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VETE

Sous-comité des anciens combattants

 

Délibérations du Sous-comité des Anciens combattants

Fascicule 3 - Témoignages du 26 février 2003


OTTAWA, mercredi 26 février 2003

Le Sous-comité des anciens combattants du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui à midi pour étudier, en vue d'en faire rapport, les soins de santé offerts aux anciens combattants qui ont servi au cours de guerres ou dans le cadre d'opérations de maintien de la paix; les suites données aux recommandations faites dans ses rapports précédents sur ces questions; les conditions afférentes aux services, prestations et soins de santé offerts, après leur libération, aux membres de l'armée permanente ou de la réserve, ainsi qu'aux membres de la GRC et aux civils ayant servi auprès de casques bleus en uniforme dans des fonctions d'appui rapproché; et toutes les autres questions connexes.

Le sénateur Michael A. Meighen (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Chers collègues, nous poursuivons aujourd'hui notre étude du syndrome de stress post-traumatique. Nous avons le plaisir de recevoir un témoin qui a déjà comparu devant nous. Il s'agit du lieutenant-colonel Stéphane Grenier, qui portait le grade de major lors de sa dernière comparution.

Le lieutenant-colonel Grenier est accompagné de deux représentantes du ministère canadien des Anciens combattants, Mme Diane Huard, qui est directrice de la Direction des services des Forces canadiennes, et Mme Kathy Darte, qui est agente de projets spéciaux à la Direction de la recherche et de l'information.

Lieutenant-colonel Grenier, veuillez commencer.

Le lieutenant-colonel Stéphane Grenier, gestionnaire du projet — Soutien social aux victimes de stress opérationnel, ministère de la Défense nationale: Mesdames et messieurs les sénateurs, je vais tenter de vous expliquer dans quelles circonstances je me suis retrouvé à gérer un programme destiné à aider les anciens combattants et les militaires en exercice. Je vais commencer par vous dire quelques mots sur ce qui nous a amenés à mettre notre programme sur pied.

Avant le début de la guerre contre le terrorisme, les militaires canadiens n'avaient pas pris part à un conflit de haute intensité depuis la guerre de Corée. Je veux parler des théâtres d'opérations de haute intensité que nous avons connus pendant la Seconde Guerre mondiale et de ce qui était alors le lot traditionnel des soldats. Cela ne veut toutefois pas dire que les soldats canadiens n'ont pas souffert des conséquences des conflits qui se sont déclarés dans le monde. Les membres de toutes les composantes des Forces canadiennes ont joué un rôle important dans pratiquement toutes les missions de paix de l'ONU et de l'OTAN depuis l'introduction du modèle de maintien de la paix conçu par Lester B. Pearson.

Au cours de la dernière décennie, nos marins, nos soldats et notre personnel de l'air ont participé à un nombre croissant d'opérations militaires de plus en plus exigeantes autour du monde.

Même s'ils ont servi le Canada avec grande distinction, cette contribution à la paix et à la stabilité dans le monde a coûté cher. Le prix de la participation du Canada aux opérations de maintien et de soutien de la paix a été calculé de bien des manières. Il est possible de compter le nombre de navires que nous avons envoyés outre-mer et le nombre de balles et de rations que nous avons achetées, ou encore de calculer le prix de ces missions en fonction des vies qu'elles nous ont coûté. Nous avons perdu plus de 100 soldats depuis l'implantation du modèle de maintien de la paix.

Au-delà de cette liste officielle des pertes, cependant, nous ne pouvons plus ignorer que ces opérations ont aussi coûté au Canada et aux Forces canadiennes un nombre important et incalculable de blessés parmi le personnel militaire. Ces blessés ne sont pas des victimes de balles perdues, de mines terrestres ou d'accidents de la route, mais du stress opérationnel. Contrairement aux blessures physiques, les traumatismes liés au stress opérationnel ne sont pas visibles extérieurement. Souvent, les supérieurs, les collègues et, dans bien des cas, les soldats eux-mêmes ne les remarquent pas avant des mois ou des années. Et ceux qui se rendent enfin compte qu'ils ont subi un traumatisme lié au stress opérationnel ne considèrent pas comme une solution viable de demander de l'aide à cause des stigmates négatifs associés aux maladies et aux malaises de ce genre.

Les traumatismes liés au stress opérationnel comme l'anxiété, la dépression ou, évidemment, le syndrome de stress post-traumatique peuvent se traduire par des réactions symptomatiques très réelles qui causent divers types de problèmes, par exemple les toxicomanies, la diminution du rendement et de la concentration, les problèmes familiaux, le divorce, les violents accès de colère et le suicide.

Dans bien des cas, les chefs et les collègues interprètent ces changements de comportement sans comprendre que les soldats en cause ont subi des traumatismes liés au stress opérationnel. Ils se contentent de voir les symptômes sans chercher à gratter pour voir ce qui se cache sous la surface. J'ai souvent entendu dire: «Oh, ce gars-là est un ivrogne» ou «Il bat sa femme». Pour ceux qui souffrent de traumatismes liés au stress opérationnel, l'image qu'ils se faisaient de l'équité ou de la stabilité du monde a été tellement perturbée qu'ils sont obligés de consacrer une bonne partie de leur temps et de leurs énergies à s'ajuster aux troubles émotifs que ce stress leur a causés et qu'il continue de leur causer longtemps après leur retour à la maison.

La recherche a démontré que la possibilité de développer un syndrome de stress post-traumatique chronique dépend des facteurs présents avant et après l'événement traumatisant, ainsi que des caractéristiques de l'événement lui-même. La gravité du traumatisme est certainement un facteur important dans l'évolution du problème.

D'autres facteurs comme le soutien social et l'aptitude de l'individu à s'adapter sont également déterminants à cet égard. La recherche a démontré qu'un élément aussi simple que le soutien social peut avoir un effet protecteur durable contre la détresse psychologique et qu'il diminue les risques de développer une invalidité fonctionnelle.

En combinant ces résultats à ma propre expérience d'adaptation aux situations traumatisantes et au stress au cours d'une mission de dix mois au Rwanda, ainsi que pendant des déploiements de plus courte durée en Haïti, au Cambodge, dans le golfe Persique et dans d'autres points chauds, j'ai conçu et proposé un projet simple qui permettrait d'aider ceux qui, tout comme moi, souffrent de traumatismes liés au stress opérationnel. Les ministères de la Défense nationale et des Anciens combattants ont accepté ma proposition et appuyé mes efforts dans la réalisation de ce concept très simple.

Le projet de soutien social aux victimes de stress opérationnel, ou SSVSO, a été lancé sous l'autorité du général Couture, qui est mon supérieur, en mai 2001. Je lui avais envoyé un long courriel pour lui proposer ce concept sans même avoir été sollicité, et sans respecter les voies hiérarchiques. Je lui avais envoyé un courriel directement, et il m'a répondu. Le projet a été lancé en mai 2001 et a reçu l'aval du Conseil des Forces armées en octobre 2001. Peu après, le ministère des Anciens combattants s'est joint au projet comme partenaire; comme vous l'avez dit, je suis ici en compagnie de Mme Huard et de Mme Darte, de ce ministère.

Le président: Pouvez-nous dire qui siège au Conseil des forces armées?

Lcol Grenier: Si je ne trompe pas, le Conseil des Forces armées est présidé par le chef d'état-major de la Défense et les commandants de la marine, de l'armée et de l'aviation. Les trois composantes ont reconnu qu'il s'agit là d'une réalité à laquelle nous devons tous nous attaquer, que ce soit pour des gens qui pilotent des avions, qui naviguent ou qui conduisent des chars.

Le mandat de mon projet se divise en trois grands volets. Le premier volet consiste à créer un réseau d'entraide national pour les militaires, les anciens combattants et leurs familles. Ce volet du projet fournit un soutien social accru comme mécanisme d'intervention auprès des militaires, des anciens combattants et de leurs familles. Autrement dit, nous essayons tout simplement de rejoindre ceux qui ne viennent pas nous voir d'eux-mêmes. Nous allons évidemment continuer à aider ceux qui ont déjà réclamé une aide médicale. Mais nous nous inquiétons surtout pour les gens qui sont dans leur sous-sol, tout seuls, et qui ne veulent pas en sortir pour demander de l'aide.

La deuxième partie de mon mandat consiste à inciter les Forces canadiennes à autoriser la mise au point et le perfectionnement de cours de formation et de modules de formation préalable au déploiement. Mais je ne fais pas cela tout seul. Je travaille en collaboration avec d'autres organisations du ministère. Il est certain que le réseau de soutien par les pairs est important, mais nous devons aussi chercher à mieux comprendre la situation à l'intérieur de la communauté militaire.

Le troisième volet de mon mandat se rattache aux changements d'attitudes. Les gens qui m'entouraient en 1994 trouvaient que j'étais un vrai paquet de nerfs, et personne autour de moi ne comprenait ce qui m'était arrivé. Nous devons par conséquent changer les attitudes, grâce à l'éducation, afin de mieux comprendre, soutenir et aider nos militaires plutôt que de compter uniquement sur le réseau de soutien par les pairs.

Le réseau de soutien par les pairs est le volet de mon projet qui s'est le plus développé depuis le début. Le général Couture et moi étions parfaitement d'accord pour dire que c'est un besoin important à combler, et le programme fonctionne bien. Jusqu'ici, le réseau a permis de rejoindre plus de 400 militaires en exercice, et je vous signale que nous n'avons même pas fait de publicité. Nous n'avons pas distribué de brochures ni d'affiches. Tout cela s'est fait de bouche à oreille, en bonne partie grâce aux gens qui travaillent pour moi. Ils savent très bien battre le tambour pour atteindre les gens qui ont besoin d'aide.

Nous avons actuellement huit coordonnateurs qui s'occupent de ce réseau. Ce sont des anciens combattants qui ont subi un traumatisme et que j'ai embauchés dans le cadre du programme d'équité en emploi du ministère de la Défense pour diriger des activités de soutien par les pairs, qui peuvent aller de quelque chose d'aussi simple que de prendre un café avec un ancien combattant chez Tim Horton, pour le féliciter de suivre son traitement et pour lui donner espoir qu'il va finir par surmonter les effets secondaires de ses médicaments, à des interventions en bonne et due forme en cas de tentatives de suicide. Il y a huit sites actifs.

J'ai dit que notre réseau avait permis de rejoindre 400 personnes, mais les statistiques officielles que j'ai apportées ce matin indiquent qu'il s'agit de 432 personnes.

Mme Huard, Mme Darte et moi sommes prêts à poursuivre la discussion et à répondre à vos questions.

Le président: Comme vous le voyez, cette question nous intéresse beaucoup. Les membres les meilleurs et les plus brillants du comité sont ici pour vous écouter. Ils ont tous des questions à vous poser.

Le sénateur Day: Nous vous remercions d'être venu nous rendre une deuxième visite.

Lieutenant-colonel Grenier, quand vous nous avez expliqué ce que vous avez fait, vous avez dit que vous n'aviez pas suivi les voies hiérarchiques normales; c'était peut-être un peu symptomatique du fait que vous aviez un problème sérieux et que vous aviez le sentiment de devoir prendre les choses en main, n'est-ce pas?

Lcol Grenier: En partie. Je suis allé voir le général Couture quand j'ai produit une vidéo intitulée Témoins du mal, dans lequel apparaissent des gens qui ont servi avec moi au Rwanda. Comme le général Dallaire ne pouvait pas assister au lancement de cette vidéo, c'est le général Couture qui est venu à sa place.

Pendant environ une demi-heure, en 1998, nous avons discuté de ce qui manquait. Il m'a dit en gros de mettre tout cela par écrit. Je n'ai pas respecté les voies hiérarchiques parce que je ne faisais pas confiance aux gens. Je suis allé le voir parce qu'il m'avait dit officieusement de mettre un peu de chair là-dessus et de lui remettre quelque chose de plus substantiel. Il m'a dit qu'il aimait bien l'orientation que je proposais. Il a fait plusieurs commentaires généraux de ce genre; j'espère qu'il s'en souvient.

Comme j'avais un peu de temps libre, j'ai commencé à lire et à faire de la recherche, et je suis arrivé avec ceci. C'est quand Christian McEachern a foncé dans un bâtiment avec son VUS que j'ai décidé que les choses n'allaient pas assez vite. C'est le catalyseur qui m'a incité à mettre mes idées par écrit. Voilà comment les choses se sont passées.

Le sénateur Day: Nous sommes contents que vous l'ayez fait.

Ce que vous nous avez dit au sujet de la réaction du général Couture, qui s'est montré sympathique à votre cause, confirme ce que nous savons de lui. Il a déjà comparu devant notre comité, et nous sommes heureux que vous ayez pu vous tourner vers lui.

Pour que les choses soient un peu mieux définies, pourriez-vous m'expliquer la différence entre le traumatisme lié au stress opérationnel et le syndrome de stress post-traumatique?

Lcol Grenier: Je ne peux pas vous donner une définition exacte du syndrome de stress post-traumatique. Comme vous le savez, je ne suis pas médecin. Il faudrait poser la question à des psychiatres et à d'autres spécialistes. C'est un syndrome bien défini. Cependant, d'après ce que j'en sais comme profane, je peux vous dire que le syndrome de stress post-traumatique est un problème médical. Je pense qu'il est important que ceux d'entre nous qui ne sont pas médecins «démédicalisent» tout cela pour les soldats. Il est essentiel à mon avis de ne pas parler de «maladie». Quand je suis rentré d'Afrique, je n'étais pas malade; j'étais blessé, traumatisé.

Nous avons défini la notion de traumatisme lié au stress opérationnel. Je peux donc répondre à moitié à votre question. Officiellement, le traumatisme lié au stress opérationnel se définit comme une difficulté psychologique, quelle qu'elle soit, résultant des fonctions opérationnelles d'un membre des Forces canadiennes.

Ce terme est utilisé pour décrire une vaste gamme de problèmes qui entraînent généralement un dysfonctionnement. Il recouvre à la fois des troubles médicaux comme l'anxiété, la dépression et le syndrome de stress post-traumatique, et divers problèmes moins graves; mais il ne doit pas être employé dans un contexte médical ou juridique.

L'expression «traumatisme lié au stress opérationnel» a été créée dans le cadre de notre projet, pour donner à la chose une appellation non médicale et pour essayer de rejoindre plus de gens aux prises avec ces problèmes. Quand nous avons mis ce programme sur pied, je ne voulais pas qu'il s'adresse seulement aux gens ayant reçu un diagnostic de syndrome de stress post-traumatique parce que nous savons qu'il y aussi beaucoup d'autres problèmes.

Le sénateur Day: Pour les besoins de notre séance de comité, pouvons-nous supposer que tout membre des Forces armées, en exercice ou à la retraite, qui a reçu un diagnostic de syndrome de stress post-traumatique a souffert — et souffre encore — d'un traumatisme lié au stress opérationnel?

Lcol Grenier: Oui. C'était mon intention quand j'ai inventé ce terme.

Le sénateur Day: Vous avez actuellement huit coordonnateurs qui s'occupent du soutien par les pairs. Où se trouvent-ils?

Lcol Grenier: Il y en a un, d'ouest en est, dans chacun des endroits suivants: Victoria, Edmonton, Winnipeg, Petawawa, Valcartier, Québec, Gagetown et St. John's (Terre-Neuve). Nous avons l'intention d'ajouter cinq endroits à cette liste l'été prochain. Il est difficile de recruter les candidats parfaits pour faire ce travail, mais nous espérons ajouter des sites à Vancouver, Halifax, Borden, Montréal et dans le sud-ouest de l'Ontario.

Le sénateur Day: Quel genre de formation ces gens devraient-ils avoir reçue pour faire ce travail? Est-ce qu'ils sont formés par les Forces armées?

Lcol Grenier: Nous avons conçu un cours de formation de deux semaines qui comporte trois grands éléments. Le premier élément, et le plus facile, consiste à présenter le projet SSVSO, à décrire notre mandat et notre mode de fonctionnement, à expliquer qui je suis, ce que je fais et quels sont les rapports hiérarchiques avec moi — c'est tout l'aspect administratif de notre programme.

Le deuxième élément consiste à faire mieux connaître les services et les programmes à nos anciens combattants. Beaucoup de nouveaux services ont été mis en place depuis quelques années. Si les gens ont quitté les forces armées en 1993 ou 1994, ces services n'existaient peut-être pas à ce moment-là. Nous voulons les mettre au courant de ce qui est disponible et des moyens à prendre pour avoir accès aux services offerts à ceux qui souffrent de traumatisme. Il y a beaucoup d'information pour élargir leurs horizons sur la gamme de services et de programmes offerts.

Le troisième élément, qui relève surtout de l'hôpital Sainte-Anne et du ministère des Anciens combattants, c'est ce que nous appelons le perfectionnement des compétences. Nous ne cherchons pas à transformer les anciens combattants en professionnels de la santé mentale, mais il y a certaines choses sur lesquelles nous devons insister, par exemple les aptitudes à la communication, la capacité d'écoute, l'empathie, les limites et les moyens à prendre pour ne pas les franchir, les diagnostics à éviter et, surtout, la façon de prendre soin d'eux-mêmes. La plupart des coordonnateurs du réseau de soutien par les pairs sont eux-mêmes atteints du syndrome de stress post-traumatique, et il est extrêmement important qu'ils prennent soin d'eux-mêmes. Si je veux que ce programme se poursuive et qu'il soit un succès, je dois m'assurer que mes coordonnateurs ne travaillent pas trop. Je suis convaincu que ces gens-là font leur travail consciencieusement. Ma tâche, comme gestionnaire, c'est de modérer leurs ardeurs et de les obliger à ralentir parce que, bien souvent, ils veulent sauver le monde. Il est donc extrêmement important qu'ils veillent aussi à leur propre bien- être.

Mme Darte, qui a une formation d'infirmière, peut vous parler plus longuement de cet aspect-là.

Mme Kathy Darte, agente de projets spéciaux, Direction de la recherche et de l'information, ministère des Anciens Combattants: En ce qui concerne la formation, le cours de deux semaines est un cours de base offert aux gens qui entrent au programme. Nous dispensons aussi une formation plus poussée de six semaines à deux mois après cette formation initiale. Nous insistons alors sur les interventions en cas de crise et de suicide, par exemple.

Encore une fois, nous attachons beaucoup d'importance au fait que les gens doivent prendre soin d'eux-mêmes. C'est un aspect très important de ce projet parce que, comme l'a dit le lieutenant-colonel Grenier, tous ces gens-là ont eu un diagnostic de syndrome de stress post-traumatique ou d'autre traumatisme lié au stress opérationnel. Ils en sont rendus eux-mêmes à différents stades de guérison. Avant de les accepter, nous effectuons une sélection. Nous obtenons de l'information de leur thérapeute traitant, que ce soit un psychiatre ou un psychologue, pour savoir s'ils sont assez bien et s'ils sont en assez bonne voie de guérison pour faire ce genre de travail. Nous voulons les garder en santé pour qu'ils puissent faire ce travail important. Nous insistons beaucoup là-dessus.

En collaboration avec l'hôpital des anciens combattants à Sainte-Anne-de-Bellevue, nous avons un volet qui met l'accent très fortement sur cet aspect-là; il y a un des psychologues de l'hôpital qui s'occupe directement du programme. Toutes les deux semaines, il tient une téléconférence avec les coordonnateurs pour s'informer non pas surtout du travail qu'ils font, mais de leur santé et de leur bien-être à eux.

La porte est toujours ouverte à Sainte-Anne. La ligne téléphonique est toujours disponible. Les coordonnateurs du soutien par les pairs peuvent téléphoner n'importe quand pour obtenir n'importe quel genre d'information, qu'elle se rattache à leur travail ou à leur santé et à leur bien-être.

Le président: Le comité espère visiter l'hôpital au début d'avril.

Le sénateur Day: Les huit coordonnateurs en place actuellement sont tous d'anciens militaires qui ont été recrutés, d'après ce que vous nous avez dit, dans le cadre du programme d'équité en emploi des Forces canadiennes?

Lcol Grenier: Je les ai embauchés dans le cadre du processus d'embauche du gouvernement parce qu'ils ont une invalidité reconnue par le gouvernement.

Le sénateur Day: Sont-ils encore en uniforme?

Lcol Grenier: Non, à l'exception d'un seul, à Petawawa, Rick Noseworthy. Il est encore en service. Les Forces canadiennes lui ont permis d'investir de son temps dans le programme plutôt que de s'occuper d'autre chose. Quand il sera libéré dans un mois et demi, je vais l'embaucher pour faire le même travail. Il le fait depuis un an maintenant.

Le sénateur Day: Avez-vous l'intention d'embaucher les cinq autres selon la même méthode?

Lcol Grenier: Oui. Le programme d'équité en emploi fait des miracles, à ma connaissance. Nous faisons notre propre sélection. Il ne s'agit pas d'un concours officiel, avec examens, mais c'est un processus compétitif en ce sens que la communauté médicale participe activement à la recherche de candidats compétents. Je ne fais pas appel à des indépendants. Je ne vais pas voir, parmi les gens qui souffrent de traumatisme, quels sont ceux que je veux embaucher. Ce n'est pas moi qui décide s'ils sont en assez bonne santé pour faire ce travail. Il faut gérer les attentes. La sélection se fait d'abord au niveau médical. Ensuite, Mme Darte, Jim Jamieson — notre agent de liaison avec le MDN — et moi interviewons les candidats. Nous prenons les meilleurs. Et je les embauche par l'entremise du programme d'équité en emploi.

Le sénateur Day: Je présume que vous avez tout un bassin de candidats potentiels. On nous a dit qu'à cause de la fréquence de déploiement dans le passé, plus de 50 p. 100 des soldats qui rentrent au pays souffrent de traumatismes opérationnels à des degrés divers.

Lcol Grenier: Il y a effectivement bien des gens qui souffrent de ces traumatismes. Je ne sais pas s'il y en a 20 ou 50 p. 100. Mais vous avez raison: il y en a beaucoup. Tous ceux qui sont victimes de traumatismes liés au stress opérationnel veulent aider les autres. Mais il faut le faire de façon sécuritaire.

Il est très important de fixer des limites parce qu'on n'échange pas des histoires de guerre comme des cartes de hockey. Ce n'est vraiment pas ce que nous devons faire. Ce n'est pas sain, ni pour nous, ni pour la personne que nous cherchons à aider. Nous ne prétendons pas que le monde est rose et que le chemin de la guérison sera facile. Nous encourageons certainement les gens à regarder vers l'avenir et à ne pas s'attarder sur le passé, mais nous essayons de ne pas verser dans les échanges d'histoires de guerre parce que ce n'est pas propice à ce que nous devons faire.

Même s'il y a beaucoup de militaires qui ont subi un traumatisme et qui veulent aider les autres, il est très délicat de choisir la bonne personne, au bon stade de guérison, parce que nous passons tous par un stade de colère. Cela fait partie de la symptomatologie, d'après ce qu'on m'a dit. Au début, on avait diagnostiqué chez moi un trouble de la personnalité. Je n'arrivais pas à m'entendre avec les gens.

Le sénateur Day: Depuis combien de temps étiez-vous dans les forces armées à ce moment-là?

Lcol Grenier: J'étais capitaine à l'époque, et j'étais là depuis 14 ans. J'avais été capable de m'entendre avec tout le monde tout au long de ma carrière, et tout à coup, on me disait que je souffrais d'un trouble de la personnalité. Ce n'est pas étonnant. Maintenant que je sais ce que je sais, je me rends bien compte que je ne m'entendais pas avec les autres. Pour être bien franc, j'étais un vrai paquet de nerfs. Les gens que je côtoyais au travail devaient se demander: «Mais qu'est-ce qui lui arrive tout d'un coup? Il revient, nous lui donnons un mois de congé, et à son retour, il crie après les gens, il claque les portes et il se sauve». Voilà ce qui se passe.

Les gens que nous recherchons, ce sont ceux qui ont dépassé ce stade-là, pas parce que nous ne voulons pas avoir affaire à des gens en colère, mais parce qu'ils doivent passer par-dessus cette colère pour pouvoir aider les autres.

Mais vous avez raison, sénateur, il y a beaucoup de candidats potentiels.

Le sénateur Day: Vos réponses ont été très utiles.

Le sénateur Banks: Je vous félicite de votre promotion. Bravo! Et je vous félicite surtout d'avoir pris cette initiative. Ce n'était certainement pas très facile à faire.

Qui paie le salaire des coordonnateurs du soutien par les pairs? Est-ce qu'ils travaillent pour le MDN?

Lcol Grenier: Ils travaillent pour la Défense nationale et sont payés par le centre, la Direction du soutien aux blessés et de l'administration, qui est une initiative conjointe d'ACC et du MDN.

Le sénateur Banks: Vous relevez du ministère des Anciens combattants. Êtes-vous affectée provisoirement à ce programme, qui relève essentiellement de la Défense?

J'essaie de comprendre les liens organisationnels.

Mme Darte: C'est un programme en partenariat. Je travaille encore pour les Anciens combattants. Mon ministère apporte différentes contributions au projet, par exemple des ressources humaines, et je suis incluse là-dedans. Il verse également une contribution financière. La formation et le soutien sont assurés par l'hôpital Sainte-Anne. Les coordonnateurs du soutien par les pairs, là où c'est approprié, travaillent dans des bureaux du ministère des Anciens combattants. C'est le cas par exemple des coordonnateurs de Victoria, d'Edmonton et de Winnipeg. Il y en a six sur huit qui travaillent dans les bureaux d'ACC, et les deux autres sont sur des bases.

Encore une fois, cela nous permet de leur offrir un meilleur soutien parce que, comme vous le savez, il y a des professionnels de la santé dans les bureaux d'ACC et qu'ils peuvent soutenir les coordonnateurs.

Le sénateur Banks: Quand nous avons visité ce que je croyais être un groupe de soutien par les pairs à Edmonton, à la BFC Edmonton, c'était sur la base même. Parlons-nous d'un autre groupe?

Lcol Grenier: Probablement. Notre programme ne met pas vraiment l'accent sur le travail de groupe. Je ne suis pas le seul à parler de soutien par les pairs. C'est une chose qui se fait naturellement à l'intérieur des unités. Le soutien social est une chose naturelle dans la société; il y a donc différents types d'activités de ce genre qui se déroulent un peu partout au pays. Mais un des arguments les plus convaincants en faveur de notre programme, c'est qu'il y a des façons sécuritaires de mener ces activités et qu'il y en a de moins sécuritaires.

On ne peut pas empêcher un groupe d'anciens combattants de se réunir chez Tim Horton et d'échanger leurs histoires de guerre comme des cartes de hockey. Est-ce que c'est sain? Ce n'est probablement pas la meilleure chose à faire. Est-ce que cela se fait? Oui. C'est justement parce que cela se fait que nous avons essayé de mettre en place un programme plus structuré. Les groupes de soutien par les pairs se rencontrent sous les auspices de professionnels de la santé mentale, ce qui est la façon sécuritaire de le faire. Cela se passe sous nos auspices dans certains cas, et c'est tout à fait fortuit dans d'autres, quand un groupe de gars se réunissent pour dîner ensemble et parler de leurs expériences à bâtons rompus.

Vous avez bien pu tomber sur un groupe d'entraide formé par les participants eux-mêmes ou parrainé par un professionnel de la santé mentale. Ce n'est pas différent de ce que nous faisons, c'est le même genre de fonction, mais ce qui nous intéresse avant tout, c'est de rejoindre ces anciens combattants, de les encourager à se manifester et de les aider à prendre le chemin de la guérison.

Le sénateur Banks: Prenons l'exemple d'Edmonton. Est-ce qu'il y a des rapports de synergie entre ces groupes? Le groupe que nous avons vu, et qui avait été mis sur pied par le commandant de la base, je pense, au centre communautaire de la base, se composait d'environ cinq personnes qui s'occupaient de traumatismes liés au stress opérationnel. Ces gens-là savent sûrement qu'il existe d'autres groupes et ils coopèrent certainement avec eux.

Je trouve très intéressant que vous fassiez une distinction entre la maladie — ce qui est généralement la façon de considérer ce genre de choses — et le traumatisme, ce qui est tout à fait différent.

Ma question porte sur l'existence de ce que vous appelez les traumatismes liés au stress opérationnel. Nous entendons parler du syndrome de stress post-traumatique, le SSPT, depuis longtemps, et ce n'est certainement pas une surprise pour les militaires de notre pays ou de n'importe quel autre. J'aimerais savoir pourquoi, à votre avis, il y a encore des stigmates associés à ce diagnostic — puisque vous dites qu'il y en a encore — alors que, si quelqu'un se tape sur le pouce en plantant un clou, tout le monde reconnaît qu'il s'est blessé et cela ne laisse aucun stigmate.

Lcol Grenier: Sénateur, vous avez commencé par dire que le SSPT n'était plus une surprise. Eh bien, je peux vous dire que cela a été une surprise pour moi. Je n'ai eu aucun mal à monter dans l'avion plus la mission avançait, plus j'avais du mal à mettre mes bottes le matin. Et il m'a été très difficile de rentrer à la maison, et même de retrouver ma famille. Puis, quand je suis devenu suicidaire, il m'a été très difficile de me rendre à l'hôpital un matin, en uniforme, et de convaincre un professionnel de la santé que je devais voir quelqu'un.

Les choses ont changé pour le mieux. Mais c'est certainement une surprise pour le militaire qui revient chez lui et qui se rend compte qu'il n'y a plus rien qui va. Il est incapable de se concentrer. Il a constamment mal à la tête. Il a des maux d'estomac et il se demande s'il n'est pas en train de devenir fou. Il n'a plus aucune patience avec ses enfants.

Le sénateur Banks: Est-ce que vous avez pensé à ce moment-là qu'il pouvait s'agir d'un traumatisme lié au stress opérationnel?

Lcol Grenier: Non, je n'en avais aucune idée. Un soir, je me suis aligné sur un poteau de téléphone avec l'intention de lancer ma voiture dessus. Puis, dans un moment de lucidité, je me suis demandé ce que j'étais en train de faire là. Le lendemain matin, je me suis rendu à l'hôpital. Mais je suis resté assis dans ma voiture pendant une demi-heure à me demander si je devais y aller et ce que j'allais dire. Ce qui m'amène à l'autre partie de votre question, qui se rattache aux raisons pour lesquelles nous agissons comme cela.

Nous ne sommes pas différents des autres Canadiens. Kathy et moi sommes allés récemment à Toronto pour rencontrer les gens de la Fondation canadienne de la recherche en psychiatrie, qui vient de lancer — vous les avez sûrement vues — une série d'annonces dans le Globe and Mail et au réseau Global pour lutter contre les stigmates attachés à la maladie mentale au Canada.

Nous recrutons nos gens dans la société canadienne et nous leur demandons de faire un travail difficile dans une société très machiste. C'est un peu comparable aux joueurs de hockey professionnels. Si un joueur se disloque un genou sur la patinoire, tout le monde reconnaît cette blessure pour ce qu'elle est. Mais s'il est déprimé, s'il devient joueur compulsif ou alcoolique, les gens vont simplement le trouver bizarre ou dire qu'il est en train de devenir une vraie éponge. Personne ne sait comme s'attaquer aux problèmes de ce genre.

Nous ne sommes pas différents des autres membres de la société canadienne. Cependant, avec ce programme — et je suis heureux d'obtenir tout l'appui que je reçois —, nous avons compris que nous avions l'obligation morale de soutenir ces gens-là parce que nous allons continuer à leur faire vivre des situations traumatisantes. On ne peut pas envoyer des gens outre-mer en pensant qu'ils vont en revenir en aussi bonne santé qu'à leur départ. Bien sûr, les blessures physiques sont toujours possibles. C'est peut-être anecdotique, mais nous ramenons beaucoup de soldats blessés. Leurs blessures ne sont tout simplement pas apparentes jusqu'à ce que le mal ait beaucoup progressé.

Je ne dis pas cela pour défendre le ministère, sénateur, mais le fait est que la société canadienne en général ne comprend pas la maladie mentale. Ce sont des stigmates qui existent partout au Canada, et nous ne faisons pas exception. C'est un peu plus difficile pour nous parce que nous avons une culture un peu plus dure et un peu moins ouverte. Mais c'est le troisième aspect de mon mandat, et je vais y arriver.

Le sénateur Banks: Je ne sais pas si vous voyez déjà aussi loin, mais tant pour les maladies que pour les blessures, il y a constamment de nouveaux programmes de prévention mis en place. D'un côté, nous faisons certaines choses pour prévenir les maladies qui ne sont pas causées par des accidents. Et de l'autre, il y a des programmes de prévention des blessures qui s'adressent expressément, par exemple, aux travailleurs agricoles, aux pompiers ou aux travailleurs de l'acier. Puisque vous assimilez ces traumatismes à des blessures, pensez-vous qu'il y aurait moyen, pendant l'entraînement, de prendre des mesures quelconques pour prévenir ce genre de blessures, un peu comme quand on dit aux gens qu'ils doivent porter des lunettes de sécurité lorsqu'ils font fonctionner un broyeur? C'est un peu simpliste et exagéré, mais est-ce que ce serait possible éventuellement?

Lcol Grenier: Pour ce qui est de la prévention, je dirais que non, ce n'est pas possible, de la même façon qu'il est impossible d'empêcher qu'un soldat se fasse tirer dessus, qu'il saute sur une mine ou qu'il soit victime d'un tireur isolé, ou encore que son véhicule capote sur le terrain et qu'il soit blessé. Si je peux me permettre une analogie très simple, quand j'étais en Afrique, je me rappelle avoir remarqué des changements sur le terrain et m'être demandé ce qui m'arrivait. L'important, ce sont les facultés d'adaptation. C'est mon impression personnelle.

Le sénateur Banks: Ou le dépistage précoce?

Lcol Grenier: Le dépistage précoce, la reconnaissance du problème et les facultés d'adaptation. Nous enseignons aux soldats à faire face à des dangers de toutes sortes. Nous leur donnons des compétences pour le faire. Prenons le froid, par exemple. Quand nous nous déployons dans l'Arctique, nous suivons un entraînement à la guerre en hiver et nous apprenons qu'il y a des choses simples que nous pouvons faire pour prévenir les engelures chez nos camarades. Nous apprenons à surveiller l'apparition de taches blanches. Nous nous arrêtons toutes les 20 ou 30 minutes — je ne sais pas ce qui se fait maintenant —, nous enlevons nos bottes et nous nous assurons que nous n'avons pas de taches blanches. Nous remuons les orteils et tout le reste, nous faisons une pause et nous nous regardons les uns les autres. Les taches de ce genre sont un peu plus faciles à détecter parce qu'elles sont visibles.

Si nous nous entraînons à regarder les gens dans les yeux après un épisode traumatisant, après une longue marche, après trois jours entiers de travail pénible ou de patrouilles épuisantes, et si nous apprenons à détecter les signes avant- coureurs, nous pourrons mettre en place les mécanismes nécessaires pour intervenir très tôt, sur le terrain même, sans nier le malaise que ressent le ou la militaire.

Une grenade a été lancée hier dans le PO de la section. Il y a eu des éclats partout. Il n'y a pas eu d'effusion de sang, mais qu'est-ce que cela change? Que faut-il faire après? Que faut-il surveiller?

C'est ce qui compte. Je ne pense pas qu'on puisse prévenir ce genre de chose, mais il est important qu'il y ait une intervention rapide, pas par du personnel médical, mais par les supérieurs hiérarchiques eux-mêmes: le caporal-chef, l'adjudant, le lieutenant, le capitaine. Si nous pouvons travailler dans un environnement, dans une culture qui dit que ce n'est pas une tare d'être incapable de dormir ou de ne pas arriver à mettre ses bottes aussi vite que la veille, les gens vont comprendre.

Je me rappelle un caporal qui m'a servi de chauffeur pendant quelque temps en Afrique. À un moment donné, il était tout seul dans son véhicule, ce qui n'est pas réglementaire. Il s'est retrouvé par erreur au beau milieu du convoi du président de l'armée patriotique du Rwanda. Il ne s'en était pas rendu compte parce que ce n'était qu'un ramassis de vieux camions. On l'a obligé à s'arrêter, on l'a battu et on a menacé de l'abattre.

Le sénateur Banks: Je m'en souviens.

Lcol Grenier: Quand il est rentré, le caporal est venu nous voir, mon adjudant et moi, parce que nous vivions ensemble au stade. Il était dans tous ses états, pas à cause de ce qui lui était arrivé, mais parce que tout le monde riait de lui. Tout le monde disait: «Tu aurais dû sortir ta foutue arme; tu aurais dû tirer sur ces gars-là; tu n'aurais pas dû faire ce que tu as fait». J'avais eu l'impression, à ce moment-là, que ces commentaires lui avaient fait plus mal que l'incident lui-même. Il a survécu à l'incident, mais la culture dans laquelle il est retourné a contribué à ses difficultés. Il ne pouvait pas communiquer avec des gens qui le comprenaient. Je ne le comprenais pas moi-même à l'époque. Même si on ne noue jamais de véritables liens d'amitié entre officiers, nous l'avons écouté et nous lui avons dit: «Ça va aller». Nous avons fait ce que nous avons pu, mais officiellement, nous ne savions pas quoi dire à ce caporal. Je ne le savais pas. Peut-être que j'aurais dû le savoir. Peut-être que j'aurais dû apprendre, dans le cadre de ma formation en leadership, quoi faire et quoi dire, et tous les autres autour de lui, parce qu'il ne comprenait pas ce qui lui arrivait.

Voilà ma réponse à votre question. C'est dans ce sens-là que j'aimerais réaliser le deuxième volet de mon mandat, qui consiste à encourager les efforts de sensibilisation et de formation; je veux analyser la situation du point de vue d'un ancien combattant et me demander quelles leçons je peux tirer de mon expérience, et quelles sont les facultés d'adaptation qui auraient pu m'aider à mieux réagir quand j'étais là-bas.

Ces gens-là sont traumatisés, mais ils ne sont pas fous. Ils peuvent encore apporter une contribution. C'est eux qui me fournissent de l'information pour l'avenir.

Le sénateur Cordy: Comme l'ont déclaré mes collègues, je pense que l'on vous doit beaucoup d'avoir pris le taureau par les cornes et d'avoir fait tout le travail que vous avez accompli. Lorsque vous avez commencé, j'ai l'impression que ce n'était pas politiquement correct, c'est-à-dire que tous les gens ne vous suivaient pas facilement.

Vous avez parlé d'aider les gens à se soigner et à participer à des groupes d'entraide. Vous avez parlé du processus. Vous avez dit qu'il y avait des façons sûres et moins sûres de s'y prendre. Qui détermine le processus? Est-ce que vous rencontrez les membres de l'équipe d'entraide pour définir le processus ou est-ce que c'est le personnel médical qui s'en charge? Comment vous y prenez-vous pour définir le processus afin de venir en aide le mieux possible aux personnes qui en ont besoin?

Lcol Grenier: Un psychiatre du ministère des Anciens combattants a beaucoup apporté au programme. C'est une autre contribution qu'Anciens combattants Canada a faite au cours de l'année. Le psychiatre travaille au sein d'ACC et traite les militaires en activité. D'autre part, les infirmiers et infirmières de santé mentale ont également leur mot à dire. Nous bénéficions de l'aide de psychologues de l'Hôpital Sainte-Anne. Mme Darte n'a pas une formation en santé mentale, mais elle me complète très bien. Personnellement, j'aborde cette question de manière pragmatique et axée sur un but, tandis que Mme Darte s'appuie sur une perspective de soins de santé et conseille de consulter telle ou telle personne. Par l'intermédiaire de Mme Darte et d'Anciens combattants Canada nous avons été en mesure de faire appel aux professionnels de la santé mentale compétents afin de pouvoir nous développer et travailler en toute sécurité.

Le sénateur Cordy: Je siège dans un autre comité qui étudie la santé et la maladie mentale. Vous avez dit que le personnel militaire provient des couches moyennes de la société et vous avez évoqué le stigmate de la maladie mentale qui continue d'être une préoccupation dans notre société. Je sais que l'armée tente de sensibiliser tous les officiers depuis les rangs les plus élevés, afin de leur faire comprendre que certains membres de leur personnel ont besoin d'aide et de les inviter à être attentifs aux indices qui révèlent que quelqu'un a besoin d'aide.

Une partie de votre mandat consiste à développer une méthode visant à entraîner un changement culturel au sein de l'armée. Comment vous y prenez-vous? Comme vous l'avez dit un peu plus tôt, cet état d'esprit ne se limite pas à l'armée, mais il existe également dans la société en général, bien que la situation s'améliore.

Lcol Grenier: J'ai établi un plan que nous examinerons au mois d'avril pour voir s'il est réalisable. De fait, le 9 avril, je dois présenter notre premier groupe de travail sur le changement d'attitude; c'est le titre que nous avons choisi. Je vais réunir un large éventail de personnes qui connaissent bien le projet SSVSO tel qu'il se présente actuellement, mais il y aura surtout des anciens combattants. En bout de ligne, les mécanismes que nous mettons en place pour expliquer à la chaîne de commandement et aux militaires en uniforme les réalités de cette menace, constituent un processus délicat.

Nous ne pouvons pas nous contenter de faire des grands discours. Nous devons présenter la situation de manière à ce que les soldats comprennent sans avoir à se poser des questions. Tout cela doit se faire de manière crédible. Je n'ai pas l'intention de faire appel à des bureaucrates ou au personnel médical pour éliminer le stigmate, mais plutôt à des anciens combattants — des gens qui ont eux-mêmes été touchés par le problème. Cela s'est produit dans beaucoup d'autres situations. Il faudrait essentiellement choisir des gens qui bénéficient sans conteste de la crédibilité et du respect des personnes à qui ils s'adressent.

Malheureusement, les militaires vivent dans un monde artificiel. Nous portons nos échelles de salaire sur nos manches, nos diplômes sur le front et notre expérience sur la poitrine. Par conséquent, je crois que les personnes qui seront amenées à fournir cette information doivent jouir d'une crédibilité incontestable auprès des gens à qui elles s'adresseront. Nous voulons essentiellement changer les mentalités afin que les militaires victimes de stress opérationnel ne soient pas considérés comme des mauviettes ou comme des gens qui cherchent une excuse pour ne pas se présenter au travail.

Certaines personnes qui m'ont demandé de l'aide sont loin d'être des mauviettes. Ce sont des combattants qualifiés et des anciens parachutistes; ils portent sur leur poitrine huit ou neuf médailles et pas seulement trois comme moi. Ils ont l'expérience et toute la crédibilité et les cours nécessaires dans leur CV pour montrer qu'ils ne sont pas des mauviettes. Pour moi, c'est peut-être une solution commode, mais c'est la clé. Ce n'est pas qu'un médecin ne serait pas crédible, mais il utilise parfois des mots qui ne veulent pas dire grand-chose pour moi. Si nous voulons vraiment atteindre les gens, nous devons utiliser les mots et le type de langage qu'ils comprennent vraiment.

Nous sommes en train d'élaborer ces messages. C'est très bien de parler de son expérience personnelle, mais il faut savoir que dire et comment le dire, selon la tribune et le contexte, pour que la communication soit vraiment efficace. Ensuite, il faut évaluer tout cela. Je ne sais pas exactement, mais on pourrait peut-être effectuer un sondage avant et après, même si les gens sont pas mal lassés des sondages. Nous voulons aussi mettre en place un mécanisme permettant de mesurer le succès des efforts déployés.

Le sénateur Cordy: Grâce à la participation des anciens combattants, il sera plus facile pour les soldats de comprendre qu'ils peuvent eux aussi être victimes si c'est déjà arrivé à certains des leurs.

Lcol Grenier: C'est tout à fait vrai. Personne n'est à l'abri.

Le sénateur Cordy: Est-ce que la campagne de sensibilisation avant le déploiement des militaires s'adresserait également aux membres de leurs familles? Un peu comme dans les mesures de prévention que proposait le sénateur Banks. Vous avez dit que le plus difficile n'était pas de partir, mais de revenir chez soi. Est-ce que vous encouragez la participation des familles des militaires afin qu'elles soient conscientes de ce qui peut arriver? Est-ce que cela pourrait faciliter le retour des militaires chez eux?

Lcol Grenier: Lorsque j'ai parlé du réseau d'entraide un peu plus tôt, j'ai mentionné les huit coordonnateurs de l'entraide. Il y a deux semaines, nous avons invité quelques épouses de militaires traumatisés pour une rencontre de deux jours. Quatre conjointes, y compris la mienne, y ont participé.

J'aimerais mettre en place un programme d'entraide pour les conjointes, tout simplement parce que ce n'est pas facile pour elles; c'est ce que nous voulons faire. Une partie du programme consisterait à expliquer aux conjointes ce qui se passe en cas de déploiement des militaires et à quoi on peut s'attendre. Nous n'y sommes pas encore, mais c'est un projet qui, nous l'espérons, deviendra réalité.

En effet, il y a deux importantes raisons de mettre en place un tel programme: les familles le méritent et il sera utile à notre personnel. C'est une partie du soutien social dont nos militaires ont besoin lorsqu'ils retournent dans leurs foyers.

Ce ne serait pas utile uniquement pour les militaires. En effet, les épouses ont vraiment besoin de s'associer à d'autres personnes et de comprendre et de normaliser ce qui se passe. Ce serait aussi utile pour les militaires. Lorsqu'ils rentreront chez eux le soir, ils trouveront un environnement plein de compréhension et ça, ça vaut de l'or.

Voilà quels sont nos projets, mais il y a tant à faire et si peu de temps. Nous n'y sommes pas encore.

Le sénateur Cordy: Votre plan me paraît si logique qu'il ne peut que fonctionner. Il me semble que vous allez dans la bonne direction.

Le sénateur Atkins: Nous connaissons le trouble d'hyperactivité avec déficit de l'attention, le THADA, qui est dû à un déséquilibre chimique et qui se soigne par médicament. Je crois comprendre qu'il n'existe pas de médicament pour ce type de traitement, mais qu'il y a d'autres moyens.

Lcol Grenier: Non, sénateur, permettez-moi de vous détromper, le traitement fait appel à des médicaments. Nous autres membres du programme d'entraide, nous ne préconisons pas certains médicaments qui ont donné de bons résultats chez nous, puisqu'il existe une énorme quantité de médicaments, de traitements et de protocoles. Nous laissons aux professionnels de la santé mentale les décisions concernant le traitement et la médication à prescrire.

Nous avons tous nos préjugés sur ce qui a fonctionné et n'a pas fonctionné pour nous. Cependant, il y a des limites. Certains médicaments n'ont pas eu de bons effets sur moi. Pendant un certain temps, je me sentais comme un zombie. Je prenais des pilules à huit heures du soir et je me réveillais à trois heures de l'après-midi le lendemain. J'avais du mal à trouver mon chemin pour aller au travail et rentrer à la maison. Ce médicament ne m'a pas fait beaucoup de bien, mais d'autres m'ont beaucoup aidé.

Parfois, nous nous mordons les lèvres quand certains de nos collègues nous disent que le médecin leur a prescrit tel ou tel médicament. Si ce médicament n'a pas été très utile pour nous, nous savons qu'il l'a été pour d'autres. Nous n'en parlons tout simplement pas parce que c'est une question délicate pour nous. Nous faisons confiance aux médecins. En fait, nous agissons même en sens contraire, comme dit souvent Kathy, pour encourager l'observation du traitement. Même si un médicament n'a pas fait de miracles pour moi, nous devons lui donner une chance lorsqu'un médecin le prescrit, car il pourrait donner de bons résultats chez quelqu'un d'autre. Les symptômes pourront peut-être disparaître au bout de deux semaines. Il faut faire confiance au médecin et donner une chance au médicament.

Je dois dire honnêtement qu'on a parfois envie de jeter toutes ces pilules. Au risque de déplaire aux contribuables, j'avoue que j'ai déjà jeté des médicaments très coûteux. J'en suis désolé, mais c'est la réalité. Pourtant, cela ne m'a pas aidé.

Nous n'intervenons pas dans les décisions concernant la médication. Nous restons totalement en dehors parce que ce sont en fait des décisions médicales.

Le sénateur Atkins: Est-ce que certains médicaments sont utiles?

Lcol Grenier: Tout à fait. Actuellement, je prends des médicaments — de temps à autre, selon la façon dont je me sens. Oui, les médicaments font partie du traitement, mais est-ce la solution pour tout le monde? Ce n'est probablement pas la panacée, mais les médicaments donnent de bons résultats dans de nombreux cas.

Le sénateur Atkins: Les personnes que vous traitez portent-elles toujours l'uniforme ou ont-elles pour la plupart quitté l'armée?

Lcol Grenier: Nous avons une base de données qui tient compte de toutes nos interventions. Sur 400 personnes, monsieur le sénateur, nos statistiques révèlent que la proportion est de 50 p. 100. Parmi les personnes qui nous consultent, environ 50 p. 100 portent toujours l'uniforme et 50 p. 100 ont quitté l'armée et sont d'anciens combattants. Permettez-moi de préciser, aux fins du compte rendu, que certains membres de la GRC nous ont consultés.

Le sénateur Atkins: J'avais l'intention de vous poser la question.

Lcol Grenier: Nous avons des membres de la GRC, des anciens combattants de la Deuxième Guerre mondiale, de la guerre de Corée et de la guerre du Vietnam.

Le sénateur Atkins: Est-ce que vous traitez même des personnes qui ne sont pas allées sur le théâtre des opérations?

Lcol Grenier: Permettez-moi de préciser avant tout que nous ne traitons pas les gens. Je tiens à donner cette précision, parce que je sais que certains médecins pourraient s'étonner que Grenier se mette à traiter les gens.

Nous ne nous servons pas d'une liste de questions pour repérer les gens à qui nous voulons venir en aide. Si une personne nous appelle, nous estimons qu'elle a besoin d'aide. Par conséquent, nous ne faisons pas de vérification pour savoir où il faut chercher l'origine du problème et s'il a vraiment existé.

On peut être victime de stress opérationnel sans avoir nécessairement participé à des opérations de maintien de la paix. Imaginons par exemple le cas d'une personne qui tombe d'un bateau. Je ne sais pas quelle impression cela peut faire, mais je pense que cela ne doit pas être drôle de se sentir tout seul perdu en pleine tempête dans l'océan Atlantique, sans savoir si vos collègues à bord du bateau se sont rendu compte que vous étiez tombé à l'eau.

Voilà un exemple possible de stress opérationnel. Pourtant, ce n'est pas une situation de combat. Un pilote qui doit actionner son siège éjectable doit probablement penser qu'il va mourir. Je ne pense pas que ce soit non plus une expérience des plus agréables. Voilà le genre de situations qu'ont vécues les personnes à qui nous essayons d'apporter de l'aide.

Le sénateur Atkins: Et l'entraînement de base?

Lcol Grenier: Exactement. Les opérations militaires commencent dès le premier jour à la caserne. Le soldat est déjà en action. Nous avons le cas par exemple d'un militaire qui avait été chargé de lever et de baisser les cibles dans un champ de tir. À cause d'un quiproquo, il a été pris dans les tirs et les balles sifflaient partout autour de lui. C'est le genre de choses qui peut arriver à un soldat et qui, dans son cas, a entraîné des blessures.

Par conséquent, peu importe la façon dont les blessures se sont produites. Une fois que vous êtes blessé, votre perspective change totalement.

Nous préférons appliquer une méthode conservatrice et accepter tout le monde, plutôt que de faire un tri et une sélection. Nous acceptons pratiquement tous ceux qui s'adressent à nous.

Le sénateur Atkins: Vous pensez que ce problème peut toucher également les pompiers, les membres de la police, de la GRC ou autres.

Lcol Grenier: Tout à fait.

Le président: Même un sénateur.

Lcol Grenier: Je vais vous donner mon numéro de téléphone, sénateur.

Le sénateur Atkins: Je pense que le président insinue que j'ai besoin de vos services.

Le sénateur Forrestall: Je tiens à vous féliciter. J'aimerais vous poser une question technique.

Vous avez omis Halifax. Est-ce qu'on les envoie consulter un médecin de la région? Le service existe même si votre groupe ne s'est pas encore installé dans cette région.

Prenez courage. Ce que vous avez entrepris est faisable. J'attire votre attention sur le travail effectué, malgré les difficultés rencontrées au début, par les personnes qui se sont rendu compte que certains enfants apprenaient différemment. C'est un problème énorme qui ne relève pas vraiment du domaine médical mais qui n'en est pas totalement étranger non plus. C'est un peu semblable au domaine dans lequel vous travaillez.

Ces personnes sont parvenues à convaincre beaucoup de monde qu'il y avait une différence. Ces personnes étaient des précurseurs et, à ma connaissance, elles sont demeurées très discrètes. Sans tambour ni trompette, des milliers d'enseignants et enseignantes savent maintenant comment reconnaître un enfant qui n'entend pas bien ou qui ne lit pas de la même manière que ses camarades. Des centaines de milliers d'enfants ont bénéficié d'une aide non professionnelle mais dévouée.

Les chefs scouts, les enseignants et les personnes qui encadrent les jeunes peuvent reconnaître certains symptômes parce qu'ils ont reçu la formation nécessaire. Trois semaines de formation donnent d'excellents résultats.

Votre travail ne consiste pas nécessairement à former quelqu'un, mais à attirer son attention sur l'interprétation que l'on peut donner à une attitude légèrement différente.

Soyez encouragé par ce que vous faites. Vous obtiendrez les réponses et les solutions à vos problèmes.

D'après vos commentaires et d'après ce que j'ai entendu, je constate une énorme différence dans le cas du soldat qui revient de mission, qui a un entretien avec le médecin et qui retourne à son travail à l'entrepôt. Ce pourrait être un réserviste. Je suis certain que vous n'avez pas oublié les réservistes, mais sont-ils au premier plan dans votre projet?

Lcol Grenier: Nous ne ciblons personne en particulier. Lorsque j'ai proposé ce plan, je n'ai pas dit que nous allions pour commencer nous intéresser à la Force régulière puis à la réserve. À vrai dire, j'ai regardé la carte du Canada et je me suis demandé où je pourrais utiliser ces coordonnateurs d'équipes d'entraide. Je savais que nous avions des unités de réserve dans le nord de la Saskatchewan auxquelles nous faisions souvent appel pour augmenter nos unités de la Force régulière, mais je savais aussi que nous avons des grappes importantes de membres de la Force régulière.

Par exemple, ma décision de positionner des coordonnateurs d'équipe d'entraide à Edmonton plutôt que dans le nord de la Saskatchewan ne signifie pas que j'accorde moins d'importance aux réservistes. Mon but était tout simplement de placer le coordonnateur de l'équipe d'entraide dans un environnement où il ou elle aurait beaucoup à faire et aurait la possibilité de se déplacer et de rayonner dans les diverses collectivités rurales.

Tous ces gens sont difficiles à atteindre. Nous faisons de notre mieux.

J'ai parlé un peu plus tôt au sénateur Banks. Je lui ai dit que, dans certains cas, nos coordonnateurs d'équipes d'entraide s'intéressent délibérément et systématiquement aux unités. Ils présentent des exposés et répandent la nouvelle à leur manière et laissent les gens prendre la décision de les appeler.

C'est difficile de prendre contact avec quelqu'un qui reste enfermé dans son sous-sol et qui ne veut parler à personne. Nous pouvons tout simplement tendre la main et attendre que celui qui en a besoin la saisisse. Cette démarche est en cours, au moment où nous nous parlons.

Dans la présentation de votre question, vous avez parlé de «reconnaissance». Je m'en voudrais de ne pas saisir l'occasion de parler avec vous de reconnaissance.

La piètre reconnaissance que les militaires obtiennent pour leurs services outre-mer est un aspect du manque de soutien social qui attend les soldats à leur retour. Les troupes de retour d'Afghanistan ont bénéficié d'un meilleur soutien social — peut-être à cause de l'accident de tir dont les troupes canadiennes ont été victimes et de la couverture médiatique que cela a suscitée — et tous les soldats qui reviennent d'outre-mer devraient recevoir le même accueil. Malheureusement, ce n'est pas le cas.

Ce n'est pas que le MDN ne veuille pas offrir ce soutien social. C'est tout simplement parce que le public ne comprend pas ce que font nos soldats outre-mer.

Sans vouloir critiquer la politique canadienne ou l'image qui figure sur nos billets de dix dollars, j'aimerais quand même signaler que finalement notre travail de maintien de la paix ne correspond pas tellement à l'image qu'on a sous les yeux lorsqu'on sort un billet de dix dollars. Ce n'est pas l'image que la plupart des anciens combattants blessés ont en tête lorsqu'ils ont des troubles du sommeil. C'est une image plutôt enjolivée de ce que nous faisons.

Pensez-vous que nous nous contentons de distribuer des bonbons? Bien sûr, j'ai donné des bonbons à des petits enfants, mais la seule reconnaissance qui attend les réservistes à leur retour dans le nord de la Saskatchewan lorsqu'ils réintègrent leur unité, c'est quelques mots de bienvenue et un mois de vacances avant de retourner à leur ancien travail. Bien sûr, cela fait partie de la reconnaissance, mais c'est à peu près tout. Et, dans la rue, il n'y a rien qui les distingue des autres. C'est cela qui est difficile.

Je sais qu'il n'existe pas de solution magique, mais je m'en serais voulu de ne pas profiter de mon témoignage aujourd'hui devant des sénateurs pour leur faire remarquer combien les Canadiens en général ne comprennent pas et ne reconnaissent pas ce que font ces militaires. Je vous prie de m'excuser d'avoir fait cette digression, mais maintenant c'est fait.

Le sénateur Banks: Vous ne faites pas allusion uniquement au soutien de la collectivité même, de la famille ou des autres membres de l'unité. Vous parlez je crois du soutien public.

Lcol Grenier: Oui, tout à fait. Je pense qu'aucun soldat ne pourrait me contredire si j'affirme qu'il ne se sent pas soutenu par la population canadienne en général lorsqu'il se rend par exemple au centre commercial en tenue de combat pour acheter du lait ou d'autres bricoles en se rendant à la maison. C'est difficile à définir, mais je crois que les militaires qui sont intervenus en Afghanistan avaient une mission spéciale. Tout le monde était excité. La cause était claire. Quand ils sont revenus, ils ont tous été considérés comme des héros. C'est très bien, mais beaucoup de soldats ont pensé à ce moment-là: «Quand je suis revenu, j'ai pris un taxi pour rentrer à la maison et une fois la porte franchie, j'ai perdu connaissance». Qu'est-ce qui attend les soldats qui rentreront de Sierra Leone et de Bosnie? Pas grand-chose. Ce n'est pas que les militaires veuillent être constamment traités comme des héros, mais c'est difficile pour un soldat qui rentre au pays de se remettre dans la peau d'un citoyen canadien après tout ce qu'il a vécu.

Je m'en serais voulu de ne pas profiter de mon passage au Sénat pour vous parler de cela.

Le sénateur Forrestall: Je m'en voudrais de ne pas vous demander de vous souvenir des anciens combattants qui sont réservistes et de vous parler d'un autre point qui a été soulevé aujourd'hui. Un ancien combattant est une personne qui a servi dans les Forces canadiennes, mais il n'est pas vraiment considéré comme un ancien combattant et il sait qu'il ne l'est pas, car il ne bénéficie pas nécessairement des avantages qui sont dévolus aux anciens combattants. Si on vous tire dessus, vous êtes un ancien combattant. C'est aussi simple que cela. Pourquoi ne bénéficient-ils pas de tous les avantages auxquels ont droit les anciens combattants?

Le président: Il est temps de penser à conclure. Toutefois, avant de terminer, j'aimerais me prévaloir de la prérogative du président pour poser une ou deux questions.

Pouvez-vous me dire si vous êtes en contact avec les forces armées d'autres pays pour examiner comment elles procèdent? Avez-vous des échanges d'informations avec d'autres armées?

Lcol Grenier: Oui. J'ai toujours entretenu des relations étroites avec les forces armées australiennes par l'intermédiaire du corps des blindés, unité dans laquelle j'ai moi-même servi autrefois, non pas en raison de notre proximité, mais étant donné que nous sommes de taille comparable et que nous faisons face également à des défis similaires. Nous avons engagé un dialogue informel à mon niveau.

J'ai également communiqué avec nos voisins du Sud qui ont mis sur pied des programmes tels que The Bullet-Proof Mind, dont l'objectif vise à rendre l'esprit invulnérable.

J'ai eu quelques contacts avec eux. Certaines de mes recherches m'ont amené en Israël où l'armée applique des processus pragmatiques dans sa chaîne de commandement à ce chapitre. Je ne sais pas dans quelle mesure cela donne de bons résultats, mais le programme paraît très pertinent et dans la même veine que les techniques d'acquisition d'habiletés d'adaptation.

Dans l'état actuel des choses, il est possible que nous ayons des détails intéressants à apprendre à nos alliés. Nous sommes à l'origine de ce dialogue.

Le président: Je ne veux pas savoir ce que vous feriez dans un monde idéal, mais puis-je vous demander quelle est la ressource principale qui vous manque? C'est peut-être de l'argent, des spécialistes ou autre chose. J'aimerais que vous puissiez nous dire s'il y a une ou plusieurs choses en particulier qui vous seraient utiles en ce moment.

Lcol Grenier: Dans un monde parfait...

Le président: On pourrait penser à 10 millions de dollars, mais il ne faut pas rêver. Que souhaiteriez-vous «dans un monde réel».

Lcol Grenier: Ce serait intéressant d'avoir plus de souplesse pour mener le programme plus loin et plus rapidement.

Le président: Cette décision appartient au MDN.

Lcol Grenier: Au MDN et au ministère des Anciens combattants. Ce n'est pas que l'on veuille délibérément nous ralentir, mais il est clair que les administrations sont lentes. Je comprends cela, mais c'est difficile.

Le président: Vous avez le droit de ne pas aimer un tel état de choses.

Lcol Grenier: Puisque vous me le demandez, j'aimerais avoir plus d'argent, une plus grande capacité de décision, la possibilité d'agir plus rapidement sur certains fronts et disposer d'un plus grand personnel de soutien pour lancer le programme — on dépense beaucoup de dollars dans toutes sortes de programmes et c'est très bien. Mais j'aimerais avoir ma part du gâteau. Puisque vous me posez la question, sénateur, je réponds. Nous avons fait beaucoup de chemin et je dois dire que, dans le contexte de cette réponse, nous disposons d'un bon financement et d'un appui pour notre programme.

Le sénateur Day: Une précision. Vous avez dit espérer que le programme soit étendu aux familles. J'ai eu l'impression que l'unité d'aide à la famille à laquelle nous avons tout récemment rendu visite à Edmonton offrait déjà des services qui, d'après vous, ne sont pas disponibles. Est-ce que cela tient au manque de crédits? Est-ce que vous n'avez pas assez d'argent, mais que vous souhaitez étendre le programme?

Lcol Grenier: Je ne veux pas à tout prix lancer des actions pour le simple plaisir d'entreprendre quelque chose. Mais il y a un cheminement particulier à respecter si nous voulons que les mécanismes mis en place pour les conjoints produisent des résultats positifs. C'est pourquoi les centres de ressources pour les familles des militaires offrent une gamme de services indispensables pour qu'une famille puisse s'adapter à l'absence de celui qui, dans certains cas, assure sa subsistance.

C'est un sujet délicat que celui du retour d'un conjoint militaire victime de stress opérationnel. Nous allons plus loin et nous ne disons pas que les mesures appliquées actuellement sont mauvaises ou mal adaptées, mais nous disons que nous pouvons mettre en œuvre d'autres moyens et améliorer notre capacité à communiquer avec les conjoints. À mon avis, c'est cette capacité de communication qui manquait à l'égard des militaires ou des anciens combattants. On a beau mettre en place toutes sortes de groupes, à quoi cela sert-il si l'on ne peut pas communiquer avec l'épouse qui souffre vraiment, parce qu'il est difficile d'entrer en contact avec cette personne? Notre solution n'est pas une panacée, mais elle complète les programmes existants. J'aimerais également étendre ce programme aux conjoints. Il ne serait peut-être pas aussi vaste, mais nous envisageons de prendre les mesures nécessaires pour le mettre en place. Dans un monde parfait, les conjoints auraient dès maintenant accès au réseau.

Est-ce que j'ai répondu à votre question?

Le sénateur Day: Tout à fait. Est-ce que cela vous serait utile que le comité décide d'inciter le gouvernement fédéral et le ministère de la Défense nationale à continuer à appuyer financièrement et encourager le programme que vous mettez sur pied?

Lcol Grenier: Il est important de noter qu'à notre connaissance ce programme n'existe nulle part ailleurs. Il existe partout des programmes de soutien par les pairs; il y en a un chez Labatt, un autre au CNCP; les services de police de Toronto et les services de police et les pompiers de New York en ont tous. C'est un programme spécial qui relève normalement des programmes d'aide au personnel et qui bénéficie d'un numéro 1-800. Nous avons prévu une fondation de soutien par les pairs ou de soutien social lorsque toutes les autres solutions ont échoué. Que faire lorsque votre conjoint vous quitte, lorsque votre patron ne vous comprend pas et veut vous licencier, que vos amis vous abandonnent et que vos frères ne veulent plus vous parler? Eh bien, vous pouvez vous adresser à nous.

Le gouvernement canadien dispose ainsi d'un programme d'avant-garde. Il appuie un programme qui, à mon avis, n'existe nulle part ailleurs dans le monde. Nulle part ailleurs, un gouvernement offre ce type de soutien dans le cadre d'un programme officiel. Notre programme est d'autant plus merveilleux qu'il est unique au monde. Enfin, il existe peut-être un programme similaire quelque part ailleurs, mais à ma connaissance, nous sommes les seuls.

Le président: Merci. Je pense qu'on peut dire que nous vous admirons et que nous applaudissons vos efforts. Nous vous félicitons pour le succès que vous avez obtenu.

Nous sommes tous membres du Comité de la sécurité nationale et de la défense. Lorsque nous visitons des établissements militaires dans les diverses régions du pays, nous ne manquons jamais de souligner — évidemment à de nombreuses reprises — combien nous sommes fiers du travail accompli par les Forces canadiennes. Nous pensons qu'elles n'ont rien à envier aux autres.

Nous espérons que cette reconnaissance se généralisera. Il est regrettable que l'armée ait dû attendre son intervention en Afghanistan pour obtenir cette reconnaissance. Ce serait bien de vous voir plus souvent parmi nous en uniforme plutôt que de rester dans les endroits isolés où on ne vous voit pas et où on vous oublie. Mais, là aussi, il y a de l'amélioration.

Nous allons publier un rapport, sans doute vers la fin du mois de juin. Entre-temps, n'hésitez pas à communiquer avec notre greffier si quelque chose vous vient à l'esprit ou si vous voulez nous signaler d'autres progrès. Nous espérons avoir en main d'ici la fin du mois de juin un rapport que nous remettrons au gouvernement et que nous diffuserons dans le public. Dans ce rapport, nous présenterons nos réflexions et nos points de vue sur le programme que vous avez mis en place et que vous mettez en œuvre avec distinction.

La séance est levée.


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