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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 31 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 5 novembre 2003

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel ont été renvoyés le projet de loi C-48, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu (ressources naturelles) et le projet de loi C-249, Loi modifiant la Loi sur la concurrence, se réunit ce jour à 16 h 10 pour étudier ces projets de loi.

Le sénateur Richard H. Kroft (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Le premier point à l'ordre du jour est la poursuite de l'examen du projet de loi C-48, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu (ressources naturelles). Nous avons un témoin qui vient compléter le témoignage du dernier de nos témoins à notre précédente réunion.

Mme Joan Kuyek, coordonnatrice nationale, MiningWatch Canada/Mines Alerte: Je vous remercie de me donner l'occasion de m'adresser à vous, honorables sénateurs. Je suis la coordonnatrice nationale de MiningWatch Canada, qui est membre de la Coalition du budget vert. MiningWatch Canada est une coalition nationale de 17 organisations des domaines environnemental, autochtone, syndical et de la justice sociale.

Si nous sommes d'accord avec la recommandation d'éliminer la déduction relative aux ressources, nous sommes en revanche très inquiets de constater que ces mesures vont entraîner un manque à gagner allant jusqu'à 260 millions de dollars par an pour le gouvernement fédéral, alors qu'on ne tient pas compte des répercussions négatives à long terme sur le plan environnemental, social et économique de la mise en valeur de ressources non renouvelables.

Ceci va à l'encontre des recommandations de l'Organisation de coopération et de développement économiques et du propre comité consultatif du ministère des Finances sur la réforme de la fiscalité des entreprises.

Le projet de loi C-48 abaisse le taux d'imposition des entreprises minières à 21 p. 100 d'ici à 2007; réduit les déductions relatives aux ressources; et met en place un crédit d'impôt pour investissement de 10 p. 100 pour les dépenses d'exploration minière des entreprises. Ces changements viennent compléter les allégements fiscaux et les subventions des provinces dans la perspective d'une suppression de l'impôt sur le capital en 2008. D'ici 2007, le taux d'imposition effectif moyen des sociétés minières au niveau fédéral et provincial sera de 30,1 p. 100, et le taux marginal ne sera que de 7,6 p. 100.

L'Organisation de coopération et de développement économiques a recommandé que:

Le traitement fiscal préférentiel accordé par le Canada au secteur des ressources traditionnelles telles que le pétrole, le gaz et les minéraux et métaux, soit éliminé pour des raisons tant environnementales qu'économiques.

Ces recommandations ont été formulées dans le contexte d'avertissements urgents lancés par l'OCDE et des universitaires qui affirment que tous les grands écosystèmes mondiaux sont en déclin et que l'économie a déjà dépassé de nombreuses limites écologiques.

L'extraction des ressources et la consommation de matières sont des facteurs centraux de ces stress qui s'exercent sur la biosphère. Le caractère central de ces problèmes a été reconnu dans le principe 8 de la Déclaration de Rio de 1992, qui engageait les parties à éliminer les modes de production et de consommation non durables, ainsi que dans le chapitre 4 d'Agenda 21: «Modification des modes de consommation.»

On a estimé que pour maintenir des modes de production et de consommation durables, il fallait réduire l'intensité matérielle de chaque unité de produit économique de 50 p. 100 et, dans des pays industriels comme le Canada, elle devra être diminuée de facteurs allant de quatre à 10.

Il faudra répondre aux demandes de biens et services de la société en réduisant considérablement les apports de nouveaux matériaux. On pourra le faire en évitant le gaspillage, en améliorant la conception et la distribution des produits, en recyclant et en réutilisant les stocks de matériel existants, au lieu de rejeter les matériaux usagés d'un côté du cycle matériel tout en mettant en circulation produits nouvellement extraits de l'autre.

Si l'utilisation de certains métaux tels que le mercure doit être progressivement éliminée en raison de leur extrême toxicité, d'autres métaux sont d'excellents candidats pour ce genre d'approche. Les métaux ne perdent pas leurs propriétés mécaniques ou métallurgiques lorsqu'ils sont recyclés, et ils conservent leur valeur économique. On peut donc les réutiliser et les recycler de façon presque illimitée dans l'économie.

Mais c'est l'échelle des retombées environnementales et sociales de l'exploitation minière qui a été au centre du débat sur la nécessité de réduire la consommation de matériaux nouvellement extraits. On estime que les taux actuels de consommation de matières ne peuvent pas se maintenir de façon durable, moins en raison de la raréfaction de ces matières qu'en raison de la gravité des coûts environnementaux et sociaux liés à l'extraction et au traitement de ces matières.

L'extraction des minéraux et des métaux laisse une empreinte environnementale extrêmement nuisible et durable et les conséquences des accidents miniers, par exemple la défaillance d'un barrage de retenue de stériles, peuvent être catastrophiques. Outre la défiguration du paysage, la destruction du poisson, de la faune et de l'habitat des plantes ainsi que la perturbation des flux des eaux de surface et des eaux souterraines, l'exploitation minière, en particulier dans le cas des métaux, entraîne la création d'énormes quantités de déchets.

L'exploitation minière nécessite l'extraction de minerai métallifère accompagné de tout l'excédent inutile, la poussière, les roches et les systèmes biologiques qui recouvrent le minerai. On n'utilise en fait qu'une toute petite partie de ce qui est extrait. À titre d'exemple, une paire de bagues de mariage en or représente six tonnes de déchets rocheux et autres. Et les pourcentages vont probablement se détériorer encore plus quand les réserves à haute teneur existantes vont s'épuiser et qu'on va mettre en valeur des ressources à plus faible teneur.

L'industrie des minéraux au Canada produit 1 million de tonnes de déchets rocheux et 950 000 tonnes de stériles par jour et un total 650 millions de tonnes de déchets par an. C'est plus de 20 fois la quantité de déchets solides municipaux produits par toutes les résidences, toutes les industries, tous les établissements commerciaux et les institutions du Canada réunis.

À l'échelle mondiale, les activités minières des hommes déplacent plus de terre que tous les cours d'eau n'en entraînent vers la mer dans le monde entier. En 1993, on estimait qu'il y avait au Canada un total cumulé de 700 millions de tonnes de stériles et 1,8 milliard de tonnes de déchets sulfurés susceptibles de provoquer un drainage minier acide.

Les activités minières sont une source majeure de pollution de l'eau. L'eau des mines et les boues liquides des usines peuvent être extrêmement acides ou alcalines et contenir des solides en suspension, des produits chimiques résiduels d'installations d'extraction et de concentration, des métaux lourds, de l'ammoniaque et, dans le cas des mines d'uranium, des substances radioactives. Les eaux de ruissellement des queues de mines peuvent être acides et contenir des solides dissous, des métaux lourds et d'autres substances toxiques entraînés par les eaux d'exhaure acides. Même des mines correctement fermées nécessitent un soin et un entretien constant, dont le coût, selon des sources américaines, s'élèverait à des centaines de millions de dollars par mine en exploitation.

Bien qu'il soit permis d'espérer que les compagnies minières prendront soin et assureront l'entretien de ces sites indéfiniment, il faut bien être réaliste et comprendre que c'est la Couronne qui finira tôt ou tard par récupérer la plupart de ces sites.

Il y a actuellement environ 10 000 mines abandonnées au Canada. L'Association minière du Canada évalue à 6 milliards de dollars le coût du nettoyage de ces sites parfois toxiques. La seule responsabilité fédérale pour le nettoyage de ces mines abandonnées est estimée à 1 milliard de dollars pour 2003.

Bien que de nombreuses mines canadiennes procurent des avantages économiques pendant 15 à 20 ans, les coûts liés au confinement et au traitement des énormes quantités de déchets acides qu'elles produisent devront être supportés par les Canadiens pendant des centaines si ce n'est des milliers d'années après la fermeture de ces mines.

En outre, les activités d'extraction et de concentration de minerais, le raffinage et la fusion ainsi que les produits de queue sont des sources considérables de pollution de l'air. Les queues de mines rejettent chaque année plus de 60 000 tonnes de particules dans l'air du Canada, alors que le secteur de la fonderie de métaux est une source de premier plan de production de métaux lourds, notamment le cadmium, le mercure, le plomb, le nickel et l'arsenic, ainsi que de facteurs déclencheurs de pluies acides tels que l'anhydride sulfureux.

Les données sur les rejets et transferts de produits polluants dus au secteur minier au Canada sont incomplètes, en raison de l'exemption des activités minières d'extraction dans l'Inventaire national des rejets polluants. Les dispenses de divulgation des rejets des transferts de produits polluants par les secteurs de l'exploitation de la houille et des métaux ont été supprimées de l'inventaire des rejets polluants aux États-Unis en 1998. On a alors constaté que le secteur de l'exploitation des minerais métalliques était la plus importante source de rejets dans l'environnement, sur le site et hors site, de substances visées par l'inventaire, et était à l'origine de 50,2 p. 100 de tous les rejets de produits polluants déclarés à l'inventaire en 1999.

L'exploitation minière entraîne aussi des coûts socio-économiques, notamment des retombées sur la santé, des accidents du travail, des alternances de forte expansion et de récession économiques, la destruction des moyens de subsistance des Autochtones et des bouleversements profonds dans les cultures régionales.

Les subventions fédérales à la prospection et à la mise en valeur de nouvelles mines au Canada ont été traditionnellement justifiées par la création d'emplois et les autres avantages économiques qui ont résulté. Toutefois, la contribution économique du secteur de l'extraction de minerais métalliques en particulier est en déclin.

En 2002, MiningWatch Canada et le Pembina Institute ont publié un rapport évaluant la teneur de l'appui public à l'industrie d'extraction des minerais métalliques au Canada. Les données de source publique, c'est-à-dire les données du gouvernement et de l'industrie, ont été comparées et l'on a établi des tendances pour la période de 1994-1995 à 2000- 2001. Voici quelques-uns des constats concernant les subventions, l'emploi et le PIB.

En matière de subventions, au cours de l'exercice 2000-2001, les avantages fiscaux fédéraux consentis à l'industrie ont représenté 319 millions de dollars, soit 5 p. 100 de plus qu'en 1994-1995.

En ce qui concerne les emplois, en 2000-2001, 29 248 personnes étaient employées par l'industrie de l'extraction de minerais métalliques, soit 12 p. 100 de moins qu'en 1994-1995. Durant cette période, le nombre d'emplois dans les industries canadiennes a augmenté de 15 p. 100. En 2002, l'industrie d'extraction des minerais métalliques représentait moins de 23 400 emplois au Canada.

Pour ce qui est du PIB, la contribution de cette industrie au PIB en 2000-2001 a été de 4,5 milliards de dollars, soit un recul de 8 p. 100 par rapport aux 4,9 milliards de dollars de 1994-1995, et cette contribution continue de baisser.

Ces chiffres et ces tendances montrent que l'accroissement de l'investissement public dans ce secteur ne s'est pas traduit par des retombées avantageuses en matière d'emploi ou de contribution au PIB.

Nous avons désespérément besoin d'un régime fiscal qui encourage un développement économique alternatif, des ajustements industriels et une utilisation efficiente des ressources et non la poursuite de l'extraction de ressources non renouvelables moyennant des coûts sociaux, économiques et environnementaux de plus en plus lourds.

Le ministère des Finances du Canada a fondé ses recommandations pour le projet de loi C-48 sur une étude technique publiée le 3 mars 2003. On ne trouve pas la moindre mention du coût environnemental ou social de l'extraction de produits miniers dans cette étude ni dans les études qui ont servi de base aux modifications fiscales proposées.

Si nous accordons vraiment une importance au coût environnemental et social énorme de chaque once de métal que nous consommons, nous devons trouver des moyens de recycler et de conserver les métaux au lieu de continuer à en extraire. Le projet de loi C-48 est en contradiction avec tout ce que le gouvernement a dit aux Canadiens à propos de la protection de notre environnement.

Monsieur le président, je vous remercie de m'avoir donné cette occasion d'intervenir. J'ai un exemplaire du rapport «Looking Beneath the Surface» publié par MiningWatch Canada ainsi que d'un rapport sur les eaux d'exhaure acides, si cela peut intéresser les membres du comité.

Le sénateur Massicotte: Si je vous comprends bien, vous avez deux préoccupations. D'une part, le gouvernement va avoir un manque à gagner d'environ 260 millions de dollars par an, et d'autre part vous êtes préoccupée par les retombées environnementales des mines en particulier.

C'est un secteur que je ne connais pas très bien.

Qu'est-ce que les gouvernements ne comprennent pas?

Il y a le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et des responsables des finances. Tous ces gens-là sont des gens responsables.

Pourquoi, d'après ce que vous dites, continuent-ils à vouloir apporter ces modifications à la Loi de l'impôt sur le revenu?

On nous dit que c'est nécessaire sur le plan fiscal pour assurer la compétitivité, mais dans votre exposé vous dites que c'est une mauvaise décision.

Pourquoi le font-ils quand même et pourquoi ne sont-ils pas d'accord avec votre point de vue?

Mme Kuyek: L'une des raisons est que les coûts environnementaux et sociaux des mines abandonnées, par exemple, commence à être présentée dans les comptes publics comme un élément de passif au lieu de faire partie des frais de fonctionnement du gouvernement. Il y a un effet de silo et beaucoup de coûts figurent dans d'autres silos que ceux des recettes.

Je pense que l'autre problème, c'est qu'il existe un lobby très puissant, que j'ai vu à l'action, en faveur de la prospection et de l'exploitation de nouvelles mines, et qu'on ne tient aucun compte dans les analyses des coûts environnementaux et sociaux des mines existantes ou des mines qu'on ferme.

Le gouvernement fédéral touche pendant une courte période des redevances considérables qui souvent ne sont pas partagées avec les territoires ou provinces de la même façon.

C'est très séduisant. Une forte rentabilité fiscale à court terme est très alléchante, mais elle ne compense pas les subventions et les coûts connexes ni les coûts à assumer à la fin de l'existence de la mine.

Le sénateur Massicotte: Au Québec, les lois sur les pollueurs sont strictes, comme l'a montré une récente décision de la Cour suprême du Canada. Même les membres du conseil d'administration peuvent être tenus responsables. J'imagine que ce n'est pas le cas puisque vous dites que de nombreux coûts ne sont pas assumés par la compagnie minière, mais par la société.

Pourquoi les lois ne sont-elles pas claires à cet égard?

Mme Kuyek: L'affaire Imperial Oil est récente, et la plupart du temps les nouvelles mines n'ont pas de cautionnements de remise en état à la hauteur des coûts de fermeture. Une grande partie de l'argent des cautions pour les nouvelles mines est investie de telle manière que le gouvernement ne peut pas y avoir accès ou vient d'une entreprise qui peut facilement faire faillite à la fin. C'est ce qui s'est passé au Yukon où de nombreuses mines ont fait faillite en laissant derrière elles une situation déplorable.

Si vous prenez la mine Giant, la caution de remise en état n'avait rien à voir avec le véritable coût de remise en état du terrain après l'exploitation de cette mine.

Il y a toutes sertes de difficultés à faire assumer aux propriétaires des mines la responsabilité de ce qui se passe après.

Le sénateur Massicotte: Pourtant, ils sont responsables en droit, mais vous dites que c'est soit parce qu'ils sont insolvables ou que leur droit de bail a expiré avant que les dégâts se produisent.

Mme Kuyek: Cela dépend des provinces. À l'échelle fédérale, les nouvelles politiques les rendent responsables. Les représentants de l'industrie minière soutiennent qu'ils ne sont pas responsables, qu'ils n'ont fait que respecter les lois de l'époque, c'est-à-dire dans le cas des vieilles mines, et par conséquent que c'est la faute du gouvernement fédéral qui ne les a pas correctement contrôlés.

À notre avis, ils sont responsables, mais les cas de poursuites des anciens propriétaires par le gouvernement fédéral sont plutôt rares.

Le sénateur Massicotte: Merci.

Le sénateur Tkachuk: Quel est le montant total des redevances et taxes que verse le secteur minier aux Trésors provinciaux et fédéral chaque année?

Mme Kuyek: Quand nous avons fait notre étude, il était difficile d'obtenir des chiffres exacts sur la fiscalité des entreprises.

Le sénateur Tkachuk: Vous avez une bonne idée du manque à gagner: il va être de 260 millions de dollars.

Mme Kuyek: Nous savons ce qu'ils paient en redevances minières spécifiques.

Le sénateur Tkachuk: Plus l'impôt sur le revenu.

Mme Kuyek: Nous ignorons le montant de l'impôt sur le revenu, évidemment, puisqu'il est impossible d'obtenir cette information.

Le sénateur Tkachuk: Bien sûr que si, puisque vous dites qu'il y a un manque à gagner de 260 millions de dollars.

Mme Kuyek: Toutes ces informations sont dans le rapport Mintz.

Le sénateur Tkachuk: Je sais. Alors combien paient-ils? Des milliards?

Mme Kuyek: Oui, des milliards.

Le sénateur Tkachuk: Combien?

Mme Kuyek: Je ne sais pas. Je n'ai pas les chiffres sous les yeux, monsieur.

Le sénateur Tkachuk: Et où va cet argent?

Mme Kuyek: Au Trésor.

Le sénateur Tkachuk: Exactement. Ils versent cet argent, et c'est au gouvernement de déterminer s'il va affecter cet argent à l'environnement ou à la santé. Il faut tenir compte de l'avantage social; vous ne pouvez pas vous contenter de dire qu'il y a un coût pour l'environnement.

Les gouvernements choisissent d'encaisser des milliards de dollars par an, ou je ne sais combien, et de les réaffecter aux prestations sociales, aux routes ou à autre chose plutôt qu'à la remise en état du site d'une mine qui a pu rapporter Dieu sait combien.

Mme Kuyek: Je vous ferais respectueusement remarquer, monsieur, que le ministère des Finances ne conserve même pas ces données. Ils ne conservent pas de données des rentrées et des montants consacrés à l'industrie des minéraux.

Nous soutenons depuis longtemps qu'il est à notre avis important que le ministère des Finances fasse ce genre d'analyses coûts-avantages, mais il ne le fait pas. Le ministère est incapable de vous donner la réponse à cette question parce que nous l'avons déjà posée.

Le sénateur Tkachuk: Je comprends.

Mme Kuyek: Dans le rapport Mintz, on explique que chacune de ces mines rapporte des montants substantiels à court terme, mais qu'elles ne durent pas bien longtemps. Si vous regardez le Yukon, vous constaterez qu'il n'y a plus de mines en exploitation là-bas, mais que les gens du territoire ont d'énormes responsabilités à l'égard des mines abandonnées alors qu'en même temps on investit énormément d'argent dans la recherche de nouveaux sites miniers. Il y a un grand vide entre les deux.

Dans les Territoires du Nord-Ouest, les seules mines actuellement en exploitation sont des mines de diamants qui rapportent des montants considérables, mais pas aussi élevés qu'on ne l'aurait pensé, mais pour ce qui est des mines de métaux, il n'y a strictement aucune recette actuellement. Là encore, il y a un énorme passif lié à ces mines abandonnées et fermées.

Le sénateur Tkachuk: Je comprends. Je ne cherche pas à vous contredire. J'essaie simplement de dire que les compagnies minières paient des montants considérables aux gouvernements provinciaux, fédéral et municipaux, en plus des impôts de tous leurs travailleurs, et que tout cet argent est versé dans les coffres de l'État. Ensuite, c'est le gouvernement qui décide de la façon d'utiliser cet argent. C'est lui qui choisit d'assainir l'environnement ou d'investir dans les soins de santé ou la construction de routes.

Ce n'est donc pas que les compagnies minières ne paient pas, c'est que le receveur qui encaisse tout cet argent, le gouvernement, ne fait pas ce que vous souhaiteriez et fait autre chose, n'est-ce pas?

Mme Kuyek: C'est une façon de voir les choses et vous représentez le gouvernement.

Le sénateur Tkachuk: Non, pas du tout, je suis bien le dernier à représenter le gouvernement.

Mme Kuyek: D'innombrables coûts environnementaux et sociaux sont répercutés sur d'autres ministères. On donne de l'eau gratuitement à ces compagnies minières. Il y a des subventions au développement des infrastructures qui ne figurent pas dans le rapport que nous avons rédigé. Il y a toutes sortes de coûts que nous n'avons même pas pu inclure. Ce sont des coûts qui sont assumés par les familles, par les collectivités, et dont on ne tient pas compte.

Il est certain que notre étude a été spécifiquement ciblée sur les redevances des entreprises minières, qui sont spécifiquement liées à l'exploitation minière, et sur les coûts et problèmes liés aux mines. Nous n'avons pas cherché à faire une analyse des effets de la fiscalité des sociétés et des taux marginaux d'imposition sur l'exploitation minière, car M. Mintz a fait une excellente analyse de cette situation qui a servi de base au rapport du 3 mars présenté au ministère des Finances. Le secteur minier, soit dit en passant, bénéficie d'un des plus faibles taux d'imposition des sociétés effectifs au Canada.

Pour ce qui est de ce que cela coûte au gouvernement sous d'autres rubriques, nous vous suggérons, avant de décider de leur octroyer encore 260 millions de dollars par an, de vous demander si les avantages que vont vous procurer les redevances à court terme justifie l'investissement dans de nouvelles mines ou s'il ne vaudrait pas mieux consacrer cet argent au recyclage des métaux que nous avons déjà.

Le président: Merci beaucoup d'être venue et de nous avons fait part de vos lumières.

Nous passons maintenant à l'étude du projet de loi C-48.

Le sénateur Kelleher: Monsieur le président, j'ai un problème. Je m'explique. J'ai lu la correspondance provenant du ministre des Finances et la copie de la lettre aux Premières nations. Le ministre a écrit qu'il comprend que les Premières nations ont un problème mais qu'il va néanmoins faire adopter ce projet de loi tel quel. En fait, il a supprimé tout le pouvoir de négociation dont disposaient les Premières nations. Ce pouvoir a disparu.

Je ne me prononce pas sur la validité de l'objection des Premières nations. Ce qui me préoccupe, c'est que ni la correspondance, ni les témoins ne me permettent de savoir si le gouvernement avait ou non le devoir de consulter les Premières nations. Il se contente de dire en une phrase qu'il n'a pas cette obligation légale. Parfois, ces opinions juridiques qu'on nous lance à la face m'énervent un peu.

A-t-on ou non respecté l'obligation juridique qu'on avait envers les Premières nations en leur permettant de comparaître au comité de la Chambre des communes?

Le président: Je comprends votre préoccupation et je me suis renseigné à la suite des événements assez surprenants qui se sont produits à la dernière réunion, surprenants dans la mesure où nous n'avions aucune raison de nous attendre à ce que la question soit soulevée puisque, comme vous le dites, elle ne l'avait pas été lors des précédentes audiences ou dans le cadre du ministère. Nous avons consulté le ministre et le ministère et on nous a donné deux assurances.

Premièrement, ces questions n'ont pas été soulevées au moment pertinent en dépit des consultations et du fait qu'on savait que le projet de loi C-48 allait de l'avant; et deuxièmement, sur la question juridique de savoir ou non, car la question a été précisément posée par l'un de nos témoins, s'il y avait non pas seulement un devoir moral, mais une obligation légale, le ministre nous donne dans sa lettre l'assurance qu'il a examiné la question et obtenu une opinion juridique lui disant que le devoir de consulter découle d'une loi, d'une entente ou d'un droit issu de traité. Or, le projet de loi proposé n'implique aucune de ces obligations. C'est la réponse la plus claire et la plus précise que puisse nous donner un ministre de la Couronne en réponse à une question directe.

Le sénateur Kelleher: Ils disent qu'ils ont obtenu une opinion juridique leur disant que le devoir de consulter découle de la loi. Parle-t-on de ce projet de loi en particulier?

Le président: Si je comprends bien, ce qu'on dit dans cette lettre, c'est que s'il y a un devoir de consulter, il doit être formulé dans le texte de la loi ou il doit y avoir une entente précise en ce sens, ou encore il doit s'agir d'un droit issu de traité, mais aucune de ces conditions n'est présente dans la situation actuelle.

Le sénateur Kelleher: J'essaie simplement de savoir si c'est le cas en vertu d'un droit autochtone issu de traité?

Le président: Cette lettre répond à la question concernant l'obligation juridique de procéder à des consultations. Le ministre nous dit dans une lettre qu'il a signée que d'après l'opinion juridique qu'il a obtenue, aucun des critères rendant obligatoire la consultation n'est présent dans ce cas. Je ne peux pas aller au-delà de cette affirmation claire. J'ai exigé d'obtenir cette précision avant d'aller plus loin avec ce projet de loi et j'estime que cette lettre répond correctement aux questions posées par le comité.

Le sénateur Angus: Nous parlons de la lettre du ministre?

Le sénateur Kelleher: Oui.

Le président: Je comprends votre question. Nous l'avions prévu et c'est pourquoi nous avons obtenu cette lettre.

Le sénateur Tkachuk: Le sénateur Kelleher et moi-même en avons discuté et nous appuyons le projet de loi proposé. Ce n'est pas tous les jours qu'on a une réduction d'impôt et c'est important pour ma région du pays comme pour tout le Canada. Il faudrait mentionner ce petit souci que nous avons quand nous ferons notre rapport. Tout le comité se sentirait plus à l'aise si nous savions qu'on aurait peut-être pu faire les choses un peu mieux.

Ce qui me dérange, c'est que cela fait à peu près deux ans que la question se pose. Ce n'est pas que l'Assemblée des Premières nations n'a pas les ressources et n'était pas au courant. Je n'accepte pas cet argument parce que ces gens-là connaissent très bien la situation. C'est quelque chose qui représente beaucoup d'argent pour eux. Ce n'est pas la faute du gouvernement. Cela me dérange de le dire, mais je pense que dans ce cas précis, je ne suis à l'aise ni d'un côté ni de l'autre. Peut-être pourrions-nous mentionner cela quand nous ferons rapport au Sénat.

Le président: En temps normal, je serais bien disposé et coopératif. Le problème, c'est que j'en ai discuté avec le ministre et les représentants du ministère qui m'ont dit qu'on ne le leur avait pas signalé et que s'il y avait eu un problème, nous en aurions été saisis en premier lieu.

Dans ces conditions, et comme il n'y a eu aucune objection, il existait un droit juridique fondamental quelles que soient les circonstances, et la question a été tranchée. Je pense que nous n'avons pas grand-chose à ajouter.

Le sénateur Tkachuk: Au moins, cela figure au compte rendu.

Le sénateur Angus: Je vous prie d'excuser mon retard. Il y a une chose qui m'a dérangé. L'autre jour, le chef Buffalo nous a dit qu'il y avait un procès en cours sur la question. Je me demande si nous pouvons adopter un projet de loi sur quelque chose qui est actuellement devant les tribunaux.

Je croyais avoir compris, à tort ou à raison, qu'après avoir levé la séance nous allions obtenir un avis juridique, et pas simplement une lettre dans laquelle le ministre nous parle de l'avis juridique qu'il a reçu, pour savoir si nous pouvions légiférer alors qu'un procès est en cours. Le président et moi avons eu un petit aparté sur cette question et reconnu tous les deux que c'était un problème.

L'autre question concerne la lettre du ministre. Il n'explique pas pourquoi on n'a pas répondu à la lettre du 16 juin. Les témoins nous ont présenté une lettre qu'ils disent avoir envoyée et à laquelle ils n'ont pas reçu de réponse. Il est fallacieux de prétendre qu'on n'était pas au courant avant septembre ou octobre.

Je suis cependant d'accord avec mes collègues pour appuyer le projet de loi C-48. Sous réserve de précisions sur quelques points, quel serait le problème à annexer une note à notre rapport? Cela ne retarderait pas le projet de loi. Nous nous contenterions de mentionner les soucis que nous avons eus. Nous l'avons déjà fait bien des fois dans le passé sans que cela entrave le progrès du projet de loi.

Le président: Je comprends.

[Français]

Le sénateur Prud'homme: J'ai assisté à cette réunion et ai écouté attentivement son déroulement. Je trouve extraordinaire qu'un bureau aussi bien organisé que le bureau du ministre des Finances écrive à M. Fox, le 3 novembre en disant ce qui suit.

[Traduction]

Le 3 novembre, on a écrit une lettre à M. Fox pour le remercier de sa lettre du 17 juin 2003. Si M. Fox n'avait pas comparu au comité, il n'aurait probablement jamais reçu de réponse, à moins que je me trompe.

Je trouve très insolite qu'un important groupe comme celui qui a comparu devant nous puisse écrire au ministre des Finances le 17 juin et que tout d'un coup, après avoir comparu devant un comité du Sénat, il reçoive une réponse presque six mois plus tard.

Je me souviens de l'époque rigoureuse de M. Trudeau où un ministre avait intérêt à répondre beaucoup plus vite que cela sans quoi il ne faisait pas de vieux os comme ministre.

Le président: La lettre ne pouvait pas avoir été écrite avant le 3 novembre puisqu'il s'agissait d'une réponse à la demande du comité qui demandait que la question soit réglée. C'est ce qui explique la date.

Le sénateur Angus: Il y a dans le dossier une lettre que le ministère a écrite à M. Fox. Après l'audience, il a répondu à cette lettre datée du mois de juin.

Le sénateur Prud'homme: C'est de cela que je parle. Je veux bien qu'on me corrige si je me trompe mais je n'ai aucune hésitation à parler clairement. J'ai la lettre sous les yeux, à moins que ce ne soit pas le bon document, ce qui est possible.

Cette lettre est datée du 3 novembre et dit: «Dear Mr. Fox: Thank you for your letter dated June 17, 2003.»

Le président: Je comprends, je regardais autre chose.

Je vais essayer de répondre à chacune de ces questions.

Le sénateur Angus parle de la question de savoir si nous discutons d'une affaire qui est actuellement devant les tribunaux. On me dit que l'affaire en question ne concerne pas les questions de fiscalité évoquées dans le projet de loi C-48. elle peut avoir un rapport général avec ce sujet, mais elle ne le concerne pas directement.

S'il y a des questions précises, on me signale que nous avons ici le conseiller juridique du ministère des Finances pour y répondre.

Je n'ai pas à poser ces questions puisque nous pouvons inviter le conseiller juridique à se joindre à nous. Sénateur Angus, vous pourriez poursuivre cette discussion.

Le sénateur Angus: Ce serait utile.

Le président: C'était là les deux questions et je vais demander à Mme Lévesque de répondre.

Mme Anne-Marie Lévesque, conseillère juridique, ministère des Finances: Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Le sénateur Angus: Merci d'être ici. La question est assez simple et nous voulons être prudents après avoir entendu le témoignage de la semaine dernière. Je ne sais pas si vous étiez là, mais je sais qu'il y avait d'autres représentants du ministère.

L'un des représentants des Premières nations, le chef Buffalo du Manitoba je crois, a signalé qu'il y avait un procès en cours qui pouvait concerne leur argumentation contre le projet de loi C-48. Cela nous a amenés à nous dire qu'il était peut-être prématuré d'adopter ce projet de loi s'il y avait ce procès.

Êtes-vous au courant?

Mme Lévesque: Oui. Je n'étais pas là lors de votre séance de la semaine dernière, mais on m'a communiqué une partie du compte rendu. J'ai pu examiner l'affaire Victor Buffalo, qui est je crois le procès mentionné par le témoin.

J'ai pu parler à l'avocat principal de la Couronne dans cette affaire. Je lui ai présenté les dispositions du projet de loi C-48 et demandé s'il y avait un rapport direct entre le projet de loi et les questions soulevées dans l'affaire Victor Buffalo. Il m'a confirmé que non.

Le procès Victor Buffalo est un grand procès. Il porte sur des questions de ressources naturelles mais pas sur la question de la fiscalité de ces ressources. Je vous affirme donc sans hésiter que l'adoption du projet de loi C-48 n'aura aucune répercussion sur ce procès Victor Buffalo. Les questions soulevées dans ce procès ne sont pas les mêmes que celles du projet de loi.

Le sénateur Angus: En quoi consistent ces questions d'après vous? Il me semble que si l'on réduit les impôts, on réduit les redevances et les montants dont disposent les Premières nations. Il me semble que c'est quelque chose qui aura un impact négatif sur leur mode de vie.

Il s'agit là d'une affirmation très générale et je suis un peu sceptique. Pouvez-vous me rassurer?

Mme Lévesque: Je ne veux pas faire de commentaires sur ce qui vous a été dit.

Le sénateur Angus: Vous n'avez lu qu'une partie du compte rendu.

Mme Lévesque: D'après ce que je sais, il n'y a pas de rapport avec le projet de loi C-48 et ses répercussions éventuelles sur les taux de redevances, dont je ne suis pas certaine. Pour autant que je sache, ce sont de pures hypothèses. Il n'y a pas de rapport entre ce procès et le projet de loi.

Le sénateur Moore: Cette argumentation donne l'impression que le projet de loi C-48 vise les terres appartenant uniquement aux Autochtones. Or, n'est-il pas exact que le projet de loi vise toutes les terres qui n'appartiennent pas à la Couronne?

Mme Lévesque: Si.

Le sénateur Kelleher: Les Autochtones nous ont dit dans leur intervention que le projet de loi C-48 en était à sa deuxième lecture lorsqu'ils en ont entendu parler. Ils ont demandé à comparaître au comité qui avait étudié le projet de loi après la deuxième lecture mais on ne les a pas autorisés à le faire.

Dans quelle mesure le gouvernement a-t-il l'obligation juridique de consulter les Autochtones sur certains types d'affaires? Ils disent que nous n'avons pas respecté notre devoir juridique de les consulter. Est-ce exact?

Mme Lévesque: Je peux vous parler de l'obligation juridique générale que le Canada a de consulter les Premières nations. La position du gouvernement du Canada est que cette obligation juridique existe dans trois cas différents.

Cette obligation existe lorsqu'un texte de loi précis stipule que le gouvernement du Canada doit procéder à des consultations avant d'adopter la loi en question lorsqu'il veut l'appliquer.

Cette obligation juridique existe aussi si le Canada a décidé avec les Premières nations de procéder à des consultations avant de faire quelque chose.

Le sénateur Kelleher: Est-ce le cas ici?

Mme Lévesque: Je ne crois pas qu'il y ait eu d'ententes de ce genre. En tout cas, je n'en ai trouvé aucune trace.

L'autre cas où il y a une obligation juridique de consulter, c'est quand le gouvernement envisage de faire quelque chose qui touche aux droits des Autochtones ou aux droits issus de traités reconnus en vertu de l'article 35 de la Constitution.

Les mesures proposées ici ne touchent pas un droit autochtone ou un droit issu de traité existant. Par conséquent, il n'y a pas d'obligation juridique de consulter puisque cela n'est pas exigé par la loi. Il n'y a pas d'entente en ce sens et il n'existe pas de droit constitutionnel en ce sens.

Mme Louise Levonian, directrice, Division de l'impôt des entreprises, ministère des Finances: Je crois savoir que le Comité des finances a entendu les témoins parce que la demande a été présentée après la réunion.

Le sénateur Prud'homme: Il y avait une dame qui s'est levée trois fois. Une fois, elle a remercié quelqu'un d'avoir posé une question. M. Buffalo était assis derrière elle et faisait signe que non.

Je partage l'appréhension du sénateur Kelleher. Les Autochtones ont l'impression d'être affectés par ce projet de loi. D'après les lettres figurant dans ce dossier, il semble que ce ne soit pas le cas. J'aime les conseillers juridiques et je m'en remets généralement à leur sagesse.

Le sénateur Tkachuk: Nous savons que leur principale plainte est que leurs redevances seront déduites sur leurs terres alors que ce n'était pas le cas auparavant. Ils avaient donc un avantage fiscal sur les municipalités environnantes et les autres terres. C'est là le problème.

Avec ce projet de loi, on égalisera les règles du jeu. Toutes les taxes et redevances sont désormais déductibles. Cela me semble équitable.

Leur problème, c'est qu'ils se servaient des recettes provenant de cet avantage pour financer leurs propres réserves. C'est un problème entre eux et le gouvernement fédéral.

Ce n'est pas une question de fiscalité. C'est un problème entre eux et le fédéral.

Le président: Honorables sénateurs, il faut conclure.

Je considère que nous avons devant nous tous les faits sur lesquels nous pouvons fonder nos impressions, mais les lettres ont été déposées. Le compte rendu du comité montre clairement ce qui a été dit et les réponses qui ont été données. On nous a clairement montré qu'il n'y avait pas eu de dérapage juridique. Il n'a pas été question de lacunes ou d'erreurs dans le projet de loi.

Êtes-vous d'accord pour passer à l'étude article par article?

Le titre est-il reporté?

Des voix: D'accord.

Le président: Les articles 1 à 18 sont-ils adoptés?

Des voix: D'accord.

Le président: Le titre est-il adopté?

Des voix: D'accord.

Le président: Le projet de loi est-il adopté?

Des voix: D'accord.

Le président: Dois-je faire rapport du projet de loi proposé?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Prud'homme: Je dis «avec dissidence.»

Quand allez-vous faire rapport au Sénat — demain peut-être?

Le président: Oui, ou ce soir.

Honorables sénateurs, nous passons maintenant à l'examen du projet de loi C-249, Loi modifiant la Loi sur la concurrence.

Nous allons faire une pause de trois minutes.

Reprise de la séance.

Honorables sénateurs, pouvons-nous reprendre? Vous connaissez tous la situation: à 18 heures, nous allons devoir libérer cette salle, et nous devons travailler en fonction de cette contrainte. Nous avons une heure; si ce n'est pas suffisant, nous continuerons dans le couloir.

Essayons d'avancer le plus rapidement possible tout en procédant à un examen complet et équitable du projet de loi. Je souhaite la bienvenue aux témoins du Bureau de la concurrence à Industrie Canada.

Allez-y.

[Français]

M. Gaston Jorré, commissaire intérimaire de la concurrence, Bureau de la concurrence, Industrie Canada: Honorables sénateurs, j'aimerais vous remercier de cette occasion de participer à vos discussions sur le projet de loi C-249, une loi modifiant la Loi sur la concurrence.

[Traduction]

J'ai un relativement bref exposé d'introduction à vous faire, après quoi nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions.

Le projet de loi proposé est important et nous donne l'occasion de régler un sérieux problème. Sinon, il risquerait de s'écouler beaucoup de temps avant que ce soit le cas. Durant cette période, les dispositions législatives actuelles pourraient permettre la réalisation de vastes transactions anticompétitives qui nuiraient aussi bien aux consommateurs ordinaires qu'aux consommateurs commerciaux.

La Loi sur la concurrence circonscrit les règles du jeu du monde des affaires au Canada. La concurrence incite les entreprises canadiennes à devenir plus efficaces, plus concurrentielles sur les marchés internationaux et à offrir aux consommatrices et aux consommateurs de meilleurs prix et un meilleur choix de produits.

Le Bureau de la concurrence, grâce à sa mise en application de la loi et à ses efforts de politique, travaille afin d'assurer que tous les Canadiens et Canadiennes profitent des avantages d'une économie concurrentielle.

[Français]

Le projet de loi C-249 tient compte de ces objectifs. Il reconnaît que les gains en efficience sont pertinents à l'examen de l'impact d'une fusion sur la concurrence, mais il s'assure aussi que les consommateurs ne sont pas oubliés dans l'analyse.

Avant de discuter du projet de loi, je voudrais décrire brièvement le contexte dans lequel l'examen des fusions a lieu au Canada.

[Traduction]

En général, les fusions dont on nous informe et que nous examinons ne posent pas de problèmes de concurrence à nos yeux. Le Bureau porte cependant une attention particulière au petit nombre de fusions qui pourraient réduire ou empêcher sensiblement la concurrence dans certains marchés. Lorsque nous examinons des fusions, nous considérons divers éléments distincts, notamment le degré de concentration dans le secteur industriel pertinent et les parts de marché des parties à la fusion. Nous examinons aussi divers autres facteurs.

[Français]

Pour donner quelques exemples: si la concurrence provenant de l'étranger pourrait apporter une concurrence réelle dans les marchés pertinents; si une des parties à la fusion est en déconfiture; la mesure dans laquelle des produits pouvant servir de substituts acceptables sont disponibles; la présence et les effets d'entraves à l'accès; la mesure dans laquelle il y a encore de la concurrence réelle dans les marchés pertinents, si la transaction a lieu; si la fusion entraîne la disparition d'un concurrent dynamique et efficace; et le rôle des innovations dans les marchés pertinents.

[Traduction]

Une fois ces facteurs examinés, et la liste n'est pas fermée, il s'agit de tous les facteurs pertinents, le Bureau décide s'il s'opposera à la fusion ou s'il la laissera aller de l'avant. Dans la plupart des cas où une transaction soulève des préoccupations quant à son impact sur la concurrence, nous pouvons régler le problème en travaillant avec les parties. Les parties à la fusion proposent alors souvent une transaction modifiée qui apaise nos craintes.

Si les parties décident d'aller de l'avant malgré nos objections, nous contestons la transaction auprès du Tribunal de la concurrence. C'est alors au Tribunal de la concurrence de déterminer s'il y a un problème ou non. Il nous appartient de lui démontrer qu'il y a une réduction de la concurrence.

Chacune des parties présente au Tribunal ses arguments sur l'impact anticipé de la transaction sur la concurrence. Si le Tribunal conclut qu'une fusion a de fortes chances d'affaiblir substantiellement ou d'empêcher la concurrence, une des parties à la fusion peut néanmoins soulever l'argument de la «défense des gains en efficience» prévu à l'article 96 de la Loi pour essayer de justifier à nouveau la fusion.

Afin de démontrer avec succès cette défense, les parties doivent persuader le Tribunal que la fusion, quoique sensiblement anticoncurrentielle, génère néanmoins des gains en efficience qui surpassent et neutralisent les effets anticoncurrentiels de la fusion.

[Français]

Entre avril 1999 et mars 2003, le Bureau de la concurrence a examiné quelques 1 700 transactions proposées. Dans la plupart des cas où nous avions des réserves, nous avons pu régler les dossiers sans recourir au processus judiciaire. Seulement quelques transactions ont mené à des procédures contestées sur l'ensemble d'un dossier.

[Traduction]

L'une de ces affaires, qui a fait l'objet d'un procès complet, a été l'affaire Canada (Commissaire de la concurrence) c. Superior Propane Inc. Nous avons contesté cette fusion proposée parce qu'elle risquait de résulter en une réduction ou un empêchement sensible de la concurrence dans plusieurs marchés à travers le pays. Dans 16 de ces marchés locaux, l'impact sur la concurrence était tel que la fusion aurait créé des monopoles ou des quasi-monopoles. On a aussi constaté que la fusion allait conférer à la nouvelle entité une part de marché national de l'ordre de 70 p. 100 qui, d'après nous, lui aurait donné la capacité de soutenir des augmentations de prix significatives.

C'est ce que nous avons soutenu, et le Tribunal en a convenu. Néanmoins, après avoir examiné l'argument de la «défense des gains en efficience,» le Tribunal a jugé qu'il était fondé et a autorisé la fusion en vertu de cette défense.

Cela signifie donc que l'article 96 de la loi a été interprété de façon à permettre la création d'un monopole ou d'un quasi-monopole. Nous estimons que ce résultat est inacceptable. Il signifie qu'une fusion anticoncurrentielle peut survivre si elle génère suffisamment de gains en efficience, même si elle cause un préjudice sensible aux consommateurs, aussi bien les particuliers que les clients commerciaux.

Il semble paradoxal que la Loi sur la concurrence puisse permettre l'élimination de la concurrence et l'introduction de prix plus élevés ou d'un choix moindre de produits. Il nous semble pervers que l'application de la Loi sur la concurrence puisse sanctionner la création d'un monopole dans certains cas.

[Français]

Bien sûr, les gains en efficience constituent un élément important d'une économie performante. Un marché concurrentiel est idéal pour réaliser les gains en efficience. En effet, un marché concurrentiel atteint les gains en efficience dynamiques et durables tel l'innovation. Nous devons encourager une économie concurrentielle qui accroît les occasions d'une participation canadienne sur les marchés mondiaux.

[Traduction]

Nous appuyons le projet de loi C-249 parce qu'il fera en sorte que les gains en efficience recevront l'attention qu'ils méritent lors de l'examen des fusions; les consommateurs retireront des avantages des fusions qui augmenteront l'efficience; le traitement des gains en efficience au Canada se rapprochera de celui de nos principaux partenaires commerciaux; et les gains en efficience seront interprétés à la lumière de l'objectif général de la Loi sur la concurrence.

Le projet de loi C-249 ne supprime pas l'examen des gains en efficience lors de l'étude des fusions, mais au lieu d'opposer les gains en efficience aux effets anticoncurrentiels, il va ajouter les gains en efficience aux nombreux facteurs que le Tribunal de la concurrence peut soupeser lorsqu'il examine l'impact d'une fusion sur la concurrence. Comme le projet de loi proposé exigera que les gains en efficience procurent des avantages aux consommateurs, il confirmera que l'impact d'une fusion sur les consommateurs canadiens est important, indépendamment de ce que les gestionnaires ou les actionnaires des parties à la fusion peuvent retirer de la transaction.

L'approche proposée dans le projet de loi reconnaît la contribution positive des gains en efficience. On reconnaît avec ce projet de loi qu'une meilleure utilisation des ressources peut abaisser les coûts et conséquemment influencer les prix à la baisse, ce qui peut nous rendre plus compétitif sur les marchés internationaux, et qu'une introduction ou une amélioration plus diligente de produits et services novateurs ou améliorés peut offrir aux consommateurs un choix plus vaste.

Ces apports positifs, procurant des avantages aux consommateurs, peuvent mitiger les problèmes de concurrence. Nous reconnaissons tous qu'il est important pour les entreprises et les consommateurs canadiens que la Loi sur la concurrence soit reconnue à l'échelle mondiale; toutefois, notre traitement des gains en efficience diffère de l'approche suivie dans d'autres grands pays.

[Français]

Aux Etats-Unis, les gains en efficience ne sont pris en considération que lorsqu'ils permettent que les consommateurs ne paient pas de prix plus élevés. Au Royaume-Uni, une nouvelle loi, entrée en vigueur cet été, ne permet à l'Office of Fair Trading de prendre en considération les gains en efficience que dans les cas où les fusions apportent aux consommateurs des prix plus bas, une plus grande innovation ou un plus vaste choix de produits. Ces deux pays, ainsi que plusieurs pays membres de l'OCDE, considèrent les gains en efficience dans leur évaluation de l'impact d'une fusion sur la concurrence, ce qui serait aussi le cas avec le projet de loi C-249.

L'Union européenne, d'après des propositions préliminaires, se dirige dans la même direction.

Honorables sénateurs, nous devons admettre que la concurrence est essentielle pour une économie de marché efficace et juste. La concurrence incite les entreprises canadiennes à réduire leurs coûts, baisser leurs prix et améliorer leurs services. Elle stimule aussi l'innovation et l'amélioration de nouveaux produits. Ainsi, le projet de loi C-249 est tout à fait cohérent avec les objectifs de la Loi sur la concurrence.

[Traduction]

À notre avis, le statu quo en matière de traitement des gains en efficience dans l'examen des fusions est inacceptable. Nous estimons que le projet de loi C-249 permettra que la Loi sur la concurrence puisse donner de façon adéquate aux Canadiens et Canadiennes des dispositions sur l'examen des fusions plus conformes à celles de nos principaux partenaires commerciaux et protégera les consommateurs contre des augmentations de prix anticoncurrentielles ainsi que contre la perte de choix et de qualité qu'engendrent les monopoles. Les étapes franchies jusqu'à présent par ce projet de loi illustrent l'appui qu'il a pu rallier au Parlement et reflètent la réalisation largement partagée que la loi, telle qu'elle existe aujourd'hui, ne confère pas aux consommatrices et aux consommateurs l'importance qu'ils méritent dans l'examen des fusions.

Nous serons heureux maintenant de répondre à vos questions.

Le président: Merci.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette: Existe-t-il plusieurs autres causes où le bureau a mené un dossier devant le tribunal et où le tribunal a rendu une décision inacceptable? Existe-t-il d'autres causes que celle dont il est question dans le domaine du gaz?

M. Jorré: Il y a eu d'autres causes. Toutefois, la cause de Superior Propane est la seule qui fut décidée sur les déficiences. Néanmoins, très peu de causes se sont rendues devant les tribunaux, avec argumentation complète et décision, depuis que la révision des fusions existe.

Le sénateur Hervieux-Payette: Si je comprends bien, votre interprétation des conditions empêchaient une fusion de créer un monopole.

Ma deuxième question est la suivante. Où est le monopole? Dans les cas mentionnés, Superior Propane et ICG Propane sont dans le secteur énergétique. Le pétrole, le gaz naturel et l'électricité ne sont-ils pas concurrents de ces compagnies? Lorsqu'on interprète la concurrence, on devrait prendre en considération le secteur dont il s'agit. On ne devrait pas regarder la compagnie qui vend le produit, mais à quoi sert le produit.

M. Jorré: La définition du marché pertinent est une des questions-clés aux causes. Superior Propane avait pris la position que le marché pertinent se trouvait dans le secteur de l'énergie. Nous avons dit qu'il existe des consommateurs qui n'ont, pour certaines fins, pas de choix effectif dans cinq catégories différentes. Il existe, par exemple, des gens qui vivent en régions éloignées et qui, à toutes fins pratiques, n'ont pas d'autre choix. Le tribunal a donc dû décider si, effectivement, le propane constituait un marché séparé. Il a conclu, après une très longue preuve, que pour plusieurs catégories de consommateurs il n'existe pas d'autre choix. Par conséquent, il s'agit d'un monopole. Le tribunal a donc rejeté l'argument de Superior Propane à l'effet qu'il s'agissait d'énergie.

Le sénateur Hervieux-Payette: À titre d'exemple, vous dites qu'il existait certaines régions pour lesquelles il n'y avait pas possibilité d'utiliser d'autres formes d'énergie que le propane. Le pétrole est une matière qui se transporte. On peut également produire de l'électricité. Autre que pour le chauffage, je ne vois pas le problème. Quels sont alors les usages pour lesquels il n'existerait pas de concurrence?

M. Jorré: Certaines personnes vivant en régions éloignées, sur le plan pratique, n'ont pas de choix sans encourir des coûts énormes. D'autres groupes de gens se trouvent dans une situation semblable. Je demanderais à M. Robert Lancop de vous citer quelques exemples.

M. Robert Lancop, sous-commissaire intérimaire de la concurrence, Bureau de la concurrence, Industrie Canada: Les fermiers de l'Ouest, par exemple, doivent sécher leur grain à l'aide du gaz propane, et c'est la seule façon de procéder. Ils ne disposent pas de tuyaux pour le gaz naturel. Il n'est pas possible d'utiliser l'huile à cause des émanations. L'électricité ne peut être employée à cette fin. Par conséquent, le seul produit pouvant être utilisé est le propane. Et dans les cas où on peut utiliser l'électricité, d'importants coûts se rattachent à la conversion du propane à l'électricité.

La preuve a démontré devant les tribunaux qu'on n'avait pas le choix de faire le changement.

Le sénateur Hervieux-Payette: Que va-t-il arriver à Superior Propane si on change la loi? Allez-vous revenir et demander que ces gens se séparent?

Mr. Jorré: Cette cause est réglée depuis déjà un bon moment.

Le sénateur Hervieux-Payette: Je vous remercie. Je vois qu'il s'agit d'une loi pour un cas très spécifique que le bureau n'a pas remporté. Par conséquent, on change la loi.

[Traduction]

Le sénateur Angus: Vous dites que l'article 96 a été interprété de manière à permettre la création de monopoles. Pourriez-vous nous expliquer qui l'a interprété en ce sens? Il n'y a pas eu d'autres procès ou décisions des tribunaux.

M. Jorré: Je ne dis pas qu'il y a eu d'autres décisions ultérieures. Ce procès s'est terminé assez récemment. Je parle de l'effet de cette décision.

Le sénateur Angus: Vous écrivez noir sur blanc et vous dites à notre comité qu'on l'a interprété de cette manière depuis cette décision. Je vous demande qui l'a interprété de cette manière. Vous voulez parler du Bureau?

M. Jorré: C'est ce qui résulte de cette décision.

Le président: Vous voulez dire que c'est ce qui se produit à la suite de cette décision?

M. Jorré: Oui, c'est ce qui résulte de la décision.

Le sénateur Angus: Je vous demande qui fait ces interprétations.

M. Jorré: C'est le Tribunal, sous la direction de la Cour d'appel. Ayant constaté que le critère était respecté, il a conclu que, même s'il y avait 16 marchés qui constituaient des monopoles ou des quasi-monopoles, c'était très bien.

Le sénateur Angus: Nous savons bien ce que dit cette décision. Mon collègue vous demande s'il y a eu d'autres affaires après l'arrêt Superior Propane, parce que vous dites que depuis cette affaire et à la suite de cette affaire, on interprète la Loi de manière à créer des monopoles.

Nous vous demandons des exemples, mais vous n'avez pas l'air de pouvoir nous en donner.

M. Lancop: C'est une question qui a été abondamment débattue et de nombreux articles bien informés ont été rédigés à ce sujet depuis l'affaire Superior Propane. Je peux vous en citer un.

Le sénateur Angus: Qui a fait ces interprétations?

M. Lancop: Permettez-moi de vous citer l'article rédigé par Frank Mathewson et Ralph Winter, deux économistes antitrust de renommée. Je vais vous citer des passages de la fin de l'article.

La décision dans l'affaire Superior Propane autorise explicitement les fusions qui entraînent un affaiblissement important de la concurrence à condition que ces fusions génèrent des gains d'efficacité suffisants pour répondre au critère de l'excédent global — et, comme le Tribunal le reconnaît, des gains d'efficacité relativement mineurs peuvent être suffisants pour compenser un affaiblissement considérable de la concurrence. Avant l'arrêt Superior Propane, les avocats qui s'occupent de questions de concurrence auraient à juste titre conseillé à leurs clients de ne pas entreprendre des fusions entraînant un affaiblissement évident et important de la concurrence. Depuis cette décision, ces conseils sont trop conservateurs dans le cas de fusions entraînant d'importants gains en efficience.

C'est là l'un des nombreux articles qui ont été rédigés sur la question. Je crois que la conclusion d'ensemble est celle que nous avons citée ici.

M. Jorré: La dernière décision a été la deuxième décision de la Cour fédérale d'appel. Il y a eu un jugement partiellement dissident dont l'auteur disait que, compte tenu des 16 monopoles en question, il n'était pas d'accord avec la majorité et persistait à penser que le Tribunal n'aurait pas dû autoriser la transaction. À l'inverse, les deux juges majoritaires ont appuyé la décision du Tribunal qui estimait que la loi permettait la création d'un monopole si l'on pouvait justifier la fusion en faisant la preuve de gains en efficience.

Le sénateur Angus: Nous avons pour politique officielle d'avoir des lois qui garantissent une saine concurrence, dans la mesure où c'est possible d'un point de vue pratique et pragmatique.

La question de la politique publique en matière de banques revient fréquemment devant notre comité. On voit tous les jours dans une revue ou dans un journal quelconque des articles sur les fusions bancaires qui posent la question de savoir s'il est politiquement judicieux de les autoriser ou non au Canada.

Si le projet de loi C-249 est adopté, est-ce que les banques auront plus de difficulté à fusionner? On leur a déjà opposé de nombreux obstacles. Nous savons que le gouvernement a mis en place un processus qui constitue, pour autant que nous le sachions, la politique actuelle et qui prévoit l'approbation du bureau de la concurrence. C'est un des éléments clés. En fait, il existe un rapport de notre comité qui dit que, dans un monde parfait selon ce Garp, il vaudrait mieux qu'il n'y ait aucune intervention politique. Si le BSIF et votre Bureau estimaient que des fusions sont avantageuses, ils devraient leur donner le feu vert. Est-ce que ce projet de loi permettra à votre Bureau d'imposer plus de restrictions ou d'opposer plus de difficultés à une fusion de banques?

M. Jorré: Permettez-moi tout d'abord de préciser qu'avec le projet de loi C-249, on examinerait les banques au même titre que n'importe quelle autre industrie.

Le processus est cependant différent de celui qui est suivi pour les autres industries en raison de la façon dont la loi est conçue. Nous présentons une recommandation au ministre des Finances et c'est lui qui prend la décision finale.

Je ne peux pas spéculer sur ce qui se passera à l'avenir et ce qui sera pertinent dans l'analyse des transactions futures. Ce que je peux vous dire à propos des transactions passées, c'est que les gains en efficience n'étaient pas vraiment un facteur important.

Le sénateur Angus: L'expression clé, c'est «gains en efficience.»

M. Lancop: La seule chose que j'ajouterai, c'est qu'avec le projet de loi C-249, ces «gains en efficience» seront examinés beaucoup plus tôt dans le processus et constitueront l'un des facteurs à prendre en compte pour déterminer s'il y a un affaiblissement important de la concurrence. C'est quelque chose qui n'était pas explicitement précisé avant ce projet de loi. C'est un facteur dont on pouvait tenir compte, mais on ne l'examinait qu'à titre défensif à une étape ultérieure. Maintenant, on en fait explicitement un des premiers éléments à examiner pour déterminer s'il y a ou non une réduction sensible de la concurrence. On examine ce facteur beaucoup plus tôt dans le processus.

Le sénateur Angus: Pouvez-vous nous garantir que ce projet de loi ne cible pas une industrie particulière?

M. Jorré: Nous estimons qu'il n'est pas bon de permettre la création d'un monopole, quelle que soit l'industrie concernée. Nous pensons qu'il est souhaitable de modifier la loi pour empêcher cela. À notre avis, c'est valable pour l'ensemble de l'économie.

Le sénateur Angus: Parfois, quand on a un projet de loi, c'est pour une raison bien précise. On se retrouve avec un petit projet de loi qui n'a l'air de rien.

Y a-t-il eu des consultations importantes auprès des parties concernées?

Les avocats spécialistes de la concurrence sont des éminences du monde juridique. De nos jours, dans les transactions d'affaires, la concurrence est un aspect très important à prendre en considération.

À mon avis, la politique publique doit contribuer à favoriser les affaires. Nous voulons qu'il y ait une juste concurrence. Au Canada, c'est de cela qu'il s'agit. Nous ne voulons pas donner à notre insu notre accord à un projet de loi qui restreindra les affaires.

J'ai entendu dire qu'il y avait des tas d'exemples de cas où le monopole est la seule solution possible, et que sinon il n'y aurait pas d'industrie ou d'entreprise. Vous comprenez ce que je veux dire. Je veux m'assurer que nous n'allons pas nous retrouver avec une petite loi draconienne.

Mon collègue a souligné qu'il s'agissait d'une loi qui a un unique but.

Vous avez perdu en Cour fédérale d'appel et nous allons donc fermer cette porte. Je suis désolé et je compatis. Nous faisons des remarques qui peuvent vous paraître un peu frivoles, mais ce n'est pas le cas. Nous agissons en bonne foi et nous voulons simplement nous assurer que tout se passe correctement.

M. Peter Sagar, sous-commissaire de la Concurrence, Bureau de la concurrence, Industrie Canada: Nous n'avons pas l'impression que vos commentaires soient frivoles; ce sont des questions fondamentales qu'il faut examiner.

Cela fait une éternité, c'est-à-dire depuis aussi longtemps que je m'en souvienne, qu'on discute du rôle pertinent que doivent jouer les gains en efficience dans le cadre de la Loi sur la concurrence et de la politique sur la concurrence.

Le projet de loi C-249 a été abondamment débattu. Nous avons étudié les principales normes internationales pour voir ce que font les pays qui sont nos concurrents dans ce domaine et comment ils traitent la question des gains en efficience.

Le Canada est le seul des grands pays internationaux à invoquer l'argument de la défense des gains en efficience. Dans la quasi-totalité des autres pays, on prend en considération d'une manière ou d'une autre ces gains en efficience à condition, comme on le dit dans ce projet de loi, qu'il y ait un avantage quelconque pour les consommateurs. Le prix à payer n'est pas énorme.

Permettez-moi de vous expliquer comment cela fonctionne. La première étape de notre analyse consiste à déterminer si une fusion risque sérieusement d'étouffer le marché.

Nous nous demandons si on va concentrer le pouvoir économique avec la fusion.

Du point de vue économique, c'est quelque chose qui est traditionnellement considéré comme mauvais.

Nous tenons compte des gains en efficience susceptibles de compenser cet effet négatif sur le fonctionnement d'ensemble de l'économie.

Nous nous alignons maintenant sur la démarche suivie par les États-Unis, le Royaume-Uni, la Communauté européenne et l'Australie dans ces situations. En gros, nous permettons au Canada d'entrer dans le XXIe siècle en matière de vision de la concurrence et pour cette raison, ce projet de loi est une bonne chose.

Il n'a pas de retombées visant une industrie particulière. Nous n'évaluons pas les fusions en fonction des secteurs industriels. Comme le commissaire l'a dit tout à l'heure, nous examinons des marchés particuliers et les répercussions des fusions sur ces marchés.

Le sénateur Massicotte: Je vais vous donner un résumé de la façon dont je comprends ce projet de loi et votre démarche. Si je vous comprends bien, quand vous examinez une proposition de fusion ou d'acquisition, vous essayez de voir si cela risque d'entraîner un affaiblissement inacceptable de la concurrence. Vous vous opposerez à la fusion ou à l'acquisition si les parties prenantes n'acceptent pas de faire des modifications permettant d'éviter cette conclusion négative.

Il y a dans le texte un paragraphe qui dit que malgré cela, les parties à la fusion peuvent soutenir que malgré cette conclusion négative, vous devez donner votre accord à la fusion. Le projet de loi C-249 éliminerait cet argument de la défense des gains en efficience. Les situations qui déboucheraient sur des gains considérables pour les consommateurs seraient l'exception à la règle de l'ensemble de ce projet de loi.

C'est bien cela?

M. Jorré: En gros, oui. On pourra toujours tenir compte des gains en efficience s'ils sont avantageux pour le consommateur. Mais si l'on a constaté que les prix allaient augmenter, les parties ne pourront plus soutenir que malgré cette augmentation, la fusion est acceptable compte tenu des gains en efficience.

Le sénateur Massicotte: Pourquoi avoir cette exception si les autres paramètres sont aussi vastes?

Les modifications au projet de loi C-249 sont limitées pour ce qui concerne les consommateurs. Nous imaginons que c'est des particuliers qu'on parle quand on utilise ce terme, mais cela peut être aussi les entreprises.

M. Lancop: C'est beaucoup plus vaste que cela.

Le sénateur Massicotte: L'économie, c'est plus que le consommateur. C'est quelque chose qui crée des emplois. Il y a de nombreux avantages. J'ai peur que ce texte soit trop restrictif. Je comprends bien que les autres pays aient ce genre de disposition, mais cela me laisse froid si ce n'est pas la bonne réponse.

On utilise parfois des exemples ridicules pour soutenir un argument. Vous avez une fusion. Elle ne va pas nécessairement provoquer une hausse du prix payé par le consommateur. Le prix pourrait même diminuer. Si une entreprise a deux emplois et que l'autre va en créer 1 000, ce n'est pas si mauvais que cela pour l'économie.

M. Lancop: Il faut bien comprendre que nous ne contestons que les fusions les plus néfastes. Nous contestons celles qui ont des répercussions négatives très importantes sur la concurrence. Il s'agit de moins de 1 p. 100 de toutes les fusions qui se présentent.

Si nous pouvons démontrer qu'une fusion va effectivement avoir des répercussions très négatives sur la concurrence, nous savons que ces répercussions vont être ressenties par les consommateurs mais qu'elles seront ressenties également par d'autres entreprises comme dans le cas de Superior Propane où d'autres entreprises ont été pénalisées par la fusion, se sont trouvées obligées de payer un prix de demande plus élevé et ont pu devenir moins rentables à la suite de ces changements. Ces fusions peuvent entraîner toute une série de répercussions. On peut très bien avoir une création de monopole, comme dans le cas de Superior Propane, où la fusion a débouché sur un monopole au niveau national et sur 16 marchés locaux. L'entreprise a acquis une position dominante sur le marché. C'est une fusion d'exception parmi de nombreuses fusions, une fusion qui a des retombées exceptionnelles.

Le Tribunal a conclu que même dans un cas comme celui-là, si on réalisait des économies en licenciant des employés ou au moyen d'autres variables, on pouvait s'en servir pour justifier la réalisation de cette fusion d'exception.

Ce que nous disons, c'est qu'à notre avis ce n'est pas une bonne politique officielle. Nous estimons que nous devons être en mesure de bloquer ces fusions d'exception. Actuellement, compte tenu de la décision rendue sur cette affaire particulière, nous ne pouvons pas le faire.

Le sénateur Massicotte: Je suis d'accord avec vous quand vous dites que les économies générées par la fusion d'entreprises ne doivent pas être le principal facteur pour justifier une exception à la règle.

Je suis un fervent partisan de la concurrence. L'exception fondée sur la baisse des prix à la consommation est trop précise et restrictive. Il faudrait envisager de façon plus vaste les retombées économiques. Peut-être la création d'emplois pourrait-elle être une des raisons de cette exception. Je ne dis pas que votre argument des gains en efficience n'est pas assez vaste, je dis simplement que ce que vous proposez n'est pas suffisamment vaste.

M. Sagar: Vous soulevez une question critique. Que se passerait-il dans le cas d'une fusion qui donnerait à l'entreprise une emprise sur le marché qui lui permettrait de faire augmenter les prix?

Comment cela permettrait-il de créer des emplois dans ce secteur?

L'entreprise n'exportera pas plus. Elle ne vendra probablement pas plus parce que les prix auront augmenté. Elle vendra au contraire moins, à moins de fonctionner dans un marché plutôt bizarre.

Cette fusion va donc entraîner une perte de compétitivité et pénaliser les consommateurs. Nous utilisons le terme «consommateur» au sens générique. Il s'agit de toute personne qui traite avec l'entreprise: les consommateurs, les petites entreprises et les fournisseurs. Les fournisseurs peuvent être victimes du monopole dont va jouir l'entreprise en tant qu'acheteur. Tout cela se répercute aussi sur le Canada.

L'entreprise va fusionner et augmenter les prix. Ce n'est pas comme cela qu'on devient plus compétitif sur l'échiquier international. On ne vend pas plus. On n'emploie pas plus d'employés. En fait, on en a moins, on exporte moins et on nuit au reste de l'économie. Tout le monde est perdant. La création d'un monopole qui entraîne une augmentation des prix est globalement néfaste pour l'économie.

Le sénateur Massicotte: D'après votre théorie économique, si la fusion n'est pas avantageuse pour le consommateur, elle n'est pas bonne pour l'économie. C'est ce que vous soutenez. Mais c'est une thèse que je ne retrouve guère dans les nombreux livres de théorie économique que j'ai lus.

Il peut arriver que des monopoles soient avantageux pour le pays et entraînent la création d'emplois. Vous dites que si ce n'est pas avantageux pour le consommateur, c'est forcément négatif.

M. Jorré: Non, M. Sagar est allé un peu plus loin en posant la question: Comment peut-on avoir une économie plus compétitive si l'on fait payer plus cher aux consommateurs?

Le sénateur Massicotte: En gros, je suis d'accord avec vous, mais il y a des exceptions à la règle, sans vouloir enfoncer des portes ouvertes.

M. Jorré: Il y a des secteurs qui sont réglementés, mais c'est autre chose que le secteur du libre marché.

Le sénateur Massicotte: Pouvez-vous nous décrire ce que vous avez fait pour en arriver à ce stade du projet de loi?

Avez-vous consulté les parties intéressées?

M. Jorré: C'est un projet de loi d'initiative privée qui n'a donc pas suivi la procédure normale.

M. Sagar: Le projet de loi C-249 est un projet de loi d'initiative privée présenté par le député Dan McTeague. Il a été débattu à la Chambre et en comité. Il a fait l'objet de discussions interminables dans la société. Vous pourrez constater que les représentants du Barreau disent dans leur proposition qu'ils sont d'accord en principe pour tenir compte des gains en efficience de cette manière. Ils ont quelques petites objections que nous pouvons aplanir ultérieurement. Quoi qu'il en soit, les grands principes ont fait l'objet d'abondants débats et recherches. J'ai rarement vu débattre une question aussi âprement et de manière aussi approfondie tout au long de ma vie d'économiste au gouvernement.

Le sénateur Tkachuk: Je suis d'accord avec le but du projet de loi proposé ou plus exactement de l'amendement. Je ne suis pas pour les monopoles.

Imaginons que deux entreprises vous convainquent qu'en fusionnant, elles généreront des gains en efficience qui profiteront aux consommateurs.

Comment vont-elles réussir à vous en convaincre et comment allez-vous assurer le suivi après coup?

M. Jorré: Dans l'état actuel de la Loi, on ne peut revoir une fusion au maximum que durant les trois années qui la suivent. Si elle n'a pas été contestée auparavant, on peut en théorie la contester dans ce délai de trois ans, bien qu'en pratique il soit bien difficile de déterminer ce qui se passe à ce moment-là.

Ce qui se passe quand on conteste une fusion, c'est que le tribunal est appelé à essayer de déterminer du mieux possible, en fonction des témoignages dont il dispose, ce qui va arriver, et c'est là quelque chose d'extrêmement difficile.

Au bout de ces trois ans, vous pouvez vous poser des questions sur les autres dispositions, mais il est clair que les dispositions de révision de la fusion ne s'appliquent plus.

M. Lancop: J'ai participé au processus législatif en 1986 et je connais donc un peu l'historique de cette procédure.

Ce que nous espérions dans nos discussions, c'est que ces dispositions s'appliqueraient à des situations où l'on ne créerait pas de monopoles, car nous estimons que les monopoles ne sont pas bons pour la concurrence ni avantageux pour la société.

En fait, ce que nous envisagions, c'était que plusieurs concurrents se regroupent de manière à créer des entreprises plus efficaces qui pourraient apporter plus d'avantages à la société et accroître la compétitivité de l'économie. C'était notre raisonnement.

Il se trouve que nous avons malheureusement permis la création de monopoles qui vont à notre avis à l'encontre des objectifs de cette loi.

Avec le nouveau régime, on pourra évaluer les fusions dans le contexte d'une évaluation de la concurrence. Si la fusion débouche sur la création d'un monopole, elle aura très peu de chances de réussir ou de se réaliser.

On encouragera plutôt la création d'entreprises plus efficientes et plus compétitives à l'échelle mondiale, avec des retombées avantageuses pour la société.

C'est pour cela que nous avons jugé appropriée l'expression «dont profiteront les consommateurs.» Cela ouvre la porte à des situations où le consommateur, le simple citoyen pourra profiter de la fusion comme les entreprises en aval et l'ensemble de la société. Ce genre de fusion sera accepté. Mais la fusion qui débouchera sur un monopole ou sur un affaiblissement de la concurrence au point que ces avantages ne pourront plus se faire sentir ou auront de fortes chances de disparaître, cette fusion-là sera bloquée.

Le sénateur Moore: À propos de l'affaire Superior Propane, vous dites que la fusion a résulté en un monopole sur 16 marchés locaux et une prise de contrôle de 70 p. 100 du marché national.

Examinez-vous les fusions seulement lorsqu'elles ont des répercussions à l'échelle nationale ou les examinez-vous aussi au niveau provincial?

M. Jorré: On examine les données géographiques du marché du produit. L'une des premières étapes de l'analyse d'un fusionnement consiste à définir les données géographiques du marché pour savoir jusqu'où les parties vont aller.

Par exemple, dans le secteur de l'épicerie, on parle de distances beaucoup plus courtes que lorsqu'il s'agit du marché pour de nouvelles automobiles. On prend cela en considération dans la détermination du marché pertinent pour le produit en question.

Le sénateur Moore: Vous commencez à vous intéresser à une fusion seulement si vous pensez que le marché résultant va être en progression de 50 p. 100?

À partir de quel niveau décidez-vous de vous intéresser à un fusionnement?

M. Jorré: La plupart des fusions d'une certaine envergure doivent être déclarées parce que c'est la loi. Nous examinons toutes les transactions à déclaration obligatoire. Nous en examinons aussi pour lesquelles la déclaration n'est pas obligatoire.

Le sénateur Moore: Y a-t-il un chiffre ou un pourcentage?

M. Jorré: Les fusions doivent être déclarées si la valeur de la transaction en question ou le montant des ventes annuelles atteint ou dépasse 50 millions de dollars et si le montant des ventes ou la valeur des parties concernées représente 400 millions de dollars.

Le sénateur Moore: Quelle était la deuxième partie?

M. Jorré: La première partie, c'est l'ampleur de la transaction et la deuxième, la taille des parties à la fusion.

Le sénateur Moore: Si le montant est inférieur à 50 millions de dollars, vous ne l'examinez pas.

M. Jorré: Pour que la proposition de fusionnement doive être déclarée, il faut que les deux conditions concernant la taille de la transaction et la taille des parties soient respectées. Nous pouvons aussi examiner des fusionnements qui ne doivent pas obligatoirement être déclarés, et nous le faisons quelquefois.

Le sénateur Moore: Les 400 millions de dollars, c'est la valeur nette de la partie concernée?

M. Jorré: Il y a plusieurs façons de le déterminer. Cela peut être les ventes. À ce propos, il s'agit des ventes à destination du Canada ou à partir du Canada. Ce ne sont pas les ventes à l'échelle mondiale.

Le sénateur Moore: Merci.

[Français]

Le sénateur Biron: La Loi sur la concurrence existe, dans un premier temps, pour faire en sorte que les consommateurs ne subiront pas d'augmentation de prix, et pour éviter qu'il y ait une perte de choix ou de qualité engendrés généralement par les monopoles. Voilà les critères principaux que vous considérez habituellement.

Votre objectif est de faire en sorte que l'efficience soit considérée. Dans le cas des banques, l'efficience pourrait certainement constituer une raison pour les banques de se fusionner dans un cas où il existe un quasi-monopole de la part des plus grandes banques.

Mr. Jorré: Selon la façon dont le projet de loi C-249 est rédigé, ce serait là une des considérations. Cependant, les termes du projet de loi devront faire référence à des efficiences bénéfiques pour les consommateurs.

Le sénateur Prud'homme: Vous trouverez toujours en moi un allié fidèle. À partir d'un certain âge, on connaît trop la vie pour ne pas savoir qu'il est nécessaire que nous ayons un bureau de la concurrence qui sait comprendre et voir les choses clairement.

Pourquoi est-ce qu'actuellement, monsieur Jorré, vous occupez le poste de commissaire intérimaire et que M. Lancop est sous-commissaire intérimaire? Je vois aujourd'hui une personne qui s'objecte à augmenter les pouvoirs que détiennent les députés. On recommande à Paul Martin de procéder lentement en donnant plus de pouvoirs aux députés. Il existe une nouvelle commissaire à la concurrence, Mme Scott.

[Traduction]

Je ne connais pas le nouveau commissaire du Bureau de la concurrence, Mme Scott. Quelle est sa place dans tout cela?

[Français]

M. Jorré: Le commissaire Konrad von Finckenstein a été nommé juge à la Cour fédérale le 14 août. Auparavant, j'ai été sous-commissaire principal à la concurrence, poste que M. Lancop occupe maintenant par intérim. En l'absence d'un nouveau commissaire, j'agis par intérim. On a pu voir une certaine spéculation dans les journaux de ce matin, mais pour l'instant je suis le commissaire par intérim.

Le sénateur Prud'homme: Lorsqu'on dit «federal competition commissioner», cela ne signifie pas «président», mais commissaire.

M. Jorré: En effet, il n'y a qu'un commissaire. Lorsque le gouvernement aura nommé un nouveau commissaire, je ne serai plus commissaire par intérim.

Le sénateur Prud'homme: De toute façon, je compte voter en faveur du projet de loi. Si vous nous dites qu'il s'agit d'un projet de loi qui aidera à renforcer votre institution, il est évident que je suis partisan.

M. Jorré: Nous croyons que le projet de loi C-249 sera bénéfique pour la concurrence.

[Traduction]

Le sénateur Moore: J'aimerais avoir des précisions sur ce chiffre de ventes annuel de 50 millions de dollars. La valeur nette des deux entreprises est de 400 millions de dollars et les ventes annuelles sont de 50 millions de dollars.

M. Jorré: Ce sont deux mesures et on peut se servir soit de la valeur de la transaction, soit du montant des ventes. On utilise l'une ou l'autre. Les ventes envisagées dans la transaction sont des ventes à destination du Canada ou à partir du Canada. C'est l'activité économique.

Le sénateur Moore: Vous venez de dire qu'on ne tenait pas compte des ventes à l'échelle mondiale.

M. Jorré: C'est exact.

Le sénateur Moore: Comment expliquez-vous cela quand il s'agit de ventes effectuées du Canada vers l'étranger?

M. Jorré: Par exemple, aux États-Unis, quand on mesure le seuil, on prend l'ensemble des ventes à l'échelle mondiale, même si ce sont des ventes du Brésil à l'Australie. Les Américains prennent en considération la taille mondiale de l'organisation même si les ventes n'ont rien à voir avec les États-Unis.

Nous ne procédons pas de cette façon. Nous tenons compte des ventes qui ont un lieu avec le Canada; c'est ce qui est stipulé dans le règlement.

Le sénateur Moore: Autrement dit, si une entreprise canadienne a des filiales au Brésil qui font affaire avec l'Australie, on ne tient pas compte de ces ventes, mais s'il s'agit de ventes effectuées du Brésil vers le Canada, on en tient compte.

M. Jorré: Oui.

Le président: Expliquez-moi comment:

le Tribunal peut évaluer, outre les facteurs dont il peut tenir compte, les éléments facultatifs plutôt qu'obligatoires...

M. Jorré: Vous regardez la loi?

Dans le paragraphe d'introduction de l'article 93, on peut lire:

le tribunal peut tenir compte des facteurs suivants.

On parle de choses facultatives. Ce n'est pas limité car il n'y a pas de limite à ce que le Tribunal peut examiner. S'il estime qu'il y a d'autres facteurs pertinents pour déterminer s'il y a une réduction substantielle de la concurrence, il peut les examiner aussi. Cela se fait de la même façon que pour les autres facteurs.

M. Lancop: Dans certains cas, il y a des facteurs qui ne sont pas pertinents, par exemple une entreprise en déconfiture. Ce facteur peut être dépourvu de pertinence. Si les deux compagnies peuvent prospérer, il peut être pertinent.

Le président: Cela donne une idée de la discrétion incroyable dont dispose le Tribunal dans tout cela. Il va de soi implicitement qu'il peut aussi choisir de ne pas tenir compte de ces éléments.

M. Jorré: La Cour d'appel, si elle ne considère pas un fait comme totalement dénué de pertinence parce que des preuves le démontrent clairement, dira que quand on applique l'article 93, on ne peut pas laisser de côté un élément pertinent précisément à cause de cette expression «il peut tenir compte» à condition que la preuve soit correctement établie.

Le sénateur Massicotte: L'article 96 de la Loi sur la concurrence prévoit une exception à la règle de concurrence. Si le Tribunal constate que la fusion va entraîner des gains en efficience, il fait une exception et surimpose ce constat à toutes les autres considérations.

Toutefois, l'amendement proposé à l'égard des articles 93 et 96 place le Tribunal dans une situation analogue à la vôtre en ce sens qu'il doit tenir compte de toutes les autres considérations de l'article 93. Il procède à un examen beaucoup plus vaste et j'imagine qu'il devient beaucoup plus difficile pour quelqu'un de s'inscrire en faux en invoquant l'article 36. On élargit le champ d'examen du Tribunal par rapport à ce qu'il était auparavant.

M. Jorré: Je ne pense pas qu'on élargisse les choses. Comparativement à l'analyse effectuée dans l'affaire Superior Propane, ce sera un peu plus direct. Dans l'affaire Superior Propane, il fallait tenir compte de nombreux facteurs dans le contexte de l'article 96.

M. Sagar: On tiendra compte des gains en efficience...

Le sénateur Massicotte: Je comprends.

M. Sagar: On tiendra compte des gains en efficience au bon moment dans le processus, en tant que facteurs à considérer plutôt que comme arguments de défense.

Si vous me permettez de revenir à la question précédente, on ne veut pas nécessairement imposer cette prise en considération. Si les deux parties ne considèrent pas que les gains en efficience sont un facteur, on ne veut pas les obliger à faire cette analyse parce que c'est quelque chose d'excessivement coûteux, même si cela n'arrive pas très souvent.

Le sénateur Massicotte: J'ai regardé de près le paragraphe proposé où l'on dit:

le Tribunal peut évaluer, outre les facteurs dont il peut tenir compte aux termes de l'article 93, si le fusionnement réalisé ou proposé a eu pour effet...

Dans l'ancien paragraphe, il n'y avait pas cette mention de l'article 93. Il y avait une exception pour les gains en efficience. Vous ajoutez les autres aspects de l'article 93 aux éléments que le Tribunal prend en considération.

M. Jorré: Le Tribunal examine déjà tous les facteurs figurant à l'article 93.

Le sénateur Massicotte: Vous faites de l'article 96 l'exception à la règle. Dans l'article 96, on dit actuellement qu'indépendamment de l'article 93, en cas de gains en efficience, on doit autoriser la fusion. Vous modifiez cela en disant que cela ne doit pas être le cas. Vous dites au Tribunal de se reporter à l'ensemble des critères de l'article 93.

C'est bien cela?

M. Jorré: C'est bien cela, mais le Tribunal tiendra quand même compte des gains en efficience. On n'ajoute rien puisqu'il fallait de toute façon examiner au départ tous ces facteurs de l'article 93 pour déterminer s'il y avait un affaiblissement substantiel de la concurrence.

Le président: Merci; nous allons lever la séance pour ce soir et reprendre demain.

La séance est levée.


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