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Délibérations du comité sénatorial permanent
des pêches et des océans

Fascicule 3 - Témoignages du 5 février 2003


OTTAWA, le mercredi 5 février 2003

Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd'hui à 18 h 18 pour étudier les questions relatives aux stocks chevauchants et à l'habitat du poisson.

Le sénateur Gerald J. Comeau (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Nous avons la chance, ce soir, de recevoir M. Bevan, qui connaît bien notre comité. Il a déjà comparu devant nous. Il se trouve à être le président du Comité permanent du contrôle international (CPCI) de l'Organisation des pêches de l'Atlantique du Nord-Ouest (OPANO). Vous pouvez y aller, nous passerons ensuite aux questions des membres du comité.

[Français]

M. David Bevan, président du comité, Organisation des pêches de l'Atlantique du nord-ouest: Merci monsieur le président, je vais faire la présentation en anglais, toutefois tous les documents sont disponibles en français.

[Traduction]

Je vais commencer par une description de l'OPANO. L'OPANO se compose actuellement de 17 parties contractantes: la Bulgarie, le Canada, Cuba, le Danemark au nom des îles Féroé et du Groenland, l'Estonie, l'Union européenne et les 15 pays qu'elle comprend, la France au nom de Saint-Pierre-et-Miquelon, l'Islande, le Japon, la Corée, la Lettonie, la Lithuanie, la Norvège, la Pologne, la Fédération de Russie, l'Ukraine et les États-Unis. Il y a 31 pays membres de l'OPANO.

Pour la plupart, ceux-ci pêchent au-delà de la limite des 200 milles du Canada, dans la zone de réglementation de l'OPANO. Il s'agit de la zone administrée par l'OPANO à l'extérieur de notre zone économique exclusive.

Certains pays ne se sont joints que récemment à l'OPANO, comme la Corée en 1993, l'Ukraine, les États-Unis et la France, au nom de Saint-Pierre-et-Miquelon. La Bulgarie est membre de l'OPANO mais n'y participe pas activement. La Roumanie s'en est retirée.

Dans l'OPANO, il y a deux types d'États. Il y a d'abord les États côtiers, dont les eaux se trouvent à l'intérieur de la zone d'application de la convention de l'OPANO. Les sénateurs trouveront dans notre mémoire une carte illustrant les limites de cette zone. Le Canada, les États-Unis, la France et le Danemark au nom du Groenland sont tous des États côtiers. Cependant, le Canada est le seul État côtier dont tous les stocks chevauchants sont gérés par l'OPANO. L'OPANO gère des stocks de grande importance pour le Canada, ceux de morue et d'autres poissons de fond, entre autres. La seule autre partie contractante dans ce cas est la France, qui exploite le calmar, mais cette pêche a peu d'importance économique depuis 25 ans.

L'OPANO se compose de quatre organismes. Le conseil général s'occupe de l'administration de l'OPANO. Il établit les budgets et les salaires, surveille le rendement du secrétaire général, évalue le rendement du personnel, etc. Le conseil scientifique est un groupe technique chargé de l'évaluation de tous les stocks de l'OPANO. Il donne des avis scientifiques et évalue les risques liés à l'état biologique des stocks gérés par l'OPANO. La Commission sur les pêches est l'organisme de gestion des pêches de l'OPANO. Elle s'occupe du partage des totaux autorisés des captures, des TAC, qui sont établis selon les recommandations scientifiques. Elle prévoit des mesures contrôle, coordonne les inspections et vérifie ce que les parties envoyant des inspecteurs peuvent faire, entre autres choses. Je vais entrer dans les détails un peu plus tard. Il y a aussi un secrétariat, à Dartmouth, qui s'occupe du fonctionnement quotidien de l'OPANO et relève du conseil général. C'est lui qui reçoit les rapports radio des prises et les données sur les navires pêchant dans la zone de réglementation de l'OPANO et qui fournit ces données aux parties contractantes.

Pour ce qui est du rôle de la Commission sur les pêches dans la gestion, elle reçoit et passe en revue les données scientifiques fournies par le conseil scientifique. C'est elle qui reçoit les rapports sur l'état des stocks, qui indiquent l'état de santé de ces stocks. Elle s'en inspire ensuite pour déterminer le total autorisé des captures et les quotas alloués à chaque partie contractante. En gros, à l'OPANO, toutes les pêches sont gérées en fonction d'un total autorisé des captures, à l'exception de la pêche de la crevette dans la région du Bonnet flamand.

La Commission sur les pêches établit également des mesures de conservation, comme la taille minimale des mailles et du poisson, les règles en matière de prises accessoires, le marquage des navires et des engins de pêche et les exigences en matière de rapport. Ainsi, toute précaution concevable semble être prise. C'est également la Commission qui fixe les règles relatives à la présence d'hélicoptères sur les bateaux.

La Commission sur les pêches s'occupe du système mixte d'inspection et de surveillance international. Pour assurer une surveillance, elle coordonne les inspections dans la zone. Elle le fait avec l'aide du CPCI, dont je suis le président. Elle fixe des mesures de suivi et de contrôle, ce qui comprend la présence d'observateurs, la détection par satellite et les vérifications à quai. Actuellement, selon l'OPANO, tous les navires doivent avoir à leur bord un observateur, être munis d'appareils de détection par satellite et se soumettre à des vérifications à quai.

La Commission sur les pêches met en oeuvre le programme de conformité s'appliquant aux navires des parties non contractantes. Cette fonction a longtemps été problématique pour la Commission dans la zone de réglementation de l'OPANO, mais cela s'est atténué depuis quelques années. Les événements récents dans le Nez et la Queue des Grands Bancs suscitent davantage d'inquiétudes, mais les activités ont ralenti depuis quelques années comparativement à ce qu'elles étaient à la fin des années 80 et au début des années 90.

La zone de réglementation de l'OPANO est immense. Elle s'étend sur environ 30 000 milles carrés. Elle comprend le Nez des Grands Bancs (division 3L) et la Queue des Grands Bancs (division 3NO) — encore une fois, je vous rappelle que vous avez une carte. À l'extérieur de la zone canadienne, il y a la division 1F au Nord, de même que les divisions 2G, 2H, 2J et 3K. Ces zones sont toutes à l'extérieur de la zone de compétence canadienne. Il y a aussi le Bonnet Flamand, qui correspond à la division 3M et forme lui aussi une zone distincte à l'extérieur de la zone de compétence canadienne. Tout cela forme la zone de réglementation de l'OPANO, dans laquelle l'OPANO gère de nombreux stocks.

La carte à la page suivante indique les numéros des zones. La ligne pointillée correspond à la limite de 200 milles. Les sénateurs constateront que le Nez, la Queue et le Bonnet Flamand sont situés en dehors de cette zone, de même que certaines portions des zones nordiques.

La liste des stocks réglementés par l'OPANO se trouve dans le tableau suivant, de même que leur TAC de 2003 en tonnes métriques. Malheureusement, il n'y a pas de TAC associé à bon nombre de stocks chevauchants, parce qu'ils ne font l'objet d'aucun moratoire. Nous pouvons voir que cinq de ces stocks font actuellement l'objet d'un moratoire et qu'il en est ainsi pour bon nombre d'entre eux depuis presque 10 ans.

On appelle stocks chevauchants les stocks qui se déplacent au-delà de la limite de 200 milles nautiques. Ils peuvent se trouver à l'intérieur ou à l'extérieur de la zone canadienne. Certains d'entre eux se trouveront en partie à l'intérieur et en partie à l'extérieur de la zone. Par conséquent, ils peuvent être exploités par le Canada, à l'intérieur de sa zone, ou par d'autres bateaux, à l'extérieur de la zone canadienne.

On appelle stocks homogènes les stocks qu'on trouve à l'extérieur de la zone canadienne, y compris dans les environs du Bonnet Flamand. Ils ne se rendent pas jusque dans les eaux canadiennes, ce qui fait que leur gestion s'effectue de façon séparée, sans que cela ne préoccupe beaucoup l'industrie canadienne. Tous les stocks énumérés ici sont gérés par des TAC, comme je l'ai déjà souligné, sauf les crevettes de la zone 3M.

Outre ces stocks, beaucoup d'autres espèces demeurent non réglementées. L'OPANO ne fixe pas de TAC ou de règles de conformité pour divers poissons, dont la raie, le merlu, le grenadier et d'autres poissons de ce type. Environ la moitié des prises visent les espèces réglementées, et le reste celles qui ne le sont pas. Les espèces non réglementées ajoutent beaucoup à la récolte des bateaux au-delà des 200 milles, dans la zone de réglementation de l'OPANO, la ZRO.

Le CPCI administre le système mixte d'inspection et de surveillance international au nom de la Commission sur les pêches. Il en fait ensuite rapport à la Commission sur les pêches. Ce n'est pas un organisme de décision. Par conséquent, il doit soumettre ses recommandations à la Commission pour qu'elle les mette en vigueur.

Ce système est un pilier du programme de conformité de l'OPANO, parce qu'il est à la base des inspections en mer par des tiers. En règle générale, les pays n'aiment pas beaucoup cette formule, parce qu'ils n'apprécient guère que leurs bateaux battant pavillon aient à leur bord des inspecteurs d'un autre État, ni qu'ils soient assujettis aux règles et aux constats de conformité ou de non-conformité des inspecteurs d'autres États. Cette pratique est établie depuis longtemps. Le système autorise des inspecteurs — le Canada et l'UE ont actuellement des inspecteurs présents dans la ZRO —, sous l'autorité de l'OPANO, à monter à bord des bateaux de pêche appartenant à d'autres parties contractantes de l'OPANO afin d'inspecter les engins de pêche, d'inspecter et d'enregistrer le nombre de prises estimées — soit d'évaluer ce qui figure au journal de pêche par rapport aux prises réelles, par exemple; de consulter les registres de production pour vérifier les données de la conserverie de poisson par rapport au nombre de prises inscrites au registre et au nombre de poissons dans la cale. Les inspecteurs peuvent inspecter les cales et les espaces de rangement et enlever, marquer, sceller et photographier les engins illégaux. S'ils trouvent un engin de pêche dont les mailles sont trop petites dans un bateau européen, par exemple, ils peuvent sceller cet engin à bord du bateau et demander à ce qu'un inspecteur de l'Union européenne corrobore leurs constats. L'inspecteur de l'UE est alors obligé de monter à bord du bateau pour les vérifier. S'il corrobore leurs constats, on décide ensuite des conséquences de la violation.

Le système prévoit des procédures concernant les inspections. Il donne un aperçu des tâches que doit assumer le capitaine du bateau de pêche et explique son obligation de fournir l'information voulue aux inspecteurs pour faciliter l'inspection. Il précise toutes les directives nécessaires, jusqu'au type d'échelle qu'il faut descendre sur le côté pour l'embarquement. Il établit des procédures de rapport et les obligations des parties contractantes d'en faire un suivi. En cas de problème, l'état du pavillon est tenu d'informer le CPCI de ce qui a été fait pour le régler.

Le CPCI est l'organisme qui supervise ce travail pour la Commission sur les pêches. La majorité des 17 parties contractantes participe chaque année à la réunion annuelle de septembre et se rencontre une fois entre les sessions — généralement en juin — pour se pencher sur les problèmes que la Commission sur les pêches nous confie.

Le CPCI compte un certain nombre de groupes de travail. Nous avons un groupe de travail sur le projet pilote du système de surveillance par des observateurs, par satellite et par rapport électronique. Nous avons un groupe de travail sur la mise sur pied d'installations pour le projet pilote. Ce groupe se concentre particulièrement sur la réception et la transmission de données par satellite sur les bateaux naviguant dans la zone de réglementation de l'OPANO. Nous avons un groupe de travail sur la révision des mesures de conservation et de mise en application de l'OPANO. Ces mesures ont été élaborées au fil des ans et auraient besoin d'être simplifiées.

En 2002, après une présentation du Canada sur la conformité, le mandat du CPCI a été renforcé. Le CPCI doit maintenant examiner les mesures de mise en application établies par la Commission sur les pêches. Nous allons examiner et évaluer les rapports portant sur les activités d'inspection et de surveillance exercées par les parties contractantes en plus d'examiner et d'évaluer les rapports portant sur les violations, y compris les violations graves, et le suivi à cet égard.

À la réunion de septembre, la Commission sur les pêches nous a demandé de lui fournir un rapport sur la conformité dans la zone de réglementation de l'OPANO. Nous allons nous réunir en juin pour entreprendre un examen détaillé de la conformité de chaque bateau des parties contractantes dans la ZRO afin d'accroître la transparence de la conformité et de permettre à la Commission de prendre des mesures correctives en septembre en cas de non-conformité générale ou si l'une des parties contractantes viole les règles.

Le secrétaire général s'est également vu attribué de nouvelles tâches pour nous faciliter le travail. Nous allons nous efforcer de mieux coordonner nos inspections. Le Canada et l'Union européenne partagent les données sur la surveillance aérienne. Comme je l'ai déjà dit, toutes les parties présentes dans la zone reçoivent, toutes les six heures, des données sur les allées et venues de tous les bateaux, leurs rapports radio et ceux sur leurs activités de pêche, de manière à rendre les inspections plus efficaces dans la zone.

Ainsi, à chaque réunion annuelle, nous passons en revue les cas de violation de l'année, soit le type de problème recensé par les inspecteurs de l'Union européenne, des îles Féroé, du Canada ou de qui que ce soit d'autre ayant un bateau d'inspection dans la zone. Nous examinons les rapports de surveillance et d'inspection, qui indiquent le nombre d'heures consacrées à la surveillance aérienne et à la surveillance sur les bateaux, le nombre d'inspections et le résultat de ces inspections. Nous examinons aussi le fonctionnement du système automatisé de rapports radio des prises et de surveillance des bateaux. Avons-nous reçu une indication de l'emplacement des bateaux toutes les six heures comme prévu? Avons-nous reçu les rapports du capitaine sur les rapports radio? Ce ne sont que quelques exemples. Il y a un programme d'observateurs et des critères scientifiques. Nous revoyons sans cesse le travail des observateurs dans la ZRO, soit la collecte d'information et la façon dont les renseignements sont utilisés.

Nous discutons de modifications possibles aux mesures de conservation et de mise en application. Récemment, par exemple, nous avons convenu d'une définition de la pêche sélective afin de gérer les prises accessoires de façon plus efficace. Nous y voyons continuellement à la demande de la Commission sur les pêches et lui faisons des recommandations.

Le CPCI se penchera sur quelques questions courantes à sa réunion de juin. Il envisagera notamment un cadre de conformité efficace et une évaluation mixte effectuée par toutes les parties contractantes du degré de conformité atteint dans la zone de réglementation, comme je l'ai déjà dit. Nous comptons ainsi présenter un rapport à la Commission sur les pêches en septembre. Nous évaluerons aussi le programme des observateurs de l'OPANO, qui a été mis en place en 1995. Nous allons nous interroger sur l'efficacité de ce programme sur les façons de l'améliorer. De même, nous songeons à élaborer un programme pilote d'observateurs qui serait mis en oeuvre en 2004. Ce programme combinerait la présence d'observateurs et la surveillance par satellite à la transmission de rapports presque en temps réel au pays chargé des inspections dans la zone afin d'assurer une surveillance continue des activités sur les bateaux. Nous pourrions comparer les rapports radio du capitaine du navire à ceux de l'observateur pour repérer les navires qui n'auraient pas été observés et déterminer où concentrer nos efforts de vérification à quai. Nous préparons une refonte des mesures de conservation et de mise en application pour les rendre plus simples et plus claires. Enfin, nous cherchons des moyens de réduire les prises ou les prises accessoires des stocks faisant l'objet d'un moratoire de l'OPANO. Nous craignons qu'il y ait une tendance de la part des pêcheurs, depuis trois ou quatre ans, à affirmer viser une espèce en particulier, mais à exploiter en fait des espèces faisant l'objet d'un moratoire. Nous cherchons des moyens de prévenir cette pratique.

Ce sont des questions portées à l'attention du CPCI sur lesquelles on se prononcera à l'automne.

Nous pouvons compter sur la présence d'inspecteurs internationaux. Nous avons établi des règles qui permettent, par exemple, à des inspecteurs canadiens suspectant un problème de rester sur un navire jusqu'à l'arrivée de l'inspecteur de l'État du pavillon. Ces inspecteurs peuvent demeurer à bord, avec la permission de l'État du pavillon, jusqu'à ce que le bateau arrive à quai pour être contrôlé. Des inspecteurs canadiens sont restés sur des navires qui rentraient vers leur port d'attache en Europe, de l'autre côté de l'océan, pour y subir des inspections. Toutes ces mesures visent à accroître la transparence, mais au bout du compte, c'est à l'État du pavillon et aux tribunaux de cet État de prendre les mesures qui s'imposent à l'encontre des navires qui enfreignent les règles. Ceux-ci ont la responsabilité d'établir les cadres réglementaires nécessaires pour garantir le respect effectif des mesures de conservation et d'application des règlements de l'OPANO.

Cela ne s'est pas encore fait. Il est évident que les États refusent qu'on porte atteinte à leur souveraineté au point, par exemple, qu'un inspecteur russe arraisonne un bateau canadien et le traduise devant la justice de son pays ou vice- versa. On ne verra jamais cela, à moins que le contrevenant soit pris dans la limite des 200 milles marins, auquel cas, la situation est différente.

Le président: Je vous remercie beaucoup pour ce tour d'horizon complet de la situation. Je suis sûr que nos sénateurs l'auront trouvé très instructif.

Le sénateur Cook: Je viens de Terre-Neuve et là-bas, les gens pensent que s'ils pouvaient seulement sortir de la limite des 200 milles marins, tous leurs problèmes seraient résolus. Ils aimeraient avoir accès à ces stocks chevauchants car ils savent qu'ils sont abondants et qu'il n'y a pas de poisson ailleurs. Qu'arriverait-il si le Canada assurait le contrôle de ces stocks? Obtiendrait-il le soutien d'autres pays?

M. Bevan: On pêche plus de 40 000 tonnes de poisson dans le secteur où se trouvent les stocks chevauchants. Ils constituent bien sûr une ressource très importante. Toutefois, nous n'y aurions pas nécessairement accès. Il est évident que nous devrions d'abord engager des négociations à long terme avec d'autres pays pour voir jusqu'à quel point nous pourrions faire valoir une interprétation différente du droit international. Actuellement, ce droit établit la limite à 200 milles marins. Il est clair que personne ne souhaite étendre cette limite. Au Canada, il faudrait que la limite soit de 360 à 400 milles marins pour englober complètement le Bonnet flamand.

En février, se tiendra à Terre-Neuve un forum réunissant des spécialistes canadiens et étrangers venus chercher des façons d'améliorer la gestion de ces stocks. Y a-t-il d'autres possibilités que celles utilisées actuellement? Le Canada cherche à le savoir. L'OPANO et les commissions internationales n'appuient pas ce type d'initiative. Il n'y a pas moyen de discuter de ces questions à l'OPANO; il faut trouver un autre forum pour en débattre. Il faudrait pouvoir compter sur un soutien juridique international pour appuyer ce changement, mais il ne sera pas facile à obtenir dans l'immédiat.

Il n'y aura pas de solution rapide aux problèmes des pêcheurs terre-neuviens qui veulent accéder à ces ressources ou garantir un meilleur contrôle des navires à l'extérieur de la limite des 200 milles marins.

Le sénateur Cook: Ce ne sont que des voeux pieux, n'est-ce pas?

M. Bevan: Ce forum nous aidera à chercher toutes les issues et tous les moyens possibles permettant de mieux gérer ces problèmes. Pour l'instant, je suis incapable de dire s'il y a au sein de l'OPANO des gens favorables à un quelconque changement.

Le sénateur Cook: Je connais très mal l'OPANO. Toutefois, je trouve très encourageante la création de ce nouvel organe subsidiaire, le CPCI, dont vous parlez dans votre exposé. Cet organe a le pouvoir d'examiner et d'évaluer la situation puis d'émettre des recommandations à l'OPANO. Est-ce bien en cela que consiste essentiellement son rôle? Pourriez-vous nous donner des précisions?

M. Bevan: En fait, nous sommes un comité permanent de la Commission sur les pêches. Nous faisons rapport à la Commission au moment de son assemblée annuelle. Celle-ci nous assigne des tâches particulières, en plus de nos attributions générales.

Depuis la réunion de 2002, nous avons pour tâche d'évaluer le degré d'observation des règles dans le secteur régi par l'OPANO. Toutes les parties contractantes sont visées. Nous évaluerons par exemple les comportements des navires russes, canadiens et européens. Nous présenterons nos conclusions à la Commission, accompagnées de toutes les recommandations pertinentes destinées à changer ou à accroître les obligations contractuelles. Même si ces dispositions sont adoptées, la Commission sur les pêches et le CPCI ne peuvent que modifier les mesures de conservation et de mise en application des règles de l'OPANO ou les procédures d'inspection. C'est encore aux parties contractantes que revient de décider quoi faire en cas de non-respect des règlements.

Le sénateur Cook: Les résultats de vos travaux constituent de véritables points de référence pour l'OPANO, et il est à espérer que vous arriverez à un consensus lorsque vous exposerez les conséquences des problèmes relevés, n'est-ce pas?

M. Bevan: Bien sûr.

Le sénateur Hubley: Parfois, j'ai l'impression de bien comprendre ce que sont les stocks chevauchants et à d'autres moments, je n'en suis plus certain. Pourriez-vous me dire comment interagit la Commission sur les pêches? Les données scientifiques présentées par le conseil influencent-elles directement les décisions de la Commission?

M. Bevan: Oui, elles influencent les décisions de la commission. Depuis 1995, la Commission a, de manière générale, suivi les conseils des scientifiques. Ces conseils sont le résultat de recherches effectuées par des Canadiens, des Espagnols, des Russes et d'autres. Tous ces gens-là font des études. Ils se rencontrent très souvent durant l'année. Il y aura une réunion du conseil scientifique en juin, qui sera suivie de deux semaines de rencontres en marge de l'assemblée annuelle. Ces experts se réunissent, examinent les données et s'entendent sur les conseils à donner à la Commission sur les pêches en ce qui concerne le niveau des stocks, les TAC et les quantités maximales de prises auxquelles peuvent résister les stocks. Depuis environ 1995, la Commission suit généralement les conseils de ces scientifiques.

Au début des années 90, les parties contractantes avaient tendance à contester les quotas mis en place par la Commission, à fixer unilatéralement des TAC nettement plus élevés et à ne pas contrôler leurs navires, de sorte que les prises réelles étaient encore plus importantes, ce qui a provoqué un grave problème de surpêche. Après 1995, la situation a changé et s'est considérablement améliorée grâce aux relations entre le conseil scientifique et la Commission sur les pêches.

Le sénateur Hubley: Les organisations des pêches qui gèrent les stocks de poissons à Terre-Neuve transmettent-elles par exemple des informations au conseil scientifique au sujet des zones où elles ont constaté un effondrement des stocks? Le conseil est-il au courant de cette situation, et les décisions prises tenaient-elles notamment compte du déclin ou de l'effondrement des stocks de morue à Terre-Neuve?

M. Bevan: La décision de l'OPANO d'imposer un moratoire sur un certain nombre de stocks est fondée sur des données scientifiques canadiennes, entre autres. On en a donc tenu compte. Le problème, avec l'OPANO, c'est qu'il y a toujours un retard — lorsque nous nous sommes réunis, en septembre 2002, nous préparions les règles pour 2004. Cela veut dire que la pêche peut continuer, même si le Canada a décidé qu'il fallait y mettre un terme. Si vous vous reportez à la diapositive de la page 7 sur les stocks réglementés, vous remarquerez qu'il y a plusieurs zéros. Ceux-ci traduisent la décision du Canada d'imposer un moratoire sur ces stocks de poissons. Ces dernières années, on a observé une certaine cohérence entre les décisions de l'OPANO et la gestion canadienne des stocks.

Le sénateur Hubley: Pouvez-vous me donner une idée des délais? Avons-nous quelque indication montrant que le déclin des stocks chevauchants serait tel qu'on pourrait craindre la disparition de certaines espèces?

M. Bevan: Par le passé, il y avait de mauvaises pratiques au sein de l'OPANO et les parties contractantes ne respectaient pas les conseils des scientifiques. Si la Commission sur les pêches fixait un TAC qui ne leur convenait pas, parce que la part qui leur revenait était trop faible, elles fixaient unilatéralement un nouveau TAC. Vous comprendrez que ce type de comportement adopté à la fin des années 80 et au début des années 90 a entraîné la surpêche et creusé l'écart entre les pratiques et les efforts de l'OPANO en matière de gestion des stocks. Ce n'est plus comme cela aujourd'hui. Tous les stocks sous moratoire ici sont sous moratoire ailleurs.

Le sénateur Hubley: Considérez-vous que la surexploitation des ressources a nui au secteur des pêches?

M. Bevan: Il est évident qu'elle a contribué à son affaiblissement, mais il y a d'autres facteurs en ligne de compte. On peut tolérer une surpêche des stocks si ceux-ci sont en bon état, si la productivité de l'eau est élevée, etc. Les stocks peuvent survivre à de mauvaises conditions et à une faible productivité si la pêche est modérée, mais s'il y a surexploitation, ils ne peuvent résister. C'est ce qui s'est passé à la fin des années 80 et au début des années 90. Il y avait une combinaison de plusieurs facteurs: prises importantes, forte mortalité naturelle et faible renouvellement des stocks; l'issue était prévisible.

Le sénateur Hubley: Avez-vous observé un changement et une amélioration de la situation depuis?

M. Bevan: Tout est relatif. Les comportements sont meilleurs qu'ils ne l'étaient avant 1995. Toutefois, les comportements observés entre 1995 et, disons, 1998 ou 1999 étaient plus satisfaisants qu'ils ne le sont aujourd'hui. Durant ces années, les gens respectaient très scrupuleusement les nouvelles mesures en vigueur. On avait adopté de nouvelles procédures en vertu desquelles les inspecteurs pouvaient rester à bord des navires, suivre les bateaux jusqu'à leur port d'attache, etc. Du point de vue des observateurs, c'était un bon moyen de dissuasion.

Depuis 1999, le fait d'envoyer des observateurs sur les navires n'a plus autant d'effet dissuasif. De nos jours, c'est davantage aux États du pavillon à prendre les mesures appropriées en cas de non-respect des règles, mais ce ne sont pas nécessairement les mesures de dissuasion qui s'imposent. Au cours des dernières années, nous avons noté — et des documents du CPCI et de la Commission sur les pêches le prouvent — une augmentation des cas de non-conformité aux règles. Les navires prétendent ou affirment avoir capturé une espèce en en suivant une autre. Certains cachent le poisson dans les cales et disent avoir pêché moins de cette espèce et plus d'une autre.

Cela a posé des problèmes. On a donc décidé, en 2002, de prendre des mesures pour définir la pêche dirigée et poursuivre l'évaluation du niveau de conformité aux règles afin de voir si la situation pouvait s'améliorer. Ainsi, les comportements se sont relâchés par rapport à la deuxième moitié des années 90, mais ils sont quand même meilleurs qu'ils ne l'étaient avant 1995.

Le sénateur Watt: Je ne demande si on réunit des données scientifiques pertinentes. J'ai du mal à croire quelqu'un qui prétend ne pas dépasser les limites imposées, et ce, pour quelque espèce que ce soit. Quand je vois ce qui est arrivé à nos stocks dans l'Arctique, j'imagine qu'il doit se produire la même chose ailleurs.

Toujours est-il qu'il y a de plus en plus de bruit le long des côtes — alors que ce n'était pas du tout le cas avant. Il y a beaucoup plus d'activité que par le passé sur le littoral — et pas seulement à cause de la navigation, mais aussi à cause des nombreuses industries qui s'établissent au large. Cela a incontestablement un effet sur les stocks, particulièrement sur les stocks de poissons comme la morue.

Disposez-vous de données scientifiques permettant d'établir que ces stocks restent en dehors de la limite des 200 milles marins et qu'ils ne viennent pas de l'intérieur de cette zone?

M. Bevan: Effectivement. On a découvert, au moyen de différentes techniques, que les stocks réputés être discrets — c'est-à-dire les stocks qui ne viennent pas du Bonnet Flamand en passant par les Grands Bancs — sont distincts des stocks chevauchants qui traversent la limite. La plupart de ces stocks demeurent dans la zone canadienne, mais beaucoup évoluent en dehors, et s'ils sont surexploités, cela peut causer des problèmes. Il y a ensuite les autres stocks pour lesquels nous disposons des meilleures études et données scientifiques qui soient. Je ne me souviens pas si on a fait des tests génétiques.

Le sénateur Watt: J'allais y venir.

M. Bevan: Le conseil scientifique a beaucoup fait pour déterminer quels stocks sont chevauchants, quelle est leur composition et lesquels sont discrets. Par exemple, on a effectué des études génétiques sur la morue du Nord pour voir si celle qui vit près du littoral et celle qui vit au large appartiennent finalement à la même espèce. Je pense que cela a été fait dans la division 3M, mais je devrais vérifier auprès des scientifiques et leur demander s'ils ont eu recours aux tests génétiques pour établir s'il y a une distinction entre les stocks de morue de la division 3M et ceux du Bonnet Flamand.

Le sénateur Watt: Pensez-vous que dans le proche avenir nous pourrons mieux comprendre?

M. Bevan: Le Conseil scientifique semble être certain qu'il s'agit de stocks homogènes et c'est la meilleure information dont il dispose actuellement. Récemment, la Commission sur les pêches a demandé plus de données au sujet du risque. Les conseils scientifiques sont toujours assortis d'un certain degré d'incertitude, qu'il faut comprendre, pour évaluer le risque de toute décision prise à propos de la pêche. Si on qualifie les stocks du Bonnet Flamand d'homogènes et de distincts, il faut pouvoir répondre à la question suivante: En êtes-vous sûrs? Parlez-vous de 80 p. 100 ou d'un autre pourcentage? D'après le Conseil, ce n'est pas un problème, puisqu'il considère qu'il s'agit de stocks distincts.

Le sénateur Watt: J'ose croire que le Conseil scientifique a une grande influence, non seulement sur le Canada, mais aussi sur la communauté internationale. Par conséquent, la prise de décision se fait dans un contexte international.

M. Bevan: En général, c'est par consensus que des conseils sont transmis à la Commission sur les pêches. Il y a bien sûr influence, puisque les relevés de navires de recherche que nous faisons se limitent à la zone des 200 mille, qu'ils peuvent par ailleurs dépasser. Nous effectuons des relevés de navires de recherche, tout comme peut-être l'Espagne, le Portugal, ou la Russie, etc., et ces pays se réunissent pour analyser les données. Bien sûr, les points de vue et les données d'autres parties contractantes influent sur les résultats et il vaut toujours mieux avoir plus d'information.

Le sénateur Watt: J'imagine que les aspects économiques et politiques sont pris en compte avant la prise de décision. Il ne s'agit pas uniquement d'une décision scientifique.

M. Bevan: Le Conseil scientifique est censé donner à toutes les parties contractantes des avis scientifiques par l'entremise de la Commission sur les pêches, dont le mandat consiste à examiner les aspects socioéconomiques ainsi que biologiques. Malheureusement, dans les années 80 et au début des années 90, on avait tendance à examiner les aspects socio-économiques à court terme et non à long terme si bien que beaucoup de stocks sont maintenant visés par un moratoire.

On a tendance aujourd'hui à suivre les conseils donnés.

Le sénateur Mahovlich: Je ne suis pas sûr de vous avoir bien compris. Vous avez parlé des bateaux qui se trouvent à l'intérieur de la zone des 200 milles. Peuvent-il faire l'objet de poursuites de la part du Canada? Combien de bateaux ont-ils fait l'objet de poursuites?

M. Bevan: Pas beaucoup. En fait, pas plus tard que cette semaine, un bateau qui pêchait le crabe à l'extérieur de la zone des 200 milles a été condamné. Les espèces sédentaires et le crabe nous appartiennent lorsqu'ils se trouvent sur notre plateau continental, ainsi qu'au-delà de la zone des 200 milles. Ce bateau, déclaré coupable, a dû payer une amende importante et sa prise a été confisquée.

C'est un exemple. Je ne sais pas si le propriétaire pensait pouvoir s'en sortir, ni comment, mais il reste qu'aucun bateau ne s'aventure dans notre zone des 200 milles.

Le sénateur Mahovlich: De quel pays venait ce bateau?

M. Bevan: Des États-Unis. Ces dernières années, il n'y a pas eu beaucoup d'incursions dans notre zone. Nous assurons une surveillance aérienne et les bateaux sont dotés de transpondeurs; s'ils entrent dans notre zone et se font prendre, les conséquences en sont assez lourdes. On parle encore aujourd'hui de ce qui s'est passé en 1987, lorsqu'un bateau espagnol a traversé l'océan avec deux agents des pêches à bord. Ce bateau a été frappé d'une amende si forte que la compagnie a fait faillite. Les pêcheurs espagnols en parlent encore aujourd'hui.

Un ou deux autres incidents du genre se sont produits, mais peu de bateaux courent un tel risque, grâce à nos efforts de dissuasion et de surveillance.

Le sénateur Phalen: À votre avis, la non-conformité pose-t-elle un problème?

M. Bevan: C'est un problème parce que, d'après le Conseil scientifique, c'est ce qui empêche la reconstitution de certains stocks de grande importance pour un certain nombre de parties contractantes, notamment, le Canada. Par exemple, des pêcheurs déclarent pêcher la raie puis, remontent le Nez et la Queue des Grands Bancs et pêchent la plie canadienne. Cette activité a un impact sur la rapidité avec laquelle les stocks de plie canadienne se reconstituent. C'est un problème important.

Des changements ont été apportés en matière de mise en application pour essayer de régler ce problème. La tendance s'est inversée dans une certaine mesure puisque le nombre de tels incidents a diminué en l'espace d'une année. Toutefois, il faut que cela se poursuive car, jusqu'à présent, c'est toujours un problème.

Le sénateur Phalen: Quelles mesures avez-vous prises pour régler le problème?

M. Bevan: Il existait une possibilité de tourner la réglementation. Les pêcheurs arrivaient au Grand Banc et utilisaient des mailles de 130 millimètres convenant à la pêche à la plie canadienne. Ils prétendaient pêcher la raie alors qu'ils auraient dû utiliser des mailles beaucoup plus grandes — 280 millimètres. À l'époque, aucune règle ne définissait la pêche dirigée. Lorsqu'on accostait ces bateaux, on s'apercevait que la plupart de la prise se composait de plies canadiennes. Toutefois, nous ne pouvions invoquer aucune règle pour les empêcher d'agir de la sorte.

Aujourd'hui, ils sont obligés de respecter la règle qui définit la pêche dirigée — s'ils ont plus de plies canadiennes que de raies, ils sont coupables d'une infraction majeure assortie d'une peine. En outre, s'ils pêchent la raie, ils doivent utiliser les mailles de 280 millimètres. La pêche devrait ainsi devenir plus propre. Au bout d'un certain temps, nous allons voir si cela nous permet d'inverser la tendance.

Le sénateur Phalen: Si un observateur s'aperçoit qu'un pêcheur ne respecte pas la règle, quelles en sont les conséquences au plan juridique?

M. Bevan: C'est là encore un problème relatif à l'interprétation que l'on fait de l'État du pavillon. Au Canada, nous nous appuyons sur les données d'observateurs pour prendre des mesures de mise en application, alors que ce n'est pas le cas dans l'Union européenne où on s'en sert pour orienter les responsables de la mise en application.

Les rapports d'observateurs nous parviennent bien après l'accostage du bateau. Par conséquent, il est difficile de prouver au tribunal l'infraction hors de tout doute raisonnable. Le recours aux rapports d'observateurs comporte certaines limites et c'est la raison pour laquelle nous cherchons à modifier ce processus. Il faudrait un projet pilote nous permettant d'obtenir des données en temps réel et d'axer nos efforts d'inspection sur ces bateaux. Nous les dirigerions vers le port pour les inspecter.

C'est à l'État du pavillon qu'incombe la responsabilité de déterminer, à partir des informations qu'il reçoit, si le bateau respecte les règles, et de décider des mesures à prendre à cet égard. L'Union européenne ne s'appuie pas sur des données d'observation pour porter des chefs d'accusation.

Le sénateur Phalen: Que se passe-t-il si quelqu'un n'observe pas la règle?

M. Bevan: C'est l'un des problèmes du CPCI. En 2002, le Canada a fait un exposé devant la Commission sur les pêches au sujet des problèmes reliés à la non-conformité signalés par des observateurs, sans aucun suivi apparent. En septembre 2002, des données supplémentaires ont été fournies. La Commission sur les pêches a alors chargé le CPCI d'évaluer l'observation des règles.

L'observation se compose de deux volets, la détection, qui se fait par les observateurs et la conformité proprement dite, qu'il faut imposer à ceux qui sont coupables d'infraction aux règles. Malheureusement, nous avons encore du mal à cet égard et c'est toujours un problème pour l'OPANO et les parties contractantes.

Le sénateur Adams: L'un de nos témoins a déclaré que le Canada dispose de quotas majoritaires au-delà de la zone des 200 milles. Si je ne me trompe, le pourcentage frôlait les 95 p. 100. Est-ce exact?

M. Bevan: Au Canada, autant dans la zone OPANO que dans notre zone des 200 milles, les quotas prévus pour plusieurs stocks dont ceux de la morue du Nord, de la limande à queue jaune et de la plie canadienne, nous accordent une grande majorité du poisson. C'est la raison pour laquelle le Canada a intérêt à reconstituer ces stocks.

Le problème, c'est que ceux qui pêchent actuellement ces poissons comme prises accessoires — ou censées l'être — ne tireront pas beaucoup avantage de la reconstitution des stocks. Il leur faudra changer leurs pratiques, renoncer à des possibilités de pêche pour reconstituer les stocks et ne pas beaucoup pêcher à l'avenir. C'est pour cela que certains des problèmes liés à la conformité sont si importants.

Le processus sera beaucoup plus transparent, puisque nous serons en mesure d'indiquer au public et à la Commission sur les pêches, par l'entremise des rapports OPANO, la conformité des diverses parties contractantes aux mesures de conservation prévues pour reconstituer ces stocks dans l'intérêt des pêcheurs canadiens.

Le sénateur Adams: Dans quelle mesure le Canada tire-t-il profit de ces quotas? La plupart des stocks sont pêchés par d'autres, si je ne me trompe?

M. Bevan: Pas tout à fait, car il faut aussi compter les prises accessoires canadiennes. Les pêcheurs canadiens ont beaucoup de mal à pêcher la limande à queue jaune qui est abondante et dont le quota est important, car ils essayent d'éviter la prise accessoire de plies canadiennes qui reste toutefois inévitable.

La pêche au flétan noir s'accompagne inévitablement de prises accessoires de plie canadienne. Les parties contractantes pourraient l'accepter. Le problème, c'est que des pêcheurs prétendent pêcher une espèce, alors qu'ils pêchent en fait des espèces qui, si elles étaient reconstituées, reviendraient au Canada à 95 ou 97 p. 100.

Le sénateur Adams: C'est le MPO qui en assure la gestion, n'est-ce pas?

M. Bevan: Nous gérons la récolte dont nous sommes responsables. Par exemple, nous avons accès à la grande majorité de limande à queue jaune et dirigeons la pêche de nos bateaux. Cette responsabilité est la même pour tous. L'Union européenne a une part importante de flétans noirs. Elle a la responsabilité de diriger et de contrôler ses bateaux de manière qu'ils respectent les mesures de conservation.

Par transparence, je veux dire aussi que nous pouvons accoster les bateaux de l'Union européenne et vice-versa. C'est ainsi que les choses fonctionnent. Nous ne disons pas à un autre pays comment partager le quota dont il dispose. Cela revient à la partie contractante.

La Commission sur les pêches répartit le quota entre les parties contractantes. Pour la limande à queue jaune, nous obtenons 97,5 p. 100 et les autres 2,5 p. 100. Le MPO dirige la pêche des bateaux canadiens dans les limites du quota.

Dans le cas du flétan noir, comme c'est l'Union européenne qui détient un quota important, c'est à elle de décider comment le répartir et comment contrôler les bateaux.

Le sénateur Adams: Nous ne profitons pas des quotas des étrangers, n'est-ce pas? Nous pourrions donner aux Européens une part d'un quota, mais nous n'obtenons rien des parts de morue.

M. Bevan: Je crois que le chef de la délégation canadienne aurait beaucoup de mal à défendre le concept d'échanges de quotas. Cette stratégie n'a jamais été retenue dans le passé.

Le sénateur Adams: Vous dites qu'en 1993, les prises de crevette 3M et 3L représentaient 30 000 tonnes. En l'an 2000, le total des prises de poissons de fond représentait près de 91 000 tonnes et dans le même secteur, les prises de crevette 3M et 3L équivalaient à près de 54 000 tonnes. Est-ce bien cela?

M. Bevan: Oui. Il semble que le poisson de fond ait considérablement diminué entre 1993 et 2000 alors que la crevette a augmenté. Le Conseil scientifique observe une croissance de la population de la crevette dans la zone 3L à l'intérieur de la zone canadienne et à l'extérieur de celle-ci. Alors que l'on s'était inquiété de la santé de la population de la crevette du Bonnet Flamand — soit la zone 3M — elle a fait l'objet d'une pêche importante et les prises ont augmenté ces dernières années.

Le sénateur Adams: La situation de cette année va-t-elle être identique à celle de 1993?

M. Bevan: Actuellement, le quota de crevettes dans 3L est passé de 6 000 à 13 000 tonnes entre 2002 et 2003. L'autre pêche n'est pas gérée en fonction d'un quota, mais en fonction d'une unité d'effort. S'il y a augmentation de la capture par unité d'effort, la prise augmente.

Le président: Après un court préambule de ma part, nous passerons aux questions.

Il ne fait aucun doute, je pense, que la plupart des Canadiens conviennent que la situation de nos stocks de morue du Nord, de poisson de fond et d'autres est critique. Le moratoire l'a bien fait comprendre il y a une dizaine d'années. Les Canadiens sont parfaitement d'accord aujourd'hui pour dire qu'il faut prévoir des mesures de conservation extrêmement strictes.

La responsabilité a été rejetée sur tout le monde. On peut incriminer l'OPANO, la surpêche, les phoques et la température de l'eau. Nous avons même vu il y a quelque temps le ministre accuser l'ancien gouvernement. La responsabilité a été rejetée sur tous sans exception.

La plupart des gens du Canada Atlantique nous disent qu'il faut faire quelque chose. Beaucoup de spécialistes nous disent que l'OPANO présente des lacunes que l'on ne peut combler, même si cette organisation est de bonne volonté et ne ménage pas ses efforts. Par exemple, diverses compétences essayent de trouver une façon de préserver le poisson. Vous l'avez dit vous-même: On ne peut accoster un bateau étranger, un bateau battant pavillon étranger et le traduire devant la justice canadienne, tout comme on ne voudrait pas que l'inverse soit possible.

La procédure d'opposition représente un autre point faible, puisquen cas d'opposition au quota fixé, un pays peut fixer le sien. Nous en sommes arrivés à un point où les quotas sont fixés par consensus, ce qui n'est tout simplement pas un bon objectif de conservation. Cela se fait politiquement, car il n'y a pas d'autre choix. Comme on nous l'a dit, c'est mieux que rien; c'est ce que nos témoins nous ont dit.

Même les propositions les plus drastiques qui ont été faites, comme la gestion de la garde des pêches, ne peuvent être envisagées car elles ne tiendront pas la route et je crois savoir pourquoi.

J'imagine que nous pourrions envisager d'autres possibilités. Si je comprends bien, l'Entente des Nations Unies sur les pêches, l'ENUP, sera mise en place d'ici l'an prochain. Il s'agit d'une entente sur les stocks chevauchants. Apparemment, elle est très prometteuse et j'aimerais savoir ce que vous en pensez.

J'ai une autre question. À votre avis, pourrait-on envisager de faire du Nez et de la Queue des Grands Bancs une zone d'interdiction totale de pêche? Cela permettrait-il de conserver les stocks que nous essayons de conserver et peut- être, de commencer à reconstituer ceux qui en ont besoin?

M. Bevan: Dans le cas de ce que l'on pourrait appeler une zone protégée, l'OPANO a été saisie d'une recommandation du CPCI — soit la fermeture du Platier pour assurer la protection du poisson. Cela marcherait et permettrait de conserver et de reconstituer les stocks.

Une autre proposition permettrait de diriger la pêche au flétan noir au-dessus de 700 mètres. Lorsque les États et les pêcheurs européens ont commencé à faire des relevés et à les reporter sur une carte, ils se sont aperçus que la zone correspondait étrangement au Nez et à la Queue des Grands Bancs. Ils ont pensé que nous voulions en fait leur interdire l'accès au Nez et à la Queue des Grands Bancs si bien qu'aucune suite n'a été donnée à ce projet. Délimiter des zones pour en interdire l'accès aux pêcheurs n'a jamais été très populaire.

Malheureusement, c'est la même chose au Canada. Les pêcheurs ont mal accepté le concept du périmètre de 20 milles sur 20 milles au large de Terre-Neuve que nous avions prévu et où il aurait été interdit de faire du dragage afin d'évaluer l'impact sur le crabe. Les zones de protection marines sont prometteuses si elles sont suffisamment grandes — et elles doivent l'être pour offrir un tel potentiel.

Nous n'avons pas réussi à faire accepter à la Commission sur les pêches ces propositions dans le contexte de l'OPANO. Nous avons eu un peu de mal à les envisager dans le contexte canadien, même là où cela aurait été dans notre intérêt. Nous avons prévu, par exemple, des zones de non-dragage pour protéger les coraux. Cela ne se fait pas sans controverse, et l'OPANO nous a demandé de faire marche arrière à propos des fermetures envisagées dans la zone réglementée par elle.

Le président: Permettez-moi de vous proposer un projet un peu fou: que pensez-vous de créer un récif artificiel? Laissez-moi vous expliquer en quoi cela consisterait. Il suffirait d'aller chercher des carcasses de voitures dans des parcs à ferraille, de les remplir d'un peu de ciment et de les déposer à certains endroits très stratégiques, tout le long du nez et de la queue du Grand banc. Ainsi, tous les filets de pêche des chalutiers qui raclent le fond de ce secteur seraient détruits. Nous placerions ces carcasses à des endroits stratégiques. Ne pensez-vous pas que cela dissuaderait les chalutiers canadiens et étrangers de pêcher dans la zone? On a observé un peu partout dans le monde que les récifs artificiels constituent un habitat idéal pour les poissons.

Enfin, pour faciliter les choses et les rendre un peu plus acceptables aux yeux de ceux qui pratiquent la surpêche, nous dirions: Étant donné qu'il n'est plus possible de pêcher dans le récif, nous vous laissons venir dans les eaux canadiennes; voici les espèces et les quantités que vous êtes autorisés à prendre. Les quotas seront les mêmes que ceux auxquels ils étaient soumis précédemment, voire un peu moins élevés, cela dépendra des données scientifiques. Actuellement, tous les navires qui croisent dans les eaux territoriales canadiennes doivent tenir compte de nos évaluations scientifiques et se conformer à nos règlements en matière de pêche. Pensez-vous que cela pourrait nous aider?

M. Bevan: Je ne suis pas sûr des implications d'une telle initiative en regard du droit international.

Le président: Que peuvent-ils faire pour nous en empêcher?

M. Bevan: C'est la question qu'on s'est posée quand on s'est mis à chercher des solutions pour régler ce type de problème.

Le président: Faisons-le.

M. Bevan: Je ne peux pas vous répondre pour l'instant car je ne dispose d'aucune analyse. Il est certain que ceux qui pêchent à l'intérieur de la zone canadienne doivent respecter les mesures de conservation et les lois de notre pays. C'est un problème. Je ne peux vraiment pas vous donner de réponse concernant les implications internationales d'une telle décision.

Le président: C'est dans les eaux internationales. Qui peut nous empêcher de créer un récif artificiel pour le bien de l'humanité tout entière? Je ne vois rien de mal à cela.

M. Bevan: Il faudrait que je soumette la proposition aux spécialistes du MAECI et du droit international.

Le président: C'est cela, soumettez la proposition à des groupes de réflexion.

M. Bevan: Le forum qui se tiendra à Terre-Neuve dans deux ou trois semaines aura pour but d'examiner différentes options conformes au droit international et destinées à améliorer la gestion de ces activités. Il en ressortira certainement quelque chose.

Quant à la possibilité de créer un récif artificiel, je pense qu'il faudrait d'abord soumettre le projet à une analyse.

Pour ce qui est de la proposition relative à l'ENUP, je dois dire qu'un certain nombre de parties contractantes ont ratifié l'Entente et sont assujetties à ses dispositions. L'Union européenne ne l'a pas encore signée, et si elle décide de ne pas le faire, rien ne l'obligera à respecter ces règles. Cela limite donc l'utilité de l'ENUP.

Je le répète, toutes ces questions seront débattues à l'occasion du forum. C'est probablement de là que sortiront les recommandations les plus raisonnables et acceptables en regard du droit international, etc. Ces discussions se tiendraient en marge des travaux du CPCI et de l'OPANO.

Je peux assurer les honorables sénateurs que l'OPANO a déjà étudié la possibilité de créer une aire marine protégée, mais qu'elle l'a rejetée. C'est d'ailleurs une question qui avait fait l'objet d'un vote en janvier 2002. Le Canada avait voté pour, mais la proposition n'avait pas été retenue.

Le président: Avez-vous entendu la rumeur selon laquelle l'Union européenne pourrait voter en faveur de la ratification de l'ENUP cet été?

M. Bevan: Oui, j'ai entendu dire qu'elle était prête à la signer. Cela pourrait régler quelques problèmes, mais ce n'est pas nécessairement une panacée.

Le président: Permettez-moi de vous poser une dernière question: l'épuisement des stocks dans la Mer du Nord forcera certains pays de l'Union européenne à aller voir ailleurs. Avez-vous évalué l'impact que cela pourrait avoir sur les ressources halieutiques au large des côtes canadiennes?

M. Bevan: D'après la Commission sur les pêches, c'est aux pays de l'Union européenne de décider combien de navires ils souhaitent envoyer pêcher ici la part qui leur revient. Il est évident que s'ils envoient plus de navires qu'il n'en faut, ils iront au devant de difficultés. S'il n'y a pas suffisamment de ressources pour maintenir la flotte de navires, les pêcheurs essaieront de trouver des façons d'accroître leurs revenus pour atteindre le seuil de rentabilité ou faire des profits. Ils peuvent se voir forcés de dépasser certaines limites. C'est la situation à laquelle semble être confronté le secteur des pêches un peu partout dans le monde. Si on nous envoie trop de bateaux, nous devrons nous inquiéter du respect des règles et des pratiques utilisées par ces entreprises de pêche.

Le président: Je vous remercie beaucoup, monsieur Bevan. Nous apprécions grandement que vous ayez pris le temps de venir témoigner devant nous aujourd'hui, malgré votre agenda très chargé.

La séance est levée.


 

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