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Délibérations du comité sénatorial permanent des
affaires étrangères

Fascicule 4 - Témoignages du 17 février 2003 - Réunion de l'après-midi


VANCOUVER, le lundi 17 février 2003

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 13 h 34 afin d'examiner, pour ensuite en faire rapport, les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis d'Amérique et entre le Canada et le Mexique.

Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous accueillons cet après-midi M. Les Reed, qui est consultant en politique forestière, et M. Billy Garton, associé du cabinet Bull, Housser & Tupper. Messieurs, je vous remercie d'avoir pris le temps de venir pour nous faire profiter de vos connaissances.

M. Billy Garton, associé, Bull, Housser & Tupper: Honorables sénateurs, mesdames et messieurs, je m'appelle Billy Garton. Je suis avocat ici, à Vancouver, au cabinet Bull, Housser & Tupper. Je travaille surtout dans le domaine du droit des ressources naturelles, et particulièrement les secteurs des forêts et des mines. Je ne suis pas un expert du droit international, de l'ALENA ou du droit commercial américain. Je ne représente non plus aucun des intervenants dans le différend actuel entre le Canada et les États-Unis au sujet du bois d'œuvre résineux, du moins pas en ce qui concerne ce différend. Mon exposé d'aujourd'hui ne comprend que des observations personnelles, que ne partagent nécessairement ni le cabinet d'avocats pour lequel je travaille ni aucun de ses clients.

Je m'intéresse personnellement aux questions juridiques touchant l'industrie forestière canadienne, en qualité d'avocat et de citoyen. Il y a près d'un an, le Canadian Business Law Journal a publié un article que j'avais présenté en octobre 2001 à la faculté de droit de l'Université de Toronto. Je soupçonne que c'est la raison pour laquelle j'ai été invité à venir témoigner devant le comité aujourd'hui. L'article avait pour titre «The Canada-U.S. Softwood Lumber Dispute: Is Canada Stumped Again?» J'en ai fait distribuer des copies.

Mon article ne recommandait pas de changements particuliers dans les relations commerciales avec les États-Unis ou le Mexique. Toutefois, il illustre bien l'historique de ce différend de longue date et la faiblesse inhérente des arguments américains, maintenant que les États-Unis sont assujettis aux règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). L'historique de l'affaire et la forte position du Canada montrent que le droit commercial ne constitue qu'un outil peu efficace et presque inutile pour régler ce long différend portant sur des exportations valant 10 milliards de dollars par an à notre plus grand partenaire commercial.

Je ne crois pas que le bois produit en Colombie-Britannique bénéficie de subventions compensables. Toutefois, si le Canada a raison en droit — ce qui semble tellement évident — et que le différend dure encore plus de 20 ans après que le lobby américain du bois se soit attaqué au Canada en 1982, alors nous savons que quelque chose doit changer dans la façon dont ces différends sont réglés aux termes des traités internationaux et de nos propres lois.

Je ne vais pas tenter de reprendre l'historique du différend relatif au bois d'œuvre résineux, mais un certain contexte est nécessaire afin de comprendre les raisons pour lesquelles ce différend relève moins d'échanges libres et équitables que d'une tentative de limiter l'accès du Canada au marché très lucratif du bois d'œuvre.

Le premier différend relatif au bois d'œuvre, qui avait commencé en 1982, s'était terminé par quelques conclusions critiques du département américain du Commerce. L'observation présentée alors par le département sonne tout aussi vrai aujourd'hui qu'en 1982:

... une comparaison de la valeur du bois sur pied entre le Canada et les États-Unis serait arbitraire et fantasque à cause des différences considérables qui existent entre les deux pays dans la composition des forêts selon les essences, la taille, la qualité et la densité du bois, la nature du terrain et l'accessibilité du bois sur pied.

Le département du Commerce a ajouté que «les prix canadiens du bois sur pied ne s'écartent pas sensiblement des prix américains; en fait, dans certains cas, le prix canadien est parfois plus élevé». Voilà comment la plainte du lobby américain du bois avait été rejetée en 1982.

Le président: Veuillez mentionner, pour le compte rendu, quel tribunal vous venez de citer.

M. Garton: Il s'agissait des conclusions définitives du département du Commerce des États-Unis au sujet du différend de 1982 relatif au bois d'œuvre résineux. Vous trouverez une référence dans les notes de bas de page du document que j'ai distribué.

Sans se laisser décourager par l'échec de sa première tentative, le lobby américain du bois a présenté une nouvelle pétition en 1986. Cette fois, le département du Commerce est arrivé à la conclusion que les prix du bois sur pied pratiqués dans les provinces du Canada assuraient un avantage aux producteurs. Ce critère est encore utilisé aujourd'hui. Dans l'analyse effectuée, le coût de production du bois sur pied assumé par le gouvernement dépassait les recettes que celui-ci en tirait. Le département s'est donc servi d'une analyse fondée sur les coûts par rapport aux avantages.

Un protocole d'entente a été signé entre le Canada et les États-Unis, en vertu duquel le Canada a perçu un droit d'exportation de 15 p. 100 sur le bois d'œuvre résineux. Le protocole prévoyait des réductions de cette taxe à l'exportation si les provinces mettaient en œuvre des mesures de remplacement permettant d'augmenter les droits de coupe ou d'autres frais imposés pour la production de bois. En Colombie-Britannique, ces frais ont considérablement augmenté dans les années qui ont suivi.

En 1987, nous avons assisté à l'introduction d'un «système de fixation des prix fondé sur la valeur comparative», qui a sensiblement augmenté les droits de coupe dans la province. Toutefois, d'autres changements apportés à l'époque ont transféré l'obligation de planter des arbres à l'industrie forestière et à la province et ont mis un terme à la pratique consistant à déduire ces frais de la facture.

Les effets combinés de ces changements et d'autres ont réduit à zéro, dans le cas de la Colombie-Britannique, la taxe à l'exportation perçue aux termes du protocole d'entente de 1986. Le Canada a résilié l'entente en 1991, date à laquelle près de 92 p. 100 des ventes totales de bois d'œuvre aux États-Unis provenaient de provinces exemptées ou qui avaient considérablement haussé leurs droits de coupe.

Après la résiliation du protocole d'entente par le Canada en 1991, le département du Commerce a pris une mesure inhabituelle en ouvrant de sa propre initiative une enquête sur le troisième différend relatif au bois d'œuvre. Cette fois, le département a rejeté l'approche fondée sur le coût pour le gouvernement. Comme nous avions augmenté les frais imposés aux sociétés forestières pour l'exploitation du bois, le département a décidé de ne pas recourir à cette méthode. Il a plutôt soutenu qu'il y avait des subventions en comparant quelques droits de coupe du Canada avec quelques autres des États-Unis.

Le troisième différend avait une caractéristique intéressante: il a eu lieu après la mise en œuvre de l'Accord de libre- échange Canada-États-Unis. Le Canada a fait appel de la décision établissant l'existence de subventions à un groupe spécial binational et a obtenu gain de cause sur toutes les questions clés relatives aux subventions. Nous avions également fait appel de la conclusion finale — favorable à la thèse du préjudice causé aux États-Unis — de la Commission américaine du commerce international. Le groupe spécial chargé de cette affaire avait lui aussi conclu que la décision de la Commission n'était pas confirmée par les faits et avait donc demandé à la Commission de reconsidérer ses conclusions.

Par suite du succès des appels interjetés dans le cadre de l'Accord de libre-échange, les États-Unis ont demandé la constitution d'un comité de contestation extraordinaire (CCE). En 1994, ce comité a confirmé les décisions du groupe spécial binational concernant les subventions. Le département du Commerce a dû alors révoquer son ordonnance sur les droits compensateurs et rembourser immédiatement une partie des droits acquittés. Toutefois, les États-Unis ont conservé environ 800 millions de dollars des droits compensateurs perçus. Dans une opinion dissidente formulée en termes très énergiques, le seul juge américain faisant partie du CCE a contesté la constitutionnalité de l'ensemble du mécanisme de règlement des différends de l'Accord de libre-échange. Peu après, la coalition américaine du bois a déposé une contestation de la constitutionnalité du processus de règlement des différends prévu au chapitre 19, demandant que ce chapitre de l'Accord ainsi que les lois américaines le mettant en œuvre soient déclarés inconstitutionnels.

Environ trois mois plus tard, les États-Unis et le Canada ont annoncé qu'ils allaient entreprendre un processus consultatif, qui a abouti à la conclusion de l'Accord sur le bois d'œuvre résineux. Les États-Unis ont convenu de rembourser les 800 millions de dollars et la coalition américaine du bois a retiré la contestation constitutionnelle. Je me souviens encore de l'arrivée de ces chèques de remboursement provenant du département américain du Commerce. Les montants étaient tout petits, de sorte que certains producteurs ont reçu d'énormes liasses de chèques qu'ils devaient vérifier, un à un, par rapport aux livraisons faites aux États-Unis.

Entre-temps, tout le long des années 90, la Colombie-Britannique a augmenté très nettement les droits de coupe après l'adoption du Forest Renewal Act de 1994, qui a ajouté ce que nous appelons des «super-droits» quand les prix du bois d'œuvre augmentaient. L'argent recueilli servait à financer Forest Renewal British Columbia, société d'État qui a disparu il y a un an environ.

Nous avons également adopté le Code d'exploitation forestière qui, encore une fois, a ajouté des frais assez importants aux coûts d'exploitation des sociétés forestières de la Colombie-Britannique. Tout le long des années 90, la création de nouveaux parcs et de zones protégées dans la province a doublé la superficie de ces zones, qui sont passées de 6 à environ 12 p. 100 de la superficie terrestre de la Colombie-Britannique. Ainsi, les forêts provinciales pouvant être exploitées ont beaucoup diminué sans baisse correspondante des coûts fixes de l'industrie forestière.

Comme les honorables sénateurs le savent, le quatrième différend — l'actuel — a commencé dès l'expiration de l'Accord de cinq ans sur le bois d'œuvre résineux, ce qui prouve que les solutions temporaires ne permettront pas nécessairement de régler ce différend, même quand des changements importants sont apportés aux droits de coupe, à la structure des coûts et aux droits d'exploitation du bois au Canada.

Ce qui est différent cette fois-ci, c'est que les États-Unis ont signé l'Accord de l'OMC sur les subventions et ont modifié leurs lois pour les rendre conformes à leurs obligations envers l'OMC. Même si le Canada n'avait pas réussi à faire inscrire une définition des subventions lors de la négociation de l'Accord de libre-échange et de l'ALENA, l'accord de l'OMC définit un critère qui imposera des contraintes aux États-Unis, s'ils tentent de changer les règles du jeu parce qu'elles ne leur permettent plus de limiter l'accès du Canada au marché américain du bois d'œuvre.

Pour qu'il soit possible de conclure à l'existence de subventions compensables aux termes de la loi américaine et des nouvelles règles de l'OMC, il est nécessaire de satisfaire à un critère à trois volets. D'abord, le programme doit être offert à un secteur précis ou à un groupe particulier de secteurs. Ensuite, le programme doit assurer une contribution financière. Enfin, il doit conférer un avantage.

Le Canada a des arguments persuasifs à présenter sur tous ces points, et l'a effectivement fait devant l'OMC. Il est probable que l'argument le plus fort découle de la troisième exigence voulant que le programme confère un avantage. Le terme «avantage» n'est pas défini spécifiquement dans l'accord de l'OMC sur les subventions. Toutefois, on trouve des indications à l'article 14, qui établit un critère permettant de déterminer si un gouvernement a conféré un avantage. L'article prévoit que «la fourniture de biens ou de services [...] par les pouvoirs publics ne sera pas considéré[e] comme conférant un avantage, à moins que la fourniture ne s'effectue moyennant une rémunération moins qu'adéquate». Cette disposition de l'accord précise en outre la façon de déterminer le caractère adéquat de la rémunération. À l'alinéa d), l'article 14 de l'accord de l'OMC sur les subventions prévoit ce qui suit:

L'adéquation de la rémunération sera déterminée par rapport aux conditions du marché existantes pour le bien ou service en question dans le pays de fourniture ou d'achat...

Ces dispositions sont reprises dans le U.S. Tariff Act. Le Canada soutient que le critère de l'avantage conféré impose des comparaisons entre les prix du bois public et privé au Canada et non des comparaisons entre les droits de coupe perçus au Canada et aux États-Unis. Or les comparaisons transfrontalières constituent le fondement de la preuve que les États-Unis ont présenté pour établir l'existence de subventions compensables au Canada. Le département du Commerce a rejeté l'interprétation canadienne dans ses conclusions finales. Toutefois, un groupe spécial de l'OMC a confirmé cette interprétation le 27 septembre 2002. Dans son rapport sur la conclusion préliminaire du département américain du Commerce, le groupe spécial a déclaré qu'en utilisant les prix courants américains du bois sur pied — qui, par définition, ne correspondent pas aux conditions existantes du marché canadien —, le département du Commerce a agi d'une façon incompatible avec les articles 14 et 14d) de l'Accord sur les subventions et les mesures compensatoires dans la détermination de l'existence d'une subvention. En pratique, le groupe spécial de l'OMC a dit aux États-Unis: «Votre argument central ne tient pas.»

Cette décision a été rendue 13 mois après la décision préliminaire du département du Commerce et environ 18 mois après le début du quatrième différend. Aujourd'hui, il est clair à la lecture des textes législatifs américains et des règles de l'OMC qu'une comparaison transfrontalière des prix du bois sur pied ne peut pas servir pour appuyer la conclusion que le Canada subventionne la production du bois d'œuvre résineux.

Je n'ai pas abordé les droits antidumping, qui se fondent sur le comportement de certaines entreprises sur le marché, mais les politiques et les procédures utilisées pour calculer les marges de dumping semblent ouvertes à toutes sortes d'abus à but protectionniste. Malheureusement, je crois que cela s'applique à n'importe quel endroit du monde où l'accord antidumping de l'OMC est appliqué.

En ajoutant des allégations de dumping, le lobby américain du bois se donne le pouvoir de s'opposer aux arrangements que les gouvernements du Canada et des États-Unis pourraient souhaiter conclure afin de régler leurs différents. Le succès enregistré par le Canada dans ses scieries et ses forêts a amené les producteurs de bois américains à essayer constamment d'utiliser les lois commerciales des États-Unis pour limiter l'accès du Canada au marché américain du bois. Le bois d'œuvre résineux n'est pas un produit d'une importance particulière. Il ne fait l'objet d'aucune disposition spéciale de l'ALENA ou de l'OMC. C'est un peu comme le canari gardé dans une mine de charbon, illustrant ce qu'il peut advenir de n'importe quel produit échangé entre nos deux pays.

La façon dont nous réglerons ce différend aura des incidences d'une grande portée, non seulement pour nous, mais aussi pour les relations commerciales qui régneront dans le monde entier. Une solution à long terme décidée par les tribunaux ou convenue par négociation ne saurait durer si elle impose la privatisation des terres forestières de la Couronne au Canada ou la protection de l'industrie américaine du bois malgré ses prix élevés, car aucun de ces deux résultats ne semble acceptable sur le plan économique ou dans une perspective de politique publique. Dans un régime commercial réglementé, nous avons besoin de mécanismes efficaces de règlement des différends, qui seront jugés crédibles et opportuns et qui auront pour effet de décourager le comportement protectionniste avant même qu'il ne se manifeste.

J'ai quatre recommandations à formuler à cet égard. Premièrement, nous devrions envisager d'imposer des délais plus serrés adaptés aux besoins de toutes les parties, de façon à accélérer le traitement de ces différends. Les délais de l'OMC sont courts et l'accord de l'OMC devait imposer des règles assurant des délais serrés, mais vous pouvez constater combien de temps a passé sans que nous ayons encore une décision concernant les conclusions finales du département du Commerce sur les droits compensateurs. Ces différends traînent pendant des mois. Cela ne devrait pas être le cas quand il s'agit de différends aussi importants. Le Canada a demandé un règlement accéléré, mais les États- Unis ont refusé. Peut-être devrait-on imposer à la partie qui refuse un règlement accéléré de donner de bonnes raisons pour son refus ou de verser un cautionnement quelconque.

Ma deuxième recommandation est d'inclure dans les groupes spéciaux binationaux des membres de pays autres que les parties au différend. Je parle bien entendu des affaires examinées dans le cadre de l'ALENA. Cela pourrait contribuer à réduire le risque de préjugé et à augmenter la crédibilité des décisions prises. À l'heure actuelle, le président d'un groupe spécial de l'ALENA peut être un ressortissant de l'une des autres parties, mais on recourt à un modèle étrange de «citoyenneté inversée» pour choisir les quatre autres membres du groupe. On augmenterait probablement la crédibilité des décisions si le choix des membres était beaucoup plus libre.

Troisièmement, il est clair que nous avons besoin de solutions allant plus loin que le renvoi répété d'une décision pour réexamen. Les groupes binationaux devraient être habilités à prendre des ordonnances s'il est possible d'établir la constitutionnalité d'une telle mesure. On pourrait par exemple envisager d'ajouter aux motifs existants qui permettent de demander la constitution d'un comité de contestation extraordinaire la possibilité pour la partie «gagnante» au niveau binational de demander des réparations extraordinaires au CCE si la partie perdante refuse, à une ou à plusieurs reprises, d'appliquer les recommandations du groupe spécial.

Enfin, dans les différends commerciaux où la réparation ultime consiste en un simple remboursement des droits perçus — bien sûr, cela aussi est en cause -, peut-être faudrait-il envisager le versement d'indemnités ou de frais supplémentaires s'il est établi qu'il y a eu des abus ou une mauvaise application manifeste des règles.

M. Les Reed, consultant en politique forestière: Mon exposé se compose de trois parties. Je vais d'abord résumer les grandes questions soulevées par le cartel américain du bois. Ensuite, j'établirai le lien entre ces questions et ce que j'appelle le nœud du différend, c'est-à-dire la pénurie de bois de sciage aux États-Unis. Enfin, je présenterai ce qui constitue, à mon avis, une réaction appropriée du Canada. J'ai également l'intention de faire un examen à long terme de la question, car la plupart de vos témoins ont tendance à concentrer leurs arguments sur ce qui se passe aujourd'hui ou ce qui se passera la semaine prochaine ou la prochaine saison au plus tard.

La première question concerne la part de marché. Je suis allé à Washington pour la première fois en 1962 afin de comparaître devant la Commission américaine du tarif qui tenait des audiences sur le bois d'œuvre résineux. À ce moment, nous avions gagné haut la main. À cette époque, la part canadienne du marché américain du bois d'œuvre résineux était de 12 p. 100. En 1995, elle avait triplé pour atteindre 36 p. 100. Pourquoi la part de marché du Canada a- t-elle ainsi grimpé? La réponse est très simple. Pendant 200 ans, les États-Unis ont pillé leurs forêts, éliminant 30 p. 100 de la superficie boisée du pays. Les espaces perdus représentent l'équivalent d'une fois et demie la superficie combinée de l'État de Washington, de l'Oregon et de la Californie ou encore le double de la superficie du Texas. Ces forêts n'existent plus.

Dans les années 80, les Américains ont commencé à interdire des forêts fédérales et d'État pour préserver la chouette tachetée et d'autres espèces sauvages. La perte nette pour leurs scieries était d'environ 50 millions de mètres cubes de bois par an, volume qui correspond à la production de billes de l'intérieur de la Colombie-Britannique en 2001. Cette perte constituait un grand problème, strictement américain, pour les scieries. Les politiques forestières des provinces du Canada n'ont absolument rien à voir avec la baisse de la production de bois de sciage aux États-Unis. Les scieries canadiennes ont simplement pris des mesures pour remplir le vide qu'il y avait sur le marché et qui était dû à l'origine à la politique forestière américaine.

Il y a également d'autres raisons aux excellents résultats que nous avons obtenus sur le marché américain. Aux États-Unis, les charpentiers ont une préférence marquée pour l'épinette, le pin et le sapin canadiens par rapport au pin jaune. De plus, nos scieries sont en moyenne 60 p. 100 plus grandes et beaucoup plus efficaces que les leurs.

La deuxième question porte sur les allégations américaines de subventionnement des droits de coupe au Canada. C'est un fait que les droits de coupe canadiens sont ordinairement inférieurs à ceux des États-Unis. Ils ne le sont pas toujours, mais c'est le cas en général. Pourquoi? Parce que nos forêts sont plus isolées et que leur exploitation coûte plus cher. Les gouvernements provinciaux assument d'importants frais pour la construction de routes et le reboisement, frais qui ne sont pas facturés aux entreprises qui exploitent des forêts fédérales aux États-Unis. Par conséquent, le département américain du Commerce a monté un dossier peu convaincant contre notre gestion forestière provinciale, soutenant que nous vendons notre bois à moins que sa valeur marchande et, par conséquent, que nous subventionnons nos scieries. Le département fonde cette allégation sur une comparaison transfrontalière ridicule des droits de coupe, en affirmant par exemple qu'un mètre cube de billes à Prince George devrait produire les mêmes droits de coupe qu'un mètre cube à Pine Hill, en Alabama. Bien sûr, cette méthode de calcul a été déclarée illégale.

Cela étant, le département a encore le culot de dire que nos provinces devraient adopter le système fédéral de vente du bois par appel d'offres établi par le Service américain des forêts. Or ce système est inacceptable. Même aux États- Unis, c'est un scandale national à cause de la collusion qu'il comporte. Il est notoire que le système permet de vendre du bois à moins que le prix de revient. Au dernier compte, ce système coûtait aux contribuables américains environ un milliard de dollars US par an en subventions aux scieries. Les Américains sont les rois de la subvention, non seulement aux scieries, mais aussi à l'agriculture et à d'autres secteurs. Mais cela ne les empêche pas d'accuser d'autres de verser des subventions.

De plus, le cartel américain du bois se vante de vendre 90 p. 100 de sa production aux enchères publiques. C'est une affirmation montée de toutes pièces. Si j'avais osé, j'aurais en fait parlé d'un mensonge éhonté. La proportion des grumes de sciage vendues aux enchères n'atteint que 10 p. 100. Même ce chiffre dépasse quelque peu la réalité.

Voici les faits en ce qui concerne l'approvisionnement en grumes de sciage: 50 p. 100 appartiennent à l'industrie forestière. Les appels d'offres sont rares. On coupe le bois et on s'en sert. La moitié du bois vient de petits boisés privés. En fait, la société International Paper, qui compte parmi les plus chauds partisans de la coalition américaine, a récemment été accusée de pratiques monopolistiques qui ont fait baisser les prix du bois sur pied dans le Sud des États- Unis. Quel bel exemple à donner pour s'attaquer au Canada! Voici la façon de procéder des entreprises de ce genre. Elles envoient un homme en camion à la campagne pour rendre visite aux agriculteurs. Il va les voir et leur dit: «Je veux acheter votre bois et je vais vous en donner tel prix aujourd'hui.» L'agriculteur a peut-être reçu la veille ou la semaine précédente une visite d'un deuxième acheteur, mais il en reçoit rarement plus de deux ou trois. Ces gens travaillent dans de petites zones d'influence autour d'une usine de pâte de papier, achetant la production des petits boisés privés à des prix dérisoires.

Seulement 10 p. 100 du bois d'œuvre américain est coupé sur des terres publiques. Il n'y a pas d'offres scellées. Les offres sont présentées de vive voix, et il n'y a ordinairement que trois ou quatre soumissionnaires. En économie, on parle alors d'oligopsone, ou situation dans laquelle le nombre des acheteurs est très limité. Ce système d'enchères verbales est truffé de collusion. La concurrence s'y exerce très imparfaitement. On peut très difficilement parler de ventes basées sur le marché. Nous avons rejeté ce système parce qu'il ne fonctionne pas et qu'il manque d'équité.

La troisième question est la réglementation des exportations de billes. Le cartel américain du bois exige que la Colombie-Britannique supprime toutes les restrictions sur les exportations de billes. Les scieries du Maine exigeaient la même chose du Nouveau-Brunswick aux alentours de 1820. Savez-vous que les lois américaines actuelles interdisent l'exportation ne serait-ce que d'une seule bille provenant des forêts fédérales et d'État de l'ouest du pays? Cela est interdit au-delà d'une ligne tracée à travers les Dakota et le Texas, à l'ouest du 100e méridien. Pas une seule bille. Ici, en Colombie-Britannique, on peut obtenir un permis pour exporter le bois excédentaire coupé sur les terres publiques.

Il est intéressant de noter que la loi américaine en cause porte le titre suivant: Forest Resources Conservation and Shortage Relief Act, ce qui signifie Loi sur la conservation et la lutte contre les pénuries de ressources forestières. Voilà le problème des Américains: ils sont à court de bois. Ils ne le reconnaissent pas souvent, mais le titre de leur loi les trahit. De plus, il existe une intéressante règle de substitution qui interdit à une société d'acheter du bois public si elle exporte du bois privé récolté dans la même région.

L'application de la même règle en Colombie-Britannique imposerait à Weyerhaeuser de renoncer à tous ses permis de coupe côtiers. Weyerhaeuser ne peut pas exporter du bois coupé sur ses terres privées aux États-Unis si elle il veut pouvoir présenter des offres sur le bois public dans la même zone. Weyerhaeuser a de grandes opérations sur la côte. Elle récolte chaque année environ 5 millions de mètres cubes de bois, représentant un quart de la production côtière. Imaginez qu'une société de cette taille soit forcée à renoncer à ses permis de coupe. Le Service de recherche du Congrès a dit au département américain du Commerce que les contrôles à l'exportation du bois imposés aux États-Unis constituent des subventions à l'industrie des séries. Je trouve que c'est la pire des hypocrisies. Les Américains tirent d'énormes profits des pratiques qu'ils condamnent en Colombie-Britannique.

Est-ce que la Colombie-Britannique devrait déréglementer unilatéralement ses exportations de bois? Jamais de la vie. C'est une suggestion débile. Très franchement, je sens la nausée m'envahir quand j'entends des sociétés et des gouvernements de la Colombie-Britannique présenter cette suggestion insensée. Devrions-nous modeler notre réglementation sur celle des Américains? C'est une bonne question. Je dis: pourquoi pas? S'ils veulent des règles du jeu équitables, nous devrions les leur accorder.

Le nœud du différend est que le cartel américain du bois souffre d'un grand problème: une énorme pénurie de bois. Son approvisionnement est insuffisant, aussi bien en qualité qu'en quantité, surtout dans le sud des États-Unis. Il y a pénurie car, en règle générale, les Américains doivent payer leur bois plus cher que nous. Il en est ainsi tout simplement parce qu'ils ne sont pas compétitifs. Voilà, en quelques mots, le motif de leurs plaintes concernant notre part du marché, nos pratiques de coupe et nos contrôles à l'exportation. Leur pénurie de bois constitue le nœud du différend relatif au bois d'œuvre résineux. En 1962, la Commission américaine du tarif a mis le doigt sur le problème en disant ce qui suit, et je cite:

Le motif le plus important de l'augmentation des importations est... la hausse rapide du prix du bois d'œuvre et des billes. Cette situation découle de la disponibilité commerciale limitée de bois d'œuvre résineux aux États-Unis, et surtout de bois de sciage, et de l'intense concurrence qui en résulte entre les acheteurs de ce bois.

En 1962, j'ai aidé la Commission à aboutir à cette conclusion. Nous avons obtenu de la Commission américaine du tarif une décision quasi unanime à cinq voix contre une, à un moment où la Commission était considérée comme hautement protectionniste. Je pense que nous avons présenté de bons arguments. J'aurais bien voulu que nous ayons la même chance aujourd'hui.

Quelle est la réaction canadienne? À court terme, toutes les provinces doivent se tenir les coudes et éviter de faire bande à part, comme la Colombie-Britannique à l'heure actuelle. L'absence de cohésion ne peut jouer qu'à l'avantage du cartel américain et finirait par se retourner contre la Colombie-Britannique. La proposition provinciale relative à une taxe à l'exportation ruinerait beaucoup de scieries canadiennes parce qu'il est très peu probable que les prix aillent au-delà de 300 $ US par mille pieds-planche. La proposition prévoit un barème mobile pour la taxe à l'exportation que nous nous imposerions. Toutefois, le barème ne commencerait à présenter un avantage que si les prix atteignent 300 $ US par mille pieds-planche. Je ne connais personne en Colombie-Britannique qui s'attende à ce que les prix atteignent ce niveau et s'y maintiennent dans les deux, trois ou quatre prochaines années.

Nous devons nous serrer les coudes. Nous devons nous en remettre aux groupes spéciaux de l'OMC et de l'ALENA. Je sais qu'il faut attendre longtemps. On vient tout juste de vous conseiller de modifier le processus de façon à raccourcir ces longs délais. Toutefois, à long terme, les scieries canadiennes ne peuvent logiquement adopter qu'une seule stratégie: elles doivent réinventer leur industrie, baisser leurs coûts de 30 p. 100, augmenter la valeur de leurs produits finis de 20 à 25 p. 100, réduire d'une façon ou d'une autre leur charge fiscale et échapper à un fardeau réglementaire coûteux.

Beaucoup de nos sociétés ont déjà baissé leurs coûts et repensé leurs opérations. Si les droits américains disparaissaient demain, nos scieries auraient quand même à affronter deux grandes menaces: la concurrence de la Suède, de la Russie, de la Finlande, de l'Allemagne, du Chili et de la Nouvelle-Zélande et la substitution de produits non dérivés du bois. Les produits de substitution non ligneux accaparent actuellement 15 p. 100 du marché que nous avions en 1970. C'est un gros morceau. Nous nous sommes endormis au volant. Nous avons cru que les choses iraient toujours bien, mais cela n'a pas été le cas.

J'en viens à mon dernier avertissement. Il y a un important enseignement à tirer de ce différend. Une trentaine de droits ont été imposés sur le bois d'œuvre canadien depuis 1789, année où le Congrès a commencé à siéger. La première loi portant sur une question de fond qu'il a adoptée était un tarif protectionniste. Je sais qu'avant d'adopter cette loi, le Congrès en a adopté une autre concernant le droit et la responsabilité de nommer un greffier, mais la première loi portant sur une question de fond a consisté en un tarif protectionniste. Depuis, nous n'avons pas souvent échappé aux droits de douane et aux taxes frappant nos billes et notre bois d'œuvre.

Compte tenu de ces antécédents de protectionnisme du Congrès et de l'industrie, le cartel américain du bois ne renoncera jamais à ce combat. Même quand nous le battrons à l'OMC et en vertu de l'ALENA — ce que nous allons faire dans les prochains mois —, il reviendra à la charge en brandissant une nouvelle série d'accusations fallacieuses. Quelle que soit la fin de l'épisode actuel, le protectionnisme américain restera. Par conséquent, il est essentiel pour nous de recourir à l'ALENA et à l'OMC. Nous ne devons pas compromettre nos lignes de défense futures en acceptant bêtement de renoncer à nos appels. Agir ainsi reviendrait à légaliser les comparaisons transfrontalières qui constituent le seul motif du droit compensateur élevé qui a été imposé.

L'OMC a déjà conclu que les allégations américaines relatives aux subventions se basent sur une comparaison inacceptable. Cette décision a été un rude coup pour le cartel américain. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre cette victoire. Nous pouvons remporter cette bataille. Ce n'est donc pas le moment de lever le drapeau blanc.

Le sénateur Austin: Je vous remercie tous les deux pour vos exposés. Je considère qu'ils sont très précieux dans le cadre de l'étude menée par le comité.

Je voudrais commencer par M. Garton. Il semble y avoir une certaine confusion entre le rôle de l'ALENA et celui de l'OMC. Est-ce que les décisions de l'OMC prennent le pas sur celles des groupes spéciaux de l'ALENA? Pouvez-vous nous parler des liens et des différences entre les mécanismes d'enquête et de règlement des différends dans les deux systèmes?

M. Garton: J'aurais bien voulu pouvoir le faire. J'aurais souhaité mieux connaître les deux systèmes. Pour moi, le rôle de l'OMC et de l'accord sur les subventions ne relève pas vraiment du règlement des différends, même si ceux-ci se règlent plus rapidement à l'OMC à cause des délais plus serrés. Toutefois, le véritable avantage de l'OMC, c'est la définition des subventions qui n'existe pas dans l'ALENA. Par conséquent, ce n'est pas tant du côté du règlement des différends que sur le plan des questions de fond que le Canada a le plus gagné lorsque les États-Unis ont adhéré à l'accord de l'OMC sur les subventions.

L'existence parallèle des mécanismes de règlement des différends de l'ALENA et de l'OMC nous impose de partager nos ressources juridiques pour un problème de ce genre. Toutefois, les réparations prévues par l'OMC manquent vraiment d'intérêt. Au terme du processus, on aboutit à des choses telles que la persuasion politique, la surveillance et la supervision par l'OMC si les États-Unis oublient ou négligent de faire quelque chose. Bien sûr, il y a aussi le remède suprême qui consiste à imposer des mesures de rétorsion. Je n'ai pas l'impression que nous irions très loin en imposant des droits de douane sur le bois d'œuvre résineux que les Américains exportent au Canada. Le mécanisme de règlement des différends de l'OMC nous permet d'obtenir des décisions rapides et d'informer le reste du monde de ce qu'il en est, mais il ne prévoit pas de réparations sérieuses. C'est le point faible du système.

Le recours à l'ALENA est plus lent. Les mêmes arguments sont présentés, mais si nous avons des groupes binationaux crédibles, leur pouvoir de persuasion sera supérieur. Il est intéressant de noter qu'en 1991, quand les Américains ont demandé la constitution du comité de contestation extraordinaire, celui-ci a déclaré que le groupe binational avait raison et que le département du Commerce avait tort. Cela a mis fin à l'affaire. La décision nous a permis de recouvrer tout de suite une partie des droits acquittés. C'était le plus près d'une ordonnance que nous arriverons jamais à obtenir.

Je ne prétends pas comprendre très bien les deux systèmes, mais chacun a ses avantages et ses inconvénients. Ce serait intéressant d'avoir juste les avantages dans un seul système et de ne pas avoir à répartir nos ressources.

Le sénateur Austin: À ma connaissance, l'une des importantes différences, en ce qui concerne l'ALENA et les questions que nous examinons, est que les États-Unis peuvent modifier leurs lois intérieures et changer ainsi les critères sur la base desquels une décision est prise. Nous pouvons faire la même chose, mais ce serait asymétrique à cause des différences de taille entre les deux marchés. L'OMC n'accorde pas la même latitude.

La question du remboursement des montants injustement perçus après qu'une décision est rendue me dérange particulièrement. Par exemple, le Congrès n'a pris aucune mesure au sujet de l'amendement Byrd, et les États-Unis disent qu'ils ne peuvent rien faire tant que le Congrès n'aura pas agi. Dans le cas du troisième différend relatif aux bois d'œuvre résineux, une partie de l'argent a été remboursée rapidement, mais pas le tout. Il nous a fallu négocier pour une grande partie du montant. Aujourd'hui, nous savons qu'environ 600 à 700 millions de dollars US ont déjà été perçus dans le cadre du différend actuel, et que cette somme pourrait facilement doubler. Même en présence de conclusions qui donnent tort aux États-Unis, rien n'indique que cet argent sera remboursé, ce qui laisse aux Américains un énorme pouvoir de négociation.

Que pensez-vous de l'efficacité ou de l'inefficacité des réparations prévues? L'un des objectifs du comité est d'examiner les relations commerciales et, en particulier, ce qui marche ou ne marche pas dans les mécanismes de règlement des différends.

M. Garton: Je crois qu'il est contraire aux principes de la primauté du droit de laisser le perdant conserver les droits perçus. À ma connaissance, les lois américaines le permettent. Tout comme la communauté mondiale s'est attaquée à l'amendement Byrd et a réussi à l'OMC, je crois que cette communauté devra travailler fort pour modifier l'approche américaine. Je ne sais pas si le Canada a la même approche. Je ne sais pas si nos règles permettent la même chose.

Dans tous ces échanges d'accusations qui ont marqué le différend relatif aux bois d'œuvre résineux, nous devons nous efforcer d'éviter l'hypocrisie. M. Reed nous a fort bien décrit l'hypocrisie de la position américaine. Je ne sais pas quelles sont nos règles parce que je n'ai pas eu l'occasion de les étudier de près. Toutefois, je suis bien d'accord, il serait impensable que les parties à un différend civil agissent de la sorte au Canada. Les tribunaux ne le permettraient tout simplement pas. En général, un tribunal permettra à la partie qui percevait les droits de faire un dépôt en garantie pour qu'il y ait de l'argent à recouvrer. C'était justement sur ce point que l'amendement Byrd a suscité des préoccupations: une fois que le département américain du Commerce distribue l'argent à tous les producteurs, il n'a aucune chance de le récupérer, sans compter que les producteurs vont se battre encore plus fort pour garder l'argent par la suite.

Le président: De toute évidence, certaines de ces choses ne sont pas aussi claires qu'on l'aurait voulu. J'ai lu les dispositions de l'ALENA concernant les réunions des groupes binationaux qui doivent décider des lois nationales. Le problème, c'est que si Washington perd, le Congrès va modifier la loi nationale. On nous dit ensuite que l'accord de l'OMC prend le pas sur les ententes régionales. L'ALENA est une entente régionale. Par conséquent, depuis l'adoption de l'accord de l'OMC en 1996, on ne peut plus agir ainsi. Est-ce possible ou non? Il nous faudrait une réponse directe. On nous dit que les accords de l'OMC ont priorité sur le droit commercial. Est-ce bien le cas?

M. Garton: Je ne connais pas la réponse à cette question. Je crois cependant que les réparations possibles dans le cadre de l'OMC sont tellement limitées qu'il serait difficile d'ordonner le retour de l'argent, car l'OMC ne semble pas être habilitée à donner de tels ordres.

Le président: Quelqu'un a dit qu'on n'avait jamais mis à l'épreuve la constitutionnalité de l'ALENA. Il y a une chose très surprenante. Si la Cour suprême autorisait une contestation de la constitutionnalité de l'ALENA, est-ce que les États-Unis seraient dans l'impossibilité de conclure un accord avec quiconque parce qu'il peut être contesté devant la Cour suprême?

M. Garton: Je crois savoir que, peu de temps après le retrait de cette contestation, les règles régissant les groupes binationaux et leur façon de parvenir à une décision ont été modifiées pour tenir compte de ces préoccupations. Je pense en même temps que la question reste sans réponse parce que personne ne l'a portée devant les tribunaux. À mon avis, la question centrale qui se pose est de savoir si on peut permettre à des étrangers d'interpréter les lois nationales.

Le président: Je comprends.

Le sénateur Carney: Je voudrais demander aux deux témoins de veiller à nous laisser leur curriculum vitae, pour nos dossiers. Les deux se sont distingués dans ce domaine.

Je voulais juste relever l'argument de M. Garton au sujet des limites des réparations qu'il est possible d'obtenir dans le cadre de l'OMC. Lorsque nous remportons la victoire à l'OMC, le seul résultat est que nous pouvons prendre des mesures de rétorsion. Lorsque je m'en occupais, nous avions gagné l'une des premières affaires de droits compensateurs contre les États-Unis, qui portait sur le maïs. Au milieu du débat sur le bois d'œuvre résineux, nous avions décidé de recourir à des représailles et avons donc appliqué des droits compensateurs sur les importations de maïs. Les premières plaintes que nous avons reçues venaient de nos producteurs de porc, qui importaient du maïs américain. Ils étaient extrêmement insatisfaits parce qu'ils étaient pénalisés eux-mêmes par les mesures prises contre les Américains. Par conséquent, les réparations ne donnent pas nécessairement les résultats escomptés.

Monsieur Garton, vous avez dit que l'aspect antidumping du différend actuel, le quatrième en date, pourrait compromettre toute entente car la différence avec les conflits antérieurs se base sur l'accusation que nous faisons du dumping en vendant aux États-Unis à des prix inférieurs à nos coûts de production. Comme nous l'avons entendu ce matin, c'est la raison pour laquelle les scieries font de grands efforts pour baisser leurs coûts de production, augmenter le volume de leurs expéditions aux États-Unis et réduire leurs prix, faisant donc exactement le contraire de ce que souhaitent les producteurs américains.

Pouvez-vous expliquer vos observations concernant l'aspect antidumping du différend qui pourrait compromettre toute entente? Nous n'avons pas entendu grand-chose à ce sujet ce matin. Nous avons pris la voie d'un règlement au sujet des droits compensateurs, mais non des droits antidumping. Qu'avons-nous à craindre?

M. Garton: Vous avez raison, l'aspect dumping est nouveau. Dans les trois premiers différends, il n'en était pas question, mais les Américains en parlent maintenant.

Je ne suis pas un expert du droit américain, mais on m'a expliqué l'aspect antidumping à titre privé. Si une société présente une pétition, le département du Commerce doit y répondre en ouvrant une enquête. S'il constate l'existence de dumping, il doit suivre sa procédure, qui est énoncée dans les dispositions administratives et le reste du Tariff Act, et qui prévoit l'imposition d'un droit équivalent à l'effet du dumping. Ainsi, nous pourrions avoir une situation dans laquelle le département du Commerce serait disposé à fermer les yeux sur le dumping, mais où l'industrie crie au meurtre et exige l'application de la loi. On pourrait également envisager une situation dans laquelle le Commerce manipulerait les chiffres de façon à prouver qu'il y a dumping. Dans ce cas, c'est une complication car, si l'industrie américaine n'est pas dans le coup, je ne vois pas comment le président pourrait obtenir les pouvoirs nécessaires pour donner suite aux allégations de dumping de sa propre initiative.

Le sénateur Carney: Vous dites que c'est une situation difficile à contrôler parce que n'importe quelle société peut présenter une pétition. C'est donc ce point faible qu'il faut affronter.

M. Garton: Il faudrait que la pétition vienne d'un nombre assez important de sociétés, formant un échantillon représentatif du secteur.

Le sénateur Carney: M. Reed a réveillé mes pires craintes en parlant de la position de la Colombie-Britannique. Certains d'entre nous craignent en effet que cette position, qui fait pendant à la politique américaine, ne soit rien d'autre qu'une acceptation pure et simple du point de vue américain. Nous craignons donc de perdre le contrôle de nos ressources forestières. Les Américains veulent avoir accès à notre bois à cause de la pénurie qu'ils connaissent. Nos ressources forestières publiques, qui constituent nos joyaux de la couronne, risquent ainsi de tomber entre les mains des Américains sous forme d'emplois, et cetera.

Croyez-vous que la position de la Colombie-Britannique constitue une capitulation devant les producteurs américains? Qu'est-ce qui en découlera, à votre avis, si la Colombie-Britannique continue à lever le drapeau blanc? Est- il vrai que les Américains veulent essentiellement avoir accès à notre bois?

Le président: Monsieur Reed?

M. Reed: Vous avez parfaitement raison, c'est une capitulation. Seuls des gens qui ne connaissent pas l'historique de ce différend et l'interdépendance des questions en cause ne comprennent pas que si nous supprimons les contrôles à l'exportation, les Américains viendront prendre tout notre bois. Nos billes sont vendues à des endroits aussi éloignés que Scotia, en Californie. C'est vraiment honteux. Nous le faisons avec le bois excédentaire.

Il y a une autre chose que nous devons surveiller. C'est le simple fait que ceux qui crient le plus fort pour être débarrassés des contrôles à l'exportation possèdent beaucoup de bois privé. Canadian Forest Products, Weyerhaeuser et TimberWest travaillent très fort. Elles ont formé une association de propriétaires de bois privé qui se bat contre les contrôles à l'exportation.

Par conséquent, si des témoins viennent vous conseiller de vous débarrasser des contrôles à l'exportation touchant le bois, demandez-leur s'ils possèdent beaucoup de bois privé.

Le sénateur Carney: Énormément.

M. Reed: Suffisamment, en tout cas, pour que ce soit très avantageux pour eux.

Le sénateur Carney: Vous parlez de l'exportation des billes. Même en vertu de la réglementation actuelle, si vous avez deux refus, vous pouvez considérer que le bois est excédentaire. Par conséquent, s'il est possible de fermer les scieries côtières, toutes les billes deviennent excédentaires et peuvent donc se retrouver en Oregon ou à Washington.

Quel en sera le résultat? Après tout, on parle d'une industrie forestière intégrée, alors pourquoi ne pas envoyer tout le bois aux États-Unis? Quels seront les effets, à votre avis?

M. Reed: L'un des résultats sera que nous vendrons les billes et qu'il ne nous restera plus de copeaux. Il nous faudra alors fermer quelques autres usines de pâte à papier. Le plus triste, c'est que nous avons déjà une pénurie de fibres sur la côte. Nous avons de 30 à 50 p. 100 de plus de capacité que nous n'avons de permis de coupe. Cette situation ne ferait que s'aggraver.

Le sénateur Carney: Il y aurait donc une réaction en chaîne? Si nous exportons les billes, nous n'avons plus de copeaux, ce qui nous oblige à fermer des usines de papier et les petites villes qui en vivent. Est-ce que cela s'applique aussi à l'intérieur de la province de la même façon qu'aux régions côtières?

M. Reed: Pas autant. Cela pourrait bien s'appliquer dans la région périphérique du sud, dans des villes comme Castlegar et Cranbrook qui dépendent de leur usine de pâte à papier.

Le sénateur Carney: Que pouvons-nous faire pour amener la Colombie-Britannique à changer d'avis? Est-ce que les autres provinces ont suffisamment de prestige pour y parvenir? Je crois savoir que la proposition américaine vise à régler la question province par province.

M. Reed: Les responsables du cartel américain se sont montrés très intelligents. Ils s'efforcent de séparer la Colombie-Britannique, en se disant qu'il sera ensuite beaucoup plus facile de gagner le reste du Canada. Il était essentiel pour leur stratégie de séparer la province.

Le sénateur Austin: J'ai deux questions à poser. La première s'adresse aux deux, si l'un d'entre vous a la réponse. M. Garton signale dans son document que le département américain du Commerce considère le secteur du bois d'œuvre et celui des pâtes et papiers comme une seule industrie. Pourtant, aucun droit n'a été imposé sur la pâte à papier exportée par la Colombie-Britannique. Pouvez-vous expliquer ce traitement asymétrique de deux secteurs qui, selon le département du Commerce, ne constituent qu'une seule industrie verticalement intégrée?

M. Garton: Les Américains ont été forcés d'adopter cette position parce que le premier critère de définition d'une subvention consiste à déterminer si l'argent est fourni à une industrie particulière. Notre première ligne de défense, qui est aussi l'une des raisons pour lesquelles nous avons gagné lors du premier différend de 1982 sur le bois d'œuvre, est que l'argent n'est pas destiné à une industrie particulière ou à un petit groupe précis d'industries. Nos billes sont utilisées par l'industrie du meuble et l'industrie de la pâte à papier pour produire des copeaux et du contreplaqué, ainsi que par d'autres industries.

Pour contourner cette difficulté, les Américains devaient arriver à la conclusion qu'il y avait une industrie particulière. Ils ont jugé qu'une proportion assez importante des billes va à l'industrie de la pâte à papier et aux scieries — qui sont souvent verticalement intégrées — pour qu'on puisse considérer qu'il s'agit d'une seule et même industrie. Cette conclusion n'est plus aussi certaine parce que les deux secteurs ne sont plus aussi intégrés qu'ils l'ont déjà été. Il y a eu d'importants changements en Colombie-Britannique dans le secteur du bois dans les années 90, et notamment une séparation réelle entre les usines de pâte et les scieries.

L'un des arguments du Canada à l'OMC est que le bois sur pied n'est pas fourni à une industrie particulière. Cet argument pourrait être jugé valide, mais les Américains ont été forcés d'adopter cette position à cause de la façon dont leurs lois sont libellées.

Le sénateur Austin: Ont-ils fait marche arrière sur ce point dans l'une quelconque de leurs décisions? Comme vous le savez, ils appliquent actuellement des droits compensateurs et des droits antidumping à une partie de l'industrie, mais pas à d'autres. Comment expliquent-ils cela?

M. Garton: Ils ne l'expliquent pas. Ils se limitent à dire que c'est une seule industrie. Il y a une autre question intéressante que j'ai posée à un économiste il y a plus d'un an et à laquelle je n'ai pas encore obtenu une réponse satisfaisante: pourquoi les droits sont-ils cumulatifs? Si une société reçoit des subventions de 20 p. 100 et fait 10 p. 100 de dumping, ce dernier pourcentage est causé par les subventions de 20 p. 100. Il n'y a donc pas de raison que les deux droits s'ajoutent l'un à l'autre. On m'a répondu que les lois commerciales américaines avaient été rédigées dans les années 30 à un moment où l'analyse économique n'était pas assez poussée pour qu'il soit possible de s'arrêter à des détails de ce genre. Je ne trouve pas cette réponse très satisfaisante.

Le sénateur Austin: Monsieur Reed, ce matin, des témoins représentant l'industrie nous ont dit qu'ils avaient hâte de voir un règlement négocié et qu'ils exercent des pressions sur le gouvernement provincial en vue d'un tel règlement à cause d'une pénurie croissante de capital causée par ces droits punitifs.

Ils ont dit que nous avons peut-être d'excellents arguments à présenter à des tribunaux et que nous pourrions gagner en définitive, mais qu'il serait alors trop tard pour l'industrie, car ils ne peuvent plus obtenir du financement. Qu'avez- vous à répondre à cela?

M. Reed: Il n'y a pas de doute que nous commençons à être à court de capital dans l'industrie. Les liquidités ne suffisent plus pour payer les droits et réinvestir dans les entreprises. Les responsables espèrent recevoir bientôt de l'aide. Les mémoires américains qui circulent mentionnaient une question qui fera l'objet de discussions plus tard cette semaine à Washington. M. Aldonas parle d'un critère fondé sur les effets. En avez-vous entendu parler?

Le sénateur Carney: Oui, je l'ai vu aux informations.

M. Reed: D'après la nouvelle règle, on ne peut pas gagner de crédits sur les droits compensateurs avant que les effets de l'action ne soient constatés sur le marché, dans les prix du bois, et cetera. Les gens qui croient pouvoir compter sur une aide à court terme pourraient avoir à attendre trois ou quatre ans et avoir déjà déposé leur bilan. Le fait de se séparer et de vouloir agir tout seul à court terme est insensé, à mon avis. Ils ne peuvent pas gagner ainsi. Le cartel américain du bois ne les laissera jamais tranquilles tant que ce critère des effets restera dans le tableau.

Le sénateur Austin: Que se passerait-il s'ils acceptent — je ne dis pas que je n'appuie pas votre thèse, je veux simplement examiner les paramètres de la situation — une taxe à l'exportation qui entrerait en vigueur immédiatement? Au moins, le loyer ainsi perçu resterait au Canada.

M. Reed: Avec tout le respect que je vous dois, je ne parlerai pas de loyer. Ce serait plutôt une rançon. Elle ne ferait absolument rien pour nos scieries. Elle n'aiderait pas du tout ni Doman Industries ni personne d'autre.

Le sénateur De Bané: Monsieur Reed, j'ai lu votre mémoire que je trouve très passionné. Vous expliquez fort bien un historique qui remonte à plus de 200 ans et les mesures protectionnistes qui se sont constamment manifestées. Votre document exprime une grande indignation. Votre solution comporte cinq ou six volets. Comme le sénateur Austin l'a dit, vous recherchez une solution très différente de celle que nous ont proposée ce matin trois représentants de l'industrie.

Ce matin, le sénateur Austin a mentionné que l'OMC nous donne accès à des sanctions, des droits, et cetera que nous pourrions imposer sur nos importations en provenance des États-Unis. Mais pourquoi voudrions-nous imposer des droits sur les fruits et légumes que nous importons en hiver? Nous ne ferions du tort qu'à nous-mêmes. Ce matin, j'ai eu l'impression que nos témoins souhaitaient parvenir à une entente aussi rapidement que possible. L'un d'entre eux a dit qu'il représentait dix sociétés qui, dans les trois dernières années, avaient déboursé 80 millions de dollars en frais juridiques. Il a dit qu'il était impossible de continuer ainsi.

À votre avis, la pire politique consisterait à capituler après 200 ans. Par ailleurs, on nous a dit très clairement ce matin qu'il est indispensable de trouver un moyen de sortir de cette impasse. J'aimerais beaucoup connaître votre point de vue.

M. Reed: Nous n'avons vraiment aucun choix. Le problème est que vous avez entendu au moins trois points de vue différents ce matin. Ces gens ne s'entendent jamais entre eux. Personne, dans l'industrie forestière de la Colombie- Britannique, ne veut travailler avec d'autres membres de l'industrie. Chacun veut agir à sa guise. West Fraser ne veut rien savoir. Weyerhaeuser est favorable à une entente, disant que l'offre de la coalition est acceptable. Canfor croit que nous devrions exporter des billes. Et il est difficile de savoir ce qui se passe chez Slocan.

Il n'y a pas de consensus dans la province. Ceux qui n'aiment pas ce que font les dirigeants se taisent. C'est ce qu'on fait quand on est membre du club à Vancouver. Je n'appartiens pas à un club. Je peux vous dire que leur stratégie est vouée à l'échec, notamment à cause du critère des effets, à moins que nous puissions retrouver des forces grâce à des tribunaux de l'ALENA et de l'OMC. L'industrie des scieries du Canada et surtout de la Colombie-Britannique sera paralysée en permanence. C'est exactement ce que vise le cartel américain, qui veut ruiner notre industrie. Une entente avec le cartel ne nous mènerait à rien. Nous ne pouvons espérer gagner qu'avec l'aide de l'OMC et de l'ALENA.

Il nous faut encore réussir à réduire davantage nos coûts et à devenir beaucoup plus compétitifs à l'échelle internationale. Même si les droits sont supprimés demain, nous aurons des difficultés face aux importations venant d'autres pays et aux produits de substitution.

Je ne sais pas pourquoi l'industrie a été incapable de considérer ce différend dans son plein contexte et de se rendre compte qu'il n'existe qu'une seule solution logique. À quel point tout cela est-il mené par le gouvernement provincial et par deux ou trois grandes sociétés de la ville?

Le sénateur Carney: Ce matin, John Allan nous a dit que les propositions américaines ne feraient pas de tort à l'industrie de la Colombie-Britannique. J'avais brandi la menace de voir notre industrie, notre politique économique, notre politique forestière, notre politique de sylviculture et notre politique sociale sous la coupe des producteurs américains. M. Allan a dit qu'il ne voyait pas les choses ainsi. Êtes-vous d'accord avec lui?

Ensuite, notre respectée Weyerhaeuser, propriétaire de M & B, et d'autres comme International Paper ont des activités des deux côtés de la frontière. International Paper compte parmi les plus grands partisans de la coalition américaine. Elle est propriétaire de Weldwood. Est-ce exact?

M. Reed: Non.

Le sénateur Carney: Elle a des intérêts en Colombie-Britannique.

M. Reed: Oh, oui, d'importants intérêts dans l'intérieur de la province.

Le sénateur Carney: Ces sociétés internationales, qui exercent des pressions en faveur d'une industrie forestière intégrée, de ressources forestières privées et de capacités de sciage et de production de pâte des deux côtés de la frontière, ne sont-elles pas en situation de conflit d'intérêts? Le règlement proposé n'empiète-t-il pas sur le droit souverain de la Colombie-Britannique de gérer ses propres forêts?

M. Reed: Pour ce qui est d'empiéter, les responsables du Free Trade Lumber Council croient que le règlement proposé par le département américain du Commerce constitue un sérieux empiètement. Je suis tout à fait d'accord avec eux.

Quant à Weyerhaeuser, elle a la réputation, aux États-Unis, de n'appartenir à aucune association et d'agir de façon indépendante. Les dirigeants de la société semblent constamment en train de négocier en secret des ententes avec les écologistes, les gouvernements des États et d'autres en vue d'en tirer parti. Ces gens ne travaillent pas bien en groupe. Je ne suis pas sûr qu'on puisse parler de conflit d'intérêts. C'est simplement un programme très compliqué. Personne ne sait où la société veut en venir. Pourquoi a-t-elle opté pour le programme du cartel américain? Quelle est la différence entre un droit américain de 27 p. 100 et un droit canadien de 25 p. 100? On cède un quart et on en retrouve un autre. Où est l'avantage?

Le sénateur Carney: Nous vous le demandons.

M. Reed: Franchement, je trouve cela insensé.

Le sénateur Carney: Et qu'en est-il d'International Paper? Que vaut l'idée de grandes sociétés internationales intégrées qui posséderaient le bois et le transformeraient des deux côtés de la frontière? Seraient-elles en situation de conflit d'intérêts? Regagnent-elles d'un côté ce qu'elles perdent de l'autre par rapport aux sociétés canadiennes?

M. Reed: Beaucoup d'entre nous ont essayé de comprendre. Je sais qu'International Paper a eu des démêlés avec le Canada, qui avaient commencé au Nouveau-Brunswick à la fin des années 70 ou au début des années 80. La société avait un problème d'approvisionnement en bois, mais la province lui a dit: «Nous retirons tous les permis et nous recommençons à zéro. Vous avez douze usines de pâte, mais nous ne pouvons alimenter en bois que neuf d'entre elles.»

Le sénateur Setlakwe: Ma question sera très brève. Ce matin, trois témoins nous ont dit qu'ils voulaient en arriver à un règlement rapide. Vous dites que nous devrions recourir à l'ALENA et à l'OMC, et il y a des doutes sur la possibilité pour l'OMC de prendre une décision qui lie les parties. Devons nous attendre jusqu'au 1er janvier 2005 pour le savoir ou bien pouvons-nous nous attendre à ce qu'une décision de l'OMC lie les parties?

M. Reed: Certaines décisions de l'OMC seront connues dans quelques semaines. Nous avons des indices très encourageants au sujet de l'amendement Byrd et d'autres points. Je m'attends à toute une série de victoires à l'OMC. Ce sera un grand secours moral et un important appui politique quand nous traiterons avec Washington à un niveau élevé. Toutefois, une décision de l'OMC ne nous servira à rien par rapport à la coalition américaine, qui ne s'intéresse ni à la logique ni aux faits et qui veut tout simplement ruiner nos scieries. Il y a deux raisons à cela: d'une part, cela lui permettrait de faire monter les prix et, de l'autre, les sociétés comme International Paper qui possèdent beaucoup de terres privées verront doubler la valeur de leurs biens.

Je suis sûr qu'il est préférable pour nous de ne pas capituler et de nous en remettre à l'OMC. Autrement, cela deviendra pour nous la loi. Si nous cédons au sujet des droits compensateurs et acceptons cette proposition américaine insensée, elle sera inscrite dans nos lois et nous ne pourrons plus jamais nous en défaire.

Le sénateur Di Nino: Monsieur Reed, votre réponse indique que vous pensez connaître d'avance les modalités d'un règlement négocié. Soutenez-vous que la coalition américaine du bois ne nous accordera jamais rien qui puisse nous convenir? Je trouve cela un peu difficile à croire. J'admets volontiers qu'il nous serait plus facile de négocier si l'OMC ou un groupe de l'ALENA se prononçait en notre faveur.

Toutefois, il me semble que nous aurions une solution si nous pouvions négocier un accord équitable avec le département américain du Commerce, à titre de représentant de l'industrie du bois des États-Unis. Nous pourrions le faire d'une manière équitable qui respecte les deux parties et nous permette de continuer à collaborer. Je me demande si vous avez des renseignements que nous ne possédons pas ou si vous ne faites que préjuger du contenu d'un éventuel règlement?

M. Reed: Le département du Commerce pourrait dans quelque temps aller voir le cartel américain du bois pour dire qu'un droit de 27 p. 100 est peut-être excessif et que 15 p. 100 devraient suffire. Un droit permanent de cette importance paralyserait notre industrie, qui n'aurait aucune chance de s'en débarrasser pendant trois, quatre ou cinq ans.

La Colombie-Britannique est un endroit étrange où les gens pensent qu'après avoir négocié un règlement, il leur sera toujours possible de conclure des ententes particulières qui les ramèneraient à leur point de départ. Il n'y a probablement pas plus d'une chance sur cent pour que cela se produise. Le cartel a l'oreille du Congrès, où il a des amis avides qui sont tout aussi protectionnistes qu'il y a 50 ans.

Le sénateur Di Nino: Les Canadiens ne signeraient pas une entente qu'ils ne jugeraient pas favorable au Canada. Vous ne croyez pas?

M. Reed: J'écoute les gens du Free Trade Lumber Council; j'écoute les gens d'ici et leurs innombrables opinions divergentes. Tout ce que je peux dire, c'est que je ne crois pas que la position du gouvernement de la Colombie- Britannique soit saine.

Le sénateur Austin: Monsieur Garton, vous semblez prendre une position diamétralement opposée à celle de M. Reed. Au dernier paragraphe de votre mémoire, vous dites: «À défaut d'un règlement à l'amiable de ce différend, le Canada pourrait subir d'énormes conséquences économiques. Pour trouver une solution, il faudra de la bonne volonté, des négociations adroites et du leadership politique.» Puis-je supposer qu'à votre avis, il n'y a pas d'autre choix qu'un règlement négocié?

M. Garton: Oui, malheureusement. C'est la raison pour laquelle je propose des moyens d'améliorer les mécanismes de règlement des différends de l'ALENA et de l'OMC. Comme M. Reed, je crois que notre dossier est très solide, mais je ne pense pas que nous aboutirons à des résultats satisfaisants et durables face à l'attitude protectionniste des États- Unis.

Je crois que les décisions de l'OMC peuvent être très utiles. Elles peuvent renforcer notre position de négociation. Voilà pourquoi j'aimerais que nous poursuivions nos contestations à l'OMC. Toutefois, nous devrons prendre les résultats obtenus à l'OMC et dans le cadre de l'ALENA et nous en servir pour trouver nous-mêmes une solution durable. En définitive, ce sera une forme de règlement.

Le sénateur Austin: Avez-vous examiné le projet de politique d'Aldonas?

M. Garton: Je n'ai pas vraiment eu l'occasion de l'étudier. Je ne connais le contenu du document que par ce que j'ai vu dans les journaux et ce que d'autres m'en ont dit.

Le sénateur Austin: J'aurais voulu vous interroger sur certaines des questions qui y sont évoquées, mais si vous n'avez pas vu le document, ce ne serait pas utile. Je veux simplement dire que, d'après certains témoins, il serait possible de trouver dans ce document une base de négociation pour au moins un arrangement provisoire.

Si c'est une proposition sérieuse, nous aurions intérêt à l'examiner soigneusement.

M. Garton: J'aimerais signaler les leçons à tirer de l'accord sur le bois d'œuvre résineux de 1996. Chacun a renoncé aux contestations en cours et nous avons signé un accord de cinq ans. À la fin de la cinquième année, nous avons découvert avec surprise que nous n'avions plus d'accord avec les Américains et le quatrième différend a commencé aussitôt. Peu importe que nous parvenions ou non à un accord, provisoire ou autre, nous devrions avoir la prudence de poursuivre nos contestations pour connaître l'interprétation de la loi et amener un organisme impartial à dire au monde entier en quoi consiste cette interprétation. Nous saurons alors à quoi nous en tenir.

Le sénateur Austin: Monsieur Garton, je dois vous dire que le représentant de Weyerhaeuser nous a recommandé de suspendre toutes les contestations en cours à l'OMC et dans le cadre de l'ALENA. Nous ferions preuve ainsi de bonne volonté lors de la négociation d'un arrangement provisoire, en attendant une entente permanente. Voilà pour votre gouverne.

Le président: Nos prochains témoins sont M. Kim Pollock, directeur national de la Politique publique et de l'environnement, Industrial, Wood and Allied Workers of Canada, et, à titre personnel, M. Richard Harris, professeur d'économie à l'Université Simon Fraser, qui a déjà comparu une ou deux fois devant notre comité.

M. Kim Pollock, directeur national, Politique publique et de l'environnement, Industrial, Wood and Allied Workers of Canada: C'est un plaisir d'accepter votre invitation à prendre la parole aujourd'hui, au nom de mon syndicat, le Syndicat des travailleurs de l'industrie du bois et leurs alliés, et de notre président, Dave Haggard.

IWA Canada est le plus grand syndicat représentant les travailleurs du bois au Canada, et nous avons un intérêt vital à l'égard du différend canado-américain au sujet du bois d'oeuvre. Nous avons multiplié les efforts pour régler le différend. Nous avons appuyé très fermement les efforts de nos gouvernements provinciaux et fédéral pour présenter cette cause aux instances de l'ALENA et à l'OMC, et amener les Américains à négocier.

J'ai distribué des exemplaires d'un communiqué et d'une documentation sur une initiative conjointe récente des syndicats canadiens et américains, le Congrès du travail du Canada, ou CTC, l'American Federation of Labor- Congress of Industrial Organizations, ou AFL-CIO, et leurs affiliés. Selon nous, cette proposition ferait beaucoup pour jeter les bases d'un règlement.

Notre proposition comprend deux parties. La première porte sur une taxe à échelle mobile sur le bois d'œuvre qui serait administrée par les provinces et donnerait à celles-ci le temps d'apporter des modifications à leurs pratiques forestières ou à leur régime de droits de coupe de leur propre initiative sans être surveillées par l'administration ou l'industrie américaine. La deuxième partie propose une stratégie de commercialisation canado-américaine du bois d'oeuvre et des produits de bois manufacturés. Nous sommes conscients de la nécessité d'arrêter de nous disputer nos parts respectives du marché nord-américain et d'essayer plutôt d'accroître notre part du marché international. Autrement, pendant que nous nous disputons, les Européens, les Latino-Américains et les Asiatiques s'approprient une part de plus en plus grande du marché américain, et ils le font sans aucun droit tarifaire, par exemple.

Enfin, je vous ai remis un exemplaire de notre exposé sur le programme de transition à la retraite et les modifications que nous proposons aux mesures d'aide destinées aux travailleurs du bois d'oeuvre qui sont touchés.

M. Richard Harris, professeur, Département des sciences économiques, Université Simon Fraser: Je voudrais aborder ce qui me semble être un point important dans les délibérations du comité, à une étape cruciale de l'histoire économique de notre pays et, plus particulièrement, des relations entre le Canada et les États-Unis.

Il y a trois ans, j'ai soutenu que la plupart des gains économiques visibles découlant de l'intégration économique à venir exigeraient des modifications d'ordre institutionnel dans la structure de l'ALENA. Ces modifications seraient par exemple la mise en place de dispositions du type marché commun pour faire face aux complexités du commerce moderne, des décisions sur l'investissement étranger direct et de l'intégration des marchés des services.

Il ne s'agit pas là d'une politique populaire au Canada, et elle ne suscite pas beaucoup d'intérêt pour l'instant dans l'administration américaine. Elle a été préconisée par un certain nombre de groupes de réflexion et par des fonctionnaires mexicains qui ont avancé des propositions diverses. Toutefois, dans l'ensemble, l'idée est restée en marge du débat politique. Néanmoins, si on réfléchit à la situation du Canada, des États-Unis et du Mexique, les attentats du 11 septembre 2001 ont transformé la situation considérablement de manières à la fois flagrantes et subtiles. Pour étudier ces questions, il importe de comprendre le contexte économique de la situation actuelle.

Évidemment, les obstacles au commerce à l'intérieur de l'ALENA sont minimes, mais ils le sont aussi avec un certain nombre de nos autres partenaires commerciaux, et ils deviennent de moins en moins importants. Plus particulièrement, la Chine et l'Inde obtiennent un meilleur accès au marché nord-américain, tout comme les pays industrialisés obtiennent l'accès à ces pays dans le cadre de l'OMC. Cette évolution transforme profondément les tendances dans la spécialisation internationale de la production sur la planète et la croissance des échanges mondiaux. S'il est vrai que la Chine ne représente pas une part énorme de l'économie mondiale, mesurée d'après son PIB — mettons environ 4 p. 100 — son taux de croissance peut être qualifié d'absolument phénoménal.

L'an dernier, par exemple, l'augmentation des exportations de produits manufacturés de la Chine a égalé le total de ses exportations de 1992. Il s'agit là d'un pays qui, au milieu du siècle, sera à l'évidence le plus grand pays commerçant du monde. L'Inde suit une trajectoire analogue en matière de commerce, car elle a ouvert ses marchés et entrepris un certain nombre d'autres initiatives importantes en matière de politique. Par conséquent, cette réorientation du système commercial mondial à l'égard de ces très grands pays aura des conséquences très lourdes pour les dispositions de l'ALENA, et je vais essayer d'expliquer comment.

La caractéristique exceptionnelle de la relation commerciale de l'ALENA, plus particulièrement l'accès accordé au Canada et au Mexique, tient au type précis et particulier d'accès dont jouissent les producteurs canadiens et mexicains grâce aux réseaux ferroviaire et routier. Voilà ce qui rend ces deux partenaires commerciaux complètement et profondément différents de tout autre couple de partenaires commerciaux avec les États-Unis. Quand on songe à la nature des relations économiques entre les pays, il faut bien réfléchir à la façon dont le commerce est mené entre les trois pays. Il y a trois modes de transport: camionnage, chemin de fer et transport aérien. Les deux premiers sont les plus importants, à 2 milliards de dollars par jour.

En ce moment, 82 p. 100 des exportations canadiennes sont destinées aux États-Unis. Le rapport entre nos exportations et notre PIB est d'environ 46 p. 100. Selon les calculs, entre le quart et le tiers des emplois au Canada découlent directement de nos exportations vers les États-Unis.

Les initiatives prises après le 11 septembre pour sécuriser les frontières terrestres et maritimes des États-Unis réduiront presque certainement la dépendance globale de l'économie américaine à l'égard du commerce extérieur d'une façon que nous ne comprenons pas encore parfaitement. Des universitaires entreprennent de nombreux travaux pour essayer d'estimer les répercussions sur le commerce ou l'augmentation de ces coûts qui sont foncièrement non quantifiables. Nous ne savons pas au juste dans quelle mesure le commerce ralentira, mais le ralentissement aura presque certainement lieu. En outre, les différences d'impact sur l'accès terrestre par opposition à l'accès par la mer et par la voie des airs par suite de ces changements auront un retentissement important sur les dispositions de l'ALENA.

En ce qui concerne l'Asie et l'ALENA, l'abaissement des barrières au commerce à l'égard de ces pays de l'extérieur veut dire que l'accès «préférentiel» dont le Mexique et le Canada ont joui pendant les dix premières années de l'accord a perdu beaucoup de son importance pour un grand nombre de produits manufacturés. Par conséquent, il nous restera essentiellement les avantages naturels qui découlent, pour le commerce, de la proximité géographique, de la stabilité politique et des types spéciaux de réseaux de transport — les plus importants étant les réseaux routiers et ferroviaires entre le Canada et les États-Unis, reliés au réseau qui existe entre les États américains.

Quels sont les risques? La «spécialisation verticale» ou le commerce entre industries — par exemple, l'industrie de l'automobile — repose essentiellement sur un modèle de distribution et d'organisation qui dépend de systèmes de distribution sensibles aux délais et à la proximité géographique. Par conséquent, si les camions ne peuvent franchir la frontière pour atteindre les usines, on perturbe tout le modèle d'organisation de l'industrie.

Jusqu'à quel point le commerce du Canada est-il sensible à des considérations de cette nature? J'estime que, en ce moment, environ la moitié du commerce entre le Canada et les États-Unis y est sensible. On peut laisser de côté l'énergie et certaines matières premières — par exemple, le bois d'oeuvre ne dépend pas beaucoup de ces considérations — mais le gros de la croissance du commerce après l'adoption de l'ALENA dépend de ces considérations.

Où tout cela nous mène-t-il? Supposons que les coûts à la frontière augmentent et demeurent élevés. Quelles seront les conséquences? Il y en aura un certain nombre. Tout d'abord, en plus de la réduction générale du commerce, il y aura un certain réaménagement des activités de part et d'autre de la frontière. Une grande partie de l'avantage que le Canada possédait par la place qu'il occupe dans la chaîne de la valeur ajoutée sera essentiellement perturbée par suite de ces augmentations des coûts du transport. On ne pourra plus implanter à Windsor, à Oshawa ou à Richmond une industrie qui dépend de façon critique d'un système de livraison juste à temps, par exemple. À court terme, il aura des perturbations; à long terme, il y aura réorganisation des activités situées de part et d'autre de la frontière.

Exactement la même chose vaut pour le Mexique. Ce pays est spécialisé dans les pièces et l'assemblage dans la partie inférieure de la chaîne de la valeur ajoutée, mais il est exposé aux mêmes types de considérations.

Nous avons été poussés vers le commerce des produits finals, et voici que nous faisons face à cette concurrence de l'extérieur, qui vient plus particulièrement de l'Asie. Désormais, les chances seront à peu près égales pour tout le monde. On aura éliminé les avantages naturels que possèdent le Canada et le Mexique et on leur aura essentiellement accordé un accès plus égal au marché nord-américain, dans ce cas le marché des États-Unis. Les camions formeront de longues files d'attente à la frontière canadienne il y aura également de longs délais dans l'examen des conteneurs dans les ports maritimes américains, surtout ceux de l'Ouest, à Seattle, Los Angeles et San Diego. Toutefois, les marchandises transportées dans ses conteneurs seront à peu près les mêmes.

Si la situation persiste, il y aura d'importants rajustements au Canada. Tout d'abord, il y aura une importante baisse du taux de change réel ou fléchissement des prix à la frontière pour les produits canadiens. Selon une approximation, une augmentation de 10 p. 100 des coûts à la frontière entraînera une réduction d'environ 25 p. 100 du volume des échanges entre le Canada et les États-Unis. L'effet à long terme sur le niveau de vie des Canadiens sera appréciable.

Le deuxième rajustement sera la restructuration de l'industrie. Il y aura un réaménagement dans les caractéristiques de notre commerce dans la mesure où augmenteront les coûts des affaires avec les États-Unis par opposition aux autres pays. Le commerce augmentera avec d'autres partenaires commerciaux, probablement surtout en Asie et en Europe. L'ensemble du processus aura donc pour effet de détourner le commerce.

Nous sommes au milieu d'un processus qui pourrait se concrétiser ou non. Toutefois, si le gouvernement américain va de l'avant, les coûts à la frontière augmenteront très substantiellement pour les producteurs canadiens, ce qui aura un effet notable dont nous devrons tenir compte à long terme dans les échanges sur les relations entre les trois pays.

Le président: D'après l'information que le comité a reçue, un camion franchit la frontière américaine toutes les deux secondes et demie. Déjà, à un ou deux endroits en Ontario, les bouchons font plusieurs kilomètres. J'ignore combien de temps il leur faut pour traverser, mais c'est long. Au moment des attentats contre le World Trade Center, les bouchons faisaient une vingtaine de milles.

Il est clair pour tout le monde que les Américains s'inquiètent beaucoup de leurs problèmes de sécurité. Je ne suis pas sûr que toutes leurs inquiétudes soient fondées, mais peu importe, c'est leur pays, et l'inquiétude ne va pas diminuer. Ils sont plus préoccupés, et cela aura des effets à la frontière canadienne.

Selon nos renseignements, 35 p. 100 du PIB du Canada dépend essentiellement de cette frontière, de notre commerce avec les États-Unis. Du côté des États-Unis, nous ne représentons que 2 p. 100 du PIB. Autrement dit, si le PIB américain augmente de 2,5 p. 100 cette année, et si le pays perd tout son commerce avec le Canada, le pays aura tout de même fait un gain d'un demi-point, alors que la conjoncture n'est pas particulièrement bonne.

Cela n'a-t-il pas des implications terribles pour notre position? Il semble que nous n'ayons pas beaucoup de solutions de rechange, tandis que les Américains, s'ils devenaient vraiment désagréables, pourrait fermer la frontière. Je présume que le pétrole, le gaz et l'électricité constitueraient un problème, mais ils pourraient se débrouiller, et cela n'aurait à peu près aucun effet sur eux. Qu'en pensez-vous?

M. Harris: Ces questions-là sont lourdes d'incertitude. Il faut apporter des nuances sur les moyens de résoudre tous les problèmes qui pourraient surgir après le fait.

Le président: Cela se passe déjà.

M. Harris: Oui, mais nous avons un accord de libre-échange avec les États-Unis, et nous discutons de l'augmentation des coûts du commerce. Si vous parlez de l'élimination du commerce — par exemple si les Américains imposaient des droits prohibitifs ou des contingents tels que le Canada ne puisse plus vendre...

Le président: Non, je parlais de la sécurité à la frontière.

M. Harris: La question est la suivante: dans quelle mesure cela justifiera-t-il l'augmentation du coût des affaires entre les deux pays. Le coût augmentera nettement, mais nous ignorons dans quelle mesure. Ce coût retombera en grande partie sur les Canadiens, puisque le Canada est le partenaire le moins puissant. Comme une forte proportion de notre PIB dépend du marché américain, les effets seront considérables.

Toutefois, j'estime que, à plus long terme, si le problème se concrétise, d'autres mécanismes interviendront, il ne faut pas l'oublier. Chose certaine, le Canada commencera à exporter vers d'autres régions et commencera à acheter à d'autres régions de façon que le volume du commerce entre les deux pays évoluera. Le pire scénario apocalyptique serait l'élimination de 35 p. 100 des emplois au Canada. Cela est inimaginable, mais l'impact serait considérable sur le niveau de vie des Canadiens. À long terme, l'incapacité de vendre ou d'exporter — les exportations vers les États-Unis ont été la source principale de la croissance économique du Canada — et l'obligation de trouver d'autres partenaires commerciaux ou de commercer avec les États-Unis avec des frais beaucoup plus élevés entraîneront une importante baisse du niveau de vie des Canadiens.

De quel ordre de grandeur? Je l'ignore. Peut-être devrions-nous nous intéresser à la situation de l'Australie ou de la Nouvelle-Zélande. Ces pays sont très éloignés de leurs partenaires commerciaux. Ils doivent absorber des coûts relativement élevés pour se livrer au commerce international. Leurs niveaux de vie sont de 25 à 30 p. 100 inférieurs à celui du Canada. Ce n'est pas un mauvais point de comparaison pour prévoir ce qui arriverait au Canada s'il perdait l'accès au marché américain. Nous deviendrions comme la Nouvelle-Zélande: isolés par une frontière coûteuse dans la partie nord du continent. Nous vendrions toujours de l'énergie et du bois, mais nous n'aurions probablement pas d'industrie automobile. Le Canada serait fort différent. Ce sont là des pistes de réflexion.

Le président: Plutôt pénible pour l'Ontario.

Le sénateur Di Nino: Monsieur Harris, permettez-moi de poursuivre dans le même ordre d'idées. Vos réflexions supposent qu'il n'y aura pas d'harmonisation des contrôles à la frontière, ce qui aurait des résultats différents de ceux que vous prévoyez. On nous dit que 38 États considèrent le Canada comme leur plus important partenaire commercial. Le problème ne se limite pas ici aux Canadiens qui éprouveraient des difficultés avec un important partenaire ou le perdraient. Cela marche dans l'autre sens également.

Selon vous, devrions-nous discuter avec les États-Unis de la possibilité d'une harmonisation qui atténuerait les irritants à la frontière, notamment en ce qui concerne le transport par train et par camion? Dans l'affirmative, estimez- vous que cela nous ferait perdre une partie de notre souveraineté?

M. Harris: Vous dites que le Canada est le plus important partenaire commercial de 38 États. Je ne sais pas au juste d'où vous tenez ces statistiques, mais il est probable qu'on évalue le Canada en le comparant à d'autres pays étrangers. En optant pour ce point de vue, on ne tient pas compte du fait que, lorsqu'on envisage une situation régionale, il faut penser par exemple à l'importance du commerce entre l'État de Washington et la Colombie-Britannique, par opposition au commerce avec l'Oregon. L'importance particulière des provinces canadiennes diminue beaucoup par rapport à la donnée que vous avez citée. Bien entendu, nous sommes un partenaire commercial important pour les États-Unis, mais je ne pense pas qu'il faille trop insister sur le fait.

Quant à l'autre point que vous avez fait ressortir, je suis d'accord. Il y a évidemment des conséquences politiques, et j'en parlerai dans un instant. Toutefois, l'objectif visé est de garantir la croissance économique future du Canada. Depuis quinze ans, nous cherchons à avoir une frontière fluide pour que nous puissions avoir un secteur de la fabrication et des services qui soit intégré, particulièrement avec les États du Nord, mais aussi avec certains des États du Sud qui connaissent une croissance rapide. Il est très difficile de croire que, dans l'immédiat, il y aura bien autre chose. Voyez ce qui se passe en Europe. Si vous considérez les petits pays prospères du nord de l'Europe, vous constaterez qu'ils ont tous les mêmes caractéristiques: leurs frontières sont à peu près totalement ouvertes, le rapport entre le secteur manufacturier et le PIB est très élevé, et ils exportent énormément vers les principaux pays d'Europe. Songeons par exemple à la Belgique, au Danemark, à l'Irlande et aux Pays-Bas.

Ces pays ont une grande productivité et un niveau de vie élevé. Ils ont obtenu des résultats exceptionnels. Ils témoignent du fait qu'on peut être un petit pays à l'intérieur d'une grande zone économique et prospérer. Toutefois, cette prospérité s'inscrit dans un modèle économique particulier. Le problème, avec ce qui se passe à la frontière américaine, c'est que ce modèle économique disparaîtra à peu près totalement comme modèle de développement pour la production canadienne. Nous reviendrons au modèle de développement national d'un secteur canadien de la fabrication séparé du reste du monde, par des océans, et des États-Unis, par une frontière hostile. Je crois que ce point est absolument crucial.

Faudra-t-il pour autant sacrifier notre souveraineté? Il le faudra. Il s'agit là d'une question politique et tout le monde doit faire un jugement politique. De toute évidence, si nous entamons des négociations avec les Américains là- dessus, il faut être réaliste: ils voudront quelque chose en échange.

Le sénateur Di Nino: Des témoins nous ont dit que le Canada et les États-Unis essaient de régler ce problème au moyen d'inspections, en plaçant du personnel canadien ou des inspecteurs canadiens aux États-Unis et des inspecteurs américains à l'extérieur de la frontière américaine pour atténuer les problèmes du passage frontalier. Je crois que ces efforts se poursuivront.

Estimez-vous que c'est là un moyen d'éliminer les problèmes possibles et de faciliter et accélérer l'accès?

M. Harris: Je ne suis pas un expert de la sécurité contre le terrorisme en ce qui concerne l'inspection des camions et des navires. Je n'en connais probablement pas plus long que vous. Nous discutons maintenant de procédures et de techniques dont la plupart d'entre nous ont fort peu d'expérience. En Europe, si un camion quitte Rotterdam pour Munich, il prend la route et ne s'arrête jamais. Les Européens sont parvenus à un niveau d'intégration de leur système de distribution qui dépasse de loin tout ce que le Canada et les États-Unis ont réalisé.

Est-ce possible? Je présume qu'il faudrait demander à d'autres experts. J'imagine que nous pouvons parvenir un niveau de sécurité qui permettrait le fonctionnement fluide des systèmes de livraison juste à temps de part et d'autre de la frontière, mais je l'ignore. Si c'est possible, tant mieux, les Américains seraient satisfaits.

Le sénateur Austin: Monsieur Harris, d'après votre mémoire, vous avez proposé une union douanière il y a trois ans. Faites-vous toujours cette proposition?

M. Harris: Non, ma proposition va plus loin que l'union douanière. Lorsque les économistes parlent d'union douanière, ils se servent généralement de cette expression pour désigner une zone de libre-échange, avec cette précaution supplémentaire que les membres de la zone de libre-échange ont une barrière extérieure commune contre les pays tiers. Cela fait partie d'un modèle qui s'apparente davantage au marché commun. Toutefois, j'irai encore plus loin pour ajouter l'harmonisation d'un certain nombre de procédures réglementaires et une politique commune sur la concurrence. Tout le différend sur le bois d'oeuvre tient au fait que l'accord sur le libre-échange n'a jamais comporté d'entente sur les subventions. Cela ferait partie d'un marché commun.

Dans mon monde, le marché commun voudrait dire que nous n'aurions pas de différend sur le bois d'oeuvre, au moins au sens juridique.

Le sénateur Austin: Vous avez décrit un problème que nous pourrions avoir aujourd'hui: une nouvelle diminution de la compétitivité canadienne, une dégradation de notre accès au marché américain et, par conséquent, une diminution de notre niveau de vie. Vous estimez que la solution consisterait à entamer des discussions politiques pour parvenir à une quasi-intégration économique avec les États-Unis. L'harmonisation se définit comme notre acceptation de la politique américaine. Selon vous, quels moyens aurions-nous de faire respecter les intérêts canadiens sur le plan de la réglementation et de l'accès, pour que les États-Unis accordent une certaine attention à nos demandes?

M. Harris: Excellente question. Il serait très difficile d'y arriver avec l'administration actuelle. Il pourrait s'agir d'un travail constamment perfectible. Mon point de vue général, c'est que quelqu'un devra faire accepter qu'on fasse progresser l'ALENA un peu plus. Il sera très important d'obtenir l'appui du Mexique. Pour des raisons évidentes le Mexique a des atouts que nous n'avons pas.

Toutefois, si on arrive à intéresser l'administration où certains éléments de l'appareil américain — le législatif, par exemple — à des initiatives de libéralisation des échanges, l'idée de réclamer quelque chose comme un marché commun pourrait attirer une certaine attention. Le succès n'est pas garanti.

Le sénateur Austin: Croyez-vous que nous sommes un peu coincés? Je n'accepte pas votre thèse, j'en discute. Nous constatons que l'Union européenne s'intéresse peu à d'autres arrangements commerciaux avec le Canada, qu'il s'agisse de libre-échange ou d'une version quelconque du libre-échange. Le Japon n'est pas très intéressé non plus. La compétitivité de nos exportations sur le marché asiatique n'est pas très élevée, surtout en Chine, où l'accès pour nos exportations a relativement peu progressé. Nous pourrions en rester là, constater que nous ne réussissons pas dans l'économie mondiale, mais que nous réussissons sur le marché américain et que notre niveau de vie dépend de la poursuite de ce succès.

Pourtant, si on prend l'exemple du bois d'oeuvre, nos intérêts sur le marché américain sont contrecarrés par l'application horrible de certaines politiques intérieures. Vous parlez d'un intérêt commun et de toutes ces idées de relation spéciale que nous avions il y a un certain temps. Tout cela est disparu du système politique américain. Comme vous l'avez dit vous-même, l'administration actuelle est essentiellement axée sur des dossiers particuliers et sur la politique.

Comment trouver une solution? À titre d'économiste, vous avez défini le problème. Comme citoyen, pouvez-vous définir la solution?

M. Harris: À titre de citoyen, j'estime que les intérêts économiques du Canada n'ont pas été défendus très vigoureusement par la politique étrangère du gouvernement actuel. Il se peut que le gouvernement en place fasse des calculs rationnels. Je ne veux pas l'accuser de stupidité. Il reste qu'il a probablement fait ce calcul et qu'il subira les conséquences.

Le sénateur Austin: Pourriez-vous nous donner un exemple?

M. Harris: J'ai pris part à quelques-unes de discussions au début, lorsque la notion de périmètre de sécurité a surgi. Si le Canada avait appuyé vigoureusement cette initiative, selon laquelle le problème de sécurité de l'Amérique du Nord serait abordé sous l'angle d'un périmètre nord-américain plutôt que comme un problème de frontières, nous ne serions peut-être pas dans la situation actuelle. Le problème des camions ne se serait peut-être pas posé pour le Canada. Mais il semble que nous ayons laissé passer cette chance.

Nous en reviendrons peut-être au même point, à un moment donné. Je l'ignore. Peut-être toute la question se résorbera-t-elle, mais c'est une initiative qui a eu ses coûts.

Le sénateur Austin: Quelle est l'importance du Canada, selon vous, comme marché de consommation pour les exportations américaines? Bien sûr, nous voulons exporter vers les États-Unis, mais il faut que les consommateurs achètent. De notre côté, je crois comprendre que le Canada absorbe 25 p. 100 des exportations américaines. L'affaiblissement de notre économie réduirait notre capacité d'acheter des produits et services américains. Cela est-il important dans le contexte américain?

M. Harris: Oui. Nous sommes un grand pays industriel. Dans l'état actuel des choses, nous sommes un marché important pour les biens et services américains. Voyez l'industrie de l'automobile. Nous avons tendance à mettre l'accent sur les exportations canadiennes d'automobiles, mais la plupart des modèles qui circulent sur les routes canadiennes sont produits dans les usines américaines. C'est un exemple qui illustre l'importance du marché canadien.

Malheureusement, si les choses tournaient mal, les Américains pourraient réorganiser leur marché et susciter cette demande à l'intérieur des États-Unis. Toutefois, étant donné le niveau actuel d'intégration, le Canada constitue un marché important pour de très nombreuses entreprises américaines.

Le président: En ce qui concerne le périmètre qui préoccupe les Américains, je connais assez bien la situation mexicaine. La frontière est une passoire. Elle fait 800 milles. Il y a constamment une énorme circulation illégale dans les deux sens entre les deux pays. J'ignore pourquoi notre périmètre est si différent. Si je voulais entrer aux États-Unis, je serais porté à passer par le sud, où il ne semble y avoir aucune défense.

M. Harris: À la frontière mexicaine, il faut tenir compte de deux aspects. Il y a tout d'abord le transport de marchandises par le réseau de camionnage relié au réseau inter-États. Le deuxième, c'est l'immigration illégale de Mexicains. C'est le problème de passoire. Je crois comprendre que l'inspection des camions à la frontière aux termes des dispositions de l'ALENA est semblable pour les deux pays.

Le président: À la frontière mexicaine, on n'autorise tout simplement pas l'entrée des camions mexicains aux États- Unis. Ils viennent de perdre leur cause à ce sujet.

Le sénateur Carney: Je voudrais revenir à ce qu'a dit Kim Pollock, de l'IWA. Ce syndicat a joué un rôle très important par le passé en contribuant beaucoup aux accords sur le bois d'oeuvre entre le Canada et les États-Unis. Je vous suis donc reconnaissante d'avoir pris le temps de comparaître aujourd'hui.

On nous a dit que les provinces ne pouvaient s'entendre sur une approche de la question du bois d'oeuvre et que l'industrie ne pouvait y arriver non plus. Pourtant, le mouvement syndical a pu réunir quatre syndicats et les grands organismes centraux du syndicalisme pour formuler une proposition commune. Cela est étonnant, car personne d'autre n'est parvenu à un consensus.

Tout d'abord, pourriez-vous préciser quels sont ces organismes, en dehors du vôtre, et ensuite nous expliquer comment vous êtes parvenus à ce résultat. Nous parlerons ensuite de votre proposition.

M. Pollock: Les syndicats participants sont le nôtre, le Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, le Congrès du travail du Canada, ici présent, le PACE, c'est-à-dire le Paper, Allied-Industrial, Chemical and Energy Workers International Union, et l'Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale ainsi que l'AFL-CIO.

Comment y sommes-nous parvenus? Je présume que c'est toujours la même histoire: la nécessité est la mère de l'invention. Comme vous le savez probablement, le différend a des conséquences diverses, mais considérables, des deux côtés de la frontière. Environ 140 usines ont fermé leurs portes aux États-Unis en novembre. Les Américains subissent des conséquences à cause de la réaction du Canada à l'imposition de droits. Les producteurs les plus efficaces améliorent leur production et réduisent considérablement leurs coûts unitaires et ils utilisent simplement la marge que leur laisse l'écart entre le taux de change et les droits tarifaires pour créer le «mur de bois» qui inquiète les Américains. Les producteurs américains, surtout dans la région qui produit du pin, ne sont tout simplement pas assez efficaces et ne peuvent abaisser leurs coûts aussi bien que nous le pouvons. Ils subissent des conséquences au moins aussi graves que nous. Les problèmes et l'inquiétude sont donc partagés jusqu'à un certain point entre nous tous.

Le sénateur Carney: Une précision. Les syndicats qui ont signé cet accord ne se trouvent pas nécessairement du côté des producteurs de pin, dans le Sud. Ai-je raison? La plupart des syndicats que vous avez énumérés se trouvent dans d'autres régions plus industrialisées des États-Unis. Est-ce exact?

M. Pollock: Je ne voudrais pas vous donner tort, sénateur Carney, mais il y a beaucoup de travailleurs de l'IAM et quelques-uns du PACE qui se trouvent dans le Sud. Ils sont durement touchés.

Le sénateur Carney: Ce dont je voulais m'assurer, c'est que votre proposition jouit d'un large appui syndical.

M. Pollock: Effectivement.

Le sénateur Carney: Votre proposition contient deux parties. Tout d'abord, vous préconisez des droits selon une échelle mobile pendant les pourparlers sur le bois d'oeuvre. Ensuite, vous faites la proposition éminemment sensée de la diversification de la production nord-américaine de produits forestiers et de la recherche de nouveaux marchés. Vous inquiétez-vous de la concurrence étrangère, c'est-à-dire de la concurrence des pays étrangers en Amérique du Nord?

M. Pollock: Absolument. Depuis l'imposition des droits, j'ai vu des statistiques révélant que les importations de pays tiers vers les États-Unis étaient passées de 0,4 p. 100 à 4,4 p. 100. Autrement dit, les concurrents ont rapidement profité de la situation des prix et des marchés aux États-Unis et ont pénétré ce marché.

Le sénateur Carney: Comme vous le signalez dans votre mémoire, ces produits étrangers entrent en franchise.

M. Pollock: C'est juste. Ils ne sont frappés d'aucun droit tarifaire.

Le sénateur Carney: Je voudrais aborder la question des exportations de grumes de la Colombie-Britannique, car l'IWA s'est toujours opposée à ces exportations. Vous avez signalé que les exportations de grumes avaient triplé entre 1997 et 1998. Elles sont passées d'une moyenne de 300 000 mètres cubes à près d'un million de mètres cubes. En 2000, elles sont estimées à 2,4 millions, si bien que il y a eu une nouvelle augmentation de 100 p. 100. Nous sommes partis d'un volume faible, qui a triplé, puis doublé. Vous dites qu'une grande partie de ce bois provient de terres privées. Avez-vous des données plus récentes que celles de 2000?

M. Pollock: Je ne les ai pas sous la main, mais je me ferai un plaisir de vous les faire parvenir le plus tôt possible.

Le sénateur Carney: Merci. Je crois savoir que cette augmentation considérable des exportations de grumes, qui est au centre du règlement proposé, a de nouveau augmenté substantiellement.

M. Pollock: Je sais qu'il y a eu augmentation, mais je n'ai pas de chiffres précis.

Le sénateur Carney: En Colombie-Britannique, un argument en faveur des exportations de grumes, c'est que, au moins, cela donne des emplois. Vos propres membres disent qu'ils ne sont pas vraiment d'accord pour qu'on exporte les grumes, mais c'est le seul travail disponible. Que répondez-vous? Que pensent vos collègues américains des exportations de grumes, puisque leurs scieries sont alimentées et que leurs emplois sont maintenus?

M. Pollock: Lorsqu'on a le pistolet sur la tempe, on peut faire n'importe quoi. S'il quelqu'un dit: «Vous n'aurez pas de travail, votre famille n'aura pas de quoi manger et vos enfants ne pourront pas faire d'études supérieures si vous n'abattez pas ces arbres que nous allons exporter vers les États-Unis», la situation est difficile. Étant donné leur situation, rares sont nos membres qui ne s'opposeraient pas à l'exportation des grumes parce que cela revient à exporter des emplois aux États-Unis. Ils ont assurément raison. Les statistiques sur la valeur qu'on peut ajouter à une unité de bois par la transformation secondaire et tertiaire montrent combien nous pouvons exporter davantage et créer davantage d'emplois en transformant le bois plutôt qu'en expédiant des grumes brutes.

Le sénateur Carney: Que répondent vos collègues syndiqués des États-Unis? C'est grumes permettent de conserver des emplois dans leurs scieries. Comment réagissent-ils au problème de l'exportation de grumes du Canada?

M. Pollock: Je présume qu'ils n'ont pas tout le même avis. Chez nos collègues américains, il y a probablement des divergences d'opinion.

Le sénateur Carney: Les exportations que vous estimez à 2,4 millions de pieds cubes en 2000 correspondent à l'activité de combien de scieries? J'ai vu des chiffres, et je crois me souvenir que c'était entre six et dix.

M. Pollock: Oui, et j'allais dire que cela représente une dizaine de scieries de bonne taille.

Le sénateur Carney: Combien d'emplois? Mettons à 224 emplois par scierie.

M. Pollock: Multipliez 224 par 10.

Le sénateur Carney: Cela représente une importante perte d'emplois. Seriez-vous d'accord pour utiliser un facteur de multiplication de 1,7? Avec ce volume d'exportations de grumes, la perte serait d'environ 5000 emplois sur la côte?

M. Pollock: C'est du domaine des possibilités.

Le sénateur Carney: C'est peut-être une question étrange à poser, de ma part, étant donné le rôle que j'ai joué dans l'accord de libre-échange, mais certains diront qu'il serait peut-être bon d'inverser les tendances à l'intégration économique observées depuis dix ans. Que répondez-vous?

M. Harris: Il faudrait qu'on me dise ce qu'on a en tête. De façon générale, la plupart des études du développement économique du Canada au cours des 20 dernières années ont été généralement axées sur l'intégration commerciale, surtout avec les États-Unis, mais aussi avec le reste de la planète. Nous ne savons pas ce que serait cette inversion des tendances, mais ce serait peut-être une bonne idée.

Le sénateur De Bané: Monsieur Harris, dans votre mémoire, vous insistez sur l'importante augmentation des échanges commerciaux entre les États-Unis, l'Inde et la Chine. Vous écrivez:

Après l'ALENA, les États-Unis ont abaissé leurs barrières au commerce extérieur avec un certain nombre de pays non membres de l'ALENA, surtout la Chine et l'Inde. Au début du XXIe siècle, la croissance du commerce mondial attribuable à la Chine et à l'Inde devrait être littéralement sans précédent. Il est difficile de mettre en contexte les ordres de grandeur.

La croissance des exportations chinoises cette année est supérieure au total des exportations de la Chine il y a à peine dix ans. Cette année, son excédent commercial avec les États-Unis dépasse les 80 milliards de dollars. Vous soulignez également que la moitié du commerce du Canada avec les États-Unis est exposée à des risques graves à cause de l'augmentation des coûts à la frontière.

Lorsque je considère ces deux éléments, qui peuvent être reliés ou non, je constate que le Canada risque d'avoir un avenir très difficile. Si le commerce des États-Unis avec ces pays dont les coûts sont faibles augmente substantiellement et si le Canada perd jusqu'à un certain point son avantage géographique, notre situation sera très pénible. Mon analyse est-elle sans fondement ou croyez-vous qu'il pourrait y avoir des problèmes à l'avenir?

M. Harris: Je suis tout à fait d'accord avec vous. C'est le point principal que je veux faire ressortir.

M. Pollock: Une partie du problème du Canada, pour maintenir ses exportations, c'est qu'il y a un problème non seulement de relations commerciales avec l'extérieur, mais aussi un problème d'investissement. La semaine dernière, j'étudiais les statistiques sur l'investissement dans le secteur forestier en Colombie-Britannique. Il est absolument frappant que, dans les années 90 et par la suite, le taux des investissements dans ce secteur de la Colombie-Britannique a diminué. Si nous sommes préoccupés de compétitivité internationale, d'efficacité et de coûts unitaires, nous devrons- nous inquiéter de cet autre problème également.

Le sénateur Di Nino: Monsieur Harris, votre mémoire fort bien présenté et très fouillé m'inquiète. Nous devrions prendre bonne note de vos conclusions.

Vous expliquez comment, à cause du 11 septembre, le Canada devra augmenter ses échanges avec des pays qui ne sont pas membres de l'ALENA. Il me semble juste de dire que le Canada a connu un échec retentissant sur ce plan au cours des dix ou quinze dernières années. Je ne vois pas que cela puisse beaucoup changer à moins d'une évolution de la mentalité, et cela risque d'être plus difficile que nous ne le pensons. Dans votre dernier paragraphe, vous dites que le 11 septembre a fait de la frontière le problème le plus crucial pour l'ALENA et les relations entre le Canada et les États- Unis. Comme solution au problème, vous dites que nous n'avons pas réagi de façon assez constructive à l'idée de périmètre de sécurité. Je suis d'accord avec vous.

Y a-t-il d'autres idées que vous pouvez nous donner? Y a-t-il autre chose que nous devrions faire? Je suis d'accord avec vous, le problème est beaucoup plus important que nous ne l'avons vraiment réalisé, et les statistiques que vous citez sont effrayantes, pour dire le moins. Il doit y avoir d'autres approches que nous pouvons et devons emprunter pour atténuer le problème ou retourner la situation.

M. Harris: Ici, nous quittons le domaine de l'économie et, à vrai dire, mes compétences ne comptent plus beaucoup. Mon impression générale, c'est que l'état des relations politiques entre les deux pays a de très importantes retombées sur les relations commerciales.

Sur une note plus positive, peut-être la situation actuelle sera-t-elle temporaire, auquel cas nous pourrons pousser un grand soupir de soulagement et poursuivre notre route comme si de rien n'était. Je n'ai pas vraiment une bonne réponse à vous faire.

D'un point de vue plus pessimiste, à supposer que les États-Unis restent très protectionnistes, renoncent au multilatéralisme et se retournent sur eux-mêmes, les intérêts protectionnistes trouvant des dirigeants politiques plus empressés de les satisfaire qu'ils ne l'ont été jusqu'à maintenant, le Canada serait en très mauvaise posture. Ce n'est pas sans précédent. Au début des années 70, la Nouvelle-Zélande a perdu l'accès au marché européen. Je connaissais très bien ces chiffres.

Le président: Lorsque le Royaume-Uni est entré dans l'Union européenne, la Nouvelle-Zélande a perdu l'accès au marché britannique pour revendre son beurre.

M. Harris: La relation commerciale était très asymétrique. Une foule d'autres choses se sont passées, mais la Nouvelle-Zélande a essentiellement réorienté ses relations commerciales. Aujourd'hui, l'Australie est son plus important partenaire commercial et exporte également beaucoup vers l'Asie. Ce n'est pas impossible. Un autre exemple est celui de la Finlande. Elle avait un accès préférentiel à l'ancienne Union soviétique, mais, à cause de la fin de la Guerre froide, elle a dû réorganiser tout son système commercial. Elle a connu un succès retentissant dans les exportations mondiales de produits des télécommunications.

Si nous nous retrouvons dans ce genre de situation, il nous faudra repenser certaines de nos stratégies économiques fondamentales. À dire vrai, à supposer que le scénario pessimiste se réalise, ce sera un processus très pénible qui s'étalera sur une dizaine d'années.

Le sénateur Di Nino: À titre de simple citoyen, pensez-vous que la position que le Canada peut prendre au sujet de l'Irak pourrait être au nombre des irritants?

M. Harris: Effectivement, je crois que c'est un irritant. Toutefois, je ne me suis pas fait d'idée au sujet de l'Irak.

Le sénateur Austin: Monsieur Pollock, un des facteurs qui comptent dans votre industrie, c'est le coût de la main- d'oeuvre, et l'une des questions les plus importantes dont l'IWA est responsable est l'ensemble de la rémunération et des avantages des travailleurs. Je me demande si le syndicat s'est interrogé au sujet de l'harmonisation dans l'industrie du bois et des coûts de main-d'oeuvre génériques des scieries américaines. Je crois savoir que ces coûts sont inférieurs à ceux de la main-d'oeuvre canadienne. On n'a peut-être pas tenu compte des avantages sociaux, mais quelqu'un paie l'ensemble de ces coûts, et ce n'est pas nécessairement l'employeur. Je me demande si une intégration plus poussée de l'industrie constitue une menace pour votre convention collective actuelle, sa structure, ainsi que la rémunération et des avantages. Quel est votre avis?

M. Pollock: Je crois que, une fois qu'on a tenu compte de la différence dans la valeur du dollar et calculé l'ensemble de la rémunération, on constate qu'il n'y a pas une différence énorme entre le taux de rémunération des travailleurs d'une scierie d'IAM et des travailleurs d'une scierie d'IWA. Il faut replacer la question dans un certain contexte. Lorsque l'on considère l'ensemble de l'industrie du sciage, les salaires représentent environ 17 p. 100 du total des coûts. Ils sont importants, mais ce n'est pas la seule chose. Il y a une foule d'autres coûts. Par exemple, celui du bois est le principal problème qui se pose dans le Sud. Étant donné qu'on achète le bois surtout à des petits propriétaires privés qui ont la double possibilité de vendre les arbres à la pièce à une scierie ou de liquider le bois et d'aménager un lotissement ou de construire un centre commercial. Dans certaines régions du Sud, près des grandes zones urbaines, c'est ce qui se passe, et rapidement. Vous constaterez que c'est le cas en Colombie-Britannique également. Le principal facteur est le prix du bois.

Nous sommes conscients du rôle des coûts dans notre compétitivité. C'est pourquoi, l'automne dernier, Dave Haggard a amorcé une démarche avec l'industrie de la côte, où les entreprises ont actuellement le plus gros problème de coûts. M. Haggard a entrepris des discussions avec l'industrie pour voir s'il y avait moyen de faire d'atténuer le problème. Nous savons que, si l'industrie ferme ses portes, nos membres seront au chômage. Nous ne le souhaitons pas.

Le sénateur Austin: Je peux comprendre. Je voulais faire cette réflexion pour que nous puissions tenir compte de ce facteur dans notre étude globale du problème du bois d'oeuvre.

Monsieur Harris, nous avons discuté d'un certain nombre de facteurs qui peuvent influencer le comportement politique et économique des États-Unis. Peut-être pourrais-je ajouter une question à propos d'un autre facteur que vous voudrez commenter. Il s'agit de la politique de déficits budgétaires que le service américain du budget et l'administration Bush semble vouloir suivre. M. Daniels, chef du bureau du budget, a déposé un budget qui affiche un très important déficit: 304 milliards de dollars pour le prochain exercice, 307 milliards pour l'exercice suivant et ainsi de suite jusqu'à la fin de la décennie. Selon vous, quelles seront les conséquences d'une importante de série de déficits aux États-Unis sur le comportement des devises, c'est-à-dire le comportement du dollar américain par rapport aux autres devises, et plus particulièrement la nôtre, et sur notre position concurrentielle dans nos relations commerciales avec les États-Unis?

M. Harris: Au sujet de l'impact macro-économique des déficits sur les taux de change, les ouvrages d'économétrie sont tout à fait ambigus. Néanmoins, il faut considérer les déficits budgétaires des États-Unis dans le contexte d'une économie qui, depuis longtemps, a peu d'épargne. Je suis de ceux qui soutiennent qu'il faudra mettre en place d'importants mécanismes d'adaptation. Une partie du mécanisme sera inévitablement de l'inflation aux États-Unis ou bien une combinaison d'inflation et de dévaluation de la devise par rapport à l'euro, au yen, mais la grande question est de savoir ce qu'il adviendra des devises asiatiques.

La situation de la Chine est particulièrement compliquée parce que sa politique actuelle fixe la valeur de sa devise par rapport au dollar américain. Par conséquent, cela veut dire au fond que le mécanisme d'adaptation doit être un changement dans les prix chinois. Cependant, j'oserais prédire que, même avec un régime de taux de change fixe, il aura une appréciation du taux de change réel de la devise chinoise par rapport au dollar par le biais d'une augmentation des prix.

Que se passera-t-il au Canada? Impossible de prévoir. Le Canada est un très petit pays, au milieu des grands blocs établis selon les devises, et il faut se demander comment les investisseurs internationaux considéreront le dollar canadien. Même si le Canada est perçu comme un régime politique et financier relativement stable, aux côtés d'un grand voisin qui adopte une politique budgétaire hautement spéculative ou imprudente, rien ne garantit que ces investisseurs commenceront à placer une partie importante de leurs actifs en dollars canadiens. Je crains que l'inverse ne se produise. C'est l'effet du rapprochement avec les États-Unis. Le Canada est considéré par de nombreux gestionnaires de portefeuille comme appartenant en fait à un bloc nord-américain, même si notre devise flotte, et il faut craindre qu'une méfiance à l'égard des valeurs américaines ne se transforme en méfiance pour des valeurs canadiennes de qualité relativement élevée. Voilà ce qui m'inquiète.

Le sénateur Setlakwe: Vous avez brossé un tableau plutôt pessimiste de notre avenir économique avec les Américains. Que pensez-vous de notre avenir économique du côté des Européens? Le printemps prochain, il aura une réunion en Grèce consacrée à l'amélioration du commerce entre le Canada et la communauté européenne. Il y en aura une autre en décembre. L'accent sera mis sur la réglementation, l'investissement et la circulation des personnes et des professionnels. Il ne sera pas question de commerce. Êtes-vous optimiste à ce propos et que pensez-vous de nos chances d'accroître notre commerce avec l'Union européenne, étant donné que, à une époque, nous étions à 28 p. 100 et ne sommes plus qu'à 5 p. 100?

M. Harris: Il est très difficile de savoir. Bien des choses dont on discute sont très valables: faciliter la circulation des professionnels, aplanir certaines difficultés pour l'investissement, améliorer l'accès aux services. Toutefois, les attentes doivent rester réalistes.

Pour commencer, les obstacles formels au commerce entre le Canada et l'Europe ne sont pas énormes. Il n'y a pas énormément de barrières au commerce à abattre. Deuxièmement, le type de commerce que j'ai décrit plus haut — fondé sur la fourniture ponctuelle de biens intermédiaires et sur la fabrication — n'est pas envisageable entre le Canada et l'Europe. C'est tout simplement impossible. Nous pouvons envisager le commerce d'autres produits: produits énergétiques, ressources naturelles, produits finis, produits agricoles.

Des réalisations sont possibles et je crois certainement qu'il peut y avoir des améliorations. Mais ce ne sera assurément pas le moteur de la croissance économique du Canada.

Le sénateur Setlakwe: Lorsque nous disons cela aux Européens, ils rétorquent que leur investissement direct au Canada — malgré le peu de commerce qui se fait entre nous — représente 25 p. 100 de l'investissement total au Canada. Le même pourcentage s'applique aux investissements canadiens en Europe. Est-ce un facteur positif?

M. Harris: Oui, c'est un facteur tout à fait positif. Une grande partie de cet IED que nous recevons se situe dans les services, services financiers, par exemple. L'une des tendances de l'intégration économique moderne a été l'intégration des marchés des services, qui est facilité par les grands flux d'investissement dans les secteurs liés aux services où, autrement, nous ne serions pas portés à croire qu'il y a commerce. Ce sont là des éléments positifs, et tout cela continue.

Néanmoins, pour revenir au point essentiel, même si le Canada signait un accord de libre-échange avec l'Europe demain, ce ne serait pas un moteur de croissance économique. Telle est la réalité.

Le président: La semaine dernière, un témoin nous a dit que, jusqu'en 1992, 40 p. 100 de nos exportations de bois d'oeuvre étaient destinées à l'Union européenne. C'est un pourcentage très élevé. Ce renseignement nous a été communiqué par le directeur du Bureau du bois de sciage des Maritimes.

Le président: On nous a dit que, à cause d'une restriction qui est une barrière non tarifaire, restriction concernant le nématode du pin, nous sommes passés d'un milliard de dollars par année en 1992 à environ 10 millions de dollars. C'est une diminution étonnante. Êtes-vous au courant de cette question et pourriez-vous nous en dire un peu plus long?

M. Pollock: Fondamentalement, c'est vrai. Le nématode a été considéré comme un parasite, et le problème a touché le bois d'oeuvre, surtout celui des Maritimes, du Québec et du nord de l'Ontario. Toutefois, l'ouest du Canada n'a pas vraiment un gros commerce de bois d'oeuvre avec les Européens. L'Europe a fort bien réussi à se servir de ce qui était fondamentalement une barrière non tarifaire au commerce pour mettre fin à nos exportations de bois d'oeuvre et à certaines exportations de pâte et de papier vers l'Union européenne.

Le sénateur Carney: J'ai une question à poser à M. Harris, et elle devrait aider à éclairer nos réflexions à ce sujet.

Vous signalez, avec raison selon moi, que par le passé, vous avez soutenu que le meilleur moyen d'obtenir les avantages de l'intégration économique entre les trois pays de l'ALENA serait d'évoluer vers des institutions de marché commun, par exemple une politique commune sur la concurrence, la main-d'œuvre et la mobilité, et une monnaie commune. Dans votre mémoire, vous affirmez que ces propositions ne sont pas populaires, politiquement, ni au Canada, ni aux États-Unis. Cette affirmation est toujours valable, car la politique de concurrence suppose la possibilité d'appliquer des droits antidumping et des droits compensateurs. Non seulement depuis l'ALE, mais aussi dans l'ALENA et à l'OMC, tout le monde a du mal à s'entendre sur une politique de concurrence commune. La mobilité de la main-d'oeuvre fait toujours problème, malgré les progrès accomplis, et la monnaie commune ou la dollarisation, comme on dit, n'a aucune chance au Canada. Je l'accepte.

Vous dites qu'il aurait été possible d'éviter certains problèmes si nous avions eu un périmètre de sécurité commun en Amérique du Nord, et, au Canada, un autre gouvernement pourrait ultérieurement revoir les avantages de cette approche. Vous avez fait remarquer fort justement que, parfois, les solutions possibles ou les nouvelles tendances ne sont pas envisageables pour le gouvernement ou la population à un moment donné.

D'après mon expérience, un problème que nous avons au Canada, c'est que ni le ministère des Finances, ni le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international n'ont beaucoup de capacité ou d'intérêt pour prévoir les évolutions et les tendances. Autrefois, le Conseil économique du Canada s'en occupait, mais cette capacité est disparue lorsque le Conseil a été aboli. Estimez-vous que nous avons besoin d'une nouvelle institution nationale analogue au Conseil économique qui pourrait se charger d'une partie de ce travail dans les domaines d'avenir, ou peut- on s'en remettre en toute sécurité à des universitaires comme vous? Avec le Conseil économique du Canada, il y avait au moins un centre de gravité. Cela n'existe plus.

M. Harris: Je suis très heureux que vous posiez la question. Je suis aussi très étonné.

Le sénateur Carney: J'ai été membre du Conseil économique avant son abolition.

M. Harris: L'année où on a fait disparaître le Conseil économique du Canada, j'étais président de l'Association canadienne de l'économique. J'ai participé aux efforts déployés en vue de le rétablir.

Le sénateur Austin: C'était en quelle année?

M. Harris: Sans doute au début des années 90. Le gouvernement Mulroney était aux commandes.

Le président: Aux environs de 1988, si ma mémoire est fidèle.

M. Harris: Cette mesure a été prise à la demande du ministère des Finances, qui était irrité par le Conseil.

Le sénateur Carney: Avons-nous perdu la capacité de mener ce genre de réflexion futuriste qui prépare les changements de politique avant qu'il n'y ait des retombées économiques préjudiciables?

M. Harris: Absolument. Cela ne fait aucun doute. Lorsqu'on a fait disparaître le Conseil économique du Canada, la capacité de recherche sur les questions économiques à long terme a été gravement diminuée au Canada. Il nous reste les groupes de réflexion, qui ont leur valeur, mais ces groupes ont leurs propres objectifs politiques. Il reste les milieux universitaires, qui sont limités. En somme, c'est tout ce qu'il y a au Canada pour l'instant.

Le sénateur Carney: Peut-être pourrions-nous en prendre note.

Le sénateur Austin: Si le sénateur Carney propose ce que nous prenions en considération une recommandation visant le rétablissement d'une certaine capacité de faire des analyses en profondeur, je suis tout à fait d'accord avec elle.

Le président: Moi aussi. Il s'agit d'une question non de politique, mais de bon sens. D'après les témoignages que nous avons entendus, il est très clair qu'il nous manque quelques éléments que nous devrions posséder, sur le plan de la capacité de planification à long terme. Autrement, nous ne serions pas dans la situation actuelle.

Je tiens à remercier nos témoins d'avoir comparu cet après-midi.

La séance est levée.


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