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Délibérations du comité sénatorial permanent des 
Pêches et des océans

Fascicule 10 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 17 septembre 2003

Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd'hui à 18 h 17 pour étudier, afin d'en faire rapport, les questions relatives aux allocations de quotas accordées aux pêcheurs du Nunavut et du Nunavik, ainsi qu'aux bénéfices en découlant.

Le sénateur Charlie Watt (président suppléant) occupe le fauteuil.

Le président suppléant: Honorables sénateurs, je vais, avant le début de nos travaux, dire quelques mots en inuktitut.

[Le sénateur Watt s'exprime dans sa langue autochtone.]

Permettez-moi de résumer brièvement la situation. La personne qui devait être là ne s'est pas présentée. Nous allons donc tenter de mener nos travaux en inuktitut seulement, mais comme l'interprète n'est pas là, nous allons de temps à autre fournir nous-mêmes les services d'interprétation. Nous allons mener nos travaux en inuktitut et en anglais.

D'abord, je tiens à souhaiter la bienvenue aux honorables sénateurs, aux témoins et aux citoyens qui sont avec nous aujourd'hui et qui nous regardent à la télévision ou qui nous écoutent au moyen de la transmission sonore.

Le 16 juin 2003, le Sénat a autorisé le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans à étudier, afin d'en faire rapport, les questions relatives aux allocations de quotas accordées aux pêcheurs du Nunavut et du Nunavik, ainsi qu'aux bénéfices en découlant.

Il s'agit de la première séance que le comité consacre à cette étude. Au cours des prochaines semaines, nous allons entendre un large éventail de témoins à ce propos, puis nous allons préparer à l'intention du Sénat un rapport renfermant nos conclusions et nos recommandations.

Nos premiers témoins sont Mme Papatsie, la propriétaire de Jencor Fisheries Limited et M. Decker, le président de Tri-Nav. Je crois comprendre, monsieur Decker, que Mme Papatsie et vous êtes associés.

M. Trevor Decker, président, Tri-Nav: C'est exact.

Le président suppléant: La parole est à vous.

Mme Leesee Papatsie, propriétaire, Jencor Fisheries: Honorables sénateurs, merci de l'occasion qui nous est donnée de témoigner devant vous ce soir. Je vais vous donner un aperçu de ce que j'entends faire et de ce que j'espère accomplir, et, à la fin, je vais résumer mes propos.

Au départ, je travaillais pour le ministère des Pèches et des Océans. C'est à cette époque que j'ai compris que le Nunavut devait, d'une façon ou d'une autre, faire partie de l'industrie de la pêche hauturière. C'est alors que m'est venue l'idée d'avoir ma propre entreprise de pêche.

J'ai souvent entendu dire que les collectivités du Nunavut devraient posséder leurs propres bateaux pour participer activement à l'industrie de la pêche.

Il y a dix mois environ, j'ai donc démissionné du ministère des Pêches et des Océans pour fonder ma propre entreprise. M. Trevor Decker, qui m'accompagne ce soir, vient de Terre-Neuve.

M. Decker: Tri-Nav participe à l'industrie de la pêche dans la région du Canada atlantique depuis dix ans. L'année dernière, nous avons pris part à la pêche au flétan dans la zone 0A, après quoi j'ai fait la connaissance de Mme Papatsie. Ensemble, nous avons décidé d'unir nos forces dans le cadre d'une coentreprise de pêche dans le Nord.

Mme Papatsie: L'énoncé de vision de Jencor Fisheries est le suivant: démontrer par l'exemple aux Nunavumiuts qu'il est possible de posséder et d'exploiter une entreprise de pêche et de verser les revenus qu'elle génère directement dans l'économie du Nunavut plutôt qu'aux organisations de pêche du Sud.

Je pense que c'est un très bon énoncé de vision. Je pense que les Nunavumiuts doivent avoir sous les yeux l'exemple de quelqu'un qui franchit le premier pas. Je pense que le Nunavut se fraiera un chemin dans l'industrie de la pêche dès que ses habitants se rendront compte que quelqu'un d'autre le fait et que l'entreprise est viable. Je suis fermement convaincue que le Nunavut s'engagera dans cette voie.

Jencor Fisheries est une entreprise inuite à part entière. Nous comprenons que le Nunavut doit agir maintenant, pendant qu'il a l'occasion de participer de façon concrète à la pêche hauturière.

Nous avons pour objectif de constituer une entreprise de pêche viable au moyen d'une coentreprise qui, par la suite, sera entièrement la propriété des Nunavumiuts. Il s'agit de l'un des principaux objectifs de la société, qui a aussi pour but d'avoir des employés nunavumiuts dans tous les secteurs et à tous les niveaux de l'entreprise, y compris la gestion de navires, le marketing et l'administration.

Je suis une fervente partisane de la formation des Nunavumiuts. J'ai foi dans les Inuits qui souhaitent parfaire leurs connaissances au sein de l'entreprise. Je suis disposée à leur enseigner tout ce que je peux, et je prodigue pas mal d'encouragements à ceux qui souhaitent parfaire leur éducation.

Nous avons d'autres objectifs: être le fer de lance de l'effort du Nunavut visant à doter le territoire de quotas plus élevés et plus équitables de flétan et de crevette dans ses eaux côtières; encourager les Nunavumiuts à assumer un rôle de plus grande envergure dans la pêche hauturière; et, enfin, créer un modèle d'entreprise inuite profitable, qui encourage le MPO à allouer des quotas de flétan et de crevette suffisants pour soutenir un secteur des pêches inuites qui soit indépendant, à long terme, pour tout le monde.

J'ai franchi quelques étapes qui m'ont conduite ici aujourd'hui. L'une des premières choses que j'ai faites a été d'envoyer des lettres d'intention à différents organismes du Nunavut. Ainsi, j'ai écrit au Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut, au ministère des Pêches et des Océans du Canada, à Nunavut Tunngavik Incorporated, au ministère du Développement durable, au sénateur Adams et à la députée Nancy Karetak-Lindell. Dans ces lettres, j'ai exprimé ma vision de ce que je crois et de ce que veux créer.

Dans un premier temps, j'ai donc envoyé les lettres. Ensuite, j'ai demandé un quota de pêche au flétan au CGRFN. Après, j'ai communiqué avec un grand nombre d'entreprises, de propriétaires d'entreprise et de propriétaires de bateau du Sud. Je leur ai posé la question suivante: Qu'est-ce qui est viable au Nunavut? Qu'y a-t-il de viable dans le secteur de la pêche? De quels genres de quotas ai-je besoin pour exploiter l'entreprise? De quoi ai-je besoin en général?

Puis, j'ai rencontré les personnes à qui j'avais écrit. J'ai fini par les rencontrer toutes. Je leur ai présenté un énoncé de vision et les mesures que j'avais prises jusque là.

Ensuite, j'ai écrit au MPO pour demander des quotas de flétan, et j'ai écrit au CGRFN pour lui demander les nouveaux quotas de crevette qu'il avait obtenus. Après, j'ai envoyé une demande d'expression d'intérêt à six entreprises du Sud, et j'ai publié un communiqué de presse. Ensuite, j'ai présenté une proposition à la Baffin Fisheries Coalition pour obtenir ses quotas de pêche au flétan. Ensuite, j'ai rencontre des membres du conseil d'administration de l'organisme. Pendant que j'y étais, j'ai fait parvenir une demande de proposition d'entreprise conjointe à 14 entreprises du sud du Canada.

En ce qui concerne les progrès accomplis jusqu'ici, comme je l'ai indiqué plus tôt, j'ai fait parvenir 14 demandes de proposition pour une entreprise conjointe. Dans la plupart des réponses, on me posait des questions comme: avez-vous accès à des quotas de flétan? Pouvez-vous avoir accès aux quotas?

J'envisageais de préparer un plan d'activité, mais je me suis dit qu'il valait mieux attendre parce que je ne possède pas une expérience suffisante dans ce domaine. Je n'ai pas une grande expérience du secteur de la pêche non plus. J'ai besoin d'aide, d'où la création d'une entreprise conjointe.

En ce qui concerne le quota de pêche au crabe, j'ai reçu un permis expérimental de pêche au crabe avec l'aide de la BFC. Après la réunion avec la BFC, les membres de l'organisme ont rédigé une lettre constructive et informative. J'ai ainsi pu reconnaître mes points forts et les aspects que je dois développer.

Une fois que l'entreprise conjointe et le plan d'activité seront prêts, une demande de financement sera déposée.

J'ai rédigé certaines observations, c'est-à-dire une sorte de compte rendu de ce que j'ai vécu pendant la création de l'entreprise. L'allocation des quotas aux Inuits doit être à l'avant-plan des activités, avant les intérêts du Sud, ce qui veut dire que les allocations de quotas pour les Inuits devraient d'abord et avant tout bénéficier au Nunavut.

Le période de quota du Nunavut, qui est de trois ans, selon le Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut, ne suffit pas pour financer un navire. Si quelqu'un souhaite lancer une nouvelle pêche ou une nouvelle entreprise, une période de trois ans ne suffit pas pour le financement d'un navire.

Les monopoles du Nord et du Sud dans les eaux du Nord ne laissent aucune place aux nouvelles entreprises du Nord. Imaginons que quelqu'un souhaite créer une nouvelle entreprise dans le Nunavut, dans la zone 0A, il n'y a plus de place pour l'expansion. Les quotas ont été alloués à une coalition, et la majeure partie de la zone 0B a été allouée à des intérêts du Sud. À mon avis, il n'y pas de place pour la création de nouvelles pêches.

Le Nunavut n'a qu'une expertise limitée en matière de pêche commerciale. Pour créer aujourd'hui une entreprise de pêche, le Nunavut aura, me semble-t-il, besoin de l'aide du Sud. Il y a des spécialistes du domaine, et on ne doit pas dépendre des organisations ou du gouvernement seulement en ce qui concerne la question des quotas, en tant que nouvelle entreprise. J'en suis venue à la conclusion que mon entreprise ne dépendra ni d'organismes ni du gouvernement sur la question des quotas.

Le moment venu de rencontrer des conseils, il faut être bien préparé, faire les travaux préalables, se fixer des objectifs réalistes et prendre son temps. On ne peut tout faire en six mois. Il faut pas mal de temps.

L'entreprise inuite à part entière n'est pas possible sans expertise dans le domaine de la pêche. Il faudra probablement une entreprise conjointe entre une société inuite et une autre du Sud.

À la dernière page de mon exposé, je formule certaines recommandations qui, me semble-t-il, donneront de bons résultats, par exemple attribuer les quotas de manière à appuyer toute nouvelle entreprise en développement. Si un habitant du Nunavut souhaite créer une nouvelle pêcherie, on devrait, conformément à mes suggestions, réserver certains quotas pour soutenir cette nouvelle initiative dans le domaine de la pêche.

On devrait attribuer des quotas pour plus de trois ans pour pleinement appuyer le nouveau secteur des pêches du Nunavut. Comme je l'ai indiqué plus tôt, trois ans ne suffisent pas pour financer un navire.

On devrait appuyer les entreprises et le secteur des pêches inuites en développement plutôt que la monopolisation. Comme je l'ai déjà dit, la zone 0A est complètement monopolisée par une seule et même organisation, tandis que des intérêts du Sud monopolisent la zone 0B.

On devrait créer un conseil consultatif d'entreprises inuites pour ceux qui sont intéressés à acheter des navires. Imaginons qu'un groupe d'habitants du Nunavut souhaite acheter un navire. Dans un tel cas, on devrait créer une forme de conseil et d'organisme grâce auquel ils pourraient s'entraider. Il serait très avantageux que les personnes qui souhaitent acheter ou louer un navire ou faire leur entrée dans l'industrie de la pêche bénéficient d'un soutien sur le terrain.

On devrait utiliser des modèles qui ont porté fruit pour la région du Nord au moment de la création de toute nouvelle entreprise. Si je parle de la région du Nord, c'est parce que les modèles venus du Sud ne fonctionnent généralement pas dans le Nord. Je propose qu'on étudie différents modèles utilisés ailleurs dans le monde pour déterminer ce qui est applicable ou non dans les régions nordiques.

On devrait concevoir un plan de gestion viable de la pêche du flétan et de la crevette pour assurer la survie des pêches. Le conseil devrait être composé de représentants des organisations et des conseils de protection de la faune ainsi que de représentants de l'industrie.

L'un de mes points les plus forts, c'est que j'ai créé ma société et que je veux que les petits-enfants de ma fille puissent pêcher dans l'entreprise que j'ai créée. Je ne veux pas que l'industrie s'effondre. Je veux que mes petits-enfants aient encore du poisson à pêcher.

Pour peu qu'on puisse compter sur la coopération de toutes les parties, les organisations gouvernementales, les conseils de gestion de la faune et les membres de l'industrie, je pense qu'on pourra mettre au point d'excellentes solutions.

M. Decker: Mme Papatsie a fait la synthèse de la plupart des idées présentées ici. Il s'agit d'une ressource du Nunavut; il s'agit d'une ressource qui appartient au peuple. Les avantages de l'industrie devraient être transmis aux habitants de la région. On a affaire à une industrie adjacente au Nunavut. Au cours des trois ou quatre dernières années, la pêche a été de nature exploratoire. Une société surtout a fait main basse sur les allocations dans la zone 0A.

Pour qu'une entreprise appartenant à des intérêts du Nunavut, nommément Jencor Fisheries, puisse participer à l'industrie de la pêche, comme cela a été le cas ici dans le Sud, on doit assurer un accès à la ressource. Sinon, aucune société appartenant à des intérêts du Nunavut ne pourra faire l'acquisition de navires et créer une industrie qui s'étendra à toutes les régions isolées du Nunavut.

Dans la région de l'Atlantique, la pêche a été le moteur des petites collectivités. Je pense que la même chose pourrait se produire au Nunavut. Cependant, une nouvelle pêcherie exigerait la création d'une entreprise de pêche, comme Jencor Fisheries, qui ferait la preuve qu'une telle industrie est possible. Je sais qu'on peut y arriver. On y est arrivé dans le Sud. On peut y arriver dans le Nord. Sans accès à l'industrie, une fois de plus, on n'a aucun moyen de prouver aux habitants de la région que la pêche peut assurer un gagne-pain viable à toutes les parties intéressées.

Le sénateur Adams: J'aimerais moi aussi dire quelques mots en inuktitut.

[Le sénateur Adams s'exprime dans sa langue autochtone.]

Je m'excuse auprès des témoins au nom des membres du comité qui n'ont pu se libérer ce soir. Normalement, nous sommes plus nombreux, mais certains de nos membres, y compris le président, avaient d'autres engagements. Je suis déçu de constater que nous ne sommes que quatre dans cette vaste pièce, qui sert au Comité des affaires autochtones, pour entendre nos témoins du Nord. En fait, j'ai un peu honte. Je présente toutes mes excuses aux témoins.

Les présentes délibérations sont enregistrées et seront télévisées ou radiodiffusées au Nunuvut par la CBC d'ici environ une semaine. Nous mettrons des services d'interprétation en inuktitut à la disposition de certains de nos témoins de façon que la diffusion puisse être comprise dans les collectivités. Ainsi, les habitants de toutes les collectivités pourront entendre les témoins inquiets de l'avenir des pêches au Nunavut.

[Le sénateur Adams s'exprime dans sa langue autochtone.]

Je tiens à féliciter les témoins, en particulier Mme Papatsie et M. Decker. Je suis certain qu'ils réussiront très bien dans l'industrie de la pêche au Nunavut. Ce n'est que le début. Je sais qu'il faut du temps pour lancer une entreprise de ce genre, en particulier lorsqu'un navire coûte quelques millions de dollars. Je sais qu'il est difficile de lancer une nouvelle entreprise, surtout lorsqu'on doit composer avec des banquiers ou des établissements financiers. J'ignore comment certaines entreprises sont parvenues à réussir financièrement dans le Nord.

[Le sénateur Adams s'exprime dans sa langue autochtone.]

D'après ce que je crois comprendre, il existe une politique, un accord sur les revendications territoriales, qui précise que des Inuits devraient détenir une participation de 50 p. 100 dans toute entreprise. Je sais que la participation des Inuits dans certaines entreprises s'élève jusqu'à 75 p. 100. Ma question est la suivante: qu'entrevoyez-vous pour l'avenir ? Avez-vous l'intention de créer des emplois pour les habitants de la région?

Depuis la création du Nunavut et de son gouvernement, nous avons reçu très peu d'information sur le nombre d'Inuits employés par le secteur privé et le gouvernement. J'espère que vous avez l'intention d'employer les habitants de la région dans votre nouvelle entreprise.

Avez-vous certaines idées à nous communiquer à ce sujet? Je me rends compte du fait qu'on a parfois besoin de fonds gouvernementaux pour assurer la formation des personnes appelées à travailler dans votre industrie.

Mme Papatsie: L'un des points principaux concernant le financement, c'est que, une fois qu'on a accès à des quotas, il est beaucoup plus facile d'avoir l'oreille des banques. C'est l'une des principales difficultés qui freineront l'expansion des pêcheries inuites. J'espère que les personnes intéressées à créer une industrie de pêche au Nunavut ne seront pas, à l'avenir, obligées de passer par ce par quoi je suis moi-même passée pour obtenir un quota. Je voudrais que ce soit plus facile pour elles. Une fois que nous disposerons de navires appartenant à des intérêts du Nunavut, je ne vois pas comment on pourrait ne pas embaucher de Nunavumiuts. On embauchera des Nunavumiuts et on les formera.

À long terme, je ne vois pas pourquoi le Collège de l'Arctique du Nunavut n'offrirait pas un cours en inuktitut. La plupart des personnes concernées sont peut-être unilingues ou ne parlent pas l'anglais. Je vais me procurer un navire de pêche, puis je vais former et embaucher des Inuits. Je n'arrive pas à imaginer qu'une entreprise du Nunavut n'embaucherait pas des Inuits.

[Le sénateur Adams s'exprime dans sa langue autochtone.]

Le sénateur Adams: Ma question suivante porte sur les quotas. Mme Papatsie et M. Decker ne sont pas satisfaits de la façon dont les quotas sont établis. Même les habitants des collectivités concernées n'ont pas accès aux quotas. Comment les quotas devraient-ils être alloués à l'avenir?

La BFC alloue les quotas et, à l'heure actuelle, elle ne le fait que dans la zone 0B. Jusqu'à 4 000 tonnes métriques de quotas dans la zone 0A ne sont pas même alloués à des entreprises du Nunavut.

[Le sénateur Adams s'exprime dans sa langue autochtone.]

Mme Papatsie: Je pense que certains quotas de pêche au flétan ou à la crevette devraient être réservés pour de nouvelles entreprises de pêche en émergence. De même, je dirais que certains des quotas ne sont pas suffisants pour qu'on puisse en faire quelque chose. Les collectivités concernées cèdent leurs quotas à des entreprises du Sud pour qu'elles fassent la pêche à leur place. Premièrement, les quotas ne sont pas suffisants pour que les collectivités entreprennent une forme de développement. Deuxièmement, je pense que certains des quotas cédés au Nunavut devraient être alloués à de nouvelles entreprises. Au Nunavut, les entreprises devraient signer une forme de protocole d'entente pour que de nouvelles pêcheries soient créées.

Dans l'état actuel des choses, tout dissuade d'éventuelles parties intéressées de lancer une nouvelle entreprise. Nous avons maintenant l'occasion de nous tailler une place au sein de cette pêcherie en émergence, et je pense qu'elle est destinée à croître. Pendant ce temps, le Nunavut doit faire un pas en avant, et on doit soutenir les personnes qui souhaitent s'approprier une part de l'industrie.

J'espère avoir répondu à votre question.

M. Decker: En ce qui concerne l'allocation des quotas, dans les zones 0A et 0B — en particulier dans la zone 0A, c'est-à-dire les 4 000 tonnes qui ont été allouées cette année — les habitants du Nunavut et les entreprises de pêche comme Jencor Fisheries ne pourront aller de l'avant que si elles ont, premièrement, la possibilité d'accéder aux quotas et, deuxièmement, des informations sur le moment où les quotas seront alloués. C'est très important. Pour la saison de pêche 2003, la société Jencor Fisheries, apparemment, n'était pas au courant de la date de clôture des propositions et, par conséquent, n'a pu respecter le délai.

L'allocation dans la zone 0B est en partie très politique, étant donné les participants et les permis de pêche pour les espèces de poisson autres que les poissons de fond mis à la disposition des habitants du Nunavut.

Pour pouvoir participer à la pêche aux poissons de fond, Jencor Fisheries a besoin d'un permis de pêche aux poissons de fond. Pêcher sans permis et exploiter un quota qui n'existe pas dans la zone 0B devient une question très politique. Cependant, je pense que l'acquisition opportune d'autres permis dans la région réglerait le problème.

En ce qui concerne les allocations de quotas dans la zone 0A, je pense qu'il y aura assez de quotas disponibles à la fin de la saison, comme le montre l'expérience de l'année dernière, pour que Jencor Fisheries puisse acquérir de l'expérience et des connaissances au sein de l'industrie. L'expérience qu'acquerra l'entreprise dans cette industrie ne pourra que profiter aux habitants du Nunavut. Au stade de la création d'une nouvelle entreprise, tout le monde a tendance à pécher par excès de prudence. Les habitants du Nunavut n'ont pas participé à l'industrie de la pêche au même titre que les personnes du Sud. Il faudra du temps pour que l'industrie grandisse et constitue un avantage économique pour les collectivités et les personnes qui y vivent.

Mme Papatsie a fait preuve de beaucoup de détermination, mais il est très important d'établir des règles et des méthodes d'allocation des quotas pour que les habitants de la région aient la possibilité de participer.

Le sénateur Adams: Au départ, il y a eu des problèmes de quotas en ce sens que certaines demandes ont été rejetées. Pensez-vous que votre entreprise pourra obtenir des quotas en prévision de la prochaine saison?

Mme Papatsie: Oui.

Le sénateur Cochrane: D'entrée de jeu, je tiens à vous féliciter, madame Papatsie, d'avoir créé Jencor et d'avoir eu le courage de vous aventurer dans un secteur où d'autres ont échoué. Votre entreprise me semble fort prometteuse, en particulier pour votre peuple. Je tiens également à vous féliciter parce que je constate que vous avez vraiment à cœur l'élaboration d'un plan économique pour votre territoire. C'est merveilleux.

Monsieur Decker, quel rôle jouez-vous au sein de Jencor? L'entreprise a déjà été constituée, n'est-ce pas?

M. Decker: Jencor Fisheries appartient à 100 p. 100 à Mme Papatsie. Nous envisageons la création d'une entreprise conjointe en vertu de laquelle nous pêcherions avec Jencor Fisheries. La répartition des allocations entre les deux entreprises sera déterminée selon l'activité de pêche concernée.

Ce que j'apporte à la table et à Mme Papatsie, c'est la connaissance et l'expérience d'un groupe de particuliers. L'un d'eux possède 30 années d'expérience dans le secteur des pêches. Il a pêché dans la zone 0B à bord d'un bateau congélateur, de taille cependant plus petite. On parle malgré tout de pêche au flétan et des divers marchés au sein desquels les produits sont écoulés.

La gestion va de pair avec la mise en marché, et l'expérience du groupe porte principalement sur la mise en marché. Toutefois, par l'entremise d'entreprises que j'ai eues dans le Sud, nous avons participé à l'industrie de la pêche dans divers secteurs. Je suis moi-même issu d'une famille de pêcheurs; j'ai reçu une formation d'architecte naval, et je possède une entreprise d'architecture navale parfaitement opérationnelle à St. John's et à Halifax.

Au sein de toute exploitation, la connaissance des navires est très importante, du point de vue des activités de tous les jours. Peu importe la quantité de poisson dans l'eau, vous ne réussirez pas à les capturer sans un navire efficace et fonctionnel et sans personne au fait de son utilisation.

Forts de l'intérêt sincère de Mme Papatsie pour l'industrie de la pêche, des 30 années d'expérience de l'un des membres de notre groupe à bord de palangriers et de chalutiers, de notre expérience des navires à titre d'architectes navals, nous pouvons, je pense, nous lancer dans l'aventure et procurer des avantages aux habitants du Nord.

En outre, ma société a été associée à l'expansion des pêches autochtones. Par exemple, Conn River à Terre-Neuve a eu accès à l'industrie au cours des trois dernières années. L'expansion s'est faite en coopération avec notre entreprise. Ces personnes se tirent assez bien d'affaire, et nous avons vu leur entreprise grandir au cours des dernières années. De même, les Inuits du Labrador sont associés à une transaction en vertu de laquelle ils ont obtenu un accès plus grand à l'industrie.

Grâce à la combinaison de tous ces facteurs et à la détermination de Mme Papatsie d'assurer la réussite de son entreprise de pêche, nous sommes confiants de pouvoir surmonter tous les obstacles.

Le sénateur Cochrane: Avez-vous un navire qui pêche dans les eaux du Nunavut? Avez-vous un quota?

M. Decker: L'année dernière, nous avons participé à la pêche dans le Nunavut en vertu d'un contrat distinct avec la BFC. Il s'agit d'une entente continue. La BFC a des navires sur place. Nous sommes associés à un navire battant pavillon étranger qui pêche à la palangre et nous avons acquis une certaine connaissance de la région grâce au navire en question.

À l'avenir, la ressource doit être dévolue au peuple.

Si Mme Papatsie et son entreprise ne bénéficient pas d'un accès de plus en plus grand, je crains fort que l'expérience du passé ne se répète, c'est-à-dire que des sociétés du Sud proposeront d'exploiter la région, leur proposition sera acceptée, et on fera venir des navires qui effectueront le travail.

Le sénateur Cochrane: Vous avez fait mention d'un navire battant pavillon étranger, n'est-ce pas?

M. Decker: Oui. Le Canada n'a pratiquement aucun palangrier capable d'exploiter les eaux du Nord pendant une période prolongée. Les palangriers sont en mesure de faire la pêche dans la pêche 0A. Il faut du temps pour attraper les poissons, et le navire doit franchir de longues distances pour débarquer ses prises.

À l'heure actuelle, dans la région de l'Atlantique, le plus grand palangrier congélateur fait environ 100 ou 110 pi de longueur et a une capacité d'un peu plus de 150 000 livres — tout au plus 150 tonnes. Se rendre dans les zones de pêche et en revenir exige d'importantes ressources humaines. C'est pourquoi on a nolisé des navires étrangers pour déterminer la viabilité de la pêche à la palangre dans les eaux du Nord.

Le sénateur Cochrane: Dans le même ordre d'idées, Mme Papatsie vient tout juste de nous dire qu'il n'y avait pas de place pour l'ouverture d'une nouvelle pêcherie. N'est-ce pas ce que vous avez dit, madame Papatsie?

Mme Papatsie: Oui.

Le sénateur Cochrane: S'il n'y a pas de place pour une nouvelle pêcherie, comment Mme Papatsie obtiendra-t-elle une allocation de quotas? Qu'arrivera-t-il aux navires qui font actuellement la pêche dans ces eaux? Leur retirera-t-on leurs quotas?

M. Decker: À l'heure actuelle, aucun quota n'est alloué à des palangriers canadiens. Ce n'est que l'année dernière que le ministre a autorisé des palangriers étrangers à faire la pêche. Pour avoir accès à l'industrie, Mme Papatsie doit obtenir une allocation de quotas, Ce n'est qu'à cette condition qu'elle pourra financer un navire capable de faire la pêche avec ce type d'engin.

Au Canada, le nombre de chalutiers capables de faire la pêche dans le Nord varie.

En ce qui concerne la pêche aux lignes, le seul navire qui a jusqu'ici réussi à faire la pêche dans cette région, la zone 0A en particulier, est le navire étranger dont j'ai fait mention parce qu'il est de grande taille. On parle ici d'un navire de plus de 50 mètres, capable de séjourner sur place, de ramener à bon port de 350 à 400 tonnes de poisson, puis de regagner les champs de pêche.

Mme Papatsie: Permettez-moi de vous dire comment je vais m'y prendre pour que cela fonctionne. Premièrement, je vais demander des quotas. S'il faut que je continue d'écrire des lettres, je vais le faire. S'il faut que je continue de faire des exposés, je vais le faire. Je vais trouver le moyen d'obtenir des quotas.

Deuxièmement, je vais proposer d'exploiter des quotas. Diverses organisations ont déjà accès à des quotas. Je vais proposer d'exploiter des quotas.

Troisièmement, si je dois acheter des quotas, comme mesure de dernier recours, je vais trouver le moyen d'acheter des quotas.

Le sénateur Cochrane: Vous voulez parler de l'achat d'un permis ouvrant droit à des quotas, n'est-ce pas?

Mme Papatsie: Oui, c'est exact.

Le sénateur Cochrane: Y a-t-il dans le Nord des permis que vous pourriez acheter pour obtenir un quota?

M. Decker: Il n'y a pas à proprement parler de permis parce qu'on doit être titulaire d'un permis pour bénéficier d'un accès. Cependant, on peut obtenir un accès par l'intermédiaire du ministère des Pêches et des Océans. À l'heure actuelle, dans la zone 0A, on n'accorde que des permis expérimentaux; aucun permis permanent n'est délivré. Il importe de comprendre que, dans la zone 0A, la pêche est autorisée à des fins expérimentales. Pour pousser l'expérience plus loin et créer une pêche commerciale à part entière nous devons bénéficier de quotas à long terme qui nous permettent de financer un navire et d'employeur des habitants de la région. On ne pourra faire vivre l'industrie qu'à cette condition.

Le sénateur Cochrane: Il s'agit pour nous d'un territoire inexploré.

Dans sa réponse à des questions soulevées au Sénat par les sénateurs Comeau et Adams en mai, le gouvernement a laissé entendre que le MPO avait déployé des efforts concertés pour assurer au Nunavut l'accès à la majeure partie des allocations de ressources dans ses eaux adjacentes. En 2003, par exemple, le Nunavut a bénéficié de 51 p. 100 de l'augmentation des allocations dans la zone de pêche à la crevette 0A. De plus, selon le gouvernement, cette allocation était en sus de ce que la région aurait reçu en vertu des accords de partage historiques, soit uniquement 8,8 p. 100 ou 187 tonnes. Le Nunavut a également eu droit à sa part des allocations aux titulaires de permis de pêche hauturière et quotas pour fins scientifiques dans des régions non adjacentes, ce qui représente une allocation totale de 1 601 tonnes.

J'aimerais entendre votre réaction à l'interprétation faite par le gouvernement des allocations de quotas. Peut-être pourriez-vous nous dire ce que ces quotas représentent pour votre territoire du Nunavut sur le plan économique.

Mme Papatsie: Il est bon que le MPO ait cédé des quotas au Nunavut, mais je ne suis pas d'accord avec l'importance des quotas qui ont été accordés au Nunavut. Je pense qu'ils auraient dû être plus considérables. À mon avis, le gouvernement fédéral aurait dû donner davantage au Nunavut, puisqu'il s'agit d'un secteur adjacent, pour soutenir l'avènement de nouvelles pêcheries au Nunavut. Ai-je répondu à votre question?

Le sénateur Cochrane: Je reviendrai peut-être sur cette question au cours de la deuxième ronde.

Le sénateur Cook: Peut-être pourrez-vous m'aider, madame Papatsie, à comprendre ce que vous cherchez à faire, notamment du point de vue des obstacles au progrès. Ai-je raison de penser que vous souhaitez créer une entreprise conjointe avec M. Decker? Pour pêcher, vous avez besoin d'un bateau et de quotas. Vous avez besoin de fonds provenant d'une source ou d'une autre ainsi que d'un accès à un marché pour écouler vos produits. Ce sont là, me semble-t-il, les principaux éléments à réunir pour assurer la subsistance de vos concitoyens, pour qu'ils puissent faire la pêche à bord de ce navire. Pourriez-vous m'aider à comprendre où vous en êtes actuellement?

Mme Papatsie: Ce que je veux faire, c'est montrer aux Nunavumiuts que c'est possible. Je veux leur montrer que l'on peut prendre une part active à l'industrie de la pêche hauturière et, ce faisant, doter le Nunavut de nombreux avantages.

Bon nombre d'obstacles auxquels je me suis heurtée viennent du Nunavut. Franchement, lorsque je me suis lancée dans l'entreprise, je pensais devoir faire la lutte à des entreprises du Sud. C'est triste à dire, mais une part des difficultés viennent de l'intérieur du Nunavut.

Si j'ai opté pour une entreprise conjointe, c'est parce que je ne possède pas l'expertise nécessaire pour exploiter une entreprise de pêche. J'ai besoin de quelqu'un qui connaît le domaine. J'ai besoin de quelqu'un qui sache pêcher, qui a déjà pêché dans les eaux de l'Arctique et qui comprend l'industrie de la pêche elle-même. Voilà d'où est venue l'idée d'une coentreprise. Tôt ou tard, la société Jencor Fisheries sera à la tête de cette entreprise conjointe. À ce moment-là, elle appartiendra à des intérêts inuits.

Le sénateur Cook: Parlons maintenant des quotas et de l'accès aux quotas. Vous nous dites que dans la zone 0A, qui se trouve à l'extrémité nord de l'île de Baffin, si je lis bien la carte, il s'agit purement et simplement d'une pêche expérimentale, n'est-ce pas?

Mme Papatsie: Oui.

Le sénateur Cook: Si vous aviez un quota de pêche dans la zone, pourriez-vous assurer la viabilité de votre entreprise? Pourriez-vous réaliser des profits?

Mme Papatsie: Pour qu'une entreprise de pêche soit viable dans ces eaux nordiques, on doit pouvoir compter sur au moins 1 500 tonnes métriques de produit. Cependant, il n'est pas viable de pêcher uniquement dans les eaux du Nord parce qu'il arrive que la saison de pêche y soit plutôt courte. Voilà où des permis de pêche plus au sud trouvent toute leur utilité.

Le sénateur Cook: Retrouverait-on les mêmes conditions climatiques dans la zone 0B?

Mme Papatsie: Je tiens pour acquis que les conditions météorologiques seraient plus favorables dans la zone 0B parce qu'il s'agit d'eaux du Sud. On parle ici de latitudes moins élevées. Une partie de la zone 0A se trouve très loin dans l'Arctique, tandis que la zone 0B est plus au sud.

Le sénateur Cook: En parlant des eaux du Sud, vous voulez dire la zone 0B?

Mme Papatsie: Oui, et plus au sud encore.

Le sénateur Cook: Quels sont actuellement les titulaires de quotas dans ces zones?

Mme Papatsie: Dans la zone 0A, la Baffin Fisheries Coalition détient 400 permis expérimentaux. Dans la zone 0B, quelque 46 p. 100 des quotas sont concurrentiels, 27 p. 100 appartiennent au Nunavut, et 27 p. 100 appartiennent à des entreprises.

Le sénateur Cook: Dois-je comprendre qu'on s'est réparti tout le gâteau et qu'il ne reste plus rien pour que vous puissiez vous-même exploiter une entreprise viable? Par conséquent, l'absence de quotas est l'un des obstacles auxquels se bute votre entreprise. C'est là que je voulais en venir.

Mme Papatsie: Il est très difficile de demander du financement. C'est le premier obstacle. Ensuite, il est difficile d'avoir un plan d'activité en main au moment de présenter une demande de financement parce qu'on n'a pas de moyen de générer des revenus et de faire la preuve de la viabilité de l'entreprise.

Le sénateur Cook: Y a-t-il des quotas accessibles pour quiconque? Êtes-vous en train de nous dire que tous les quotas disponibles dans ces régions ont déjà été attribués?

Mme Papatsie: Oui.

Le sénateur Cook: Pour combien de temps?

Mme Papatsie: Jusqu'à la fin de 2004 pour la zone 0A. Pour la saison 2005, le CGRFN effectuera de nouvelles allocations.

Le sénateur Cook: Qui administre les quotas? Le gouvernement du Nunavut ou le MPO?

Mme Papatsie: Pêches et Océans Canada les cède au Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut, qui les distribue aux Nunavumiuts.

Le sénateur Cook: Dans ce cas, la procédure compte deux étapes. Les quotas sont transmis par le MPO au Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut; par la suite les intéressés n'ont qu'à présenter des demandes de quotas.

Mme Papatsie: Cela vaut pour le flétan et la crevette.

Le sénateur Cook: Y a-t-il d'autres espèces? Je constate que vous avez un quota expérimental pour le crabe.

Mme Papatsie: Oui. Nous avons récemment obtenu un quota de 400 tonnes métriques pour le crabe dans les zones 0A et 0B.

Le sénateur Cook: Pourriez-vous traduire cette allocation en dollars? S'agit-il d'une pêcherie viable? Voilà où je veux en venir. Pouvez-vous faire vos frais, vous assurer un gagne-pain décent?

Mme Papatsie: Pour ce seul permis de pêche au crabe, non. Il me faut autre chose pour soutenir le navire, peut-être un quota de pêche au flétan ou un autre permis de pêche expérimentale d'une nature ou d'une autre.

Le sénateur Cook: Pour que vous puissiez accéder à des quotas entre maintenant et 2004-2005, il faudrait qu'un titulaire, par exemple la Baffin Fisheries Coalition, partage ses quotas avec vous. Y a-t-il d'autres quotas pour lesquels vous pourriez conclure une entente? Y a-t-il des parties qui n'utilisent pas leurs quotas? Je viens de Terre-Neuve. Hier, j'ai appris que 50 p. 100 des quotas de crevette de Terre-Neuve ne sont probablement pas exploités en raison de problèmes liés aux marchés et aux tarifs. Y a-t-il là-bas des quotas non exploités auxquels vous pourriez avoir accès?

M. Decker: À la fin de la saison, lorsqu'il sera trop tard pour la pêche, on déterminera les quotas alloués au début de l'année qui seront disponibles. Cependant, vous vous en rendez compte, il est ici question de la fin de la saison. Si, par conséquent, ont dispose de 2 000 tonnes et qu'on alloue les 2 000 tonnes en question à deux navires, ces derniers débarqueront probablement 1,5 tonnes. C'est probablement suffisant pour soutenir le démarrage d'une entreprise, comme Mme Papatsie le propose.

Cependant, tôt dans la saison, une fois les quotas alloués, il est trop tard parce qu'il n'y a plus d'accès. Tout a déjà été distribué.

Le sénateur Cook: Êtes-vous en train de me dire que la recherche de quotas auprès de personnes à qui des quotas ont été alloués ne constitue par une solution viable?

M. Decker: Il n'y a rien de disponible. Tout a déjà été réparti. Les permis ont été délivrés, et la zone de pêche 0A est une zone expérimentale. Une fois que la BFC reçoit ses 4 000 tonnes, elle passe des marchés avec les navires de la région, et il n'y a pas de quotas qui permettent à Mme Papatsie de participer à cette pêche.

Le sénateur Cook: Qu'est-ce qui vient en premier: l'œuf ou la poule? Si vous aviez un navire, madame Papatsie, seriez-vous en mesure d'exploiter une partie des quotas de la Baffin Fisheries Coalition et de lui vendre vos prises? Est- ce une possibilité?

Mme Papatsie: Premièrement, il n'y a pas de «si»: je vais trouver le moyen de me procurer un navire. Deuxièmement, je vais présenter une proposition à la Baffin Fisheries Coalition une fois le projet d'entreprise conjointe signé, une fois que j'aurai une idée de mon plan d'activité. Lorsque tout cela sera fait, je vais présenter une proposition à la Baffin Fisheries Coalition, et je vais proposer d'exploiter les quotas d'autres organisations inuites.

Le sénateur Cook: J'admire votre détermination et votre enthousiasme.

Une dernière question: que pouvons-nous faire pour vous aider à atteindre votre but?

Mme Papatsie: Vous pouvez nous aider en faisant en sorte que le Nunavut obtienne plus de quotas et en réservant une partie des quotas pour la création de nouvelles pêcheries au Nunavut.

Je n'agis pas que pour moi seule. J'agis aussi dans l'intérêt des habitants du Nunavut. Je suis fermement convaincue que c'est faisable. Vous devez me venir en aide en accordant plus de quotas au Nunavut, en réservant certains quotas ou en faisant en sorte que les quotas demeurent valides plus de trois ans, de façon que nous puissions financer un navire.

Le sénateur Cook: J'ai une dernière question. Je dois aboutir à une conclusion pour me faire une idée claire de la situation.

En ce qui concerne le marché, transformeriez-vous votre production au Nunavut ou la vendriez-vous? Qu'allez-vous faire du poisson que vous allez un jour pêcher à l'aide du bateau dont vous allez faire l'acquisition?

Mme Papatsie: Il faudrait que j'en vienne à une entente avec l'usine de transformation de Pangnirtung, la seule du Nunavut. Je vais devoir trouver le moyen d'apporter du poisson à cette usine. Je veux contribuer à la création de nouvelles usines de transformation au Nunavut. Si le Nunavut est en mesure de transformer une certaine quantité de poisson, je vais faire de mon mieux pour l'aider.

Le sénateur Cook: Je vous souhaite bonne chance. Vous êtes bien représentée par les sénateurs Watt et Adams. Merci des renseignements que vous nous avez fournis.

Le président suppléant: Vous avez mentionné durant votre exposé que, pour préparer le plan d'affaires et pour que le plan d'affaires porte fruit, la période de trois ans qui est consentie est trop courte. Pourriez-vous nous donner des précisions là-dessus? Vous pourriez écrire au comité pour répondre à cette question et, en particulier, pour lui demander de l'aide à cet égard.

Il me faut aussi une description plus détaillée des quotas à attribuer, c'est-à-dire la façon dont le quota est attribué à la Baffin Fisheries Coalition ou à d'autres organisations au Nunavut, et la place qu'occupe votre entreprise, à votre avis, dans tout cela.

Si je comprends bien, vous demandez que le quota soit majoré, par rapport à ce qu'il est aujourd'hui, pour que votre entreprise puisse avoir du succès. J'aimerais que cela soit dit clairement, pour que Pêches et Océans comprenne bien qu'il faut accorder une certaine marge de manœuvre, pour encourager toute nouvelle entreprise à se mettre sur pied.

Il serait utile pour vous de réunir cette information et de nous la faire parvenir. Vous n'avez pas besoin de répondre maintenant. Vous pouvez fournir une réponse par écrit.

Le sénateur Cochrane: Madame Papatsie, dites-nous quels sont les genres de problèmes que vous avez rencontrés au Nunavut. Vous avez dit que vous croyiez rencontrer des problèmes en dehors du Nunavut, mais la plupart des problèmes que vous avez rencontrés se sont présentés au Nunavut lui-même. De quels genres de problèmes s'agit-il?

Mme Papatsie: Certains des problèmes que j'ai rencontrés ont trait au soutien accordé. J'ai eu droit à beaucoup de soutien de la part de différentes organisations et de différentes personnes. Le problème réside en partie dans la nécessité de trouver l'appui voulu pour obtenir un bateau et l'appui voulu pour obtenir un certain quota. J'ai abordé différentes organisations inuites pour obtenir une forme d'appui quelconque. C'est un des cas où je n'étais pas préparée à ce qui est arrivé. Essayer d'obtenir un quota du Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut et essayer de pêcher pour obtenir le quota pour la Baffin Fisheries Coalition sont les deux tâches les plus difficiles avec lesquelles j'ai dû composer.

Le sénateur Cochrane: Où êtes-vous allé chercher votre financement jusqu'à maintenant?

Le président suppléant: Je croyais que c'était là votre dernière question.

Le sénateur Cochrane: C'était la partie «a»; voici la partie «b».

M. Decker: On a remis à la Banque de développement une proposition pour le financement d'une telle entreprise.

Comme les honorables sénateurs sauront le voir, il faut savoir ce qu'on va pêcher avant d'obtenir un bateau pour aller pêcher. J'ai affaire à cela tous les jours. Il faut avoir une idée du poisson qu'on peut pêcher, que ce soit 500 tonnes ou 1 000 tonnes de flétan, que l'on utilise un engin mobile ou une palangre. Il est très difficile de le faire, mais il vous faut établir des chiffres pour qu'une banque accepte de regarder votre projet de façon réaliste.

Dans les cas où, comme cela a été dit plus tôt, vous obtenez un bateau et que vous obtenez votre quota, à ce moment-là, la banque veut voir le bout de papier où le quota est inscrit, avant de vous verser une somme d'argent pour le bateau. Personne ne va vous donner le bateau sans voir d'abord l'argent.

Le président suppléant: Sénateur, est-ce que les réponses vous satisfont?

Le sénateur Cochrane: Je vous remercie.

Le président suppléant: Merci de votre exposé.

Nous avons un deuxième groupe de témoins qui attend de s'installer à la table.

Mme Papatsie: Merci de nous accueillir.

Le président suppléant: Honorables sénateurs, je crois que nous sommes prêts à entendre notre deuxième groupe de témoins. Mme Towtongie est présidente de la Nunavut Tunngavik Incorporated, et M. Nirlungayuk est directeur du service de la faune.

Je crois que les honorables sénateurs sont conscients du mandat de notre comité. Nous allons essayer de nous en tenir à la question de l'attribution des quotas, sans traiter de l'aspect «affaires» de la chose.

Dans le cas du premier groupe de témoins, j'ai laissé porter parce qu'il était question des problèmes avec lesquels se débat une nouvelle entreprise qui veut tirer parti de toutes nouvelles occasions d'affaires. Or, la délivrance des quotas entrait en ligne de compte. Les deux sont liés. On ne peut les dissocier.

Madame Towtongie, je vous prie d'entamer votre exposé.

Mme Cathy Towtongie, présidente, Nunavut Tunngavik Incorporated:

[Mme Towtongie s'exprime dans sa langue autochtone.]

Pour bien des gens, y compris les gens au gouvernement du Canada, j'aimerais apporter une précision. Le Nunavut est deux choses — l'entente sur le territoire du Nunavut, qui s'applique uniquement aux Inuits, et le gouvernement populaire, c'est-à-dire le gouvernement du Nunavut. Le gouvernement du Nunavut est le seul gouvernement qui doit travailler dans les limites d'une entente sur une revendication territoriale.

Au nom des Inuits du Nunavut, je tiens à vous remercier de l'occasion qui nous est donnée de témoigner devant le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans. Aujourd'hui, je suis accompagnée de M. Nirlungayuk et de M. Irngaut, qui me conseillent au sujet de toutes les questions touchant la faune de tout le Nunavut.

La Nunavut Tunngavik Incorporated, que je vais appeler NTI, par souci de brièveté, représente plus de 21 000 Inuits bénéficiaires de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut. Ce n'est pas du tout la même chose que le gouvernement populaire du Nunavut. Le comité exécutif de NTI est élu par l'ensemble des adultes inuits du Nunavut, et nous tirons orgueil de notre légitimité largement reconnue.

C'est NTI qui a négocié et signé l'Accord, en 1993. L'une des modalités de cet accord vise la formation d'un nouveau territoire couvrant, grosso modo, la même superficie que l'accord. Notre accord a été signé par le premier ministre du Canada, représentant le gouvernement du Canada, y compris le ministère des Pêches et des Océans.

Avant de venir témoigner, j'ai jeté un coup d'œil à vos biographies individuelles, pour voir quels sont vos intérêts, et j'ai constaté que nous avons beaucoup de choses en commun. Bon nombre d'entre vous êtes originaires des provinces de l'Atlantique. Nous provenons nous aussi de régions côtières. Il est très intéressant de savoir d'où vous venez. Il est bien de constater que nous avons beaucoup de choses en commun.

L'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut est le plus vaste accord sur des revendications territoriales de l'histoire du Canada, et il a retenu l'attention dans le monde entier.

Le Nunavut tient un rôle déterminant au Conseil de l'Arctique et à d'autres organisations internationales, et, dernièrement, les Inuits se sont intégrés activement aux Nations Unies et aux institutions au Commonwealth.

En vertu de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, les Inuits ont renoncé à leur titre ancestral sur un cinquième de la masse continentale du Canada en échange de certains droits et avantages. Les plus importants de ces avantages étaient un titre en fief simple sur 18 p. 100 de la région du Nunavut, et un règlement en espèces de 1,14 milliard de dollars.

Cet acte de renonciation a annihilé pour toujours l'incertitude dont la Cour suprême du Canada a marqué le droit du Canada sur le territoire dans l'affaire Calder, l'affaire Baker Lake et d'autres autres. C'est un avantage d'une valeur phénoménale pour le Canada, et je vous demande de ne pas l'oublier en écoutant mes propos.

Les promesses du Canada aux Inuits, qui ont été faites en échange des avantages qu'il a reçus, sont protégées dans la Loi constitutionnelle du Canada. Je me souviens d'avoir assisté aux pourparlers constitutionnels en compagnie du sénateur Watt à l'époque où nous étions très jeunes tous les deux, et d'avoir parlé de l'article 35. Ce sont les promesses les plus solennelles. La Cour suprême du Canada a souligné que l'honneur de la Couronne est en jeu dans tout ce qui a trait à la manière dont sont traités les droits des Autochtones.

Une des promesses solennelles en question se trouve à l'article 15.3.7 de l'accord, qui se lit comme suit:

Le gouvernement reconnaît l'importance du principe de la contiguïté aux ressources marines des collectivités de la région du Nunavut et du principe de la dépendance économique de ces collectivités à l'égard de ces ressources; il accorde une attention spéciale à ces facteurs lorsqu'il attribue les permis de pêche commerciale dans les zones I et II. On entend par contiguïté le fait qu'une collectivité soit contiguë à la zone en question ou qu'elle se trouve à une distance géographique raisonnable de celle-ci. Ces principes sont appliqués d'une manière propre à favoriser une répartition équitable des permis entre les résidents de la région du Nunavut et les autres résidents du Canada, ainsi que d'une manière compatible avec les obligations intergouvernementales du gouvernement du Canada.

Pour toute administration maritime du Canada, le principe de contiguïté est le premier principe appliqué dans la répartition des stocks de poisson. Il assigne à chacune de ces administrations entre 80 et 95 p. 100 du total autorisé des captures — dans chaque cas sauf celui du territoire du Nunavut.

Vous avez posé une question sur le coût économique du quota au Nunavut. En ce moment, le Nunavut n'a droit qu'à 25 p. 100 du quota de crevettes. Le reste, dont la valeur au débarquement se situe à 33 millions et à 55 millions de dollars, pour un total de 88 millions de dollars, est accordé aux pêcheurs du Sud. Le Nunavut perd 88 millions de dollars par année dans le seul cas des crevettes.

Permettez-moi de vous dire comment le gouvernement du Canada s'y prend pour respecter la promesse faite à l'article 15.3.7. En 1997, le ministre des Pêches et des Océans a unilatéralement accru la part du Canada du total autorisé des captures de flétan dans les eaux contiguës à l'île de Baffin. Sur le nouveau total, les Inuits du Nunavut n'ont reçu que 24 p. 100 du total autorisé. En outre, le ministre a refusé de délivrer aux Inuits du Nunavut un permis de pêche de poisson de fond, ce qui les a empêchés de pêcher le flétan dans les eaux côtières du Labrador et de Terre- Neuve. Le ministre n'a offert aucune explication à ces décisions. Le reste des droits du Nunavut a été redistribué à Terre-Neuve et aux provinces maritimes.

Non seulement la décision a rompu la promesse faite à l'article 15.3.7, en ne tenant pas compte du principe de contiguïté dans l'attribution au Nunavut, mais le ministre a aussi fait abstraction des recommandations du Conseil de la gestion des ressources fauniques du Nunavut, du Conseil pour la conservation des ressources halieutiques et des propres collaborateurs du ministre, et tout cela sans la moindre explication.

Puisque le ministre n'explique pas son refus d'appliquer le principe de contiguïté au Nunavut, nous ne pouvons qu'imaginer les motifs du gouvernement du Canada. Il ne fait aucun doute que le Nunavut, avec sa population très restreinte, est l'instance la plus faible au plan économique au Canada. Il a beaucoup moins d'électeurs et de députés que Terre-Neuve et les provinces maritimes. Au contraire de ces régions, ses ressources halieutiques côtières n'ont pas été épuisées.

Pendant un moment, je vais oublier le scénario que j'utilisais, pour illustrer ce qui s'est passé. En 1990, le gouvernement du Canada a mis sur pied un programme de mise en valeur du poisson de fond. Le programme en question visait à encourager l'exportation du poisson de fond dans la région de l'Atlantique et, de ce fait, à procurer des débouchés aux usines de transformation et aux bateaux sous-utilisés dans cette région. Les critères favorisaient les détenteurs d'un permis de pêche de poisson de fond, les pêcheurs rattachés à des installations de traitement côtières et les flottes inutilisées, de sorte qu'il était pratiquement impossible pour les pêcheurs du Nunavut d'y participer.

En somme, le programme en question a été conçu pour mettre en valeur la pêcherie côtière de l'île de Baffin, mais seulement au profit des pêcheurs du Sud. Les Inuits étaient laissés pour compte.

J'hésite à croire qu'au Canada, les maigres avantages qu'aie l'une des régions les plus faibles et les plus inhospitalières du pays puissent lui être retirés pour apaiser l'appétit du Sud. Je veux croire qu'au Canada le principe d'équité et de justice naturelle s'applique encore et que le gouvernement du Canada, après avoir tant gagné de ses négociations avec les Inuits, ne manquerait pas à ses obligations.

En 1990, au moment où les Inuits ont été laissés pour compte, les pêcheurs de Terre-Neuve ont commencé à exploiter les secteurs 0A et 0B. De ce fait, ils ont pu prétendre avoir fait usage historiquement de cette ressource.

Lorsque les Inuits ont renoncé à leur droit ancestral et ont annihilé pour toujours l'incertitude du droit du Canada sur un cinquième de sa masse terrestre, le Canada a fait deux autres gains importants.

Pendant les années 70, à la Baie James, au Québec, et dans la vallée du Mackenzie, dans les Territoires du Nord- Ouest, il était évident pour beaucoup que le manque d'assurance quant à son droit sur les terres n'était pas l'unique problème du Canada. Un autre problème était le potentiel de conflits politiques et juridiques interminables que risquaient de provoquer les immenses projets de construction sur des terrains habités par des peuples qui se considéraient comme floués d'une partie de ces droits.

Chaque revendication territoriale, y compris celle du Nunavut, a permis au gouvernement du Canada de créer un processus pour obtenir le consentement des peuples locaux au développement là où rien n'existait auparavant. Il ne fait pas de doute que la capacité d'obtenir le consentement des peuples et de légitimer l'empiétement sur les terres est un gain d'importance pour l'État. Ces offices publics adaptés localement, établis dans toute la région arctique, ont permis au Canada d'obtenir l'engagement envers le genre de gestion responsable des ressources et de protection de l'environnement que le sud du pays prend pour acquis. L'obtention de cet engagement des habitants locaux est un gain important pour l'État.

Membres du comité, j'aimerais insister sur le fait que les Inuits sont des Canadiens fiers de l'être et des contribuables. Nous sommes fiers du fait que, grâce à l'Accord, nous avons joué un rôle important dans la constitution de la fédération canadienne. Nous voulons croire que le Canada est un pays qui n'oublie pas trop vite les grands avantages qu'offrent la certitude et la légitimité que lui a consenties l'une de ses populations les plus restreintes.

Nous voulons croire que le Canada est un pays qui honore les promesses les plus solennelles faites à ses peuples autochtones, particulièrement puisque les avantages que présentent ces promesses ont une valeur tellement durable pour le pays.

Le Nunavut peut bien être le territoire le plus récent du Canada, mais il est notre foyer depuis plus de 10 000 ans.

Les Inuits sont un peuple maritime. Nous entretenons une relation intime avec les poissons et les mammifères qui vivent dans la mer, tout comme les gens des provinces de l'Atlantique. Cependant, nous le faisons maintenant pour des questions de survie économique.

Il y a 27 collectivités au Nunavut: 26 d'entre elles vivent sur les côtes.

En 2001, le Conference Board du Canada a fait un rapport sur l'économie du Nunavut. Il a constaté que la pêche était l'un des secteurs qui présentaient le plus grand potentiel à long terme.

Notre secteur des pêches commerciales a créé des centaines d'emplois et contribué des dizaines de millions de dollars à notre économie, dans une région où l'emploi durable et les débouchés d'affaires viables sont rares et difficiles à créer. Il n'est guère étonnant, alors, que depuis une vingtaine d'années, la pêche commerciale soit devenue une composante importante de notre économie.

Je vous ai décrit comment le gouvernement du Canada s'acquitte de son obligation en vertu de l'article 15.3.7 de l'Accord. Permettez-moi, maintenant, de vous donner un exemple plus récent, l'objet de ma présentation.

En mai, cette année, le MPO a annoncé que le quota de crevettes pour le Nunavut, auprès de nos côtes, serait réduit à 19 p. 100. Là encore, pas d'explications. Là encore, le gros des quotas a été attribué à des intérêts du Sud. Nous ne pouvons pas concevoir que le gouvernement du Canada puisse faire une offre aussi vexante à toute autre province ou tout autre territoire, si ce n'est qu'au plus récent et au plus faible.

Les Inuits ne sont pas les seuls à être mécontents de la manière dont le gouvernement du Canada traite le Nunavut. En 1997, le groupe de travail du Comité fédéral-provincial des pêches de l'Atlantique a été chargé par le MPO d'analyser l'accès historique aux ressources halieutiques de l'Atlantique par les pêcheurs et les entreprises de pêche des cinq provinces de l'Est et des Territoires du Nord-Ouest. Le groupe de travail a spécifiquement reconnu le Nunavut comme étant l'exception la plus flagrante qui a été faite au principe de contiguïté.

En novembre 2002, le ministre des Pêches et des Océans a accepté des recommandations que lui a présentées le groupe indépendant sur les critères d'accès. La sixième recommandation porte que:

[...] dans ses délibérations, le Groupe a dû accorder une attention particulière à la question de l'accès et de la participation aux pêches des Autochtones et du Nunavut [...] les communautés autochtones des provinces et du Nunavut ont besoin de soutien [...]

Le Groupe a aussi recommandé que:

[...] on n'octroie aucun accès supplémentaire aux eaux contiguës au territoire et à des intérêts extérieurs au Nunavut tant que celui-ci n'aura pas acquis l'accès à la majeure partie de ses ressources halieutiques contiguës.

Nous nous félicitons de ces recommandations. Mais il est profondément troublant qu'elles dussent être faites, et nous sommes outrés que le ministre en ait fait si peu de cas.

Le MPO accusera le Nunavut de ne pas pêcher les quotas qui lui sont assignés, mais de les vendre plutôt au Sud et parfois même à des exploitants étrangers. C'est tout à fait vrai. La pêche, sur les côtes du Nunavut, est l'un des rares avantages que cette nouvelle économie en difficulté peut avoir. Tant que l'économie ne se sera pas assez développée pour permettre l'investissement dans les navires de haute mer et des usines de traitement, et tant que le gouvernement du Canada n'aura pas fourni l'aide que recommande le Groupe de travail pour permettre au Nunavut de le faire, la vente des quotas est le seul moyen pour le Nunavut de tirer des revenus de cette ressource.

Le fait d'enlever cet avantage économique au Nunavut pour l'offrir à une région plus puissante dont le ministre lui- même est originaire n'est pas seulement profondément injuste, mais c'est un acte de protection d'intérêts régionaux du genre de ceux contre lesquels le Canada s'est toujours battu. C'est un acte qui limitera de façon permanente le développement économique du Nunavut. Il survient justement alors que l'une des autres pierres angulaires du développement économique du Nunavut s'effondre. Ce mois-ci, la dernière mine exploitée du Nunavut, la mine Lupin, a fermé ses portes.

Nous craignons que les actions du ministre ne jettent une ombre durable sur l'établissement de rapports durables et sains entre le gouvernement et les Inuits. Si un ministre fédéral peut aussi facilement faire fi des obligations et des responsabilités définies dans un document qui fait état des droits des Inuits et des obligations du Canada, quelle assurance les Inuits peuvent-ils avoir que le gouvernement du Canada respectera ses autres obligations? Tant qu'à y être, quelle assurance peut avoir n'importe quel autre peuple autochtone qu'il peut se fier aux promesses du gouvernement du Canada?

Honorables sénateurs, vous vous demandez peut-être pourquoi les Inuits ne cherchent pas à atténuer les dommages infligés par la décision du ministre sur l'économie du Nunavut en profitant du soutien que le gouvernement a offert au développement des pêches autochtones ailleurs au Canada? Je parle ici du soutien accessible par l'entremise de programmes comme l'Initiative de l'après-Marshall, ou la Stratégie de pêche autochtone que prévoit son Programme de transfert des allocations aux Autochtones. Or, nous n'en avons pas vu un cent. La somme de 650 millions de dollars est prévue pour cela, et les Inuits du Nunavut n'en ont pas obtenu un cent.

De tels programmes pourraient nous aider à développer notre secteur des pêches, à accroître nos prises, à acheter des permis, des navires et de l'équipement, et à accroître la capacité des collectivités. Cependant, le gouvernement du Canada a dit aux Inuits qu'ils sont exclus de l'aide offerte aux Premières nations. On nous dit que c'est parce que les Inuits ont un accord sur des revendications territoriales, même si l'article 2.7.3 de l'Accord stipule spécifiquement que:

L'Accord n'a pas pour effet [...]

de porter atteinte à la capacité des Inuits de participer aux programmes gouvernementaux destinés aux Inuits ou aux peuples autochtones en général [...]

Les Inuits ont renoncé à beaucoup pour l'Accord, mais nous n'avons pas renoncé à notre droit d'accéder à des services et des programmes qui devraient être fournis pour aider tous les peuples autochtones à développer leur économie et leurs collectivités.

Honorables sénateurs, l'Accord a marqué un point tournant dans la relation entre les Inuits du Nunavut et le Canada. Nous sommes convaincus que cet accord a été négocié de bonne foi.

NTI est le gardien de l'Accord. C'est pourquoi nous sommes ici aujourd'hui. Nous ne demandons pas de faveurs spéciales ni de droits additionnels: nous demandons seulement que le Canada honore ses obligations en vertu de l'Accord en appliquant le même principe de juste gestion des ressources et d'allocations que celui qui est appliqué ailleurs au Canada.

Nous comprenons que le comité doit traiter de diverses questions complexes. Nous vous demandons d'être ouverts aux recommandations qui suivent: premièrement, le principe de contiguïté doit être appliqué équitablement au Nunavut; deuxièmement, aucun pêcheur qui n'est pas du Nunavut ne peut se faire attribuer de quotas jusqu'à ce que les quotas du Nunavut soient égaux à ceux attribués aux autres provinces; troisièmement, les Inuits du Nunavut doivent avoir un accès équitable aux programmes de développement des pêches autochtones ou à des niveaux équivalents d'aide et d'assistance; et, quatrièmement, le gouvernement du Canada doit être tenu d'honorer sa part de l'entente conclue lorsque le premier ministre a signé l'Accord en 1999.

Pour terminer, je dirais simplement — ceci est une blague — que j'aimerais bien voir un sénateur inuk.

Nous répondrons avec plaisir aux questions des membres du comité.

Le président suppléant: Merci, madame Towtongie, d'avoir présenté un excellent exposé.

Mme Towtongie: Nous aimerions commenter l'exposé précédent en ce qui concerne l'attribution des quotas de flétan.

M. Gabriel Nirlungayuk, directeur de la faune, Service de la faune, Nunavut Tunngavik Incorporated: Honorables sénateurs, voici notre interprétation de la place qu'occupe le Nunavut dans l'industrie de la pêche de l'Atlantique: 27 p. 100 du flétan des eaux adjacentes sont attribués au Nunavut; et, comme le président de NTI l'a mentionné, 19 p. 100 des crevettes. Nous ne disposons pas d'installations portuaires en eau profonde qui soient près des ressources, sauf pour une seule usine à Pangnirtung.

Outre l'usine de transformation qui se trouve au Nunavut, en ce moment, le Nunavut ne compte aucune infrastructure pour prendre en charge la capacité éventuelle de l'industrie de la pêche. Le MPO gère actuellement un programme de port pour petits bateaux, mais, jusqu'à maintenant, ce programme ne s'applique pas au Nunavut. Aucune des collectivités du Nunavut ne compte des installations portuaires où pourraient accoster les bateaux, même les bateaux de taille moyenne. Les pêcheurs des eaux contiguës ne peuvent profiter de la ressource à moins de disposer d'un bassin adéquat pour venir débarquer leurs prises. Or, les bassins créent l'occasion d'investir dans le secteur de la transformation.

Comme notre président l'a mentionné, un programme fédéral des pêches créé en 1999, l'Initiative de l'après- Marshall, doté d'un budget de 160 millions de dollars par année en guise de soutien aux Premières nations, ne s'applique pas aux Inuits du Nunavut. Aucune somme d'argent n'est attribuée au Nunavut.

En 1988, le Programme d'adaptation et de restructuration des pêches du Pacifique était financé à raison de 400 millions de dollars, dont 6,2 millions de dollars ont été attribués à des groupes autochtones. Encore une fois, rien de cela n'a été remis aux Inuits du Nunavut.

Le sénateur Cook: Aidez-moi à comprendre. Vous dites que 27 p. 100 du quota de flétan vont au Nunavut; alors où va le reste? Qui s'adonne à la pêche dans vos eaux? Qui pêche les 63 p. 100 qui restent?

Mme Towtongie: J'ai ici les chiffres, en dollars, pour le flétan. Cet été seulement, cela s'élevait à huit millions de dollars, et nous n'en avons eu que 9 p. 100. Nous n'avons eu que 13 748 $ environ. Cela est attribué à la Baffin Fisheries Coalition. Nous avons peut-être ici les noms que vous cherchez.

M. Nirlungayuk: Le reste va à des intérêts du Sud. Je n'ai pas le nom de l'entreprise devant les yeux.

Le sénateur Cook: Cela répond en partie à ma question. Êtes-vous en train de dire que le MPO délivre des quotas pour le reste?

M. Nirlungayuk: Oui. Selon l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, à l'article 15.3.7, CGRFN attribue les quotas. Par contre, le ministre, pour une raison ou une autre, ne reconnaît pas le rôle du CGRFN, de sorte que le reste est attribué à des intérêts du Sud.

Le sénateur Cook: Est-ce que cela vaut aussi pour les crevettes?

M. Nirlungayuk: Oui.

Mme Towtongie: En ce moment, le Nunavut ne contrôle qu'environ le tiers des quotas en question. Une bonne part du quota attribué au Nunavut se trouve dans le secteur 0A de pêche au flétan. Le reste va aux intérêts du Sud et à l'industrie de pêche aux poissons rayés, moins importante.

Dans les pêcheries de l'Atlantique, durant les années 90, les Inuits ont été écartés: nous n'avions pas de bateaux. Nous sommes la raison pour laquelle les usines de transformation du poisson des provinces de l'Atlantique demeurent ouvertes, grâce à nos ressources, parce que le principe de la contiguïté — 85 à 95 p. 100 — ne s'applique pas au Nunavut.

Le sénateur Cook: Est-ce que c'est parce que vous n'avez pas d'infrastructure?

Mme Towtongie: En ce moment, nous n'avons pas d'infrastructure. Tout de même, je répéterais que notre dernière mine, la mine Lupin, a fermé ses portes. La pêcherie a créé une économie viable, et il nous faut une assise pour nous lancer. Nous avons étudié des stratégies à court et à long terme, et nous reconnaissons que, à court terme, nous n'avons pas d'infrastructure, mais, à long terme, si le gouvernement du Canada tient vraiment à s'assurer que le Nunavut deviendra une expérience positive des relations entre les Inuits autochtones et le gouvernement du Nunavut et le gouvernement du Canada, nous avons besoin d'accéder aux ressources.

Le sénateur Cook: Y a-t-il des entreprises internationales qui pêchent dans vos eaux, ou est-ce que ce sont des Canadiens qui viennent du Sud?

Mme Towtongie: Oui, il y en a. L'été dernier seulement, à l'été 2002, il y avait 45 navires. Le problème réside dans le fait que, à Iqaluit, les bateaux en question n'ont pas de comptes à rendre à la Garde côtière canadienne, sauf en cas d'urgence. Si les mêmes bateaux vont dans les eaux du Groenland, ils doivent rendre des comptes aux autorités. Il y avait 45 bateaux. C'est un nombre très élevé.

Le sénateur Cook: Je m'excuse de mon ignorance de la géographie de votre région, mais qu'en est-il de la limite de 200 milles? Vous n'êtes pas à 200 milles du Groenland, n'est-ce pas?

Mme Towtongie: Nous nous battons toujours avec le Groenland pour des droits de chasse.

Le sénateur Cook: Voilà notre dilemme.

Mme Towtongie: Il est très difficile de pêcher dans le secteur 0B. La période allouée est courte — il s'agit de trois mois — et ce n'est pas assez long. Pour soutenir notre industrie de la pêche, il nous faut des normes qui diffèrent de celles du Sud. Ce serait une occasion stimulante pour le Canada, en entier, de mettre sur pied cette industrie de la pêche.

C'est la Garde côtière canadienne à Iqaluit, là où l'organisme a un bureau, qui m'a signalé que les bateaux n'ont pas à rendre des comptes aux autorités. C'est curieux.

Le sénateur Cook: Partagez-vous une pêcherie au flétan avec le Groenland?

M. Nirlungayuk: Le Groenland va pêcher dans ces eaux-là, oui. De fait, le Groenland fait beaucoup de recherches scientifiques. Il consacre beaucoup d'argent à cela. Malheureusement, dans nos eaux, au Nunavut, le MPO ne dépense qu'une fraction de ce qu'il dépense dans le Sud. Voilà un autre problème de premier plan au Nunavut.

Le sénateur Cook: Vous avez parlé du fait que le programme des ports pour petites embarcations ne s'applique pas à vous. Combien de vos localités du Nord sont libres de glace, et pendant combien de temps? Il me semble que ce serait là un défi en soi.

Mme Towtongie: Le Groenland, étant donné que les eaux sont différentes, fonctionne toute l'année durant. Pour ce qui est de l'Arctique canadien, je dirais que nous sommes libres de glace pour une période de trois ou quatre mois. Tout de même, il s'agit là de 100 millions de dollars par année. Des 100 millions en question, nous avons déjà perdu 88 millions de dollars aux mains des pêcheurs du Sud.

Le président suppléant: Nous voulons tous bien comprendre: vous avez parlé de l'article 15.3.7, qui forme l'engagement du gouvernement et non seulement le gouvernement, mais aussi la Couronne. Vous avez délimité toute cette question et parlé de la nature, pour ainsi dire, de la paix faite entre les Inuits et la Couronne par l'adoption de cet accord sur les revendications territoriales.

Vous nous dites que non seulement vous n'avez pas l'infrastructure voulue, mais aussi vous n'avez pas le matériel nécessaire pour constituer une assise économique viable. Vous voulez que le ministre comprenne bien que le gouvernement du Canada doit respecter son engagement. Vous dites que, quels que soient les quotas attribués, il doit garder à l'esprit l'engagement de la Couronne en ce qui concerne le principe de la contiguïté. Vous dites qu'il devrait mettre cela entre les mains du gouvernement du Nunavut et que ce dernier devrait déterminer comment attribuer le quota. Est-ce bien ce que vous dites?

Mme Towtongie: C'est une interprétation possible. L'article 15 de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut énonce les secteurs maritimes protégés par la Constitution. Jusqu'à maintenant, les Inuits n'obtiennent pas leur juste part du quota. Je me suis entretenue avec eux avant de venir témoigner ici. Si les Inuits pouvaient obtenir une plus grande part du quota, nous pourrions travailler à régler nos problèmes économiques et sociaux. Nous ne voulons pas répéter ce qui s'est passé à Burnt Church. Il est question ici d'une industrie multimilliardaire. Ce n'est pas une question de race; il s'agit du partage des ressources. Nous tenons mordicus à travailler de concert avec le gouvernement du Canada et le gouvernement du Nunavut, mais nous avons besoin d'un accès juste et égal aux ressources, et nous avons besoin de voir s'appliquer le principe de la contiguïté.

Le président suppléant: Dites-vous aussi que vous ne voulez pas vivre ce qu'ont vécu les Terre-Neuviens, qui ont perdu leur stock de morue, parce que la gestion des stocks de morue était l'affaire de gens du Sud qui ne comprennent peut-être pas tout à fait à quel point les stocks sont importants du point de vue de la subsistance des gens? Voulez-vous faire comprendre comment la nature fonctionne dans l'Arctique et faire voir que vous voulez prendre en main votre propre avenir?

Mme Towtongie: Nous avons regardé ce qui s'est passé dans l'industrie de la morue à Terre-Neuve. Ce sont des questions politiques qui sont en cause, et non pas la gestion des stocks en elle-même. Les décisions ont été fondées non pas sur l'évaluation des stocks et la manière de soutenir l'économie et les gens, mais plutôt sur d'autres facteurs.

Nous avons en place le Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut, et M. Nirlungayuk affirme que nous avons besoin de recherches scientifiques pour pouvoir disposer des données pertinentes.

Le président suppléant: Je tiens à rappeler aux membres du comité que, dans un rapport que nous avons produit en février 2002, nous recommandons que le ministre des Pêches et des Océans adopte une politique équitable et rigoureuse quant à l'accès du Nunavut aux ressources halieutiques contiguës de l'Atlantique, et notamment au flétan. Le quota devrait être établi conformément à l'esprit et à la lettre de l'article 15.3.7 de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, qui précise qu'il faut accorder une attention spéciale aux principes de la contiguïté aux ressources marines et aux principes de la dépendance économique à l'égard des ressources dont il est question.

Je crois que le gouvernement n'a pas encore réagi à cette recommandation.

Mme Towtongie: C'est comme cela que ça s'applique dans le secteur qualifié de SFA 026, qui est directement à côté du Nunavut. Quatre provinces et un territoire se partagent 17 permis. Terre-Neuve en obtient 8; le Québec, 3,5; la Nouvelle-Écosse, 2; le Nouveau-Brunswick, 2; et le Nunavut, 1,5.

Le sénateur Adams:

[Le sénateur Adams s'exprime dans sa langue autochtone.]

Ma question s'adresse à Mme Towtongie, présidente de NTI. Depuis quelques années, vous essayez de régler les problèmes découlant de la signature de l'accord, en 1993, à Iqaluit, par le premier ministre de l'époque, Brian Mulroney. Je crois que l'article en question a été inclus pour que, à l'avenir, le gouvernement du Canada, et particulièrement le ministre des Affaires indiennes, puisse voir comment le Nunavut pourrait se donner une pêcherie commerciale viable. Je crois que, à un moment donné, les politiciens et autres intervenants ont besoin de s'installer à table, autour d'une tasse de thé, et discuter du but de l'article 15.3.7.

Selon le Règlement du Sénat, il est très difficile pour un sénateur, et pour moi en particulier, de déposer un projet de loi d'initiative parlementaire portant une pêcherie commerciale inuite. Toutefois, les élus du Parlement du Nunavut peuvent déposer des projets de loi de finances.

Vous nous dites que nous perdons autour de 80 millions de dollars par année, ce qui est une bonne somme d'argent.

Le sénateur Watt a mentionné notre recommandation concernant l'article 15.3.7. Le ministre l'a étudiée, puis a baissé les bras.

Nous voulons vous aider, avec tout ce qui se passe. La seule façon pour nous d'y arriver, c'est de faire pression auprès de nos politiciens. Ils pourraient rédiger un projet de loi en conséquence. Dans l'intervalle, peut-être, le ministre des Pêches et des Océans et le MPO ne pourraient d'aucune façon transférer un quota à des étrangers ou à d'autres. Il est malheureux que le sénateur Baker ne soit pas là ce soir. C'est un ancien ministre des Pêches et des Océans, et il est en politique depuis environ 30 ans. Il saurait quoi faire pour adopter une politique favorable à l'avenir de la pêche commerciale au Nunavut.

Dans l'intervalle, NTI et le gouvernement du Nunavut peuvent faire pression sur les députés, pour que ceux-ci conçoivent un règlement à cet égard.

Ce mois-ci et le mois prochain, nous allons accueillir bon nombre de témoins du Nunavut pour essayer d'en arriver à quelques recommandations concernant l'avenir de l'économie du Nunavut.

À l'heure actuelle, l'activité est intense dans le secteur minier au Nunavut, et nous ne voulons certainement pas priver l'économie du Nunavut de quoi que ce soit.

Des gens et des entreprises du Sud se lancent en activité, surtout maintenant qu'on a trouvé de l'or et des diamants sur le territoire du Nunavut.

[Le sénateur s'exprime dans sa langue autochtone.]

Mme Towtongie:

[Mme Towtongie s'exprime dans sa langue autochtone.]

Sénateur, vous nous manquez, à Rankin Inlet.

Je trouve cela alarmant, en tant que présidente de NTI, de regarder l'accord, puis de constater que le ministère des Pêches et des Océans prend une autre tangente. Il faut dissocier l'accord du ministère. En tant que présidente de NTI, étant donné l'obligation constitutionnelle envers les Inuits, je trouve que c'est alarmant aussi de savoir que les Inuits ne peuvent accéder à la Stratégie des pêches autochtones et au Programme de transfert des allocations qui y est associé, afin de pouvoir acheter des bateaux. Nous ne pouvons en obtenir un seul cent. Mme Papatsie aimerait acheter un bateau, mais elle n'est pas admissible à l'Initiative de l'après-Marshall ni à la Stratégie des pêches autochtones et au Programme de transfert des allocations qui y est associé. Aucun Inuit ne l'est. C'est-à-dire aucun Inuit du Nunavut.

Le ministère ne respecte pas l'engagement pris par le gouvernement du Canada dans l'accord sur les revendications territoriales.

Je suis alarmée également de constater que le ministre, qui est originaire de la région de Burnt Church, adopte une conduite profondément inéquitable et préconise une défense étroite d'intérêts régionaux, ce contre quoi le Canada, historiquement, s'est battu.

Dans une perspective plus large, vous, membres d'un comité du Sénat, avez l'obligation de vous assurer que les Inuits, en tant que groupe autochtone, ont droit à leur part des ressources économiques du Nunavut. Pour que les Inuits aient leur juste part de la ressource, il faut appliquer le principe de la contiguïté.

Nous avons une entente conclue entre le gouvernement du Nunavut et NTI que nous avons présentée au gouvernement du Canada. Voilà mes idées sur la question. Il faut dissocier l'accord et le ministère. Il n'y a pas de réponse parfaitement claire à la question.

Le sénateur Adams: À un moment donné, mon collègue, le sénateur Watt, était président de la Société Makivik, qui a mis sur pied une compagnie aérienne devenue aujourd'hui la troisième parmi les compagnies aériennes régulières au Canada, ce qui prouve que les entreprises du Nord peuvent marcher. De même, la Nunasi Corporation possède une participation majoritaire dans Canadian North, une des principales compagnies aériennes évoluant dans le Nord.

À l'heure actuelle, combien d'entreprises privées avons-nous?

Le président suppléant: Il y en a deux.

Le sénateur Adams: Nous avons également l'expérience que nous procure le fait d'avoir travaillé avec les bateaux qui viennent approvisionner le Nunavut, le Nunavik et les territoires. Je crois que l'expérience que nous avons acquise grâce à notre société aérienne et à notre participation au transport maritime pourrait s'appliquer à n'importe quelle entreprise dans le secteur des pêches. Avec 50 ou 80 millions de dollars, nous pourrions créer des emplois et stimuler l'économie du Nunavut, ce qui déboucherait sur d'autres retombées économiques.

Pourriez-vous expliquer une chose: les Inuvialuits sont-ils représentés à la Nunasi Corporation? Le Nunavut possède-t-il des intérêts dans la Nunavut Transportation Company Ltd., ou NTCL?

Mme Towtongie: Pour parler d'abord de l'industrie de la pêche, étant donné le moratoire imposé à l'attribution de nouveaux permis, le ministre a toujours refusé d'accorder aux pêcheurs du Nunavut des permis de pêche au poisson de fond de l'Atlantique. Un tel permis permettrait aux Nunavumiuts de prendre leur part du quota commercial établi pour le détroit de Davis, entre le Groenland et le Canada. Quelque 5 000 pêcheurs du Sud détiennent un tel permis — tous ont le droit d'aller dans le nord pour y pêcher, mais peu le font.

Dans le cas de la Nunasi et des Inuvialuits, la situation n'est pas la même. NTI élabore depuis un certain temps une politique dite «NNI», qui fait que toute entreprise au Nunavut doit, selon l'article 24 de l'accord, appartenir à raison de 51 p. 100 à des intérêts inuits. Toutefois, il existe à cet égard une échappatoire. Cette échappatoire a permis à des personnes qui ne sont pas des Inuits de donner des permis à leur femme ou à leurs enfants inuits.

Nous essayons de déterminer si une entreprise est définie comme étant une entreprise inuite. Nous regardons la direction de l'entreprise, pour voir s'il y a des gestionnaires inuits. Si ce n'est pas le cas, alors il faut trouver une autre façon de définir l'entreprise.

Le sénateur Cochrane: Je tiens à vous féliciter du souci que vous exprimez à propos de la gestion des pêches. J'aurais bien aimé que la situation prenne une tournure plus heureuse à Terre-Neuve, moi aussi. Vous êtes peut-être sur la bonne voie, puisque vous prenez les choses en main tout de suite, et cela est bon.

Dans la réaction du gouvernement aux questions posées au Sénat, on a donné à entendre que le MPO fait des efforts concertés pour permettre au Nunavut d'accéder à la majeure partie des ressources allouées dans les eaux contiguës, dont vous avez parlé. Pour le montrer, on dit que 51 p. 100 des augmentations de l'allocation de la pêche aux crevettes dans la zone 0A ont été données au Nunavut en 2003. On a dit aussi que cette allocation était supérieure à celle qui se serait imposée étant donné l'accord historique sur le partage des ressources, soit 8,8 p. 100 ou 187 tonnes. Le Nunavut a également sa part des allocations données aux détenteurs de permis de pêche hauturière et du quota scientifique pour les zones non contiguës, soit 518 tonnes, ce qui représente une augmentation totale de 1 601 tonnes. J'aimerais savoir ce que vous pensez de l'interprétation que fait le gouvernement de cette allocation.

Mme Towtongie: C'est une question d'accès et d'allocation. Oui, nous avons l'accès, mais le ministre a alloué aux pêcheurs du Sud, qui ont déjà l'accès à l'allocation... Ce sera radicalement différent de la façon dont c'est géré en ce moment. Oui, il affirme que le Nunavut a accès au tonnage en question, mais la seule allocation qu'il a accordée au Nunavut, la seule allocation qu'il peut nous accorder, c'est celle qu'il accorde aux pêcheurs du Sud qui ont déjà le permis, ce n'est pas un nouvel accès.

Le sénateur Cochrane: Selon un article que j'ai lu, les sociétés de développement inuites n'ont pas vraiment investi à long terme dans le secteur de la pêche à la crevette. De votre point de vue, croyez-vous que c'est exact? Le cas échéant, pouvez-vous expliquer pourquoi certains groupes hésitent à faire les investissements à long terme en question?

Mme Towtongie: Premièrement, si nous devons faire des investissements à long terme, il faut que s'applique le principe de la contiguïté et que 85 à 90 p. 100 de la ressource en question soient alloués au Nunavut. Le quota ne permettra pas à quiconque a un bateau de survivre. Dans l'Arctique canadien, le palangrier qui est aménagé pour l'hiver du Canada doit répondre aux normes de l'Arctique. Or, cela est coûteux. Comme nous avons examiné les coûts, nous avons étudié le cas d'un bateau aménagé en Islande, ce qui est le plus près de chez nous. C'est de l'ordre de 15 à 28 millions de dollars. Afin d'obtenir ce bateau pour les Inuits, nous devons accéder à la ressource; or, nous n'y avons pas accès.

Je regarde la question à court et à long terme à la fois. D'ici 10 ou 20 ans, le gouvernement du Canada pourra-t-il déclarer aux Inuits que, oui, il est prêt à concéder 85 à 90 p. 100 de l'accès, comme c'est le cas dans les provinces de l'Atlantique?

Le sénateur Cochrane: Dans les recommandations que vous formulez à notre intention, il est dit qu'aucun pêcheur qui n'est pas du Nunavut peut se voir attribuer des quotas, tant et aussi longtemps que les quotas du Nunavut ne sont pas égaux à ceux qui sont alloués à d'autres provinces.

À regarder cela, je me demande pourquoi vous n'établissez pas un partenariat avec une entreprise qui n'est pas du Nunavut, en vue d'établir une usine de transformation et de la faire fonctionner. Ces gens-là pourraient se prévaloir des services que vos gens peuvent offrir dans ce type d'usine. Y avez-vous déjà pensé?

Mme Towtongie: Oui, je crois que oui, mais, comme le sénateur Adams le sait bien, notre QI — ou quotient inuit — entre en jeu ici, autrement dit, notre connaissance de la région circumpolaire. Nous avons deux termes pour désigner les vagues, un pour les vagues que cause le vent, les vagues blanches, et un autre pour les vagues causées par la rotation de la terre, les vagues déferlantes. Nous ne croyons pas que l'industrie de la pêche du Sud ait appliqué les principes de justice naturelle à leurs politiques, ou à leurs programmes. Notre environnement et notre climat, selon nous, ainsi que notre QI devraient s'appliquer aux bateaux du Sud, dans certains secteurs, et à certains programmes de formation. La conservation des stocks serait également mise en valeur. Le Nunavut a un environnement très rigoureux, et si nous n'appliquons pas les principes de la conservation des stocks, il faut équilibrer l'équation, et l'industrie de la pêche du Sud doit l'appliquer à nos normes.

Le sénateur Cochrane: Ne croyez-vous pas qu'elle le ferait?

Mme Towtongie: Parfois, nous avons vu que les intérêts économiques prennent le pas sur la ressource, quand la ressource ne peut soutenir l'économie. Les gens continuent de pêcher. C'est ce que nous avons observé dans les provinces de l'Atlantique au sud. C'est notre crainte. Il faut un certain équilibre, et l'équilibre doit avoir préséance dans la région circumpolaire.

Le sénateur Cochrane: Êtes-vous prêt à faire cela?

Mme Towtongie: Nous sommes prêtes à le faire, mais, en ce moment, nous voulons que les principes énoncés à l'article 15.3.7 s'appliquent aux décisions que prend le ministre.

M. Nirlungayuk: Pourquoi ne pas conclure des partenariats avec le Sud? Il y a bel et bien des partenaires. Nous savons que, au Nunavut, l'industrie de la pêche est très nouvelle d'un point de vue commercial, surtout en ce qui concerne le flétan et la crevette. Nous sommes en train d'assimiler la technologie qu'emploient les pêcheurs du Sud, il y a donc certains partenariats. Tout de même, dans le domaine des bassins, de l'infrastructure, pourquoi voudraient-ils un partenaire quand il n'y a pas de véritables sommes qui soient investies au Nunavut? Nous avons besoin que de l'argent vienne au Nunavut, pour qu'un plus grand nombre de partenariats soient créés.

Le sénateur Cook: Je m'intéresse aux opérations de la Baffin Fisheries Coalition. De quel genre de quota dispose-t- elle, et êtes-vous satisfaits de sa façon de fonctionner? J'en déduis qu'il s'agit d'une coalition unissant plusieurs groupes du Nunavut.

Mme Towtongie: Certains membres de la Baffin Fisheries Coalition ont critiqué l'allocation des quotas. Tout de même, deux articles de l'accord sur les revendications territoriales du Nunavut portent sur les droits des pêcheurs du Nunavut, soit les articles 5 et 15. L'article 5 énonce les rôles et la responsabilité du Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut. Le conseil en question est l'instrument principal de la gestion de la faune dans la région du Nunavut. Ils travaillent en ce moment de concert avec la Baffin Fisheries Coalition. Quant aux quotas, je n'ai pas de précisions là-dessus en ce moment, mais nous avons peut-être des informations ici.

Nous devons étudier tous les aspects de l'industrie de la pêche, de manière à pouvoir porter un regard critique sur la façon dont elle module l'économie du Nunavut, et notamment le secteur minier, le secteur de l'énergie et le secteur de la construction. En ce moment, faute d'accès, d'infrastructure et d'argent, nous n'avons pas accès aux sommes prévues pour les Autochtones dans le cas de la pêche.

Le sénateur Cook: La Baffin Fisheries Coalition dispose-t-elle d'un quota adéquat en rapport avec ses opérations?

Mme Towtongie: Non. Nous voulons de 85 à 90 p. 100. C'est le minimum vital. Elle n'a pas les quotas voulus. Dans certains cas, il s'agit de quotas scientifiques; dans d'autres, de quotas expérimentaux.

M. Nirlungayuk: Je crois que la création de la Baffin Fisheries Coalition remonte à 1993, ce qui est relativement récent. La coalition se compose de certaines des localités des côtes de l'île de Baffin, qui se sont vu allouer un quota de crevette et de flétan. Tout de même, encore une fois, faute de financement profitable au Nunavut, elles ne peuvent investir davantage dans les pêcheries.

Histoire de vous donner un exemple pour ce qui est du flétan et des entreprises qui se voient allouer les quotas en question, Seafreeze, entreprise du Sud, pêche 1 900 tonnes, soit 76 p. 100 de l'ensemble. Clearwater peut pêcher 230 tonnes, soit 9,2 p. 100 du total. Seaku Fisheries Incorporated a un quota de 2,8 p. 100. Nunavik Arctic Foods: 2,8 p. 100. La Labrador Inuit Development Corporation a un quota de 2,8 p. 100, et les Torngat Fish Producers Co-op, 6,4 p. 100. Voilà la répartition des quotas pour la pêche au flétan.

Le président suppléant: Honorables sénateurs, le temps alloué pour les questions est écoulé.

La séance est levée.


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