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Délibérations du comité sénatorial permanent des
affaires étrangères

Fascicule 9 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 26 février 2003

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit ce jour à 15 h 48 pour examiner les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis d'Amérique et entre le Canada et le Mexique afin d'en faire rapport.

Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Permettez-moi d'abord de vous présenter nos trois témoins. Nous recevons M. Armand de Mestral, M. Richard Ouellet ainsi que M. Steven Shrybman. Il s'agit d'une de nos réunions sur les questions juridiques.

Nous poursuivons notre étude sur les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis ainsi qu'entre le Canada et le Mexique en attachant une importance particulière aux différends entre nous. Le comité a passé la semaine dernière à Vancouver, Calgary et Winnipeg et a entendu de nombreux témoins, qui nous ont beaucoup appris.

Nous sommes ravis que vous ayez pu venir aujourd'hui nous adresser la parole. Je vous inviterais à nous résumer brièvement ce que vous souhaitez nous dire, ce qui nous donnera du temps pour vous poser des questions. Je sais par expérience qu'il peut y avoir beaucoup de questions.

[Français]

Nous allons commencer avec M. de Mestral, suivi de M. Ouellet et de M. Shrybman.

M. Armand de Mestral, professeur, faculté de droit, Université McGill, à titre personnel: Vous avez un texte en anglais, mais avec votre permission, je ferai ma présentation en français.

Pour expliquer un peu mes propos, je vous dirai que mon intérêt est dans le domaine général du droit du commerce international. J'ai servi tant comme panéliste à l'OMC que dans plusieurs affaires relativement à divers chapitres de l'ALENA. Je suis l'évolution de l'ALENA depuis les premières négociations. Je suis professeur de droit de la communauté européenne à l'Université McGill, ce qui me donne peut-être une autre vision de ce qu'on pourrait appeler le droit de l'intégration économique internationale.

Mon propos général serait que l'ALENA est un accord réussi, très complexe. C'est l'Accord de libre-échange le plus complexe dans le monde, mais c'est un accord qui arrive peut-être un peu à bout de souffle. Il ne semble pas avoir de suite. On a de la difficulté à voir où on va maintenant avec cet accord. Il me semble qu'il y a un besoin impérieux d'évoluer et de le développer. À l'intérieur de l'accord comme tel, il est difficile de voir comment il peut évoluer.

Cela résulte en bonne partie de la nature même d'un accord de libre-échange. Un accord de libre-échange est une sorte de contrat très complexe entre trois États, le Mexique, les États-Unis et le Canada. Ce contrat très détaillé a été déterminé dans le temps et il ne contient pas de mécanismes pour assurer sa survie et son évolution. Il n'y a pas de véritable institution pour proposer des changements ou une évolution. Et à moins que les trois ministres — ou un des trois — prennent le sujet très à coeur, il est fort probable que l'ALENA restera tel quel, un excellent accord mais sans suite. Et à plus ou moins long terme, il deviendra un peu désuet. Il me semble qu'il y a un besoin de renouvellement.

Par contre, si on parle de renouvellement, il est clair que nous sommes devant un certain nombre de contraintes qui existaient en 1984 quand on avait déjà conclu le premier accord de libre-échange avec les États-Unis et ensuite quand on a conclu l'ALENA en 1994. Les trois gouvernements, pour diverses raisons, ne cherchaient pas une union douanière, monétaire ou économique. Les contraintes sont probablement largement politiques. Il y a, à mon avis, d'excellentes raisons pour désirer la formation d'une union douanière. Mais je pars du principe peut-être regrettable que la formation d'une union douanière, encore moins d'une union économique, serait difficilement réalisable. Il y a des contraintes qu'il faut accepter. Entre autres, probablement un refus de la part des trois États d'accepter l'idée d'institutions supranationales qui auraient le pouvoir législatif et la capacité de lier les trois États.

Vous retrouverez dans ce texte, aux pages 2, 3 et 4, un certain nombre de propositions qui permettraient de modifier l'ALENA progressivement, de façon très pragmatique. Je pars du principe qu'on maintiendrait l'ALENA comme tel et qu'on apporterait progressivement des changements dans un certain nombre de domaines seulement.

Mon objectif à long terme serait de créer la conscience d'un espace économique nord-américain. Il me semble que c'est le grand défaut de l'ALENA comme tel. Nous continuons d'avoir trois États séparés, trois juridictions réglementaires largement séparées et, à long terme, il me semble qu'il faut créer un grand marché nord-américain. Il faut développer une conscience de ce marché nord-américain. En le faisant, il va falloir rectifier le tir dans le sens que l'accord de libre-échange vise essentiellement des questions de barrières au commerce des produits et des services — et à un certain point des capitaux — qui laissent largement de côté toute question humaine.

Il est très facile pour ceux qui critiquent l'ALENA de dire qu'il s'agit d'un accord qui existe pour faciliter l'échange des produits. Les intérêts économiques sont bien représentés, mais les intérêts humains sont beaucoup moins bien représentés.

Je ne propose pas le modèle européen, mais si on regarde ce qui s'est fait ces dernières 40 années en Europe, il est clair qu'on a réussi à montrer aux citoyens européens qu'ils ont un intérêt. Les citoyens européens peuvent circuler librement en tant que consommateurs. La communauté protège leurs intérêts en tant que personnes qui jouissent de l'environnement. La communauté a un intérêt direct et cherche à protéger leur environnement et ainsi de suite.

Toute proposition ou toute tentative de changer l'ALENA devrait chercher à créer une conscience auprès des citoyens, des consommateurs, devrait leur démontrer qu'ils ont un véritable intérêt dans cet effort et que l'idée d'un espace économique nord-américain est dans l'intérêt de tout le monde, pas seulement dans des intérêts économiques.

Le temps ne me permet pas d'aller dans tous les détails, mais vous avez un inventaire dans le document. Laissez-moi seulement soulever un point fondamental. Il me semble que nous ne pouvons pas proposer des institutions supranationales. S'il y a moyen de renforcer certaines institutions qui existent, je serai en faveur, que ce soit la Commission de l'ALENA comme telle ou les commissions concernant l'environnement et le travail. Je présume que les institutions supranationales en tant que telles ne seraient pas acceptables.

Il y a peut-être une institution qui est acceptée et qui est respectée par tout le monde, qui jouit d'une certaine autorité morale auprès de tout le monde, ce sont les tribunaux. À mon avis, une façon de faire avancer l'ALENA, c'est de prendre certains chapitres, particulièrement le chapitre 3 — mais je n'exclus pas d'autres chapitres — et de donner à ce chapitre un effet direct. Il s'agirait de permettre aux citoyens et aux compagnies d'invoquer les dispositions du chapitre 3 entre eux et contre leur gouvernement, comme cela se fait dans le cas de la communauté européenne où cela s'est avéré une arme extrêmement puissante. La cour européenne et les tribunaux nationaux dans l'application du droit communautaire ont beaucoup fait pour renforcer et pour mettre en vigueur les règles de libre circulation des produits, des services, des personnes et des capitaux.

Cela se fait individuellement, progressivement devant les tribunaux, par décision individuelle. Ce serait le moyen qu'on pourrait proposer ou adopter en Amérique du Nord pour donner à l'ALENA un nouveau souffle et une nouvelle pertinence auprès des citoyens.

Sans entrer dans tous les détails, vous avez dans mon document 22 propositions plus concrètes mais c'est l'essentiel de mon propos. Cela pourrait être réalisé en maintenant le texte de l'ALENA tout en adoptant un protocole changeant certains éléments de l'ALENA.

M. Richard Ouellet, professeur adjoint, faculté de droit, Université Laval, à titre personnel: Je n'ai ni l'expérience ni la pratique de mes deux collègues. Je voudrais quand même faire part au comité d'un certain nombre de remarques dans le contexte des études que j'ai pu menées et du travail de recherche que je mène aujourd'hui sur l'ALENA et sur l'Organisation mondiale du commerce.

Je voudrais faire deux remarques plus générales et ensuite d'autres plus propres à la situation actuelle de l'ALENA. Ma première remarque porte sur le règlement des différends dans le contexte de l'ALENA.

Vous n'êtes pas sans savoir que l'ALENA, contrairement à beaucoup d'autres accords internationaux d'intégration économique ne comporte pas d'institutions supranationales. Les parties, lors de la signature de l'ALENA, ont misé sur une évolution de l'accord, si tant est qu'il y ait une évolution et je partage à ce point de vue les remarques du professeur de Mestral. L'interprétation donnée à l'accord pourrait se faire par le biais des modes de règlements des différends contenus à l'accord. Le règlement des différends entre le Canada et les États-Unis a beaucoup attiré l'attention ces dernières années. Beaucoup de Canadiens ont vu leur attention attirer vers ces différends et ils ont perdu de vue les bénéfices. L'économie canadienne bénéficie largement de cet accord et malheureusement, la perception du public ne rend pas justice à tout ce qu'apporte l'ALENA.

Avec le professeur Bernier, professeur associé à l'Université Laval qui est un peu mon maître à penser dans beaucoup de ces questions, j'ai mené à Genève un certain nombre d'entrevues sur le règlement des différends dans le contexte de l'Organisation mondiale du commerce. Il nous est apparu un certain nombre de tendances lourdes dans le règlement des différends en matière de droit international économique.

Nous avons constaté d'abord, par le biais des entrevues que nous avons menées, que nous sommes en face d'une nouvelle génération de différends économiques.

Les consultation prévues dans la quasi totalité des textes qui permettent de régler des différends économiques perdent beaucoup de leur effet. Les représentants canadiens, américains et européens que nous avons eu l'occasion de rencontrer et les gens qui travaillent dans le contexte de l'organisation mondiale du commerce constatent que les négociations bilatérales, d'État à État, hors du cadre des mémorandums d'accord, hors du cadre des textes des accords, reprennent beaucoup de vigueur. C'est essentiellement dans le contexte de ces négociations et de ces discussions qu'on tente de régler les dossiers. Une fois que les litiges sont mûrs et font l'objet d'une procédure des règlements des différends, les consultations en soi prévues aux termes des accords perdent énormément de leur efficacité et amènent rarement les règlements souhaités.

Une nouvelle génération de litige existe parce que la mise en oeuvre des décisions rendues par les groupes spéciaux, par les groupes arbitraux de façon générale, pose de plus en plus problème. Il n'est plus rare maintenant qu'il faille trois ou quatre étapes avant que les États, les parties à un différend, conviennent entre elles ou par le biais d'un rapport de groupe spécial, de l'application et de la mise en oeuvre des décisions rendues.

Pour vous donner des exemples qui ont affecté directement l'économie canadienne, vous connaissez sûrement le litige Canada/Brésil, Bombardier/Embraer, relativement aux aéronefs civils, l'affaire du lait, des périodiques, du bois d'oeuvre et les multiples recours qu'ont suscité ce différend en est un exemple éloquent.

Nous sommes donc devant des litiges qui prennent une forme un peu différente de ce qu'on avait anticipé, en ce sens que la mise en oeuvre prend une place maintenant extrêmement importante. Encore une fois, les pressions politiques ont repris un peu plus de place que celle qu'on avait anticipée lors de la rédaction de ces textes qui visent à régler les différends.

Dans le contexte où nous avons aujourd'hui une administration américaine qui n'a jamais eu aussi peu peur des tensions, le Canada doit être le promoteur d'un mécanisme de règlement des différends qui permette d'aplanir les choses et de régler les litiges avec le minimum de tension politique.

Un autre exemple pour vous convaincre de l'essence du propos que je vous tiens concerne les groupes binationaux qui ont siégé dans le contexte de l'ALENA et qui ont vu à réviser ou à réexaminer les décisions prises en vertu du chapitre 19 par les organismes nationaux. Ces groupes, d'après une étude faite par quelqu'un du tribunal canadien du commerce extérieur, montrent que les trois quarts des décisions prises par les instances canadiennes et qui sont revues par les groupes binationaux en vertu du chapitre 19, sont confirmées. Ce n'est pas le cas des décisions émanant des organismes américains qui sont infirmées deux fois sur trois.

Le problème de la mise en œuvre de ces décisions rendues en vertu du chapitre 19 se pose également.

Il faut donc que le Canada s'assure d'avoir un mode de règlement des différends qui lui permette de continuer d'aplanir les difficultés avec nos voisins américains, de recentrer l'attention vers les bénéfices de l'ALENA et de cesser de mettre l'accent sur ces différends. Il faut que le Canada demeure le promoteur d'une application régulière et correcte des instruments de règlement des différends et favorise l'évolution de l'accord, que ce soit par le biais de la zone de libre-échange des Amériques ou par une révision des accords de l'ALENA. Il faudra certainement s'assurer que le règlement des différends est facilité à bien des égards.

Ma deuxième remarque générale porte sur l'action au marché des services. Le Canada a réaffirmé encore récemment, dans le contexte de l'Organisation mondiale du commerce, qu'il ne souhaitait pas prendre d'engagement spécifique quant à l'accès au marché des services sociaux, des soins de santé et de l'éducation publique. Cette question a fait l'objet de débat dans la société canadienne et semble maintenant être un peu une position bien assise, bien affirmée et résolue par le gouvernement canadien.

Le Canada ferme un peu l'accès à ses marchés de service par deux mécanismes assez différents dans le contexte de l'ALENA et dans celui de l'OMC.

Dans le contexte de l'ALENA, il s'agit d'exceptions et je pense à celles qui figurent aux annexes ainsi qu'aux chapitres 11, 12 et 14 de l'ALENA. Par le biais de ces exceptions, ce type de service est largement exclu quant à l'application de plusieurs dispositions de l'ALENA.

Dans le contexte de l'OMC, ce sera plutôt une absence d'engagements spécifiques qui fera que plusieurs dispositions ne seront pas applicables à l'ensemble de ces services au Canada. Les modes de protection des soins de santé et de l'éducation publique, les exceptions dans le contexte de l'ALENA et l'absence d'engagements spécifiques dans le contexte de l'OMC n'amènent pas forcément une même mécanique d'interprétation juridique. Nous sommes dans le contexte où, tant à la ZLEA qu'au plan multilatéral de l'OMC, nous revoyons les engagements spécifiques pris par les différentes parties à ces textes.

Or, le Canada s'engage dans cette dynamique où, par des mécaniques juridiques très différentes, il va devoir obtenir sensiblement le même résultat. Nous nous engageons dans des négociations lourdes de sens et de portée et les interprétations données à ces deux mécanismes devront se concilier pour qu'une même application ait cours au Canada.

J'invite le Canada à être de plus en plus prudent dans ces deux voies qu'il emprunte pour obtenir la même protection. Je pense qu'il peut devenir le promoteur d'une certaine vision des limites des engagements pris quant à l'accès à certain marchés. Il l'a déjà fait puisqu'il a été un joueur clé dans la formation du Groupe de Cairns en matière agricole visant à défendre certains intérêts particuliers à certaines économies. Le Canada est aussi un promoteur de la protection de la diversité culturelle. Sans mettre un frein aux négociations, il faudra s'assurer d'une certaine protection, d'une certaine intégration et d'une certaine cohérence dans les ouvertures à des services pour lesquels les Canadiens souhaitent qu'il y ait un équilibre entre la liberté de commerce et l'offre de services publics.

J'aimerais faire quelques commentaires plus techniques sur le fonctionnement de l'ALENA. Je suis porté à croire que la Commission du libre-échange, bien qu'on ne lui ait pas donné un mandat très vaste, pourrait être utilisée à meilleur escient. Par exemple, son intervention sur l'interprétation à donner à certaines dispositions du chapitre 11 a été très salutaire. À mon avis, cette Commission pourrait jouer un rôle accru et intervenir un peu plus souvent dans l'interprétation à donner à certaines parties de l'Accord.

Enfin je ferai une dernière remarque sur le comité 2022 de l'ALENA qui se penche sur le règlement des différends privés. C'est avec stupéfaction que j'ai appris que ce comité fonctionnait grâce au bénévolat de ses membres. Deux de mes amis y siègent en tant que représentants du Canada et ils doivent payer de leur poche leur participation aux différentes réunions du comité.

Lorsque les rencontres ont lieu à Mexico, par exemple, ils doivent obtenir une libération de leur employeur en plus de financer leur voyage et leur hébergement. Je pense qu'un comité comme celui-là pourrait être beaucoup plus actif, mais il m'apparaît que les parties n'ont pas pris les moyens nécessaire pour y arriver. C'était l'essentiel des commentaires que j'avais préparés.

[Traduction]

M. Steven Shrybman, avocat, Sack Goldblatt Mitchell, à titre personnel: Je suis associé en exercice du droit dans le cabinet Sack Goldblatt Mitchell, spécialisé dans le droit du travail et établi à Toronto. Avant de me joindre au cabinet il y a trois ans, j'ai passé 20 ans dans le monde des ONG comme avocat de l'Association canadienne du droit de l'environnement, puis comme directeur administratif de la West Coast Environmental Law Association. Je m'occupe des questions commerciales sous l'angle de la politique environnementale depuis 1988.

Mon exercice du droit s'est élargi depuis que je suis dans le secteur privé. J'ai notamment préparé des avis juridiques pour des gouvernements, des institutions publiques, la Canadian Library Association, des administrations de la Colombie-Britannique et du Manitoba, des syndicats ainsi que des associations de la société civile. J'ai rédigé une convention sur la diversité culturelle pour ce que l'on appelle le Réseau international pour la diversité culturelle. Le réseau fait un travail parallèle à une initiative d'envergure pilotée par le ministère du Patrimoine canadien en vue de créer un nouvel accord international destiné à préserver les capacités des États-nations de mener des politiques de diversité culturelle malgré les obstacles que constituent les accords de l'Organisation mondiale du commerce et d'autres accords de commerce international.

J'ai représenté les postiers et le Conseil des Canadiens qui avaient demandé l'autorisation de comparaître devant un tribunal administratif international constitué pour entendre une contestation de United Parcel Services of America, UPS, au sujet des activités de Postes Canada et de la politique canadienne en matière de services postaux. Nous avons présenté une requête au nom de ces deux groupes devant la Cour supérieure de l'Ontario contestant la constitutionnalité des dispositions relatives aux poursuites opposant un investisseur et un État qui se trouvent dans l'ALENA et qui, à notre avis, délèguent abusivement le pouvoir des cours supérieures canadiennes énoncé dans la Constitution à ces tribunaux en vertu de l'article 96 de la Loi constitutionnelle.

Comme membre d'un groupe organisé sous les auspices du Centre canadien de politiques alternatives, nous avons préparé un avis à l'intention de la commission Romanow concernant les effets de la mondialisation sur le droit et la politique canadienne de soins de santé.

Je ne suis pas un partisan de la libéralisation des échanges. Je ne suis pas d'avis que l'ALENA a servi les intérêts de notre pays. Économiquement en tout cas. Je ne suis pas économiste, mais je suis convaincu que c'est le cas en ce qui concerne la robustesse de nos institutions démocratiques, l'intégrité de la Constitution et la capacité des gouvernements de satisfaire aux besoins des Canadiens non seulement aujourd'hui mais dans l'avenir. Je crois que beaucoup des prétentions selon lesquelles l'ALENA a été une grande réussite ne résistent pas à un examen minutieux.

J'étais à l'étranger la semaine dernière. Ce n'est qu'hier que j'ai su que j'aurais peut-être l'occasion de comparaître devant vous aujourd'hui. Je n'ai donc pas de texte à vous présenter. Il y a toutefois trois questions que j'aimerais aborder.

Tout d'abord, dans l'analyse que nous avons réalisée pour M. Romanow, nous avons estimé que la réserve que le Canada a exprimée concernant les services sociaux et qui le protège contre l'application des disciplines de libre-échange à la politique de santé du Canada ne serait pas efficace si elle était contestée. Un avis semblable a été exprimé par M. John Johnson, juriste de droit international. M. Johnson a peut-être davantage de crédit en la matière que les adversaires du libre-échange parce qu'il a participé activement aux négociations qui ont mené aux accords et continue de faire pas mal de travaux pour le gouvernement fédéral.

Malgré ces préoccupations et la position très divergente vis-à-vis de la réserve du Canada sous le régime de l'annexe 2 exprimée par les États-Unis, en déposant des propositions relatives à la zone de libre-échange des Amériques, le Canada n'a pas cherché à renforcer cette protection. Beaucoup d'entre nous y voient un problème et c'est la question que je veux soulever devant vous.

Deuxièmement, je crois savoir que vous avez entendu beaucoup de témoignages à propos du chapitre 11 et de l'arbitrage entre un investisseur et un État et qu'il ne vous est pas utile d'en entendre davantage.

Le président: Non, nous n'avons pas entendu beaucoup de témoignages à propos du chapitre 11. Un peu seulement. Nous avons beaucoup d'information, mais ne tenez pas pour acquis que nous avons entendu beaucoup de témoignages au sujet du chapitre 11 parce que ce n'est pas le cas.

M. Shrybman: Je n'ai pas le temps d'en discuter de façon détaillée avec vous, mais je serais heureux de discuter de ces affaires. Comme je l'ai dit, nous sommes mêlés à l'une d'elles. Nous avons présenté des mémoires au gouvernement fédéral après qu'un groupe spécial a débouté le Canada dans une affaire intentée par SD Meyers indiquant qu'il était important pour le Canada de demander un recours ou une révision judiciaire devant les tribunaux canadiens. Par la suite, c'est ce que le gouvernement a fait. Au nom de Greenpeace Canada, de Sierra Club du Canada et du Conseil des Canadiens, nous avons demandé qualité pour comparaître dans cette instance, ce que nous a refusé la Section de première instance de la Cour fédérale. Nous avons exercé un recours mais avons perdu à la Cour d'appel. Nous avons demandé la permission d'en appeler devant la Cour suprême du Canada, ce qui nous a été refusé là aussi. Cette issue ne nous a pas plu.

L'affaire concerne, comme vous le savez peut-être, une contestation des mesures prises par Environnement Canada, que le ministère estime — à bon droit selon nous — avoir été nécessaires et prescrites par la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination. Ces mesures ont néanmoins été attaquées avec succès par un investisseur américain qui demandait, chose étonnante, accès à des déchets canadiens de BPC.

Si je mentionne cette affaire, c'est qu'une des inquiétudes souvent exprimées par la société civile à propos de ces régimes, c'est leur manque de transparence et le fait qu'ils ne puissent pas être invoqués par d'autres que des entreprises. Voilà un autre cas où même lorsque la question est soulevée devant un tribunal canadien, il est très difficile pour un groupe de toute évidence attaché à la cause concernée par l'affaire de se faire entendre.

La même chose est arrivée lorsque nous avons essayé d'intervenir dans la prétention d'UPS contre le Canada au sujet des services postaux. Les implications de l'affaire étaient d'une très grande importance parce qu'elles devaient s'appliquer également aux autres secteurs de la fonction publique, y compris les soins de santé et les services d'adduction d'eau. UPS soutient qu'elle devrait avoir accès à l'infrastructure des services publics pour pouvoir rivaliser à égalité avec un monopole d'État. Le même argument pourrait être avancé par une entreprise américaine de soins de santé à l'endroit de l'infrastructure publique de soins comme les hôpitaux.

L'affaire que j'ai mentionnée en passant est une contestation du mécanisme de poursuite de l'État par un investisseur. En vertu de notre Constitution, à notre avis, lorsque les entreprises ont un grief contre les décisions des pouvoirs publics et les lois votées par les gouvernements canadiens hors de tout lien commercial avec ces entreprises, les différends ont par le passé toujours été tranchés — et devraient à juste titre continuer de l'être — par des tribunaux canadiens et non par des tribunaux administratifs internationaux qui agissent hors de toute supervision ou contrôle judiciaire par un tribunal canadien. Nous avons intenté cette poursuite il y a deux ans. Nous sommes toujours en train de rassembler la preuve et nous devons la corroborer, et nous nous attendons à ce que cela soit fini d'ici environ un mois; il se peut que nous soyons entendus par la Cour supérieure à l'automne.

Quant à la troisième question, je vous ai remis des documents; il s'agit des mémoires que nous avons présentés à l'Office national de l'énergie. On y retrouve pêle-mêle quantité de questions reliées à l'ALENA. Lors d'audiences qui ont eu lieu l'été dernier au sujet de l'exportation de gaz naturel de la région des Maritimes vers les États-Unis, d'abord, le Nouveau-Brunswick a demandé une plus grande transparence au sujet du mécanisme d'approbation des exportations. Deuxièmement, une filiale de Duke Energy, l'une des plus grandes transnationales américaines, a demandé l'autorisation d'accroître sa capacité aux États-Unis.

Le problème pour le Nouveau-Brunswick, c'est qu'il estimait que beaucoup de ses industries et de ses consommateurs se voyaient exclus du marché du gaz extracôtier et de la Nouvelle-Écosse. La possibilité ne leur était pas donnée de même soumissionner avant que des engagements d'exportation n'aient été pris en faveur des marchés américains. Le problème juridique que je veux soulever devant vous et que j'expose en détail dans le mémoire pour le Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier devant l'Office national de l'énergie porte sur la manière dont les approbations d'exportation sont accordées par l'Office.

En vertu de la Loi sur l'Office national de l'énergie, avant qu'une licence d'exportation de gaz naturel puisse être délivrée par l'Office, la preuve doit être faite que le gaz exporté est excédentaire aux besoins raisonnablement prévisibles du Canada, indépendamment des exigences de l'ALENA en matière d'exportation d'énergie. Cette mesure de protection de l'intérêt public, toutefois, ne s'applique pas aux permis d'exportation à court terme. Lorsque la période visée est inférieure à deux ans, quelle que soit la quantité de gaz naturel, l'Office n'a pas à tenir compte des besoins du Canada.

Or, la plus grande partie du gaz naturel canadien est exporté aux États-Unis sous le régime de permis à court terme. Dans la région des Maritimes, le pourcentage est de 90 p. 100. La question qui se pose est de savoir si ces permis sont véritablement à court terme ou s'ils confèrent un droit permanent. C'est précisément ce qu'affirme l'Association canadienne des producteurs pétroliers et d'autres intervenants de l'industrie dans cette affaire. Sous couvert de permis à court terme, un droit permanent aux exportations de gaz naturel canadien est accordé aux consommateurs américains sans égard aux besoins du Canada. À notre avis, la pratique de l'Office national de l'énergie est ultra vires par rapport à sa loi habilitante.

Cette pratique soulève de graves inquiétudes, non seulement pour la sécurité énergétique du pays, mais aussi vu les engagements que le Canada a pris en vertu du Protocole de Kyoto en faveur de la viabilité économique des régions du pays qui ne sont pas desservies par le gaz naturel. Un certain nombre de papeteries où travaillent mes clients dans la région des Maritimes se trouvent dans cette situation difficile. Respecter les obligations du Nouveau-Brunswick de réduire les émissions de gaz à effet de serre — et nous ignorons comment cette répartition sera faite entre les provinces — sera beaucoup plus difficile si la province n'a pas accès à ce carburant de prédilection pour la réduction de ses émissions.

Je vous remercie de votre indulgence et de m'avoir permis d'aborder autant de questions disparates. C'est ce que je voulais dire au comité.

Le sénateur Austin: J'aimerais d'abord revenir à une des prémisses employées par nos deux premiers témoins, MM. de Mestral et Ouellet au début de leurs exposés, à savoir que l'ALENA a été un succès.

Je ne suis ni dans un camp ni dans l'autre, mais je me demandais si vous aviez des éléments quantifiables qui corroborent cette information. Il faut d'abord comparer nos avantages commerciaux depuis l'ALENA aux obstacles quantitatifs qui existaient auparavant. Il faut voir l'effet de la devise canadienne par rapport au dollar américain et l'exclure de l'équation pour juger des avantages de l'ALENA. Avez-vous des observations à faire au sujet de la devise ou quoi que ce soit de précis au sujet des avantages?

Ma deuxième question porte sur les avantages qu'il y aurait à améliorer l'ALENA. M. de Mestral a clairement dit qu'il serait très difficile de modifier l'accord actuel. M. Ouellet sera sûrement du même avis. Par contre, des accords parallèles seraient peut-être possibles. Comme notre commerce avec les États-Unis s'établit déjà à 86 p. 100, je me demande si des mesures pourraient être prises pour améliorer ces échanges ou s'il en coûterait très cher pour obtenir un avantage marginal. Ce ne sont pas des questions d'ordre juridique, mais vous savez tous les deux comment fonctionne l'ALENA.

Ma troisième question porte sur le jour où un tribunal accordera au Canada un droit de rétorsion contre les États- Unis et si vous pensez que, dans la pratique, il y a quelque utilité que ce soit au droit théorique d'user de rétorsion envers les États-Unis dans nos rapports commerciaux. Disposons-nous vraiment de sanctions qui soient pratiques?

J'aimerais poser ces trois questions aux deux premiers témoins et dire à M. Shrybman que j'ai trouvé son exposé fort intéressant, mais que je n'ai droit qu'à quelques minutes pour poser mes questions.

M. de Mestral: Je suis professeur de droit et non d'économie, mais je vais essayer de répondre à vos questions. Si l'on analyse l'ALENA en fonction de ses objectifs, à savoir réduire un certain nombre d'obstacles, notamment les obstacles tarifaires au commerce, il a été très efficace. De part et d'autre de la frontière, l'industrie a demandé que cela se fasse plus rapidement. Dans le secteur tertiaire, un certain nombre d'obstacles ont aussi été éliminés. Si l'on examine l'ALENA en fonction des objectifs qui étaient fixés, il a été efficace.

Ce qui m'inquiète c'est de savoir ce que sera la suite des événements. Voilà les avantages, c'est ce qu'on a essayé de faire et voici ce qui a été réalisé. Quant à la suite, il n'est pas nécessaire d'aller plus loin, je prends le cas de la Communauté européenne où d'immenses efforts ont été faits pour donner aux particuliers et aux entreprises l'équivalent d'un droit constitutionnel de faire circuler leurs produits au-delà des frontières. Les particuliers peuvent circuler librement et ouvrir un commercer ou exercer leur profession à l'étranger. Les capitaux peuvent circuler, les populations aussi.

Pour moi, cela a libéré quantité d'énergie et ouvert des débouchés économiques ce qui, dans l'ensemble, est avantageux. On peut en dire autant pour l'ALENA. Le commerce de biens ne dit peut-être pas tout. Il reste de grands pans où il y a toujours des obstacles. Par rapport à l'Europe, ces obstacles sont immenses. Je ne suis pas sûr qu'il soit juste de dire que parce que nous avons 85 p. 100, il n'y a plus rien d'autre à faire.

Le président: Pour être juste, ce n'est pas ce que le sénateur Austin a dit. Il a dit qu'il y aurait des rendements décroissants si l'on allait au-delà de 85 ou 86 p. 100. Il n'a pas dit que nous ne pourrions pas aller jusqu'à 100 p. 100, mais combien cela nous coûterait-il si nous voulions pousser plus loin?

Le sénateur Austin: Oui, merci.

M. de Mestral: Le coût serait à l'avantage de ceux qui veulent circuler ou faire circuler leurs biens.

Le sénateur Austin: Êtes-vous en faveur d'une union douanière?

M. de Mestral: Oui, je l'ai dit. Pour ce qui est de votre dernière question, nous avons été témoins de représailles inter- États à l'OMC et à l'ALENA. Les gens pensent que c'est une bonne chose mais, en fait, c'est une catastrophe. C'est terrible d'y être assujettis. Ça ne vous avance à rien. Il est curieux de voir qu'à l'extérieur du secteur commercial, les gens regardent le droit commercial et disent: «C'est merveilleux. Si seulement nous avions ce genre de sanctions, notre droit serait fort aussi.» Comme vous le dites, lorsqu'on arrive aux sanctions, ce n'est pas vraiment ce que vous voulez parce que vous vous faites du tort à vous aussi bien qu'à l'autre.

Nous avons besoin, non pas d'un groupe binational qui nous dise: «Très bien, vous, au Canada, pouvez maintenant prendre des mesures contre les États-Unis», mais bien d'un tribunal qui dise à la coalition américaine du bois d'oeuvre: «Ça suffit. Arrêtez maintenant de vous opposer à l'arrivée des produits du Canada.» Qu'on en parle avec les parties concernées du secteur privé et, au besoin, avec le gouvernement qui les appuie, et qu'on laisse les tribunaux statuer et régler la question. Voilà comment on procède à l'Union européenne, et le processus est beaucoup moins politique. Les intéressés doivent eux-mêmes donner la preuve du bien-fondé de leur contestation et ne font pas intervenir leur gouvernement ou leur population pour les appuyer. Le processus est beaucoup moins politisé.

Le sénateur Austin: Diriez-vous que le Canada et les États-Unis devraient céder une part de leur souveraineté en matière de commerce à un processus quasi judiciaire?

M. de Mestral: Oui. L'expérience européenne montre qu'il faut des institutions pour pouvoir avancer dans cette voie. Je suppose que notre situation ne nous permet pas d'adopter le modèle européen. Mais pour certaines affaires dans certains domaines, on pourrait envisager d'accorder aux tribunaux un rôle beaucoup plus important pour ce qui est de prendre certaines décisions. Je pense que les tribunaux pourraient très bien s'acquitter de cette tâche et que leurs décisions seraient acceptées.

Le président: Monsieur Ouellet, vous aimeriez répondre?

M. Ouellet: J'ai trois petites réponses à faire à ces trois questions très pertinentes. Premièrement, pour ce qui est des avantages que nous a déjà valus l'ALENA, je ne suis pas économiste moi non plus. Je pourrais vous donner une réponse très politique à cette question.

Étant donné le gouvernement qui est maintenant au pouvoir aux États-Unis et la composition du Congrès américain, nous n'aurions aucune protection contre la moindre secousse au Congrès. Les Américains ont, par exemple, tellement de mesures pour protéger leur économie, mais nous avons tout de même un droit d'accès minimal à leur marché grâce à l'ALENA, et il y a certaines choses qu'ils ne peuvent pas faire sans violer cet accord. Nous ne sommes donc pas entièrement à leur merci.

Pour ce qui est des avantages que nous pourrions obtenir, je suis d'accord avec le professeur de Mestral. En ce qui concerne le droit que nous aurions d'imposer des sanctions de prendre des mesures de rétorsion en cas de litige relativement à la mise en oeuvre d'une décision rendue par un groupe binational, il vaudrait beaucoup mieux pouvoir s'en remettre à une institution quasi judiciaire qui proposerait différentes façons de régler le différend. Cela vaudrait beaucoup mieux que les pressions politiques et économiques auxquelles nous pourrions être soumis. Nous ne pourrions guère faire de progrès ni obtenir d'avantages en l'absence de ces mécanismes et de ces institutions quasi judiciaires plus puissantes et plus efficaces.

Le président: Voici ce qu'on peut lire dans cette publication du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, intitulée Lois américaines portant sur les recours commerciaux: l'Expérience canadienne, Deuxième édition, au paragraphe 12.2:

Les groupes spéciaux binationaux établissent si la détermination finale contestée est bien conforme à la législation antidumping de la partie à l'ALENA où elle a été établie. Si le groupe spécial conclut que la détermination est effectivement conforme à la législation nationale [...]

C'est ce que j'appelle «la grande lacune». Les pays de l'Union européenne ont renoncé à ce droit. Aux États-Unis, le Congrès refuse d'y renoncer, d'où cette «grande lacune» à la page 34. Ce serait vraiment formidable que les Américains y renoncent, mais ils n'y renonceront pas.

Le sénateur Di Nino: Si vous me permettez de revenir à ce que disait le sénateur Austin au sujet de la façon de régler les différends, les deux témoins ont parlé du rôle quasi judiciaire des tribunaux, etc. Pourriez-vous nous dire ce que vous penseriez de l'idée que la Commission mixte internationale, qui existe depuis déjà un certain nombre d'années en tant qu'institution permanente de type judiciaire, puisse s'occuper des différends entre les deux pays. Est-ce là quelque chose auquel vous avez pensé?

M. de Mestral: La CMI donne son avis quand elle est saisie d'une question par un gouvernement. D'après moi, il faudrait que les simples citoyens puissent aussi participer au processus. Il faudrait certainement que nous essayions de tirer parti des institutions que nous avons déjà — et celle-là est une institution des plus vénérables et qui obtient beaucoup de succès. Il me semble toutefois que le modèle de la Commission mixte internationale ne serait pas suffisant. J'aimerais que les simples citoyens et les entreprises puissent s'adresser directement aux tribunaux.

Le sénateur Di Nino: Quel type d'institution, le système judiciaire existant ou une institution permanente réservée exclusivement à cette fin?

M. de Mestral: À mon avis, on pourrait, dans des domaines bien circonscrits, faire appel aux tribunaux existants au Canada et aux États-Unis.

[Français]

M. Ouellet: Selon moi, les institutions de l'ALENA sont sous-utilisées à bien des égards. Je répondrai à votre question indirectement en vous parlant un peu de la Commission de coopération environnementale et de la Commission de coopération dans le domaine du travail. Ces deux commissions sont aussi largement sous-exploitées. Le public y a accès, il peut porter des plaintes devant ces institutions. Dans certains cas, il n'a droit qu'à des réponses très laconiques de la part de ces institutions.

Pour engager le citoyen, pour lui donner confiance dans le processus de libre-échange, il faut ouvrir le fonctionnement des institutions de l'ALENA. Je pense aussi que les différents comités de l'ALENA — et il y en a une pléthore — font du bon travail, mais ils ne sont pas suffisamment visibles et actifs. Ils sont largement composés de membres de la fonction publique, donc pas forcément par des élus, mais ces comités pourraient être largement dynamisés et leurs travaux mieux connus. Il n'est pas évident de connaître les travaux d'un comité de l'ALENA qui toucheraient, par exemple, les mesures sanitaires ou phyto-sanitaires. Beaucoup d'ententes sont prises et beaucoup d'harmonisation est faite par le biais des travaux de ces comités. Il est extrêmement difficile de s'informer sur le résultat de ces travaux. Selon moi, ce genre d'institution pourrait être largement dynamisé et les institutions qui visent plus directement le règlement de litiges pourraient être beaucoup mieux pourvues en termes de moyens. On pourrait faciliter l'accès des citoyens à ces institutions.

[Traduction]

Le sénateur Di Nino: Dans le même ordre d'idées, nous avons été témoins d'un certain nombre de différends au fil des ans, et on peut dire sans trop risquer de se tromper que le Canada a sans doute eu gain de cause dans la majorité des cas. Cependant, nous assistons maintenant à une espèce de durcissement, notamment en ce qui a trait au bois d'oeuvre, à la commission du blé et à certains autres produits agricoles. Nous assistons à un durcissement de la part des Américains dans leurs rapports avec nous. Comme nous l'avons constaté hier, le ministre Pettigrew a témoigné de son impatience en disant qu'il n'en pouvait plus de traiter avec ces gens-là — c'est lui qui l'a dit, pas moi —, qu'ils demandent beaucoup trop. Ils ont rompu les négociations en vue de régler le litige du bois d'oeuvre.

Au cours de nos audiences, nous avons entendu divers points de vue. En Colombie-Britannique, l'industrie nous a recommandé d'essayer d'en arriver à un règlement avec les États-Unis pour mettre fin au litige — d'en arriver à quelque chose de semblable à l'Accord sur le bois d'oeuvre, qui a maintenant cessé d'être en vigueur. Nous avons entendu d'autres parties nous dire que nous devrions continuer à nous battre et nous battre à l'OMC, où nous aurions sans doute de meilleures chances d'avoir gain de cause. Je me demande si M. Shrybman, en sa qualité d'avocat, et nos deux professeurs ont une opinion sur la question de savoir si nous devrions refuser de céder et faire appel à l'OMC ou si nous devrions essayer de nous entendre avec les Américains sur ces questions.

M. Shrybman: Je suis d'accord avec le président pour dire que la grande lacune de l'ALENA, c'est qu'elle ne nous garantit pas l'accès aux marchés américains. Il était tout à fait erroné de prétendre le contraire.

Les États-Unis peuvent faire comme bon leur semble pour ce qui est d'adopter des lois qui prévoient des droits compensateurs ou des droits antidumping. Notre seul recours est d'insister pour que la loi, si injuste soit-elle, soit appliquée correctement. C'est ce que prévoit le processus de règlement des différends décrit au chapitre 19. Nous avons obtenu bien peu de choses, si tant est que nous avons obtenu quelque chose, en fait d'accès assuré aux marchés américains, et les différends sur le bois d'oeuvre en sont la preuve.

Que nous options pour la voie de la négociation en vue d'en arriver à une entente avec les États-Unis ou pour le processus de règlement des différends en vertu de l'OMC, qui a le mérite de pouvoir imposer des limites officielles à l'unilatéralisme américain, limite que nous n'avons pas réussi à obtenir dans l'ALENA, est une décision d'ordre stratégique. Je ne peux pas répondre à cette question.

Mes clients, les membres du Syndicat des communications, de l'énergie et du papier, ont négocié une entente avec leurs camarades des États-Unis. Je crois que d'autres syndicats comme l'International Woodworkers of America ont aussi pris part aux discussions. Ils en sont arrivés à une proposition qui mérite d'être étudiée, mais je crains que je ne puisse pas vraiment vous donner de détails à ce sujet.

M. de Mestral: Il me semble que, dans le contexte actuel, nous devrions poursuivre notre contestation auprès de l'OMC, qui nous donnera sans doute raison. Le processus de règlement des différends de l'OMC est plus puissant comme mécanisme que celui de l'ALENA, en dernière analyse. Le chapitre 19 était non seulement un compromis politique mais aussi une solution juridique à une impasse politique, auquel on est arrivé in extremis, en l'espace de quelques semaines, après que les négociations eurent échoué. Nous avons déjà conclu des ententes auparavant; une fois qu'elles cessent d'être en vigueur, nous nous retrouvons à la case départ. Nous ne semblons pas avoir fait quelque progrès que ce soit. Tant et aussi longtemps que nous maintiendrons les règles existantes, je crois qu'il serait préférable de porter l'affaire devant l'OMC au lieu de jeter la serviette.

Dans la dernière affaire, nous avons violé le premier principe du chapitre 3 de l'ALENA, qui interdit le contingentement et les taxes à l'exportation. Nous avons fait fi des règles de l'accord dont nous disions qu'il était un compromis valable dans une situation difficile. L'accord n'a toutefois pas été maintenu. Une fois qu'il a cessé d'être en vigueur, nous nous sommes retrouvés à la case départ. Il me semble que nous n'avons d'autre choix que de porter l'affaire devant l'OMC.

M. Ouellet: À mon avis, nous devons avoir pour stratégie de nous adapter le plus souvent à l'attitude des Américains. Quand nous estimons qu'il est possible d'en arriver à un compromis raisonnable, nous devons le faire. Je ne pense pas que la position des Américains dans le dossier du bois d'oeuvre soit juste et raisonnable. J'estime par ailleurs qu'il faut que nous continuions à aller devant les tribunaux de l'OMC. Nous obtenons gain de cause quand nous y allons, alors j'estime qu'il faut continuer à le faire.

Le président: Monsieur Shrybman, vous avez dit quelque chose au sujet de contrats à court terme et de l'Office national de l'énergie, à savoir que 90 p. 100 des exportations de gaz en provenance des Maritimes n'ont pas besoin d'être approuvées par l'Office national de l'énergie. Dites-vous qu'on peut éviter en quelque sorte de se conformer aux exigences, qu'on peut s'en tirer en ne passant que des contrats à court terme?

M. Shrybman: Je ne le crois pas. Je suppose que je n'ai pas été assez clair.

Aux termes de l'article 118 de la loi, l'Office national de l'énergie doit, avant d'accorder un permis d'exportation, s'assurer que le gaz est excédentaire par rapport aux besoins canadiens. S'il délivre un permis en vertu d'un règlement et que le permis est pour une courte période, il n'a pas à s'occuper de protéger l'intérêt public. La proportion est de 90 p. 100 dans les Maritimes et elle est d'environ 75 ou 80 p. 100 dans le reste du Canada. La région des Maritimes ne fait pas vraiment exception ici.

Les entreprises américaines soutiennent que ces permis ne sont pas du tout des permis à court terme. Dès qu'un permis prend fin, il est remplacé par un nouveau permis, sinon nous serions en violation de l'obligation que nous avons de leur assurer un accès proportionnel aux ressources énergétiques canadiennes. Le chapitre 6 prévoit effectivement que le Canada doit assurer à perpétuité le flux proportionnel de ses ressources vers les États-Unis. Nous pouvons réduire notre production globale au Canada, mais si nous la réduisons du tiers au Canada, nous pouvons réduire nos exportations du tiers. Nous ne pouvons pas donner la préférence aux consommateurs canadiens qui pourraient être soumis au rationnement énergétique. Voilà le problème.

Les permis à court terme, sous prétexte qu'ils ne s'appliquent pas vraiment à long terme, ne sont pas soumis au critère des besoins futurs des Canadiens, mais les entreprises américaines soutiennent effectivement que, en vertu des règles de l'ALENA, ces permis ne sont pas vraiment des permis à court terme. Ils seront maintenus. C'est un bon argument.

Le sénateur Grafstein: Je crois que nous touchons là au coeur du coeur de notre relation commerciale avec les États- Unis, qui est l'essence même de notre mandat, s'agissant de ces mécanismes. Bien que 90 p. 100 de nos échanges se fassent sans aucune anicroche, ce sont les 10 p. 100 qui restent qui nous causent tant de pleurs et de grincements de dents. Il ne s'agit que de 10 p. 100. L'effet est bien sûr dévastateur dans le cas du bois d'oeuvre.

Voyons un peu quels sont les recours et ce que nous pouvons faire. Je crois que vous avez tous dit que nous devons améliorer notre processus de recours. Même M. Shrybman, qui n'est pas d'accord, pense aussi qu'il nous faut améliorer notre processus de recours.

Il serait utile que chacun de vous puisse remettre au greffier une liste des mécanismes qui sont prévus en vertu de quelque traité, convention ou pratique que ce soit dont vous avez connaissance et à partir desquels nous pourrions établir une liste complète des mécanismes de médiation. Cela nous serait très utile. Je pense que nous n'avons pas exploré cette question dans sa totalité du point de vue de l'intérêt public ou de l'intérêt privé.

Y a-t-il une différence entre les mécanismes de règlement des différends de l'Accord de libre-échange Canado- Américain et ceux de l'ALENA? Si les deux sont en contradiction, cette contradiction existe-t-elle toujours ou les deux ont-ils été fusionnés? Il s'agit là d'une question très détaillée, et j'aimerais bien vous entendre là-dessus.

J'ai une observation à faire au sujet de la dimension politique de la chose. Je suis d'accord avec le président et d'autres pour dire que nous rêvons en couleur si nous nous imaginons que le Congrès va améliorer les mécanismes de règlement de l'ALENA dans un avenir rapproché sans qu'il soit soumis à des pressions extraordinaires, pressions qui ne risquent guère de se produire à mon avis. Nous devons composer avec les mécanismes existants et essayer de les améliorer. Rien de ce que j'ai vu au cours des six ou sept dernières années ne permet de penser d'après moi que le Congrès serait disposé à renoncer aux recours que prévoit sa législation intérieure et auxquels il tient mordicus. C'est une situation dont nous devons nous accommoder. Je suis d'accord avec M. de Mestral pour dire que, si nous pouvions y arriver avec les moyens qu'il préconise, ce serait formidable. Cependant, les pressions politiques ne risquent guère de se faire sentir.

En partant de ce qui existe à l'heure actuelle, avez-vous examiné la portée du mandat de la CMI afin de déterminer si nous pourrions y inclure certains des litiges transfrontaliers étant donné que cette institution est bien établie et qu'elle fonctionne très bien pour les deux parties? Je vous inviterais à examiner le mandat de cette commission pour voir s'il ne pourrait pas être élargi. C'est là un mécanisme qu'on utilise maintenant pour des domaines bien circonscrits. L'expertise scientifique est très bonne des deux côtés. Les tribunaux existent déjà et fonctionnent bien. J'ai l'impression qu'ils pourraient être utilisés dans un contexte plus vaste. Nous allons faire venir des représentants de la CMI, et je me demandais si, en votre qualité de juristes, vous aviez une opinion là-dessus et si vous pensez comme moi que nous pourrions élargir le mandat de la CMI afin qu'elle puisse aussi être utilisée comme mécanisme de règlement des différends.

Enfin, sur le plan intérieur, je suis d'accord avec M. de Mestral pour dire que nous n'avons pas du tout fait appel à la législation américaine intérieure pour ce qui est des mécanismes de règlement de ces différends. Dans le dossier du bois d'oeuvre, je crois que nos producteurs pourraient facilement contester les mesures américaines devant les tribunaux américains, parce qu'elles ne satisfont pas au critère de l'application régulière de la loi aux termes de la législation intérieure des États-Unis, de la Constitution américaine. Qu'est-ce que j'entends par là? En gros, les Américains sont intervenus directement dans un processus administratif et ils sont intervenus sur le plan politique, par l'entremise de l'exécutif et du législatif. À mon avis, d'après ce que j'ai entendu dire, ils ont effectivement entravé l'application régulière de la loi devant ces tribunaux. Avez-vous exploré cette question, et pensez-vous qu'il vaudrait la peine de faire appel à ces recours intérieurs des Américains?

M. de Mestral: Je ne demanderais pas mieux que d'examiner d'autres recours. Je me suis surtout concentré jusqu'à maintenant sur la communauté européenne, sur l'effet direct des lois et sur leur application d'une façon assez circonscrite. Il y aurait toutefois d'autres façons de procéder, c'est sûr. Je propose que nous examinions tous les mécanismes existants, y compris tout ce qui est prévu dans l'ALENA, et que nous essayions de les renforcer. Je serais heureux de vous faire part des autres idées que je pourrais avoir.

Sur le plan technique, la différence entre l'ALE et l'ALENA, c'est que le premier serait de nouveau en vigueur si l'autre disparaissait; mais, pour l'instant, les mécanismes de règlement des différends de l'ALE sont clairement englobés dans l'ALENA qui, à bien des égards, va plus loin. Il y a quatre procédures qui sont prévues dans l'ALENA. Chacune à sa façon va plus loin que ce qui est prévu dans l'ALE. L'ALE n'est pas complètement disparu. Il vaut toujours pour l'agriculture. Il serait ressuscité si l'ALENA disparaissait.

Vous êtes mieux placés que moi pour juger de l'humeur du Congrès américain, mais j'ai toujours supposé qu'il n'était guère possible de négocier avec le Congrès américain. C'est pour cette raison que j'oriente mes efforts sur un autre front. Le Canada et les États-Unis sont des sociétés où l'on fait beaucoup appel aux tribunaux. Nous avons accepté le chapitre 19, pour le meilleur ou pour le pire, et son application s'est adaptée à la réalité de nos deux sociétés assez promptes à faire appel aux tribunaux. J'essaie de voir s'il pourrait y avoir moyen d'intégrer cela en quelque sorte avec l'application des dispositions de l'ALENA dans des domaines bien circonscrits.

Il est certainement tentant de vouloir recourir à la CMI. Elle existe depuis 1909, mais elle fait des recommandations, sans plus. C'est peut-être là ce qui explique en partie son succès — à savoir que personne n'a à la craindre au bout du compte, car elle n'a de force que dans la mesure où les arguments qui lui sont présentés sont valables. Elle a fait un travail d'enquête extraordinaire pour ce qui est, par exemple, de savoir si la Commission canadienne du blé fait bien les choses que les Américains l'accusent de faire, même si un groupe spécial de règlement des différends a déjà statué par la négative. Peut-être qu'une enquête parfaitement impartiale menée par un organe comme la CMI pourrait aider à mettre les choses au point. Je n'exclurais certainement pas cette possibilité. Cet organe pourrait faire des recommandations, des rapports et des enquêtes. Je ne pense pas qu'il pourrait rendre des décisions cependant.

Je ne suis pas vraiment en mesure de vous dire s'il y a eu violation technique de l'application régulière de la loi en raison des interventions plutôt vigoureuses de la coalition sur le bois d'oeuvre. Peut-être que les avocats américains qui connaissent le droit administratif américain seraient mieux en mesure de vous répondre.

Le président: Monsieur Shrybman, voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Shrybman: J'aimerais faire trois commentaires. Tout d'abord, on a demandé quelles étaient les différences entre l'ALE et l'ALENA. Il y a une différence — soit les différends opposant un investisseur et un État, ce qui est prévu dans l'ALENA mais ne l'était pas dans l'ALE. C'est toute une innovation en droit international que d'accorder à des sociétés qui ne sont nullement liées par cet accord le droit de nous poursuivre devant des tribunaux internationaux et d'obtenir que le Canada leur verse des dommages-intérêts.

De plus, je dois rappeler à ceux qui disent qu'il nous faut de nouveaux mécanismes de règlement des différends qu'il ne faut pas oublier les répercussions sociétales plus générales. Je sais que le différend avec les États-Unis dans le dossier du bois d'oeuvre est très agaçant; il coûte très cher à l'économie canadienne. Cependant, je ne crois pas que nous puissions nuire plus au Canada que nous l'avons fait lorsque nous avons créé ce mécanisme de poursuites opposant un État et un investisseur qui nuit à l'intégrité des institutions constitutionnelles d'un pays, comme les tribunaux canadiens. Nous devons être conscients de ces conséquences avant de proposer de nouvelles solutions qui semblent peut-être être une réponse pragmatique à un problème pratique particulier, si on ne tient pas compte du contexte plus général.

Quant à lui, le commerce des marchandises suscite moins de préoccupations. Comme nous le savons, le différend dans le dossier du bois d'oeuvre porte sur le commerce international des marchandises. Pour ce qui est des services, des investissements et de la propriété intellectuelle, cela touche la politique publique canadienne, ce qui a peut-être très peu à voir avec les relations internationales, à l'exception du fait que les gouvernements canadiens font peut-être certaines choses que les investisseurs étrangers et les grandes sociétés n'aiment pas. Lorsque nous créons des mécanismes de règlement des différends, indépendants de notre Constitution et de nos tribunaux canadiens, pour régler des différends qui intéressent la politique publique et les lois nationales, c'est un gros problème. Je me dois de rappeler à ceux qui cherchent de nouvelles façons plus pratiques de régler ces irritants internationaux qu'il ne faut pas oublier le contexte plus général.

Enfin, je me tournerais plutôt vers l'OMC et des solutions multilatérales. Je ne crois pas que nous soyons dans une meilleure position aujourd'hui parce que nous dépendons dans une plus large mesure du commerce avec les États-Unis que ce n'était le cas avant la signature de l'ALENA. Il vaut mieux ne pas mettre tous nos oeufs dans le même panier. Il vaudrait mieux que nos politiques commerciales internationales soient plus diversifiées. Nous nous trouvons dans une meilleure situation, tout particulièrement dans le contexte nord-américain où nous nous trouvons à côté de cet énorme éléphant où nous pouvons investir nos ressources dans des solutions multilatérales.

[Français]

M. Ouellet: Essentiellement, les cinq questions du sénateur Grafstein portent sur le règlement des différends et sur l'attitude politique que l'on peut trouver de part et d'autre de la frontière. Que ce soit sous le chapitre 19, sous le chapitre 20 ou plus directement sur les questions comme le bois d'oeuvre qui touchent l'application des lois nationales, on en revient toujours à une certaine volonté politique de protection, à une certaine attitude qu'il faut combattre. Les mécanismes dont on se dotera ou qu'on essaiera d'améliorer — il faudra bien travailler avec ceux qu'on a déjà — devront à chaque fois être des obstacles à cette attitude politique. Il faudra toujours trouver des mécanismes qui apaiseront l'effet de cette volonté politique.

Vous avez entièrement raison quand vous soulevez le problème d'une certaine attitude du Congrès. Que peut-on faire à l'encontre de l'attitude du pouvoir législatif de l'autre partie? Nous serions les premiers à nous plaindre d'une intrusion dans nos pouvoirs législatifs. Chaque fois, il faut pouvoir insister sur une division des pouvoirs, mettre l'accent sur la nécessité de régler les litiges sans intervention outrancière du pouvoir politique. C'est à cela que les institutions doivent et devront servir.

Nous sommes effectivement devant un problème sérieux. Nous sommes devant une attitude qui peut changer selon le contexte des relations entre les deux pays. Il faudra toujours pouvoir trouver une façon d'extirper, je dirais, les dossiers d'une influence trop forte du pouvoir politique américain.

[Traduction]

Le sénateur Graham: Monsieur de Mestral, je n'ai pas entendu votre présentation, mais j'ai écouté avec beaucoup d'intérêt les commentaires du sénateur Austin qui semblent indiquer — si je me souviens bien — que vous appuyez la création d'une union douanière. Est-ce exact?

M. de Mestral: C'est exact.

Le sénateur Graham: Le comité a entendu bon nombre de témoins qui sont venus discuter d'une union douanière — certains ont dit que c'était hors de question, que ce n'était pas réaliste tout simplement. Un témoin a dit qu'il appuyait la création d'une union douanière. D'autres témoins ont indiqué que ce serait peut-être possible plus tard. Pensez-vous que nous devrions songer à créer cette union douanière et que nous devrions agir le plus tôt possible?

M. de Mestral: Je pense que ce serait préférable. L'intégration de l'économie canadienne à l'économie américaine est déjà plus marquée que l'intégration entre plusieurs des pays membres de l'Union européenne. Le niveau d'intégration de l'économie canadienne est absolument extraordinaire. Compte tenu de cette situation, il vaudrait mieux éliminer le genre d'obstacles qui sont créés par notre accord de libre-échange et choisir plutôt, par exemple, une union douanière où les marchandises circulent librement.

À la suite des événements de New York, on nous demande tout compte fait de créer un périmètre externe, ce qui est après tout la nature même d'une union douanière. Il n'y aurait donc plus de barrière douanière entre les deux pays. On nous demande de créer quelque chose qui ressemblerait à l'accord de Schengen qui élargit le concept même de l'union douanière. Ce serait parfaitement naturel de procéder de cette façon.

Évidemment, il faut se demander si nous pourrions nous adresser aux États-Unis et dire officiellement: nous voulons une union douanière, voici ce que nous devrions obtenir, laissez-nous négocier? Je crains que nous ne puissions pas obtenir lors des négociations le genre d'institutions nécessaires. Il est fort peu probable que nous puissions négocier une union douanière officielle.

Dans mon texte, j'ai proposé des méthodes qui nous permettraient de nous orienter dans cette voie lentement mais sûrement.

Le sénateur Graham: Ne pensez-vous pas que nous serions écrasés par les États-Unis? Dans la négative, est-ce réaliste de penser cela?

M. de Mestral: À bien des égards nous vivons déjà dans une union douanière virtuelle, sans en connaître les avantages juridiques. Aussi bien aller dans ce sens.

Je partage les préoccupations de mon collègue, M. Shrybman, à l'égard de la politique publique, mais il ne faut pas oublier l'exemple de l'Union européenne, où il existe l'équivalent d'un droit constitutionnel de libre circulation des services, des marchandises, des personnes et des capitaux. Vous arrivez à une frontière et, si on vous arrête, vous communiquez avec votre avocat et vous ou vos marchandises traversez cette frontière. Constitutionnellement, on ne peut pas vous empêcher de traverser la frontière. Pourtant, les institutions publiques, la santé publique, l'éducation publique, toutes les valeurs publiques que nous partageons et que nous désirons ardemment défendre au Canada ont survécu dans l'Union européenne et n'y sont pas attaquées. Je crois qu'on peut faire la même chose en Amérique du Nord. Je partage certaines des préoccupations manifestées à l'égard de la défense des valeurs canadiennes, mais je crois qu'il sera possible de faire coïncider les intérêts des deux pays.

Le sénateur Graham: Monsieur Shrybman, pouvez-vous répondre à la même question? Reportons-nous aux grands débats de 1988, quand ceux qui s'opposaient à l'ALE faisaient valoir comme principal argument que nous n'avions pas un accès garanti au marché américain et qu'il n'existait pas de mécanisme exécutoire de règlement des différends. Je pense que ce sont les deux grands arguments employés par ceux qui s'opposaient à l'ALE.

Monsieur Shrybman, vous avez dit que vous n'étiez pas un partisan de la libéralisation des échanges commerciaux; vous avez dit que l'ALENA n'avait pas bien servi la cause du Canada et que ceux qui disent le contraire ne peuvent pas vraiment le démontrer. Pourtant, certains disent que des millions d'emplois ont été créés pour les Canadiens grâce à l'ALE et grâce à l'ALENA. Je suppose que vous pourriez dire que des millions d'emplois ont peut-être été perdus en raison de ces deux accords.

D'après vous, l'ALE et l'ALENA ont-ils été à l'avantage du Canada à certains égards? Peut-être pourriez-vous également faire quelques commentaires sur l'union douanière.

M. Shrybman: C'est une question fort intéressante. En fait, on ne m'a jamais demandé si je voyais des avantages à ces accords.

Je suppose que non. La solution de rechange aurait été l'Organisation mondiale du commerce. Essentiellement, cette organisation représente un accord plus avantageux. En effet, elle arrive à limiter dans une certaine mesure l'unilatéralisme des États-Unis alors que l'ALENA n'y parvient pas. Les concessions que nous avons faites dans l'ALENA à l'égard du secteur énergétique créent de graves problèmes. L'intégration de dispositions d'exécution privée dans les mesures visant les investissements dans l'ALENA présente un problème. N'oubliez pas que je vous ai dit que lorsque je signale que ces accords n'ont pas été vraiment à l'avantage de l'économie canadienne, c'est là mon parti pris et non pas l'opinion d'un expert.

Cependant, des experts en sont venus à certaines conclusions: La plus grande partie du commerce du secteur manufacturier canadien avec les États-Unis touche le secteur de la production automobile et des pièces automobiles. Nous n'aurions pas d'industrie automobile, c'est ce que je pense, si ce n'était le Pacte de l'automobile. Ce pacte est fondé sur un principe bien simple: Si vous voulez avoir accès aux marchés canadiens, vous investirez dans l'économie canadienne. Si vous voulez vendre des automobiles au Canada, vous fabriquerez des automobiles ici. Cela va bien simplement complètement à l'encontre des principes du libre-échange. Il s'agit d'une entente protectionniste. Je sais que lorsque nous livrons concurrence à d'autres pays pour des investissements étrangers dans le secteur de l'automobile, il est question d'importantes subventions gouvernementales.

Je suis convaincu que les sénateurs connaissent mieux la question que moi, mais j'ai lu des articles récemment qui faisaient état de subventions très importantes qu'envisage le gouvernement pour encourager la construction d'une usine de fabrication automobile simplement parce que nous n'avons pas ce principe au Canada. Je sais également que compte tenu de la valeur du dollar canadien et des subventions importantes offertes par le secteur des soins de santé aux fabricants d'automobiles, il serait possible que nous n'ayons pas besoin du Pacte de l'automobile demain. Je crois que nous avons beaucoup plus d'investissements au Canada en raison de ces facteurs que ne le nécessite le Pacte de l'automobile.

Le commerce avec les États-Unis dans le secteur manufacturier est souvent cité comme exemple du succès de l'ALENA, mais pourtant ce n'est pas le cas. C'est pourquoi j'ai dit que ces déclarations ne tenaient pas lorsqu'elles étaient étudiées de plus près. Un grand nombre des autres échanges commerciaux que nous avons avec les États-Unis existeraient de toute façon. C'est certainement le cas pour les ressources non transformées. Je crois que nous n'aurions pas de différend avec la coalition du bois d'oeuvre américaine si nous pouvions exporter des billes non transformées aux États-Unis. Ce différend repose sur la notion de valeur ajoutée au Canada. Si nous n'ajoutons pas de valeur, les États-Unis sont très heureux d'acheter nos ressources minières ou énergétiques, et ces échanges commerciaux auraient lieu que l'ALENA existe ou pas. Il faut étudier de près les déclarations de ceux qui chantent les louanges de l'ALENA.

Quant à l'union douanière, je regrette de ne pas être en mesure de vous offrir un avis d'expert; cependant je désire signaler que dans l'Union européenne, il existe une institution parlementaire dont le mandat touche tous les pays membres. Personne ne propose un système semblable dans le contexte nord-américain. Si nous cédons la compétence et la souveraineté de nos parlements et de nos tribunaux, elles disparaissent. Cette compétence et cette souveraineté ne sont pas confiées à une institution supernationale qui peut défendre toute la gamme d'intérêts publics qui pourraient être en jeu lorsque de grandes sociétés et des nations ont des différends commerciaux. C'est une distinction très importante.

De plus, le Traité de Rome et d'autres ententes européennes assurent des engagements à l'échelle de la communauté européenne à l'égard de la protection environnementale et de la prestation de services sociaux et publics et il s'agit là de choses qui ne sont aucunement garanties dans le droit international dans le contexte nord-américain. Quant à la possibilité de céder la souveraineté et la compétence de nos tribunaux à une institution nord-américaine quelconque, il ne faut pas oublier qu'en Europe il y aurait un certain équilibre entre les grands joueurs économiques, la Grande- Bretagne, la France, l'Allemagne et les autres. Dans le contexte nord-américain, il y a lieu de s'inquiéter de la situation car les deux joueurs sont loin d'être de la même taille.

Le président: Le sénateur Grafstein et moi étions membres de ce comité en 1988 lorsque le Canada a négocié l'Accord de libre-échange. Nous nous souvenons bien de ces arguments. Évidemment, l'OMC n'existait pas alors. L'organisation a été créée depuis et c'est une des choses qui a changé le monde des relations commerciales.

[Français]

Le sénateur Corbin: Ce que vous nous avez dit, eu égard au comité 2022, au sujet du panel pour le règlement des différends privés, est certainement l'histoire la plus étrange que j'aie entendue à ce comité jusqu'à présent. Que des personnes consentent, à leurs frais, à se rendre sur place, peu importe où la réunion a lieu, que ce soit au Maine, au Colorado ou au Mexique. Ils y vont, à leurs frais, ils doivent payer toutes leurs dépenses. Je présume que la même règle s'applique à tous les autres membres d'un tel panel, qu'ils soient de l'entreprise privée ou ailleurs. Qu'est-ce qui motive un de vos collègues à se déplacer, à ses frais, pour assister à de telles réunions? Est-ce tout simplement pour ajouter une petite note à son curriculum vitae? D'ailleurs je présume qu'il est en mesure d'apporter quelque chose au règlement des différends. Je trouve ce genre d'exercice tout à fait étrange. Je n'ai jamais entendu parler d'une pareille affaire dans toute ma sainte vie. On sait que le gouvernement et l'entreprise privée déboursent des sommes énormes pour défendre leurs intérêts. J'aimerais avoir un élément d'information additionnel pour que je puisse comprendre ce qui motive ces gens. Si ce n'est pas la charité chrétienne, c'est quoi?

M. Ouellet: Les deux personnes que j'ai rencontrées à ce sujet me disent que les autres comités de l'ALENA sont essentiellement formés de membres de la fonction publique. Donc les frais ne relèvent pas de la poche des personnes qui participent à ces comités. Le comité 2022 a ceci de particulier qu'il touche les différends privés et ce sont des gens de l'industrie et des universitaires qui sont amenés à participer à ce comité.

Vous pourrez vérifier, dans la grande majorité des cas, lors de la tenue de ces réunions, lequel de mes 51 collègues est membre du comité 2022 et il est facile à retrouver. Il doit avancer l'argent de ses poches. J'imagine que ce qui le motive, je veux pas parler pour lui, c'est l'établissement de contact. C'est un comité qui a aussi des travaux relativement utiles et je pense qu'ils veulent que cela marche. Je suis comme vous, j'ai été sidéré d'apprendre la chose. L'autre personne qui m'en a parlé est un avocat chez McCarthy Tétrault, à Québec. Sa présence dans une grande firme canadienne fait que l'employeur accepte de bon gré de défrayer les coûts de sa participation au comité. Il faut avoir les reins solides pour pouvoir suivre les travaux du comité et cela a m'a jeté sur le dos d'apprendre qu'il faut avancer les sous pour participer aux travaux du comité.

Le sénateur Corbin: N'êtes-vous pas en train de proposer à ce comité que nous fassions une recommandation qui aurait pour but de couvrir les frais de ces personnes?

M. Ouellet: Je pense — je ne venais pas ici lancer une recommandation très concrète — qu'il n'est pas normal que l'ensemble des frais ne soit pas couvert. On me dit qu'il y a des frais minimes qui sont couverts pour la participation des membres de ce comité et je ne comprends pas que ce soit le cas.

[Traduction]

Le sénateur Corbin: Les Américains contrôlent pleinement les exportations de gaz de l'île de Sable vers les États- Unis. Je comprends pourquoi, monsieur Shrybman, vous avez abordé la question comme vous l'avez fait. Je ne m'oppose pas à ce que vous avez dit. Cependant, nous avons rencontré certains des promoteurs et on nous a dit très clairement qu'il était hors de question d'acheminer du gaz par le nord-ouest du Nouveau-Brunswick vers le reste du Canada par pipeline à moins que le gouvernement ne fournisse des subventions. La politique actuelle du gouvernement, et c'est la même qui existe depuis déjà bon nombre d'années, est qu'aucune subvention n'est offerte pour les gazoducs. C'est regrettable parce que nous devons penser d'abord et avant tout au Canada lorsque nous parlons de nos ressources et de l'épuisement de ces ressources. Il faut donc absolument, dans le cadre d'une stratégie nationale de l'énergie, assurer un lien entre tous les champs canadiens. Ce serait prudent de le faire.

Je comprends ce que vous avez dit, mais à titre de Néo-Brunswickois, je regrette sincèrement que nous n'ayons pas pu établir un réseau de gazoduc national entre les champs de l'Ouest et les champs de l'Est, actuels et potentiels.

Voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Shrybman: J'espère que ce réseau est toujours possible. J'ai lu que l'on avait décidé de mettre en attente, pour l'instant, l'aménagement du gisement de Deep Panuke. On craint qu'en constituant toute cette infrastructure — ce lien pratiquement direct avec les États-Unis — et en augmentant leur capacité et en permettant aux promoteurs de signer des contrats à long terme avec la société du gazoduc, nous nous empêchions de desservir les marchés canadiens et de créer une infrastructure qui permettrait de compléter le réseau canadien.

Mes clients s'inquiètent du fait que ce réseau ne soit pas encore complété et insisteront pour qu'il le soit. Nombre d'entre eux travaillent dans les papeteries du nord-est et du nord-ouest du Nouveau-Brunswick. Ils craignent un désavantage concurrentiel. La déréglementation du secteur de l'électricité récemment annoncée par la province pourrait rendre les choses encore plus difficiles.

Le statu quo présente des problèmes. Cette situation doit être étudiée. J'espère qu'on agira dans ce dossier.

Le sénateur Corbin: Je vous remercie d'avoir fait ces commentaires officiellement.

Le président: Je tiens à remercier les témoins d'être venus nous rencontrer aujourd'hui.

La séance est levée.


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