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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 13 - Témoignages du 1er mai 2003


OTTAWA, le jeudi 1er mai 2003

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 11 h 05 pour étudier les questions qu'ont suscitées le dépôt de son rapport final sur le système de soins de santé au Canada en octobre 2002 et les développements subséquents. En particulier, le comité est autorisé à examiner la santé mentale et la maladie mentale.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Merci beaucoup à nos témoins de Vancouver de s'être levés tôt pour être avec nous.

Chers collègues, nous avons un excellent groupe de témoins avec nous ce matin. Nous allons demander à la Dre Waddell de commencer.

Dre Charlotte Waddell, professeure adjointe, Unité d'évaluation de la santé mentale et des consultations communautaires, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de la Colombie-Britannique: Mesdames et messieurs les sénateurs, je vais me servir de transparents pour vous expliquer notre présentation de ce matin. L'amélioration de la santé des jeunes Canadiens est l'objectif qui nous intéresse tous dans le débat sur les troubles mentaux chez les enfants.

Pour commencer, ceux d'entre nous qui travaillent avec des enfants ou qui s'intéressent aux politiques relatives aux enfants s'entendent généralement pour dire que, dans des communautés saines, c'est dans notre intérêt à tous — et c'est notre responsabilité à tous — que tous les enfants soient épanouis. Un développement optimal et une santé mentale optimale sont des facteurs essentiels à cet épanouissement.

Dans l'état actuel des choses, et malgré les progrès intéressants accomplis ces dernières années au chapitre de la recherche, du traitement et de la prévention, le fardeau de la souffrance associée aux troubles mentaux chez les enfants demeure très lourd. Environ 14 p. 100 des enfants du Canada — à peu près un sur sept — souffrent de troubles mentaux cliniquement significatifs assez graves pour engendrer de la détresse, mais aussi pour nuire à leur fonctionnement dans divers domaines, tant à la maison qu'à l'école et dans leur milieu.

Le premier transparent montre des données sur la prévalence de ces troubles, tirées d'enquêtes internationales récentes sur la situation au Canada — en Ontario et au Québec —, mais aussi aux États-Unis et au Royaume-Uni.

Les chiffres eux-mêmes ne sont pas aussi importants que l'ordre de prévalence. Les quatre principaux types de troubles sont les troubles d'anxiété, les troubles d'attention, les troubles de conduite et la dépression. Au total, d'après les indices les plus fiables disponibles actuellement, environ 14 p. 100 des enfants souffrent de troubles mentaux sérieux, ce qui représente environ 1,1 million d'enfants au Canada. Et les deux tiers de ces enfants ont en même temps deux types de troubles ou plus. La souffrance que cela représente est donc sous-représentée à certains égards dans ces simples chiffres.

Que faisons-nous actuellement en termes de services et de programmes destinés à ces enfants? Nous avons aussi des données de base provenant d'études épidémiologiques. Ces données montrent que moins du quart des enfants touchés bénéficient de services de santé mentale spécialisés, bien qu'à peu près la moitié reçoivent des soins primaires ou des services en milieu scolaire pour leurs problèmes de santé mentale.

Compte tenu de ces chiffres élevés, nous devons répondre à une question difficile. Comment alléger la souffrance de ces 14 p. 100 d'enfants, de ce million d'enfants et plus? Il est peu probable que nous pourrons répondre à leurs besoins en continuant à investir uniquement dans des services de traitement clinique, ne serait-ce que pour des questions de formation et de recrutement. Nous sommes plutôt d'avis qu'il faut une approche générale axée sur la santé de la population, parallèlement aux services de traitement clinique. Le diagramme suivant illustre ce que nous entendons par une approche générale axée sur la santé de la population.

Le plus grand ovale de ce diagramme représente, si vous voulez, l'univers de tous les enfants du Canada. L'approche générale axée sur la santé de la population consiste à nous intéresser au bien-être de tous les enfants et à promouvoir la santé mentale pour tous les enfants. Le deuxième ovale correspond au fait que nous devons prévenir les troubles chez les enfants à risque. Et enfin, le plus petit ovale illustre la nécessité de traiter les enfants qui ont des troubles définis, c'est-à-dire les 14 p. 100 dont nous avons déjà parlé.

La promotion est la première composante essentielle de l'approche axée sur la santé de la population. Quel est notre bilan à cet égard? Dans l'ensemble, le Canada a fait peu d'investissements «en amont» pour promouvoir la santé mentale et prévenir les problèmes. La plupart de nos ressources vont encore «en aval», vers les services de traitement clinique une fois que des troubles ont été décelés.

À l'heure actuelle, la majeure partie de nos efforts de prévention portent sur le développement de la petite enfance. C'est un élément très important, qui suscite l'enthousiasme de bien des gens et dont nous avons hâte de voir les résultats positifs.

Jusqu'ici, cependant, ces efforts visant tout particulièrement le développement des jeunes enfants n'incluent pas spécifiquement la santé mentale, et les initiatives dans ce domaine n'ont pas encore été pleinement évaluées, surtout en ce qui concerne les résultats sur le plan de la santé mentale.

Pour ce qui est de la prévention, qui correspond à la deuxième partie du diagramme sur la santé de l'ensemble de la population, il y a des nouvelles encourageantes qui se dégagent des travaux de recherche récents sur la question, à savoir qu'il existe des approches efficaces pour prévenir certains des troubles mentaux les plus courants chez les enfants, par exemple l'anxiété, les troubles de conduite et la dépression. Dans le cas des troubles anxieux, il nous arrive d'Australie des données très intéressantes selon lesquelles des programmes fondés sur le comportement cognitif en milieu scolaire, gérés par les enseignants et destinés à l'ensemble des élèves, peuvent non seulement améliorer les aptitudes sociales de tous les enfants, mais aussi réduire considérablement l'anxiété chez les enfants à risque. Dans le cas des troubles de conduite, un autre type très différent de troubles graves, les données recueillies aux États-Unis montrent que les visites d'infirmières à la maison peuvent être très utiles et que les programmes de soutien aux parents à risque, dès la période prénatale et pendant environ deux ans par la suite, permettent de réduire le nombre d'enfants maltraités et négligés, ainsi que les troubles de conduite 15 à 18 ans plus tard.

Malgré ces preuves de plus en plus nombreuses de l'efficacité des approches de prévention, il n'y a pas pour le moment au Canada — ni au niveau national, ni dans aucune des provinces — de mesures de financement ou de soutien des programmes de prévention mettant l'accent sur ces troubles mentaux.

Nous devons également faire plus de recherche sur la prévention. Bon nombre des études sur ces questions ont été réalisées aux États-Unis ou en Australie. Certains de leurs résultats sont parfaitement généralisables, mais d'autres doivent être vérifiés pour le Canada.

Nous recommandons par conséquent, au chapitre de la promotion de la santé et de la prévention des maladies, d'évaluer les initiatives de développement de la petite enfance, et plus particulièrement leurs effets sur la santé mentale; de mettre en oeuvre des programmes de prévention fondés sur les données de recherche récentes — l'anxiété, les troubles de conduite et la dépression seraient de bons points de départ; et d'encourager la poursuite de la recherche au Canada afin de valider certains des résultats concluants obtenus ailleurs.

Passons maintenant au cercle intérieur, dans le diagramme sur la santé de la population que nous vous avons montré tout à l'heure. Que faisons-nous pour fournir des services de traitement efficaces aux enfants atteints de troubles mentaux? La bonne nouvelle à ce sujet-là, c'est qu'il existe des traitements efficaces pour bon nombre des troubles les plus courants, ce qui inclut encore une fois les troubles anxieux, les troubles d'attention, les troubles de conduite et la dépression. Pour les troubles anxieux, par exemple, les approches fondées sur le comportement cognitif fonctionnent très bien. Pour les troubles de conduite, il y a aussi des approches efficaces qui visent à sensibiliser les parents et les intervenants en milieu scolaire et à travailler avec eux en vue de l'utilisation d'approches plus constructives avec les enfants. Pour le déficit d'attention, il y a des interventions pharmacologiques efficaces. Ces traitements peuvent réduire la détresse et les limitations associées à ces troubles. Cependant, la plupart des enfants qui souffrent de troubles mentaux ne bénéficient pas de ces traitements efficaces. C'est un problème important, sur lequel nous devons nous pencher attentivement. Si vous vous souvenez bien, nous avons dit qu'environ 25 p. 100 seulement des enfants atteints reçoivent des services spécialisés en santé mentale. Nous avons l'impression que les traitements offerts actuellement ne sont pas toujours fondés sur les données de recherche. Autrement dit, les praticiens appliquent encore des traitements qui n'ont pas fait leurs preuves, parfois en milieu spécialisé, et parfois aussi dans les établissements de soins primaires et dans les écoles.

Nous croyons aussi qu'il y a des problèmes de prestation des services qui contribuent en partie à ces lacunes importantes dans la réponse aux besoins des enfants. Il apparaît de plus en plus, en ce qui concerne les modèles de prestation des services, que les programmes communautaires faisant appel aux établissements de soins primaires et aux écoles sont très efficaces, probablement plus que les programmes d'hospitalisation ou de séjours prolongés en foyers de groupe, si on les compare directement. Les programmes des établissements de soins primaires et des écoles ne bénéficient toutefois généralement pas d'un financement important et sont toujours considérés comme plus ou moins expérimentaux. Mais, bien franchement, ce sont ces deux milieux — les établissements de soins primaires et les écoles — qui semblent les plus prometteurs pour détecter les enfants qui ont besoin d'aide et pour rejoindre la majorité des enfants. Si les enfants ne vont pas dans les centres de services spécialisés, ils vont généralement à l'école ou dans les établissements de soins primaires.

La fragmentation des services pour enfants est un autre élément déterminant pour expliquer ces lacunes et cette difficulté de répondre aux besoins. Il y a une foule de champs de compétences, de secteurs et de disciplines en cause, pas seulement en termes de répartition des pouvoirs entre le fédéral, les provinces et les régions, mais aussi parce que cela concerne des secteurs entièrement différents à l'intérieur d'une même province, par exemple la santé, les services sociaux, l'éducation, la justice et la protection de l'enfance. Il y a aussi de nombreuses disciplines différentes qui entrent en jeu. Il faut de toute urgence une meilleure coordination pour mettre fin à cette fragmentation excessive. En Colombie-Britannique, par exemple, les services de santé mentale pour enfants relèvent d'au moins trois grands ministères différents, et deux paliers de gouvernement différents ont un rôle important à jouer. Il est donc très difficile de coordonner tout cela au niveau de la base.

Qu'est-ce que nous recommandons au sujet de ces questions concernant les services de traitement? Premièrement, nous recommandons d'établir des pratiques fondées sur les données existantes comme norme de soins pour l'application des traitements individuels, mais aussi pour l'élaboration des modèles de prestation des services de santé. Nous suggérons également de soutenir les approches communautaires efficaces, surtout dans les établissements de soins primaires et dans les écoles. Nous suggérons aussi de coordonner les services.

Il y a un autre élément qui doit obligatoirement faire partie de toute approche générale axée sur la santé de la population, pour tous les types de problèmes de santé — mais qui s'applique bien aux troubles mentaux chez les enfants —, et c'est la nécessité de suivre les résultats, de se demander constamment: «Est-ce que nous faisons ce qu'il faut faire et est-ce que nous le faisons bien?» Dans le domaine de la santé mentale des enfants, nous n'avons même pas d'information de base sur les coûts et les résultats des services cliniques, par exemple. Nous ne savons pas combien d'enfants nous voyons, combien d'argent nous dépensons et quels services essentiels nous offrons. Et surtout, nous ne faisons toujours pas de suivi pour déterminer si nos services et nos interventions permettent de réduire le nombre d'enfants touchés et les limitations associées aux troubles mentaux.

Le suivi des résultats doit inclure des indicateurs généraux sur la santé de la population, par exemple les taux d'achèvement des études, les interventions des services de protection de l'enfance et du système judiciaire, et les taux de suicide. Il faudrait probablement inclure aussi des données épidémiologiques sur l'incidence et la prévalence de ces troubles. Il y a actuellement des études de ce genre au Québec et en Ontario, qui sont en très bonne voie. Nous devons les étendre aux autres provinces.

Nous recommandons, pour assurer le suivi des résultats, de mettre en place un système d'information coordonné pour surveiller les coûts et les résultats des services de traitement clinique, pour commencer, parce que c'est ce qui représente actuellement la majeure partie des services, mais il faudrait aussi évaluer périodiquement la santé mentale de tous les enfants canadiens, et pas seulement de ceux qui reçoivent des services.

Enfin, pour conclure en gros, il n'est pas difficile de faire reconnaître à la plupart d'entre nous que les investissements dans la santé des enfants sont le fondement de la productivité et du succès de toute nation. Je pense que nous en sommes tous convaincus. Ce qui n'est pas aussi bien compris, c'est que les problèmes de santé mentale sont probablement les problèmes de santé les plus importants actuellement chez les enfants canadiens. Je le dis en raison du nombre d'enfants en cause, des limitations graves que cela entraîne et également du fait que ces désordres s'installent tôt dans la vie et qu'ils ne sont pas bien traités en ce moment, ce qui fait qu'ils persistent souvent jusqu'à l'âge adulte et qu'ils limitent alors le fonctionnement et la productivité des gens.

La santé mentale a été sérieusement négligée dans l'élaboration des politiques gouvernementales au Canada. Roy Romanow l'a qualifiée d'«orpheline» du système de santé. Et la santé mentale des enfants est l'orpheline de cette orpheline. Je dirais pour conclure qu'il faut de toute urgence un leadership national et provincial pour que nous décidions de nous attaquer à ce problème, que nous le portions à l'attention de la population et que nous commencions à mettre en oeuvre une approche globale axée sur la santé de la population afin d'essayer d'alléger la souffrance que cela représente.

Dr Howard Steiger, professeur, Département de psychiatrie, Université McGill; directeur, Clinique des troubles alimentaires, Hôpital Douglas: Mesdames et messieurs les sénateurs, je m'intéresse tout particulièrement aux troubles alimentaires, et c'est pourquoi mes commentaires vont porter surtout sur cette question.

Pour vous donner une petite idée de la situation, nous savons que les troubles alimentaires sont des syndromes complexes. Ils sont caractérisés par d'intenses préoccupations au sujet de la nourriture, de l'image corporelle et du contrôle du poids. Invariablement, cela coïncide également avec des problèmes d'adaptation ou avec d'autres problèmes psychiatriques relativement prononcés. Il n'est pas rare que les personnes atteintes souffrent aussi de troubles de l'humeur, de dépression ou de sérieux problèmes d'anxiété, qu'elles affichent les symptômes d'une personnalité compulsive et hautement perfectionniste, ou qu'elles aient de la difficulté à maîtriser leurs impulsions. Nous en voyons qui font des tentatives de suicide répétées, qui pratiquent l'automutilation, qui volent à l'étalage ou qui manifestent autrement un problème de maîtrise des impulsions. Les troubles alimentaires ne touchent pas seulement l'alimentation, mais de nombreuses facettes du fonctionnement, ce qui cause un tort considérable sur les plans de l'adaptation sociale, professionnelle, psychologique et médicale des enfants et des adultes touchés. Et, bien sûr, en raison des sérieuses carences alimentaires qu'ils entraînent, ces troubles ont également des effets physiologiques et médicaux profonds.

Ces troubles touchent également un nombre alarmant de personnes. Quand on regarde le principal groupe à risque, celui des jeunes femmes de 12 à 30 ans, on peut facilement estimer que 1 p. 100 d'entre elles souffrent d'anorexie nerveuse et probablement environ 2 p. 100, de boulimie nerveuse.

On peut dire que jusqu'à 10 p. 100 de ces jeunes femmes connaissent des problèmes liés à l'alimentation et à l'image corporelle suffisamment graves pour entraîner de la détresse et nuire à leur adaptation.

Cela ne veut pas dire qu'on ne retrouve pas de troubles alimentaires chez les femmes plus âgées, chez les hommes et dans divers autres groupes d'âge. Je vais vous parler aussi des groupes plus âgés. Et je veux insister sur la nécessité de combler les écarts entre les connaissances sur les adolescents et les adultes.

Le président: Je dois vous faire un petit avertissement. Quand j'entends les gens dire qu'ils vont nous parler de quelque chose plus tard, je veux m'assurer que vous allez essayer de nous faire un résumé raisonnable plutôt que de nous lire l'ensemble de votre document. Je tiens à ce que nous ayons suffisamment de temps pour les questions.

Dr Steiger: Il faut comprendre que les troubles alimentaires ont des causes complexes. Ils ont des racines biologiques, psychologiques et sociales. Nous les définissons comme le résultat d'une activation des pressions sociales vers la minceur, de la manie des régimes, et des vulnérabilités psychologiques préexistantes liées à l'estime de soi, à la définition de soi, au sentiment de sa propre valeur et au contrôle de soi.

De plus en plus, les données dont nous disposons permettent de croire à un substrat biologique. Il semble de plus en plus probable que les troubles alimentaires ont une cause génétique et qu'ils se transmettent à l'intérieur de la famille. Certains des travaux de recherche récents en génétique commencent à pointer du doigt certains facteurs génétiques. Il faut comprendre que ces troubles résultent d'une collision entre facteurs biologiques, psychologiques et sociaux.

Autant les causes sont complexes, autant le traitement est complexe également. Il est généralement multimodal et exige des interventions de diverses sources, par exemple les sources biologiques — ce qui concerne la nutrition et la réadaptation —, les interventions pharmacologiques et les traitements psychologiques visant à régler les problèmes d'image de soi, de définition de soi et d'estime de soi découlant de perturbations familiales. Des interventions sociales peuvent également être nécessaires, sous forme de thérapie de groupe.

Par conséquent, la plupart des programmes bien établis de traitement des troubles alimentaires doivent offrir un vaste éventail d'interventions thérapeutiques fondées sur toute une gamme de techniques des domaines médical, psychologique et social. Pour être efficaces, ces programmes doivent également pouvoir offrir des traitements intensifs en établissement, des traitements en hôpital de jour, des traitements intensifs de jour ou des traitements en clinique interne, qui sont moins intensifs. Il faut donc une gamme complète d'interventions thérapeutiques.

Nous disposons de données empiriques assez nombreuses sur le pronostic des troubles alimentaires. Ces données nous indiquent que ces troubles sont difficiles à traiter et qu'ils ont des suites complexes, mais variées.

Avec un traitement approprié, au moins le tiers des personnes touchées répondent très bien. À court terme, elles semblent se remettre relativement bien. Il y a un autre sous-groupe substantiel, probablement un autre tiers ou à peu près, pour lequel le pronostic est plus nuancé et les résultats, moins positifs.

Pour la prestation des soins de santé, il faut une spécialisation. Nous avons assez de données empiriques pour savoir que, même si les troubles alimentaires sont difficiles à traiter, ils répondent le mieux à des traitements structurés axés sur les symptômes. Il faut des praticiens bien informés.

Chose intéressante — ce qui va d'ailleurs dans le sens de certains commentaires de la Dre Waddell —, des enquêtes ont démontré que le traitement modal offert dans la communauté aux gens qui souffrent de troubles alimentaires n'est pas nécessairement le plus indiqué d'après les normes de pratique ou les données empiriques. Nous devons vraiment commencer à mettre l'accent sur l'établissement d'un consensus au sujet des normes de pratique à appliquer.

Je dirais que, pour en arriver là, nous devons déployer des efforts coordonnés, en réseaux, pour aider les personnes qui souffrent de troubles alimentaires. Je pense que cela devrait probablement se faire au niveau des provinces, même s'il faut également une orientation fédérale.

Des efforts coordonnés entre centres d'excellence centralisés ou ultra-centralisés devraient être au coeur de ces réseaux. À la périphérie, il devrait y avoir des ressources régionales ou locales choisies qui offriraient surtout des services de première ligne. Et, au niveau spécialisé, il y aurait des programmes suprarégionaux à grande échelle qui permettraient d'atteindre une certaine masse critique et d'offrir des traitements hautement intensifs aux personnes atteintes de troubles alimentaires graves.

L'idée de masse critique est très importante. Elle permet d'acquérir de l'expérience auprès d'un grand nombre de malades et de développer de bonnes compétences cliniques. Elle favorise également la recherche clinique poussée et sert de base à l'enseignement clinique. Je préconise la pleine intégration des activités d'enseignement et de recherche clinique.

Tout cela est très bien pour produire des compétences, mais cela ne profite pas aux communautés dans lesquelles des gens souffrent de troubles alimentaires. Il doit également y avoir des efforts coordonnés pour exporter les compétences acquises vers la ligne de front. Il doit y avoir du financement et des liens de consultation clairement établis pour permettre la consultation et la supervision des gens formés en première ligne.

Nous faisons déjà un peu de travail dans ce genre dans nos centres locaux de services communautaires au Québec, et nous obtenons de bons résultats. Il y a eu des projets similaires en Colombie-Britannique et en Ontario.

Ce genre de formation permet également à ceux qui travaillent en première ligne d'acquérir des connaissances plus poussées sur l'évaluation initiale des personnes souffrant de troubles alimentaires et sur les interventions précoces auprès de ces personnes. Une thérapie de groupe simple et bien étayée peut parfois être merveilleusement efficace pour ces gens-là. Quand elle ne l'est pas, il faut leur donner accès à un programme plus centralisé capable d'offrir des soins intensifs pour les cas les plus graves.

En même temps, ce qui rejoint encore là certains des commentaires de la Dre Waddell, nous devons vraiment mettre l'accent sur la prévention et la promotion de la santé, probablement par des programmes de santé publique. Nous devons nous enraciner dans les communautés, dans les services communautaires, les écoles, les groupes religieux et les autres milieux où il y a des jeunes et où nous pouvons espérer faire de la prévention primaire. D'après certaines recherches intéressantes et prometteuses dans le domaine des troubles alimentaires, les efforts de prévention primaire seraient très utiles.

J'ai déjà parlé de la nécessité de resserrer les liens entre les programmes pour enfants, pour adolescents et pour adultes. Il y a souvent des obstacles administratifs qui nous en empêchent. C'est important dans tous les domaines, et surtout en ce qui concerne les troubles alimentaires.

Les programmes pour adultes, curieusement, sont en fait ceux qui reçoivent le plus grand nombre de personnes souffrant de troubles de ce genre. On croit souvent que les troubles alimentaires sont concentrés au début de l'adolescence, mais c'est un mythe. La majorité des personnes atteintes sont âgées d'environ 28 ans.

Les programmes pour adultes bénéficient d'une expérience à grande échelle. Les programmes pour adolescents se prêtent bien à des interventions précoces avant le développement de symptômes chroniques. Nous devons amener les groupes responsables de ces programmes à se parler et à échanger leurs connaissances, ce qui se fait très rarement dans toutes les provinces, à ce que je sache.

En même temps, il faut financer les efforts de recherche clinique. Je suis convaincu qu'il faut intégrer pleinement l'activité de recherche clinique. La recherche, en définitive, se traduit par de meilleurs soins aux malades. C'est la seule façon de faire en sorte que les gens de partout bénéficient de méthodes de soins qui ont été évaluées convenablement et qui ont des effets démontrables. C'est également la seule façon de faire en sorte que les malades bénéficient de la pratique de pointe, bien étayée et bien documentée, à laquelle ils ont droit. Il faut espérer que le traitement typique offert actuellement s'inscrira davantage dans la pratique établie.

En plus de développer les programmes, je recommande fortement une composante de recherche solide et l'exportation de notre savoir-faire.

Dr Simon Davidson, chef de la Section de psychiatrie, Centre hospitalier pour enfants de l'est de l'Ontario: Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous félicite d'avoir pris cette initiative très importante pour les Canadiens, en termes de qualité de vie, et pour le Canada, pour la mise en place d'une société aussi productive que possible. Plus tôt nous pourrons nous attaquer aux problèmes de santé mentale et nous pencher sur leur histoire naturelle, plus notre société pourra devenir productive.

Mon mémoire se divise en trois parties: d'abord un résumé du problème et de son ampleur, ce à quoi j'ai ajouté un exemple pour rendre les choses un peu plus concrètes; ensuite une analyse du problème; et enfin une proposition sur ce à quoi le système pourrait ou devrait ressembler.

Au cours de ma présentation, je vais vous résumer les principaux points des deux premières parties et m'attarder surtout sur la troisième. Je vous invite cependant à parcourir le document en entier. Je suis très heureux que les deux témoins précédents soient passés avant moi parce que je suis tout à fait d'accord avec eux sur la plupart des points dont ils ont parlé. J'en parle également dans mon mémoire, ce qui me permet de me concentrer sur des aspects légèrement différents.

Du point de vue épidémiologique, je suis d'accord avec la Dre Waddell, même si je trouve ses chiffres un peu optimistes, à moins qu'elle veuille parler tout particulièrement des malades les plus gravement atteints. Quand on regarde l'ensemble de la situation — les malades légèrement atteints comme ceux qui le sont plus sérieusement —, on constate que les taux de prévalence sont en fait légèrement plus élevés. Nous savons que la prévalence des maladies psychiatriques augmente avec l'âge; cependant, nous remarquons également que l'âge auquel ces maladies se déclarent est à la baisse pour certains de ces troubles, par exemple les troubles de l'humeur et de l'alimentation.

Je voudrais faire un commentaire sur les questions que le comité a préparées pour nous. J'ai bien aimé ce que la Dre Waddell a dit au sujet de l'orpheline de l'orpheline. Et ce qui m'inquiète, c'est que si on commence à faire la distinction entre les différents types de troubles, on pourrait se retrouver avec l'orpheline de l'orpheline de l'orpheline. En outre, il y a des troubles qui ne sont pas mentionnés dans vos questions et qui sont pourtant très courants ou très sérieux également. Les troubles de l'humeur et de l'anxiété chez les enfants, les troubles de l'anxiété à l'adolescence et les troubles psychotiques dans toutes les tranches d'âge méritent d'être examinés. C'est la dernière chose que je voulais dire au sujet de troubles spécifiques. Je préfère regarder l'ensemble de la situation.

En termes d'utilisation des services, nous savons, grâce au travail original mené dans le cadre de l'Étude sur la santé des enfants de l'Ontario, que les enfants ou les adolescents de quatre à seize ans qui avaient au moins un problème psychiatrique avaient bénéficié de mesures quelconques de gestion de ces troubles dans seulement un cas sur six au cours des six mois précédents. Cette étude a été réalisée en 1986, et ses conclusions ont fait l'objet de rapports en 1987 et 1989. Il est passé beaucoup d'eau sous les ponts depuis, même si les taux de prévalence sont restés les mêmes. Après en avoir parlé au Dr Offord, je pense qu'il y a en fait moins d'un enfant sur six qui bénéficie d'un service quelconque.

Comme l'a dit la Dre Waddell, il s'agit presque exclusivement de services cliniques. Il y a une immense demande de services, et les listes d'attente sont extrêmement longues. J'ai inclus dans mon mémoire un continuum des services de santé mentale semblable à celui que la Dre Waddell vous a présenté. Et je ne voudrais surtout pas oublier de mentionner que, quand on travaille avec des enfants, avec des jeunes et avec leurs familles, dans les cas de maladie mentale, les interventions ne sont pas les mêmes qu'avec des adultes. Ce serait une erreur de généraliser et d'appliquer aux enfants et aux adolescents les approches propres aux adultes. J'ai inclus en outre une petite étude de cas qui illustre ce qu'a dit la Dre Waddell au sujet de la fragmentation dans le secteur des services, du grand nombre d'organismes qui s'occupent des différents types de soins et du grand nombre de ministères, dans les différentes provinces, qui sont responsables du financement de ces organismes.

Comme je l'ai déjà dit, la demande de services dépasse de loin les ressources disponibles. Partout où nous sommes allés dans l'est de l'Ontario pour demander aux gens quels étaient les services de santé dont ils avaient besoin et auxquels ils n'avaient pas accès facilement dans leur région, les services de santé mentale pour enfants et adolescents arrivaient invariablement parmi les trois premiers. Et le problème est encore compliqué par plusieurs facteurs concernant les médecins. J'y reviendrai un peu plus tard. La forte demande de services est un des problèmes qui nous obligent à nous concentrer sur les programmes cliniques plutôt que de fournir des programmes universels et des programmes ciblés qui se rattacheraient par exemple à la promotion de la santé et à la prévention de la maladie mentale.

Il y a très peu de ces programmes universels ou ciblés, et la Dre Waddell en a déjà parlé. Nous entendons souvent dire, dans toutes sortes de milieux, que nos enfants et nos adolescents sont notre avenir, mais bien franchement, je me pose la question: est-ce que ce sont seulement des paroles creuses ou si cela veut vraiment dire quelque chose?

Si vous me permettez de m'éloigner de la santé un instant, je voudrais vous citer Tennessee Williams, qui a dit: «Il vient un moment où il est bon de partir, même si la destination est incertaine.»

J'ai une proposition à faire au sujet du changement. Cette orpheline d'une orpheline a nettement besoin de plus d'argent, mais nous devons aussi faire bien des choses différemment. À mon avis, le financement accordé aux services de santé mentale doit être au moins comparable à celui dont bénéficient les services de santé physique. Nous devons consolider un financement prescrit et protégé et, par-dessus tout, si je n'avais qu'une seule chose à dire, ce serait que nous devons avoir un système intégré et équilibré, quel qu'il soit.

Il y a bien des principes, et vous les connaissez; je ne vous les décrirai donc pas en détail. Il y a toute une gamme de services que nous devons offrir et, pour ce qui est des services cliniques, ils doivent être coordonnés, rentables et intégrés dans un continuum allant des services communautaires jusqu'aux services spécialisés de santé mentale. L'approche interdisciplinaire est absolument essentielle pour offrir les meilleurs soins possibles. Je joins ma voix à celle de la Dre Waddell pour réclamer un système équilibré, qui fasse une place égale aux programmes universels, aux programmes ciblés et aux programmes cliniques permettant de rejoindre plus d'enfants et d'adolescents et de profiter de l'effet multiplicateur, pour que l'accès aux services de santé mentale soit beaucoup plus facile dans tout ce continuum, pour que ces services aient des résultats tels que plus de gens comprennent leur potentiel, et pour que nous ayons une population active et une société en meilleure santé.

La recherche et l'évaluation des programmes sont primordiales, et la Dre Waddell en a parlé également. Je vais prendre une minute pour vous parler d'éducation, ce qui n'est plus très à la mode de nos jours. Nous devons parler d'éducation pour tous les professionnels qui participent aux équipes interdisciplinaires offrant tout le continuum de services. Nous devons développer de nouveaux programmes d'études fondés sur des approches contemporaines. Les anciennes approches comportaient de bons éléments, que nous devons conserver. Mais elles mettent surtout l'accent sur les services cliniques, et non sur l'équilibre dont la Dre Waddell et moi vous avons parlé.

Nous devons aussi mettre au point des méthodes d'enseignement innovatrices et intéressantes. Je voudrais également préconiser ce que j'appelle le «triangle d'or» — et je ne parle pas de la région bien connue de la Thaïlande. Le triangle d'or, pour moi, ce sont les services dont nous avons déjà parlé: les services universels, les services ciblés et les services cliniques, en plus de la recherche et de l'évaluation des programmes. Ces trois éléments doivent exister au sein d'une relation itérative, dans laquelle chacun informe ou modifie les deux autres. Nous devons coordonner cela grâce à des systèmes d'information efficaces.

Pour les psychiatres qui s'occupent d'enfants et d'adolescents, il y a bien des choses qui sont problématiques. Ils doivent d'abord devenir médecins, puis psychiatres, et enfin psychiatres spécialisés pour les enfants et les adolescents. Pour le moment, au Canada, nous avons un solde négatif. Je pense que nous formons chaque année moins de psychiatres pour enfants et adolescents qu'il y en a qui prennent leur retraite, et nous sommes déjà en déficit. De plus, il est difficile d'attirer les gens vers la pédopsychiatrie. La formation est plus longue que pour la psychiatrie générale et le salaire est nettement moins élevé jusqu'en fin de carrière. Il est très difficile de convaincre les gens de se lancer dans ce domaine.

Il y a aussi beaucoup d'autres problèmes à régler dont je n'ai pas parlé: le logement et les mesures de soutien pour les enfants et les adolescents, un système scolaire réceptif servant de plaque tournante — c'est un concept que j'approuve, mais je tiens à souligner que les enfants et les adolescents qui ne vont pas à l'école, parce qu'ils font l'école buissonnière ou parce que l'école refuse de les admettre, sont encore plus à risque que les enfants et les adolescents qui y vont —, et enfin les jeunes contrevenants atteints de maladie mentale. On note une forte comorbidité dans cette population, ce qui veut dire que même si ces jeunes peuvent avoir des troubles de conduite ou une personnalité antisociale, il y a chez eux une très forte prévalence d'autres problèmes psychiatriques, de tentatives de suicide et de suicides réussis.

La transition entre les services pour jeunes et les services pour adultes est extrêmement importante; l'emploi chez les jeunes est important; et il est également crucial de se pencher sur les effets de la maladie mentale des enfants et des adolescents sur leurs familles.

Pour conclure, nous devons faire les choses comme il faut. Les changements sont relativement permanents. Notre population devra vivre longtemps avec ceux que nous allons apporter. Quoi que nous fassions, les services de santé mentale pour enfants et adolescents devront être prescrits et protégés. Nous devons élaborer une stratégie à ce sujet-là en nous concentrant sur les intérêts de nos enfants, de nos adolescents et de leurs familles, en faisant appel aux bonnes personnes — en laissant les affiliations à la porte — et en faisant des recommandations solides et concrètes.

Je rappelle ce que j'ai dit un peu plus tôt, au sujet des affirmations selon lesquelles nos enfants et nos adolescents sont notre avenir; est-ce que sont seulement des paroles creuses ou si cela veut dire quelque chose?

Dre Diane Sacks, présidente élue, Société canadienne de pédiatrie: C'est à moi qu'il incombe de mettre un visage personnel sur la question dont mes estimés collègues vous ont parlé ce matin. Je vais faire de mon mieux pour les enfants que j'ai l'honneur de représenter, ainsi que pour les autres travailleurs ou «soldats» de première ligne, puisque c'est parfois ainsi que nous nous sentons après une longue journée au bureau avec ces enfants, et je vais m'efforcer de vous montrer ce qui se passe vraiment dans ce domaine.

Il y a seulement 20 ou 25 ans que nous parlons du dysfonctionnement psychosocial chez les enfants. Aujourd'hui, c'est la principale cause d'invalidité chez les enfants et les adolescents. Au moins 20 p. 100 des Canadiens de moins de 19 ans souffrent d'un ou de plusieurs problèmes de ce genre à un niveau modéré ou grave. Je ne parle pas de ceux qui ont des problèmes légers, je parle de ceux qui sont incapables de fonctionner: il y en a un bon 20 p. 100.

J'ai pratiqué 30 ans en pédiatrie et en santé des adolescents à l'Hospital for Sick Children. Il y a sept ans, je suis passée à l'hôpital général de North York, qui est un hôpital communautaire. J'ai aussi une pratique privée en pédiatrie à North York.

Je voudrais vous décrire quelques types de troubles et vous expliquer quels sont leurs effets sur la vie des jeunes touchés, sur leurs familles et sur la société canadienne en général.

Beaucoup d'entre nous savent que les trois premières années de la vie représentent un stade de développement critique, mais plus rares sont ceux qui comprennent qu'il y a un deuxième stade de développement critique et crucial qui est tout aussi important pour pouvoir fonctionner de manière indépendante et productive en tant qu'individu dans un régime démocratique.

C'est pendant l'adolescence que nous avons d'énormes tâches à accomplir pour notre développement psychosocial et physique, des tâches qui définissent ce que nous serons comme adultes, des tâches qui consistent par exemple à accepter nos forces et nos faiblesses, à accepter notre corps, à former des relations de cohésion avec les gens de l'extérieur de notre famille, par exemple avec les groupes de pairs, et à nous séparer de notre famille.

Quand nous n'arrivons pas à remplir ces tâches, nous cessons de progresser vers l'âge adulte. La maladie mentale ralentit inexorablement ce progrès. Dans bien des cas, elle le stoppe complètement.

Comme vous le verrez, il y a énormément d'adolescents qui sont touchés par la maladie mentale, il y en a peu dont les problèmes sont diagnostiqués et il y en a encore moins qui reçoivent un traitement, même après un diagnostic. Or, les données récentes en neurophysiologie nous disent qu'à ce stade-là, le cerveau est encore flexible et conserve une certaine plasticité.

Les gains réalisés grâce à un traitement entrepris à ce stade-là devraient donc être encore plus grands que si le traitement est entrepris plus tard. Pourtant, notre système de soins de santé est très loin de fournir des traitements en santé mentale satisfaisants pour les enfants et les adolescents. Et, chose encore plus inquiétante, ces traitements ne sont pas aussi équitables et aussi accessibles que le prescrit la Loi canadienne sur la santé. C'est un gaspillage de potentiel.

Comme on pouvait s'y attendre dans ce domaine, tous les chiffres que je vais vous donner sur l'incidence des problèmes sont des sous-estimations. Je soupçonne que vous connaissez tous de près ou de loin la situation des enfants et des adolescents que je veux vous décrire.

Environ 5 p. 100 de nos jeunes souffrent d'un problème que les pédiatres considèrent comme un énorme problème de santé mentale: le trouble déficitaire de l'attention, ou TDA, le trouble d'hyperactivité avec déficit de l'attention, ou THADA, et les difficultés d'apprentissage. Comme beaucoup de ces enfants sont brillants, ils réussissent à masquer leurs difficultés jusqu'à la sixième ou la huitième année, mais les choses commencent à se détériorer quand ils entrent à l'école secondaire, avec son régime de rotations.

De nombreux adolescents chez qui le TDA ou le THADA n'a pas été diagnostiqué commencent alors à accumuler les échecs, justement à un moment où beaucoup d'entre eux ont aussi l'impression que leur corps les trahit. Ils ne sont pas assez forts, pas assez minces et certainement pas assez grands. Les pressions sont énormes. Les faibles aptitudes sociales associées à ce problème entraînent des rejets et des conflits avec les pairs. Comment un adolescent «idiot», qui a de mauvaises notes et des aptitudes sociales déficientes — puisque c'est à cela que ressemblent les jeunes chez qui le THADA n'est pas traité —, peut-il se constituer un groupe de pairs, ce qui, comme nous l'avons déjà dit, est une des tâches essentielles de l'adolescence? Il en est incapable. Cela crée des problèmes d'estime de soi, qui sont directement liés aux problèmes de comportement et d'intimidation et aux démêlés avec la loi.

Il y a une rumeur selon laquelle, si on donne des stimulants à ces enfants, ils ont tendance à consommer ensuite de l'alcool et d'autres drogues. Mais c'est tout le contraire. C'est beaucoup plus courant chez les jeunes qui ont un THADA non traité. Et finalement, c'est une cause de décrochage.

Les jeunes qui échouent constamment n'ont pas tendance à terminer leurs études secondaires. Nous devons trouver ces élèves qui décrochent et examiner leur cas, plutôt que de dire simplement: «Bon débarras si ces mauvais élèves sont partis!» Nous devons avoir du financement et un système en place pour leur faire passer des tests afin de savoir pourquoi ils s'en vont. Ces jeunes ont peut-être des troubles qui, s'ils étaient traités, ne les empêcheraient pas de réussir, même à l'école.

Les troubles anxieux comprennent par ailleurs l'angoisse de la séparation, l'angoisse du rendement et l'anxiété sociale, et ils ont aussi d'énormes conséquences sur le passage de l'enfance à l'âge adulte.

La société a tellement la phobie de la maladie mentale que nous prenons ces comportements pour des marques de timidité. C'est vrai dans certains cas, mais dans 5 p. 100 des cas, il s'agit de ce qu'on appelle des «troubles anxieux». Ces enfants-là réussissent à dissimuler leur état jusqu'à l'adolescence, parce que leurs parents font tout pour eux. Puis, ils ont des maux de tête le dimanche soir, des maux d'estomac le lundi matin, ils ont des étourdissements et des évanouissements, des douleurs à la poitrine et le souffle court. Ils ne peuvent pas aller à l'école, et ils ne pourraient certainement pas réussir leurs examens; ils ne sortent pas avec leurs pairs et ne peuvent pas imaginer se séparer de leurs parents. Il ne faut pas oublier que ce sont toutes des choses que les adolescents doivent faire pour devenir adultes. Mais, au contraire, ils se replient sur eux-mêmes et régressent pour éviter de prendre des risques.

Ils savent qu'ils devraient en faire plus, ils veulent en faire plus et ils se fâchent. Ils sont irritables, et on les considère souvent comme des enfants «difficiles» plutôt que comme des enfants «malades». Ils ne veulent tout simplement pas aller à l'école. Ils font tout ce qu'ils peuvent pour éviter de sortir dans un monde qui les terrifie complètement. Ils s'infligent même parfois de la douleur physique parce que leur corps subit le contrecoup de leur anxiété. Cela entraîne des coûts énormes pour notre système de soins de santé, puisqu'il faut dépenser des millions de dollars pour découvrir les causes de leurs symptômes.

Je vois très souvent des adolescents souffrant d'anxiété arriver à ma porte, habituellement le lundi matin, avec tout un arsenal d'analyses sanguines, d'examens TDM et de radiographies. L'anxiété ne s'en va pas si elle n'est pas traitée. Ces jeunes-là deviennent des adultes anxieux, et même agoraphobes. Comment ces adolescents terrifiés qui n'ont accompli aucune des tâches à accomplir pourraient-ils devenir productifs et réaliser leur potentiel?

Encore une fois, les problèmes de ces adolescents ne sont tout simplement pas diagnostiqués. Il est facile de les traiter de «tire-au-flanc» et de «manipulateurs». Beaucoup se tournent vers l'automédication pour se détendre. Et c'est là qu'entre en jeu la comorbidité de la consommation d'alcool et de marijuana.

Nous avons des traitements, et ils fonctionnent, mais nous devons d'abord faire le bon diagnostic. Quand nos écoles se rendent compte qu'un adolescent est souvent absent, elles devraient peut-être songer à demander à un professionnel autre qu'un agent de probation d'aller voir ce qui se passe.

Pour finir, je voudrais vous parler de la dépression chez les adolescents. Nous avons de bonnes raisons de croire qu'environ 5 à 10 p. 100 des adolescents canadiens souffrent de dépression clinique majeure.

Beaucoup d'entre nous ont connu la souffrance et l'isolement qu'engendre la dépression à la suite d'une perte personnelle. Imaginez si cette souffrance dure des mois. Imaginez l'isolement, l'incapacité de se concentrer, l'incapacité de socialiser ou d'espérer, et n'oubliez pas que, pour un jeune, cela se produit à un moment critique sur le plan physiologique, quand ces choses sont plus qu'essentielles: elles sont source de vie.

Comment se fait-il que cette maladie ne soit pas diagnostiquée? Encore là, nous disons qu'ils s'ennuient, que ce sont des solitaires. Les enfants ne font tout simplement pas de maladies mentales, voyez-vous. Mais le résultat de la dépression non traitée est aussi tragique que celui d'un THADA non traité. C'est une vie interrompue, un épanouissement raté. Il y a là aussi des tentatives d'automédication. Nous voyons certains de ces jeunes prendre du pot, de l'alcool et, dans les cas de dépression, parfois même de la cocaïne.

Il y a encore une chose que vous devez savoir au sujet de la dépression. La dépression est le principal facteur déclencheur associé au suicide. Il y a des gens qui disent que le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les adolescents au Canada, après les accidents d'automobile. C'est une statistique qui place le Canada parmi les pays industrialisés où le taux de suicide chez les adolescents est le plus élevé, plus élevé même qu'aux États-Unis. Si je dis qu'il y a des gens qui disent que c'est la deuxième cause de mortalité, c'est parce que je sais, après avoir travaillé auprès des adolescents pendant des années, qu'il arrive parfois que des adolescents déprimés se saoulent, prennent le volant d'une automobile et se tuent, ce qui est considéré comme un accident d'automobile et non comme un suicide.

Je voudrais vous dire, pour terminer, que le système de santé à deux vitesses n'est nulle part aussi visible que dans le domaine de la santé mentale des enfants. Je m'explique. Premièrement, il n'y a certainement pas assez de pédiatres, et encore moins de pédopsychiatres, pour poser les diagnostics nécessaires de bonne heure. Dans bien des régions du Canada, il n'y a aucun de ces professionnels; donc, l'endroit où on vit a son importance.

Cela dit, il y a des professionnels qui peuvent aider à poser un diagnostic et à traiter ces maladies, mais seulement si vous avez de l'argent — beaucoup d'argent. La liste d'attente pour obtenir un diagnostic de THADA dans le système scolaire public ou dans un centre communautaire de santé mentale, à Toronto, est actuellement de 18 mois, ce qui fait deux années scolaires complètes. Voilà ce qui se passe si vous n'avez pas d'argent. Mais si vous avez 2 000 $, je peux vous trouver un psychologue qui va vous faire un diagnostic dans une semaine ou deux et qui va, au besoin, établir pour l'école un programme complet afin d'aider votre enfant à réussir. La plupart des régimes d'assurance des employeurs ne couvrent en moyenne que 300 $ pour les soins psychologiques. Et la plupart des programmes publics ne couvrent absolument rien.

Le fait d'avoir de l'argent compte aussi pour obtenir un traitement pour d'autres troubles mentaux dont je vous ai parlé. Il existe des médicaments efficaces contre l'anxiété et la dépression. Mais il est important de noter que les effets de ces médicaments sur les enfants et les adolescents n'ont jamais été testés. Le gouvernement fédéral doit inciter les compagnies pharmaceutiques à le faire.

Revenons au système à deux vitesses. L'anxiété et la dépression sont des problèmes qui durent toute une vie. En tant que pédiatre, j'ai toujours peur de commencer à prescrire à quelqu'un un médicament qu'il devra peut-être prendre pendant 50 ou 60 ans. Il y a des thérapies de counselling spécifiques — la Dre Waddell a mentionné la thérapie cognitive du comportement — qui permettent de traiter l'anxiété et la dépression aussi efficacement que les médicaments, mais à l'heure actuelle, les professionnels qui offrent cette thérapie ne sont généralement pas couverts par la plupart des régimes d'assurance-maladie provinciaux. Ce sont des professionnels qualifiés et réglementés qui pourraient, si la société le voulait vraiment, traiter beaucoup de nos enfants et de nos adolescents. Je n'hésite pas à dire que, si nous avions plus d'options de traitement, les médecins poseraient ces diagnostics plus tôt, ce qui permettrait de prévenir chez certains adolescents les conséquences de l'isolement, des comportements délinquants, de la consommation d'alcool et d'autres drogues et, ce qui est plus grave encore, l'incapacité de progresser pour réaliser leur potentiel une fois adultes.

En conclusion, il y a des choses que nous devons absolument faire. Certaines font partie de mes tâches, et j'espère que vous accepterez de vous charger de certaines autres, comme vous le faites déjà. Il faut continuer à enseigner aux étudiants en médecine que les enfants et les adolescents peuvent souffrir de maladies mentales, et leur apprendre à reconnaître ces maladies. Il faut créer un système de soins harmonisés pour ces enfants, ces adolescents et leurs familles, pour éviter qu'ils aient à trouver constamment de nouveaux services à mesure que les enfants grandissent. À l'heure actuelle, les approches de traitement sont tellement fragmentées qu'elles peuvent même prendre fin au milieu de l'année scolaire. Il faut encourager plus de médecins à se lancer dans le domaine de la santé mentale des enfants. À la vérité, la rémunération dans ce domaine est loin de couvrir les heures passées au téléphone avec les autres personnes qui s'occupent des enfants et des adolescents traités. Il faut aussi prévoir des fonds spéciaux pour le diagnostic et le traitement de ces maladies.

Les médecins doivent également partager leurs connaissances avec les membres de l'appareil judiciaire pour pouvoir rejoindre et aider les jeunes touchés, dont beaucoup se retrouvent devant les tribunaux. Nous devons repenser la question de la consommation d'alcool et d'autres drogues chez les adolescents, pas en la voyant comme un problème, mais en tenant compte du fait que c'est parfois la solution que les adolescents trouvent eux-mêmes à un problème de santé mentale que nous n'avons pas détecté. Encore là, il ne faut pas oublier les jeunes qui se trouvent dans les établissements de détention. Un traitement, plutôt qu'un châtiment, pourrait être approprié dans certaines circonstances.

En tant que chefs de file de notre société, nous devons montrer aux Canadiens que la maladie mentale est justement cela, une maladie, qui a probablement des origines génétiques, environnementales et chimiques, et qu'il y a des enfants et des adolescents qui en souffrent. Nous avons besoin d'une grande campagne de sensibilisation à la santé publique. Nous devons faire éclater les idées reçues sur la maladie mentale chez les enfants. Nous devons financer des programmes de sensibilisation particuliers sur le THADA et les difficultés d'apprentissage, à l'intention de tous les groupes socio-économiques. La société doit organiser et financer des programmes de dépistage des enfants qui échouent ou qui quittent l'école de bonne heure, afin de ramasser ceux qui ont une maladie mentale traitable.

Nous avons besoin de mesures incitatives fédérales pour pousser les compagnies pharmaceutiques à tester l'effet de leurs médicaments sur les enfants et les adolescents afin d'augmenter la sûreté et l'efficacité de ces traitements. Nous devons élargir les soins de santé au Canada pour répondre à la définition de la santé proposée par l'OMS et accorder une couverture spéciale aux professionnels qualifiés et réglementés qui traitent ces maladies afin que les traitements soient accessibles à tous les groupes socio-économiques, dans toutes les régions du Canada. Nous devons reconnaître que les problèmes de santé mentale chez les enfants constituent une priorité nationale et financer la recherche dans ce domaine.

Autrement, nous laissons les familles se débrouiller toutes seules, et ces familles et ces enfants choisissent souvent l'isolement, le retrait, l'automédication et même la mort plutôt que de vivre avec la souffrance de la maladie mentale. Ces gens-là sont souvent perdus pour la société, et c'est le Canada qui y perd le plus.

Tous les témoins qui ont comparu devant nous ont mentionné l'extrême fragmentation des services de traitement. Il y a essentiellement une série de compartiments, et les malades sont envoyés d'un compartiment à l'autre, quand ils ne sont pas coincés dans un d'entre eux. Je reconnais qu'il est impossible d'importer tout simplement le modèle de quelqu'un d'autre, mais est-ce qu'il y a des endroits dans le monde où on obtient des résultats nettement meilleurs qu'ici, ou est-ce que le problème de la santé mentale des enfants est un problème universel?

Dre Waddell: D'après ce que nous pouvons constater, je n'ai pas l'impression que nous réussissons particulièrement mal comparativement à d'autres pays. Nous n'avons trouvé nulle part de modèle qui serait manifestement efficace pour régler cette question de la fragmentation. Il est évident que les problèmes relatifs à la santé mentale des enfants sont complexes, en partie à cause des raisons auxquelles beaucoup d'autres témoins ont fait allusion. Ils recouvrent des situations qui peuvent avoir de multiples causes, et il y a toutes sortes de personnes différentes qui interviennent ou qui devraient intervenir. Les spécialistes en éducation préscolaire, les enseignants et les médecins ne sont qu'une petite partie de l'équation.

Nous ne réussissons pas nécessairement plus mal que les autres. Tout le monde connaît à peu près les mêmes problèmes.

Dr Davidson: La Dre Waddell serait probablement mieux placée que moi pour vous en parler parce qu'elle vit là-bas, mais le gouvernement de la Colombie-Britannique a essayé de regrouper tout cela dans un seul ministère. Cependant, d'après ce que j'ai entendu dire, les gens qui s'occupaient de santé, et en particulier les médecins, n'avaient pas de liens avec ce ministère. Il y a eu une initiative en ce sens, mais je ne suis pas certain qu'elle ait très bien fonctionné et j'aimerais entendre ce que la Dre Waddell a à dire à ce sujet-là.

Dre Waddell: Au milieu des années 90, la Colombie-Britannique a pris une décision en réaction à une situation de crise dans le domaine de la protection de l'enfance, à la suite du décès d'un enfant qui avait été confié au ministère responsable de la protection de l'enfance à cette époque-là. Le ministère avait pris bonne note du grave problème de fragmentation et avait tenté de regrouper tous les services à l'enfance dans un seul ministère. Mais cela n'a pas été facile. Par exemple, les services hospitaliers, et plus particulièrement ceux qui s'occupent de la facturation des services cliniques dispensés par les médecins, n'ont jamais pu être intégrés complètement à ce ministère.

Évidemment, le système scolaire était un intervenant extrêmement important et devait conserver son propre ministère.

Les services de santé mentale pour enfants en tant que tels relevaient de ce nouveau ministère, qui s'appelle aujourd'hui ministère du Développement de l'enfance et de la famille. Ces services demeurent précaires. Cette question occupe aujourd'hui une bien plus grande part du mandat du ministère, qui inclut également la protection de l'enfance. Or, les budgets de protection de l'enfance accaparent, et de loin, la majeure partie des ressources disponibles.

Les gens de notre province ont envisagé comme solution de renvoyer le dossier touchant la santé mentale des enfants au ministère de la Santé, qui est également responsable des services de santé publique. Mais quand les services de santé mentale pour enfants relevaient de ce ministère, il y avait de sérieux problèmes parce qu'ils étaient relégués dans l'ombre des services de santé mentale pour adultes — qui constituent encore une fois un programme beaucoup plus vaste —, des services de soins actifs, des programmes de soins hospitaliers et des autres programmes plus importants et prédominants.

Nous avons en Colombie-Britannique un nouveau plan d'action sur la santé mentale des enfants parce que nous reconnaissons que cette solution n'a pas été terriblement efficace. Nous allons maintenant essayer de créer un réseau de services pour enfants, à commencer par un comité mixte réunissant la plupart des gens importants du ministère de l'Enfance et du ministère de la Santé. Nous reconnaissons que les éléments comme les services médicaux et hospitaliers ne sortiront probablement jamais du ministère de la Santé et que l'éducation va garder son propre ministère, mais nous voulions un organe de coordination de haut niveau relevant de chacun des ministres responsables des ministères clés.

Nous venons tout juste de lancer cette expérience et nous sommes en train de mettre en place ce réseau de haut niveau. Nous sommes au courant des expériences tentées dans d'autres provinces. Le Manitoba et l'Ontario ont essayé des configurations différentes. Nous avons besoin d'une approche plus unifiée pour l'ensemble du pays. Nous espérons qu'en constituant un groupe relevant directement des ministres compétents, nous aiderons les gens à comprendre que, même s'il n'est jamais possible de tout regrouper sous un même toit, nous pouvons faire beaucoup mieux.

Le sénateur Morin: Merci à nos quatre témoins. Leur message est remarquable et impressionnant.

La Dre Waddell a présenté un exposé convaincant. J'espère qu'il sera intégré à notre rapport. Les problèmes de santé mentale représentent la catégorie la plus importante de problèmes de santé auxquels font face actuellement les enfants canadiens.

Le tableau est vraiment impressionnant, parce que j'aurais pensé que c'était les maladies infectieuses ou d'autres problèmes de santé.

Nos quatre témoins ont présenté des recommandations. Que pouvons-nous faire au niveau fédéral ou national? Je comprends que la plupart des initiatives que vous prenez s'appliquent à l'échelle provinciale. Par exemple, la Dre Waddell a mentionné la recherche, l'établissement de lignes directrices fondées sur l'expérience clinique, les indicateurs de santé mentale, les systèmes d'information, et cetera. Que peut-on faire au niveau fédéral ou national? Quand je dis «national», je pense à un organe de type interprovincial ou fédéral.

Dre Waddell: C'est un sujet qu'il est important d'examiner. Certaines initiatives fédérales ou nationales pourraient être utiles à court terme pour préparer le terrain. La surveillance conjointe est un élément important sur le plan de la motivation. L'expression peut paraître théorique, mais il s'agit vraiment de mesures telles qu'un système d'information national qui permet à tous les intervenants de comparer leur situation par rapport à celle des autres provinces ou régions. Cela leur permet de comparer leur situation par rapport à un ensemble de base d'indicateurs convenus de la santé infantile.

Nous avons déjà des organismes nationaux tels que l'Institut canadien d'information sur la santé qui a été créé précédemment dans le but d'examiner les renseignements et les résultats et données de surveillance concernant la santé de l'ensemble des Canadiens. Il serait possible d'inclure la santé mentale infantile au nombre des éléments que ces organismes doivent examiner.

Les organismes fédéraux ou nationaux pourraient également établir une sorte de présence nationale en vue de réunir les dirigeants provinciaux et régionaux. Il y avait autrefois des comités de travail fédéraux-provinciaux-territoriaux chargés de la santé mentale infantile. Ces comités existent toujours pour examiner les problèmes de santé mentale des adultes. Le rétablissement des comités de santé mentale infantile permettrait de hausser le profil et d'attirer des groupes d'intervenants utiles comme des groupes de parents.

Le gouvernement fédéral peut aussi faire sa part par l'intermédiaire de son programme de recherche et par la diffusion systématique des connaissances. Par exemple, la médecine fondée sur l'expérience clinique se pratique dans de nombreux secteurs, discipline par discipline. Les psychologues ont leurs propres paramètres de pratique; les psychiatres ont aussi les leurs. Au niveau fédéral ou national, la diffusion systématique des connaissances sur les pratiques fondées sur l'expérience clinique dans toutes les disciplines serait utile. L'élaboration et la diffusion des connaissances, puis la surveillance du système global sont de bons points de départ.

Dre Sacks: Dans le domaine de la santé mentale infantile et pédiatrique, nous continuons à fonctionner selon un modèle de crise. Nous fonctionnons au cas par cas, équipe par équipe. Je ne devrais peut-être pas me référer à un programme qui n'est pas totalement mis en oeuvre, mais je me demande si nous ne devrions pas disposer d'un programme semblable à notre programme national d'immunisation dans ce domaine, afin de repérer les enfants avant qu'ils ne soient malades.

En fait, c'est dans nos programmes de prévention que nous obtenons un certain succès. Ils peuvent repérer les enfants à risque avant qu'ils ne tombent malades et cessent de fonctionner.

Je me demande pourquoi nous ne pourrions pas financer la recherche pour mettre au point un outil comme les petites cartes d'immunisation que les enfants doivent avoir pour s'inscrire à l'école. On pourrait établir un ensemble de questions à poser aux familles au moment de la délivrance de ces cartes. Cela ne pointerait personne mais permettrait de repérer les enfants très vulnérables. Nous savons qu'un des plus grands indicateurs de dépression chez les adolescents et les enfants est la présence d'un parent souffrant d'un trouble de l'humeur. Ce serait le moment d'en prendre note.

Pour commencer, il faut mettre en place une campagne d'information publique pour que personne ne soit gêné de reconnaître un problème. On peut aussi demander s'il y a eu une perte ou un décès dans la famille. Ou si un membre de la famille a décroché très tôt dans ses études. Nous devons nous efforcer de repérer les enfants très vulnérables. Pas nécessairement pour les sortir de l'école afin de les soigner; cependant, dans certains cas, nous pouvons mettre en place des programmes tels que la thérapie cognitivo-comportementale qui donne vraiment d'excellents résultats sans médicament pour bon nombre de ces enfants s'ils sont traités assez tôt. Il faut leur donner les aptitudes sociales nécessaires pour qu'ils ne se sentent pas isolés, pour qu'ils ne deviennent pas des victimes. Je sais que certains enfants malmenés réagissent d'une certaine manière parce qu'ils n'ont pas les aptitudes sociales nécessaires ou parce qu'ils souffrent déjà d'un trouble anxieux.

C'est un endroit important pour repérer les jeunes enfants à problème, mais nous devons commencer par informer le public qu'il n'y a rien de mal à cela, qu'il s'agit d'une maladie.

Dr Davidson: Je partage ce point de vue. Je dois cependant souligner que la stigmatisation est un vilain mot. La stigmatisation anéantit nos efforts visant à améliorer la situation. Il est extrêmement important de parler de la santé et de la maladie mentale, comme le fait votre comité. Nous devons déstigmatiser la maladie mentale afin que les personnes qui en souffrent n'hésitent pas à demander de l'aide dès les premiers symptômes.

La Dre Waddell a parlé du programme australien qui s'intéresse aux troubles anxieux depuis une perspective universelle qui comporte une formation dans le programme scolaire. Voilà un très bon exemple que nous pourrions imiter. En d'autres termes, nous devons implanter un programme universel.

Quand on fait des études, on doit suivre de nombreux cours obligatoires. Or, la plupart d'entre nous n'avons suivi aucun cours pour apprendre l'art d'être parent. Il serait peut-être utile d'améliorer nos compétences de parent.

Le sénateur Cordy: Docteure Sacks, votre proposition d'informer les écoles est extrêmement importante. Pendant plusieurs années, j'ai enseigné au niveau des premières années dans une école élémentaire. Il faut que le public soit informé. Nous avons besoin d'un programme d'information du public.

Au cours de ma carrière, j'ai remarqué que parfois, une semaine ou deux après la rentrée scolaire, surtout dans les petites classes, je devais appeler les parents pour leur dire que j'avais noté tel ou tel comportement chez leur enfant et pour leur demander des précisions à ce sujet. Ils me répondaient qu'ils n'avaient pas informé l'école sur l'avis du médecin, afin que l'enfant ne soit pas victime de préjugés.

Il est important de sensibiliser le personnel médical à ce sujet. Il n'est pas question de rendre publiques ces informations, mais il est important que les organismes en contact avec l'enfant soient informés afin de décider quelle est la meilleure façon de lui venir en aide.

Dre Sacks: Ma première recommandation propose une meilleure formation au personnel médical. Par exemple, nous devons les habituer à présenter les «mauvaises nouvelles». Je trouve que c'est facile pour moi, en tant que pédiatre, d'annoncer des mauvaises nouvelles, parce que je sais que je ferai le suivi. Je propose aux parents une façon de remédier au problème. Dans le domaine pédiatrique, je ne connais aucun cas pour lequel je ne peux pas dire: «Voici comment nous allons procéder», même quand je dois annoncer les nouvelles les plus graves.

Nous devons être prudents. Lorsque nous recevons ces enfants, nous devons ensuite réfléchir au traitement que nous allons leur donner. Je pense que le potentiel est important dans le cas de beaucoup d'enfants. Si nous leur donnons la possibilité d'acquérir les aptitudes nécessaires, ils pourront peut-être traverser les périodes critiques dont nous avons parlé.

Vous m'avez rappelé quelque chose que je mentionne quand je parle des programmes scolaires qui devraient exister. Je ne veux pas que les enseignants se transforment en personnel de traitement. Leur rôle est d'enseigner. Quand un de leurs élèves a des troubles d'apprentissage, ils essaient de lui proposer une méthode d'apprentissage adaptée et si cela ne donne toujours pas de bons résultats, il faut examiner la situation de plus près. Il y a peut-être un problème à la maison. L'enfant est peut-être perturbé.

Voilà certainement un des facteurs de coordination auquel nous devons nous intéresser: Information dans les écoles médicales et dans le système d'éducation publique.

Le sénateur Kinsella: Il me semble que le suicide d'un enfant est un des exemples les plus terribles d'échec du système de prestation de soins de santé mentale infantile. Pour poursuivre sur la stigmatisation, n'y a-t-il pas des conséquences à ne pas parler du nombre réel de suicides d'adolescents ou d'enfants? Par exemple, quels sont les chiffres réels au Canada?

Dr Davidson: Environ 12 à 13 pour 100 000 chez les garçons et les filles, chez les adolescents de 15 à 19 ans. Le taux serait plus bas si l'on incluait les jeunes de 0 à 14 ans.

Le sénateur Kinsella: Est-ce que cela représente environ 50 suicides par jour?

Dr Davidson: Oh non!

Le sénateur Kinsella: Alors combien par jour?

Dr Davidson: Je ne sais pas combien cela représente.

Le sénateur Kinsella: Ne pensez-vous pas qu'il faudrait parler du suicide, qui est un échec de la part de la société, afin de mettre en relief la situation du système de prestation de soins de santé mentale au Canada car c'est là un exemple frappant de son échec?

Dre Sacks: Le suicide est une perte totale. Dans le cas des autres maladies aussi, la vie est en danger.

Vous avez raison de dire qu'on ne peut pas revenir au cas par cas, parce qu'il y a des épidémies de suicides et nous devons faire bien attention à cela. Cependant, rien ne nous empêche, en tant que défenseurs des enfants, de faire savoir que parfois les enfants sont si désespérés que c'est leur seul recours.

Les journaux et les médias ne veulent pas en entendre parler. Ce n'est pas un sujet aussi excitant qu'une guerre avec tout son arsenal. Comme je l'ai dit, nous devons être très prudents dans l'utilisation des cas individuels, mais je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire que l'on ne souligne pas assez que ce problème existe au Canada.

Le sénateur Kinsella: Dans un autre ordre d'idées, je me souviens qu'il y a quelques années, les travaux de Wolfensberger et le mantra de la normalisation étaient devenus le modèle d'une prestation de services universelle et communautaire. Je vous prie de me rectifier si je fais erreur mais j'ai l'impression que c'est un excellent modèle, à condition qu'on y mette les ressources nécessaires et en particulier les ressources professionnelles.

Pouvez-vous me donner d'abord votre opinion à ce sujet?

Je remarque que beaucoup de gens que nous croisons dans la rue, en hiver ou à d'autres moments de l'année — certains sont parfois très jeunes — auraient probablement, à une autre époque, été hébergés dans un établissement de soins. Où est le juste milieu?

Dr Davidson: Vous avez tout à fait raison, les services communautaires sont un outil très important. Ils donnent de bons résultats, en particulier pour les nombreux programmes universels, ciblés et cliniques destinés aux personnes souffrant de troubles légers à modérés. Je crois qu'il faut les doubler d'un filet de protection et de services spécialisés qui ne fonctionnent pas de façon fragmentée, mais en continuité avec les services communautaires. Ainsi, lorsque les choses s'améliorent un peu, le malade peut retourner dans la collectivité pour obtenir des soins et les services spécialisés peuvent venir en aide à de telles personnes.

Dr Steiger: J'aimerais poursuivre là-dessus et souligner que les services communautaires sont vraiment essentiels et un facteur important dans un bon système de soins de santé. Grâce à eux, le service est accessible et non intimidant. Mais il faut que ces services puissent s'appuyer sur des programmes ultraspécialisés et bien établis. On a l'habitude de dire qu'il ne suffit pas de mettre en pratique le manuel le plus récent, mais qu'il faut en rédiger la version suivante. C'est surtout dans les cliniques spécialisées que l'on trouve ce type d'évolution constante des nouvelles normes de pratique qui s'appuient sur les recherches en cours et s'en inspirent, et une sorte de compétition entre les résultats de la recherche et les développements cliniques qui sont essentiels à une pratique créative et vitale.

Nous devons trouver un moyen d'établir une certaine coordination entre les programmes plus théoriques, les programmes spécialisés et les soins de première ligne.

Dr Davidson: Je vais faire deux remarques au sujet des protecteurs du public. La première est que le système scolaire est un important protecteur du public, mais en période de difficulté et de compression budgétaire, la première chose que font les ministères de l'éducation ou les conseils scolaires c'est de couper dans les services spéciaux. Par conséquent, nous perdons nos travailleurs de première ligne et nos psychologues. Cela contribue à ramifier à travers le système.

L'autre chose qui me dérange, c'est qu'au Canada, les médecins résidents reçoivent une formation en médecine familiale et s'installent ensuite dans la collectivité pour exercer.

Les honorables sénateurs connaissent désormais les taux de prévalence. Environ un enfant et jeune sur cinq souffre de troubles psychiatriques. Les médecins de famille constatent que ces enfants et ces jeunes souffrent de troubles psychiatriques, mais ils n'ont pas reçu la formation nécessaire pour soigner les enfants et les jeunes aux prises avec des troubles de santé mentale. Ils reçoivent une formation obligatoire en santé mentale des adultes. S'ils détectent un problème, ils adaptent les méthodes de traitement qu'ils appliquent à leurs patients adultes.

Pour revenir à la question du sénateur Morin sur ce que l'on peut faire — je pense que la psychiatrie infantile doit prendre sa part de responsabilité — nous devons travailler en étroite collaboration avec les médecins de famille afin qu'ils reçoivent une formation active et appropriée au cours de leurs études.

Dre Sacks: Pour revenir à la question du sénateur Kinsella sur le suicide, 70 p. 100 des adolescents qui se sont suicidés ont consulté un médecin au cours du mois qui a précédé leur suicide. Même s'ils sont repérés, un certain nombre de choses peuvent se produire. Premièrement, il se peut que les médecins n'aient pas reçu une formation appropriée. Deuxièmement, je peux vous dire que tous les vendredis, je reçois des appels en provenance des collectivités rurales de l'Ontario au sujet de jeunes suicidaires. Elles ne peuvent obtenir de financement pour ce qu'on appelle «un observateur». Il s'agit d'un infirmier ou d'une infirmière qui surveille le jeune pour éviter qu'il se blesse. Est-ce que j'ai de la place pour eux? Non. De fait, nous devons fermer des lits d'hôpital réservés pour les adolescents en proie à des troubles de santé mentale à Toronto.

Mais surtout, comme je l'ai déjà dit, ces régions rurales manquent de ressources pour leurs hôpitaux. Nous devons augmenter le financement du personnel non médical — psychologues et travailleurs sociaux — qui sont chargés de surveiller ces jeunes. Ils doivent faire partie intégrante du système de santé mentale. Ce système devrait être spécial et peut-être différent du système médical pour lequel nous travaillons, afin de pouvoir obtenir des fonds. Nous vivons une crise.

Le sénateur Kinsella: C'était précisément le sujet de ma troisième question qui portait plus exactement sur les psychologues cliniciens et tous ceux qui se spécialisent dans la psychologie de l'enfant et la psychologie clinique de l'enfant. Les témoins ont fait allusion au fait que dans la plupart des régions du Canada, le régime d'assurance-maladie ne couvre pas les honoraires de psychologue. Nous espérons, monsieur le président, entendre le point de vue des divers collèges de psychologues du Canada. Voilà un domaine dans lequel nous pourrions faire une recommandation positive.

Le président: Ce sera fait.

Le sénateur LeBreton: Voilà un lien parfait avec ma première question. Docteur Davidson, vous avez parlez des pédopsychiatres. Pourquoi gagnent-ils moins que les autres alors que leurs études sont plus longues? Est-ce que parce qu'ils ne sont pas financés par l'intermédiaire du système de santé publique?

Dr Davidson: Le financement existe. Je vais vous parler avec ma franchise habituelle. Les soins de santé sont universels uniquement pour les services assurés. Lorsque les services ne sont pas assurés, l'universalité des soins de santé n'existe pas. En passant, étant moi-même pédopsychiatre, je me sens plus à l'aise pour parler de mes collègues, mais je suis un ardent défenseur de l'approche interdisciplinaire. Je n'ai pas du tout l'intention d'exclure les psychologues, les travailleurs sociaux, les ergothérapeutes, les infirmiers et infirmières, ainsi que les travailleurs et travailleuses sociaux auprès des enfants et des jeunes qui jouent un rôle absolument vital.

Si l'on veut bien pratiquer la pédopsychiatrie, il faut se rendre dans les écoles; il faut travailler avec les enseignants, la police, les organismes de protection de l'enfance, les familles élargies, et cetera. Je peux seulement vous parler de l'Ontario et de son régime d'assurance-maladie. Nous sommes rémunérés pour le travail de personne à personne que nous faisons avec l'enfant ou avec l'enfant et ses parents. C'est ça le problème. Une bonne partie du travail que nous exécutons n'est pas assuré.

Le sénateur LeBreton: Cela représente un obstacle pour votre intervention dans ce domaine.

Dr Davidson: Absolument.

Le sénateur LeBreton: D'ailleurs, vous avez affirmé dans votre exposé que le système actuel encourage la stigmatisation des troubles de santé mentale. Pouvez-vous nous donner un exemple?

Dr Davidson: Je vais vous donner un exemple noté dans mon propre hôpital. Lorsque les patients arrivent à l'urgence au Centre hospitalier pour enfants de l'est de l'Ontario, ils s'adressent à une infirmière de triage. Nous avons tenté d'améliorer les choses, aussi, l'exemple que je vous donne n'est plus tout à fait exact. Quelle que soit la gravité du problème, les jeunes patients se sentent tout d'abord gênés de parler de leurs problèmes de santé mentale dans un environnement relativement public. Deuxièmement, ils restent assis dans la salle d'attente beaucoup plus longtemps que les autres malades qui ont des problèmes de santé physique moyennement graves.

Souvent, les patients et leurs familles demandent d'attendre dans une salle séparée où ils se sentent plus à l'aise. Cela me fait dire que beaucoup de personnes qui ont besoin d'aide ne se présentent pas à l'hôpital à cause de la stigmatisation qui entoure la maladie mentale.

Le sénateur LeBreton: Ou alors ils viennent, attendent un peu et s'en vont.

Le président: Docteure Waddell, puisque vous avez de l'expérience sur le terrain et au sein de votre unité d'évaluation clinique en Colombie-Britannique, voulez-vous commenter la question du sénateur LeBreton?

Dre Waddell: Il a été question au cours du débat de l'impression constante qu'ont les personnes qui offrent des services de santé, d'être débordées, de ne pouvoir absorber des listes d'attente ridiculement longues et de ne jamais pouvoir maîtriser la situation. Cela nous rappelle qu'il est nécessaire de porter un regard différent sur certains modèles de prestation de soins de santé, sur ce qui nous rattache aux modèles de traitement clinique traditionnels de personne à personne, dans le cas du personnel médical, des psychologues ou des autres intervenants. Or, cela ne se fera jamais.

Il existe certains exemples de modèles innovateurs qui nous permettent d'étendre notre action. Je pense à des formules comme les modèles de paiement de remplacement qui pourraient être utiles pour permettre aux médecins de se libérer de la rémunération à l'acte, mais également à des formules comme les modèles de partage des soins qui sont actuellement à l'étude pour les soins de santé mentale aux adultes et qui méritent plus d'attention de la part des spécialistes de la santé mentale infantile. Par exemple, en offrant une équipe de soutien multidisciplinaire aux spécialistes en soins primaires, pas uniquement aux médecins — mais aussi aux équipes infirmières de santé publique — dans leur propre environnement où ils sont amenés à rencontrer naturellement des enfants. Cette formule sort les spécialistes de la santé de leur rôle traditionnel d'intervention de personne à personne et élargit beaucoup plus leur action en leur permettant de travailler réellement avec tous les patients, avec des groupes d'enfants.

J'aimerais également ajouter un commentaire au sujet de la question du sénateur Morin qui demandait sur quel sujet pris en compte par personne d'autre un groupe fédéral comme le vôtre pourrait concentrer ses efforts. On peut par exemple s'interroger sur nos modèles de soins de santé et sur les modèles de rechange auxquels on pourrait s'intéresser et mettre à l'essai de manière plus résolue.

L'impression des spécialistes des soins cliniques d'être constamment débordés et d'être confrontés à des véritables trous noirs nous ramène à la question de la prévention et de la promotion de la santé. La répartition des mandats de la politique de la santé entre les gouvernements fédéral et provinciaux est telle que la prestation des services de santé sont en grande partie, et à juste titre, confiés aux gouvernements provinciaux. En période de compressions budgétaires, la prévention et la protection de la santé sont encore plus laissées pour compte. Le gouvernement fédéral pourrait jouer ici un important rôle de leader que beaucoup de gouvernements provinciaux sont incapables de tenir parce qu'ils sont trop occupés à répondre aux demandes essentielles de traitement clinique auxquelles ils sont confrontés.

Le gouvernement fédéral a le luxe de n'être pas aussi proche de la première ligne et pourrait en profiter pour animer une initiative nationale un peu à la manière du programme pour le développement de la petite enfance et se servir des fonds fédéraux, de son leadership afin de se pencher expressément sur un domaine comme la santé mentale des enfants et la prévention des troubles qui n'ont pas encore été pris en compte et qui ne le seront vraisemblablement jamais par les provinces.

Le sénateur LeBreton: Docteur Steiger, les programmes de lutte contre les troubles alimentaires mettent plus l'accent sur les adolescents.

Vous avez parlé d'intervention précoce. Est-ce que les membres de votre profession peuvent, à un certain moment de la vie du jeune enfant ou même de sa famille, détecter les premiers signes d'un trouble alimentaire? Est-ce que des études ont été consacrées à cette question?

Dr Steiger: C'est une question très intéressante et, malheureusement, les études montrent que l'apparition des troubles alimentaires est de plus en plus précoce. Certains études révèlent clairement des préoccupations pour le poids, un sentiment d'insatisfaction au niveau de l'image corporelle chez des enfants de quatre ou cinq ans qui sont persuadés qu'ils devraient suivre un régime.

Ce type de préoccupations est une manifestation de quelque chose de si profondément ancré dans le tissu de notre société et dans nos préoccupations pour notre corps que nous n'avons pas encore été en mesure d'étudier à quel moment l'intervention serait la plus efficace. Voilà un des rôles pour le financement de la recherche dont je parlais un peu plus tôt. Nous devons savoir si nous pouvons intervenir à un stade assez précoce pour pouvoir empêcher le développement de ce problème.

Dre Sacks: La Société canadienne de pédiatrie qui surveille les troubles rares ou moins rares à l'échelle nationale vient tout juste d'ajouter à sa liste les troubles alimentaires de diagnostic précoce. Par conséquent, nous devrions avoir des chiffres prochainement. Malheureusement, ces troubles ne sont pas si rares.

Dr Davidson: Il est intéressant de noter, lorsqu'on se penche sur la documentation concernant l'anorexie nerveuse restrictive, qu'il n'existe pas une seule étude de cas traitant d'une personne aveugle affectée par cette maladie. Je ne sais pas exactement à quel moment ce trouble peut commencer, mais je suppose qu'il risque de toucher une personne prédisposée dès qu'elle peut se voir.

Le sénateur LeBreton: Vous avez dit, docteur Steiger, qu'environ un tiers des patients réagit bien au traitement. Qu'advient-il des deux autres tiers? Où vont ces malades?

Dr Steiger: Ces troubles qui se caractérisent probablement le mieux par des rechutes fréquentes, une tendance à la chronicité, malheureusement, chez un nombre inacceptable de personnes sont tout simplement la transformation de troubles alimentaires de l'enfance en troubles chroniques bien établis à l'âge adulte. C'est une des raisons pour lesquelles les troubles alimentaires sont plus fréquents chez les adultes. Malheureusement, bon nombre des troubles alimentaires se transmettent depuis l'enfance.

Ce n'est pas la seule explication. Dans beaucoup de cas, l'apparition est plus tardive. La boulimie a tendance à se manifester plus souvent au moment de la transition vers l'âge adulte, mais là aussi, il faudrait multiplier les recherches sur les traitements et également l'intervention précoce. Il semble que plus l'intervention est précoce, plus elle est efficace. Comme dans le cas de la plupart des troubles, et c'est vrai pour tous les troubles de santé mentale, le pronostic est d'autant plus sombre que le trouble dure depuis longtemps. Même si nous n'avons pas encore les données, nous croyons pouvoir dire que les chances de traitement sont meilleures lorsque le problème est détecté suffisamment tôt.

Le sénateur Fairbairn: Merci beaucoup à tous les témoins. Il est clair que c'est une question extrêmement importante. La Dre Waddell a abordé certains points qui m'ont interpellée tout au long du débat.

Permettez-moi de préciser, avant de présenter mes remarques, que j'ai travaillé dans le domaine de l'alphabétisation pendant 19 ans. J'ai découvert ce problème dans le cadre d'un comité du Sénat, il y a de nombreuses années, et j'ai été amenée à m'y intéresser grâce à une amie dont la fille avait des troubles d'apprentissage. Mon premier discours à l'extérieur de cet endroit, je l'ai donné lors de l'assemblée annuelle des organismes de la santé mentale de la province de l'Alberta.

Dès le départ, je suis intervenue dans toutes sortes de secteurs de compétence. Nous sommes un comité fédéral. La Dre Waddell et les autres témoins ont parlé dans leurs exposés de la difficulté de fournir un traitement, des ressources et des efforts de promotion à tous les paliers auxquels cette question nous amène. Sur le plan de nos responsabilités, nous avons connu un certain succès dans le domaine du développement des jeunes enfants. C'est un domaine dans lequel nous pouvons oeuvrer par nous-mêmes; cependant, grâce à des négociations avec Jane Stewart et ses homologues des provinces, nous avons pu conclure une entente plus large qui permettra de combiner tous nos efforts dans le domaine. C'est ce que nous faisons dans le cas de l'alphabétisation des adultes et des troubles d'apprentissage. En tant que gouvernement fédéral, nous pouvons oeuvrer dans les services aux adultes, mais nous avons pu contourner les obstacles de compétence et collaborer avec les provinces.

Il me semble que nous devons trouver un moyen pour amener les deux paliers de gouvernement à s'asseoir pour examiner la question de la santé mentale et des jeunes. À moins de trouver ce moyen, nous aurons de la difficulté, surtout dans le cas des enfants d'âge scolaire. Nous devrons faire preuve de créativité pour la promotion des soins de santé, de la santé mentale et de tous les autres aspects. Nous pouvons nous livrer à ce genre d'activité jusqu'à un certain point avant de franchir la ligne.

Nous devrions définir ce que nous pouvons faire à l'intérieur de notre propre domaine de compétence, mais en même temps, c'est un problème qui ne connaît pas de frontière. Compte tenu de votre expérience, vous pouvez peut- être nous donner des conseils sur la façon de définir les lignes directrices et ces moyens, afin que les paliers fédéral et provinciaux puissent conjuguer leurs efforts pour venir en aide aux jeunes plutôt que de laisser un de ces paliers intervenir pour les plus jeunes tout en étant incapable d'exercer le même type d'influence à un âge qui est peut-être le plus dangereux de tous. Je ne sais pas si je suis assez claire, puisque les questions de compétence et de Constitution ne sont jamais claires au Canada, mais le problème existe.

Le président: Je vois que le Dr Davidson veut présenter un commentaire. Je vais simplement ajouter un point à la déclaration du sénateur Fairbairn. Notre comité ne s'est jamais embarrassé des subtilités de compétences. L'exemple que je vous donne est la garantie de soins que nous avons proposée dans notre rapport, document que le gouvernement fédéral n'a aucun pouvoir de mettre en oeuvre. Il est intéressant de noter que le discours du Trône de l'Ontario en faisait mention hier. Cela fait partie également du programme du gouvernement du Québec annoncé par le premier ministre Charest. Cette notion arrive maintenant en Alberta. Nous aurons peut-être un rôle à jouer pour lancer des idées, même si nous n'avons pas légalement compétence pour les mettre en oeuvre.

Dr Davidson: Je ne m'y connais pas beaucoup en politique, et je suis incapable de vous dire quelles seraient les personnes pertinentes à rassembler au niveau provincial, parce que ce secteur est si fragmenté. Cela me donne l'occasion de préciser ce que vous avez je crois déjà perçu au sujet de la santé mentale des enfants et des jeunes. La façon dont vous présentez la santé mentale des enfants et des jeunes dans votre rapport est absolument capitale, car c'est une question qui risque d'être ensevelie comme d'habitude parmi les questions propres aux adultes.

Le sénateur Fairbairn: Exactement.

Dr Davidson: Je n'ai jamais vu aucune structure interministérielle fonctionner de manière efficace au niveau provincial. Je ne sais pas dans quelle mesure on pourrait mettre en lumière la question de la santé mentale des enfants et des jeunes pour qu'elle soit inscrite à l'ordre du jour des rencontres des premiers ministres afin qu'ils assument leurs responsabilités et fassent en sorte de réunir les morceaux de ce système fragmenté. C'est peut-être eux qu'il faudrait réunir.

Le sénateur Fairbairn: Comme l'a dit le sénateur Kirby, même dans le rapport que nous avons présenté, si nous ne pouvons pas agir directement, les propositions que nous avons faites commencent à s'imposer à ce niveau. Je tiens à souligner que c'est un aspect sur lequel nous devons vraiment insister. Nous pouvons véritablement nous donner pour objectif de mettre en lumière cette question qui concerne les enfants et les jeunes.

Nous pouvons peut-être également proposer certaines suggestions sur ce qui pourrait et devrait être fait aux niveaux autres que le nôtre.

Dr Davidson: Le point soulevé par le Dr Steiger est lui aussi extrêmement important. Comment faire la transition entre les services destinés aux jeunes et les services visant les adultes? C'est une autre énigme dont il faut trouver la solution.

Le sénateur Cordy: Merci. Vos exposés ont été des plus instructifs. Je vais commencer par poser une question au Dr Steiger au sujet des troubles alimentaires. Vous avez parlé d'information et de promotion de la santé. Est-ce que cela donne de bons résultats? Regardons les images qui sont véhiculées par les médias et le renforcement positif qu'elles renvoient aux jeunes filles en particulier, au départ tout au moins. Au fil des années, les jeunes filles deviennent de plus en plus minces. Elles ne reçoivent peut-être pas de renforcement positif. Au départ, pourtant, une perte de poids de cinq ou dix livres leur valait des commentaires flatteurs de la part des membres de leur entourage. Ce genre de remarques reçoivent plus d'attention que les messages éducatifs provenant du ministère de la Santé et d'ailleurs. Est-ce que les campagnes d'éducation donnent de bons résultats?

Le président: Je vais rajouter un élément à cette question. Dans une étude précédente de la santé, on pouvait lire qu'une des raisons pour lesquelles les jeunes filles étaient plus incitées à fumer que les garçons est tout simplement qu'elles croient qu'elles mangeront moins si elles fument. Est-ce exact?

Dr Steiger: C'est une des raisons qu'invoquent nos patients pour continuer à fumer. Cette croyance est souvent citée comme une des causes du tabagisme. Ce n'est pas vraiment la cigarette qui les intéresse.

Je pense que tous les intervenants du secteur des troubles alimentaires doivent de temps à autre avoir la même impression que moi à savoir, l'impression d'être debout sur une plage alors que le raz-de-marée des pressions sociales s'apprête à déferler. Par exemple, le goût de la majorité pour la minceur. C'est probablement là que nous avons besoin d'un effort social beaucoup plus concerté.

Je vais traiter d'abord de votre question concernant l'efficacité de la prévention. Nous avons certains résultats montrant que nous pouvons intervenir de manière précoce au niveau des écoles et des établissements analogues. Nous pouvons contester certaines des croyances des jeunes qui privilégient la minceur en exposant les risques des troubles alimentaires, l'idée que la minceur est l'idéal, ou que l'estime de soi est liée au poids. Les résultats confirment également ce dont vous parliez dans votre question: les effets positifs sont de courte durée et sont balayés par le raz-de-marée dont j'ai parlé, au bout de six mois environ. Il est clair que nous devons investir dans des efforts plus efficaces.

Certains efforts de prévention plus intéressants réunissent des spécialistes de la santé, des enseignants, des parents et des jeunes dans le même type de programme. Ce type d'intervention nous permet véritablement de remettre en question les croyances fondamentales qui sont transmises de génération en génération et qui encouragent la naissance des troubles alimentaires. C'est peut-être un des nombreux niveaux où les gouvernements peuvent intervenir, parce qu'il s'agit de lancer de véritables campagnes de sensibilisation du public et des campagnes médiatiques qui permettent de modifier les valeurs que nous associons à la minceur.

L'Espagne est par exemple un pays où la loi interdit l'utilisation de mannequins trop minces dans certains types de publicité. Cela peut paraître trop concret, mais c'est un niveau où les gouvernements peuvent intervenir. Nous devons mettre sur pied une campagne d'une puissance égale à celle du raz-de-marée. Il faut commencer par réévaluer les valeurs qui nous tiennent à coeur.

Le sénateur Cordy: Les jeunes filles qui sont constamment préoccupées par leur poids sont incroyablement nombreuses. J'ai deux filles qui m'ont raconté qu'une autre jeune fille qu'elles connaissent vomit à chaque fois qu'elle mange. Les enfants qui souffrent de troubles alimentaires sont des enfants tout à fait ordinaires.

Docteure Sacks, nous avons parlé des nombreux enfants chez lesquels ce trouble est diagnostiqué. Comme expliquer cela? Est-ce parce que la société pense que les jeunes ne souffrent pas de troubles mentaux?

Dre Sacks: C'est exactement l'opinion reçue. On pense que les jeunes ne souffrent pas de maladie mentale. Comme je l'ai dit, c'est nouveau dans le domaine de la santé — depuis 25 ans. Deuxièmement, nous n'apprenons pas à nos étudiants en médecine à déceler les premiers signes et symptômes. Je ne m'attends pas à ce que les parents ou les professeurs s'en rendent compte eux-mêmes, sauf si nous décidons de les sensibiliser à ce sujet. Enfin, comme je l'ai dit au sujet du suicide, une fois que l'on a posé le diagnostic, ce serait bien de savoir comment agir ensuite.

Pour le moment, les services n'existent pas encore. Nous avons appris à réagir en termes de prévention, de diagnostic et de traitement. Pour le moment, il est clair que la prévention n'existe pas encore; et il n'y a pas de traitement non plus. Le diagnostic isolé rend la vie très difficile pour nous qui sommes des intervenants de première ligne. Les gens nous disent: «Et maintenant docteure, qu'allez-vous faire?» Et je réponds: «Avez-vous une assurance privée? Sinon, bonne chance!»

Dr Davidson: Nous exploitons un programme universel appelé YouthNet qui nous a fourni un ensemble de données sur 12 000 jeunes. Un bon tiers de ces jeunes — et environ 40 p. 100 d'entre eux sont des garçons — pensent que s'ils sont touchés un jour par un problème de santé mentale, ils devront le régler eux-mêmes et n'en parler à personne. Cela est dû en partie au fait que les adolescents se pensent invulnérables et veulent être indépendants. C'est aussi causé en partie par la stigmatisation.

Le sénateur Cordy: Nous voulons que les groupes collaborent, mais les conseils scolaires font face à des compressions budgétaires et sans un certain diagnostic, ils manquent très souvent de ressources pour les services spécialisés. Les enseignants et les parents peuvent expliquer les difficultés que vit l'enfant, mais tant qu'il n'y a pas de diagnostic médical, l'administration n'y prête guère attention.

Dre Sacks: Si vous voulez vraiment effrayer un professeur, dites-lui qu'un de ses élèves va manquer l'école parce qu'il est en dépression et qu'il va peut-être arriver en retard parce qu'il a du mal à se lever le matin. C'est très effrayant pour un enseignant. Là encore, l'information est essentielle.

J'anime un groupe de thérapie cognitivo-comportementale pour les troubles anxieux dans l'hôpital communautaire où je travaille. Une fois qu'on a réussi à réunir les membres du groupe et à amorcer la conversation, ils prêtent attention lorsqu'un de leurs semblables dit quelque chose qui leur parle. Il n'y a rien de plus rassurant pour ces jeunes que de sentir qu'ils ne sont pas seuls. Ces jeunes luttent et se débattent, pensant qu'ils sont les seuls adolescents de 14 ans à devoir dormir avec leurs parents ou à ne pas pouvoir aller au camp — ça c'est quelque chose de très important au Canada. C'est vraiment étonnant.

Je pense que les jeunes pourraient se faire aider si l'on déstigmatisait le trouble dont ils souffrent. Il faut commencer par les parents et les écoles et s'attaquer au problème de cette manière. Il nous faut des programmes nationaux pour sensibiliser le public au sujet des troubles de santé mentale des jeunes et des adolescents.

Le sénateur Cordy: Vous avez tout à fait raison.

Est-ce que le nombre de jeunes souffrant de THADA est en hausse ou est-ce que le diagnostic de ce genre de trouble se fait plus couramment?

Le président: Voilà un silence surprenant de la part de personnes pourtant très volubiles.

Dre Sacks: L'instrument de diagnostic est assez bon, mais il n'est pas bien enseigné aux travailleurs de première ligne qui établissent le diagnostic. Pour trouver un bon diagnostic, il faut faire appel à des services spécialisés dont beaucoup n'ont pas les moyens. Ça c'est une première chose.

Deuxièmement, le traitement du THADA fait appel à des stimulants qui donnent d'excellents résultats. Ils donnent également de bons résultats, temporairement, pour les personnes qui ne souffrent pas du TDA ni du THADA. Les chiffres réels ne sont pas aussi clairs que nous le souhaiterions. Ceux d'entre nous qui avons un peu d'expérience savent que c'est là un grave problème dans les écoles pour nos jeunes, pour les parents de ces jeunes et dans les salles d'urgence. Nous appliquons une politique du «pansement». Les enfants atteints du THADA débordent d'énergie et se blessent souvent; ils ont toujours des points de suture et des os cassés. Personne ne leur pose des questions. On leur dit simplement: «Tu as beaucoup de cicatrices; tu es un vrai dur.» Personne ne pense que vraiment à décoder le diagnostic médical sous-jacent.

Là également, l'incidence du THADA est très difficile à déterminer, mais elle est loin d'être limitée.

Dr Davidson: Tout dépend également de la personne qui établit le diagnostic. Quand j'ai commencé à exercer, il y a une vingtaine d'années, lorsque je posais un diagnostic de THADA et que j'essayais d'en parler à l'enseignant, celui-ci résistait beaucoup au diagnostic et encore plus au traitement du trouble qui fait appel à une combinaison de médicaments, d'approches comportementales, de stratégies parentales et d'approches cognitives. Aujourd'hui, ce sont les enseignants qui nous signalent les enfants atteints de THADA. Je ne sais pas comment répondre à votre question sinon pour dire que le diagnostic est plus accepté actuellement dans le système éducatif.

Le sénateur Fairbairn: Et les parents eux-mêmes? Dans quelle mesure refusent-ils d'admettre qu'il y a un problème?

Dr Davidson: Il y a plusieurs aspects. Le premier est la dénégation dont vous avez parlé. Le deuxième est l'échec de l'auto-identification. Il arrive parfois que les enfants nous soient envoyés presque par hasard. Au cours de l'examen, les parents s'écrient soudain: «Ah c'est donc ça que j'ai traîné toute ma vie. Je n'ai jamais su que j'avais cette maladie, comment savoir que mon enfant en souffrait aussi?» Cela m'amène à l'autre point qui concerne l'importance de l'intervention auprès d'enfants et de jeunes dont les parents souffrent de maladie mentale. Comme nous l'avons tous indiqué, nous sommes tellement occupés à parer au plus pressé pour répondre à l'énorme demande de cas actifs que nous n'accordons pas assez d'attention à ces enfants très vulnérables.

Le sénateur Robertson: Docteure Sacks, vous avez dit quelque chose qui a attiré mon attention. En parlant des problèmes de santé mentale des enfants et des jeunes, vous avez évoqué la génétique et les effets environnementaux et chimiques. C'est, je crois, que vous avez dit. Ensuite, je vous ai entendu parler de prévention. Je sais qu'il y a des interactions ou c'est ce qu'on nous a dit, mais pouvez-vous nous dire quel est le pourcentage des problèmes de santé mentale touchant les enfants et les jeunes qui sont causés par des facteurs génétiques, environnementaux et chimiques?

Dre Sacks: Dans le cas des troubles dont j'ai parlé, le THADA, le trouble anxieux et la dépression, le facteur génétique est probablement assez important. À mesure que progresseront les recherches sur le génome et la génétique, nous découvrirons probablement que cette influence est généralisée. Nous remarquons cependant que l'on peut repérer ces jeunes enfants assez tôt, de la manière que nous avons décrite, grâce à leur histoire parentale. En fait, certains programmes ont prouvé, surtout dans le cas du trouble anxieux, qu'en donnant assez tôt à ces jeunes une formation aux aptitudes sociales, des outils de relaxation qui peuvent paraître très simples, et des outils d'autopersuasion; on peut éviter certaines crises de troubles anxieux. Le fait que l'origine soit génétique ne doit pas nous empêcher de mettre au point des programmes qui donnent de bons résultats. Nous devons étudier ces programmes avant de les mettre en application. Les plus âgés d'entre nous ont dit qu'il ne fallait pas s'en faire puisque tout a une cause génétique, mais en fait, je crois que nous découvrirons que l'on peut beaucoup améliorer les troubles, malgré les facteurs génétiques et que nous devrons nous initier à la façon de procéder.

Le sénateur Robertson: C'est très utile.

Dr Steiger: J'aimerais ajouter un petit commentaire pour compléter, même si cela peut paraître un peu prétentieux, puisque la recherche ne l'a pas encore confirmé, mais il est très probable que tous ces troubles aient une sorte de substrat génétique. Ce qui est fascinant dans nos recherches, c'est de voir l'expérience et les pressions environnementales activer un gène. Dans mon domaine, nous constatons l'impact de certains processus biologiques programmés qui ne se manifesteraient absolument pas sans les habitudes alimentaires compulsives de certaines personnes qui se placent elles-mêmes dans une situation à risque.

C'est très important, non seulement pour comprendre ce que nous traitons et pour savoir qu'une faiblesse génétique ne compromet pas nécessairement l'utilité d'un traitement, mais également au niveau de la stigmatisation. Il faut comprendre les problèmes de santé mentale et ne pas les considérer comme un signe de faiblesse ou de faillite mentale de la part du patient. Il est important de comprendre que les choses sont parfois imprévisibles et causées par le hasard. Certains facteurs qui contribuent à expliquer la cause de certains troubles alimentaires ou d'autres problèmes de santé mentale sont tout à fait indépendants de la volonté de la personne touchée.

Dre Waddell: Le tableau que nous avons présenté un peu plus tôt contenait une liste des divers troubles mentaux dont peuvent souffrir les enfants. Je crois que la plupart de mes collègues autour de cette table conviendront avec moi que pratiquement tous ces troubles résultent de l'interaction des gènes et de facteurs environnementaux. Cependant, l'influence génétique peut avoir plus d'importance dans le cas de certains troubles que dans d'autres. Par exemple, la schizophrénie et le trouble bipolaire sont probablement plus influencés par les faiblesses génétiques que d'autres troubles situés à l'autre extrémité de la gamme, comme le trouble de comportement. Bien sûr, certaines influences génétiques peuvent s'exercer, mais l'environnement et la jeunesse des parents exercent une telle influence qu'il semble que la cause réelle est liée au problème d'incapacité d'exercer le rôle parental qui conduit au mauvais traitement et à la négligence de l'enfant. Dans de tels cas, l'environnement exerce une plus grande influence que les gènes.

Vous avez aussi demandé ce que l'on pouvait faire ou ce que l'on pouvait espérer de la part des programmes de prévention. Je dois dire que les résultats de la recherche pourraient être meilleurs, même si beaucoup de choses commencent à poindre. Cependant, les preuves sont suffisantes pour nous permettre d'intervenir dans certains domaines où l'élément environnemental est important, en particulier dans les troubles anxieux, la dépression et les troubles du comportement.

Par ailleurs, nous avons beaucoup parlé des programmes cliniques et des programmes scolaires, qui sont tous importants, mais la prévention donne de bien meilleurs résultats si on peut la pratiquer le plus tôt possible, même avant la naissance. Par exemple, la prévention ne commence pas à zéro, elle commence avant. Permettez-moi de citer encore une fois un des programmes de prévention les plus fructueux qui pourrait servir de modèle dans bien des cas. Il s'agit des visites à domicile des infirmières de la santé publique, un modèle simple et traditionnel. Il permet d'intervenir auprès des parents à risque pendant la période prénatale. Il permet d'encourager de bonnes habitudes chez les parents et de saines habitudes personnelles afin de prévenir des problèmes comme le syndrome d'alcoolisme foetal et d'autres types de problèmes qui peuvent s'implanter même avant la naissance, et de suivre étroitement les parents pendant quelques années afin de surveiller leur façon de faire et tenter de prévenir certains éléments précurseurs de troubles ultérieurs. En investissant dans ce type de programme au cours des deux ou trois premières années seulement, on peut prévenir beaucoup de problèmes et diminuer énormément les immenses besoins de services cliniques auxquels nous ne pouvons faire face parce que nous n'intervenons pas avant que les enfants aient 5 ans ou 15 ans.

Il est impossible de généraliser la prévention et il faut soupeser bon nombre des aspects importants de la recherche génétique, mais nous disposons de suffisamment de preuves pour agir, en particulier dans les cas de troubles comme l'anxiété, la dépression et les troubles de conduite où le facteur environnemental joue un rôle important.

Le sénateur Cook: Merci de nous fournir ces informations intéressantes et complexes. Vous avez parlé de la génétique. Je me demande quelle est la responsabilité de l'État en matière de formation au rôle de parent et ce que nous pouvons faire à partir de là. Cela m'amène à parler de l'environnement dans lequel l'enfant vit chez lui.

Il est accepté dans notre société que les deux parents travaillent. Il y a aussi des familles monoparentales où le seul parent travaille. C'est une gardienne, la bonne d'enfants ou la garderie qui s'occupe de l'enfant. Je me demande si ces nouveaux styles de vie entraînent une augmentation de plusieurs troubles touchant les enfants.

Nous avons dit que le diagnostic précoce permet d'offrir le traitement approprié. Or, certains parents ne voient leurs jeunes enfants que lorsqu'ils sont emmitouflés dans leur habit de neige pour aller à la garderie. Ils les reprennent à 18 heures et ils sont occupés ailleurs au moment du souper. L'art d'être parent est vraiment mis à mal. Est-ce que certains d'entre vous souhaiteraient commenter l'environnement dans lequel les enfants grandissent?

Il y a aussi les parents qui veulent que leurs enfants fassent du ballet, des arts martiaux, qu'ils soient guides ou scouts. Ces enfants sont aussi surprogrammés. Que peut faire le comité pour apporter tout au moins une certaine stabilité dans la vie de l'enfant?

Dre Sacks: Les enfants qui ont une certaine prédisposition génétique ou chimique seront en position de vulnérabilité. C'est pourquoi les cas sont si nombreux chez les enfants. Les temps sont difficiles pour les personnes qui ont besoin d'un rythme lent, de stabilité et d'une famille aux liens étroits. Les nouveaux styles de vie déclenchent plus tôt les problèmes chez les enfants vulnérables.

Vous dites que nous vivons à un rythme si frénétique que nous n'avons pas le temps de nous apercevoir que nos enfants souffrent. Là encore, il faut informer le public au sujet des signes et des symptômes. Les maux de tête ou d'estomac chez un petit enfant révèlent peut-être un trouble plus profond sur lequel il faudrait se pencher.

La société fait en sorte que ces troubles apparaissent beaucoup plus souvent et plus tôt. Cela explique peut-être pourquoi nous devons intervenir auprès de si nombreux jeunes.

Cependant, cela n'amène pas les gens à consulter plus facilement. Sur le plan social, il n'est pas plus acceptable de déclarer un des troubles dont nous avons parlé ce matin. Les parents sont stressés et font de leur mieux pour leurs enfants, mais il faudrait peut-être leur simplifier la tâche.

Dr Davidson: C'est vraiment une question très pertinente. Nous savons que la définition de la famille traditionnelle au Canada a changé depuis quelques années. Pour simplifier, on peut dire que les enfants des nantis sont surprogrammés et que les enfants pauvres vivent dans un environnement assez fragmenté. Nous savons que la plupart des parents font de leur mieux.

Tout dépend de la façon dont nous intervenons. Nous ne voulons surtout pas que les parents aient l'impression qu'ils ne sont pas à la hauteur ou qu'ils ne s'acquittent pas bien de leurs responsabilités. Nous devons peut-être mettre beaucoup plus l'accent sur le style de vie ou peut-être amener les gens à modifier leur style de vie, sans les pointer du doigt.

Dre Waddell: Nous avons beaucoup parlé de la santé mentale, des troubles mentaux et des maladies qui nécessitent un traitement. Mais il y a aussi beaucoup à faire et une énorme expérience communautaire et personnelle en ce qui a trait aux facteurs qui influencent la santé mentale chez les enfants.

J'aimerais souligner le merveilleux travail à long terme que réalise Emmy Werner à Hawaï auprès des enfants et des populations vulnérables telles que les enfants pauvres dont parlait le Dr Davidson.

Qu'est-ce qui permet aux enfants, même lorsqu'ils sont placés dans des situations désavantagées, de s'en tirer, de se débrouiller ou même de prospérer? Son travail semble pointer sur certains facteurs positifs de santé mentale dont les enfants ont besoin pour acquérir une résistance et surmonter leur handicap. Les enfants qui s'en tirent ont de bonnes aptitudes d'apprentissage, jouissent d'une bonne santé générale et adhèrent, par l'intermédiaire de leurs parents, de leur communauté ou d'autres sources, à des valeurs ou à un sens de la vie plus élevé, ou sont convaincus qu'ils ont un rôle important à jouer dans le monde. L'autre aspect crucial est que les enfants ont besoin de la présence d'un adulte aimant, d'une personne présente à long terme dans leur existence qui les aime et qui les appuie. Ce n'est pas nécessairement leur parent biologique, mais tous les enfants ont besoin d'un adulte sur lequel ils peuvent compter.

C'est peut-être le minimum que l'on puisse offrir aux enfants si l'on tient compte de leurs besoins les plus élémentaires en matière de santé mentale, mais je ne sais pas si tous les enfants canadiens obtiennent de nos jours ce minimum. Cependant, cela peut nous aider à préciser ce que nous préconisons comme but en matière de santé mentale.

Dr Steiger: L'adaptabilité à l'environnement est un des critères de santé. Nous devons mieux comprendre les facteurs intrinsèques qui sont susceptibles de déséquilibrer une personne plus facilement qu'une autre. Je ne veux absolument pas sous-estimer l'importance de l'environnement social et des appuis sociaux et familiaux auxquels la Dre Waddell faisait allusion.

Il est évident qu'ils sont essentiels. Nous savons que les expériences inacceptables telles que la maltraitance des enfants figurent invariablement parmi les facteurs de risque des problèmes de santé mentale les plus graves auxquels nous sommes confrontés.

Au même titre, il est possible dans certains cas, en particulier dans les troubles alimentaires, de pointer du doigt certaines pressions et certains facteurs sociaux. Anne Becker a consacré une excellente recherche à l'incidence qu'a pu avoir l'avènement de la télévision dans une petite collectivité insulaire. Elle a noté une augmentation spectaculaire de l'intérêt pour le poids et les régimes parmi les enfants de cette population. C'est un lien assez direct et simple que pourraient utiliser les campagnes de prévention et de promotion de la santé.

On peut extrapoler en disant tout simplement que les troubles alimentaires ou les problèmes de santé mentale sont liés à des facteurs aussi simples que les préoccupations alimentaires. Nous sommes une société d'opulence. Les limites ou la modération ne sont pas des notions bien définies. Par conséquent, il est extrêmement difficile de savoir «où s'arrêter» pour une personne qui n'a pas vraiment le sens de la modération. Voilà peut-être une autre chose que nous devrions transmettre par l'intermédiaire des écoles et par nos principes d'éducation. Voilà ce que nous devrions transmettre à nos enfants.

Le sénateur Cook: Je suis certaine que dans 10 ans les jeunes qui sont toujours derrière leur ordinateur souffriront de problèmes de drogues. J'en suis convaincue.

L'État peut-il intervenir dans les familles et que pouvons-nous faire pour aider? Le président sait que je reviens toujours à la santé de la population. Je préfère mettre l'accent sur le bien-être et la santé de la population. Le comité a la possibilité, grâce à votre aide et vos compétences, d'améliorer la situation. Il le fera dans le domaine du bien-être et de la santé de la population, puisque la santé relève des régimes fédéral et provinciaux. Merci.

Le sénateur Léger: Il ne faut pas oublier le pouvoir de l'image véhiculée par les médias et la mode. Les parents habillent leur bébé de six mois avec des habits signés Christian Dior. Quand les enfants ont deux ou trois ans, ce sont de véritables petites poupées. Tout cela coûte une fortune.

Est-ce qu'il faudrait tenir compte de cela dans les programmes d'information et parler plus du pouvoir de l'image? À la naissance, les enfants sont tous très mignons. Et dès qu'arrive le printemps, les adolescentes s'empressent de montrer leur nombril. Celles qui ne peuvent pas le faire se sentent inférieures. C'est ça le pouvoir de l'image. Voilà ce que je voulais dire.

Le président: Je remercie tous les témoins que nous avons entendus aujourd'hui. Si vous avez d'autres commentaires à faire sur le sujet, n'hésitez pas à nous les communiquer. Nous en sommes aux premières étapes de notre étude et les commentaires que vous nous avez présentés ce matin ont été très utiles.

La séance est levée.


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