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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 8 - Témoignages du 8 mai 2003


OTTAWA, le jeudi 8 mai 2003

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 10 h 45 pour examiner l'état actuel des industries de médias canadiennes; les tendances et les développements émergents au sein de ces industries; le rôle, les droits et les obligations des médias dans la société canadienne; et les politiques actuelles et futures appropriées par rapport à ces industries.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Translation]

La présidente: Nous souhaitons la bienvenue à nos témoins, à cette réunion du Comité sénatorial permanent des transports et des communications qui étudie l'état des médias d'information canadiens.

[English]

Ce comité examine les façons d'aider nos médias d'actualité à demeurer vigoureux, indépendants et diversifiés dans le contexte des bouleversements qui ont touché ce domaine au cours des dernières années, notamment la mondialisation, les changements technologiques, la convergence et la concentration de la propriété.

[Translation]

Nous commençons la séance d'aujourd'hui en entendant le professeur Marc-François Bernier, du Département de communications de l'Université d'Ottawa. Il est spécialiste de l'éthique journalistique.

[English]

La présidente: Nous vous remercions, monsieur Bernier, d'avoir accepté notre invitation à venir partager avec nous votre expertise. Nous entendrons d'abord votre déclaration liminaire, après quoi nous passerons à la période de questions.

M. Marc-François Bernier, professeur, département de communication, Université d'Ottawa: Permettez-moi de vous remercier pour cette occasion de vous parler de l'impact de la concentration et de la convergence des médias sur la qualité et la diversité du journalisme.

J'aimerais préciser que la notion de qualité du journalisme n'est pas une notion élitiste mais un concept retenu depuis longtemps. Cette notion est le fondement des normes étiques des règles déontologiques du journalisme. La qualité de l'information en journalisme se base sur certaines notions: le service de l'intérêt public tout en respectant la vie privée; la notion de vérité; la recherche de l'exactitude qui est de rigueur; l'équité dans le traitement de l'information et dans les relations avec les sources d'information; l'intégrité des journalistes qui doivent éviter les situations de conflit d'intérêts; et aussi leur impartialité dans les genres journalistiques relevant du compte rendu de ce qui est factuel.

On peut comprendre que les journalistes soient plus partiaux dans le domaine de l'analyse, du commentaire, et c'est leur droit. Autre notion importante est le devoir d'imputabilité, c'est-à-dire de rendre des comptes, d'être redevable envers le public dans la façon dont ils assument leurs responsabilités de journaliste. Ces notions forgent la qualité du journalisme et sont au cœur de la qualité de l'information, élément important dans toutes les théories de la démocratie connues. Ce sont des notions qui s'imposent dans les médias écrits, électroniques et dans les médias traditionnels. De plus en plus, on s'entend à dire que les journalistes des nouveaux médias doivent se soumettre à ces règles de journalisme, à ces règles de l'art.

Plusieurs études et recherches indiquent — et indiqueront dans les années à venir — que la concentration et la convergence ont des impacts négatifs sur la qualité du journalisme. Cet énoncé attaque certaines des notions ci-haut mentionnées.

Dans certains cas cela attaque aussi la commercialisation, puisque les médias sont de plus en plus des entreprises ayant des actionnaires qui veulent un rendement élevé. La commercialisation et l'information attaquent également la qualité du journalisme. Cela favorise chez plusieurs auteurs un journalisme superficiel: l'information-spectacle, et une certaine complaisance des journalistes envers les industries et les entreprises qui font partie du conglomérat. Bien entendu, ici, la notion d'intégrité journalistique est mise à mal. On peut aussi mentionner que la concentration et la convergence accroissent de façon importante et démesurée le pouvoir social, politique et économique de ceux qui dirigent les médias. Ils ont dans la société un pouvoir important et décuplé par le nombre de plates-formes au-dessus desquelles ils règnent. Je vais répondre à quelques-unes de vos questions. Je les ai reformulées dans le cadre de ma préparation.

Premièrement, est-ce que les Canadiens ont encore accès à l'information diversifiée de qualité dont ils ont besoin? Il faut distinguer la presse grand public et la presse alternative. Il existe une diversité de médias. Il y a plusieurs journaux et stations de radio alternative et quelques stations de télévision, même si le CRTC a laissé tomber ses exigences en matière de télévision communautaire depuis quelques années. Ce qui m'intéresse le plus, c'est la grande presse d'information, la presse commerciale. Là, il y a moins de diversité. Il faut comprendre que la multiplication des sites Internet que se donnent plusieurs conglomérats ne fait que multiplier les mêmes plates-formes. Cela ne fait que marteler les mêmes messages. Il n'y a pas de diversité accrue dans les messages qui sont offerts par ces grandes entreprises.

D'autre part, on a vu au Québec un exemple récent que je considère des plus inquiétants. Chez Quebecor, on a vu un patron de presse et sa conjointe utiliser les ondes publiques pendant plusieurs semaines pour inonder la vie culturelle québécoise en embrigadant des journalistes de leur télévision, de leurs journaux. Ils les ont littéralement embrigadés pour faire la promotion de Star Académie. L'année prochaine cela pourrait être autre chose. Je pèse mes mots ici, mais, à cet égard, on peut parler d'un processus de corruption de la mission journalistique.

Alors, chez Quebecor, le travail des journalistes a été détourné de son devoir de servir l'intérêt public pour se mettre au service de l'intérêt particulier, de l'intérêt privé. Ceci attaque beaucoup l'intégrité du journalisme et sa crédibilité.

Je veux souligner que la concentration ne conduit pas toujours à de tels excès. Il n'y a que la concentration et la convergence pour donner de tels excès. Il faut avoir un pouvoir assez ferme sur une multitude de patrons de presse, de dirigeants, de cadres et de journalistes par percolation, ni plus ni moins.

Je m'inquiète aussi de ce qui pourrait arriver. On a vu ce qui est arrivé avec la famille Asper et la famille Desmarais. Maintenant, on voit ce qui se passe chez Gesca, qui gère la presse, et la plupart des quotidiens québécois sont en train de faire des alliances stratégiques de plus en plus nombreuses avec Radio-Canada, une institution publique dont les ressources sont détournées à des fins privées. Cela n'a pas fait l'objet d'un débat. Je crois qu'il y a matière à s'inquiéter à l'effet que Radio-Canada sert de plus en plus à faire une convergence à la pièce avec les journaux de Power Corporation.

Comment nous assurer que les Canadiens auront accès à des nouvelles et des informations qui les concernent? Je constate que lorsqu'on regarde les grands bulletins de nouvelles, l'information facile à obtenir est une information américaine. Même sur les réseaux français, lorsqu'il y a de grands faits divers aux États-Unis, ils inondent les ondes francophones parce que cela coûte moins cher. On n'a qu'à prendre les informations qui arrivent par les satellites et à les traduire. Je vois que cela se fait beaucoup en anglais également. Il faudrait que le CRTC oblige toutes les stations de radio et de télévision à consacrer une partie de leur budget à l'information locale afin qu'ils aient des bulletins d'information sans publicité, vraiment à l'abri de l'influence des commanditaires, à l'abri de cette course à l'auditoire qui contamine la qualité de l'information.

Dans les anciennes lois sur la radiodiffusion, il y avait interdiction de publicité dans certains bulletins de nouvelles. Lorsque ces interdictions sont tombées, on a vu un changement dans la qualité des bulletins d'information.

Deuxièmement, on se demande s'il y a des politiques publiques qui pourraient répondre aux problèmes nouveaux sans empiéter sur la liberté de presse. Je comprends votre prudence et je la partage. Je crois que les institutions et les gouvernements doivent s'inquiéter de cela, ils doivent prendre certaines mesures, ils doivent se limiter aux structures. Ils ne doivent pas intervenir dans la gestion quotidienne des salles de presse, c'est inacceptable. Un principe directeur s'impose, cependant, voulant que tout accroissement de la convergence, de la concentration nécessite davantage d'imputabilité en raison du pouvoir social et politique accru chez les responsables de ces conglomérats.

Je crois qu'il est possible d'obtenir davantage d'imputabilité sans intervenir dans les salles de rédaction. Cela peut se faire par des initiatives positives des gouvernements qui peuvent mieux financer des recherches ou, encore, en s'assurant que les résultats seront connus du public et en alimentant le débat public par le financement des recherches sur la qualité de l'information. Cela peut se faire en obligeant les médias à se doter de code de déontologie, d'ombudsman et en donnant plus de pouvoir de sanction au CRTC. Il ne faut plus laisser les patrons de la presse et les journalistes être les seuls arbitres de leur performance. Que les autres aient le pouvoir moral, cela ne mène généralement pas bien loin. Je crois qu'il serait pertinent de créer un observatoire qui permettrait de coordonner ces recherches ou de surveiller la qualité et la performance des médias sans s'impliquer dans la gestion quotidienne de ces entreprises de presse.

Dans le mémoire, on retrouve des indicateurs, provenant de la recherche scientifique, qui servent à mesurer la diversité et la qualité de l'information. Je suis sûr qu'on peut en trouver de plus raffinés ou de plus pertinents à la situation canadienne.

Enfin, beaucoup de recherches ont déjà démontré qu'il y a des angles morts de l'information, ce que mes collègues anglophones appellent des «blind spots». Certains enjeux qui ne sont pas beaucoup couverts. C'est le genre de question qui devrait être soulevé plus souvent ou qui pourrait faire l'objet de mesures et d'enquêtes scientifiques plus régulières. On ne peut pas refaire le système de radiodiffusion. Je ne m'attends pas à ce que les gouvernements obligent les entreprises à se départir de leurs possessions. Il vaut mieux accorder plus d'importance à la recherche de mécanismes non invasifs pour mieux surveiller la qualité de l'information.

En conclusion, et je le mentionne dans le mémoire — je ne vais pas relever tous les chiffres — les sondages d'opinion publique sont assez constants. La confiance du public envers les médias est en chute. Ces critiques sont de plus en plus nombreuses face au pouvoir de la presse. Aux États-Unis, des enquêtes démontrent que chez plusieurs citoyens, la majorité des citoyens dans bien des cas, considèrent les médias comme des nuisances à la démocratie parce qu'ils sont trop négatifs, parce qu'ils ne parlent que des choses qui sont accrocheuses sur le plan du marketing et de la mise en onde des bulletins de nouvelles.

Les citoyens ne sont pas indifférents à ces questions. Une enquête à été faite au Québec sous forme de sondage. Dans l'analyse statistique que j'ai pu en réaliser, les citoyens qui ont des doutes face à l'intégrité des journalistes et des entreprises de presse sont de plus en plus portés ou intéressés à ce qu'il y ait une intervention gouvernementale. Ce n'est pas la majorité, mais les citoyens font face à l'intégrité des journalistes. Ils se questionnent de plus en plus, et ils sont convaincus que les médias sont là pour servir leurs propres intérêts plutôt que servir le public. C'est une variable importante chez les citoyens qui sont réticents et qui ne veulent pas empiéter sur la liberté de presse. Mais l'on sent que plus cette attitude prend de l'ampleur, plus elle risque de verser du côté de l'intervention gouvernementale.

Je vous ai suggéré quelques mécanismes pour assurer l'imputabilité et la transparence des médias. Il ne faut pas rêver à une presse parfaite. Cela serait le pire drame qui pourrait nous arriver.

Je termine avec une phrase qu'il me plaît de répéter depuis quelques années: la médecine n'appartient pas aux médecins tout comme la loi n'appartient pas aux avocats. Le journalisme n'appartient pas aux journalistes ni aux patrons de la presse. Le journalisme, c'est un bien public dont on a besoin. Les patrons de presse et les journalistes en sont les fiduciaires, pas les propriétaires. Il est donc raisonnable de leur demander de nous laisser ce bien dans un meilleur état depuis le moment où ils entrent en fonction jusqu'au moment de leur retraite.

La présidente: Il y a beaucoup de matière à controverse dans ce que vous dites, monsieur Bernier. C'est très intéressant.

Le sénateur Ringuette: Monsieur Bernier, vous nous avez certainement donné matière à réflexion. La plupart des regroupements professionnels que nous retrouvons dans notre société ont, à l'intérieur de leur organisation, des comités disciplinaires qui veillent à ce que la profession soit vue de façon très éthique. Pensez-vous qu'à l'intérieur de la profession journalistique au Canada, il peut y avoir de tels comités autodisciplinaires, compte tenu des différentes vertus que vous avez énumérées?

M. Bernier: Les conseils de presse existent. Ce sont des institutions. J'ai lu dans les comptes rendus que des gens sont venus vous en parler la semaine dernière. Ces institutions ont été créées pour échapper à l'interventionnisme gouvernemental, ici comme dans d'autres pays. C'est à peu près tout ce qui existe.

Puisque le journalisme n'est pas une profession au sens légal, tout le monde peut porter le titre de journaliste selon son bon vouloir. Il n'y a pas d'autodiscipline ni de mécanisme de sanction. Les conseils de presse qui existent peuvent à la limite porter un blâme moral, mais il n'y a pas de sanction.

Seuls les tribunaux civils peuvent sanctionner pour diffamation en référence au droit civil pour le Québec et à la common law pour le Canada. Il y a aussi dans le code criminel des articles concernant la propagande haineuse. Certains de ces articles criminels ne sont presque jamais invoqués. Il n'y a pas de mécanisme de sanction et d'autodiscipline formels.

Le sénateur Ringuette: Dans votre conclusion, vous nous avez parlé d'un sondage qui avait été effectué par la Fédération des journalistes au Québec. Il y a conscientisation parmi les membres de cette fédération quant à la perspective de la population.

M. Bernier: Cette sensibilité envers la modification et l'amélioration de la qualité de l'information a fait naître cette fédération il y a 30 ans. Dans le cadre du dernier congrès annuel où ce sondage a été dévoilé, on a discuté d'un faux projet de loi dans le but de faire des démarches auprès du gouvernement du Québec. Il était question de créer un ordre professionnel ou d'avoir, à tout le moins, un encadrement légal pour empêcher n'importe qui de se nommer journaliste. Quiconque a un site Internet peut s'interpréter journaliste. Cela peut causer énormément de problèmes. Tout le monde veut une carte de presse pour accéder aux sites sans payer. Ils agissent de la sorte pour se faire reconnaître une légitimité sociale et pour pouvoir interviewer des personnes qui ne leur parleraient pas autrement.

Il y a beaucoup de confusion dans la profession journalistique. Les journalistes rejettent cette stratégie parce qu'ils sont contre toute initiative ou toute intention de pouvoir rendre cela professionnel. D'ici 10 à 15 ans, ils changeront peut-être d'idée. Pour l'instant, c'est rejeté.

La présidente: J'aurais une question supplémentaire. Qui dit profession dit entrée limitée et contrôle, contrôle éventuel par l'État en ce qui a trait à l'admission dans la profession. On ne doit pas donner à l'État ce genre de contrôle. Ai-je raison?

M. Bernier: Lorsque vous créez un ordre professionnel, vous ne pouvez pas le faire à moitié. Il faut suivre les règles du jeu. C'est l'argument le plus important. Il y avait aussi la question de la formation commune. Peut-on exiger que tous les journalistes sortent tous du même moule? On veut de la diversité. On ne veut pas que tout le monde soit fondu dans le même moule. C'est un problème important.

Le problème de l'intervention étatique est aussi un problème important. À la limite, je crois que c'est un argument fallacieux. Le gouvernement ne dira pas qui porte le titre de journaliste ou pas. Il y a quand même des tractations. Les ordres professionnels sont autonomes et décident quels sont les concours d'entrée pour accéder à cette profession.

La crainte est de savoir si on va devenir trop conformiste. Selon une hypothèse, ceux qui souhaitent devenir membre de la profession devraient subir un examen. Ils peuvent avoir un profil diversifié, mais ils devraient subir un examen sur le plan de la conscience professionnelle et sur la connaissance de certaines règles de la loi et autres. Tout cela a été lancé pour encourager le débat et cela fait tout un débat. Tout a été rejeté en deux heures.

[Translation]

Le sénateur Phalen: J'ai posé cette question à d'autres intervenants, mais j'ai lu votre exposé et je voudrais maintenant entendre votre réponse à cette question.

À la conférence intitulée Qui contrôle les médias du Canada? M. Russell Mills a dit: «[...] Toute bonne compagnie médiatique doit prêter allégeance d'abord et avant tout aux citoyens de la collectivité et non pas aux actionnaires, aux annonceurs ou aux employés.» Dans son témoignage devant le comité au sujet des journaux qui s'efforcent d'augmenter leurs profits au maximum, M. Tom Kent a dit: «[...] Nous avons besoin de la Loi sur les banques pour nous assurer qu'à certains égards, les banques ne maximisent pas leurs profits. Les journaux, parce qu'ils jouent dans le domaine de l'information un rôle qui est vital en démocratie, ne sont pas seulement des entreprises commerciales.»

Quels autres mécanismes, à votre avis, seraient efficaces pour s'assurer que les journaux ne dérogent pas à leur devoir envers leurs collectivités, en faveur des profits de l'entreprise?

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M. Bernier: J'ai personnellement beaucoup de problème à encourager l'intervention de lois qui limiteraient le caractère commercial ou entrepreneurial des journaux. J'ai lu les déclaration auxquelles vous faites référence. Je crois que cela ne correspond pas à la tradition nord-américaine. Cela soulèverait beaucoup de problèmes que de vouloir contraindre la gestion sur le plan commercial. Je pense plus à l'autoréglementation, mais pas à l'autoréglementation axée sur l'arbitraire et l'impressionnisme. Il faut avoir une vigilance de la part des institutions publiques, des gouvernements face à l'autoréglementation dans les médias au lieu du laisser-faire que nous connaissons depuis longtemps. Je ne suis pas d'accord pour exiger une telle intervention.

Cela me semble exagéré. Ce n'est pas pratique. Je crois que c'est illégal et peut-être même anticonstitutionnel.

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Le sénateur Phalen: Auriez-vous des suggestions à faire à cet égard, autres qu'une mesure comme la Loi sur les banques? Comment peut-on contrôler cela?

J'ai assisté à la conférence de Russell Mills et j'ai lu votre témoignage d'aujourd'hui. Chacun d'entre vous fait allusion à cette situation, mais aucun d'entre vous ne semble vouloir dire que nous devrions légiférer ou édicter des règles pour régir cet aspect. Quelle est la solution?

M. Bernier: Je ne pense pas y avoir fait allusion. Je suis en faveur de l'autoréglementation des médias, parce que c'est plus compatible avec la tradition nord-américaine. Je ne saurais être plus clair.

Je ne vois pas comment je pourrais être à l'aise avec une Loi sur les banques ou une mesure semblable. À titre d'ancien journaliste, je trouverais cela troublant. J'estime qu'il serait plus positif, plus fructueux de contrôler les médias en donnant aux gens, aux citoyens une institution quelconque, une instance à qui on pourrait s'adresser pour porter plainte.

[English]

Nous devrions aussi demander de l'imputabilité de la part des entreprises de presse. C'est ce qui manque le plus, rendre des comptes de façon sociale et, bien sûr, pas de façon très liée à des comités ou à des lois.

Le mieux qu'on puisse faire serait d'obliger les lois sur l'autoréglementation. C'est le mieux qu'on puisse faire pour respecter l'esprit libéral du journalisme canadien qui s'inscrit beaucoup dans le contexte nord-américain. Je voyais dans vos transcriptions qu'on associe encore beaucoup le journalisme québécois à la tradition européenne.

Depuis 15 ou 20 ans, le journalisme québécois s'inscrit de plus en plus dans la tradition nord-américaine et de moins en moins dans la tradition européenne. Il faudrait en faire le décompte. Si, il y a 50 ou 60 ans, beaucoup de journalistes allaient s'inspirer à Paris pour apprendre leur métier, aujourd'hui la plupart vont le faire à New York ou à Columbia et ailleurs pour apprendre leur métier.

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Le sénateur Phalen: Seriez-vous en faveur d'une sorte d'ombudsman ou de commissaire chargé de contrôler tout cela?

M. Bernier: Oui, une autorité quelconque qui pourrait organiser ou superviser la recherche et le débat public sur les médias. Cependant, cette autorité n'aurait pas le pouvoir de devenir un second gestionnaire des médias.

Le sénateur Gustafson: J'ai deux questions, dont l'une porte sur la question de l'équilibre. Votre exposé de ce matin m'a beaucoup plu. Vous avez été très franc. Certaines situations que vous avez évoquées sont courantes dans l'ouest du Canada.

En Saskatchewan, en Alberta et en Colombie-Britannique, on a profondément le sentiment que les médias sont contrôlés par l'aile gauche, ou peu importe comment on veut l'appeler. Je vois que ma collègue d'en face, qui vient de Saskatchewan, hoche la tête.

Il y a aussi des angles morts très prononcés, surtout au Canada rural. Il y a deux ou trois semaines, j'étais à Vancouver. Les médias à Vancouver semblent isolés, on dirait qu'ils couvrent seulement la région environnante. J'ai dit à mon beau-fils: «Vous semblez ne pas être du tout branchés sur la situation mondiale ici à Vancouver.» Il y a des angles morts au Canada rural.

Je veux ajouter un dernier point, avant que vous ne tentiez de répondre à une question à laquelle il est peut-être impossible de répondre. Je vais donner l'exemple des divers intérêts médiatiques. Hier, à l'édifice du Centre, il y avait une chorale de 60 voix. On essayait d'installer un piano pour que ces gens-là puissent chanter. En même temps, il y avait environ 25 ou 30 journalistes qui se bousculaient pour obtenir une interview avec un ministre. Pensez-vous qu'ils se seraient tassés un peu pour laisser passer le piano? Pas du tout! Ils ont retardé le spectacle de cette chorale pendant une demi-heure.

Ce qui m'amène à ceci: on dirait qu'il n'y a jamais de place pour les bonnes nouvelles, tandis qu'on accorde beaucoup d'attention aux mauvaises nouvelles. Autrement dit, les bonnes nouvelles ne font pas vendre de journaux, alors on ne s'en occupe pas. Il y avait là 60 jeunes, le fleuron de l'avenir du Canada, et une caméra s'est retournée après que le cirque médiatique se soit dissipé, et l'on a été en mesure d'installer le piano et de prendre une photo. Je pense que cette attention leur a été accordée plus ou moins par sympathie. J'attends vos commentaires.

M. Bernier: Je ne sais que trop que répondre à cela. Dans le cas des journalistes qui entouraient le ministre, j'y vois un bel exemple du phénomène de journalisme de meute. C'est pourquoi le nombre de journalistes sur la colline n'est pas nécessairement un bon indicateur de la diversité des médias. Les médias grand public veulent vendre les mêmes nouvelles aux bulletins de fin de soirée ou dans les journaux du lendemain matin. Ce n'est pas seulement le nombre d'entreprises de presse qui fait la diversité.

Pour ce qui est des angles morts, j'ignore si je peux être d'accord avec vous, parce que les sondages que j'ai lus récemment indiquent le contraire. On y parlait d'angles morts dans des domaines comme l'environnement, la problématique sociale, les questions religieuses ou féministes. Il ne s'agissait pas d'angles morts typiques des médias de gauche. Dans le sondage mené à l'Université de Calgary auprès des journalistes, on a plutôt constaté qu'il y avait des angles morts dans la presse de droite. C'est ce qu'ils ont dit en publiant leur sondage.

Le président: Cela dépend de l'observateur.

M. Bernier: Quand on examine les sondages et les réponses à la question de savoir si les gens apprécient ou dénoncent le parti pris des médias, on obtient aussi beaucoup d'information sur le répondant, la personne qui répond à la question, peut-être plus que sur le journal ou l'émission qui fait l'objet de leurs commentaires.

Le sénateur Merchant: Je vais donner suite au commentaire du sénateur Gustafson au sujet du parti pris dans les médias et de la perception que nous en avons dans l'Ouest. Je ne pense pas que ce soit nouveau. Les gens ont toujours su quel journal était de droite et lequel était de gauche. Je n'ai aucune objection à cela.

Par contre, je trouve que nous avons un problème du côté du radiodiffuseur public. Nous mettons tous beaucoup d'argent dans la SRC. Il est certain que les gens ont la perception et même qu'ils sont profondément convaincus que la SRC a une orientation de gauche. Je pense que la plupart des gens ont cette opinion dans l'Ouest.

Je ne me préoccupe pas tellement des journaux ou des gens qui s'autofinancent, parce que je pense que la libre entreprise va les enrichir ou les ruiner. Je n'ai absolument aucune objection à cela; nous n'avons pas besoin de contrôles serrés de la part du gouvernement. Nous devons laisser le consommateur choisir.

Nous avons commencé à réglementer à cause d'un monopole.

Dans mon enfance, il n'y avait que deux chaînes, la SRC et CKCK. Le marché libre est très doué pour la réglementation, parce que le consommateur a de nombreux choix. Nous pouvons peut-être contrôler la SRC ou CTV ou Global, mais nous ne pouvons pas contrôler CNN, ABC, Fox et tous les autres. Les gens ont un vaste choix et ils l'exercent. Je ne vois nullement le besoin d'un ombudsman ou d'un contrôle gouvernemental plus serré.

Pourquoi avons-nous besoin d'un contrôle gouvernemental?

M. Bernier: Le marché libre n'est pas une très bonne manière de fournir de l'information; c'est peut-être meilleur pour les affaires. Quoi qu'il en soit, l'information s'accorde mal du marché libre. Nous avons des règlements qui régissent le système de santé et les médecins parce que nous savons que si on s'en remet strictement aux forces du marché, la qualité de leur travail va en souffrir. C'est élémentaire.

C'est la même chose pour l'information. Un marché libre nous donne une information de piètre qualité et peu diversifiée, parce que tous cherchent à servir le même marché, les mêmes gens, le même créneau, le même segment, ceux qui ont de l'argent pour acheter les biens que veulent vendre les publicitaires. Je n'ai aucune objection à cela.

Le problème, à mes yeux, c'est que nous avons également le besoin et le droit d'avoir une bonne information. Les forces du marché amoindrissent la qualité de l'information. J'ai travaillé dans le secteur des journaux pendant 20 ans; je sais comment cela se passe. Ce n'est pas aussi pire que certains l'imaginent, mais il y a des problèmes. Je connais mieux la situation au Québec que celle de l'ouest. J'ai lu à ce sujet, mais je ne suis pas compétent pour commenter la situation.

Au Québec, nous avons TQS, qui obéit aux lois du marché. On n'y trouve pas beaucoup d'information, mais assurément beaucoup de publicité. Il y a beaucoup de faits divers, beaucoup de conflits — et non pas de débats — entre des personnes, mais la qualité de l'information n'est pas très bonne. On n'y trouve pas une véritable diversité.

L'autre réseau privé francophone est TVA, qui est à peu près pareil. Certains soirs, l'information est meilleure à TQS qu'à TVA parce que le bulletin de nouvelles dure une heure à TQS. Jean Lapierre a une tribune libre à la fin du bulletin, ce qui permet aux gens de discuter ou de débattre les questions d'actualité. Il n'y a pas toujours de bulletins météo ou d'annonces publicitaires durant le téléjournal.

Je connais bien le débat sur l'orientation de gauche de la SRC. Au Québec, le débat n'est pas de savoir si la SRC est de gauche ou de droite, mais plutôt si elle est fédéraliste ou souverainiste.

Quoi qu'il en soit, nous n'avons pas beaucoup de données appuyant le fait que la SRC est plus de gauche qu'un radiodiffuseur public devrait l'être. La BBC est très critique son gouvernement et de ses milieux d'affaires. Ils n'ont pas besoin des gens d'affaires pour survivre; ils n'ont pas besoin de publicité. Ils en ont peut-être besoin un peu, mais pas autant que les réseaux privés. Cela se reflète dans la qualité de l'information, dont je ne suis pas toujours très satisfait.

Le sénateur Merchant: Je n'ai pas d'objection à une bonne information. Qu'y a-t-il de mal à ce que ce soit le consommateur qui décide? Quand il y a beaucoup de publicité sur les chaînes et que les consommateurs ne veulent pas subir ce genre d'information, ils changent de poste et syntonisent la chaîne qui diffuse des bulletins de nouvelles. Je ne vois pas la contradiction. Les gens n'écoutent pas les bulletins de nouvelles. Les jeunes n'ouvrent pas leur poste de radio. Ils écoutent plutôt des disques. Ils n'écoutent pas la radio; ils ne lisent pas le journal. On pourrait avoir la meilleure information, mais personne ne la lit ou ne l'écoute.

M. Bernier: Cela nous ramène à la question du consommateur par opposition au citoyen. Je penche plutôt du côté du citoyen. L'information est essentielle à la démocratie. Je comprends que les radiodiffuseurs privés ont peut-être 23 heures par jour pour diffuser autre chose que des bulletins de nouvelles. Mais quand ils font des bulletins de nouvelles, j'espère qu'ils les font bien. Pour le reste, je n'ai pas d'objection à cela.

Le sénateur Spivak: Je suis un peu cynique. Je ne pense pas que l'on puisse s'attendre à ce que des gens aussi déterminés que Conrad Black ou Izzy Asper se lancent en affaires pour perdre de l'argent, parce qu'ils sont en affaires pour faire de l'argent. De plus, ils sont profondément convaincus d'avoir raison. Ils croient qu'ils servent l'intérêt public, peu importe que ce soit le cas où non.

Il ne fait aucun doute que les subventions publiques font partie du système de la libre entreprise. Nous n'aurions pas l'industrie de la musique que nous avons aujourd'hui si nous n'avions pas subventionné la radio. C'est un gouvernement conservateur qui a créé la SRC. Il faut réfuter une fois pour toutes l'argument voulant que la libre entreprise est gratuite. Elle n'est pas gratuite.

Ce que je veux dire, c'est que l'on ne pourra pas contrôler les journaux de propriété privée. On aura beau essayer, on ne parviendra pas à les contrôler. Ils ont bien des moyens de contourner les règles.

Que pensez-vous d'un journal public selon le modèle de la SRC? C'est l'une des suggestions qui ont été faites. Qu'en pensez-vous?

Dans le pays du monde le plus fervent partisan de la libre entreprise, nommément les États-Unis, il y a la radio publique nationale et il y a le réseau PBS, qui est florissant et qui est aussi financé en partie par le gouvernement. Que pensez-vous d'un journal public?

[English]

M. Bernier: J'ai vu dans les transcriptions une telle suggestion. Bien que la suggestion de créer un journal public ait fait surface il y a quelques années, je m'y suis arrêté comme s'il s'agissait d'une nouvelle idée. Tout d'abord, voici la problématique. La légitimité physique que pouvait avoir la CBC ou la SRC d'aller dans une telle direction était la limitation du cadre électromagnétique justifiant en bonne partie le besoin de gérer les ondes. On parlait alors d'un modèle britannique. Il y avait donc également un contexte historique. Si la radiodiffusion était une invention d'aujourd'hui, la CBC n'existerait sans doute pas, et il n'y aurait pas d'Internet public. Les temps ont changé. Il s'agit d'un reflet de l'époque.

Un journal public devrait tout d'abord être dans les deux langues. D'autre part, les coûts de distribution seraient énormes, à moins de publier uniquement sur Internet. En effet, je reçois chaque matin mon journal sur Internet, faute de camelot dans la région où j'habite.

Je crois qu'il serait préférable de consacrer plus de ressources à Radio-Canada/CBC et les soustraire d'avantage de l'expression commerciale qu'ils possèdent dans leurs bulletins d'information. Soustraire cette pression serait un bien meilleur investissement que de verser les fonds publics dans un journal public.

D'autre part, le problème de distance entre le gouvernement et les responsables de ce journal me causeraient les mêmes ennuis que les problèmes de distance qu'on peut constater entre la CBC/Radio-Canada et le gouvernement. Qu'il revienne au premier ministre de nommer les fonctionnaires pose, à mon avis, un problème important et nuit à la notion d'absence de lien de dépendance. En suivant cette ligne de pensée, il faudrait que ce soit au Parlement de décider qui présidera Radio-Canada et qui sera au conseil d'administration plutôt qu'au premier ministre. Une telle réforme représenterait déjà, à mon avis, un grand pas et améliorerait sans doute la cote de Radio-Canada dans certains milieux.

Le sénateur Day: Vous avez fait plusieurs suggestions et cela va nous prendre quelques jours pour y réfléchir. J'aimerais obtenir quelques clarifications. Vous avez dit qu'il est possible d'obtenir davantage d'imputabilité sans intervention directe du gouvernement, en obligeant les entreprises de presse à se doter d'un code de déontologie. Je pensais qu'il y avait maintenant, dans chaque province, des conseils de presse qui font cela et que les membre de ces conseils devaient adopter le code de déontologie. Est-ce bien le cas?

M. Bernier: Il y a une province canadienne qui n'a pas de conseil de presse et, si je ne me trompe pas, c'est la Saskatchewan.

Le sénateur Day: C'est un problème.

M. Bernier: Il faudrait vérifier. Les conseils de presse ne fonctionnent pas tous de la même façon. Par exemple, au Québec, si vous faites une plainte au conseil de presse, disons une plainte qui me concerne, trois personnes traiteront de cette plainte, dont deux représentants des médias et un du public. Il y a donc un déséquilibre.

En Ontario, c'est fait dans des proportions égales et, parfois, on tient des audiences publiques. Au Québec, c'est fait à huis clos et on ne sait pas ce qui se passe. Aucuns standards n'existent et il n'y a pas de code de déontologie. Ils fonctionnent à l'aide du système de la jurisprudence, c'est-à-dire qu'au fil des années, ils se disent que les mêmes choses toujours redites finiront par créer un code de déontologie.

Ils n'ont toutefois pas la rigueur d'un système juridique; ce sont des gens de bonne volonté, mais ce sont des bénévoles. Il n'y a pas la continuité d'un tribunal qui possède des archives une formation. En ce sens, ce système ne peut fonctionner et c'est un problème.

Les médias ne sont pas du tout obligés d'être membres de ce conseil. Quebecor vient tout juste d'accepter d'être membre du Conseil de presse du Québec, et ceci parce qu'il a subi une pression énorme lorsqu'il a acheté TVA et qu'il est devenu l'acteur principal du duopole québécois.

Le sénateur Day: Pensez-vous qu'il y a des possibilités de changer ces conseils et de régler les problèmes?

M. Bernier: Je crois qu'il serait possible de faire en sorte que ces conseils fonctionnent de façon plus transparente et qu'ils aient même un pouvoir de recommandation de sanction.

Je suis beaucoup l'actualité des médias, et cela me fascine. Aux États-Unis, ils n'ont pas de conseils de presse; en fait il y en a deux ou trois, dont un qui vivote. On voit les médias américains sanctionner leurs journalistes et les congédier pour des infractions déontologiques. La dernière fois que j'ai vu un cas semblable au Canada, il s'agissait d'un journaliste qui ne se comportait pas comme le patron voulait et cela a entraîné son congédiement.

Mais quand journaliste faisait des choses inacceptables sur le plan déontologique, ça se réglait, soit avec le conseil de presse, les normes canadiennes de la radiodiffusion ou les associations de radiodiffuseurs en appliquant un code de déontologie. Il n'y a pas vraiment de mécanique de sanction et ce que les conseils de presse disent au Canada est pris à la légère la plupart du temps.

La présidente: Je vois venir les syndicats.

[Translation]

Le sénateur Gustafson: Je voudrais revenir à la question du marché libre. La SRC a 7 p. 100 du marché. Les gens ont décidé qu'ils voulaient regarder CNN, et c'est effectivement ce qui se passe. Je ne sais pas quelle est leur cote d'écoute, mais le chiffre est élevé. Dans le lobby de l'hôtel, ce matin, la télé diffusait CNN. Partout où l'on va, c'est CNN. J'en conclus que les gens décident eux-mêmes quel bulletin de nouvelles ils veulent écouter. S'il n'y a pas de marché libre, alors le secteur est contrôlé par l'État et c'est l'État qui vous dit quoi faire.

J'irai même plus loin. Cela devient politique, mais on ne peut pas l'éviter. Au Parti conservateur, nous avons un congrès à la direction. Est-ce que quelqu'un en a entendu parler? Je n'ai pas lu une ligne là-dessus dans les journaux de l'ouest du Canada. Peut-être que nous nous y prenons mal, que nous n'avons pas le tour. Il me semble que nous nous dirigeons au Canada vers un système de parti unique contrôlé par l'État; quelles sont vos observations là-dessus?

M. Bernier: Il y a un débat sur l'opposition entre la radiodiffusion publique et privée. La solution est d'avoir un mélange des deux. Ce n'est pas vrai que CNN a un auditoire aussi vaste. Une petite fraction seulement des millions d'Américains écoutent CNN aux États-Unis. Cependant, ils ont une très forte présence médiatique dans nos esprits.

Si les Canadiens peuvent être moins critiques à l'égard de la SRC, en comparaison de CNN, peut-être que ce sera mieux pour la SRC. Habituellement, la SRC fait du bon journalisme. Fox avait beaucoup de journalistes en Irak. Si l'on examine leur couverture de la guerre, pouvons-nous être certains que l'information était bonne? Je ne saurais le dire. Cependant, bien des gens syntonisaient Fox pour bien des raisons autres que la qualité de l'information.

[English]

La présidente: Notre prochain témoin est M. Gaëtan Tremblay, du département des communications de l'Université du Québec à Montréal.

[Translation]

M. Tremblay est également codirecteur du Groupe de recherche interdisciplinaire sur la communication, l'information et la société à l'UQAM.

Pendant que M. Tremblay prend place, je rappelle à tout le monde que notre pratique habituelle est d'avoir un exposé d'une dizaine de minutes, suivi d'une période de questions et réponses.

[English]

Merci d'avoir accepté notre invitation. Je crois que vous avez une déclaration d'ouverture et nous passerons ensuite à la période de questions.

M. Gaëtan Tremblay, professeur, Département des communications, Université du Québec à Montréal, et codirecteur du Groupe de recherche interdisciplinaire sur la communication, l'information et la société: Merci de m'avoir invité à participer à vos débats. Le thème que vous abordez est très vaste et complexe, c'est-à-dire celui de la qualité de l'information au pays. Bien sûr, en dix minutes, je n'ai pas la prétention de faire le tour de la question.

J'ai plutôt choisi de traiter d'une question assez spécifique que j'ai eu l'occasion d'approfondir au cours de la dernière année, c'est-à-dire des règles régissant la propriété étrangère des médias canadiens. Cela a beaucoup à voir, comme vous le savez, avec la qualité de l'information, puisque certains prétendent que la révision ou l'abandon des règles des propriété étrangère serait une des manières de compenser la très grande concentration de la propriété dans le domaine...

La présidente: Je vous interromps un instant.

[Translation]

Honorables sénateurs, pour l'instant, nous avons seulement une version française du texte du professeur Tremblay, parce que nous l'avons seulement reçu ce matin. Nous allons le faire traduire. En attendant, ceux qui ont de la difficulté à suivre le français peuvent écouter l'interprétation et nous vous ferons parvenir la version anglaise du document dès que nous le pourrons.

[English]

La présidente: Vous avez le droit de vous adresser au Parlement dans la langue de votre choix.

M. Tremblay: Je traiterai de la question des règles de propriété étrangère parce qu'elle a à voir avec la qualité de l'information, et surtout avec la diversité, certains affirmant que ce serait une manière de contrer la concentration des médias canadiens dans quelques grandes entreprises. Au terme de cette courte présentation, j'espère que nous reviendrons sur certaines des fascinantes questions que vous avez soulevées avec mon collègue M. Bernier auparavant, entre autres, le rôle du marché, la question d'un journal, celle du rôle du service public de Radio-Canada. J'espère que nous reviendrons sur ces questions dans la période des échanges

Permettez-moi d'abord introduire le thème de la propriété étrangère. La limitation de l'ouverture du capital des entreprises canadiennes a été réaffirmée dans la Loi sur la radiodiffusion de 1991, ainsi dans la Loi sur les télécommunications de 1993. Ces règles ont eu pour objectif de garantir que le contrôle des entreprises oeuvrant dans ces secteurs stratégiques pour la culture, l'information, la souveraineté, la sécurité et l'économie du pays reste entre des mains canadiennes et ont donc constitué depuis plusieurs décennies l'un des piliers de la politique canadienne en matière de communication. Toutefois, la politique de «canadianisation» a été l'objet de débats récurrents, celle-ci n'ayant pas forcément réussi à modifier substantiellement les structures des appareils de production et de distribution de produits culturels et informationnels. Le protectionnisme économique n'aura pas forcément empêché une large pénétration des biens et services étrangers. Quoiqu'il en soit, dans le cadre de la politique de libéralisation et de convergence des marchés, les autorités fédérales ont assoupli, en 1996, les règles du secteur de la radiodiffusion en adoptant pour celle-ci un règlement plus souple, auquel est astreint le secteur des télécommunications.

Or, le contexte est actuellement caractérisé par la mondialisation économique et financière, la convergence — du moins partielle — entre l'audiovisuel, l'informatique et les télécommunications, une certaine concentration des capitales des entreprises médiatiques et le développement de l'Internet. Pour l'ensemble de ces raisons, les règles en matière de propriétés pourraient être réévaluées. Il en a été question au sujet du secteur des télécommunications à l'occasion de rencontres organisées par le ministère fédéral de l'Industrie pendant ces derniers mois. De plus, le gouvernement envisage de travailler sur une nouvelle Loi sur la radiodiffusion d'ici deux à trois ans. À partir des éléments d'analyse et la problématique qui précède, nous avons souhaité rencontrer les acteurs sociaux présents à Montréal afin de connaître leurs points de vue sur cette question. Nous avons interrogé sept responsables d'entreprises et lu des mémoires et autres rapports de quatre entreprises. Nous avons, par ailleurs, obtenu des positions de neufs associations professionnelles et échangé avec cinq personnes sélectionnées au titre d'experts. Une analyse comparable a également été menée à Toronto avec mon collègue Fred Fletcher et son équipe. De plus, nous avons demandé un état des lieux à quatre experts internationaux.

Il est difficile de tirer des conclusions précises au terme de notre étude. Les opinions sont fort partagées et les consensus rares. En simplifiant, on peut polariser les points de vue en deux camps, celui des personnes favorables à un assouplissement, voire à une élimination, des règles de propriété étrangère et celui des opposants. Entre ces deux pôles, on retrouve en fait toute une gamme de nuances, mais les unes et les autres finissent toujours par pencher d'un côté ou de l'autre. Chacun avance des arguments crédibles, appuyés parfois d'exemples concrets, mais souvent non démontrés et non corroborés par des études sérieuses et rigoureuses. On leur accordera plus ou moins de poids selon qu'on est plus ou moins favorable, a priori, au libre marché, à la concurrence, à la mondialisation ou à l'encadrement législatif et réglementaire et l'intervention active des pouvoirs publics.

Les tenants du premier camp souhaitent une réglementation pour faciliter l'accès au capitaux, lequel serait insuffisant sur le seul marché canadien pour assurer la croissance et l'innovation. De même, ils attendent de l'assouplissement des règles canadiennes, qui leur ouvre en retour l'accès aux marchés étrangers. Selon eux, la propriété peut être dissociée de la création et de la production des contenus. On pourrait libéraliser la première tout en réglementant la seconde. Moyennant un encadrement clair du CRTC, ils ne redoutent aucun impact négatif sur l'emploi et les contenus canadiens.

Les opposants, à l'inverse, ne croient pas à la pénurie de capitaux sur le marché canadien ni à la séparation de la propriété de la production des contenus. Selon eux, la politique culturelle canadienne forme un système, à tel point que la remise en cause d'un seul élément, le contrôle de la propriété par des intérêts nationaux, risque de la mettre en péril dans sa totalité. Dans cette perspective, la propriété étrangère se traduira inévitablement par des pertes d'emploi, une diminution des programmes canadiens, et une perte d'expertise culturelle selon ses opposants.

À partir d'un constat de points de vue aussi contrastés, que peut-on proposer pour la suite des choses? Premièrement, nous pensons qu'il faut se garder de toute précipitation. L'urgence qui semblait émaner du vent de méga-fusions, au début du XXIe siècle, a considérablement diminué, au point qu'on peut même se demander, vu les difficultés rencontrées par AOL-Time Warner, Wivendi-Seagram, Quebecor Media, BCE et autres aventuriers de la convergence, si le vent n'est pas en train de tourner. Pas de décisions précipitées, parce qu'il n'y a pas d'urgence, pas de consensus, pas de données convaincantes sur l'absence d'impact de la propriété sur les contenus, et que la politique culturelle canadienne en vigueur depuis quelques décennies, présente — presque tous les acteurs interrogés en conviennent — un bilan plutôt positif.

Deux grandes questions doivent être résolues avant de procéder à une révision des règles concernant la propriété étrangère dans le domaine des télécommunications et des médias.

Premièrement, il s'agit de la distinction entre opérateurs de réseaux et offreurs de contenu, et deuxièmement, des liens entre la propriété et la création de production de contenu. En ce qui concerne l'existence et la nature d'une éventuelle interdépendance entre la propriété et la création de production de contenu, il y a encore trop d'inconnus pour prendre une décision éclairée. La prudence s'impose donc pour sous-peser ce qu'on risque de perdre par rapport à ce qu'on espère gagner par un changement des règles. Nous avons, dans un plateau de la balance, un hypothétique élargissement de l'accès aux capitaux et l'accroissement de la valeur des actions de quelques entreprises. Dans l'autre, nous avons la stimulation de la création et de la production de contenu culturel par des artistes et des travailleurs canadiens. Il n'a certes pas été démontré que l'assouplissement des règles de propriétés étrangères aura des conséquences majeures et désastreuses sur la production et la diffusion de contenu canadien, mais il n'a pas été démontré non plus qu'il n'y aura pas d'impact ou qu'il sera négligeable. Cette relation entre la propriété et la création de production de contenu est mal connue. Elle est pourtant au coeur du débat et doit faire l'objet d'études plus approfondies. Les experts étrangers que nous avons sollicités n'ont pas non plus fait état de données fiables et concluantes sur la question en Australie, en Grande-Bretagne, au Mexique ou en France. Nous proposons donc que quelques analyses de cas longitudinales soient effectuées sur une durée suffisamment longue et prenant en considération l'ensemble des facteurs pertinents pour mieux documenter les rapports entre la propriété et la création de production de contenu.

Par ailleurs, au moment où le Canada, de concert avec d'autres pays, tente de convaincre la communauté internationale du caractère particulier du secteur des industries culturelles et de la nécessité d'adopter un instrument juridique de portée internationale pour préserver, promouvoir la diversité culturelle et encadrer les échanges par des règles spécifiques, il nous semblerait pour le moins curieux que son Parlement adopte des mesures qui risquent de fragiliser à de seules fins économiques, sa propre politique culturelle. La distinction entre opérateur de réseau et offreur de contenu — même si elle n'a pas rallié toutes les personnes que nous avons rencontrées — nous semble plus claire, parce qu'elle a longtemps été appliquée avec succès par les régulateurs nord-américains.

Malgré les progrès technologiques — ceux de la numérisation, en particulier— qui ont rendu plus floues les frontières entre contenu et contenant et ont été à l'origine de la mise au rancart un peu rapide de la distinction entre «broadcasters et common carriers», nombreux sont ceux qui croient qu'elle devrait encore servir de critères de base pour la réglementation. Dans cette perspective, les règles de propriétés étrangères pour les offreurs de contenu resteraient inchangées — du moins tant que les liens entre propriété et création de production n'auront pas été clarifiés, mais elles pourraient être assouplies pour les opérateurs de réseaux. Les entreprises devraient cependant choisir. Comme d'autres, nous ne croyons guère à l'autonomie de gestion de filiales appartenant à un même groupe, malgré l'adoption de code proclamant l'étanchéité entre les unes et les autres. Les groupes qui opteraient pour une stratégie de convergence devraient se conformer aux règles les plus strictes, celles de Loi sur la radiodiffusion. Les opérateurs de câbles, de téléphones et de satellites qui se spécialiseent au contraire dans la seule gestion de réseau pourraient accéder aux capitaux étrangers avec plus de latitude. Cette ouverture pourrait-elle aller jusqu'à 100 p. 100 des actions votantes? Pourquoi pas, dans la mesure où l'État prendrait des mesures pour garantir la sécurité du pays comme chez nos voisins du sud.

Enfin, puisque les questions concernant la propriété croisée et la propriété étrangère sont étroitement liées, et que leur traitement découle d'une politique plus large sur la convergence, il me semblerait utile, compte tenu des événements des derniers mois, de procéder à une évaluation des résultats de cette politique au Canada et de voir s'il ne serait pas opportun d'y ajouter quelques ajustements.

J'invite donc l'échange sur cette question ainsi que celles qui ont été abordées précédemment, soit le service public, le journal public et les rapports marché-État en matière d'information.

[Translation]

Le sénateur Gustafson: La première déclaration que je voudrais faire, c'est que l'Accord de libre-échange est la réalité. Nous nous dirigeons vers un marché commun en Amérique du Nord. Beaucoup de nos artistes vivent aux États-Unis. Prenez Wayne Gretzky, par exemple. C'est un Canadien qui habite à Los Angeles. J'ignore si c'est notre lot, mais c'est la réalité.

Je reconnais que le Québec est différent du reste du Canada pour ce qui est de retenir ses artistes et ses exécutants. Je voudrais entendre vos observations là-dessus, pour ce qui est de la culture, et de la réalité de ce qui se passe effectivement.

[English]

M. Tremblay: Je précise qu'il n'est pas question de se refermer sur soi ou de fermer nos frontières. Nous avons au Canada l'un des marchés culturels et informationnels les plus ouverts au monde à l'heure actuelle. Il existe au Canada une grande diversité de sources d'information provenant des États-Unis, mais aussi, grâce au câble et au satellite, d'un peu partout à travers le monde. Il n'est pas question de changer cela ou de proposer que nous ne recevions désormais plus que des émissions de contenu canadien. J'ai parlé de culture car, souvent, en matière de radiodiffusion tout au moins, les mêmes entreprises offrent à la fois le contenu culturel et informationnel.

Il serait opportun à présent de s'aventurer dans la réflexion amorcée plus tôt en matière de culture et d'information sur les rapports entre les pouvoirs publics et les marchés. L'information et la culture sont des marchandises. Dans les sociétés industrielles, celles-ci sont produites industriellement et consommées sur les marchés. Il existe un marché de l'information et un marché de la culture. Mais la culture et l'information ne sont pas que des marchandises. Elles composent également le processus démocratique, le jeu démocratique. Les règles du jeu démocratique ne sont pas fixées par le marché mais par un parlement élu. L'exercice démocratique dans une société se compose d'un certain nombre d'exigences qui ne relèvent pas du marché.

Prenons quelques exemples. En démocratie, une personne ayant atteint 18 ans a le droit de vote. Cela ne s'applique pas à la règle du marché. Dans le marché, on peut détenir plusieurs droits de vote en fonction de son investissement dans l'entreprise. Il s'agit d'une différence majeure.

Par ailleurs, l'exercice de la démocratie exige des citoyens et citoyennes informés, ayant accès à une pluralité et une diversité d'information. Cette diversité est une exigence fondamentale au jeu démocratique. Elle n'est pas nécessairement le résultat auquel aboutissent les règles du marché.

Nous devons donc concilier un choix qui n'est pas simple entre le marché et le pouvoir public. Rien de plus horrible pour une démocratie qu'une presse ou des médias contrôlés par le pouvoir en place, quel qu'il soit. L'information doit être libre.

Le marché doit continuer de s'exercer. Ce marché ne doit pas être dépourvu de règles. Il doit être réglementé par les pouvoirs démocratiques résultant du jeu démocratique, c'est-à-dire par le Parlement. Il doit y avoir des balises dans une société pour assurer que nous avons accès à des sources d'information diverses, non seulement de sources étrangères mais également produites par des citoyens canadiens.

En faisant abstraction du marché, on se retrouve rapidement, en matière d'information internationale, avec peu de choix. Par exemple, lors du conflit au Moyen-Orient, cela pourrait se limiter à CNN et Al-Jazeera. Les citoyens doivent-ils être limités à ces choix? Bien sûr que non.

Au cours du conflit en Iraq, nous avons joui au Canada d'une information très diversifiée par rapport à plusieurs autres pays au monde. Nous avons accès à des médias canadiens. Nous avons des reporters à l'étranger, notamment ceux du service public, qui nous ont donné un point de vue différent de celui des chaînes américaines ou provenant de pays arabes. Cette diversité est essentielle à l'exercice d'une souveraineté nationale et à l'exercice d'un débat démocratique à l'intérieur du Canada.

Le libre-échange, bien sûr, est ouvert, pour revenir à votre question sur Gretzky et sur nos artistes comme Céline Dion ou le Cirque du Soleil. Par contre, nous consommons également beaucoup de produits et de films américains. Nous soutenons largement cette industrie, nous lisons les livres américains, et je crois que cela doit continuer. Cependant, il faut assurer que nous avons au pays un système suffisant pour permettre à nos artistes de vivre de leur art et de leur produit sur notre propre marché, sans pour autant devoir s'expatrier.

[Translation]

Le sénateur Gustafson: Je n'ai qu'une observation à faire au sujet de vos remarques. C'est au sujet de votre allusion à la guerre en Irak. J'ai été député pendant 14 ans et je suis sénateur depuis 10 ans; or j'ai entendu dans la rue des gens me dire: «Je suis gêné d'être Canadien.» Je l'ai entendu à maintes et maintes reprises.

La présidente: Sénateur Gustafson, cela n'a rien à voir avec le mandat de notre comité.

Le sénateur Gustafson: Le témoin a abordé la question, madame la présidente.

La présidente: Il parlait des bulletins de nouvelles.

Le sénateur Gustafson: Certainement.

[English]

M. Tremblay: Mon commentaire se rapportait à l'information à laquelle nous avons eu accès pendant la guerre. Je n'ai pas formulé de commentaire sur la position des uns et des autres par rapport à la guerre.

[Translation]

Le sénateur Merchant: On dirait que nous utilisons la culture comme raison d'être du rôle du gouvernement pour ce qui est de réglementer les médias. Si l'on aborde la question sous un autre angle, croyez-vous que c'est le meilleur moyen à notre disposition pour soutenir la culture? Si c'est ce que nous voulons, n'obtiendrions-nous pas d'aussi bons résultats en appuyant directement la culture, au lieu de rendre les médias responsables de la diffuser à notre intention?

Nous pourrions appuyer nous-mêmes les groupes culturels et nos artistes. Nous pourrions rendre possible pour les artistes exécutants d'enregistrer leur produit, créer des studios et les aider à devenir plus compétitifs et à vendre leurs disques. De cette manière, les Canadiens pourraient profiter de la culture canadienne, mais sans passer par les journaux et les médias.

Je ne pense pas que nous puissions réglementer ce domaine. Nous ne pouvons pas forcer les gens à regarder la télévision, mais s'ils vont au magasin et qu'un disque canadien coûte peut-être un dollar de moins, ou trois dollars de moins qu'un disque américain, alors c'est au consommateur de faire son choix. Je ne pense pas que nous puissions l'imposer.

[English]

M. Tremblay: Le Canada possède déjà plusieurs programmes pour aider les artistes et les producteurs. Les plus importants sont Téléfilm Canada, le Conseil des arts et le Conseil des arts du Québec. Le Canada fait déjà beaucoup pour soutenir le secteur de la création. Le Canada dispose aussi d'entreprises et de programmes publics pour aider la distribution. Il en va de même en matière de production de biens matériels.

En matière de culture et de communication, la distribution est le nerf de la guerre. Sans accès aux réseaux de distribution, les produits ne seront pas vus parce qu'ils ne seront pas montrés. Au Canada, par exemple, le cinéma canadien occupe moins de 5 p. 100 du temps-écran.

Bien sûr, le Canada n'a pas l'infrastructure et le potentiel de production d'un pays comme les États-Unis. Nous ne sommes pas Hollywood, nous n'avons pas les ressources pour produire autant. Mais le temps-écran des films canadiens est disproportionné par rapport à ce qu'il représente en termes de production nationale.

Nous contrôlons beaucoup moins bien la distribution des films que nous ne le faisons dans le domaine de la radio et de la télévision. Dans ces domaines, nos artistes peuvent produire, être entendus et être vus par des consommateurs qui ont le choix.

J'ai affirmé que le Canada avait beaucoup de programmes d'aide aux producteurs et aux créateurs, et il offre une véritable liberté de choix. Ce n'est pas parce que le gouvernement canadien soutient les artistes qui en ont besoin que les consommateurs n'ont pas le choix de regarder autre chose. Personnellement, je ne me sens pas contraint à regarder Radio-Canada, CBC, CTV ou TVA plutôt que CNN, TV5 ou d'autres canaux étrangers accessibles au moyen du câble.

La liberté de choix n'est possible au Canada que parce que, collectivement, nous décidons qu'elle est importante. Nous investissons dans la liberté de choisir. Si nous ne le faisions pas, le marché nous marginaliserait beaucoup plus. Je le répète, je ne suis pas contre le marché, je suis en faveur d'un marché régularisé en fonction de nos objectifs nationaux et démocratiques.

Le sénateur Ringuette: Vos études et celles de vos collègues n'ont pas réussi à déterminer une ligne directrice. Au Canada, nous avons la chance d'avoir les options d'information ou de récréation à travers les différents médias de transmission. Ne croyez-vous pas que la population aura des inquiétudes encore plus marquées face aux deux côtés d'une pendule, soit celui de la globalisation qui se manifeste dans tous les secteurs imaginables et celui de l'identification à un pays?

Je crois qu'il y aura un regain d'inquiétude dans les années à venir face à cet équilibre entre l'identification d'une nationalité et la globalisation des marchés. Quels sont vos commentaires sur ce sujet?

M. Tremblay: Il y a un regain d'expression des identités mais aussi une crise des identités car elles ne sont plus ce qu'elles étaient. Elle se redéfinissent. Amin Malouf, auteur d'un ouvrage intitulé Les identités meurtrières, fait la distinction entre les appartenances et l'identité. Pour lui, l'identité est unique, mais cette identité unique peut se composer de plusieurs appartenances.

Il est lui-même d'origine moyen-orientale, c'est un Libanais vivant en France qui a été élevé en arabe et qui écrit en français. Il est un peu mélangé dans tout cela: il a une identité mais plusieurs appartenances. C'est une façon d'aborder la redéfinition des identités.

La culture est importante puisqu'elle nous permet de nous exprimer et de nous reconnaître. Il faut aussi nuancer. La globalisation au galop qu'on a connue avec l'emballement du NASDAQ vers la fin des années 90 a fait en sorte que le marché s'est calmé par rapport à cela.

Le BCE, qui avait une politique de convergence tous azimuts, s'est concentrée sur son métier de base et en a conclu que c'est peut-être là qu'elle y trouverait le meilleur bénéfice. Quebecor, pour sa part, semble poursuivre une autre stratégie. Il y a, sur le marché, de la place pour les deux stratégies, l'une qui se spécialise dans son métier d'origine et l'autre qui essaie de pratiquer des synergies et des convergences. Il n'y a pas un modèle unique, les deux peuvent réussir.

À la fin des années 90, on croyait à un modèle unique selon lequel toutes les entreprises devaient avoir leurs journaux, leurs réseaux de distribution par satellite, leurs réseaux de télévision, leurs stations de radio, et leurs maisons de disques et d'édition de livres. Les médias se sentaient fragilisés s'ils n'avaient pas tout cela. On en est revenu de cette croyance un peu magique.

On a fini par mettre cela sur le dos de la globalisation et croire que toutes nos entreprises disparaîtraient face aux géants comme Vivendi Universal et AOL-Time Warner, qui sont en train de se constituer sur la scène internationale. Ce n'est pourtant pas ce qui s'est passé puisque ces entreprises connaissent des difficultés énormes actuellement.

Il faut être prudent en ce qui a trait à la généralisation des tendances. Elles existent mais ce n'est pas automatique. Et souvent, quand on est allé un peu trop loin dans une direction, il y a un rééquilibrage qui se fait. Sur la question de la globalisation, il est certain que nous aurons de plus en plus de produits qui circuleront sur l'ensemble de la planète. Ce n'est pas un phénomène récent. Souvenez-vous que l'émission Dallas, elle aussi, a fait le tour de la planète.

Le Canada commence à avoir des produits qui, eux aussi, font le tour de la planète. Céline Dion en a quelques-uns et le Cirque du Soleil également. Mais par rapport à l'ensemble de la production culturelle américaine, c'est un faible pourcentage d'émissions qui sont vraiment exportées partout. C'est la même chose chez les Américains. Si on fait le rapport des émissions exportées par rapport au nombre d'heures produites aux États-Unis par la télévision, c'est une toute petite fraction de ces émissions qui font le tour du monde.

La globalisation va se poursuivre, mais le besoin des appartenances de proximité va continuer de se faire sentir. Vous avez dit que le Québec était particulier, mais le Canada anglais aussi a ses particularités en ce qui concerne la télévision. C'est l'un des rares marchés au monde qui ne consomme pas à majorité les oeuvres produites localement lorsqu'elles sont disponibles, mais qui préfère consommer les émissions américaines. Il y a là une question de proximité de culture et de langue. Toutes les études ont démontré que, partout sur la planète où les émissions produites à l'échelle nationale sont disponibles sur le marché, elle sont la préférence des téléspectateurs.

Il n'y a pas de contrainte parce qu'il y a là un réflexe un peu naturel. Dans certains contextes, les éducateurs que nous sommes devraient pratiquer l'ouverture et montrer aux gens qu'il se fait autre chose ailleurs que dans leur patelin. Nous avons tendance à fonctionner par proximité et à nous retrouver avec ceux qui nous ressemblent et que nous connaissons déjà. Nous consommons donc des produits de télévision et des livres produits chez nous.

Il faut faire un effort pour s'ouvrir à une autre culture et à ses produits culturels. On pourrait exclure les produits très faciles qui font vite le tour de la planète parce qu'ils sont le plus petit dénominateur commun dans certain cas. Par chance, ce n'est pas le cas de tous les produits culturels. Les œuvres magistrales de certains romanciers latino- américains font le tour de la planète.

La mondialisation de la culture ne date pas d'hier. En fait, c'est la culture savante qui a d'abord été commercialisée. La musique classique, quant à elle, est la culture la plus universelle et la plus mondialisée de toutes les cultures. Depuis très longtemps, on écoute Beethoven et Mozart et cela ne cause pas de problèmes pour les créateurs canadiens. On lit des philosophes allemands, américains ou russes. On ne se contente pas de ne lire que des philosophes canadiens ou québécois. Je dirais qu'il faut en même temps défendre notre propre culture et pratiquer l'ouverture au monde.

Sur la télévision d'État mexicaine, laquelle n'existe plus aujourd'hui, on retrouvait beaucoup plus de programmes étrangers que sur les autres postes. Des programmes de la BBC et de PBS étaient traduits parce qu'on ne les retrouvait pas sur les chaînes privées. C'était le devoir de cette grande chaîne publique de présenter aux Mexicains ces produits étrangers de grande qualité, et le public en était très heureux.

Il faut pratiquer l'équilibrage. En même temps qu'on défend notre capacité de produire et de créer, il faut aussi, dans le domaine de la culture et de l'information, pratiquer l'ouverture et adopter les mesures pour que nos concitoyens aient accès à cette diversité.

Le sénateur Spivak: Vous dites qu'en même temps que le Canada a eu l'initiative de préserver et de promouvoir la diversité culturelle, d'encadrer les échanges culturels par des règles spécifiques au plan international, il a voulu adopter des mesures qui risquaient de fragiliser cette même culture. N'y voyez-vous pas une contradiction? Quels sont vos commentaires à ce sujet? Cette initiative a-t-elle eu du succès?

M. Tremblay: J'ai utilisé le conditionnel dans mon texte. Pour l'instant, le gouvernement s'interroge sur l'éventualité de remettre en question les règles de propriétés étrangères. Ce serait curieux qu'il pratique, d'une part, un libéralisme à tous crins en ce domaine et, d'autre part, qu'il se fasse le champion de la diversité culturelle sur la scène internationale. Si on pratique la déréglementation totale en matière de propriété et qu'au même moment on continue de défendre une politique culturelle forte, on peut y voir une contradiction.

Il ne faut pas être naïf. À l'intérieur même du Canada, il existe des forces, qui, pour des raisons très valables, poussent dans la direction inverse. Le sénateur Gustafson évoquait tantôt la réalité du libre-échange. Nous y sommes. Les Américains font un certain nombre de pressions. Ils remettent en cause un certain nombre de pratiques canadiennes. Ils introduisent des mesures de rétorsion que nous contestons par ailleurs. Des intérêts canadiens sont lésés.

Dans ce jeu de pression et de négociation, il y a à l'intérieur du Canada des hommes d'affaires, des gens actifs dans d'autres secteurs, qui représentent une partie importante de l'économie canadienne et des emplois. Tout cela est important. Ils viennent dire à ceux qui s'occupent de la culture: «Peut-être qu'on serait mieux de lâcher un peu de leste du côté de la politique culturelle pour satisfaire nos partenaires de l'autre côté». Ce sont des pratiques courantes dans les négociations internationales. Nous l'avons vu en matière de publicité dans les magazines canadiens. Le Canada a perdu devant l'OMC. Mme Copps voulait introduire un changement de législation, mais le jeu des rapports de force à l'intérieur du gouvernent canadien a fait en sorte qu'on a tenu compte de d'autres intérêts commerciaux et industriels. Peut-être était-ce ce qu'il fallait faire.

Il ne faudrait pas que nous cédions tout coup du côté de la culture, qui représente pour nous quelque chose d'important pour notre identité et notre souveraineté, et qui représente pour les Américains d'abord et avant tout un marché. Le monde est un marché pour les Américains. Le monde de la culture, c'est l'un des postes d'exportation les plus importants pour l'économie américaine.

Selon les dernières statistiques que j'ai consultées, l'exportation de la culture venait en second lieu après l'industrie aéronautique. Depuis les derniers deux ans, avec les difficultés que rencontre le transport aérien, l'industrie culturelle a fait un pas et se retrouve au premier rang. Il y a des enjeux économiques considérables pour les Américains. Cependant, pour nous aussi, les enjeux en matière de souveraineté et de culture sont majeurs.

La présidente: J'aimerais aborder la question d'un journal national public, puisque vous avez ouvert la porte à cette question.

M. Tremblay: Je ne crois pas que ce soit une bonne idée. C'est légitime en matière de radiodiffusion, parce que les ondes sont de propriété publique. Les ondes n'appartiennent à personne. Lorsque quelqu'un les exploite, c'est un privilège qu'il a obtenu. Il doit se soumettre à des exigences, et dans ce domaine, il est justifié que l'État intervienne. Je vois mal quelles garanties on pourrait donner à cette entité. La tentation est là. Lorsqu'on finance quelque chose, on veut bien intervenir un peu. C'est vrai des hommes politiques comme des hommes d'affaires. Je ne crois pas beaucoup à l'indépendance d'un journal financé à même les fonds publics. Compte tenu de ce que je sais des Canadiens et des Québécois, ce genre de journal n'aurait pas beaucoup de crédibilité auprès de la population.

La présidente: Je vous remercie infiniment, cela a été très intéressant. Je suis désolée qu'on ait si peu de temps. Vous nous avez donné beaucoup de matière à réflexion. Il se peut qu'on vous invite de nouveau à un moment donné.

M. Tremblay: Je vous remercie de cette occasion où j'ai pu échanger avec des responsables politiques canadiens.

La séance est levée.


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