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Délibérations du comité sénatorial permanent des
affaires étrangères

Fascicule 6 - Témoignages du 19 février 2003 - Réunion du matin


CALGARY, le mercredi 19 février 2003

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit ce jour à 10 h 04 pour examiner les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis d'Amérique et les relations commerciales entre le Canada et le Mexique et faire rapport à ce sujet.

Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs et invités, j'ai le privilège de présider le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères.

Au nom du comité, permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue et de vous dire combien nous sommes heureux d'être ici à Calgary et d'avoir l'occasion d'entendre votre point de vue sur certains des défis commerciaux internationaux auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui.

Nous avons pour mandat d'examiner l'Accord de libre-échange canado-américain de 1988, l'Accord de libre- échange nord-américain de 1992, la sécurité d'accès des biens et services canadiens aux États-Unis et au Mexique, et l'élaboration de mécanismes efficaces de règlement des différends, et de faire rapport sur toutes ces questions.

Nous sommes censés présenter notre rapport final au plus tard en décembre cette année, mais nous espérons le faire bien avant.

Nous sommes dans une situation très délicate en ce qui concerne nos relations commerciales avec les États-Unis. Voici comment se présente la situation du point de vue national: 86 p. 100 de nos échanges internationaux se font vers le Sud. Le commerce avec les États-Unis représente environ 35 p. 100 de notre produit intérieur brut.

Les chiffres pour l'Alberta sont également impressionnants. Cette province effectue 89 p. 100 de ses échanges internationaux avec les États-Unis. Certes, les combustibles fossiles représentent 72 p. 100 de ce total, mais n'oublions pas la croissance rapide d'autres secteurs: le boeuf, le matériel de télécommunications, les produits chimiques organiques et les meubles.

Tout comme l'ensemble du Canada, vous avez essentiellement un client: les États-Unis. Ce client nous tient en otage. Regardez ce qui s'est passé dans le cas du bois d'oeuvre résineux. Des droits de douane écrasants ont mis à genoux une industrie naguère pleine de vitalité.

Le lobby agricole américain a maintenant les céréales dans son collimateur, et les céréaliculteurs de l'Alberta sont donc menacés. Certes, l'Alberta dispose de bons atouts avec le pétrole et le gaz, mais ce sont les Américains qui détiennent la plupart des as.

Nous pouvons essayer de réouvrir l'Accord de libre-échange et l'ALENA. Nous pouvons essayer d'obtenir un mécanisme plus équitable de règlement des différends. Nous participons aux discussions de l'OMC.

Ne devrions-nous pas nous tourner vers d'autres marchés et élargir l'éventail de notre clientèle pour avoir au moins un peu de poids? En un mot, nous sommes ici pour vous écouter.

Les autres membres du comité sont le sénateur Austin, de la Colombie-Britannique, le sénateur Di Nino, de l'Ontario; le sénateur Setlakwe, du Québec et le sénateur De Bané, aussi du Québec. Je viens de l'Ontario.

Nous venons d'avoir une série d'audiences très intéressantes à Vancouver qui nous ont permis, je crois, de bien cerner le problème dans notre esprit.

Nous accueillons ce matin M. Douglas McBain, de la Western Barley Growers Association, M. Dennis Laycraft, de la Canadian Cattlemen's Association et M. David Usherwood, de la Chambre de commerce de Calgary.

Je vous invite à faire chacun un bref exposé.

Monsieur McBain, vous avez la parole.

M. Douglas McBain, président, Western Barley Growers Association: Monsieur le président, c'est un privilège d'être ici pour vous donner notre opinion sur le commerce d'exportation vers les États-Unis. Je représente la Western Barley Growers Association. J'en suis le nouveau président élu depuis la semaine dernière.

La Western Barley Growers est une organisation à participation volontaire dirigée par ses membres qui représente les producteurs d'orge de l'ouest du Canada. Notre mission est d'appuyer une industrie dynamique et autosuffisante.

L'un de nos objectifs est de parvenir à un marché nord-américain ouvert pour les produits agricoles et notamment l'orge. Nous sommes favorables à l'Accord de libre-échange mais nous voulons avoir l'assurance de règles de réciprocité, c'est-à-dire les mêmes règles des deux côtés sur les restrictions imposées aux exportations ou aux importations et l'application des mêmes critères de qualité et de classement des deux côtés.

Notre principal problème pour les exportations d'orge vient de notre politique intérieure concernant la Commission canadienne du blé et de nos difficultés d'accès au marché américain en tant que producteurs individuels. Je ne vais pas entrer dans le détail de la politique intérieure, mais je me ferai un plaisir de répondre à toutes vos questions.

En ce qui concerne les exportations et le rôle des producteurs, il y a une distinction entre ce que nous pouvons faire en tant que producteurs pour exporter et les effets des restrictions commerciales américaines et mexicaines à notre égard. Actuellement, tout dépend de la Commission. Si elle décide de ne pas exporter vers ces pays, il n'y a pas de répercussions. Le problème, c'est que nous, producteurs, nous voulons avoir accès au marché et la politique intérieure est le principal obstacle aux échanges commerciaux.

Dans le secteur de l'élevage, nous avons peur des répercussions du système d'étiquetage avec mention du pays d'origine que les Américains appliquent temporairement ou volontairement actuellement. Comme le secteur du bétail de l'Ouest canadien représente notre plus gros marché pour l'orge, nous nous inquiétons pour sa santé et nous avons peur qu'il ne puisse plus être rentable dans la mesure où les États-Unis, son plus gros client, veulent limiter les importations. Autrement dit, tous les coûts supplémentaires imposés aux producteurs de bétail vont se répercuter à un moment quelconque sur les producteurs de céréales.

Nous sommes aussi inquiets des contributions des agriculteurs déguisées en tarifs douaniers des deux côtés de la frontière. On applique un prélèvement aux produits exportés vers les États-Unis, mais il n'y a pas de prélèvement ou de coût correspondant dans l'autre sens.

Ma dernière remarque concerne les organismes génétiquement modifiés, les OGM. Les producteurs d'orge ont toujours appuyé la recherche sur les OGM et accepté les produits contenant des OGM à condition que leur innocuité soit scientifiquement prouvée.

M. Dennis Laycraft, vice-président exécutif, Canadian Cattlemen's Association: Merci, monsieur le président et honorables sénateurs de nous donner l'occasion de vous présenter notre point de vue sur ce problème absolument vital pour notre industrie.

Nous vous avons remis notre mémoire qui présente le contexte de la réglementation antidumping. Je ne vais pas aborder tout cela en détail, mais je me contenterai de souligner quelques éléments importants pour le débat.

Notre secteur est un de ceux qui ont énormément profité de l'Accord de libre-échange canado-américain. Cet accord a suscité des investissements considérables dans le secteur du boeuf au Canada. Deux des abattoirs les plus grands et les plus modernes au monde ont été construits dans l'ouest du Canada. Aujourd'hui, on assiste à une expansion considérable de la plus grosse usine de transformation de viande en Ontario, ce qui est en partie le résultat de notre accès au marché nord-américain qui est devenu vraiment intégré. Il y a des expéditions de bétail vers le nord et vers le sud, là où les marchés sont les meilleurs et les plus efficaces, et la viande est transportée dans toute l'Amérique du Nord.

Le Mexique est devenu notre deuxième marché d'exportation, et ce marché a connu une progression remarquable au cours des cinq dernières années. C'est dû aux dispositions de l'ALENA. Avec les États-Unis, nous pouvons accéder librement, sans aucun droit de douane, au marché mexicain, alors que le reste du monde paie des droits de 20 et 25 p. 100. En outre, certains droits sont imposés sur le boeuf américain au titre de règles antidumping imposées au Mexique à la suite d'un différend qui a opposé ces deux pays en 1998.

Nous exportons sous une forme ou sous une autre vers les États-Unis environ un veau sur deux qui naissent aujourd'hui. Et on peut dire que nous en exportons un sur 10 vers le reste du monde, et que ce marché est en progression.

Nous avons actuellement une nouvelle stratégie mondiale de commercialisation en vertu de laquelle notre objectif à long terme est d'essayer de parvenir à un meilleur équilibre, d'avoir un partage 50-50.

Le Mexique et l'Asie vont vraiment être les moteurs essentiels de la croissance. Je le dis parce qu'à l'aube des négociations commerciales internationales, nous ne réussirons à nous diversifier que si nous parvenons à régler le problème des droits de douane auxquels nous nous heurtons et des tarifs très élevés qui nous sont imposés en raison des dispositions de retour aux taux de droits NPF au Japon, en Corée et à Taiwan.

Nous avons eu notre part de difficultés dans nos relations avec les États-Unis. Nous sommes actuellement menacés par les exigences d'étiquetage du pays d'origine, qui risquent d'entraver très sérieusement nos échanges commerciaux. Dans l'ensemble, nous fonctionnons assez bien avec nos homologues américains. C'est quand le Congrès commence à s'en mêler que les choses dérapent.

Nos homologues au sud de la frontière n'ont pas appuyé la proposition d'étiquetage obligatoire du pays d'origine quand cette question a été débattue au Congrès. Pourtant, cette exigence a été imposée. Certains de ses partisans l'ont imposée en partie à cause de leur frustration et de leur mécontentement parce qu'ils avaient du mal à avoir accès à notre pays. Nous sommes d'accord avec nos homologues américains pour dire qu'il faudrait supprimer certaines exigences vétérinaires imposées pour le boeuf de boucherie, mais la lenteur mise à apporter ces modifications ne fait qu'accroître les frustrations.

À cet égard, ce sont les Américains qui détiennent les cartes maîtresse parce que notre balance commerciale est supérieure dans un rapport de six à un dans le domaine des bovins. Peu importe qu'ils détiennent les cartes maîtresses si cela veut dire que nous avons un excédent commercial de 2,6 milliards de dollars pour 2001. Nous pensons que ce montant dépassera les 3 milliards quand nous aurons les chiffres de 2002.

Nous estimons que la meilleure façon de régler ces problèmes, c'est de prendre l'initiative. Nous nous sommes très bien entendus en 1998 sur les questions agricoles. Il est important que nous allions à la racine de leurs préoccupations fondamentales. Certaines de leurs exigences nous préoccupent aussi, mais nous avons constaté qu'à long terme nous pouvions très bien fonctionner avec nos homologues du sud de la frontière. Si nous voulons qu'ils changent leur façon de faire, il faut que nous prenions en compte leurs préoccupations et que nous modifions la façon dont nous faisons les choses.

En ce qui concerne les règles antidumping, nous avons eu un procès antidumping qui nous a coûté près de 90 millions de dollars sur une période de 16 semaines. Nous n'avons gagné que parce que nous avons réussi à prouver que nos exportations ne causaient pas de tort aux États-Unis.

Les règles antidumping actuelles, que ce soit au Canada ou aux États-Unis, fonctionnent sur la base d'une disposition selon laquelle, si vous vendez votre produit à un prix inférieur à votre prix coûtant, techniquement, tout produit que vous vendez sous cette forme est considéré comme du «dumping». Il y a une période limitée de 12 mois pour l'enquête. Si l'on peut prouver que non seulement vous ne couvrez pas votre prix coûtant, mais que vous ne rentabilisez pas votre investissement, techniquement on considère que vous faites du dumping. Or, dans le domaine agricole, si l'on fonctionne dans un contexte de libre marché, la loi de l'offre et de la demande est telle qu'il arrive forcément un moment où l'on ne peut pas couvrir tous ses coûts de production.

On peut donc porter des accusations de dumping du blé, de l'orge, du porc ou du boeuf durant une partie normale de leur cycle commercial. On m'a dit que cela pourrait être le cas pour les produits laitiers cette année. C'est la première fois que j'en entends parler.

Il faut changer ces règles pour reconnaître l'existence d'un cycle commercial. Les règles antidumping devraient aussi régler le problème des prix abusifs. C'est essentiellement pour cela qu'on les a adoptées. Il est pratiquement impossible de faire artificiellement du dumping dans un contexte de libre marché. C'est une aberration d'avoir ces règles.

Il faut s'attaquer à ces problèmes au niveau multilatéral. Toutefois, ils ont un impact sur nos échanges commerciaux avec nos homologues américains car aussi bien dans le cadre de l'ACCEU que dans celui de l'ALENA, on a laissé à l'OMC le soin de définir les subventions et les règles concernant les subventions, exception faite des groupes spéciaux de l'ALENA.

Comme nous dépendons étroitement du marché américain, notre industrie fait très attention à son financement de façon à éviter tout risque de droits compensateurs. C'est l'une des conséquences qu'on subit quand on exporte avec succès. Cela ne nous dérange pas.

Je n'ai pas dit grand-chose à propos du Mexique car dans l'ensemble, nos relations commerciales sont bonnes. Plus nous entretenons ces bonnes relations, mieux c'est.

Vis-à-vis des États-Unis, toutefois, nous sommes favorables à l'idée d'avoir des équipes d'intervention rapide pour régler les problèmes avant qu'ils prennent de l'ampleur. Nous avons tendance à nous orienter vers ce que j'appelle un «cycle des quatre ans». Les différends ont tendance à apparaître durant l'été à mi-chemin entre deux élections. Nous réussissons bien sur le plan trilatéral à protéger l'Amérique du Nord des maladies.

Nous avons une occasion unique de collaborer avec les États-Unis en prenant en compte leurs préoccupations à l'égard du bioterrorisme et de la sécurité de leur territoire. Plus nous pourrons collaborer avec eux pour améliorer les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis, plus nous rendrons service à notre industrie.

Je serais heureux de répondre à vos questions.

M. David Usherwood, vice-président, à titre personnel: Monsieur le président, j'aimerais faire un rectificatif. Je suis le propriétaire principal d'une société d'experts-conseils appelée U 2 Enterprises. Je suis associé à la Chambre de commerce de Calgary, mais je ne parle nullement à titre officiel, que ce soit directement ou indirectement, au nom de cette chambre de commerce. J'y suis cependant très actif et je préside le Sous-comité sur l'agriculture et l'alimentation.

Le président: Merci beaucoup. Nous allons rectifier cela.

M. Usherwood: La Chambre de commerce est au courant de ma comparution ici, mais elle n'a pas ratifié mon mémoire en raison de certains problèmes de logistique. Je me présente donc à titre purement personnel, comme Dave Usherwood, tout simplement.

J'aimerais pour le compte rendu faire un retour sur l'historique de la Commission canadienne du blé tel que je le conçois ou que mes recherches me l'ont révélé.

La Commission du blé a été créée vers 1919 en vertu d'une loi du Parlement, à la grande satisfaction des agriculteurs et de l'ensemble de la société. La situation était assez rudimentaire dans les Prairies en 1919. Nous sortions de la Première Guerre mondiale. Cette initiative était donc nécessaire et elle a été la bienvenue.

En 1943, durant la Seconde Guerre mondiale, une nouvelle loi du Parlement a donné à la Commission canadienne du blé des droits exclusifs de vente et de commercialisation du blé et de l'orge récoltés dans l'ouest du Canada. C'était essentiellement une loi de mesures de guerre et, en droit, elle aurait certainement été confirmée par les tribunaux comme initiative raisonnable compte tenu de la situation à l'époque. Le contrôle des prix et de l'offre a bien fonctionné pour tout le monde.

En 1967, la Commission canadienne du blé a obtenu les droits exclusifs de commercialisation et de vente de l'orge et du blé de l'Ouest canadien, et cette situation demeure encore aujourd'hui. Elle n'a jamais été révisée ou contestée en vertu de la Charte de la Commission canadienne du blé.

En 1998, le gouvernement fédéral actuel a décidé d'élargir l'administration de la Commission en remplaçant les trois commissaires nommés par le gouvernement par un conseil de 15 membres. Cinq de ces membres seraient nommés par le gouvernement et 10 seraient élus par les agriculteurs. Toutefois, si je ne me trompe, il n'y a pas de membres de la Commission canadienne du blé. On peut être membre associé de la Commission canadienne du blé et par conséquent avoir le droit de voter pour choisir les administrateurs si l'on vend son produit par l'intermédiaire de la Commission. Jusqu'ici, le président de la Commission canadienne du blé a toujours été choisi par les membres du conseil d'administration parmi les cinq membres nommés par le gouvernement. Je pense que ce sont des statistiques importantes.

C'était donc un bref historique de l'évolution de la Commission du blé. En constatant son apparence quasi démocratique, avec cinq membres nommés par le gouvernement, le profane normal ou un étranger est amené à conclure que ce n'est pas un conseil d'administration démocratiquement élu et à l'abri de toute intervention du premier ministre et du ministre responsable.

Au fil du temps, la Commission canadienne du blé a obtenu une clause de non-concurrence ou une clause restrictive perpétuelle applicable à tous les agriculteurs de l'Ouest canadien qui produisaient du blé et de l'orge. Précédemment dans le mémoire, nous expliquons qu'une entente de non-concurrence portant une clause restrictive n'est pas un pacte entre égaux.

La Commission canadienne du blé a acquis un poids commercial considérable et survivra facilement si l'on enlève ce monopole contestable de sa charte; il est même très vraisemblable qu'elle n'en sera que plus prospère.

La Commission canadienne du blé n'est pas une petite organisation. Elle a une position dominante sur le marché et vend notre blé et notre orge dans des créneaux bien précis. Mais il y a des marchés auxquels elle ne touche pas. Le Kenya est un exemple de marché qu'elle ne cherche pas à développer parce que c'est un pays qui recherche du blé de n'importe quelle qualité. Or, nous vendons du blé et de l'orge de qualité. Nous devrions en être fiers, et la Commission du blé aussi. Ce n'est pas une bagatelle dans le commerce de ces denrées.

Bien que les gens aient peur du changement, il serait utile pour tous, y compris les agriculteurs et l'ensemble des Canadiens qu'on modifie la charte de la Commission canadienne du blé afin d'abolir son monopole commercial.

Je dis dans ce mémoire que le contentieux entre la Commission canadienne du blé et les agriculteurs canadiens est grave. Je dis que les agriculteurs — et j'en suis au moins un — ont subi et continueront de subir des torts irréparables si l'on n'élimine pas le monopole à perpétuité de la Commission canadienne du blé. Compte tenu de la situation d'ensemble et des intérêts à long terme des deux parties ainsi que du pays tout entier, il faudrait prendre la décision d'éliminer ce dispositif restrictif. Si nous ne le faisons pas, nous avons toutes les chances d'être plongés dans des contentieux commerciaux à n'en plus finir avec nos partenaires. C'est déjà évident maintenant.

Que le Canada sorte vainqueur ou non de ces batailles commerciales, les exploitants agricoles subiront des torts irréparables et le secteur agricole du Canada aura donc perdu la guerre.

La bonne marche à suivre, et j'insiste bien, la bonne marche à suivre pour le Parlement et votre comité, c'est d'agir afin de rectifier la situation. Toutefois, le gouvernement fédéral a l'air d'hésiter à prendre l'initiative pour régler ce problème. Il serait donc logique de porter l'affaire en appel devant les tribunaux afin qu'ils suspendent la clause restrictive de la Commission canadienne du blé en émettant une injonction interlocutoire jusqu'à ce qu'une loi soit votée ou en ordonnant au gouvernement de modifier la charte de la Commission canadienne du blé, ou en faisant les deux de manière à régler cette question dans l'intérêt du Canada.

Je crois que si l'affaire était portée en appel auprès de la Cour suprême, celle-ci confirmerait probablement le monopole commercial restrictif de la Commission canadienne du blé, non pas parce que c'est juste et que ce n'est pas contestable juridiquement, mais simplement en raison de la suprématie du Parlement. Ce n'est pas juste pour autant.

J'invite votre comité à envisager sérieusement de recommander au gouvernement de rectifier la situation et d'abolir ce monopole commercial restrictif de la Commission canadienne du blé pour le bien de tous. Le secteur agricole et les fermiers qui produisent du blé et de l'orge risquent de subir des torts irréparables.

À l'automne dernier, le comité permanent de la Chambre des communes a recommandé l'abolition de ce monopole commercial restrictif de la Commission canadienne du blé. Puisqu'un comité de notre Parlement l'a déjà fait, je pense qu'on pourrait peut-être envisager de demander un réexamen de la recommandation de la Chambre des communes à ce sujet.

Ma dernière remarque concerne quelque chose qui vient d'arriver sur mon bureau cette semaine. C'est une information que j'ai trouvée dans le bulletin publié par la Commission canadienne du blé et qui devrait susciter l'inquiétude du comité, des Canadiens et de la Commission du blé. Le président de l'Organisation mondiale du commerce responsable des négociations agricoles a diffusé en date du 12 février une ébauche de document exposant les grandes lignes de l'entente de l'OMC sur le commerce agricole.

Selon la Commission du blé, plusieurs éléments clés de ce texte provisoire sont décevants, notamment en ce qui concerne les entreprises commerciales d'État comme la Commission canadienne du blé. En matière de concurrence sur les marchés d'exportation et de soutien intérieur, ce document préliminaire impose des restrictions radicales et non fondées au fonctionnement des entreprises commerciales d'État exportatrices alors que les entreprises commerciales d'État importatrices sont à peine touchées.

La Commission canadienne du blé conclut en disant qu'elle va collaborer étroitement avec le gouvernement du Canada pour obtenir un meilleur texte final. Le comité, les Canadiens et les agriculteurs peuvent donc s'attendre à ce que nous subissions des torts irréparables. Songez au conflit du bois d'oeuvre résineux, qui fait beaucoup de mal à la Colombie-Britannique et à l'Alberta aussi.

Il y a donc des précédents, et j'ai très peur de ce qui va nous arriver si nous persistons à avoir des oeillères et à refuser de voir la réalité des choses.

On m'a dit qu'une clause restrictive s'appliquait au commerce des semences de pommes de terre à destination du Mexique. Là encore, nous risquons d'avoir un différend commercial.

Je sais que votre comité reconnaît que nous sommes une nation commerçante. Toutefois, il faut être conscient de toutes ces choses, des groupes d'intérêt spéciaux qui existent et des autres champs de compétence commerciale.

Le sénateur Austin: Permettez-moi de me joindre au président du comité pour vous remercier tous les trois d'être venus discuter de ces questions avec nous. Nous nous concentrons particulièrement sur les relations commerciales en Amérique du Nord, nos relations avec les États-Unis et avec le Mexique et les questions qu'elles soulèvent. Naturellement, l'ALE et l'ALENA sont des éléments clés de l'architecture de ces relations commerciales.

Permettez-moi de commencer par le fameux Farm Bill aux États-Unis et de vous demander à tous les trois de me dire quelles répercussions négatives il risque éventuellement d'avoir à votre avis. Quelle attitude le Canada devrait-il avoir face à ce Farm Bill?

Deuxièmement, avez-vous de la difficulté à faire franchir la frontière américaine à vos denrées? Certaines industries ont de grosses difficultés à faire passer leurs produits à la frontière rapidement et efficacement. La frontière vous pose- t-elle un problème grave?

Enfin, dans quelle mesure êtes-vous touché par les discussions du cycle de Doha sur le commerce agricole?

Je n'en tiens à des questions générales car je ne veux pas vous souffler vos réponses.

Durant toute ma vie politique, qui a été très longue, la question de la Commission du blé est toujours restée une question de premier plan. J'ai l'impression que les membres de la Commission, les gens qui contrôlent les livres et qui peuvent donc voter, avaient voté pour le statu quo, dans l'ensemble, et vous avez peut-être votre opinion là-dessus.

Puis-je commencer par vous, monsieur Laycraft? Parlez-nous un peu de l'industrie bovine.

M. Laycraft: Ce qui nous dérange le plus dans le Farm Bill, ce sont les diverses dispositions concernant la mention du pays d'origine sur l'étiquetage. Il y a aussi diverses mesures de conservation qui ont été modifiées, mais cela ne nous dérange pas particulièrement.

Comme je le précise dans notre mémoire, les exigences d'étiquetage mentionnant le pays d'origine — la façon dont elles ont été définies — vont manifestement entraver le commerce. Les grands détaillants aux États-Unis nous ont dit que, comme le coût de la tenue des registres va très probablement dépasser 2 milliards de dollars par an, la meilleure façon d'éviter une bonne partie de ces coûts sera de faire appel à un fournisseur unique. Quand plus de 90 p. 100 des produits consommés aux États-Unis viennent des États-Unis et que vous êtes une chaîne aussi gigantesque que Wal- Mart, qui est actuellement le deuxième détaillant en importance, le seul pays capable de répondre à vos exigences, si vous devez faire appel à un fournisseur unique, c'est les États-Unis. Dans ces conditions, on n'a même plus la chance de laisser le consommateur décider s'il préfère tel ou tel produit au comptoir. C'est un de nos soucis majeurs.

Nous sommes conscients des problèmes que crée ce projet de loi en ce qui concerne les subventions pour le secteur céréalier, mais je pense qu'il vaut mieux laisser M. McBain en parler plus en détail.

Le sénateur Austin: En ce qui concerne la mention du pays d'origine sur l'étiquette, à votre connaissance, le consommateur n'a pas de préférence? Le boeuf canadien a une bonne image ou avez-vous l'impression que les consommateurs préfèrent les produits américains simplement parce qu'ils sont américains?

M. Laycraft: Comme nos marchés sont de plus en plus intégrés, nos deux plus gros industriels de la viande au Canada appartiennent à des entreprises américaines. Ils ont des installations aux États-Unis et ils ont décidé d'intégrer leur réseau de distribution. C'est logique d'un point de vue commercial. S'il est préférable de prendre un produit canadien pour satisfaire une commande, ils le vendent simplement comme un produit Cargill, ou XL Corporation comme ils l'appellent aux États-Unis; ce qui était auparavant IBP et qui est maintenant étiqueté comme un produit Tyson, va être vendu comme un produit Tyson. Tout ce que la plupart des consommateurs aux États-Unis savaient, c'est qu'ils achetaient un produit Cargill ou un produit Tyson. Nous avons des exigences sanitaires fédérales, des exigences d'inspection sanitaire extrêmement semblables à celles qui ont été énoncées par le GAO. C'est comme cela que ça s'est fait.

Nous n'avons pas vu beaucoup d'entreprises partir aux États-Unis pour y vendre des lignes de produits spécifiquement canadiens; elles préfèrent vendre des produits qui ont la marque d'un détaillant ou d'un industriel de la viande. Les consommateurs américains ne sont guère conscients de manger un produit canadien.

Le marché américain n'est pas un marché en soi, c'est toute une gamme de marchés. Il y a 53 millions d'Hispaniques qui n'achètent pas du tout de la même façon que les Blancs. Il y a aussi près de 10 millions de personnes d'origine coréenne aux États-Unis.

Nous abordons chacun de ces marchés individuellement en essayant de voir si nous pouvons y établir une image plus forte pour nos produits. Toutefois, jusqu'à présent, nous avons surtout cherché à progresser sur d'autres marchés dans la mesure où nous nous trouvons sur la défensive aux États-Unis.

Nous pensons que même si le bon sens l'emporte et s'ils décident de ne pas imposer l'étiquetage du pays d'origine, nous avons quand même intérêt à essayer de nous diversifier sur d'autres marchés plutôt que d'investir nos maigres ressources aux États-Unis.

Le sénateur Austin: D'après vos avis juridiques, pensez-vous que cette question de la mention du pays d'origine dans l'étiquetage pourrait être portée à l'OMC? Le monde entier des producteurs est touché par ce problème. Pourrait-on soumettre une série d'appels à l'OMC en dénonçant ce qui constitue essentiellement un droit de douane qualitatif?

Avez-vous eu des conseils à ce sujet?

M. Laycraft: Nous avons eu des entretiens approfondis avec les hauts fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères et avec les experts en commerce agricole à Agriculture et Agroalimentaire Canada.

Je ne taris pas d'éloges sur les membres de notre ambassade à Washington. Ils font vraiment un travail fantastique pour nous.

Ils ont publié des lignes directrices en octobre dernier en donnant un délai de 180 jours pour les commentaires. Le principal problème avec l'ALENA, c'est que le coût de la mesure elle-même constitue un obstacle au commerce. Tant qu'on n'a pas les lignes directrices finales, les estimations du coût varient énormément, mais une fois qu'on aura les lignes directrices finales, nous sommes convaincus que nous aurons un très solide motif d'appel dans le contexte de l'ALENA.

Pour ce qui est de l'OMC, encore une fois, nous attendons les lignes directrices finales. Il y a des questions comme les changements de chapitres et les transformations importantes, les problèmes de traitement national, et nous sommes convaincus que dans un certain nombre de cas nous aurons des motifs d'appel potentiels. D'après les conseils qu'on nous donne, il serait probablement prudent, quand nous en arriverons là, de choisir l'une ou l'autre des formules d'appel.

Dans l'état actuel des choses, je pense que si les lignes directrices ne changent pas de façon importante, c'est la voie de l'ALENA qui est la plus prometteuse. Le problème de toutes ces procédures, c'est qu'elles durent très longtemps. Nous pouvons facilement en avoir pour un an ou deux après l'entrée en vigueur de la disposition.

S'il y avait un moyen de régler le problème rapidement avant l'entrée en vigueur de cette mesure, ce serait excellent. Toutefois, nous profitons aussi d'une vague de fond croissante aux États-Unis parce qu'il y a des gens qui veulent empêcher cette disposition pour permettre aux consommateurs de continuer à exercer leur choix. Notre homologue américain, le NCBA, estime que si les consommateurs ont une préférence aux États-Unis, il faut que des entreprises puissent leur donner le choix au lieu d'imposer un produit à tous les consommateurs.

Ce qui est remarquable aussi chez nos voisins du Sud, c'est qu'ils ont imposé cette exigence pour la viande rouge mais pas pour la volaille, autrement dit le secteur de la viande rouge en Amérique du Nord va devoir supporter un coût supplémentaire de 2 milliards de dollars qui va le désavantager par rapport au secteur de la volaille.

Pour ce qui est des problèmes pour traverser la frontière, il y a de temps à autre des choses bizarres. Par exemple, le Canada, les États-Unis et le Mexique sont allés vérifier en Uruguay s'il n'y avait pas de fièvre aphteuse. Les Canadiens sont revenus et ont approuvé les expéditions en provenance de l'Uruguay avant les États-Unis, le Mexique et d'autres pays. N'oubliez pas que nous exportons vers les États-Unis. Tout d'un coup, on a commencé à nous demander comment nous pouvions dans notre système prouver qu'il y avait une séparation claire entre les produits de l'Uruguay et les produits canadiens tant que l'exportation des produits uruguayens aux États-Unis n'avait pas été approuvée. Étant donné que nous étions allés sur place ensemble, il n'y avait aucune raison rationnelle de ne pas synchroniser cette décision avec elle des États-Unis pour éviter le problème.

L'un des défis vient de ce que l'Agence canadienne d'inspection des aliments a changé d'orientation. Au départ, à sa création, d'après ce qu'on nous a dit, son mandat était de fournir des services à notre secteur dans une perspective plutôt commerciale, et c'est ce qui expliquait en partie le recouvrement des coûts.

Plus récemment, cette agence a adopté une démarche plus détachée et son mandat principal consiste à assurer la sécurité de notre approvisionnement alimentaire. Nous ne contestons certainement pas ce mandat, mais en prenant cette orientation, l'Agence a dit qu'elle s'écartait de son mandat de défense des intérêts commerciaux. Or, c'est l'Agence qui négocie les accords d'accès aux marchés en ce qui concerne les exigences vétérinaires et les exigences d'inspection des viandes. Si ce sont ces gens-là qui déterminent notre accès au marché mais qui n'ont pas un rôle de défense des intérêts commerciaux, nous nous demandons avec angoisse quelles ressources on va mettre en place pour nous éviter d'avoir des problèmes à la frontière.

Je tiens à féliciter le gouvernement fédéral. Il a accompli beaucoup de travail très rapidement sur des problèmes qui, dans la foulée du 11 septembre, auraient pu nous causer des difficultés d'accès. Nous lui sommes très reconnaissants d'être intervenu d'urgence pour éviter que ces problèmes ne se produisent.

Notre produit est exempté des dispositions visant le bioterrorisme, donc ce n'est pas un problème direct pour nous. Nous sommes sur une liste différente, mais d'après nos analyses, il va y avoir un sérieux problème pour les produits de la mer.

En ce qui concerne le cycle de Doha, comme je vous l'ai dit, pour pouvoir nous diversifier, nous devons avoir un accès, et un accès équitable, à d'autres marchés. Au fur et à mesure que les économies s'améliorent, nous voyons progresser la qualité de leur approvisionnement en protéine, et c'est cela qui nous a permis de gagner du terrain en Corée et qui nous avait permis avant cela d'entamer au Japon une progression qui se poursuit encore maintenant. Nous espérons que cela va nous permettre aussi de progresser en Chine.

Quand les barrières douanières vont tomber dans ces marchés, nous espérons non seulement profiter d'un accroissement de la consommation, mais aussi accroître nos parts de marché car nous commercialisons mieux nos produits. Il est essentiel de réduire les droits de douane et aussi d'améliorer les mesures disciplinaires relatives aux subventions.

Les États-Unis ne font rien d'illégal aux yeux de l'OMC avec le Farm Bill actuel. On avait dit au départ qu'ils outrepassaient leurs obligations, mais ce n'est pas le cas.

Il faut réduire les subventions qui entraînent des distorsions commerciales. Comme l'Australie et la Nouvelle- Zélande, nous avons une population relativement faible et de fortes exportations de produits agricoles. Nous avons une base de contribuables beaucoup plus petite que celle des États-Unis ou de l'Union européenne et nous ne pouvons donc pas avoir le même niveau de subventions. Dans ces conditions, plus on imposera de mesures disciplinaires à ces pays, mieux ce sera pour notre secteur agricole et pour l'économie canadienne.

Le sénateur Austin: Monsieur Laycraft, pensez-vous que l'objectif essentiel de la stratégie du Farm Bill est, comme l'ont dit publiquement les États-Unis, d'obliger la Communauté européenne et le Japon à réduire leurs subventions? C'est une guerre de surenchères de subventions et nous devrions appuyer les États-Unis. Est-ce que c'est cette initiative qui est le point essentiel?

M. Laycraft: Nous devons faire tout ce que nous pouvons pour réduire les subventions dans les autres pays.

J'ai observé le fonctionnement de la mécanique du Congrès américain sur des questions comme la mention du pays d'origine. Les décisions sont en grande partie motivées par des intérêts politiques et non pas simplement par des questions de négociations commerciales, surtout lors d'une année électorale.

J'espère qu'un des résultats du Farm Bill américain sera de leur donner plus de marge pour négocier en vue d'obtenir des réductions plus fortes.

Nous sommes optimistes en raison d'autres facteurs. Regardez l'élargissement de l'Union européenne. Avec l'entrée des pays d'Europe de l'Est, comme ils pourront couvrir l'ensemble avec un programme agricole commun sans augmentation importante de revenus, les Européens devraient être incités à réduire les niveaux de soutien, même si certains se battront becs et ongles pour les préserver.

M. McBain: À propos du Farm Bill, il est évident que les subventions intérieures ne nous permettent pas de concurrencer équitablement les Américains sur leur marché. Le problème que nous constatons, et que les producteurs américains ont déjà constaté, c'est que comme les subventions du Farm Bill sont immédiatement capitalisées dans leurs coûts de production, ils sont en train de devenir les producteurs qui ont les coûts les plus élevés au monde. S'ils perdent leurs subventions, ils ne sont plus compétitifs. Ce que nous disons, c'est que nous voulons devenir les producteurs qui ont les plus faibles coûts.

Nous le faisons en réduisant les coûts administratifs, les coûts environnementaux, les frais de transport, en les maintenant au niveau le plus bas possible pour être compétitifs sur les marchés d'exportation. Notre principal concurrent ne va pas être le producteur américain. C'est le producteur sud-américain et le producteur d'Europe de l'Est qui produisent le même produit et qui sont capables de le livrer sur notre marché intérieur à un prix inférieur au nôtre. Le Farm Bill va donc représenter un coût à long terme pour les producteurs américains.

S'ils ne continuent pas à augmenter le montant de ces subventions, ils ne pourront plus exporter.

Le sénateur Austin: Vous voulez dire que le Farm Bill va se traduire par une baisse d'efficacité de leur production?

M. McBain: C'est déjà le cas.

Le sénateur Austin: Ça va devenir un élément structurel de leur système. C'est déjà le cas.

M. Usherwood: À propos de ce Farm Bill, je conclus que les États-Unis ont des quantités d'argent énormes à déverser dans le secteur agricole. Nous ne pouvons absolument pas les concurrencer à égalité.

Il y a une foule de groupes d'intérêts spéciaux très puissants aux États-Unis. Nous n'avons pas la volonté politique au Canada. Le secteur agricole est très petit. C'est un élément très important, mais une toute petite partie de notre PIB apparent.

Ce que nous pouvons faire de mieux, c'est d'être au-dessus de tout soupçon. Dans le domaine politique, il vaut toujours mieux être au-dessus de la mêlée, au-dessus de tout soupçon.

On a l'impression que la Commission canadienne du blé est un monopole. C'est un monopole, mais ça ne doit pas nécessairement en être un.

Nous devons nous assurer que nos produits qui franchissent la frontière — que ce soit des céréales ou des patates — ne sont pas contaminés. Nous devons veiller avec diligence à la qualité de notre produit.

La Commission canadienne du blé fait du bon travail à cet égard, mais elle a ce petit point noir qui nous vaut beaucoup trop d'attention inutile. Je crois que vous avez, ou que la province a le pouvoir de changer cela.

Le sénateur Austin: Permettez-moi de vous faire remarquer que c'est l'agriculture canadienne qui est la moins subventionnée comparativement à l'agriculture américaine, européenne ou japonaise. Nous avons déjà les mains les plus propres sur les marchés d'exportation, mais cela ne règle pas tous nos problèmes.

M. McBain: Pour le prochain cycle de Doha et à l'OMC, c'est la Commission du blé qui est visée. Si elle est visée, c'est notamment parce qu'on a l'impression qu'elle bénéficie d'un appui gouvernemental.

L'autre problème, c'est que techniquement la Commission n'achète pas de céréales. Elle se contente de les vendre. Elle vend des céréales par l'intermédiaire d'agents, mais le prix est déterminé après déduction de ses coûts et des frais de transport. Le prix versé au producteur est déterminé en fonction du prix de vente moins les coûts. Dans tous les autres champs de compétence commerciale, les entreprises céréalières doivent d'abord acheter le produit et ensuite le vendre sur le même marché que la Commission.

C'est là-dessus que se fonde leur plainte: elles ne peuvent pas concurrencer un organisme de commercialisation bénéficiant de la garantie de l'État compte tenu de la façon dont leurs coûts sont déterminés. Ce n'est pas un système qui suit les lois du marché.

L'autre problème, c'est que la Commission a accumulé en 25 ans de vente de céréales un énorme compte de ventes à crédit qu'elle gère comme un actif. Les gains nets des intérêts de ces ventes à crédit, qui sont garanties à 100 p. 100 par le gouvernement, représentent un revenu d'intérêt confortable dans chaque compte commun.

L'exemple le plus monumental, c'est celui du compte du pool de l'orge fourragère cette année. La Commission n'a que 2 500 tonnes d'orge fourragère au titre du compte des livraisons en commun. Les revenus d'intérêts nets de ce compte vont être de 8 millions de dollars cette année. D'après la loi, tous les revenus d'intérêts doivent être reversés au compte des livraisons en commun où ils s'accumulent chaque année. On aurait donc un revenu de 4 000 $ la tonne d'orge fourragère dans le compte de mise en commun. De toute évidence, ce n'est pas ce qu'on va verser aux producteurs d'orge.

Une dérogation prévue dans la loi permet à la Commission de transférer le montant qu'elle veut à un autre fonds. Je ne me souviens plus du nom de ce fonds. Ils peuvent transférer au compte du pool autant de revenus d'intérêts qu'ils le jugent équitable. Le reste est versé à un compte de réserve dans chaque compte de livraison en commun et continue à s'accumuler. C'est le problème.

Le sénateur Setlakwe: J'ai trois brèves questions, une pour chacun de vous.

Monsieur McBain, vous dites que notre politique intérieure est notre principale restriction commerciale. Pourriez- vous développer cet argument?

Monsieur Laycraft, est-ce que nous vendons des bovins en Europe? Sinon, pourrions-nous le faire? Et si nous ne le faisons pas, pourquoi?

Monsieur Usherwood, quel est le pourcentage de fermiers qui sont prêts à agir indépendamment de la Commission du blé?

M. McBain: La politique intérieure, c'est tout simplement une politique de la Commission canadienne du blé. Elle touche différemment les agriculteurs de l'est et ceux de l'ouest. On a l'impression que le régime de mise en commun dans la zone désignée représente le mandat sur lequel la Commission s'appuie pour exporter. En réalité, c'est la politique d'octroi de licences qui limite nos possibilités d'exportation.

La politique d'octroi de licences est prévue à l'article 4 de la Loi sur la Commission canadienne du blé, et plus précisément à l'alinéa 46d). En vertu de cette disposition, la Commission du blé a le pouvoir d'octroyer des licences dans tout le Canada. La règle est la même pour tout le Canada, mais elle n'est pas appliquée de la même façon dans l'est que dans la zone désignée.

Le président: Quand vous dites «licence», vous parlez d'une licence pour faire pousser du blé, d'une licence pour la production?

M. McBain: Non.

Le président: Pourriez-vous m'expliquer de quel genre de licence vous parlez?

M. McBain: Il s'agit d'une licence d'exportation. La licence d'exportation est exigée pour tout le blé ou pour tout produit du blé ou pour l'orge ou tout produit de l'orge contenant 25 p. 100 ou plus du produit, qui est exporté du Canada. Que ce soit de la farine, des pâtes, du blé brut, de l'orge brute, de l'orge fourragère, de l'orge de brasserie, et cetera, il faut dans tous les cas une licence.

Cette exigence de licence ne s'applique pas de la même façon à l'est et à l'ouest. Ici, il n'y a pas d'obligation légale de faire partie du régime de mise en commun. La Commission ne contrôle pas toutes les céréales. Elle ne contrôle que les céréales mises en commun. Ils nous disent qu'ils ne nous donneront pas de licence dans la zone désignée si nous ne vendons pas l'orge à la Commission pour la racheter ensuite, mais en réalité ce n'est pas exigé par la loi.

M. Laycraft: Nous ne vendons pas actuellement de bovins à l'Europe en raison des évaluations du risque géographique pour l'encéphalite bovine spongiforme, l'EBS. Actuellement, nous sommes comme les États-Unis dans la catégorie de risque 2, ce qui veut dire qu'il est «peu probable» que nous soyons affectés.

Nous pensons que nous aurions dû être dans la catégorie de risque 1, et nous nous efforçons avec le gouvernement de nous faire transférer dans cette catégorie de risque 1 parce que nous sommes convaincus qu'il n'y a pas de maladie de la vache folle ici. Mais à cause de cela, nous n'avons pas le droit d'exporter de bovins sur pied. De toute façon, c'est un commerce en voie de disparition.

La plupart du temps, les produits génétiques se vendent sous forme de sperme ou d'embryons. Cela a posé certains problèmes, mais je pense qu'on est en train de les régler.

Pour le boeuf, c'est un des marchés les plus fermés au monde. C'est pour cela qu'on parle de la «forteresse Europe». Nous n'avons pratiquement aucun espoir de vendre du boeuf à l'Europe. Nous avons totalement renoncé à ce marché.

Le sénateur Setlakwe: Mais nous en vendons à l'Asie.

M. Laycraft: En effet. Pour vous donner une idée, l'Union européenne accorde au Canada et aux États-Unis un contingent de 11 000 tonnes avec un droit de douane de 20 p. 100 pour ce quota et des droits prohibitifs pour le reste.

Nous vendons 450 000 tonnes de bovins aux États-Unis, donc c'est l'équivalent d'environ 5 000 tonnes par pays. En plus, ils bloquent illégalement nos exportations parce que nous avons autorisé l'utilisation au Canada d'activateurs de croissance, comme le font les États-Unis. Si ce n'est pas ça, ils trouveront une autre raison pour nous empêcher de leur vendre du boeuf.

M. Usherwood: Vu les récentes contestations devant les tribunaux et l'emprisonnement d'agriculteurs, le nombre d'agriculteurs qui seraient prêts à se retirer de la Commission canadienne du blé doit être assez faible, peut-être quelques centaines. Le pourcentage à l'exportation serait plus faible.

Si l'on peut prouver que ce serait plus avantageux pour les agriculteurs de se retirer de la Commission canadienne du blé parce qu'ils gagneraient plus d'argent, alors la Commission du blé a un problème. Toutefois, on est dans le monde des affaires et de la concurrence.

Je pense que la Commission du blé n'a pas à craindre de disparaître. Je crois qu'elle peut et qu'elle veut continuer sur sa lancée. Nous devons pouvoir avoir la liberté de choix.

Le sénateur Setlakwe: Pensez-vous que ce serait plus avantageux pour les agriculteurs d'exporter individuellement plutôt qu'en passant par la Commission du blé comme ils le font actuellement?

M. Usherwood: Ça se discute. C'est une question de perception. Si les gens ont l'impression que ce serait plus avantageux et qu'ils exigent ce droit, les médias vont se mettre à en parler, cela va attirer l'attention des Américains et créer beaucoup plus de frictions que cela n'en mérite.

Le président: J'imagine que vous voulez dire que si la Commission du blé avait un peu de concurrence, les choses seraient moins controversées.

Je dois avouer que je me suis posé la même question. Si vous aviez la possibilité d'exporter vos céréales individuellement aussi bien qu'en passant par un organisme de vente, puisque c'est ce que fait la Commission du blé, combien de temps pourriez-vous tenir en cas de baisse du marché? Quand le marché est bon, il n'y a pas de problème, mais c'est difficile quand il fléchit.

Si je vous comprends bien, vous dites qu'il faudrait maintenir la Commission du blé, mais qu'il faudrait qu'elle ait un peu de concurrence.

M. Usherwood: C'est exact, monsieur le président. Je pense que vous m'avez bien compris.

Le sénateur Di Nino: Monsieur McBain, je crois que vous faites partie de la Commission du blé. Vous êtes d'accord avec le point de vue de M. Usherwood?

M. McBain: Tout à fait. Ce que recommandent les producteurs d'orge, c'est qu'on ait un marché libre où la Commission du blé serait présente.

C'est toujours la question des exportations qui domine dans la conversation, mais les ventes intérieures de nos produits sont une question plus importante. Le marché intérieur n'a pas progressé. Nous préférerions qu'on développe les possibilités de fabriquer des produits à valeur ajoutée ici et qu'on exporte des produits transformés plutôt que des produits bruts. Dans un contexte de marché libre, les possibilités d'exportation sont secondaires par rapport aux possibilités de créer une industrie intérieure à valeur ajoutée.

Cela nous renvoie à la question du Farm Bill. La base du Farm Bill consiste à acheter le produit aux États-Unis et à créer un marché mondial qui va être en concurrence avec ce faible prix américain. Par conséquent, on fait venir les industries à valeur ajoutée aux États-Unis, qui deviennent le fournisseur dominant du marché pour ce produit à valeur ajoutée. On fait disparaître les industries à valeur ajoutée des autres pays où il y a une concurrence pour la matière première.

L'intérêt majeur d'un marché libre, ce sont les possibilités qu'il créerait ici. Les diverses chambres de commerce, y compris celle de Regina, se sont rendu compte que ce qui était vraiment avantageux sur le plan intérieur, c'était d'avoir des produits à valeur ajoutée.

Le sénateur Di Nino: J'ai deux questions auxquelles n'importe lequel d'entre vous peut répondre. Certains témoins nous ont dit que nos échanges commerciaux avec les États-Unis principalement, et dans une certaine mesure avec le Mexique, étaient à la fois sectoriels et régionaux.

L'une des critiques qu'on nous fait quand nous essayons de régler le problème des irritants avec les États-Unis, c'est que nous n'avons pas un front uni. Nous n'avons pas une position pancanadienne. Depuis l'entrée en vigueur de l'ALE en particulier — et au moins partiellement au cours des 200 dernières années — les États-Unis ont souvent réussi à diviser pour régner.

Qu'en pensez-vous?

M. Laycraft: C'est un peu paradoxal parce que cela dépend du côté où l'on se place. La plupart des gens avec lesquels nous avons parlé aux États-Unis estiment que nous nous en sortons beaucoup mieux qu'eux dans nos échanges commerciaux. Je crois que c'est leur sentiment général.

D'un point de vue sectoriel, dans l'ensemble nous avons d'excellentes relations avec les Américains. C'est sur les questions de réglementation qu'il tend à y avoir beaucoup plus de tensions. La Commission du blé est un irritant chronique chez les Américains. Cela ne remonte pas simplement au récent problème avec les Dakotas.

Ce qui est paradoxal quand on regarde les céréales fourragères, c'est que c'est dans la région de Lethbridge qu'on a les prix les plus élevés d'Amérique du Nord pour les céréales fourragères à cause de la concentration d'animaux à l'engrais dans l'Ouest canadien. C'est pour cela qu'il y a si peu d'orge dans le compte de mise en commun pour l'exportation. Bien sûr, la production d'orge a diminué, mais elle sert presque intégralement à l'alimentation du bétail. Le marché des céréales fourragères n'a plus qu'une importance très secondaire pour la Commission du blé à cause de la croissance des industries à valeur ajoutée dans l'ouest du Canada.

C'est une bonne idée pour nous de rechercher une position commune avec certains groupes. Toutefois, il y a des groupes avec lesquels nous voulons garder nos distances à cause des problèmes qu'ils créent. Par exemple, les industries à gestion de l'approvisionnement fonctionnent sur un principe complètement différent qui consiste à limiter l'accès à leur marché. Des groupes comme le nôtre fonctionnent sur le principe d'un marché libre; nous avons des alliés différents et des dynamiques différentes au sud de la frontière. Nous ne pourrons jamais nous entendre si un groupe essaie de développer l'accès et le commerce alors que l'autre essaie de défendre un régime d'organisation méthodique de la commercialisation.

Franchement, plus on s'écarte du Canada, plus il est facile de trouver des gens avec qui ont peut parler rationnellement. Nous avons des gens qui utilisent le nombre de camions de transport de bétail pour mesurer le commerce au Montana et dans les Dakotas.

Mon message, c'est que l'essentiel est de nous efforcer d'améliorer la communication avec nos homologues.

M. Usherwood: Les États-Unis ont un avantage sur nous parce qu'ils ont une population et un produit intérieur brut beaucoup plus importants. Ils ont un marché interne. Nous, nous devons être proactifs. Nous devons rester inattaquables et nous devons faire disparaître les impressions fausses sur la façon dont nous menons nos affaires. Le Canada est un pays de commerçants. Tout ce que nous faisons pour maintenir ou accroître notre valeur est bon.

Nous avons un irritant au Canada. Actuellement, il est économiquement valable d'expédier du blé dur à Taïwan où il est transformé en pâtes qui sont renvoyées ici. Ils gagnent de l'argent avec ça. Ce qui est irritant, c'est que la Commission canadienne du blé impose comme condition de vente que ce blé ne peut pas être vendu à une usine de pâtes au Canada. Par conséquent, nous ne faisons rien pour ajouter de la valeur à notre blé dur. Je pense que c'est un irritant pour les Canadiens parce que nous ne faisons que véhiculer du blé sans en tirer aucun avantage résiduel pour notre économie.

M. McBain: Les producteurs d'orge se sont joints à d'autres producteurs de denrées au Canada pour former les Grain Growers of Canada. Nous nous réunissons régulièrement et nous avons un directeur exécutif à Ottawa, et nous faisons front commun pour faire du lobbying auprès du gouvernement sur les questions intérieures et de commerce.

Le sénateur Di Nino: Vous ne vous êtes pas associés aux autres secteurs? L'industrie automobile, le bois d'oeuvre, les producteurs de pommes de terre, de tomates, et cetera?

M. McBain: Nous nous réunissons régulièrement avec les représentants de l'Association des engraisseurs de bovins et nous faisons front commun sur les questions concernant les importations et les exportations de bétail et de céréales.

Le sénateur Di Nino: Nous avons entendu au moins deux témoins très crédibles nous faire des prédictions sinistres des problèmes qui pourraient se poser à la suite du 11 septembre.

Le sénateur Austin a demandé à ces groupes si les conditions qu'on est en train d'imposer avec les questions de périmètre, de sécurité de la frontière, et cetera les inquiétaient. Je ne sais pas si nous avons eu une réponse complète là- dessus. Est-ce que ces conditions risquent de faire obstacle au maintien des relations commerciales du Canada avec les États-Unis en particulier?

M. Laycraft: Nous avons suivi de près ces questions. Il y a deux filières importantes: le projet de loi sur le bioterrorisme et la question de la sécurité intérieure.

Dans le cas de certains produits, on a parfaitement raison de craindre le bioterrorisme. Ils ont exclu des produits comme la viande rouge et ce genre de choses, donc nous n'avons pas eu d'inquiétude au départ. Toutefois, ce sont des domaines dans lesquels nous devons collaborer étroitement avec nos homologues américains.

Pour la sécurité de la mère patrie, tout est bien dit. Nous devrions pouvoir obtenir quelque chose de correct pour le Canada, à mon avis. Toutefois, il y a aussi des risques que ce soit le contraire. Il faut rester constamment vigilant et faire un gros effort avec les Américains.

Nous pensons qu'on peut rationaliser les procédures à la frontière. Nous faisons déjà un tas de choses qu'on réclame avec le préavis. Il y a des inspections au hasard et on leur envoie des notifications sur les marchandises expédiées. Ils nous signalent les expéditions qui doivent être inspectées. Notre secteur est habitué à beaucoup de ces procédures.

Toutefois, je pense que si deux pays sont capables de mettre au point un bon système compatible, ce sont bien le Canada et les États-Unis. Nous avons le plus gros volume d'échanges de marchandises au monde, à ma connaissance. Nos deux pays sont très semblables à bien des aspects. Nous avons beaucoup de préoccupations en commun.

M. Usherwood: Oui, nous devrions être très inquiets des retombées du 11 septembre.

Je félicite le ministère de l'Agriculture du Canada pour son attitude proactive dans ce domaine. Nous avons des spécialistes de la sécurité alimentaire. Certains de mes associés en sont, et nous sommes vulnérables. Il est facile de contaminer des récoltes de pommes de terre ou de céréales. Cela ne coûterait pas très cher.

Le ministère de l'Agriculture contrôle la situation, mais nous devons être proactifs. Nous devons veiller à ne pas donner l'impression que nous baissons notre garde ou que nous ne faisons pas ce qu'il faut faire. Eh oui, nous avons des raisons d'être inquiets et nous sommes vulnérables. Toutefois, je pense que nous prenons les bonnes initiatives.

M. McBain: Toute restriction sur le marché américain risquerait d'être catastrophique pour l'ensemble de l'agriculture au Canada. Le pire scénario, ce serait la fermeture totale de la frontière. Nous serions anéantis du jour au lendemain. Nous dépendons étroitement des exportations et des importations avec les États-Unis, et nous comptons sur ce marché pour soutenir notre industrie.

Le président: Je rappellerai à nos témoins que nous savons que, pour que notre commerce massif avec les États-Unis fonctionne bien, il faut qu'un camion traverse la frontière toutes les deux secondes et demie. Si ce délai était porté à cinq secondes ou plus, cela aurait des répercussions énormes pour le Canada. C'est une de nos grandes inquiétudes.

Le sénateur De Bané: Monsieur Laycraft, quelle part occupons-nous sur le marché du boeuf aux États-Unis?

M. Laycraft: L'an dernier, quand nous avons fait ce calcul, nous occupions 3 p. 100 de ce marché. Nous exportons du bétail sur pied. Nous avions environ 4 p. 100 de l'abattage de bovins sur pied; par conséquent, au total nous occupons environ 7 p. 100 du marché américain.

Le sénateur De Bané: Est-ce que d'autres pays approvisionnent aussi le marché intérieur américain?

M. Laycraft: Le Mexique leur fournit environ 3 p. 100 de leur bétail sur pied sous forme de bovins d'engrais. L'Australie et la Nouvelle-Zélande sont les deux seuls autres grands exportateurs de boeuf vers les États-Unis. En tout, quatre pays sont les principaux fournisseurs des États-Unis.

Le sénateur De Bané: Quelle est la part combinée du marché qu'occupent l'Australie et la Nouvelle-Zélande?

M. Laycraft: Ensemble, ils représentent probablement de 6 à 7 p. 100 de ce marché.

Le sénateur De Bané: Si vous regardez les diverses mesures protectionnistes prises par les États-Unis depuis 1980 — que ce soit des droits compensateurs ou des mesures antidumping — pensez-vous que votre groupe a été moins touché par ces mesures depuis la mise en place du libre-échange?

M. Laycraft: Il est intéressant de jeter un coup d'oeil sur le graphique. Les années 70 sont une période très difficile. Il y a eu le gel des prix de Nixon qui a entraîné toute une série de mesures des deux côtés. Durant les années 80, diverses études de type 332 ont été effectuées sur la nature du commerce. Ce n'est qu'en 1998 que nous nous sommes vraiment trouvés dans une situation de différend officiel.

Il est clair que l'Accord commercial canado-américain nous a permis de nous débarrasser de bon nombre de droits de douane. Nos produits franchissent plus facilement la frontière maintenant qu'il y a des inspections au hasard plutôt qu'une inspection de chaque produit. Nous pensons notamment que l'ACCEU a été un accord historique qui a changé radicalement la situation pour notre industrie. Les différends ont tendance à porter sur les règles provenant de l'OMC plutôt que de l'ALENA ou de l'ACCEU.

Il reste encore du travail à faire dans le cadre de l'ACCEU et de l'ALENA. Nous avons mis sur pied des comités chargés de travailler à une harmonisation plus poussée de l'approbation de certains produits, des exigences d'inspection. C'est dans ces domaines où le travail n'est pas terminé qu'il y a de temps à autre des problèmes.

Le sénateur De Bané: D'après votre mémoire, on a essayé cinq fois en 20 ans d'imposer des droits compensateurs ou des mesures antidumping, non?

M. Laycraft: L'étude de type 332 est une étude plutôt qu'une enquête. Elle peut être le précurseur d'un différend commercial. Ses conclusions peuvent servir à déclencher un différend. Toutefois, quand nous avons discuté avec nos homologues américains, ils nous ont recommandé de suivre cette voie parce qu'il y avait des tensions. Quand le marché s'affaiblit, les inquiétudes se renforcent. C'est un rapport assez élémentaire.

Ils nous ont dit que si nous donnions plus d'information, cela atténuerait certaines des inquiétudes. C'est évidemment un risque, mais nous avons constaté que la Commission du commerce international des États-Unis faisait preuve d'une grande équité dans son examen des données. Bien souvent, les problèmes se sont dissipés avant de dégénérer en différend.

Un autre groupe, avec des avocats très habiles, a présenté une requête en 1998: le Ranchers-Cattlemen Action Legal Fund, R-CALF. C'est un groupe qui représente généralement des intérêts américains qui veulent obtenir l'imposition de droits antidumping. Ils ont réussi à se faire entendre et c'est donc un nouvel élément qui a été examiné dans les enquêtes en 1998. Nos homologues américains n'étaient pas favorables à cette enquête.

Le sénateur De Bané: Vous occupez 3 p. 100 du marché du boeuf, et ils ont quand même essayé plusieurs fois. Imaginez le problème avec notre bois d'oeuvre. Ils représentent environ 33 p. 100 du marché là-bas et ils ne savent même pas qui sont les compagnies regroupées dans la coalition qui s'attaquent à eux. Je crois que tout cela est guidé par de purs motifs de politique interne sordides.

Avec tout le respect que je vous dois, je ne suis pas entièrement d'accord avec ce que vous dites à propos de la mise en place de mesures antidumping. Vous avez l'air de dire que dans un marché libre, du moment que le marché est libre, il ne peut pas y avoir de dumping par définition. Je ne suis pas sûr que cette analyse soit valable en économie.

Mes commentaires suivants s'adressent à M. McBain et M. Usherwood. Tout d'abord, ni l'un ni l'autre vous n'avez dit que la majorité des membres de la Commission du blé étaient des agriculteurs. Deuxièmement, ils ont voté à une majorité écrasante en faveur de ce régime.

J'ai une remarque qui va peut-être vous paraître hors sujet. J'ai été ministre des Pêches. Le poisson, c'est une autre denrée. Pourquoi les prix sont-ils si faibles dans ce secteur? C'est parce que les vendeurs sont de petites entreprises de transformation et des pêcheurs qui ne font pas le poids face aux acheteurs qui sont à Boston et ailleurs et qui approvisionnent tout le marché américain. Quand ils arrivent seuls ou à quelques-uns, ils n'ont pas le poids de la Commission du blé.

La Commission du blé peut se présenter dans un pays en disant qu'elle représente tous les agriculteurs du Canada. Elle peut garantir la qualité et la livraison. Pensez-vous que vos membres sont capables de concurrencer cela sur un plan commercial? Nous parlons de produits commerciaux et l'essentiel, c'est la relation entre le vendeur et l'acheteur. Par exemple, notre plus gros acheteur de blé, c'est le gouvernement de l'Algérie. Pensez-vous que ce gouvernement, qui nous en achète pour des millions de dollars chaque année, se sentirait plus à l'aise s'il discutait avec de petits groupes de vendeurs au Canada? Ou pensez-vous qu'il préférerait traiter avec le gouvernement du Canada?

En substance, ma question est la suivante: pourquoi n'acceptez-vous pas l'opinion de la majorité écrasante des céréaliculteurs de nos trois provinces de l'Ouest?

M. McBain: Lors de nos dernières élections qui ont porté sur cinq des 10 districts de l'Ouest canadien, 17 p. 100 des producteurs admissibles ont voté pour un marché libre; 23 p. 100 ont voté en faveur de la Commission canadienne du blé telle qu'elle existe. Ce sont 40 p. 100 des producteurs admissibles qui ont voté. La question est de savoir ce que pensent les 60 p. 100 restants. Chacun des deux côtés prétend qu'ils sont avec lui.

Le président: En faveur de quoi se sont prononcés les 60 p. 100 restants?

M. McBain: Ils n'ont pas voté.

Le président: Dans ce cas, ils ont voté pour le statu quo.

M. McBain: Pas nécessairement. La plupart des agriculteurs se dissocient totalement de la Commission canadienne du blé, et donc même s'ils ont le droit de voter, cela ne les intéresse pas. Ils ont opté pour des cultures différentes. C'est ce qu'on appelle «voter avec son semoir». Ils ont mis sur pied de nouvelles industries entièrement nouvelles dans l'Ouest canadien qui ne relèvent pas de la Commission. L'industrie des légumineuses à grains en est le meilleur exemple. À cause de la politique de la Commission du blé, les agriculteurs ont été amenés à se tourner vers une industrie plus économique et plus rentable qui n'existait pas auparavant.

De toute façon, des deux côtés on déforme les chiffres.

En tout cas, on déforme les chiffres des deux côtés. Il y a une différence de 1 000 votes dans trois des quatre secteurs, entre le gagnant du côté de la Commission ou de l'autre côté. Il y avait environ 80 000 votes possibles; le résultat dans trois cas sur quatre s'est joué sur 1 000 voix.

Pour ce qui est de livrer des céréales à un autre pays, cela dépend des producteurs individuels. Je ne suis pas d'accord avec le scénario que vous mentionnez. Je suis présent sur les marchés internationaux dans d'autres secteurs et ce n'est pas difficile. Il n'y a que cinq grandes compagnies céréalières dans le monde. Elles sont toutes situées au Canada et la Commission canadienne du blé ne transporte pas de grain. Elle ne livre pas de grain. Elle ne classe pas le grain. Elle ne garantit pas l'approvisionnement. La Commission du blé n'est qu'un système comptable. Elle engage des agents. Elle fait un peu de commercialisation. Pour le reste, elle a des agents exclusifs dans les pays étrangers qui traitent avec les acheteurs locaux.

Nous avons d'autres organismes comme l'Institut international du Canada pour le grain, l'IICG, qui prospecte les marchés des pays étrangers. Si la Commission était une organisation à participation volontaire et si je n'étais pas obligé de lui livrer mes céréales, ce sont les compagnies céréalières qui sont déjà sur ces marchés qui l'emporteraient. Elles organisent la livraison au port. Elles ont les installations portuaires. Elles s'occupent du navire, du fret et de la livraison sur tous les marchés qu'elles contrôlent déjà.

La Commission passe avec les compagnies céréalières des contrats de livraison au pays ou de livraison à la goulotte. Ou bien elle organise le transport de la marchandise à la goulotte, ou le pays qui achète le produit organise son propre transport.

Le problème n'est pas tellement d'avoir des producteurs individuels qui se concurrencent sur le marché international; c'est que les producteurs individuels n'ont jamais été dans cette situation et qu'ils ne peuvent pas commercialiser leurs produits comme ils le veulent.

M. Usherwood: Ni M. McBain ni moi-même ne recommandons l'abolition de la Commission canadienne du blé. Ce qui nous inquiète, c'est que nos partenaires commerciaux ont l'impression que c'est un monopole.

Les chiffres de M. McBain sont semblables aux miens. Nous avons des producteurs d'orge ou de blé qui nourrissent leur bétail avec leur produit. Ils n'ont pas besoin de traiter avec la Commission du blé. C'est ce que dit M. McBain, qu'ils ont créé une sous-industrie. Toutefois, si vous avez du blé dur et que vous voulez le transformer en pâtes, vous devez passer par une autre compagnie. C'est là que la Commission du blé crée des problèmes sur le plan intérieur.

En plus, la Commission du blé n'a pas besoin d'avoir cinq administrateurs nommés par le gouvernement. Ce qui est gênant, c'est que c'est toujours un de ces cinq administrateurs nommés qui est le président. Si mes souvenirs du Parlement sont exacts, la voix du président compte toujours pour deux lorsqu'il y a égalité. Par conséquent, pour faire adopter quelque chose à la majorité, il faudrait que neuf des 10 administrateurs élus se regroupent contre les cinq administrateurs nommés. On a l'impression que ce n'est pas démocratique et cela a créé des problèmes.

Dans les deux cas, c'est une question de perception de la structure de la Commission du blé. La Commission canadienne du blé va en fait prospérer si l'on supprime cette liberté parce que les agriculteurs se rendront compte qu'ils peuvent gagner plus d'argent en passant par la Commission du blé. C'est probablement le cas. Toutefois, pour l'instant ils ont l'impression qu'ils peuvent gagner plus d'argent en restant en dehors de la Commission du blé. En tant que Canadiens, nous devons encourager la concurrence dans notre société.

Le président: Si j'ai bien compris ce que vous nous avez dit à propos de vos problèmes de dépendance à l'égard du marché américain pour le bétail, vous êtes en train de vous diversifier pour essayer — je crois que c'est ce que vous avez dit tout à l'heure — d'exporter 50 p. 100 de vos exportations vers d'autres pays. C'est bien cela?

M. Laycraft: Notre stratégie pour 2010 est d'arriver à ce rapport de 50-50. Il s'agit en grande partie de sortir du commerce de denrées. Nous n'allons pas concurrencer les produits sud-américains à faible coût. Nous jouons sur des produits de haute qualité, sur la sécurité de notre régime d'inspection alimentaire au Canada, sur nos systèmes de production et sur notre capacité d'accéder dans des conditions raisonnables à des marchés comme l'Asie et le Mexique.

Nous allons changer notre façon de commercer, mais nous sommes convaincus de pouvoir réaliser cette stratégie.

Le président: J'étais membre de ce comité quand nous avons travaillé sur le premier accord de libre-échange. Je me souviens de la façon dont fonctionnait le commerce du bétail entre le Canada et les États-Unis. Dans l'Ouest, nous exportions du bétail vers l'ouest des États-Unis et dans l'est du Canada, nous en importions des régions voisines aux États-Unis. Nous n'avions pas vraiment de problème de mouvement du bétail dans un sens ou dans l'autre.

D'après ce que j'ai cru comprendre ce matin, vous avez réussi à régler vos différends commerciaux. Ce qui a fait la différence, c'est la suppression des droits de douane qui vous a amenés à vous intégrer plus.

Pourriez-vous nous dire rapidement ce qui s'est passé depuis ces événements de 1998?

M. Laycraft: Cet accord a aussi renforcé la confiance des investisseurs. C'était un facteur important. Les gens ont investi dans l'industrie du conditionnement des viandes et la modernisation. Nous avons maintenant trois des usines les plus modernes au monde — deux en Alberta et une à Guelph, en Ontario. L'industrie du conditionnement des viandes s'est considérablement développée.

L'industrie du boeuf d'embouche a aussi beaucoup progressé. Autrefois, on envoyait beaucoup de bétail d'embouche dans l'est du Canada et on en exportait aux États-Unis. L'Ontario importait du bétail d'embouche de l'ouest du Canada ou des États-Unis. Nous engraissons plus de bétail au Canada et tout cela rapporte au secteur céréalier.

Le président: Ce qui a, j'imagine, modifié considérablement la dynamique de ce secteur céréalier.

M. Laycraft: Cela a fait une différence énorme, si vous prenez par exemple nos exportations de céréales fourragères. Nous avons toujours été convaincus qu'avec la suppression des droits de douane, l'ouest du Canada en particulier deviendrait plus efficace et accroîtrait sa part de la production nord-américaine, et c'est ce qui s'est produit.

Durant cette période, il n'y a pas juste eu une redistribution. L'industrie du boeuf de l'Ouest canadien et l'industrie canadienne du boeuf se sont développées. L'an dernier, lors du recensement, nous avons constaté que notre troupeau de boeufs de boucherie au Canada n'avait jamais été aussi grand. Cela montre que nous étions capables d'exporter. Alors que notre consommation intérieure par habitant a diminué, elle est restée à peu près la même en raison de l'accroissement de la population. Toute la croissance de notre secteur est venue du commerce. Nous avons eu de très bons résultats sur le marché américain et cela nous a donné la capacité d'affronter la concurrence sur d'autres marchés.

Le président: Globalement, la question de l'agriculture est intéressante par sa complexité. Il n'y a pas très longtemps, j'écoutais M. Stuart Harbinson, le président de la Commission agricole de Doha. On l'a choisi parce qu'il vient de Hong Kong où il n'y a pas de production agricole. L'une des rares choses sur lesquelles ils se sont entendus jusqu'à présent a été le choix du président, donc nous savons que c'est une question très complexe qui ne va pas se régler du jour au lendemain.

Nous savons que M. Fischer, de l'Union européenne, ne va pas se prononcer avant le démarrage de la procédure de Doha. Il ne va pas abattre ses cartes tout de suite.

Au nom du comité, je remercie nos témoins. C'est un problème très préoccupant.

La séance est levée.


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