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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 3 - Témoignages du 7 novembre 2002


OTTAWA, le jeudi 7 novembre 2002

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, auquel est renvoyé le projet de loi C-5, Loi concernant la protection des espèces sauvages en péril au Canada, se réunit aujourd'hui à 8 h 35 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Tommy Banks (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Cette séance du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles porte aujourd'hui sur le projet de loi C-5, communément appelé la Loi sur les espèces en péril.

Nous avons avec nous aujourd'hui Isobel Finnerty, sénateur libéral de l'Ontario; Ione Christensen, sénateur libéral du Yukon; Charlie Watt, sénateur libéral du Québec; Colin Kenny, sénateur libéral de l'Ontario; mon prédécesseur et président émérite, Nick Taylor, sénateur libéral de l'Alberta; Lorna Milne, sénateur libéral de l'Ontario, et Trevor Eyton, sénateur conservateur de l'Ontario.

Nos témoins de ce matin représentent le Groupe de travail de la Loi sur les espèces en péril, le SARWG en anglais, un acronyme impossible à prononcer. Il me plaît toujours de voir un acronyme impossible à prononcer, parce que nous sommes contraints d'en dire le titre au complet.

Nous recevons aujourd'hui Sandy Baumgartner, gestionnaire des Programmes et des communications de la Fédération canadienne de la faune; Andrew de Vries, conseiller en biodiversité de l'Association des produits forestiers du Canada; Pierre Gratton, vice-président des Affaires publiques et des communications de l'Association minière du Canada et Elizabeth May, directrice générale du Sierra Club du Canada.

Mme Sandy Baumgartner, gestionnaire des Programmes et des communications, Fédération canadienne de la faune, Groupe de travail de la Loi sur les espèces en péril: Je vous remercie beaucoup d'accueillir notre groupe ce matin. Nous utilisons en fait «SARWIG» comme acronyme. Comme Pierre me l'a fait remarquer, cela sonne comme «earwig» en anglais, ce qui signifie perce-oreille.

Avant de commencer, j'aimerais souligner la présence d'une autre de nos collègues ici ce matin, Laura Telford, qui représente la Fédération canadienne de la nature. Comme vous pouvez le constater, notre groupe se compose d'un éventail très intéressant et très diversifié de personnes.

Je ne sais pas si vous vous attendiez à entendre une seule voix collective pour les groupes de l'industrie et de l'environnement sur une question environnementale, mais c'est notre cas. Nous nous sommes rassemblés en avril 1998 pour remédier à nos frustrations devant les tentatives répétées d'adoption d'un projet de loi sur les espèces en péril au Parlement. Les groupes défendant les intérêts de l'industrie et de l'environnement étaient très divisés à cette époque. Elizabeth nous a invités à nous réunir en nous disant qu'il devait y avoir une meilleure façon de faire et de travailler ensemble pour en arriver à un consensus.

Nous avons donc commencé lentement en nous disant que nous verrions comment les choses allaient évoluer. Les gens ont peut-être changé, mais les organismes sont restés les mêmes. La nature cordiale de nos travaux et notre capacité d'en arriver à des consensus ont été vraiment remarquables. Au départ, nous ne pensions travailler ensemble que quelques mois. Quatre ans se sont écoulés depuis et nous ne sommes plus certains que nous allons nous diviser. Nos rapports sont très sains. Le dialogue que nous avons établi au cours des diverses étapes de notre travail a vraiment été très intéressant.

L'un des documents que vous avez reçus ce matin est notre première réalisation. Ce document vise à vous donner le ton quant à ce que nous faisions au début. Nous avons préparé un document de réflexion qui a été présenté à l'automne 1998 aux ministres fédéral et provinciaux de la Faune. Il n'a pas seulement été conçu par cinq ou six personnes dans une salle: nous sommes allés voir à l'extérieur et avons tenu nos propres consultations. Nous avons rencontré divers groupes. Nous avons rencontré d'autres groupes de l'industrie, des groupes communautaires, des groupes agricoles. Nous avons tenté de rassembler les opinions de tous en la matière. Nous avons également rencontré des fonctionnaires. Nous avons vraiment essayé d'établir un consensus allant au-delà des personnes représentées dans notre groupe. Nous avons ensuite soumis ce mémoire aux ministres. Ensuite, nous avons comparu à deux reprises devant le Comité parlementaire du développement durable et de l'environnement dans le cadre de l'étude de divers projets de loi à la Chambre à ce moment.

L'autre document que nous vous avons distribué ce matin est un résumé de nos principales recommandations. Mes collègues vont les passer en revue de façon plus détaillée.

M. Pierre Gratton, vice-président des Affaires publiques et des communications, Association minière du Canada, Groupe de travail de la Loi sur les espèces en péril: Comme Mme Baumgartner l'a mentionné, nous travaillons ensemble depuis quatre ans à décrire et à défendre ce que nous considérons comme les principaux outils nécessaires pour protéger les espèces en péril de la façon la plus efficace qui soit. Nos conseils s'articulent toujours autour de trois grands thèmes. D'abord, nous croyons que les lois, les politiques et les programmes visant à protéger les espèces en péril devraient tenir compte des espèces, mais aussi des gens. Deuxièmement, ces efforts devraient tendre à favoriser la confiance et la coopération entre les gouvernements et les divers intervenants. Troisièmement, les solutions avancées doivent être pragmatiques et sensées pour les gens qui travaillent sur le terrain.

Nous croyons que notre collaboration a aidé à réduire la polarisation entourant l'éventualité d'une loi visant à protéger les espèces en péril. Notre travail a certainement accru nos collaborations. Au cours des quelques dernières années, bon nombre de nos idées ont été adoptées, et nous nous réjouissons des progrès qui ont été réalisés.

Nous pensons depuis longtemps que pour protéger efficacement les espèces, il faut plus que des mesures législatives. Il est essentiel que les politiques et les programmes s'accompagnent de ressources suffisantes et qu'ils aident les Canadiens à atteindre les buts de la loi. Nous félicitons donc le gouvernement d'avoir reconnu la nécessité de favoriser l'intendance volontaire par l'octroi de ressources, dans son budget 2000, à l'élaboration d'un mécanisme novateur pour protéger et rétablir les espèces en péril au Canada et empêcher que d'autres espèces deviennent des espèces en péril. Nous croyons fermement que d'autres ressources seront nécessaires pour continuer.

Nous appuyons vivement l'esprit de collaboration qui se dégage de la Loi sur les espèces en péril. La loi met l'accent sur l'intendance et sur la conclusion d'accords de conservation. Cette orientation est constructive, pragmatique et portera fruit. Cet esprit de collaboration se reflète dans la façon dont le projet de loi favorise la participation d'acteurs locaux aux stratégies de rétablissement et prévoit une indemnisation. L'un des points qui nous a ralliés dès le début, c'est notre opposition aux dispositions des anciens projets de loi du gouvernement visant les citoyens, mais heureusement, cette philosophie antagoniste ne se retrouve pas dans ce projet de loi.

Depuis que la LEP a été présentée, bon nombre de nos recommandations ont été adoptées. Nous craignions beaucoup que le processus d'inscription proposé par le gouvernement ne soit pas suffisamment indépendant et transparent. Certains amendements récents constituent une amélioration importante qui concrétise certaines de nos recommandations. En effet, on a ajouté une option négative au projet de loi, pour ainsi dire, selon laquelle il incombe au gouvernement d'expliquer pourquoi certaines espèces ne figurent pas sur la liste.

Nous étions très inquiets des modifications qui devraient être apportées à la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale en conséquence de ce projet de loi, c'est pourquoi nous nous sommes joints au Comité consultatif de la réglementation afin de tenter de convaincre le gouvernement de corriger de graves erreurs de rédaction dans le projet de loi. Il l'a fait.

Nous avons demandé des garanties supplémentaires que l'habitat essentiel des espèces vivant sur le territoire domanial et sur les terres de compétence fédérale soit protégé. Il ne fait pas de doute que les modifications apportées à la Chambre à cet égard ont amélioré le projet de loi. C'est d'ailleurs l'une des principales raisons pour lesquelles nous croyons que la polarisation entourant la LEP a beaucoup diminué et que nous, le SARWG, pouvons appuyer collectivement le projet de loi.

Nous n'affirmons toutefois pas trouver le projet de loi parfait et croire qu'il ne peut plus être amélioré. Comme nous le soulignons dans notre mémoire, quelques améliorations importantes pourraient accroître l'efficacité du projet de loi. Il est clair que le gouvernement veut que ce projet de loi soit adopté dans sa forme actuelle, de sorte que nous puissions nous occuper de protéger les espèces en péril. Nous sommes absolument d'accord qu'après huit ans passés à étudier le projet de loi, il est temps de déployer des mesures concrètes sur le terrain. Ceci dit, le Sénat n'est pas le gouvernement. Ainsi, si dans sa grande sagesse, le Sénat décide d'améliorer davantage le projet de loi, nous voulons lui prodiguer les meilleurs conseils qui soient pour ce faire. Comme Mme May l'expliquera plus en détail, nous avons toujours quelques grandes appréhensions au sujet de la LEP.

La protection juridique la plus fondamentale dont on pourrait s'attendre d'une loi sur les espèces en péril, soit l'interdiction de tuer des espèces et de détruire leur habitat, n'est pas contenue dans la LEP. Non seulement croyons- nous que cette protection devrait s'appliquer à toutes les espèces inscrites, partout au Canada, mais nous estimons qu'elle renforcerait le fondement constitutionnel de la LEP, à propos duquel nous avons également quelques inquiétudes.

Nous estimons que la disposition de la loi prescrivant que la prise de précautions voulues peut être opposée en défense est inacceptable. Nous croyons qu'il serait préférable qu'il n'y ait infraction que lorsqu'il y a intention coupable, compte tenu de la nature du projet de loi. Bien que nous accueillions favorablement la modeste modification de la Chambre des communes à l'article 64, qui oblige le gouvernement à adopter des règlements sur l'indemnisation, nous craignons que la question de l'admissibilité, c'est-à-dire du droit de réclamer une indemnisation, ne soit pas réglée. Nous croyons qu'en principe, tous les utilisateurs des terres, dont les utilisateurs des terres publiques, devraient avoir le droit de réclamer une indemnisation, bien qu'en dernier recours. Peter Pearce, l'économiste en ressources naturelles qu'a embauché le ministre Anderson pour étudier la question, partage notre point de vue. Nous ne pouvons qu'espérer que le gouvernement va endosser ce point de vue lorsqu'il élaborera des règlements.

Pour terminer, le gouvernement garde une conception très étroite de sa compétence en ce qui a trait à la protection des oiseaux migrateurs. Tous les spécialistes juridiques des tribunaux ne partagent pas ce point de vue. Nous croyons qu'il serait bénéfique de clarifier ce point.

Notre mémoire expose d'autres éléments qui pourraient être améliorés dans le projet de loi. Je vous indique que nos recommandations forment un tout.

Je vais conclure en disant que l'adoption du projet de loi sur les espèces en péril constituera un jalon important pour notre pays. La loi répondra à beaucoup plus qu'aux idéaux des agents de protection de la nature, elle répondra également et directement aux intérêts commerciaux des secteurs des ressources au Canada. Il est clair que les secteurs minier et forestier du Canada, qui exportent la plupart de leurs produits vers les marchés étrangers, doivent se doter de méthodes d'intendance des ressources responsables si nous voulons préserver notre accès à ces marchés. Le projet de loi sur les espèces en péril est un outil fondamental répondant à nos revendications en faveur d'une intendance responsable du territoire, et plus la loi sera efficace, plus nos revendications seront respectées.

Mme Elizabeth May, directrice exécutive, Sierra Club du Canada, Groupe de travail de la Loi sur les espèces en péril: Monsieur le président, mes collègues m'ont demandé de vous exposer les détails de ce que vous pourriez faire pour améliorer le projet de loi, si vous le souhaitez.

Je voudrais d'abord faire quelques remerciements. Il y a exactement dix ans, je comparaissais pour la première fois devant un comité parlementaire pour souligner la nécessité d'adopter une loi sur les espèces en péril. Je voudrais commencer par dire que ce fut un privilège de travailler en collaboration avec mes collègues du mouvement de conservation et de l'industrie et que l'expérience a été très productive et positive. Au cas où ce serait notre dernière comparution commune à titre de Groupe de travail de la Loi sur les espèces en péril, bien que ce ne soit pas certain, j'aimerais remercier spécialement l'Association des produits forestiers du Canada et l'Association minière du Canada d'avoir tenu le coup et d'avoir travaillé avec nous malgré les pressions qui pesaient parfois sur elles avec pour qu'elles nous abandonnent et délaissent la cause de la protection des espèces au Canada. Je leur en suis reconnaissante.

Je ne pourrais dire non plus à quel point ce fut un privilège de faire la connaissance du sénateur Nick Taylor lors de ces réunions et combien il nous manquera. Je suis vraiment heureuse qu'il soit ici aujourd'hui pour ce qui sera peut-être le chant du cygne du Groupe de travail de la Loi sur les espèces en péril.

Le sénateur Taylor: Je retourne là où il y a une espèce vraiment en péril en Alberta. On l'appelle les «libéraux».

Mme May: Dieu merci, vous y retournez à temps.

C'est donc avec des sentiments mitigés que nous soulignons la nécessité d'améliorer ce projet de loi. Il reste qu'il y aurait moyen de le faire et que ces possibilités sont importantes.

Pierre en a mentionné quelques-unes.

Je vais passer rapidement en revue celles qui sont énumérées dans notre mémoire. Nous espérons vraiment que vous y jetterez un coup d'oeil. Je vais les mentionner dans l'ordre selon lequel elles apparaissent dans le mémoire.

Le processus d'inscription: Le Groupe de travail de la Loi sur les espèces en péril est heureux des amendements que le gouvernement a proposés le printemps dernier afin d'accroître l'importance des critères scientifiques dans la détermination des espèces en péril — ce que nous appelons «l'option négative d'inscription», qui prévoit que c'est le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada qui inscrit les espèces sur la liste et que celles-ci y demeurent tant que le cabinet n'en a pas décidé autrement et expliqué pourquoi il en était ainsi.

Il n'y a qu'un petit hic, cependant, c'est que l'annexe 1 du projet de loi va dresser la liste des espèces jugées en péril au moment de son entrée en vigueur.

Il y a actuellement 33 espèces très importantes qui sont en cours d'évaluation. Toutes ces espèces devraient être ajoutées à l'annexe 1. En raison d'une erreur administrative, il se pourrait que certaines espèces n'y soient pas inscrites. La baleine noire n'y a pas été inscrite en raison d'une erreur à la tenue des livres. Sa situation est maintenant réévaluée. Nous ne voulons pas que le caribou de Perry, le béluga, la baleine noire, la baleine boréale et diverses autres espèces risquent l'extinction parce qu'on a fait l'erreur de ne pas les inscrire sur la liste dès maintenant. Ces espèces peuvent et doivent être ajoutées à l'annexe 1.

Nous en arrivons maintenant à un problème très grave, qui touche bien d'autres aspects. Je vais donc en parler globalement. C'est le fait que le projet de loi n'interdit pas l'abattage direct et délibéré de toutes les espèces du Canada. Ce problème est aussi lié aux dispositions du projet de loi sur la disculpation et à sa portée.

Nous craignons — et avons obtenu l'avis d'avocats de droit constitutionnel à cet égard — que l'orientation prise par le gouvernement dans ce projet de loi n'affaiblisse inutilement sa constitutionnalité.

La force du projet de loi réside dans les articles 32 et 33 qui semblent, si on les lit de façon isolée, interdire complètement l'abattage d'espèces en péril et la destruction de leur résidence.

Toutefois, les articles qui suivent limitent leur application en laissant entendre que ces dispositions ne s'appliquent ailleurs que sur le territoire domanial «que si [...]», puis suivent une série de dispositions prévoyant un filet de sécurité. Nous sommes d'avis qu'il serait certainement beaucoup plus simple et plus conforme à l'application des pouvoirs en droit criminel de dire simplement, comme dans beaucoup d'autres lois fédérales, que ces activités ne sont permises nulle part au Canada. Il est interdit d'abattre les espèces en péril.

Tout cela est lié, encore une fois, à la question de la disculpation. Notre groupe soutient que l'abattage d'espèces en péril devrait constituer une infraction sans égard au territoire où ces espèces se trouvent, d'un bout à l'autre du pays. De plus, nous estimons que le projet de loi serait amélioré si l'abattage ne constituait une infraction que lorsqu'il y a intention coupable, c'est-à-dire qu'elle a été commise de façon délibérée. Cela éviterait aux propriétaires terriens de craindre des poursuites pour des actes qu'ils n'avaient pas l'intention de poser du tout. C'est un point de friction pour beaucoup de propriétaires terriens et d'utilisateurs des ressources du Canada. Les risques de poursuites pour des délits commis par mégarde seraient grandement réduits s'il n'y avait infraction que lorsqu'il y a intention coupable.

L'autre recommandation connexe porte sur la protection obligatoire de l'habitat essentiel situé sur le territoire domanial. Le projet de loi a été amélioré à cet égard grâce aux modifications apportées à la fin de la dernière session de la Chambre. Cependant, il y a une certaine confusion quant à l'interprétation de la définition d'habitat contenue dans la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs et des habitats qui sont protégés aux termes de cette définition.

Le point de vue des tribunaux diffère de celui du gouvernement fédéral à cet égard, et l'incertitude entourant cette question nuira aux sociétés qui exploitent les terres. Du point de vue des groupes de conservation, cette interprétation excessivement étroite n'est pas justifiée. Votre comité devrait faire la lumière sur ce point.

Nous nous soucions énormément du rétablissement. La mise en oeuvre des plans de rétablissement est cruciale pour le fonctionnement du projet de loi en entier.

Le fait que ce dernier ne précise pas d'échéancier pour la concrétisation des plans d'action en matière de rétablissement constitue une faiblesse. Le comité de la Chambre des communes a présenté des amendements qui auraient fait en sorte que les plans d'action soient concrétisés en l'espace d'un an, pour les espèces en voie de disparition, et de deux ans, pour les espèces menacées et en péril. À notre avis, si votre comité présentait un amendement pour que les plans d'action soient accompagnés d'échéanciers, cela renforcerait le projet de loi sans changer quoi que ce soit à sa structure globale.

Les articles 73, 74 et 83 du projet de loi prévoient des exemptions discrétionnaires unilatérales plutôt rapides dont peuvent se prévaloir divers ministres, sans consulter les ministres responsables en vertu du projet de loi.

Une latitude aussi grande contraste radicalement avec les consultations multiples exigées avant qu'il soit décidé de protéger une espèce, ou encore, avec les sanctions criminelles prévues dans la mesure à l'égard d'organisations et de simples citoyens. À notre avis, le gouvernement devrait être tenu de respecter plus scrupuleusement sa propre loi. J'inviterais donc le comité à se pencher de nouveau sur la latitude conférée par ces exemptions.

Notre mémoire renferme de nombreux autres arguments mais en guise de conclusion, je tiens à vous remercier de nous avoir permis de nous les présenter. Nous sommes accompagnés par des représentants de la Fédération canadienne de la nature. Nous avons travaillé de concert depuis quatre ans pour trouver des moyens de rendre le projet de loi plus efficace. Il est maintenant entre vos mains. Vous êtes le comité de la dernière chance pour les diverses espèces sauvages en péril au Canada, mais nonobstant ses lacunes actuelles, la protection juridique que la mesure assure à la faune au Canada représente un progrès. C'est maintenant à vous de jouer. Nous sommes maintenant prêts à répondre à vos questions.

Le président: Madame le sénateur Ethel Cochrane et le sénateur John Buchanan, qui représentent le Parti conservateur, viennent de se joindre à nous.

Sénateurs, avant de passer aux questions, je veux faire deux choses. Premièrement, vous rappeler que nous devons terminer cette partie de la séance avec la comparution du prochain témoin, d'ici 9 h 30. C'est là une contrainte malheureuse, mais nécessaire. Deuxièmement, je veux aussi poser une question générale susceptible d'intéresser tous les sénateurs. Habituellement, lorsque le Sénat propose des amendements à des projets de loi, une grande majorité de députés de la Chambre des communes les approuvent. Au cours de la dernière session de la dernière législature, le Sénat a proposé 79 amendements à des projets de loi, dont 77 ont été approuvés.

Cependant, dans le cas qui nous occupe, comme vous le savez, le projet de loi n'a pas été adopté sans heurts à la Chambre des communes, et de nombreuses personnes estiment qu'il serait risqué que le Sénat y propose des amendements et le renvoie à la Chambre. En effet, ils craignent que les domaines visés par les amendements fassent de nouveau l'objet de discussions aux Communes car il pourrait y avoir un retour du pendule. Qu'en pensez-vous?

Mme May: En tant que groupe, je peux vous dire que nous nous sommes demandés avec quel degré de conviction nous allions présenter au comité les changements que nous voudrions voir apporter dans un monde idéal. Étant donné que le Sénat est la Chambre du second examen objectif, je ne suis pas disposé à dire que nous devrions laisser tomber et taire ces préoccupations très réelles en raison du contexte politique. C'est aux membres de votre comité chargé d'examiner le projet de loi qu'il appartient de décider si le fait de proposer des changements risque de compromettre l'ensemble de la mesure ou si la Loi sur les espèces en péril nous réserve d'autres miracles politiques. Personne n'aurait cru il y a quelques mois seulement que nous verrions autant de progrès — et ce, grâce au dévouement d'un grand nombre de simples députés, particulièrement libéraux, qui ont travaillé d'arrache-pied, avec la collaboration et l'aide de confrères de tous les côtés de la Chambre. Peut-être que d'autres représentants de notre groupe voudront répondre à cette question.

Nous ne voulons pas que le projet de loi meure, ni que l'on revienne à la case départ. Par contre, il comporte des lacunes non négligeables.

Le sénateur Cochrane: Le président a posé une des questions que je voulais poser, et c'est la suivante: préférez-vous que le projet de loi soit adopté sous sa forme actuelle, ou que nous proposions des amendements, ce qui lui fait courir le risque de ne pas être adopté du tout? D'après la réponse de Mme May, vous souhaitez que le projet de loi soit adopté sous sa forme actuelle si cela signifie qu'autrement, certains éléments seraient à risque.

Mme May: C'est exact. Il ne fait aucun doute que le projet de loi comporte des lacunes. Vous pouvez discuter entre vous, de même qu'avec les représentants du gouvernement et du bureau du ministre, pour voir si certaines améliorations sont possibles. Dans l'intérêt des espèces sauvages, je m'en voudrais de ne pas exprimer les préoccupations qui sont les nôtres. Cela dit, ce n'est pas à nous de faire des conjectures quant à l'issue du processus législatif. Chose certaine, le chemin emprunté par ce projet de loi a été imprévisible jusqu'ici, et je ne prétends absolument pas savoir ce que l'avenir lui réserve. Nous sommes là pour présenter des suggestions en vue de l'améliorer.

M. Gratton: J'ajouterais que le projet de loi prévoit la tenue d'un examen d'ici cinq ans, de sorte que notre avis peut être certainement être considéré dans ce contexte. Nous estimons que la mesure est suffisamment valable à l'heure actuelle pour que nous nous réjouissions de son adoption, même s'il fallait attendre cinq ans pour cet examen. C'est une décision délicate. Vous êtes bien meilleurs juges politiques que nous pour ce qui est de savoir quelle est la meilleure façon de procéder à partir de maintenant.

Le sénateur Cochrane: Voilà qui est intéressant. Cependant, j'ai une question pour M. de Vries. Plus tôt cette semaine, nous avons entendu des fonctionnaires d'Environnement Canada qui nous ont dit que la plupart des intervenants qui avaient été consultés au moment de l'élaboration du projet de loi appuyaient une approche axée sur «l'intendance». L'un d'eux nous a dit que c'était le cas de nombreuses personnes consultées, y compris des représentants du secteur forestier. Ce secteur revêt beaucoup d'importance à mes yeux car ma province compte de nombreuses papeteries. J'aimerais connaître votre point de vue. Êtes-vous en faveur d'une approche axée sur l'intendance et, dans l'affirmative, pourquoi?

M. Andrew de Vries, conseiller en biodiversité, Association des produits forestiers du Canada, Groupe de travail de la Loi sur les espèces en péril: Oui, nous sommes en faveur de cette approche. C'est d'ailleurs avec cet objectif en tête que nous avons travaillé avec nos collègues depuis quatre ans et demi et, avant cela, dans un forum différent. Comme M. Gratton l'a mentionné, il est impératif que notre secteur puisse travailler sur des terres gérées de façon appropriée. Nous croyons que la Loi sur les espèces en péril nous permettra de le faire ainsi que de commercialiser notre produit, si vous voulez, comme il se doit.

Le sénateur Cochrane: Comment vous y prendrez-vous?

M. de Vries: Nos clients s'informent souvent des diverses pratiques en vigueur au Canada; entre autres, ils nous demandent si le Canada a une Loi sur les espèces en péril. Si nous pouvions répondre par l'affirmative à cette question et fournir des détails, ce serait un premier pas. Comme vous le savez, le secteur des produits forestiers est très présent dans le domaine de la conservation. Nous nous intéressons aux espèces en péril d'un bout à l'autre du Canada, qu'il s'agisse du guillemot marbré ou de la population de martres d'Amérique à Terre-Neuve. Nous participons à des projets d'inventaire, de recherche et de gestion concernant ces espèces, et j'estime que ce que nous faisons avec ce groupe est conforme à ce que nous avons fait dans le passé.

Le sénateur Cochrane: À votre avis, dans quelle mesure cette approche sera-t-elle efficace sur le plan commercial? En affaires, l'important, c'est le profit. À l'heure actuelle, je suppose que c'est tout ou rien, profits ou pertes. Quelle sera l'efficacité de cette approche?

M. de Vries: Je pense qu'elle sera efficace. À l'heure actuelle, c'est un paradigme du monde des affaires que d'inclure la conservation dans les plans d'entreprise. L'industrie forestière et les associations minières ont été très proactives dans ce domaine, et j'estime que la Loi sur les espèces sauvages en péril s'intègre bien dans cette dynamique.

Mme May: Je considère important que des associations représentant l'industrie comparaissent devant vous aujourd'hui pour appuyer le concept d'intendance. Nous convenons tous que la coopération est la meilleure façon de procéder, mais il arrive parfois qu'en plus de la carotte, on doive employer le bâton. Voilà pourquoi nous jugeons que le fait que le projet de loi ne protège pas des espèces de l'abattage direct partout au pays est une lacune criante. D'ailleurs, il faut remercier les associations du secteur d'avoir continué à affirmer, en toute logique, qu'ils accueilleraient bien ce changement également.

Le président: Je sais que c'est pratiquement impossible, collègues, mais pour permettre à tous les sénateurs présentement sur ma liste de prendre la parole, il faut limiter à moins de cinq minutes chacun nos questions et réponses.

Le sénateur Eyton: Vous l'ignorez peut-être, mais j'ai eu une association de longue date à la fois avec le secteur minier et l'industrie des produits forestiers. Je suis d'autant plus ravi de voir ce groupe de représentants oeuvrer de concert avec le Sierra Club et la Fédération canadienne de la faune. Le moins que l'on puisse dire, c'est que c'est encourageant. Je pense que cela représente une nouvelle façon de faire les choses.

Si je ne m'abuse, vous nous dites subtilement que vous souhaitez que le projet de loi soit adopté. Vous aimeriez que le comité l'approuve et le renvoie à la Chambre pour qu'il y soit adopté, tout en préconisant, peut-être, que l'annexe intègre les 32 ou 33 espèces en péril qui apparemment ont été oubliées. Je pense que cela peut se faire, mais essentiellement, vous ne souhaitez pas d'amendements de fond à ce stade-ci car vous voulez que le projet de loi soit adopté. Voilà comment j'interprète les choses, et cela me semble tout à fait raisonnable. Ce que nous pouvons faire — et c'est ce que des comités comme le nôtre ont déjà fait dans le passé—, c'est approuver le projet de loi pour qu'il soit adopté rapidement, avec le petit ajout que j'ai mentionné, tout en signifiant que d'autres changements pourraient être apportés à l'avenir. Autrement dit, faire adopter le projet de loi et se préparer à présenter des amendements pertinents qui permettront de l'améliorer au fil des ans. Il faudra peut-être attendre un an ou deux, mais dans l'intervalle, la mesure sera appliquée.

Je vais maintenant vous parler d'une pratique que m'a apprise, dans le milieu des affaires, un Canadien remarquable et fort brillant. Il avait l'habitude de me dire, juste avant de conclure un arrangement ou une entente: «Trev, examinez ce marché. Quelle est la meilleure chose que nous fassions par suite de cet arrangement, et quelle est la pire? Entendons- nous pour bonifier la meilleure et supprimer la pire.» J'ai constaté qu'en pratique, cette démarche se traduisait par une amélioration globale de 20 à 25 p. 100 car si l'on élimine le meilleur et le pire, on se retrouve tout à coup avec une médiane et une approche différentes. Ma question est la suivante: quelle est la meilleure chose que renferme le projet de loi et comment peut-on la bonifier; aussi, quelle est la pire et comment peut-on l'éliminer? Je voudrais que vous nous donniez une idée de vos priorités à cet égard.

Mme May: C'est une excellente question. Devrais-je tenter d'y répondre? Vous pouvez toujours m'arrêter si je fais fausse route.

M. Gratton: Bien sûr.

Mme May: Le meilleur côté du projet de loi, c'est son existence même, son rayonnement, le sentiment d'urgence accrue qu'il suscite dans divers secteurs qui, à l'heure actuelle, attendent une mesure comme celle-là pour s'attaquer aux problèmes. Ce n'est pas tant ce qu'il réalise au plan juridique qui importe le plus, mais plutôt ce qu'il provoque au plan culturel et sociétal. Son pire côté, c'est la faiblesse de sa formulation juridique. Honnêtement, je pense que le Canada sera ridiculisé sur la scène internationale s'il adopte un projet de loi sur les espèces en péril qui continue d'autoriser quiconque à prendre un fusil et à abattre un animal d'une espèce en péril pour autant que cela ne se passe pas sur une terre domaniale. À mon avis, c'est une lacune tellement criante que c'est celle que j'éliminerais. Évidemment, c'est toute une commande si vous ne voulez pas que les choses tournent mal ultérieurement à la Chambre des communes. J'en suis fort consciente, mais c'est là ma brève réponse.

Mme Baumgartner: Je suis tout à fait d'accord: c'est son rayonnement en dehors du cadre juridique qui compte le plus.

Notre groupe en est un parfait exemple. Nous avons travaillé, et nous continuerons de travailler collectivement sur un certain nombre d'initiatives, qu'il s'agisse de partage d'information ou d'un projet sur le terrain, avec nos membres et les membres des diverses associations. Les interventions concrètes seront fort avantageuses pour la faune et pour nous tous à l'avenir.

Je ne suis pas sûr que la pire partie du projet de loi soit celle mentionnée par Mme May. Tout dépend comment il sera interprété à long terme.

M. Gratton: Je voudrais revenir sur ce qu'a dit le sénateur tout à l'heure au sujet de l'intendance. La façon dont ce concept d'intendance est intégré au projet de loi est un avantage marqué. D'entrée de jeu, nous avons voulu que nos efforts favorisent l'intendance comme force motrice. Quelqu'un a comparé cela à un «bâton éponge». L'éponge est extrêmement bien faite, mais le bâton pourrait être renforcé quelque peu.

Le sénateur Buchanan: Je n'ai pas grand-chose à ajouter. Je suis d'accord avec les observations du sénateur Eyton. Chose certaine, comme Mme May le sait, si je n'appuyais pas ce genre de mesure, je ne pourrais pas rentrer chez moi, tellement ma femme favorise une initiative comme celle-là. Non pas que j'aie peur de ma femme, ne vous méprenez pas.

Je suis d'accord avec Mme May. J'ai dit l'autre soir que ce projet de loi pourrait entraîner des problèmes à l'avenir. Certains avocats s'en mettront peut-être plein les poches. Qui sait? C'est la seule chose qui m'inquiète au sujet du projet de loi.

Le sénateur Milne: J'oscille entre l'idéalisme et le réalisme pragmatique. Nos témoins ne vont probablement proposer une vision idéale. Mais pour être réaliste, si nous modifions le projet de loi un tant soit peu, il sera probablement torpillé à la Chambre des communes. Tout amendement, même mineur, représente un risque. Le libellé des projets de loi doit être identique aux deux endroits lorsqu'ils sont adoptés.

Un amendement mineur n'est pas la solution. Le comité pourrait faire un rapport du projet de loi en l'assortissant d'observations et de recommandations.

Je voudrais savoir ce que devraient renfermer à votre avis ces observations et recommandations. Que voudriez-vous intégrer dans la réglementation? J'aimerais également prendre connaissance de la liste des 33 espèces additionnelles.

M. Gratton: Je vais revenir sur un point que j'ai mentionné dans ma déclaration liminaire au sujet de la teneur de la réglementation. Les modalités du système d'indemnisation demeurent en suspens. Elles doivent être précisées ultérieurement dans la réglementation.

Nous sommes du même avis que le gouvernement: le système devrait être discrétionnaire. On ne devrait pas être automatiquement admissible à une indemnisation. Nous pensons qu'une telle approche risque d'entraîner des effets pernicieux.

Parallèlement, nous avons des inquiétudes plus sérieuses en ce qui concerne le ministre, plutôt que le gouvernement, car ce dernier s'est prononcé très clairement sur le sujet. Il a même dit que les entrepreneurs qui exploitent des terres de la Couronne en vertu d'un bail ne devraient pas être autorisés à présenter une demande d'indemnisation. Évidemment, cela ne manque pas de nous inquiéter car la plupart de nos membres exploitent des terres de la Couronne.

Nous reconnaissons que dans bien des cas, il peut être parfaitement légal dans le cadre d'un bail ou d'un permis de s'attendre à ce que les entreprises apportent certains changements à leurs pratiques. Nous pensons qu'il serait mal venu de la part des entreprises de s'attendre à recevoir une indemnisation chaque fois qu'on leur demande de modifier leurs pratiques.

Cependant, il n'est pas inconcevable qu'à l'occasion — et M. Pearce l'a reconnu dans son rapport —, ce qu'on exige d'eux outrepasse les paramètres des permis et de l'information sur laquelle l'entreprise a fondé son investissement à long terme. En pareil cas, nous pensons que cette entité devrait avoir droit de demander une indemnisation, comme n'importe qui d'autre. C'est une question liée à la qualité du climat d'investissement.

D'ailleurs, il est prévu que cette question soit réglée ultérieurement par le biais de la prise de règlement. Toutefois, si le Sénat reconnaissait qu'en principe, tous les intervenants peuvent être admissibles à une indemnisation, ce signal serait des plus bienvenus.

Mme May: Nous nous fions à votre jugement pour ce qui est de savoir s'il convient, dans la pratique, de présenter des amendements, mais madame le sénateur Milne, si le comité pouvait cerner certains domaines où des améliorations sont possibles et obtenir l'assentiment du gouvernement, il serait peut-être bon de le faire. Si l'on donnait au gouvernement l'occasion de corriger le tir avant que le projet de loi n'entre en vigueur, il serait peut-être plus satisfait au bout du compte.

Nous avons des amendements sérieux à proposer qui modifieront fondamentalement la structure du projet de loi. Nous avons des amendements qui permettraient de bien ficeler le projet de loi.

Dans un monde idéal, vous adopteriez tous les amendements et le projet de loi serait adopté exactement comme le désire le SARWG. Cela fait maintenant un certain temps que nous travaillons à la réalisation de cet objectif. Cependant, je n'aime pas l'idée que nous ne verrions pas d'améliorations au projet de loi.

Pendant la période de révision de cinq ans, l'application du filet de sécurité devrait être examinée pour déterminer s'il ne serait pas plus efficace d'interdire l'abattage de ces espèces dans l'ensemble du pays. Cette question devrait être examinée et discutée avec les provinces au cours des cinq prochaines années.

Lorsque Mme Stewart était ministre de l'Environnement, il n'y avait pas de projet de loi actif sur les espèces en péril devant la Chambre des communes. Le projet de loi était mort avant qu'elle devienne ministre de l'Environnement et le travail qu'elle a accompli a ensuite été repris par le ministre Anderson.

Cependant, lorsque la ministre Stewart travaillait sur le projet de loi, on s'attendait de façon générale, dans les bureaux provinciaux de gestion des ressources fauniques et au sein de notre groupe, à ce que le projet de loi interdise au moins que l'on abatte directement des individus des espèces en péril. La question était de savoir jusqu'où irait le gouvernement fédéral pour protéger l'habitat des espèces.

Tout le monde s'entendait pour dire que le gouvernement fédéral s'appuyait sur des fondements constitutionnels solides pour interdire que l'on abatte des individus de ces espèces. Examiner cette question à long terme, à défaut de le faire à court terme, serait certainement utile pour garder cette question présente à l'esprit du gouvernement et des observateurs de l'efficacité de la Loi sur espèces en péril.

Le sénateur Milne: Vous avez raison de dire que le gouvernement fédéral a effectivement le droit d'interdire l'abattage aussi bien sur les terres provinciales que fédérales, en vertu de la Constitution et du droit pénal.

Le président: Pouvez-vous nous dire combien d'espèces, à votre avis, disparaîtront au cours des cinq prochaines années, soit avant la révision?

Mme May: C'est une question très difficile à répondre parce qu'il y a de nombreuses espèces. La liste des espèces en péril qui nous vient du Comité sur la situation des espèces en péril au Canada, et sur lequel siègent deux de nos groupes membres, n'est pas complète. Il y a des espèces qui sont à l'étude. Il y a des espèces à risque qui ne font pas l'objet d'une évaluation scientifique en ce moment.

Le meilleur exemple de cette situation, c'est le cas signalé par un chercheur de l'Université Dalhousie à Halifax, M. Ram Myers, qui a constaté, dans les données sur les prises accessoires, la présence d'un poisson appelé «grande raie». La grande raie faisait partie des prises accessoires dans au moins 10 p. 100 des cas. Au cours d'une période de 10 ans, pas une seule raie n'a été signalée. On suppose que quelque chose, peut-être les prises accessoires, peut-être la destruction de l'habitat, a fait en sorte que cette espèce se dirige vers l'extinction.

Il n'y a pas encore eu d'évaluation, alors on ne sait pas. On peut faire une estimation du nombre d'espèces qui pourraient disparaître de la liste. Toutefois, nous ne savons pas le nombre d'espèces qui disparaissent de la nature. Nous n'avons pas eu les capacités et les ressources importantes que nécessiterait une telle évaluation; par conséquent, nous ne connaissons pas la situation complète des espèces.

Peut-être Mme Telford pourrait-elle nous présenter des chiffres concrets, mais j'en doute. Le mieux que l'on puisse dire, c'est que nous ne voulons pas perdre une seule des espèces que Dieu a mises sur cette terre. C'est l'objectif du projet de loi. Cependant, nous avons peu de chance d'y parvenir à moins qu'on augmente substantiellement les ressources dont nous disposons.

Le sénateur Baker: S'agit-il de Ransom Myers?

Mme May: Oui, Ransom Myers, anciennement de Pêches et Océans Canada.

Le sénateur Taylor: Premièrement, je trouve difficile à croire l'idée que l'on puisse abattre sans être poursuivis des individus d'espèces en péril en dehors des terres domaniales. Y a-t-il chevauchement ici avec la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs, ou quelque chose du genre, par exemple? Je ne pense pas que vous puissiez abattre un cygne siffleur ou un cygne trompette, peu importe l'endroit où il se trouve. L'oiseau vole au-dessus de nos têtes et il est difficile de décider s'il est en territoire fédéral ou provincial, à moins, comme c'est le cas en Alberta, que nous réclamions la totalité du territoire. Pouvez-vous m'éclairer? Je n'ai pas senti que le projet de loi me permettait d'abattre des individus d'espèces en péril si j'en rencontrais un au centre-ville d'Ottawa plutôt que sur des terres domaniales. C'est un élément d'information qui m'intéresse.

Mme May: À moins qu'il existe un autre texte de loi qui protège une espèce, le présent projet de loi n'accorde pas une nouvelle permission d'abattre un individu d'espèces qui sont protégées autrement. Cependant, il ne propose pas de nouvelles interdictions touchant l'abattage d'un individu d'une espèce qui n'est pas déjà protégée à moins que vous soyez sur une terre fédérale ou que le Cabinet ait adopté une mesure spéciale par voie de décret pour protéger cette espèce en vertu du filet de sécurité. Par exemple, dans le cas du caribou des forêts, de l'ours brun, de la marte d'Amérique et d'une grande variété d'autres espèces, en somme, de toute espèce qui ne bénéficie pas d'une protection provinciale ou ne fait pas l'objet d'un traité international, comme la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs, il n'y a rien dans ce projet de loi qui vous empêche d'abattre un individu d'une espèce en péril à moins que ce soit sur une terre fédérale, auquel cas, l'interdiction est automatique.

Le sénateur Taylor: Ne répondez-vous pas à votre propre question lorsque vous dites que le Cabinet peut en étendre l'application? Peut-être pouvons-nous nous informer. De cette façon, il n'est peut-être pas nécessaire de retourner devant la Chambre des communes.

Mme May: Nous traitons de la question de l'efficacité du filet de sécurité dans notre mémoire. Nous y avons discuté le fait que l'élément qui déclenche l'intervention du cabinet fédéral, pour l'amener à imposer sa loi sur un territoire qui, en vertu de l'article 34, est essentiellement provincial, c'est la constatation que cette province ne fait pas son travail. Dans la réalité politique, ou dans un monde réel, je me demande si le recours à ce filet de sécurité sera une pratique courante. Cela dépend de votre interlocuteur. J'ai parlé à des fonctionnaires d'Environnement Canada qui pensent que cette mesure sera utilisée pratiquement chaque fois qu'une espèce sera inscrite sur la liste et j'ai parlé à des conseillers au Bureau du premier ministre qui pensent, eux, que cette disposition ne sera jamais utilisée.

Le sénateur Taylor: Je pourrais bien en prendre note pour que nous traitions de cette question dans nos recommandations.

Le sénateur Buchanan: J'ai une question additionnelle à ce sujet. Madame May, l'autre soir, des fonctionnaires fédéraux sont venus nous dire, si j'ai bien compris, que le projet de loi sera appliqué à la grandeur du pays et que la question des terres fédérales n'a pas vraiment d'importance, parce que des poursuites seront engagées quel que soit le propriétaire du territoire. Ai-je raison?

Mme May: S'ils ont dit cela, ils ont fait erreur. Le projet de loi est très clair que l'interdiction automatique d'abattre un individu d'une espèce en péril ne s'applique que sur les terres fédérales.

Le sénateur Buchanan: C'est bien ce que je pensais.

Mme May: Vous pourrez trouver des discussions intéressantes sur ces questions dans le hansard, en particulier les échanges entre Gar Knutson et le ministre Anderson. L'échange a été assez vif. Le projet de loi est très clair sur le fait que même si l'interdiction peut être étendue à l'ensemble du pays si l'article subséquent ne porte pas atteinte à son autorité, c'est clairement le cas, et elle ne s'applique pas automatiquement ailleurs que sur les terres fédérales ou par l'intermédiaire d'une mesure spécifique prise par le Cabinet, au cas par cas.

Le président: Est-il vrai que le moyen par lequel cette interdiction s'applique à l'ensemble du pays repose sur ce que vous appelez le «filet de sécurité»? Et nous avons cette Constitution.

Mme May: C'est exact.

Le sénateur Taylor: Merci d'avoir élaboré sur cette question. Monsieur Gratton et madame Baumgartner, vous nous avez fait part de vos préoccupations; est-ce que la plupart d'entre elles ne pourraient pas trouver une solution par le biais du règlement?

M. Gratton: La compensation relèvera du règlement, alors, dans ce cas-ci, la réponse est oui. Pour ce qui est des autres dispositions, je ne le sais pas.

Mme May: En ce qui concerne l'établissement de la liste, les nouvelles espèces seront inscrites sur la liste par le biais du règlement. Il serait certainement beaucoup plus rassurant pour nous que les 33 espèces faisant actuellement l'objet d'une réévaluation soient inscrites dans l'annexe 1 du projet de loi.

Le sénateur Taylor: Mais on pourrait l'inclure dans le règlement?

Mme May: C'est possible, mais c'est certainement mieux qu'elles soient inscrites dans l'annexe 1 au moment de l'adoption du projet de loi.

Le sénateur Watt: Bienvenue. Je vais me concentrer sur ce que je connais le mieux: c'est-à-dire, le caribou et les baleines, dont vous avez parlé. Je veux revenir sur le point que vous avez soulevé, à savoir l'abattage. Quelle est la définition du mot «abattage»? Que voulez-vous dire? Parlez-vous de sport? Parlez-vous de la récolte? Parlez-vous de l'abattage par négligence? Vous avez parlé «d'abattage illégal». Parlez-vous de quelqu'un qui prendrait plaisir à tuer des animaux? De quoi parlez-vous au juste, ou peut-être parlez-vous des trois situations en même temps?

Mme May: Peu importe l'intention, le terme s'applique au fait de tuer un individu d'une espèce animale ou végétale visée par ce projet de loi.

Mme Baumgartner: Les espèces visées par cette loi ne pourraient faire l'objet d'une récolte légale en raison de leur nombre. Nous ne parlons pas d'espèces faisant l'objet d'une récolte légale. Lorsqu'une espèce est inscrite sur la liste des espèces en péril, toute récolte légale aura, essentiellement, été interdite pour assurer la conservation de cette espèce.

Le sénateur Watt: Alors, dans un sens, vous n'êtes pas vraiment concernés par les aspects liés à la récolte?

Mme Baumgartner: Non.

M. Gratton: Pour revenir aux propos de Mme May dans ses observations préliminaires, nous avons également recommandé de faire de l'intention coupable un délit. Lorsque nous parlons d'interdiction de l'abattage, nous parlons de l'abattage intentionnel ou, plus précisément, du geste intentionnel, c'est-à-dire que la personne sait qu'il s'agit d'un animal appartenant à une espèce en péril, mais décide quand même de l'abattre. C'est de cela dont nous parlons. C'est le genre d'interdiction qui, à notre avis, devrait s'appliquer partout au pays.

Le sénateur Watt: Pouvez-vous me rassurer? Dans ce texte de loi, où trouve-t-on une indication que la récolte pourrait être considérée comme un moyen de survie? Je parle davantage au nom des personnes qui vivent dans le Nord, parce qu'elles dépendent des espèces dont vous parlez. En même temps, vous parlez de ce texte de loi et, si je comprends bien, d'après les discussions que nous avons eues et ce que je peux lire ici, vous dites que son application pourrait se limiter aux terres fédérales. Toutefois, les terres fédérales font déjà l'objet de nombreuses activités. Vous mettez beaucoup de pression sur les terres fédérales. À plusieurs occasions, vous parlez de réserves et d'autres choses du genre. Ces gens vont ressentir la pression. Je ne dis pas qu'ils tuent pour le simple plaisir de tuer. Ils le font pour des questions de survie, pour manger, pour nourrir leurs familles.

Mme May: Le gouvernement a tenté, en différents endroits, de tenir compte des connaissances traditionnelles et du fait que cette mesure pourrait s'appliquer de manière disproportionnée, pour les raisons que vous venez de donner, aux collectivités des Premières nations, aux Inuits et aux collectivités du Nord. L'incorporation des connaissances scientifiques traditionnelles dans les travaux du COSEPAC est importante. Il y a également place pour des ententes en partenariat avec les conseils de gestion des ressources fauniques dans les régions dirigées par des gouvernements autochtones. On reconnaît les différences. Il est certain que le projet de loi ne vise aucunement les populations qui assurent une récolte durable, saine des espèces pour leur survie et à des fins commerciales, comme la récolte des fourrures. Il ne s'agit pas d'un projet de loi qui interdit de tuer des animaux; c'est un projet de loi qui vise à empêcher que des espèces disparaissent, quelle que soit la raison.

Le sénateur Watt: Avez-vous des objections à ce qu'un amendement qui tienne compte spécifiquement de cette question soit ajouté dans le projet de loi?

Rien dans ce projet de loi ne protège les droits des gens qui font la récolte d'espèces. Avez-vous des objections?

Mme May: Je n'ai pas vu la formulation exacte de l'amendement, mais le but du projet de loi est de protéger les espèces au bord de l'extinction.

Le sénateur Watt: Peut-être pouvez-vous nous aider à trouver une bonne formulation. Avez-vous des objections à cela?

Mme May: Non.

Le sénateur Watt: Je parle par expérience et je sais ce qui est arrivé à notre peuple, partout dans le monde, après que Greenpeace s'est intéressé aux phoques. Je ne veux pas voir se répéter une situation comme celle-là, où beaucoup de gens ont pris leur propre vie, où il y a eu génocide et toutes sortes d'autres choses, partout dans le monde, de la Russie jusqu'en Alaska en passant par le Groenland et même le Canada. Je ne veux pas revivre une telle situation.

Mme May: Autre point intéressant à cet égard, c'est que même si beaucoup de gens pensent en termes de chasse et de menace que cette activité peut faire peser sur les espèces, la plupart des espèces en péril au Canada n'ont pas été placées dans cette situation à cause des activités de chasse et de récolte, mais à cause de la perte de leur habitat. C'est en grande partie une question qui concerne les Canadiens qui vivent dans le Sud.

Par exemple, lorsque vous regardez la situation de la Colombie-Britannique, vous constatez que seulement 4 p. 100 des terres sont fédérales. Or, la Colombie-Britannique n'a pas de loi concernant les espèces en péril, n'a pas l'intention d'en adopter une et possède un grand nombre d'espèces en péril dans la seule véritable région désertique du Canada. Il y a un manque d'instruments législatifs au niveau provincial partout au Canada. La principale menace pour les espèces est la perte d'habitat.

Si les honorables sénateurs estiment qu'ils pourraient trouver une formulation, nous serons certainement très heureux de voir si nous pouvons apporter notre aide.

Le sénateur Watt: Un domaine où nous aimerions voir des améliorations, c'est dans celui des terres provinciales. Je viens de la province de Québec. Nous ferons face bientôt à un autre grand projet de développement hydroélectrique dans notre région. Si on pouvait utiliser un texte de loi fédéral pour protéger la récolte, la flore et la faune et la nature, ce serait très important, parce que ce sera un projet de développement colossal.

Nous devons également vivre avec la décision du gouvernement provincial de permettre aux chasseurs sportifs, qui sont américains, de tuer deux caribous plutôt qu'un seul. Nous ne sommes pas heureux de cette décision, parce qu'elle n'a pas de sens du point de vue économique. Il en résulte deux charges transportées plutôt qu'une; je parle ici de transport par avion.

L'argument du gouvernement provincial au cours des ans était qu'il y avait trop de caribous dans la région et que, par conséquent, il fallait en réduire le nombre jusqu'à un chiffre raisonnable. Je pense que ce chiffre a déjà été atteint. Nous pouvons voir de nos propres yeux qu'au cours des six dernières années, ce nombre a été atteint. Et rien ne change. J'aimerais voir une loi qui donne des pouvoirs au gouvernement fédéral de sorte que nous puissions prendre des mesures d'action dans cette question. Ce que vous dites, c'est que ce projet de loi pourrait ne pas contenir les éléments nécessaires.

J'ai un autre point à faire valoir sur cette question.

Le président: Très brièvement, sénateur.

Le sénateur Watt: La question du béluga relève très certainement de l'autorité fédérale, parce que cet animal vit dans l'eau. Les bélugas ont tendance à migrer sous la glace vers les terres provinciales. Ils se rendent même dans les petits cours d'eau et les rivières pour muer.

Vous avez dit qu'il n'y avait pas lieu de donner des compensations. Je ne sais pas si vous étiez ici mardi, mais j'ai soulevé la question de la compensation. Apparemment, cette question ne fait pas partie du projet de loi en ce qui concerne, par exemple, l'interdiction de récolter le béluga. C'est un problème.

Si on vous enlève votre gagne-pain et votre base économique, il faut faire quelque chose. Êtes-vous d'accord avec cela?

Mme May: Oui. Nous travaillons très fort, au sein du groupe, pour empêcher que ce soit le cas. Voici un dernier point que je veux vous communiquer. Le ministre nous a dit très clairement qu'il ne serait jamais question de compensation dans ce projet de loi. Or, elle en fait maintenant partie. Nous pouvons parvenir à la question de la compensation par le biais du règlement. Il faudra faire un suivi; cependant, le principe est inscrit dans le texte de loi proposé.

Si nous avions suivi le même conseil que nous vous avons donné aujourd'hui — que vous devriez regarder la réalité politique —, il manquerait à ce projet de loi beaucoup d'éléments qu'il contient maintenant. Évidemment la réalité politique change. Vous pourriez probablement discuter avec vos collègues du Comité de l'environnement de la Chambre des communes de la latitude très mince dont ils jouissaient pour ce qui est de l'amélioration du projet de loi et de ce qu'ils ont finit par réussi à faire. Peut-être qu'après cette discussion, vous aurez une certaine idée de ce qui est possible avant de décider qu'il ne vaut vraiment pas la peine d'essayer.

Le sénateur Watt: Le point que je vais faire valoir n'a rien à voir avec ce projet de loi en particulier, mais je veux l'exprimer. La prochaine fois que vous aurez envie de démarrer quelque chose avec de bonnes intentions et que vous n'irez pas jusqu'au bout du projet, je veux que vous sachiez que cela a des conséquences sur la vie des gens. Je veux que vous en soyez conscients; de temps en temps, vous allez faire face à cette situation. Le peuple que je représente ne se fait pas entendre ici. Je ne pense pas que vous ayez une très bonne connaissance, c'est-à-dire pour les avoir vues de vos propres yeux, des conséquences pratiques auxquelles sont maintenant confrontés ces gens.

Le sénateur Baker: Honorables sénateurs, j'invoque le Règlement. Le sénateur Watt a posé une question intéressante qu'il avait d'ailleurs posée à la dernière séance du comité avec les fonctionnaires: selon l'avis juridique des témoins, les dispositions en matière d'indemnisation s'appliquent-elles aux personnes?

Je remarque que plusieurs hochent la tête. Le ministère a répondu que non, puisque selon son avis juridique, ces dispositions ne s'appliquent pas aux personnes qui auraient perdu leurs moyens de subsistance à la suite de mesures prises en vertu du projet de loi; par contre, elles s'appliquent à l'habitat uniquement.

Le sénateur Watt: C'est tout.

Le sénateur Baker: Est-ce ainsi que vous interprétez l'article du projet de loi qui porte sur l'indemnisation? Je suis certain que vos avocats l'ont examiné et je me demande si vous pouviez répondre au sénateur Watt à ce sujet.

Mme May: Je comprends ce que vous dites: il n'y aurait indemnisation que si les mesures de protection de l'habitat entravent les moyens de subsistance et non la capacité de chasser.

Le sénateur Watt: C'est exact.

Le sénateur Baker: Autrement dit, selon vos avocats, le projet de loi ne s'applique pas à ceux qui subissent une perte de revenu en raison des mesures prises.

S'agit-il bien de votre interprétation et de votre avis juridique, ou êtes-vous du même avis que le sénateur Watt?

Mme May: Oui.

Le sénateur Baker: D'après lui, le projet de loi permet de combler la perte de revenu subie lorsque des espèces sont déclarées en péril.

Mme May: Je dois dire que je ne savais pas que le ministère interprétait le projet de loi de cette façon, c'est-à-dire qu'il ne s'applique pas aux personnes dont les moyens de subsistance sont touchés d'une manière quelconque par sa mise en application.

Comme l'a expliqué Pierre dans sa déclaration liminaire, notre groupe s'efforce d'arriver à un projet de loi qui fonctionne bien, autant pour les espèces que pour les personnes. Il faut modifier cet article si le ministère l'interprète de cette façon, parce qu'il s'agirait alors d'une injustice.

Le sénateur Baker: Je remarque que vous cherchez maintenant à obtenir un avis juridique. Selon vos avocats, compte tenu du libellé actuel du projet de loi, l'article portant sur l'indemnisation que vous recommandez, à l'instar des députés, s'applique-t-il aux personnes dont le revenu est affecté du fait que des espèces sont déclarées en péril?

Mme May: Nous ne disposons pas de milliers d'avocats pour examiner cette question.

Le sénateur Baker: Vous vous en sortez plutôt bien.

Mme May: Merci, monsieur le sénateur.

Je ne crois pas que l'on doive indemniser des personnes qui ne respectent pas les interdictions, puisque cela serait une violation de la loi. Selon nous — je crois que mes collègues sont du même avis — l'incapacité d'assurer ses moyens de subsistance à la suite de la mise en application de la loi pourrait être théoriquement indemnisée, dans la mesure où elle répond aux critères, tout comme le manque à gagner causé par les mesures de protection de l'habitat.

Le président: Je suis désolé de vous interrompre, sénateur Baker, mais nous empiétons sur le temps de Dan Wilson. Je suis certain qu'il va soulever la même question.

Le sénateur Baker: Le chef Wilson veut avoir une réponse.

Le président: Je crois qu'il va poser la question.

Voudriez-vous nous faire part de l'avis juridique de votre groupe en ce qui concerne l'indemnisation des personnes, comme l'a demandé le sénateur Baker?

Mme May: Oui, monsieur le président. J'ai pris en note deux questions auxquelles nous nous sommes engagés à répondre. Le sénateur Milne voudrait obtenir la liste complète des 33 espèces que nous voulons inclure dans l'annexe I. De plus, nous vous ferons part de notre avis juridique sur la question de l'article portant sur l'indemnisation, sous son libellé actuel: s'applique-t-il ou non aux circonstances décrites par le sénateur Watt.

Le président: Je remercie les témoins pour le temps qu'ils nous ont consacré et pour leurs réponses si coopératives.

Le sénateur Milne: Je tiens à faire savoir aux membres du comité que je viens tout juste d'avoir un avis juridique non officiel de la part d'un avocat présent dans la salle selon lequel le projet de loi ne s'applique qu'à l'habitat.

Le président: Je crois que c'est le cas. Nous allons demander l'avis juridique du ministère et pourrons alors comparer les deux.

Je souhaite maintenant la bienvenue à M. Dan Wilson, qui représente l'Alliance de la nation Okanagan.

Monsieur Wilson, est-il exact que vous ne soyez pas le chef de l'Alliance de la nation Okanagan puisqu'il s'agit, par définition, d'une alliance?

M. Dan Wilson, chef, Alliance de la nation Okanagan: Oui. Nous nous considérons comme une alliance puisque nous sommes une nation transfrontalière qui s'étend jusque dans l'État de Washington. La Colville Confederated Tribe, de l'État de Washington, fait aussi partie de notre territoire traditionnel.

Le président: Merci. Avant que vous ne commenciez, j'aimerais souligner que le sénateur George Baker, sénateur libéral de Terre-Neuve, et le sénateur Nick Sibbeston, des Territoires du Nord-Ouest, sont maintenant parmi nous.

Le sénateur Baker: C'est l'ancien premier ministre des Territoires du Nord-Ouest.

M. Wilson: Je crois que vous avez tous en main une copie de mon exposé que je vais vous lire avant d'entrer dans les détails.

L'Alliance de la nation Okanagan représente les sept bandes du sud de la région d'Okanagan, au nord du 49e parallèle. Ces sept bandes sont la Upper Nicola Band, près de Merritt, la Upper Similkameen Band, près de Princeton et de Hedley, la Lower Similkameen Band, dans la région de Keremeos-Cawston, la Osoyoos Indian Band, la Penticton Indian Band, la West Bank First Nation et l'Okanagan Indian Band, à la pointe du lac Okanagan, près de Vernon. Je suis le chef de l'Okanagan Band, qui est la plus populeuse des sept bandes.

L'Alliance de la nation Okanagan reconnaît que le Canada se doit de préserver les espèces en péril et de protéger leurs habitats essentiels. Il s'agit là d'un objectif louable. Nous nous inquiétons toutefois que la mise en oeuvre du projet de loi C-5, dans sa version actuelle, Loi concernant la protection des espèces sauvages en péril au Canada, communément appelée Loi sur les espèces en péril, n'attribue aux Premières nations un fardeau de responsabilités beaucoup trop lourd en matière de conservation. Ce fardeau devrait être partagé équitablement entre tous les Canadiens afin de préserver l'honneur de la Couronne.

J'aimerais revenir sur cette question un peu plus tard.

Ce qui nous inquiète, c'est que la Loi sur les espèces en péril, dans sa version actuelle, ne s'appliquera qu'aux terres fédérales. Dans la région d'Okanagan, en Colombie-Britannique, où l'on trouve certains des habitats les plus menacés du pays, pratiquement tous les efforts qui devront être déployés pour mettre en oeuvre la loi incomberont aux bandes de la nation Okanagan responsables des réserves indiennes. Il s'ensuit que les mesures de conservation conjointes des ministères fédéraux, des organismes environnementaux fédéraux et de toute une gamme de groupes non gouvernementaux ne pourront être mis en oeuvre qu'en empiétant sur la gestion de nos réserves indiennes.

L'Alliance de la nation Okanagan considère donc que la LEP constitue, dans sa forme actuelle, un empiétement injuste sur ses droits. Les réserves indiennes de la nation Okanagan sont pratiquement vierges sur le plan commercial, contrairement à la plupart des terres environnantes où les habitats naturels ont déjà été détruits ou fortement altérés pour la culture de fruits ou de raisins, le peuplement, la foresterie, les mines, des centres de villégiature, des voies de transport ou des entreprises des collectivités non autochtones.

La mise en oeuvre de la LEP dans la région d'Okanagan risque fort de limiter le développement économique des bandes de la nation Okanagan en empêchant le développement commercial des réserves.

Ce qui est inacceptable, c'est qu'il en résulterait une poursuite du refoulement historique de notre peuple dans des réserves limitées étant donné qu'on modifierait une nouvelle fois la valeur du petit territoire qui nous reste. Or, le développement économique de nos biens fonciers est essentiel au bien-être futur de notre population.

La mise en oeuvre du projet de loi C-5 doit prévoir la protection et le rétablissement des stocks de saumon en Colombie-Britannique pour qu'une approche holistique soit adoptée en vue de préserver l'environnement. Ainsi, dans des études environnementales menées aux États-Unis, on a déterminé que le saumon constituait une espèce cruciale dont d'autres espèces dépendaient pour leur propre survie. Ces espèces cruciales doivent être absolument protégées pour éviter l'effondrement d'écosystèmes entiers.

Le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC) a reconnu ce fait lors d'une réunion tenue en 2001 à Osoyoos, en Colombie-Britannique. À cette occasion, le COSEPAC a désigné trois stocks de saumon de la rivière Okanagan qui pourraient être inscrits sur la liste des espèces en péril selon les critères scientifiques définis. Jusqu'à maintenant, environ 10 des stocks de saumon de la Colombie-Britannique ont été inscrits sur la liste des espèces en péril et trois d'entre eux proviennent du bassin hydrographique de l'Okanagan.

Le projet de loi C-5 ne devrait pas être adopté et mis en oeuvre sans l'adoption des politiques, mécanismes et crédits nécessaires à la participation importante des Premières nations au processus de mise en oeuvre de la LEP par Environnement Canada.

Dans notre cas, cette participation doit prendre la forme d'un partenariat officiel avec Environnement Canada et les autres ministres responsables qui sera établi au moyen d'ententes ou d'accords bilatéraux conclus avant que la mise en oeuvre ne soit entreprise dans la région d'Okanagan.

En ce qui concerne l'application des articles 9.1 et 9.2 du projet de loi C-5 dans la région d'Okanagan-Similkameen, le ministre de l'Environnement doit s'engager à créer un comité chargé de conseiller le ministre en matière d'application de la loi; doit s'engager à mettre en oeuvre l'article 9.2 visant à créer un comité pour conseiller le ministre relativement à l'exécution de sa mission dans la région d'Okanagan-Similkameen; doit aider l'Alliance de la nation Okanagan à obtenir que le comité compte des représentants de tous les ministres responsables et de leurs homologues provinciaux.

Une étude scientifique conjointe sur le territoire de la nation Okanagan doit être réalisée. Il faudrait mener une étude poussée sur les réserves indiennes de la nation Okanagan, et ce, en collaboration étroite avec l'Alliance de la nation Okanagan et ses bandes membres, de manière à déterminer les espèces en péril présentes et les habitats à préserver, ainsi que les populations et habitats d'espèces similaires qu'on trouve sur les terres adjacentes qui ne font pas partie des réserves.

Il faut procéder à une évaluation approfondie des possibilités de développement économique à long terme des réserves indiennes de la nation Okanagan afin de déterminer de manière réaliste la valeur future lorsque des projets de développement économique pourraient être limités par des exigences relatives à la LEP, et d'établir les montants des éventuelles indemnisations de manière à tenir compte de la valeur réelle des réserves et à assurer le bien-être économique futur de notre population. Les réserves indiennes sont rares au Canada et leur valeur devrait être établie en conséquence.

En ce qui concerne l'extension sur notre territoire traditionnel, la nation Okanagan ne dispose pas d'un traité ou d'un autre mécanisme de règlement efficace pour les impacts sur le titre autochtone et les droits autochtones s'appliquant à l'ensemble de notre territoire, comme il en existe aujourd'hui et comme il en existait en 1846 quand le traité Oregon a été signé par la Grande-Bretagne et les États-Unis. Par conséquent, l'application de la LEP ou de toute autre loi provinciale équivalente à des terres ne faisant pas partie des réserves pourrait avoir des répercussions sur les intérêts de notre nation et il faudrait donc en tenir compte pleinement. Nous devons participer aux décisions qui pourraient avoir une incidence sur notre nation. Nos terres font partie intégrante de notre existence à titre de peuple autochtone distinct, existence qui est protégée par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

Nous demandons que le Sénat tienne compte de tous ces facteurs dans l'examen qu'il fera du projet de loi C-5 et qu'on exige du gouvernement fédéral qu'il apporte les modifications voulues avant d'entreprendre la mise en application du projet de loi C-5.

En résumé, nous considérons qu'il s'agit d'un empiétement important sur la gestion de nos terres de réserve. La Loi sur les Indiens et notre histoire depuis la Confédération témoignent des restrictions inéquitables qui nous ont été imposées en ce qui concerne nos réserves. Par exemple, conformément à la Loi sur les Indiens, nous devons encore aujourd'hui obtenir la permission du ministre des Affaires indiennes pour vendre le bétail et les produits de nos réserves. Autrefois, nous devions aussi obtenir un laissez-passer pour quitter la réserve.

De 1927 à 1951, nous ne pouvions pas avoir recours aux services d'un avocat afin de présenter nos préoccupations et nos griefs au du gouvernement. Nous avons fait l'objet de nombreuses restrictions inéquitables dans le passé, qui ont entraîné la pauvreté parmi les peuples des Premières nations qui vivent dans les réserves. Il suffit d'examiner les statistiques des Nations Unies pour constater que le Canada se retrouve constamment au premier rang en ce qui concerne le niveau de vie. Toutefois, lorsque les mêmes critères sont appliqués aux habitants des réserves, nous nous classons entre le 49o et le 69o rangs.

Cet écart est principalement attribuable au fait que des restrictions inéquitables ont été imposées aux réserves. À l'extérieur des réserves, l'aménagement du territoire a été autorisé. Nos terres, surtout celles de la région d'Okanagan, sont des terres sèches et arides, et la plupart des habitats essentiels sont situés maintenant sur nos réserves en raison de cet aménagement. Nous estimons que c'est la mauvaise gestion provinciale des terres situées à l'extérieur des réserves qui a détruit l'habitat essentiel.

Comme nous le disions, la gestion des espèces fait partie de notre culture et, dans la région d'Okanagan, notre expérience dans ce domaine est longue. Par exemple, nous effectuons depuis longtemps des incendies contrôlés afin de reconstituer nos sites de cueillette de petits fruits. Dans notre système de gouvernance, certains sont affectés à des tâches spécifiques; ainsi, les chefs de la pêche au saumon supervisent les stocks afin qu'il n'y ait pas de surpêche, étant donné que la mise en péril des moyens de subsistance d'une nation entière représente une grave infraction dans notre société. La surpêche est donc absolument interdite. Des chefs de la chasse veillent aussi à ce qu'il n'y ait pas de chasse excessive. Les chefs de la chasse et de la cueillette supervisent la cueillette des petits fruits et des autres plantes comestibles sur ces sites.

Nous considérons que la Loi sur les espèces en péril, dans sa forme actuelle, va nuire au développement futur de nos terres de réserve. Nous considérons aussi que nos terres de réserve font partie des liens que nous avons établis avec le gouvernement fédéral, des liens qui, dans la région d'Okanagan, remontent à 1846, lorsque le traité de l'Oregon a été signé. Conformément à la décision Delgamuukw, c'est cette année-là que le titre autochtone a été cristallisé dans la loi britannique, ce qu'il faut aussi respecter.

Permettez-moi de préciser qu'il s'agit de deux choses distinctes. Je vous parle des terres de réserve, qui sont protégées par le pouvoir fédéral en vertu du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle, dont provient la Loi sur les Indiens. C'est aussi ce paragraphe qui donne autorité au ministre des Affaires indiennes et qui établit le système des terres de réserve. Depuis 1982, année du rapatriement de la Constitution, le paragraphe 35(1) protège notre titre et nos droits autochtones.

Dans la région d'Okanagan, nous n'avons signé aucun traité ni aucun accord avec l'État en vue d'un règlement dans ce domaine et ce sont les tribunaux de la Colombie-Britannique qui se retrouvent maintenant aux prises avec ce problème.

La Cour suprême de la Colombie-Britannique a récemment décidé dans le cadre des causes Haida et Taku River d'accorder une grande importance non seulement au processus de consultation et d'accommodement du gouvernement provincial, mais aussi des entreprises, en ce qui concerne les intérêts autochtones. Je mets l'accent sur le mot accommodement, puisque c'est une notion de plus en plus utilisée et reconnue par les tribunaux de la Colombie- Britannique.

En outre, si l'on s'en tient à l'histoire de la Colombie-Britannique, surtout son histoire juridique, on s'aperçoit que le juge McEachern a décrété en 1991 que nos droits étaient abolis et que notre cause ne pouvait plus être défendue. Toutefois, en 1993, ce jugement a été cassé par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, qui a décidé que nos droits n'étaient pas abolis et que nos liens avec l'État devaient être reconnus. Cette décision a d'ailleurs été précisée par la Cour suprême du Canada en 1997 dans sa décision rendue au sujet de l'affaire Delgamuukw.

Le président: Êtes-vous prêt à répondre à quelques questions, monsieur Wilson?

M. Wilson: Certainement.

Le sénateur Sibbeston: Je vous remercie, monsieur Wilson, de comparaître devant nous.

Je viens des Territoires du Nord-Ouest, et je ne suis pas au courant des problèmes dont vous parlez dans la région d'Okanagan. Outre le poisson dont vous parlez dans votre exposé, existe-t-il d'autres espèces que vous considérez en péril dans la région où vous vivez?

M. Wilson: Nous venons à peine de prendre connaissance de la liste dressée par le COSEPAC. Nous avons mentionné le saumon parce qu'il est difficile de savoir si les espèces aquatiques sont incluses ou non dans ce projet de loi. Nous essayons de reconstituer les stocks de saumon dans la rivière Okanagan. Comme je le disais plus tôt, il s'agit d'une espèce cruciale, et c'est pour cette raison que je voulais attirer votre attention à ce sujet. Nous voudrions que le saumon soit inclus dans le projet de loi, si ce n'est pas encore chose faite.

Le sénateur Taylor: J'invoque le Règlement avant la question suivante. Je remarque que le sénateur Fitzpatrick prend place à la tribune, alors que, selon moi, il devrait se joindre à nous et poser des questions, même s'il ne peut pas voter. Il est aussi natif de la région d'Okanagan et pourrait être une précieuse source d'information.

Le président: Merci, sénateur Taylor.

Le sénateur Fitzpatrick: Je sais que le chef Wilson peut très bien se débrouiller tout seul, c'est la raison pour laquelle j'ai pensé qu'il n'était pas nécessaire que je sois présent. Toutefois, je tiens à lui souhaiter la bienvenue car il vient d'Okanagan. Il fait partie de l'Alliance de la nation Okanagan et il est chef de la bande indienne d'Okanagan. Je vous présente également le chef Clarence Louis, de la bande indienne d'Osoyoos, qui est ici avec le chef Dan Wilson. Je tiens à souligner que les initiatives réalisées par l'Alliance de la nation Okanagan et la bande indienne d'Osoyoos constituent un apport extrêmement positif à notre région. Je salue le chef. Je suis désolé d'avoir été en retard, mais nous participions à une autre réunion. J'imagine qu'il a parlé de la migration anadrome des saumons dans l'Okanagan, et je tiens à rappeler que sa bande et l'Alliance de la nation Okanagan ont joué un rôle primordial dans les efforts visant à rétablir la population de saumons. C'est non seulement important nous, dans l'Okanagan, mais aussi pour le bassin du Columbia, puisque c'est l'une des deux uniques zones de frai. Merci de m'avoir demandé de me joindre à vous. Je suis très heureux d'être ici pour soutenir le chef.

Le président: Le sénateur Fitzpatrick sait qu'il est le bienvenu partout et en tout temps. Avant de continuer, je cède la parole au sénateur Kenny qui souhaite invoquer le Règlement.

Le sénateur Kenny: Je tenais à faire remarquer que depuis que le sénateur Fitzpatrick est ici, le Sénat n'a jamais autant entendu parler de l'Okanagan de toute son histoire. Il nous informe continuellement des problèmes et des enjeux importants dans l'Okanagan et nous l'en remercions. Je dois dire que d'autres régions commencent à être jalouses.

Le président: C'est toujours un plaisir que d'avoir parmi nous le politicien le plus important de l'Okanagan.

Le sénateur Sibbeston: Je sais que vous avez parlé de l'application des paragraphes 9(1) et 9(2) comme un moyen, pour le gouvernement fédéral, de vous faire jouer un rôle actif dans la protection des espèces menacées dans votre région. Je sais aussi que le projet de loi proposé prévoit des dispositions au sujet de la création d'un Conseil autochtone national et de la prise en compte des connaissances traditionnelles des peuples autochtones. Que pensez-vous de ces dispositions? Vous devez avoir acquis une certaine expérience et des connaissances sur la façon dont la loi pourrait s'appliquer à vous. Vous dites qu'il y a eu une rencontre dans votre région. À votre avis, les paragraphes 9(1) et 9(2) contiennent-ils quelques-unes des dispositions les plus importantes vous permettant d'engager le gouvernement fédéral?

M. Wilson: C'est une excellente question. Compte tenu de l'incidence si décisive qu'aura ce projet de loi sur nous, nous n'avons pas eu d'autre choix que de jouer un rôle de premier plan, particulièrement au sein de l'Assemblée des premières nations. Nous discutons des effets du texte de loi proposé depuis 1995. Nous avons rencontré Mme Christine Stewart, à l'époque où elle était ministre de l'Environnement. Notre délégation était dirigée par Stewart Phillip, chef de la bande indienne de Penticton et président de l'Union des chefs autochtones de Colombie-Britannique. Ce groupe se composait de moi-même, de Byron Lewis, membre du conseil de la bande d'Okanagan et président de la Commission de pêche de la nation Okanagan, ainsi que du conseiller de bande Chad Paul, qui représentait la Première nation de West Bank. Nous avons fait valoir nos points de vue à ce niveau et aussi au niveau de l'APN. Quand Phil Fontaine était chef national, je l'ai représenté officiellement à deux ou trois réunions avec l'actuel ministre de l'Environnement, M. Anderson, pour exposer nos préoccupations. Tout ce que je raconte aujourd'hui a déjà été dit à M. Anderson lors de ces rencontres en tête-à-tête.

Nous avons participé aux activités du Groupe de travail autochtone mis sur pied par Environnement Canada. J'ai pris part à deux ou trois de ses réunions, à titre de représentant de l'APN. Byron Lewis y était aussi. Nous avons beaucoup de respect pour ce groupe de travail composé de représentants du Congrès des peuples autochtones, du Ralliement national des métis et de l'Association des femmes autochtones du Canada. Je crois qu'il rassemble cinq ou six organisations autochtones et, à notre avis, il parle de nos terres de réserve. C'est la raison pour laquelle nous voulons engager Environnement Canada, par l'intermédiaire de ces mécanismes, c'est-à-dire au moyen des paragraphes 9(1) et 9(2) du projet de loi, pour être sûrs que ces comités travailleront directement avec le ministère. Nous souhaitons participer directement aux décisions qui nous affectent et toucheront les générations futures. Nous avons pris part aux travaux de ce Groupe de travail autochtone. Toutefois, la plupart des participants n'ont pas d'assises territoriales ou de terres de réserve. Ainsi, nous croyons que pour protéger nos intérêts, nous devons traiter directement avec Environnement Canada, comme le prévoient les dispositions de l'article. Nous demandons instamment au Sénat de presser le gouvernement pour qu'il demande au ministre de l'Environnement d'appliquer expressément cet article à la région d'Okanagan, puisque la plupart des espèces en danger vivent sur nos réserves. C'est pourquoi nous devons prendre une part active au processus.

Le sénateur Milne: Je vous remercie, chef Wilson. Vous avez parlé des paragraphes 9(1) et 9(2), qui devraient peut- être engager davantage le ministre. L'article 3 du projet de loi garantit expressément la protection de vos droits ancestraux ou issus de traités et confirme vos droits en vertu du paragraphe 31(1) de la Charte. Considérez-vous que ce soit suffisant? Il me semble que ce qui vous préoccupe vraiment, dans ce cas-ci, ce sont les aménagements prévus et la méthodologie utilisée pour que vous soit donnée une compensation juste et équitable.

M. Wilson: C'est exact. La question de la compensation nous préoccupe véritablement compte tenu de nos relations passées avec le Canada. Nos terres de réserve sont très limitées et, si vous me le permettez, nous considérons qu'elles sont le dernier bastion de protection de notre identité et de nos styles de vie, à l'intérieur de la société canadienne. La question de la compensation n'est pas uniquement monétaire. Les terres de réserve sont très importantes pour nous. Ainsi, si on nous retirait le contrôle de certaines zones, nous nous attendrions à recevoir, en échange, des terres d'égale valeur. Ma bande, au nord d'Okanagan, a récemment conclu une entente de revendication territoriale. En 1984, nous en avions signé une autre pour le lac Kalamalka, dans le Vernon. Nous avions obtenu 4 millions de dollars pour le chef de la réserve du lac Kalamalka. Il y avait en effet une réserve à cet endroit, mais lorsque nous avons reçu l'argent, nous l'avons immédiatement dépensé dans les municipalités locales et cela n'a rien donné. Les intérêts de tous ceux nés après 1985 n'étaient pas pris en considération. Cette fois, nous avons demandé des terres. Nos négociations ont porté fruit puisqu'on nous a cédé les terres situées directement dans le bassin versant, au-dessus de notre réserve, des terres qui obtiendront le statut de réserve. Nous avons perdu quelques terres du côté du lac qui donne sur le Vernon, et le gouvernement nous a dédommagés en nous permettant de prendre possession des terres situées sur la rive ouest du lac, au-dessus de notre réserve, ce qui nous tient très à coeur car cette zone se situe dans notre bassin hydrologique. Il est évident que la terre revêt pour nous une importance cruciale.

Elle doit être un enjeu dans n'importe quel programme d'indemnisation. D'après notre interprétation du projet de loi, nous n'avons aucune garantie que ce sera le cas. Nous n'avons entendu parler que d'évaluation monétaire, mais nous accordons beaucoup de valeur à la terre, particulièrement dans l'Okanagan.

Le sénateur Milne: Il est très important que cela apparaisse dans le compte rendu, monsieur le président.

Le groupe qui a comparu devant nous précédemment a parlé de 33 autres espèces devant se trouver sur la liste des espèces menacées. Vous avez dit qu'il y avait 10 espèces de saumon en péril en Colombie-Britannique. Les poissons figurent bien évidemment sur la liste présentée par les témoins précédents. La seule espèce menacée qui apparaît sous la rubrique «poissons» est le meunier de Salish, qui ne me semble pas être un saumon. Il serait peut-être utile que vous nous fournissiez votre propre liste d'espèces menacées.

M. Wilson: Si vous le voulez. L'information dont je dispose provient d'un exposé que nous avions fait à Osoyoos. Je crois que le saumon pourrait être inscrit sur cette liste. Je vous remercie d'avoir fait remarquer qu'il n'y était pas encore.

Cela met en évidence la nécessité de travailler en collaboration avec Environnement Canada afin de déterminer exactement quelles sont les espèces en péril. Nous devons savoir quelles seront les conséquences. Actuellement, beaucoup des renseignements dont nous disposons sont très vagues.

Le fait que les dispositions s'appliquent au territoire domanial, mais pas aux territoires provinciaux, nous préoccupe. J'entends que le gouvernement fédéral a aussi le pouvoir d'appliquer le projet de loi proposé sur les terres provinciales. Nous nous demandons pourquoi il en est ainsi. Pourquoi n'a-t-on pas réparti équitablement les obligations liées à la protection des espèces menacées?

Le sénateur Milne: Nous donnerez-vous votre propre liste?

M. Wilson: Oui.

Le sénateur Taylor: Je vous remercie d'avoir comparu devant nous aujourd'hui, monsieur Wilson.

J'ai conscience du problème que vous soulevez. Dans beaucoup de régions du Canada, les non-Autochtones ont planté des vergers et mis des terres en culture, au point qu'actuellement, les seules zones vierges se trouvent dans les réserves. Les gens disent qu'on ne peut pas commencer à empiéter sur les terres de réserve.

Je tiens à remercier le chef Louis d'être ici aujourd'hui. Il m'a fait visiter, avec d'autres, sa réserve et ses terres. Je voulais voir plus de vergers et de vignes. Comme vous le savez, il y a un désert qu'ils essaient de protéger, à l'extérieur de la réserve.

L'offre est la suivante: étant donné que vous ne pouvez exploiter ces terres, nous vous verserons des indemnités pour les protéger. En outre, vous ne pourrez créer d'emplois ou d'industries dans la zone protégée.

Autrement dit, la compensation doit prévoir l'octroi de terres équivalentes. Si nous décidons qu'ils ne peuvent planter de vignes sur une superficie de 400 acres, nous devrons leur donner 400 acres de vignes, à l'extérieur de la zone, pour qu'ils les exploitent. Il s'agit de protéger les emplois et les industries autant que les espèces en danger.

Je crains que la compensation ne comprenne qu'un volet monétaire. Vous pouvez obtenir une indemnisation en vertu de la Loi sur les Indiens. Quelqu'un a-t-il demandé au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien si, lorsqu'on vous confisque des terres pour protéger des espèces en péril, le gouvernement en achète d'autres — en y mettant le prix — pour recevoir les emplois et les industries que vous auriez créés si ces terres n'avaient pas été confisquées? Si tel était le cas, nous ne ferions pas que protéger les espèces en péril, nous récompenserions également les Premières nations pour avoir assuré pendant si longtemps la conservation des terres à notre place.

M. Wilson: Oui, nous en avons discuté. Cependant, nous recevons des messages contradictoires du gouvernement en ce qui concerne la possibilité d'obtenir des terres supplémentaires en vertu de la politique des ajouts aux réserves et dans le cadre des négociations entourant la politique en matière de revendications particulières.

D'un côté, le discours du Trône établit que le gouvernement doit se concentrer sur des initiatives de développement économique favorisant les Premières nations. Le ministre Nault a fait un pas dans cette direction et il a obtenu des résultats très encourageants avec la bande indienne d'Osoyoos. D'un autre côté, le ministre de l'Environnement propose maintenant un texte de loi destiné à protéger les espèces en péril qui assènera un dur coup à notre économie.

À notre avis, il y a un vrai déséquilibre. Nous voulons que la question de l'indemnisation soit clairement établie dans le projet de loi. Jusqu'à présent, il n'y a rien à ce sujet et on ne nous a donné aucune garantie.

Lorsque nous posons ces questions à Environnement Canada, nous n'obtenons que des réponses floues. Bien souvent, nos avocats ont beaucoup de mal à déchiffrer les réponses fournies. Il n'y a pas moyen de savoir si cela s'applique ou non.

Pour ce qui est de l'AINC, le ministre des Affaires indiennes, Robert Nault, s'est montré très attaché à la poursuite du développement économique, particulièrement dans l'Okanagan. Mais cela demeure confus.

La question de la compensation comporte deux aspects. D'un côté, on pourrait définir les terres de notre réserve, dans leur état naturel, comme étant un habitat essentiel, aux termes du projet de loi proposé. Toutefois, il y a des vignes et des vergers aux limites de notre réserve. Tout programme d'indemnisation doit tenir compte très précisément de l'utilisation des terres. La terre à l'état naturel peut ne pas sembler avoir une très grande valeur, mais elle en a une, du point de vue de la conservation. Cela coûterait des millions de dollars de détruire ces vignes et ces vergers pour redonner à la terre son aspect naturel. Il est important de considérer la valeur de cet habitat essentiel.

Le président: Monsieur Wilson, pourriez-vous nous expliquer en termes simples quelles sont les zones de développement qui vous semblent potentiellement visées. Êtes-vous en train de parler de l'impossibilité de construire un centre commercial ou de l'impossibilité de gérer une exploitation de petits fruits? Il s'agit de deux choses tout à fait différentes. Quel type de développement économique estimez-vous menacé?

M. Wilson: Toutes les formes de développement. Cela inclut non seulement le développement agricole, mais aussi le développement commercial. Tout cela serait compromis par l'actuel projet de loi sur la protection des espèces en péril. Si on considère qu'il s'agit d'un habitat essentiel, on ne peut y toucher.

Le président: C'est exact. Selon vous, quel type de développement le projet de loi pourrait-il freiner?

M. Wilson: Nous voulons tirer le meilleur parti possible de nos terres, et ceci serait déterminé par les études de faisabilité et autres choses du genre. Ce projet de loi aurait une incidence sur les activités commerciales et sur la communauté puisqu'il influerait sur la création de lotissements pour les membres de notre bande et sur l'installation d'infrastructures, comme les conduites d'alimentation en eau. Tout plan de développement englobant des terres formant un habitat essentiel ne pourrait être mis en oeuvre.

Le président: Vous parlez de manière générale. Il n'y a rien de préoccupant qui vous menace dans l'immédiat.

Le sénateur Milne: J'imagine que vous faites non seulement référence à l'évaluation de la valeur économique actuelle, mais aussi de la valeur économique potentielle, n'est-ce pas?

M. Wilson: Je fais référence à tout l'aspect socio-économique.

Le sénateur Fitzpatrick: J'aimerais ajouter quelque chose aux commentaires du chef. Cela dépend aussi de l'emplacement des réserves. La nation Okanagan s'étend sur plusieurs réserves dont certaines parties feraient de bonnes terres agricoles.

D'autres sont des zones clés situées à proximité des municipalités. Ces terres auraient donc une valeur considérable. Ainsi, lorsque M. Wilson dit que cela forme un tout, il a raison. Les terres de la réserve sont parmi les plus riches de la vallée de l'Okanagan. Comme l'a fait remarquer M. Wilson, on a développé toutes les autres régions, mais les terres de la réserve ont été épargnées. Maintenant, les bandes se demandent s'il est possible qu'elles soient pénalisées pour avoir conservé ces terres. C'est la clé du problème.

Le sénateur Taylor: Effectivement. Il s'avère que les non-Autochtones ont développé ces terres à outrance — les seules bonnes terres qui restent pour la protection des espèces sont les terres indiennes, et il serait injuste que les Autochtones soient pénalisés pour cela. Chaque acre ou pied carré que vous leur retirerez en vertu du projet de loi devra être compensé, non pas par des dollars, mais par l'octroi d'autres terres où les Autochtones pourront installer leurs industries.

Le sénateur Christensen: J'ai obtenu réponse à toutes mes questions. Nous devrions demander à M. Robert Nault, ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, de comparaître devant ce comité pour discuter du problème.

Le président: Le sénateur Christensen propose que nous demandions au ministre de comparaître pour discuter de cette question. Je n'en suis pas si sûr.

Le sénateur Taylor: Ce ne serait pas une mauvaise idée, surtout si on veut éviter que ce problème soit oublié. Mais cela concerne plus qu'un ministère. Je pense que les peuples autochtones méritent d'être traités plus équitablement et qu'il serait injuste de leur dire tout simplement qu'ils sont coincés entre deux ministères.

Le président: Avez-vous d'autres questions à poser à M. Wilson, mesdames et messieurs les sénateurs?

Le sénateur Fitzpatrick: Je tiens à remercier le chef pour son témoignage.

Le président: Monsieur Wilson, souhaitez-vous dire quelque chose d'autre aux membres du comité?

M. Wilson: Oui, j'aimerais faire une autre observation.

Le président: Je vous rappelle que vous avez dit plus tôt que vous souhaitiez parler brièvement de la question de l'honneur de la Couronne.

M. Wilson: Oui, cela à voir avec la question de l'équité. Avant d'y venir, j'aimerais faire une observation. Concernant le ministre Nault, nous avons demandé officiellement et par écrit au ministre des Pêches et des Océans, David Anderson, que le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien soit désigné ministre responsable en vertu du projet de loi proposé. Il y a eu des réticences, mais on ne nous a pas expliqué clairement pourquoi. Nous ne savons pas pourquoi le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien ne voudrait pas être nommé ministre responsable. Nous pensons qu'il devrait l'être étant donné que ce sont les terres de notre réserve qui sont visées et que ce ministre est responsable de ces terres. Je suis content que la question ait été posée car c'est un autre point que nous voulions porter à votre attention.

Quant à la question de l'honneur de la Couronne, elle a directement à voir avec les rapports fiduciaires que nous entretenons. Les aînés de ma communauté m'en ont toujours parlé. J'ai été élevé par ma grand-mère, Sophie Wilson, qui a aussi élevé, en partie, l'ancien sénateur Marchand. C'était une femme très influente qui nous a beaucoup appris. Nous savons que les représentants de la Couronne étaient présents lorsqu'on a établi pour la première fois des réserves dans l'Okanagan.

À l'époque, il y avait beaucoup d'enjeux qui créaient une situation dynamique. Tout d'abord, on considérait que nous représentions une menace militaire. Les archives de l'époque le prouvent. Il était important que nous restions en dehors des guerres américano-indiennes qui faisaient rage de l'autre côté de la frontière. Lors de la signature du Traité de l'Oregon, en 1846, le chef N'Kwala, qui était notre leader national, avait choisi de se rallier aux Britanniques. C'est la raison pour laquelle nous sommes demeurés en dehors des guerres américano-indiennes. C'est ainsi que notre relation avec la Couronne britannique a commencé à se développer. De 1846 aux années 1870, au moment de l'établissement des premières réserves dans l'Okanagan, les commissaires aux réserves sont venus rencontrer des représentants de notre peuple et, selon les interprètes, nous avons compris que si nous préservions la paix et que nous restions dans nos réserves, la reine nous protégerait — nous laisserait tranquilles — et nous fournirait également des services.

À cette époque, notre territoire était confronté à des épidémies. Certains aînés disent que plus de 90 p. 100 de notre population a été décimée à cause de la variole, des grippes et des maladies vénériennes. Nous étions aux prises avec de nombreuses difficultés. Il fallait également en tenir compte. À toutes fins pratiques, nous étions placés dans les réserves et nous étions assurés de recevoir des soins de santé — des vaccins — et une éducation. Je crois que le gouvernement avait insisté sur ce point car il voulait que nous devenions «civilisés» et que nous fassions partie intégrante de la société canadienne. Nous avons bénéficié d'autres avantages comme le logement, l'outillage pour l'agriculture — car on voulait que nous abandonnions notre style de vie traditionnel — et l'exonération fiscale. On nous disait que la Couronne, qui gérait les ressources de notre territoire ancestral, nous donnerait tout cela. C'était la façon dont seraient payés ces services.

C'est donc ainsi qu'ont commencé les rapports fiduciaires. Plus tard, on nous a collé l'étiquette de «pupilles de l'État» et au fil des ans, le ministre des Affaires indiennes nous a retiré de plus en plus de pouvoirs, jusqu'en 1975, année où nous avons commencé à gérer nos affaires pour la première fois. En 1975, il y a eu une manifestation assise au Vernon et les bureaux du ministère ont dû être fermés car nous étions mécontents des services fournis. Jusqu'en 1975, notre chef était l'agent des sauvages, puisque c'est lui qui dirigeait toutes nos rencontres et prenait toutes les décisions nous concernant.

Durant les années 60, il y a eu beaucoup de mouvements sociaux, et au cours des années 70, nous avons réussi à mieux contrôler nos vies et de notre avenir. C'est à ce moment-là que les bureaux de notre bande, après la fermeture de ceux du Vernon, en 1975, ont commencé à prendre de l'importance. Nous maîtrisions mieux nos vies et nous participions davantage à la gestion de nos propres affaires dans les réserves. Tout cela a à voir avec l'honneur de la Couronne.

Une relation fiduciaire est une relation de confiance et il faut de l'honneur pour la préserver. Nous pensons que l'honneur de la Couronne pourrait être terni si nous étions injustement traités, à cause du projet de loi sur la protection des espèces en péril qui est proposé, car cela constituerait un obstacle au développement immobilier dans nos réserves, etc. Cela affecterait également notre santé car la majorité de nos jeunes sont âgés de moins de 18 ans — 51 p. 100 des peuples des Premières nations vivant dans les réserves ont moins de 18 ans. Ils ont besoin d'un avenir et les statistiques sont là pour le prouver. Il suffit d'examiner les statistiques produites par les Nations Unies pour voir que lorsque les jeunes n'ont pas d'avenir, toute la société en souffre. Ces jeunes perdent leur estime de soi et sont plus vulnérables à la consommation de drogues et d'alcool.

Nous voulons éviter cela. Au Canada, les réserves se sont développées parce que les Autochtones ont une haute estime d'eux-mêmes. Ils se sentent bien dans leur peau et ne se prennent pas pour des victimes. Dans chacun de ses discours, le chef Lewis dit que nous devons cesser d'agir comme des victimes. Nous devons nous réconcilier avec la vie, travailler et prendre notre place au sein de la communauté.

Le président: Merci, monsieur Wilson.

Le sénateur Milne: Ce n'est pas une question, mais quelque chose qui a à voir avec l'honneur de la Couronne. J'aimerais attirer l'attention des membres du comité sur la définition présentée au paragraphe 2(1) de la page 4, qui dit ceci:

«espèce préoccupante» Espèce sauvage qui peut devenir une espèce menacée ou une espèce en voie de disparition par l'effet cumulatif de ses caractéristiques biologiques et des menaces signalées à son égard.

En d'autres termes, il ne peut y avoir d'indemnisation que s'il existe un programme de rétablissement ou un plan d'action pour cette terre. Ainsi, plus on entre dans les détails du projet de loi plus on se rend compte que l'indemnisation est limitée.

Le sénateur Baker: Pour ce qui est de l'indemnisation, le paragraphe 64(1) dit:

Le ministre peut, en conformité avec les règlements, verser à toute personne une indemnité juste et raisonnable pour les pertes subies en raison des conséquences extraordinaires que pourrait avoir l'application:

b) d'un décret d'urgence [...]

Lorsque vous allez à la définition de «décrets d'urgence», au paragraphe 80(1), il est dit:

Sur recommandation du ministre compétent, le gouverneur en conseil peut prendre un décret d'urgence visant la protection d'une espèce sauvage inscrite.

Compte tenu de ces deux paragraphes, je crois qu'il ne fait aucun doute que le ministère n'a pas donné la bonne définition et qu'en fait, si vous voulez indemniser les gens pour les pertes subies à cause d'un décret extraordinaire — le chef Wilson a raison —, l'indemnisation prendre la forme de terres ou de quelque chose de comparable.

N'êtes-vous pas d'accord avec moi sur ce point?

M. Wilson: Si, je suis d'accord avec vous.

Le président: C'est une question que le comité suivra, je crois, avec une certaine assiduité puisqu'elle refait surface à chaque réunion et que chacun des témoins en parle.

Monsieur Wilson, nous vous remercions d'avoir pris le temps de comparaître devant nous aujourd'hui pour nous présenter vos différents points de vue.

La séance est levée.


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