Aller au contenu
 

Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 10, Témoignages du 27 mars 2003


OTTAWA, le jeudi 27 mars 2003

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui à 9 h 04 pour étudier les nouvelles questions concernant son mandat (mise en œuvre de Kyoto) et en faire rapport.

Le sénateur Mira Spivak (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente: Nous accueillons aujourd'hui M. Bramley qui représente le Pembina Institute for Appropriate Development.

Vous pouvez commencer, monsieur Bramley.

M. Matthew Bramley, directeur, Changements climatiques, Pembina Institute for Appropriate Development: Merci beaucoup de votre invitation.

Je crois qu'on vous a remis un exemplaire de la présentation que je vais vous commenter. Je vais vous parler très brièvement de trois grands aspects: d'abord, les grandes préoccupations que soulève la mise en œuvre de l'Accord de Kyoto au Canada; deuxièmement, je vous parlerai d'une étude comparative que nous avons réalisée à propos des politiques en vigueur au Canada et aux États-Unis; troisièmement, je vous entretiendrai du «défi d'une tonne» qui, d'après ce que je crois savoir, vous intéresse tout particulièrement.

La troisième diapositive présente un sommaire de l'origine des émissions de gaz à effet de serre au Canada. Le graphique circulaire, à gauche, donne la répartition en pourcentage des sources d'émissions en 2000. Nous avons tiré toutes ces données de l'inventaire national des gaz à effet de serre. Je n'entrerai pas plus dans le détail à ce sujet, ces données ne vous étant communiquées qu'à titre de référence.

Le graphique de droite montre les émissions enregistrées au cours des années 90 à partir de différentes sources. Même si cela n'apparaît pas à première vue, les émissions des particuliers et des familles au Canada représentent 20 ou 22 p. 100 du total des émissions de gaz à effet de serre, selon la définition qu'on en donne.

Le «défi d'une tonne» représente un cinquième à un quart environ de la plupart de nos émissions nationales. Les principales sources sont la production industrielle et la production électrique. Cela n'apparaît pas ici très précisément, mais ce défi correspond aussi au deux tiers des émissions dues aux véhicules routiers et à environ la moitié de celles dues aux bâtiments. Il équivaut aussi à environ un quart à un tiers de tout ce qui est production d'électricité.

La diapositive suivante donne un sommaire du plan adopté par le Canada en fonction du changement climatique. Je ne vous le communique que pour référence. On y voit que le gouvernement fédéral se propose de combler ce qu'on appelle l'écart par rapport à Kyoto, c'est-à-dire la différence dans les émissions de gaz à effet de serre prévues en 2010 entre la formule du statu quo et l'objectif de Kyoto. Cet écart correspond à 240 mégatonnes d'équivalent de CO2 par an. Le graphique montre la façon dont le gouvernement fédéral se propose donc de combler cet écart par une réduction de 96 mégatonnes au niveau de l'industrie et de la production électrique, par exemple, et ainsi de suite pour différents secteurs. Je n'entrerai pas plus dans le détail pour l'instant, mais vous pourrez toujours vous en servir comme référence.

Je vais maintenant brièvement vous commenter les quatre diapositives suivantes qui concernent le premier aspect que je me proposais de traiter, soit les grandes préoccupations que soulève la mise en œuvre de Kyoto. La première va nous donner l'occasion de parler un peu des contrats et des bourses d'émissions que l'on se propose d'adopter pour les grandes sources d'émissions, parmi lesquelles on trouve les centrales de production d'énergie. Il est ici question de la moitié à peu près des émissions totales de gaz à effet de serre au Canada. C'est, de loin, le plus important élément du plan fédéral de Kyoto et sans doute celui aussi où les risques d'échec sont les plus grands. Nous estimons que quatre grands aspects sont importants pour assurer le succès de cet élément qui est le plus important du plan de Kyoto.

Il est proposé de négocier des contrats d'émissions avec les grandes sources émettrices industrielles. Le gouvernement a indiqué son désir de mettre en œuvre des mesures coercitives pour s'assurer que les industries concernées prennent véritablement part à des négociations. Ces mesures coercitives, qui devraient être annoncées prochainement, auront pour objet de s'assurer que les principaux émetteurs de pollution s'assoiront à la table de négociation et que le gouvernement pourra négocier la totalité des 55 mégatonnes visées.

Deuxièmement, il est proposé de consentir ce qu'on appelle des crédits d'atténuation applicables aux réductions d'émissions réalisées en marge du secteur industriel qui est une importante source d'émissions. Ces crédits seraient vendus à des sources importantes qui s'en serviraient pour parvenir à leurs objectifs. Le risque, ici, est celui de la double comptabilisation. Autrement dit, tout crédit accorder à des activités censées se dérouler en marge du plan est automatiquement intégré dans le calcul des 55 mégatonnes de réduction visées dans le cas des grandes sources d'émissions et vous n'obtiendrez aucune réduction en dehors de ces 55 mégatonnes. Il existe un véritable risque pour le reste du plan qui dépendra de la façon dont ce système d'atténuation sera appliqué.

Quand il est question de réduction par les grandes sources d'émissions, les gens parlent toujours des 55 mégatonnes que le gouvernement veut obtenir par le biais des contrats que j'ai mentionnés, mais il ne faut pas oublier que le plan fédéral prévoit aussi 41 mégatonnes que les autres parties du plan visent à soustraire de la production industrielle. Il faudra veiller à parvenir à ces 41 mégatonnes de réduction supplémentaire, pour un total de 96 mégatonnes dans le cas des grandes sources industrielles — je vous rappelle que cela représente à peu près la moitié de nos émissions nationales — ce qui veut dire que nous ne devrons pas oublier les 41 mégatonnes pour nous concentrer uniquement sur l'objectif des 55.

Le dernier aspect de cette question des contrats et des bourses d'émissions prévus dans le plan fédéral est le suivant: le gouvernement fédéral se propose d'adopter des objectifs d'intensité d'émissions, négociés avec les grandes sources émettrices, ce qui revient à dire que les émissions seraient divisées par la production et qu'il s'agirait d'émissions par unité de production. Le risque ici, c'est que si la production augmente au-delà des niveaux envisagés, les réductions de gaz à effet de serre seraient dès lors inférieures à ce que l'on espère. Il faudrait prévoir, dans les contrats devant être signés, des dispositions de modulation applicables à ces cibles d'intensité d'émissions advenant que la production soit supérieure aux prévisions.

À la diapositive suivante, celle des mesures visées dans le plan de mise en œuvre du fédéral, il est question de transport, de bâtiments, d'agriculture, de dépotoirs et ainsi de suite.

Les mesures volontaires, c'est-à-dire l'information, l'éducation, la R-D ont un rôle à jouer, mais l'expérience nous a montré qu'elles n'auront aucun effet négligeable sur la réduction des émissions. Il faudra absolument que tous les gouvernements au Canada appliquent des normes réglementées, mettent en œuvre des mesures financières incitatives et punitives véritables et réalisent d'importants investissements dans les infrastructures publiques, comme le transport en commun. Sans de telles démarches réglementaires, sans véritables mesures incitatives et punitives financières et sans investissement gouvernemental direct dans l'infrastructure, nous ne parviendront pas aux réductions d'émissions prévues dans le plan.

Dans le passé, le Canada s'est fié à des mesures volontaires et l'on a constaté que nos émissions avaient augmenté rapidement, soit au rythme de 20 p. 100 dans les années 90.

L'autre grande préoccupation relative à la mise en œuvre du plan touche à l'achat d'unités d'émissions étrangères en fonctions des soi-disant mécanismes de Kyoto. Le gouvernement fédéral a souvent rappelé son engagement de combler la plupart des lacunes de Kyoto en adoptant des mesures au Canada. Autrement dit, il s'est engagé à n'acheter d'unités d'émissions étrangères que pour combler la moitié environ des écarts par rapport à Kyoto. D'ailleurs, le plan prévoit même un peu moins que la moitié. Il est important que le gouvernement s'en tienne à cet engagement, parce que les unités d'émissions étrangères soulèvent plusieurs problèmes. J'en mentionne quatre ici.

Beaucoup d'unités internationales de gaz à effet de serre dont le Canada pourrait se prévaloir pour respecter les conditions de Kyoto ne correspondent pas à de vraies réductions. Je ne m'étendrai pas sur ce sujet ici, mais je pourrai répondre à vos éventuelles questions plus tard.

Si le Canada achète des unités internationales plutôt que de réduire ses propres émissions, il perdra les avantages associés à la réduction des émissions de gaz à effet de serre sur son territoire. On peut parler ici d'avantages associés pour ce qui est de la réduction des autres polluants atmosphériques qui causent une dégradation de la qualité de l'air en secteur urbain. La majorité des réductions de gaz à effet de serre est accomplie par une diminution de la consommation de combustibles fossiles, ce qui donne lieu à une diminution des émissions de gaz à effet de serre et des polluants qui contribuent au fumard urbain, par exemple. Quand on achète des crédits internationaux, on ne bénéficie plus des réductions opérées au niveau des polluants atmosphériques régionaux.

S'il mise sur des achats de crédits internationaux plutôt que sur l'adoption de mesures nationales, le Canada ne tendra pas vers une décarbonisation durable. À long terme, nous devrons instaurer un système économique produisant peu de gaz à effet de serre et de carbone. Nous avons été lents à agir sur ce plan. Le fait de continuer à miser sur des achats de crédits internationaux plutôt que sur l'application de mesures nationales ne fera que maintenir la lenteur de la transition que nous avons entreprise.

Il faut s'attendre à ce que les ONG environnementales et d'autres examinent de très près les achats d'unités d'émissions internationales que réaliseront le gouvernement et le secteur privé. Ces organisations insisteront pour que les acheteurs canadiens choisissent des unités étrangères de grande qualité.

J'ai une dernière diapositive à propos des grandes préoccupations que soulève la mise en œuvre du plan. Il est important de souligner que la ratification de Kyoto n'est qu'une première étape: le gouvernement devra continuer d'agir vigoureusement à l'heure de la mise en œuvre.

Le Secrétariat au changement climatique aura un important rôle à jouer à cet égard. Jusqu'ici, il n'a été qu'un facilitateur. Si l'on confiait au Secrétariat au changement climatique plus de responsabilités ainsi que le mandat de mettre Kyoto en oeuvre, et si ce secrétariat était transféré au Bureau du Conseil privé, il ci serait en mesure d'assurer un leadership centralisé qui garantirait la mise en œuvre rapide et efficace de Kyoto. Les nombreuses chicanes interministérielles qui opposent différents ministères depuis des années relativement au changement climatique ne sont pas un secret. On ne peut plus se permettre de laisser aller cette situation si nous voulons être efficaces dans la mise en œuvre de Kyoto. Une intervention sur ce plan serait salvatrice.

En outre, le Bureau du Conseil privé est responsable de toutes les relations fédérales-provinciales, relations qui sont très importantes dans le cadre de la mise en œuvre de Kyoto à cause du rôle majeur que les provinces sont appelées à jouer. Les provinces disposent d'une compétence unique ou partagée en ce qui concerne la plupart des sources d'émissions de gaz à effet de serre.

Pour prêcher sans doute un peu pour ma paroisse, j'estime qu'il est important de veiller à ce que les ONG environnementales soient appelées à participer véritablement au processus de mise en œuvre. Il est beaucoup question de consultation dans le plan du Canada pour le changement climatique, mais nous n'avons encore rien vu à cet égard. Les ONG environnementales ont un rôle fondamental à jouer, non seulement parce qu'elles possèdent une certaine compétence, mais aussi parce qu'elles peuvent contribuer à la promotion des plans de mise en œuvre auprès de la population.

Afin de comparer la situation au Canada et aux États-Unis, nous avons publié une étude en mai de l'année dernière. Je crois savoir qu'on vous l'a communiquée, mais si vous ne l'avez pas vous pourrez toujours la télécharger à partir de notre site Internet.

Nous avons examiné les politiques les plus importantes de réduction des émissions de gaz à effet de serre mises en œuvre par les divers ordres de gouvernement aux États-Unis et au Canada. Nous avons recensé neuf grandes catégories de politiques.

Pour que la comparaison soit juste, nous nous sommes limités aux États américains de plus d'un million d'habitants. Au Canada, nous avons retenu les cinq principales provinces émettrices de gaz à effet de serre, provinces dont la population est aussi de plus d'un million d'habitants. Nous avons conclu que les États-Unis dépassent le Canada dans la mise en œuvre de telles politiques, dans tous les aspects que nous avons analysés. Dans le meilleur des cas, les deux pays étaient à égalité. Dans tous les domaines, nous avons constaté que les États américains sont plus avancés que le Canada. La diapositive fait état de quelques-uns de ces domaines, mais de nombreux autres sont mentionnés dans le rapport.

Trois États américains réglementent les émissions de CO2 des centrales électriques: l'Oregon, le New Hampshire et le Massachusetts. Quinze États ont des normes sur la part d'énergie renouvelable, normes qui exigent des revendeurs d'électricité qu'ils s'approvisionnent un minimum auprès de ressources renouvelables peu polluantes. Depuis plusieurs années, les Américains appliquent des dégrèvements fiscaux fédéraux à la production d'énergie éolienne. Ce n'est que tout récemment, dans son budget de 2001, que le Canada a adopté des mesures d'incitation pour la production d'énergie éolienne, mais les incitatifs offerts sont nettement inférieurs à ceux qui sont en vigueur aux États-Unis depuis de nombreuses années. Il n'est pas surprenant que le Canada nous devance dans le domaine de l'énergie éolienne, même selon un calcul par habitant.

Une vingtaine d'États dispose de fonds destinés à favoriser l'adoption de l'efficacité énergétique par les consommateurs. Ces fonds sont alimentés par de petits prélèvements effectués sur les chiffres d'affaires des compagnies d'électricité; dans la plupart des cas, il s'agit d'un dixième de cent par kilowattheure. Ce montant est relativement faible, mais il donne lieu à des fonds importants que les États utilisent pour financer les programmes d'énergie renouvelable et d'efficacité énergétique. Les compagnies d'électricité sont légalement tenues d'administrer des programmes destinés à favoriser une consommation plus efficace, c'est-à-dire une réduction de la consommation d'électricité.

J'ai cru comprendre que vous revenez tout juste d'un voyage d'étude en Californie. Vous êtes donc au courant de la dernière loi adoptée par cet État relativement aux émissions de gaz à effet de serre pour les véhicules, loi qui devrait donner lieu à la mise en œuvre de normes d'efficacité énergétique pour les véhicules qui sont supérieures à celles, beaucoup moins exigeantes, appliquées à l'échelon fédéral.

C'est peut-être surprenant, mais les Américains investissent plus que nous dans le transport en commun. En 2000, l'investissement total du Canada dans le domaine du transport en commun a été inférieur à 1 milliard de dollars canadiens. Dans la région urbaine de New York seulement, cet investissement a été supérieur à 2 milliards de dollars américains.

Autre exemple intéressant. Le gouvernement fédéral américain a adopté un programme de captation des gaz émis par les grands dépotoirs. Celui-ci représente environ 3 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre du Canada. Depuis plusieurs années déjà, la captation de ces gaz est obligatoire pour la plupart des grands dépotoirs aux États-Unis. Au Canada, seules quelques provinces ont imposé ce genre de chose.

Nous avons tiré une grande conclusion de cette étude, qui a été particulièrement pertinente à notre débat sur la ratification de Kyoto. Certains, au Canada, soutenaient que, l'administration Bush s'étant retirée de Kyoto, il serait très dangereux pour le Canada de dépasser les États-Unis si ce dernier pays ne faisait rien. Cet argument ne tient pas puisque nous sommes déjà en retard par rapport à ce pays.

Nous espérons pouvoir rattraper ce retard à l'occasion de la mise en œuvre de Kyoto, mais pour l'instant, nous sommes à la traîne derrière les Américains.

Dans la dernière partie de cette présentation, je vais vous parler du «défi d'une tonne». La diapositive portant ce titre montre un graphique circulaire établissant la répartition des émissions de gaz à effet de serre par personne au Canada. On se demande toujours un peu ce que signifie au juste l'expression «émissions par personne». Dans mon calcul, je parviens à un total de 5,4 tonnes par Canadien. J'ai inclus tout ce qui est transport aérien et transport routier. Même si cette rubrique est en partie constituée par les déplacements d'affaires, il s'agit d'un domaine où les particuliers peuvent influencer les choix à opérer. Le domaine des transports représente plus de la moitié du total. Les autres éléments concernent la consommation d'énergie dans les bâtiments sous la forme du chauffage des locaux, de l'eau, de la consommation électrique par les appareils électroménagers et de l'éclairage. Comme vous le savez, le gouvernement fédéral a mis les particuliers au défi de réduire leur consommation moyenne par personne de cinq à quatre tonnes par an environ.

Je vais reprendre ce que j'ai dit un petit plus tôt au sujet des mesures ciblées. Dans ce cas aussi les programmes d'information et d'éducation joueront un rôle très important. Ils permettront de préparer le terrain. Toutefois, ils n'auront, à eux seuls, qu'un effet limité sur la réduction des émissions. Depuis plusieurs années au Canada, on a pu constater qu'en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, il faut aller au-delà des mesures volontaires afin de parvenir à de véritables résultats ou d'aller au-delà du statu quo, ce que nous sommes tenus de faire d'après Kyoto. Autrement dit, nous devrons appliquer des règlements et des mesures financières incitatives et peut-être même punitives. Ce sont de telles interventions qui permettent de modifier véritablement le comportement des consommateurs pour parvenir aux résultats désirés.

Il ne faut pas oublier que les fabricants des produits émettant des gaz à effet de serre partagent une certaine responsabilité avec ceux qui les achètent. Pensons aux voitures et aux camions parce que les fabricants pourraient très facilement appliquer des technologies modernes pour améliorer de beaucoup la consommation d'essence des nouveaux véhicules vendus au Canada. Cela permettrait de réduire automatiquement les niveaux d'émissions de gaz à effet de serre par les particuliers. L'un des éléments importants du plan fédéral de Kyoto consiste à parvenir à une amélioration de 25 p. 100 de la consommation des nouveaux véhicules. C'est là un exemple de ce qu'il serait possible de faire pour relever le «défi d'une tonne»; autrement dit, on pourrait exiger que les fabricants et pas forcément les consommateurs assument la responsabilité des mesures à prendre. On se trompe en pensant qu'il faut imputer toute la responsabilité au consommateur et lui faire porter tout le fardeau du redressement. Les fabricants, eux aussi, ont une responsabilité importante à assumer.

L'autre exemple est celui des bâtiments. Il est vrai que les consommateurs peuvent réclamer que leur maison soit construite aux normes R-2000, mais tant que les codes provinciaux du bâtiment n'exigeront pas le respect de ces normes, la plupart des nouvelles constructions correspondront à des normes inférieures. Il s'agit-là d'un autre exemple où l'imposition d'une norme au fabricant, dans ce cas un constructeur de constructions résidentielles ou autres, aura plus d'effet que d'essayer de convaincre l'acheteur de choisir un produit ayant peu d'impact sur l'environnement.

Un autre exemple est celui de l'électricité. Au Canada, les consommateurs d'électricité n'ont généralement pas leur mot à dire dans le choix des sources d'énergie utilisées pour les alimenter. On pourrait imposer des normes aux producteurs d'électricité sur la part d'énergie renouvelable afin de les inciter à s'approvisionner auprès de sources à émission nulle ou faible.

Cela étant posé, quand on demande aux consommateurs d'apporter des changements, plutôt que d'imposer ces changements aux fabricants ou aux producteurs, il est normal de leur offrir des incitatifs financiers. On peut, par exemple, leur consentir des subventions et des prêts pour améliorer le rendement énergétique de leurs immeubles commerciaux ou résidentiels. Le gouvernement fédéral veut modifier 25 p. 100 de toutes les constructions résidentielles et commerciales au Canada. Pour cela, il devra mettre en œuvre des mesures d'incitation financière afin d'influer sur le comportement des consommateurs. Avant d'en arriver à augmenter considérablement les dépenses publiques, on pourrait faire en sorte que les mesures d'incitation financière soient n'aient aucune incidence sur les recettes. Dans le domaine de l'efficacité énergétique des véhicules, on parle souvent du concept de l'abattement fiscal qui consiste à prélever un droit sur les véhicules énergivores et à consentir un rabais aux autres. Ainsi, les recettes gouvernementales nettes sont inchangées. Je tiens à faire une mise en garde: quand je parle de mesures d'incitation financière, cela ne veut pas forcément dire qu'il faut augmenter les dépenses publiques.

Je suis maintenant disposé à répondre à vos questions.

Le sénateur Finnerty: Le défi d'une tonne fait partie du plan du Canada pour le changement climatique. Tous les Canadiens ont été invités à réduire volontairement leurs émissions de GES d'une tonne, pour passer d'une moyenne de 5 tonnes à 4 tonnes par an. Dans votre exposé, vous avez dit que les fabricants de produits qui sont source de GES devraient eux-mêmes effectuer des réductions parce qu'ils connaissent mieux que quiconque les possibilités techniques permettant d'y parvenir, qu'ils sont aussi mieux organisés et qu'ils devraient donc être en mesure d'apporter des améliorations à un coût inférieur. Toutefois, les fabricants n'ont pas de contrôle sur la façon dont leurs produits sont employés. On peut penser, par exemple, aux automobilistes qui laissent tourner leur véhicule au ralenti pendant trop longtemps ou aux gens qui laissent des appareils ménagers allumés inutilement. Comment inciter les Canadiens à changer la façon dont ils utilisent les produits sources de GES plutôt que d'avoir à changer les produits eux-mêmes?

M. Bramley: Vous sous-entendez dans votre question qu'il s'agit-là d'une responsabilité partagée et je suis d'accord avec vous. Les fabricants doivent prendre des mesures qu'il conviendra souvent d'imposer par le biais d'un règlement. Toutefois, il ne fait aucun doute que même un véhicule économe en carburant peut être mal utilisé. Il faudra donc que les deux parties prennent les mesures. Par exemple, nombre de municipalités canadiennes ont adopté des règlements contre le fonctionnement des véhicules au ralenti. Il serait donc ici possible d'appliquer une démarche réglementaire.

Le sénateur Finnerty: Où est-ce que c'est interdit?

M. Bramley: Je crois savoir qu'il existe un règlement municipal de ce genre à Montréal. J'ai entendu dire que d'autres municipalités appliquaient des règlements identiques, mais je ne me rappelle pas lesquelles. L'application fait ici problème. Il peut être difficile voire impossible de faire respecter ces règlements. Je ne veux pas vous donner l'impression qu'il est nécessaire d'appliquer partout des approches réglementaires. Les programmes d'information auront certainement un rôle à jouer. Récemment, les télédémarreurs ont fait l'objet d'une controverse, parce que les automobilistes laissent tourner leur véhicule pendant une demi-heure ou plus avant de l'utiliser. Il va falloir donc faire plus de sensibilisation au sujet de problèmes de ce genre.

Je voulais surtout faire ressortir que les programmes d'information et de sensibilisation auront forcément un rôle à jouer mais que, en soi, ils ne permettront pas de combler l'écart par rapport aux objectifs de Kyoto.

Le sénateur Christensen: Nous avons fait de la sensibilisation publique dans les années 80. C'est sous la pression du consommateur, plutôt que sous l'effet de pénalités, que l'industrie donnera suite aux besoins. Si je voulais acheter une voiture peu polluante que n'aurait pas un certain concessionnaire, j'irais voir ailleurs. C'est la même chose pour n'importe quel autre produit. À un moment donné, plus personne n'a envisagé d'acheter un poêle à bois non équipé d'un catalyseur de postcombustion. Ce produit étant devenu de plus en plus efficace, seuls les marchands qui ofraient de tels produits ont fini par bien vendre. Ce sont les demandes des consommateurs qui ont donné lieu à des changements, les autres fabricants ayant dû emboîter le pas pour garder leurs parts de marché. Il faut bien sûr imposer des exigences aux fabricants, mais il serait mieux que le gouvernement mette en place des programmes de sensibilisation à l'intention des Canadiens afin que eux réclament ce genre de demande.

M. Bramley: Je suis d'accord avec vous, il faut adopter de bons programmes de sensibilisation, mais je ne pense pas qu'ils nous permettront, à eux seuls, d'atteindre nos objectifs. On peut, par exemple, penser à l'énergie écologique. Dans plusieurs provinces, les consommateurs peuvent décider de payer un léger supplément pour être alimentés par de l'électricité produite à partir de ressources peu polluantes et renouvelables.

L'énergie écologique remporte un certain succès, mais je crois savoir qu'elle n'est utilisée que par un pour cent environ des consommateurs. Il serait peut-être possible d'améliorer la commercialisation de ce produit, mais la plupart des spécialistes de l'énergie renouvelable disent que les techniques de marketing ne permettent d'atteindre qu'un certain niveau de consommation. Pour passer à un niveau d'utilisation d'énergies renouvelables correspondant à 10 p. 100 du total, ce qu'envisagent certains pays européens, il faut appliquer des parts d'énergie renouvelable sous la forme d'exigences imposées aux fabricants ou de crédits d'impôt, ou des deux, comme cela se fait aux États-Unis. Je vous ai cité cet exemple un peu plus tôt.

Le marketing et la sensibilisation permettent de faire un bout de chemin, mais l'expérience nous indique qu'ils ne seront pas suffisants pour parvenir aux objectifs de Kyoto.

Le sénateur Christensen: Les programmes de sensibilisation permettraient aussi d'économiser à long terme.

M. Bramley: Nous avons un site Internet: www.climatechangesolutions.com. Nous y disons essentiellement qu'il faut réduire les émissions et économiser. Nous avons participé à un programme de sensibilisation que nous estimons être très important. Toutefois, cela ne suffit pas.

L'utilisation de certains appareils ménagers est un autre cas de figure. Il est admis que les gouvernements réglementent les normes minimales d'efficacité des appareils électroménagers. Les progrès technologiques aidant, on en arrive à un point où il n'y a plus aucune excuse de vendre des appareils qui gaspillent de l'énergie quand on peut en produire qui sont très économes.

Les fabricants connaissent cette technologie et leurs produits. Ils sont bien organisés et disposent de gros moyens. Il serait donc logique d'imposer des normes minimales aux produits distribués par les fabricants, surtout quand on sait que la technologie existe.

Le sénateur Sibbeston: Je viens des Territoires du Nord-Ouest où la question du changement climatique et de la pollution semble très éloignée de notre quotidien. Nous habitons un territoire vaste et vierge. J'ai souvent de la difficulté à comprendre que les automobiles et les poêles à bois soient des sources d'émissions de gaz.

D'un autre côté, j'ai résidé dans des villes plongées dans la brumasse. Toutes les émissions se combinent et je me rends bien compte qu'il y a des effets négatifs.

Ne pensez-vous pas que nous en sommes tout juste aux balbutiements de la science en matière de changement climatique, que nous en sommes au tout début? Je trouve que les gens ont de la difficulté à quantifier le phénomène.

Le gouvernement nous dit qu'il veut améliorer de 25 p. 100 le rendement énergétique de ses immeubles afin de contribuer véritablement à ce dossier. Mais a-t-on pensé aux effets des efforts déployés et des machines utilisées pour parvenir à cette réduction? Est-ce que l'on tient de tous ces autres aspects?

Est-on en présence d'une science dont les éléments sont quantifiables? Les scientifiques nous trompent-ils en chiffrant ces choses-là quand, en réalité, le chiffres ne sont pas réalistes?

M. Bramley: La science du changement climatique fait l'objet d'une grande attention et elle est le siège d'une grande activité depuis une dizaine d'années. Un éminent organisme international d'évaluation scientifique, le Groupe d'experts sur l'évolution du climat, a été créé en 1988 par le programme des Nations Unies pour l'environnement et par l'Organisation météorologique mondiale. Ce groupe a produit trois grands rapports d'évaluation, en 1990, 1995 et 2001, dans lesquels il se livre à une évaluation de l'état des connaissances scientifiques en matière de changement climatique. Une grosse majorité de chercheurs en climatologie s'entendent sur le fait que, de nos jours, le climat est principalement influencé par les activités humaines. Toujours d'après ce groupe d'experts, si les émissions de gaz à effet de serre continuent d'augmenter au cours du siècle, selon toute une diversité de scénarios, les températures moyennes à la surface de la planète augmenteront de 1,4 à 5,8 degrés Celsius d'ici 2100.

Cette communauté scientifique s'entend très nettement à ce sujet et ses constats ont été entérinés par les académies des sciences de 18 pays, dont le Canada, le Royaume-Uni et les États-Unis.

On ne débat pas vraiment de l'influence des activités humaines sur le changement climatique. D'aucuns estiment qu'il s'agit d'un débat artificiel entretenu par la presse, mais ce n'est certainement plus un débat entre scientifiques.

L'un des principaux constats de la science c'est que ce sont les régions voisines des pôles, surtout dans l'hémisphère nord, qui devraient souffrir le plus et le plus rapidement du changement climatique. Les résidents du Nord du Canada parlent souvent des indices du changement climatique qu'ils constatent déjà. Des études réalisées dans le bassin du McKenzie ont permis de constater un réchauffement rapide au cours du siècle passé. On prévoit que ce phénomène ira en s'accélérant si nous ne limitons pas nos émissions de gaz à effet de serre.

Pour ce qui est de la dernière partie de votre question, celle concernant l'amélioration du rendement énergétique des bâtiments, nous disposons d'excellentes données sur la quantité d'émissions de gaz à effet de serre associées à la consommation d'énergie des bâtiments. L'amélioration du rendement énergétique est une formule très intéressante pour réduire les émissions parce que, comme un sénateur l'a sous-entendu tout à l'heure dans sa question, il est ainsi possible d'économiser. Grâce à la réduction de la consommation d'énergie, on récupère généralement très vite les investissements en capital associés à la modernisation des bâtiments.

Le gouvernement s'est fixé des objectifs plutôt ambitieux dans ses plans d'amélioration du rendement énergétique des bâtiments afin de parvenir aux économies envisagées. C'est là une façon intéressante et peu coûteuse de réduire les niveaux d'émissions.

C'est aussi une façon de mobiliser une importante partie de la population pour s'attaquer au changement climatique. Ce genre de programme est donc intéressant parce qu'il permet de mobiliser la population.

Le sénateur Christensen: J'ai quelque chose à dire au sujet de l'efficacité des programmes de modernisation. Dans les années 80, je travaillais dans le domaine de la conservation énergétique. En 1991, nous avons complètement modifié notre maison pour en améliorer le rendement énergétique. Nous avons augmenté de 50 p. 100 la quantité d'isolant, nous avons fait poser des fenêtres à triple vitrage, réduit la surface de fenêtres au nord pour réduire d'un tiers environ la superficie totale d'ouvertures.

Nous avons comparé ce que nous avons consommé en chauffage entre les neuf années ayant précédé les travaux et les neuf années ayant suivi. Nous avons économisé en moyenne près de 325 litres de carburant, mais nous avons eu des hivers plus cléments depuis. La maison est plus silencieuse, plus propre et il n'y a plus de courant d'air. Si c'était à refaire, je le ferai pour le confort, mais on ne peut pas parler d'une importante récupération des coûts.

M. Bramley: Il est certain que les expériences en la matière varient au cas pas cas. Dans le cadre du processus national d'adaptation au changement climatique, un organisme appelé «Buildings Issue Table» a produit un rapport sur le potentiel que pourrait représenter, pour le Canada, la prise de mesures associées à la réduction des émissions dues aux bâtiments. Un rapport contient des estimations de coût à la tonne pour la réduction des gaz à effet de serre. Nombre de mesures énoncées sont des mesures de coûts négatifs. Beaucoup d'experts dans le domaine vous diront qu'il existe un grand nombre de mesures susceptibles de permettre des économies dans le domaine du bâtiment.

Le sénateur Eyton: Merci pour votre exposé, monsieur Bramley. Je dois très rapidement vous dire que je ne me range pas aux arguments invoqués pour ratifier Kyoto, parce que je suis opposé à cet accord. D'un autre côté, je reconnais tous les avantages qu'il y a à tirer de ce protocole et des initiatives dont vous parlez et que nous sommes en train d'étudier. Je vous rejoins, mais par une route différente, parce que j'appuie un grand nombre des initiatives dont vous venez de parler.

Pourriez-vous me parler un peu plus de Pembina? J'ai reçu des documents de l'Institut il y a plusieurs années et je viens de voir ici un tout petit paragraphe descriptif, mais pourriez-vous me dire comment l'Institut a été fondé, comment il se finance aujourd'hui et quel programme de sensibilisation il mène un peu partout au Canada?

M. Bramley: L'Institut Pembina a, je crois, été créé en 1986. J'y travaille depuis quatre ans et je ne connais pas bien son passé. Il a été créé à Drayton Valley, en Alberta, après une catastrophe industrielle, à l'instigation d'un groupe de résidents qui a d'abord voulu mettre sur pied un organisme écologique bénévole, sans but lucratif. Au fil des ans, cet organisme a pris de l'ampleur au point de compter aujourd'hui 35 employés répartis dans trois grands bureaux, un à Drayton Valley en Alberta, l'autre à Calgary et le dernier à Ottawa. Nos sources de financement sont assez diversifiées. Nous avons une fondation et nous recevons des dons personnels. Certains de nos projets sont financés à la pièce par le gouvernement fédéral et d'autres sont financés par les gouvernements provinciaux. Nous dispensons aussi des services consultatifs à des sociétés, des municipalités et des gouvernements. Nous faisons un peu de tout. Nous sommes un hybride entre un organisme écologique traditionnel sans but lucratif et un service consultatif. Nous sommes sans but lucratif, mais nous fournissons des conseils qui nous rapportent de l'argent, argent grâce auquel nous pouvons boucler nos fins de mois.

Le sénateur Eyton: Vous avez un budget de 5 millions de dollars par an ou quelque chose comme ça?

M. Bramley: Je pense que c'est beaucoup plus près de 2 millions par an.

Le sénateur Eyton: Vous utilisez donc très efficacement votre personnel.

Dans votre exposé, vous nous avez parlé du défi d'une tonne. Dans une de vos diapositives, vous avez montré quelle était la contribution des particuliers aux émissions actuelles et, dans une autre, vous parlez du programme lui-même.

En quoi est-ce que les efforts et les mesures au niveau individuel s'intègrent-elles dans tout cela? Comme vous l'avez indiqué, il y a un véritable risque de dédoublement. Je comprends bien ce que vous dites aux pages 3 et 4. Elles sont un peu difficiles à lire, mais je comprends vos calculs. J'ai l'impression que, si les particuliers relevaient ce défi et faisaient leur possible, ils faudrait forcément les informer des effets de leurs actions dans le domaine des transports ou dans celui de l'immobilier. Cela étant posé, comment éviter de ne pas compter deux fois?

Par exemple, si un fabricant produit des chauffe-eau plus efficaces, est-ce qu'on le créditera lui ou les acheteurs de ces appareils? À qui va-t-on attribuer les crédits des émissions? Pouvez-vous me dire où se situe le défi d'une tonne dans les graphiques des pages 3 et 4?

M. Bramley: Voilà une excellente question pour laquelle je n'ai malheureusement pas de réponse parce que, comme vous l'avez remarqué, le plan ne définit pas ce que sont les émissions dues aux particuliers. On ne sait pas exactement, d'après le plan, comment le gouvernement fédéral va définir ce qu'il faut entendre par émissions dues aux particuliers. Le gouvernement fédéral n'a pas déterminé ce que donnerait la réduction d'une tonne par personne, ni ce qu'elle donnerait dans les domaines du transport et dans celui de l'immobilier. La réponse à cette question se trouve peut-être dans tous les calculs qui ont été faits à l'occasion de la préparation du plan fédéral mais je n'ai pas de réponse précise à vous donner.

Vous avez raison, les crédits associés au défi d'une tonne iront en partie au transport, en partie au secteur de l'immobilier et en partie aussi à l'industrie et à la production d'électricité. Dès que les foyers réduisent leur consommation d'énergie, la production d'électricité est diminuée et l'on parvient à des réductions d'émissions par les centrales électriques, si bien que l'on pourrait effectuer une répartition entre les divers secteurs concernés. Comme la moitié des émissions dues aux particuliers, à la façon dont je les ai définies à l'avant-dernière diapositive, sont associées au domaine du transport, on pourrait s'attendre à ce que l'on comble la moitié du défi d'une tonne dans ce secteur également et à ce qu'on obtienne une autre moitié du côté des mesures prises et de l'immobilier, mais je ne peux vous répondre avec précision.

Le sénateur Eyton: Ne serait-il pas mieux, en page 4, d'établir des segments distincts pour chaque contribution personnelle, pour pouvoir affirmer que nous avons tous fait notre part et qu'il faut maintenant que les autres fassent la leur?

M. Bramley: Je suis d'accord avec vous, le gouvernement fédéral doit définir très précisément ce qu'il entend par «émissions personnelles». Différentes définitions pourraient être appliquées à cette expression et il faudrait préciser en fonction de quelle méthode de quantification on déterminerait l'atteinte ou non de l'objectif d'une tonne. Vous pourriez peut-être demander aux fonctionnaires qui se chargent de cette question de vous fournir plus de détails à cet égard, mais je crois savoir que le gouvernement fédéral va entreprendre un programme de sensibilisation publique où il précisera sans doute ce qu'il entend par-là.

Le sénateur Christensen: Avez-vous examiné ce qui se fait en Grande-Bretagne, par exemple, en matière d'évaluation quantitative des émissions de carbone, aux fins de comparaison?

M. Bramley: Vous voulez parler de la quantification des émissions de carbone au niveau individuel?

Le sénateur Christensen: Comme se le demandait le sénateur Eyton, comment assurer le suivi de tout cela et éviter de compter en double? Quel processus va-t-on appliquer? Vous dites que ce n'est pas clair. Je vous demande si vous avez examiné ce qui se passe dans d'autres pays, comme la Grande-Bretagne.

M. Bramley: Pour ce qui est du respect de Kyoto par le Canada, il ne sera pas possible de compter en double parce que nos résultats seront évalués en fonction de notre inventaire national de gaz à effet de serre, inventaire qui est dressé de façon très rigoureuse et qui exclut toute possibilité d'un compte en double. Ce problème se poserait en cas de progrès dans la réduction des émissions, dans la façon d'attribuer des progrès réalisés aux différentes mesures prises. Il s'agirait donc d'un problème d'attribution.

Je suis au courant de certaines mesures qui ont été adoptées par le Royaume-Uni relativement à la mise en œuvre de Kyoto. Les Britanniques se sont déjà dotés d'un système d'échange de droits d'émissions de gaz à effet de serre, de parts d'énergie renouvelable, de normes d'amélioration de l'efficacité énergétique au niveau de la consommation imposées aux producteurs d'électricité et ainsi de suite. Je ne sais pas quel mécanisme les Britanniques ont adopté pour éviter le problème des attributions en double, mais je suis le premier à reconnaître que le risque de compter deux fois est très grand dans le cas du plan fédéral de mise en œuvre. J'ai insisté surtout sur les risques dans ce domaine dans le cas des grandes sources d'émissions industrielles, mais c'est un aspect où tout le monde devra faire preuve de diligence.

Je n'ai pas vraiment répondu à la question précédente relativement à l'attribution des crédits, parce que cela revient encore une fois à la question très générale de l'attribution. Cette réponse n'est vraiment importante que s'il existe un système officiel d'échange de droits d'émissions — où le crédit prend la forme d'un document auquel on associe une valeur monétaire et qui s'échange dans le cadre du système en vigueur. Dans le cas d'un système d'échange de droits d'émissions, il devient particulièrement important d'éviter de compter les crédits en double. Ce genre de problème sonnerait le glas du système d'échange de droits. Il faudra effectivement décider de qui, entre le fabricant et l'acheteur d'un appareil ménager plus rentable, doit obtenir le crédit, mais ce ne sera pas vraiment critique, parce qu'aucun document officialisant cette réalité ne fera partie du système d'échange. Aucun crédit négociable ne sera associé à ce genre d'activité. C'est du moins ce qui semble se dessiner d'après les plans actuels.

Le sénateur Eyton: J'ai une autre question à vous poser au sujet du plan national, le plan de changement climatique du gouvernement. Il y est question de porter à 10 p. 100 la part d'énergie renouvelable dans le domaine de la production d'électricité, et vous en parlez d'ailleurs à la dernière page de votre présentation, au sujet des normes sur la part d'énergie renouvelable. Quelle partie l'énergie nucléaire pourrait-elle et devrait-elle jouer à cet égard?

M. Bramley: Nous n'avons pas beaucoup parlé d'énergie nucléaire dans toutes les discussions que nous avons tenues, au fil des ans, sur le processus national associé au changement climatique. Je crois savoir que, pour beaucoup, l'énergie nucléaire est une option qui n'est pas économique. Il ressort que cette solution n'a pas donné des résultats probants sur le plan économique ni en Ontario ni au Royaume-Uni. De plus, elle fait l'objet d'une forte opposition dans la population.

C'est donc très certainement à cause de cela que les organisations écologiques ne sont pas à l'aise avec l'idée d'augmenter la capacité de production nucléaire, compte tenu des problèmes de gestion de déchets, du risque d'accident majeur et ainsi de suite. D'un autre côté, les organismes environnementaux ne considèrent pas, non plus, que les grands projets hydroélectriques sont forcément des solutions possibles en remplacement des centrales alimentées au carburant fossile à cause des répercussions importantes qui y sont associées sur les plans environnemental et social.

Ainsi, nous ne considérons pas vraiment que les grandes centrales hydroélectriques et les centrales nucléaires sont des solutions de remplacement écologique aux autres modes de production énergétique qui sont sources d'émissions de gaz à effet de serre.

Le sénateur Eyton: Cela me paraît illogique. Si l'objectif est de produire une électricité propre, une énergie propre, j'ai l'impression que l'on fait fausse route en ajoutant d'autres objectifs.

Il est indéniable qu'il sera très coûteux, incertain et souvent difficile sur le plan politique de recourir au nucléaire pour produire une énergie écologique. Pourtant, les coûts marginaux associés aux installations actuelles sont de loin nettement inférieurs à toutes les autres solutions. Vous avez plutôt raison quand vous parlez des coûts de l'énergie, mais pas pour ce qui est des installations existantes.

M. Bramley: Il faut toujours envisagé l'ensemble des répercussions associées à la production d'énergie. Il est parfois artificiel de dire «Aujourd'hui, nous allons parler de gaz à effet de serre et nous n'aurons donc pas à nous soucier des autres répercussions possibles que telle ou telle technologie pourrait avoir sur l'environnement». Il faut absolument envisager toute la gamme des répercussions possibles dans le cadre d'une évaluation environnementale et c'est ce que nous faisons dans des organisations écologiques comme la nôtre.

Le sénateur Eyton: Je pourrai toujours surimposer à cela d'autres objectifs et ne jamais parvenir à rien.

Le sénateur Milne: Un grand nombre de recommandations et de solutions que vous nous avez données ne relèvent pas de la compétence du gouvernement fédéral. Ce sont des aspects qui relèvent des provinces ou des municipalités, surtout dans le cas du transport en commun. Le seul genre d'intervention que le gouvernement pourrait mener dans le domaine du transport en commun, devrait consister, quant à moi, à améliorer les infrastructures par le biais du fonds prévu à cet effet.

Quelle est la meilleure formule susceptible d'inciter les gens à laisser leur voiture à la maison pour prendre les transports en commun? À Ottawa, par exemple, la municipalité a opté pour l'autobus. À Toronto, c'est la solution du métro et celle des réseaux de transport rapide par route qui a été retenue, et la ville envisage maintenant de créer des voies rapides pour autobus. Que recommandez-vous et qu'est-ce que le gouvernement fédéral pourrait faire sur ce plan?

M. Bramley: Je reconnais que le gouvernement fédéral peut effectivement agir par le biais des investissements dans les infrastructures. Aux États-Unis, le gouvernement s'est engagé à financer le transport en commun à long terme, ce qui n'est pas le cas au Canada.

Le sénateur Milne: Mais quelle est la meilleure formule, le réseau de transport rapide par autobus ou le service ferroviaire?

M. Bramley: Je n'ai pas examiné cette question suffisamment en détail pour vous donner une réponse définitive. De toute évidence, le coût entre en jeu, de même que la rentabilité des réductions obtenues sur le plan des retombées environnementales en fonction de l'argent dépensé.

Toutefois, il faut aussi songer au côté pratique de ce mode de transport pour le consommateur. Au Canada, de nombreuses villes disposent déjà de services de transport public tout à fait acceptables, mais il n'y a pas encore assez de gens qui les utilisent et, dans bien des cas, la population estime que les transports en commun ne sont pas assez pratiques. Le choix est très facile entre un service d'autobus qui risque d'être ralenti par les embouteillages et un service de train qui n'a pas de problème. Tous ceux qui ont utilisé les services ferroviaires urbains pourront vous parler de leur rapidité et de leur côté pratique. Le train parviendrait donc peut-être à attirer plus de voyageurs.

Le sénateur Milne: Comment inciter les provinces à améliorer les codes du bâtiments dont elle sont responsables? Autrement dit, comment inciter les provinces à légiférer l'application de la norme R-2000 à toute nouvelle construction? Je pense que cela donnerait lieu à une importante amélioration.

M. Bramley: Vous avez raison. Je ne suis pas constitutionaliste, mais je crois savoir que les provinces réglementent dans ce domaine. Je ne vois pas à quel mécanisme le gouvernement fédéral pourrait recourir pour intervenir dans ce domaine si les provinces ne faisaient rien. Il vaudrait peut-être la peine d'examiner cette question de plus près. Nous mettons ici en exergue le fait que les provinces doivent participer activement à la mise en œuvre du protocole de Kyoto au Canada et qu'elles doivent y apporter leur collaboration.

Le problème, c'est que le gouvernement fédéral sera tenu responsable du respect des dispositions du protocole de Kyoto sur la scène internationale. Comment parvenir à inciter des provinces et des territoires, qui n'ont pas de responsabilité directe en la matière, à appliquer des mesures par ailleurs nécessaires? Les négociations fédérales- provinciales seront déterminantes dans ce cas.

Le sénateur Eyton: Dans votre mémoire, vous dites à propos de la collaboration qu'il faudrait transférer les responsabilités au Conseil privé et les faire monter d'un cran au gouvernement fédéral. J'aurais pensé qu'une telle mesure aurait été perçue négativement par les provinces et les municipalités. J'ai l'impression que ce n'est pas forcément la bonne façon de s'y prendre. Comment pourrions-nous, en collaboration avec Pembina et d'autres, stimuler des initiatives municipales et provinciales populaires qui correspondront à l'initiative fédérale? On ne l'imposera pas du haut de la pyramide. Les différentes initiatives émanant du gouvernement fédéral pour être transférées aux provinces et aux municipalités se heurteront à une résistance très forte. Cela ne fonctionnera pas. Je m'attends à ce qu'un bureau comme le Bureau du Conseil privé ne parvienne pas à nous aider à cet égard. Qu'en pensez-vous?

M. Bramley: Cette proposition qui consiste à transférer la responsabilité de l'ensemble des mesures au Secrétariat au changement climatique qui relèverait du Bureau du Conseil privé a pour objet de s'assurer que quelqu'un, au gouvernement fédéral, sera effectivement responsable de la mise en œuvre.

Actuellement, cette responsabilité est partagée entre Environnement Canada et Ressources naturelles Canada, et ce n'est un secret pour personne que ces deux ministères ne voient pas les choses du même œil. Je crois savoir que le Commissaire au développement durable a souligné ce problème dans deux rapports. Une première fois en 1998, puis à l'occasion d'une mise à jour, un an ou deux plus tard. Dans ces rapports, il indique que la structure fédérale de mise en œuvre des mesures associées au changement climatique sont loin d'être optimales. Il y a donc lieu de centraliser et de préciser les responsabilités sur le plan de la mise en œuvre.

Pour ce qui est de la participation des municipalités et des provinces, il faut savoir qu'un grand nombre de municipalités est disposée à prendre des mesures pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. La Fédération canadienne des municipalités a pris les devants. Beaucoup de municipalités importantes, mais des petites aussi, ont adopté des objectifs de réduction des gaz à effet de serre et des plans d'action, si bien que nous sommes témoins d'un fourmillement d'activités à cet échelon.

Par ailleurs, nombre de provinces sont aussi disposées à agir. Récemment, le gouvernement du Québec a tenu des audiences en comité à ce sujet et produit un document descriptif énonçant les quatre options de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans la province, pour parvenir à un niveau égal ou inférieur de 6 p. 100 à ceux de 1990.

Le Manitoba, lui aussi, est très actif en la matière et il a formulé des plans d'action.

La province de l'Alberta a publié un plan d'action relatif au changement climatique qui ne rejoint pas l'objectif de Kyoto, mais qui reconnaît l'existence d'un problème auquel il convient de s'attaquer et où le gouvernement s'y dit disposé à appliquer un ensemble de mesures pour commencer à réduire les émissions. On constate donc que les provinces sont bien disposées à agir.

Je n'ai pas de proposition particulière à vous faire pour corriger le problème de manque de confiance qui s'est instauré au cours de l'année dernière entre les provinces et le gouvernement fédéral relativement au changement climatique.

Le sénateur Eyton: C'est également le cas dans tous les autres domaines.

Le sénateur Milne: Il existe une tension constante entre les différents ordres de gouvernement.

Le meilleur outil dont dispose le fédéral pour influer sur les provinces pourrait être notre code fiscal. On pourrait leur donner des points d'impôt pour tout ce qu'elles feraient de bien et leur en retirer pour tout ce qu'elles feraient de mal.

Pour changer un peu le sujet, parlons des puits de carbone. Ne s'agit-il pas d'un faux crédit ou d'une fausse réduction, et cette réduction contribue-t-elle vraiment à lutter contre le réchauffement? Quel est le meilleur puits de carbone? Avez-vous étudié le phénomène des puits de carbone dans le cas des arbres à croissance lente et dans celui des cultures à croissance rapide, et ainsi de suite?

M. Bramley: Nous avons effectivement étudié la question des puits. Vous n'ignorez sans doute pas que le Canada a négocié la possibilité d'obtenir des crédits pour ses puits dans le cadre de l'application du protocole de Kyoto. Du point de vue scientifique, il est certain que nous avons des puits à carbone. Les puits à carbone sont en fait un processus biologique qui retire le gaz carbonique de l'atmosphère. Le plus gros problème, dans le cas des crédits que nous avons obtenus à l'échelle internationale pour nos puits, c'est que même le statu quo donne lieu à la création de puits à carbone.

Pour évaluer la manière dont le Canada se conforme aux objectifs de Kyoto, nous comparons nos émissions de 2008-2012 à celles de 1990. Nous comparons donc des pommes avec des pommes. Dans le cas des puits forestiers, le Canada ne fait aucune comparaison par rapport à la situation de 1990, et il examine simplement celle de 2008-2012. Il s'agit d'un petit truc dont le Canada s'est prévalu pour se faciliter la tâche.

L'autre grand problème associé aux puits est celui de leur permanence. Qui dit émissions de gaz à effet de serre dit transfert de carbone de la croûte terrestre à l'atmosphère. Un puits capte le carbone présent dans l'atmosphère terrestre mais, plutôt que de le réintégrer dans la croûte, il le disperse dans la biosphère où il est capté sous la forme d'une matière moins stable. Le carbone peut rester dans la croûte terrestre pendant des millions d'années sans que nous ayons à nous en inquiéter. Toutefois, dès qu'il est dans la biosphère, il risque de se retrouver de nouveau dans l'atmosphère dès qu'on coupe un arbre ou qu'on remue la couche de surface du sol. Nous ne sommes pas tout à fait d'accord avec l'idée qui consiste à considérer que les crédits consentis pour les puits sont des réductions. Il n'y pas d'équivalence à cause du problème de la permanence.

Vous vouliez savoir s'il existe de bons et de mauvais puits. Eh bien, pour ce qui est de la forêt, il existe plusieurs préoccupations d'ordre écologique. Nous apprécierions que les projets entrepris au Canada pour emprisonner plus de carbone dans les forêts soient respectueux des valeurs environnementales, comme la conservation de la biodiversité. Il y a tout un ensemble de problèmes d'ordre environnemental auquel il faut ici penser.

Certains s'occupent de cette question. Pollution Probe a organisé une série d'ateliers visant à examiner la question de la gestion du carbone dans les forêts et déterminé comment on pourrait s'y prendre pour que cela se fasse de façon acceptable. Il y a peut-être des informations à récupérer auprès de cet organisme.

Le sénateur Milne: Savez-vous si quelqu'un a travaillé sur les puits de carbone en agriculture? Comme je le disais, on pourrait faire la comparaison entre les cultures rapides et les arbres à croissance lente. Nombre de cultures à croissance rapide, comme le maïs, servent souvent pour produire du paillis qui se décompose et pénètre dans le sol.

M. Bramley: Je ne dispose d'aucun renseignement détaillé sur les puits agricoles, mais je sais que le gouvernement fédéral mise sur 10 mégatonnes devant être obtenues grâce à la captation du carbone par les terres agricoles, afin de combler l'écart par rapport à Kyoto. Il y a encore beaucoup de travail à faire pour savoir comment il faudra s'y prendre et comment parvenir accélérer ce processus. Malheureusement, je n'ai pas de renseignement précis à ce sujet. Les écologistes s'inquiètent des questions de permanence et veulent savoir comment faire en sorte que les crédits que le Canada obtiendra au titre de ses activités correspondront à des changements permanents plutôt qu'à un entreposage temporaire du carbone qui sera tôt ou tard relâché dans l'atmosphère.

Le sénateur Milne: Je ne sais pas si quelqu'un a déjà pensé à un autre problème, je veux parler de celui que posent les nouveaux projets immobiliers. Beaucoup sont situés sur des terres agricoles. C'est le cas d'un dans le coin où j'habite. Les terres agricoles sont déboisées, mais la première chose qu'on fait dans un nouveau lotissement, c'est de planter des arbres. La superficie du couvert forestier urbain augmente considérablement au rythme de l'expansion de nos villes.

M. Bramley: J'ai vu les chiffres associés au piégeage du carbone par les forêts urbaines et je dois dire qu'ils sont plutôt faibles. Il est vrai qu'il y a un avantage sur le plan esthétique, mais le nombre d'arbres est relativement faible par rapport à celui qu'on trouve dans des forêts productives.

Pour ce qui est du développement urbain, vous soulevez effectivement un problème important. Quand on n'y veille pas, le développement urbain peut équivaloir à préparer le sol dans le sens d'une augmentation des émissions de gaz à effet de serre à long terme, surtout à cause du transport. C'est là un domaine où certains gouvernements provinciaux, par exemple, ont commencé à imposer des lignes directrices aux municipalités pour qu'elles tiennent compte des considérations relatives à l'utilisation de l'énergie dans la planification de leur projet urbain. C'est là un aspect important.

Le sénateur Christensen: Avez-vous effectué des calculs pour déterminer la quantité de carbone emprisonné dans le permagel, dans le Nord, et vous êtes-vous demandé quels effets le réchauffement planétaire aura sur la fonte du permagel et sur la libération du carbone qu'il contient?

M. Bramley: Je n'ai pas de données à ce sujet, mais je sais que cette question est très préoccupante.

Le sénateur Christensen: C'est énorme!

M. Bramley: C'est un problème qui est potentiellement énorme. Je ne peux malheureusement pas vous donner de réponse précise.

Le sénateur Christensen: Mon autre question concerne les unités d'émissions internationales. Il se pourrait qu'elles n'expriment pas les véritables réductions auxquelles on s'attend. Pensez-vous que tel soit le cas et, dans l'affirmative, que pourrait-on faire pour éviter ce problème?

M. Bramley: Il existe deux grandes raisons à ce problème. Trois grands programmes d'échange de droits d'émissions sont prévus dans le protocole de Kyoto. L'un d'eux, dont le titre officiel est simplement Échanges internationaux de droits d'émissions, correspond à la partie échangeable du quota d'émissions consenti aux pays en vertu de Kyoto. Cet exemple est souvent cité par la Russie dont l'objectif de Kyoto est nettement inférieur aux émissions que ce pays devrait produire durant la période visée par Kyoto. Les Russes disposent donc d'un excédent d'émissions par rapport à leur quota de Kyoto, excédent qu'ils pourront vendre à des pays comme le Canada. On parle alors d'air chaud. Cet excédent de la Russie est attribuable à bien d'autres raisons que la lutte au changement climatique. C'est simplement parce que l'économie russe s'est effondrée à l'époque de l'éclatement de l'Union soviétique. Si le Canada s'en remet à ces unités pour atteindre à ses objectifs, il ne parviendra de son côté à aucun avantage sur le plan environnemental.

Cela dit, le gouvernement fédéral a répété à maintes reprises qu'il n'envisagerait d'acheter de telles unités que si la Russie consacrait l'argent versé en contre partie à des projets environnementaux, ce qui serait plus acceptable.

Les unités internationales soulèvent une autre grande préoccupation à cause d'un autre mécanisme. L'un des deux autres mécanismes d'échange de droits prévus dans le protocole de Kyoto porte le nom de mécanisme pour un développement propre. Grâce à ce mécanisme, le Canada pourrait, par exemple, investir dans des projets de réduction d'émissions, dans les pays en développement, et obtenir des crédits pour la valeur des réductions ainsi obtenues, en plus de ce qui se serait fait autrement. La difficulté consiste ici à définir ce qu'aurait pu être la réduction normale. On parle dans ce cas de la ligne de base du projet.

Le risque est grand que l'on accorde, en vertu de ce mécanisme pour un développement propre, des crédits pour des projets qui auraient été entrepris de toute façon, sans Kyoto, autrement dit que l'on accorde des crédits à des activités qui auraient eu lieu dans tous les cas de figure. Le Canada obtiendrait alors un crédit qu'il pourrait utiliser en vertu de son objectif de Kyoto. Globalement, vous vous trouveriez à augmenter les émissions à la surface de la planète, plutôt qu'à les réduire. Un représentant canadien siège au conseil d'administration de mécanisme pour un développement propre. Il a son mot à dire au sujet des règles qui seront appliquées. Nous craignons beaucoup que ces règles ne soient trop laxistes et qu'elles permettent des échappatoires au point qu'il soit possible d'obtenir des crédits pour des projets qui auraient eu lieu de toute façon.

Le sénateur Merchant: Avez-vous pensé à la façon dont le fardeau sera réparti au niveau des particuliers canadiens, au nom de la contribution à la réduction des gaz à effet de serre. Ne va-t-on pas pénaliser ceux qui peuvent le moins se le permettre? Vous avez parlé de produire de meilleurs appareils ménagers et de meilleures voitures. Est-ce que ceux et celle qui conduiront de vieilles voitures seront pénalisés, peut-être à cause d'une augmentation des frais d'enregistrement de leurs véhicules? Nombre de ces mesures auront un effet négatif disproportionné sur ceux qui peuvent le moins se le permettre. Qu'en pensez-vous?

M. Bramley: Eh bien tout d'abord, les mesures qui s'appliquent aux consommateurs ne seraient pas nécessairement punitives. D'ailleurs, ce n'est pas ce genre de démarche que j'ai préconisée.

Si l'on avait recours à la réglementation pour exiger des fabricants et des manufacturiers qu'ils produisent des appareils plus économes en énergie, on pourrait penser que les coûts de ces produits augmenteraient. Qn estime que la technologie existe déjà pour améliorer l'efficacité des machines et des appareils moyennant un faible coût. Ainsi, il n'y aurait pas forcément de répercussion sur le prix des produits.

Pour ce qui est des incitatifs financiers, le gouvernement verserait des primes monétaires pour récompenser des efforts comme l'amélioration du rendement énergétique des bâtiments. Je vous ai donné l'exemple de l'abattement tarifaire que l'on pourrait consentir à l'acheteur d'un véhicule économe en carburant et la pénalité que devrait payer celui qui préférerait un véhicule moins rentable. J'estime que de telles mesures n'auront pas d'incidence sur les personnes à faible revenu, parce qu'elles ont normalement tendance à acheter de plus petits véhicules qui sont moins coûteux mais aussi moins énergivores. Il pourra toujours y avoir des cas où les effets seront plus disproportionnés sur les faibles revenus, mais il s'agira alors d'exceptions. Je ne pense pas qu'il soit question d'imposer un fardeau aux personnes à faible revenu.

Le sénateur Merchant: Avant qu'une personne puisse avoir droit au rabais tarifaire, il faudrait qu'elle ait l'argent nécessaire pour acheter un véhicule. Est-ce que ce fardeau ne serait pas disproportionné?

M. Bramley: Pour en revenir à l'exemple du véhicule, si l'on appliquait un rabais tarifaire, il en coûterait moins cher pour acheter un véhicule consommant peu de carburant. Il ne serait pas question de payer plus à l'achat et d'avoir une sorte de rabais plus tard. Normalement, le système serait mis en œuvre de façon transparente et aurait pour objet de réduire le prix des véhicules.

Le sénateur Merchant: Je vois, mais qu'advient-il de ceux qui doivent acheter un véhicule ou un poêle différent. Normalement, les gens n'achètent pas de véhicule s'ils n'en ont pas besoin. Ils pourraient choisir de garder leur véhicule, leur poêle et le reste pendant dix ans. Ils pourraient ne pas être prêts à acheter un nouveau véhicule, même si c'était plus économique pour eux d'en acheter un consommant moins de carburant.

M. Bramley: À ma connaissance, personne ne soutient que les gens seront tenus de remplacer un vieux produit par un neuf. Quand on parle de norme applicable à des véhicules consommant peu de carburant, il est question des nouveaux véhicules présentant une consommation réduite.

Le sénateur Merchant: Je comprends, mais je me demandais comment nous allons respecter cette norme d'une tonne par personne, parce que cela devra se produire dans les six prochaines années. Nous sommes limités dans le temps.

Le sénateur Milne: J'ai une question supplémentaire à poser à ce sujet. Je crois que le sénateur Merchant vient de mettre le doigt sur quelque chose d'intéressant. Les pauvres ne peuvent pas s'acheter de nouvelle voiture, mais ils achètent des véhicules usagés dont le rendement est moins intéressant. D'après ce que j'ai constaté, parce que j'ai récemment étudié le marché de l'automobile, les véhicules qui consomment peu de carburant sont extrêmement chers. Il faut très longtemps à l'acheteur pour rentrer dans son argent.

M. Bramley: C'est pour cela que les transports en commun sont importants.

Le sénateur Buchanan: Je voudrais parler des relations fédérales-provinciales. Nous avons fait beaucoup de progrès au cours de l'année dernière. Dans la plupart des provinces, il existe des codes qui respectent les codes nationaux, par exemple pour l'électricité, la sécurité et les incendies. Dans la plupart des cas, il s'agit de codes nationaux qui ont été adoptés par les provinces, du moins à en juger d'après ceux que je connais. Toutefois, il y a le problème des maisons à haut rendement énergétique, les maisons R-2000. La plupart des provinces n'imposent pas de norme à cet égard.

Normalement, les politiciens sont des gens pratiques, raisonnables et réalistes. Vous êtes d'accord avec ça ou pas?

M. Bramley: Bien sûr que je suis d'accord.

Le sénateur Buchanan: Le problème c'est qu'il y a un coût rattaché à l'imposition d'une norme nationale de ce genre. Malheureusement, dès que l'on parle coût, ce sont ceux qui construisent les maisons ou qui les achètent qui doivent les assumer. Qui blâmer? On blâme les gouvernements provinciaux parce que c'est eux qui ont émis des directives et pas le gouvernement fédéral. La population doit comprendre ce qui se passe du côté des relations fédérales-provinciales, ils doivent savoir qui blâmer.

Pour ce qui est des trois étapes expliquées dans le règlement sur le CO2, en Nouvelle-Écosse, nous produisons 80 p. 100 de notre électricité dans des centrales au charbon. Nous sommes parvenus à éliminer les émissions de dioxyde de soufre dans la majorité de nos centrales grâce aux méthodes sur lit fluidisé et de retraitement, mais nous ne sommes pas parvenus à éliminer le CO2. Il est très difficile de réduire et encore plus d'éliminer le CO2 des centrales à charbon. Je ne comprends pas pourquoi le New Hampshire voudrait réglementer le CO2 puisque la plus grande partie de son électricité est produite par la centrale nucléaire de Seabrook. Je ne pense pas qu'il y a des centrales thermique charbon en Oregon, n'est-ce pas?

M. Bramley: Je ne crois pas qu'il y en ait au New Hampshire.

Le sénateur Buchanan: Je ne le savais pas.

M. Bramley: En Oregon, ils ont des centrales au gaz naturel. La norme vise à obliger les centrales à réduire de 17 p. 100 leurs émissions de CO2 par unité de production par rapport aux niveaux enregistrés pour la centrale au gaz naturel ayant le meilleur rendement au pays. Au bout du compte, les centrales sont contraintes d'acheter des crédits de gaz à effet de serre pour respecter cette norme.

Le sénateur Buchanan: Je vous parle de cela parce que, dans les années 80, les gouverneurs du New Hampshire et du Massachusetts ont beaucoup parlé de Seabrook et des centrales nucléaires en général.

Le CO2 est la cause de situations très délicates. En Nouvelle-Écosse, nous produisons quelque 80 p. 100 de notre électricité à partir du charbon. Nous avons jalousement protégé notre droit à produire ce genre d'électricité au fil des ans, parce que nous utilisons un charbon essentiellement néo-écossais. Mais maintenant, cela a changé. Nous ne produisons plus d'électricité à partir de notre charbon, puisque nous nous approvisionnons auprès des États-Unis et parfois même de la Colombie et d'autres pays d'Amérique du Sud. Nous aimerions mettre un terme à cela, mais nous nous heurtons à un problème de coût. Que feriez-vous dans le cas de consommateurs qui paient déjà une note d'électricité assez élevée, si vous aviez à leur dire: «Fort bien, nous allons arrêter de produire de l'électricité avec du charbon pour passer à l'énergie éolienne?»

Pour l'instant, deux petites centrales éoliennes produisent moins de 1 p. 100 de toute notre électricité. Il s'agit de centrales expérimentales qui reviennent très cher. Nous n'avons pas beaucoup de zones qui soient suffisamment balayées par les vents pour produire de l'électricité éolienne. Autant oublier pour ce genre d'énergie.

L'énergie solaire, elle, est très coûteuse. Il n'est pas possible d'appliquer cette formule à cause des coûts que cela représente pour le consommateur.

Nous produisons beaucoup d'électricité à partir du gaz naturel. Toutefois, qui va payer les coûts associés à l'acheminement du gaz naturel jusqu'à nos centrales situées à Cap Breton? Il est très cher de creuser des tranchées et d'y faire passer des gazoducs. Une fois que le gaz sera arrivé à destination, qui payera pour la conversion des centrales de 900 à 1 000 mégawatts du charbon au gaz naturel? Encore une fois on en revient à une question de coût.

Nous n'opterons pas pour l'énergie nucléaire en Nouvelle-Écosse parce que, d'après les essais que nous avons effectués, nous avons constaté que cela pourrait nous coûter très cher.

C'est un véritable casse-tête. Que faire? Continuer de brûler du charbon et de produire du CO2, au risque de devoir payer très cher parce que, d'après ce que j'ai cru comprendre, la captation du CO2 n'est pas donnée. Je ne connais pas la technologie d'élimination du gaz carbonique à la source, mais je crois savoir qu'il serait très coûteux de convertir la majorité de nos centrales qui sont actuellement alimentées au charbon.

M. Bramley: D'abord et avant tout, il ne faut plus rester rivé sur l'embouchure de la cheminée d'où s'échappe le CO2. Il faut s'intéresser à l'origine du problème, c'est-à-dire à la consommation d'électricité. On pourrait faire beaucoup pour réduire la consommation d'électricité.

Le sénateur Buchanan: Est-ce réaliste?

M. Bramley: Tout à fait. Le Canada gaspille de l'énergie. Nous pourrions réaliser des gains énormes, comme nous l'avons dit, grâce à des bâtiments et à des appareils plus rentables sur le plan énergétique.

Encore une fois, les États-Unis nous donnent l'exemple à suivre avec leurs fonds d'intérêt public en vertu desquels les services publics doivent investir dans la gestion de la demande. Il existe des programmes spécifiquement destinés à aider les consommateurs à consommer moins d'énergie chez eux. Beaucoup de progrès pourraient être réalisés sur ce plan.

Le sénateur Buchanan: Et qui paie pour cela?

M. Bramley: Le plus souvent, nous nous retrouverons dans un scénario à coût nul voire négatif, sous l'effet des économies réalisées. Quand vous consommez moins d'énergie, vous dépensez forcément moins d'argent.

Le sénateur Buchanan: Vous parlez des dépenses faites par les services publics. Où ces services vont-ils aller chercher l'argent? Ils devront forcément se tourner vers le consommateur. C'est finalement le consommateur qui paiera de sa poche.

M. Bramley: Dans le cas des fonds d'intérêt publics aux États-Unis, un droit minime est prélevé sur les kilowattheures vendus. Cette façon de faire permet de constituer un fonds dont l'argent doit forcément servir à financer des programmes susceptibles d'aider les consommateurs à utiliser l'énergie de façon plus efficace.

Grâce à cela, les consommateurs consomment moins d'énergie. Dans bien des cas, ils se rembourseront grâce à une réduction de leur consommation. La boucle est bouclée!

Le vice-président: Permettez-moi de vous interrompre un instant. Les services publics californiens appliquent un programme de gestion intégrée des ressources. Le type d'administration qui existait avant n'avait pas donné de résultat concluant. Aujourd'hui, les services publics en question reviennent à des programmes qui leur sont propres.

Il existe aussi des fonds pour les énergies renouvelables, qui ont donné des résultats exceptionnels. La réduction de la consommation d'énergie a été notable, puisqu'elle s'est chiffrée à 1 milliard de dollars ces dernières années. En Californie, le programme fonctionne très bien.

Le sénateur Buchanan: Toutefois, il faut être conscient d'une autre chose. Vous parlez de la Californie, dont la population est à peu près la même que celle du Canada. Ici, nous avons de très petites provinces, comme la Nouvelle- Écosse qui compte environ 1 million d'habitants. Au Nouveau-Brunswick, il y a environ 800 000 habitants. Il y a une très grande différence entre ces provinces et la Californie.

Il faut également tenir compte des aspects économiques. En Californie, les grandes compagnies de services publics dépensent 10 p. 100 ou quelque chose comme ça, d'après ce qu'a indiqué le témoin.

La vice-présidente: Un dixième de cent.

Le sénateur Milne: Permettez-moi d'intervenir, parce que j'ai également entendu M. Bramley nous parler de 10 p. 100. Nous devrions lui demander ce qu'il voulait dire au juste.

M. Bramley: J'ai parlé d'un dixième de cent.

Le sénateur Buchanan: Ah bon, je pensais que vous aviez dit 10 p. 100.

Le sénateur Milne: C'était un dixième de cent.

M. Bramley: J'aimerais répondre à la deuxième partie de votre question, celle qui concernait l'énergie éolienne.

Il ne faut pas rejeter du revers de la main l'énergie éolienne, comme vous avez semblé le faire. Je vous ai donné l'exemple du gouvernement de l'Alberta qui, il y a quelques jours à peine, a annoncé qu'il venait de renégocier des contrats de production d'énergie à long terme qui permettront à la province d'économiser sur son budget de fonctionnement. Quatre-vingt-dix à quatre-vingt-quinze pour cent des nouvelles formes d'énergie proviennent de sources renouvelables, peu polluantes, comme l'énergie éolienne et la biomasse produite à partir des déchets du bois.

Le gouvernement de l'Alberta nous donne un excellent exemple. À partir de 2005, il s'approvisionnera, pour la plus grande partie de son énergie, auprès de ressources renouvelables, peu polluantes, et en plus il fera des économies.

Le sénateur Buchanan: Cela pourra fonctionner en Alberta, mais nous avons deux régions en Nouvelle-Écosse où l'on peut produire de l'électricité à partir du vent. Malheureusement, c'est très coûteux.

Le président suppléant: Merci beaucoup pour votre exposé qui a été très intéressant, comme vous avez pu en juger d'après nos questions. Nous pourrions sans doute passer une autre heure sur le sujet, mais nous devons malheureusement libérer la salle.

La séance est levée.


Haut de page