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RPRD - Comité permanent

Règlement, procédure et droits du Parlement

 

Délibérations du Comité du 
Règlement, de la procédure et des droits du Parlement

Fascicule 16 - Témoignages du 10 juin 2003


OTTAWA, le mardi 10 juin 2003

Le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement se réunit aujourd'hui à 9 h 35 afin d'examiner la proposition de modification de la Loi sur le Parlement du Canada (commissaire à l'éthique) et de certaines lois en conséquence et la proposition de modification du Règlement du Sénat et du Règlement de la Chambre des communes visant à mettre en oeuvre le Rapport de Milliken-Oliver de 1997, déposés au Sénat le 23 octobre 2002.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, nous avons la chance d'accueillir ce matin le professeur Hudon, de l'Université Laval. Il nous a fait parvenir une copie de son mémoire. Le Service de traduction qui en avait copie a, nous ne savons trop comment, perdu quatre pages du texte. C'est pourquoi la traduction vers l'anglais n'est pas encore complète. On nous a dit que les quatre pages manquantes devraient nous parvenir vers 10 h 30 ce matin.

Professeur Hudon, nous nous en remettons à vous.

[Français]

M. Raymond Hudon, professeur, Université Laval: Madame la présidente, je suis honoré d'être parmi vous ce matin pour parler d'un sujet que je considère extrêmement important et qui m'intéresse depuis déjà quelque temps. Le sénateur Joyal me signalait, il y a quelques minutes, que ce n'était sûrement pas la première fois que je parlais de ce sujet. Effectivement, lors de mes étudies, mon mémoire de maîtrise portait sur le patronage politique. Je m'intéresse spécialement au cas des lobbyistes, dont on a failli parler il y a quelque temps à ce comité, si ce n'avait été d'une annulation de dernière minute.

Je voulais simplement vous dire que c'est un sujet que je trouve extrêmement important. Je vais apporter quelques nuances ce matin, au sujet de certaines positions que l'on rencontre couramment à ce propos.

[Traduction]

Si on m'a invité à titre d'expert, j'aimerais signaler qu'à mon avis les experts fournissent de très bonnes réponses à leurs propres questions. Je ferai de mon mieux ce matin pour répondre aux vôtres. Je voulais bien qu'on comprenne ma position.

Puisque vous n'avez reçu mon mémoire qu'assez tard hier soir, je me contenterai de faire de brefs commentaires liminaires avant de répondre à vos questions.

La note suivante qui figure sur la page titre de mon document est très importante:

Selon le voeu formulé lorsque fut lancée l'invitation, ce document aborde le projet de Code de déontologie des sénateurs d'un point de vue général, visant à définir les conditions et le contexte qui en constituent l'arrière-plan. De plus, la présentation emprunte plus au style de l'écrit universitaire qu'a celui du discours politique. Il convient donc de lire le texte avec cette double optique. Même s'il est concevable que les considérations de ce type auraient dû survenir plus tôt dans le processus d'élaboration et d'adoption du code, il est souhaité qu'elles demeurent pertinentes et utiles.

Je présente une toile de fond pour ce code dont vous discutez. Passons donc au résumé: les titulaires de charge publique sont, dans les sociétés démocratiques contemporaines, pressés de se doter de règles de conduite relatives à l'exercice de leurs fonctions dans le domaine public.

Je crois qu'il s'agit là d'un phénomène universel, tout au moins dans les sociétés démocratiques occidentales.

Cette demande d'éthique, ou plus exactement de déontologie, vient en bonne partie d'une laïcisation de la vie publique. Les gens ont besoin de lignes directrices. Autrefois, lorsque j'étais jeune, les prêtres et l'Église nous disaient ce qui était bon pour nous et ce qui était bon pour tout le monde. Aujourd'hui, les gens ont toujours besoin de lignes directrices, et la demande d'éthique doit être liée à ces lignes directrices. La demande d'éthique vient d'un approfondissement des pratiques et aspirations démocratiques, ces dernières étant plus spécialement caractérisées dans l'histoire récente par une plus forte revendication de transparence.

À mon avis, ce qui a changé dans les systèmes démocratiques au cours des vingt ou trente dernières années, c'est justement cette revendication de transparence. Pensons par exemple...

[Français]

... l'accès à l'information et le financement des partis politiques...

[Traduction]

... qui fait actuellement l'objet d'un débat à la Chambre des communes.

[Français]

... c'est-à-dire le rôle et le pouvoir du vérificateur général, les protecteurs, les ombudsmans.

[Traduction]

À mon avis, la transparence est le changement le plus important qui se soit produit au sein des démocraties occidentales au cours des vingt ou trente dernières années. Ce code, et les autres codes, doivent être liés à cette évolution. Cette transparence s'accompagne toutefois d'un certain affaiblissement de l'autorité politique.

[Français]

Les titulaires de charges publiques, les politiciens comme ils sont et, comme j'aime dire parfois, sont des êtres humains tout simplement. On réalise qu'ils ont aussi leurs faiblesses et de ce fait l'autorité n'est plus automatique et ne vient plus seule. Elle ne vient plus comme celle qui découlait, par exemple, d'un être tout puissant que certains appellent Dieu. Il y a des imperfections et les politiciens, les titulaires de charges publiques sont des êtres humains comme les autres. On me pose parfois la question: «Alors ne voulez-vous pas plus d'exigences à l'égard des titulaires de charges publiques et des politiciens?» Je dis oui, mais si je devais exiger d'eux et d'elles qu'ils soient parfaits, ils ne pourraient plus me représenter.

[Traduction]

Si les débats qui entourent la progression d'une morale politique ne vont pas toujours sans excès — et je le signale dans mon mémoire — il est remarquable que le public se montre capable de distinctions qui l'empêchent d'assimiler toute conduite jugée irréprochable à l'univers de la corruption.

[Français]

Ils sont capables de distinguer, de faire la différence entre corruption et conflit d'intérêts, qui ne sont pas exactement la même chose.

[Traduction]

Dans cette même perspective d'une appréhension plus fine des réalités, les conflits d'intérêts méritent une attention particulière. En bout de course, il convient de rappeler que les problèmes politiques ne reçoivent pas forcément le traitement le plus adéquat par des voies morales ou juridiques.

[Français]

Les problèmes politiques ont besoin d'être traités politiquement. On ne traite pas toujours les problèmes économiques en termes politiques. On ne traite pas les problèmes politiques en termes exclusivement légaux. On ne traite pas les problèmes politiques exclusivement en termes moraux.

Dans ma présentation, je mets cela en relief. La politique est en soi une activité morale, mais elle ne peut pas être soumise exclusivement à la morale, car à ce moment-là, on la détourne de ses objectifs et de ses fins.

[Traduction]

Le déficit de confiance qui affecte les institutions politiques et les titulaires de charge publique — notamment ceux qui y ont accédé par les canaux partisans — commandent toute une série d'interventions. Le projet de code de déontologie des sénateurs constitue une contribution indiscutablement intéressante dans l'effort de réhabilitation des politiques auprès du public.

[Français]

Je précise que le public, les citoyens font aussi la différence. Ils font des distinctions entre ce que l'on dit parfois, souvent même, à l'égard des titulaires de charges publiques, les politiciens et ce qu'ils en pensent réellement.

Dans le fond, les enquêtes au Canada montrent bien que les citoyens et les citoyennes sont conscients des exagérations, des caricatures que parfois on leur présente dans les médias au sujet des titulaires de charges publiques et des politiciens.

Il y avait la semaine dernière un commentaire intéressant de M. Michel Vastel, que quelques-uns d'entre vous connaissent, chroniqueur au Droit et au Soleil, qui disait, en réaction à la démission de la ministre Julie Boulet du Québec, qui a dû démissionner même avant de siéger à l'Assemblée nationale — elle est la propriétaire d'une pharmacie — parce que des compagnies pharmaceutiques avaient donné des cadeaux d'une valeur de 1 500 $, cadeaux qu'elle avait redistribués à ses clients. Elle a dû démissionner et M. Michel Vastel commentait dans Le Soleil, je le cite: «Si les journalistes étaient capables de s'imposer les mêmes règles qu'ils demandent aux politiciens...» Vous comprenez?

Je ne dénonce pas le rôle de chien de garde de la presse. Il faut que ce rôle soit exercé avec vigilance. Cependant, il faudrait faire appel à plus de modération ou à un sens des responsabilités un peu plus poussé. Je crois que le danger le plus important dans nos sociétés vient non pas de la mauvaise conduite de certaines personnes qui sont titulaires de charges publiques, mais elle vient du cynisme que l'on entretient au sein de la population à cet égard.

[Traduction]

Enfin, son adoption risquerait cependant de créer une illusion si elle ne devait pas être complétée d'une série d'autres mesures visant à améliorer la relation entre les institutions publiques et la société civile. Je ne suis pas tout à fait heureux de l'expression employée en anglais «will probably have little impact». J'entends par là que si le code doit être adopté, il doit s'accompagner d'autres mesures.

Il s'agissait là d'un résumé de mon document. J'aimerais faire quelques commentaires supplémentaires. Après avoir reçu l'appel du sénateur Joyal, j'ai rédigé ce document. Ce n'est que plus tard que j'ai lu les délibérations de votre réunion du 28 mai. J'ai alors constaté que j'avais répondu à certaines questions que vous aviez posées il y a quelques semaines. Je n'avais pas lu les délibérations de ces réunions avant de rédiger mon texte.

D'après ce que j'ai lu de vos délibérations d'il y a quelques semaines, vous êtes sans aucun doute conscients du fait que des règles comme celles-ci, comme le code, doivent être pensées, conçues et appliquées dans un contexte bien particulier. Je ne sais pas ce dont vous avez discuté hier. Je sais que vous avez entendu un témoin hier qui vous a parlé de la Chambre des lords. À cet égard je me contenterai simplement de dire que nous devons penser aux mesures comme le code dans un contexte particulier.

[Français]

La morale et l'éthique sont aussi des questions de culture. En Amérique du Nord, on ne pense pas les règles d'éthique comme on les pense en Europe. Je racontais tantôt à votre présidente que, comme vous le savez tous, au Parlement britannique, les députés peuvent siéger et aussi recevoir des revenus de leur travail en tant que lobbyistes. Le gouvernement Blair, ou le précédent, fut le premier à faire cela. Pas moins de 40 députés siégeaient à la Chambre des lords et avaient des revenus comme lobbyistes ou représentants d'intérêt. Au Bundestag allemand, au début des années 90, j'avais été surpris moi-même, mais cela dit bien ce que cela veut dire: autre culture, autre règle. Même si les Allemands ne sont pas tout à fait laxistes sur les questions de morale et d'éthique dans le secteur public, on pouvait noter que le président d'une commission parlementaire sur l'habitation est en même temps président de l'Association des constructeurs. Ce qui est tout à fait inconcevable dans le contexte nord-américain.

J'ajouterais un dernier point qui me semble important et qui permettra de dissiper des ambiguïtés dans le discours qui concerne les institutions publiques et les titulaires de charges publiques. Dans une étude australienne que je cite, on fait remarquer que les élus — parce que le Sénat est élu là-bas — sont moins réfractaires à adopter un code comme celui dont on discute aujourd'hui avec l'expérience des institutions. Leur expérience dans les institutions les rend de moins en moins réfractaires à l'adoption de telles mesures. Cependant, lorsqu'ils proviennent des partis ou qu'ils sont très collés au parti politique, ils présentent beaucoup de résistance à l'adoption de telles mesures. Ce n'est peut-être pas par hasard que les Canadiens font cette distinction selon les études disponibles entre les institutions démocratiques auxquelles ils font confiance, les titulaires de charges publiques à l'égard desquelles ils entretiennent quelques suspicions, et les partis politiques à l'égard desquels ils sont extrêmement critiques.

[Traduction]

La présidente: Je dois signaler à mes collègues que je crois qu'il nous sera utile de lire votre document quand même, même si vous jugez qu'il n'est plus pertinent parce que nous avons déjà abordé certaines de ces questions; nous les avons peut-être abordées, mais nous n'avons encore rien réglé. Vous avez présenté un autre document intitulé «Règles éthiques comparées: fondements et applications» qui est à la traduction. Dès que le document aura été traduit, tout le monde en recevra copie.

Le sénateur Rompkey: Je suis tout particulièrement intéressé par deux des commentaires que vous avez faits. Vous avez dit au début de votre intervention que la demande d'éthique est un phénomène universel. Vous avez dit qu'il existe une revendication de transparence et que les gens ont besoin de lignes directrices. Je le reconnais.

Je note également votre citation de Michel Vastel et le commentaire de ceux qui sont d'avis que les journalistes jugent les politiciens en fonction de normes qu'ils ne respectent pas eux-mêmes. Ce commentaire m'a frappé parce qu'il me semble qu'au fil des ans il a été très difficile de dialoguer avec les journalistes et encore moins de les convaincre de changer leur fusil d'épaule. Ils semblent avoir une opinion bien arrêtée qui leur est communiquée par leur rédacteur en chef.

Peu importe ce que nous faisons, même lorsqu'il y a correction d'erreurs, les journaux n'en parlent pas. Si les accusations de telles allégations figurent à la page 1, la correction, s'il en est, se trouvera à la page 17. Il est pratiquement impossible d'avoir un dialogue.

Toutefois, les médias sont le seul mécanisme dont nous disposons — à l'exception des sondages et autres mécanismes du genre — pour savoir ce que pense le public. Est-ce que les résidents du Nouveau-Brunswick s'attendaient aux résultats des élections hier soir? Il y avait eu certaines rumeurs, mais personne ne savait vraiment ce que le public pensait avant de voir le résultat du scrutin.

J'accepte vos commentaires. Je suis d'accord avec ce que vous dites sur le besoin d'une plus grande transparence et sur les attitudes du public. J'ai cependant également été intéressé par ce que vous aviez à dire sur les médias, et tout particulièrement par la citation attribuée à M. Vastel.

Je m'intéresse tout particulièrement aux autres mesures que vous avez mentionnées. Pouvez-vous nous en dire un peu plus long? Le code n'existe pas en vase clos, c'est bien clair; d'autres modifications doivent être apportées à l'institution si on veut que ce code soit efficace.

[Français]

M. Hudon: Si j'avais les réponses à votre question, je pourrais songer à une campagne au leadership. Aurais-je du succès? Je ne sais pas, mais au moins j'aurais quelques idées.

Il est très difficile d'imaginer un programme de mesures très précises. Je dis dans ma présentation que l'adoption d'un code pour les lobbyistes fait partie des mesures inévitables et nécessaires. Vous avez celui de la Chambre des communes et d'autres, dont celui qu'on vient d'élaborer au Québec qui est beaucoup plus développé que le code fédéral.

J'ose dire, au risque même de provoquer, que dans le train des mesures discutées par le Parlement à Ottawa, le projet de loi sur le financement des partis politiques est probablement celui qui va retenir le plus l'attention de l'imaginaire du public. Il aura le plus d'impact. C'est une hypothèse. Je parle de l'expérience québécoise pour la soutenir. La loi québécoise a été extrêmement importante. Adoptée depuis 1977, elle a permis, non pas de rétablir complètement la confiance des citoyens à l'égard des gouvernements et des politiciens, mais elle a amélioré grandement leur image. La loi québécoise sur le financement des partis politiques a servi de modèle durant très longtemps.

Ce n'est pas par hasard que les Québécois sont peut-être un peu moins cyniques. Ils sont très critiques. La politique a été longtemps notre sport national, après le hockey. Mais les Québécois sont moins cyniques à l'égard des politiciens parce qu'il y a eu un certain nombre de lois comme celle-là, entre autres, la Loi sur le financement des partis politiques. On peut penser à ces mesures. Je penserais à d'autres mesures qui ne cadrent pas précisément dans ces préoccupations morales et éthiques. Elles renvoient à l'amélioration des relations avec les citoyens.

Je suis bien conscient que la position des sénateurs n'est pas semblable à celle des députés, mais je crois que les sénateurs peuvent fournir un apport en établissant un contact avec les citoyens. Comment le faire? Je ne sais pas vraiment. Il y a deux ans, je me suis penché sur la question. Je regardais justement le Comité des standards au Parlement écossais. Il étudiait justement un projet de loi sur l'encadrement des lobbyistes. Il se donnait aussi un code de déontologie travaillé de manière extrêmement importante. Ce qui m'a intéressé plus spécialement dans le jeune Parlement écossais, c'est cet effort, cette préoccupation d'établir des liens avec la population écossaise.

Je pensais, par exemple, à ce Comité des pétitions publiques. Ce n'est peut-être pas la révolution absolue, mais j'avais cru noter que cet effort des parlementaires écossais avait eu un écho dans la population. Cela a pu servir d'exutoire, dans certains cas, mais dans d'autres cas, cela a donné lieu à l'adoption de lois. Il y a eu trois ou quatre depuis 1979 qui ont eu comme origine les pétitions publiques.

C'est une mesure extrêmement limitée et très imparfaite, mais c'est ce genre d'attitudes et de démarches que j'ai en tête quand je pense à des mesures complémentaires. Cela permet, en partie, de contourner le problème que vous souleviez au sujet de la presse. Je pense qu'il faut que les titulaires de charges publiques, les politiciens, élus ou non, soient conscients et convaincus que leurs relations avec les citoyens ne passent pas par les médias. Cela demande un investissement exigeant, bien entendu, mais un investissement de leur part pour être plus présent dans la population.

J'ai signalé plus tôt que la crise qu'on nous présente comme générale, globale, la crise des institutions politiques, la perte de confiance des citoyens, vise d'abord les partis politiques. Ce n'est pas sans précédent historiquement. Il y a un siècle aux Etats-Unis, on vivait à peu près la même situation. Il y avait un recul inquiétant des taux de participation électorale, comme on le constate aujourd'hui. Je ne sais pas quel a été le taux de participation au Nouveau-Brunswick, hier, mais le bas taux de participation, du moins dans le monde occidental, est un phénomène constant. Le Canada, la France, le Royaume-Uni, le Manitoba, le Québec, partout on a des taux de participation records et des taux de participation planchers.

On a vécu le même phénomène aux États-Unis au tournant du XIXe et du XXe siècle. Les partis ont traversé une grave crise. Il y avait, présumait-on à l'époque, une crise des institutions démocratiques. Mais il y a eu réorganisation des rapports entre les institutions publiques et la société civile. Cette restructuration s'est traduite par la fin du monopole du relais qu'exerçaient les partis entre la société civile et les institutions politiques. Une place plus grande était laissée aux groupes d'intérêt.

Tocqueville, dans De la démocratie en Amérique, dès les années 1830, parlait de l'importance des groupes aux États- Unis. Mais leur contribution à l'élaboration des politiques publiques a vraiment pris forme lors de cette crise à laquelle je fais référence maintenant. Je donne quelques références d'auteurs qui traitent de cette question. Il est très intéressant de consulter ces ouvrages avec le recul et dire qu'il y a peut-être des rapprochements à faire avec la situation actuelle.

On est dans le domaine des généralités; elles ont une incidence sur les questions traitées ici. On est probablement dans une période de reconfiguration, de restructuration des rapports entre les institutions politiques et la société civile. Cela a une incidence sur la conduite des affaires publiques et la définition des politiques publiques.

[Traduction]

Le sénateur Di Nino: Monsieur Hudon, je vous remercie de ces interventions fort intéressantes. Vous avez dit que le code devait être assorti d'autres mesures. Moi aussi je voulais vous demander de nous en dire plus long. Je pense qu'à titre de parlementaires, nous devons surveiller nos actions ainsi que celles de nos collègues. Je crois que nous devrions inclure dans ces autres mesures la réponse appropriée et opportune aux problèmes qui surviennent au lieu de simplement attendre que ces problèmes deviennent des scandales, réels ou perçus. Je pense, par exemple, à un ancien membre de cette institution dont l'absence avait suscité une vive controverse.

Ne convenez-vous pas qu'il serait important de créer, tout au moins à l'interne, une responsabilité, soit celle de protéger la réputation de l'institution et de ses membres? Nous ne devrions pas attendre d'être forcés par les médias ou par des plaintes du public avant d'intervenir. Nous devrions prendre l'initiative et agir de façon appropriée et en temps opportun. Qu'en pensez-vous?

[Français]

M. Hudon: Je vous dirais qu'il faut encourager ce type d'attitude. Il vaut mieux prévenir que guérir parce que parfois réparer les pots cassés peut coûter très cher. Parfois, ce n'est même pas récupérable parce que le mal est fait.

Une référence incontournable sur ces questions, M. Andrew Starck, de l'Université de Toronto, dit que sur la question des conflits d'intérêt on n'a pas le choix, il faut agir avant plutôt qu'après. Quand le mal est fait, il est difficile de se rattraper.

Maintenant j'ai un sérieux dilemme sur le type de mesures à prendre. Si l'on va trop loin, cela peut créer l'impression que les politiciens sont tellement faibles, qu'ils sont sujets à la vénalité constamment et qu'ils se laissent acheter n'importe comment. Il peut y avoir un effet pervers à aller trop loin, on risque de provoquer l'effet contraire.

Je réagis à des propos qui vont en ce sens, non pas pour décourager l'attitude que vous semblez prôner, absolument pas; je soutiens qu'il faut faire attention, qu'il y a des façons de présenter cela pour nous empêcher de tomber dans ce piège. Je réagis à quelqu'un qui demande des mesures extrêmement sévères à l'égard des titulaires de charges publiques et des politiciens en disant oui, il y a un paradoxe dans tout cela. On veut que les politiciens — et les titulaires de charges publiques plus globalement — deviennent absolument exemplaires. À force de les encadrer, on les disqualifie d'une certaine façon parce qu'ils sont perçus comme tellement faibles qu'ils ne peuvent plus agir eux-mêmes et ils n'ont plus d'autonomie morale et éthique.

Je sais que ce n'est pas une position majoritaire dans le contexte actuel. Je ne suis pas là pour plaire aux gens ou aux titulaires de charges publiques. Ce n'est pas mon rôle. Mais je pense que la politique mérite encore le respect dans nos sociétés. L'activité politique, pour moi, est une activité noble. Quand j'introduis la science politique et que je fais mon cours d'introduction à mes étudiants de première année, ils ont comme lecture obligatoire, en anglais, à Québec, In Defense of Politics. Je prends soin de leur dire que j'aime mieux être géré par le plus mauvais politicien que d'être dirigé par les militaires.

Cela fait image. En même temps, je veux signaler que l'excès de moralité produit des effets contraires à ceux recherchés. Ce n'est pas par hasard que le taux de pratique religieuse a baissé aussi subitement au Québec. Peut-être qu'en milieu urbain vous l'avez moins connue, mais en milieu rural d'où je viens, je sais ce que veut dire l'autorité morale qui nous encadre de façon abusive.

J'ai vraiment un dilemme. Oui, il faut imposer des règles, des règles plus sévères que celles que l'on impose aux citoyens moyens, parce qu'il y a une responsabilité. En même temps, il faut savoir ne pas aller trop loin. Autrement dit, je m'en prends au fondamentalisme éthique.

[Traduction]

Le sénateur Di Nino: Je suis heureux que vous ayez présenté votre réponse de cette façon parce que j'ai déjà, lors d'une réunion précédente, fait le commentaire suivant. Certains d'entre nous se demandent pourquoi nous avons besoin d'un code, pourquoi nous procédons à cette étude. Pour être honnête, l'expérience au Canada a été fort positive. Nos représentants élus et nommés, tant au palier provincial que fédéral, se sont fort bien comportés. Il y a quelques rares exceptions je le reconnais. Je suis de ceux qui sont de cet avis. Cependant, je comprends pourquoi il importe de faire cette étude et d'adopter un mécanisme qui nous permettra de porter des jugements, si je peux m'exprimer ainsi. À mon avis, il y a eu tellement peu d'infractions que je ne sais pas si nous avons vraiment besoin d'un code, mais je crois que nous devrions tout de même en avoir un.

J'essaie simplement de dire qu'à mon avis, nous devrions être tenus de respecter des normes beaucoup plus strictes que monsieur tout le monde. Ainsi, nous ne pourrons peut-être pas préserver notre vie privée dans la même mesure que l'ensemble de la population, ou même jouir des mêmes droits, simplement en raison des responsabilités et des pouvoirs qui nous ont été confiés. Après avoir lu, entendu et vu certaines choses au Canada, et après avoir pris en considération ma propre expérience, j'en suis venu à la conclusion qu'il importe de régler le problème posé par la brebis galeuse. Dans le passé, lorsqu'on identifiait une brebis galeuse, qui nuisait à nos réputations, nous n'intervenions pas assez rapidement pour régler avec le problème. Je ne veux pas nécessairement porter des jugements catégoriques, mais nous devrions tout au moins prendre des mesures pour évaluer ce genre de situations. Nous éviterions bien des problèmes si nous intervenions en temps opportun, plutôt que simplement attendre d'être forcés de le faire par les médias ou le public. C'est ce que je voulais dire. Je ne voudrais pas qu'on ait une mauvaise impression.

[Français]

M. Hudon: Je crois que le dilemme n'est pas seulement le mien. C'est celui de l'ensemble de la société, à savoir jusqu'où peut-on aller?

Certains discours reflètent que les politiciens sont un peu laxistes et ne s'imposent pas de règles suffisamment sévères. Toutefois, des études menées auprès des citoyens démontrent que ceux-ci n'ont pas cette impression. Ce qui est intéressant lorsqu'on examine ces questions, c'est que les citoyens et les citoyennes sont généralement capables de faire les distinctions qui s'imposent. C'est encourageant.

[Traduction]

Le sénateur Grafstein: Monsieur Hudon, j'apprécie beaucoup le fondement philosophique de vos commentaires et la délicatesse de votre intervention. Tout comme vous, je me sens un peu déchiré quand je pense au code de déontologie. Tout comme vous, je crains que si l'on pousse trop loin cette soif de transparence, tout cela n'ait un impact inique.

J'ai constaté après avoir étudié les résultats de sondage sur les titulaires de charge publique qu'il existe une forte perte de confiance dans deux catégories. C'est là où on note qu'un très grand nombre de gens n'appuient pas les titulaires de charge publique. Dans un cas, il s'agit d'un manque de confiance à l'égard de ceux qui exercent un contrôle sur les deniers publics, ce qui n'est pas le cas des sénateurs. Dans l'autre, il existe un manque de confiance de la part du public à l'égard de la question qu'a soulevée mon collègue le sénateur Di Nino, soit le manque de sensibilité des institutions politiques. Il ne s'agit pas nécessairement de cas où une personne manquerait à ses devoirs, mais plutôt de l'insensibilité générale. Le public est ici, le gouvernement est ici, et les partis politiques ici; les gens ont des besoins et ont des problèmes. Les gouvernements ne peuvent réagir. Ils ne sont pas organisés pour réagir de façon appropriée. C'est pourquoi il existe un manque de confiance. Les résultats des sondages que j'ai vus démontrent qu'on manque de confiance à l'égard des institutions publiques, pas en raison d'un manque de transparence, mais plutôt en raison d'un manque de sensibilité.

Vous avez étudié en détail la Confédération et vous avez mentionné ce qui à mon avis est l'élément fondamental, soit comment un titulaire de charge publique peut-il engager de façon positive la participation des citoyens pour qu'il soit toujours sensible à leurs besoins. Les Pères de la Confédération ont dit aux sénateurs «Nous voulons que vous participiez au sein de vos collectivités. Nous voulons que vous y jouiez un rôle actif. Nous voulons que vous soyez sensibles aux besoins de la région que vous représentez. Nous voulons que vous vous intéressiez aux intérêts de la région. Si vous êtes un agriculteur, vous devez faire partie du Comité de l'agriculture. Si vous êtes un Autochtone, vous devez faire partie du Comité des affaires autochtones». En fait, il ne s'agit pas vraiment d'un problème causé par un conflit ou par un paradigme, il s'agit plutôt d'une question de participation active.

Il faut donc à mon avis se demander ce qui suit: Quel est le juste équilibre entre ses propres intérêts et les intérêts du public pour un titulaire d'une charge publique? Encore une fois, les Pères de la Confédération ont été bien clairs. C'est notre mandat. Lorsqu'on nous a nommés au Sénat, on nous a chargés de jouer le rôle de législateurs, mais également celui de représentants actifs de notre région.

Comment le faire de façon à établir des paramètres? Je ne m'y oppose pas, parce que nous avons déjà des lignes directrices très strictes dans nos règlements. Nous avons des lignes directrices et des règles bien strictes; à savoir si nous les appliquons ou non, c'est une autre histoire. Nous avons un Code criminel très strict. Pour en revenir, encore une fois, à ce qu'a dit le sénateur Di Nino, peut-être n'avons-nous pas appliqué ce code de façon aussi efficace que nous aurions dû le faire.

Comment composer avec ce dilemme? Comment concilier ce besoin de transparence, qui ne règle aucunement les problèmes, et la participation du Sénat?

Permettez-moi de vous donner un exemple avant de terminer. Nous ne sommes pas les seuls. Par exemple, vous êtes professeur permanent. Lorsque vous devenez professeur permanent dans un établissement, vous êtes nommé à vie. Existe-t-il une certaine transparence à l'université? Pas du tout. Il n'existe aucune transparence à l'université. Pourtant les professeurs participent activement à diverses activités parce qu'à titre de professeure, ils doivent jouer un rôle actif dans leur domaine. Les gens ne s'inquiètent pas vraiment de cette soi-disant transparence; ils veulent savoir qu'un professeur joue un rôle actif en publiant, en enseignant et en faisant des choses du genre.

Comparez le professeur au sénateur. Nous occupons tous deux notre poste à titre permanent. Nous jouons tous deux un rôle actif au sein de nos collectivités. Seulement un de nous deux est tenu de faire preuve de transparence.

J'ai soulevé deux ou trois questions auxquelles j'aimerais bien que vous répondiez.

M. Hudon: Vous pensez qu'il n'existe aucune transparence pour les professeurs d'université? Je dois dire que je ne suis absolument pas d'accord avec vous.

[Français]

Les universités et les professeurs d'université, de même que l'ensemble des professions, sont soumis aux mêmes pressions que celles qui s'exercent sur vous. Cela devient lourd de respecter tous les codes de déontologie qui existent maintenant à l'université et ceux provenant des organismes subventionnés. Pensez, par exemple, au Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et aux instituts de recherches en santé du Canada. Il y a maintenant des règles de plus en plus lourdes. Personne n'y échappe.

Le Code criminel est déjà là. Je ne suis pas un spécialiste du Code criminel. Il n'est pas suffisant de s'en remettre au Code criminel parce qu'il y a une demande importante. Je penserai la même chose même si une demande devait être redondante. Les citoyens et les citoyennes ont, parfois, cette exigence désormais grossie, exagérée et caricaturée, émanant de certaines institutions tels que les médias. Cette exigence est là. Elle rejoint tout le monde. Personne ne peut y échapper.

Mon expérience d'enseignement à l'université m'a permis de constater tout le changement qu'on a connu depuis 25 ans. J'enseigne à l'université depuis 25 ans. Il y a un changement énorme, et ce, depuis quelques années. Je constate que depuis les cinq dernières années, les contraintes ne cessent d'être multipliées. Cela est vrai pour l'ensemble des professions.

Les politiciens sont donc plus visés et plus touchés parce que leur rôle est public. Toutefois, ils subissent les mêmes pressions que d'autres corps de métier, d'ensembles de professions ou de groupes sociaux de la société.

Regardez les nouvelles exigences imposées aux lobbyistes. Le Parlement fédéral a innové dans le contexte canadien à ce sujet. La loi de 1988, appliquée en 1989, était un précédent. Regardez ce qui se passe depuis deux ou trois ans en Ontario, au Québec, en Colombie-Britannique, en Nouvelle-Écosse: ce genre de mesures se multiplie, parce qu'il y a une demande à ce sujet. Une demande qui est en partie fondée selon moi, mais qui peut avoir des effets pervers. C'est tout ce que je voulais signaler. Elle est inévitable, on ne peut pas faire le choix de ne pas y répondre. Même si un code comme celui dont vous discutez actuellement devait être redondant par rapport au Code criminel, je crois qu'il demeure une mesure importante, parce que dans l'esprit de plusieurs citoyens, cela aura un effet rassurant. Vous êtes mieux placés que moi pour savoir que souvent, en politique, les apparences valent plus que les faits.

[Traduction]

Le sénateur Andreychuk: J'aimerais parler de ce que vous dites à la page 3 de votre mémoire, soit que d'après vous l'éthique parvient peu ou prou à suppléer l'effacement des morales classiquement inspirées du domaine religieux. Le Canada accueille de plus en plus d'immigrants venant de pays non européens, contrairement à ce qui s'est fait par le passé alors que pratiquement tous les immigrants venaient d'Europe. Est-ce là une autre raison pour laquelle il importe qu'une institution politique, une institution comme la nôtre, adopte un code de déontologie?

En d'autres termes, il n'y a pas de normes communautaires que nous puissions vraiment appliquer à notre comportement parce que tous les membres de la collectivité, de la communauté, n'ont pas les mêmes normes. Je ne parle pas ici de vols ou de pots-de-vin ou de choses du genre. Je pense que la norme la plus simple, c'est la façon dont je m'identifie comme sénateur. Je perçois ce poste de façon différente des autres personnes dans cette salle. Nous ne voyons pas tous le rôle de sénateur de la même façon. Nous disons que lorsqu'il y a 105 sénateurs, il y a 105 séries d'attentes, 105 styles, 105 genres d'engagement, et cetera.

Il n'en a pas toujours été ainsi. Si vous pensez au Sénat d'il y a 100 ans, si vous aviez regardé les visages des sénateurs, ils auraient peut-être reflété certains genres, certains modes de vie, certains standings. Nous devenons toujours plus différents les uns des autres. N'est-ce pas là une autre bonne raison d'essayer d'en venir à un consensus sur le comportement de mise au sein de cette institution.

[Français]

M. Hudon: Je ne sais pas s'il y a un lien aussi direct que celui que vous suggérez. C'est un fait que notre société est de plus en plus plurielle. Je trouve frappant que les données du dernier recensement nous signalent que Toronto est la ville la plus pluriethnique au monde. En ce sens, cela pose des exigences additionnelles.

Cela veut dire qu'il faut que les institutions démocratiques publiques soient sensibles à cette situation, que les titulaires de charges publiques en soient conscients. On reviendra peut-être, de cette manière, au dilemme de représenter les intérêts de ces commettants et d'avoir, en même temps, l'idée d'un mandat public plus large — l'intérêt général par rapport aux intérêts particuliers, pour reprendre des catégories philosophiques. En ce sens, cela pose des exigences plus grandes.

Le lien avec des mesures comme le code de conduite et le code de déontologie ne m'apparaît pas direct. Lorsque je parle de mesures complémentaires nécessaires, cela réfère à ce deuxième aspect que vous souleviez tout à l'heure, sénateur Grafstein. La « responsiveness », la réceptivité et la situation à laquelle vous faites référence viennent rendre encore plus complexe cette obligation d'être attentif et sensible à l'évolution et à l'éclatement de nos sociétés.

Nos sociétés sont de plus en plus plurielles. Cela pose des exigences additionnelles en termes de réponse, de rapport à ces sociétés pour les titulaires de charges publiques. Le lien — peut-être que je suis fautif — ne se fait pas directement avec les règles de conduite qui ont rapport aux conflits d'intérêts. À la limite, on y revient, si on fait référence à ce deuxième volet. La crise de confiance, j'ai nuancé plus tôt, ne vise pas tellement les institutions mais les gens qui y exercent les fonctions. La crise de confiance est peut-être accrue, mais c'est une hypothèse, du fait que nos sociétés sont de plus en plus complexes. Il devient de plus en plus difficile de concilier l'ensemble des intérêts des secteurs dans nos sociétés.

Le sénateur Joyal: J'imagine que certaines personnes qui nous écouteraient auraient peut-être l'impression que nous avons une discussion ésotérique ce matin. Je crois que certains éléments, dans ce que vous nous dites, se traduiront par des approches très pratiques.

Je voudrais vous citer une définition de l'éthique et relier cette définition à votre texte:

[Traduction]

La déontologie, c'est une question de choix moral. La différence entre le bien et le mal.

[Français]

L'éthique est une question de choix moraux. Elle doit nous dire, à l'homme ou à la femme, ce qui est bien ou mal.

Par ailleurs, dans votre texte, je le cite, à la page 4 de votre présentation en français:

[Traduction]

Vous dites dans votre texte:

[...] L'objectif d'encadrement des conduites, spécialement sous l'angle des devoirs — objet propre de la déontologie —, rallie sans trop de peine, mais il est en partie perverti par une assimilation plus ou moins adéquate à des règles éthiques qui, elles, sont centrées sur la détermination de ce qui est bien ou mal. Au sens strict, l'éthique se révèle donc plus normative que la déontologie.

Je poursuivrai dans la même veine. Les membres de ce comité se sont demandé quel terme choisir. S'agit-il d'un code de conduite ou d'un code de déontologie? Nous n'avons discuté de la question qu'en termes généraux. Ce matin, vous avez décrit très clairement l'impact important de l'inclusion de questions d'éthique dans un code de conduite. Cela changerait la nature du code de conduite. À mon avis, c'est très important. Nous devons d'abord nous demander si nous voulons un code de conduite ou un code d'éthique.

En d'autres termes, voulons-nous un code qui nous dira ce qu'est notre devoir, ou voulons-nous un code qui fasse état de nos obligations morales. J'ai une opinion bien arrêtée là-dessus. Nous vivons dans une société séculaire et la morale c'est une question de choix personnel. Nous avons lutté pour obtenir cela.

Dans une société libre et démocratique, comme l'a signalé le sénateur Andreychuk, l'autonomie d'un particulier dépend de lui ou d'elle. Je m'opposerais à ce qu'on ajoute un contenu moral à un code de conduite. C'est pourquoi je n'utilise pas le terme «éthique», parce que si nous nommons un commissaire à l'éthique, et que nous avons un code de conduite, c'est comme si on essayait, à mon avis, de mêler deux choses différentes.

Qu'en pensez-vous? Lorsque vous aurez répondu j'aimerais vous poser une autre question sur le système créé par ce code de conduite et le genre de système nécessaire pour maintenir l'autonomie que nous prisons dans une société libre et démocratique comme le Canada.

[Français]

M. Hudon: Un code d'éthique et un code de déontologie, ce n'est pas la même chose. J'y ai déjà fait référence dans un autre texte d'ailleurs. La déontologie et l'éthique ne renvoient pas aux mêmes choses. En anglais, c'est clair: «Code of conduct», «duties». En français, il y a quasi-interchangeabilité entre les termes. On utilise déontologie et éthique indistinctement. C'est une erreur, parce qu'un code de déontologie, comme il est intitulé en français ici, renvoie aux devoirs et non aux conduites et ne définit pas les principes moraux: ce qui est bien ou ce qui est mal.

Vous allez voir dans une présentation que j'ai faite, lors d'un colloque auquel j'ai participé l'automne dernier, qu'il y a une section précisément sur la distinction entre l'éthique et la déontologie. Je suis plutôt partisan d'un code de déontologie plutôt que d'un code d'éthique. C'est dans l'action qu'on évalue la conduite des gens. Ce n'est pas à partir de principes prédéfinis et désincarnés. C'est le problème qu'on rencontre avec certaines approches éthiques: On désincarne les acteurs. Ils doivent vivre en dehors du monde pour être acceptables. Ils doivent vivre en dehors de tout rôle pour être jugés corrects. Cela n'a pas de sens.

Les dirigeants politiques ne travaillent pas en dehors de la société, ils sont issus de la société. Le jour où ils n'en feront plus partie, on aura affaire à des autocrates ou à des technocrates. Mes positions sont claires à ce sujet, même si encore une fois, je dis que ce n'est peut-être pas un discours fortement relayé par les temps qui courent. Je ne déroge pas sur ce point.

[Traduction]

Le sénateur Joyal: Je désire poser une autre question sur cette distinction entre le devoir et l'éthique.

Le rôle du «responsable de l'éthique», comme on le propose, doit être compatible avec nos objectifs. Si nous voulons assurer l'éthique morale chez les parlementaires, le responsable de l'éthique doit être, pour reprendre un vieux concept qui existait lorsque nous étions tous au collège, une sorte de préfet de la discipline.

Nous voulons imposer des normes et nous voulons nous assurer qu'elles seront bien respectées. Si nous parlons de conduite et de devoir, ce sont les personnes visées qui devront s'assurer de respecter ces paramètres en fonction de leur propre capacité.

Je compare le modèle britannique au modèle que l'on propose ici. Vous avez dit qu'il s'agissait ici d'une culture sociétale et politique. L'approche britannique est caractérisée par le fait qu'on laisse les gens décider d'eux-mêmes si ce qu'ils font est approprié. La façon francophone traditionnelle de faire les choses, c'est qu'on crée un système et vous devez le respecter. Il y a des mesures de protection qui permettent d'assurer que vous respectez les paramètres du système.

Le modèle britannique est un «code de conduite». Le code britannique ne prévoit pas le poste de responsable de l'éthique. Il prévoit plutôt un poste de registraire. En d'autres termes, les personnes visées font une déclaration. Le registraire, s'inspirant de son expérience, offrira des conseils, et cette consultation demeure confidentielle.

Nous n'avons pas un modèle aussi précis. En fait, notre modèle s'inspire de deux choses bien différentes et c'est de concilier toutes les caractéristiques. Je ne dis pas que ce n'est pas un bon modèle. J'essaie simplement de comprendre ce que nous faisons et je me demande si ce que l'on propose permettra d'atteindre l'objectif de la transparence et d'une plus grande reddition de comptes des politiciens auprès de ceux qu'ils représentent, ce qui est le principe le plus général ou global de cette proposition.

Vous avez étudié d'autres régimes, vous avez rédigé un document intitulé «Étude comparative de système»; pouvez- vous donc me dire comment nous pouvons nous assurer que notre modèle force les parlementaires à divulguer certains intérêts sans pour autant imposer la présence d'un responsable de la discipline qui, muni d'un bâton, dira «Vous avez fait quelque chose de mal, vous avez fait quelque chose de bien». Quelqu'un surveillera toujours ce qui se passe.

Cela va à l'encontre de ce que j'ai toujours jugé être une des grandes réalisations de l'humanité, soit la liberté de penser, ce qui est tout particulièrement important pour les politiciens qui sont censés être responsables et mûrs.

Nous sommes censés avoir un certain sens de l'honneur même si on en parle rarement. J'y crois sincèrement. Je crois qu'une société dans laquelle les politiciens n'ont pas de sens de l'honneur et ne cultivent pas ce sens perd une de ses valeurs fondamentales. Vous l'avez dit vous-même, nous nous retrouvons alors dans un système normatif où il y a des règles pour tout et partout parce que nous ne croyons pas que les gens se comportent correctement. Lorsque vous invoquez l'honneur d'une personne, cet honneur est déterminé par ce particulier. C'est un élément essentiel de la création d'un système et des valeurs intrinsèques lorsque nous proposons un code de conduite pour les parlementaires, justement pour éviter ce piège que vous avez décrit plutôt.

[Français]

M. Hudon: Je suis beaucoup plus à l'aise avec le modèle britannique, mais je ne suis pas dans votre position. Le problème que je partage avec vous, c'est que je vis en Amérique du Nord. Les attentes ne sont pas les mêmes. Je ne peux pas me contenter du modèle britannique, même si je suis plus à l'aise avec lui.

Il est intéressant que vous fassiez référence au Québec. C'est vrai qu'en plus, dans la culture francophone, québécoise en particulier, il existe une tendance à imposer des règles plus strictes encore. Ce n'est pas une diversion que je veux faire, mais il m'apparaît intéressant de faire cette courte référence au Code de déontologie des lobbyistes au Québec et à la Loi sur l'enregistrement des lobbyistes au Québec.

Cette loi sur la transparence et la pratique du lobbyisme au Québec n'est pas semblable à la Loi sur l'enregistrement que l'on retrouve au Parlement canadien. Il y a tout de suite une tendance plus forte à la morale. Le dilemme actuel rencontré par les gestionnaires est de savoir s'ils doivent se mettre à la poursuite des gens qui ne sont pas enregistrés. C'est un sérieux dilemme. Dans toute intervention du genre, que l'on parle de code de déontologie, de l'enregistrement des lobbyistes ou d'autres lois ou mesures du genre, il y a un premier principe à respecter: il faut partir de la bonne foi des gens, sinon tout le monde devient suspect. On n'a pas besoin de pousser très longtemps pour arriver à rendre tout le monde coupable.

Dans ma présentation de novembre, je disais que quand tout le monde est suspect, il n'y a presque plus de coupables, ni d'innocents non plus. Présenter tout le monde comme suspect, c'est le piège dans lequel on peut tomber.

Je préfère le code de déontologie. J'ai cité dans ma présentation un article du journal Le Monde. Dans le contexte français, on part de plus loin que nous, et je cite:

[Traduction]

Un code d'honneur devrait être pour le politicien l'équivalent du serment d'Hippocrate pour un médecin...

[Français]

Par contre, je dirais «attention», la comparaison est peut-être boiteuse, parce qu'un code de déontologie, ce n'est pas la même chose quand on parle des médecins, des avocats, des journalistes ou des professeurs d'université. Un code de déontologie pour les médecins, c'est strict. Il y a des mesures disciplinaires, car l'entrée dans la profession est contrôlée. Tout le monde peut devenir journaliste et à la limite être élu ou exercer des charges publiques. Il n'y a pas d'examens d'entrée à passer. Alors on voit déjà que dans le monde des professions, il y a des distinctions très nettes. Il est intéressant de consulter le code de déontologie de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec sur ce point. Il y a un très long préambule pour expliquer que ce code n'a pas de pouvoir disciplinaire. On comprend cela, parce que la profession est ouverte. La Fédération des journalistes ne peut pas exercer la discipline de la même manière que le Collège des médecins ou le Barreau pourrait le faire à l'égard des médecins ou des avocats.

Un code d'honneur doit être aussi important pour les politiciens que le serment d'Hippocrate l'est pour les médecins, sauf que les conditions sont différentes. Ce que je suis en train de dire rend la question encore plus complexe et signale qu'on ne peut pas traiter ce sujet de façon superficielle et à la sauvette. Le questionnement que vous avez sur le code de déontologie ou sur le code d'éthique est important. Il pose des problèmes en termes d'agencement institutionnel, mais je ne sais pas comment le résoudre. Il y a une certaine curiosité si vous retenez l'approche du code de conduite ou du code de déontologie. Vous avez affaire à un conseiller en éthique. Il s'agit de voir comment on conçoit le rôle du conseiller en éthique. Comme un préfet de discipline? Si c'est le cas — je n'ai pas à prendre les décisions pour les parlementaires ici — je ne serais pas tout à fait à l'aise avec cela.

[Traduction]

La présidente: Monsieur Hudon, vous parlez du code d'honneur en France, du code de conduite en Grande- Bretagne, et, comme vous me l'avez dit avant la réunion, il s'agit de structures moins rigides que ce qu'on propose ici. Des témoins nous ont dit hier que le code ne devrait pas être appliqué de façon trop rigide. Même si les structures qui existent dans ces pays sont moins rigides, le code ne devrait pas être appliqué de façon trop stricte, c'est d'ailleurs ce qu'a répété le greffier à plusieurs reprises.

Je pense qu'il est possible que ces structures moins lourdes soient attribuables au système de classes en Europe. Il y a un système d'élites très clair en Europe, et on peut supposer que ces dernières occuperaient les postes les plus importants au sein de la société. Les idées de l'élite ne sont pas nécessairement celles des simples citoyens en Europe.

Ici au Canada, comme dans l'ensemble de l'Amérique du Nord, nous avons une société plus égalitaire. Nous savons peut-être que nous ne sommes pas infaillibles. Nous sommes les égaux de tous les autres citoyens et nous supposons qu'eux aussi ne sont pas infaillibles. Peut-être un code plus strict et plus rigide s'impose-t-il en Amérique du Nord en raison des différences qui existent entre notre société et la société européenne.

M. Hudon: Vous avez raison. Cependant, je crois que les choses changent en Europe.

La présidente: L'Europe s'oriente-t-elle vers des sociétés plus égalitaires?

M. Hudon: Ce qu'on a demandé dans cet article du Monde il y a deux semaines est quelque chose d'absolument nouveau, mais c'est une chose qui sera demandée partout en Europe, tout particulièrement en France.

[Français]

Il est vrai que dans la structure de la société élite-masse, élite-population, c'était le cas. On le voit jusque dans les écoles. L'autorité voulait dire encore quelque chose à l'école. Mais c'est de moins en moins le cas. L'écart est de moins en moins grand entre les sociétés européennes et nos sociétés nord-américaines. Un des facteurs importants qui contribuent à ces changements en Europe, c'est l'Union européenne. Le Parlement européen est en train de changer la culture politique de façon importante pour l'Europe, la vieille Europe, comme le disait George Bush. Les Scandinaves qui arrivent au Parlement européen sont en train de transformer la culture politique européenne à ce sujet. Les Britanniques sont un peu plus distants, mais les Français ne peuvent pas y échapper. Ils sont au coeur de l'Europe, cela les rejoint.

Je disais que vous aviez raison, mais en même temps, c'est de moins en moins vrai. Je crois que l'évolution va plutôt dans le sens d'un rapprochement entre nos cultures politiques, européennes et nord-américaines.

Le sénateur Ringuette: Vous me semblez saisir le pouls de la population dans ses pensées, ses réflexions et ses exigences sur l'appareil politique. Étant donné que la Chambre des communes est une institution différente du Sénat, dans sa composition, ses responsabilités et ses exigences de transparence, croyez-vous qu'on pourrait avoir deux codes de déontologie avec deux mécanismes distincts pour la perception du public? Quelles sont vos impressions à ce sujet?

M. Hudon: Deux codes de déontologie; oui, c'est possible et cela se défend. D'ailleurs, c'est la tendance que l'on peut observer ailleurs. Si vous allez au Parlement australien, vous constaterez la présence de deux codes différents. Au Parlement britannique, il y a deux codes différents. Il n'y a pas d'objection de principe. Comment la population réagira-t-elle, je ne peux vous répondre. J'ai certaines connaissances de l'opinion publique canadienne, comme vous pouvez en avoir. J'ai tout simplement eu plus de temps pour lire. C'est la différence entre vous et moi. Autrement, je ne sais pas comment les Canadiens et les Canadiennes réagiraient. Je ne crois pas que ce soit une question fondamentale. Il vaut peut-être mieux avoir des codes qui tiennent compte des spécificités de chacune des institutions, le Sénat et la Chambre des communes.

Quand on demande aux Canadiens s'ils font confiance aux institutions, on sait que les politiciens ont une cote très basse et qu'ils viennent après les journalistes. Mais quand on regarde les institutions comme telles, ils font une distinction entre le Sénat et la Chambre des communes. Ils font moins confiance au Sénat, parce que le Sénat n'est pas redevable, ne rend pas compte. Il rend compte mais pas vraiment à la population canadienne. On sait ce qui se passe, mais l'épreuve électorale, pour un certain nombre de citoyens, est importante. Ce n'est pas le débat d'aujourd'hui, mais il reste que c'est un élément qui distingue les deux institutions. Il n'y a pas d'objection de principe au fait qu'il y ait deux codes. C'est clair.

[Traduction]

Le sénateur Grafstein: Une des choses qui m'a frappé dans le document préparé par le professeur Hudon est qu'il signale que l'expérience est très importante. En d'autres termes, inspirons-nous d'expériences concrètes. Je suis au Sénat depuis près de 20 ans et il y a eu pendant cette période deux cas d'inconduite. Nous avons réglé un de ces problèmes. L'autre a été réglé par les tribunaux qui ont jugé que les plaintes formulées contre un sénateur n'étaient pas vraiment fondées. Un troisième cas a été réglé par les tribunaux. En fait, en 20 ans, il y a eu trois exemples d'inconduite. C'est important.

Les Britanniques ont dit, et en fait je ne crois pas qu'il s'agisse là d'une thèse britannique mais bien française, que l'expérience devrait précéder l'action. Ils disent «Soyons prudents à l'égard de ce code et étudions l'expérience. Si l'expérience indique qu'il nous faut prendre d'autres mesures ou des mesures plus strictes, nous le ferons».

Ce code nous a été présenté. Il n'est pas le résultat d'une étude par notre comité. Il s'agit d'un code qui nous est imposé d'en haut et non pas le résultat d'une approche ascendante; il n'y a rien de mal à cela puisqu'après tout nous sommes là où nous sommes.

Ne vaut-il pas mieux pour l'intérêt à long terme du public de fonder nos pratiques et nos codes de conduite sur l'expérience au lieu de s'inspirer de perceptions confuses qui pourraient au lieu de régler les problèmes en créer, comme vous l'avez dit?

Je sais que c'est une longue question, une question difficile. Peut-être pourrez-vous y répondre de façon plus succincte.

[Français]

M. Hudon: Il est impossible de répondre à votre question en deux mots. Oui, l'expérience est importante et il est intéressant de voir que les gens qui ont plus d'expérience dans les institutions ont des attitudes différentes des autres personnes. Les points de vue que je présente sont pris de l'extérieur.

[Traduction]

Je vois ces choses de l'extérieur. J'en suis conscient et je ne dois pas l'oublier. Je ne vous dis pas ce que vous devriez faire. Je ne suis pas en mesure de le faire.

[Français]

Ce que j'ai simplement fait, c'est évoquer quelques idées, quelques principes parfois théoriques, mais parfois pratiques à partir d'études qui peuvent vous servir, je l'espère, à alimenter vos propres réflexions.

Je n'irai pas plus loin, je n'ai surtout pas l'intention de vous dicter quelque chose.

Je serais mal à l'aise de vous dire, par exemple, qu'à tel article de votre code, il faudrait revoir la terminologie. Cela vous appartient. Vous avez vos perceptions et votre expérience. Cette combinaison de perception et d'expérience doit inspirer l'exercice auquel vous vous prêtez actuellement. Je m'arrête là. Je n'ai surtout pas le pouvoir, ni l'intention de vous dire quoi faire ni comment le faire..

[Traduction]

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Hudon, d'être venu nous rencontrer ce matin. Nos échanges ont certainement été fort intéressants.

Le comité poursuivra ses travaux à huis clos pour étudier un rapport sur une question complètement différente; nous donnerons aux gens quelques minutes pour quitter la salle. Je crois que seul le personnel du comité devrait rester dans la salle.

Le comité poursuit ses travaux à huis clos.


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