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NFFN - Comité permanent

Finances nationales


Délibérations du comité sénatorial permanent
des finances nationales

Fascicule 17 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 28 octobre 2003

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui à 9 h 32 pour étudier le projet de loi C- 212, Loi concernant les frais d'utilisation.

Le sénateur Joseph A. Day (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président: Ce matin, nous entreprenons nos audiences sur le projet de loi d'initiative parlementaire C-212. Ce projet de loi a été soumis à notre comité le mercredi 22 octobre dernier, et ceci est notre première audience sur ce sujet. Je suis très heureux de vous présenter le parrain du projet de loi à la Chambre des communes, et la personne qui en a été l'instigateur, M. Roy Cullen, député d'Etobicoke-Nord. Je crois comprendre, monsieur Cullen, que vous allez nous présenter un exposé — nous avons tous reçu un exemplaire de votre document; nous passerons ensuite aux questions. Nous avons pensé pouvoir consacrer environ trois quarts d'heure à votre exposé.

M. Roy Cullen, député, Etobicoke-Nord: Je suis très heureux de pouvoir présenter devant le comité mon projet de loi d'initiative parlementaire C-212, Loi concernant les frais d'utilisation. L'objet de ce texte est d'accroître la transparence et l'imputabilité ainsi que la surveillance parlementaire des ministères et organismes fédéraux dans leurs efforts de recouvrement de coûts au moyen de frais d'utilisation. Les frais d'utilisation prennent différentes formes et visent à recouvrer une partie ou la totalité des coûts d'un service offert par le gouvernement, présumément dans l'intérêt public, mais aussi d'un service particulier offert à un client — par exemple, les frais d'immatriculation, d'enregistrement, et cetera.

[Français]

Je vous informe tout d'abord de mon appui à l'objectif du gouvernement de recouvrir les coûts qu'il engage en imposant des frais aux utilisateurs de biens individuels et de services spécialisés. Le projet de loi que j'ai présenté aborde les questions suivantes.

[Traduction]

Premièrement, nous devons établir un lien entre le montant exigé de l'utilisateur et la capacité d'un ministère ou d'un organisme de respecter les normes de rendement convenues. Deuxièmement, il faut une plus grande participation des intervenants dans l'établissement des frais. Troisièmement, nous avons besoin d'une analyse d'impact et de compétitivité plus détaillée de la part des intervenants lorsque nous envisageons d'imposer de nouveaux frais ou des hausses de frais d'utilisation. Quatrièmement, nous avons besoin de plus de transparence concernant le bien-fondé des frais, le montant des frais exigés, les coûts à recouvrer, les bénéfices privés accordés et le respect des normes de rendement. Cinquièmement, il est nécessaire d'établir des frais d'utilisation qui sont concurrentiels sur la scène internationale. Sixièmement, il faut une plus grande surveillance parlementaire lorsque des frais d'utilisation sont instaurés ou modifiés.

[Français]

Septièmement, la nécessité d'un processus de règlement des différends afin de régler les plaintes ou les griefs des payeurs de frais d'utilisation; huitièmement, la nécessité de produire des rapports annuels indiquant tous les frais d'utilisation en vigueur.

[Traduction]

Monsieur le président, notre gouvernement s'est engagé dans un programme d'innovation très ambitieux. Nous devons nous assurer que notre cadre réglementaire s'inscrit dans cet objectif très important et favorise son atteinte. Le gouvernement a reconnu cette relation lorsqu'il a lancé sa stratégie de réglementation intelligente dans le dernier discours du Trône. Le gouvernement a annoncé qu'il «mettra en oeuvre une stratégie de réglementation intelligente pour accélérer les réformes dans certains secteurs clés afin de promouvoir la santé et le développement durable, de contribuer à l'innovation et à la croissance économique, et de réduire les tracasseries administratives pour les entreprises».

Selon moi, honorables sénateurs, la politique actuelle du gouvernement sur le recouvrement des coûts au moyen de frais d'utilisation va à l'encontre de son programme d'innovation et devrait constituer un élément important de la stratégie de réglementation intelligente. À mon avis, c'est ce que le projet de loi C-212 vise à réaliser.

Ce qui a commencé par une tentative légitime de recouvrement plus complet des coûts des services privés s'est transformé en un projet plus ambitieux que prévu. Les frais d'utilisation rapportent actuellement 4 milliards de dollars par année en recettes au gouvernement fédéral. Les ministères et organismes fédéraux ont maintes fois élargi la notion des frais d'utilisation; ils ont imposé des frais et des hausses de frais d'utilisation au-delà de ce qui est raisonnable et, le plus souvent, sans établir de lien avec un service ou un rendement. Soulignons qu'il s'agit-là de monopoles qui augmentent leurs prix! Ainsi, si une entreprise veut faire approuver un médicament, elle ne peut pas aller voir ailleurs si le prix exigé par Santé Canada est excessif!

[Français]

Cette pratique incite fortement les ministères et organismes à instaurer des frais d'utilisation et à les augmenter au- delà des frais prévus à l'origine. Désormais, on encourage systématiquement la multiplication de ces frais. Il est temps de rendre cette pratique plus transparente.

[Traduction]

Les compagnies de ma circonscription — telles Bayer Canada et BASF Canada — qui sont exposées à de tels frais pour faire approuver leurs médicaments ou leurs produits chimiques ne s'opposent pas à ce que les frais d'utilisation soient exigés pour des services privés. Elles comprennent que cela s'impose. Elles sont toutefois convaincues que ce qui érode leur compétitivité, ce sont les hausses de frais sans augmentation correspondante des services ou du rendement. Depuis que les frais ont évolué à la hausse, il n'y a eu le plus souvent aucune amélioration correspondante des services ou des délais.

Ainsi, au Canada, le délai moyen pour faire homologuer un médicament est de 750 jours. Aux États-Unis, il est de 500 à 550 jours. En Europe, il est moindre.

Les frais d'utilisation sont toutefois plus élevés au Canada que dans ces parties du monde. L'avantage concurrentiel tient souvent au fait qu'une compagnie est la première à s'attaquer au marché. Il est facile de comprendre pourquoi nos compagnies canadiennes constatent une érosion de leur compétitivité.

[Français]

Aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Australie, les frais imposés aux usagers sont liés, d'une façon ou d'une autre, au service fourni et à sa qualité. Le gouvernement du Canada, pour sa part, n'a toutefois pas encore mis en place une telle mesure. En Australie, l'examen des médicaments doit être effectué dans les délais prévus par la loi. Faute d'autorité compétente, on perd jusqu'à 25 p. cent des frais d'utilisation.

[Traduction]

Aux États-Unis, des objectifs de rendement liant l'organisme chargé de percevoir les frais ont été négociés avec l'industrie. Au Royaume-Uni, la Medicine Control Agency fixe les délais. Je devrais souligner que beaucoup de normes de rendement, comme celles appliquées à Santé Canada pour l'homologation des médicaments, ont été négociées et convenues avec l'industrie. On a déployé beaucoup d'efforts pour cerner les coûts de l'homologation des médicaments et pour fixer des critères raisonnables tout en veillant à ne pas compromettre la sécurité des Canadiens. Santé Canada a pris un engagement envers ces critères mais il est loin de les respecter. Le projet de loi C-212 risque de toucher tous les Canadiens parce qu'il s'applique aux ministères, organismes, conseils, commissions et autres organismes fédéraux qui ont le pouvoir d'imposer des frais d'utilisation ou des frais de recouvrement en vertu d'une loi du Parlement. Il ne s'applique plus aux sociétés d'État.

Les gens payent des droits pour visiter un parc fédéral, les voyageurs payent le Droit pour la sécurité des passagers du transport aérien, les gens payent pour obtenir un passeport, et les administrations provinciales et territoriales payent des droits pour obtenir les services des brise-glace de la Garde côtière canadienne; les petites entreprises payent des droits d'accès au système d'approvisionnement du gouvernement appelé MERX — avec le temps, ces droits sont passés de 5 $ à 30 $ par mois. Les petites entreprises ne comprennent pas la raison d'être de cette augmentation, qui a de graves répercussions sur elles.

J'ai présenté ce projet de loi à cause de la frustration que suscite l'inaction à cet égard. En 2000, le Comité permanent des finances de la Chambre des communes a recommandé d'apporter des modifications importantes à la politique concernant le recouvrement des coûts et les frais d'utilisation, mais peu de progrès ont été réalisés jusqu'à ce jour. En fait, on craint que la politique ait évolué dans le sens contraire!

Le projet de loi C-212 exigera qu'avant d'imposer des frais ou des hausses de frais d'utilisation, ou avant d'en élargir l'application ou d'en prolonger la durée, tout organisme fédéral de réglementation consulte suffisamment les intervenants et la clientèle concernée. Il faut prendre des mesures raisonnables pour informer les clients et les autres organismes de réglementation ayant une clientèle semblable des modifications proposées aux frais d'utilisation. Chaque proposition de frais d'utilisation visée par le projet de loi C-212 doit être déposée devant le Parlement et soumise à un comité par le ministre concerné. Le projet de loi obligerait le ministre, en premier lieu, à expliquer à quel service ou installation, autorité, permis, licence, s'appliqueraient les frais d'utilisation proposés; deuxièmement, à préciser le motif de toute modification proposée aux frais d'utilisation; troisièmement, à préciser quelle norme de rendement est proposée ainsi que le niveau réel de rendement atteint; quatrièmement, à fournir une estimation du montant total que l'organisme de réglementation percevra au cours des trois premières années, et à préciser les coûts que les frais d'utilisation permettront de recouvrer. Si les frais d'utilisation proposés sont plus élevés que ceux imposés dans un pays qui est un important partenaire commercial du Canada, le ministre serait tenu de justifier l'écart.

J'estime que ces questions sont très importantes pour la compétitivité des entreprises canadiennes. Le projet de loi C-212 jouit d'un appui général, tous secteurs confondus. Il a l'appui de la Business Coalition on Cost Recovery, composée d'organismes représentant un large éventail d'intérêts au Canada. Les entreprises membres emploient plus de 2,2 millions de Canadiens et génèrent directement une activité économique de plus de 330 milliards de dollars par année. Elle comprend des organismes comme la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, dont un représentant m'a dit, il y a un an, que la Fédération considérait comme une grande priorité de demander des changements à ce chapitre.

[Français]

Voilà des entreprises sérieuses qui emploient des milliers de Canadiens partout au pays. Ces entreprises appuient le projet de loi parce qu'il est bon. Ce projet de loi incitera les entreprises à investir et favorisera la création d'emplois. Le projet de loi C-212 améliorera la compétitivité et les programmes d'innovation au pays.

[Traduction]

Quand vous vous prononcerez, honorables sénateurs, sur le projet de loi C-212, votre choix sera très clair: maintenir des frais d'utilisation imposés par les politiques du gouvernement, même si le gouvernement a récemment modifié les frais d'utilisation pour améliorer ses politiques, ou adopter l'approche législative proposée par le projet de loi C-212. Je soutiens que le projet de loi C-212 est la meilleure voie à retenir pour les trois raisons suivantes. D'abord, les frais fédéraux d'utilisation, qui rapportent actuellement quelque quatre milliards de dollars par année de recettes au gouvernement, ne sont pas des taxes, mais ils y ressemblent et ils devraient être examinés par le Parlement. Ensuite, ces mêmes frais d'utilisation sont fixés par des monopoles, par des fonctionnaires, dans des ministères et des organismes, sans que le Parlement ait grand-chose à dire. Enfin, les politiques concernant les frais d'utilisation n'ont pas fonctionné dans le passé et ne fonctionnent toujours pas aujourd'hui. Il est peu probable que cette stratégie produise à l'avenir les résultats escomptés.

Le Conseil du Trésor peut avoir la meilleure politique possible sur papier, mais si les ministères et organismes ne la respectent pas ou si elle n'est pas exécutoire, il est facile de comprendre pourquoi nous n'obtenons aucun résultat.

Certains disent que les utilisateurs sont en général satisfaits de la politique du gouvernement concernant le recouvrement des coûts et les frais d'utilisation. Ce n'est pas ce que confirment les données que nous avons devant nous. La vaste majorité des utilisateurs ne sont pas contents et ne sont pas convaincus que la nouvelle politique du gouvernement améliorerait vraiment la situation.

[Français]

Le projet de loi C-212 prévoit des sanctions lorsque les ministères ou organismes s'écarteront de plus de 10 p. cent de leurs objectifs de rendement. Dans des pays comme les États-Unis et l'Australie où il existe un lien entre frais d'utilisation et rendement, les normes de service sont presque toujours entièrement respectées. Il en sera de même au Canada si le projet de loi C-212 est adopté. Ceci résultera en une économie plus innovatrice et concurrentielle et en de meilleurs services pour les Canadiens et Canadiennes.

[Traduction]

Pour améliorer le projet de loi, j'ai proposé à la Chambre des communes des modifications préparées en comité à partir des réactions et des commentaires des intervenants. Certaines de ces modifications sont mineures, mais d'autres sont importantes. Permettez-moi de commenter ces dernières. Certains craignent que le projet de loi C-212, dans sa version originale, compromette la capacité du gouvernement de mettre en oeuvre des politiques parce la Chambre des communes jouirait d'un droit de veto pour bloquer l'imposition de nouveaux frais ou de hausses de frais d'utilisation. Le projet de loi C-212 modifié élimine ce droit de veto, mais le remplace par un pouvoir de recommandation. Toutefois, il prévoit aussi des sanctions pour les ministères et les organismes qui ne respectent pas les normes de rendement convenues. Le projet de loi modifié est moins centré sur la Chambre des communes. Il s'appuie sur l'atteinte d'un certain rendement, et il prévoit des conséquences si les normes de rendement ne sont pas respectées. C'est là un principe général du projet de loi. Je crois que cela donne quand même au projet de loi le muscle dont nous avons besoin, tout en supprimant les préoccupations à propos de l'appareil gouvernemental.

Monsieur le président, les sociétés d'État étaient visées par le texte original du projet de loi C-212. Elles y ont été soustraites en reconnaissance de leur vocation commerciale. Dans le contexte du mécanisme indépendant de règlement des différends décrit dans le projet de loi C-212, le terme «raisonnable» a été ajouté pour éliminer les plaintes frivoles concernant les frais d'utilisation.

J'ai parlé à des utilisateurs et exprimé mon intention de veiller à ce que le mécanisme de règlement des différends ne soit pas englouti sous les plaintes frivoles, et je serais le premier à recommander la suppression de cette disposition si elle était employée de manière abusive, mais j'estime que les usagers agiront de façon responsable. Pour l'instant, ils estiment qu'ils n'ont aucun recours réel si les normes de rendement ne sont pas respectées.

Le gouvernement a fait de grands progrès en introduisant une nouvelle politique, et j'en remercie la présidente du Conseil du Trésor.

Toutefois, la politique est selon moi bien insuffisante dans les domaines suivants, qui sont très importants. D'abord, elle manque toujours de muscle pour rappeler à l'ordre les ministères et organismes qui ne respectent pas les normes de rendement prévues. Il y aura une unité de contrôle au sein du Secrétariat du Conseil du Trésor, mais l'ampleur des ressources qui y seront affectées est encore inconnue. Des notes de service et des réunions supplémentaires pourraient produire des résultats positifs, mais je n'en suis pas certain. En vertu du projet de loi C-212, les conséquences seraient réelles lorsque les normes ne seraient pas respectées.

Deuxièmement, la nouvelle politique améliore le mécanisme de règlement des différends entre les utilisateurs et les ministères et organismes fédéraux, mais il s'agit encore d'un mécanisme interne assorti d'un processus d'appel au sein du ministère. En fait, il emprunte les mêmes voies, et les ministres, les députés et les hauts fonctionnaires sont renseignés en conséquence. Pour les usagers, cette avenue ne représente aucun progrès.

Troisièmement, le projet de loi C-212 précise que des frais d'utilisation sont justifiés lorsque l'usager retire des avantages; autrement, il s'agit nettement de taxes. La politique du gouvernement passe ce point sous silence et les usagers craignent que le gouvernement soit en train d'emprunter une direction différente. Il y a d'autres différences entre le projet de loi C-212 et la nouvelle politique publique. Encore une fois, honorables sénateurs, j'estime que le choix est clair. Je vous exhorte à appuyer le projet de loi C-212. Vous voterez ainsi en faveur de l'imputabilité et de la transparence. Je vous remercie.

Le sénateur Comeau: J'ai un point à faire valoir, brièvement; ce n'est pas un reproche, mais bien un commentaire. J'ai remarqué que vous aviez utilisé les mots «surveillance parlementaire» dans votre exposé. Toutefois, en lisant le projet de loi, on constate qu'il s'agit plutôt de surveillance de la Chambre des communes, parce que le Sénat n'a pas de rôle à jouer après l'adoption du projet de loi. Je voulais simplement préciser que le Sénat n'a pas de rôle à jouer dans cette surveillance.

Est-ce que cette question a été prise en compte?

M. Cullen: Oui. En y repensant bien, j'aurais peut-être dû y accorder plus d'attention. Toutefois, quand j'ai présenté les amendements au Comité des finances de la Chambre des communes, j'estimais que le projet de loi était alors moins axé sur la Chambre des communes. À l'heure actuelle, un comité peut examiner tout ce qu'il veut. On m'a affirmé que cette information doit être déposée à la Chambre des communes, alors qu'en fait, n'importe quelle information peut l'être et que les comités peuvent effectuer tous les travaux qu'ils jugent utiles. Je suis certain que cela s'applique aussi au Sénat.

Le sénateur Comeau: Non, le Sénat ne fonctionne pas de cette manière. Un ordre de renvoi du Sénat est requis pour qu'un comité examine un sujet particulier. S'il n'avait pas été déposé au Sénat, ce projet de loi ne nous aurait probablement jamais été soumis.

M. Cullen: Le comité sénatorial ne peut pas faire une étude de son propre chef?

Le sénateur Comeau: Non.

M. Cullen: Quand je travaillais avec le ministre des Finances au projet de loi C-8 sur les fusions bancaires, nous avions prévu un rôle pour le Sénat, et c'était important. À l'époque, je sondais les gens pour avoir leur avis, et on m'a dit que parce que ce projet de loi n'était pas particulièrement centré sur la Chambre des communes, et compte tenu des amendements, il faudrait probablement y inclure un renvoi explicite au Sénat. Toutefois, je prends bonne note de vos propos.

Le sénateur Comeau: Ce n'est réellement qu'un commentaire. Je ne pense pas que nous cherchions du travail, parce que nous en avons assez pour le moment. Toutefois, une question me préoccupe, et vous en avez parlé dans votre introduction. Je conviens avec vous que ces droits sont des impôts, et quand il est question d'impôt, les deux chambres sont concernées. Que le gouvernement augmente les impôts ou en crée de nouveaux autrement qu'en modifiant la Loi sur l'impôt, ce sont toujours des impôts, et cela m'inquiète. Nous ne voudrions pas que le Sénat se retire de la fonction fiscale du gouvernement, parce que nous faisons partie de ce processus. Je dis cela à titre de commentaire; ce n'est pas un reproche.

M. Cullen: En rétrospective, je comprends vos commentaires sur ce sujet. Je ne sais pas quoi vous dire d'autre.

Les principales dispositions du projet de loi décrivent ce que le gouvernement doit faire s'il veut instaurer des frais ou les augmenter. Il doit franchir tel processus et déposer tel rapport. On m'a fait remarquer que si cela était soumis à un comité, ce dernier aurait l'obligation d'examiner la question, et aucun comité ne cherche davantage de travail. Par conséquent, j'ai présenté un amendement selon lequel, si la Chambre ne recevait pas de nouvelles en moins de 40 jours, elle pourrait considérer que le comité n'a aucune objection particulière à l'égard des frais d'utilisation.

En substance, le projet de loi stipule qu'il faut répondre à ces exigences et que le fait de ne pas atteindre les normes de rendement entraîne des conséquences; je conviens toutefois de la pertinence de votre observation.

Le sénateur Comeau: Autant que je sache, le ministre doit déposer le rapport lorsque des augmentations sont proposées ou de nouveaux impôts perçus. Si d'importants changements sont apportés, le ministre doit ensuite comparaître devant un comité et déposer les documents à la Chambre des communes. Tout document déposé par un ministre dans les deux Chambres est en fait renvoyé à l'un des comités, si je comprends bien. Ce peut être une façon de procéder. Par exemple, si je siège au sein du Comité des pêches et que le ministre des Pêches et des Océans décide d'augmenter considérablement les frais de la Garde côtière canadienne, je serais de toute évidence touché, puisque l'impact s'en ferait sentir sur les collectivités dont je m'occupe. Par conséquent, je pourrais vouloir renvoyer le document au Comité des pêches. Ce serait une façon d'avoir accès au document. En vertu de projet de loi sous son libellé actuel, un tel accès serait impossible.

M. Cullen: C'est exact et je vous remercie de votre observation. Le projet de loi stipule que le ministre qui désire imposer de nouveaux frais ou une augmentation, doit déposer un document à la Chambre des communes exposant tous les détails, comme par exemple la raison pour laquelle ces frais sont exigés, quels coûts sont recouvrés, si cette mesure est concurrentielle par rapport à celle de nos partenaires commerciaux, le mécanisme de règlement des différends, l'attitude des utilisateurs, etc. Ce document serait automatiquement renvoyé à un comité. La crainte des députés de la Chambre des communes, c'était que tous ces documents seraient renvoyés au Comité des finances; une telle décision est la prérogative de la Chambre. À mon avis, s'il s'agit de frais liés à la santé, le Comité de la santé en serait saisi; s'il s'agit de frais liés aux pêches, c'est le Comité des pêches qui en serait saisi. Sous son libellé actuel, mon projet de loi n'oblige absolument pas le comité à faire quelque travail que ce soit. Au bout de 40 jours, si aucun travail n'a été effectué, la mesure est alors réputée acceptable aux yeux du comité.

Le sénateur Comeau: Nous tenons tous à ce que les impôts du gouvernement continuent de faire l'objet d'un examen du Parlement. Je crois que votre projet de loi vise à le garantir et je suis satisfait d'un tel objectif. Toutefois, si ces frais sont des impôts — et je crois que c'est effectivement le cas — il faut alors s'assurer qu'ils continuent de faire l'objet d'un examen du Parlement.

Le sénateur Finnerty: Monsieur Cullen, la promulgation des principes du projet de loi C-212, qui ne feraient donc pas l'objet d'une politique, n'ouvre-t-elle pas la porte à une contestation judiciaire des programmes de frais d'utilisation des ministères et des agences? En quoi cela compliquerait-il le processus d'établissement des frais? D'après le Secrétariat du Conseil du Trésor, les tribunaux — et non le Parlement — devraient rendre la décision ultime en matière de programme des frais d'utilisation.

M. Cullen: J'ai déjà entendu cet argument et j'ai du mal à l'accepter. Le projet de loi C-212 est différent, vu qu'il stipule les critères que doit respecter un ministère ou une agence qui souhaite instaurer de nouveaux frais ou une augmentation de frais. Si, dans sa sagesse, un ministre dépose un document qui ne traite pas de ces questions, il pourrait y avoir contestation judiciaire. En fait, de nombreux critères de mon projet de loi apparaissent déjà dans la politique officielle actuelle, chose que j'ai reconnue.

Le mécanisme indépendant de règlement des différends en est le seul autre aspect. À l'étape du comité, le ministère s'est dit préoccupé par le fait que le projet de loi ne précise pas exactement la façon dont ce processus fonctionnerait. J'ai répondu que lorsque les fonctionnaires comparaissent devant nos comités et peut-être devant les vôtres également, nous entendons souvent dire que certaines choses ne peuvent pas figurer dans la loi, car elles sont trop détaillées, et qu'elles vont faire donc l'objet de règlements. Je suis sûr que, en tant que parlementaires, vous avez les mêmes frustrations que celles que nous connaissons à la Chambre des communes. Cet argument m'a paru légèrement hypocrite.

Le processus du mécanisme indépendant devra être établi par règlement puisque, honnêtement, il comporte trop de détails pour figurer dans le projet de loi. Toutefois, si vous me demandez comment j'en conçois le fonctionnement, en cas d'impasse entre un ministère ou une agence et l'utilisateur — soit que les normes de rendement ne sont pas compétitives par rapport à celles de nos partenaires commerciaux ou que le recouvrement des coûts dépasse le raisonnable — un groupe spécial serait constitué. Les utilisateurs et le ministère devraient convenir d'un groupe composé de trois personnes qui entendraient les arguments des deux parties avant de présenter un rapport.

S'il n'en tenait qu'à moi, je dirais que ce rapport ne serait pas exécutoire pour le gouvernement, mais qu'il ferait partie de l'information déposée au Parlement.

J'ai été très clair au sujet des utilisateurs. Même si ce qu'ils vont faire en dernière analyse reste du domaine de l'inconnu, je crois qu'ils comprennent que s'ils y ont recours de manière frivole, il disparaîtra rapidement.

Ils souhaitent un processus convenable. À l'heure actuelle, si des frais d'utilisateur posent problème, c'est un comité interministériel qui en fait l'examen. Autant que je sache, ces différends n'ont pas donné de résultats et ils perdurent.

Mon projet de loi prévoit un processus plus indépendant et objectif. À mon avis, il n'est pas exécutoire ni non plus extrêmement litigieux.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: Vous avez parlé des partenaires des États-Unis et de l'Australie. Qui sont les principaux partenaires commerciaux du Canada?

M. Cullen: À mon avis, tout dépend des frais d'utilisation. Par exemple, dans le cas des produits pharmaceutiques, les principaux partenaires du Canada sont les États-Unis et le Royaume-Uni. Dans certains cas, la norme ne s'applique pas.

[Traduction]

Certains frais n'ont rien à voir avec nos principaux partenaires commerciaux. Dans de nombreux cas, je crois que ce serait un exercice utile pour le ministère ou l'agence. Par exemple, est-il pertinent de comparer les frais d'entrée dans un parc fédéral aux frais d'entrée d'un parc national aux États-Unis? Peut-être que oui, peut-être que non. Nous devrions à tout le moins le savoir et présenter un énoncé justificatif.

Dans le cas de l'accès au système des marchés publics, quels sont les frais d'accès en ligne pour une petite entreprise au Royaume-Uni? C'est de l'information utile. Le ministère devra défendre son point de vue s'il pense que ce n'est pas pertinent ou que nous comparons des choses entièrement différentes. J'imagine que l'on peut répondre brièvement en disant que tout dépend de la situation.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: En ce qui a trait aux frais d'utilisation, ce projet de loi va-t-il engendrer une certaine concurrence entre pays partenaires? Par exemple, des frais d'utilisation se rattachent à l'entrée des parcs nationaux aux États-Unis tout comme au Canada. Afin d'éviter la concurrence, ces frais d'utilisation devraient-ils être équivalents d'un pays à l'autre?

[Traduction]

M. Cullen: La comparaison avec les grands partenaires commerciaux est particulièrement pertinente si, par exemple, il s'agit de l'approbation de médicaments ou de nouveaux produits chimiques — je pourrais poursuivre en parlant des produits vétérinaires et appareils médicaux — domaine où nous ne sommes pas concurrentiels avec les États-Unis. Il faut beaucoup plus de temps pour homologuer un médicament, un produit vétérinaire ou un appareil médical au Canada et les frais sont plus ou moins les mêmes. Pourquoi une entreprise internationale qui recherche une exclusivité mondiale viendrait-elle au Canada si l'homologation du médicament coûte la même chose, mais prend deux fois plus de temps? C'est pourquoi nous perdons des investissements et des emplois au Canada.

À mon avis, cette mesure va faire plus que simplement susciter la concurrence parmi nos partenaires commerciaux. Elle va nous faire davantage comprendre que nous devons être compétitifs au plan international, surtout dans le cas des services qui sont pertinents par rapport à nos partenaires commerciaux.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: Votre projet de loi C-212 propose d'élargir le système de supervision des frais d'utilisation en introduisant une procédure de révision par un comité de la Chambre des communes. Combien coûtera la mise en œuvre du projet de loi C-212? Combien coûtera le comité chargé de superviser ce projet de loi à la Chambre des communes?

M. Cullen: Vous parlez du processus de règlement des différends?

Le sénateur Ferretti Barth: Oui.

M. Cullen: Cela dépendra du nombre de différends à régler et de la façon dont le processus sera mis sur pied. Par exemple, on pourrait élaborer un processus en fonction des usagers.

[Traduction]

Si un groupe spécial arrive à la conclusion que la plainte de l'utilisateur n'est pas valable, un mécanisme pourrait forcer ce dernier à payer les coûts du groupe. De même, si le gouvernement est jugé déraisonnable en matière de frais ou de normes de rendement, il serait alors tenu responsable.

Tout dépend du nombre de différends et de la façon dont ce processus est établi au sein du gouvernement. C'est difficile à dire.

Le sénateur Doody: Monsieur Cullen, je tiens à vous féliciter d'avoir pris l'initiative de présenter ce projet de loi. Tout ce qui permet de rendre le gouvernement plus responsable envers le Parlement est très intéressant. Vous avez dû y consacrer beaucoup d'énergie et de temps.

Ce qui m'intéresse, c'est le groupe spécial dont vous avez parlé, qui permettrait de déterminer si les frais d'utilisation sont compétitifs ou raisonnables. Je peux comprendre comment ce processus va fonctionner à Etobicoke-Nord dans le cas des sociétés pharmaceutiques qui savent exactement où elles se situent en matière de concurrence. Pourriez-vous élargir cette description et y inclure les brise-glaces de la côte est de Terre-Neuve, par exemple? Qui va décider combien doit coûter l'approvisionnement alimentaire de Belle Island ou Lewisporte en cas de passage bloqué par les glaces? Ou, comment les pêcheurs — qui doivent payer des droits de quai ou des droits de port, services qu'ils utilisent depuis des générations — savent ce qui est juste et raisonnable? Ils ne sauront pas ce qui est concurrentiel, car ils ne savent pas ce qu'ils vont rapporter à quai, à la fin de la journée. Envisagez-vous que ces intervenants puissent contribuer à l'établissement, à l'augmentation ou au développement des frais? Autant que je sache, peu de choses — voire aucune — ont été prévues dans ce domaine. Toutefois, je suis sûr que vous vous êtes penché sur cette question au cours de votre travail de recherche.

M. Cullen: Merci pour cette question, sénateur. Mon projet de loi exige que ce genre de consultation ait lieu. Si très peu de choses se sont produites ces quelques dernières années, c'est probablement parce que même si nous avons souvent un processus de consultation au gouvernement, nous nous demandons qui vraiment s'y intéresse. J'imagine que les utilisateurs, les intervenants, devraient se réunir et décider si, d'après eux, les nouveaux frais d'utilisation ou les nouvelles augmentations sont raisonnables.

Qu'est-ce qui est raisonnable? Il me semble que toute mesure devrait s'accompagner d'un avantage pour les particuliers. Les coûts que l'on essaie de recouvrer devraient être clairement définis. J'imagine que, même dans certains des domaines dont vous avez fait mention, des points de référence sont prévus par rapport à certains de nos grands partenaires commerciaux. Le défi consiste, en partie, à comparer ce qui est comparable, mais je crois que l'on pourrait trouver certains exemples.

J'ai entendu parler l'autre jour des services de déglaçage que nous offrons à certains navires américains qui traversent les Grands Lacs, mais que nous n'offrons pas aux navires canadiens. Je ne suis pas sûr d'avoir toutes les données voulues, mais ce genre de choses est certainement une question de concurrence; par conséquent, je pense que certaines comparaisons sont possibles. En d'autres termes, les utilisateurs qui sont des citoyens moyens devront s'organiser d'une manière ou d'une autre, car ces questions ne sont pas aussi simples. Toutefois, si les intervenants ont la volonté qui s'impose, s'ils considèrent que des frais sont injustes, ils devraient se réunir et prendre les mesures voulues pour les faire supprimer.

Le sénateur Doody: Envisagez-vous un genre de processus local, de tribunal ou de comité où les pêcheurs, les maires de certaines municipalités bloquées par les glaces ou les propriétaires de petites sociétés de navigation côtière pourraient expliquer leur point de vue? On ne peut pas avoir d'avantages concurrentiels par rapport à un grand partenaire commercial lorsqu'on ne peut pas entrer dans les ports ou en sortir. Envisagez-vous une personne à laquelle ils pourraient s'adresser? Sinon, les augmentations de frais seront-elles publiées dans des avis publics?

M. Cullen: Ce projet de loi vise à faire davantage connaître les nouveaux frais ou les nouvelles augmentations en les déposant au Parlement une fois que toutes ces questions auront été réglées par le ministère ou l'agence. Comment cela se compare-t-il avec nos partenaires commerciaux? Quels coûts cherchons-nous à recouvrer? De mon point de vue, ce serait le système à retenir.

Je comprends ce que veut dire le sénateur Comeau au sujet du Sénat, mais permettez-moi de parler un instant du contexte de la Chambre des communes et de la façon dont j'entrevois les choses. Ce dossier serait déposé à la Chambre des communes. Disons par exemple qu'il s'agit de frais liés aux pêches. Le Comité des pêches en serait alors saisi. Si les utilisateurs ne sont pas d'accord, ce serait le moment — avant la fin du délai des 40 jours — de s'adresser aux membres de ce comité pour leur dire: «Nous ne sommes pas d'accord avec ces frais, nous pensons qu'ils ne sont pas compétitifs au plan international et que certains coûts ne nous sont pas applicables.»

Nous souhaitons que le comité examine la question et en fasse ensuite rapport au Parlement. En cas d'impasse entre les utilisateurs et le ministère, un groupe spécial indépendant se pencherait objectivement sur la question et en ferait rapport.

Le sénateur Doody: Je le comprends et cela me semble raisonnable et sensé, tout en représentant une nette amélioration par rapport à la situation actuelle. Néanmoins, est-ce que les gens directement touchés sauront que ce barème de frais a été présenté au Comité des pêches de la Chambre des communes? On retrouve très peu d'avis au sujet des comités des pêches dans les trous perdus; or, ce sont ces gens-là qui devront payer.

M. Cullen: Même dans le contexte du processus actuel, ces frais doivent paraître dans la Gazette. Le pêcheur moyen de Terre-Neuve ne lit pas régulièrement la Gazette du gouvernement.

Le sénateur Doody: Ce n'est pas une lecture obligatoire.

M. Cullen: Le problème que pose ce processus actuellement, et je me suis entretenu avec de nombreux utilisateurs à ce sujet, c'est qu'il passe par un comité spécial du cabinet; des interventions ont été faites même après la parution des frais dans la Gazette, sans beaucoup de succès.

Je dirais en fait que les gens doivent surveiller ce qui se passe dans ce domaine. Je croyais que les pêcheurs avaient des associations ou des organisations rémunérées pour se tenir au courant de ce genre de chose. Il faut effectivement que quelqu'un remarque qu'un changement est apporté.

Mon projet de loi vous donne une meilleure occasion de le remarquer. À l'heure actuelle, ces frais et ces changements passent par l'administration avant d'arriver au comité spécial du cabinet, et même s'ils paraissent dans la Gazette, ils sont mis en vigueur avant même que vous vous en aperceviez.

Le sénateur Doody: Je vous remercie de ces explications. C'est une amélioration par rapport à ce que nous avions précédemment. Il va falloir suivre la situation et voir comment marchent les choses.

[Français]

Le sénateur Gauthier: En fait, on parle d'une taxe régressive où les frais sont les mêmes pour tous, sans égard au revenu individuel. Je me suis penché attentivement sur les éléments du projet de loi et plusieurs questions découlent de mon examen. Notre recherchiste nous a fourni un document de recherche très sérieux.

J'aimerais tout d'abord comparer les pays avec lesquels nous sommes en compétition, plus particulièrement les États-Unis avec qui s'effectue environ 87 p. 100 de notre commerce. Les frais d'utilisation, comme les impôts, sont régis par gouvernement. Le gouvernement a, en quelque sorte, le monopole des prestations, des biens et services. Pourquoi les procédures prévues au projet de loi C-212 devraient-elles se comparer aux procédures américaines? Pourquoi normaliser? Pourquoi devoir justifier des frais plus élevés ou tenter d'atteindre le niveau américain?

[Traduction]

M. Cullen: Ce projet de loi vise à préciser avec plus de clarté les frais d'utilisation et les normes de rendement au Canada, ainsi que la façon dont ils se comparent avec nos principaux partenaires commerciaux. Nous entendons souvent parler de ce concept d'harmonisation — qui ferait l'objet d'un autre grand débat — à savoir s'il faut prévoir une telle harmonisation dans tous ces domaines. J'ai quelques problèmes à propos de l'harmonisation avec pratiquement tout ce qu'on retrouve aux États-Unis. Je sais qu'on envisage d'harmoniser certains de ces régimes de réglementation.

Par exemple, il est souvent difficile pour une société qui demande l'approbation d'un médicament ou d'un nouveau produit chimique au Canada d'utiliser les données des États-Unis, si bien que nous devons souvent réinventer ces processus, à un coût considérable.

Toutefois, mon projet de loi ne traite pas vraiment de la question de l'harmonisation des frais d'utilisation ou des normes de rendement, mais vise plutôt à faire en sorte que nos frais d'utilisation et nos normes de rendement soient compétitifs par rapport à nos partenaires commerciaux.

[Français]

Le sénateur Gauthier: Votre projet de loi ne parle peut-être pas d'harmonisation. Toutefois, le ministre doit justifier, s'il y a lieu, les frais d'utilisation proposés ou les frais comparables en vigueur dans les pays qui sont nos partenaires commerciaux. Si le ministre doit les justifier, pourquoi est-ce que le gouvernement ou le ministre en question devrait-il comparer avec le partenaire commercial si les frais au Canada sont différents ou plus élevés?

Notre pays a une grande géographie et peu d'histoire. Comment justifier nos frais d'utilisation d'un produit, par exemple, en se comparant avec notre voisin américain avec qui nous faisons affaire à 87 p. 100? Le ministre doit justifier l'écart entre les frais américains et les frais canadiens. De quelle façon va-t-on justifier cet écart?

[Traduction]

M. Cullen: Si on prend l'exemple de l'approbation d'un médicament au Canada et que l'on s'aperçoit que la norme de rendement ici est de 700 jours, alors qu'aux États-Unis elle est de 400 jours, mais que les frais sont les mêmes au Canada, sinon plus élevés, le ministre doit alors expliquer le pourquoi de la chose. Mon projet de loi ne prévoit pas qu'il soit obligatoire que les frais ou les normes de rendement soient comparables à ceux que l'on retrouve chez nos grands partenaires commerciaux. Il prévoit que le ministre doit expliquer la raison de la différence. Il n'y a pas de droit de veto au cas où l'explication ne serait pas satisfaisante. Toutefois, si l'explication n'était pas suffisamment claire, concise ou convaincante, les utilisateurs auraient alors le droit de la contester et si nous approuvons des médicaments ou des nouveaux produits chimiques au Canada, il faut faire en sorte que l'environnement dans notre pays est propice à ce genre d'entreprise.

Le sénateur Gauthier: J'aimerais revenir sur ce qui a été décrit comme l'approche légale par rapport à l'approche réglementaire. J'ai passé quelques années à la Chambre des communes. Si chaque frais d'utilisation fait l'objet d'une discussion, la situation sera fort compliquée. Je connais les règles du jeu; ce ne sera pas simple, loin de là. La plupart des parlementaires ne disposent pas du temps ou des ressources nécessaires. Il faudra dépendre d'autres personnes.

En vérifiant mon dossier, aujourd'hui, je remarque qu'aucun groupe de défense des consommateurs ne m'a écrit de lettre ni ne m'a fait le moindre commentaire sur ce projet de loi. Ils représentent surtout des entreprises ou des compagnies pharmaceutiques qui font de la recherche, et la plupart, apparemment, sont d'accord avec le projet de loi. Je n'ai reçu aucune objection à son sujet.

Cependant, c'est plutôt, pour moi, une question de responsabilité parlementaire. Croyez-vous vraiment que la Chambre des communes, qui est concernée, a les ressources pour faire ce genre d'examen constant et pour entendre les nombreux recours en appel, ou est-ce que nous laisserons les tribunaux en décider? Des mesures judiciaires accrues ne feront que créer une situation des plus embrouillées. Il ne faudra toujours pas que 750 jours pour faire approuver une nouvelle drogue. Ce sera probablement plus long, parce que les tribunaux vont intervenir, et vous savez combien ce processus peut être long. Si c'est une taxe, c'est une taxe; si c'est un droit, c'est un droit, et je pense que son application devrait être universelle et, si possible, être fonction des moyens des gens.

M. Cullen: Dans les pays qui ont établi clairement les liens entre les normes de rendement et les frais d'utilisation, comme les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie, les organismes et ministères respectent presque toujours les normes de rendement.

Lorsque le projet de loi était à l'étude au Comité des finances, à la Chambre des communes, nous avons demandé au Conseil du Trésor combien de frais d'utilisation pourraient être visés par son application, et il me semble qu'on nous a répondu de 10 à 12 l'année dernière, alors je ne pense pas que cela puisse constituer une charge de travail énorme.

Avec cette information en main, les députés peuvent décider entre eux s'il est justifié d'approfondir la question. Ce ne sont pas les parlementaires qui feront le plus gros de ce travail. Ce sera le ministre, dans votre exemple, qui sera responsable des comparaisons et de l'analyse. Si les parlementaires sont satisfaits de l'explication, tant mieux. S'ils ne le sont pas, ils ont tout à fait le droit, et le devoir de creuser plus loin.

Le sénateur Gauthier: Je sais que ce n'est pas réglementaire, mais j'ai 40 questions. Nous avons un attaché de recherche efficace. Est-ce que je pourrais vous envoyer la liste de ces questions, pour que nous puissions avoir des réponses avant la troisième lecture?

M. Cullen: Avec grand plaisir.

Le vice-président: Envoyez-les à notre greffier. Ce serait apprécié que vous puissiez faire cela pour nous.

[Français]

Le sénateur Biron: En quoi le projet de loi donne-t-il une garantie contre le danger de donner trop de pouvoir ou d'influence aux utilisateurs par rapport à la procédure de réglementation au détriment de l'intérêt public? Dans le cas où un organisme de réglementation voudrait établir de nouvelles procédures impliquant un coût, de quelle façon les utilisateurs pourraient-ils s'opposer à l'augmentation des coûts? Cette procédure n'est-elle pas susceptible de nuire à l'intérêt public?

M. Cullen: À mon avis, les ministères et agences du gouvernement ont la responsabilité de fournir l'information découlant du projet de loi, d'expliquer les frais d'utilisation et les coûts en comparaison de la concurrence et de justifier la mise sur pied de ces frais d'utilisation.

[Traduction]

Ce sont des questions tout à fait pertinentes. Nous avons une situation où les utilisateurs trouvent qu'ils n'ont eu aucun recours, quel qu'il soit, pendant de nombreuses années. Je pense que le projet de loi rétablit un peu l'équilibre dans cette situation. Je ne pense pas qu'il crée nécessairement un avantage pour les utilisateurs. Il équilibre plutôt les règles du jeu entre ces monopoles qui perçoivent ces frais, bien souvent dans l'intérêt public, et les utilisateurs qui n'ont pas le choix. Si on veut faire approuver une drogue au Canada, il faut s'adresser à Santé Canada. Si c'est un nouveau produit chimique, il faut suivre le même processus.

Ce sont comme des taxes. Lorsque les prix sont fixés par des monopoles, les utilisateurs ont droit à certaines interventions ou certains recours.

Le vice-président: Merci. Il ne reste plus de temps.

Tout ceci a été instructif, monsieur Cullen, et au nom du comité, je vous remercie d'être venu aujourd'hui. Le greffier du comité vous enverra les documents.

J'ai certaines questions qui n'ont pas eu réponse, alors peut-être pourrions-nous les ajouter à la liste: avez-vous réfléchi au rôle du Comité mixte de l'examen du Règlement, en ce qui concerne les frais d'utilisation? Le cas échéant, quel a été la conclusion de vos recherches? Nous avons reçu une note du Conseil du Trésor disant qu'il n'appuie pas votre démarche. Avez-vous analysé la politique du 3 septembre du Conseil du Trésor? Pourriez-vous nous dire pourquoi vous n'appuyez pas leur démarche? Il serait utile au comité d'avoir ces réponses. Les fonctionnaires du Conseil du Trésor comparaîtront devant le comité pour témoigner au sujet du projet de loi. Peut-être pourriez-vous garder le contact et nous faire part de tout nouveau commentaire que vous pourriez avoir à faire.

M. Cullen: Ce serait parfait.

Le vice-président: Les témoins suivants représentent la Commission canadienne de sûreté nucléaire.

Mme Linda Keen, présidente et première dirigeante, Commission canadienne de sûreté nucléaire: Bonjour, monsieur le président et sénateurs. Je m'appelle Linda Keen, je suis la présidente et première dirigeante de la Commission canadienne de sûreté nucléaire. Je suis accompagnée aujourd'hui de Mme Irene Gendron, avocate conseil, et de Mme Kelly Gillis, directrice générale des finances. Je compte vous exposer aujourd'hui les points de vue de la CCSN sur le projet de loi C-212.

[Français]

Avant de vous faire part de ces observations, j'aimerais vous expliquer brièvement le contexte propre à la CCSN et notre programme de recouvrement des coûts.

[Traduction]

Nous avons, tout dernièrement, révisé notre tarification, et donc nous sommes un exemple vivant de l'actuel programme de recouvrement des coûts. La CCSN est un organisme indépendant et une commission quasi-judiciaire du gouvernement du Canada. Nous avons un effectif de 500 employés, pour la plupart des ingénieurs et des scientifiques. La CCSN est l'unique organe de réglementation nucléaire au Canada, et n'a pas d'homologues dans les provinces.

[Français]

La CCSN ne favorise pas ni ne s'oppose à l'industrie nucléaire. Elle réglemente plutôt celle-ci dans l'intérêt du public. La CCSN réglemente pratiquement toutes les activités relatives à l'utilisation de l'énergie et de la matière nucléaire du Canada, notamment les centrales nucléaires, les mines, les raffineries, les usines de concentration d'uranium et les appareils à des fins médicales qui existent dans les hôpitaux et les cliniques du Canada.

[Traduction]

Les pouvoirs de la CCSN lui sont dévolus par la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires de 2000. La CCSN réglemente environ 2 200 détenteurs de permis, dont environ 1 700 versent des droits. La CCSN prévoit des recettes d'environ 40 millions de dollars pour le recouvrement des coûts en 2003-2004, soit environ 55 p. 100 de nos coûts d'exploitation. À la fin de la période de mise en place progressive, soit en 2007-2008, la CCSN estime qu'elle pourra recouvrer environ 70 p. 100 de ses coûts. Tous les droits perçus sont versés dans le Trésor. La CCSN a, dernièrement, achevé un long processus de consultation pour déterminer la nouvelle tarification. Les tarifs ont été mis à jour en vue d'assurer leur pertinence. La nouvelle tarification est entrée en vigueur en juillet 2003.

Tandis qu'elle élaborait le nouveau programme de recouvrement des coûts, la CCSN a évalué plusieurs mécanisme de tarification qu'utilisent d'autres organes de réglementation du Canada et de l'étranger. Elle a tenu compte des changements survenus dans la portée de ses activités de réglementation et a fait un examen de toutes ses activités assujetties au recouvrement des coûts, à la lumière des lignes directrices du Conseil du Trésor. La mise à jour de la tarification s'est fait conformément à la politique de 1997 du Secrétariat du Conseil du Trésor relativement au recouvrement des coûts et à la tarification. Toutefois, il a été confirmé qu'elle respecte la nouvelle politique révisée sur les frais d'utilisation externe.

Le processus de détermination des nouveaux tarifs prévoyait notamment la création d'un groupe consultatif composé de représentants de tous les détenteurs de permis assujettis aux droits d'utilisation. Ce groupe a récemment avalisé le processus de la CCSN et l'a reconnu comme exhaustif et équitable. Ce groupe continuera d'exister et fournira à la CCSN des commentaires et un encadrement relativement à la mise en oeuvre du nouveau règlement en matière de tarification.

[Français]

Afin d'assurer que la nouvelle tarification soit juste et équilibrée, la CCSN a demandé au Bureau du vérificateur général du Canada de vérifier le nouveau paiement des droits. La CCSN s'est engagée à transmettre le résultat de cette vérification aux titulaires de permis.

[Traduction]

Notre mécanisme de recouvrement des coûts reflète le temps et l'effort qu'a consacrés la CCSN à la réglementation des détenteurs de permis de l'industrie nucléaire. L'identité de notre client n'est pas si évidente que le projet de loi C- 212 le laisse entendre. Notre client n'est pas le détenteur de permis, mais bien le public canadien.

Je vais maintenant exposer nos points de vue sur le projet de loi C-212. Les objectifs sous-jacents du projet de loi C- 212 — améliorer l'imputabilité, la transparence et la prestation des services — sont des objectifs que la Commission peut appuyer sans réserve. Toutefois, plusieurs des dispositions du projet de loi peuvent avoir une forte incidence sur l'indépendance et l'efficacité de la CCSN en tant qu'organe de réglementation nucléaire du Canada. Par exemple, le projet de loi exige un mécanisme indépendant de règlement des différends pour traiter les plaintes ou les griefs de ceux qu'on appelle les «clients», qui ne sont pas des clients à nos yeux, relativement aux frais d'utilisation ou aux tarifs. Le problème le plus immédiat que pose cette disposition est que la relation qu'entretient la CCSN avec les détenteurs de permis n'est pas une relation de fournisseur de services à client. En fin de compte, notre seul et unique client, c'est le public canadien.

Plus important encore, cette exigence saperait le rôle de la CCSN en tant qu'organe de réglementation. Le mécanisme indépendant de règlement des différends que veut le projet de loi C-212 donnerait à un autre organe externe à la CCSN le pouvoir et la responsabilité de prendre la décision finale sur le mandat de réglementation de la CCSN et sur l'ampleur de l'effort de réglementation qui est pertinent dans un cas particulier. Cette décision n'appartient à nul autre qu'à la CCSN. La réglementation de l'industrie nucléaire exige une expertise hautement spécialisée que la CCSN se donne beaucoup de mal à acquérir et à conserver. Si le mécanisme proposé de règlement des différends devait être mis en place, la CCSN ne pourrait être en mesure de garantir au public canadien le maintien, selon les normes établies, de la sûreté des installations nucléaires. En fait, ce mécanisme de règlement des différends déterminerait le degré d'effort et la qualité de la surveillance.

Un élément clé est de savoir si le mécanisme de règlement des différends assumerait la responsabilité, devant le public canadien, pour la réduction ou la modification des normes d'assurance de leur sécurité.

Le projet de loi C-212 demande l'établissement de normes pour mesurer le rendement de leur organe de réglementation, et comme l'a dit M. Cullen, ces normes seraient comparables à celles qui sont imposées aux principaux partenaires commerciaux du Canada et strictement fondées sur l'efficience — en mettant plus l'accent sur la rapidité que sur l'efficacité.

[Français]

La Commission canadienne de sûreté nucléaire reconnaît que les normes d'efficacité de la gestion des relations entre organismes de réglementation et titulaires de permis représentent une attente raisonnable. Nous élaborons actuellement de telles normes de même qu'une série d'évaluations de rendement dans le cadre des initiatives d'amélioration courante.

[Traduction]

Le projet de loi C-212 exige particulièrement l'établissement de normes comparables à celles des principaux partenaires commerciaux du Canada. Ceci limiterait notre rôle en tant qu'organe de réglementation de la santé et de la sécurité. La vision stratégique de la CCSN est de devenir le meilleur organe de réglementation nucléaire qui soit, et non pas d'atteindre le dénominateur commun à d'autres organisations du monde, qui pourrait être inférieur. C'est problématique, à cause du manque de clarté. Par exemple, est-ce que chaque organe de réglementation devrait se mesurer à l'étalon des autres organismes ou organes de divers pays, ou seulement à celui des organes dont le mandat est similaire au sien? Ce manque de clarté pourrait être source d'incertitude juridique. Un manque de cohésion dans l'application du projet de loi ne serait certainement de l'intérêt de personne. La CCSN travaille en étroite collaboration avec les organismes de réglementation d'autres pays, notamment pour l'élaboration de normes internationales.

Le projet de loi exige aussi que le ministre présente une proposition à la Chambre des communes pour expliquer la question des frais d'utilisation, les raisons de tout changement et les normes de rendement à appliquer, et fournisse des estimations du montant des droits qui seront perçus pendant les trois premières années. Si le ministre des Ressources naturelles devait être considéré comme le ministre de la CCSN en vertu du projet de loi C-212, cela poserait d'autres problèmes pour notre indépendance en tant qu'organe de réglementation. La CCSN relève du Parlement par le truchement de son ministre, mais non pas de ce ministre-là, et ainsi nous préservons notre indépendance en tant qu'organe de réglementation.

Il serait difficile d'exiger du ministre qu'il justifie la tarification de la CCSN. Le projet de loi propose la réduction obligatoire des frais lorsqu'il y a plus de 10 p. 100 d'écart entre le rendement de l'organe de réglementation et les normes établies. Les frais d'utilisation seraient réduits d'un pourcentage équivalent à celui de l'écart de rendement, jusqu'à concurrence de 50 p. 100.

Cette clause serait aussi source de difficulté pour une organisation comme la CCSN, dont le rendement ne peut, pour des raisons de santé et de sécurité, être mesuré en termes purement numériques. Le projet de loi ne spécifie pas les mécanismes qui seraient employés pour réduire les frais d'utilisation et laisse ouverte la question de savoir qui détermine si la norme de rendement a été respectée ou non.

Je vous ai exposé aujourd'hui les principales préoccupations de la CCSN relativement à ce projet de loi. Outre ces observations de fond, l'analyse du projet de loi a fait ressortir plusieurs incohérences et erreurs dans le libellé, qui peuvent être source d'incertitude juridique et de manque de cohésion dans son application. Nous vous les indiquerons volontiers par écrit. Je n'ai pas insisté sur le rapport des dispositions du projet de loi avec les politiques actuelles du gouvernement. Le Conseil du Trésor venir en témoigner devant vous.

Pour terminer, honorables sénateurs, la CCSN apprécie l'occasion qui lui est donnée de parler aujourd'hui de ce que nous considérons comme une question importante. J'aimerais réitérer le fait qu'en vertu du régime de réglementation nucléaire du Canada, les détenteurs de permis qui fonctionnent de manière sécuritaire réduisent les coûts de la réglementation et de leur fardeau réglementaire. C'est aux détenteurs de permis qu'il incombe d'appliquer une culture de sûreté qui inspire confiance, tant celle de l'organe de réglementation que du public.

J'espère avoir démontré que la CCSN ne fonctionne pas en vase clos. Tandis que notre client est le public canadien, nous sommes conscients des réalités opérationnelles des détenteurs de permis et nous nous sommes efforcés, par notre mécanisme, de concilier ces réalités de manière ouverte et transparente. Cependant, le projet de loi C-212 aurait de nombreux effets délétères sur la CCSN en tant qu'organe de réglementation et que tribunal quasi judiciaire. L'adoption du projet de loi sous sa forme actuelle aurait de fortes répercussions sur l'efficacité de la CCSN et son indépendance serait sapée. Ceci ferait courir à la CCSN un risque énorme de ne plus être en mesure de s'acquitter de son mandat relativement à la santé et à la sécurité des Canadiens, en ce qui concerne l'énergie et les substances nucléaires.

On dirait que le projet de loi a été rédigé uniquement dans un esprit d'application commerciale, sans considération pour les règlements sur la santé et la sécurité. Comme la CCSN réglemente la santé et la sécurité, les principales exigences de ce projet de loi ne conviennent pas à la CCSN. La réglementation intelligente, en vertu de la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaire doit servir l'intérêt public et favoriser le maintien de la confiance dans l'organe de réglementation.

Merci beaucoup, monsieur le président. Nous répondrons avec plaisir à vos questions.

Le vice-président: J'apprécie votre offre de fournir des réponses par écrit à tout ce que nous ne pourrons pas régler ici pendant la période de questions.

Le sénateur Comeau: Avez-vous bien dit que la CCSN relève du Parlement, par le truchement du ministre, mais qu'elle ne relève pas du ministre?

Mme Keen: Oui. Si vous permettez, monsieur le président, j'ajouterai quelques précisions. Cela veut dire, en pratique, que c'est le ministre qui doit présenter nos rapports au Parlement, y compris le rapport annuel que nous vous avons remis aujourd'hui. Il est responsable de transmettre les règlements, y compris le règlement sur le mécanisme recouvrement des coûts qui vient d'être adopté, au Parlement et aux comités parlementaires. Cependant, en ce qui concerne la réglementation des activités courantes de l'industrie, la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaire a assigné à un tribunal quasi-judiciaire indépendant la responsabilité d'établir les normes et les règlements, de délivrer des permis et de veiller à ce que les détenteurs de permis canadiens observent les normes. Le ministre n'a aucune part dans ce processus.

Le sénateur Comeau: Ce que vous dites me porte presque à penser que vous devriez être plutôt favorable au projet de loi C-212, parce que si vous deviez justifier ce que vous faites devant un comité de la Chambre des communes, cela vous donnerait l'occasion de rendre compte de vos activités à un organe qui doit rendre compte, en bout de ligne, au client, soit au public canadien. Puisque le ministre n'a aucun pouvoir sur votre organe quasi-judiciaire, peut-être voudriez- vous avoir la confirmation d'un comité de la Chambre des communes que c'est un bon ou un mauvais mécanisme de tarification. Je me fais l'avocat du diable, ici, mais il me semble que vous devriez plutôt bien accueillir cette espèce d'examen public de vos activités.

Mme Keen: La question est extrêmement importante, parce que la CCSN a été créée en vertu d'une exigence d'ouverture et de transparence, et le tribunal administratif quasi-judiciaire fournit cette ouverture et cette transparence qu'exige le public canadien de cette importante industrie. Le Parlement a déjà la possibilité, par l'entremise de la loi, d'établir les paramètres du fonctionnement du tribunal et de la Commission. La norme internationale qui s'applique aux organes de réglementation nucléaire veut qu'ils puissent agir de façon indépendante et sans la surveillance continue de leurs activités courantes que pourraient exercer les politiciens et les parlementaires, donc, en fait, ce serait tout le contraire.

Le fait qu'il nous faudrait rendre compte aux parlementaires ou au ministre de la manière dont agit la Commission reviendrait au même pour nous. Cela saperait l'indépendance du tribunal, qui a été chargé, par la loi, de prendre ces décisions de manière ouverte et transparente, mais toutefois indépendante, sans faire l'objet d'une surveillance minutieuse. Nous rendons compte au public et à la Chambre de la manière dont nous fonctionnons dans notre rapport annuel.

Par le truchement d'un comité de détenteurs de permis qui se réunit une fois par trimestre, nous justifions continuellement notre tarification. Les détenteurs de permis ont la possibilité d'examiner, au moyen du Web, le barème et la manière dont il est établi. Les frais qu'ils paient sont fonction de l'effort quotidien réel de la Commission.

Mme Irene Gendron, avocate-conseil, Commission canadienne de sûreté nucléaire: J'ai un commentaire à faire sur le libellé du projet de loi. Le ministre devrait justifier les frais et faire rapport des chiffres au comité. C'est difficile pour un tribunal, du point de vue de l'indépendance, lorsque le ministre n'assume pas ce genre de rôle en tant que législateur.

Le sénateur Comeau: Il va falloir que j'y réfléchisse encore et que j'examine la question de la compétence législative de la CCSN.

Vous avez parlé de servir les clients de la CCSN plutôt que les détenteurs de permis. Je me demande si d'autres ministères doivent composer avec ce genre de mentalité lorsqu'ils formulent les politiques. Je pense tout de suite au ministère des Pêches et des Océans, parce qu'il est parallèle à la CCSN à cet égard. Par exemple, en Nouvelle-Zélande, les pêches sont maintenant presque entièrement privatisées. Les pêcheurs ont le contrôle de l'aspect scientifique, des quotas, etc., et les Néo-zélandais n'ont donc aucun moyen d'intervention sur ces aspects. L'excuse à cela est l'habituel «c'est l'utilisateur qui paye, c'est l'utilisateur qui décide». Alors que le Canada approche de la privatisation des pêches, pourrions-nous être confrontés au même genre de situation, où un petit segment de la société, les pêcheurs, décident des quotas parce que ce sont eux qui payent les droits? Avez-vous étudié d'autres parallèles?

Mme Keen: Monsieur le président, bien que mon expérience soit en agriculture et en ressources naturelles, je confinerai mes commentaires aujourd'hui à mon rôle de présidente de la CCSN. Je ne pense pas approprié de commenter d'autres aspects de l'économie. Je dirai que d'autres parallèles pourraient être faits partout au gouvernement fédéral, en ce qui concerne la responsabilité en matière de santé et de sécurité. Certains autres ministères, dans une moindre mesure, cependant, que les tribunaux indépendants, sont créés pour veiller sur la santé et la sécurité des Canadiens.

Le sénateur Comeau: Et pour assurer la protection des ressources renouvelables.

Mme Keen: J'allais seulement ajouter que nous n'avons pas la moindre responsabilité à l'égard de l'aspect économique de l'industrie. Nous n'avons pas à être pour ou contre. Cette clarté de l'objectif permet aux Canadiens d'avoir confiance dans l'organe de réglementation puisqu'il n'a pas le moindre intérêt commercial. Le projet de loi C- 212 aurait un effet sur les autres organes de réglementation, mais la CCSN est tout à fait unique, avec sa responsabilité quasi judiciaire à l'égard, uniquement, de la santé et de la sécurité. L'incidence du projet de loi C-212 nous a sauté aux yeux, et c'est pourquoi nous avons l'honneur d'être devant votre comité aujourd'hui.

Le vice-président: Nous apprécions que vous ayez pris cette initiative. Est-ce que Énergie atomique du Canada est un prédécesseur de la CCSN?

Mme Keen: Oui. Lorsque la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires a été promulguée, la commission a été rebaptisée du nom de Commission canadienne de la sûreté nucléaire. Cela prévenait aussi les risques de confusion qu'il y avait déjà eu entre l'EACL et la CCSN.

[Français]

Le sénateur Gauthier: Je ne suis pas familier autant que je le voudrais avec votre dossier, mais j'ai déjà participé à des discussions semblables. J'ai bien compris la question du sénateur Comeau, à savoir que vous n'êtes pas un haut fonctionnaire du Parlement, mais bien plutôt de ce que l'on appelle un tribunal quasi constitutionnel.

Vous avez des fonctions et devez répondre au Parlement par l'entremise d'un ministre qui est le messager de votre rapport annuel. C'est lui qui le dépose et non pas vous. Cinq hauts fonctionnaires au Parlement peuvent déposer leur rapport annuel au Parlement, mais vous ne pouvez pas le faire toute seule.

Mme Keen: Non.

Le sénateur Gauthier: Si j'ai bien compris, vous nous avez dit que tous les frais d'utilisation perçus par votre organisme vont directement dans le fonds consolidé des revenus.

Mme Keen: Oui.

Le sénateur Gauthier: Vous n'avez donc aucun intérêt à augmenter les frais si cela ne va pas dans votre poche, mais plutôt dans la poche du voisin. Est-ce que je me trompe?

Mme Keen: Non, je suis complètement d'accord avec vous. C'est en fait une façon de préserver l'indépendance de notre commission. La Commission doit demander un budget chaque année, comme toutes les autres commissions du gouvernement. C'est simplement une façon de préserver l'indépendance de la Commission et les titulaires de permis. Pour les titulaires de permis, les frais et les documents utilisés pour déterminer les frais des titulaires de permis sont très clairs.

Le sénateur Gauthier: Vous nous avez dit tantôt que vous aviez invité la vérificatrice générale à faire une révision de vos frais. J'ai bien lu?

Mme Keen: Oui, c'est exact, c'est clair.

Le sénateur Gauthier: Pourquoi le faites-vous?

Mme Keen: Parce que c'est une autre façon de s'assurer que notre formulaire et notre système de recouvrement des coûts sont efficaces concernant les demandes des titulaires de permis. Je comprends très bien les besoins des titulaires de permis qui désirent connaître la nature des nouveaux coûts. Pour nous, c'est une façon d'être très transparent envers les titulaires de permis.

Le sénateur Gauthier: Je comprends la reddition des comptes, la transparence et le projet de loi de M. Cullen. Il veut augmenter l'implication parlementaire. Dans votre rapport annuel de 2002-2003 que je viens de recevoir, à la page 29, vous nous dites que:

La CCSN a considérablement progressé vers l'instauration du nouveau règlement sur les droits pour le recouvrement des coûts de la Commission canadienne de sûreté nucléaire. Le nouveau règlement permettra à la CCSN d'actualiser ses droits, une fois par an, en fonction des changements survenus dans les coûts d'activité [...]

Ce rapport sera-t-il disponible en mars 2004?

Mme Keen: Oui, en juin de cette année, Mme Gillis était chargée du projet de recouvrement des coûts.

[Traduction]

Mme Kelly Gillis, directrice générale, Finances, Commission canadienne de sûreté nucléaire: Cette année, nous avons adopté notre mécanisme de tarification aux fins de recouvrement des coûts et nous avons publié tous nos coûts, conformément à notre budget. Nous avons ouvert nos livres aux détenteurs de permis, pour qu'ils puissent voir l'objet exact de nos travaux et leurs coûts. Nous fournirons cette information tous les ans aux détenteurs de permis, et ainsi il n'y aura ni différence, ni coût caché. Nos livres seront ouverts.

[Français]

Le sénateur Gauthier: En bref, êtes-vous pour ou contre le projet de loi C-212? Si j'ai bien compris, vous êtes contre le projet de loi C-212?

Mme Keen: Nous nous opposons à la loi dans sa forme actuelle. Je comprends très bien la philosophie de M. Cullen parce que pour la Commission, la transparence est également importante.

[Traduction]

Le vice-président: puisqu'il ne nous reste plus de temps, je tiens à tous vous remercier infiniment d'être venus. À ce que j'ai compris du thème principal de votre exposé, votre situation est quelque peu différente d'une grande partie de ce qui est envisagé dans le projet de loi, d'après ce que disait M. Cullen. Les frais d'utilisation forment une si large part de vos recettes d'exploitation — 55 p. 100, et bientôt 70 p. 100 — que cela pourrait vous mettre dans une situation tout autre que celle que vise le projet de loi C-212.

Quoi qu'il en soit, vous avez offert de nous envoyer une lettre, si vous souhaitez soulever d'autres éléments ou d'autres questions. Vous avez entendu M. Cullen, et le texte de toutes nos délibérations sera disponible pendant ces audiences. Vous pourriez relever des éléments qu'il serait utile, selon vous, de commenter — particulièrement, s'il pourrait y avoir des modifications au projet de loi C-212 qui vous permettraient de fonctionner dans ce contexte, ou si votre indépendance serait tellement compromise que la seule solution serait de vous en exclure. Il serait bon que vous puissiez commenter cela.

Merci d'avoir pris l'initiative de venir nous rencontrer, et merci pour votre exposé aujourd'hui.

La séance est levée.


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