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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 26 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 1er octobre 2003

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit ce jour à 16 heures pour examiner l'application de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies.

Le sénateur Richard H. Kroft (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, j'aimerais accueillir nos premiers témoins de la journée. Il s'agit de MM. Mel Zwaig, Bruce Leonard et David Ward, d'Equifax Canada.

Allez-y, je vous prie, messieurs.

M. Bruce Leonard, Cassels Brock and Blackwell, Equifax Canada: Monsieur le président, merci de me recevoir à nouveau. J'étais ici en juin, portant un autre chapeau, pour discuter de l'aspect international des choses. Je suis très heureux d'être de retour parmi vous pour me concentrer cette fois sur l'insolvabilité à l'intérieur du pays.

Nous avons coupé notre déclaration liminaire d'aujourd'hui en trois parties. Je vais vous entretenir d'une ou deux questions. M. Zwaig traitera quant à lui de certaines des questions plus controversées qui s'inscrivent dans notre mandat. M. David Ward conclura avec quelques commentaires au sujet de la transparence du processus en matière de faillites et d'insolvabilité qui pourrait selon nous être améliorée.

J'aimerais commencer par dire quelques mots au sujet de l'Equifax Canada National Insolvency Group. Equifax Canada compte environ 6 000 membres. Son travail sur des questions liées aux faillites et à l'insolvabilité est le fait de l'Equifax National Insolvency Group, un noyau de membres qui se rencontrent régulièrement depuis environ cinq ans maintenant pour discuter de différents aspects problèmes, notamment pour les fournisseurs et les créanciers non garantis. Nous vous sommes reconnaissants de l'invitation que vous nous avez faite de comparaître ici aujourd'hui. Il ressort de notre analyse des soumissions qui vous ont été faites jusqu'ici qu'il n'y a pas eu une forte participation au processus de la part de la communauté des fournisseurs. Nous sommes ainsi heureux de l'occasion que nous avons aujourd'hui de présenter les choses de son point de vue.

Plus tôt, j'ai eu l'occasion d'avoir un bref échange avec M. Yoine Goldstein. Par suite de notre conversation, j'ai entrepris de faire un peu de recherche au sujet des fonds de titres à revenu fixe, dont je vais traiter séparément. Cela ne fera pas partie de la présentation d'Equifax Canada.

J'ai préparé une mise à jour sur les dispositions internationales qui s'enchaîne sur la présentation en juin de l'International Insolvency Institute. Certains sénateurs avaient à l'époque posé des questions auxquelles je m'étais engagé à fournir des réponses. J'ai certaines mises à jour à faire sur là où nous en sommes sur le plan international. Je pourrai revenir là-dessus plus tard, si nous en avons le temps.

Je vais commencer par traiter brièvement des droits des fournisseurs impayés qui ont été intégrés à la Loi sur la faillite et l'insolvabilité en 1992. Je vais également consacrer quelques minutes à traiter des comités de créanciers dans le contexte général des procédures d'insolvabilité au Canada.

M. Zwaig vous entretiendra de questions relatives à l'indépendance et à l'imputabilité des titulaires de charge dans les affaires d'insolvabilité. Nous estimons pour notre part qu'il y a grand-place à l'amélioration quant à l'intégrité du processus d'insolvabilité. Le gros de l'amélioration devra être apporté du côté des titulaires de fonctions qui sont nommés pour mener à bien les affaires d'insolvabilité.

M. Ward conclura avec quelques commentaires sur la transparence du processus de faillite ou plutôt sur le manque de transparence dans le processus canadien de faillite. Nous espérons être suffisamment brefs afin qu'il reste du temps pour des commentaires et des questions auxquelles nous pourrons répondre.

Permettez-moi de parler de la question des droits des fournisseurs impayés et des droits de reprise de possession des marchandises dans les 30 jours. La Loi sur la faillite et l'insolvabilité, ou LFI, a été modifiée en 1992 pour traiter de l'abus apparent commis par les débiteurs qui commandent des biens et des services juste avant de faire faillite et qui ne paient pas les fournisseurs des ces derniers.

À l'époque — et M. Goldstein fait plus autorité en la matière que moi — il existait un système québécois qui permettait la réconciliation et la «revendication» et par le biais duquel les fournisseurs impayés pouvaient récupérer leurs marchandises.

En 1992, les modifications apportées à la LFI avaient en gros eu pour objet de reproduire cela dans les provinces en régime de common law. La question est la suivante: cela a-t-il fonctionné? La réponse donnée par presque tout le monde est que cela ne fonctionne pas et n'a pas fonctionné. D'ailleurs, à l'époque, l'on ne s'attendait pas à ce que cela fonctionne et nous ne sommes donc pas surpris de constater que cela ne fonctionne pas.

La question est donc la suivante: peut-on améliorer la loi? Elle peut certainement être améliorée.

Le délit d'abus était censé éliminer ou atténuer les cas de fraude potentiels — les cas de personnes qui commandaient quelque chose, obtenaient la marchandise, faisaient faillite et ne payaient pas. Dieu sait où se retrouvait la valeur des marchandises livrées. Ce qui est arrivé c'est qu'en 1992 personne n'avait songé à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, ou LACC. Les dispositions en matière de droit de reprise de possession de marchandises dans les 30 jours n'ont pas été intégrées à la LACC en 1992. Nous ne savons même pas très bien pourquoi il y a eu cette distinction telle que ces dispositions étaient inscrites dans la LFI mais non pas dans la LACC. En tout cas, elles ne figurent pas dans la LACC.

En conséquence, dans les poursuites intentées en vertu de la LACC, soit les plus grosses affaires d'insolvabilité au pays, il n'y avait aucun moyen pour un fournisseur impayé d'exercer l'un quelconque des droits accordés aux fournisseurs impayés par le Parlement dans les modifications apportées en 1992 à la LFI. Il n'y a vraiment aucune raison conceptuelle expliquant cela.

L'autre abus qui a fait surface, soit ouvertement soit par inadvertance dans le cadre de la LACC, est qu'une poursuite en vertu de la LACC débute toujours avec un sursis d'instance contre les créanciers exerçant leur droit de recours. Une fois entrée en vigueur une suspension d'instance en vertu de la LACC, ce qui arrive normalement dans le cas d'une entreprise en exploitation est que les marchandises livrées dans les 30 jours précédant le dépôt de requête sont consommées — elles ne sont plus là. Par suite du sursis d'instance, les biens sont consommés et les pauvres fournisseurs impayés se retrouvent en bout de ligne le bec dans l'eau. Il y a également un problème de choix du moment. Pour ce qui est de la reprise des marchandises dans les 30 jours, la période ne remonte pas jusqu'à la date de dépôt de la requête. Le compteur tourne à partir de la date à laquelle une réclamation est faite. Dans notre documentation, nous présentons un exemple qui montre que les marchandises livrées dans les 30 jours ne sont pas des marchandises livrées dans les 30 jours. Si un débiteur devient insolvable 26 jours après la livraison de marchandises par son fournisseur, vous avez quatre jours pour faire votre réclamation. Personne n'avait réfléchi à cela à l'époque. Ce qui a été inscrit dans la LFI constitue selon moi, il me semble, un exemple de rédaction défectueuse. Le texte pourrait, et devrait, être amélioré.

L'autre situation d'abus sur laquelle je vais me prononcer s'agissant des fournisseurs impayés survient après dépôt, ce qui est à mon sens incroyable. Une entreprise qui se réorganise peut chercher à se protéger par deux moyens, soit sous la LFI soit sous la LACC. Dans chaque cas, l'on considère qu'elle agit ou qu'elle fonctionne sous la protection de la cour.

La plupart des fournisseurs pensent que s'ils livrent à une entreprise qui fonctionne sous la protection de la cour alors elle sera payée pour les biens ou les services qu'elle fournit à l'entreprise en réorganisation. Ce n'est malheureusement pas le cas. Il s'est présenté quelques cas en Ontario dans lesquels une réorganisation a échoué et les fournisseurs ont alors dit: «Attendez un instant. J'ai livré des biens ou des services pendant votre réorganisation afin de vous permettre de réussir. Ne pourriez-vous pas me payer pour les articles que je vous ai livrés pendant que vous étiez sous la protection de la cour?» Dans les affaires du genre survenues en Ontario, on a simplement dit: «Dommage, mais il n'y a rien dans la loi. Nous ne pouvons pas vous aider.»

Ces services livrés pendant la réorganisation ne sont jamais payés.

Cela est parfaitement injuste. Aux États-Unis, en vertu du système du Chapitre 11, vous avez ce que l'on appelle une priorité de revendication administrative. Vous vous faites payer pour les marchandises que vous avez fournies pendant la réorganisation. Ce n'est pas cela qui se passe ici. À notre avis, il faudrait modifier la loi pour veiller à ce que cela fonctionne.

J'aimerais maintenant passer brièvement aux comités de créanciers. L'Equifax National Insolvency Group a maintes fois exprimé son mécontentement avec le fait qu'il n'y a aucun moyen pour les créanciers non garantis de participer de façon significative aux réorganisations complexes.

Permettez-moi d'établir le parallèle. En règle générale, dans une liquidation en vertu de la LFI, des inspecteurs sont désignés pour représenter les créanciers. Ils sont habilités à conseiller le syndic et à lui faire des recommandations quant à ce qu'il devrait faire dans l'administration.

Dans la LACC, il n'y a aucune disposition prévoyant la création voire même l'existence de comités de créanciers. Il y a eu plusieurs cas dans lesquels des demandes ont été soumises à la cour — en tout cas en Ontario, la province que je connais le mieux — en vue de la nomination de comités de créanciers composés des plus importants représentants de créanciers intéressés dans l'affaire, ce pour communiquer à l'entreprise en réorganisation ce qu'il lui faut entendre de la part du groupe de créanciers. Ces demandes ont presque toujours été écartées ou refusées pour cause qu'il n'y a rien dans le texte de loi qui envisage la nomination d'un comité des créanciers pour représenter les créanciers dans une affaire intentée en vertu de la LACC.

La raison ostensible qui est donnée est que si vous avez un comité des créanciers cela augmentera le coût d'administration de l'actif et que c'est là un coût qui, dans l'intérêt du débiteur qui réorganise, ne devrait pas être couvert par les éléments d'actif relevant de l'administration. Je crois que la fausseté dans cela est que tous les autres qui sont intéressés dans l'affaire sont payés à même les avoirs du débiteur en réorganisation. Le débiteur paie toujours les prêteurs principaux. Le débiteur paie toujours le syndic et le contrôleur. Le personnel de soutien professionnel et leurs frais professionnels sont payés par le débiteur à même le compte de la réorganisation. Le seul groupe qui n'a en réalité pas de représentation indépendante dans une affaire d'importance sont les créanciers non garantis, et c'est pour le compte de ces gens-là que nous nous exprimons ici aujourd'hui.

Ma suggestion est que la LFI et la LACC soient modifiées pour permettre aux créanciers de s'organiser entre eux pour représenter les intérêts des créanciers non garantis dans le cas de grosses réorganisations, et que les coûts y afférents soient traités sur la même base que tous les autres coûts professionnels encourus lors de réorganisations d'envergure. J'ajouterais de la transparence au processus. J'accorderais aux créanciers qui n'ont à l'heure actuelle pas voix au chapitre la même capacité de participer au processus, et cela améliorerait à mon sens l'intégrité d'ensemble du processus.

Cela étant dit, je pense que l'enchaînement d'entrée en matière pour la présentation de M. Zwaig devrait être ce qui suit. Dans une affaire intentée en vertu de la LACC, la loi exige la nomination d'un séquestre. En théorie, et remontant jusqu'en 1992 lorsqu'a été adoptée pour la première la disposition concernant les syndics, le surveillant était censé représenter les créanciers dans leur ensemble. Cela s'est avéré ne pas être le cas, et la raison pour laquelle il nous faut une fonction comité des créanciers et dans la LFI et dans la LACC est que le surveillant et que les titulaires de charge dans les affaires d'importance sont généralement affligés de conflits d'intérêts. Cela signifie qu'ils ne peuvent pas servir les personnes qu'ils sont ostensiblement censés servir de par leur nomination.

Je vais là-dessus céder la parole à M. Zwaig.

M. Mel Zwaig, Equifax Canada: Ce que dit M. Leonard est tout à fait juste. Je vais vous parler d'une chose qui est arrivée au cours de l'année écoulée. J'ai à ce sujet publié un article dans le Lawyers Weekly. Un vérificateur se fait nommer contrôleur dans une requête en vertu de la LACC. Le dépôt au titre de la LACC échoue, et il s'ensuit une procédure de faillite. Le surveillant devient pour une courte période de temps le syndic de faillite dans le dossier.

Une fois écoulé ce court laps de temps, le dossier est transféré à un autre syndic de faillite. Devinez ce qui arrive? Le premier syndic de faillite détache du personnel au deuxième syndic de faillite en vue de l'administration du dossier.

Ce qui se passe en vérité c'est qu'en vertu de la LACC vous avez le concept du contrôleur, qui est censé surveiller les intérêts de tous les créanciers. Malheureusement, lorsque survient le dépôt de la requête, le premier jour se sont pour la plupart les créanciers garantis qui sont invités à assister à l'audience à la cour. Les créanciers non garantis ne sont pas invités. Lorsqu'ils apprennent la nouvelle, il est trop tard.

Dans le but de régler la question des articles en matière de conflit d'intérêts, ce que nous proposons c'est que le vérificateur ne puisse pas être le contrôleur d'un dossier. Cela va encore plus loin s'agissant d'un créancier garanti, un contrôleur étant désigné pour continuer d'agir pour le compte du créancier garanti. Encore une fois, cela échoue du point de vue des créanciers non garantis qui ne sont en vérité pas représentés.

Il nous faut revenir au départ au concept du vérificateur. Le vérificateur est désigné par les actionnaires. Son objet est de veiller à ce que l'entreprise soit restructurée d'une façon ou d'une autre, mais non pas dans l'optique, représentant les créanciers non garantis, que la valeur des actionnaires puisse être améliorée aux dépens des fournisseurs.

Je porte à votre attention, si vous me le permettez, un document déposé et préparé par le Sénat en juin 2003, intitulé «Après la tempête du siècle: rétablir la confiance des investisseurs», document qui a été déposé. Si vous vous y reportez à la page 23, il y est question d'un conflit d'intérêts chez des analystes financiers. Je pense, et c'est une suggestion que je vous soumets énergiquement, que nous pourrions remplacer par des analystes financiers les comptables ou vérificateurs, qui ne sont pas des contrôleurs.

L'autre question dont nous aimerions traiter est celle de la pleine divulgation. Oui, lorsque des nominations sont faites, ce sont en définitive les cours qui les font. Malheureusement, au moment où sont faites les nominations, c'est sur la base de demandes ex parte et la cour s'appuie bien sûr sur les renseignements dont elle dispose sur le moment. Encore une fois, si tous les renseignements ne font pas l'objet d'une pleine divulgation devant la cour, alors nous nous retrouvons dans une situation dans laquelle la personne ou le cabinet désigné peut en fait représenter plus d'un camp, encore une fois aux dépens des fournisseurs.

Je vais maintenant céder la parole à M. Ward.

M. David Ward, Cassels Brock and Blackwell Equifax Canada: J'aurais quelques remarques à faire au sujet de la section de notre mémoire écrit qui commence à la page 16. Il s'agit de la partie intitulée «Information Availability for Creditors in Insolvency Cases.» Le thème ici est qu'il s'agit de quelque chose qui devrait être augmenté. L'accès à l'information devrait être amélioré. Nous avons à ce chapitre cinq propositions spécifiques qui seraient réalisables.

Nous vous soumettons respectueusement qu'il s'agit de formidables réformes du fait qu'elles sont relativement faciles à apporter en ce sens qu'elles sont largement techniques. Il y a avec ce genre de réformes un très faible coût marginal car l'on parle toujours de données qui sont déjà générées dans le cours de la restructuration. Ce que nous disons c'est qu'il faudrait un accès amélioré à ce genre de renseignements. Les considérations en matière de politique publique qui sous-tendent ces réformes veulent que nous améliorions la transparence du système.

Il n'y a pas suffisamment de transparence et ces réformes aideront. Si elles sont apportées, elles pourront améliorer la reddition de comptes de la compagnie débitrice ainsi que les représentants en matière d'insolvabilité et appuyer le débiteur. Grâce à ces deux choses et à la facilitation de l'atteinte de ces objectifs, il y aura également moyen d'améliorer les possibilités de participation au processus par les créanciers dans leur ensemble et plus particulièrement les créanciers non garantis.

Il y a cinq recommandations que nous avons résumées aux pages 16 à 18. En bref, la première dit que la LFI devrait être éclaircie de façon à ce qu'un syndic de proposition dans une restructuration au titre de la LFI soit tenu de fournir le dépôt initial exhaustif du débiteur insolvable, en plus de ce que l'on appelle dans la loi l'avis d'intention.

Comme le savent les honorables sénateurs, l'avis d'intention ne renferme que très peu de renseignements, se limitant à identifier le débiteur, le syndic et quelques-uns des plus importants créanciers. Cependant, il se prépare en même temps d'autres renseignements, notamment données financières et précisions sur les mouvements de caisse, qui pourraient tout aussi facilement être fournis par les créanciers dans leur ensemble. Ces renseignements sont là, sont disponibles et devraient être fournis.

Dans le même esprit, une deuxième réforme exigerait que le syndic dans une proposition mette à la disposition de tous les créanciers les rapports de clauses de détérioration. À l'heure actuelle, le syndic est chargé de fournir les rapports de clauses de détérioration au liquidateur officiel. Ceux-ci peuvent être déposés ultérieurement auprès de la cour, mais il n'y a aucune exigence de livrer ces rapports aux personnes touchées par les détériorations sur lesquelles portent les rapports en question. Nous vous soumettons respectueusement qu'il s'agit là encore d'une chose qui devrait être assurée dans l'ordre normal des choses.

Dans la même veine, un débiteur dans un scénario de protection en vertu de la LACC devrait être tenu de divulguer l'identité de ses plus importants créanciers. Ces renseignements devraient être disponibles au public. Cela assurerait l'uniformité par rapport à ce qu'exige la LFI. Nous devrions suivre l'exemple du Chapitre 11 aux États-Unis, qui est tel que ces renseignements sont typiquement divulgués. Une situation est créée lorsque les plus importants créanciers non garantis peuvent rapidement s'organiser et participer au processus. Ils peuvent mettre en commun leurs ressources et contribuer de manière constructive à la réorganisation. Le danger de ne pas rendre disponibles de tels renseignements se trouve manifesté dans ce que nous voyons arriver de temps à autre aujourd'hui. Pour une raison ou une autre, en règle générale pour des raisons stratégiques, le débiteur refuse simplement de divulguer ces renseignements. Vous pouvez faire des demandes auprès du contrôleur et celui-ci ne se sentira pas davantage tenu de divulguer ces renseignements. Il s'agit là d'un amendement important que nous recommandons.

Je vais couvrir rapidement deux autres questions, dont nous traitons également dans le mémoire. Des rapports financiers mensuels réguliers devraient être mis à la disposition des créanciers dans leur ensemble. Tout le monde sait que de tels rapports sont produits plus souvent que mensuellement. Lors d'une restructuration, de tels rapports pourraient être préparés chaque semaine ou aux deux semaines. Cependant, au strict minimum de tels rapports devraient être chaque mois fournis aux créanciers intéressés. Encore une fois, nous pourrions vous citer des cas dans lesquels ces documents ont été difficiles à obtenir. Or, les créanciers ont besoin de ces renseignements afin de décider de la mesure dans laquelle ils veulent participer et intervenir devant la cour lors de la restructuration.

Enfin, il s'agit d'une demande pratique d'accès à l'information; l'on voit cela à l'occasion ces jours-ci. Nous vous soumettons que les dépôts, avis et renseignements financiers importants soumis à la cour devraient devoir être affichés sur un site Web accessible au public. Ce serait là une façon efficiente de diffuser ces renseignements et d'en assurer la distribution à tous. L'on constate cela à l'occasion dans le cadre de procédures en vertu de la LACC, mais, encore une fois, il s'agit d'une chose qui devrait être faite de façon systématique.

Voilà les propos que nous tenions à vous soumettre, en attendant vos questions.

M. Leonard: Pour résumer, monsieur le président, nous aimerions, au nom de l'Equifax National Insolvency Group féliciter le comité de son travail dans le domaine. Cela fait plusieurs années que personne ne s'intéresse à ce secteur. J'aimerais dire au nom des professionnels du crédit qui s'intéressent à toute cette question que nous sommes reconnaissants du temps, de l'attention et du travail ardu que le comité consacre au dossier. Vous jouez un rôle précieux que ne joue personne d'autre, et ce depuis nombre d'années.

M. Ward, M. Zwaig et moi-même convenons que le Canada pourrait avoir l'un des meilleurs systèmes d'insolvabilité et de réorganisation au monde, mais nous n'y sommes pas encore. Les honorables sénateurs ont entendu parler des difficultés que nous avons côté transparence, prévisibilité et conflits d'intérêts — les questions du genre Enron — dont est envahi notre système. Nous pouvons faire mieux que cela. La question est de savoir quoi faire pour y parvenir à partir d'ici. Nous espérons que le comité adoptera certaines des recommandations que nous faisons dans nos mémoires écrits. Nous estimons qu'elles renferment des améliorations qui pourraient être apportées sans faire le moindrement violence aux attentes des créanciers à l'égard des débiteurs dans leurs transactions normales dans le cours normal des affaires.

Merci de nous recevoir. Nous sommes à votre disposition pour répondre à vos questions.

Le sénateur Massicotte: Pour ce qui est de la disposition de reprise de marchandises dans les 30 jours, je comprends le concept de votre requête aujourd'hui, mais afin que je comprenne bien la loi, dans la mesure où les créanciers ont une protection pour les biens livrés, il existe un droit de privilège et en fait une priorité à l'égard des autres créanciers, n'est- ce pas? La question de l'équité est importante dans le contexte de la loi. Vous parlez de fournisseurs livrant des biens durables, mais il y a beaucoup de gens, y compris les employés, qui offrent services, salaires ou capitaux. Ces gens-là devraient-ils eux aussi jouir d'une priorité pour les biens livrés dans les 30 derniers jours?

M. Leonard: C'est une excellente question. Je pense qu'ils le devraient. Notre mémoire écrit explique que si l'intention du Parlement en 1992 était de protéger une classe particulière de personnes ayant consenti un crédit juste avant le dépôt de la requête de mise en faillite, il n'est à notre sens pas très logique que certaines personnes soient protégées et d'autres pas.

Notre recommandation serait que tout le monde voie sa position reconnue et protégée, sous réserve d'un genre de processus d'examen, probablement sous l'égide des tribunaux, afin de veiller à ce qu'aucune réclamation frauduleuse ne soit admise. Cela inclurait les personnes qui offrent du crédit, des biens, des services, de la main-d'œuvre, à l'intérieur d'une période — au choix — de 30 jours, 15 jours, deux semaines, ou autre, avant le dépôt. Je suis tout à fait en faveur de cette suggestion.

M. Zwaig: En plus des marchandises livrées dans les 30 jours précédant le dépôt, vous avez la situation dans laquelle des biens et services ont été livrés après. Ceux-là devraient être eux aussi protégés. Nous trois avons discuté de cela entre nous ainsi qu'avec des membres des comités d'Equifax. L'on parle ici de biens et de services.

Le sénateur Massicotte: J'essaie de cerner la question. Je peux comprendre la nécessité d'établir des comités et d'être bien informés. Que la loi le permette ou non, qu'est-ce qui empêche les créanciers de créer des comités — ils parlent entre eux, et il y a le téléphone. Si j'ai bien compris, dans l'affaire de Eaton's, c'était une préoccupation. La question se limite-t-elle à savoir qui en paie le coût?

M. Leonard: La question est principalement de savoir qui en paie le coût. Permettez que j'illustre le problème. Les gros créanciers bénéficient tous de conseils professionnels qui sont payés à même l'actif de la faillite. La difficulté des petits créanciers, ceux qui nous représentons, est que si vous avez une petite réclamation, vous ne pouvez pas vous permettre de dépenser 50 p. 100 de sa valeur au titre de coûts professionnels de représentation. Vous ne pouvez pas recourir à un avocat pour aller au tribunal défendre votre réclamation.

Il faudrait donc que les créanciers dans une telle situation soient reconnus et puissent s'organiser entre eux en comité. Si le financement est un problème, alors il faudrait peut-être s'en remettre aux tribunaux pour trancher dans chaque cas. Cependant, les juges ont refusé la constitution de comités de créanciers sur la base qu'il n'y a rien dans la loi qui autorise cela.

Cela constitue en quelque sorte une dérobade judiciaire, car dans les affaires lancées en vertu de la LACC, les juges font de nombreuses choses qui ne figurent pas dans la loi. Ici, ils ont dit qu'il n'y a rien dans la loi qui les autorise à désigner des comités de créanciers et qu'ils ne peuvent donc pas le faire. Je pense qu'il devrait être possible de nommer un comité de créanciers.

Le sénateur Massicotte: Je devine que vous ne serez pas en mesure de m'aider pour ce qui est du sujet suivant que j'aimerais aborder et qui me préoccupe. Il y a des gens qui nous ont fait des propositions ou des présentations traitant d'Equifax et d'autres importantes organisations de crédit et de la façon dont vous cotez les personnes qui ont fait faillite ou, plus important encore, qui ont fait des propositions de consommateur. En d'autre terme, on nous soumet des instances au sujet de la façon dont une personne qui fait une proposition est cotée — et il semble que sa cote reste négative pendant une longue période de temps.

Je sais que vous représentez Equifax. Pourquoi maintiendriez-vous une telle cote négative pour une personne qui a assumé la responsabilité de rembourser ses créanciers sur une période de temps donnée?

M. Zwaig: Il s'agit là de quelque chose dont nous discutons régulièrement au sein d'Equifax. Cela changera au fil du temps. Je me suis de temps à autre occupé de propositions de consommateur. Dans certains cas — et cela varie — j'ai vu une proposition de consommateur déposée et honorée et le dossier de crédit a été blanchi. En d'autres termes, pour quelque raison, la cote a continué d'être négative. Nous en avons parlé à Equifax. La direction s'y penche. Nous en avons discuté aussi récemment qu'il y a un mois.

Le sénateur Massicotte: Que recommandez-vous que nous fassions? D'aucuns disent que nous devrions prévoir quelque chose dans la loi. Je présume que des discussions ouvertes seraient plus utiles.

M. Zwaig: Je pense que des discussions ouvertes sont plus utiles.

J'aimerais revenir à votre question antérieure dans laquelle vous avez mentionné Eaton's. M. Leonard, votre conseiller M. Goldstein, et moi-même, représentions les créanciers non garantis d'Eaton's. La difficulté pour nous a été de réunir tous les créanciers et de faire en sorte qu'ils s'organisent. Ce que nous proposons c'est que lors du dépôt il y ait création automatique d'un comité. Celui-ci réunirait les sept plus gros créanciers. Ceux-ci feraient partie intégrante du processus de réorganisation.

Oui, les frais professionnels seraient payés à même l'actif de la faillite. Cependant, si vous suivez le concept du Chapitre 11 aux États-Unis, vous constatez que le comité des fournisseurs créanciers joue un rôle très important dans tout le processus de restructuration. Vous voyez qu'en conséquence les fournisseurs créanciers aux États-Unis obtiennent un bien meilleur rendement sur leurs mauvaises créances par rapport à la situation au Canada.

Le sénateur Angus: Monsieur le président, nous sommes très privilégiés d'accueillir devant le comité un tel aréopage. Au nom de mes collègues, j'aimerais en tout cas vous offrir en retour de gentils mots. Cela fait plusieurs mois maintenant que nous nous débattons avec nombre de ces questions et que nous lisons des montagnes de documentation. Je pense que nous approchons d'une conclusion. Il est extrêmement utile que vous soyez des nôtres à ce stade-ci. Vos réputations vous ont précédés.

Premièrement, vu mon retard, il me faut poser une question au sujet d'Equifax. Si j'ai bien compris, vous occupez tous d'autres fonctions qui n'ont rien à voir avec Equifax.

M. Zwaig: Oui.

Le sénateur Angus: Monsieur Zwaig, je me souviens de vous avoir rencontré autrefois à Montréal lorsque vous étiez le syndic dans la quasi-totalité des faillites. Yoine Goldstein était d'un côté et un petit avocat comme moi se pointait pour représenter un créancier ou un autre. Vous êtes les mieux placés pour nous renseigner sur le dossier qui nous occupe. Je compte que vous pourrez jeter de la lumière sur les questions dont nous sommes saisis.

À l'époque où je représentais des créanciers, il y avait en règle générale un rapport de Dunn and Bradstreet. Je n'avais jamais entendu parler d'Equifax. S'agit-il aujourd'hui de la principale organisation qui s'occupe de la surveillance des cotes de crédit?

M. Zwaig: C'est l'une des principales organisations au pays, ainsi qu'aux États-Unis.

En guise de mise en contexte, je vous dirais que si nous nous sommes intéressés à Equifax c'est qu'après la mise en œuvre des derniers amendements, il y avait une crainte que ces amendements ne prévoiraient rien de vraiment valable ou avantageux pour les fournisseurs non garantis. Le président d'Equifax m'a abordé et m'a demandé ce qui pourrait être fait. Ils ont organisé ce qu'ils appellent leur groupe sur l'insolvabilité. Ils nous ont demandé de les aider tout au long du processus. M. Leonard, M. Ward et moi-même travaillons avec eux depuis cinq ans afin de cerner les problèmes pour les fournisseurs non privilégiés. Nous représentons pour la plupart des fournisseurs non garantis et il était donc tout naturel pour nous de travailler avec eux.

Le sénateur Angus: La première fois que j'ai entendu parler d'Equifax — et vous allez rire — remonte à il y a quelques années. Il y avait au Québec, dans ma région, un travailleur non qualifié qui, comme beaucoup d'autres gens malchanceux, avait accumulé de nombreuses dettes. L'un de ses employeurs à l'époque l'avait aidé à restructurer ses dettes, si vous permettez que j'utilise le terme «restructurer» dans le sens auquel l'entendent les simples citoyens. Il ne devait plus d'argent à Household Finance, au service de prêts personnels de la Banque de Nouvelle-Écosse, et ainsi de suite. En fait, il n'était plus fiché nulle part où Equifax aurait pu savoir qu'il avait des dettes. Il a dit «Je ne peux toujours pas obtenir de crédit où que ce soit car je suis inscrit chez Equifax et ils ne veulent pas retirer mon nom. Il est indiqué que je dois 13 412,92 $. C'est comme un boulet que je traîne avec moi. Je ne peux pas acheter une nouvelle voiture, pas même d'occasion.»

Il s'agit d'une affaire assez banale. Cependant, je comprends d'après des recherches que j'ai faites par la suite que c'est un assez gros problème pour le petit débiteur. Auriez-vous une recommandation ou une réponse à cela?

M. Zwaig: Il y a une réponse partielle. Étant donné que deux honorables sénateurs ont mentionné cela, je vais porter la chose à l'attention d'Equifax.

Selon mon expérience, les clients se présentent généralement chez Equifax ou chez Dunn and Bradstreet. Je suis certainement au courant de ce qui se passe chez Equifax. On y examine leur dossier de solvabilité ligne par ligne. Tant et aussi longtemps que vous pouvez fournir à Equifax quelque chose qui appuie ce que vous dites, ces renseignements seront inclus dans le rapport. D'après ce que j'ai compris, cela a aidé certaines personnes à obtenir du crédit.

Le sénateur Angus: Vous rirez peut-être à m'entendre vous poser des questions au sujet de ces pauvres gens, car il est de notoriété publique que je ne représente pas ces genres de personnes. J'ai communiqué avec Equifax et on m'a dit: «Non, maintenant il faut qu'il y ait un dossier sans réserve.» Je pense qu'ils ont dit qu'il fallait que ce soit le cas au bout de six mois. C'était cependant une période considérable. Ces gens essayaient de s'acheter une maison et d'obtenir une hypothèque. On les en a complètement exclus à cause de cela.

Je crois comprendre que le maximum que fera Equifax c'est inscrire une note dans votre dossier. Equifax ne va pas radier votre nom de ses listes.

M. Zwaig: Je vais vérifier cela et je vous reviendrai là-dessus. Je vous enverrai une petite note. Je vérifierai sa politique et ce qui se passe.

Le sénateur Angus: À un autre niveau, il a été fait mention du juge dans ces comités de créanciers. Je pense avoir raison de dire qu'aux États-Unis ils ont une cour des faillites.

Lorsque je vous ai rencontré dans le bon vieux temps, monsieur Zwaig, il y avait une division des faillites à la Cour supérieure du Québec. J'ignore si cette division existe encore. Je sais cependant qu'en Ontario, et dans une moindre mesure au Québec, et j'ignore quelle est la situation ailleurs au Canada, certains juges, mais non pas d'un tribunal spécialisé dans la faillite, ont un cachet particulier et sont reconnus comme étant des spécialistes de la LACC.

Cela me paraît être une lacune dans notre système. Je me suis renseigné là-dessus également, et je crois comprendre que cela a amené le magasinage de tribunes, le dépôt de requêtes devant des tribunaux qui ne sont pas forcément le forum conveniens dans les circonstances. J'ai pris connaissance de rivalités entre la magistrature d'une province et celle d'une autre à cause de cela.

Premièrement, y a-t-il un problème? Dans l'affirmative, auriez-vous quelque recommandation à faire? Si nous voulons avoir les meilleurs textes de loi en matière d'insolvabilité dans le monde occidental, ce que je souhaite, le système judiciaire fait-il partie intégrante du processus devant déboucher sur la réalisation de cet objectif?

Il s'agit là d'une vaste question et elle est délicate, mais il importe d'en discuter.

M. Leonard: C'est une bonne question. L'une des observations faites dans la présentation de l'International Insolvency Institute était la nécessité d'avoir un appareil judiciaire spécialisé. Le système américain fonctionne bien parce qu'ils ont des juges qui ne traitent que de faillites.

Ces jours-ci, avec l'incroyable complexité de ces genres d'arrangements, vous ne pouvez pas laisser ce type d'arrangements à quelqu'un qui n'a pas une bonne expérience commerciale de ces choses. Il y a de bonnes raisons de faire quelque chose. Notre groupe appuierait fermement une recommandation visant une plus grande spécialisation à l'intérieur du système judiciaire dans les affaires de faillite et d'insolvabilité. C'est là une excellente suggestion et je l'appuie fermement.

Le sénateur Angus: Pensez-vous qu'il existe aujourd'hui un problème? Chaque dossier finit par aboutir devant le juge James Farley de la Cour supérieure de justice de l'Ontario ou quelqu'un du genre. Il me semble qu'étant donné surtout que l'un des avantages de notre LACC par rapport au Chapitre 11 est qu'il y a une certaine souplesse en vue de lois qui sont le fait de juges, c'est, en un sens, une bonne chose, car il n'y a jamais deux cas identiques. L'on s'écarte ainsi de la rigidité d'une interprétation stricte de juriste. C'est en un sens un dilemme.

Je suis très intéressé de savoir ce que nous finirons par décider relativement à la LACC. La première recommandation est que nous devrions probablement avoir deux textes de loi distincts. C'est une bonne idée, mais c'est un jeu différent. La petite personne chez Equifax peut se contenter de la LFI, mais dans le cas de la restructuration d'Air Canada ou d'une grosse société du genre, il faudrait recourir à la LACC, mais avec les bonnes règles.

M. Zwaig: Je pourrais peut-être faciliter le processus et aborder la question du point de vue d'un non-avocat et d'une personne qui est dans les tranchées jour après jour.

Il est très important pour nous, en tant qu'intervenants, d'avoir un juge qui connaisse non seulement le droit commercial mais également le menu détail de la loi en matière d'insolvabilité nationale et internationale. Cela est important.

L'autre aspect est que vous allez de temps à autre rechercher de la créativité pour que les choses aboutissent. Peu importe que ce soit un juge à Montréal, à Toronto ou à Calgary, ce qui compte c'est que la personne à la Cour des faillites — et il faudrait que ce soit une cour des faillites — sache ce qu'elle fait.

Je travaille à l'heure actuelle à un dossier à l'étranger, dans un pays où il n'y a aucune distinction entre cour pénale et cour commerciale, sans parler de cours commerciales et de faillites. Nous avons beaucoup de difficultés dans nos interactions avec l'appareil judiciaire pour ces dossiers commerciaux.

Chose intéressante, M. Leonard et moi-même avons fait venir ici un juge de leur commission de réforme du droit. Ils invitent quant à eux des juges canadiens à aller chez eux pour les aider dans le processus.

C'est là l'autre extrême. La réponse ici, en bref, est qu'il est important d'avoir une cour des faillites et des juges qui connaissent les lois commerciales et de faillite, et ici au Canada et à l'échelle internationale, vu le contexte dans lequel sont aujourd'hui menées les affaires.

Le sénateur Angus: Lorsque vous avez des choses comme du financement DEP et ces grosses affaires de plusieurs milliards de dollars, comme celle de l'Algoma Steel, il est absurde que l'affaire soit décidée par un juge de la cour matrimoniale.

M. Zwaig: Exactement. C'est là le meilleur argument en faveur d'un tribunal exclusif des faillites. Où que vous alliez, quel que soit le pays, là où il existe une cour des faillites, je ne pense pas que vous puissiez éviter le magasinage de tribunal si vous voulez.

Le sénateur Chaput: J'aurais deux courtes questions. Premièrement, en ce qui concerne la protection des créanciers, ou des fournisseurs comme on les appelle — et surtout les petits fournisseurs, car nous avons au Canada de nombreux petits et moyens fournisseurs — l'incidence sur les petits fournisseurs est-elle pire que sur les gros fournisseurs? Dans l'affirmative, avez-vous des chiffres ou des statistiques montrant que des entreprises ont fait faillite à cause de cela? Disposez-vous de telles statistiques?

M. Leonard: Non, et je ne connais personne qui tienne des statistiques là-dessus. Il serait utile que quelqu'un compile de telles données empiriques, mais je ne connais personne qui le fasse.

Il y a toujours un effet cascade si une grosse compagnie fait faillite et que tout un tas de petits fournisseurs avaient de gros comptes. Parfois ils ne survivent pas non plus. Il y a un effet en chaîne. La grosse compagnie peut faire couler une petite avec elle. Cela arrive.

Le sénateur Chaput: Vous avez parlé de l'établissement de fonds pour aider les fournisseurs qui ont perdu de l'argent. Y aurait-il lieu de prévoir d'autres mesures de protection en dehors d'un genre de fonds pour aider les créanciers qui n'ont pas été payés?

M. Leonard: Pour éclaircir ce que je disais tout à l'heure, j'appellerais probablement cela un privilège plutôt qu'un fonds. Si quelqu'un livre quelque chose dans les deux semaines précédant la faillite et qu'il n'est pas payé, il aurait un privilège à l'égard des biens de la compagnie, ce de façon à être payé.

Le sénateur Chaput: Ce ne serait pas un fonds doté d'argent?

M. Leonard: Non, il y aurait un privilège et lors de la vente des éléments d'actifs, le montant correspondant au privilège serait payé, et je pense que cela fonctionne.

[Français]

Le sénateur Plamondon: J'ai deux questions concernant les consommateurs. La première concerne les 30 jours. Vous avez dit qu'au Québec, pour qu'un créancier puisse récupérer les biens, il faut que ce soit une vente à tempérament. Suggérez-vous qu'un créancier puisse reprendre un bien qui a été livré 30 jours avant la faillite? Est-ce que ceci s'appliquerait à des biens livrés et vendus mais sans vente à tempérament? Au Québec, quand un créancier peut reprendre les biens, c'est qu'il s'agit d'une vente à tempérament.

Voulez-vous un site Web pour connaître d'avance ceux qui sont en difficulté? Est-ce que vous seriez d'accord pour que ce même site Web donne la liste de tous les commerçants en difficulté? Cela peut nuire au consommateur sans que celui-ci ne le sache. Je m'explique. J'ai vu un commerçant ajouter trois ans de garantie à un bien pour attirer le consommateur et faire faillite pas longtemps après. Comme cette garantie est donnée par le commerçant, elle s'annule automatiquement et le consommateur n'est pas protégé.

[Traduction]

M. Leonard: Ce n'est pas une question facile. Pour ce qui est des fournisseurs impayés, nous nous sommes toujours concentrés sur les fournisseurs ayant vendu des articles — qui ont vraiment accordé le crédit en livrant des marchandises à un débiteur qui fait faillite. Nos interventions ont pour objet de protéger ces personnes par opposition à tout autre genre de transaction. Nous nous intéressons aux transactions de crédit et aux ventes qui ne sont pas payées et qui devraient selon nous être protégées.

Quant à la question de publicité ou d'un site Web pour les personnes en difficulté financière, merci de la question. C'est ce que fait Equifax. Tout membre du public peut obtenir auprès d'Equifax un rapport sur la situation financière de n'importe quelle entreprise. Ce serait cependant un petit peut dangereux pour Equifax d'afficher de tels renseignements sur un site Web pour que le monde entier les voit, car il pourrait dans quelques rares cas y avoir erreur.

Le sénateur Plamondon: Je ne pense pas que vous ayez répondu à ma question. Je reviens à ma première question.

M. Leonard: Excusez-moi.

Le sénateur Plamondon: Au Québec, il vous faut avoir un privilège pour récupérer vos marchandises. Si j'achète un réfrigérateur, que je verse 400 $ et que je ne signe pas de contrat, alors vous n'avez pas le droit de revenir et de reprendre le réfrigérateur parce qu'il n'y a aucun privilège. Votre suggestion est-elle qu'il y ait automatiquement garantie de privilège pour tout ce qui appartient au détaillant?

M. Leonard: Il s'agit là d'une question quelque peu différente. Vous parlez là de marchandises partiellement payées. Vous versez un dépôt sur quelque chose.

Le sénateur Plamondon: Oui.

M. Leonard: Nous n'avons rien dans notre loi qui traite de cela. Aux États-Unis — et cela m'ennuie de revenir si souvent sur la situation américaine, mais ils font une analyse sérieuse des questions de faillite — aux États-Unis l'on donne la préférence aux dépôts qui sont placés pour des commandes comme cela. En cas de faillite, le client qui a fait un dépôt sur une chose qu'il n'a pas obtenue a priorité pour ce qui est du montant de son dépôt. Il nous faudrait quelque chose du genre dans notre loi pour couvrir ce cas de figure, et je conviens que c'est un grave problème. Cela vous aide-t-il?

Le sénateur Plamondon: Oui, mais je ne pense pas que cela se combine très bien avec la loi en vigueur au Québec.

Le président: Au cours des quelques dernières semaines, au fil de la progression de nos travaux, des questions ont été soulevées au sujet des fonds de titres à revenu fixe, qui sont devenus tout un phénomène, et dans le contexte de cette étude, y a-t-il quelque chose ou quelque problème dont nous devrions être au courant en particulier? M. Leonard a convenu de traiter brièvement de cette question pour nous.

M. Leonard: Après que M. Goldstein et moi-même ayons parlé plus tôt cette semaine du problème, j'ai fait un peu de recherche, non pas pour confirmer ce que M. Goldstein m'a dit, mais simplement pour éclairer ma propre lanterne. Il est tout à fait juste qu'entre 75 p. 100 et 80 p. 100 des nouvelles inscriptions à la Bourse de Toronto cette dernière année ont été des fonds de titres à revenu fixe. J'ai pour ma part été abasourdi par ce chiffre. Je n'avais pas la moindre idée que ce genre de fonds était devenu si populaire.

Dans le Globe and Mail d'aujourd'hui, on peut lire que la capitalisation boursière estimée pour les fonds de titres à revenu fixe dans ce pays est de l'ordre de 55 milliards à 60 milliards de dollars. C'est énorme. Lorsqu'on a réexaminé la loi en 1992 et une nouvelle fois en 1997, je ne sais même pas si quelqu'un s'est penché sur les fonds de titres à revenu fixe, car ceux-ci n'occupaient pas une place importante sur l'écran économique canadien. C'est pourtant le cas aujourd'hui.

Le problème des fonds de titres à revenu fixe d'un point de vue faillite ou réorganisation est que leur structure est telle qu'il n'est pas clair qu'ils sont couverts ou traités ou sous la LFI ou sous la LACC. Si l'une de ces affaires se retrouve — et Dieu sait que ce n'est pas ce que l'on souhaite — en difficulté financière et doit faire quelque chose, elle n'a aucun moyen de recourir aux dispositions en matière de réorganisation de la LFI ou de la LACC. Je ne sais pas ce qu'elle fera, mais il n'y a aucune capacité de réorganisation.

Ma suggestion pour le comité serait qu'et la LFI et la LACC soient modifiées de telle sorte que ces véhicules, qui sont en train de devenir si importants commercialement au Canada, puissent, en cas de difficultés financières, se réorganiser à la manière des sociétés ordinaires. Il y a un problème de définition ici car il est difficile de définir un fonds de fiducie. Vous ne voudriez pas modifier la loi de façon à inclure tous les fonds car il y a les fiducies familiales, les fiducies de charité et autres choses du genre qui n'ont pas vraiment besoin d'être couvertes par la LFI ou la LACC.

Nous procure un peu d'aide dans cette analyse la Loi de l'impôt sur le revenu, qui a une juxtaposition complexe de la définition de «fiducie personnelle» et «fiducie non personnelle», et les fonds de titres à revenu fixe sont une rubrique. Il y a également les fonds du gaz et du pétrole, les fonds d'investissement en immobilier, les sociétés de placement immobilier et quantité d'autres. Au cours des cinq à dix prochaines années, des avocats et des conseillers financiers futés vont inventer encore d'autres véhicules auxquels l'on n'a pas encore pensé.

Ma recommandation quant à une modification à la loi serait que l'on se concentre sur les entités ressemblant à des fonds de fiducie et dans lesquelles un investisseur acquiert un intérêt contre valeur. Ce n'est pas un fonds de charité, mais bien un fonds commercial. Je serais porté à comprendre la définition de «fonds commercial» comme signifiant un fonds dans lequel les intérêts sont achetés à titre onéreux de façon à ce qu'il soit clair qu'il s'agit d'une transaction commerciale et non pas d'une transaction familiale ou caritative. Une définition du genre, inscrite dans la loi relativement aux débiteurs, qui sont définis et dans la LFI et dans la LACC, permettrait le recours à la législation en matière de réorganisation en cas de besoin. Il s'agit d'un domaine trop vaste pour qu'on l'ignore et c'est là une suggestion sur laquelle j'ose espérer que le comité pourra se pencher.

Le sénateur Kolber: Les baux ne sont-ils pas des fonds à revenu fixe?

M. Leonard: Ils le sont probablement.

Le sénateur Kolber: Cela inclurait les baux dans le secteur énergétique. Ce sont tous des fonds à revenu fixe, y compris les pages jaunes.

M. Leonard: C'est exact. J'accepte la mise au point. Je ne suis pas une autorité en la matière.

Le sénateur Kolber: Il n'est pas question de cela.

Le président: Il y a ce que nous entendons du point de vue du volet insolvabilité de la pratique, notamment qu'il y a une chose à laquelle il faudrait prêter attention très tôt.

M. Leonard: Oui, cela devrait être fait.

Le sénateur Angus: J'aimerais poursuivre au sujet de la LACC. L'une des questions dont nous avons entendu parler la semaine dernière nous a été soumise par les gens qui s'occupent de propriété intellectuelle. Ils ont effectué une étude d'envergure et ils sont venus nous saisir de la question suivante — j'oublie la terminologie exacte — mais il s'agissait du droit de révoquer des contrats ou des contrats de licence. La soumission était très détaillée, en tout cas de prime abord, et toutes ces recommandations paraissaient tout à fait logiques. Je leur ai demandé si tous les membres de la profession, au barreau de l'insolvabilité et ainsi de suite, étaient d'accord et ils ont répondu que oui. Je suppose que vous aussi vous seriez en accord avec leurs recommandations.

Cela m'a néanmoins amené à réfléchir davantage aux autres genres d'arrangements, et non pas à la propriété intellectuelle, aux brevets, aux marques de commerce et ainsi de suite, mais plutôt à toute cette question, les contrats de travail étant à mon avis le meilleur exemple. Aux États-Unis, dans les grosses affaires en vertu du Chapitre 11, les tribunaux semblent avoir le droit d'ouvrir les contrats et de les remanier, si vous voulez, en vue de la réalisation d'une restructuration réussie. Ici, il semble qu'il y ait beaucoup de doutes. A-t-on besoin de clarté? La situation américaine est-elle meilleure?

J'ai posé la question aux témoins lorsque nous avons entamé ces audiences et je suis personnellement reparti avec un message contradictoire. J'entends avoir des discussions ici en comité, lorsque nous en serons à l'étape du rapport. Compte tenu des connaissances que vous apportez ici, j'aimerais vous demander ce que vous pensez de ce niveau de procédures en vertu de la LACC.

M. Leonard: Mon avis personnel est proche de cette logique. Les États-Unis avaient autrefois une disposition permettant aux tribunaux d'annuler les conventions collectives. Il y a eu tout un tollé il y a 15 ou 20 ans, les gens disant que cela revenait à s'ingérer de façon déloyale dans les relations de travail. L'on a donc fait marche arrière. Aux États- Unis, un débiteur qui se réorganise peut modifier des contrats de travail, mais il faut qu'il y ait une audience. L'entreprise donne un préavis, le syndicat réagit et c'est en bout de course le juge qui décide de ce qu'il faut faire du contrat de travail.

Le sénateur Angus: Il n'est donc pas nécessaire qu'il y ait entente. Le juge est-il en définitive habilité à imposer de par la loi des changements au contrat?

M. Leonard: C'est cela.

La situation d'Air Canada est le meilleur exemple auquel je pense et qui illustre la nécessité d'avoir une telle loi au Canada. Le juge Farley a, à un moment donné, convoqué une réunion un dimanche à 8 h du matin pour dire: «Les syndicats n'acceptent pas ce qu'acceptent tous les autres. Rencontrons-nous à 8 h dimanche matin et je déciderai si cette affaire va plus loin ou meurt tout simplement.» Aucun juge ne devrait être placé dans une telle situation. Il aurait été bien meilleur pour lui d'être habilité à dire qu'il y a du mérite de part et d'autre, mais qu'au vu de tout, les syndicats, s'ils ne parviennent pas à s'entendre avec l'entreprise, devraient opter pour un compromis pour que l'affaire puisse avancer. Il ne devrait pas être possible qu'un seul groupe récalcitrant puisse opposer son veto à une restructuration. Je pense que c'est là un solide principe du droit en matière d'insolvabilité. Bien que cela ne s'inscrive pas directement dans le mandat d'Equifax, notre délégation appuierait un amendement en ce sens.

Le sénateur Angus: Dans le même ordre d'idées, et c'est vraiment ce à quoi j'essaie d'en venir, il semble qu'aujourd'hui l'on utilise différentes étiquettes, du genre mondialisation, frontières ouvertes et libre-échange. Il est important d'avoir dans nos lois un élément d'uniformité. J'ai constaté que dans le cadre des récentes restructurations importantes en vertu de la LACC intervenues au Canada il y a eu un dépôt simultané en vertu du Chapitre 11, car ces grosses entreprises comme Algoma, Canada 3000, et Air Canada— tous les gros joueurs au Canada — ont eu un volet international, de telle sorte qu'il leur fallait faire leur dépôt au Canada en même temps qu'elles le faisaient aux États- Unis. Survient alors une situation de conflit entre lois et d'application de règles différentes.

En ma qualité d'avocat spécialisé dans le droit maritime, soit un secteur tout à fait différent, je peux vous dire qu'il y a, si vous voulez, un désir constant d'assurer l'uniformité parmi les nations commerçantes dans le contexte des lois régissant la marine marchande. Dans le cas contraire, ce serait impossible et il y aurait du vrai magasinage de tribunal.

Recommanderiez-vous que nous disions quelque chose dans notre rapport au sujet du fait qu'il importe que nos lois soient au moins formulées à la manière des lois américaines?

M. Leonard: Je vous suis très reconnaissant de poser cette question. Permettez que j'enchaîne en vous parlant d'une chose dont j'ai traité lors de ma comparution en juin.

Vous avez absolument raison, sénateur. La valeur des parties prenantes doit être préservée dans ces affaires multinationales. Vous ne pouvez préserver cette valeur que si les affaires sont coordonnées de telle sorte qu'un pays ne puisse pas saisir les avoirs et les vendre, un autre pays faisant la même chose. Il faut que cela forme un tout.

C'est ici qu'intervient la loi type en matière d'insolvabilité transfrontalière dont j'ai parlé plus tôt. La fonction de la loi type en matière d'insolvabilité transfrontalière a en réalité pour objet de dire: «Écoutez, il y a ici un pays d'importance primordiale.» Ce pays est celui où se trouve le principal centre d'intérêt, le siège social, les principales opérations. C'est ce pays qui devrait être le pays primordial. D'autres pays qui épouseraient cette loi type accepteraient que c'est là le pays de contrôle et agiraient de façon à appuyer ce que fait ce dernier. Voilà ce que nous apporterait ici au Canada une telle loi type.

Je pense que c'est la voie de l'avenir.

D'autres témoins ont dit que cette loi type nuirait aux créanciers canadiens. Pas vraiment. Je vais soumettre au comité un rapport supplémentaire, si vous le voulez bien, expliquant qu'en vertu de la loi type ce serait les procédures locales qui l'emporteraient. Dans le cadre d'une telle loi type, il n'y aurait pas une hémorragie de réorganisation à l'extérieur du pays. Les créanciers canadiens seraient protégés.

La liste de pays qui ont maintenant adopté la loi type a été augmentée de deux. Il y a le Mexique, le Japon et l'Afrique du Sud. Le Royaume-Uni en fait la recommandation. Les États-Unis ont adopté la loi mais ne l'ont pas encore mise en œuvre. L'Australie et la Nouvelle-Zélande l'ont étudiée et en recommandent l'adoption. Il ne devrait y avoir aucune controverse quant à l'adoption de cette loi type. Cela serait dans le meilleur intérêt du Canada et de la belle tradition canadienne de leadership en la matière.

Le sénateur Angus: Je pense que cela méritait d'être dit.

Le président: Merci beaucoup d'avoir été des nôtres et de nous avoir si généreusement donné de votre temps.

Nous allons maintenant entendre, par vidéoconférence depuis Calgary, le professeur Keith Yamauchi.

Bienvenue, professeur. Allez-y, je vous prie.

M. Keith Yamauchi, professeur, Faculté de droit, Université de Calgary, témoignage à titre personnel: Monsieur le président, honorables sénateurs, permettez-moi de commencer par remercier M. Robert, le greffier du comité, d'avoir organisé cette séance et de m'avoir permis de rester à Calgary pour vous soumettre ma déclaration.

Je suis ici aujourd'hui pour répondre surtout aux questions abordées dans les deux documents que vous avez reçus du Bureau du Surintendant des faillites. Je vais également aborder une question accessoire.

L'idée de départ était que je traite des questions esquissées dans ces documents pour aider le Bureau du Surintendant des faillites dans son témoignage qu'il vous a fait le 7 mai 2003. Mon examen de la transcription de cette audience a fait ressortir que ces questions n'ont pas été abordées, et c'est pourquoi je comparais devant vous aujourd'hui.

À l'époque, j'avais préparé ces mémoires pour une fin autre. Ils sont en fait beaucoup plus longs que les dix pages dont il est question dans le protocole pour les témoins. Je m'en excuse, honorables sénateurs.

Je suis membre permanent du corps professoral de la Faculté de droit de l'Université de Calgary. Cependant, avant d'intégrer la faculté, j'ai exercé le droit pendant 18 ans dans les domaines des faillites et de la restructuration. Je me concentrais principalement dans ma pratique sur l'intervention pour le compte de syndics en matière de faillite, mais j'ai également représenté des séquestres nommés par le tribunal, des séquestres nommés hors cour, des créanciers garantis et non garantis et des débiteurs. Le gros de ma pratique était axé sur les faillites commerciales et la restructuration. J'ai cependant également agi pour le compte de débiteurs consommateurs ainsi que de syndics traitant avec ces derniers.

J'ai rédigé mes mémoires de façon à traiter non seulement des bases théoriques des arguments mais également de différentes questions du point de vue d'un membre actif du barreau. En conséquence, vous trouverez peut-être que mes écrits sont légèrement différents des travaux savants que vous voyez régulièrement.

La question dont je traite dans le premier document est le pouvoir discrétionnaire qu'exercent les tribunaux dans leur juridiction inhérente dans le cas de problèmes en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. Nombre des témoins qui ont comparu devant vous ont traité de ces questions. Vous êtes vraisemblablement devenus des experts en la matière ou en tout cas vous avez une solide connaissance de ce volet, alors je ne vais pas m'étendre là-dessus dans ma déclaration liminaire d'aujourd'hui.

Le deuxième document est une étude comparative des régimes de restructuration en vigueur aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Nouvelle-Zélande, en Australie et à Hong Kong. L'un des objets de ce document était d'examiner la façon dont ces pays perçoivent les régimes de réorganisation canadiens et inversement.

Nombre des témoins qui ont comparu devant vous jusqu'ici ont évoqué en passant le modèle américain, ce qui est logique vu que les États-Unis sont notre principal partenaire commercial.

La question incidente dont j'aimerais traiter brièvement est celle de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international et la loi type sur l'insolvabilité transfrontalière. Aux fins de ma présentation, j'utiliserai le sigle CNUDCI pour désigner la Commission et l'expression loi type pour parler de la loi type sur l'insolvabilité transfrontalière.

Bien sûr, le gros des échanges du Canada se font avec les États-Unis. Le pays compte cependant d'importants partenaires commerciaux ailleurs dans le monde, notamment le Royaume-Uni, le Japon et d'autres. D'aucuns ont chanté les louanges de la loi type de la CNUDCI. Vous avez également entendu un témoin critiquer sévèrement la loi type. J'entends me ranger du côté de ses critiques, mais je serai moins sévère, et ce pour diverses raisons.

Comme vous l'aurez entendu dire, la loi type a été créée et élaborée au fil des différents colloques des Nations Unies dans le cadre desquels différentes parties prenantes, y compris créanciers, juristes, comptables, universitaires et juges de partout dans le monde, y ont contribué.

Mais est-ce la meilleure loi? Probablement pas étant donné qu'elle est surtout le fruit du travail de certains intervenants représentant des pays relativement nantis. Le fait que l'Érithrée l'ait adoptée et que certains pays plutôt nantis ne l'aient pas m'amène à me demander si ce modèle taille unique pourrait fonctionner pour un important pays industrialisé comme le Canada.

L'autre souci que j'ai relativement à la loi type est la terminologie qui y est employée. En passant, l'un des témoins a évoqué le concept de «protection adéquate.» Je suis justement en train de rédiger un mémoire portant précisément sur ce terme et sur le fait qu'aux États-Unis celui-ci a émergé au cours des 60 dernières années et est un terme technique renfermant des nuances très subtiles et moins subtiles.

D'autres nations devraient-elles s'en remettre à l'évolution jurisprudentielle américaine ou bien prendre elles aussi 60 ans pour en arriver à quelque chose? Mon argument est que lorsqu'adoptée par un État, la loi type devrait créer sa propre définition. Mais cela va à l'encontre de la recommandation contenue dans la loi type elle-même et qui encourage les pays à adopter la loi type en y apportant le moins de changements possible. Si le Canada adopte la loi type mais en la modifiant sensiblement, il y a lieu de se demander si la réciprocité pourrait devenir un problème en situation d'affaires d'insolvabilité transfrontalière. La question de la réciprocité a été abordée par un témoin qui m'a précédé.

Comme vous le savez, les modifications apportées en 1997 à la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies ont résulté, entre autres, en des dispositions traitant de questions transfrontalières sous la rubrique «Considérations internationales.» Ces nouvelles dispositions, instaurées en 1997, n'ont pas été beaucoup utilisées en dépit du fait que nous ayons constaté au Canada des cas d'insolvabilité transfrontalière. Les parties prenantes ont plutôt eu tendance à recourir à ce qu'universitaires et autres ont appelé «l'approche improvisée», qui reconnaît le mécanisme traditionnel de négociation pour en arriver à un protocole traitant non seulement des questions de procédure mais également des questions de fond.

Est-ce une si mauvaise chose? Probablement pas, étant donné que cela retire la procédure des tribunaux pour la remettre aux mains des personnes qui devront vivre avec les conséquences, soit les parties prenantes. La menace ultime, bien sûr, est que ces dernières puissent dire que la négociation n'accomplit pas les objectifs visés et qu'elles vont laisser leurs propres tribunaux trancher. Cela pourrait amener le chaos international.

Tout cela étant dit, la loi type prévoit malgré tout une disposition de renflouement. Si le recours à la loi type ne protège pas les intervenants intérieurs, les tribunaux pourraient exercer une option de refus de la loi type. La loi type serait alors vide de sens.

Dans un monde parfait, bien sûr, tous les pays adopteraient la loi type sans clause d'option de refus. Cela signifie que la principale procédure régirait toutes les questions en matière de faillite ou de réorganisation, mais il faut alors se demander s'il ne sera pas nécessaire que la cour chargée de l'affaire principale tienne compte des politiques publiques nationales? Sans doute qu'elle n'y sera pas tenue, ce qui pourrait dissuader certains pays d'adopter cette loi.

L'Afrique du Sud, le Mexique et l'Érithrée ont adopté la loi type. La Nouvelle-Zélande a adopté une approche de temporisation, attendant de voir si son principal partenaire commercial, l'Australie, va l'adopter. L'Australie est en train d'examiner attentivement la loi. Le Japon en a adopté une version révisée tenant compte de son droit civil. Aux États-Unis, le Congrès semble vouloir l'adopter, mais la réforme en matière de faillites semble avoir été reléguée à l'arrière-plan pendant qu'on regarde d'autres questions sans rapport.

Vous avez entendu le comité mixte de l'Institut d'insolvabilité du Canada et de la Canadian Association of Insolvency and Restructuring Professionals. Je parlerai ci-après pour le désigner de «comité mixte.»

Ce comité vous a demandé de réfléchir à la question de savoir si le Canada devrait adopter la loi type «pour des raisons d'harmonisation»; et, dans l'affirmative, si la loi type devrait être modifiée pour tenir compte de la culture canadienne en matière de réorganisation et des circonstances économiques du pays.

Prise séparément, l'harmonisation ne devrait pas être la force motrice derrière l'adoption de la loi. Étant donné la façon dont la loi type est structurée dans l'intérêt de l'harmonisation, les cours canadiennes pourraient très bien perdre une certaine part d'autonomie ou encore l'utilisation de la loi type au Canada pourrait être marginalisée. Cela permettrait-il de réaliser la fin visée? Probablement pas. L'intégration de changements à la loi type pour tenir compte de la culture et de l'économie canadiennes irait à l'encontre des exhortations de la CNUDCI. Sauf tout le respect que je dois à ceux qui pensent le contraire, je crois que le Canada doit effectuer un examen approfondi de la loi type d'un point de vue proprement canadien, pour voir si elle viendrait ajouter quoi que ce soit à la culture d'entreprise canadienne.

Pourquoi ai-je effectué cette étude comparative? Il semble que de façon générale, en tout cas dans les pays que j'ai étudiés, les gouvernements préfèrent voir les entreprises réorganisées et liquidées. Bien sûr, si l'entreprise vaut la peine d'être sauvée, les objectifs de la politique publique en matière de maintien d'emplois et d'appui à l'économie sont bénéfiques. Je parle alors de darwinisme économique.

Avec les télécommunications avancées et l'Internet, les échanges et le commerce sont en train de devenir continus. Bien que les échanges et le commerce internationaux existent depuis des siècles, la facilité avec laquelle ils sont menés est en train de devenir de plus en plus apparente. Que l'on parle d'un marchand à Pretoria, d'une institution financière à Kyoto ou d'un fabricant multinational à Bombay, la facilité des échanges et du commerce est manifeste. Je voulais savoir comment d'autres pays traitent des faillites d'entreprise et s'ils considèrent que le modèle canadien ne joue pas son rôle comme il se doit.

Je ferais comme observation générale qu'il semble que les Canadiens soient plus critiques à l'égard de leurs systèmes de réorganisation que le reste du monde. J'ai retravaillé ces mémoires qui sont devant vous pour souligner le fait que le Canada a un système de réorganisation bifurqué plutôt qu'à deux paliers. La présence de paliers indique qu'il y a différents niveaux, ce qui n'est pas tout à fait juste. Chacun de nos régimes a pour objet de traiter de différentes entités, et c'est pourquoi le système est davantage bifurqué qu'à deux paliers.

D'autres pays perçoivent le système canadien comme étant sophistiqué, équilibré et efficace. Le Canada est principalement composé de petites et moyennes entreprises. La nature flexible et axée sur les tribunaux des procédures engagées en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies se prête très bien aux grosses entités multinationales. Le système bifurqué qui existe au Canada fonctionne bien du point de vue du spécialiste.

Le fil conducteur qui semble relier ensemble les différents régimes de réorganisation est la juridiction inhérente des tribunaux qui peuvent exercer leur pouvoir discrétionnaire face aux différentes questions qu'ils doivent trancher. Je ne vais pas traiter de ces questions dans mes remarques liminaires, mais je suis maintenant prêt à répondre à vos questions, honorables sénateurs.

Le président: Si vous permettez que je résume votre position, professeur, pour ce qui est du modèle international, vous êtes en train de dire qu'il n'y a pas de presse; qu'il y a énormément de choses que nous devrions examiner; que nous ne devrions pas sous-estimer ce que nous avons déjà mis en place; et que nous ne serons pas terriblement décalés par rapport à nos importants partenaires commerciaux ou d'autres si nous ne nous empressons pas d'adopter le modèle international. Est-ce là une simplification exagérée?

M. Yamauchi: C'est là ma position. Il nous faut faire un peu plus de travail avec la loi type et véritablement l'analyser. Comme je l'ai dit, j'ai commencé à rédiger ce mémoire sur la protection adéquate, et j'ai exprimé certaines de mes préoccupations à des représentants d'autres pays assistant au colloque. Bien que ma position initiale ait été que c'était un terme de fabrication américaine, ils semblent dire que c'est davantage un terme général que nous pourrions examiner d'un point de vue strictement sémantique et déterminer si une chose est protégée de façon adéquate ou non.

Cependant, mon inquiétude quant à cette terminologie, monsieur, est que les Américains aient une interprétation particulière de ce terme «protection adéquate» s'agissant de traiter avec quelqu'un en Érythrée, par exemple, qui n'a aucune idée de ce que signifie ce terme en dehors de son sens littéral.

Je pense qu'il nous faut consacrer plus de temps à la loi type et l'examiner. Notre système tel qu'il existe aujourd'hui avec l'approche de protocole ad hoc fonctionne très bien, et je ne suis pas convaincu que les spécialistes seraient enclins à utiliser la loi type même si elle était en vigueur.

Le président: Vous parlez de juridiction inhérente et de discrétion judiciaire. Pour enchaîner sur la série de questions posées plus tôt par le sénateur Angus, nous comptons énormément sur la créativité des juges pris individuellement, et ce surtout dans des juridictions limitées, principalement à cause de la concentration de l'activité économique au Québec et en Ontario. Cependant, en tant que législateurs fédéraux, il nous faut être convaincus que la loi fédérale pourra être exécutée de façon juste et équitable à l'échelle du pays et du système. Je suppose que l'on pourrait dire que le pire système au monde peut fonctionner s'il repose sur des gens suffisamment bien, et que le meilleur peut être gâché si les gens sont trop faibles.

Étant donné que vous regardez ici les choses du point de vue d'un universitaire plutôt que d'un juriste dans une cour donnée, auriez-vous quelque commentaire à faire sur l'efficacité des principes de juridiction inhérente et leur application en vue d'une application juste des lois à l'échelle nationale par opposition aux deux provinces que l'on connaît le mieux?

M. Yamauchi: Oui. Merci de poser cette question. Je pense que dans l'un de mes mémoires vous aurez peut-être relevé une citation de l'ancien juge en chef Cardoza, qui parlait du fait que les juges ne se promènent pas comme des chevaliers errants et qu'ils ne sont pas non plus en train de chercher à tâtons dans l'obscurité. La beauté de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, alors que nous sommes ici réunis aujourd'hui, est que nous avons accumulé près de deux décennies de décisions. Celles-ci nous sont principalement venues de l'Ontario et du Québec, mais nous avons également de très solides décisions émanant surtout de la Colombie-Britannique et de l'Alberta. Les organes judiciaires provinciaux, que je sache, monsieur, sont en train de commencer à créer, faute d'un meilleur terme, des juges spécialisés pour traiter des réorganisations. C'est notamment le cas, bien sûr, de l'Ontario et du Québec. En Alberta, nous avons des gens comme le juge LoVecchio, et en Colombie-Britannique, nous avons le juge Tysoe. La Saskatchewan fait elle aussi la même chose. L'on est en train de créer un bassin de juges spécialisés pour traiter de ces genres de questions.

S'agissant de l'établissement d'uniformité à l'échelle du pays, il me semble, sur la base de l'examen de plusieurs affaires que j'ai fait, que la plupart des juges se reportent à des affaires d'autres provinces et font un jeu d'équilibre pour en arriver à une approche juste et raisonnable pour toutes les parties prenantes. Il y a ce jeu d'équilibre. Il y a cette uniformité à l'échelle du pays lorsqu'on examine l'ensemble des affaires engagées en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies.

Je ne considère pas qu'une juridiction inhérente soit forcément une mauvaise chose. Mon opinion est que nous devrions bricoler un petit peu la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies de façon à y insérer certaines des 86 recommandations proposées par le comité mixte, tout en conservant la flexibilité des tribunaux afin qu'ils puissent traiter de questions que nous n'avons pas vues et auxquelles l'on n'a pas pensé lors de l'adoption de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies en 1933. Il leur faut une certaine souplesse afin de pouvoir tenir compte des changements sociétaux et de l'évolution des valeurs d'entreprise et des valeurs économiques. Je vois dans la LACC une uniformité.

Le sénateur Chaput: Étant donné que le Canada compte de nombreuses petites et moyennes entreprises, pensez-vous que ce que nous avons à l'heure actuelle soit suffisant face aux besoins de ces petites et moyennes entreprises en ce qui concerne les créances et les produits non payés?

M. Yamauchi: Oui, absolument. Les dispositions rigides de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité cadrent très bien avec la réorganisation des petites et moyennes entreprises.

Dans le cadre de mon travail de par le monde et de l'examen que j'ai fait de certains des rapports de commissions de réforme du droit d'autres pays, j'en suis arrivé à la conclusion que le Canada est perçu comme un modèle. J'ai eu la chance de me rendre en Nouvelle-Zélande il y a deux ans et d'y rencontrer des gens de son ministère du Développement économique. Ils m'ont demandé de leur envoyer copie de la version la plus récente de notre Loi sur la faillite et l'insolvabilité. Ils veulent examiner notre modèle car il semble fonctionner.

Les plus grosses critiques concernent la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et la flexibilité qu'elle offre.

Le président: Vu qu'il n'y a plus de questions, je vous remercie de vos présentations.

Peut-être que nous pourrions exercer une certaine flexibilité ici vu que nous apprécions cela lorsque nous la constatons dans les tribunaux. Notre témoin suivant n'est pas ici et nous allons donc demander au panel précédent de revenir à la table. Il nous reste encore quelques questions dans notre réserve.

Le sénateur Massicotte: J'ai une question pour M. Leonard. Elle découle d'une question du sénateur Angus et j'aimerais être bien certain d'avoir compris. Le sénateur Angus comparait l'exemple américain de résiliation ou de modification de contrats à exécuter, et vous avez spécifiquement mentionné les contrats de travail.

Vous semblez être en faveur de l'idée d'accorder aux tribunaux le droit de résilier ou de modifier des contrats à exécuter. Est-ce bien le cas?

M. Leonard: Dans ma réponse au sénateur Angus, j'ai parlé spécifiquement des contrats de travail car c'est là qu'existe la vraie controverse. Dans ce pays, les conventions collectives sont en règle générale considérées comme étant inviolables; vous ne pouvez pas y toucher. Nous ne savons pas du tout ce qu'aurait fait le juge Farley face à la situation d'Air Canada.

Le sujet des contrats exécutoires est beaucoup plus complexe vu la très grande variété de contrats qui existe. Les Américains se sont enlisés et sont devenus trop fascinés ou trop préoccupés par les contrats à exécuter, mais ils abordent la chose dans le cadre d'un système différent.

Si vous me permettez une petite digression, dans le système américain, lorsque vous faites un dépôt en vertu du Chapitre 11, une ligne est tracée. Au moins théoriquement et certainement en vertu de la loi, la compagnie qui émerge de l'autre côté de cette ligne est une nouvelle entreprise. C'est le «débiteur en possession» mais le «débiteur en possession» se voit confier les responsabilités d'un syndic en vertu de la loi. En tant que nouvelle entreprise, elle doit retourner devant le tribunal pour deux choses: pour obtenir l'autorisation d'assumer de vieux contrats appartenant à l'ancienne entreprise et pour obtenir l'autorisation de rejeter des contrats qui se poursuivent.

Ce serait un gros morceau que de généraliser et de dire que le tribunal devrait pouvoir autoriser le débiteur à rejeter des contrats à moins que ne soit en place un cadre pour ce faire.

Le sénateur Massicotte: Vous parlez du droit de résilier des contrats de travail?

M. Leonard: Oui, je parlais de contrats de travail.

Le sénateur Massicotte: Êtes-vous en train de dire que vous seriez en faveur du droit de résilier de tels contrats?

M. Leonard: Oui, sur la base de l'exemple d'Air Canada. Dans le contexte de la loi en matière d'insolvabilité, je ne pense pas qu'il soit approprié ou juste qu'un seul groupe d'intervenants puisse rendre une réorganisation vide de sens ou futile.

Le sénateur Massicotte: Permettez-moi d'ajouter des précisions. Je considérerais les contrats de travail, les baux, les offres de service, tous les gros contrats et la propriété intellectuelle comme étant plus ou moins pareils. Il est important de déterminer si vous avez un droit de résilier ou un droit de modifier. Il est difficile d'obliger les gens à fournir des services à l'avenir en contrepartie s'ils ne sont pas d'accord. Je peux concevoir la résiliation mais j'ai de la difficulté avec l'idée de modifier un contrat. Que recommanderiez-vous là?

M. Leonard: Dans le cas surtout des contrats de travail, le Canada doit faire preuve de prudence sur le plan législatif. Les contrats de travail n'ont jamais jusqu'ici été touchés lors d'affaires d'insolvabilité. Je suis favorable à ce qu'en l'absence d'une entente entre les syndicats et l'entreprise un tribunal puisse imposer des conditions différentes de celles renfermées dans le contrat original.

Il serait trop draconien de dire que le contrat est terminé. L'activité ne sera pas terminée; l'activité se poursuivra et l'entreprise aura besoin d'employés. La question ici est celle de la base sur laquelle la relation d'emploi devrait se poursuivre. La relation d'emploi, comme dans toute réorganisation, exige des compromis de la part de tous les groupes d'intervenants. La relation d'emploi, en ce qui me concerne, devrait être maintenue mais sur une base modifiée sanctionnée par la cour et telle qu'elle cadre avec la réorganisation dans son ensemble.

Le président: Puis-je interrompre? En ce qui concerne l'expérience américaine, ai-je bien compris que vous avez dit que sur ce point précis, en vertu du Chapitre 11 ou autrement, ils en étaient arrivés à la résiliation pour ensuite faire marche arrière et se replier sur une position de renégociation?

M. Leonard: C'est essentiellement cela. Lorsque le Chapitre 11 a subi de sérieuses modifications en 1978, les contrats de travail n'avaient pas fait l'objet d'une rubrique distincte. On les avait inscrits sous le pouvoir général de rejeter des contrats. Suite à l'une des affaires de compagnie aérienne — c'était peut-être Eastern Airlines — il y a eu toute une histoire au sujet de l'impossibilité pour les tribunaux de s'ingérer dans des histoires de contrats de travail. Le code a été modifié en 1984, je pense, pour permettre la résiliation de contrats de travail mais seulement une fois prises certaines mesures et suite à des négociations obligatoires menées de bonne foi. Ces mesures et l'absence d'une entente sont maintenant requises avant qu'un tribunal ne puisse modifier ou infléchir un contrat de travail.

C'est là un modèle que l'on pourrait prendre comme point de départ si l'on envisageait cela. C'est un exemple utile à avoir.

Le sénateur Angus: Ma question concernait l'uniformité et le caractère désirable ou non désirable d'avoir deux jeux de règles différents de part et d'autre de la frontière. Nous sommes tellement imbriqués sur le plan économique que cela n'est pas logique. Je pense que les témoins ont dit être plutôt d'accord avec moi là-dessus. La question n'est pas de savoir si la résiliation est autorisée. Peu importe les systèmes, je pense qu'ils devraient être identiques. C'est vraiment cela que je voulais dire.

Le sénateur Massicotte: Poussons plus loin l'argument, car je m'efforce de comprendre le concept. Les Américains ont quatre critères qui doivent être satisfaits mais, en bout de ligne, s'il n'y a pas d'entente face à la menace, la cour a le droit d'imposer des conditions.

Étant donné que le contrat de travail, socialement et politiquement, est la question la plus épineuse, n'iriez-vous pas plus loin? Si les tribunaux ont ce droit, après un examen du caractère raisonnable et après avoir prouvé qu'un contrat n'est pas profitable, aurait-elle également le droit, pour employer votre argument, de résilier des contrats intellectuels? Ou peut-être qu'elle pourrait avoir le droit de réduire le loyer dans le cadre d'un bail à long terme pour assurer la survie de la compagnie? Jusqu'où iriez-vous avec cet argument?

M. Leonard: C'est une question logique à poser.

Le président: Pourriez-vous nous donner une réponse logique?

M. Leonard: Je l'espère. Jusqu'où doit-on aller? C'est une question conceptuelle. Il y a derrière cela certaines raisons sociales. Un contrat d'emploi est plus qu'un simple contrat. Les employés sont des personnes auxquelles notre système législatif accorde un soin particulier et pour lesquelles il a un souci particulier. Ces gens ne peuvent pas perdre leur emploi et s'en trouver un autre dès le lendemain. La perte de son emploi est un sérieux bouleversement dans sa vie. Nous accordons une attention spéciale aux contrats d'emploi, d'où les conventions collectives négociées par les syndicats.

Je pense que la propriété intellectuelle est différente. Je pense que les licences de propriété intellectuelle ne sont pas vraiment des contrats. Je pense qu'il s'agit véritablement d'intérêts dans des biens. Si je possède quelque chose et que je cède cela par voie de licence à quelqu'un d'autre, il s'agit là pour l'autre personne d'un intérêt dans mon bien. Si je fais faillite, je ne devrais pas pouvoir priver l'autre personne de son intérêt de propriété dans cette licence que je lui ai accordée. Il s'agit d'une question légèrement différente.

Une autre affaire tout aussi controversée a été tout le tollé soulevé aux États-Unis autour de l'affaire Lubrizol, dont M. Goldstein est tout à fait au courant. Nous n'en sommes pas encore là.

En matière de transactions transfrontalières, les entreprises et les créanciers américains sont abasourdis de constater que nous vivons dans un monde pré-Lubrizol parce qu'ils voient cela comme étant un mode de fonctionnement primitif et excitant en un sens, mais non pas rassurant pour eux. J'estime que les contrats de propriété intellectuelle sont un peu différents.

Pour ce qui est des baux, vous m'avez coincé. C'est un bon exemple: si vous pouvez résilier, pourquoi ne pourriez- vous pas modifier? Ce serait une façon de faire plausible. Nous n'avons pas songé à la possibilité de procéder ainsi. En un sens, le pouvoir de résilier quelque chose doit englober le pouvoir de la modifier. Si vous pouvez la détruire, vous devriez pouvoir la bricoler. J'irais jusque-là, bien que le travail de rédaction puisse être quelque peu délicat. Peut-être que ce que vous faites c'est dire «D'accord, le débiteur en possession ou la compagnie insolvable peut résilier ou modifier le contrat, mais il lui faudra préciser dans quelles conditions il est prêt à maintenir le contrat?» Puis l'autre partie peut accepter ou refuser ce niveau de rendement réduit.

Le sénateur Angus: Je suis de nouveau à la page en ce qui concerne cette question.

Vous étiez dans la salle lorsque M. Yamauchi de Calgary nous livrait ses pensées. Il nous a également soumis un certain nombre de mémoires intéressants. L'essentiel de ce qu'il nous a dit, en tout cas d'après ce que j'ai compris, est qu'il nous faut tout d'abord être très prudents et veiller à ce que notre système à deux paliers fonctionne avant que de lui apporter le moindre changement. Nous avons dans le cadre de ces audiences et du groupe de travail l'occasion unique d'améliorer nos textes de loi en matière d'insolvabilité. Cette occasion ne se représentera pas avant au moins dix ans. Il nous faut serrer les dents et faire des lois canadiennes, comme vous l'avez dit plus tôt, le nec plus ultra.

J'espère que vous ne trouverez pas cela injuste, mais puis-je vous demander si vous êtes en accord avec la proposition du professeur?

M. Leonard: Dans le contexte de la loi type?

Le sénateur Angus: Oui.

M. Leonard: Non, je n'accepte pas ses positions à l'égard de la loi type. Je me suis occupé de la loi type depuis le tout début. Merci de la question. Cela m'offre l'occasion de faire quelques observations supplémentaires.

Le sénateur Angus: L'on pourrait penser que l'on a déjà répété tout cela ensemble, mais ce n'est pas le cas.

M. Leonard: C'est exact. La loi type, pour ne pas prendre cela à la légère, a été élaborée par la CNUDCI. Il s'agit d'une organisation des Nations Unies, mais d'une organisation cadre. Elle réunit des représentants de 60 pays. Le projet de loi type a demandé entre trois et quatre ans. Le gouvernement du Canada était là. Nous avons joué un rôle important dans l'affaire. Le président du groupe de travail sur la loi en matière d'insolvabilité, qui a produit la loi type, était un avocat du ministère de la Justice à Ottawa. Les Canadiens ont joué un rôle très important dans toute l'affaire.

Le processus de la CNUDCI est également axé sur le consensus. À chaque étape, à chaque réunion, chaque article a été examiné et chacun devait faire l'objet de consensus, sans quoi il n'allait pas plus loin. Il nous a fallu revenir en arrière, y réfléchir à nouveau et reprendre. Chaque pays a entériné chaque article. Cette affaire fait l'objet d'études pointilleuses depuis très longtemps. Il est un petit peu tard pour dire «Revenons en arrière et réfléchissons à cela de nouveau». Cela fait quatre ans que les gens y réfléchissent.

Le témoin a mentionné l'Érithrée, ce qui est malheureux. Que je sache, l'Érithrée n'a pas adopté la loi type, mais je ne prétends pas non plus qu'il s'agit de l'étalon or. L'étalon or, ce sont les États-Unis, qui vont l'adopter. Le Royaume- Uni va l'adopter. M. Zwaig et moi-même étions à Vienne pour la dernière réunion du groupe de travail de la CNUDCI qui a eu lieu en septembre, c'est-à-dire le mois dernier. Le Royaume-Uni s'est fermement rangé du même côté. La Nouvelle-Zélande et l'Australie vont suivre. L'Australie a recommandé l'adoption de la loi type. Mon rapport supplémentaire montrera que la Pologne, la Roumanie et le Japon montent dans le train. Il y a huit pays et 700 millions de personnes qui ont pour l'instant adopté la loi type.

La question que j'aurais posée au professeur, si je l'avais pu, est la suivante: Quelles connaissances particulières a le Canada a pour dire que cette chose est dangereuse et doit être contrôlée? Ce n'est pas ce que je vois. Je ne pense pas qu'il y ait de problème avec la loi type, surtout — et vous verrez cela dans mon rapport supplémentaire — si la structure de la loi type est un mécanisme de contrôle national des procédures. S'il y a une procédure étrangère, alors celle-ci devra reconnaître la procédure nationale. Aucun créancier canadien ne subira de préjudice par suite de cela, et si ce devait jamais être le cas, alors il en serait de même pour les créanciers aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Pologne, en Roumanie, en Afrique du Sud et au Japon. Comment tout le monde pourrait-il subir un préjudice en même temps? Ce n'est pas possible.

Étant donné le rôle du Canada dans l'élaboration de la loi, la participation du gouvernement canadien et son acceptation des principes de la loi type, il serait très difficile pour le Canada, en tant que pays, de retourner dire: «Attendez un instant. Nous pensons que cette chose ne vaut pas la peine d'être envisagée.» Je ne vois pas comment nous pourrions dire cela.

M. Zwaig: J'assiste à ces audiences aux Nations Unies depuis deux ans et demi. J'appuie tout ce que M. Leonard a dit. Tout se fait par consensus. C'est presque comme si l'on étudiait cela paragraphe par paragraphe, ou même ligne par ligne, ce qui est plus soigneux encore.

Compte tenu de la participation canadienne à ce jour, je dirais qu'il serait très difficile de faire marche arrière.

Le sénateur Angus: C'est comme le droit international conventionnel.

M. Zwaig: C'est exact.

Le sénateur Angus: Toutes ces conventions internationales sont le fait de délégations d'organisations gouvernementales appuyées par les compétences du secteur privé. À mon sens, c'est la seule façon de faire.

Je pourrais peut-être poser encore une question, vu l'heure, car j'ai énormément de respect pour les témoins que nous avons devant nous, comme c'est le cas de nous tous.

Y a-t-il quelque chose que vous aimeriez ajouter quant à ce que nous devrions examiner de façon particulière dans notre rapport?

Le président: Ce n'est pas souvent que vous avez cette chance!

M. Leonard: Il me faut vous parler de ce que fait ces derniers temps le Royaume-Uni. Le Royaume-Uni a apporté un changement radical à sa législation en matière d'insolvabilité. Je trouve incroyable jusqu'où le pays est allé.

Le sénateur Angus: C'était en définitive la semaine dernière seulement.

M. Leonard: Oui, c'est incroyable. Le premier des trois gros changements est que les mises sous séquestre privées comme moyen d'exiger les garanties ont été abolies au Royaume-Uni. Bien sûr, le Royaume-Uni est le pays qui a inventé les séquestres. C'est comme si le pape devenait anglican ou quelque chose du genre. C'est extraordinaire.

Le deuxième changement est une chose que nous devrions envisager, si nous en avons l'occasion. Le Royaume-Uni a aboli — j'ose à peine le dire — la priorité de la Couronne dans les réclamations. Quelqu'un peut-il croire cela? Le pays qui a inventé la priorité de la Couronne vient maintenant de l'abolir. Les réclamations intéressant la Couronne seront dorénavant traitées à la manière de celles de créanciers ordinaires non garantis.

Le sénateur Angus: Nous avons entendu certains témoignages à l'appui de cette position.

M. Leonard: L'International Insolvency Institute entreprend une étude, et il y a à ce jour six ou sept pays, mais quatre ou cinq d'entre eux — l'Australie, l'Allemagne et quelques autres — ont eux aussi aboli la priorité de l'État. Il se dessine peut-être ici une tendance. Il s'agit sans doute d'une chose que nous devrions peut-être examiner.

La troisième chose qu'a faite le Royaume-Uni est qu'il a en gros assuré aux créanciers non garantis une part du gâteau dans les affaires d'insolvabilité.

Le président: C'est un petit peu un oxymoron.

Le sénateur Angus: Ou en tout cas un paradoxe.

M. Leonard: Il y a en place à l'heure actuelle au Royaume-Uni une disposition en vertu de laquelle, jusqu'à une certaine limite, les créanciers non garantis reçoivent environ 20 p. 100 de la réalisation en provenance de titres à charge flottante. Si un prêteur a un titre à charge flottante sur tous les avoirs d'une entreprise et que celle-ci est en liquidation et qu'il y a une distribution, alors 20 p. 100 des fonds résultant de la vente des éléments d'actif visés par la charge flottante seront constitués en un fonds pour les créanciers non garantis.

Le président: Cela inclut-il les salaires?

M. Leonard: Les salaires maintiennent leur priorité actuelle. Ils ne participant probablement pas à cela. C'est une question technique qu'il me faudrait étudier.

Le sénateur Angus: C'est un gouvernement travailliste après tout.

M. Leonard: C'est exact. Il est certaines choses qu'il ne fera pas.

M. Zwaig: Je vais vous laisser une copie de ce document. Cinquante pour cent des 10 000 premières livres sont allouées aux créanciers non garantis et 20 p. 100 aux autres, jusqu'à un maximum de 3 millions de livres. Un fonds est donc créé automatiquement. Le comité pourrait peut-être réfléchir à quelque chose du genre si nous n'allons pas avoir une autre série d'amendements avant dix ans. Ce pourrait être quelque chose d'intéressant.

M. Leonard: À ma connaissance, c'était un genre de compromis. Le gouvernement a cédé ses réclamations prioritaires, mais, ce faisant, s'il ne faisait rien d'autre, ses réclamations prioritaires allaient être cédées aux créanciers garantis, et le gouvernement voulait veiller à ce que ce soit les créanciers non garantis qui en bénéficient. Cet accord sur mesure était censé assurer le transfert du produit de l'abolition au groupe des créanciers non garantis.

En un sens, il vous faudrait peut-être les deux extrémités de cela pour que le tout fonctionne. Si nous voulions procéder de façon plus douce et moins révolutionnaire au Canada, nous pourrions avoir une réduction partielle des priorités de la Couronne et prévoir le même genre de fonds distinct pour les créanciers non garantis. C'est une question de nombre. Ils ont examiné les chiffres et ont calculé que s'ils étaient prêts à céder la priorité de la Couronne, alors l'argent devrait aller aux créanciers non garantis.

Le sénateur Angus: Quelle est la position de nos amis américains en la matière?

M. Leonard: Ils n'en sont pas là. Ils n'ont pas fait cela. À compter de l'an dernier, d'importantes modifications ont été apportées à l'article 9. C'est de là que vient notre LNPP. Ils ont élargi la couverture de l'article 9 de façon à ce que les créanciers garantis aient une meilleure emprise sur les éléments d'actif. Il avait à l'époque été suggéré que l'on puise dans les charges flottantes pour les créanciers non garantis et la question avait été débattue, mais l'idée n'a pas joui de l'appui du Congrès.

Le sénateur Angus: Le bien-fondé de l'uniformité, qui est si évident dans les affaires de restructuration et autres, n'est pas le même pour les lois de type DIA ou Department of Internal Affairs?

M. Leonard: C'est exact.

M. Zwaig: Vous faites sans cesse état des lois américaines. Il importe de reconnaître que leurs lois sont au service du débiteur. En conséquence, vous pouvez dire qu'elles sont anti-créanciers. Nos lois sont quant à elles au service du créancier et nous avons donc de meilleures chances de suivre l'exemple du Royaume-Uni dans ce qu'il a instauré.

Le président: Une autre manifestation de ce penchant pour le service du débiteur est un plus grand engagement à veiller à ce que l'activité, en tant qu'entreprise, se poursuive. Est-on très bien renseigné quant au taux de survie à long terme des entreprises qui ressortent d'une procédure en vertu du Chapitre 11?

Un témoin antérieur nous a mis en garde contre cela, car il y a le petit temps de battement lorsque l'entreprise s'en sort puis un an ou deux plus tard, elle disparaît à nouveau, avec tous les dégâts subsidiaires que cela suppose. Que sait- on de la survie à long terme ou autre des compagnies qui ressortent à l'autre bout de ces processus?

M. Zwaig: J'ai toujours dit du processus de la LACC dans ce pays qu'il est une méthode de liquidation sophistiquée, alors qu'aux États-Unis, parce que vous avez ce concept du débiteur en possession et du financement DEP, leur méthode de financement DEP, les entreprises ont la possibilité de se restructurer et de foncer en avant.

Il y a encore une autre chose aux États-Unis qui est différente de ce que l'on a ici au Canada. Pour demander une protection en vertu de la LACC ou de la LFI, vous devez être insolvable. Aux États-Unis, vous pouvez recourir à ce mécanisme afin d'être solvable.

De bons exemples seraient des entreprises comme la Dow Chemical, qui sont préoccupées par les réclamations pour responsabilité de produits. Un meilleur exemple est peut-être le différend entre Texaco et Pennzoil. Texaco a fait une demande de protection de ses créanciers, et cela a en bout de ligne fait partie d'un processus de règlement avec Pennzoil. La société Texaco n'avait jamais été insolvable.

À mon avis, du fait que des entreprises solvables demandent la protection en vertu du Chapitre 11, vous auriez en pareilles circonstances de meilleures statistiques.

Le président: La judiciarisation de la société américaine crée nombre de ces conditions. Je songe aux entreprises que vous avez mentionnées. Il semble que dans la moitié des cas, au lieu d'une protection de la faillite c'est une protection de ce qui pourrait être la faillite par suite d'un litige. Il y a une différence culturelle ici.

M. Leonard: C'est un domaine dans lequel nous pourrions vraiment faire du travail. Dans la LFI en particulier, il y a une anomalie historique qui punit les gens qui cherchent à régler leurs dettes à l'amiable. Cela peut paraître contre- intuitif aux gens, mais si vous réorganisez une entreprise en vertu de la LFI, vous avez une seule chance. Si vous ne déposez pas vos tableaux de flux de trésorerie dans un délai donné après le dépôt de votre requête, ou si vous ne pouvez pas obtenir une prolongation en vue de poursuivre vos négociations avec vos créanciers, la LFI, dans son libellé actuel, dit que vous êtes en faillite. C'est pourquoi les gens s'accrochent. Ils ne cherchent pas une protection aussi tôt qu'ils le pourraient, parce qu'une fois qu'ils l'ont fait ils parient l'entreprise qu'ils pourront régler toutes leurs difficultés financières dans les 30 jours, et ce n'est pas possible en l'espace de 30 jours. La période de 30 jours ne fonctionne donc pas et l'idée que vous n'ayez qu'une chance sans quoi vous êtes mort décourage les gens d'entreprendre des négociations avec leurs créanciers. C'est un vestige des années 60, lorsque les propositions étaient perçues comme un moyen de repousser les créanciers en attendant que vous consommiez vos biens.

La fraude c'est la fraude, et s'il y a des cas de fraude dans des affaires lancées en vertu de la LFI, le syndic est censé les soumettre à la cour et la cour est censée en traiter, mais à notre époque, on n'en est plus à vouloir menacer les gens d'extinction s'ils ne réussissent pas leur réorganisation dans les 30 jours.

En ce qui concerne l'expérience américaine, le professeur LoPucki, membre de l'International Insolvency Institute, a effectué d'importants travaux de recherche empiriques sur le Chapitre 11. Il a un site Web et une base de données. Sa conclusion est que dans les grosses affaires en vertu de la LACC, qui selon sa définition sont les affaires où il est question d'avoirs valant entre 150 millions et 200 millions de dollars, le taux de réussite dans les grosses affaires au titre du Chapitre 11 est de 100 p. 100. Cela fonctionne toujours, ce qui est incroyable.

Quant au taux de réussite dans les grosses affaires en vertu de la LACC, je ne sais pas. Il n'existe pas de preuves empiriques.

Le sénateur Angus: Est-ce moins de 50 p. 100?

M. Leonard: C'est certainement moins de 50 p. 100. J'aurais dit 10 ou 15. Il y a très peu de cas qui réussissent. Il y a beaucoup de ventes d'actif réussies dans les affaires en vertu de la LACC, mais à mon sens il ne s'agit pas là de réorganisation réussie. Il s'agit de liquidation, comme l'a dit M. Zwaig.

Souvenez-vous qu'au-delà de 200 millions de dollars, toutes ces affaires réussissent. Peut-être qu'ils savent quelque chose.

Le sénateur Angus: Cette question de prévisibilité est-elle importante? Je trouve que le système canadien est imprévisible. Prenez Canada 3000, par exemple. C'est une entreprise viable, peut-être, ou peut-être pas, mais boom, elle est en situation de liquidation dans les 30 jours ou peu après le dépôt, parce que ce n'est pas prévisible. Je suppose que quiconque dépose une requête en vertu de la LACC prend un risque, tandis qu'avec le Chapitre 11, dans ces grosses affaires, c'est un partenariat avec le système qui vous sauvera. Vous pouvez compter que l'issue sera une entreprise en activité.

M. Zwaig: Ce qui se passe en définitive ici, pour enchaîner sur ce que vous disiez quant au fait que vous risquiez ou que vous jouiez l'entreprise, ce qui a en bout de ligne provoqué la chute d'Eaton, c'est qu'un créancier a demandé la reprise de possession de marchandises dans les 30 jours. Quelque chose fera toujours pencher la balance.

Il y a clairement des renseignements quelque part, mais leur longévité n'était pas là. Canada 3000 fait une requête de protection, demande un sursis et il y a des pays qui ne reconnaissent pas cela. Ce sont là des choses dont il importe de tenir compte s'agissant de remanier ou de modifier la loi.

Le président: Messieurs, il va nous falloir boucler. J'aimerais, aux fins du procès-verbal, vous poser une question au sujet des renseignements que vous nous avez fournis relativement au Royaume-Uni. Je cherche une réponse spéculative sur cette réserve de 20 p. 100 ou en tout cas ce concept.

D'après ce que vous savez des prêteurs dans ce pays, et tout particulièrement des banques, pensez-vous que ce genre de proposition serait perçue comme étant constructive ou source de problèmes?

M. Leonard: Les prêteurs diraient que cela ferait d'horribles choses à l'économie et ainsi de suite, mais c'est ce qu'ils avaient dit de la reprise de possession des marchandises dans les 30 jours. Tout ce qui aurait une incidence sur la façon dont ils fonctionnent en temps normal à l'heure actuelle, avec laquelle ils sont à l'aise, serait négatif car ce serait un bouleversement de la routine et il faudrait alors mettre en place de nouvelles politiques. Je comprends tout cela.

Comme l'a dit M. Zwaig plus tôt, les États-Unis ont le système le plus au service des débiteurs dans le monde entier, sans exception. Le système a toutes les fanfreluches. Or, le système bancaire américain est le plus dynamique au monde. On aurait pourtant tendance à penser que dans un système au service des débiteurs vous ne pourriez pas obtenir de crédit et que les banques refuseraient de prêter. Mais d'après mon expérience, les banques accorderont des prêts dans n'importe quelle situation, tant et aussi longtemps qu'elles connaissent les règles, les risques et qu'elles peuvent établir le prix de leur prêt. Tout a un prix.

Les banques au Royaume-Uni se plaignent du prélèvement de 25 p. 100, ce qui est justifié. Tout le monde là-bas pense que les banques vont intégrer cela à leur prix et continuer leur petit bonhomme de chemin. Ce ne sera pas un virement radical. Les banques sont les organisations les plus résistantes et les plus adaptables au monde. Elles survivront et elles se débrouilleront très bien quoi qu'il advienne. Tout ce qu'elles demandent c'est ceci: «Laissez-nous comprendre quelles sont les règles et nous pourrons jouer le jeu.»

Le président: C'est une merveilleuse déclaration. Merci de votre comparution et de tout le reste. Nous vous sommes très reconnaissants.

Nous allons maintenant entendre, au nom de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, M. Garth Whyte, vice-président, et M. André Piché, directeur des affaires nationales. Avant que vous ne commenciez, j'aimerais vous accueillir très chaleureusement ici compte tenu des problèmes que nous avons eus la semaine dernière, lorsque le comité n'a pas pu siéger en dépit du fait que vous vous soyez donné le mal d'être présents. Vous nous revenez à nouveau et nous vous en sommes reconnaissants et envisageons avec plaisir d'entendre votre exposé. Allez-y, je vous prie, avec vos remarques liminaires.

M. Garth Whyte, vice-président exécutif, Fédération canadienne de l'entreprise indépendante: Merci de nous avoir réinvités à vous entretenir de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. Lorsque je songe à un examen de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, je songe à l'un de nos 105 000 propriétaires-exploitants membres au pays. La compagnie de Sharon répare et remet à neuf des instruments de bord pour aéronefs. Un contrat type vaut entre 7 000 $ et 8 000 $. Sharon s'est fait prendre dans plusieurs faillites, la dernière intéressant Air Canada. Dans son secteur, ou vous consentez du crédit sans garantie ou vous ne décrochez pas le contrat. Au contraire d'un créancier qui peut se présenter et récupérer des marchandises une fois une faillite déclarée, son entreprise ne le peut pas car les instruments visés par le travail qu'elle fait appartiennent à la société en faillite. Pire encore, son entreprise a fait un travail mais n'a pas encore expédié l'article. Elle doit encore l'expédier, tout en sachant qu'elle ne sera pas payée. Il arrive souvent que Sharon perde 7 000 $ à 8 000 $, et ce n'est pas bien, ni juste. Il existe au pays des milliers de petites entreprises comme celle que je viens de mentionner et qui sont injustement frappées par les faillites d'entreprise, et je ne pense pas que vous ayez jusqu'ici entendu parler de cela. C'est pourquoi nous sommes venus ici nous entretenir avec vous. Nous sommes ici pour parler de Sharon et des 105 000 propriétaires d'entreprise que nous représentons.

Notre exposé se divise en trois parties. Dans la première partie, nous parlerons de l'économie changeante et de la façon dont les choses ont évolué depuis la dernière ronde d'examen de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, ou LFI. La deuxième partie, qui sera présentée par M. Piché, esquissera les priorités et les préoccupations de nos membres à l'égard des lois en matière de faillite, et la troisième partie vous présentera des recommandations.

Pour ce qui est de la première partie, précisons que nous ne sommes pas des experts en matière de loi de la faillite ou de l'insolvabilité. Que cela soit tout de suite clair au départ. Nous nous y intéressons cependant depuis près de deux décennies. Lorsque je suis arrivé ici du Manitoba, je me suis occupé du dossier il y a environ dix ans lorsque je siégeais à un sous-comité du Comité d'examen des entreprises et de l'insolvabilité. Je pense qu'il y avait six sous-comités, et je siégeais à l'un d'eux. Je me souviens d'avoir participé à une conférence téléphonique avec 24 personnes réparties un peu partout au pays. J'étais le seul représentant du milieu d'affaires participant à l'appel. Cette conférence avait réuni quantité d'experts du milieu bancaire, du milieu juridique et des pouvoirs publics. Je devine, dix ans plus tard, que vous avez sans doute principalement entendu des experts. Je me souviens de ma participation à cet appel. Je ne sais pas ce qu'il en est pour vous, mais je trouve que les choses deviennent souvent confuses et relativement techniques. Je suis certain que ces mêmes personnes se présentent et vous soumettent les mêmes propositions qu'il y a dix ans. Les questions sont toujours les mêmes, mais il y a une grosse différence: l'économie a changé. C'est dans ce domaine que nous sommes des experts.

Nous avons placé deux choses devant vous. La première est notre mémoire, et dans la première partie je vais vous renvoyer à certains des graphiques. La première figure traite de la composition de l'économie canadienne. Vous avez peut-être déjà vu cela, mais 97 p. 100 de la totalité des entreprises comptent moins de 50 employés. Ce qu'ignorent la plupart des gens est la croissance qu'a connue au cours de la dernière décennie, voire même depuis 1997 lorsque la loi a été modifiée, le secteur de la petite et moyenne entreprise. Il compte pour 50 p. 100 du produit intérieur brut et pour 60 p. 100 du nombre total d'emplois, et il a créé la quasi-totalité des nouveaux emplois nets au cours des dernières années.

Même nous nous n'avons pleinement compris l'incidence de la communauté de la petite entreprise qu'avec les terribles événements du 11 septembre. Lorsqu'est arrivé ce que l'on sait le 11 septembre et que l'on a vu s'écrouler les deux tours jumelles, tout le monde a dit que l'économie allait s'effondrer. Cependant, il y avait des entreprises tout autour de ces deux tours. Nous rendons visite à 4 500 petites entreprises par semaine. Nous nous sommes demandés ce que nous pourrions faire. Nous avons commencé à sonder les entreprises à l'échelle du pays et à leur rendre visite pour les interroger au sujet de ce qui se passait. Si vous vous souvenez, tout le monde regardait les nouvelles et voyait le marché boursier tomber. Nos membres disaient: «Non, nous tenons bon. Nous continuons d'employer des gens.» Environ cinq mois plus tard, nous avons comparu devant le Comité des finances, face à tous les autres importants groupes du milieu des affaires et tout le monde parlait du triste état dans lequel allait se retrouver l'économie. Nous avions alors déclaré, et cela figure au procès-verbal, que nous pensions qu'entre 200 000 et 300 000 emplois allaient être comblés. Je peux vous dire que nous étions nerveux à l'idée de dire cela car nous suivions les actualités, avions vu ce qui était arrivé à Nortel et étions au courant d'Enron. Eh bien, nous nous sommes trompés. Ce n'est pas 300 000 emplois, mais 540 000 qui ont été créés par le secteur de la petite et moyenne entreprise. Dieu merci pour elle, car depuis le 11 septembre ce sont les PME qui ont alimenté l'économie.

Nous sondons nos membres sur ce que nous appelons un baromètre de la santé de l'économie. Nous avons apporté ceci pour vous. L'un des points positifs du fait que nous n'ayons pas pu comparaître devant vous la dernière fois est que nous n'aurions pas pu vous remettre ceci puisque ce n'est sorti qu'une semaine plus tard. Certains des graphiques à l'intérieur ont changé. Nous avons interrogé nos membres au sujet de leurs attentes quant à l'économie. C'est une chose d'interroger les propriétaires d'entreprise sur leurs attentes au sujet de l'économie; c'en est une autre de les interroger sur leurs attentes quant à leurs propres entreprises. Ce sont des experts. Ils savent qui ils vont embaucher. Ils sont au courant de leurs propres activités. Voilà ce que j'appelle notre baromètre. Bloomberg s'en sert, le gouverneur Dodge s'en sert et le ministre des Finances Manley et plusieurs des budgets l'ont régulièrement cité, car c'est un excellent indicateur de l'état de l'économie.

Si vous passez maintenant au graphique deux, vous pouvez voir notre baromètre, la ligne bleue, qui correspond aux attentes de nos membres pour l'année. Nous y avons superposé le PIB, la ligne dorée. La ressemblance entre les deux tracés est incroyable.

Je suis à la page 2 du mémoire. L'indicateur a été tracé en superposition du PIB. Voyez à quel point ces chiffres étaient des prévisions justes de l'évolution de l'économie du Canada.

Pourquoi parlons-nous de cela? Dans votre étude de recommandations au sujet de la LFI, souvenez-vous de cette ligne et souvenez-vous de ce qui est arrivé le 11 septembre. La ligne bleue figure également dans le graphique 3. Elle reflète le PIB. La ligne verte correspond à l'indice de rendement du TSX, du marché boursier. Nous pensons que ce graphique explique pourquoi l'économie canadienne a si bien fait, comparativement à l'économie américaine, et pourquoi nous avons tenu bon et avons créé des emplois. Ce graphique offre une explication partielle. Il y a aujourd'hui deux économies. Il y a l'économie axée sur la bourse, qui est reflétée dans la ligne verte. Il y a l'économie non axée sur le marché boursier et qui est le fait des petites et moyennes entreprises.

Il s'agit là d'une importante toile de fond dans l'étude de tout changement de politique. Pensez à l'économie non axée sur le marché boursier. Que fait la LFI pour aider l'économie non axée sur le marché boursier? Peu importe ce que l'on fait, mais que l'on n'introduise pas de recommandations qui nuisent à cette économie non boursière. Comme vous l'a dit le Surintendant des faillites au début de l'été, les principes clés de tout système d'insolvabilité sont l'équité et la transparence. Il vous faut vous demander si l'actuelle loi est juste.

Voilà le message que j'aimerais vous livrer. Est-elle juste? Tient-elle compte de l'économie de la petite entreprise et l'aide-t-elle. Nous avons beaucoup de dividendes. Je vais maintenant céder la parole à M. Piché pour qu'il vous parle de plusieurs recommandations précises.

M. André Piché, directeur, Affaires nationales, Fédération canadienne de l'entreprise indépendante: Mes commentaires sont regroupés sous trois rubriques. Je vais vous parler du fonds de protection des salariés, de la protection des REER et des droits des fournisseurs impayés.

Si nos membres ont un message à livrer à l'égard de la loi, c'est que les propriétaires de petites et moyennes entreprises ou PME perçoivent la loi en matière de faillite comme étant byzantine et complexe et pensent que le débat quant à sa modification est dominé par les spécialistes. Je pense que M. Whyte a souligné cela. C'est ce que nous ont dit nos membres. La grande majorité des créanciers dans ces affaires sont des propriétaires de petites entreprises qui ont le sentiment de n'être pas suffisamment protégés en tant que créanciers non garantis.

En ce qui concerne la protection des REER, la figure 6 à la page 5 reflète les 22 200 réponses livrées par nos membres partout au pays au sujet des véhicules d'économies en vue de la retraite qu'ils utilisent. Comme vous pouvez le constater, les REER, à 91 p. 100, sont un très important véhicule pour nos membres.

La FCEI a mené un sondage auprès de ses membres pour savoir si les avoirs détenus dans un REER devraient selon eux être protégés contre une liquidation forcée par les créanciers comme le sont les régimes de retraite agréés. Les résultats sont donnés à la figure 7. Les deux tiers des répondants ont répondu que oui, 26 p. 100 ont dit que non, et 8 p. 100 étaient soit indécis soit non intéressés par la chose. Clairement, la grande majorité des propriétaires de PME sont en faveur d'un traitement uniforme de tous les avoirs détenus en REER et en régime de retraite agréé.

Quant au fonds de protection des salariés, la mise sur pied d'un tel fonds a été recommandée au fil des ans dans de nombreux rapports de comité. Je crois que le comité ici réuni a discuté de la possibilité qu'un tel fonds soit financé à même la caisse de l'assurance-emploi. Nous avons sondé nos membres en 1986 pour savoir s'ils étaient en faveur d'un tel fonds. Presque 13 000 propriétaires d'entreprise ont répondu: 82 p. 100 s'y opposaient, 11 p. 100 étaient en faveur et 7 p. 100 étaient indécis. Vous trouverez cela illustré à la figure 8.

Au fil des ans, nous nous sommes opposés à la création d'un fonds de protection des salariés pour les raisons que voici. Nous pensons que cela alourdirait le fardeau des charges sociales. Nos membres nous ont dit haut et fort que c'est une grosse préoccupation pour eux, et ce fois après fois dans les sondages que nous avons menés. Nous savons également que les charges sociales nuisent à la croissance économique et à la création d'emplois. Le problème est que cela est non seulement une taxe mais bien une taxe qui ne tient pas compte du profit. Ces taxes sont appliquées que vous gagniez ou non de l'argent.

Deuxièmement, comme principe d'équité de base, nous croyons que les entreprises bien gérées ne devraient pas être pénalisées ni être tenues de subventionner les mauvaises pratiques des autres. Le fonds proposé pénaliserait toutes les entreprises pour les manquements de quelques-unes seulement et favoriserait un comportement irresponsable de la part des débiteurs.

Troisièmement, la Loi sur la faillite et l'insolvabilité maintient un statut de créancier privilégié pour les salariés impayés jusqu'à concurrence de 2 000 $ de salaires gagnés dans la période de six mois précédant l'insolvabilité. Ce niveau de protection est comparable à ce qui se fait aux États-Unis.

Enfin, si le gouvernement fédéral juge que la protection actuelle est inadéquate, nous recommandons qu'il envisage de donner aux réclamations des salariés un statut super-prioritaire.

Ce sont les droits des fournisseurs impayés qui ont attiré le plus de commentaires de la part de nos membres. Quand on leur a demandé en 1986 s'ils étaient en faveur de donner aux fournisseurs impayés le droit de récupérer la marchandise auprès de leurs clients insolvables, 79 p. 100 des répondants ont répondu que oui, 15 p. 100 ont dit non et 6 p. 100 étaient indécis. Les changements apportés à la loi en 1992 en ce qui a trait aux droits des fournisseurs impayés étaient un pas dans la bonne direction, mais les conditions ajoutées ont été extrêmement strictes.

Nous vous fournissons une liste d'exemples — et M. Whyte en a mentionné un — pour lesquels il n'y a absolument aucune protection pour les fournisseurs impayés.

Certains membres ont recommandé la prolongation de la période de droit de reprise. À l'heure actuelle, elle est fixée à 30 jours. Les fournisseurs impayés, peu importe le montant d'argent dû, n'ont aucun droit quant au retour des biens au-delà de ce délai. La clause standard pour la plupart des biens exige le paiement net dans les 30 jours. Cela veut dire que le client a 30 jours pour payer la marchandise. La marchandise pourrait en définitive être saisie le jour où la facture est due.

Nous avons enregistré certains cas et M. Whyte a fait état de l'exemple particulier de Sharon, qui s'est trouvée dans pareille situation. Elle n'a en réalité eu d'autre choix que d'offrir le crédit. Les conditions de son activité sont telles qu'il lui fallait offrir le crédit et, malheureusement, elle s'est fait prendre et n'avait aucun moyen de récupérer les biens.

Une autre question soulevée a été celle de l'éclaircissement des règles en matière de reprise de possession. À l'heure actuelle, ces règles sont plutôt vagues et ont tendance à jouer contre le créancier non garanti. L'exemple donné est une boîte de marchandise ouverte ou légèrement modifiée; le créancier non garanti ne peut alors pas ressaisir la marchandise en question. Nous recommandons que ces règles soient éclaircies et qu'elles soient rendues plus justes à l'égard du créancier non garanti.

Pour ce qui est de la clarification des règles de reprise de possession, M. Whyte a donné un autre exemple, celui d'une personne qui remet en état du matériel pour le compte du client. Si le client fait faillite, les biens doivent être renvoyés au débiteur bien que la facture pour le travail n'ait pas été payée. Nous trouvons cela très injuste. Cela aussi devrait être corrigé.

En ce qui concerne la propriété de biens achetés à crédit, certains propriétaires de PME ont souligné que les débiteurs ont tendance à se fournir massivement en biens à crédit juste avant les procédures de faillite. Cela augmente leur actif, aux dépens du fournisseur. Lorsque les biens sont liquidés, le prêteur garanti a préséance pour tous les décaissements. Nous croyons que la propriété des biens achetés à crédit ne devrait aller au débiteur qu'une fois qu'ils ont été payés intégralement. Selon nous, cela annulerait la réclamation des prêteurs garantis contre des avoirs impayés.

En ce qui concerne la représentation des fournisseurs impayés au sein d'un comité de créanciers, de nombreux créanciers se plaignent de leur incapacité d'avoir voix au chapitre dans les procédures de faillite. La perception généralisée est que le syndic agit en grande partie au nom du prêteur garanti. Les fournisseurs impayés devraient être représentés au sein d'un comité de créanciers pour contribuer à la supervision du processus de faillite.

Pour ce qui est du maintien des débiteurs à distance, ce n'est pas une question au sujet de laquelle les propriétaires de SME se plaignent de ce que l'on appelle les opérations de «vente-achat» par lesquelles une entreprise est mise sous séquestre, se libère de ses obligations envers ses créanciers non garantis, puis redémarre dans les jours ou les semaines qui suivent sous un nouveau nom mais avec le même actif et la même structure de direction, à toutes fins pratiques.

Nous avons cinq principales recommandations, et elles traitent des questions que nous avons évoquées précédemment. La première est de donner un accès rapide et facile aux renseignements aux créanciers. Nous estimons que le Bureau du Surintendant aux faillites pourrait faire plus pour fournir rapidement des renseignements aux créanciers en général. L'utilisation de l'Internet devrait attirer davantage de ressources. Cela bénéficierait aux créanciers, ceux-ci pouvant ainsi avoir plus rapidement et plus facilement accès aux renseignements.

Deuxièmement, il importe d'accroître le niveau de responsabilité des syndics et des débiteurs. Nombre de propriétaires de PME ont exprimé ce point de vue, notamment que les syndics ne s'acquittent pas forcément de leurs responsabilités en vertu de la loi. Cela leur pose problème car ils estiment que la loi dans son libellé actuel et dans son application joue constamment contre eux.

En ce qui concerne les REER, nous croyons qu'ils sont un élément important pour les propriétaires de petites entreprises dans la planification de leur retraite, et nous estimons qu'ils devraient être pleinement protégés en cas de faillite et être traités à la manière des régimes de retraite agréés.

Pour ce qui est du fonds de protection des salariés, pour les raisons évoquées tout à l'heure, je crois qu'il importe de s'y opposer fermement et d'accorder la superpriorité aux salaires impayés, si le gouvernement juge qu'il lui faut offrir une plus grande protection aux employés.

Pour ce qui est des droits des fournisseurs impayés, j'ai déjà mentionné les différents points. Il y a en gros cinq recommandations. La période d'avis pour les fournisseurs impayés doit être prolongée au-delà du délai actuel de 30 jours. Dans la situation actuelle, cette période ne protège pas dans bien des cas tous les droits des fournisseurs impayés.

Les règles de reprise de possession doivent être clarifiées et rendues plus justes pour les fournisseurs garantis et les fournisseurs non garantis. Cela exige la définition de ce qu'est une marchandise modifiée.

La propriété de biens achetés à crédit ne doit pas être transmise au débiteur tant que les biens n'ont pas été payés en entier. Il paraîtrait logique que si des biens sont aux mains d'un débiteur et qu'ils n'ont pas encore été payés, ils continuent d'appartenir au fournisseur de ces biens.

Les fournisseurs impayés doivent être représentés au sein d'un comité de créanciers pour contribuer à la supervision du processus de faillite.

Enfin, le débiteur devrait en tout temps être maintenu à distance pendant la liquidation de l'actif. Les règles concernant le roulement de l'actif doivent être resserrées et des pénalités plus sévères doivent être prévues pour éviter les abus.

Voilà qui résume nos recommandations.

Le président: Elles sont d'une clarté extraordinaire. Le point de vue dans lequel vous vous inscrivez, vous et vos membres, est lui aussi très clair.

Le sénateur Tkachuk: En ce qui concerne les REER, je pense que l'assurance-vie est protégée, mais non pas les banques, ou bien est-ce l'inverse?

M. Piché: L'assurance-vie est protégée.

Le sénateur Tkachuk: C'est ce que je pensais. Quelle est en ce moment la raison à cela dans la loi?

M. Piché: Je ne suis pas expert en la matière. Je pense que cela remonte loin en arrière. Le traitement de l'assurance- vie est différent car cela a à voir avec la transmission de son avoir à ses enfants. Les choses sont organisées de façon différente pour ce type de REER.

En gros, si une personne connaît la loi, elle peut confier son REER à un assureur-vie et jouir de cette protection; cependant, la personne qui ignore la loi verrait en fait son REER se faire saisir.

Le sénateur Tkachuk: J'avais toujours pensé que son REER était protégé en cas de faillite personnelle, mais peut- être que ce n'est pas le cas.

Le sénateur Angus: Ce n'est pas le cas.

Le sénateur Tkachuk: Je vois que non. Vous voulez que la loi soit modifiée pour que ce soit le cas?

Le sénateur Angus: Oui.

M. Piché: C'est pour qu'il y ait un traitement équitable. À l'heure actuelle, la personne qui a un fonds enregistré de pension est protégée alors que la personne qui a un REER ne l'est pas. C'est inéquitable.

Il y a également iniquité dans la façon dont les règles en matière de REER sont appliquées d'une province à l'autre et selon où vous allez, c'est-à-dire qu'il s'agisse d'une banque ou d'une compagnie d'assurance-vie. Nous croyons que cela devrait être tiré au clair et rendu plus équitable. La seule façon de faire est d'exempter les fonds détenus en REER des faillites.

M. Whyte: Pour aborder les choses d'un point de vue différent, il y a un fossé que nous n'avions pas prévu il y a une décennie, du fait de l'augmentation du nombre de travailleurs indépendants et de propriétaires de petites entreprises. Votre cagnotte de retraite ce sont vos REER et les 500 000 $ en gains en capital, dans l'espoir que vous puissiez vendre votre entreprise, et c'est tout. Pour chaque faillite, dix boîtes ferment boutique. On n'entend jamais parler de ces cas-là, et c'est un genre de recyclage qui s'opère. Nous avons une définition du terme «entrepreneur»: c'est une «masse corporelle divisée par des tissus cicatriciels.»Vous vous essayez à répétition. Il arrive souvent que les gens retirent leur REER pour survivre, mais l'on n'entend pas parler de cela.

L'autre chose en ce qui concerne les REER est que l'orientation politique a été de dire «Hé, vous autres, constituez- vous une pension>.» La LFI ne reflète pas cela. Elle dit le contraire.

Le président: Elle reflète une statistique qu'on nous a récemment livrée, notamment que très peu de personnes en situation de faillite ont des REER. C'est une autre façon de dire «est-ce que les REER sont partis?»

M. Whyte: Très juste.

Le sénateur Biron: Si nous modifiions la disposition de protection de 30 jours, cela aurait-il une incidence sur l'octroi de crédit par les banques? En tiendraient-elles compte? Cela pourrait-il avoir une incidence néfaste sur la capacité de certains débiteurs de se réorganiser?

M. Piché: Je ne sais trop que dire au sujet de votre dernier point.

[Français]

Le sénateur Biron: Est-ce qu'un tel amendement à la période de 30 jours ne risquerait pas de rendre plus difficile pour les faillis de se relancer en affaires?

M. Piché: Non. Dans la plupart des cas, le montant réalisé à partir de la saisie va, en grande partie, aux banques ou à l'ADRC. Je ne crois pas que cela aurait un effet sur le potentiel d'une personne à se relancer en affaires.

[Traduction]

M. Whyte: Les banques vous diront que cela aura une incidence sur l'octroi de prêts. Je suis certain que nous allons venir ici d'ici quelques mois dans le cadre de notre étude sur le secteur bancaire, étude que nous faisons toutes les quelques années, et nous avons reçu environ 10 000 réponses au sujet de l'octroi de prêts par les banques aux petites entreprises. Il y a quantité de facteurs pour lesquels il n'y aura pas forcément une augmentation de la dette. En fait, ce n'est pas en ce moment un problème.

J'ai apprécié l'intervenant précédent. Il s'est trouvé que j'ai entendu la toute fin de sa présentation, mais il a mentionné qu'aux États-Unis cela n'a pas eu d'incidence sur certains des changements dont nous pensions qu'ils nuiraient au crédit. Je ne suis pas certain que ce soit le cas. Nous trouvons que 30 jours s'est assez onéreux pour les créanciers non garantis.

Le sénateur Angus: En ce qui concerne la situation de Sharon, je suis d'accord avec vous. Dans les grosses faillites aujourd'hui, lorsqu'il y a un grand nombre de PME fournisseuses, qu'il y ait restructuration ou liquidation, le petit n'a aucune chance. C'est cette perception que vous avez mentionnée.

M. Whyte: Oui.

Le sénateur Angus: Vous recommandez que les délais et autres éléments soient modifiés pour donner ici une petite chance à Sharon.

Quelle est votre expérience et quelle serait votre recommandation si l'entreprise de Sharon était une entreprise de logiciels? Aujourd'hui, dans ce domaine de la haute technologie, le gros du travail qui est fait relève de la propriété intellectuelle et de logiciels pouvant être installés sur les lieux de la compagnie qui finira par être insolvable, et le fournisseur est donc coincé. Il demande une protection de la cour ou autre. Le travail a été fait mais n'a pas été payé. Sharon est coincée et ne peut rien reprendre. Établiriez-vous une exception exigeant qu'elle soit payée, ou bien aurait- elle un privilège?

Je réfléchis fort à ce que l'on pourrait faire pour protéger cette classe de créanciers.

M. Whyte: C'est une question difficile.

Le sénateur Angus: Oui, et c'est une situation de plus en plus courante aujourd'hui.

M. Whyte: Ce qui viendra aggraver la blessure est le fait que Sharon sache qu'Air Canada est protégée sous la Loi sur les faillites, mais qu'il lui faut malgré tout réparer le matériel en sachant qu'elle ne se fera pas payer.

Le sénateur Angus: Quelle que soit la compagnie aérienne, c'est le cas.

M. Whyte: Nous en avons discuté il y a dix ans. La petite entreprise essayait de se dégager une place à la table, mais l'on a jugé que c'était la petite entreprise qui était le problème, que c'était elle qui allait faire faillite. Ce n'est plus tant le cas. Les petites entreprises sont aujourd'hui d'importants intervenants dans l'économie, et je ne pense pas que la loi reflète cela. L'on n'a pas songé au secteur des services ou au problème du bois d'œuvre. L'on n'a pas tenu compte du fait que les PME représentent 60 p. 100 des emplois et 50 p. 100 du PIB.

J'ai le sentiment que vous n'avez pas entendu un très grand nombre de mémoires comme le nôtre au cours des cinq derniers mois. Je n'ai pas entendu beaucoup de gens parler de cet aspect des choses. C'est pour des raisons comme celles-là que nous voulons que la loi soit revue.

Le sénateur Angus: Comme l'a dit le président dans ses remarques d'ouverture, nous regrettons ce qui s'est passé la semaine dernière. Cela a posé problème à tout le monde et pas seulement aux témoins. Cependant, vous êtes ici maintenant et c'est formidable.

Plus tôt ce soir, nous avons entendu M. Mel Zwaig et deux grands experts en matière d'insolvabilité du cabinet d'avocats torontois Cassels Brock and Blackwell, M. Leonard et M. Ward. Ils ont parlé de la nouvelle loi qui a été proclamée, je pense, le 15 septembre au Royaume-Uni. Cette loi élimine le privilège du gouvernement, les garanties pour ce qui est de tous les droits de la Couronne. Pour tous les avoirs d'un actif de faillite assujetti à une charge flottante, il y aurait un prélèvement de 20 p. 100. Un cinquième est réservé pour les créanciers non garantis, pour les Sharons de ce monde.

Avez-vous eu l'occasion d'examiner cela?

M. Whyte: Non, mais nous en avons entendu parler ici et cela nous paraît très intéressant.

Le sénateur Angus: L'on est amené à aborder des questions philosophiques relativement à une société plus douce et plus gentille et s'agissant de savoir si l'on sert plus les débiteurs ou les créanciers. Notre tradition a été d'essayer d'établir un équilibre et de nous doter de lois bonnes et justes. Je suis certain que le comité va en discuter. Cette nouvelle disposition adoptée au Royaume-Uni est chose nouvelle pour moi et me paraît être logique et cadrer avec l'époque que nous vivons.

M. Whyte: Nous ne sommes pas ici pour tendre la main et nous ne voulons pas non plus voir d'abus. Si le Royaume- Uni va tenter cela, il peut faire le travail de R-D pour nous. Il sera intéressant de savoir comment cela fonctionne, et de voir ce qui se passe en matière de prêts, d'abus et de répartition juste des actifs. Cela paraît intéressant en principe et nous allons certainement surveiller l'évolution des choses.

Dans le cas qui nous occupe, je pense qu'il vaut la peine de voir ce qui se passe avec l'exemple britannique. Comme vous le dites, cela n'est vieux que de dix jours.

Le sénateur Angus: Vous voudrez peut-être vous y pencher.

L'une des choses que j'ai trouvées intéressantes dans votre mémoire est que vous vous concentrez sur cinq volets précis et formulez des recommandations concrètes. Cela nous est très utile si nous devons recommander au ministère concerné d'apporter des modifications précises.

Je serais intéressé de savoir ce que vous pensez de la loi adoptée au Royaume-Uni. Je pense que la réponse à certaines de vos questions s'y trouve renfermée.

Le président: Nous avons des délais très serrés et nous vous serions reconnaissants de nous fournir très rapidement tout ce que vous aimeriez nous livrer.

M. Piché: Pour enchaîner sur ce qu'a dit M. Whyte plus tôt, si l'on veut favoriser l'entrepreneurship au Canada et la prise de risques parmi nos entrepreneurs, il est essentiel que les règles du jeu soient justes.

Le sénateur Angus: Qu'elles soient justes et prévisibles.

M. Piché: Exactement.

[Français]

Le sénateur Massicotte: Ma question fait suite aux propos des sénateurs Angus et Biron. Vous avez indiqué que, selon votre expérience, votre clientèle n'a aucune difficulté à obtenir des prêts bancaires. Cette affirmation va certes à l'encontre de plusieurs articles et de l'opinion de certaines de mes connaissances qui opèrent des PME. Si tel est le cas, particulièrement en ce qui a trait aux prêts bancaires — et en ce qui a trait aux prêts à risque plus élevé, il n'existe pas vraiment de marché au Canada — cela affectera certainement la création d'emplois et l'économie en général.

Plusieurs semblent proposer que des personnes ou des employés devraient jouir d'une priorité sur les créanciers garantis ou non garantis. Si on permet une telle priorité, je présume que les banquiers risqueraient d'accorder moins de prêts. Il s'agit, bien entendu, de gens rationnels. Si la valeur sur la sécurité est moindre, on prêtera moins. La création de nouvelles PME ne se voit-elle pas affectée si on diminue la sécurité comme telle, et si on accorde aux employés, par exemple, une certaine priorité au niveau des gages non payés, ou sur un fonds de pension? Quels sont vos commentaires à cet égard?

M. Piché: Il est très difficile de prédire la façon dont réagissent les banques face à des changements législatifs. Nous ne savons pas comment les banques réagiraient devant une telle situation. Y aurait-il vraiment moins de crédits offerts aux PME?

Le résultat de notre sondage révèle que déjà plusieurs PME ne font plus affaires avec les banques. Elles sont en mesure de se passer des banques en ce qui a trait aux prêts, car elles ont été brûlées par les banques lors de la dernière restructuration. Un problème existe déjà de ce côté. Il est très difficile de prédire la réaction des banques face à une telle situation où l'on accorde priorité aux gages des employés. À ce sujet, il serait intéressant d'examiner du côté de l'ADRC, où il existe déjà une priorité établie dans cette situation.

[Traduction]

M. Whyte: Lorsqu'on parle de la protection des employés, il vous faut savoir que la pénurie de main-d'œuvre qualifiée est notre plus gros problème du fait de l'ampleur qu'il prend. La pénurie de main-d'œuvre est énorme et nombre de ces employés seront donc récupérés. Lorsque Nortel a mis à pied un grand nombre d'employés, un de nos membres a récupéré 40 ingénieurs. Lorsque vous réfléchissez à ce changement de politique, ne tenez pas compte d'autres politiques isolément. La pénurie de main-d'œuvre qualifiée est un problème qui nous occupe car l'on ne sait pas si ces employés seront récupérés et protégés.

Enfin, plus de 50 p. 100 de notre assurance-emploi sert à l'heure actuelle à des fins non liées à l'AE. L'on se sert de cet argent pour payer de la formation, des congés parentaux et quantité d'autres choses. Le programme d'assurance- emploi a pour objet la protection. Il y a des droits qui sont payés, plus les 2 000 $ qui sont dans la loi. Lorsque nous discutons de ce seul principe, il nous faut tenir compte de toutes ces autres choses.

Pour en revenir aux banques, nous pourrons contrôler ce qu'elles ont fait parce qu'aujourd'hui, grâce au Sénat et à Industrie Canada, les banques devront comparaître tous les deux ans devant le Comité de l'industrie pour rendre compte de leurs activités de prêts à la petite entreprise. Nous surveillons de très près les tendances et les banques sont dans notre ligne de mire. Elles ne peuvent plus simplement faire de vaines menaces de réduire leurs activités d'octroi de prêts, car nous pouvons surveiller la situation.

Enfin, j'aimerais féliciter le comité. Vous allez bientôt rédiger votre rapport. Vous avez porté cette question à notre attention et à celle de la Chambre des communes. Nous allons examiner votre travail. Vous nous avez avertis de solutions de rechange telle que celle adoptée au Royaume-Uni. Grâce au bon travail que vous faites, vous donnez le ton pour des travaux futurs auxquels nous participerons. Il se fera beaucoup d'études là-dessus à l'avenir.

Le président: Je suis heureux d'entendre cela. Le comité ne doit pas perdre de vue qu'il s'agit d'un processus permanent. Nous sommes en train de mener à bien cette étude que nous avons entreprise. Nous présumons qu'il y aura prochainement une loi, ou des modifications, et nous allons, en tant que comité, aux côtés de témoins, avoir l'occasion d'examiner le produit. Votre participation continue au processus sera tout à fait la bienvenue.

S'il n'y a pas d'autres questions, je tiens à vous remercier de nouveau d'être venus comparaître devant nous ce soir.

Le sénateur Angus: Si vous avez des idées au sujet de la loi adoptée au Royaume-Uni, cela m'intéresserait de les entendre.

Le président: Nos derniers témoins de la journée sont M. Treusch et M. Cogliati, de Développement des ressources humaines Canada.

Messieurs, comme vous le savez, mais je le répète aux fins du procès-verbal l'une des importantes questions de politique dont nous sommes saisis dans le cadre de cette étude concerne les prêts aux étudiants et la disposition en vertu de laquelle ces prêts ne peuvent pas faire l'objet d'une libération par suite d'une faillite pour une période de dix ans. D'après ce que nous avons compris, en 1997, avec les dernières modifications apportées à la Loi sur les faillites et l'insolvabilité, une limite de deux ans a été mise en place. Puis, non pas dans le contexte de la loi en matière de faillites mais bien dans celui d'une disposition budgétaire de 1998, ces deux années ont été portées à dix. Il s'agit là d'une question qui a été soulevée devant le comité par de nombreux témoins.

Nous avons entendu une vaste gamme de témoins experts. Nous avons entendu des groupes d'étudiants, des groupes de consommateurs et des syndics. Nous avons entendu l'histoire personnelle d'un failli et de cet aspect de sa vie. L'un des commentaires qui a souvent été fait est que le passage de deux à dix ans semble avoir été instauré abruptement sans beaucoup de préparation et, rétrospectivement, sans vraiment comprendre le fondement exact de la décision.

Nous avons également entendu des témoignages quant au nombre de faillites. Nous avons décidé, avec quelque effort, qu'il vaudrait mieux que nous remontions à la source et que nous fassions de notre mieux pour déterminer très exactement ce qui est entré en ligne de compte dans la décision ainsi que la base politique de celle-ci, afin de disposer de ces connaissances dans le cadre de notre examen.

Sur ce, je vous invite à nous soumettre vos observations.

M. Andrew Treusch, sous-ministre adjoint, Programmes d'investissement dans la personne, Développement des ressources humaines du Canada: J'ose espérer que nos remarques traiteront précisément de ces questions. Je suis pour ma part ravi d'être ici, au nom des personnes qui s'occupent de l'administration de l'aide financière pour les étudiants par le biais de notre ministère, Développement des ressources humaines Canada. Je suis accompagné de M. Cogliati, directeur général des Programmes canadiens des prêts étudiants.

Nous avons par ailleurs préparé un document d'information pour les membres du comité traitant des faillites, des prêts aux étudiants et de la Stratégie canadienne pour l'égalité des chances de 1998. Il présente de l'information détaillée que j'entends parcourir avec vous ce soir. Nous sommes également tout disposés à donner aux membres du comité de plus amples renseignements en complément.

Le Programme canadien de prêts aux étudiants est un exemple de réussite. Depuis près de 40 ans, ce programme offre une aide financière aux étudiants qui ont besoin d'un coup de main pour défrayer le coût de leurs études postsecondaires. Les prêts d'études canadiens ne comportent aucun intérêt pendant la durée des études, et les étudiants jouissent d'un délai de grâce de six mois après la fin de leurs études avant de devoir commencer à rembourser.

[Français]

Bien des choses ont changé au cours de ces 40 dernières années. En effet, le coût des études s'est accrus tout comme les besoins des étudiants, mais le Programme canadien des prêts aux étudiants a toujours su respecter son double objectif d'offrir une aide financière aux étudiants, tout en voyant à faire un usage responsable des fonds publics.

[Traduction]

Chaque année environ un tiers de million d'étudiants ont recours au programme. La grande majorité des étudiants, soit plus de 80 p. 100, remboursent leur prêt dans les délais prescrits, mais malheureusement, certains ne le font pas. Le défi en matière de politique publique est de déterminer comment offrir des mesures de gestion de la dette aux étudiants qui ont de la difficulté à respecter leurs obligations de remboursement et d'autre part veiller à ce que les fonds publics soient utilisés de manière responsable.

Je soulignerai ici que le passif du gouvernement du Canada pour les prêts directs aux étudiants se chiffre à environ 5,5 milliards de dollars.

Permettez que je jette un regard sur la dernière décennie, soit la période précédant les changements législatifs en matière de faillite apportés en 1997. Avant 1997, les prêts aux étudiants étaient considérés à la manière de toute autre dette à la consommation en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. En déclarant faillite, l'emprunteur pouvait être libéré de sa dette d'études de même que de ses autres dettes à la consommation par le biais d'une ordonnance de libération absolue.

[Français]

La situation a, toutefois, changée en 1997, lorsqu'on a adopté le projet de loi C-5, ainsi que de nouvelles règles empêchant les emprunteurs, qui déclarent faillite, d'être libérés de leur dette d'études dans les deux ans suivant la fin de leurs études à temps plein ou à temps partiel. L'année prochaine, la période sera prolongée jusqu'à dix ans, suivant la fin des études à temps plein ou à temps partiel. Pour bien comprendre ce qui a amené ce changement, il est utile d'examiner certaines statistiques concernant les dettes d'études et les faillites au cours des années précédentes.

[Traduction]

Au début des années 90, le nombre d'étudiants emprunteurs qui déclaraient faillite a connu une poussée surprenante. En 1990-1991, plus de 5 600 emprunteurs, dont la dette d'études s'élevait à 40,5 millions de dollars, ont déclaré faillite. Cinq ans plus tard, soit en 1995-1996, ce nombre avait presque doublé et tout près de 11 000 emprunteurs ont déclaré faillite cette année-là. Le montant total de leur dette avait plus que doublé, passant de 40,5 millions de dollars à plus de 100 millions de dollars.

Entre 1990 et 1997, environ 53 000 étudiants canadiens emprunteurs ont déclaré faillite ou ont eu recours à une mesure en matière de faillite. Ensemble, ces emprunteurs accumulaient un montant de 445 millions de dollars en prêts d'études canadiens au moment de leur faillite. Je ne tiens pas compte ici de la valeur d'éventuels prêts provinciaux aux étudiants.

Les personnes qui déclarent faillite reçoivent généralement une mauvaise cote de solvabilité et les gouvernements fédéral et provinciaux qui émettent les prêts d'études encourent des pertes de l'ordre de millions de dollars. Cette forte augmentation du nombre d'étudiants emprunteurs déclarant faillite est donc devenue un problème troublant.

[Français]

Certains faits méritent d'être relevés. Quelque 75 p. 100 des étudiants se sont placé sous la protection de la Loi sur la faillite au cours des deux ou trois premières années suivant la fin de leurs études.

[Traduction]

La grande majorité des emprunteurs qui déclaraient faillite, soit 95 p. 100, le faisaient dans les sept premières années suivant la fin de leurs études, et leur dette se chiffrait en moyenne à 10 000 $.

Il y a également la question de la nature des prêts aux étudiants qui sont, par définition, non commerciaux, mais qui sont traités dans le cadre du processus de faillite à la manière des prêts commerciaux, qui sont typiquement consentis sur la base de garantie ou autre sûreté. Étant donné qu'il n'y a aucune sûreté pour un prêt d'études autre que les revenus futurs anticipés, l'on a conclu que le fait de comparer les prêts d'études à d'autres formes de crédit à la consommation dans le cadre de procédures de faillite revenait à comparer des torchons et des serviettes. Les deux choses sont différentes.

Par ailleurs, dans le cadre du Programme canadien de prêts aux étudiants, les étudiants ayant une invalidité permanente et aux prises avec des difficultés exceptionnelles peuvent présenter une demande de radiation de leur dette. Les emprunteurs ayant une invalidité permanente et dont les prêts ont été transférés à des services de recouvrement et qui répondent à certains critères en matière de revenu peuvent demander que leur dette soit radiée en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques.

C'est devant cette toile de fond que le gouvernement a déposé le projet de loi C-5 ainsi que d'autres mesures de gestion de l'endettement des étudiants dans le budget de 1997. Cela a été suivi par des mesures d'allégement supplémentaires dans le cadre d'une stratégie plus vaste en 1998 et à nouveau dans le budget de 2003.

[Français]

Par exemple, dans son budget de 1997, le gouvernement a prolongé la période au cours de laquelle les emprunteurs répondant à certains critères, sur le plan du revenu, peuvent se prévaloir de la mesure d'exemption d'intérêt sur une période de 18 à 30 mois. Cette mesure est accessible tout au long de la période de remboursement. Lorsqu'ils bénéficient d'une exemption d'intérêt, les emprunteurs n'ont pas à payer d'intérêt ni à effectuer de paiement sur le capital de leur dette, et les intérêts ne s'accumulent pas.

[Traduction]

Cela signifie que les emprunteurs ayant de la difficulté à rembourser leur prêt étudiant pourraient se prévaloir des mesures de gestion de la dette offertes dans le cadre du Programme canadien de prêts aux étudiants plutôt que d'avoir recours à la faillite.

En 1998, la Stratégie canadienne pour l'égalité des chances, présentée dans le cadre du budget, est venue miser sur cette approche. Le gouvernement a prolongé la période d'exemption d'intérêt, pouvant aller jusqu'à 54 mois au cours des cinq premières années suivant la fin de leurs études, pour les emprunteurs dont le revenu est inférieur aux seuils établis. Cette période d'exemption vient s'ajouter au délai de grâce de six mois que j'ai mentionné plus tôt, ce qui permet à l'emprunteur de reporter les paiements d'intérêt et de capital pendant les cinq premières années après avoir terminé ses études.

Les seuils de revenu aux fins d'admissibilité à la mesure d'exemption d'intérêt ont été augmentés de 9 p. 100. L'on a instauré des crédits d'impôt sur les intérêts payés à l'égard des prêts d'études ainsi qu'une mesure de réduction de la dette en cours de remboursement permettant une réduction de jusqu'à 50 p. 100 du capital du prêt, jusqu'à concurrence d'une réduction maximale de 10 000 $.

Dans son dernier budget, soit celui de 2003, le gouvernement a aussi bonifié les mesures d'exemption d'intérêt et de réduction de la dette en cours de remboursement. Les améliorations proposées prévoient notamment la modification de l'exemption d'intérêt pour permettre aux emprunteurs d'antidater leur demande de six mois, comparativement à deux mois à l'heure actuelle, et d'ajouter trois mois d'intérêts au capital de leur prêt une fois au cours de leur vie. Cette modification permet aux emprunteurs qui n'ont pas effectué de paiement depuis neuf mois ou moins d'alléger leurs paiements, et vient aussi modifier la mesure de réduction de la dette en cours de remboursement pour qu'un plus grand nombre d'emprunteurs puissent en bénéficier en augmentant le niveau du revenu familial aux fins d'admissibilité ainsi que le montant de la dette radiée.

[Français]

Lorsque ces dernières modifications auront fait leur preuve, nous prévoyons atteindre les résultats suivants: l'assouplissement des critères d'admissibilité et les mesures d'exemption d'intérêt devraient permettre d'aider 4 500 emprunteurs de plus à un coût de 5 millions de dollars chaque année; lorsque la mesure de réduction de la dette en cours de remboursement sera pleinement mise en place, on viendra en aide à 2 500 emprunteurs de plus, pour un coût annuel de 30 millions de dollars.

[Traduction]

Par ailleurs, nous offrirons ces mesures de gestion de la dette aux emprunteurs qui déclarent faillite.

D'autres changements majeurs s'annoncent et le gouvernement est toujours aussi déterminé à aider les étudiants emprunteurs à respecter leurs obligations de remboursement sans qu'ils aient à déclarer une faillite personnelle.

Monsieur le président, j'ai dressé le tableau des principaux changements apportés au fil des ans au Programme canadien de prêts aux étudiants, et plus particulièrement les mesures de réduction d'intérêt et d'allégement de la dette. Le temps dont je dispose ne me permet pas de vous donner un aperçu des quelque 11 autres initiatives prises par le gouvernement du Canada pour appuyer les étudiants. Je songe ici à divers autres programmes, notamment les programmes de bourses, allant des Bourses d'études canadiennes du millénaire aux Subventions canadiennes pour études en passant par l'Allégement fiscal à l'intention des étudiants à temps partiel. Nous continuons par ailleurs de travailler étroitement avec les gouvernements provinciaux et territoriaux en vue de cerner d'autres moyens d'améliorer les possibilités pour les étudiants de niveau postsecondaire au Canada. Voilà qui met fin à ma déclaration.

Le sénateur Massicotte: Je devine que toutes ces choses sont exécutées ou distribuées par le biais des banques et institutions financières. Y a-t-il des risques ou des coûts y afférents?

M. Treusch: Monsieur, depuis l'an 2000, grâce à des contrats de fournisseurs de services, le gouvernement du Canada verse directement — nous employons le terme financement direct — la portion fédérale des prêts d'étudiants du Canada. Il y avait deux arrangements antérieurs faisant intervenir les institutions financières, et les conditions dont ils étaient assortis étaient variables. Si cela vous intéresse, mon collègue a plus d'expérience en la matière.

M. Dave Cogliati, directeur général, Direction des programmes canadiens des prêts étudiants, Développement des ressources humaines du Canada: Je pourrais parcourir cela rapidement avec vous. De 1964 à 1995, ce sont les banques qui octroyaient les prêts et ceux-ci étaient garantis par le gouvernement fédéral. Tous les prêts étaient garantis par le fédéral et le risque était donc en définitive supporté par le gouvernement. En 1995, nous avons opté pour un système de primes de risque en vertu duquel nous versions aux banques une prime de 5 p. 100. Les banques continuaient de prêter leur argent, mais les défauts de paiement et les faillites et ainsi de suite étaient assumés par les banques. En l'an 2000, la totalité de l'argent prêté est de l'argent des contribuables.

Le sénateur Massicotte: Pensez-vous que l'actuelle proposition, assurant un équilibre entre la récupération de votre argent et toute la question de la responsabilité sociale, permettant aux personnes insolvables de reprendre le contrôle de leur vie, est équilibrée comme il se doit avec les dispositions révisées que vous avez adoptées au cours des dernières années?

M. Treusch: Je tiens à établir clairement que je suis ici pour porter à l'attention du comité des renseignements au sujet du Programme canadien de prêts aux étudiants, renseignements au sujet de l'augmentation du nombre de faillites dans la période précédant les changements à la loi. Je pense que sont pertinents aux fins de l'examen du comité les changements apportés au Programme canadien de prêts aux étudiants, et plus particulièrement l'introduction et la prolongation de l'allégement des intérêts, des dispositions de radiation et d'autres mesures.

La faillite est selon nous une conséquence indésirable pour l'étudiant ainsi que pour les contribuables qui doivent alors en assumer les conséquences ou l'effet. Il y a à notre avis une différence fondamentale entre les prêts aux étudiants et les autres formes de prêts. Je tiens à sensibiliser le comité au fait que nous avons pris des mesures d'allégement d'intérêts et d'allégement de la dette qui sont selon nous de loin préférables à la faillite proprement dite. De fait, depuis l'introduction de ces mesures, et en fait très vite, nous avons constaté une augmentation du recours aux allégements d'intérêts. Nous avons également relevé une baisse marquée du taux de défaut de paiement parmi les endettés bénéficiant d'allégement de l'intérêt.

Nous versons à l'heure actuelle quelque 77 millions de dollars à environ 140 000 étudiants emprunteurs. Voilà la toile de fond de la loi telle qu'elle existe à l'heure actuelle. Nous allons bien sûr suivre avec beaucoup d'intérêt les travaux du comité et les témoignages que vous entendrez.

Le sénateur Massicotte: Je comprends les statistiques, mais ma question est très claire: à votre avis, à la lumière de tous ces programmes, l'actuelle disposition de dix ans pour les faillites devrait-elle être maintenue?

M. Treusch: Cette loi relève du ministre de l'Industrie du Canada. Je vous ai livré tous les commentaires que me les permettent mes fonctions.

Le sénateur Angus: Il ne va rien vous dire de plus.

Le sénateur Angus: Permettez que j'aborde la chose autrement. J'allais dire qu'en 1996 c'était zéro; c'est ensuite passé à deux ans, puis cela a sauté jusqu'à dix ans, soit une augmentation de huit ans. En d'autres termes, la modification de 1997 et celle de 1998 ont amené un bond considérable. Et maintenant, tous les témoignages que nous entendons recommandent que l'on retourne à cinq ans. Quelle que soit votre interprétation de votre champ de compétence, j'ai le sentiment que vous êtes ici pour nous dire de ne pas retourner à cinq mais de maintenir cela à dix ans.

M. Treusch: En soupesant les témoignages que vous entendez de sources diverses, sénateur, et les différentes décisions qu'il vous faudra rendre avant d'en arriver à vos recommandations définitives, je vous demande de tenir compte de ces facteurs. Dans les limites des fonctions que j'occupe au sein du ministère, je pense qu'il est tout à fait à propos que des allégements d'intérêt soient consentis aux étudiants aux prises avec de graves difficultés financières. Ces allégements peuvent rester en place pendant les cinq ans suivant la fin des études de la personne concernée. Les étudiants ne versent pas d'intérêt pendant qu'ils poursuivent leurs études. Les mesures d'allégement de la dette permettent en fait aux étudiants en difficulté financière de radier leur dette.

Il y a également des mesures supplémentaires à la disposition des personnes handicapées. Je vous soumets mon opinion selon laquelle il est préférable, et dans l'intérêt de la Couronne et dans celui du contribuable, mais également du point de vue de l'étudiant, que l'on évite dans toute la mesure du possible la faillite et qu'interviennent ces autres mesures constructives.

S'il y avait un changement à la règle de faillite de dix ans, il faudrait vraisemblablement que cela cadre avec un examen de certaines de ces autres mesures. Il pourrait y avoir des ramifications.

Le sénateur Angus: Cela est utile et je vous remercie.

Le président: Cette question préoccupe beaucoup de gens. Je suis heureux que nous ayons eu l'occasion de voir le tableau dans son entier. Vous semblez également tenir à ce que nous comprenions le tableau d'ensemble avant d'en arriver à une conclusion. Je suis heureux que nous ayons eu l'occasion de faire cela.

Pour le comité, ce n'est pas une situation de ou tout l'un ou tout l'autre. Nous ne sommes pas en train de dire qu'il faut tout réduire ou accorder des allégements d'intérêt et possibilités de radiation. Je présume que même avec une plage de cinq ans il y aura toujours lieu d'assurer un équilibre judicieux des mécanismes.

Nous conviendrions certainement que la meilleure chose est qu'il n'y ait pas de faillites du tout. D'un autre côté, nous avons entendu beaucoup de témoignages selon lesquels certains étudiants endettés n'ont pas terminé leurs études ou alors ont suivi des cours qui n'ont pas débouché sur d'intéressantes possibilités salariales. Leur prêt d'étudiant n'est pas la seule chose qui amène leur faillite. Nous pourrions parler de cela pendant des heures, mais ce n'est bien sûr pas ce que nous allons faire ici.

Nous ne voulons pas nous retrouver dans la situation de dire, l'approche de ces autres dispositions est-elle une solution de rechange — nous voulons quelque part les combiner, et tout sera une question d'équilibre. Je suis amené à dire cela à cause de vos derniers commentaires. Je sais que vous ne vouliez pas donner l'impression d'une menace, mais si la période était réduite, vous dites qu'il nous faudrait alors examiner les autres dispositions. Nous osons espérer que là encore ce serait cet équilibre qui serait recherché et que l'objectif continuerait d'être d'essayer d'éviter la faillite.

Le sénateur Kelleher: J'étais assis ici et j'ai écouté les étudiants et les autres groupes qui prônaient la réduction de la période de dix à cinq ans. Peut-être que j'ai été sourd pendant cette période, mais je ne me souviens pas d'avoir entendu les partisans d'une telle réduction nous parler d'amélioration des efforts du gouvernement sur le plan intérêts.

Le président: Non, et je pense qu'il est précieux que nous ayons maintenant le tableau d'ensemble. Cependant, pour ce qui est de la question d'un équilibre, j'ai l'impression qu'une partie de tout cela a été amenée par une gigantesque épidémie de faillites d'étudiants presque le lendemain de la remise des diplômes.

J'aimerais être certain de bien comprendre les chiffres. Vous disiez que 350 000 étudiants est le nombre annuel type. Vous avez parlé de 57 000 faillites sur une période de sept ans. Cela donne environ 8 000 par an. Si c'est 8 000 sur un total de 350 000, ce n'est pas tout à fait l'épidémie que je m'étais peut-être à tort imaginée. J'oublie peut-être le détail. Est-ce bien l'ordre de grandeur du problème?

M. Treusch: Monsieur le président, je ne vais pas utiliser d'adjectifs mais laisser les chiffres parler d'eux-mêmes. J'ai voulu souligner le changement rapide quant au nombre d'emprunteurs. Si vous vous souvenez des chiffres, sur une période de cinq ans, les pertes subies par le gouvernement du Canada avaient plus que doublé. Sur une période de sept ans, les pertes au titre de prêts d'étudiants fédéraux s'étaient élevées à quelque 450 millions de dollars.

Le président: C'est un gros chiffre.

Le sénateur Massicotte: L'on pourrait regarder ce graphique et dire qu'il n'y a pas de problème, que le nombre de faillites a de beaucoup fléchi. Si un étudiant était insolvable en 1995 ou en 1996, il aurait probablement déclaré faillite. Il n'est pas étonnant que le nombre ait baissé car maintenant ils n'ont pas le droit de demander une protection de leurs créanciers. Le graphique nous dit-il quelque chose? Vous vous attendez à ce que cela baisse car les étudiants ne peuvent pas déclarer faillite.

M. Cogliati: L'élément important du graphique est la première moitié du graphique du côté droit, avec la courbe ascendante. Vous avez tout à fait raison. Les étudiants peuvent toujours déclarer faillite; simplement, ils ne peuvent pas être libérés de leurs prêts d'étudiants. Le graphique indique peut-être qu'il n'y a pas de problème aujourd'hui, mais vous avez entendu les témoins. Nous suivons attentivement les témoignages. Certains étudiants souffrent énormément. Nous avons vu les témoignages. Nous ne sauterions pas à la conclusion qu'il n'y a aucun problème d'endettement étudiant.

Je pense que ce que nous demandons c'est un équilibre entre la suppression de la disposition de dix ans et la prise en compte des mesures disponibles. Notre espoir, encore une fois, est que la faillite soit le tout dernier recours.

Le président: C'est chez nous que se fait le second examen objectif, et nous vous sommes donc reconnaissants des renseignements que vous nous avez fournis. Nous serons maintenant en mesure de faire un examen beaucoup plus intelligent de la question. Merci beaucoup d'être venus.

La séance est levée.


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