Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 25 - Témoignages du 25 septembre 2003
OTTAWA, le jeudi 25 septembre 2003
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 11 h 05 pour étudier l'application de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies.
Le sénateur Richard H. Kroft (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Je déclare la séance ouverte. Ce matin, nous allons entendre un groupe de témoins qui aborderont un large éventail de questions.
D'abord, nous allons entendre M. David Baird, de Toronto. Monsieur Baird, je crois comprendre que, à une certaine époque, vous avez agi comme conseiller auprès du comité.
David E. Baird, c.r., avocat, Torys LLP: Oui, j'ai agi comme conseiller auprès du comité de 1975 à 1980, à l'époque où les deux nouvelles lois sur la faillite étaient à l'étude.
Le président: Nous allons également entendre M. Max Mendelsohn et M. Jean-Claude Delorme.
Monsieur Baird, je vous invite à présenter votre exposé, après quoi nous entendrons M. Mendelsohn.
M. Baird: Je pratique le droit de la faillite depuis près de 44 ans. Tout ce temps, j'ai participé activement à la réforme du droit de la faillite. En plus de travailler auprès du comité du Sénat, j'ai été membre du Comité Colter de 1985 à 1986, à l'époque où il a présenté un rapport sur des modifications de la Loi sur la faillite. La plupart des modifications en question sont entrées en vigueur en 1992. Par la suite, j'ai siégé au Comité consultatif sur la faillite et l'insolvabilité, à l'époque où il étudiait de nouvelles modifications de la Loi sur les faillites en 1997. Cependant, le processus de réforme ne prend jamais fin, et on doit modifier la législation sur la faillite et l'insolvabilité pour faire en sorte qu'elle demeure efficiente et efficace.
Je suis heureux qu'on m'ait honoré en faisant de moi un fellow de l'Institut d'insolvabilité du Canada. Monsieur Goldstein, votre conseiller, partage cet honneur.
J'ai préparé un bref mémoire à votre intention. Malheureusement, je n'ai pas eu le temps de le faire traduire en français, et je m'en excuse.
Je vais expliquer pourquoi il est important de réviser la Loi sur la faillite et l'insolvabilité tout autant que la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies pour protéger le preneur de licence de propriété intellectuelle lorsque le donneur de licence est insolvable. Je vais m'intéresser à l'introduction au Canada d'une loi type de la CNUDCI. Je vais faire état de la nécessité d'abolir le tarif des frais, désuet au-delà de toute mesure, qui, dans les Règles régissant la faillite, fixe les honoraires versés aux avocats pour les services juridiques rendus à un syndic de faillite. Je vais également parler d'une de mes lubies, même si je me rends compte qu'elle n'est pas visée par votre ordre de renvoi.
J'aimerais parler brièvement de la Loi sur les liquidations et les restructurations. On a besoin de cette dernière pour la restructuration des établissements financiers. Elle n'a pas été revue depuis plus de 100 ans; à ce titre, elle a manifestement besoin d'être revue et améliorée.
Au cours des 15 dernières années, on a abondamment discuté de la question de savoir si un syndic de faillite avait le droit de désavouer ou d'annuler une licence accordée au preneur de licence par le failli. Permettez-moi de vous donner un exemple assez peu vraisemblable: si Microsoft vous octroie une licence pour l'utilisation d'un programme Windows et que Microsoft fait faillite, la question est de savoir si le syndic de faillite peut annuler votre licence, vous empêcher d'utiliser le programme Windows, puis vendre ce dernier à quelqu'un d'autre ou vous dire que vous devez payer le double du droit de licence annuel prévu pour l'utilisation de Windows.
Au Canada, la question de savoir si un syndic de faillite pouvait tenir ce genre de conduite a fait l'objet d'un débat. On a répondu par oui à la question.
En vertu du droit canadien actuel, un donneur de licence insolvable semble habilité à annuler une licence. C'est la décision qu'a rendue le juge Farley dans une affaire récente concernant Eaton et l'utilisation du logo de la société par l'entreprise qui assurait le financement de ses cartes de crédit.
Sears a proposé de faire l'acquisition des actions de Eaton. L'une des conditions de cette offre était que la société de financement actuelle ne puisse plus utiliser le logo d'Eaton ni participer au financement des cartes de crédit de Eaton. La société Eaton a mis un terme au contrat de licence qui la liait à la société émettrice des cartes de crédit. Eaton a porté la décision en appel.
Le juge Farley a statué que Eaton avait droit d'annuler le contrat de licence aux termes de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. La décision était similaire à celle rendue aux États-Unis dans l'affaire Lubrizol. Dans le cas des faillites des États-Unis, on trouve des dispositions précises qui autorisent le désaveu ou l'annulation de contrats exécutoires. Un contrat de licence est un contrat exécutoire en ce sens qu'il s'agit d'un contrat intervenu entre deux parties qui, aux termes du contrat, ont des obligations matérielles. Il s'agit d'un contrat courant.
Dans l'affaire Lubrizol, la cour d'appel fédérale a maintenu le droit du syndic de faillite d'annuler le contrat de licence. Cette décision a envoyé une onde de choc extrême dans l'ensemble des États-Unis, les preneurs de licence risquant du même coup de voir leur licence annulée pendant une procédure de faillite. Le Congrès des États-Unis a réagi rapidement et modifié la loi des États-Unis sur les faillites et établi que, en cas de faillite d'un donneur de licence, le preneur de licence qui souhaite utiliser cette dernière peut continuer de le faire, nonobstant la faillite. Le preneur de licence peut accepter l'annulation du contrat de licence et dire: «Je vais présenter une demande de dommages-intérêts» ou dire: «Je veux continuer d'utiliser le contrat de licence, et je vais continuer d'effectuer les paiements nécessaires.»
C'est la loi en vigueur aux États-Unis. Je recommande que nous modifiions les dispositions canadiennes sur la faillite pour assurer les mêmes droits à un preneur de licence au Canada.
Une telle mesure est très importante pour les sociétés qui développent des technologies au Canada. En effet, l'acheteur d'une licence émise par un concepteur de technologie canadien risque de voir le contrat annulé en cas de faillite, mais le même acheteur ne court pas les mêmes risques aux États-Unis. Ainsi, les sociétés canadiennes de technologie sont très désavantagées.
La situation est encore plus difficile lorsque la société est en démarrage parce qu'elle n'a pas une histoire de réussite. Il est très difficile de s'imposer sur le marché. Dans certains cas, il est nécessaire de constituer en société une filiale aux États-Unis, de faire passer le contrat de licence par cette dernière, puis de la rapatrier de la filiale aux États-Unis vers l'ultime client pour contourner les points faibles des dispositions législatives canadiennes.
Il s'agit d'une modification importante, Je crois comprendre que l'organisation qui a comparu devant vous hier s'y est dite favorable. J'aimerais qu'on introduise une telle modification sans plus tarder au lieu d'attendre une révision complète de la Loi sur la faillite. Les révisions auxquelles nous nous attendrons exigeront des années. Cette lacune de notre droit cause déjà des problèmes.
À ma connaissance, cette question ne soulève aucune controverse. Je n'ai entendu personne s'y opposer. Nous devrions procéder rapidement. Je recommande une modification rapide dans ce secteur.
Qu'arrive-t-il lorsqu'un preneur ou un titulaire de licence fait faillite? La plupart des contrats de licences prévoient que, en cas de faillite du preneur de licence, le donneur de licence peut annuler la licence et la donner à quelqu'un d'autre.
Il est donc très difficile pour le syndic de faillite du preneur de licence de vendre la licence. Or, elle vaut peut-être quelque chose. Cette situation a pour effet de réduire les montants récupérés par les créanciers non garantis et risque d'assurer au donneur de licence un avantage inattendu puisque c'est uniquement la faillite qui lui a conféré le droit d'annuler la licence. Les paiements se poursuivront. Le preneur de licence aura beau continuer d'honorer toutes les modalités du contrat, le donneur de licence, en raison de la faillite, se voit accorder un avantage inattendu du fait qu'il peut annuler la licence et la vendre à quelqu'un d'autre.
À mon avis, c'est indéfendable. Dans la loi, on devrait enlever au donneur de licence le droit d'invoquer ipso facto des dispositions qui régissent l'annulation des contrats en cas d'insolvabilité pour annuler une licence.
La situation est analogue à celle qu'on rencontre en ce qui concerne les baux liant propriétaire et locataire. La plupart des lois provinciales empêchent un propriétaire d'annuler un bail, même si le locataire fait faillite. La mesure vise à protéger l'éventuel syndic de faillite. Ce dernier est en mesure de céder le bail et peut-être de recouvrer des fonds pour les créanciers.
Il s'agit en réalité d'une recommandation visant à prévenir tout avantage inattendu. Je ne vois pas pourquoi un donneur de licence ou un prestataire devrait avoir le droit d'annuler un bail ou une licence et de négocier pour obtenir de meilleures conditions.
Le président: Dans de nombreux contrats de licence, monsieur Baird, le donneur de licence est tenu d'assurer au preneur de licence une certaine forme de soutien continu comme condition de l'efficacité de la licence, qu'il s'agisse de la mise à jour de tel ou tel aspect ou d'une protection continue.
Qu'arrive-t-il lorsqu'une telle forme de soutien est requise?
M. Baird: Ce que je comprends de la situation en vigueur aux États-Unis, c'est que, en vertu des contrats, on accorde traditionnellement une partie du code source au preneur de licence pour que ce dernier puisse continuer d'utiliser la licence. Il n'est pas normal d'obliger le donneur de licence ni le syndic de faillite à continuer à assurer le soutien. Il ne s'agit pas d'une exigence normale.
Le président: Le preneur de licence ne dispose donc d'aucun recours pour faire en sorte que la licence soit valable.
M. Baird: Non. Si vous avez besoin du soutien du failli, vous êtes dans le pétrin. Si vous n'avez pas besoin de soutien, vous avez le droit d'utiliser la licence, de poursuivre vos activités et de continuer d'effectuer les paiements.
Le président: Merci. Pardonnez-moi de vous avoir interrompu.
M. Baird: Non, c'est une bonne question. C'est un problème. La solution que je recommande n'a pas pour effet de régler tous les problèmes des preneurs de licence parce qu'on ne peut en aucun cas obliger un syndic de faillite à continuer à satisfaire aux exigences d'un contrat de licence. Ce serait irréaliste.
J'aimerais maintenant aborder la question de l'introduction de la loi type de la CNUDCI au Canada. L'objet fondamental de la loi de la CNUDCI est d'assurer la coopération entre les tribunaux et d'autres autorités, d'assurer un contexte juridique plus sûr pour le commerce et l'investissement de même qu'une administration équitable et efficiente des cas d'insolvabilité transfrontalière et de protéger ou d'optimiser la valeur des actifs des créanciers. Ce sont là des objectifs fort louables, mais la loi type comporte un certain nombre de problèmes qui n'ont pas été réglés.
Comme vous le savez, il s'agit d'une loi relativement simple et brève, mais elle est muette sur bon nombre d'éléments clés nécessaires à la mise en œuvre ou à l'application de la loi type aux fins pour lesquelles elle a été adoptée. Il en résulte des problèmes. On en revient au vieil adage selon lequel les difficultés surgissent des menus détails.
La loi type ne dit rien des droits faits aux créanciers pour assurer la reconnaissance de leurs prétentions. On ne précise pas le traitement qui sera accordé aux créanciers qui, en vertu du droit canadien, bénéficient d'une priorité. On ne dit rien des dispositions législatives qui seront appliquées pour déterminer les droits des créanciers garantis. On ne dit rien du tribunal qui sera appelé à se prononcer sur les droits des créanciers canadiens. J'ai bien peur qu'il s'agira de la cour étrangère. Quel droit appliquera-t-on? Nous ne le savons pas.
Le représentant étranger aura son lieu d'affaires dans un État étranger. Jusqu'à quel point les créanciers auront-ils de la difficulté à comparaître devant la cour en question? Si, en vertu d'une ordonnance, les actifs sont mutés à l'extérieur du Canada, les créanciers canadiens se trouvent sans recours dans l'hypothèse où l'administration étrangère ne traite pas tous les créanciers de façon équitable ou ne fait pas diligence. Dans d'autres pays, il arrive malheureusement que de nombreux cas d'insolvabilité s'étendent sur une longue période, ne soient pas traités avec autant de vitesse et de célérité qu'au Canada et soient à la merci des caprices de la procédure étrangère.
Une autre lacune majeure de la loi type vient du fait qu'elle ne tente pas de remédier aux problèmes liés aux entreprises transnationales, par exemple des entreprises différentes appartenant à une seule et même société de portefeuille, mais ayant des activités dans des pays différents.
On se bute aussi au problème des dépenses. Les créanciers canadiens qui souhaitent comparaître devant une administration étrangère doivent se rendre sur place et faire appel aux services d'un conseiller juridique étranger, tout cela pour des opérations entreprises au Canada par deux parties dont les activités se déroulaient au Canada.
Le jeu en vaut-il la chandelle? Une certitude plus grande vaut-elle les problèmes dont j'ai fait mention, et cetera? L'un des problèmes intéressants que nous avons vis-à-vis des États-Unis vient du fait que le chapitre 11 des États-Unis s'applique aux entreprises solvables tout autant qu'aux entreprises insolvables. Les dispositions législatives canadiennes sur l'insolvabilité, la Loi sur la faillite et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies ne s'appliquent qu'aux seules entreprises insolvables. À l'occasion, les tribunaux ont admis les procédures étrangères entreprises contre une société canadienne solvable, comme en témoigne la décision récente du juge Farley dans l'affaire Babcock et Wilcox. Lorsque nous avons adopté la Partie III de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, l'intention n'était pas, à mon avis, de conférer au tribunal canadien le droit de porter atteinte à une entreprise solvable au Canada. Dans l'affaire Babcock et Wilcox, la société américaine menait ses activités en vertu du Chapitre 11; la société canadienne n'était pas insolvable, mais les tribunaux canadiens ont malgré tout reconnu les procédures étrangères, et la société canadienne a été touchée en conséquence.
Il s'agit d'une question difficile, nommément: que fait-on dans le cas des multinationales? Dans le journal, vous avez peut-être lu cette semaine qu'une ordonnance avait été prise concernant Philip Services Corp. Il s'agit d'une affaire transfrontalière classique. Le cas fait ressortir l'ensemble des problèmes qui se posent, lesquels nous ont préoccupés.
Dans le cas de Philip Services Corp., on a affaire à un petit récupérateur qui a entrepris de mener ses activités à Hamilton il y a de nombreuses années. Avec le temps, l'entreprise a étendu ses activités au Canada, aux États-Unis et au Mexique. Il y a environ deux ans, la société a connu des difficultés financières et a été restructurée là-bas, en vertu d'un plan d'arrangement conjoint fondé sur le Chapitre 11 des États-Unis et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies du Canada. Cependant, ce sont les États-Unis qui étaient la principale administration responsable des questions entourant le plan, même si le siège social de la société se trouvait au Canada. Pourquoi les États-Unis ont-ils assumé la responsabilité principale?
Le sénateur Oliver: La plupart des actifs étaient aux États-Unis.
M. Baird: C'est vrai. C'était l'une des raisons. Cependant, une deuxième raison très importante tient au fait qu'il y avait un certain nombre de ce que nous appelons des revendications liées au capital-actions, soit des revendications découlant du fait qu'il y a eu répartition des actions et que les actionnaires ayant fait l'acquisition de ces dernières se sont plaints de la divulgation. Je ne connais pas tous les détails, mais il y a eu de nombreuses réclamations découlant de transactions portant sur des actions.
En droit américain, toute revendication découlant d'actions transigées est subordonnée aux créances commerciales ordinaires et à d'autres créances. En ce qui concerne les réclamations liées au capital-actions, nous avons une classification différente. Par conséquent, on souhaite utiliser le droit américain de façon que les créanciers commerciaux et d'autres créanciers ne soient pas traités sur un pied d'égalité avec les auteurs de réclamations liées au capital-actions. Il s'est agi d'un facteur important dans l'administration responsable des cas d'insolvabilité au Canada. Si je comprends bien, des problèmes analogues se sont posés dans les affaires Laidlaw et Loewen. L'incapacité du droit canadien de subordonner les revendications liées au capital-actions a fait en sorte que quelques sociétés transnationales sont administrées aux États-Unis plutôt qu'au Canada, même si leur siège social se trouve au Canada.
Je recommande que l'on établisse des règles du jeu égales. Nous devrions adopter au Canada des dispositions analogues en vertu desquelles les réclamations liées au capital-actions sont subordonnées aux créances commerciales et aux autres créances. Sinon, on assistera à de plus en plus de réorganisations effectuées selon les règles du droit des États-Unis parce que les créanciers canadiens préfèrent bénéficier d'une position plus avantageuse en vertu du droit américain que de se soumettre à la procédure en vigueur au Canada. C'est d'ailleurs le recours qu'a recommandé le groupe de travail mixte de l'Institut d'insolvabilité du Canada et de l'Association canadienne des professionnels de l'insolvabilité et de la réorganisation.
Une fois de plus, la modification entraînerait l'établissement de règles du jeu égales. À ma connaissance, personne au Canada ne s'oppose à ce type de modification. L'absence d'une telle disposition dans notre droit a entraîné un exode des restructurations vers les États-Unis.
Philip Services Corp., je le répète, avait environ 90 p. 100 de ses actifs aux États-Unis. Les détails se trouvent dans les documents que je vous ai remis. La société compte 120 bureaux en Amérique du Nord, dont 37 au Canada; au total, elle emploie 5 500 personnes, dont 1 390 au Canada; 20 p. 100 de ses avoirs consolidés et 10 p. 100 de ses revenus consolidés se trouvent au Canada. La part des créanciers commerciaux des États-Unis est de 78 millions de dollars US contre 8,9 millions de dollars canadiens pour les créanciers commerciaux du Canada.
Philip U.S. et ses succursales ont une dette autorisée émise considérable, laquelle a été garantie par les actifs des filiales canadiennes, avancés en appui aux garanties en question.
Comment cette société, de nouveau insolvable, devrait-elle être administrée? Nous nous penchons aujourd'hui sur ses problèmes. Il s'agit d'une cause type illustrant les problèmes de cette nature.
Le 2 juin, on a déposé une demande de procédures en vertu du Chapitre 11 des États-Unis pour la société de portefeuille des États-Unis et d'autres filiales aux États-Unis. Après le dépôt — et peut-être même avant —, des efforts de marketing conjoint ont été déployés en faveur des actifs canadiens et américains.
Le 4 août, le tribunal de la faillite des États-Unis a accordé un financement de 34 millions de dollars aux débiteurs qui demandent la protection de la loi. Je sais que le comité a discuté de cette question. À cette occasion, le tribunal a également approuvé une ordonnance de processus d'adjudication parce que, dans le cadre d'efforts de marketing, on avait trouvé un soumissionnaire ou un acheteur. La soumission a été présentée, et le tribunal des États-Unis a autorisé un processus d'adjudication, dans le cadre duquel on a demandé à d'autres parties de présenter une soumission pouvant faire concurrence à celle de l'investisseur. Il s'agit d'une pratique qui s'est fait jour aux Etats-Unis, mais à laquelle on n'a pas souvent eu recours au Canada. En fait, j'ignore combien de fois on l'a utilisée, à supposer qu'on l'ait fait. Cependant, il s'agit de la notion de «soumissionnaire d'amorce», qui a pour but d'assurer l'équité. La société trouve un soumissionnaire, puis on donne à d'autres parties la possibilité de concurrencer cette offre, de façon que les créanciers aient l'assurance de recevoir le prix le plus élevé possible.
Dans ce cas, on a donné suite en procédant au concours, et une vente aux enchères a été tenue au début de septembre 2003. À la suite de la procédure de concours, l'investisseur, qui s'était réservé le droit d'égaler toute proposition, a revu son offre à la hausse. Le 12 septembre, le tribunal des faillites des États-Unis a approuvé un plan d'arrangement fondé en partie sur la soumission révisée de l'investisseur. Cependant, le plan américain portait également que les actifs canadiens devaient être restructurés à la satisfaction du soumissionnaire américain. Jusque-là, il n'y avait eu aucune procédure judiciaire au Canada puisque les créanciers canadiens n'avaient nullement été associés à la procédure en cours aux États-Unis. Le premier prêteur garanti à l'égard des actifs canadiens a retenu les services de la société Ernst & Young, qu'il a chargée de le conseiller. La société a surveillé le déroulement du processus d'adjudication.
Que s'est-il passé? Au Canada, on a tenu une audience le 19 septembre, et le juge a signé l'ordonnance le 22 septembre. On a demandé que les procédures américaines soient reconnues, ce qui n'a en soi rien de mal. Il est admis que les procédures en cours aux États-Unis devraient être reconnues.
Cependant, on a demandé qu'une ordonnance soit prise en application du paragraphe 47(1) de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité pour que la société Ernst & Young soit désignée à titre de séquestre intérimaire sans garantie de certains actifs, biens et engagements de Philip Canada. On a également demandé une ordonnance autorisant et obligeant le séquestre intérimaire à aider et faciliter toute opération de restructuration ou d'achat et de vente concernant la société canadienne ou ses actifs, biens et engagements, à l'exclusion de certains actifs, de concert avec la procédure de faillite en cours aux États-Unis. On a également demandé une ordonnance pour la suspension des procédures relatives à Philip Canada.
La demande a été faite, et l'ordonnance, accordée. Je ne suis pas personnellement au courant de l'affaire, mais j'ai lu l'ordonnance, qui figure au dossier. Les créanciers canadiens n'ont pas été mêlés à la requête présentée au tribunal. Ce dernier a maintenant autorisé Ernst & Young à vendre les actifs canadiens et à faciliter le plan de restructuration aux États-Unis.
La question qui se pose à tous est la suivante: est-ce ainsi qu'on devrait procéder à la restructuration de multinationales? Les procédures devraient-elles être arrêtées aux États-Unis pour ensuite être approuvées automatiquement au Canada? Le tribunal canadien ne devrait-il pas intervenir plus tôt au cours des procédures? Les créanciers canadiens ne devraient-ils pas avoir la possibilité d'intervenir? Quels droits de subrogation les créanciers canadiens exercent-ils? Je ne sais pas. En ce qui concerne les restructurations de multinationales, la pratique actuelle est relativement normalisée, même si la nomination d'un séquestre intérimaire constitue une légère surprise. Souvent, on désigne un contrôleur et non un séquestre intérimaire. C'est ainsi qu'on procède dans l'attente d'un régime plus détaillé concernant la restructuration des multinationales.
La restructuration tout entière s'effectue aux États-Unis sous les auspices des tribunaux des États-Unis, et les créanciers canadiens, qui représentent environ 20 p. 100 des actifs, ne semblent pas avoir été consultés. Je m'exprime uniquement d'un point de vue public, et je n'ai aucune connaissance factuelle de ce qui s'est passé en coulisse, même si une telle approche ne me surprend guère.
Ce que je crains, c'est que la loi type ne reconduise ce genre de pratiques. À l'heure actuelle, nous avons des dispositions législatives qui autorisent ce qui s'est produit dans le cas de Philip Services, mais la loi type va plus loin. Elle confère au tribunal le pouvoir de confier l'administration de la réalisation d'une partie ou de la totalité des actifs du débiteur au représentant étranger ou à une autre personne désignée par le tribunal, de lui laisser le soin d'assurer la répartition d'une partie ou de la totalité des actifs du débiteur là où le représentant étranger exerce sa compétence, à condition que le tribunal soit convaincu que les intérêts des créanciers et des États en cause sont adéquatement protégés.
Nous ne savons pas ce que veut dire «protection adéquate», et personne ne nous l'a dit. C'est à chacun des tribunaux qu'il reviendra d'interpréter cette notion avant de rendre sa décision.
Dans l'affaire Philips Services, le juge s'est trouvé dans une situation délicate. On a affaire à un processus de restructuration d'une valeur de plusieurs millions de dollars et à un acheteur intéressé. Tout le monde admet qu'il s'agit de la meilleure solution possible. Que pouvait faire le juge canadien? Devait-il refuser d'adopter les procédures américaines? Aurait-il dû tout reprendre depuis le début au Canada, ce qui aurait eu des effets sur l'ensemble des créanciers? Il s'agit de questions difficiles qui se posent à propos des pouvoirs que les tribunaux canadiens peuvent exercer dans un tel cas.
Dans ce cas, il apparaît assez clairement que le tribunal canadien s'est essentiellement contenté d'approuver automatiquement les procédures aux États-Unis. Cependant, c'est peut-être la meilleure solution. Devrait-il en être ainsi? Voilà, honorables sénateurs, la question que je vous pose.
L'autre question que j'ai effleurée a trait au tarif des frais juridiques qui est désuet. Si, à l'heure actuelle, on utilise le tarif des frais, un avocat reçoit 1 $ pour préparer une lettre et 6 $ pour déposer une requête de mise en faillite. Les tribunaux de l'Ontario et du Québec en sont venus à la conclusion que le tarif était désuet et ont choisi d'en faire fi. Pourquoi figure-t-il dans la loi? On devrait l'abolir.
La question d'un tarif national se pose également. Pour ma part, je ne recommande pas un tel régime. Les frais juridiques varient selon les régions du pays, et un tarif national risque de ne pas s'appliquer selon l'administration où les services juridiques sont rendus. Je laisserais à chacune des provinces le soin de fixer les règles et aux avocats celui de se faire rémunérer conformément aux tarifs et aux pratiques en vigueur pour d'autres tâches au civil.
C'est essentiellement ce qui se produit maintenant même si la loi dit le contraire. Les tribunaux, lorsqu'ils taxent un mémoire de frais, tiennent compte des taux en vigueur au niveau local plutôt que du tarif.
La dernière question que je souhaite aborder aujourd'hui concerne les modifications de la Loi sur les liquidations et les restructurations. On me dit que je parle dans le vide.
Cette loi a été négligée. Or, il s'agit d'une loi importante. C'est celle qu'on utilise pour la liquidation des banques. Nous n'avons pas eu de problème avec les banques depuis les années 80.
On l'utilise pour la liquidation des compagnies d'assurance. Le problème le plus récent qui s'est posé à cet égard concernait la Confederation Life. Malheureusement, nous avons rencontré peu de problèmes récents de sorte que tout le monde a oublié la Loi sur les liquidations et la restructuration, parce qu'on ne l'a pas présente à l'esprit, même si elle comporte de graves lacunes.
Le président: Monsieur Baird, je dois intervenir. La Loi sur les liquidations et les restructurations ne fait pas partie de notre ordre de renvoi. N'allez pas croire que ce que vous avez à dire à ce sujet ne nous intéresse pas. Je vous saurais gré d'exprimer vos préoccupations et de laisser un bref message à ce sujet aux fins du compte rendu. Cependant, notre mandat ne nous permet pas de faire quoi que ce soit au sujet de cette loi.
Nous nous attaquerons plus tard à cette question. Je ne veux pas vous couper la parole. Si vous voulez nous envoyer un message aux fins du compte rendu, je vous invite à le faire.
M. Baird: J'y tiens absolument. Je sais, monsieur le président, que cette question n'est pas visée par votre ordre de renvoi. J'espère sincèrement que vous aurez pour projet d'étudier la Loi sur les liquidations et les restructurations, mais cette dernière ne comporte pas de dispositions sur les restructurations, ce qui constitue l'une de nos inquiétudes majeures.
Nous pouvons améliorer la structuration des compagnies d'assurance et d'autres établissements financiers en assortissant la loi de dispositions efficaces sur les restructurations. Cette situation, c'est-à-dire l'absence de dispositions efficaces sur la restructuration dans la Loi sur les liquidations et les restructurations, coûte de l'argent aux titulaires de polices du Canada.
Voilà, monsieur le président, le message que je souhaite faire inscrire au compte rendu.
Le président: Merci beaucoup.
M. Max Mendelsohn, président du cabinet et chef du groupe des réorganisations et de l'insolvabilité de Mendelsohn, s.e.n.c.: Merci, honorables sénateurs, de l'occasion qui m'est donnée de prendre la parole devant vous. Ma dernière comparution remonte aux modifications de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies de 1997. J'avais alors comparu à titre de représentant d'Industrie Canada. Aujourd'hui, je me représente moi-même. En tenant certains des propos que j'ai l'intention de vous communiquer, je risque fort, comme M. Baird l'a dit à propos de la Loi sur les liquidations et les restructurations, de parler dans le vide.
J'aimerais revenir sur certains commentaires faits par M. Baird parce que, sur le fond, je suis d'accord avec lui dans divers domaines.
J'aimerais en dire un peu plus sur la question de la subordination des réclamations liées au capital-actions. L'absence de dispositions sur la subordination de telles réclamations fait que le Canada devient en quelque sorte hors de cause dans le cadre de certaines procédures d'insolvabilité, ce qui, autrement, ne serait pas le cas.
On doit non seulement subordonner les réclamations, mais aussi faire en sorte qu'elles ne donnent pas le droit de vote. Dans un plan de réorganisation, les auteurs de telles réclamations, si ces dernières sont subordonnées et que les actifs ne sont pas suffisants pour conférer de la valeur aux réclamations, ne devraient pas être autorisées à voter sur un éventuel plan. Si on confère à ces personnes le droit de vote et qu'elles n'auront pas droit aux produits d'un règlement, elles bénéficient d'une influence indue, même si, en réalité, elles n'auraient pas réglé le problème. Il s'agit d'une question de subordination et de perte de droits.
J'aimerais aborder certaines questions dans le cadre desquelles notre régime d'insolvabilité et de réorganisation est peut-être un peu trop timide. En vertu de notre régime, on doit créer un système uniforme qui permette aux entreprises de se restructurer s'il est possible d'en assurer la viabilité, par l'entremise de l'entité existante ou d'une autre. Si elles ne peuvent être restructurées, nous devrions permettre la vente des actifs selon les modalités les plus efficaces possible.
Je suis d'avis que nous accusons des lacunes à cet égard dans un certain nombre de domaines. Nous ne traitons pas adéquatement la question des contrats exécutoires. À juste titre, M. Baird a soulevé le cas précis des contrats de licence, qui constitue un exemple important de contrats exécutoires, sans toutefois être le seul.
En vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, où le droit est limité et jurisprudentiel, on a mis au point une doctrine très générale en vertu de laquelle les entités en cours de réorganisation ont la capacité de renoncer à des contrats exécutoires, comme cela s'impose, sous une supervision judiciaire adéquate.
En vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, qui contient des dispositions sur la restructuration, un bail commercial pour un bien immobilier en vertu duquel l'entité en cours de réorganisation est le preneur à bail constitue la seule catégorie de contrat auquel on peut renoncer. Une telle procédure est assujettie à un ensemble de règles complexes, mais il n'existe aucune disposition pour la renonciation à d'autres catégories de contrats. On ne peut avoir un régime qui fonctionne bien pour les entités en cours de restructuration en vertu duquel on peut s'intéresser à la dette cumulative actuelle, mais pas aux obligations courantes, comme c'est le cas en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité.
Plus tard, je vais montrer qu'il existe de nombreux hiatus entre la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, tandis que la philosophie qui sous-tend les deux devrait peut-être être la même.
La question des contrats exécutoires est importante. Elle va au-delà de la réorganisation. Elle devrait s'appliquer aux faillites. Une fois de plus, comme M. Baird l'a mentionné, un failli a la possibilité de renoncer à des contrats exécutoires. Le témoin a laissé entendre qu'on devrait prévoir des exceptions dans certaines circonstances, par exemple les contrats de licence, et je suis d'accord. Cependant, le syndic de faillite devrait avoir la possibilité d'assigner et de céder à des tierces parties des contrats qui ont été actualisés.
M. Baird a fait cette proposition à propos des contrats de licence. On devrait en faire de même pour tous les autres contrats, y compris, par exemple, les baux pour la location de biens immobiliers. Je vais parler en particulier des baux parce qu'ils constituent une illustration très nette du problème, qui se pose toutefois aussi dans de nombreuses autres catégories de contrats.
Au Canada, c'est le droit provincial qui régit la question des baux. Par conséquent, il n'y a donc pas d'uniformité au pays. À titre d'exemple, l'Ontario, en vertu de la Loi sur la location commerciale, permet à un syndic de faillite d'assigner des baux dans certaines circonstances. Je suis d'avis que les dispositions de cette loi sont inadéquates, mais il existe au moins des dispositions pour régler le problème.
Au Québec, par exemple, soit la province que je connais le mieux, on ne retrouve pas de telles dispositions.
Si, dans un bail commercial, on précise que la faillite est un moyen en vertu duquel un propriétaire peut annuler le bail, la faillite du locataire entraîne une situation en vertu de laquelle la valeur économique du bail en question est perdue, même s'il n'y a pas de véritable faille dans ce dernier.
Sur ce point, les lois du Québec, de l'Ontario et d'autres provinces ne devraient pas diverger. Dans ce domaine, y compris d'autres contrats exécutoires, je suis d'avis qu'un syndic de faillite devrait avoir le droit de réaliser, au profit des créanciers, la valeur économique de tous les avoirs, y compris ceux qui ont trait à des contrats exécutoires.
Notre droit de l'insolvabilité est déficient en ce sens qu'il est muet sur la question de l'entité juridique de l'entreprise; en vertu de notre droit actuel, les portefeuilles d'actions au sein d'une entité en réorganisation et d'une entité en faillite ne sont pas touchés. Permettez-moi d'aborder cette question dans le contexte de la faillite et de la réorganisation.
Dans le contexte de la faillite, les actionnaires demeurent les actionnaires. Il existe certains droits qui ne peuvent être réalisés sans la coopération des actionnaires. À titre d'exemple, les pertes fiscales au sein d'une entreprise, lesquelles peuvent constituer un actif important, ne peuvent être utilisées qu'à l'intérieur de l'entité juridique où les pertes en question ont été créées. Un syndic ne peut vendre les pertes fiscales parce que seuls les actionnaires de la société sont habilités à en profiter. En vertu de nos dispositions législatives sur l'insolvabilité, rien ne permet de soustraire des actifs pour les remettre à quelqu'un d'autre. Un syndic devrait avoir le droit de retirer les actions et de les céder à une autre partie.
Permettez-moi de vous citer un exemple dans un domaine où cette question a joué un rôle important. M. Baird a fait référence à l'insolvabilité d'Eaton, où un certain nombre de faits intéressants se sont produits. Dans le cas d'Eaton, la société a subi d'énormes pertes fiscales. Or, il y avait un acheteur qui souhaitait acquérir l'entreprise dépouillée de l'essentiel de ses anciens actifs et passifs pour accéder aux pertes fiscales. On n'a pu le faire sans la coopération des actionnaires. On a élaboré un plan en vertu duquel les actifs ont été liquidés au profit des créanciers, et les actions, vendues. On a remis aux actionnaires une bonne part des actifs réalisés grâce à la vente des pertes fiscales au moment où les créanciers touchaient nettement moins que 100 cents au dollar.
La réorganisation d'Eaton n'a pas été une réorganisation; c'était plutôt une faillite déguisée. Les actionnaires ont le pouvoir de faire en sorte que cela se produise. En réalité, en raison des lacunes de notre droit de l'insolvabilité, on permet aux actionnaires de bénéficier de réalisations d'actifs qui devraient plutôt revenir aux créanciers. Le syndic devrait avoir la capacité de composer avec l'entité juridique de l'entreprise.
Dans le cadre du régime actuel de réorganisation, les détenteurs de portefeuilles d'actions ont une influence trop grande sur le processus. Il arrive souvent, relativement à des entités publiques plus petites, il est vrai, que les créanciers soient contraints d'accepter d'importantes réductions de la valeur de leur dette à la faveur d'une réorganisation qui laisse intact le portefeuille des actionnaires. En réalité, les créanciers ont apporté des capitaux aux actionnaires. Il y a dans notre droit des motifs qui expliquent cet état de fait et des moyens d'en atténuer les effets jusqu'à un certain point. On ne peut le faire dans le contexte d'entreprises privées parce que, dans de nombreux cas, la cote d'estime de l'entreprise réside dans la tête des directeurs et non dans les actifs eux-mêmes. Par conséquent, on ne peut priver les actionnaires de leurs actions et faire en sorte que l'entreprise poursuive ses activités. Cependant, il y a des moyens de mieux équilibrer les problèmes à cet égard.
Au Canada, on trouve des divergences auxquelles j'aimerais bien avoir des solutions à proposer. À l'heure actuelle, dans la pratique de l'insolvabilité par opposition à l'application de règles de fond, la quasi-totalité des grandes restructurations effectuées au Canada aux termes de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies s'effectuent à Toronto, sans égard au centre de gravité, pour employer un terme non juridique, de l'entreprise. Je peux citer les cas de Téléglobe, Air Canada et Evaco, qui sont des entreprises de Montréal. Pourtant, la direction et les professionnels de ces sociétés choisissent de se réorganiser à Toronto plutôt qu'à Montréal.
J'ai cité Montréal en exemple, mais il y a un certain nombre de réorganisations dans d'autres provinces qui se sont effectuées à Toronto. On ne doit absolument pas interpréter mes propos comme une critique de la pratique ontarienne. Au contraire, je rends plutôt hommage à la pratique ontarienne de même qu'aux praticiens du système judiciaire de l'Ontario.
On devrait — et je ne sais si on pourra le faire par la voie législative — tenter d'établir un équilibre. Peut-être pourrait-on, pour y parvenir, mandater et créer des pouvoirs judiciaires plus spécialisés dans les principaux centres du Canada. Toronto a réussi à créer un pouvoir judiciaire spécialisé et hautement qualifié. Par exemple devrait-on élaborer des règles de pratique grâce auxquelles il serait plus facile de mener des contentieux en temps réel concernant les réorganisations plutôt que le genre de règles et de lourds contentieux appliqués à de nombreux autres endroits.
À l'heure actuelle, les règles de pratique découlant de notre Loi sur la faillite et l'insolvabilité applicables partout au pays ont quelque peu pour effet de simplifier les procédures s'y rapportant. Il n'y a pas de règles concernant la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies; par conséquent, ce sont les règles provinciales de pratique qui s'appliquent. Elles ont été appliquées de façon souple en Ontario et de façon plus rigide ailleurs. Peut-être l'inclusion de règles de pratique faciliterait-elle les choses.
On note également un manque de cohérence dans le domaine des séquestres en cas d'insolvabilité. Lorsqu'une société est insolvable, les créanciers garantis s'emparent des actifs et les réalisent. Les dispositions législatives fédérales concernant l'insolvabilité n'occupent pas ce champ. Ainsi, le séquestre est traité dans l'ensemble du pays comme une question relevant de la compétence des provinces, ce qui se traduit par des écarts et de grandes difficultés relatives au fonctionnement d'un séquestre lorsque les actifs sont disséminés dans de nombreuses provinces.
En Ontario, où l'action dans ce domaine se concentre, les dispositions relatives au séquestre intérimaire de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité ont été triturées et étirées au point où elles sont méconnaissables, mais de façon pratique, si bien qu'elles ont créé un quasi-régime de séquestre uniforme au Canada. Je loue les praticiens et les pouvoirs législatifs de l'Ontario d'avoir réussi cela.
Ailleurs, les pouvoirs législatifs tendent à faire preuve de plus de timidité parce qu'ils n'ont pas le mandat législatif d'aborder les questions comme on l'a vu en Ontario. À mon avis, on devrait s'intéresser à ces questions dans les dispositions législatives.
J'aimerais aussi dire un mot de la relation schizophrène entre la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies en ce qui concerne les réorganisations. De façon générale, l'intention est que, dans le contexte des réorganisations, les questions plus modestes soient traitées aux termes de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, et les questions de plus grande envergure, aux termes de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. Or, les règles et les pratiques aux termes des deux lois sont différentes au point qu'on ne peut les distinguer les unes des autres, ce qui fait qu'on est en droit de s'interroger sur leur sens.
On peut traiter les contrats exécutoires aux termes de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, à l'exception des baux commerciaux pour des biens immobiliers. Cependant, on ne peut les traiter aux termes de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. Aucune raison stratégique ne modifie cette différence. Si on doit renoncer aux contrats exécutoires, on doit le faire impérativement, qu'il s'agisse d'une petite ou d'une grande société.
En vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, on note de nombreuses propositions pour les entreprises qui demandent la protection de la loi. Pour quelle raison stratégique permet-on le financement de débiteur-exploitant en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des entreprises, mais pas aux termes de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité? Il n'y a pas à cela de motif stratégique valable. J'ai entendu dire qu'un tel recours serait trop coûteux, mais, franchement, je pense qu'il s'agit d'une attitude quelque peu élitiste et paternaliste.
Quand une entité en mode réorganisation estime trop coûteux le recours au financement sous séquestre, elle n'y recourt pas, sinon n'est pas en mesure d'y recourir. Tout de même, il ne faut pas lui interdire la possibilité de le faire, dans la mesure où l'option a du sens.
La Loi sur la faillite et l'insolvabilité est beaucoup trop rigide à de nombreux autres égards, et il se peut que la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies soit beaucoup trop souple. Je ne dis pas que la souplesse n'est pas une bonne chose: c'est merveilleux de disposer de lois qui sont souples, et il est merveilleux que nos usages mettent moins l'accent sur le litige que ceux des États-Unis.
La prévisibilité doit demeurer un important élément de notre droit. Quand un prêteur, surtout un prêteur étranger à l'époque de mondialisation où nous vivons, veut prêter une somme d'argent à une entité canadienne, il souhaite comprendre le droit applicable. Il souhaite connaître les conséquences du droit et la mesure dans laquelle quelqu'un d'autre peut avoir préséance quant à la réalisation de sa garantie. Le prêteur a besoin de savoir jusqu'à quel point cela peut le toucher. Or, nous ne pouvons donner de réponse aux questions des prêteurs, du fait de la souplesse de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et du fait qu'il n'y a pas de lignes directrices. C'est une situation qui peut faire fuir les prêteurs.
Autre élément de la dichotomie qui existe entre la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies: le vote sur les plans. Selon un principe de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, les personnes apparentées qui sont également créanciers ne peuvent votre en faveur d'un plan. On peut débattre du bien-fondé d'une telle règle. Je dirais pour moi-même qu'elle a du mérite, mais de toute façon, c'est la règle.
Il n'y a pas de règle de ce genre dans la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. On a déjà vu des plans où, de fait, les propriétaires d'une entreprise ont réussi à accumuler une dette suffisante pour avoir le droit de voter en rapport avec un plan selon la LACC. Ils sont parvenus à faire adopter de force un plan même si les créanciers de l'extérieur s'y opposaient, ont voté contre le plan, mais les votes des créanciers à l'interne ont eu pour effet de diluer les votes des autres créanciers. Quel que soit le traitement que l'on préconise dans une telle situation, du point de vue du principe, il n'y a pas de raison valable de croire que les deux lois ne devraient pas dire la même chose.
Voilà des cas qui me font croire qu'il devrait y avoir une meilleure coordination entre les deux lois, dans la mesure où il est question d'une réorganisation.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Delorme, vous êtes là armé d'un mandat précis et d'une fonction précise. Avez-vous des observations à formuler en ce moment?
M. Jean-Claude Delorme, président du Conseil consultatif de gestion du Bureau du surintendant des faillites: Monsieur le président, je ne suis pas bien placé pour commenter l'un quelconque des points soulevés par M. Baird et M. Mendelsohn, mais j'aimerais faire valoir moi-même un ensemble de questions différentes.
À titre de renseignement pour les membres du comité, au cas où le mandat du conseil dont je suis le président ne serait pas connu, le conseil consultatif a été créé afin de pouvoir dispenser des conseils sur les pratiques de gestion en application au Bureau du surintendant des faillites.
Notre mandat n'englobe pas les points qui se rapportent à la loi elle-même ni à l'exercice des fonctions quasi-judiciaires qui appartiennent au surintendant. Notre mandat consiste à examiner les plans d'affaires annuels du Bureau du surintendant des faillites, à comparer le rendement présenté au plan préétabli et à examiner les recettes et les coûts de l'organisation. C'est un élément particulièrement important de notre mandat, car, en dernière analyse, le conseil consultatif a pour raison d'être de concourir à la réalisation de l'objectif défini pour le Bureau du surintendant des faillites, au moment où celui-ci a été constitué en tant qu'organisme de service spécial. Plus particulièrement, il devait alors acquérir l'autonomie financière et se financer lui-même. Dans le contexte, nous accordons une attention particulière aux opérations financières du bureau.
Je voudrais soulever une question à laquelle le conseil a consacré beaucoup de temps. Cela a trait au cadre financier dans lequel s'inscrit le fonctionnement du Bureau du surintendant des faillites.
Comme l'objectif final du bureau est l'autonomie financière, il s'ensuit logiquement que le bureau devrait avoir accès à la totalité des recettes qu'il produit. Malheureusement, ce n'est pas le cas. Cette restriction est un fait reconnu, et le Conseil du Trésor a effectué plusieurs rajustements pour permettre au bureau de mieux accéder aux recettes qu'il produit; toutefois, malgré les rajustements en question, il existe encore des recettes auxquelles le bureau n'a pas accès, d'où un certain manque à gagner.
Le président: Je vais vous demander de circonscrire autant que possible votre propos. Ce matin, nous nous concentrons sur certaines des questions relevant de la politique en la matière. Je ne veux pas que le comité soit contraint de mettre du temps à étudier d'autres questions. Pour être franc, nous ne sommes pas dans le même domaine ici.
M. Delorme: J'en suis conscient, monsieur le président. Je ne suis pas tout à fait sûr que ma présence soit justifiée aujourd'hui, même si on m'a invité.
Avec votre permission, j'aimerais souligner ce que nous croyons être l'impact du manque à gagner en question, relativement à la faiblesse du cadre financier évoqué. Cela limite la capacité qu'a le surintendant non pas tant d'exercer les fonctions non discrétionnaires que lui confère la Loi, mais plutôt d'exercer certaines fonctions discrétionnaires qui supposent des dépenses, mais qui, en même temps, ne produisent pas de recettes. Je parle en particulier de la fonction qui consiste à surveiller l'observance par les syndics et les créanciers des règles établies.
Nous estimons qu'il s'agit là de fonctions absolument essentielles: c'est sur elles que reposent la crédibilité et la fiabilité du processus d'insolvabilité dans son ensemble au Canada. C'est pourquoi, à notre avis, il faut s'attacher à cette question, afin que le surintendant dispose de tous les moyens possibles pour atteindre les objectifs liés à son mandat.
Le président: Merci beaucoup. Je déclare la période de questions ouverte.
Le sénateur Kelleher: Monsieur Mendelsohn, comme vous avez eu raison de le dire, les deux lois comportent des lacunes. Est-ce que nous devrions essayer de les fusionner? Avons-nous vraiment besoin de deux lois distinctes? Serait-il mieux pour nous de les fusionner et d'avoir une loi globale?
Je ne critique pas le juge Farley, car il n'y a pas grand-chose à suivre en matière de règles dans la LACC. Son tribunal traite d'abord et avant tout avec un droit constitué par les juges eux-mêmes. Je crois qu'il est très difficile pour les praticiens du tribunal en question de prévoir le cheminement futur du tribunal. Est-ce qu'il nous faut apporter certaines modifications à la LACC en vue d'établir un meilleur cadre, pour qu'il y ait plus de certitude au moment où une affaire est mise entre les mains du tribunal en question?
M. Mendelsohn: C'est une question dont on discute depuis des années. Les opinions que j'exprime m'appartiennent; je ne crois pas que ce soit l'opinion générale.
Je suis d'avis qu'il faudrait qu'il y ait une seule et unique loi. Il devrait y avoir un régime simplifié qui s'applique par défaut à certains cas de faible envergure, mais qui autorisent toute la marge de manœuvre voulue et le recours à tous les outils de restructuration à la disposition de l'ensemble des sociétés qui souhaitent se restructurer, qu'elles aient une dette supérieure à 5 millions de dollars ou non.
Je crois que le droit modulé par les juges en l'absence de lignes directrices nuit à la prévisibilité du droit. Le procédé comporte un préjugé très naturel et humain qui est motivé par de bonnes intentions: on favorise les entités qui se restructurent, car chacun souhaite que les ententes survivent, surtout si elles ont un visage public connu. On a tendance à étirer les limites de la loi pour sauver des entités et, souvent, les droits de certains des participants ne sont pas protégés autant qu'ils devraient l'être. Si le droit de la faillite comportait des lignes directrices plus précises et des principes énoncés avec une plus grande clarté, pour qu'on sache ce qui peut se faire et ce qui ne peut pas se faire, ce serait peut-être un contrepoids à ce préjugé compréhensible.
Le sénateur Kelleher: Ce n'est pas le sujet dont nous discutons aujourd'hui, mais je me demande si vous avez une opinion sur la question de savoir s'il faut protéger davantage les REER privés en application de la Loi sur la faillite.
M. Baird: Je crois que nous avons tous deux une opinion sur cette question.
Le sénateur Kelleher: Nous en sommes maintenant à l'âge où il faut regarder ces choses.
M. Baird: Vous avez raison. Ma réponse est «oui». Les travailleurs autonomes font face à un préjudice appréciable: leurs REER peuvent être saisis, par opposition à ceux d'une personne qui reçoit une pension. La pension est protégée contre les saisies. Je crois que nous devrions nous donner des règles qui mettraient sur le même pied les REER privés et pensions privées des travailleurs autonomes et les pensions que touchent les employés.
M. Mendelsohn: Je suis d'accord. On a proposé la récupération d'une partie des cotisations aux REER versées durant les trois années précédant la faillite. Je m'interroge sur le bien-fondé d'une telle proposition; je propose une approche différente: il devrait y avoir récupération dans la mesure où les cotisations au REER, quelle que soit la période visée, dépassent les cotisations associées au revenu gagné pour les années particulières dont il est question. Autrement dit, si quelqu'un en ajoute dans ses REER en versant des cotisations «libérées» durant les années antérieures, il faut récupérer cet argent. Pour contre, de la même façon que les cotisations versées dans un régime de pensions pendant les quelques années conduisant à la faillite sont protégées, il n'y a pas de raison de ne pas protéger les cotisations à un REER, sous réserve des mêmes limites.
Quelqu'un a proposé d'accorder une protection au REER seulement si le débiteur insolvable transfère son argent dans un REER immobilisé. Or, il n'appartient pas à la Loi sur la faillite de prévoir cette éventualité.
Il faut savoir si, en principe, les REER doivent être immobilisés, car il ne s'agit pas d'une question de solvabilité. Toutefois, s'il est décrété que les gens devraient pouvoir verser des cotisations dans leur REER et les retirer, s'ils déposent leur bilan en affirmant que leurs cotisations devraient être protégées, je dirais qu'il n'y a aucune raison, après la faillite, de leur interdire de faire ce que ceux qui ne sont plus en faillite ont le droit de faire, c'est-à-dire de traiter leurs cotisations dans un REER comme bon leur semble.
M. Baird: Je ne suis pas d'accord avec M. Mendelsohn sur cette question. Du point de vue du principe — il s'agirait uniquement de protéger les gens dans leur vieil âge. Les contraindre à immobiliser leur REER permettrait d'atteindre l'objectif selon lequel il faut s'assurer que le failli aura accès à des fonds quand il sera vieux.
Le sénateur Kelleher: Il ne sera peut-être pas du même avis quand il sera plus vieux, monsieur Baird.
M. Mendelsohn: J'espère que quelqu'un va poser la question qu'il faut à propos des contrats de travail.
Le sénateur Oliver: À un moment donné, j'aimerais discuter avec M. Mendelsohn de la façon dont il voit la différence entre les créanciers et les actionnaires quand il est question d'une restructuration. En écoutant les divers arguments que vous avez fait valoir, j'ai conclu que l'actionnaire occupait une place assez basse dans l'échelle, particulièrement quand il est question de la subordination des réclamations relatives au capital-actions et ainsi de suite. Je plains le pauvre actionnaire qui se retrouve devant un tribunal contre vous: vous semblez trop privilégier les créanciers. Tout de même, ce n'est pas un débat que je veux lancer maintenant; par contre, à l'avenir, je trouverais cela bien qu'il ait lieu.
Monsieur Baird, vos observations sur la restructuration des multinationales et le code ont piqué mon intérêt. Dans vos conclusions, vous dites qu'il faudrait reporter le moment de l'adoption d'un code modèle tant et aussi longtemps que les questions que vous avez évoquées ne sont pas réglées.
Vous avez donné l'excellent exemple de Philip Services, et il semble qu'il serait bon de s'attaquer immédiatement à plusieurs des questions que vous avez signalées. Par exemple, vous avez affirmé qu'au moment où une demande a été présentée en application du paragraphe 47(1) pour que Ernst & Young soit nommé séquestre intérimaire, c'était la première fois que les actifs associés aux actionnaires et aux créanciers du Canada étaient pris en considération. Vous avez fait allusion au fait que, dans l'affaire américaine dont il est question, Ernst & Young avait peut-être qualité d'observateur. Je ne sais si un tribunal quelconque l'a nommé ni la façon dont il est arrivé à jouer ce rôle.
Il me semble qu'il faudrait adopter des modifications pour s'assurer que, avant que les tribunaux américains ne décident du sort des actifs et des réclamations des créanciers au Canada, nous devrions assurer une présence canadienne.
Si vous êtes d'accord avec cette conclusion, quelles modifications proposeriez-vous au comité des orientations ici réuni?
M. Baird: Je suis tout à fait d'accord avec cette proposition, car il importe que les créanciers du Canada et d'autres parties intéressées aient leur mot à dire. J'imposerais au tribunal canadien un délai important pour le traitement de cette question. Cela obligerait les autorités canadiennes à entamer les procédures plus tôt. Par exemple, nous avons affaire à une procédure où le tribunal est autorisé à vendre les actifs au moment de la première demande. J'imposerais un régime où le tribunal n'aurait d'autre choix que suspendre la procédure au moment de la première demande; il ne pourrait rendre d'ordonnance sur le fond; et transmettrait un avis à tous les créanciers principaux pour que ceux-ci puissent se réunir au Canada pour discuter de la situation. Le tribunal aurait alors l'occasion d'entendre le point de vue des créanciers canadiens.
Je recommande aussi que les tribunaux canadiens exigent des frais en rapport avec les procédures, de façon à ce que puisse être appuyé le financement des créanciers canadiens qui souhaitent participer au processus. Par exemple, les tribunaux canadiens pourraient exiger la nomination d'un comité des créanciers et exiger qu'ils versent des fonds avant de rendre toute décision.
Si vous imposez ce genre de restrictions au tribunal canadien avant qu'il puisse réagir aux questions découlant de la vente d'actifs aux États-Unis, les Américains apprendraient qu'il faut se rendre au Canada rapidement s'ils souhaitent que la vente se fasse dans leur délai. S'ils étaient venus au Canada en juin, au moment où la procédure américaine était en cours, et si un comité des créanciers avait été nommé en juin, les créanciers canadiens auraient eu une occasion raisonnable de prendre part au processus. C'est tout ce que nous nous demandons. Nous voulons participer au processus en adoptant la pratique américaine qui consiste à nommer un comité des créanciers aux frais de l'actif, pour que les créanciers au Canada puissent être sur un pied d'égalité. L'actif en cause permet de financer les créanciers américains, et je crois qu'il faut faire de même pour les créanciers canadiens.
Le sénateur Oliver: À mon avis, nos tribunaux ne devraient pas être là seulement pour confirmer les décisions des Américains, sans que les créanciers canadiens soient avertis.
Proposez-vous une modification que nous pourrions recommander, qui permettrait de s'assurer qu'une autre histoire comme celle de Philip ne se produira pas?
M. Baird: J'ai le concept en tête, et je serais heureux de le présenter et d'en discuter avec votre avocat.
Le sénateur Moore: M. Delorme a raison quand il affirme que votre conseil consultatif de gestion ne traite pas des questions touchant des politiques du Bureau du surintendant.
M. Delorme: Essentiellement, oui, vous avez raison. Nous ne participons pas à l'étude de ces questions.
Le sénateur Moore: Monsieur Mendelsohn, pour ce qui est de l'affaire d'Eaton, vous avez parlé de la vente à perte à des fins fiscales qui a fait que les actionnaires se sont retrouvés avec le produit de l'exercice. Relativement à cette décision, est-ce que le vote des actionnaires était soumis à la règle de la simple majorité?
M. Mendelsohn: Je dirai que ce n'est pas de la question du vote qui importe. S'il n'y avait pas eu de plan accepté, il n'y aurait pas eu de perte, et tout le monde se serait trouvé les mains vides. Les créanciers ne renonçaient pas à quoi que ce soit; plutôt, on sauvait quelque chose qui, de fait, pouvait uniquement être remis aux actionnaires.
Le sénateur Moore: Comment en est-on arrivé à une décision? Si j'étais actionnaire, est-ce que je recevrais une sorte de formulaire de procuration en rapport avec cette question?
M. Mendelsohn: Oui. Il y a eu un vote des actionnaires sur la question. Je crois que c'est la règle des deux tiers qui a été appliquée.
Le sénateur Moore: C'était la règle des deux tiers et non pas celle des 50 p. 100 plus une voix.
M. Mendelsohn: Oui, c'était les deux tiers.
Le sénateur Moore: Le produit de cette vente aurait-il été versé dans un compte d'actionnaires distinct, puis remis sous forme de dividendes aux actionnaires?
M. Mendelsohn: La structure est assez complexe. Essentiellement, l'actif et le passif de la société établie, Eaton, ont été mis dans une entreprise distincte en vue d'être liquidée au profit des créanciers; les nouvelles actions de la société ont été transférées à l'acheteur, qui a acheté les actions, puis fusionné son entité; et les anciens actionnaires ont reçu un billet représentant le produit de la vente des parts correspondant à la valeur réputée de la perte fiscale.
Le sénateur Moore: Est-ce qu'ils ont vraiment reçu des espèces?
M. Mendelsohn: Je crois qu'ils n'ont plus encore reçu de paiement, mais c'est parce qu'il y avait une période d'attente, pour des raisons fiscales. Oui, ils vont recevoir des espèces.
M. Baird: Nous avons représenté Sears dans cette affaire. L'idée, bien entendu, c'est que l'acheteur verse «x» dollars pour la valeur totale des actifs, plus la perte fiscale. Il s'agit alors de répartir parmi les divers intervenants la valeur fiscale ainsi établie. M. Mendelsohn fait valoir que cela devrait se faire au profit des créanciers et non pas des actionnaires. C'est bien cela?
M. Mendelsohn: Oui. Selon l'ordre général établi, les créanciers garantis sont les premiers dans la file, et les créanciers ordinaires sont les suivants, et les actionnaires sont les derniers. Par conséquent, en cas d'insuffisance, les actionnaires n'entrent pas en jeu à moins que le cas des créanciers soit parfaitement couvert.
Le sénateur Moore: Vous avez dit qu'il faudrait des procédures en temps réel. Pouvez-vous nous expliquer cela? Qu'entendez-vous par là et comment peut-on y arriver?
M. Mendelsohn: Le tribunal du juge Farley fonctionne en temps réel. C'est-à-dire que le tribunal s'est engagé envers ses commettants à traiter des questions dont il est saisi rapidement et promptement, et à prendre des décisions au moment où celles-ci ont un sens, avant d'être dépassées par les événements.
Je peux vous donner un exemple du contraire. Il s'agit de la réorganisation d'une société ouverte dans la province de Québec: un différend est survenu au début de la réorganisation associée à la LACC — il fallait savoir si certaines parties dites apparentées devraient avoir le droit de vote, de façon à affaiblir le vote d'une catégorie de détenteurs de billets. C'était l'enjeu. Les aspects particuliers de l'affaire n'importent pas; c'était une question de classification.
Les tribunaux du Québec ont pris environ un an et demi à deux ans pour tirer une conclusion à propos de cette question limitée, en entendant pendant semaine sur semaine des témoignages non pertinents de toutes les parties en cause. Si la situation s'était présentée au tribunal du juge Farley, il y aurait eu sur ce point une décision dans les dix jours, à mon avis, mais, c'aurait peut-être été moins long.
Encore une fois, ce n'est pas le résultat qui était important. Il importait que la chose se règle et que la procédure se poursuive. Voilà la procédure en temps réel.
M. Baird: J'ai connu deux causes devant le juge Farley. Une cause portait sur Cadillac-Fairview. L'audience a commencé à 17 heures, un vendredi, avant Noël et s'est poursuivie jusqu'à 21 heures. À ce moment-là, il a rendu sa décision.
Une autre fois, il a convoqué une réunion des créanciers pour 23 heures, un vendredi. Il instruit des causes tôt le matin et tard le soir s'il semble que l'affaire est très urgente.
Le sénateur Moore: Les périodes d'avis habituelles ne nous contraignent pas. Le juge traite surtout des intérêts des créanciers, pour régler la question avec promptitude.
M. Mendelsohn: Ces situations ont tendance à ne pas mettre en cause les faits. C'est-à-dire que les faits ne sont pas remis en question. Tous les interrogatoires préalables et contre-interrogatoires ne s'imposent pas alors.
M. Baird: Une des raisons du succès du juge, c'est qu'il rejettera les procédures fastidieuses et essaiera de se concentrer sur la question précise dont il est saisi; sinon, il forcera les tribunaux à s'en aller ailleurs et à négocier. Grâce à ce processus, il a pu faire en sorte que les choses avancent avec beaucoup de célérité. Il est aussi parvenu à faire cela dans le cas d'Air Canada.
Le sénateur Moore: Pendant votre exposé, monsieur Mendelsohn, vous avez parlé du bel empressement des praticiens et de l'appareil judiciaire de l'Ontario, et les gens semblent s'adresser à ces autorités pour faire régler ce genre d'affaires. Vous avez donné l'exemple de l'affaire qui a traîné pendant plus d'un an.
Est-ce qu'il y a d'autres tribunaux qui essaient d'imiter la sensibilité et la promptitude dont fait preuve le juge Farley, sinon l'Ontario est-elle la seule instance où cela se fait; et, par conséquent, c'est à cause de cela que le traitement de ces affaires se fait là?
M. Mendelsohn: Je suis mieux placé pour parler de la situation du Québec, que je connais le mieux. Dans l'appareil judiciaire du Québec, on est conscient du fait que ce problème existe. On a exprimé la volonté de corriger la situation, mais, jusqu'à maintenant, ce sont de toutes petites mesures qui ont été prises, et à moins qu'il n'y ait un changement radical, il est peu probable que grand-chose se fasse. Les juges n'ont même pas eu l'occasion d'acquérir l'expertise qu'il leur faut, car ils ne sont pas saisis de ces affaires. C'est une roue qui tourne.
Le sénateur Moore: Ils doivent bien voir ce qui se passe. Certes, quelqu'un aura le courage de se lever et de commencer à agir avec autant de promptitude que son collègue en Ontario.
M. Mendelsohn: Lundi, j'ai présidé les travaux d'un panel avec à mes côtés le juge Farley et le juge Chaput. M. Chaput est à la tête de la division commerciale de la cour du Québec. Je peux vous l'assurer: quelqu'un s'est levé et a fait valoir cette cause avec toute la vigueur possible. Oui, l'idée a été soulevée. A-t-elle été acceptée? Je ne le sais pas.
M. Baird: Le voir travailler à Toronto est très bien pour un avocat de Toronto.
Le sénateur Moore: Avez-vous une observation à formuler pour ce qui est de l'organe judiciaire? Il y a d'autres juges à part M. Farley?
M. Baird: Il n'est pas le seul à traiter les affaires avec promptitude. Nous sommes chanceux de constater que nous pouvons voir les juges très tôt ou très tard, au besoin. La cour d'appel traite également très rapidement des affaires qui lui sont confiées; nous sommes en mesure d'accélérer une demande d'appel quand il est nécessaire de le faire.
La reconnaissance de la réalité commerciale selon laquelle le temps importe est présente dans le cadre du rôle commercial, et l'adoption d'un tel rôle à Toronto a été utile.
Le président: Je crains que nous tombions dans le piège que pose la personnalisation des procédés et que nous en ramenions trop au contexte d'un individu.
À l'époque où j'étudiais le droit, j'avais un professeur, disciple de lord Denning. Mon professeur croyait que si ce n'était pas l'approche de Denning qui était adoptée, alors c'était vieux jeu.
Les études nous permettent de croire que les gens acceptent une pratique qui est peut-être plus efficace devant les tribunaux, mais tout cela évoque une sorte de dilemme.
Monsieur Mendelsohn, nous avons entendu les avocats et ceux qui ont une part directe au procédé nous dire qu'il faut applaudir aux procédés qui se déroulent plus rapidement, qui mettent à profit la souplesse inhérente à la formule et qui débouchent sur des décisions. Les intérêts des parties sont bien servis. L'idée générale, c'est qu'il est possible de faire avancer les choses en temps utile. De façon générale, cela favorise toutes les parties en cause.
Par contre, monsieur Mendelsohn, vous avez évoqué la question de la prévisibilité. Je crois que si nous décidons de nous concentrer beaucoup sur la manière dont un tribunal particulier fonctionne, cela est sous-entendu, il me semble que c'est l'avantage d'une souplesse toujours plus grande qui en ressort. En même temps, je vous entends insister sur l'importance de la prévisibilité, ce qui m'amène à penser à la question de la mesure des résultats. Pouvez-vous me dire laquelle est la meilleure façon de procéder?
Si par prévisibilité du résultat il faut entendre que l'entreprise poursuit ses activités, si c'est là la mesure de l'efficacité du résultat, est-ce que nous sauvons l'entreprise et faisons en sorte qu'elle se maintienne? Est-ce le critère qu'il faut appliquer pour savoir si le système fonctionne bien, ou les créanciers se trouvent-ils être de plus en plus près de toute cette histoire?
Je ne veux pas perdre de vue les principes en jeu; nous pouvons nous intéresser beaucoup aux procédés et aux détails, mais ce qui m'intéresse, c'est la prévisibilité et son importance. Ce qui m'intéresse, c'est l'intérêt économique du Canada dans son ensemble.
Le fait d'aider le Canada à devenir plus efficace en tant que système économique fait-il partie de notre cadre économique de base? Le chapitre 11 fonctionne-t-il mieux, ou est-ce ceci qui fonctionne mieux? Quelle mesure adopte-t-on pour déterminer si le système fonctionne mieux? Comment concilier les intérêts — ceux de l'entreprise qui se maintient et ceux du créancier? Pouvons-nous trouver, dans les limites des lois existantes, un peu plus de prévisibilité, au profit de tout cela, sans sacrifier l'efficacité qui caractérise un système souple?
M. Mendelsohn: J'aimerais faire une distinction entre la substance et la procédure. Pour ce qui est de la procédure, à mon avis, il est très bon d'avoir une formule prompte et souple, pour les raisons que nous avons évoquées. D'ailleurs, les questions devraient se dérouler en temps réel, pour que les décisions soient fructueuses.
À mon avis, si la substance de notre droit était un peu plus réglementée, cela aiderait à rendre les choses plus prévisibles, sans enlever aux tribunaux la possibilité de traiter les affaires avec rapidité, promptitude et commodité.
Le financement offert aux débiteurs qui demandent la protection de la loi. On peut poser la question philosophique: convient-il d'avoir un concept selon lequel un tel financement ne doit pas servir à nuire à la situation du créancier garanti?
Est-ce que notre droit a pour principe de ne pas porter atteinte à la situation privilégiée d'un créancier garanti, ou encore l'intérêt général est-il mieux servi par l'idée de concilier les préjudices de manière à ce que l'entreprise survive? J'affirme qu'il n'est pas valable de nuire à la situation d'un créancier garanti au moyen d'un tel financement, pour qu'une entreprise survive.
Vous avez demandé quelle mesure il faut adopter pour savoir ce qui est bon. Je n'en suis pas sûr. Tout de même, je suis d'avis qu'il ne faut pas trop insister sur l'idée de sauver des entreprises. C'est un objectif qui devrait certes exister; par contre, il ne faut pas trop insister là-dessus, car il y a un cycle de vie commerciale comme il y a un cycle de vie humaine. Parfois, les compagnies et les entreprises doivent mourir. De fait, dans nombre des affaires ayant fait intervenir la LACC, il n'y a eu que prolongement temporaire de la vie, et l'entreprise est morte de toute façon.
Aujourd'hui, il semble que nous parlions d'Eaton. La LACC s'est appliquée deux fois à Eaton; la première fois, c'était une véritable réorganisation; la deuxième, c'était une liquidation déguisée, même si la voie empruntée était celle de la liquidation.
Il y a eu l'affaire de Dylex, autre chaîne de magasins de vente au détail bien connue au Canada, où la LACC s'est appliquée, l'entreprise a survécu pendant deux ans, à la suite de la réorganisation, puis s'est éteinte.
Certes, le fait qu'une entreprise survive n'est pas toujours la meilleure mesure des choses, même si ce semble être le cas à ce moment-là.
Le sénateur Massicotte: Est-ce qu'il convient qu'un créancier n'obtienne pas tout son dû pour que l'individu dont il est question ait une qualité de vie qui soit meilleure à l'avenir? Toutes sortes de gens avancent des arguments en faveur des actifs exemptés. Si vous acceptez d'exempter des actifs, évidemment, vous diminuez le droit de perception du créancier. C'est justement le créancier qui subventionne les politiques ou préférences gouvernementales en question et ainsi de suite. Est-ce convenable sur le plan moral? Essentiellement, un créancier vous a prêté une somme d'argent, l'argent lui appartient; et vous êtes en train de dire: je vais seulement rembourser si j'ai des actifs excédentaires.
M. Mendelsohn: Si une personne travaille pour une grande société qui applique un régime de pensions, le régime s'édifie, et l'actif est protégé contre l'éventualité d'une faillite. Si la même personne ne travaille pas pour une grande société, mais plutôt, par exemple, pour son compte à elle et verse de l'argent dans un REER, pourquoi le résultat ne serait-il pas le même? Je ne crois pas qu'il y ait de distinction morale à faire entre ces deux situations.
Le sénateur Massicotte: Je comprends bien ce raisonnement, et c'est un raisonnement convaincant; j'imagine que j'essayais de revenir au point zéro. Peut-être que la pension ne devrait pas être protégée; et si tous les REER sont protégés, en fin de compte, c'est seulement pour la question de l'assurance-vie, quand la personne est morte. Toutes sortes de gens font valoir qu'ils devraient bénéficier d'actifs exemptés. Faut-il prévoir de telles exemptions? Évidemment, vous prenez l'argent des créanciers pour subventionner une politique gouvernementale ou le style de vie d'une personne en particulier.
M. Baird: J'imagine qu'il existe différentes catégories de créanciers. Un des arguments invoqués, et cela milite en faveur de l'exemption, c'est que les créanciers connaissent très bien leur affaire. Ils savent ce qu'ils font, ils connaissent les risques qu'ils courent. Par conséquent, s'ils prêtent de l'argent à une personne qui a une pension exemptée ou un REER exempté, c'est un risque commercial qu'ils prennent. De ce fait, il n'est pas injuste, quand ils savent ce qu'ils font, de permettre cela. Les difficultés surviennent, bien entendu, là où les créanciers ne sont pas si bien renseignés. Dans quelle mesure devraient-ils porter le fardeau de ce risque? C'est une décision qui est vraiment difficile du point de vue de la politique sociale.
Le sénateur Massicotte: Ma deuxième question porte sur la même chose, mais du côté des sociétés.
Nous avons entendu les témoignages de gens qui ne sont pas si bien avisés, particulièrement en ce qui concerne la LACC. Autrement dit, les gens font un dépôt auprès de certaines entreprises — il peut s'agir de billets de théâtre, de dépôts pour une robe ou je ne sais quoi encore, les employés ne sont pas renseignés correctement sur la situation financière de l'entreprise, par exemple en ce qui concerne les salaires non payés; on peut invoquer toutes sortes d'arguments pour dire que ces créanciers-là devraient avoir préséance, même sur les créanciers non garantis, en raison du fait qu'ils sont moins bien renseignés que les autres. Encore une fois, il y a la question de l'équité qui entre en jeu. Est-ce convenable? Est-ce exact? Comment mesurer cela? Qu'en pensez-vous?
M. Mendelsohn: Au départ, tout système d'insolvabilité ne peut être équitable, de par sa définition même, car il est question d'une situation où il faut diviser une tarte qui n'est pas suffisamment grande pour nourrir tous ceux qui ont faim. C'est le point de départ de l'insolvabilité. Encore une fois, il s'agit de répartir la douleur, et il n'y a pas un type de créanciers qui perd et pour qui le système est tout à fait équitable. C'est une question d'équilibre.
Si quelqu'un proposait une mise de côté ou un dépôt, je soupçonne que nous ferions valoir tant d'exemples de réclamations plus méritoires, au point où, en dernière analyse, nous aurions un système qui ne fonctionne pas.
M. Baird: Cette question survient de façon très particulière dans le cas de la période de 30 jours appliquée aux marchandises et du droit qu'a le fournisseur de récupérer les biens en question s'ils ont été livrés dans les 30 jours. La disposition en question favorise clairement ce fournisseur-là, plutôt que celui qui a livré les biens 32 jours avant la faillite. En 1992, le législateur a inclus une disposition pour faire passer avant les créanciers ordinaires les fournisseurs attendant d'être payés. Je ne crois pas qu'il s'agisse là d'une répartition équitable des actifs. Néanmoins, d'un point de vue politique, on a pris cette décision. Vous avez soulevé une question importante: comment concilier les droits des diverses partie en cause?
Autre difficulté associée à la disposition des 30 jours: elle nuit, cela ne fait pas de doute, à la réorganisation. Si elle était renforcée, le fournisseur en question aurait le droit de bloquer la réorganisation tant que la somme qui lui est due n'a pas été payée intégralement.
Le sénateur Massicotte: Il y a aussi la question des salaires impayés. Les gens affirment que les administrateurs et dirigeants seraient peut-être responsables des salaires impayés, et cetera. Est-ce que vous accorderiez la priorité à ces salaires? C'est toujours une question d'équilibre.
Parlons de la LACC. À l'occasion, les tribunaux ont pris la liberté d'annuler ou de modifier des contrats. Certes, la Loi leur donne le droit d'annuler des baux. M. Baird a affirmé que les ententes contractuelles devraient se poursuivre. D'un point de vue philosophique, il faut se demander si les tribunaux devraient avoir le droit d'annuler d'autres contrats ou de modifier les conditions d'un contrat de travail? Le même débat savant ou intellectuel s'applique à l'ensemble des contrats, notamment en ce qui concerne la propriété intellectuelle.
M. Mendelsohn: J'espérais que quelqu'un allait poser une question à propos des contrats de travail; la voici. La première fois que j'ai eu à traiter de cette question, c'est à l'époque où le nouveau projet de loi sur la faillite a été déposé autour de 1980. Il y avait un système général de répudiation des contrats qui était suffisamment large pour englober les contrats de travail, que cela ait été l'intention ou non.
Il y a une réalité économique dont il faut tenir compte, à mon avis: une série d'actifs a seulement la valeur qu'elle a. En cas de liquidation de l'actif d'une entreprise insolvable, plus vous fixez de conditions à cet égard, moins il est probable que les éléments d'actif soient utilisés de façon productive. À l'heure actuelle, nos dispositions législatives en matière d'insolvabilité n'autorisent pas la répudiation des contrats de travail. Je devrais dire que nous ne savons pas si elle autorise la répudiation des contrats de travail, car c'est confus. La question a surgi dans l'affaire d'Air Canada et n'a jamais été réglée, car, c'est une chance, elle n'a jamais eu à être réglée.
Si le syndic de faillite cherche à vendre un ensemble d'actifs en tant qu'entreprise en exploitation et qu'il existe un contrat de travail qui est trop riche par rapport aux éléments d'actif, et si le droit est tel que l'acheteur doit respecter le contrat de travail en question, alors personne n'achètera l'ensemble d'actifs. Il y a souvent eu des situations où des entreprises auraient pu être transférées et poursuivre leurs activités, mais personne n'a voulu les acheter et assumer les lourdes obligations liées au contrat de travail, de sorte que les éléments d'actif ont été vendus par fragments, les usines ont été démantelées et, de fait, la valeur de l'entreprise s'est envolée tout à fait en fumée.
À mon avis, selon le principe de réalité, il faut conclure que les contrats de travail devraient figurer parmi les catégories de contrats visés par une réorganisation et une faillite. Je sais que je m'engage là sur un terrain politique très dangereux. Tout de même, du point de vue philosophique, je suis d'avis que cela est approprié.
Le sénateur Massicotte: Vous avez dit que les contrats en question seraient «visés par [...]». Est-ce que vous voulez dire qu'ils seraient résiliés ou modifiés?
M. Mendelsohn: Jusqu'à maintenant, aucune disposition n'a permis d'imposer des modifications, à moins qu'il s'agisse simplement de modifier le montant de la dette accumulée. Cela doit passer par des négociations. Je parle de la possibilité d'annuler un contrat si la négociation ne donne pas lieu à une modification.
Le sénateur Massicotte: Je présume que si vous vous rendez là et que le juge a le droit d'annuler un contrat de travail, vous auriez le droit d'annuler d'autres contrats, notamment en matière de propriété intellectuelle?
M. Mendelsohn: Nous envisagerons une affaire pertinente sous la surveillance judiciaire qui s'impose, par exemple le cas évoqué par M. Baird, où il est question de droits de licence et où le failli était le concédant et où la notion de service n'entre pas en ligne de compte au chapitre du contrat. Dans un tel contrat, même en cas de réorganisation, s'il faut qu'il y ait répudiation parce qu'on croit qu'un prix plus élevé pourrait être obtenu, alors le droit de répudiation est employé comme menace, ce qui ne devrait pas être autorisé.
S'il y a un contrat qui, du fait de la situation, est trop lourd pour le débiteur en phase de réorganisation, alors il faut le répudier, car le droit de répudiation sert alors de bouclier et non pas d'épée. Il faut qu'il y ait une quelconque analyse objective des facteurs faisant que la continuation du contrat n'est pas viable. Par contre, il faut qu'il soit interdit de répudier le contrat afin d'obtenir un meilleur prix.
M. Baird: Que cette décision et cette question soient débattues devant un tribunal retarderait la réorganisation, et le seul fait d'en faire une question met le tribunal dans une situation difficile, car les tribunaux ne sont pas parfaits et que cela suppose un certain temps. Il faut concilier la question de la célérité et la question de l'équité.
Pour ce qui est des conventions collectives, ce serait une sorte de progrès modeste — cela n'a rien de parfait, mais ce serait une mesure raisonnable — que d'accorder au syndic de faillite ou à un séquestre le droit de présenter à la section locale du syndicat, en vue d'un vote, un nouveau contrat de travail. Souvent, les délégués syndicaux dirigent les négociations, et les syndiqués ont le droit de vote ensuite. Je recommande que le syndic de faillite et (ou) le séquestre aient le droit de présenter aux employés un contrat révisé et de leur donner le droit de voter à ce sujet, en privé. Je crains qu'il arrive dans certains cas que les employés n'aient pas l'occasion de voter. Les syndicats représentent non seulement la section locale, mais aussi de nombreuses sections locales ailleurs, et ils ne souhaitent pas créer un précédent qui leur nuirait dans d'autres situations.
Le sénateur Massicotte: Êtes-vous d'accord avec M. Mendelsohn pour dire que si ce n'était pas profitable en application de la LACC, ils auraient le droit d'annuler des contrats, notamment en matière de propriété intellectuelle?
M. Baird: Le processus d'adjudication cause un trop grand nombre de difficultés. Je ne suis donc pas d'accord avec M. Mendelsohn: la complexité du processus d'adjudication nuit à la capacité de se réorganiser de manière prompte et efficace.
Le président: Je vous remercie, messieurs, au nom du comité, d'avoir participé aux travaux.
La séance est levée.