plupart des cas, les dirigeants qui négocient l'arrangement sont aussi ceux qui ont mené l'entreprise à cette situation. J'ai rarement vu qu'on avait substitué aux anciens administrateurs des membres apportant une autre vision, intéressés avant tout à ce que l'entreprise fonctionne et par la situation des créanciers. Avez-vous des commentaires sur la composition des conseils d'administration pendant le processus d'arrangement?

Mme Sarra: Bien sûr. C'est très intéressant. J'aurais été d'accord avec vous jusque voilà quatre ans. C'est un domaine où les choses semblent avoir changé. Premièrement, les compagnies embauchent désormais des responsables de la restructuration, dont elles font un élément clé de leur stratégie; souvent, ils restent en poste pendant quelques années une fois la restructuration terminée. Il s'agit de professionnels hautement qualifiés qui, entre autres fonctions, doivent voir à faire des changements dans le personnel. Les dirigeants ou administrateurs compétents en temps de prospérité ne sont pas toujours les mieux placés pour revoir les méthodes de fonctionnement, comme vous l'avez judicieusement souligné. Je suis en effet convaincue qu'il faut modifier la composition du conseil d'administration pour repartir à neuf.

Au Canada, 65 p. 100 des compagnies, même celles qui sont cotées en bourse, sont à capital fermé, et elles sont souvent le siège de tensions familiales ou de luttes de pouvoir des actionnaires peu nombreux. Mais les choses changent. Tous, des travailleurs aux syndicats, en passant par les grands créanciers, s'intéressent à la future structure de régie de la nouvelle compagnie ou de la compagnie restructurée. C'est un changement très positif.

[Français]

Le sénateur Biron: Vous proposez que les REER soient versés dans des rentes viagères avec des annuités, ce qui signifie que les REER seraient non saisissables par le syndic et les créanciers. Ai-je bien compris?

Mme Sarra: Je ne réponds pas en français parce que depuis que je vis à Vancouver, je ne parle presque plus français.

[Traduction]

Au sujet des REER et des prestations de pension acquises, vous vous demandez si la protection est suffisante?

Le sénateur Biron: Oui.

Mme Sarra: Je n'ai pas compris la dernière partie...

Le sénateur Biron: Vous proposez de verser les REER dans une annuité.

Mme Sarra: Faites-vous référence à des entreprises en faillite?

Le sénateur Biron: Non.

Le sénateur Massicotte: Je crois que sa question concerne les faillites personnelles. Quand un particulier déclare faillite, vous proposez que ses REER soient protégés des réclamations des créanciers. Pouvez-vous nous expliquer ce que vous entendez par là et nous donner les raisons?

Mme Sarra: D'accord.

Le sénateur Massicotte: Si j'ai bien compris, c'est ce que vous dites dans votre document, non?

Mme Sarra: Je m'excuse. Jusqu'ici, je n'ai pas parlé d'insolvabilité personnelle. J'ai étudié les causes judiciaires des entreprises ayant sous-provisionné leur caisse de retraite — ce qui est différent des fonds versés dans un REER distinct — et je me suis interrogée sur les mesures à prendre dans le cas de ces engagements non provisionnés. Je suis désolée d'avoir mal compris la dernière question. Je parlais en fait des compagnies en instance de conclure des arrangements et des mesures à prendre pour ce qui est des réclamations liées aux pensions.

Le sénateur Massicotte: La question concerne les particuliers.

Mme Sarra: Dans le cas des faillites personnelles — je n'en parle pas dans mon mémoire, mais il me fait plaisir de vous donner mon avis. Actuellement, les régimes de pensions individuels sont protégés en cas de faillite personnelle, ce qui n'est pas le cas des REER. Des propositions relatives à la réforme de la loi sur les faillites personnelles recommandent de donner un traitement égal aux REER et aux régimes de pensions administrés par les compagnies, et j'abonde dans ce sens. C'est même essentiel à mes yeux.

Voilà des années, la grande majorité des employés étaient protégés par un régime de pensions de compagnie. Depuis, le profil de la main-d'oeuvre a beaucoup changé, et un nombre croissant de particuliers doivent gérer eux-mêmes leur épargne-retraite. Des mesures ont été mises en place pour encourager les cotisations à un REER, entre autres produits. Pour cette raison, il me semble tout à fait logique de traiter les REER sur le même pied que d'autres régimes de pensions, pour protéger les particuliers. Si un particulier déclare faillite, ses créanciers auront un droit sur la grande majorité des biens qui lui restent. Cependant, nous voulons encourager les gens à économiser en vue de la retraite; nous voulons être certains que, même s'ils ont connu des difficultés financières à 50, à 55 ou à 40 ans, ils pourront compter sur un revenu de base quand ils atteindront l'âge de la retraite.

Le président: J'aimerais revenir à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et à la restructuration des grandes compagnies. Bien que vous ayez pointé certains domaines qui bénéficieraient d'orientations législatives, en règle générale, si je me fie à votre témoignage oral et écrit, vous considérez que la législation, très simple, offre une souplesse intéressante. Selon vous, c'est plus souhaitable qu'une approche plus lourde — par exemple, une approche inspirée du chapitre 11. Si je comprends bien, vous considérez que la souplesse du système est positive, en général — c'est ce qu'évoque aussi votre commentaire favorable au sujet de la qualité des décisions judiciaires.

Si ma perception est juste, j'aimerais que vous nous disiez si elle s'applique partout au pays et dans tous les tribunaux. Vous avez l'avantage de travailler à l'extérieur de Toronto et de Montréal, un poste d'observation qui vous donne manifestement une vision plus claire et plus objective. Votre regard d'universitaire sur le travail des tribunaux vous a-t-il permis de conclure que tous les tribunaux du pays réussissent à optimiser les avantages d'un système souple? Nous avons une certaine idée, ne serait-ce qu'en regardant les nouvelles, des difficultés énormes qui sont inhérentes aux vastes entreprises de restructuration, et nous savons aussi que très peu de juges sont affectés à ces dossiers. Les demandes sont très grandes pour les juges chargés d'appliquer le régime. J'aimerais entendre vos commentaires sur le fonctionnement général de cette législation souple dans l'ensemble de l'appareil judiciaire.

Mme Sarra: À mon avis, les résultats sont très positifs dans l'ensemble. Je ne prétends pas que tout soit parfait — il est notoire que beaucoup de ces causes sont inscrites au rôle commercial et sont jugées à Toronto. Cela s'explique surtout par la compétence supérieure des juges affectés au rôle commercial. Par ailleurs, dans le cadre du processus expéditif de traitement, l'instruction est amorcée rapidement et un juge superviseur est affecté au dossier. Mais j'admets que ce n'est pas sain pour l'ensemble du système.

Je commence un projet de cinq ans au cours duquel j'étudierai toutes les causes relevant de la LACC jugées au Canada. L'étude portera sur les quatre dernières années et probablement sur deux ou trois années à venir. J'ai examiné tous les jugements et, peu à peu, nous étudions tous les dossiers liés aux causes. Des étudiants en droit collaborent avec moi. Jusqu'ici, il semble que le traitement soit relativement uniforme. Si nous reculions de dix années environ, nous pourrions nous interroger sur les décisions un peu étranges de tribunaux situés dans des régions périphériques, mais les choses ont changé, pour deux raisons à mon avis. Premièrement, les outils électroniques permettent aux juges canadiens de consulter les décisions de leurs homologues, ce que font aussi les parties je crois. L'uniformité est réelle. La jurisprudence démontre une grande convergence entre les décisions rendues, que ce soit dans le domaine du crédit commercial après requête ou du financement du débiteur-exploitant — sur ordonnance de suspension initiale aux termes de la LACC. On constate une uniformité croissante entre les jugements rendus au Canada.

Deuxièmement, il faut souligner l'excellent travail de l'Institut national de la magistrature — l'organisme chargé de la formation des juges — auprès des juges en région. Ces juges sont rarement saisis de causes relevant de la LACC, soit parce que les sièges sociaux ne se trouvent pas en région, soit parce qu'ils ne sont pas directement mis en cause. Ils peuvent profiter des connaissances acquises par les juges et d'autres parties qui ont été impliqués dans les causes d'envergure nationale. Le travail remarquable de l'Institut a favorisé le processus de restructuration souple.

C'est un outil beaucoup plus efficace que le chapitre 11 de la loi américaine. Les juges et les autres intervenants vous diront tous qu'il faut compter au moins 1 million de dollars en frais d'avocat et autres honoraires professionnels pour instituer une procédure.

Le sénateur Massicotte: Nous avons entendu beaucoup de plaidoyers, et tous les interlocuteurs ont une opinion très tranchée à l'égard des mécanismes de division des biens prescrits par la LACC. Le débat tourne autour de la préséance de la super-priorité au détriment des créanciers garantis. Essentiellement, on dénonce les dommages subis par ceux qui ont fourni des services sans avoir été payés. Un créancier garanti — qui a passé du capital ou de l'argent — se retrouve aussi impayé.

Nous avons parlé de financement plus tôt. Au Canada, on privilégie le financement reposant sur l'actif, le plus souvent garanti. Les petites entreprises se plaignent que les modes de financement sont inadéquats. De fait, le financement à haut risque est très rare au Canada. Il n'y a pas de marché pour ce genre de financement, et très peu de prêteurs s'y commettent. Il y a la BDC, entre autres.

Pouvez-vous nous suggérer, à grands traits, des limites qui garantiront que l'octroi de la super-priorité à quiconque ralentira le financement croissant d'un secteur qui a déjà des difficultés? Air Canada a recours au prêt à long terme et à la location de ses avions. Où se trouve l'équilibre selon vous?

Mme Sarra: C'est une très bonne question. La tâche n'est pas facile. L'accès au crédit n'est pas tout — il faut aussi penser au coût à long terme du crédit. L'équilibre se trouvera dans la reconnaissance de la capacité relative des parties d'assurer leur protection à l'amorce des négociations. Les principaux prêteurs et les prêteurs à risque obtiennent un accès enviable à l'information quand ils négocient des garanties. Par conséquent, ils sont aux premières loges pour dépister rapidement, avant quiconque, d'éventuelles difficultés financières. Les prêteurs principaux font des pressions sur les compagnies pour qu'elles révisent leurs méthodes de régie — cela fait partie de leurs activités régulières de surveillance inhérentes aux conventions de crédit.

Le fait d'attribuer la super-priorité à d'autres parties qui n'ont pas cette fenêtre sur les activités de la compagnie n'aura pas d'effet négatif sur le système de crédit à long terme. J'ai interrogé des prêteurs importants aux fins de ma recherche. Ils veulent que le système soit sûr. Ils souhaitent qu'on en fasse une priorité, et ils ajusteront leurs ententes de crédit en conséquence.

La nécessité d'augmenter l'offre de crédit au Canada est aussi attribuable à des facteurs beaucoup plus étroitement liés aux marchés financiers national et international. Cependant, les principaux prêteurs s'inquiètent surtout à cause de l'issue incertaine du débat sur l'équilibre des priorités.

Je souscris à certaines des recommandations proposées sur la codification.

Nous devrions veiller à respecter la hiérarchie établie par la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. Il sera possible de rajuster les montants ou de mettre en place d'autres mécanismes favorisant un meilleur équilibre — par exemple, un système national de rajustement des salaires.

Ce type de mécanismes ne pose aucun danger pour le système de crédit. Je serais fort étonnée qu'un grand banquier, ou que des prêteurs haut de gamme comme les émetteurs d'obligations ou les prêteurs de capital de risque, me contredisent sur ce point.

Le président: Avez-vous d'autres questions? Non? Je vous remercie. La discussion a été fort utile et très enrichissante. Nous sommes ravis de votre passage ici ce matin. Nous serons heureux de collaborer avec vous sur une base continue.

Mme Sarra: Merci beaucoup. Je serai très heureuse de vous aider dans la mesure de mes capacités.

La séance est levée.


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