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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 13 - Témoignages du 30 avril 2003


OTTAWA, le mercredi 30 avril 2003

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 15 h 52, pour étudier les questions suscitées par le dépôt de son rapport final sur le système de soins de santé au Canada en octobre 2002 l'évolution de la situation depuis. En particulier, le comité doit être autorisé à examiner la santé mentale et la maladie mentale.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Nous accueillons aujourd'hui trois témoins. D'abord, Pam Massad, directrice déléguée de la Division de l'enfance et de l'adolescence de santé Canada. Puis, M. Joe Beitchman, du département de psychiatrie de l'Université de Toronto, et la Dre Johanne Renaud, pédopsychiatre et chercheure boursière des Instituts de recherche en santé du Canada.

J'aimerais aussi dire officiellement à quel point nous sommes ravis de voir que le sénateur Robertson est de retour. Bienvenue.

Chacun d'entre vous aura droit à une déclaration préliminaire, après quoi nous passerons à la discussion collective. Mais d'abord, merci de comparaître.

Mme Pam Massad, directrice déléguée, Division de l'enfance et de l'adolescence, Centre de développement de la santé humaine, Direction générale de la santé de la population et de la santé publique, Santé Canada: Je suis ravie d'être ici aujourd'hui pour vous parler d'un problème grave, les troubles du spectre de l'alcoolisation foetale, autrement dit les TSAF.

Il naît tous les jours au Canada au moins un enfant souffrant du syndrome de l'alcoolisme foetal, le SAF, incapacité qui se répercute sur l'enfant, sa famille et tous ceux qui l'entourent, pendant toute sa vie. Les TSAF sont la première cause d'anomalie congénitale et de retard de développement complètement évitable au Canada. C'est une maladie plus courante que le syndrome de Down.

Je vous donnerai aujourd'hui un bref aperçu des TSAF, et je vous expliquerai leur incidence sur les enfants, les jeunes, les parents et les fournisseurs de soins qui doivent tous relever quotidiennement le défi que posent les TSAF. J'aimerais souligner l'importance du diagnostic médical et d'une intervention précoce sur le pronostic pour ceux qui en souffrent.

Je voudrais également faire un tour d'horizon des activités de Santé Canada dans ce secteur. Notre ministère a une vision pancanadienne et fournit des services aux Premières nations et aux Inuits par l'intermédiaire d'une de ses directions générales. Nous oeuvrons également avec les provinces et les territoires de même qu'avec les collectivités des Premières nations et les collectivités inuites dans le but d'avoir une vision exhaustive et coordonnée du problème. J'en parlerai plus tard dans mon exposé.

Les troubles du spectre de l'alcoolisation foetale s'appliquent à toute une gamme de conditions cliniques associées à l'exposition du foetus à l'alcool. Les TSAF sont caractérisés par des anomalies dues à l'alcool tels que le syndrome de l'alcoolisme foetal, les effets de l'alcool sur le foetus (EAF), le syndrome d'alcoolisme foetal partiel (SAFP), les troubles neurologiques liés à l'alcool (TNLA), et les anomalies congénitales dues à l'alcool.

Le SAF est l'incapacité médicale que peut diagnostiquer le plus facilement le médecin et qui est due à l'alcool. Il tient compte de la consommation connue d'alcool par la mère durant la grossesse, et se base sur une gamme précise de caractéristiques faciales, de déficiences dans la croissance, de retard dans le développement et de dommages au système nerveux central.

Toutefois, la gravité des anomalies varie énormément selon le moment où l'alcool a été absorbé, la dose d'alcool, la fréquence de consommation, de même que les conditions d'exposition, et dépend de chaque mère et de chaque enfant. Les enfants ne peuvent en guérir; ils en souffriront leur vie durant. Mais le plus décourageant, c'est que cette maladie est complètement évitable.

Les TSAF constituent un nouveau domaine d'étude. C'est pourquoi nous sommes encore à édifier notre banque de signes probants. Nous ne colligeons pas actuellement de données à l'échelle nationale, mais nous envisageons d'établir des lignes directrices normalisées pour le diagnostic, ce qui devrait nous aider à colliger des données fiables que nous pouvons utiliser.

Nos chiffres les plus prudents évaluent la prévalence du SAF à un à trois cas par mille naissances chaque année.

Le président: Pour le Canada?

Mme Massad: Non, à l'échelle mondiale.

Pour ce qui est des TSAF, la prévalence est encore plus élevée. De plus, le taux de prévalence dans les collectivités autochtones est plus élevé, en raison de graves problèmes sociaux et parce que le taux de grossesse chez les adolescentes est quatre fois celui du taux de grossesse national.

Toutefois, ce problème ne touche pas uniquement les femmes autochtones ou marginalisées. La consommation d'alcool pendant la grossesse se constate dans toutes les couches de la société. Ainsi, des renseignements non scientifiques de la part de cliniciens soulignent une augmentation dans les naissances TSAF chez les femmes de formation universitaire, dans la fin de la vingtaine ou au début de la trentaine. C'est peut-être à cause de leur style de vie et du fait qu'elles consomment de l'alcool lors de rencontres sociales ou dans leur milieu professionnel. Cela vaudrait la peine d'en tenir compte lors de l'élaboration de nos campagnes de sensibilisation, car il ne s'agit pas de femmes que l'on considérerait traditionnellement comme étant à risque.

Les TSAF se manifestent de bien des façons chez les enfants. On peut retrouver chez eux des anomalies dites principales, des malformations permanentes résultant directement de l'exposition du foetus à l'alcool qui entraîne des changements dans le fonctionnement et la structure du cerveau et du système nerveux central. Ces anomalies principales incluent des troubles de comportement, des difficultés d'apprentissage, des retards de croissance, des déficiences de l'attention, des troubles de mémoire et des lacunes dans les aptitudes sociales.

De plus, les gens qui souffrent des TSAF sont plus susceptibles que le reste de la population de développer ce que nous appelons des incapacités secondaires, notamment des problèmes de santé mentale, des démêlés avec la loi, des perturbations dans la scolarité telles que des épisodes de suspension et des problèmes d'alcoolisme et de toxicomanie, de même que des comportements sexuels inappropriés. Ces incapacités secondaires peuvent être évitées, voire gérées, si elles sont comprises et des stratégies d'intervention appropriées peuvent alors être mises au point et en application.

Une étude effectuée en 1997 par Anne Streissguth à partir de Seattle, dans l'État de Washington, montre toute la gamme des incapacités secondaires dues à l'exposition du foetus à l'alcool et leur persistance la vie durant. Comme l'illustre le tableau, les troubles de santé mentale sont très élevés et ne varient pas avec l'âge. En effet, 95 p. 100 de ces personnes ont des problèmes de santé mentale. Les problèmes de scolarité augmentent plus l'enfant grandit, et les épisodes de démêlés avec la justice augmentent considérablement avec l'âge et restent élevés la vie durant. Par conséquent, la plupart des gens souffrant de TSAF ayant des démêlés avec la justice finissent par être placés dans des établissements.

Je signalerais que les incapacités secondaires ne sont pas causées par les effets directs de l'alcool sur le développement du foetus, mais par l'incapacité de l'individu de fonctionner en société.

Les parents et les fournisseurs de soins aux enfants et aux jeunes souffrant de TSAF sont souvent leurs seuls défenseurs, amis et compagnons constants. À l'heure actuelle, il n'existe aucun système de soutien exhaustif et coordonné visant à aider les parents et les fournisseurs de soins. Bien que les services et les soutiens directs aux parents relèvent des provinces et des territoires, Santé Canada est déterminé à collaborer en partenariat avec tous les paliers du gouvernement pour assurer un bon soutien aux familles et aux collectivités touchées.

Étant donné les limitations et les incapacités des enfants TSAF, parents et fournisseurs de soins doivent leur prodiguer des soins constants. C'est pourquoi parents et fournisseurs de soins sont nombreux à connaître l'isolement social et affectif et à voir famille, amis et collectivités s'éloigner d'eux. Dans leurs tentatives d'avoir accès à des services de soutien nécessaires pour leurs enfants, les familles sont nombreuses à faire face à des charges financières très lourdes. En effet, beaucoup de provinces et de territoires n'offrent pas d'aide financière pour ceux qui veulent avoir des services de santé spécialisés, de l'encadrement pédagogique et du soutien juridique.

Une étude de 1999 démontre clairement que l'intervention, et notamment le diagnostic précoce, permet d'atténuer le développement des incapacités secondaires chez ceux qui souffrent de TSAF. Il est donc essentiel pour le bien-être de l'enfant qu'un diagnostic médical soit effectué le plus rapidement possible. À l'heure actuelle, ces diagnostics se font entre l'âge de 7 et de 10 ans, alors que des études laissent entendre qu'ils devraient être posés plus tôt, entre 4 et 6 ans.

Un diagnostic du SAF ne signifie pas uniquement d'étiqueter l'incapacité ou de lui attacher une appellation médicale; il représente souvent la voie vers le soutien et les services nécessaires.

Ceux qui souffrent de TSAF parlent des résultats positifs qui auraient découlé d'un diagnostic clair de leur maladie. Ce diagnostic peut donner à l'enfant et à sa famille les connaissances nécessaires pour fonctionner et pour gérer avec succès sa vie dans la limite de ses capacités individuelles. Dans certaines provinces, un diagnostic du SAF permettra d'accorder à un enfant du soutien additionnel dans sa classe ou lui donnera accès à des séances spéciales d'ergothérapie.

Santé Canada s'emploie actuellement à élaborer avec des spécialistes et des cliniciens de partout au Canada des directives cliniques normalisées qui assureraient une approche uniforme et sensible aux particularités culturelles, ce qui est important dans le cas des collectivités autochtones. Nous oeuvrons en étroite collaboration avec nos partenaires, tels que la Société canadienne de pédiatrie, pour élaborer ces lignes directrices.

Le gouvernement fédéral a lancé plusieurs initiatives destinées à fournir des voies de financement pour traiter les TSAF, dont les plus importantes sont: l'expansion du Programme canadien de nutrition prénatale, la Stratégie sur le développement de la petite enfance (DPE) instaurée par les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, et la Stratégie fédérale sur le DPE chez les Premières nations et les autres peuples autochtones.

Notons cependant, ce qui est important, que les TSAF sont mieux traités, à toutes les étapes de la vie, lorsque les efforts de tous les intervenants sont intégrés et coordonnés. En effet, nous sommes beaucoup plus efficaces en partenariat. Il est donc essentiel que tous les paliers de gouvernement, y compris les conseils des communautés des Premières nations, travaillent de concert. De plus, au niveau fédéral, Justice, Solliciteur général, Développement des ressources humaines Canada, le Secrétariat national pour les sans-abri, pour ne nommer que ceux-là, doivent collaborer avec des partenaires provinciaux et territoriaux pour combler les lacunes dans les services offerts à ces enfants, à ces jeunes, ainsi qu'aux familles et aux collectivités aux prises avec les TSAF.

Comme preuve de cette collaboration, je vous signale le travail que nous effectuons sur le cadre national d'action que Santé Canada est actuellement à élaborer. Ce cadre constituera un effort de collaboration destiné à regrouper tous les paliers de gouvernement et toutes les compétences pour traiter un ensemble commun d'objectifs axés sur les TSAF.

Dans le cadre de cette initiative sur les TSAF, Santé Canada a subventionné plusieurs projets nationaux destinés à renforcer les capacités des collectivités visées pour les aider à relever les défis que posent les TSAF et à en surmonter les obstacles. Ces projets visent à sensibiliser la population aux TSAF et à permettre aux travailleurs de première ligne et aux fournisseurs de soins d'acquérir les compétences voulues pour fournir les services et le soutien appropriés à ceux qui sont aux prises les TSAF.

Afin d'intégrer son approche des TSAF et de la rendre positive, Santé Canada a mis sur pied un comité consultatif national, un groupe de travail interministériel, un groupe de travail intraministériel et élabore le cadre d'action national dont nous vous avons fait tenir copie. Nous sommes actuellement à terminer nos consultations sur l'ébauche du cadre, et cela implique notamment rencontrer les provinces et les territoires, les autres ministères fédéraux et nos partenaires au Canada pour connaître leurs points de vue et leurs réactions.

Depuis 1999, bon nombre des efforts déployés par Santé Canada ont inclus le lancement d'une campagne nationale de sensibilisation de la population, l'accent étant mis sur la sensibilisation et la formation professionnelles des fournisseurs de soins, la normalisation des outils de dépistage et de diagnostic, la facilitation et le renforcement des capacités des collectivités par la formation des travailleurs de première ligne et des professionnels. Santé Canada s'engage à continuer à s'intéresser aux problèmes liés aux TSAF dans le cadre d'un effort de collaboration et de coopération à tous les paliers.

Dr Joe Beitchman, professeur et directeur, Division de la psychiatrie de l'enfant, Département de psychiatrie, Université de Toronto; psychiatre en chef, hôpital des enfants malades: Merci de m'avoir donné l'occasion de vous rencontrer et de vous faire part de mes observations sur la santé mentale chez les enfants.

Il y a quatre grandes choses dont j'aimerais vous faire part. Premièrement, les troubles de santé mentale chez les enfants sont graves, répandus, et représentent de grandes souffrances humaines et de grands fardeaux financiers. Deuxièmement, la plupart des troubles mentaux chez les adultes remontent à l'enfance et à l'adolescence. Troisièmement, on peut faire beaucoup pour diminuer le niveau de détresse et de souffrances. Quatrièmement, le plus important que puisse faire le gouvernement, c'est de créer une agence, un ministère ou un organisme gouvernemental qui soit chargé de la santé mentale chez les enfants et qui devienne le champion — muscles à l'appui — de la santé mentale chez les enfants.

Dans son rapport final, la Commission sur l'avenir des soins de santé au Canada affirmait que la santé mentale était l'orpheline des soins de santé. Moi, je vous dis que la santé mentale chez les enfants est la dernière des orphelines des soins de santé; elle est doublement orpheline.

Traditionnellement, les politiques et programmes de santé mentale mettaient l'accent sur le traitement de la population adulte et, par conséquent, les services destinés aux jeunes se sont développés très lentement et de façon auxiliaire aux programmes pour adultes. Mais quels sont les problèmes de santé mentale que peuvent avoir les enfants et à quel point sont-ils répandus?

La prévalence cumulative des troubles de santé mentale chez les enfants et chez les jeunes atteint de 12 à 20 p. 100, selon les paramètres de lieu et les définitions utilisées. Mais peu importent les chiffres, un grand nombre d'enfants et d'adolescents souffrent. Eux-mêmes de même que leur famille sont en détresse. L'Ontario compte quelque 400 000 enfants souffrant de problèmes de santé mentale. Ces enfants sont en péril et ont besoin de traitements et d'interventions. L'étude sur la santé des enfants de l'Ontario révélait que seul un sixième des enfants devant être traités avaient vu un professionnel de la santé mentale dans les six mois précédents.

La liste des troubles de santé mentale comprend l'essentiel des troubles présentés par les adultes, comme l'angoisse, le trouble de l'humeur ou la schizophrénie, mais il en existe qui commencent presque toujours pendant l'enfance et se poursuivent à l'âge adulte. C'est notamment le cas de l'autisme et de l'hyperactivité avec déficit de l'attention. En outre, il convient de ratisser large, car les troubles de santé mentale des enfants sont plus nombreux que ceux qui figurent dans les manuels de diagnostic.

Souvent, les enfants qui souffrent de troubles de l'humeur, d'anxiété et de tendances suicidaires souffrent en silence; ils forment une minorité invisible. Ces troubles sont prévalents dans une proportion d'environ 9 à 13 p. 100 de la population. En outre, les enfants et les adolescents présentant des troubles de l'humeur et de l'anxiété présentent un risque plus élevé de suicides. Pour des raisons qui ne sont pas complètement élucidées, ces troubles de l'humeur et de l'anxiété sont plus fréquents à l'adolescence et sont plus courants chez les jeunes filles que chez les garçons.

Le suicide fait plus de victimes chez les adolescents et les jeunes adultes que le cancer, les maladies cardiaques, le sida, la pneumonie, la grippe, les anomalies congénitales et les accidents cérébro-vasculaires combinés. Plus de 90 p. 100 des enfants et des adolescents qui se suicident présentent un trouble mental. Les tentatives de suicide culminent au milieu de l'adolescence et la mortalité par suicide augmente uniformément tout au long de l'adolescence.

Les troubles de comportement perturbateurs représentent de 3 à 10 p. 100 du total. Ils comprennent notamment le déficit d'attention et l'hyperactivité. À court terme, ils perturbent considérablement la vie des enfants et de leur famille. À plus long terme, les enfants présentant ces troubles sont plus susceptibles de s'adonner à la toxicomanie ou à la délinquance, ou de présenter des troubles de comportements antisociaux du même ordre. Bien qu'il existe de bons modèles de traitement, leur mise en oeuvre dans la collectivité reste un défi important.

Les troubles imputables à la toxicomanie pendant l'adolescence occasionnent toute une série de déficiences dans la dynamique de la vie. Ces déficiences comprennent les conflits interpersonnels, les conflits familiaux et les échecs, notamment scolaires. Elles présentent habituellement d'autres caractéristiques annexes comme les comportements à risque, et d'autres troubles psychiatriques notamment des problèmes de comportement, un déficit de l'attention et des troubles de l'humeur et de l'anxiété. Des enquêtes sur la consommation d'alcool indiquent qu'environ 30 p. 100 des garçons adolescents présentent des problèmes de boisson. D'après des enquêtes communautaires, la prévalence de la consommation abusive d'alcool ou de la dépendance à l'alcool varie de 5 p. 100 chez les jeunes de 15 ans à 32 p. 100 chez les jeunes de 17 à 19 ans.

L'autisme est un trouble qui affecte l'aptitude à communiquer, à établir des relations avec autrui et à réagir à l'environnement. Certains autistes fonctionnent relativement bien et ne présentent pas de problèmes d'élocution ou d'intelligence. D'autres sont déficients mentaux, muets ou présentent de graves retards du langage. L'autisme est un état chronique. Bien que la condition de certains autistes s'améliore, de 60 à 75 p. 100 d'entre eux présentent un très mauvais pronostic.

La prévalence médiane de l'autisme est de l'ordre de cinq cas pour 10 000. Néanmoins, d'après des études récentes, cette prévalence serait de l'ordre d'un pour 1 000. On ne sait pas s'il s'agit là d'une véritable augmentation ou si c'est simplement le fait de différences de méthode, par exemple, d'une meilleure détermination des cas.

Pour se faire une idée de la santé mentale et des maladies mentales, il convient d'adopter la perspective la plus large. La violence en milieu familial est un problème sociétal grave qui entraîne d'énormes souffrances. Nous savons également que le comportement agressif est un problème à long terme: les enfants et les adolescents agressifs deviennent des adultes agressifs et violents.

En 1992 au Canada, 40 000 enfants environ vivaient dans des foyers d'accueil ou en dehors de leur foyer d'origine à la suite d'une intervention des services de protection de l'enfance. En Ontario, le nombre des enquêtes de la Société d'aide à l'enfance sur des cas de sévices physiques a augmenté en moyenne de 27 p. 100 par année entre 1983 et 1993.

Les enfants des rues sont généralement partis de chez eux parce qu'ils ressentaient leur foyer comme un endroit abominable, où ils étaient victimes de sévices physiques ou sexuels, ou de négligences. Malheureusement, en quittant le foyer pour la rue, ils s'exposent immanquablement à d'autres formes de sévices ou de négligences, qui peuvent comprendre la drogue, la prostitution et le désespoir.

La maladie mentale d'un enfant a de nombreuses conséquences pour sa famille. Les problèmes les plus couramment signalés par les membres de la famille concernent la santé mentale, avec des symptômes comme l'insomnie, les maux de tête et l'irritabilité et la dépression attribuable aux craintes suscitées par le comportement du patient. Quand il présente des problèmes constants, sans période de rémission, et qu'il est hospitalisé, la famille en ressent une grande tension. Il faut aussi mentionner les coûts indirects des pertes de salaire et de productivité pour les membres de la famille et les coûts directs du traitement des problèmes de santé mentale des membres de la famille imputables aux troubles mentaux de l'enfant. Ces fardeaux sont couramment observés chez les familles où des enfants présentent des troubles chroniques de santé mentale comme l'autisme, l'hyperactivité avec déficit de l'attention et la névrose anorexique.

La plupart des troubles de santé mentale des adultes commencent pendant l'enfance ou l'adolescence. Les trois quarts environ des cas de maladies psychiatriques diagnostiquées à l'âge de 21 ans avaient déjà été qualifiées de maladies psychiatriques à l'âge de 18 ans ou avant. La portion de cas précédemment identifiés va de 90 p. 100 pour les troubles de comportement antisocial à 72 p. 100 pour les troubles de l'humeur. Autrement dit, un maximum de 25 p. 100 seulement des personnes diagnostiquées avec une maladie psychiatrique à l'âge de 21 ans représentent des cas nouveaux. Par conséquent, un plus grand effort de prévention et d'intervention précoce permettrait d'empêcher et de réduire l'apparition de nouveaux cas.

J'ai essayé de montrer que les troubles de santé mentale chez les enfants sont graves et courants; qu'ils représentent un énorme fardeau de souffrance; et que la plupart des troubles de santé mentale chez l'adulte commencent pendant l'enfance et l'adolescence. En outre, malgré toutes les interventions en faveur d'une réforme du système afin de résoudre le problème des troubles de santé mentale des enfants, il est évident que les gouvernements pourraient et devraient agir davantage. Que peuvent-ils faire d'autre? Quel est le rôle du gouvernement en matière de santé mentale des enfants?

La mesure la plus décisive que pourrait prendre le gouvernement serait de créer un organisme responsable de la santé mentale des enfants. Cet organisme deviendrait le champion de la santé mentale des enfants. Il devrait ensuite élaborer une série de plans d'action.

Les autorités gouvernementales devraient promouvoir plus attentivement l'amélioration de l'accès aux soins et aux traitements appropriés. La nécessité de la coordination et de la collaboration entre les secteurs est devenue le leitmotiv en matière de santé mentale des enfants. Par exemple, les patients devraient pouvoir passer du milieu hospitalier à un service communautaire de soins.

La coordination concerne également différents ministères, notamment les services responsables de la santé, de la famille, de l'enfance, de l'action communautaire et de l'éducation. Chacun d'entre eux a son propre point de vue quant à son rôle et à son mandat. Il faudrait qu'un seul ministère assume la responsabilité de fournir les ressources nécessaires. Comme les districts scolaires réduisent leurs services, il est difficile d'organiser les interventions.

Un changement de système et une meilleure collaboration entre secteurs ne suffiront pas à eux seuls. Les ressources font défaut. Il faut aussi améliorer et accentuer l'accès à la formation dans la pratique et la recherche sur la santé mentale des enfants. Il faut diffuser davantage l'information sur les traitements efficaces et former une nouvelle génération de praticiens aux formes efficaces d'intervention.

Il faudrait aussi redoubler d'efforts pour élaborer un programme national de promotion de la santé et d'intervention précoce. Les plans de promotion et de prévention systématiques en santé mentale devraient être au centre des priorités du gouvernement.

L'organisme dont j'ai parlé pourrait prendre l'initiative de la promotion des questions de santé mentale. Par exemple, les interventions préventives ont prouvé leur efficacité à réduire les effets des facteurs de risque dans les maladies mentales et à améliorer l'épanouissement individuel. Il existe toute une gamme de traitements efficaces.

La solution aux problèmes tient notamment à la sensibilisation de la population et à la diffusion, en milieu éducatif, de programmes d'information sur différentes questions de santé mentale comme la reconnaissance des signes de dépression et des autres problèmes de santé mentale. De tels programmes existent, mais il faudrait les renforcer. L'un des thèmes abordés pourrait être la problématique des stigmates. De puissants stigmates empêchent les individus de reconnaître leurs propres problèmes de santé mentale, et à plus forte raison, de les révéler aux autres.

La promotion de la santé devrait aussi comprendre des efforts visant à favoriser les attitudes saines et à réduire la violence interpersonnelle. Il faut s'efforcer de susciter un débat public et une sensibilisation afin de dénoncer la représentation de la violence et des agressions dans les médias et de promouvoir d'autres formes de rapports sociaux afin de mobiliser les collectivités pour faire prendre conscience de l'utilisation de la violence comme outil publicitaire auprès des enfants et des jeunes.

Le président: Vous dressez un tableau très déprimant de la situation. Il est important de dire publiquement les choses telles qu'elles sont, et je vous en remercie.

Notre troisième intervenante est la Dre Joanne Renaud, des Instituts de recherche en santé du Canada.

[Français]

Dre Johanne Renaud, pédopsychiatre, chercheuse boursière des Instituts de recherche en santé du Canada, Centre hospitalier universitaire Mère-enfant Sainte-Justine: Je voudrais remercier les membres du comité de me donner la chance de présenter mon point de vue, point de vue influencé par ma pratique de pédopsychiatre à l'Hôpital Sainte- Justine où on reçoit des enfants et des adolescents de moins de 18 ans tous les jours, soit plus de 60 000 consultations à l'urgence pédiatrique chaque année, en plus des mères enceintes suivies en obstétrique ou en gynécologie, puisque les femmes peuvent accoucher à l'Hôpital Sainte-Justine. Je présenterai étalement le point de vue des jeunes chercheurs des instituts de recherche en santé du Canada. À ce sujet, avec mon équipe de recherche, nous venons de terminer une étude exploratoire sur les décès par suicide dans les services sociaux au Québec. Je remercie le réseau des services sociaux de nous avoir permis en tant que pédopsychiatres de faire cette étude auprès de cette population. D'autre part, nous avons débuté une étude très récemment sur le suicide chez les jeunes de la population générale de la province de Québec. Je voudrais remercier particulièrement le docteur Turecki, du Centre d'étude sur le suicide McGill auquel je suis rattachée, qui m'a référée à votre comité aujourd'hui.

Pour l'année 1997, on comptait 312 jeunes décédés par suicide au Canada, dont 261 chez les 15 à 19 ans et 51 chez les 14 ans et moins. Vous serez d'accord avec moi que de se donner la mort à 14 ou 15 ans, alors que des milliers voire des millions de personnes se battent tous les jours contre la mort, demeure paradoxal. Le suicide chez les jeunes Canadiens est un problème grave qui doit faire l'objet d'une action prioritaire.

Bien que le suicide touche les jeunes de toutes les classes de notre société, certains groupes de jeunes semblent particulièrement à risque de suicide et de comportement suicidaire, notamment les jeunes qui reçoivent des services des centres jeunesses en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants ou des lois portant sur les services de protection de l'enfance selon les provinces, les jeunes provenant de famille présentant des antécédents suicidaires ou de décès par suicide dans leur famille, ainsi que les jeunes Autochtones.

Toutefois, l'absence de consensus entre les différents dispensateurs de services quant au cadre général d'intervention, l'absence de concertation et de continuité d'intervention entre les ressources des domaines médicaux, psychosociaux et communautaires sont autant d'obstacles majeurs qui peuvent empêcher la réussite des interventions auprès des jeunes présentant un risque suicidaire élevé.

La compréhension du suicide est basée sur des théories biologiques, psychologiques et sociologiques, mais chacune de ces théories prises individuellement ne permet pas d'expliquer les multiples facettes de cette problématique. C'est pourquoi la prudence nous amène à concevoir un ensemble de facteurs de nature biologique, génétique, psychologique, sociale et politique qui seraient responsables du suicide.

On sait que parmi les facteurs de risque, la présence d'une ou de plusieurs maladies mentales se retrouve dans 90 p. 100 des décès par suicide. De manière plus complexe, on retrouve habituellement des événements de vie passés — des histoires d'abus, d'abandon, de suicide d'un parent ou de décès d'un parent en bas âge. À cela s'ajoute une maladie ou à plusieurs maladies mentales en «comorbidité», ce qui veut dire plusieurs maladies en même temps. Le plus souvent chez les jeunes, on retrouve la dépression majeure, l'abus d'alcool ou de drogues et les troubles des conduites qui sont des violations graves des règles préétablies, donc ce qu'on appelle des troubles disruptifs. Ces jeunes sont souvent vus comme des délinquants, des manipulateurs et des jeunes agressifs, mais ils sont également très à risque de suicide.

À la suite de cela s'ajoutent des éléments déclencheurs ou précipitant le suicide comme la fameuse rupture amoureuse, l'échec scolaire ou la comparution au tribunal, qui ne sont en fait que la fin d'une trajectoire vers le suicide.

Toutefois, l'enchaînement de ces facteurs de risque n'est pas facile à cerner. Il en ressort que le suicide est et demeure un phénomène complexe à travers le temps. Qui dit problématique complexe dit traitement et intervention complexes, c'est-à-dire qui touchent plusieurs personnes, plusieurs paliers de services et de gouvernement. Cela demande avant tout un travail d'équipe à tous les niveaux et en tout temps, un travail de concertation où l'information doit circuler facilement.

Or selon l'Organisation mondiale de la santé, la première stratégie de prévention du suicide passe nécessairement par le traitement de la maladie mentale. J'appuie entièrement cette recommandation. Mais avant de pouvoir appliquer des traitements efficaces, il faut avant tout assurer une stabilité en termes de conditions de vie de base, et ce, le plus tôt possible dans la vie de l'enfant. Cette stabilité doit être apportée par la famille, par l'école, par les organisations de service de protection de l'enfance lorsque les parents n'y arrivent pas pour toutes sortes de raisons.

Ensuite il faut favoriser de façon prioritaire le dépistage et le traitement précoce des troubles mentaux chez les enfants et les adolescents, principalement ceux dont les antécédents familiaux comportent une histoire de suicide. Pour ce faire, il faut sensibiliser, informer et former les intervenants du réseau selon leur rôle propre et leurs responsabilités, afin de les aider à reconnaître les signes de maladie mentale chez les enfants et les adolescents. Il faut aussi former les médecins généralistes à évaluer et à traiter la dépression majeure chez les jeunes, en première ligne et en équipe multidisciplinaire. Il faut établir un réseau de soins et de services coordonnés. L'approche encouragée devrait tenir compte d'un modèle pyramidal allant sur un continuum du dépistage dans les milieux scolaires aux soins plus spécialisés de la pédopsychiatrie, où l'intervenant qui travaille à la base peut demander à l'intervenant au-dessus de lui son opinion et éventuellement revenir à la base par la suite.

Toutefois, il faut investir dans le milieu premier de l'enfant, soit celui de l'école. Les réductions de services d'infirmières, de psychologues et de travailleurs sociaux ont été majeures dans les dernières années. L'école est pourtant l'endroit où les enfants passent la majeure partie de leur temps. Quand ces écoles ont des intervenants, ceux-ci travaillent dans la communauté, en contact étroit avec les médecins généralistes ou de famille. Un dépistage précoce en milieu scolaire nous apparaît possible dans ce contexte. Il faut donc miser sur une organisation de soins et de services en vertu d'un premier niveau touchant le dépistage des troubles mentaux, un niveau suivant incluant des équipes médicales en contact avec des équipes de travailleurs sociaux et de psychologues dans la communauté pouvant évaluer et traiter les troubles mentaux, en particulier la dépression majeure, et un autre niveau représenté par les services de pédopsychiatrie travaillant plus spécifiquement dans l'évaluation et le traitement des troubles mentaux plus complexes ou en «comorbidité» ou qui ne répondent pas adéquatement. Si la pédopsychiatrie reçoit directement les demandes provenant des écoles ou des familles sans avoir au préalable passé par l'équipe médicale ou psychosociale, ces services seront rapidement saturés avec le risque — et on peut l'observer actuellement — d'une liste d'attente pouvant aller jusqu'à deux ans dans certains services à Montréal. Attendre deux ans pour avoir une consultation en pédopsychiatrie, c'est plutôt inquiétant.

Ce n'est pas la majorité des gens qui va accepter d'aller voir un pédopsychiatre, donc la pédopsychiatrie doit être disponible pour soutenir et former les équipes médicales et multidisciplinaires et offrir des traitements de pointe dans les cliniques spécialisées pour les jeunes et leurs familles qui ne répondent pas ou qui répondent partiellement aux approches dites standard, ou qui nécessitent des pratiques thérapeutiques plus complexes et moins utilisées.

En termes de prévention en milieu scolaire, il est suggéré de remplacer les exposés portant spécifiquement sur le suicide en offrant plutôt des activités de promotion de la santé mentale. Il faut noter que la prévention du suicide par des lignes téléphoniques et les campagnes publicitaires axées directement sur le suicide n'ont pas fait leurs preuves scientifiquement. Il pourrait y avoir certains dangers associés à ce type de mode de prévention. Il faudrait plutôt miser sur des campagnes de promotion de la santé mentale pour les familles et pour les jeunes, le dépistage de la dépression majeure ou les effets de la consommation de drogue et de l'alcool.

Le traitement de la dépression pourrait non seulement réduire les taux de suicide mais aussi avoir des effets importants sur la santé publique en réduisant les incapacités liées à la dépression, en plus d'avoir un impact sur les futures générations à risque.

Enfin, les données cliniques et scientifiques appuient l'idée que le diagnostic et le traitement médical de la dépression devraient constituer des éléments prioritaires de toute stratégie de prévention du suicide. Cela souligne encore une fois la place des équipes médicales dans la communauté et de l'importance de leur formation.

En termes de recherche, il faudrait miser sur la recherche biopsychosociale, étudier les décès par suicide chez les jeunes à travers le Canada pour améliorer nos connaissances de l'intrication de l'enchaînement des facteurs biologiques, génétiques et psychosociaux. Il faudrait s'assurer que des mécanismes de rétroaction au médecin ayant traité les jeunes qui se sont suicidés soient disponibles en termes de résultats et de recommandations pour la suite.

Il serait intéressant d'étudier la présentation de la symptomatologie des maladies mentales chez les jeunes puisque, souvent, les présentations cliniques sont atypiques par rapport aux présentations chez l'adulte. Il serait aussi intéressant d'étudier l'effet de nos traitements sur les maladies mentales chez les jeunes, en particulier la dépression majeure, l'abus d'alcool et des drogues et les troubles de conduite.

Nos traitements sont-ils mis en place efficacement? Que savons-nous de la qualité des services et des traitements pour les jeunes? Faut-il étudier le devenir des jeunes qui ont fait une tentative de suicide, suite à leur visite à l'urgence? Quelle est l'adhésion du jeune et de sa famille au traitement proposé?

Il serait intéressant d'étudier l'organisation des soins de santé et des service sociaux à travers le Canada en termes de continuité de soins chez les enfants et les adolescents présentant des maladies mentales, incluant la période de transition des services de l'adolescence à l'âge adulte. C'est souvent une période qui amène également la fin des services de protection à l'enfance à l'âge de 18 ans.

J'aimerais vous proposer de regarder la position clinique des pédopsychiatres qui a été rédigée par un comité spécial pour voir quelle est notre conduite comme pédopsychiatres au Québec. Elle a été appuyée par écrit par 115 pédopsychiatres. Je l'ai mise en annexe du document.

[Traduction]

Le président: Je vous remercie tous les trois. J'aimerais vous poser une question très générale.

Le thème principal de chacun de vos exposés m'a étonné. Mme Massad a dit qu'il y avait une insuffisance de données et une absence de méthode uniforme pour diagnostiquer une situation que l'on pourrait parfaitement prévenir. Le Dr Beitchman a insisté sur la nécessité d'élaborer un plan d'action national. La Dre Renaud a parlé de la quantité des recherches à effectuer.

J'essaie de déterminer si le véritable problème est de ne pas savoir ce qu'il faut faire ou si, au contraire, on sait ce qu'il faudrait faire mais on ne voit pas comment assurer la coordination entre tous les intervenants. Je suis sidéré d'apprendre que notre pays ne connaît pas l'incidence du syndrome d'alcoolisme foetal.

Santé Canada a publié un cadre national pour un plan d'action il y a maintenant un peu plus d'un an. On dirait qu'on en est encore à discuter au lieu d'agir. À vous écouter, il semble que le problème exige de l'action, et non pas des palabres.

Se pourrait-il que nous ne sachions pas ce qu'il faut faire? Ne sait-on pas comment rassembler tous les intervenants pour qu'ils puissent agir? J'aimerais que vous me disiez ce que vous en pensez.

Mme Massad: C'est vrai. Pour de nombreuses raisons, il n'y a pas de collecte de données sur le SAF au niveau national. C'est un domaine d'investigation relativement nouveau. Il n'y a pas de méthode uniforme de dépistage et de diagnostic de cette déficience. Santé Canada est actuellement en train de normaliser une méthode. Nous travaillons avec des cliniciens et des experts dans ce domaine. Nous collaborons avec les provinces et les territoires. Le problème est complexe, car les intervenants sont nombreux. Nous travaillons actuellement avec eux pour normaliser l'approche.

Une fois que nous aurons des lignes directrices normalisées, nous pourrons recueillir des données qui nous fourniront une meilleure indication de la situation actuelle au Canada. Ensuite, il faudra traduire cette information en programmes et en services. Il reste du travail à faire dans ce domaine.

Dr Beitchman: Les problèmes sont complexes et font intervenir de nombreuses autorités. Il ne s'agit pas de tout résoudre par une seule intervention. Il y a plusieurs choses que l'on pourrait faire. Je ne voudrais pas donner l'impression que rien ne se fait actuellement, mais ce qui existe est insuffisant. Il faudrait agir davantage et de façon plus coordonnée.

J'ai parlé tout à l'heure du besoin de collaboration et de coordination entre les différents secteurs et à l'intérieur même des secteurs. Prenons le cas d'un enfant qui présente des problèmes de comportement à l'école. L'école veut savoir ce qu'elle doit faire de cet enfant. Pour l'aider le plus efficacement possible, il faut faire intervenir le ministère de l'Éducation, le ministère de la Santé et le ministère des Services à la famille, à la collectivité et à l'enfance — du moins en Ontario. Le problème, c'est que chaque ministère se fait sa propre idée du rôle qu'il doit jouer.

En Ontario, les écoles avaient autrefois des ressources pour travailler avec ces enfants. Elles ont disparu. Les écoles n'en ont plus. Il faudrait élaborer un système mieux intégré. C'est ce qu'on peut dire d'emblée, et non pas uniquement pour l'Ontario, mais à tous les niveaux.

Quand un patient quitte un établissement de soins actifs pour retourner dans la collectivité, il doit s'adresser à des fournisseurs différents. Le régime de financement est différent et il faut tout recommencer à zéro. Il est donc difficile d'assurer la continuité nécessaire dans les soins. Il faudrait une volonté politique, des ressources et une vision précise de la façon dont les choses doivent se passer.

J'ai aussi parlé de promotion de la santé. Nous savons que c'est une formule efficace. Il y a toutes sortes de choses que l'on pourrait faire.

Le président: Il suffit de voir le succès des campagnes antitabac. Elles ont été très utiles, même si le problème n'est toujours pas résolu.

Dr Beitchman: Il n'y aura jamais assez de personnel soignant pour s'occuper immédiatement de tous ceux qu'il faut soigner. Ils sont trop nombreux.

Il faut donc faire tout ce qu'on peut pour empêcher au départ l'apparition de la maladie. Il faut amorcer un plan national de promotion de la santé et de prévention des maladies. L'opération est déjà en partie réalisée.

Il faudrait aussi augmenter les effectifs soignants. Tous les services connaissent une pénurie de personnel. Il faudrait augmenter non seulement les effectifs, mais également la qualité et la formation interdisciplinaire.

On sait ce qu'il faut faire, mais qui aura les ressources et la volonté politique nécessaires? Quelle est l'autorité compétente?

C'est précisément pour cela que j'ai parlé d'un organisme national doté de pouvoirs étendus qui pourrait rassembler les intervenants concernés, arrêter des politiques, fixer des lignes directrices et des normes que chacun devra observer, de façon à obtenir des modèles efficaces. Il y a place pour agir. On en fait déjà beaucoup, mais ce n'est pas assez.

[Français]

Dre Renaud: Je suis assez d'accord avec mon collègue parce que c'est un problème complexe. Cela demande une organisation de soins et de services entre les différents ministères dont vous avez parlé. C'est pour cela qu'on essaie de miser sur la première ligne, c'est-à-dire les médecins omnipraticiens. C'est surtout aussi parce que nous n'avons pas un nombre suffisant de pédopsychiatres actuellement; je pense que nous sommes environ 130 pédopsychiatres au Québec. Il est certain que nous ne pouvons pas subvenir à la demande et aussi, dans les dernières années, peu de personnes ont choisi de devenir pédopsychiatres étant donné la lourdeur des situations que l'on voit quotidiennement en clinique.

Il faut donc miser sur le côté de la communauté, avec les médecins généralistes. Pour cela, il faut supporter ces médecins généralistes car ils sont souvent pris au dépourvu. Il faut aussi qu'ils apprennent à travailler en équipe puisque la santé mentale chez les enfants est quelque chose qui se fait en famille. Une autre chose que l'on a essayé d'aborder est un langage commun entre les différents intervenants. Les service sociaux ont parfois des visions différentes de celles de l'éducation et de la pédopsychiatrie. Nous essayons d'obtenir des approches plus concertées et cela passe souvent par les formations que l'on peut donner pour partager des exemples cliniques ensemble se rapprochant de la pratique quotidienne.

[Traduction]

Le président: J'espère que vous allez y réfléchir. C'est le prolongement de ce qu'a dit Mme Renaud. Notre comité essaie de résoudre des problèmes pratiques. Nous ne visons pas la perfection.

Mme Renaud vient de décrire une situation dans laquelle divers groupes ont des points de vue différents sur ce qu'il faudrait faire. Il faudrait adopter l'un de ces points de vue, quitte à en mécontenter certains. Il est préférable d'adopter un point de vue et d'agir que d'essayer de mettre tout le monde d'accord. C'est comme dans le débat fédéral-provincial, où rien ne se passe avant qu'il y ait unanimité.

J'aimerais que vous réfléchissiez à ce que ce comité pourrait faire pour que l'on cesse d'essayer de mettre tout le monde d'accord et que l'on agisse, même si l'action n'est jugée positive qu'à 60 p. 100. Ce serait tout de même préférable à la situation actuelle.

Je vous demande d'y réfléchir et de nous en reparler. Ce serait très utile.

Le sénateur LeBreton: Vous nous avez présenté une information très précieuse. Je voudrais poser ma première question au Dr Beitchman. Dans votre réponse au sénateur Kirby, vous avez dit que la mesure la plus utile que pourrait prendre le gouvernement serait de créer un organisme gouvernemental. Existe-t-il actuellement un organisme semblable dont on pourrait reprendre la structure? Votre organisme pourrait-il être créé sur le modèle d'un organisme déjà existant, soit au niveau fédéral, soit au niveau provincial?

Dr Beitchman: Je n'en suis pas sûr. Je pense à un groupe qui aurait l'aval du gouvernement et qui serait doté des pouvoirs et des ressources nécessaires pour faire la promotion de toutes les questions dont nous parlons aujourd'hui. Ce groupe réunirait des experts capables de créer des modèles expérimentaux, de proposer des structures d'intervention ou d'organiser des campagnes publicitaires.

Nous avons parlé tout à l'heure de la prévalence du syndrome de l'alcoolisme foetal. Cet organisme pourrait promouvoir la collecte des données pertinentes. Voilà le sens de ma proposition. Par ailleurs, il devrait s'agir d'un organisme de portée nationale s'adressant très largement aux autorités des provinces et territoires susceptibles de participer à son action.

Vous êtes mieux placés que moi pour trouver dans le secteur public des modèles rassembleurs.

Le sénateur LeBreton: Ou même à l'étranger.

Dr Beitchman: Oui.

Le sénateur LeBreton: Madame Massad, j'ai trouvé vos données étonnantes. Je vois qu'elles sont relativement nouvelles car je ne pense pas qu'il ait été question de syndrome d'alcoolisme foetal il y a 15 ou 20 ans.

Lorsque vous compilez des données, est-ce que vous tenez compte des enfants nés dans les années 60 ou 70? Je pense que lorsque nous avons eu des enfants, cela ne nous est jamais arrivé. J'ose espérer qu'aucune d'entre nous ne s'adonnait à la boisson, mais celle qui aurait bu une bière ou deux ne devrait pas avoir à se sentir coupable des années plus tard d'être à l'origine des problèmes de ses enfants parce qu'elle a bu un verre ou deux à un mariage. La consommation d'alcool a augmenté dans notre société, mais est-ce que vous pouvez trouver l'incidence correspondant à chaque décennie? Comment obtenez-vous ces données?

Mme Massad: C'est une bonne question. Je crois qu'il est difficile de le faire par décennie. Il serait très difficile de remonter plus de 30 ans en arrière, à moins que les personnes n'aient été diagnostiquées à l'âge adulte.

Le syndrome a été diagnostiqué pour la première fois en 1973. Il n'y a pas de méthode normalisée de collecte des données. Des groupes isolés ont commencé à les recueillir, mais la collecte n'est pas uniforme. Des données sont recueillies depuis 1973. Aucune étude n'avait été faite auparavant.

On a interviewé des personnes âgées de 20 à 51 ans. Leurs problèmes auraient débuté au cours des décennies précédentes. Cependant, ces entrevues n'ont débouché sur aucune donnée décisive. Les données récentes ne sont pas concluantes.

Notre problème consiste à dégager un consensus sur les définitions correspondant aux différentes notions de syndrome d'alcoolisme foetal ou des effets de l'alcool sur le foetus ainsi qu'un consensus sur la méthode de diagnostic.

Le sénateur LeBreton: Vous ne pouvez travailler qu'avec les cas qui peuvent être identifiés.

Mme Massad: Les chiffres réels sont peut-être supérieurs à ceux que je vous ai donnés.

Le sénateur LeBreton: C'est curieux. Ils ne m'ont pas paru très élevés.

Mme Massad: Je parlais du syndrome d'alcoolisme foetal, mais si l'on considère toute la gamme des troubles que regroupent les TSAF, les cas sont beaucoup plus nombreux.

Le sénateur LeBreton: Vous avez parlé d'un cadre national d'action. Où est-ce qu'on en est dans ce domaine?

Mme Massad: Nous avons terminé les consultations. On va colliger l'information afin de favoriser la prévention et d'améliorer la qualité de vie des personnes atteintes. C'est le but de l'élaboration de ce plan d'action.

Le sénateur LeBreton: Quelle est l'étape suivante? Allez-vous terminer le plan d'action et le mettre en oeuvre?

Mme Massad: Oui, nous allons essayer de le mettre en oeuvre. Nous allons nous occuper de plusieurs objectifs du cadre. Le dépistage et le diagnostic en font partie, et nous allons nous efforcer de mettre ces éléments en oeuvre.

Le sénateur LeBreton: Allez-vous rassembler tous les groupes? Avez-vous prévu un lancement national? Comment cela va-t-il se concrétiser?

Mme Massad: Nous ne l'avons pas encore déterminé.

Le président: Quel délai vous êtes-vous fixé?

Mme Massad: Un an, je crois. La démarche a commencé en juin dernier. Comme l'ont dit les autres, il est difficile de réunir tout le monde autour d'une même table; le domaine est complexe et fait appel à de nombreux intervenants. Il n'y a pas que les provinces et les territoires. Il y a aussi les ONG et le personnel soignant.

Le sénateur LeBreton: J'aurais une question à poser à la Dre Renaud, car ses commentaires m'ont frappée. Parfois, on a tendance à jeter le bébé avec l'eau du bain, pour reprendre une vieille expression. Lorsque nous étions à l'école, il y avait des conseillers d'orientation et des infirmières. Les compressions budgétaires en éducation ont-elles limité les perspectives d'intervention? Le problème tient-il à l'impossibilité de constater précocement les effets du syndrome pendant la scolarité?

[Français]

Dre Renaud: Oui. Des gens nous disent que les professeurs qui voient les enfants après la journée de classe peuvent dire si tel enfant va bien ou non. Par contre, ils vont dire que la travailleuse sociale ne vient que deux jours par semaine dans leur école car elle passe les trois autres jours dans une autre école, ou bien qu'elle est absente cette semaine pour cause de maladie. C'est la situation que vivent les gens.

On a essayé de mettre en place un projet d'interventions concertées par la mise en place d'un réseau de personnes- ressources à contacter. Se connaître facilite beaucoup les échanges. Parfois un simple coup de téléphone nous permet de vérifier quelques points. Cela nous permet de rassurer rapidement les gens ou de les aviser qu'il est important de procéder à d'autres mesures. Les responsables scolaires ne savent pas toujours quand il est temps d'impliquer les parents. Ils craignent parfois d'enfreindre le principe de confidentialité. Nous leur disons qu'ils ont, au contraire, le droit de briser cette confidentialité surtout quand il est question de vie ou de mort. C'est même essentiel pour aider un enfant qui ne sait pas comment exprimer son mal.

Les coupures budgétaires en milieu scolaire ajoutent cependant aux difficultés ainsi que le manque de temps. Même les enfants de cinquième année du primaire, hors du système régulier parce qu'ils sont turbulents en classe, qui se retrouvent toujours à l'extérieur, dans le corridor, sont tout à coup référés en psychiatrie parce qu'ils ne peuvent plus suivre les cours. Cela fait parfois trois ou quatre ans que l'enfant a des problèmes. On retrouve finalement toutes sortes de difficultés, des troubles du langage ou autres.

[Traduction]

Le sénateur Cook: Je vous remercie de cet exposé. Si notre objectif est d'obtenir des normes nationales, je me souviens du programme national de santé cardiaque qui est arrivé chez nous, à Terre-Neuve, il y a huit ou neuf ans avec un ensemble de normes et de formules. La province a appliqué ce programme par l'intermédiaire des services de santé communautaire. Santé Canada a obtenu de bons résultats grâce à lui.

Comme ce sont les provinces qui s'occupent de la santé et de l'éducation, ne pourrait-on pas utiliser le même genre de mécanisme si l'on veut fixer une norme nationale? Ne serait-ce pas une filière à envisager pour Santé Canada?

Mme Massad: Si, absolument. Nous travaillons avec nos partenaires du milieu communautaire pour assurer la mise en valeur de son potentiel.

Le sénateur Cook: Même si nous ne lancions qu'un projet pilote, monsieur le président, nous obtiendrions du moins une application pratique.

En ce qui concerne les compressions budgétaires en éducation, on a maintenant des classes plus chargées; on a perdu les conseillers, on perd les professeurs d'éducation physique et les professeurs d'arts plastiques. L'enfant perd sa créativité et se retrouve dans un cours de rattrapage. Si on avait les équipes d'intervention dont je rêve, c'est-à-dire des équipes multidisciplinaires dirigées par une infirmière — le personnel infirmier a des qualités humaines extraordinaires — les enfants à problèmes seraient confiés aux services de santé communautaire et on obtiendrait un résultat positif. Il faut faire le lien entre les différents services. Peut-être faudrait-il envisager un programme semblable à celui de la santé cardiaque qui a donné d'excellents résultats dans ma province.

Le sénateur Keon: Si nous proposions un programme national ou une organisation quelconque pour s'attaquer aux problèmes énormes que vous décrivez, quelle serait la limite d'âge? Je sais que c'est une question difficile; je ne veux pas que vous soyez obligés de donner trois réponses différentes.

Dr Beitchman: Je ne sais pas si je connais la réponse. Je pense que les intéressés devraient débattre de la question et tenter de déterminer quel serait l'âge approprié. Traditionnellement, le groupe d'âge utilisé s'arrête à la fin de l'adolescence — 18 ou 19 ans. Je ne sais pas si c'est l'âge approprié. Je dirais que la fourchette se situe entre 18 ans et le début de la vingtaine.

C'est un des aspects qui pourrait faire l'objet d'une discussion animée, car tout dépend des objectifs fixés, de ce qui est par ailleurs disponible et de la méthode de mise en oeuvre. Dans certains cas, il est préférable d'aller jusqu'à 18 ans. Dans d'autres cas, il vaudrait peut-être mieux aller au-delà de 18 ans. Je ne voudrais pas proposer une limite d'âge arbitraire, mais c'est dans cette plage.

Il est important qu'il y ait un groupe connu qui assume la responsabilité lorsqu'il s'agit de toutes les questions reliées à la santé mentale des enfants et des adolescents. Je ne pense pas qu'il y ait de tel groupe actuellement.

Il y a des organisations de santé mentale. La plupart d'entre elles mettent l'accent, à juste titre, sur la santé mentale des adultes.

Qui se préoccupe des enfants et des adolescents? On a tendance à les écarter. Voilà pourquoi il est si important qu'il y ait un défenseur acharné pour faire avancer le dossier. Les possibilités de résultats sont nombreuses, comme je le mentionnais plus tôt.

Le sénateur Keon: Je soulève la question parce que j'ai moi-même été dans le monde de la santé, et ce, toute ma vie. Je m'inquiète des jeunes de 17 à 22 ans parce qu'on les laisse à eux-mêmes. Cela peut être désastreux pour des enfants qui ont des tendances suicidaires. Même si la solution n'est pas parfaite, je pense que c'est quelque chose où il nous faut agir. Qu'en pensez-vous, docteure Renaud?

[Français]

Dre Renaud: Un de mes collègue est tombé malade et a il dû cesser sa pratique l'année dernière. Son patient a eu 18 ans pendant cette période — c'était un jeune avec des troubles mentaux importants — et il s'est suicidé une fois qu'il a été transféré en psychiatrie adulte. Sa mère est revenue voir le psychiatre en question lors de son retour à la pratique pour discuter avec lui. La mère disait que tout avait été bien fait par le remplaçant de ce psychiatre, mais les services qu'il a reçus en psychiatrie adulte ont été administrés avec une certaine rigidité que nous ne retrouvons peut-être pas en pédopsychiatrie, où on accepte les choses différemment. Quand on a affaire à un adulte, la tendance est de lui dire de se responsabiliser; l'approche est moins familiale à certains endroits parce qu'on met l'accent sur l'autonomie. Ce garçon n'a pas eu droit au bien-être social. Il n'avait donc pas beaucoup d'argent pour acheter ses médicaments même s'il aurait pu bénéficier de l'assurance-médicament. Si on manque une première fois notre ordonnance et qu'on est très fragile, on devient plus instable, on peut tomber en rechute et si on n'a pas confiance, on n'ira pas voir le psychiatre pour dire que l'on a besoin d'être hospitalisé. Plusieurs facteurs ont fait qu'à 18 et demi ou à 19 ans, il s'est suicidé.

[Traduction]

Mme Massad: Dans le cas du syndrome d'alcoolisation foetale, il est difficile de fixer un âge limite puisqu'il s'agit d'une déficience à vie. Voilà le problème. Après un certain âge, ces personnes disparaissent et se retrouvent dans la rue, en prison ou meurent. C'est ce qui arrive avec cette déficience.

Le sénateur Keon: J'aimerais pousser la question un peu plus loin. Il me semble que si, par exemple, il y avait un organisme pour s'occuper de cet aspect et que nous puissions définir le groupe d'âge qui constituerait sa clientèle, alors nous pourrions travailler à élaborer un plan de transition pour la prochaine étape de soins.

Toutefois, si c'est comme le secteur de la santé où j'ai travaillé, on perd ces patients de vue vers l'âge de 17 ans et on les retrouve à 22 ou 23 ans. Je m'inquiète beaucoup que cela se produise dans le domaine de la santé mentale.

J'aimerais que vous tentiez encore une fois de répondre. Je comprends très bien ce que vous avez dit, docteur Beitchman, mais c'est vraiment un problème très grave dans notre régime de soins de santé.

Dr Beitchman: Il est clair que ce groupe d'âge représente un groupe à risque élevé, vers la fin de l'adolescence et jusqu'à la mi-vingtaine, au début de l'âge adulte. Quelqu'un doit assumer la responsabilité. On parle souvent des jeunes à l'âge de la transition. Ils sont trop vieux pour les programmes traditionnels à l'intention des adolescents et ils sont en général trop jeunes pour les programmes qui s'adressent aux adultes. Les travailleurs du secteur des adultes ne les comprennent pas bien et souvent ne sont pas intéressés à travailler avec eux. Les travailleurs des secteurs plus traditionnellement consacrés à l'enfance ont la même impression, les voient comme des grands. Il faut un groupe qui les prenne en charge.

Le Centre de toxicomanie et de santé mentale, où je travaille aussi, a intégré le groupe des toxicomanies chez les jeunes à ce groupe d'âge dans le cadre de notre programme global pour l'enfance, la famille et la jeunesse. Nous avons fait en sorte de reconnaître que les besoins de ce groupe d'âge devaient être pris en compte de façon spéciale.

Si nous avons la chance de parvenir à organiser cet organisme national, je ne veux pas lui dicter comment il devrait fonctionner ni ce qu'il devrait faire, y compris en ce qui a trait aux limites de leur groupe d'âge. Vous avez fait valoir un point intéressant et je serais favorable à l'inclusion des jeunes de cet âge dans ce groupe.

[Français]

Le sénateur Pépin: Si je comprends bien, lorsqu'un individu en thérapie atteint l'âge de 18 ans, on doit le changer de catégorie et il doit consulter des psychiatres qui soignent des adultes. Habituellement, lorsque quelqu'un est en thérapie, si tout va bien, on dit que ce serait mieux de ne pas le transférer.

Dre Renaud: On triche un peu. On continue à les voir malgré tout et on reçoit des lettres de la part de l'administration nous disant que théoriquement, s'il était hospitalisé, il faudrait absolument qu'il le soit dans un service de psychiatrie adulte. C'est défendu de les hospitaliser en pédopsychiatrie.

Le sénateur Pépin: Cela n'a pas de sens.

Dre Renaud: Oui, mais cela enlèverait la place à d'autres qui sont plus jeunes aussi.

Dre Renaud: La transition aura probablement à se faire un jour. Il s'agit de la préparer longtemps d'avance. Ce que l'on essaie de faire, c'est de la prévoir au moment de la prise en charge de quelqu'un qui aurait 17 ans, par exemple.

Parfois on essaie de les faire inscrire en psychiatrie adulte pour que le premier contact soit déjà là-bas, mais certaines cliniques sont très rigides et disent non. Il est certain qu'il faut préparer cette transition et faire en sorte qu'il y ait une certaine souplesse entre les deux services.

Le sénateur Pépin: Pour certains, cela sera beaucoup plus facile que d'autres. C'est comme la coupure du cordon ombilical.

Dre Renaud: C'est la même chose pour les jeunes des services sociaux. Ils sont obligés de préparer vers 16 ans et demi la fin des services à 18 ans. Ce sont des carencés affectifs épouvantables. On a mis sur pied certains services alternatifs dans la communauté pour les aider.

[Traduction]

Le sénateur Cordy: Il est parfois déroutant d'entendre des renseignements comme ceux-là, parce qu'on ne sait plus vraiment par où commencer. Je suis d'accord pour dire que la santé mentale des enfants est certainement l'orpheline des orphelins.

Docteur Beitchman, l'idée que vous avez exprimée de créer une agence ou un ministère pour s'occuper de la santé mentale des enfants a retenu mon attention. Pourrions-nous faire davantage? Dans votre exposé, vous avez parlé de familles qui sont dépassées quand elles ont à s'occuper d'un enfant qui souffre de maladie mentale.

Avant d'être nommée au Sénat, j'étais enseignante à l'école primaire. Tout au long de ma carrière, j'ai eu des élèves atteints d'autisme et de diverses autres maladies. Les familles étaient certainement surchargées et elles étaient aussi souvent confuses parce que, comme vous l'avez déjà dit, elles devaient traiter avec un plus grand nombre d'organismes gouvernementaux. Un enseignant doit traiter avec le psychologue de l'école, l'orthophoniste, l'hôpital pour enfants — dans mon cas, il s'agissait du IWK Grace Health Centre à Halifax — et les parents doivent traiter avec le système scolaire. Dans certains cas, on leur fournit de l'information contradictoire. Les parents essaient d'être de bons parents et de faire ce qu'il faut, mais ils ne sont pas vraiment certains de ce qu'il y a lieu de faire.

En fait, il en résulte un conflit dans la famille. J'ai entendu un sénateur, spécialiste des questions de l'enfance, dire qu'un bon nombre de ces familles avaient besoin d'un défenseur de la famille pour s'y retrouver dans le système. De cette façon, les parents peuvent poser des questions et obtenir des réponses d'une seule personne — le défenseur de la famille.

Parfois, dans des réunions, les parents sont devant un groupe de spécialistes, qui ne veulent certainement pas se montrer hostiles, mais le parent est presque intimidé par leur savoir.

Vous avez dit que des familles étaient dépassées; d'après mon expérience, je peux certainement dire que c'est le cas. Que pensez-vous de cette idée d'un défenseur de la famille? Serait-il lié à un organisme ou à un ministère?

Dr Beitchman: Sénateur Cordy, je reconnais volontiers l'existence de la situation que vous décrivez. Je l'ai moi-même constatée dans ma pratique. Malheureusement, il arrive souvent, pas seulement à l'école mais aussi dans de nombreuses cliniques, que ceux qu'on appelle les spécialistes ne parviennent pas à faire part des besoins de l'enfant et de la famille de façon emphatique et utile.

Dans bien des cas, la famille et l'enfant ont bel et bien besoin d'un défenseur — quelqu'un qui puisse interpréter ce qu'on leur dit et les aider à évaluer cette information. Il y a des endroits où on s'y prend mieux qu'ailleurs. Il y a un intérêt à disposer d'un défenseur. Je pense que les familles elles-mêmes auraient à décider si oui ou non elles veulent ou ont besoin d'un défenseur. Dans les cas où on pourrait leur en fournir un, j'appuierais certainement l'idée de disposer de quelqu'un qui connaît le système, qui sait où s'adresser, qui sait à qui parler et qui pourrait s'y retrouver dans tout le jargon au nom des parents et de l'enfant.

Par exemple, un organisme ou un groupe de défense national d'un type ou l'autre pourrait être le porte-parole d'un regroupement de défenseurs de la famille, si l'on peut dire, pour soutenir les utilisateurs et travailler avec eux à tous les niveaux.

Le sénateur Cordy: La famille devrait se rallier à cette idée afin que ça ne soit pas simplement un autre organisme.

Docteure Renaud, vous avez parlé de suicide, d'intervention précoce et de risques. Quand je travaillais en éducation, je trouvais frustrant de constater qu'un enfant ou des membres d'une famille étaient dans une situation à risque. Dans ces cas-là, on le portait à l'attention de l'administration. Tout d'abord, il y avait une période d'attente de six mois pour que l'enfant puisse voir le psychologue ou qu'on s'entretienne avec la famille. Si le psychologue acceptait l'évaluation de l'enseignant, il fallait attendre encore six mois pour obtenir un rendez-vous au centre d'orientation de l'enfant, ou un autre centre, pour obtenir de l'aide. L'intervention précoce semble formidable, mais elle n'est pas toujours une réalité.

Y a-t-il moyen de résoudre ce problème? Comme l'a également soutenu le sénateur LeBreton, on a continué de réduire les ressources en éducation.

[Français]

Dre Renaud: C'est ce que l'on essaie de travailler avec les protocoles et avec les différents niveaux d'intervention de services. On dit que même si on signale la situation, on ne sait pas trop quoi faire. On a les centres locaux de services communautaires, les CLSC. Ils ont mis certains intervenants de l'école en lien direct avec le CLSC, où ils peuvent trouver une infirmière, un omnipraticien et certaines personnes qui font de l'intervention de crise.

On a aussi l'équipe de crise que l'on a mise en place cinq jours sur cinq à Sainte-Justine et ce, toute la journée. On a même engagé des infirmières pour travailler le soir pour faire de l'intervention de crise. Si on veut faire cela, il ne faut avoir la phase du CLSC ou des médecins d'équipes multidisciplinaires au milieu. Les secteurs où cela fonctionne bien sont ceux où les gens travaillent en équipe et acceptent de voir ces jeunes qui sont difficiles. Certaines personnes très bonnes en intervention de crise ne feront pas une histoire complète mais au moins pour les cas plus urgents, elles peuvent décider de ce qu'il faut faire et documenter la situation. Souvent les gens paniquent et nous n'avons pas toute l'information qui nous apparaît nécessaire. Une fois que l'on prend des décisions à un certain niveau, il faut donner la réponse que nous avons trouvée à l'autre niveau. Parfois ils nous disent: «On va à l'urgence, on n'a pas de réponse et on se fait dire que ce n'est pas grave. Il ne faut pas l'hospitaliser.» Mais nous on fait quoi après? Le jeune revient dans notre milieu. On a mis des infirmiers de liaison pour assurer cette continuité et parfois le téléphone aide à régler certaines situations plus rapidement que d'autres.

Cela a permis de ne plus avoir de liste d'attente dans notre service de clinique externe en pédopsychiatrie. On aime mieux mettre le temps en clinique externe qu'à l'urgence. Ce sont des meilleures conditions de travail et il y a plus d'effets sur les familles. Nous sommes beaucoup plus calmes et ce n'est pas la même situation.

C'est sûr qu'il faudra plus de personnel dans les écoles. Il faut que ce personnel se sente soutenu. Ce n'est pas le directeur de l'école qui doit faire ce travail, c'est le réseau de la santé qui doit venir voir ce qui se passe et déterminer comment on peut mieux arrimer les choses. Les régies ne nous donnent pas nécessairement le mandat de faire cela.

On voit où il y a des problèmes, mais on ne peut pas le dire que ce n'est pas de notre ressort de dire ou de dicter les choses aux autres. On essaie donc de s'organiser le mieux possible mais on n'a pas nécessairement le pouvoir d'imposer ce genre de fonctionnement. S'il y a deux ans d'attente dans certaines cliniques à Montréal, qui va se retrouver avec ces jeunes? Les parents viennent nous voir et il nous disent que cela va plus vite chez nous. Mais cela fait seulement depuis deux ans que ça va plus vite. On a dit qu'il fallait changer les choses pour pouvoir donner des services plus spécialisés et plus compliqués.

[Traduction]

Le sénateur Cordy: Madame Massad, je ne vois pas bien ce qu'il en est au sujet de la collecte de données. En recueillez-vous ou non? Je ne m'y retrouve pas.

Mme Massad: Nous ne recueillons pas de données à l'échelle nationale et nous n'avons pas un seuil national de données. Il n'y a pas de consensus sur la façon de recueillir des données. Il y a ça et là des communautés où l'on en recueille, à l'aide de différents outils de diagnostic et de dépistage. Il n'y a pas d'harmonisation. Cette information est compilée et utilisée pour faire des estimations.

Le sénateur Cordy: Comment pouvez-vous dire si vos programmes donnent ou non des résultats si vous ne savez pas combien de cas vous avez?

Mme Massad: C'est l'un des problèmes que nous avons. Tant que nous n'aurons pas de directives de diagnostic normalisées, il y aura des difficultés. Une fois que nous en aurons, nous saurons mieux dans quelle mesure nos programmes et services desservent la population et comment améliorer l'accès aux programmes.

Le sénateur Cordy: Qu'est-ce qui vous en empêche?

Mme Massad: D'abord, il y a de nombreux intervenants et il est parfois difficile d'obtenir un consensus entre les provinces et les territoires. Il y a de nombreux intervenants à la table.

Je le répète, nous envisageons un échéancier d'un an pour finaliser notre cadre stratégique. Nous venons de terminer une consultation et le processus a été long. Il faut du temps, en raison du nombre de personnes et d'intervenants en cause.

Le sénateur Fairbairn: Comme mes collègues, je ne sais plus comment poser les questions parce que le problème est si complexe et troublant. Par conséquent, je vais aborder un problème que je connais et sur lequel je travaille depuis un certain temps, et je vais m'en servir pour vous donner l'occasion de m'aider à comprendre certaines des autres choses dont nous parlons ici.

Je travaille en alphabétisation depuis longtemps, tant en ce qui concerne les adultes que les familles. Ce n'est que maintenant, soit depuis les cinq dernières années, que la question de l'alphabétisation des familles apparaît peut-être comme l'aspect le plus épineux de ce très vaste problème au sujet duquel les Canadiens ne savent pas grand-chose ou préfèrent en ignorer l'existence.

En matière d'alphabétisation familiale, il faut songer aux enfants, pas seulement aux adultes.

Ce n'est que depuis la fin des années 80 que le ministère fédéral du Développement des ressources humaines reconnaît que divers troubles d'apprentissage sont légitimes. Je regarde ce qu'on a ici, quand vous parlez de troubles du comportement, de THADA, d'hyperactivité avec déficit de l'attention, et de ce genre de choses.

Dans quelle mesure peut-on facilement faire la différence entre un trouble d'apprentissage et l'hyperactivité avec déficit de l'attention, par exemple? Je connais une personne qui a tourné en rond pour s'être fait dire après un exercice de dépistage qu'elle avait des troubles d'apprentissage et qu'il y avait des moyens de faire face à cela — mais pas de façon générale. Le dépistage n'est toujours pas d'accès facile pour les enfants à l'échelle nationale. On répond souvent que le problème d'apprentissage résulte d'une hyperactivité avec déficit de l'attention ou THADA et que le Ritalin est la réponse. C'est un cercle vicieux pour la personne qu'on veut aider au centre. C'est souvent difficile pour les familles et les écoles parce qu'on n'a pas le savoir-faire voulu pour repérer exactement le problème si on veut aider l'enfant.

J'aimerais savoir ce que vous en pensez, parce qu'il me semble que les gens s'en lavent souvent les mains en disant: «Eh bien, c'est vraiment ceci et pas cela, et vous devez donc aller voir quelqu'un d'autre.»

Dr Beitchman: Merci. La question est intéressante et importante. Le problème tient en partie au fait que les enfants qui ont des troubles d'apprentissage et des THADA, par exemple, ont souvent des problèmes qui se recoupent. La façon de définir les troubles d'apprentissage a donné lieu à une longue controverse. Les éducateurs et les professionnels du domaine s'entendent pour dire que les enfants qui performent en deçà de leur niveau scolaire normal devraient être considérés comme ayant des troubles d'apprentissage et obtenir les ressources additionnelles dont ils ont besoin. Le problème prend alors une tournure politique, parce que certaines autorités fournissent des ressources additionnelles et un financement pour les enfants ayant des troubles d'apprentissage alors que d'autres ne le font pas.

De plus, la science nous a permis de progresser dans la façon dont on diagnostique les troubles d'apprentissage. Les éducateurs et les psychologues utilisent une série de tests pour diagnostiquer les troubles d'apprentissage. Une chose que nous avons apprise, c'est que ce qu'on estime être le fondement des troubles d'apprentissage — d'abord les troubles de lecture — est lié à des difficultés auditives et à la capacité de reconnaître certains sons. Par exemple, si un enfant a à lire un mot où il y a une fusion, par exemple le son «bl» ou «ph», comme il n'entend pas le son, il a du mal à le reconnaître. On pense que c'est lié au processus phonologique ou à la capacité de traiter les différents sons qu'on entend. Il semble aussi qu'il pourrait y avoir une composante génétique dans une certaine mesure. On fait des constatations d'ordre génétique dans des familles où les enfants ont des troubles d'apprentissage.

On dispose de bonnes données scientifiques sur la nature des problèmes d'apprentissage et de lecture et sur ce qu'est le THADA. Une partie du problème tient au fait qu'on se renvoie la balle. Je l'ai moi-même constaté dans ma pratique. Toutefois, je suis là depuis assez longtemps pour m'en rendre compte quand cela se produit. Un professionnel dira que cela relève de son domaine et un autre dira que cela relève d'un autre domaine, alors qu'en fait le problème peut relever des deux domaines. L'enfant peut avoir un problème d'apprentissage et le THADA. Les gens qui ont le THADA ont des problèmes d'impulsivité, d'attention et de comportement. S'ils ont en outre des problèmes de lecture, s'ils ont de la difficulté à distinguer les sons et à entendre ce que dit l'enseignant, ces enfants seront encore plus perturbés et auront encore plus de difficulté.

Plus tôt, la Dre Renaud a parlé d'approche multidisciplinaire. L'exemple que vous avez donné montre bien là où il faut une approche multidisciplinaire. Il peut s'agir d'un problème d'élocution et de langage, c'est-à-dire que l'enfant a des problèmes à reconnaître les sons. Il peut falloir travailler sur le plan phonétique et s'efforcer de reconnaître les mots sur une page, aider l'enfant à apprendre à lire. Il se peut aussi que l'enfant puisse prendre un peu de Ritalin. Toutefois, le Ritalin ne va pas régler le problème de traitement phonologique ni le problème de lecture. Il peut l'aider à suivre mieux, et à apprendre mieux parce qu'il suit mieux, mais cela ne va pas régler le trouble d'apprentissage. Ces problèmes coexistent souvent. Pour offrir les meilleurs soins et les meilleurs traitements possibles à un enfant, on doit s'occuper du trouble de lecture en plus de s'occuper du THADA. Il ne s'agit pas de s'occuper uniquement du THADA. Ce pourrait être l'un ou l'autre ou l'ensemble de ces facteurs. Souvent, ce qui aide le plus ces enfants, c'est qu'ils se retrouvent dans une petite classe où ils reçoivent beaucoup d'attention. Quand les systèmes scolaires manquent de fonds, ces enfants finissent par en souffrir.

Le sénateur Fairbairn: À certains endroits, il y a aussi la question de la piètre accessibilité au dépistage.

Il y a quelques années, l'Association canadienne des optométristes voulait faire sa part pour l'alphabétisation. Elle avait offert, pour une période de deux ans, d'effectuer gratuitement des examens de la vue et d'offrir des lunettes pour les enfants. C'était formidable. On a ainsi appris qu'un bon nombre d'enfants qu'on avait jusque-là considérés comme des enfants turbulents ou des enfants ayant des troubles d'apprentissage ne voyaient tout simplement pas très bien.

Pour en revenir au coeur de la question, comment le pays, le gouvernement ou la profession peuvent-ils détecter le problème sur l'ensemble du territoire? Il me semble qu'on a beaucoup progressé dans ce domaine. En plaçant les enfants au bon endroit, on les aide à mieux fonctionner.

Pouvons-nous concevoir conjointement un système pour le faire?

Dr Beitchman: Il faut d'abord identifier les problèmes. J'ai été ravi que vous m'ayez invité aujourd'hui car cela me permet de vous faire part de mes inquiétudes quant à l'état de santé mentale des enfants et de parler de ce qu'il faudrait faire, étant entendu que nous connaissons déjà une bonne partie des mesures à prendre.

J'espère que grâce à votre travail, vous pourrez faire progresser les choses et aider les organismes gouvernementaux à prendre conscience de l'importance de ces problèmes, qu'il faut aborder de façon systématique et structurée. Il faut intervenir aussi vigoureusement et fermement que possible pour inscrire ces questions à l'ordre du jour du gouvernement. Lorsque les autorités imposent des coupures budgétaires, il faudrait leur opposer une levée de boucliers et leur dire: «Vous ne pouvez pas faire cela. Voilà les conséquences qu'aura votre décision.»

Le sénateur Fairbairn: Vous avez raison, et c'est pour cela que nous sommes ici. Nous pouvons revendiquer. Cependant, nous devons rester en contact avec des gens comme vous de façon que la revendication prenne la forme la plus souhaitable et qu'elle soit acceptée non seulement par les professionnels et la classe politique, mais aussi par les parents et les membres de la famille. C'est toujours un problème; bien souvent, ils ne pensent pas qu'il y ait une solution et, s'ils pensent qu'il y en a une, ils n'ont pas les moyens nécessaires pour y accéder.

Le sénateur Robertson: Je suis heureuse que vous fassiez la promotion d'un organisme national de coordination. C'est un projet que le Dr Keon a à coeur. Il estime depuis toujours que le Canada devrait se doter d'un directeur de la santé publique, quitte à l'appeler autrement. J'espère qu'on ne nous fera pas attendre en tentant de réinventer la roue.

Aux États-Unis, le directeur du Service de santé publique a élaboré un plan national d'action en santé mentale pour les enfants. D'autres pays appliquent aussi des programmes efficaces. Le Canada devrait s'en inspirer afin que nous puissions agir rapidement.

Docteur Beitchman, vous avez dit que la plupart des problèmes de santé mentale des adultes commencent pendant l'enfance. Quel est le pourcentage des problèmes de santé mentale commençant dans l'enfance qui sont d'origine génétique, par opposition aux problèmes liés à l'environnement ou à une famille dysfonctionnelle?

Dr Beitchman: Vous posez là une excellente question. Pour y répondre brièvement, personne ne le sait.

Le sénateur Robertson: Vraiment?

Dr Beitchman: C'était la version brève de la réponse, mais dans ce domaine la situation est très compliquée. La question que vous posez a fait l'objet d'une récente étude. On a suivi jusqu'à l'âge adulte un groupe d'enfants dont une bonne proportion avaient subi des sévices physiques ou des mauvais traitements. Certains devenaient eux-mêmes agressifs et violents. On a pu établir leur profil génétique.

On a constaté que seuls les enfants présentant des origines génétiques particulières devenaient violents, même lorsque tous les enfants avaient subi les mêmes mauvais traitements de la part de leurs parents ou de leurs tuteurs. On constate une interaction entre les gènes et l'environnement, qui fonctionnent en symbiose. Nos connaissances sont encore trop partielles pour qu'on puisse déterminer le pourcentage des problèmes d'origine génétique par rapport aux autres problèmes. On sait que dans certaines conditions, les gènes jouent un plus grand rôle que dans d'autres.

On nous a parlé tout à l'heure du syndrome d'alcoolisme foetal. On sait qu'il a des conséquences extrêmement graves et que lorsqu'un enfant naît avec ce syndrome, il n'est pas d'origine génétique, même si les dommages se produisent pendant la vie intra-utérine. Dans d'autres conditions, comme la schizophrénie, on pense que le facteur génétique est important, mais on sait que des jumeaux identiques ne sont pas totalement concordants à cet égard et que l'un des jumeaux peut présenter intégralement un syndrome de schizophrénie alors que l'autre n'en présente pas; on sait donc que l'environnement est un facteur contributif. Il peut intervenir pendant la vie intra-utérine ou pendant l'enfance. À mesure que les connaissances scientifiques progressent, on essaie de déterminer les parts respectives de l'élément génétique et de l'élément environnement. On a aussi fait des études pour isoler certains gènes que présentent les personnes qui ont de la difficulté à lire. Le trouble obsessivo-compulsif aurait une forte charge génétique.

Cependant, il n'existe à ma connaissance aucune maladie mentale qui soit d'ordre entièrement génétique. On trouve toujours un facteur environnemental. Même lorsque la charge génétique est élevée, il y a toujours des mesures à prendre le plus tôt possible pour en atténuer les effets, par exemple, en modifiant l'environnement ou en aidant le patient. Je ne veux pas dire que vous ayez formulé implicitement cette idée, mais on croit parfois qu'il existe un certain déterminisme génétique. Ce n'est pas le cas. Les gènes peuvent occasionner une susceptibilité. Les scientifiques s'efforcent notamment d'identifier cette susceptibilité et de l'atténuer. Les études sur le THDA ont permis d'identifier les gènes responsables du système de dopamine, qui est l'une des hormones du cerveau. Cette configuration génétique particulière représente de 3 à 5 p. 100 de l'incidence du THDA, c'est-à-dire un faible pourcentage.

Mais ce n'est pas tout. On devrait découvrir d'autres gènes de susceptibilité, mais il reste que d'autres facteurs entrent en ligne de compte. Nous aurons un jour une réponse plus complète. Nous sommes sur la bonne voie.

Le sénateur Robertson: Pensez-vous qu'on puisse faire plus de prévention en matière de santé mentale des enfants? Presque tout ce que je trouve à lire concerne les traitements. Si l'environnement permettait de réduire l'apparition de ces maladies, peut-être faudrait-il se consacrer davantage à la prévention.

Nous connaissons tous les vieux arguments qui ont été formulés dans les différentes assemblées législatives qui s'efforçaient de résoudre la pauvreté des enfants. Un enfant vit dans la pauvreté parce que ses parents sont pauvres. C'est ainsi qu'on voit apparaître des problèmes de concentration.

Que fait-on dans les facultés de médecine pour mieux définir la prévention, le traitement et l'identification de ces problèmes? N'y a-t-il pas de recherche?

Dr Beitchman: Il est certain qu'on peut agir pour prévenir l'apparition des troubles de santé mentale, et c'est ce que l'on fait. Il faut éduquer les parents sur les dangers de la consommation d'alcool pendant la grossesse. Nous savons que l'alcool a inévitablement des effets. Les campagnes antitabac réduisent le risque d'apparition des autres formes de toxicomanie. Tout cela fait partie du programme de promotion de la santé et de prévention des maladies.

Les États-Unis proposent de nombreux modèles, comme le programme Head Start et les programmes d'intervention précoce auprès des familles monoparentales et des familles démunies. En Ontario, des infirmières rendent visite aux mères de jeunes enfants. Ces mesures contribuent à atténuer toute une gamme de déficiences. Certaines d'entre elles font baisser les taux de récidive. D'autres permettent aux enfants de poursuivre plus longtemps leurs études ou atténuent l'incidence des comportements délinquants. Tout cela contribue à prévenir et à réduire la maladie mentale.

On peut agir, mais il faudrait agir davantage. Je me répète peut-être, mais si nous avions un organisme national, il pourrait prendre l'initiative de déceler les programmes ciblés qui donnent de bons résultats. On pourrait les mettre en oeuvre dans différents milieux, notamment dans les collectivités autochtones, mais aussi ailleurs.

Cela fait partie de ce qu'il faudrait faire. C'est ce qu'on enseigne à différents niveaux. Je ne sais pas pour les autres universités, mais je sais qu'à l'Université de Toronto, on parle de prévention des maladies, de promotion de la santé et d'intervention précoce.

[Français]

Dre Renaud: Pour nous réconcilier avec le peu d'avancement de la pédopsychiatrie, c'est seulement en 1997, au moment où je faisais mon fellowship à l'Université de Pittsburgh, que l'on publiait la première étude au Texas qui démontrait que les antidépresseurs de la famille du Prozac étaient supérieurs au placebo pour traiter la dépression majeure chez les adolescents. C'est très récent. Quand je parle à les pédopsychiatres qui ont beaucoup plus d'expérience que moi, ils sont assez encouragés au stade où nous sommes rendus. Pendant longtemps, la dépression, par exemple, chez l'adolescent, était vue comme une crise de l'adolescence. Il fallait attendre que cela passe et on n'allait pas voir un psychiatre pour cela. Il y a eu des changements, des bouleversements. Quand je suis un peu découragée par rapport au suicide, les gens disent que beaucoup de choses se sont déroulées au cours des 10 ou 15 dernières années.

Il faut continuer à dire que la maladie mentale existe chez les enfants et les adolescents. On arrive à un point tournant où on doit dire que si on sait que cela existe, comment fera-t-on pour prévenir, pour promouvoir les différents programmes? Longtemps il y a eu différentes théories derrière tout cela et la famille n'était pas vue de la même façon. Il y a quand même des progrès.

Je ne sais pas si le docteur Beitchman peut ajouter des commentaires. Il y a eu un bouleversement avec l'arrivée de la médication possiblement efficace chez les enfants et les adolescents et pas de la même façon nécessairement que chez l'adulte. Certains veulent le faire de la même façon. Je pense que l'on ne peut pas le faire. C'est nouveau jusqu'à un certain point.

[Traduction]

Le sénateur Robertson: Il est bon d'entendre dire que des progrès sont possibles. Nous avons un tableau présenté par Waddell et Shepherd, qui indique les taux de prévalence et le nombre approximatif des troubles de santé mentale chez les enfants et les jeunes au Canada. Est-il possible de répartir cette information par province ou par région? Vos travaux sont-ils suffisamment avancés pour qu'on puisse faire des comparaisons d'une province ou d'une région à l'autre?

Le président: Les données auxquelles vous faites référence ont été rassemblées par notre attachée de recherche. Elles ne sont pas disponibles par province.

Mme Odette Madore, attachée de recherche, Division de l'économie, Bibliothèque du Parlement: Ces données viennent de la Colombie-Britannique. Nous devons entendre le Dr Waddell demain.

[Français]

Dre Renaud: J'ai mis dans mon document, qui devait être traduit, la prévalence de différents troubles mentaux chez les enfants et les adolescents au Québec. Vous devez l'avoir dans ce long document, le mémoire qui a été déposé afin de le traduire.

[Traduction]

Le sénateur Léger: On a beaucoup parlé de coordination et vous, docteur Beitchman, vous espériez que le gouvernement crée un organisme. Parlant de coordination, ne devrait-on pas aussi avoir un organisme dans lequel on regrouperait toutes les connaissances spécialisées sur cette question? Les différents secteurs d'expertise ne devraient-ils pas être traités séparément, particulièrement avant qu'on ne traite l'enfant ou le patient?

Les étudiants en médecine doivent consulter tant de spécialistes avant d'obtenir des réponses! Cet organisme qui serait créé ne devrait-il pas d'abord regrouper les spécialistes avant qu'on ne se retrouve devant un patient?

Dr Beitchman: Excellente idée. On s'est demandé plus tôt s'il n'y avait pas un modèle pour un organisme de ce genre. Les Américains ont leur académie nationale des sciences et leur institut de la santé mentale. Certains des modèles que l'on trouve là-bas sont très dynamiques et j'ai d'ailleurs été invité à prendre part à certains de leurs forums politiques et de leurs réunions scientifiques. Ces instances se prononcent sur des dossiers et assurent le suivi de la question en organisant des programmes ou en lançant des projets.

Je ne prétends pas qu'ils vont essayer d'assurer la coordination partout aux États-Unis, mais ils vont lancer à tout le moins un programme de type Bon départ ou un autre programme du genre, par exemple.

Par conséquent, que ce soit par le truchement d'un organisme ou d'un ministère, il faut parvenir à réunir les spécialistes et à regrouper les connaissances de façon à ce qu'on puisse se prononcer avec autorité. Ce serait merveilleux comme idée.

Ce qui ne veut pas dire pour autant que ce soit la meilleure idée et qu'il n'y en ait qu'une; il peut y avoir toutes sortes d'idées concurrentes. Mais ces idées devraient au départ se fonder sur les meilleures preuves disponibles avant d'être mises de l'avant. Ainsi, les consommateurs et les groupes d'utilisateurs pourraient se prononcer à partir de ce qui est à leur avis l'information de la plus haute qualité qui soit.

Mme Massad: Santé Canada a créé les Centres d'excellence pour le bien-être des enfants dont le mandat est d'accroître nos connaissances sur les besoins en santé mentale et physique des enfants et de nous rendre plus sensibles à ceux-ci. Il y a cinq centres de ce genre qui sont rattachés à des universités. L'un d'entre eux étudie le développement de la petite enfance, un autre l'engagement des jeunes, un troisième le bien-être des enfants, le quatrième les enfants des régions rurales et éloignées du Canada qui ont des besoins spéciaux; et le cinquième, les enfants des collectivités dans les Prairies. Tous visent à mieux cerner ce que nous savons de la santé mentale.

Le président: Sont-ils rattachés aux IRSC?

Mme Massad: Non. Ils ont été créés en octobre 2000 pour un mandat de cinq ans. Ils recueillent beaucoup de données et font énormément de recherches sur ces diverses questions, notamment sur la petite enfance.

Le sénateur Léger: Je parlais des spécialistes, car de plus en plus, on étudie des domaines en détail, ce qui est nécessaire. Mais chaque spécialité est de plus en plus distincte.

Je pensais à la possibilité que les spécialistes s'entendent avant de dresser un portrait final de la situation. Ne serait-il pas possible qu'il y ait un seul diagnostic pour que l'enfant ne soit pas obligé de se tourner vers plusieurs spécialistes, ce qui porte à confusion?

Le président: Vous et moi sommes sur la même longueur d'ondes. Lorsque notre comité a commencé à s'intéresser à l'ensemble du système de santé, il a découvert avec surprise qu'il existait beaucoup de cloisonnements entre les diverses disciplines. Nous n'avons fait qu'aborder la santé mentale, mais avons pu déjà constater qu'il y avait plus de cloisonnements dans ce secteur que dans le reste du système de santé pris collectivement.

Le sénateur Léger essaie de déterminer comment il est possible de faire tomber les barrières entre les différentes disciplines pour aider l'utilisateur. Existe-t-il un mécanisme qui permette de regrouper les diverses disciplines? Vous ne pouvez peut-être pas me répondre aujourd'hui, mais le problème ne se résoudra pas tant que la mentalité du cloisonnement continuera d'exister.

Dr Beitchman: S'il existait une instance nationale reconnue qui avait pour mandat de transmettre les connaissances, elle pourrait alors publier des documents d'information qui seraient mis à la disposition de tous.

Il fut un temps où on croyait que la communication facilitée guérissait l'autisme. Ceux d'entre nous qui connaissaient un peu la communication facilitée et l'autisme savaient bien que c'était illusoire de l'espérer. Or, une instance nationale qui aurait de l'ascendant et qui s'y connaîtrait dans le domaine pourrait publier de l'information qui serait disponible à quiconque veut savoir ce qu'il y a de nouveau pour traiter l'autisme. Celui qui se demanderait si la communication facilitée est le traitement à privilégier ces jours-ci apprendrait avec de bonnes sources d'information que cette méthode est mise en doute.

Il ne sera pas toujours aussi facile de répondre dans tous les domaines, mais les intéressés recevraient au moins de l'information sur ce qui a de meilleures chances de réussir.

On a parlé plus tôt de dépression et de médicaments. Nous savons qu'il existe certains antidépresseurs qui peuvent aider, mais nous savons également qu'il existe aussi d'autres formes de thérapie qui peuvent aussi aider mais qui n'utilisent aucun médicament. Les intéressés doivent être au courant de sorte que dès qu'un médecin ou thérapeute leur dira que leur enfant doit prendre un médicament pour pouvoir aller mieux, ils pourront lui indiquer qu'il existe des solutions de rechange sans médicaments.

Aujourd'hui, je ne sais pas vers qui les intéressés peuvent se tourner pour obtenir de l'information, à moins qu'ils tombent par hasard sur quelqu'un qui s'y connaisse et qui soit disposé à les aider.

[Français]

Le sénateur Léger: Dre Renaud, vous avez dit qu'un enfant de 18 ans entre automatiquement dans la catégorie adulte. Parfois, il doit arriver, dans votre métier, que vous trichiez. Est-ce que vous appliquez toujours l'esprit de la lettre?

Dre Renaud: C'est ce que je fais. Mais la journée où le jeune doit être hospitalisé, je l'accompagne pour téléphoner à l'endroit où il doit aller. Mais, si j'avais 20 patients dans ce cas, c'est certain que je devrais répondre à certaines questions. J'ai des jeunes filles qui ont 18, 19 ans que je vais probablement garder jusqu'à 20 ans.

Le sénateur Léger: Probablement que cela doit être reconnu et accepté au plus haut niveau de la profession médicale.

Le sénateur Pépin: Dre Renaud, on voit qu'au Québec il y a plus de 60 000 enfants par année qui ont des besoins.

Dre Renaud: C'est en pédiatrie. Sur ce nombre il y a 600 consultations en pédopsychiatrie. Ces consultations sont demandées en urgence par le médecin après avoir vu l'enfant et la famille.

Le sénateur Pépin: Par la suite, on voit le manque de pédopsychiatre. Il y en a seulement que 125, si j'ai bien compris. Les listes d'attente peuvent être de deux ans?

Dre Renaud: Cela dépend des secteurs. Chez nous, il n'y en a pas actuellement. On a réussi à faire tomber la liste d'attente. Autour de Montréal, j'ai des amis qui sont pédopsychiatres et qui ont 300 personnes sur leur liste d'attente.

Le sénateur Pépin: C'est à Sainte-Justine qu'il n'y a pas de liste d'attente. Le dépistage en milieu scolaire est difficile parce qu'ils ont coupé le personnel et puis lorsqu'ils atteignent l'âge de dix-huit alors là ils restent en plan.

Dre Renaud: Certains psychiatres pour adultes les prennent. Il ne faut pas généraliser. Mais il y a quand même une période flottante.

Le sénateur Pépin: Nous avons énormément de travail. Vous nous avez parlé du suicide chez les adolescents. Le Québec est la province où le suicide est la première cause de décès.

Dre Renaud: C'est la première cause de décès.

Le sénateur Pépin: Avons-nous des statistiques sur le taux de suicide chez les jeunes Autochtones? Si on compare les jeunes Autochtones et les jeunes Québécois...

Dre Renaud: C'est encore plus élevé dans les Territoires du Nord-Ouest. J'ai les statistiques avec moi. C'est aussi parce que le nombre de population est plus faible. Comme ce sont des populations très fermées, l'effet du suicide est un peu l'effet de la contagion. Par exemple, quand on a un premier suicide dans une école, il peut y avoir un effet d'imitation au-delà de la maladie mentale. Dans les communautés autochtones, où on retrouve les facteurs que vous connaissez y compris l'abus de substances, si quelqu'un se suicide, il peut y avoir par imitation des effets rebonds sur les autres membres de la communauté.

Le sénateur Pépin: Vous nous avez parlé de certains dangers reliés aux lignes téléphoniques. Voulez-vous élaborer là- dessus un peu plus?

Dre Renaud: C'est un sujet un peu controversé. Je travaille avec des gens qui croient beaucoup à ce genre d'intervention. Cependant, rien de certain n'a été démontré. Le taux de suicide chez les garçons est plus élevé que chez les filles et chez les adultes, il y a plus d'hommes que de femmes qui se suicident. Ce ne sont pas ces personnes qui téléphonent pour demander de l'aide.

On ne peut pas régler le problème du suicide avec l'aide d'une ligne téléphonique et investir des fonds pour ce genre d'aide n'est pas la solution. On étudie actuellement ce genre de lignes téléphoniques aux États-Unis et cela pourrait peut-être nous apporter plus de données sur le sujet. En Europe aussi, on se pose beaucoup de questions au sujet de ces lignes téléphoniques. Certaines personnes utilisent ce service fréquemment, mais un tiers de ces personnes sont des patients problématiques parce qu'ils appèlent pour dire qu'ils vont se suicider mais la vérité est qu'ils appèlent simplement pour avoir le contact d'une personne au téléphone.

C'est une bonne façon pour aider ces personnes, mais je ne crois pas que ce soit une façon de faire de la prévention pour le suicide. Cette façon peut aider quelques personnes, mais ce n'est pas quelque chose qui va toucher toute la population.

Il y a aussi d'autres lignes téléphoniques qui existent comme Tel-Aide, par exemple, pour aider les gens à régler toutes sortes de problèmes. On est beaucoup plus à l'aise avec ce genre d'intervention pour promouvoir la santé mentale à l'école, du stress, de l'exercice physique, et de l'importance de socialiser avec les autres.

À New York, selon Shaffer, il se peut qu'il y ait une augmentation du nombre de suicides, malheureusement, quand on parle spécifiquement du suicide. Peu de personnes à part lui ont étudié cela spécifiquement. C'est très difficile à prouver, et il faut être prudent avant de lancer des chiffres sur des choses comme celle là.

Le sénateur Pépin: Il y a à peu près 20 ans, on a fermé des instituts, des hôpitaux psychiatriqueses que je connaissais bien parce que j'y ai travaillé. Maintenant, il y a des gens qui nous disent — et je le crois aussi — que les sans-abri, il a beaucoup de malades mentaux. Je pense à l'Institut Philippe Pinel à Montréal. Croyez-vous qu'il y a un pourcentage assez élevé de jeunes délinquants qui ont des problèmes psychiatriques et qui n'ont pas été traités?

Dre Renaud: Sur la base des dossiers des services sociaux, on a trouvé qu'il y avait un tiers des décès par suicide chez les moins de 19 ans qui avaient reçu ou recevaient des services sociaux au moment du suicide. Cinquante pour cent d'entre eux recevaient les services au moment même de leur suicide. Il s'agit peut-être des jeunes en centre d'accueil, en internat. Il s'agit aussi de jeunes dans la communauté, en famille d'accueil ou avec leurs parents, qui sont encadrés par la Protection de la jeunesse. C'est un groupe qui serait entre cinq et dix fois plus à risque qu'un jeune de la population générale. Pourquoi? Parce que ce groupe cumule plusieurs facteurs de risques tels que l'abus, la négligence. C'est souvent la raison pour laquelle ils sont amenés aux services sociaux. Ils peuvent avoir aussi une maladie mentale qui va se développer pendant l'adolescence. Et ce sont des jeunes qui sont souvent très agressifs envers les autres et envers eux- mêmes. C'est trompeur de penser qu'ils sont agressifs envers les autres et jamais envers eux-mêmes et qu'ils manipulent le système.

Le sénateur Pépin: On dit souvent: «Si vous prenez le volant, ne consommez pas d'alcool.» Au sujet de l'alcoolisme fœtal, est-ce qu'on dit: «Si vous êtes enceinte, ne consommez pas d'alcool»?

[Traduction]

Mme Massad: Vous pouvez voir sur la première page de mon mémoire la reproduction d'une de nos affiches qui dit: «Enceinte? Pas d'alcool». Cette affiche a été élaborée en collaboration avec les provinces et les territoires pour sensibiliser la population.

Le président: Je remercie tous les témoins de leur présence. Ils nous ont mis sur la bonne voie. Si vous ou vos collègues avez jamais d'autres idées à nous soumettre sur ce que nous pourrions faire, n'hésitez pas à communiquer avec nous.

La séance est levée.


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