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Délibérations du comité sénatorial permanent des
affaires étrangères

Fascicule 2 - Témoignages du 3 février 2003


OTTAWA, le lundi 3 février 2003

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 12 h 50 pour étudier les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis d'Amérique et entre le Canada et le Mexique, et pour en faire rapport.

Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Bienvenue à nos trois invités. Mme Kathleen Macmillan est présidente d'International Trade Policy Consultants Inc., un cabinet qui conseille les entreprises et les gouvernements en matière de politiques commerciales et de différends commerciaux. Elle a été membre puis vice-présidente du Tribunal canadien du commerce international, de 1989 à 1994, et son nom figure au registre des personnes appelées à faire partie de groupes d'experts chargés d'examiner les mécanismes de règlement des différends de l'OMC et du chapitre 19 de l'ALENA.

M. Donald McRae est titulaire de la chaire Hyman Soloway du droit des affaires et du commerce à l'Université d'Ottawa. Il a fait partie de groupes spéciaux de règlement des différends de l'Accord de libre-échange Canada-États- Unis, de l'Accord de libre-échange Israël-États-Unis et de l'ALENA. Il a aussi conseillé les gouvernements du Canada et de la Nouvelle-Zélande pour des questions portant sur le droit commercial international et a témoigné à titre d'avocat devant des groupes spéciaux de l'OMC, l'organe d'appel de l'OMC et les tribunaux établis sous le régime du chapitre 11 de l'ALENA.

M. Peter Clark est un ancien fonctionnaire qui s'est intéressé surtout à une vaste gamme de questions touchant la politique commerciale. Il a été détaché à la Mission permanente du Canada auprès des Nations Unies à Genève, où il faisait office de conseiller et d'agent de liaison auprès du GATT; il a aussi été président du Comité permanent du budget, des finances et de l'administration du GATT, et membre fondateur de l'Organe de surveillance des textiles. Il s'occupe activement du règlement des différends à l'ALENA et à l'OMC, à titre de conseiller et d'arbitre.

Je voudrais maintenant lire notre ordre de renvoi pour le compte rendu parce que, comme tout le monde le sait, le compte rendu est très important. C'est notre première séance consacrée à ce sujet très important.

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères amorcera lundi — c'est-à-dire aujourd'hui — une série de séances publiques dans le cadre de son étude portant sur les relations commerciales qu'entretient le Canada avec les États-Unis d'Amérique et le Mexique.

Le comité portera une attention particulière à: a) l'Accord de libre-échange de 1988; b) l'Accord de libre-échange nord-américain de 1992; c) un accès sûr pour les produits et services canadiens aux États-Unis d'Amérique et au Mexique; et d) le développement de mécanismes efficaces de règlement des différends. Ces enjeux seront étudiés dans le contexte des relations économiques du Canada avec les pays des Amériques et du cycle de Doha des négociations commerciales de l'Organisation mondiale du commerce.

Je vous remercie d'être venus. Comme vous le savez, le Sénat nous a confié cet ordre de renvoi. Bienvenue, madame Macmillan.

Mme Kathleen Macmillan, présidente, International Trade Policy Consultants: C'est un plaisir de commencer. Je suis heureuse d'avoir l'occasion de participer à vos travaux. Le Sénat vous a confié, dans votre ordre de renvoi, une tâche difficile et exigeante. Le Canada n'a jamais vu, à aucun moment de son histoire récente, ses relations commerciales avec le monde extérieur — et en particulier avec les États-Unis — aussi menacées. Votre étude est donc très importante et tombe à point nommé.

Mes remarques porteront surtout sur le point c) de votre ordre de renvoi, à savoir l'établissement de relations commerciales stables avec les États-Unis.

Je ne vous ferai pas perdre votre temps à analyser l'Accord de libre échange de 1988 ou l'ALENA, conclu en 1992, même si j'ai participé à leur préparation et à leur mise en oeuvre dans les deux cas. Cependant, je ne crois pas me tromper en affirmant qu'à peu près tout le monde, au Canada, s'entend pour dire que ces accords commerciaux ont tous deux été extrêmement utiles pour notre pays. C'est ce que confirment les sondages d'opinion, qui semblent démontrer que cela fait consensus parmi les Canadiens ordinaires, et pas seulement parmi les soi-disant «élites politiques et économiques».

Si vous aviez reçu le même ordre de renvoi il y a deux ans, nous, les témoins, aurions passé beaucoup de temps à pontifier sur les façons de modifier, d'approfondir et d'élargir l'ALENA. Nous aurions discuté par exemple des secteurs à ajouter ou des moyens d'améliorer les institutions. Nous l'aurions fait pour garder ce moteur de l'exportation en bon état et pour lui permettre de continuer à apporter des avantages économiques au Canada.

Mais, aujourd'hui, nous avons un défi bien plus difficile à relever: nous devons trouver un moyen d'éviter que le commerce international n'entre dans une période de profond malaise ou de stagnation. Les États-Unis sont en récession économique, ce qui y a réduit la demande de produits importés du reste du monde. Il y a aussi les graves questions de sécurité soulevées par les attentats terroristes de septembre 2001. Il est difficile d'être optimiste quant à l'avenir du commerce. Les négociations à l'OMC semblent au point mort. Celles de la ZLEA ne semblent pas en voie de déboucher sur un quelconque résultat significatif. Je dirais qu'il y a actuellement dans le monde très peu d'appétit pour une véritable libéralisation des échanges commerciaux.

C'est difficile pour un pays comme le Canada, qui tire 43 p. 100 de son PIB de l'exportation.

Le marché américain est de loin notre priorité. Il compte pour plus de 80 p. 100 de nos exportations et environ 70 p. 100 de nos importations. Nous parlons depuis des années de diversifier la structure de nos échanges, mais pendant ce temps-là — même si nous avons fait des efforts honnêtes pour y arriver —, notre dépendance vis-à-vis de l'économie américaine ne cesse de croître. Il y a une bonne raison à l'affinité commerciale naturelle qui existe entre le Canada et les États-Unis. Les Américains sont de bons partenaires commerciaux. Ils sont tout près de nous, sur le plan géographique. Ils parlent la même langue que nous. Nous avons beaucoup d'institutions en commun avec eux, malgré l'acrimonie qui se manifeste dans des secteurs comme le bois d'oeuvre. Nous réglons généralement nos différends de façon harmonieuse.

De toute évidence, les Américains sont actuellement obnubilés par les questions de sécurité nationale et ils perçoivent à tort — du moins, c'est ce que pensent la plupart des Canadiens — le Canada comme une partie du problème plutôt qu'une partie de la solution.

Leur obsession de la sécurité est en train de devenir un problème pour nous. Les résultats de longues années de labeur patient visant à créer une frontière perméable, grâce à des mesures comme le dédouanement avant l'expédition, se sont rapidement évaporés. Les réticences relatives à l'approbation préalable des manifestes pourraient être alarmantes pour les producteurs qui appliquent la méthode «juste à temps», et les questions comme la détention de gens d'affaires dans les aéroports — ce qui leur fait manquer des rendez-vous importants — ont considérablement rafraîchi nos relations sur le plan commercial.

Les milieux d'affaires canadiens ont sonné l'alarme, et nous devons les écouter. Wendy Dobson, dans un commentaire pour le compte de l'Institut C.D. Howe, a suggéré une grande idée: les États-Unis et le Canada devraient tenir des négociations stratégiques pour proposer des initiatives concernant par exemple les formalités douanières, l'immigration, la défense et le sécurité énergétique. Le Conseil canadien des chefs d'entreprise a proposé quelque chose d'assez semblable, qui contenait en bonne partie les mêmes éléments.

Ce qu'il y a d'inquiétant, dans les grandes idées, c'est que nous allons finir par capituler dans des secteurs où nous risquons d'en payer le prix, en termes de souveraineté, pour nous rendre compte que les États-Unis ne sont toujours pas satisfaits. Ce sera toujours une préoccupation. Le problème, c'est qu'il n'y a pas beaucoup d'autres solutions. Nous devons trouver des idées, des idées pragmatiques pour maintenir le flux de nos échanges commerciaux, et faire accepter ces idées aux Américains.

Pour ce faire, il est impératif que nous consultions nos gens d'affaires. Ce sont des gens qui comprennent la nature de leurs entreprises et qui peuvent travailler avec leurs homologues américains pour mettre en place une technologie et des institutions qui permettront de sortir de l'impasse et de satisfaire nos gouvernements respectifs.

Nous devons également collaborer avec les Américains dans les grands dossiers qui les préoccupent particulièrement, par exemple la défense et la sécurité énergétique. En leur offrant notre collaboration sur ces questions importantes, je pense que nous allons à l'encontre de leur tendance à se cantonner dans une approche unilatérale ou isolationniste pour régler ces problèmes. Il est grand temps de toute façon que nous nous attaquions à des questions comme la défense et l'énergie, et il est bien possible que nous obtenions des résultants qui iront aussi dans le sens de nos intérêts nationaux.

Les grandes idées attirent les critiques. Dans le passé, les gens d'affaires canadiens ont souvent eu beaucoup de succès en restant au ras du sol et en cherchant des solutions directement avec leurs homologues américains afin d'améliorer nos relations commerciales et d'atteindre des objectifs qui servent les meilleurs intérêts de nos deux économies.

Nous devons chercher à améliorer nos relations avec les Américains en dehors de Washington, D.C., et je vous invite fortement à examiner, par exemple, les compressions dans nos ressources, qui ont érodé notre effectif dans les centres régionaux en dehors de Washington, aux États-Unis. Nous devrions chercher des moyens d'avoir de meilleurs yeux et de meilleures oreilles sur le terrain pour aider les entreprises à nouer des liens et pour maintenir le flux de nos échanges commerciaux.

Le règlement des différends est la dernière question qu'on vous a demandé d'examiner. Je crois que mon collègue, ici, aura de bonnes idées à vous proposer à cet égard. Pour ma part, je ne pense pas que les grandes idées soient très utiles pour améliorer notre système de règlement des différends. Elles n'ont pas été très efficaces depuis la mise en oeuvre de l'ALE en 1988.

Je suis très encouragée de voir que l'industrie de l'acier, au Canada et aux États-Unis, pourrait envisager des moyens de baisser les armes, en termes de recours commerciaux, en ce qui concerne le commerce bilatéral. L'industrie de l'acier est un gros utilisateur de recours commerciaux, des deux côtés de la frontière, et si ces gens-là réussissent à s'entendre, il serait très possible d'appliquer la solution qu'ils auront trouvée — quelle qu'elle soit — à d'autres secteurs de l'économie. Voilà donc un exemple d'initiative pratique et sur mesure qui serait prise par le secteur privé et qui pourrait rapporter des dividendes plus tard.

La prochaine frontière, en termes de règlement des différends, c'est l'agriculture. Il faudra de longues et difficiles négociations pour essayer d'en arriver, secteur par secteur, à un ensemble de règles harmonisées afin d'éviter la possibilité de recours commerciaux. C'est quelque chose que nous allons devoir envisager.

Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions dans quelques instants.

M. Donald McRae, professeur, droit des affaires et du commerce, Université d'Ottawa: Je suis heureux de comparaître devant votre comité pour discuter de cette question très importante.

Je vais me concentrer sur le point d) de votre ordre de renvoi, à savoir les mécanismes de règlement des différends. Je voudrais vous parler du mécanisme prévu à cet égard dans l'ALENA. Je fais quelques commentaires sur les négociations de Doha dans mon mémoire écrit, mais je les laisserai peut-être de côté pour mon exposé d'aujourd'hui.

Pour ce qui est de l'ALENA, je vais vous décrire ses trois mécanismes de règlement des différends et essayer de les évaluer avec vous. Évidemment, ces trois mécanismes figurent au chapitre 19, qui porte sur l'examen des droits antidumping et des droits compensateurs; au chapitre 20, qui établit le mécanisme de règlement de gouvernement à gouvernement; et au chapitre 11, qui se rapporte aux réclamations présentées par les investisseurs d'une des parties à l'ALENA contre un des gouvernements signataires. Je vais commenter chacun de ces mécanismes, mais je vais me concentrer surtout sur ceux que prévoient le chapitre 20 et le chapitre 11.

Premièrement, je voudrais vous dire quelques mots au sujet du chapitre 19. L'examen judiciaire des décisions des agences du groupe spécial binational est une procédure nouvelle. Son inclusion dans l'Accord de libre-échange canado- américain était une réalisation importante, et son maintien dans l'ALENA était tout aussi importante. Le processus a aidé, au début, à forcer les agences américaines à rendre des décisions plus raisonnées. Dans une large mesure, l'examen binational est maintenant chose courante, même si je pense qu'il est moins fréquent en vertu de l'ALENA qu'il l'était sous le régime de l'Accord de libre-échange canado-américain.

Il est peu probable à mon avis que les Américains souhaitent étendre ce processus à tous les pays latino-américains, et c'est pourquoi je trouve important de faire en sorte que les dispositions du chapitre 19 se retrouvent dans l'ALEA. Mais nous devons être conscients des limites de ces dispositions. Elles visent uniquement à veiller à ce que les parties à l'ALENA appliquent leurs propres lois sans pour autant établir leurs propres normes. Elles ne prévoient qu'un examen judiciaire conformément aux normes juridiques des parties dont les agences ont rendu des décisions contestées. Il n'est donc pas étonnant que, même si le chapitre 19 a été invoqué en partie dans la réponse concernant le dossier du bois d'oeuvre, cela n'ait rien donné. Le conflit du bois d'oeuvre ne porte pas sur l'application correcte des lois américaines puisqu'il s'agit d'un désaccord sur les règles qui devraient s'appliquer. Il ne faut donc pas imputer au chapitre 19 notre incapacité à résoudre ce conflit.

Passons maintenant au chapitre 20 de l'ALENA, qui établit le mécanisme de règlement des différends de gouvernement à gouvernement et qui est très rarement appliqué. Il n'a été invoqué entre le Canada et les États-Unis que dans un seul cas, celui de la gestion de l'offre, comparativement à cinq cas en vertu des dispositions équivalentes de l'Accord de libre-échange canado-américain. Et il a permis dans deux cas de trancher des différends entre les États- Unis et le Mexique.

Pourquoi le chapitre 20 est-il aussi peu utilisé? En partie parce qu'il a été supplanté par le mécanisme de règlement des différends de l'OMC. Puisque beaucoup d'obligations prévues par l'OMC sont incorporées dans l'ALENA, les dossiers qui se rattachent à ces obligations peuvent être examinés soit sous le régime de l'ALENA, soit sous celui de l'OMC. Or, les parties à l'ALENA semblent opter plutôt pour le mécanisme de règlement des différends de l'OMC. La vérité, c'est que ce mécanisme présente des avantages très nets.

Les groupes spéciaux de l'OMC comptent trois membres, dont aucun n'est normalement un ressortissant des parties en présence. Les groupes spéciaux de l'ALENA, en revanche, se composent de cinq personnes, dont quatre sont des ressortissants de l'une ou l'autre des parties. La constitution des groupes spéciaux de l'OMC est également plus simple. Le secrétariat de l'OMC propose des noms et, si les parties ne peuvent pas s'entendre sur ces noms, c'est le directeur général de l'OMC qui peut procéder en définitive à la sélection des membres. À l'ALENA, il est possible de protéger par tirage au sort comme solution de dernier recours, mais comme les parties doivent de toute façon approuver la liste de noms, cette procédure n'est pas vraiment efficace. Une partie qui refuse de coopérer peut donc retarder indéfiniment la constitution d'un groupe spécial.

Les groupes spéciaux de l'OMC bénéficient en outre d'un soutien important du secrétariat, alors que ceux de l'ALENA ne reçoivent qu'une assistance administrative du secrétariat de l'ALENA. Le règlement des différends à l'OMC est entouré d'un cadre institutionnel qui n'existe pas sous le régime de l'ALENA. L'OMC permet d'en appeler des décisions des groupes spéciaux, mais pas l'ALENA. Le processus d'appel a ajouté une certaine importance systémique et une certaine prévisibilité aux dispositions de l'OMC, ce qui fait qu'en comparaison, le règlement des différends à l'ALENA s'apparente finalement davantage à un arbitrage ad hoc.

Autre élément: le statut juridique des décisions de l'OMC est clair — elles sont exécutoires. Sous le régime de l'ALENA, les deux parties doivent entériner les décisions, qu'elles peuvent modifier à leur guise. En outre, l'OMC a un régime de mise en oeuvre qui peut mener en définitive à des mesures de rétorsion. Enfin, l'ALENA prévoit la possibilité de mesures de ce genre, mais n'a aucun régime à cet égard.

Compte tenu de toutes ces raisons, il n'est pas étonnant que les parties à l'ALENA règlent leurs différends à l'OMC quand elles le peuvent. Les décisions rendues jusqu'ici en vertu du chapitre 20 de l'ALENA concernaient toutes des affaires qui n'avaient pas pu être portées devant l'OMC.

Cela signifie-t-il qu'il faudrait modifier le chapitre 20 de l'ALENA? Je ne pense pas que cela puisse le rendre plus attrayant pour les parties. Si elles doivent l'invoquer, les parties vont s'entendre et elles vont l'invoquer. Il serait possible d'y apporter des changements afin de rendre le processus plus efficace, surtout pour la nomination des membres des groupes spéciaux. Mais je ne crois pas qu'il serait possible, compte tenu du fait qu'il existe actuellement des secrétariats nationaux distincts en vertu de l'ALENA, de reproduire le soutien institutionnel dont les groupes spéciaux bénéficient à l'OMC.

Devrait-il y avoir un mécanisme de règlement des différends de gouvernement à gouvernement dans un éventuel ALEA? Je pense que oui. De toute évidence, les conflits qui ne peuvent pas être portés devant l'OMC devront quand même être réglés, et les parties à l'ALEA auront besoin d'un mécanisme de ce genre pour les cas où elles n'arriveraient pas à s'entendre. Le projet de mécanisme de règlement des différends de l'ALEA semble modelé sur celui de l'OMC, qui présente de nets avantages par rapport à celui de l'ALENA. Si l'ALEA voit le jour et s'il y a des différends qui opposent des partenaires de l'ALEA et qui peuvent être portés devant l'OMC, ils le seront immanquablement.

Le chapitre 11 de l'ALENA a pris tout le monde par surprise. Ses dispositions vont plus loin que les dispositions de l'Accord de libre échange canado-américain sur les investissements. Personne n'avait prévu la controverse qu'elles déclencheraient. C'est peut-être en partie parce que les négociateurs avaient mal compris la portée potentielle de ces dispositions. Il y a cependant aussi d'autres facteurs à considérer, y compris certaines idées fausses répandues dans le grand public quant à la nature et aux effets du chapitre 11 de l'ALENA.

Ses dispositions sont-elles aussi déplorables que le laissent entendre ses détracteurs? La plupart des gens qui critiquent le chapitre 11 de l'ALENA ne se rendent pas compte que les droits qu'il accorde aux investisseurs étrangers, qui peuvent porter plainte contre le pays où ils ont investi, se retrouvent déjà dans de nombreux traités bilatéraux sur les investissements. Le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements, le CIRDI, prévoit un mécanisme pour les plaintes de ce genre, qui sont de plus en plus nombreuses. Il faut voir cette question dans un contexte plus vaste, et tenir compte du fait que les différends de ce genre entre pays et investisseurs sont portés plus souvent qu'avant devant des organes de règlement des différends.

Les obligations que le chapitre 11 impose aux parties envers les investisseurs étrangers — application de normes minimales de traitement, limitation des expropriations et exigences de rendement — se reflètent dans bon nombre d'accords bilatéraux sur l'investissement. Le chapitre 11 inclut également les obligations de libre-échange liées à la NPF et au traitement national. Ce sont toujours les détails qui posent des problèmes, et il faut interpréter ces obligations. C'est ce qui peut mener à des débats et à des désaccords. De plus, le problème est encore compliqué par le fait que ce processus se déroule dans le cadre d'un arbitrage ad hoc auquel participe l'investisseur, plutôt que d'un arbitrage entre gouvernements ou d'un tribunal fondé sur des institutions plus tangibles.

Les conséquences présumées du chapitre 11 sur la protection de l'environnement soulèvent des préoccupations particulières. Les gouvernements hésiteront-ils à appliquer des lois appropriées en matière d'environnement de peur de se mettre à dos un investisseur d'un autre pays signataire de l'ALENA qui réclamerait une indemnisation pour l'expropriation d'un intérêt quelconque? Il ne fait aucun doute que la possibilité de poursuites incitera les gouvernements à réfléchir plus sérieusement avant d'agir, ce qui n'est pas nécessairement une mauvaise chose. Les actions intentées jusqu'ici, dont une bonne partie ont un rapport avec l'environnement, ne permettent pas d'accréditer la thèse selon laquelle la liberté d'action des gouvernements est indûment restreinte.

Des mesures arbitraires et discriminatoires prises par des gouvernements ou par leurs fonctionnaires peuvent entraîner une obligation de réparer. C'est ce qui s'est passé dans l'affaire Ethyl, que le Canada a réglée au sujet de l'interdiction visant l'ajout d'un additif dans l'essence; dans l'affaire Metalclad, dans laquelle le Mexique a été tenu responsable; et de l'affaire SD Myers, dans laquelle c'est le Canada qui a été tenu responsable. Ces deux dernières affaires portaient sur des déchets dangereux. Il est possible de ne pas approuver les raisons invoquées dans ces deux cas, ou encore les décisions rendues, mais il n'est pas crédible de prétendre que ces décisions ont imposé des limites déraisonnables empêchant des gouvernements d'adopter des lois sur l'environnement. L'obligation, pour les gouvernements, de ne pas agir de façon arbitraire ou discriminatoire me paraît une restriction raisonnable.

Cependant, le chapitre 11 de l'ALENA soulève deux problèmes potentiels en ce qui a trait à la substance des obligations contractées par les États. Le premier se rattache à la portée de la notion d'expropriation, et le deuxième a à voir avec la norme minimale internationale prévue au chapitre 11 de l'ALENA, une norme concernant le traitement que chaque partie à l'ALENA doit accorder aux investisseurs des autres parties. Les parties à l'ALENA ont cependant clarifié certains malentendus relatifs à l'interprétation de cette norme dans le cadre d'une interprétation fournie par les gouvernements.

Pour ce qui est de l'expropriation, le libellé de la disposition à cet égard semble plutôt général, en ce sens qu'il couvre les «mesures apparentées à l'expropriation» tout autant que l'expropriation comme telle. La question qui se pose, c'est de savoir si les gouvernements des parties à l'ALENA devraient indemniser les investisseurs d'autres parties qui seraient touchés par des décisions ou des mesures gouvernementales prises dans l'intérêt public. Cette possibilité — à savoir que des gouvernements qui prendraient des mesures dans l'intérêt public pourraient être obligés de verser des indemnités — suscite de sérieuses inquiétudes. Le fait que les investisseurs du pays n'auraient pas droit, pour leur part, à une indemnité parce qu'ils ne jouiraient pas des mêmes droits que les investisseurs étrangers sous le régime de l'ALENA a exacerbé le sentiment d'injustice. Les décisions du tribunal chargé de l'application du chapitre 11 ne permettent pas de croire, jusqu'ici, que des limites déraisonnables aient été imposées à des gouvernements. Le fait que les parties à l'ALENA puissent interpréter l'accord de manière exécutoire pour les tribunaux chargés du chapitre 11 signifie qu'elles peuvent clarifier les dispositions qui soulèvent des incertitudes, ce qui annulerait les effets d'interprétations particulières.

Cela dit, après ce commentaire plutôt optimiste, je dois ajouter qu'il y a des aspects qui pourraient être améliorés. Premièrement, le processus pourrait être plus transparent. Les plaidoyers des parties en présence dans toute affaire relative au chapitre 11 de l'ALENA devrait être rendu public, et les audiences devraient être ouvertes au public. Une bonne part de l'appréhension que suscite le chapitre 11 découle tout simplement du secret qui l'entoure. C'est pourquoi certains ont demandé l'autorisation de déposer des mémoires d'intervenants désintéressés afin de présenter leur propre point de vue au tribunal, mais cela ne garantirait pas plus d'ouverture et de transparence. Si un investisseur du pays décidait de poursuivre le gouvernement du Canada, l'affaire serait entendue par un tribunal public. Si un investisseur d'une partie à l'ALENA faisait la même chose en vertu du chapitre 11, pourquoi cela ne pourrait-il pas se faire aussi dans le cadre d'une enquête publique?

L'argument selon lequel il faut garder le secret pour protéger des renseignements commerciaux confidentiels ne tient pas. Les audiences relatives au chapitre 19 de l'ALENA, qui portent sur les droits antidumping et les droits compensateurs et qui exigent le dépôt de renseignements confidentiels, se déroulent en public. Je ne pense pas que la nécessité de protéger les renseignements confidentiels des entreprises soit incompatible avec l'ouverture et la transparence. Les parties à l'ALENA sont en faveur d'une plus grande transparence dans ce processus. Elles devraient aller un peu plus loin et faire en sorte que les audiences relatives aux affaires relevant du chapitre 11, tout comme les délibérations des tribunaux canadiens, soient ouvertes au public.

L'autre élément que je tiens à souligner se rattache au mélange complexe, dans le chapitre 11, d'arbitrage commercial, de droit commercial international et de droit de l'investissement. Il y a peu de gens qui possèdent les compétences ou les connaissances nécessaires pour pouvoir siéger aux tribunaux d'application du chapitre 11. Il est donc extrêmement difficile de constituer ces tribunaux. L'arbitrage commercial privé est différent de l'arbitrage concernant des gouvernements.

Le chapitre 11 fait partie d'un traité conclu par les parties à l'ALENA; ce n'est pas un simple contrat privé. Le règlement des différends, dans ce contexte, présente certaines caractéristiques particulières. Les autres parties à l'ALENA sont autorisées à siéger à l'audition d'une affaire opposant un investisseur et une partie à l'ALENA, et à faire des représentations au tribunal. Les parties ont le droit de modifier le traité ou les droits des investisseurs. Les investisseurs d'une des parties à l'ALENA ne jouissent que des droits que veulent bien leur accorder l'ensemble des parties. Les parties se sont réservé le droit d'interpréter les dispositions de l'ALENA, et leurs interprétations sont exécutoires pour les tribunaux chargés de l'application du chapitre 11.

Ces particularités du processus relatif au chapitre 11 soulèvent certaines interrogations sur le processus d'arbitrage ad hoc — ce que sont en réalité les tribunaux de l'ALENA. Quand on constitue des tribunaux en vertu du chapitre 11 en faisant appel à des gens qui connaissent assez mal plusieurs des points de droit incarnés dans ce chapitre, je pense que les résultats risquent d'être imprévisibles et, dans les pires cas, incohérents. L'arbitrage ad hoc risque de donner des résultats ad hoc. Comparons l'approche adoptée pour le chapitre 11 de l'ALENA avec celles de l'Union européenne et de l'OMC. Dans le cas de l'Union européenne, il y a un tribunal composé de membres à temps plein qui peuvent assurer une certaine continuité et qui bénéficient d'un soutien administratif substantiel. À l'OMC, il y a un système de groupes spéciaux ad hoc, mais ils sont complétés par un organe d'appel permanent, qui peut lui aussi assurer une certaine continuité dans l'interprétation et l'application de la loi.

Plutôt que d'édulcorer le mécanisme de règlement des différends prévu au chapitre 11 de l'ALENA, comme certaines personnes le préconisent, je dirais que ce qui manque, c'est un cadre institutionnel. Ce mécanisme se rattache à l'interprétation et à l'application de dispositions susceptibles d'avoir des répercussions importantes sur les pouvoirs de réglementation des gouvernements; ce sont des questions beaucoup trop fondamentales pour qu'on les laisse à l'arbitrage ad hoc. Il est vrai qu'il y a des possibilités d'examen judiciaire. Je pense que cela s'est fait avec succès dans l'affaire Metalclad, mais l'examen judiciaire est aussi une procédure ad hoc. En vertu du chapitre 11, tout dépend du pays et du tribunal où se tient cet examen.

Si le Canada et le Mexique étaient tous les deux membres du CIRDI, ce serait une partie de la solution. Le CIRDI assure une certaine forme d'arbitrage ad hoc, mais il a un fondement institutionnel et un mécanisme d'examen. Ce qui serait encore mieux, ce serait que les parties à l'ALENA combinent l'arbitrage ad hoc prévu au chapitre 11 avec un processus d'appel quelconque — peut-être modelé sur celui de l'OMC — qui permettrait de corriger les erreurs des tribunaux et qui garantirait une certaine cohérence et une certaine prévisibilité dans l'interprétation et l'application du chapitre 11.

Le président: Merci beaucoup. C'était très intéressant. Monsieur Clark, vous voulez continuer?

M. Peter Clark, associé, Grey, Clark, Shih and Associates, Limited: Je voudrais vous parler des moyens à prendre pour assurer à nos produits et services un accès sûr et complet au marché américain, de manière à compléter vraiment l'ALENA ou ce qu'il devait permettre de faire.

Je cherche peut-être à aller un peu plus loin que la plupart des gens de mon domaine sont prêts à le faire, mais en 1978, quand le sénateur van Roggen a publié son rapport dans lequel il préconisait l'élimination des barrières tarifaires, je ne suis dit que ce n'était pas suffisant et qu'il fallait aller plus loin. Nous l'avons fait, mais nous devons aller encore plus loin si nous voulons obtenir le genre d'accès que nous voulons au marché américain, ce qui nous mettra tous sur le même pied pour faire du commerce et pour attirer les investisseurs.

Mais ce ne sera pas facile. J'ai décidé de soulever avec vous un certain nombre de questions qui me sont venues à l'esprit. La situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui — sauf pour ce qui est de l'importance que les autorités frontalières accordent actuellement à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme — ressemble en fait beaucoup à celle qui existait avant la négociation de l'Accord de libre-échange canado-américain. Nous avions des problèmes avec le bois d'oeuvre. Nous avions des problèmes, à l'époque, avec l'industrie automobile. Nous avions des problèmes dans différents secteurs. Mais nous nous sommes assis ensemble et nous avons réglé la plupart de ces problèmes, et nous avons ensuite amélioré les choses encore davantage dans le contexte de l'ALENA.

La libre circulation du trafic commercial et des gens d'affaires à la frontière pose un problème très sérieux. Nous devrions pouvoir le régler un de ces jours, mais cela nécessitera beaucoup de travail et il pourrait y avoir des perturbations considérables si nous ne gardons pas la tête froide et si les gens qui sont appelés à se pencher sur ces questions ne font pas tout leur possible pour permettre aux marchandises de traverser facilement la frontière de part et d'autre.

Malheureusement, ceux de l'autre côté de la frontière n'y tiennent pas. Ce qui les intéresse, c'est de garder les problèmes — qui viennent du Canada, dans leur optique — à l'extérieur du pays. Le débat sur cette question se déroule surtout au Canada jusqu'ici, et il porte surtout sur ce que veut le Canada. Il n'y a vraiment aucun débat sur l'expansion du commerce entre le Canada et les États-Unis, ni sur la libéralisation plus poussée des marchés actuels aux États-Unis. À ma connaissance, le Mexique ne fait pas de pressions du même genre pour élargir les obligations mutuelles des deux pays et améliorer l'accès en vertu de l'ALENA. Les Mexicains s'intéressent surtout à certaines questions qui nous préoccupent nous aussi, mais pour le moment, leurs principaux problèmes semblent se rattacher aux répercussions qu'aura le Farm Bill américain sur leur économie et aux autres questions touchant l'agriculture, ainsi qu'au fait qu'ils n'obtiennent pas ce qu'ils pensaient obtenir.

Aux États-Unis, il y a encore des gens qui sont d'accord avec Ross Perot quand il parle de l'intensification du commerce avec le Mexique et du fait que les emplois partent du Mexique. Nous pourrions peut-être faire quelque chose avec le Canada, mais pourquoi devrions-nous aller plus loin avec le Mexique? Le problème se pose encore.

Quel sera le prix à payer pour nous, les Canadiens, si nous voulons garder notre capacité de gérer notre pays et préserver nos différences? Pourrons-nous préserver notre diversité culturelle si l'intégration est plus poussée? Jusqu'où devrons-nous aller, dans cette intégration plus poussée, pour que cela fonctionne? En réalité, le problème qui revient sans cesse quand nous discutons avec les Américains de la possibilité d'avoir un marché unique, c'est qu'ils considèrent le Canada comme la porte arrière vers leur marché. Comment faire pour nous assurer que cette porte arrière reste ouverte? Comment nous assurer que les produits ne pourront pas venir d'autres marchés?

Nous devons mettre les Américains en confiance. Malheureusement, nos voisins se replient de plus en plus sur eux- mêmes. Ils sont de plus en plus isolés. Nous allons devoir bâtir un certain niveau de confiance si nous voulons avoir accès à leur marché. La presse rapportait récemment que le ministre Manley recherchait une approche plus graduelle pour conquérir le marché américain, plutôt qu'une solution du genre «big bang» qui consisterait à intégrer les marchés du jour au lendemain. Ce commentaire reflète les inquiétudes de certains milieux politiques. Le ministre a dit également que personne, aux États-Unis, n'était vraiment intéressé à un «big bang» de ce genre.

Cependant, pour nous soustraire aux lois américaines sur les recours commerciaux, nous devrions nous diriger vers une union douanière, ce qui assurerait un contrôle du commerce au périmètre. Cela répondrait peut-être aux critiques américaines au sujet de l'argument de la «porte arrière», mais qu'est-ce que cela impliquerait au juste? Une union douanière implique un tarif extérieur commun, qui permet aux marchandises arrivant sur le territoire de l'union douanière d'y circuler librement une fois qu'elles sont entrées et que les droits de douane ont été acquittés. Il faut aussi une politique commune en matière de commerce extérieur, ce qui signifie que les lois commerciales portant par exemple sur les droits antidumping et les droits compensateurs s'appliqueraient alors partout à l'intérieur du périmètre. S'il y avait des garanties imposées aux États-Unis relativement aux mesures antidumping, elles s'appliqueraient à tout le Canada selon le système européen. Du point de vue de l'industrie canadienne de l'acier, dont votre comité et le ministre Manley ont déjà parlé et que le ministre Pettigrew a mentionnée dans la presse de samedi, c'est intéressant pour l'industrie canadienne parce qu'elle bénéficierait alors de la «Forteresse Amérique du Nord». Les aciéries canadiennes aimeraient bien bénéficier des mesures protectionnistes américaines. Mais où les politiques seraient-elles établies?

Pourrions-nous, au Canada et au Mexique, fonctionner comme la Commission européenne le fait à Bruxelles? J'en doute. C'est une organisation qui regroupe de nombreuses parties dont la taille et le degré d'influence varient, mais où il y a un certain équilibre. Ce qui n'est pas le cas entre le Canada et les États-Unis.

Par exemple, nous avons vu dans le rapport du comité à la Chambre, ainsi que dans les déclarations de M. Manley et de M. Pettigrew, que nous devrions peut-être avoir un marché parfaitement concurrentiel pour l'acier. Qu'est-ce que cela signifie? Est-ce que cela veut dire que nous n'appliquerions pas les lois sur les droits antidumping et les droits compensateurs? Les industries se sont déjà entendues en gros dans ce sens-là, dans le contexte de l'American Iron and Steel Institute. Les aciéries américaines ne l'ont jamais reconnu, mais c'est ce qui se passe en pratique. Bien sûr, les aciéries américaines sont un peu plus sensibles aux règles antitrust que les nôtres semblent l'être ici à la politique de concurrence.

On ne peut pas créer une union douanière cohérente dans le cadre de l'OMC avec un seul produit. Il faut couvrir à peu près tous les échanges, c'est-à-dire au moins 85 p. 100. Il faut un plan et un échéancier pour amener le reste des produits sous le régime du libre-échange. Il n'est pas impossible d'en arriver à un accord ou à un cessez-le-feu quelconque et de s'entendre pour ne pas prendre de recours commerciaux l'un contre l'autre. Cela ne peut pas se faire par contrat parce que ce serait contraire aux règles de l'OMC.

Il y a eu divers groupes de travail qui ont été établis dans le cadre de l'ALENA, mais qui n'ont rien fait, que ce soit parce que chacun cherchait à protéger son territoire des deux côtés de la frontière ou à cause de l'inertie naturelle des bureaucraties. Les États-Unis n'accepteront pas facilement d'adopter nos régimes. Nous allons devoir adopter les leurs.

Quand nous discutions du rapport Van Roggen sur le libre-échange à la fin des années 70, nous avons demandé au président de mon groupe, Rodney Grey, qui avait été ambassadeur du Canada à Genève pendant la ronde de négociations de Tokyo, s'il croyait que le libre-échange entre le Canada et les États-Unis était une bonne idée. Il a d'abord voulu savoir combien de sénateurs nous pourrions envoyer à Washington. Cette observation était judicieuse à l'époque, et elle l'est encore aujourd'hui.

Nous allons perdre le contrôle et nous allons devoir renoncer à notre souveraineté. Il pourrait être nécessaire de le faire à un moment donné, mais c'est un jeu qui se joue entre un gros et un petit. Il ne s'agit pas de savoir qui a raison et qui a tort. Nous l'avons vu dans un certain nombre de conflits avec les États-Unis. C'est un jeu qui ne se joue pas entre partenaires égaux.

J'ai entendu toutes les anecdotes que racontent mes amis des Affaires étrangères au sujet du fait que le Canada se classe dans une catégorie supérieure à son poids réel dans les négociations sur ces accords internationaux, et c'est vrai. Nous avons effectivement plus de poids que les gens le pensent. Mais, quand on a affaire aux États-Unis, ce n'est pas en les frappant sur les rotules qu'on gagne le combat. Il faut les convaincre. Or, ils ne sont pas convaincus.

Si nous voulons passer à un ALENA plus complet, puisque c'est le point de départ, cela voudrait dire que le Mexique le voudrait aussi, mais il ne s'y est pas montré tellement intéressé.

Voyons un peu quelques-uns des problèmes auxquels nous devons faire face. Mme Macmillan a mentionné l'agriculture, où il va se passer des choses en ce qui concerne le règlement des différends. Cela va devenir évident d'ici à peu près deux mois, quand les agriculteurs qui ont perdu leur cause dans la contestation des exportations canadiennes de lait vont contester à leur tour les États-Unis et la Nouvelle-Zélande en soutenant que tout le monde doit respecter les règles.

Les États-Unis ne risquent guère de renoncer au soutien très généreux qu'ils accordent à leurs agriculteurs. Ce soutien permet aux agriculteurs américains de planter et de vendre sans se soucier des coûts ou des prix. Et cela contribue à faire baisser les prix des prix agricoles et des matières premières dans le monde entier. Le Canada est particulièrement touché parce qu'il n'y a à peu près pas de transport vers le marché canadien. Les Américains considèrent cette aide financière comme une mesure de soutien du revenu pour compenser le soutien que l'Union européenne accorde à ses agriculteurs, et qui crée selon eux un déséquilibre sur les marchés mondiaux. Mais l'Union européenne augmente son appui en réponse à ce que font les Américains avec leur Farm Bill.

Et que fait le Canada? Est-ce que nous pouvons offrir les mêmes avantages? Pas vraiment. Cela coûte très cher.

Les contrôles d'État en agriculture n'existent pas aux États-Unis — du moins, c'est ce que disent les Américains. La cible la plus visible est la Commission canadienne du blé. Elle ne survivrait pas dans le cadre d'une politique agricole commune dont Washington fixerait les règles.

Les agriculteurs américains seraient peut-être attirés par nos régimes de gestion de l'offre des produits agricoles, qui procurent certains avantages aux agriculteurs canadiens qui en bénéficient. Mais quel serait le résultat d'efforts de lobbying, aux États-Unis, visant à importer ces règles là-bas? Ces règles fixeraient en fait les prix que les entreprises de transformation paieraient pour les produits agricoles bruts ou ceux que les consommateurs paieraient en bout de ligne. Cela se fait déjà dans une certaine mesure aux États-Unis — dans le cadre du programme du sucre — et c'est très critiqué. Il est peu probable que cela puisse s'étendre à d'autres secteurs déjà dominés par les grandes entreprises agricoles.

En même temps, pendant combien de temps pourrons-nous garder nos produits soumis à la gestion de l'offre en dehors des marchés américains? Il y a une différence majeure entre la culture commerciale du Canada et celle des États- Unis en ce qui concerne les interventions gouvernementales dans le commerce et dans les affaires. C'est une réalité qui serait sérieusement érodée, sinon totalement sacrifiée, par une intensification de nos relations.

Je ne passe pas de jugement sur ce que nous devrions faire ou ne pas faire. Ce sont des questions dont vous allez probablement entendre parler et que vous devrez prendre en considération quand vous préparerez votre rapport. C'est également la clé des problèmes que nous connaissons toujours sur le front du bois d'oeuvre.

Quelle est la réponse à donner aux États-Unis? Il faut se débarrasser du système provincial de droits de coupe et créer un environnement de vente aux enchères, dans lequel les entreprises américaines de transformation pourraient aussi faire concurrence pour les ressources canadiennes. C'est ce qui semble être la solution. Peter Morton en a parlé de Washington dans le National Post de ce matin.

Il y a d'autres problèmes. Les États américains offrent une aide très généreuse pour inciter les entreprises à s'y implanter, ce qui s'ajoute au fait que le climat est plus agréable dans bon nombre de ces régions. Les États peuvent profiter de subventions à cet égard sans s'inquiéter vraiment des risques de recours commerciaux du Canada ou du Mexique parce que 90 ou 95 p. 100 de leur production reste aux États-Unis. Cependant, si le Canada décide de son côté d'offrir une aide régionale à une entreprise qui vend sur le marché nord-américain et qui exporte de 50 à 80 p. 100 de sa production aux États-Unis, nous pourrions bien nous rendre compte que les sommes investies par le gouvernement pour l'implantation de cette entreprise s'en vont dans les caisses du Trésor américain. C'est ce qui s'est passé dans le cas de Michelin dans les années 70. Si nous ne nous prémunissons pas contre ce genre de chose, ce sera toujours un facteur favorable aux investissements aux États-Unis.

Le système d'achats gouvernementaux n'est pas aussi ouvert aux États-Unis qu'au Canada. Il est lié aux lois privilégiant l'achat de biens américains, produits notamment par les petites entreprises et les minorités, et à d'autres mécanismes d'impartition réservée.

Nous avons nous aussi des mécanismes de ce genre. Mais le secteur des petites entreprises est plus développé là-bas qu'ici. Il sera très important pour les Canadiens de pouvoir aller puiser dans ce filet.

Pour le règlement des différends, le gouvernement canadien s'est montré beaucoup plus disposé — on n'a pas tellement le choix quand on a affaire aux États-Unis — à faire en sorte que les pratiques provinciales soient conformes aux règles internationales que les États-Unis se sont montrés prêts à prendre des mesures au niveau infranational. Leur réaction en ce qui concerne leurs États, en général, c'est de dire que ceux-ci ne sont pas vraiment liés par les obligations contractées dans le cadre de l'OMC, pas plus que par celles qui découlent de l'ALENA. Si les États font quelque chose qui est jugé non conforme aux règles, les États-Unis sont prêts à payer une pénalité pour leur permettre de continuer.

Il y a des problèmes. Il y a des questions à régler.

Du point de vue du commerce et de l'investissement, il faut que le marché canadien soit intégré à celui des États- Unis. Qu'on appelle cela une union douanière ou un marché commun, cela n'a pas d'importance à mon avis. Dans une union douanière, les règlements internes sont généralement moins harmonisés que dans un marché commun. Mais, pour que ce soit efficace, il faut une certaine harmonisation. Les mêmes règles doivent s'appliquer à tout le monde. Voilà pour la perspective économique. Mais vous travaillez dans une perspective politique, et les choses sont peut-être beaucoup moins attrayantes de ce point de vue-là.

Le président: Merci beaucoup. C'était très intéressant.

Le sénateur Graham: Monsieur Clark, quand vous avez parlé des nombreux commentaires de Ross Perot sur le libre- échange, il me semble vous avoir entendu dire que les emplois partaient «du Mexique». Vous vouliez dire qu'ils partaient «pour le Mexique»?

M. Clark: Si j'ai dit qu'ils partaient «du Mexique», je me suis trompé. Je voulais dire «pour le Mexique».

Le sénateur Graham: Merci. Je voulais le préciser pour le compte rendu.

Vous avez parlé des moyens à prendre pour nous assurer un accès garanti au marché américain. Il y a des gens qui n'étaient pas enthousiastes au sujet de l'Accord de libre-échange en 1988. Nous nous rappelons tous les débats qui se sont déroulés à ce moment-là. Si je me souviens bien, ceux qui s'opposaient à l'Accord de libre-échange, tel qu'il se présentait à ce moment-là, avançaient essentiellement deux grands arguments. Le premier portait sur le manque de garanties quant à l'accès au marché américain, et l'autre se rattachait à l'absence de mécanisme exécutoire de règlement des différends. Que pensez-vous de ces deux arguments?

M. Clark: M. McRae a parlé de l'absence de mécanisme de règlement des différends dont les décisions seraient vraiment exécutoires. Il a raison. Il n'existe pas de mécanisme de règlement efficace pour les différends plus généraux, à part ceux qui se rattachent aux droits antidumping et aux droits compensateurs. J'attribue en partie cette lacune au processus de sélection établi par les négociateurs, un processus qui est peut-être nettement mieux adapté à des gens qui se demandent comment régler des différends à la faculté de droit sans que cela n'ait de véritables applications pratiques entre gouvernements. Ce n'est vraiment pas exécutoire. Et j'ai déjà dit par ailleurs que les États-Unis réussissaient souvent à se soustraire aux décisions qui leur étaient défavorables.

L'accès est plus ou moins garanti, sauf que nous n'avons pas réussi à nous adapter aux changements de règles aux États-Unis, comme cela s'est déjà produit avec des conséquences désastreuses pour l'industrie du sucre à Windsor. Les Américains ont modifié leur classification tarifaire, et cela a presque mis l'entreprise en faillite.

En ce qui a trait aux droits antidumping et aux droits compensateurs, les Américains ont offert — mais nous avons rejeté leur offre — de supprimer les droits antidumping entre les deux marchés. Cependant, le maintien des droits antidumping et des droits compensateurs pouvant être appliqués contre le Canada demeure un problème difficile. Cela touche probablement bien moins de 5 p. 100 de l'ensemble de nos échanges. Le reste prend de l'expansion de façon très satisfaisante.

Nous avons toujours tendance à nous faire prendre dans les secteurs très prospères, où il y a un fort volume. Donc, tant que nous serons soumis à ces règles sur les recours commerciaux et que les gens qui vendent de l'acier à Hamilton ne seront pas traités de la même façon que ceux qui en vendent à Chicago, nous n'aurons pas vraiment un marché complètement libre et accessible.

Le sénateur Di Nino: Monsieur Clark, l'étude des dossiers montrerait que le mécanisme en place pour le règlement des différends n'a pas toujours été défavorable au Canada. Qu'en pensez-vous?

M. Clark: Dans les premiers temps de l'application du mécanisme prévu au chapitre 19, nous nous en tirions assez bien. Mais nous n'arrivons pas à grand-chose avec le chapitre 19 par les temps qui courent, pour ce qui est des droits antidumping et des droits compensateurs. Le Canada a cependant remporté une victoire majeure au sujet des produits soumis à la gestion de l'offre dans la seule affaire entendue en vertu du chapitre 20 sous le régime de l'ALENA, par opposition à l'Accord de libre-échange nord-américain.

Le Canada a obtenu d'assez bons résultats. Quand on regarde le mécanisme de règlement des différends de l'OMC, dans la plupart des cas où nous avons perdu, c'est parce que nous avions des mesures en place depuis longtemps qui n'étaient pas conformes aux règles du GATT et de l'OMC. Jusqu'à un certain point, il a peut-être été plus facile pour le gouvernement de s'attaquer à ces questions après avoir fait l'objet d'une condamnation internationale que s'il n'avait pas été condamné.

Le sénateur Di Nino: Vous avez parlé de marché unique, et je tiens à souligner que vous avez dit cela spécifiquement au sujet des États-Unis, et non dans le cadre de l'ALENA. Je pense que vous avez employé l'expression «harmonisation des marchés». Mais vous n'avez pas parlé de monnaie unique. Qu'avez-vous à dire sur cette question?

M. Clark: Un des problèmes que nous allons devoir résoudre, c'est que la devise est plus faible au Canada. Avec ou sans le type d'intégration ou de marché unique dont je vous ai parlé, il y aura de plus en plus de pressions pour que nous adoptions le dollar américain ou que nous passions à une monnaie unique — qui serait en fait le dollar américain. Mme Macmillan est beaucoup plus au courant de ces questions que moi.

Le sénateur Di Nino: Monsieur Clark, vous avez dit que nous devrions renoncer à notre souveraineté. Nous avons aussi parlé de l'élargissement de l'ALENA. Vous avez dit que le Mexique n'était peut-être pas aussi intéressé que le Canada pourrait l'être. Pensez-vous que notre souveraineté serait mieux protégée si l'accord commercial n'englobait pas seulement les trois pays signataires actuels? Est-ce que c'est quelque chose que nous devrions envisager?

M. Clark: Je ne pense pas que nous en arriverons à un Accord de libre-échange des Amériques à moins qu'il s'agisse d'un accord entre les pays de l'ALENA et les autres pays de l'hémisphère.

Dans ce contexte, il y aurait plus de diversité. Il serait possible de fonctionner à l'intérieur d'une structure plus semblable à celle de la Commission européenne. Il faudrait d'abord conclure un accord de libre-échange. Il serait plus difficile d'établir une union douanière dans l'hémisphère, parce qu'il n'y a pas tellement de frontières communes et que les distances sont grandes. Ce n'est pas impossible, mais cela prendrait plus de temps.

Le président: Je suis le seul sénateur de notre groupe à avoir accompagné le sénateur MacEachen à Washington en 1988, à l'époque où il était question de l'ALE. J'étais également membre du comité présidé par George van Roggen. Je me rappelle d'une discussion passionnante — avec Sam Gibbons, du Congrès, je pense — quant à savoir si le mécanisme de règlement des différends fonctionnerait ou pas. À ce moment-là, nous avons eu une impressionnante série de rencontres avec le comité de M. Gibbons. Nous avons rencontré un petit-fils du secrétaire du gouvernement Grant, qui a mis fin à tout accord de libre-échange avec le Canada quand George Brown est allé en négocier un en 1868 ou 1869. C'était un de ces noms que nous connaissons tous, «M. Machin Truc troisième du nom». À ce moment-là, aucun des Canadiens n'était conscient de l'importance historique de cet homme, qui représentait la vallée de l'Hudson au Congrès. Je ne reconnaissais pas son nom, et aucun des Canadiens n'était conscient du rôle historique qu'avaient joué ses ancêtres. Il représentait la vallée de l'Hudson au Congrès. Je suis désolé de ne pas me rappeler son nom.

Le sénateur MacEachen avait dit que le mécanisme de règlement des différends n'était pas exécutoire, et c'était vrai. Nous avions eu une discussion très intéressante. Cela devient très compliqué parce que, comme nous venons de l'entendre dire, il y a en réalité trois chapitres qui se rapportent aux mécanismes de règlement des différends: les chapitres 11, 19 et 20. Il faut que les membres du comité le comprennent bien.

Pourquoi le Canada et le Mexique ne sont-ils pas membres du CIRDI?

M. McRae: D'après ce que j'ai pu comprendre, puisque cela recoupe des domaines de compétence provinciale, il faudrait avoir le consentement de toutes les provinces; or, elles ne sont pas encore toutes convaincues de l'intérêt d'en devenir membres.

Le président: Qui sont les membres du CIRDI? Est-ce qu'il y a seulement quelques pays menés par les États-Unis ou s'il s'agit d'une organisation légitime comptant un grand nombre de membres?

M. McRae: C'est une organisation assez grosse pour être légitime, qui compte un certain nombre de pays. Le siège du CIRDI se trouve à Washington. Le problème, c'est que le Canada et le Mexique n'en font pas partie, ce qui a mené aux différents mécanismes de règlement des différends prévus au chapitre 11 — il y a trois mécanismes différents qui peuvent être appliqués.

Je pense que le Canada n'a pas d'objection de principe à devenir membre; il s'agit d'amener les provinces à signer.

Le président: J'ai trouvé votre description des groupes spéciaux de l'ALENA et de l'OMC très intéressante. J'y pense dans le contexte de notre discussion passionnante avec M. Gibbons, du Congrès, à Washington. Nous ne pensions pas aux groupes spéciaux de l'OMC à ce moment-là, même si d'autres y pensaient peut-être.

Quel est le processus le plus coûteux pour une entreprise ou une industrie: celui de l'ALENA ou celui de l'OMC?

M. McRae: Les deux coûtent cher. Si vous voulez parler du chapitre 20 de l'ALENA, il s'agit dans les deux cas de mécanismes de règlement des différends de gouvernement à gouvernement. En principe, ce sont les gouvernements qui absorbent les coûts du conflit, tant à l'ALENA — en vertu du chapitre 20 — qu'à l'OMC, quand ce sont des entreprises qui sont en cause, évidemment. La représentation se fait purement au niveau des gouvernements. Dans le cas du chapitre 11, c'est l'entreprise elle-même qui soulève l'affaire et c'est donc elle qui en absorbe les coûts.

Le processus de l'OMC se fait uniquement de gouvernement à gouvernement, et ce sont par conséquent les gouvernements qui paient.

Le président: J'ai assisté à Genève à une intéressante discussion à ce sujet-là. J'ai entendu dire que, dans le conflit du bois d'oeuvre, on avait dépensé jusqu'ici 200 millions de dollars en frais juridiques. C'est incroyable. Je ne sais pas qui paie ces frais, mais j'aimerais avoir vos commentaires à ce sujet-là.

M. Clark: Ces frais juridiques ont été assumés par les deux parties au litige, aux États-Unis, en vertu des lois sur les droits antidumping et les droits compensateurs. En ce qui concerne les coûts que doivent supporter les parties privées dans le règlement des différents, ils sont probablement un peu plus élevés à l'OMC qu'à l'ALENA parce que nous n'avons pas fait grand-chose sous le régime de l'ALENA.

Les parties privées qui travaillent avec les gouvernements assument certains coûts. Je me souviens que les coûts liés à la contestation portée par l'industrie laitière devant l'ALENA en 1995 étaient substantiellement moins élevés que ceux qu'a entraînés la contestation des subventions à l'exportation à l'OMC.

À l'OMC, il y a d'autres options. Il est possible de s'adresser à l'organe d'appel, et il y a aussi des examens de conformité et d'autres examens qui portent sur les sommes qui ont dû être versées pour non-conformité. Le processus de l'OMC est plus structuré, et le gouvernement a des ressources limitées. Il compte sur les entreprises en cause. Si les gens de Bombardier devaient comparaître devant le comité, ils pourraient vous donner une bonne idée de ce que les conflits sur la construction aéronautique ont coûté à leur entreprise, en termes de temps, d'efforts, de frais juridiques et d'autres frais. Le président de la société aéronautique brésilienne m'a dit que cela lui avait coûté un avion. C'est beaucoup d'argent.

Le président: Les chiffres sont élevés: 200 millions de dollars pour le conflit sur le bois d'oeuvre. Combien le conflit du lait a-t-il coûté?

M. Clark: Probablement autour de 5 millions de dollars sur quatre ans, peut-être un peu plus.

Le sénateur Corbin: Les trois présentations que nous avons entendues aujourd'hui nous ont donné un excellent point de départ pour notre étude. Ma première question s'adresse à M. Clark, qui a parlé d'un jeu qui se joue «entre un gros et un petit». Vous avez mentionné aussi qu'il fallait convaincre les sénateurs américains — on ne peut pas tout simplement leur marteler les rotules ou les tibias. Pouvez-vous nous expliquer ce que vous voulez dire par là? Et, je vous en prie, ne mâchez pas vos mots!

M. Clark: Vous ne convaincrez pas les Américains d'ouvrir leur marché ou leur frontière si vous ne les mettez pas suffisamment en confiance. C'est ce que j'ai constaté dans mes rapports avec les Américains: ils vont vouloir dicter les conditions d'accès. Il s'agit de savoir si vous êtes capables de négocier avec une détermination inébranlable et obtenir tout ce que vous voulez. Vous obtiendrez peut-être ce que vous vouliez, mais vous ne serez peut-être pas satisfaits des conditions. Nous étudions le comportement des Américains parce que nous cherchons à les comprendre. Mais ils n'ont pas besoin de nous comprendre parce qu'ils fonctionnent sur une base d'information minimum, de demi-vérités, de spéculations et de peur. C'est à cela que nous devons faire face. Pour leur donner confiance, nous devrons peut-être accepter certains contrôles et certaines restrictions à notre liberté d'action, ce que nous percevrons comme des atteintes à notre indépendance et à notre souveraineté.

Mon commentaire au sujet du fait que nous nous classons «dans une catégorie supérieure à notre poids réel» vient d'une expression que les gens des Affaires étrangères emploient pour parler de nos négociations. Ils disent que le Canada se compare à un poids mouche qui combattrait contre des mi-lourds. Le Canada fait mieux qu'on pourrait s'y attendre compte tenu de donné sa taille et de son influence. C'est vrai. Nous avons des gens capables, et c'est pourquoi nous réussissons. Cela ne résout cependant pas nos problèmes quand ces problèmes ne découlent pas de raisons logiques, mais plutôt d'inquiétudes et de craintes qui ne sont pas nécessairement fondées sur la réalité ou sur les faits. Cela ne marche pas.

Le sénateur Graham: Vous avez aussi parlé, dans le même contexte, de «donner des coups de pied dans les tibias» et d'«envoyer plus de sénateurs à Washington». Vous suggérer d'envoyer des sénateurs canadiens à Washington?

M. Clark: Essentiellement, la question que je posais portait sur le nombre de sénateurs que le Canada pourrait élire et envoyer au sénat américain. Avec une bonne masse critique de 24 ou 25 sénateurs, nous pourrions probablement y influencer les décisions. Vous pourrez négocier tout ce que vous voudrez avec l'administration, mais si vous n'avez pas le sénat — en particulier — de votre côté, puisque c'est là que se trouve la mémoire institutionnelle et puisque les sénateurs peuvent faire ou défaire une entente, ce sera toujours à recommencer.

Le sénateur Graham: C'est ce que j'avais compris. Merci.

Madame Macmillan, vous avez dit qu'il était facile de commercer avec les États-Unis. Pourtant, les Américains voient le Canada comme une partie du problème, et non comme une partie de la solution. Est-ce que c'est une perception très répandue aux États-Unis?

Mme Macmillan: Quand j'ai dit qu'il était «facile de commercer avec les États-Unis», je voulais dire que c'est plus facile qu'avec l'Europe ou le Japon, par exemple. Il n'y a que deux ou trois pays — dont le Canada — qui n'ont pas conclu de pacte de libre-échange avec l'Europe. L'économie japonaise traverse de nombreuses difficultés actuellement. Mais nous avons des rapports commerciaux naturels avec les États-Unis.

Pour ce qui est de voir le Canada comme une partie du problème, plutôt qu'une partie de la solution, les Américains s'inquiétaient beaucoup des questions de sécurité et bien des gens avaient l'impression — à tort, d'ailleurs — que le Canada avait joué un rôle dans certaines des difficultés qu'ils ont connues ces derniers temps à cause du terrorisme. Les faits ne le confirment pas, mais nous avons un problème de marketing là-bas; nous devons essayer de changer ces perceptions. C'est un problème qui concerne des gens qui devraient pourtant être mieux informés, mais qui n'en pensent pas moins de cette façon. Je suis tout à fait d'accord avec M. Clark à ce sujet-là. Il faut rassurer les gens, à la fois symboliquement et par des mesures concrètes et significatives. Si nous nous attachons à le faire, ce n'est pas quelque chose qui compromet notre souveraineté, mais cela montre que nous sommes prêts à prendre les moyens nécessaires pour continuer à travailler à nos relations d'affaires — qui sont de bonnes relations — avec les États-Unis.

Le sénateur Graham: Vous avez dit aussi que le Canada devait offrir sa collaboration aux États-Unis. Vous avez cité deux exemples en particulier: la défense et l'énergie. Nous avons évidemment beaucoup entendu parler de défense ces dernières semaines, même par l'ambassadeur des États-Unis au Canada, qui a évoqué publiquement la nécessité que le Canada améliore ses capacités de défense. Quant à savoir s'il aurait dû en parler en public ou dans les coulisses de la diplomatie, c'est une question sur laquelle tout le monde peut spéculer.

Vous pourriez peut-être nous en dire plus long au sujet de la défense, mais plus spécifiquement au sujet de l'énergie. Pouvez-vous nous donner plus de précisions à ce sujet-là?

Mme Macmillan: Votre comité s'intéresse surtout au commerce, mais nous entretenons avec les États-Unis des relations à multiples facettes, qui englobent toute une gamme de questions économiques, politiques et institutionnelles. La défense et la sécurité énergétique sont deux préoccupations importantes des Américains en ce moment. Il est possible que nous puissions nous aider mutuellement à cet égard et nous servir de ces discussions pour promouvoir nos intérêts dans le secteur commercial.

Le sénateur Graham: Monsieur McRae, au sujet du chapitre 11, vous avez évoqué la nécessité d'avoir un processus plus transparent; vous avez dit que les plaidoyers des parties en cause dans les affaires relevant du chapitre 11 devraient être publics et que toutes les audiences devraient l'être également. Votre groupe s'entend-il sur la nécessité de cette transparence accrue? Si le groupe est unanime, que pouvons-nous faire pour augmenter cette transparence?

M. McRae: En ce qui concerne le chapitre 11 de l'ALENA, c'est très simple. Les parties à l'ALENA peuvent s'entendre tout simplement entre elles pour que les audiences soient ouvertes au public. Les États-Unis semblent favorables à une plus grande transparence. Le Canada aussi. Mais je ne suis pas certain que le Mexique appuie la tenue d'audiences publiques. À cet égard, les parties peuvent le faire elles-mêmes facilement.

Le sénateur Graham: Le Canada est partisan d'une plus grande transparence.

M. McRae: Je pense que oui.

Le sénateur Di Nino: Madame Macmillan, pour faire suite à une question qui lui a été posée au sujet d'un système à marché unique, M. Clark a employé le terme «harmonisation» et il a laissé entendre que vous seriez peut-être en mesure de nous dire si cela signifierait une monnaie unique; avez-vous des commentaires à faire à ce sujet-là?

Mme Macmillan: Oui, il me semble que vous aviez évoqué expressément l'idée d'adopter le dollar américain. C'est une idée qui fait l'objet d'un très vif débat entre économistes. Tom Courchesne, de l'Université Queen's, et Richard Harris, de l'Université Simon Fraser, en sont les principaux protagonistes. Le consensus général — quoiqu'il y ait des arguments tout à fait valables des deux côtés —, c'est que le moment n'est pas encore venu d'adopter le dollar américain. Je pense que c'est une question de coûts de transaction. Les entreprises canadiennes doivent assumer des coûts supplémentaires parce que, dans les faits, elles fonctionnent dans un monde où le dollar américain est roi et maître. Je pense en particulier à ce que M. Clark a dit au sujet de l'industrie du sucre. Il est certain que bien des producteurs agricoles fonctionnent avec le dollar américain, ce qui les oblige à supporter certains coûts pour leurs opérations de couverture.

La perte de notre souveraineté soulève bien des inquiétudes. Mon collègue a parlé d'envoyer des sénateurs canadiens à Washington. Nous perdrions vraiment toute capacité de contrôler notre politique monétaire. Je ne pense pas que ce soit une mesure que le citoyen canadien moyen serait prêt à accepter pour le moment. À mon avis, les coûts liés au fonctionnement avec le dollar canadien ne sont probablement pas comparables aux coûts que nous devrions assumer si nous adoptions aujourd'hui le dollar américain.

Le sénateur Di Nino: Il me semble vous avoir entendu dire également que nous devrions essayer d'améliorer nos relations en dehors de Washington. Si je me rappelle bien les statistiques, plus de la moitié des États américains, individuellement, ont le Canada pour principal client. Est-ce que c'est à cela que vous pensiez? Devrions-nous établir de meilleures relations avec les États, ou avec les dirigeants — politiques ou autres — des États pour lesquels le Canada est un partenaire commercial plus important que pour l'ensemble des États-Unis?

Mme Macmillan: C'est exactement ce que je voulais dire. Nous devons travailler sur deux niveaux tout à fait différents. Nous avons besoin des grandes idées. Nous avons besoin d'initiatives visant à améliorer notre système de règlement des différends. Nous devons discuter des secteurs dans lesquels nous pouvons harmoniser notre politique commerciale et nos tarifs douaniers. Mais, en même temps, nous avons toujours eu des rapports efficaces avec les Américains quand nous avons ramené les choses au niveau des gens d'affaires, puisque c'est de là que viennent les idées. La résolution de problèmes prend place à un niveau beaucoup plus microéconomique, au niveau des secteurs, comme dans le cas du pacte de l'automobile, de l'acier, et ainsi de suite. Dans une large mesure, ce qui arrive aux entreprises est lié tout simplement à leur capacité de déceler les occasions commerciales à l'échelon régional. Je ne parle pas nécessairement d'initiatives stratégiques, mais tout simplement d'occasions d'affaires et de renseignements commerciaux. Nous avons besoin de ce genre de choses pour rétablir certaines des ressources que nous avons perdues, par exemple dans les grandes villes américaines. Nous devons recueillir des renseignements et promouvoir notre politique commerciale à ce niveau-là, tout en donnant suite aux grands plans plus grandioses entre Washington et Ottawa.

Le sénateur Di Nino: Ma question s'adresse à ceux qui voudront bien y répondre. Quand on regarde la question du commerce avec les États-Unis dans l'optique du 11 septembre, il est évident qu'il y a eu des changements. Nous avons parlé de certains de ces changements, par exemple en ce qui concerne les frontières et l'immigration.

Avez-vous l'impression que les Américains pourraient se servir de cette nouvelle raison pour chercher à modifier certaines pratiques commerciales entre le Canada et leur pays, ou si vous pensez que c'est vraiment une question de sécurité pour le peuple américain?

M. Clark: Je vais assez souvent aux États-Unis. Les nouvelles mesures adoptées pour contrôler la circulation des personnes et pour d'autres raisons sont fondées sur des inquiétudes réelles, qu'elles soient justifiées ou non.

Les gens sont inquiets; ils se sentent menacés et ils s'attendent à ce que leur gouvernement fasse certaines choses pour les rassurer. Ils n'ont pas de motifs cachés et ne cherchent pas, d'après ce que j'ai vu, à isoler le marché américain. Je suis convaincu que ce sont des questions de sécurité et de confiance de la population — et non de protectionnisme.

Mme Macmillan: Je suis d'accord. Je n'ai absolument pas l'impression que ces inquiétudes ne sont pas légitimes.

Le président: Merci beaucoup. Nous allons devoir mettre fin à cette partie de notre programme parce que nos témoins suivants sont arrivés. Nous aurions pu continuer encore longtemps. Monsieur Clark, monsieur McRae et madame Macmillan, merci d'être venus.

Je rappelle à tout le monde que le ministre Pettigrew sera ici à 15 h 30.

Nous allons maintenant entendre M. William Dymond, qui est directeur exécutif du Centre de droit et de politique commerciale, soutenu conjointement par l'Université Carleton et l'Université Canada. M. Dymond a été directeur général du Secrétariat de la planification des politiques au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Il a également participé, à titre de conseiller principal, aux négociations sur l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis, et a aussi occupé des fonctions de sous-ministre et de conseiller du ministre à l'ambassade du Canada aux États-Unis, à Washington.

Nous avons également avec nous M. Gilbert Gagné, qui est professeur de sciences politiques à l'Université Bishop. Il est titulaire d'un doctorat en relations internationales de l'Université d'Oxford. Son enseignement et ses travaux de recherche portent notamment sur l'intégration de l'Amérique du Nord, la politique étrangère canadienne et les relations canado-américaines. Il effectue actuellement de la recherche sur le conflit touchant les exportations canadiennes de bois d'oeuvre vers les États-Unis.

Vous pouvez commencer.

M. William A. Dymond, directeur exécutif, Centre de droit et de politique commerciale: Je vous remercie, mesdames et messieurs les sénateurs, de cette occasion de vous parler des relations commerciales Canada-États-Unis.

Les Canadiens, à juste titre, débattent de la question de leurs liens avec les États-Unis depuis plus de deux siècles. Ce n'est qu'avec les États-Unis que le Canada entretient une relation étendue en matière de politique étrangère. De plus, les Canadiens jugent leur pays et eux-mêmes à l'aune des Américains, tant sur le plan des soins de santé et du contrôle des armes à feu que sur celui du rendement de l'économie et de la création d'emplois.

Le Centre a remis au comité une étude que nous avons terminée l'an dernier et qui s'intitule> «Common Borders and Shared Destinies.» Mes propos porteront en partie sur cette étude.

En quelques années à peine, l'économie canadienne a subi une profonde transformation. Les moteurs de cette transformation ont été, dans un premier temps, l'Accord de libre-échange canado-américain, et dans un deuxième temps, l'Accord de libre-échange nord-américain. Résultat, l'économie canadienne est de plus en plus intégrée à celle de l'ensemble de l'Amérique du Nord. Il est utile de rappeler que, même si ces deux accords ont précédé la création de l'Organisation mondiale du commerce, ils vont à bien des égards beaucoup plus loin que les accords de l'OMC, tels qu'ils se présentent maintenant et tels qu'ils pourraient évoluer à la suite de l'actuelle ronde de négociations commerciales multilatérales.

Il convient également de souligner que nous avons un accord de libre-échange et non une union douanière. La principale différence entre nos arrangements et ceux qui ont été conclus en Europe, c'est l'absence de cadre institutionnel de gestion de nos relations. Cependant, dans la pratique, nous avons au moins autant de régimes communs — dans bien des cas, grâce à l'harmonisation de nos politiques et de nos pratiques — que les pays de l'Union européenne. Les pays de l'Union européenne ont un marché unique, mais la chose est tout aussi vraie pour le Canada et les États-Unis.

Les deux accords conclus par le Canada sont le produit d'un échec — l'échec des efforts déployés depuis 100 ans pour développer une économie défiant la géographie économique. Nous comprenons maintenant que la géographie économique, en Amérique du Nord, est structurée selon un axe nord-sud. Nous avons essayé de développer une économie fondée sur un axe est-ouest en protégeant un petit secteur manufacturier fragmenté et en payant le prix économique de l'exportation de ressources non transformées.

Dans les années 70, le Canada a érigé des obstacles à l'investissement étranger. Nous avons versé d'importantes subventions au développement industriel et régional parce que nous étions convaincus — bien à tort — qu'une dose massive d'intervention gouvernementale permettrait de renforcer notre économie est-ouest.

Au milieu des années 80, une grave récession a fait voler ce rêve en éclats. Les mesures de protection ne fonctionnaient pas. Les fabricants canadiens étaient trop faibles pour exploiter les marchés d'exportation et pour empêcher d'importantes percées des importations sur notre marché intérieur. L'arrivée de nouveaux concurrents sur les marchés mondiaux des ressources naturelles, combinée à l'épuisement des ressources facilement exploitables au Canada, signifiait que les ressources dont nous disposions ne nous permettaient plus de supporter les coûts nécessaires pour soutenir un secteur manufacturier inefficace.

À cause des obstacles à l'investissement étranger, le développement économique du Canada était de plus en plus dépendant de sources insuffisantes d'épargne intérieure. L'intervention de l'État avait créé de grosses bureaucraties — dont je fais partie, je dois l'admettre — et entraîné des déficits budgétaires insoutenables sans favoriser beaucoup le développement économique. La décision de conclure ces accords signifiait que, plutôt que de résister aux forces de la géographie, le Canada chercherait dorénavant à les mettre à profit.

Les résultats ont dépassé les attentes du gouvernement et des entreprises. Je ne vous ennuierai pas avec des chiffres détaillés. Vous les connaissez sûrement. Je me contenterai de souligner que la valeur de nos échanges atteint maintenant un million de dollars à la minute. Le commerce entre le Canada et les États-Unis est presque aussi intense qu'entre les États-Unis et les 15 pays de l'Union européenne réunis.

Les caractéristiques de ces échanges sont plus significatives que leur simple volume. Il s'agit dans une large mesure de commerce interne. D'après certaines estimations, jusqu'aux deux tiers des échanges transfrontaliers se font à l'intérieur d'une même entreprise. Des secteurs industriels entiers, au Canada, ont été restructurés sur un axe nord-sud. L'ancien modèle de commerce et d'investissement internationaux, celui d'entreprises autonomes faisant des transactions de part et d'autre des frontières nationales avec d'autres entreprises n'ayant aucun lien avec elles, a été remplacé par des réseaux intégrés d'entreprises dont les produits traversent constamment les frontières comme si celles- ci n'existaient pas.

Ces accords suscitent très peu de vives critiques, alors que c'est ce qui dominait le débat il y a dix ans. «Comment un petit pays comme le Canada peut-il commercer librement avec les États-Unis sans perdre son identité ou son indépendance?» Dix années de sondages d'opinion nous montrent que les Canadiens n'assimilent pas les piètres perspectives économiques à une identité plus forte, ou la prospérité à l'affaiblissement de leur identité. «Comment un pays comme le Canada, qui possède des lois solides sur l'emploi et l'environnement, peut-il éviter la course vers le bas pour demeurer concurrentiel?» Cela ne s'est pas produit.

Tout comme l'ALENA était le produit d'un échec, nous connaissons aujourd'hui une nouvelle série de problèmes qui sont la rançon du succès. Certains de ces problèmes viennent du fait qu'il reste encore bien des questions à régler à l'ALENA. Mais ils viennent surtout de la nécessité d'aller plus loin que l'ALENA, qui était un produit de son temps, et de tirer parti de la dynamique d'une économie nord-américaine intégrée.

Les questions qu'il reste à régler sont un ramassis de reliques des pratiques commerciales et de la politique industrielle à l'ancienne mode: des enclaves bien fortifiées de protection de l'agriculture dans les deux pays; une dépendance des industries des deux pays — des industries de l'ancienne économie des deux côtés de la frontière — envers les recours commerciaux; des mécanismes très lourds sur les règles d'origine, qui incitent les entreprises à acheter leurs intrants sur une base non concurrentielle dans un effort pour exprimer une préférence; et des pratiques d'achats gouvernementaux qui s'inscrivent encore dans des règles restreignant le commerce.

Cette liste, mesdames et messieurs les sénateurs, est d'une longueur impressionnante. L'effet économique cumulatif diminue avec le temps. Vous n'avez qu'à regarder les statistiques sur les lois régissant les différends commerciaux pour constater que cela concerne essentiellement les prix des ressources. Il s'agit de questions relativement mineures, sauf, évidemment, pour ceux qui sont en cause dans le conflit.

Les nouveaux enjeux nord-américains sont plus complexes et plus exigeants. Il faut des idées neuves ancrées dans des réalités fondamentales. Premièrement, les Canadiens sont engagés dans un processus d'intégration tacite avec les États-Unis, qui s'intensifie dans presque tous les domaines où les deux sociétés ont des points en commun. La question, pour les gouvernements, est de savoir s'il est opportun de favoriser ou de freiner cette intégration.

Deuxièmement, les Canadiens sont à l'aise avec l'intensification de cette intégration. Ils sont parfaitement en mesure d'établir une distinction entre leurs relations avec les États-Unis et leur propre identité. Comme l'a déjà dit mon sous- ministre: «Les Canadiens aiment bien la frontière; ils n'aiment tout simplement pas la trouver sur leur chemin.»

Troisièmement, le débat sur l'opportunité que le Canada mette en place un périmètre de défense ou un autre genre de périmètre avec les États-Unis n'a rien à voir avec la réalité. Nous avons déjà un périmètre défini par la géographie, la démographie, l'économie, une foule de valeurs politiques et sociales communes, ainsi que des dispositifs et des enjeux communs en matière de sécurité. Ce qui importe, c'est de décider si ce périmètre est solide ou non.

Quatrièmement, il existe une vaste convergence entre le Canada et les États-Unis sur une gamme étendue de questions relevant de la politique publique. La différence réside dans l'administration des modalités et non pas dans le concept fondamental.

Cinquièmement, les accords frontaliers actuels qui régissent nos relations ne correspondent pas à nos exigences par rapport à ces accords. Nous avons maintenant besoin d'un cadre nouveau.

Les efforts du ministre Manley et du secrétaire Ridge, ainsi que l'«Accord sur la frontière intelligente», reflètent certaines idées neuves. La presse laisse entendre discrètement que des mesures plus audacieuses pourraient être envisagées. Il y a des questions intéressantes qui circulent: Avons-nous besoin d'une union douanière comme l'Union européenne pour assurer la liberté de circulation totale des biens et des services, la mobilité pleine et entière des capitaux et des travailleurs, et la cohorte d'institutions nécessaires pour les gérer? Il faudrait peut-être envisager plutôt de bonifier l'ALENA, d'amalgamer les questions qui n'ont jamais été résolues à quelques nouvelles mesures audacieuses et à quelques nouvelles priorités comme l'investissement, la politique de concurrence, l'harmonisation des produits et l'équivalence.

À mon avis, ces propositions ne sont pas pertinentes parce qu'elles ne sont que des moyens de parvenir à une fin que nous n'avons pas encore déterminée. Avant d'adopter des solutions et de proposer des moyens d'action, nous devons nous poser des questions épineuses sur les points suivants: Quel rôle la frontière devrait-elle jouer dans la gestion des échanges de marchandises et de capitaux entre nos deux pays? Combien des fonctions assurées par les services des douanes, de l'immigration, de l'agriculture et les autres agents du gouvernement pourraient être exécutées plus efficacement ailleurs qu'à la frontière? Quelles sont les répercussions des différences de réglementation sur l'économie canadienne? Ces différences en valent-elles la peine, compte tenu de leurs coûts? Avons-nous besoin de nouvelles institutions communes avec les États-Unis? Traditionnellement, dans nos rapports avec les États-Unis, non seulement dans le domaine du commerce, mais dans tous les secteurs où nous entretenons des liens et où nous concluons des ententes, le fardeau institutionnel est resté léger. Nous avons plutôt eu recours à la négociation de règles et de mécanismes de règlement des différends pour les appuyer, ce qui, dans les deux cas, prend beaucoup de temps et est souvent controversé sur le plan politique.

Nous devrions nous demander si la Commission mixte internationale, qui a fait des choses splendides depuis sa création il y a 100 ans, pourrait nous fournir un modèle que nous pourrions adapter à des rapports élargis. Notre aversion quasi religieuse pour l'établissement de liens est-elle raisonnable? Les deux pays ont toujours géré leurs importantes relations de façon pragmatique, en compartimentant clairement les dossiers exigeant de la coopération et en isolant ces dossiers de tous les autres. Cette compartimentation de nos relations nous a bien servis, mais elle n'est peut-être plus efficace; il faudrait peut-être chercher une nouvelle solution.

Enfin, jusqu'ici, le débat s'est fait entre Canadiens, et il y a une bonne raison à cela. Dans l'histoire des relations Canada-États-Unis, les idées viennent toujours du nord de la frontière, pas parce que nos cousins américains n'ont pas d'idées, mais parce qu'en général, les Américains ont de grandes idées tandis que les Canadiens préfèrent les petites idées. Tout l'art des négociations canado-américaines réside dans la capacité de présenter les propositions dans un emballage assez petit pour rassurer les Canadiens, mais assez grand pour enflammer l'imagination des Américains.

Certains commentateurs concluent que les Américains ne seront jamais suffisamment intéressés à envisager des solutions visionnaires et innovatrices, et ils en déduisent que le temps consacré à examiner ces problèmes est du temps perdu. Mais ce serait une erreur d'en arriver à cette conclusion, une erreur qui coûterait très cher aux Canadiens. Les Canadiens et les Américains ont réussi, en travaillant ensemble, à bien gérer leurs relations dans le passé et ils peuvent encore le faire à condition de ne pas accepter les opinions toutes faites selon lesquelles les difficultés du moment reflètent les perspectives d'avenir. Le comité peut apporter une précieuse contribution à cette discussion.

Le président: Merci, monsieur Dymond. Monsieur Gagné, vous pouvez commencer.

M. Gilbert Gagné, professeur, département d'études politiques, Université Bishop: J'ai préparé un mémoire dont je vais vous présenter les grandes lignes, après quoi je pourrai répondre à vos questions. Je vais me concentrer sur ce que je connais le mieux parce que, comme vous le savez, les enjeux des relations commerciales canado-américaines et des interventions du Canada à l'Organisation mondiale du commerce sont extrêmement variés. Je vais donc me limiter. Je vais faire mes commentaires dans la langue de Molière et dans celle de Shakespeare.

[Français]

Il y a trois thèmes que j'aimerais aborder: l'ordre de renvoi, qui est un accès sûr au marché américain, l'ordre du jour et les priorités du Canada lors du cycle des négociations multilatérales de Doha.

Je me réfère au Chapitre 19 du document sur le mécanisme de règlement des différends de l'ALENA en matière de droit antidumping et compensateur. À cet égard, il est fait référence à des négociations de la zone de libre-échange des Amériques.

J'aimerais également discuter du mécanisme de règlement des différends de l'OMC et des négociations commerciales multilatérales du cycle de Doha pour ensuite me concentrer sur les dispositions et les négociations multilatérales relatives aux subventions et aux recours commerciaux.

On pourra noter que j'associe l'objectif d'un accès sûr pour les produits et services canadiens au marché nord- américain, d'une part, au développement de mécanismes efficaces de règlement des différends commerciaux, et, d'autre part, à des dispositions plus précises et plus restrictives concernant les notions de subvention, de dumping et l'application de recours commerciaux.

J'ai joint à mon mémoire un article que j'ai écrit il y a maintenant plus de trois ans. Je n'aborderai pas ces thèmes et me concentrerai plutôt sur des éléments que je n'ai pas encore abordés.

Nous savons que le Chapitre 19 du Règlement des différends de l'ALENA comporte de sérieuses limites, mais il n'en demeure pas moins un acquis majeur pour le Canada. Or, les États-Unis ne veulent pas de l'élargissement de ce mécanisme à l'ensemble des Amériques, alors que pour le Canada il doit s'agir d'un minimum. Le Canada devrait s'assurer de l'application d'un mécanisme similaire, avec pouvoir exécutoire, dans la ZLÉA. Évidemment, la question du caractère exécutoire pose problème pour nos partenaires américains. Le Canada devrait s'assurer que les dispositions du Chapitre 19 doivent continuer d'être applicables à tout le moins entre les partenaires nord-américains si jamais la ZLÉA devenait réalité. Il m'apparaît clair qu'il doit s'agir d'une condition sine qua non.

Le Chapitre 19 du Règlement des différends comporte déjà des lacunes. Si nous obtenons moins que ce que prévoit le Chapitre 19, nous allons nous retrouver dans une situation encore pire, eu égard évidemment à l'objectif fondamental d'un accès sûr au marché américain.

Pour ce qui est des améliorations aux dispositions internationales existantes —toujours touchant l'accès du Canada au marché nord-américain — et le règlement des différends commerciaux, de tels efforts doivent se poursuivre dans le cadre multilatéral. Encore une fois, ce n'est pas le Canada à lui seul qui risque de faire bouger les États-Unis sur ce point. Pour ce qui est du règlement des différends de l'OMC de même que pour les négociations actuelles, on touche le cadre multilatéral.

Une des principales faiblesses du mécanisme de différends dans l'OMC se situe à la sortie. On l'a vu dans le cas de deux de nos différends majeurs avec les États-Unis, c'est-à-dire autour de la question de la protection des périodiques canadiens et du bois d'œuvre résineux. Dans le conflit canado-américain sur les périodiques, les vues américaines ont prévalu. Toutefois, ce ne sont pas les finalités de nos politiques et de nos mesures qui ont été mises en cause, mais les moyens employés pour les atteindre.

À cet égard, les rapports des groupes spéciaux et de l'organe d'appel de l'OMC fournissent peu d'indications quant à la marge de manoeuvre d'un État pour poursuivre les finalités des programmes invalidés. Dans le cas des périodiques, c'était la préservation de l'identité culturelle canadienne. Il en a résulté que les mesures de remplacement que le Parlement s'est proposé d'adopter ont, aux yeux des Américains, cherché à contourner l'esprit et la lettre des rapports de l'OMC.

C'est donc à la sortie de la procédure de règlement des différends qu'il y a un problème. On sait que le Canada a soumis des propositions en ce sens. À défaut de trouver un remède au problème, les tendances américaines à l'unilatéralisme ne pourront que s'accentuer. Il en va de la crédibilité du système commercial international. C'est un élément sur lequel le Canada, de concert avec plusieurs de ses partenaires commerciaux, devra faire porter ses efforts.

Le reste de mon intervention portera sur les mécanismes et dispositions relatifs aux subventions et accords commerciaux. Cela me semble critique pour l'accès sûr au marché américain. À cet égard, c'est le conflit canado- américain sur le bois d'oeuvre qui nous vient à l'esprit. Il tourne autour des notions de dumping et de subvention du chapitre 19.

[Traduction]

En ce qui concerne l'accord multilatéral sur les subventions et les mesures compensatoires — l'Accord de l'OMC sur les subventions —, le Canada devrait concentrer ses efforts sur la clarification des dispositions existantes concernant les définitions des subventions et du dumping, ainsi que sur les conditions d'imposition des recours commerciaux. Je sais que c'est beaucoup plus facile à dire qu'à faire, mais c'est là que sont nos priorités.

Nous avons beaucoup entendu parler de la définition des subventions à cause du conflit du bois d'oeuvre. L'Accord de l'OMC sur les subventions définit les subventions comme des «contributions financières» «pouvant prendre diverses formes» et «conférant un avantage». Dans son rapport de septembre 2002, un groupe spécial de l'OMC mis sur pied à la demande du Canada pour examiner la question du bois d'oeuvre a déterminé que les droits de coupe — les droits imposés par les gouvernements provinciaux aux entreprises qui abattent du bois sur les terres domaniales — étaient une contribution financière. Cette décision a évidemment fait plaisir aux autorités américaines, dont les vues sur la question ont été retenues. Cependant, le groupe spécial a également établi que les Américains n'avaient pas réussi à prouver l'existence et l'ampleur de l'avantage ainsi conféré.

Comment se définit une subvention? Elle doit être spécifique, c'est-à-dire limitée à certaines entreprises ou à certaines industries. Il faut déterminer si, dans un cas donné, la subvention est effectivement «spécifique». Il y a quatre facteurs servant à établir la spécificité d'un programme de subventions; cependant, la législation commerciale américaine — ou, plus précisément, l'Uruguay Round Agreements Act, ou URAA — stipule qu'un seul de ces facteurs suffit pour établir le caractère spécifique d'une subvention. C'est ce qu'on appelle l'«approche du facteur unique». Depuis quelques années, la notion de spécificité a été élargie dans la législation américaine pour inclure une gamme de plus en plus vaste de mesures gouvernementales, par exemple les droits de coupe. Le Canada devrait faire un effort particulier pour maintenir et consolider ses alliances avec les nombreux pays où il existe des politiques comme celle des droits de coupe, afin d'atténuer les risques de mesures de rétorsion des États-Unis. Nous savons tous que le Congrès s'en va dans l'autre direction, mais en ce qui concerne le Canada, nous savons que nos priorités sont là. En limitant les risques de mesures de rétorsion américaines, le Canada s'assurerait un accès aux marchés nord-américains, tout en préservant le plus possible son autonomie en matière de politique publique.

S'il y a une subvention, elle devrait normalement avoir un effet sur le marché. La législation commerciale américaine précise que l'effet de cette subvention — c'est-à-dire si elle cause ou non des distorsions sur le marché — n'a pas à entrer en ligne de compte pour déterminer si la subvention peut donner matière à compensation. Et, même si l'Accord de l'OMC sur les subventions mentionne une deuxième condition — à savoir que la subvention doit procurer un avantage —, les autorités américaines ont tendance à présumer de l'existence de cet avantage une fois qu'elles ont déterminé qu'il y avait contribution financière. C'est particulièrement important dans le cas de subventions concernant des ressources naturelles, par exemple dans le dossier du bois d'oeuvre. Dans son rapport de septembre 2002, le groupe spécial sur le bois d'oeuvre donnait raison au Canada sur ce point. Quand on lit l'opinion des Américains, on voit que l'OMC a donné raison aux États-Unis, à savoir que les droits de coupe et les pratiques forestières canadiennes constituent une contribution financière. Pour le reste, il ne restait plus aux Américains qu'à prouver, en appliquant une certaine méthodologie, que les exportations canadiennes de bois d'oeuvre sont subventionnées. En revanche, pour le Canada et les autres membres de l'OMC, la condition relative à l'existence d'un avantage visait à éliminer les cas où une subvention pourrait prendre la forme d'une contribution financière sans nécessairement accorder à une entreprise donnée un avantage sur les autres.

Il s'agit d'une question clé, semble-t-il, pour la ronde de négociations de Doha, parce qu'autrement, il y a toute une série de politiques publiques qui pourraient être menacées au Canada par d'éventuelles enquêtes sur les recours commerciaux. Je rappelle aux sénateurs que ce qu'on appelle l'approche du facteur unique et la non-considération des effets des subventions dans les lois et règlements américains en matière commerciale visaient à renverser les décisions des groupes spéciaux de l'ALE et de l'ALENA dans le conflit du bois d'oeuvre. Dans quelle mesure ces dispositions américaines ont-elles incité les autorités canadiennes à conclure, en 1996, l'Accord sur le bois d'oeuvre qui prévoyait certaines restrictions à l'exportation? Il est essentiel que le Canada clarifie ces dispositions à l'occasion des négociations de Doha afin de réduire les risques d'une interprétation et d'une riposte unilatérales.

Il devrait être nécessaire d'avoir des preuves avant de lancer une enquête sur les pratiques commerciales aux États- Unis. À cet égard, le Canada devrait continuer à insister sur le fait que les dispositions multilatérales exigent des preuves suffisantes — et plus solides — pour lancer des enquêtes pouvant déboucher sur des recours commerciaux. Malgré les résultats des négociations commerciales successives, les notions de subventions et de dumping, ainsi que les conditions relatives à l'imposition de droits antidumping ou de droits compensateurs, demeurent suffisamment vagues pour laisser aux autorités américaines une marge de manoeuvre considérable pour l'application de mesures de rétorsion. En fait, les Américains peuvent actuellement lancer des enquêtes susceptibles de mener à des recours commerciaux même en l'absence de preuves solides de l'existence de subventions, de dumping ou d'un préjudice. Pire encore, les exportations canadiennes vers les États-Unis ont souvent donné lieu à du harcèlement puisque ces enquêtes peuvent être répétées même s'il n'y a pas de nouvelles preuves, ce qui oblige à faire des soi-disant «compromis» bilatéraux pour éviter d'autres litiges coûteux et obtenir des conditions raisonnables d'accès au marché.

C'est précisément le dilemme devant lequel se trouve le gouvernement canadien face aux États-Unis et à l'OMC: devrions-nous mettre fin au litige et nous entendre tout de suite avec les Américains?

Le véritable test, pour l'ALENA, viendra peut-être du fait que, comme nous le savons, la situation économique se détériore aux États-Unis. Bien sûr, les tendances protectionnistes se font plus prononcées. Même s'il n'y a pas eu beaucoup de recours commerciaux, à part dans le cas du bois d'oeuvre, c'est peut-être le véritable test.

C'est le dilemme devant lequel se trouve le Canada. Certaines propositions qui permettraient d'aller au-delà du libre-échange pourraient être intéressantes, mais qu'en est-il de notre capacité d'établir des politiques autonomes? L'idée originale qui sous-tendait le libre-échange, c'était de permettre au Canada de conserver plus d'autonomie dans ses options de politique publique. Nous devons garder notre autonomie en ce sens que nous devons pouvoir prendre des décisions pour refléter les préférences collectives des Canadiens, et pas seulement pour le plaisir d'être différents des Américains.

Une autre question primordiale que soulève la possibilité d'aller au-delà du libre-échange, c'est qu'une union douanière implique, comme vous le savez, des tarifs extérieurs communs et une politique commerciale commune. Quelle sera la position du Canada au sein de l'OMC si sa politique de commerce extérieur est essentiellement liée à ses relations avec les États-Unis? Jusqu'ici, nous avons un certain équilibre. La majeure partie de notre politique économique étrangère s'inscrit dans le cadre de nos relations avec nos États-Unis parce que c'est là que vont 80 p. 100 de nos exportations. Mais qu'en est-il du multilatéralisme dans la politique économique étrangère du Canada? Que reste-t-il du multilatéralisme, et que pourrait-il en rester si nous allons plus loin que le libre-échange?

Il ne faut pas sous-estimer les avantages qu'il y aurait à pousser l'intégration plus loin, mais nous devons nous demander sérieusement si notre place au sein de l'OMC ne deviendrait pas complètement insignifiante à cause de cela.

Le président: J'ai lu le document que vous nous avez fait parvenir avant Noël et j'ai appris que nous avions perdu une manche dans la bataille du bois d'oeuvre, en ce sens que les Américains ont réussi à prouver que les droits de coupe représentent un avantage financier pour les entreprises. Ils n'ont pas réussi à prouver que c'était une subvention. Je me rappelle que les subventions n'ont jamais été clairement définies. C'est une des choses qui traînent en longueur.

Ce que je n'ai pas compris, en lisant ceci, c'est comment il se fait que les droits de coupe peuvent procurer un avantage financier. J'ai entendu parler de droits de coupe il y a 50 ou 60 ans. C'est de l'histoire ancienne en Ontario. Vous avez un avantage naturel si vous avez des forêts. J'avais toujours pensé que l'idée, en économie, c'était de promouvoir ses avantages naturels. Pourquoi les droits de coupe représentent-ils un avantage financer? Nous avons un avantage naturel parce que nous avons d'immenses forêts. Je n'ai pas compris.

M. Gagné: En quelques mots, le groupe spécial a déterminé qu'il s'agissait d'une contribution financière dans la mesure où la seule exception à la notion de contribution financière concerne la mise en place d'une infrastructure générale. Dans ce cas-ci, il n'y a pas d'infrastructure générale. Le bois est mis à la disposition d'entreprises privées. Il s'agit de fournir un bien.

Bien sûr, ce que vous avez dit soulève des questions fondamentales. Comment cela peut-il être assimilé à une contribution financière? Le Canada a toujours maintenu que ces droits de coupe représentaient une mesure générale de politique publique qui n'a aucun rapport avec le commerce ou avec les subventions.

Le concept de subvention fait l'objet de clarifications constantes, que ce soit par suite des négociations de l'Uruguay Round ou des décisions des groupes spéciaux. Il y a une autre décision qui s'en vient sur les droits compensateurs imposés par les Américains. Quelqu'un, en Colombie-Britannique, a mentionné que, si les droits de coupe représentent une contribution financière, il faut se demander ce qu'il en est des permis de pêche que le gouvernement fédéral accorde à des entrepreneurs privés. Pour les Américains, c'est une subvention. C'est probablement aussi le raisonnement qu'a suivi l'OMC parce que ce serait inférieur à la valeur du marché, puisque ce n'est pas fondé sur le prix qu'on obtiendrait normalement sur le marché. C'est là la grande question.

Le Canada a toujours soutenu, comme la plupart des membres de l'OMC, que nous ne devrions pas tenir compte uniquement des interventions gouvernementales. Nous devrions nous demander aussi si ces interventions provoquent ou suscitent des distorsions sur le marché. C'est l'aspect qui se rattache à l'«avantage», dans l'actuelle définition multilatérale des subventions, et c'est la raison pour laquelle le Canada devrait chercher à éviter soigneusement tout élargissement futur de cette définition. Autrement, ce ne seront pas seulement les droits de coupe qui seront menacés — ce seront par exemple les permis de pêche et beaucoup d'autres mesures publiques.

Le sénateur Graham: Je voudrais poser une question puisque M. Clark est encore ici. Il ne pourra peut-être pas revenir s'asseoir à la place des témoins, mais il peut nous indiquer sa réponse par un signe de tête.

M. Dymond s'est demandé si nous avions besoin d'une union douanière. M. Clark, si je me rappelle bien sans voir votre texte, a été plus clair et a dit que oui. Si c'est bien ce que vous avez dit, monsieur Clark, pouvez-vous nous le confirmer?

Il a fait signe que oui.

Le président: M. Clark appuie l'idée d'une union douanière.

Le sénateur Graham: Merci. Ce qui m'amène à poser la même question à M. Dymond, puisque c'est lui qui a soulevé l'éventualité d'une union douanière, et à M. Gagné.

M. Dymond: Me permettez-vous de faire aussi un commentaire sur la question du bois d'oeuvre?

Vous voulez savoir si nous avons besoin d'une union douanière? Nous en avons déjà une, sénateur. N'importe quel économiste qui étudierait la question vous dirait que nous avons une union douanière. Il y a des règles qui l'empêchent de fonctionner parfaitement. Mais les économistes considèrent qu'il y a une union douanière non pas selon qu'il y a ou non des institutions et des règles sur les subventions, mais selon qu'il y a ou non un marché unique fonctionnel. Et nous en avons un.

Nous avons une union douanière plus fonctionnelle, dans la pratique, que les Européens, et ce sur tous les plans, y compris la mobilité des capitaux. La grande exception, c'est la mobilité des travailleurs, mais ce n'est pas vraiment un problème. Jusqu'ici, cela n'a jamais été un gros problème à l'Union européenne.

Voyons un peu ce que fait une union douanière et dans quelles conditions elle fonctionne en Europe, et voyons aussi si cela s'applique ici. Je pense que vous en conclurez que la situation est entièrement différente.

Nous devons absolument gérer la frontière. Nous devons le faire pour que l'union douanière fonctionne plus efficacement. Il y a certaines choses, à cet égard, que nous pouvons faire unilatéralement. Par exemple, nous pouvons harmoniser nos tarifs extérieurs avec ceux des États-Unis. Nous n'aurions plus besoin alors des règles d'origine.

L'exposé de M. Gagné sur les subventions illustre bien la façon dont nous abordons le plus souvent nos problèmes avec les États-Unis. Nous disons qu'il y a un problème et qu'il faut une nouvelle règle. Alors, négocions. Aux États- Unis, il faut demander l'autorisation du Congrès pour négocier cette règle. Au Canada, il faut demander l'autorisation du gouvernement. Et la règle doit ensuite être soumise au Parlement. Par définition, à ce moment-là, elle est déjà dépassée. Il nous faut quelque chose pour gérer les problèmes au jour le jour et pour les résoudre dès qu'ils se présentent. Est-ce qu'une union douanière permettrait de le faire?

Un des aspects les plus intéressants, à l'Union européenne, c'est la myriade de comités qui travaillent en permanence pour régler les problèmes au jour le jour sans avoir à invoquer la nécessité de réviser les traités. Je ne suis pas convaincu que ce modèle serait applicable ici, mais je suis persuadé qu'en ce sens, les Européens sont plus avancés que nous.

Avons-nous besoin d'une union douanière? Il est trop tôt à mon avis pour nous concentrer sur les solutions. Concentrons-nous plutôt sur les problèmes. La problématique se situe au coeur même des rapports que nous envisageons d'avoir avec les États-Unis et de la façon dont nous voulons les gérer.

Si vous me permettez de revenir à la question précédente sur le bois d'oeuvre, j'ai parcouru «Softwood III» très attentivement. Il faut comprendre clairement les différences entre les règles et la réalité. Le prix du bois sur pied est un prix administré, pas un prix du marché. Un prix administré crée une présomption de subvention. Il peut être plus élevé ou plus bas que le prix du marché, mais il crée une présomption de subvention.

Comment le savons-nous? Dans chacune des enquêtes sur le bois d'oeuvre, les provinces Maritimes, au Canada, ont été exclues parce qu'à peu près tout leur bois d'oeuvre provient de terres privées et qu'il est vendu aux prix du marché. C'est de cela qu'il faut tenir compte.

Deuxièmement, je ne suis pas entièrement d'accord avec M. Gagné quand il parle de l'unilatéralisme américain. Qui a inventé les mesures antidumping? Le Canada. C'est une des inventions de M. Fielding, qui était ministre des Finances dans le gouvernement de sir Wilfrid Laurier. C'est nous qui avons inventé cette notion, et nous avons très souvent recours aux mesures antidumping. En fait, nous en abusons.

Nous avons maintenant une loi sur les droits compensateurs. Nous nous en servons pour définir à quelles conditions les étrangers peuvent être actifs sur notre marché. Nous sommes tout aussi unilatéralistes que les Américains, alors ne nous vantons pas trop.

Ce sont des questions importantes. Pour avoir vécu moi-même une enquête sur le bois d'oeuvre, j'en suis parfaitement conscient, mais il faut voir la situation dans son ensemble. Ces dossiers ne sont plus très nombreux. Il faut regarder le bilan général. Il faut voir quelles sont les ordonnances en vigueur dans le domaine des droits antidumping et des droits compensateurs. Elles sont minimes. Il faut voir aussi ce qui s'en vient. Il y a la question du bois d'oeuvre, et aussi celle des gens du Dakota du Nord et de la Commission canadienne du blé.

Quand j'ai participé aux préparatifs entourant l'ALE, dans les années 80, et quand j'étais à l'ambassade à Washington, par la suite, nous étions submergés de contestations: les paiements d'assurance-chômage aux pêcheurs; les services des délégués commerciaux dans le domaine des exportations; les subventions à la technologie; les questions concernant les prix des ressources naturelles. Mais il n'y en a maintenant plus qu'une: c'est une question qui se rattache à l'établissement des prix de certaines ressources naturelles dans une industrie qui n'est pas intégrée. Dans les secteurs qui dominent maintenant l'activité industrielle au Canada et qui fournissent au pays une bonne partie de sa richesse — l'aérospatiale, la machinerie, les pièces d'automobiles, les automobiles et l'énergie —, où sont les litiges touchant les droits compensateurs? Où sont les litiges concernant les mesures de protection? L'acier est un exemple dont M. Clark s'est occupé, et il peut en parler avec plus d'éloquence que moi. Ce sont des industries intégrées de part et d'autre de la frontière. Les entreprises ne vont pas se poursuivre elles-mêmes. Les gouvernements ne vont pas réagir si elles le font. C'est la voie de l'avenir.

Aussi important que soit ce litige concernant le bois d'oeuvre, et aussi pertinente que soit l'analyse de M. Gagné, il ne faut pas nous laisser distraire des véritables questions à nous poser au sujet de nos relations avec les États-Unis.

M. Gagné: Je suis tout à fait d'accord avec M. Dymond: nous ne devrions pas oublier les principaux problèmes. Certains dossiers sont en train d'évoluer. Mais je m'en tiens à ce que j'ai déjà dit, en ce sens que le bois d'oeuvre, les permis de pêche et les autres questions de ce genre se rattachent au rôle que le gouvernement peut jouer dans l'économie. Au Canada, nous avons un modèle de société qui n'existe pas aux États-Unis. Notre meilleure garantie de préserver certains choix collectifs auxquels les Canadiens tiennent, c'est d'avoir des partenaires au sein de l'Organisation mondiale du commerce, pour qu'il puisse y avoir des règles. Même si les règles sont dépassées dès le moment où elles sont mises en place, c'est fondamental.

Quant à savoir si nous avons besoin d'une union douanière, malgré tous les avantages des unions douanières, nous devons d'abord tenir un débat là-dessus au Canada. Sommes-nous prêts à faire toutes les concessions nécessaires, en termes de politique et de capacité de conclure nos propres alliances à l'OMC? Là est la question.

Nous savons qu'au Canada, il y a ce qu'on appelle les «continentalistes» et les «multilatéralistes». Je me situe quelque part entre les deux, mais je pense qu'il y a peut-être trop d'enthousiasme pour une union douanière dans l'état actuel des choses.

Le président: Nous avons eu beaucoup de succès comme membre du Groupe de Cairns lors de la dernière ronde.

Le sénateur De Bané: Monsieur Dymond, dans votre texte, vous faites remarquer que certaines personnes soutiennent que nous devrions avoir une union douanière, une union monétaire ou un marché commun. Vous dites qu'avant d'aller plus loin, nous devons nous rendre compte que ce ne sont que des moyens pour arriver à une fin. Et vous posez ensuite une série de questions auxquelles nous devrions répondre d'abord avant de décider des moyens à prendre pour arriver à cette fin.

Votre réponse à mon collègue le sénateur Graham m'a étonné. Vous avez dit que nous avions déjà une union douanière. Mais, dans votre texte, vous dites que nous devons d'abord définir clairement où nous voulons aller, et que nous pourrons ensuite concevoir le meilleur mécanisme pour y parvenir.

D'après votre réponse, j'avais l'impression que vous aviez déjà décidé intérieurement que nous devrions pousser l'intégration encore plus loin, même si cela pourrait entraîner, à terme, une restriction graduelle de nos choix politiques.

M. Dymond: Quand j'ai dit que nous avions déjà une union douanière, je voulais dire que nous avons à toutes fins utiles un marché unique. Nous n'avons pas les mécanismes d'une union douanière. Quand les gens demandent si nous devrions avoir une union douanière, c'est précisément à cela qu'ils pensent: un traité, une commission, un parlement et tout ce que cela implique.

Je préfère poser la question différemment. Supposons que nous pussions déplacer toutes les fonctions exécutées actuellement à la frontière. Il y en a énormément — je n'ai pas fait de recherche là-dessus, mais quelqu'un m'a dit qu'il y avait au moins 186 lois administrées à la frontière. Quand nous traversons la frontière, nous voyons quelqu'un de Douanes Canada. Nous savons qu'il y a de nombreux autres fonctionnaires sur place. Nous savons aussi que les agents de Douanes Canada administrent une foule d'autres lois, en plus de la Loi sur les douanes.

Que se passerait-il si toutes les fonctions actuellement exécutées par les agents des douanes aux postes-frontières disparaissaient de la frontière et étaient plutôt exécutées à l'arrière? Cela pourrait se faire pour les inspections concernant par exemple les produits agricoles, le respect des normes, l'immigration ou la sécurité.

À l'heure actuelle, quand un camion arrive à la frontière avec un chargement commercial, il y a au moins trois questions qui se posent. Premièrement, ce chargement est-il autorisé dans l'autre pays? Si oui, y a-t-il des droits ou des taxes à acquitter? Et le véhicule — que ce soit un camion ou un train — qui transporte ce chargement est-il autorisé à entrer? Si oui, quels sont les règlements de sécurité qui s'appliquent? Ces règlements sont administrés par les provinces au Canada et par les États aux États-Unis. Il peut donc y avoir 62 ou 63 administrations en cause dans l'application de la réglementation. Et, enfin, le conducteur du véhicule est-il autorisé à entrer?

Toutes ces questions s'appliquent. Nous ne demandons même pas si ces inspections sont appropriées. Elles le sont probablement. Tout ce que nous demandons, c'est si elles devraient être effectuées à cet endroit-là et combien d'entre elles pourraient se faire à l'arrière.

Comment pouvons-nous tirer profit des percées en technologie de l'information qui n'existaient pas quand nous avons négocié l'ALE et quand le Parlement a discuté des mesures à prendre pour y arriver? Supposons que nous concluions une entente de ce genre avec les Américains. Voudriez-vous appeler cela une union douanière? Peut-être, mais j'espère bien que nous ne nous préoccuperions pas vraiment de savoir comment cela s'appelle. Mais nous devrions nous préoccuper de savoir si nous pourrions faire fonctionner le système tout en veillant à ce que les fonctions qui seraient désormais exécutées loin de la frontière le soient correctement, puisqu'elles se rattachent à d'importants enjeux d'intérêt public. Je ne connais pas la réponse à cette question, mais il faut l'examiner.

Pour répondre à la deuxième partie de votre question, je ne sais pas quels sont les choix politiques qui auraient quelque chose à voir avec le meilleur fonctionnement de la frontière ou même avec une union douanière. Voulez-vous parler de choix politiques au sujet desquels il y a des divergences de vues ou des différences administratives fondamentales?

Permettez-moi de vous donner un exemple d'autonomie en matière de politiques, qui semble célébrer une différence sans véritable raison. Si une compagnie aérienne américaine dessert le Canada avec un type d'avion particulier, Transports Canada considère que cet avion est en état de voler s'il a obtenu un certificat des autorités américaines — la Federal Aviation Administration, ou FAA. L'avion peut atterrir n'importe où au Canada du moment qu'il a obtenu un certificat approprié aux États-Unis.

Mais si vous ou moi voulons créer une compagnie aérienne et acheter cet avion, nous devons passer par tout le processus de certification de Transports Canada. Pourquoi? Ce que nous soupçonnons au centre où je travaille, et où nous passons beaucoup de temps à étudier cette question, c'est qu'une bonne partie de ces différences sur le plan des politiques sont des différences administratives, plutôt que des divergences fondamentales. Si nous tenons à conserver l'autonomie nécessaire pour procéder nous-mêmes à la certification des avions qui appartiennent à des compagnies canadiennes, nous allons devoir en payer le prix. Je ne vois pas en quoi cela sert l'intérêt public.

Le président: Merci, monsieur Dymond.

Le sénateur Di Nino: Dans votre présentation, monsieur Dymond, vous avez dit que nous étions en train de vivre une intégration tacite avec les États-Unis. Et vous avez dit également que les Canadiens sont à l'aise avec cette idée.

Ces commentaires pourraient avoir un sens très large. Pourriez-vous les clarifier? Ce qui m'inquiéterait particulièrement, ce serait que vous pensiez non seulement à une intégration économique ou commerciale, mais aussi à d'autres éléments de notre société, à la culture, par exemple

M. Dymond: Quand je parle d'intégration tacite, je veux dire que, s'ils ont le choix, les Canadiens vont choisir les Américains — pas les Japonais, les Chinois, les Européens ou les Africains: les Américains. Par les milliards de décisions ponctuelles qu'ils prennent chaque jour au sujet des produits qu'ils achètent, des livres qu'ils lisent, des films qu'ils regardent ou de la musique qu'ils écoutent, les Canadiens accordent une nette préférence aux produits américains par rapport à ceux de tous les autres pays. Combien y a-t-il de Canadiens qui habitent une partie de l'année aux États- Unis? Notre consul à Miami m'a déjà dit qu'en haute saison, il y avait 2,5 millions de Canadiens en Floride; certains y résident en permanence, certains y passent six mois l'hiver et d'autres sont des résidents temporaires. À ce moment-là, cela représentait 8 p. 100 de la population, et c'est sans parler des Canadiens de l'Ouest qui descendent en grand nombre dans le sud-ouest des États-Unis.

C'est une pratique que le gouvernement n'encourage pas, sauf qu'il n'a pas cessé, depuis 50 ans, de réduire ses interventions dans les décisions économiques et culturelles de ses citoyens. C'est mesurable grâce à toutes sortes d'indicateurs.

Le sénateur Di Nino: Diriez-vous que la question de la souveraineté n'est pas une préoccupation majeure pour beaucoup de Canadiens?

M. Dymond: Il n'y a pas beaucoup d'autres débats qui s'accompagnent d'autant de déclarations creuses et d'analyses superficielles. Si nous renonçons à notre souveraineté, c'est en échange de quelque chose de mieux. Nous sommes le premier pays au monde à participer à l'établissement de règles internationales, aux travaux des institutions internationales et à l'application de traités internationaux. Chaque fois que nous faisons ce genre de choses, nous abdiquons une partie de notre souveraineté. Pourquoi? Parce que nous obtenons quelque chose de mieux en retour. Notre capacité de prendre des décisions au niveau national n'a pas cessé de rétrécir depuis 100 ans. Et qui a donné le ton? Le Canada. Nous sommes les plus grands rotariens au monde.

Si vous voulez savoir jusqu'où les gouvernements sont prêts à aller, vous n'avez qu'à regarder les discours annuels et ce que le premier ministre a dit lors du sommet. Regardez les communiqués émis à l'occasion des sommets. J'ai été particulièrement frappé par le discours que le ministre des Affaires étrangères de l'époque, John Manley, a prononcé devant l'assemblée générale. Il a énoncé les priorités du Canada. Cela porterait l'établissement de règles internationales dans des domaines de politique intérieure à un niveau que nous n'avions jamais imaginé avant. Et pourquoi faisons- nous cela? Parce que nous ne nous accrochons pas à l'idée de préserver notre autonomie décisionnelle quand nous pouvons avoir quelque chose de mieux.

Une des grandes réalisations de Lloyd Axworthy, à mon avis, c'est le traité sur les mines terrestres. Nous avons renoncé au pouvoir souverain de produire, de vendre et de déployer des mines terrestres. Pourquoi? Nous avons servi un bien plus grand dessein en retirant ces armes de la circulation. Mais nous avons dû pour ce faire renoncer à notre souveraineté.

Le président: Pour avoir été marchand de détail pendant des années, je dois dire que je ne peux pas appuyer votre commentaire sur ce que nous achetons. Notre entreprise a été pendant des années la plus grosse entreprise au monde, par pied carré, et nous ne vendions qu'un seul article fabriqué aux États-Unis; presque tout le reste était importé d'ailleurs. Je me rappelle que la seule chose que nous vendions et qui était fabriquée aux États-Unis, c'étaient des chaussettes de coton. Les Canadiens ne portent pas de chaussettes de coton et, en Angleterre, personne n'en portait non plus; alors, nous devions nous en procurer quelque part en Caroline du Nord. Nous en avions quelques dizaines de paires. Je dois dire que, comme marchands professionnels depuis trois générations, notre choix se fait de plus en plus limité. C'est ce que j'ai constaté, et je pense que tous ceux qui se trouvent dans le même secteur que moi vous diraient la même chose.

Merci, c'était intéressant.

Nous avons maintenant le grand plaisir de recevoir le ministre du Commerce international, M. Pierre Pettigrew, qui sera avec nous jusqu'à 16 h 30 environ. Monsieur le ministre, nous sommes très heureux de vous revoir. Nous écouterons votre exposé avec beaucoup d'intérêt.

M. Pierre Pettigrew, c.p., ministre du Commerce international: Merci, monsieur le président, de m'avoir invité à venir vous rencontrer aujourd'hui. J'ai dû me sauver de l'autre chambre, où je suis en service cet après-midi, mais je me suis trouvé un remplaçant pour pouvoir venir ici.

[Français]

Vous n'ignorez pas que les intérêts commerciaux et économiques du Canada s'étendent à l'échelle de la planète, et voilà pourquoi la pierre angulaire de notre politique commerciale demeure le système multilatéral d'échanges.

Toutefois, vous savez aussi que sous tout rapport, qu'il s'agisse du mouvement des marchandises, des investissements, du mouvement des personnes et des idées, l'Amérique du Nord et, notamment les États-Unis sont de loin notre marché le plus important. Voilà pourquoi la grande priorité de notre politique commerciale est de nous garantir un accès toujours meilleur au marché américain.

L'étude que mène actuellement votre comité vient donc fort à propos et nous offre une excellente occasion de connaître les opinions des Canadiens sur des priorités de travaux futurs qui nous permettront de tirer profit des succès obtenus sur le marché américain dans le cadre de l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis, ainsi que sur des marchés américains et mexicains dans le cadre de l'Accord de libre-échange nord-américain, l'ALENA.

[Traduction]

Nous pouvons dire que l'ALENA est un succès sans précédent, car il a fait de l'Amérique du Nord une des régions du monde les plus efficaces, les plus intégrées et les plus concurrentielles. Par le raffermissement des règles et des procédures régissant le commerce et l'investissement sur le continent, l'Accord a permis au commerce et aux investissements de connaître une croissance inégalée. De 1993 à 2001, les exportations de marchandises du Canada vers ses partenaires de l'ALENA ont augmenté de près de 95 p. 100. Au total, notre commerce de marchandises avec les États-Unis et le Mexique a atteint 584 milliards de dollars en 2001.

Grâce à l'ALENA, le Canada a raffermi sa position en tant que principal partenaire commercial des États-Unis. Nous achetons des États-Unis autant de marchandises que l'ensemble des pays de l'Union européenne, soit près de 19 p. 100 des exportations américaines. Ajoutons que, pour 38 États américains, le Canada est le principal marché d'exportation. Cela représente quotidiennement environ 1,9 milliard de dollars d'échanges commerciaux, tous les jours de l'année.

En 2001, le commerce bilatéral de marchandises avec le Mexique atteignait 14,9 milliards de dollars, faisant de ce pays la sixième destination des exportations canadiennes et la quatrième source de nos importations à l'échelle mondiale. De même, la valeur de l'investissement direct canadien au Mexique augmente sans cesse, la valeur cumulative des investissements canadiens directs dans ce pays ayant dépassé 4 milliards de dollars en 2001.

L'ALENA n'est cependant pas simplement un tableau indicateur du commerce. La réorientation de la structure industrielle canadienne a reçu un coup de pouce grâce aux nouveaux débouchés et aux pressions concurrentielles issus de l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis — l'ALE — et son successeur, l'ALENA.

[Français]

C'est bientôt le dixième anniversaire de l'ALENA, lequel est entré en vigueur le 1er janvier 1994. Pour le Canada, le cadre de l'ALENA est le meilleur outil pour raffermir ses relations commerciales et économiques avec les États-Unis et le Mexique.

L'ALENA, avec ses groupes de travail permanents et ses engagements de mise en œuvre, est, à bien des égards, un document dynamique offrant d'énormes perspectives en matière d'amélioration de l'accès au marché. Tous les pays se sont engagés à le mettre pleinement en oeuvre.

Le 1er janvier 2003, par exemple, la phase finale des réductions tarifaires prévues à l'annexe Canada-Mexique entrait en vigueur. Le gouvernement du Mexique a prouvé son engagement envers L'ALENA en apportant les réductions tarifaires malgré une opposition politique importante dans certains secteurs — mes homologues partagent mon point de vue.

Il existe certains domaines où un travail trilatéral supplémentaire pourrait stimuler les échanges entre les trois pays et favoriser l'avènement d'une économie nord-américaine plus intégrée et plus efficace.

Sur le plan des investissements, notamment, la Commission de l'ALENA a demandé à des spécialistes de poursuivre l'examen de la mise en oeuvre et du fonctionnement du Chapitre 11 et, si nécessaire, de préparer des recommandations.

Les spécialistes dégagent actuellement les priorités relatives au fonctionnement de ce chapitre. Les trois parties signataires de l'ALENA continueront à identifier les blocages actuels au commerce et à l'investissement, et à faire ce qu'il faut pour les éliminer dans le cadre de l'ALENA.

À notre avis, nos priorités dans ce domaine doivent être les activités susceptibles d'avoir un effet favorable important sur le milieu des affaires. L'étude envisagée par le comité est aussi une occasion d'obtenir les opinions des Canadiens et de leurs parlementaires sur des priorités canadiennes en matière de travaux trilatéraux supplémentaires. Cela serait un apport précieux dans ce processus.

[Traduction]

Puisque 87 p. 100 de nos exportations de marchandises sont destinées aux États-Unis, il est évident que nos relations commerciales avec notre voisin du Sud sont d'une importance vitale. Ces relations, ainsi que les questions d'intégration de l'Amérique du Nord, font de plus en plus l'objet de débats et d'analyses. De plus, il semblerait que la population soit de plus en plus sensibilisée à la nécessité d'analyser la voie à suivre.

D'après les sondages récents, les Canadiens veulent un resserrement des liens économiques avec les États-Unis pour relever leur niveau de vie et ont de plus en plus la certitude qu'ils peuvent concurrencer l'industrie américaine sur un pied d'égalité. Dans les milieux d'affaires, nombre de groupes d'intérêts, notamment les Manufacturiers et Exportateurs du Canada et la Coalition pour des frontières sécuritaires et efficaces sur le plan commercial, ont formulé de nouvelles idées sur la façon dont le Canada devrait procéder. Certains ont même préconisé un grand marché ou un marché stratégique avec les États-Unis, et d'autres, un marché commun ou une union douanière.

Il est clair, selon les résultats d'un sondage publiés par le quotidien The Globe and Mail la semaine dernière, que plus de quatre dirigeants canadiens sur cinq, soit 81 p. 100, ne croient pas que le Canada et les États-Unis devraient former une union, et sur ce point, je suis parfaitement d'accord.

Par contre, cela ne signifie pas qu'il faille se tenir coi. En fait, nous pouvons faire beaucoup pour tirer profit des résultats actuels en progressant étape par étape, résolument et avec détermination, en n'oubliant jamais les intérêts canadiens.

Selon moi, dans ce contexte, le Canada doit poursuivre six objectifs principaux. Le premier consiste à augmenter la part qu'il occupe sur le marché américain des importations. Le Canada occupe actuellement environ 19 p. 100 du marché américain des importations, proportion qui dépasse de loin notre poids économique dans le monde. Le Canada devrait viser à augmenter sa part annuelle de ce marché.

Le deuxième objectif consiste à augmenter la circulation bilatérale des investissements, dont le commerce dépend de plus en plus. Les investissements au Canada toucheront les secteurs de la technologie, de la R-D, et aideront notre pays à atteindre ses objectifs d'innovation énoncés dans le discours du Trône.

Le troisième objectif est de présenter un calendrier de «réglementation intelligente». Dans le discours du Trône, le gouvernement s'engageait à appliquer une stratégie de réforme réglementaire accélérée de façon à favoriser la santé, à encourager l'innovation et la croissance économique, et à réduire le fardeau imposé aux entreprises.

Le Canada doit, à ce propos, voir de quelle façon ses approches réglementaires s'inscrivent dans l'espace économique nord-américain. Nous avons fait à cet égard de grands progrès dans l'ALENA. Nous devons à présent aller plus loin, Il est possible d'élargir et d'approfondir la coopération réglementaire en réduisant davantage la bureaucratie et les obstacles réglementaires qui freinent les échanges commerciaux entre nos pays.

Le quatrième objectif est de nous engager sérieusement à déployer davantage d'efforts pour harmoniser les pratiques en matière de recours commerciaux avec l'intégration accrue de l'espace économique que nous partageons en Amérique du Nord. Ainsi, compte tenu du niveau d'intégration du marché de l'acier en Amérique du Nord, l'usage des recours commerciaux va à l'encontre du but recherché. C'est ce qu'ont reconnu les États-Unis en mars, en n'inscrivant pas le Canada dans une action en recours protectionniste concernant l'acier.

De la même façon, en matière d'énergie, le Canada et les États-Unis ont établi des rapports fermes et mutuellement avantageux, reposant sur notre engagement mutuel envers une politique énergétique fondée sur le marché. Il est peut- être possible de régler ces questions commerciales par des moyens qui tiennent compte de notre intégration économique. Nous devons oeuvrer afin de faire reconnaître cette réalité par le Congrès et l'administration américaine.

Comme cinquième objectif, nous devons chercher à faire en sorte que la frontière ne soit plus un obstacle au commerce, à l'investissement et au développement des entreprises et «éloigner la frontière de la frontière». Les gouvernements doivent s'adapter aux exigences et aux attentes des entreprises de part et d'autre de la frontière, qui dépendent de livraisons juste à temps et d'un accès facile aux marchés. Nous devons réduire davantage les coûts de transaction afin qu'il soit plus facile aux entreprises de faire des affaires et de profiter de notre intégration économique, et faciliter davantage les déplacements transfrontaliers des gens d'affaires.

Nous avons beaucoup accompli grâce à la Déclaration sur la frontière intelligente et à son plan d'action en 30 points signé par le gouverneur Tom Ridge et le vice-premier ministre John Manley en décembre dernier. Ainsi, les douanes canadiennes et américaines pré-inspectent les conteneurs arrivant aux principaux ports canadiens et américains. Le programme NEXUS permet le passage rapide de la frontière à ceux qui détiennent une carte. Le programme EXPRES permet aux chauffeurs et aux camions à faible risque de traverser plus rapidement la frontière, car leurs manifestes sont expédiés par transpondeurs aux agents des douanes avant leur arrivée à la frontière. Et une nouvelle infrastructure sera construite dans la zone Detroit-Windsor.

Enfin, comme sixième objectif, il nous faut élargir notre programme de promotion et de défense aux États-Unis. L'intégration économique croissante signifie que le nombre et la diversité des enjeux et des actions des paliers fédéral, étatique et municipal aux États-Unis ont des effets de plus en plus directs et puissants sur le Canada. Le ministère s'efforce d'augmenter sa capacité de mobiliser les citoyens des États-Unis aux échelons local, régional et étatique, là où les intérêts qui animent la politique du Congrès et de l'administration sont développés et précisés.

Sur le plan des activités de promotion et de défense, nous n'avons pas ménagé nos efforts et nous comptons continuer. À ce propos, je me rends à Washington demain, accompagné d'une délégation de députés et sénateurs de tous les partis, afin de faire valoir les intérêts commerciaux du Canada et de régler certaines questions en litige, notamment celles du bois d'oeuvre résineux et de la Commission canadienne du blé.

[Français]

Ce sont des objectifs qui, selon moi, augmenteront la place du Canada en Amérique du Nord. Même si le raffermissement de l'espace économique nord-américain et plus particulièrement des relations Canada-États-Unis est notre grande priorité, nos succès en ces domaines nous incitent à une plus grande libéralisation du commerce par l'entremise de l'OMC et par l'intégration économique au sein de la ZLÉA.

En plus de la libéralisation du commerce des marchandises, la ZLÉA offre la possibilité d'obtenir des engagements d'accès accrus au marché dans le domaine des services et d'établir des mesures de protection plus fortes des investissements dans tout l'hémisphère. Sa mise en œuvre fera de la ZLÉA la plus vaste zone de libre-échange au monde.

La nouvelle ronde de négociations de l'OMC amorcée à Doha l'an dernier aura pour objet de renforcer les règles répondant aux besoins de nos économies modernes et de favoriser une plus grande libéralisation dès janvier 2005.

Notre participation à la ZLÉA et à l'organisation mondiale du commerce garantit au Canada une pleine participation afin de profiter des débouchés commerciaux, tout en protégeant ses intérêts dans un régime fondé sur des règles.

En bref, nous savons que l'Accord de libre-échange Canada—États-Unis et L'ALENA nous ont largement bien servis, mais nous ne devons pas nous asseoir sur nos lauriers. Nous devrons continuer à travailler pour assurer l'avenir.

Le commerce en Amérique du Nord, particulièrement avec les États-Unis, est vital à notre santé économique. Nous devons faire notre part pour élargir constamment nos réflexions sur les moyens d'augmenter notre accès à ces marchés hautement dynamiques et en perpétuelle évolution.

[Traduction]

Je me ferai un plaisir d'écouter vos commentaires et de répondre à vos questions, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup, monsieur le ministre.

Le sénateur Graham: Bienvenue, monsieur le ministre. Nous avons entendu cet après-midi toute une série de témoignages intéressants. J'aimerais que nous discutions d'une question très précise, celle de l'union douanière. Un de nos témoins a demandé si nous avions besoin d'une union douanière, et un autre a dit que nous devions nous diriger dans cette voie. Ce qui veut dire «une union douanière si nécessaire, mais pas nécessairement une union douanière».

Dans la pratique, n'est-il pas vrai que nous fonctionnons dans bien des cas — ou dans la majorité des cas — comme s'il y avait une union?

M. Pettigrew: Évidemment, une union douanière reflète un même degré d'intégration moins poussé qu'un marché commun, mais plus poussé qu'un accord commercial. C'est ce qu'on enseigne à l'école au sujet de l'intégration économique.

L'économie du Canada et celle des États-Unis sont très intégrées, dans les faits. Nous avons deux économies très intégrées en Amérique du Nord. Cependant, sur le plan des institutions et pour toutes sortes de raisons, nous avons préféré nous en tenir à un accord de libre-échange. Je ne perçois pas d'impatience à modifier les institutions ou à changer notre façon de fonctionner. Nous voulons faire en sorte que notre système demeure dynamique, et c'est ce que j'aime de l'ALENA. Il y a 28 groupes de travail permanents qui continuent à mettre de la vie dans cet accord commercial.

Nous pourrions faire un essai, par exemple, dans l'industrie de l'acier. Ce serait une expérience intéressante et un bon dossier pour commencer, sans appliquer de recours commerciaux et sans sortir nos arsenaux nationaux de règlement des différends. Dans le secteur de l'acier, l'économie est très largement intégrée. À mon avis, nous devons continuer à travailler avec ce que nous avons, pour faire en sorte que ce soit dynamique, et chercher à améliorer la frontière sans nécessairement changer le cadre institutionnel dans lequel nous fonctionnons.

Le sénateur Di Nino: Monsieur le ministre, un de nos témoins a parlé de la nécessité que le Canada améliore ses relations à l'extérieur de Washington. Or, vous avez dit dans votre exposé que nous devions «élargir notre programme de promotion et de défense aux États-Unis», ce qui passe par l'augmentation de notre capacité «de mobiliser les citoyens des États-Unis aux échelons local, régional et étatique». Comme vous l'avez dit, il y a environ 38 États pour lesquels le Canada est le marché numéro un. De toute évidence, vous êtes d'accord. Pouvez-vous nous en dire un peu plus long à ce sujet-là? Serait-il envisageable d'ajouter des bureaux consulaires, des bureaux commerciaux, et ainsi de suite?

M. Pettigrew: En fait, ce que votre témoin préconisait correspond exactement à mon sixième objectif vis-à-vis des États-Unis. Cela me donne la chance de faire de la réclame pour mon budget.

Dans le dernier discours du Trône, notre gouvernement s'est engagé à accroître notre présence aux États-Unis et à y intensifier nos efforts de représentation. Nous constatons que, de plus en plus, les décisions viennent d'un État ou d'une communauté en particulier. Le Canada est tellement proche des États-Unis, et nous avons une relation tellement essentielle avec les Américains que nous devons sortir de Washington et aller voir dans les endroits d'où vient l'influence primordiale qui oriente la politique américaine, que ce soit dans les sous-sols d'église, les centres communautaires ou les clubs philanthropiques.

Le Canada doit faire mieux sur ce front. J'espère que le budget aidera mon ministère à accroître notre présence aux États-Unis. C'est une priorité que notre gouvernement a exprimée dans le discours du Trône. Il serait très utile que nous soyons plus présents aux États-Unis. Notre ambassade fait un excellent travail et elle est bien équipée, mais nous devons sortir de Washington et aller voir les gens dans les États, dans les régions, dans les groupes d'influence.

Le sénateur Di Nino: Quand vous discutez de différents dossiers avec les gens des États, les gouverneurs et les gens d'affaires, pensez-vous que l'énergie et l'eau du Canada pourraient jouer un rôle dans ces négociations, dans vos discussions avec les différents intéressés, pour nous aider à préserver et à consolider nos liens commerciaux avec eux?

M. Pettigrew: Comme vous le savez, l'eau et l'énergie sont deux choses bien différentes. L'eau, dans son état naturel, n'est pas considérée comme un «bien» et n'est donc pas soumise aux mêmes lois commerciales et aux mêmes approches commerciales que l'énergie. Évidemment, c'est une chose à laquelle les Canadiens tiennent beaucoup.

Sur le front de l'énergie, cependant, il est clair que les échanges entre le Canada et les États-Unis ont toujours été très constructifs et très productifs pour nos deux pays. C'est certainement un secteur dans lequel il faut soutenir et améliorer nos échanges commerciaux.

Le sénateur Di Nino: Nous avons notamment posé aux témoins précédents des questions sur l'adoption d'une monnaie unique en Amérique du Nord. Avez-vous une opinion là-dessus?

M. Pettigrew: Je ne suis pas prêt à appuyer l'idée d'une monnaie unique. Il en est beaucoup question ces temps-ci. Évidemment, les Européens, qui ont une histoire très différente de la nôtre et qui vivent une réalité très différente, ont choisi cette voie-là il y a quelques années. Je suis heureux que cela ait bien marché pour eux. Les pays de l'Union européenne avaient 14 ou 15 devises différentes. Une entreprise qui faisait des affaires sur tout le continent devait s'organiser avec 14 devises, ce qui était très lourd et très onéreux. La réalité exigeait une monnaie unique.

De plus, l'Europe a un marché commun qui repose non seulement sur des institutions économiques, mais aussi sur des institutions politiques, ce qui n'est pas le cas du tout en Amérique du Nord. Soyons clairs. La monnaie unique, ce serait le dollar américain. Il serait difficile d'imaginer que nous puissions convaincre les Américains d'abandonner leurs billets verts.

Je trouve toujours cela étrange d'entendre les gens parler par euphémisme de «monnaie unique», alors que la véritable question est de savoir si nous voulons adopter le dollar américain. Je ne pense pas que nous le souhaitions.

Pour 95 p. 100 de nos exportations, nous n'avons besoin que d'une seule devise étrangère, pas de 14 comme les Européens. Les Américains ont leurs lois sur les recours commerciaux et leurs lois sur le commerce international — comme je m'apprête à me rendre à Washington, je ferais mieux d'être gentil. Il y a une atmosphère constructive dans le secteur du bois d'oeuvre et je ne veux pas me montrer trop sévère. Mais, tôt ou tard, mes opinions sur les lois commerciales américaines vont être connues. Je suis content que nous ayons l'occasion d'en discuter pendant la ronde de négociations de Doha. L'ambassadeur a accepté que cette question soit soulevée à la table de consultation à Doha.

Dans la mesure où les Américains ont leurs propres lois en matière de commerce, qui peuvent être punitives à l'occasion, nous devons avoir notre propre monnaie pour conserver une certaine marge de manoeuvre à cet égard.

Historiquement, nous suivons généralement les États-Unis six mois plus tard quand ils entrent en récession. Or, la récession a commencé il y a plus de deux ans là-bas, et nous n'en avons pas eu ici. C'est cependant un avertissement à l'économie canadienne, pour nous faire comprendre que nous devons prendre le temps d'adapter certaines de nos politiques et essayer de faire en sorte que le choc ne soit pas trop brutal. C'est un autre outil utile que nous avons en main.

Le président: Monsieur le ministre, ce qui me préoccupe surtout, ce sont les normes mutuelles. J'ai lu certains de vos commentaires sur cette question. Quand nous serons dans l'Ouest, je suis certain que nous allons nous faire poser des questions à ce sujet-là par les gens de l'industrie de la viande et d'autres secteurs également. Il me semble que nous ne sommes pas obligés d'adopter les normes américaines, mais que nous pourrions nous entendre pour appliquer nos propres normes, que ce soit au sujet de la qualité de la viande ou des télécommunications.

M. Pettigrew: J'ai rencontré les conseils d'entreprises canadiens et américains le 16 octobre à Toronto. J'ai discuté des nombreuses raisons pour lesquelles il est difficile d'avancer dans ces discussions sur l'harmonisation. Nous avons notre façon de faire les choses, que nous préférons, et ils ont la leur, qu'ils préfèrent.

En Amérique du Nord, où nous sommes très industrialisés et où nous appliquons des normes très élevées, nous pourrions au moins examiner la possibilité de ce que j'appelle la «reconnaissance mutuelle» de nos normes respectives. Si c'est assez bon pour Hawaï, cela devrait être assez bon pour l'Ontario. Nous sommes à peu près sur le même pied que les États-Unis en ce qui concerne la qualité de nos normes. Je pense que cette solution serait beaucoup moins compliquée et beaucoup plus respectueuse de nos désirs que le genre d'harmonisation dont il est question. Nous devrions procéder à cet examen secteur par secteur, par exemple pour les produits pharmaceutiques, les aliments, et ainsi de suite, mais j'ai proposé que nous adoptions une orientation générale au sujet de ces normes et je suis content de voir que ma proposition a été aussi bien reçue.

Le président: Ma deuxième question est de nature plus politique. C'est celle dont bien des gens parlent en ce moment puisque la situation en Irak est tellement tendue.

Sommes-nous devenus des otages de notre surplus annuel de 16 milliards de dollars, dans nos échanges avec les États-Unis? Sommes-nous devenus des otages politiques de cette situation?

M. Pettigrew: Je ne pense pas. Il est certain que notre survie dépend dans une large mesure de la prospérité de l'Amérique du Nord. Cependant, nous avons décidé de ratifier Kyoto alors que les Américains ne l'ont pas fait. En outre, même si le Canada est un petit pays, nous avons défendu l'idée d'un tribunal pénal international, et les Américains n'ont pas aimé cela parce qu'ils s'opposaient à cette idée. La Canadienne Louise Arbour, qui est maintenant juge de la Cour suprême, a beaucoup contribué à ce tribunal. Il y a aussi le traité d'Ottawa sur les mines terrestres. Je suis convaincu que le Canada a sa propre identité et sa propre façon de faire les choses, qui reflète ce que nous sommes. Comme je l'ai dit tout récemment à des amis européens, il y a actuellement un tel degré d'antiaméricanisme en Europe que je trouve cela inquiétant. En Amérique du Nord, nous avons créé un pays original avec notre propre personnalité, aussi profonde que soit notre intégration économique.

[Français]

Le sénateur De Bané: Si nous regardons les 50 dernières années, il ne fait aucun doute qu'il y a une plus grande intégration économique entre nos deux pays. Je me souviens de l'époque où le premier ministre Diefenbaker avait fait une campagne électorale sur le thème de la diversification de nos relations commerciales. Un de vos prédécesseurs, M. Jean-Luc Pepin, alors qu'il occupait les ministères de l'Industrie et du Commerce international, voulait également diversifier ces relations.

Aujourd'hui, environ 90 p. 100 de notre commerce extérieur se fait avec un pays, ce qui représente presque la moitié de notre économie. De plus en plus, particulièrement en Europe, on a tendance à nous considérer comme étant dans le giron américain. Je me demande s'il est possible de faire quelque chose pour encourager la diversification de nos exportations.

Je ne connais pas d'autres pays dans le monde où 86 p. 100 des exportations sont dirigées vers un seul pays. Certes, tout pays entretient plus de relations avec ses voisins, mais les États-Unis sont le géant industriel de la planète. Je me souviens de ce que faisait M. Pepin lorsqu'il arrivait une récession aux États-Unis. Il nolisait des avions et amenait des gens d'affaires canadiens en Asie. Ces gens remplissaient leurs carnets de commandes mais, de retour au Canada, quelque temps plus tard, si la récession était finie aux États-Unis, ils oubliaient ces carnets de commandes remplis au loin et se disaient puisque le droit commercial en Amérique du Nord est le même, nos façons de faire les mêmes, oublions ces clients qui sont au loin.

Nous disons vouloir diversifier nos relations, pourtant on dirait qu'il y a une marche inexorable pour réduire l'éventail de nos possibilités. Vous avez beaucoup réfléchi à cela et j'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Pettigrew: Une grande part de nos efforts visent justement les autres marchés. Equipe Canada, que le premier ministre Chrétien a mise sur pied, est un exercice extraordinaire. Il y en aura un autre le mois prochain. Tous les premiers ministres des provinces se joindront au premier ministre Jean Chrétien. Nous irons en Europe. Nous sommes allés en Chine.

Dans les missions commerciales que je dirige, plus modestes que celles du premier ministre, nous partons avec 60, 75 et même 165 gens d'affaires en Inde, en Afrique, en Amérique latine ou en Australie. Nous faisons donc des efforts de ce côté. Il faut comprendre que l'économie a changé de façon radicale. Le Canada exporte maintenant 46 p. 100 de son PIB. Toutes les économies sont de plus en plus intégrées. Je ne sais pas comment c'était à l'époque de M. Pepin, pour qui j'ai beaucoup d'estime, mais il y a dix ans, un peu avant que notre gouvernement n'arrive au pouvoir, le Canada n'exportait que 25 p. 100 du PIB.

Les chiffres par rapport aux États-Unis, selon lesquels on trouve que notre dépendance vis-a-vis les États-Unis a augmenté, démontre que nous sommes passés de 25 à 46 p. 100 d'exportations du PIB. De plus, tous les pays de la planète exportent 80 p. 100 de leurs produits à mille milles de leurs frontières. La France est l'exception, reconnue pour ses produits haut de gamme et ses objets de luxe et autres. Or, il arrive qu'à mille milles de nos frontières, il y a les États-Unis. Il y a également les Russes de l'autre côté, mais ils ne consomment pas autant que les Américains, surtout dans le nord.

Nous avons cependant la chance d'être voisin de l'économie la plus dynamique, la plus forte et la plus créatrice de la planète. Bien sûr, lorsqu'il arrive une récession, nous essayons d'y pallier, mais être à côté du Japon ou de l'Allemagne en ce moment ne serait pas plus facile. Nous profitons largement de notre position géographique.

Mais c'est clair qu'à travers toutes les négociations, que ce soit l'OMC par laquelle on cherche à améliorer notre accès aux autres marchés, que ce soit la zone de libre-échange des Amériques, que ce soit l'accord que Pascal Lamy et moi avons la responsabilité de mettre sur pied cette année, c'est-à-dire un accord de commerce et d'investissement nouvelle génération pour le XXIe siècle, l'objectif est de nous renforcer partout à travers la planète.

Le sénateur Corbin: Je vous félicite pour votre optimisme. Je crois d'ailleurs que vous avez entièrement raison en ce qui concerne nos relations commerciales avec les États-Unis.

Comme vous le savez, à quelques reprises le président actuel des États-Unis s'est adressé à son vis-à-vis, le premier ministre Blair de la Grande-Bretagne, comme étant «America's best friend». Je l'ai encore entendu cette fin de semaine. Comprenez-moi bien, je compatis tout à fait avec les malheurs qui sont tombés sur la tête des Américains depuis quelque temps, et ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Mais cela m'amène à vous demander si la politique étrangère des États-Unis n'est pas en train d'évoluer, et je ne parle pas seulement de son front guerrier. Je ne parle pas de l'Afghanistan ou de l'Irak, c'est une chose et un défi en soi. Je ne fais pas allusion non plus, même si cela peut être un facteur, au geste de «la gang des 8» en Europe la semaine dernière.

Est-ce que le Canada est encore «America's best friend»? Cela me chicote un peu et me préoccupe. Même si tout semble aller bien et si tout va en progressant du côté des ententes qu'on peut développer avec les Américains, il me semble qu'il y a quelque chose qui se prépare et qui pourrait avoir un impact sur les règles du jeu à l'avenir dans nos relations avec les Américains.

M. Pettigrew: Je ne veux pas commenter sur la politique étrangère de M. Blair et sur la conjoncture immédiate autour de la question de l'Irak. J'ai participé à plusieurs rencontres, notamment la première entre le président Bush et le premier ministre Jean Chrétien, ainsi qu'à plusieurs depuis le 5 février où nous avons dîné à la Maison Blanche.

J'ai toujours été frappé par la cordialité des rapports. Nous n'avons pas besoin d'être d'accord sur tout. Mais je peux vous dire qu'ayant participé à plusieurs rencontres, il y a une cordialité et une facilité de dialogue entre Nord- Américains, entre deux hommes qui se disent les choses très directement, avec un certain sens de l'humour assez remarquable.

Je vois aussi, comme vous, souvent, des commentaires disant que notre gouvernement ne s'entend pas du tout avec les Américains. On a écrit, par exemple, que j'étais persona non grata à Washington. Je ne sais pas ce qu'on va dire dans ce journal demain lorsqu'on va voir que j'y passe deux jours. Je suis reçu par M. Evans et M. Zelik, mes deux collègues qui s'occupent des dossiers.

D'ailleurs, c'est assez amusant parce qu'au moment où on disait que j'étais persona non grata à Washington, l'ambassadeur Zelik était venu passer deux jours chez moi à Québec, dans ma ville natale, pour avoir du temps de qualité afin de préparer toutes les négociations. Je pense aux relations du premier ministre avec le président Bush et à celles que M. Graham établit avec M. Colin Powell, qui est un homme pour qui j'ai aussi beaucoup d'admiration. Je pense aux relations développées avec l'ambassadeur Zelik qui vient même me visiter chez dans ma ville natale pour discuter de l'avenir. Je pense aux relations que John Manley a développées avec le gouverneur Ridge et qui m'apparaissent avoir été d'une grande utilité. Des amis n'ont pas à toujours penser de la même façon sur tout, mais ils doivent être là l'un pour l'autre, se comprendre. Être un ami, c'est aussi se dire des choses avec lesquelles parfois l'autre n'est pas nécessairement d'accord. L'amitié a aussi des exigences de transparence et de sincérité. Je pense qu'entre notre gouvernement et l'administration américaine, il y a une collaboration et un partenariat très réel. Et j'aurais pu continuer la liste des ministres.

Le sénateur Corbin: Je ne faisais pas allusion à personne en tant que tel. Je suis au courant de ce qui se passe, mais pas dans l'intimité comme vous venez de nous le dire. Il me semble toutefois que les États-Unis commencent à fléchir des muscles. Je vous demandais si cela vous préoccupe eu égard à la conduite de nos affaires pour l'avenir. Vous parliez de la perception des Européens et des Américains. Je pense que l'Européen ne déteste pas l'Américain en particulier, mais les Européens craignent une certaine perception d'un certain impérialisme américain.

Je pense que les États-Unis nous considère encore comme faisant partie des petites ligues, si j'ose m'exprimer ainsi. Nous, Canadiens, percevons que nous sommes très bien servis par notre proximité avec les États-Unis, mais sommes- nous encore un joueur sur le plan international? Sommes-nous un joueur qui compte aux yeux de l'actuelle administration américaine? C'est là ma préoccupation.

M. Pettigrew: Je crois que nous avons une voix. Je peux vous dire que, oui, ils se préoccupent beaucoup de savoir ce que l'on pense. Ils savent très bien que la voix du Canada est une voix qui est entendue à travers la planète avec une bienveillance remarquable et qu'il y a beaucoup d'accueil à l'endroit de la parole canadienne lorsqu'elle est portée partout à travers la planète. Je suis toujours frappé de constater à quel point le Canada est un pays bien perçu. Les États-Unis savent à quel point le Canada, avec qui ils partagent le continent, est un pays dont la crédibilité, la réputation est remarquable et appréciée à travers le monde. Les Européens nous disent souvent de parler plus fort. On essaie de parler plus fort. Je viens de vous donner des exemples de politique étrangère où nous avons adopté d'autres lignes que la ligne américaine. Mais pour les États-Unis c'est très difficile quand vous êtes le pouvoir dominant. Et plus on est dominant et plus c'est difficile. En ce moment, qu'est-ce que vous voulez, nous sommes dans une situation de monopolarité. À ma connaissance, jamais dans l'histoire de l'humanité, il n'y a eu une puissance aussi hégémonique que la puissance américaine. Pas seulement celle du gouvernement américain, mais celle de sa société américaine, de sa technologie, de sa culture, de ses valeurs, de son «entertainment» qui circulent à travers la planète.

Il y a le pouvoir américain, mais il y a aussi la puissance de cette société qui entre dans les salons de partout à travers la planète, maintenant. C'est pour cela qu'ils ont plus de pouvoir. Ce n'est pas seulement par les soldats, c'est également par le «soft power». Autrement dit, les Américains entrent dans le salon des gens partout à travers le monde. Cela a contribué beaucoup, je crois, à faire tomber le mur de Berlin.

Les États-Unis sont peut-être devenus impériaux par leur puissance, par la simple place qu'ils prennent sur la planète. Mais pour être impérialiste, il faut en avoir la volonté. C'est loin d'être évident que les États-Unis manifestent une volonté impérialiste. Lorsque les États-Unis agissent, on leur reproche leur unilatéralisme et lorsqu'ils n'agissent pas, on leur reproche d'être isolationniste et de se foutre de ce qui se passe sur le reste de la planète. Ce n'est pas facile d'être le principal pouvoir sur la planète.

[Traduction]

Le sénateur Andreychuk: Je voudrais vous poser trois questions auxquelles vous avez déjà répondu en partie. Mais j'aimerais les aborder sous un angle différent.

Nous savons que, quand votre ministère, au cours des dix dernières années, a apporté de nombreux changements à ses ressources aux États-Unis et qu'il les a renforcées avec un plus grand nombre de consulats et de bureaux commerciaux, cela a permis de maintenir ou d'accélérer nos échanges commerciaux. Je pense qu'il y a un lien direct. En outre, nous n'avons pas pris d'expansion ailleurs, en particulier en Europe.

Vous dites maintenant que vous allez demander des ressources accrues pour les États-Unis, ce qui est un bonne chose à mon avis. Mais j'entends dire de plus en plus que nous ne faisons pas sentir suffisamment notre présence un peu partout dans le monde, parce que nous n'avons pas de moyens de représentation. Par conséquent, si votre ministère réclame une plus grande présence aux États-Unis, nous ne pourrons jamais nous diversifier et nous mondialiser comme nous pourrions le faire si nous engagions autant de ressources ailleurs. Dans bien des cas, nos ressources sont étirées à l'extrême; nous embauchons localement, ce qui est bien. Mais il est certain que nous pourrions nous implanter en Europe, malgré les systèmes complexes qu'on y retrouve, si nous renforcions notre position là-bas. Je me demande pourquoi nous ne le faisons pas aussi.

Vous avez parlé de l'ALENA, ainsi que de ses avantages et de ses inconvénients. À votre avis, est-ce qu'il serait utile de poursuivre et d'accélérer la conclusion d'accords parallèles? Il est certain que nous n'avons pas fait tout ce que nous aurions dû faire dans le domaine de l'environnement.

Pour finir, notre comité va se pencher sur les grands enjeux en matière de commerce. Vous avez mentionné l'acier. À votre avis, quels sont les secteurs qu'un comité parlementaire comme le nôtre pourrait vous aider à étudier en profondeur, en particulier dans le cadre de l'ALENA?

M. Pettigrew: Sénateur Andreychuk, vous avez raison. C'est une question de ressources. Notre ministère a subi de nombreuses compressions dans les années 90.

Je dois dire, cependant, que la réforme de notre réseau de délégués commerciaux a rapporté des dividendes et a rendu ces délégués très efficaces dans le monde entier. Je suis fier de ce que nous faisons. Je suis d'accord pour dire que, quand nous aurons les ressources nécessaires, nous devrions à la fois renforcer notre présence aux États-Unis et chercher à nous établir sur d'autres marchés.

Les accords parallèles ont beaucoup aidé. Ils ont montré que les gens qui s'occupent de commerce s'intéressent aussi à d'autres aspects, tout en étant conscients du fait qu'il y a d'autres personnes responsables d'en faire la promotion. Nous avons examiné les questions du travail et de l'environnement avec le Chili, le Costa Rica et Singapour. Nous participons aux négociations sur l'Amérique centrale. Je pense que c'est très utile. Je sais que les discussions auxquelles participent deux de mes collègues, le ministre Anderson et la ministre Bradshaw, dans les domaines du travail et de l'environnement contribuent à améliorer notre planète tout autant que le commerce international.

Quant à savoir quels secteurs en particulier votre comité devrait étudier, à part l'acier, il faudrait que j'y réfléchisse. Je vous donnerai une réponse plus tard.

Le président: Je rappelle aux membres du comité que nous devons nous concentrer surtout, quoique pas exclusivement, sur les chapitres concernant les mécanismes de règlement des différends.

Le sénateur Graham: J'ai remarqué tout particulièrement le sixième objectif dont le ministre Pettigrew a parlé, à savoir la nécessité d'étendre notre programme de promotion et de défense aux États-Unis. Avez-vous envisagé d'envoyer de nouvelles missions d'Équipe Canada dans certaines régions choisies des États-Unis pour atteindre cet objectif?

M. Pettigrew: Nous avons effectué surtout des visites régionales aux États-Unis. Par exemple, les gens de l'Ouest se sont rendus au Texas et en Californie l'an dernier en compagnie du premier ministre et de représentants de mon ministère. Nous avons eu beaucoup de missions commerciales du côté de l'Atlantique, surtout à New York, à Atlanta et dans d'autres centres de la côte Est. Nous procédons généralement sur une base régionale.

Il y a aussi des visites sectorielles. Aux États-Unis, quand on voit des gens d'affaires avec un représentant politique, cela n'ouvre pas nécessairement autant de portes que dans certains autres pays. Nous devons adopter une stratégie différente. Les Américains n'aiment pas cela quand le gouvernement paraît trop proche.

Nos gens organisent des initiatives sectorielles. Les visites se font surtout par secteur, ou par région.

Le sénateur Graham: Les Américains pourraient décourager, ou du moins ne pas encourager, une initiative de ce genre.

Le président: Il me semble que le comité a certainement pour mandat, notamment, de se pencher sur le conflit du bois d'oeuvre et sur d'autres conflits qui ne se sont pas réglés très facilement.

Les Américains ont été attaqués il y a quelques années et ils sont très sensibles à tout ce qui touche leurs frontières et leur sécurité. J'ai l'impression, à vous entendre, monsieur le ministre, et à entendre les témoins précédents, que certaines personnes — mais pas toutes — pensent qu'il devrait y avoir un prolongement de l'ALENA. Vous avez mentionné l'ALEA. Compte tenu de la situation aux États-Unis, dans quelle mesure est-ce réaliste?

Par exemple, je parle espagnol et je connais bien les pays hispanophones. Est-ce que les Américains, dans l'état d'esprit où ils se trouvent actuellement, sont prêts à discuter d'agriculture avec les pays hispanophones, puisque c'est une question primordiale pour la plupart d'entre eux? Est-ce que les Américains vont le faire, compte tenu du fait qu'ils semblent plutôt vouloir se replier sur eux-mêmes? Est-ce qu'il sera plus facile de traiter avec eux au sujet des trois articles pertinents concernant les mécanismes de règlement des différends? Ou est-ce que ce ne sera pas plus difficile, au contraire?

M. Pettigrew: C'est une question pertinente. À mon avis, l'administration Bush a accepté de mettre ces questions sur la table à Doha parce que les Américains se sont rendu compte que, s'ils continuent à appliquer leurs lois antidumping et leurs lois commerciales de cette façon, ce sera contre-productif parce que de plus en plus de pays font la même chose. Il y a de plus en plus de pays qui se sont dotés de lois commerciales de ce genre et qui accusent les autres de dumping. Les Américains se rendent compte que, si nous n'établissons pas de lignes directrices ou de principes au niveau multilatéral, pour les lois nationales sur le commerce, cela pourrait faire énormément de tort au commerce international. D'autres pays sont en train de se doter d'outils de ce genre. Les Américains comprennent donc qu'il est dans leur propre intérêt d'avoir des lignes directrices ou des principes au niveau multilatéral.

Je pense que nous allons probablement réaliser certains progrès dans ce sens-là, mais je ne parierais pas là-dessus et je ne m'attendrais pas à des miracles.

Le président: Merci beaucoup au nom de tous les membres du comité.

La séance est levée.


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