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VETE

Sous-comité des anciens combattants


Délibérations du Sous-comité des Anciens combattants

Fascicule 7 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 28 mai 2003

Le Sous-comité des anciens combattants du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit en ce jour à 12 h 08 pour étudier les soins de santé offerts aux anciens combattants qui ont servi au cours de guerres ou dans le cadre d'opérations de maintien de la paix; les suites données aux recommandations faites dans ses rapports précédents sur ces questions; et les conditions afférentes aux services, prestations et soins de santé offerts, après leur libération, aux membres de l'armée permanente ou de la réserve, ainsi qu'aux membres de la GRC et aux civils ayant servi auprès de casques bleus en uniforme dans des fonctions d'appui rapproché; et toutes les autres questions connexes.

Le sénateur Michael A. Meighen (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Déclarons ouverte la réunion du Sous-comité des anciens combattants qui nous permettra d'étudier les soins de santé offerts aux anciens combattants qui ont servi au cours de guerres ou dans le cadre d'opérations de maintien de la paix; les suites données aux recommandations faites dans ses rapports précédents sur ces questions; et les conditions afférentes aux services, prestations et soins de santé offerts, après leur libération, aux membres de l'armée permanente ou de la réserve, ainsi qu'aux membres de la GRC et aux civils ayant servi auprès de casques bleus en uniforme dans des fonctions d'appui rapproché, et à faire un rapport sur ces questions; et toutes les autres questions connexes.

Je m'appelle Michael Meighen. Je suis sénateur et je suis originaire de l'Ontario. J'ai l'honneur de présider aux travaux de notre sous-comité.

Je suis accompagné aujourd'hui — d'autres sénateurs devraient se joindre à nous —, mais, pour l'instant, je vous présente, au bout, à droite, le sénateur Wiebe de la Saskatchewan. Tout juste à ma droite, il y a le sénateur Kenny de l'Ontario. Le sénateur Kenny préside les travaux du principal comité, le Comité de la sécurité nationale et de la défense, dont nous formons un sous-comité. À ma gauche, il y a le sénateur Michael Forestall de la Nouvelle-Écosse. Le sénateur Atkins de l'Ontario devrait arriver sous peu.

Aujourd'hui, nous sommes particulièrement heureux d'accueillir, et c'est notre dernier témoin avant la pause de l'été, le général Roméo Dallaire. Je ne crois pas que nous ayons pu choisir un témoin plus distingué que le général Dallaire, qui, évidemment, est bien connu des Canadiens, qui a eu une brillante carrière militaire et qui, de fait, si vous me permettez de le dire, se distingue, depuis qu'il a quitté le monde militaire, comme porte-parole des membres des Forces canadiennes souffrant de SSPT, ou syndrome de stress posttraumatique, pour ceux qui ne sont pas au courant du sigle, et les autres problèmes mentaux qu'occasionnent les difficultés inévitables de la vie de militaire.

Général Dallaire, nous vous souhaitons la bienvenue. Nous vous remercions d'être venu aujourd'hui.

[Français]

C'est un honneur de recevoir aujourd'hui le témoignage du lieutenant-général à la retraite, Roméo Dallaire, pour notre dernière séance du Comité des anciens combattants prévu avant l'ajournement de l'été. Les Canadiens vous seront toujours reconnaissants, M. Dallaire, du travail accompli pendant et après votre carrière militaire. Je vous cède maintenant la parole.

Le lieutenant-général (à la retraite) Roméo Dallaire, O.C., C.M.M., M.S.C., C.D.: Merci, monsieur le président et tous les membres du Sous-comité des anciens combattants, de m'avoir invité à comparaître devant vous aujourd'hui. J'aimerais vous donner une perspective, une clarification, et même une opportunité d'initiative.

J'ai préparé quelques notes qui, je le réalise, vous ont été distribuées un peu tard. Je ne vais pas lire ces notes. Je vais plutôt vous donner des grandes lignes du texte. Je serai disponible, par la suite, pour recevoir et répondre à vos questions. C'est dans la période de questions que l'on voit la véracité, la transparence et le désir de donner les meilleures réponses possibles. Et vos rapports le reflètent bien.

[Traduction]

Vous êtes saisis de cette affaire depuis un bon moment déjà, et vous avez reçu des hauts dirigeants des Forces canadiennes et, bien entendu, des Affaires des anciens combattants pour sonder leurs vues sur le sujet dont il est question, avec nos anciens combattants de la nouvelle génération et leurs aptitudes, leur rémunération et leur cheminement professionnel, et (ou) les nouvelles carrières qui touchent soit un autre aspect de la vie militaire, soit la vie civile.

J'applaudis à l'attention qui est accordée à la réserve. Car, dans l'ensemble de l'analyse que l'on fait de la situation, l'élément le plus faible et, selon moi, le plus dangereux des pertes dans la nouvelle aire de résolution de conflits que nous vivons touche les réservistes. D'une part, nous recourons de plus en plus aux réservistes, et si vous vous souvenez de l'enclave de Maddock, opération principalement canadienne, vous vous rappelez que 40 p. 100 des troupes provenaient de la réserve.

À compter sur la réserve pour combler les lacunes désespérantes du personnel de la force régulière, nous avons constaté que nous sommes nous-mêmes incapables de répondre à ses exigences complexes, car les réservistes n'ont pas tendance à faire toute une carrière dans la réserve, de sorte qu'ils quittent plus tôt. Ils habitent loin des grandes bases, dans des villages. La structure de leur régiment ou la structure de leurs escadrons et ainsi de suite n'est pas conçue en fonction des possibilités de blessure et de réaction complexes qui s'ensuivent.

Car, dans la nouvelle ère où nous vivons, la question des blessures est amenée au premier plan. Il s'agit de blessures au sens physique, au sens classique du terme, et au sens mental historique; tout de même, comme nous le voyons et comme nous l'avons vu, la blessure non classique parfois même appelée blessure non honorable, de fait, est ce qui provoque les plus importants dommages dans les forces.

La nouvelle ère dont je parle, bien entendu, est l'ère de l'après-guerre froide, et l'ère où le maintien de la paix, au sens classique, est malmené au point où l'intervention classique au sens du chapitre 6, l'opération type de Chypre, n'existe pratiquement plus; néanmoins, nous employons le terme «maintien de la paix» pour décrire, de façon générale, le rétablissement de la paix, l'imposition de la paix et les autres mandats et formes de recours à la force concernant la paix.

Ce qu'il en est, de fait, c'est que nous ne vivons pas une ère de maintien de la paix ni une ère de guerre classique, du recours à la force contre la force comme nous en connaissons depuis des siècles, des armées qui se font face, les uniformes ne sont pas les mêmes, le matériel non plus, la ligne de démarcation entre les deux camps est parfaitement claire et, de fait, le partage entre les vainqueurs et les vaincus est parfaitement clair; cette forme de guerre classique ayant caractérisé la guerre froide est pratiquement disparue à notre époque et, de fait, constitue l'exception davantage que la règle pour ce qui est du recours à la force au sein de la communauté internationale.

Nous sommes entrés dans une ère qui était une sorte de vide, l'ère de la résolution des conflits — ni guerre ni paix —, quelque chose qui se trouve entre les deux. Cet intervalle entre les deux nous a permis de constater que nous avons affaire à une génération toute nouvelle de capacités et d'exigences visant à remplir des mandats complexes, des missions complexes qui comportent toute une série de paramètres nouveaux en ce qui concerne le recours à la force, le non- recours à la force et l'impact sur les forces.

Ce que j'entends par là, c'est que nous nous sommes retrouvés à une époque où les dilemmes moraux et éthiques, la restriction du recours à la force, les frustrations et l'incapacité d'intervenir, la complexité des ordres venant d'en haut, les règles d'engagement — tout cela a convergé pour créer un scénario où, en dernière analyse, le caporal posté à la barrière, souvent, n'a aucune marge de manœuvre en ce qui concerne sa capacité d'influer sur la situation.

J'ai entamé moi-même cette ère aux commandes de la brigade de Belcartia en 1991; en 1993, j'avais sous mes ordres plus de 3 700 des 5 200 soldats postés à l'étranger, du Cambodge au Moyen-Orient, et, de fait, à l'époque, pour une grande part, en ancienne Yougoslavie. À ce moment-là, l'alternative était de recourir à la force maximale ou d'appliquer le maintien de la paix au sens classique.

Nous dépêchions dans les secteurs visés des soldats qui possédaient peu d'aptitudes particulières pour la résolution des problèmes complexes auxquels nous faisions face, l'ampleur des dilemmes humains que vivaient et qu'assumaient ces pays en implosion avec la disparition de l'opposition prédominante est-ouest qui a caractérisé la guerre froide. Voilà que nous arrivons à cette nouvelle époque, particulièrement avec les hésitations des dirigeants, la gestion des crises. Nous apprenons, comme nous l'avons espéré, les leçons qui peuvent aider ceux qui se trouvent sur le terrain à remplir leur mission.

Maintenant que nous en sommes à la 12e année pour les opérations de ce genre — et pour songer à l'avenir — le Canada va encore envoyer des soldats à l'étranger, il va encore agir pour promouvoir sa vision des choses, l'idée de défendre les droits de la personne, l'idée que nous devons venir en aide à ceux qui en ont besoin, l'idée que nous devons contribuer à la stabilisation des pays, pour que les personnes innocentes puissent prospérer et progresser — et, pour leurs futures générations, il nous faut nous demander si nous avons bien fait le tour de la question.

Nous avons été témoins d'une certaine évolution des choses — un passage de la guerre pure et simple au sens classique pour les forces à la prise en charge de ces missions complexes, où nous ne disposons même pas d'une définition des verbes d'action que nous devons employer dans nos énoncés de mission. Permettez-moi de vous donner un exemple. À l'OTAN, nous avons mis une quarantaine d'années à élaborer un lexique où nous savions tous ce qu'il fallait attaquer, ce qu'il fallait défendre et ainsi de suite. Voilà qu'arrivent les années 90, l'époque où il y a des missions qui disent: établir un climat de sécurité. Qu'est-ce que cela veut dire? Jusqu'où les soldats s'exposent-ils, étant donné un tel ordre? Jusqu'à quel point les dirigeants exposent-ils les troupes en vue de remplir de telles missions? En fait, tout cela se situe dans un contexte où le pays n'est pas en péril, et où le pays n'a pas nécessairement intérêt à intervenir dans les secteurs où nous nous trouvons.

L'ère nouvelle, celle de la résolution des conflits, s'accompagne, bien entendu, de paramètres nouveaux pour le travail de soldat, d'un rythme inconnu par le passé, de fait, d'une nouvelle génération de blessures qui sont venues à l'avant-plan, car nous subissons, après tant de missions du genre, des pertes qui ne correspondent pas forcément aux blessures classiques, historiques, honorables qui touchent le corps, mais, maintenant, des blessures non classiques, mais certainement non reconnaissables... à la même échelle que les blessures physiques, pour ceux qui reviennent atteints du syndrome de stress posttraumatique ou de blessures d'ordre mental. J'emploie le terme «blessure»; oui, le cerveau est touché, mais c'est tout l'être mental qui est touché.

Nous entrons dans une ère qui n'est plus celle de la Corée, où les forces connaissaient une expansion, les forces atteignaient leur maximum, pour ainsi dire, en ce qui concerne une avancée dans l'avenir. En 1958, 1959, les Forces canadiennes comptaient plus de 125 000 soldats. Nous avions des armes nucléaires dans l'armée, l'aviation et ainsi de suite. Les progrès de la science militaire atteignaient leur plus haut point depuis la démobilisation. Il y avait là toute une série de capacités qui permettaient à ceux qui revenaient de Corée de s'engager avec optimisme.

Au contraire, durant les années 90, notre personnel revenait puis était libéré un mois plus tard, du fait que son emploi ou son métier était éliminé. Les gens sont revenus dans une ambiance qui se rapprochait davantage du retour des soldats du Vietnam que du retour des vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale ou des soldats de Corée, dans un milieu militaire qui n'appréciait que trop leur expérience et où les gens, blessés ou non, avaient toutes sortes de possibilités pour ce qui est des façons de servir.

Qu'en est-il de cette ère et qu'en est-il de l'avenir? Eh bien, j'aimerais signaler quelques aspects de la situation. Premièrement, à l'époque, les familles vivaient la mission. Les familles se trouvaient sur place. Ma belle-mère, qui, à mon retour d'Afrique en 1994, m'a dit qu'elle n'aurait jamais pu survivre à la Seconde Guerre mondiale s'il lui avait fallu vivre cela comme ma famille l'a vécu, comme ma femme l'a vécu. C'est-à-dire que mon beau-père était aux commandes d'un régiment pendant la Seconde Guerre mondiale. Les gens recevaient des renseignements qui, bien entendu, étaient vérifiés. C'était limité, et les gens recevaient du courrier, bien entendu, quand c'était possible. Tout de même, nos familles, en ce moment, vivent la mission avec nous. Ils sont toujours là avec les différents appareils — la télévision et la radio — à attendre le reportage où on dira que j'ai reçu une balle, j'ai été blessé, j'ai été victime d'une embuscade ou j'ai été fait prisonnier.

La famille voit l'opération au fur et à mesure que celle-ci se déroule. Elle ne vit pas l'avilissement lié à l'odeur et à l'absence de nourriture et tout le reste; toutefois, la famille est tendue et complètement absorbée par ce qui se passe, par ce que disent les médias, par ce qu'elle continue de voir; cela a ouvert la dimension que représente le traitement des familles et des membres de la famille.

Le traitement du soldat ou du marin ou de l'aviateur, s'il ne comprend pas le traitement de la famille, ne donnera pas le résultat escompté, soit une réadaptation totale du soldat et la réintégration sur le marché du travail ou la réinsertion dans la vie civile.

Dans ma famille, deux personnes ont dû suivre une thérapie professionnelle. Aujourd'hui, à 18 heures, personne ne parle autour de la table: c'est l'heure des nouvelles à la radio de Radio-Canada, puis il y a les entrevues. Les impacts se manifestent dans la vie concrète, et sont là, et ils créent des pressions énormes sur les soldats qui reviennent à la maison et, de fait, dans mon cas à moi, réduisent la capacité qu'a le soldat soit de récupérer convenablement, soit, de fait, de poursuivre une vie familiale.

Le plus souvent, la famille se dissipe, se désintègre, et la personne se retrouve seule, ce qui nuit encore à son état d'esprit, puis, à la fin, bien entendu, porté à l'extrême, c'est le suicide. Les familles font partie de l'équation. Ce ne sont pas que des personnes à charge; de fait, elles font partie de la mission et de l'efficacité opérationnelle des troupes.

Le deuxième aspect que je souhaitais souligner, c'est le fait que, à l'ère que nous vivons, il est question de blessures non visibles, pour la plus grande part, d'une proportion exceptionnelle de blessures non visibles, par rapport aux blessures visibles. Nous sommes mal à l'aise ou mal équipés pour saisir toutes les nuances que cela fait intervenir au sein de l'état-major, au sein des unités, et en ce qui concerne le traitement des gens.

Nous avons affaire maintenant à des gens qui ont été mis en prison. Il y a des gens qui ont été traduits en cour martiale. Il y a des gens qui ont choisi de se droguer, et qui se trouvent maintenant parmi les criminels. Il y a des gens dont la carrière a été tout à fait détruite parce qu'ils sont agressifs et incapables d'exercer leurs fonctions normales, souvent, en raison de l'ivresse. Il y a toute cette «mauvaise graine», au sens classique, qui est justement qualifiée de telle, de mauvaise graine. Alors que, de fait, plusieurs des cas en question, sinon la majorité, concernent le SSPT ou des blessures liées au stress subies au cours d'opérations, mais qui n'ont pas été surveillés, jaugés et traités.

Les gens ont dégénéré au point où ils se retrouvent — des soldats et d'anciens soldats — en prison, parce qu'ils sont devenus un problème, parce que nous n'avons pu ensemble prévoir leurs blessures et les jauger et, de fait, les traiter. C'est le deuxième aspect de la situation que je vois.

Le troisième aspect est le suivant: dans les différentes bureaucraties, le travail de soldat est encore conçu comme une tâche de temps de paix. Les Forces canadiennes ne sont plus en temps de paix. Les Forces canadiennes sont en guerre depuis la fin de la guerre froide. Les Forces canadiennes ont pris part à la guerre froide. Le fait de pouvoir défendre son pays à l'étranger, sur le plan professionnel, était une expérience des plus gratifiantes. Cela a été la meilleure façon possible de faire valoir nos compétences. C'était une bonne qualité de vie.

Aujourd'hui, nous ne vivons pas la même époque. Nous vivons une ère où les soldats, les marins et les aviateurs s'en vont en zone de guerre. À répétition, ils s'en vont en zone de guerre parce qu'il n'y en a pas suffisamment. Ils subissent les effets de ces zones de guerre, et ils ne sont pas en état de paix, ils sont en état de guerre. Pour être plus exact, dans le vocabulaire que je proposerais, ils sont toujours en état de résolution de conflit.

De ce fait, tout comme les Britanniques l'ont fait pendant de nombreuses années, à faire participer leurs troupes à des guerres ici et là pour l'expérience acquise, aujourd'hui, non seulement nous avons des soldats qui acquièrent de l'expérience dans tous ces conflits, mais, de fait, il y a saturation des missions au point où la capacité des soldats de poursuivre ainsi se dégénère et est en train de disparaître. À notre époque, il y a des soldats qui sont continuellement en état de préparation opérationnelle, prêts à répondre aux exigences opérationnelles...nous sommes devenus très intolérants face aux éléments endommagés.

J'ai été libéré des Forces canadiennes pour des raisons de santé. Je n'ai pas pris ma retraite. Il me restait encore plus de deux ans à faire. J'ai été libéré pour des raisons de santé, car je n'avais plus la capacité de commander des troupes dans le cadre d'opérations. Je n'avais simplement plus la capacité d'endurer ce niveau de stress, parce que je travaillais, je m'occupais du Rwanda et j'allais aux tribunaux internationaux, et que le médecin a simplement dit: «On ne peut le traiter. Soit qu'il cesse de travailler, soit qu'il abandonne le cas du Rwanda, mais il ne peut faire les deux.»

Or, ce que j'essayais de faire, c'était de me tuer à l'ouvrage. On m'a libéré pour des raisons de santé, car je ne réagissais pas aux traitements, ce qui, en dernière analyse, fait que j'aurais été libéré de toute façon un peu plus tard, mais il a fallu une action plus directe, car les médicaments et la capacité de stabiliser mon état n'y étaient tout simplement pas. À notre époque, où les gens servent dans ce contexte, nous nous trouvons à épuiser et à malmener des êtres humains, au-delà de l'état de structure normal de nos forces.

Nous n'avons plus une armée de temps de paix qui attend la troisième guerre mondiale. Nous avons une armée qui est continuellement déployée sur le terrain, en zone de conflit, qui subit des pertes et des pressions opérationnelles de plus en plus grandes, de sorte que les blessures opérationnelles vont continuer à s'accroître. Ce n'est plus une crise que nous sommes en train de régler. C'est un état qui va continuer à prendre de l'ampleur, et ce sera une croissance exponentielle si nous n'engageons pas un plus grand nombre de soldats pour, de fait, permettre qu'un plus grand nombre participent à ces interventions... car nous allons seulement faire en sorte que les familles et les personnes soient moins en mesure de soutenir ce niveau d'état opérationnel.

Dans toute la structure bureaucratique, les forces sont encore considérées comme des forces post-démobilisation, qui s'entraînent en vue de la prochaine guerre. Certains collègues ont tendance à faire valoir cette vision des choses — la troisième guerre mondiale ou la guerre conventionnelle. Ce n'est pas cette attitude que doivent adopter les bureaucrates ni encore les dirigeants politiques en ce qui concerne l'évolution des Forces canadiennes. Les forces sont toujours en guerre en ce moment, dans les zones de conflit, et la bureaucratie et tous les processus de rémunération, le contrat social avec les troupes, doivent refléter cet état de fait opérationnel, et non pas l'entraînement d'une armée en temps de paix ni l'attente d'une guerre à venir.

Pour terminer, étant donné la nature de la blessure, étant donné la réaction plutôt rapide et immédiate, certains diraient peut-être même généreuse de la part des Affaires des anciens combattants et de certains éléments de la Défense nationale face à ceux qui souffrent de cette blessure — dans les deux bureaucraties, on dit de plus en plus que certaines personnes se servent peut-être de cette nouvelle préoccupation à propos d'une blessure complexe pour profiter du système et, de fait, pour faire avancer leur vision personnelle des forces et des engagements à cet égard.

C'est un effet de ressac que je considère comme normal. À l'époque où j'étais sous-ministre adjoint chargé des ressources humaines, j'ai toujours pensé: qu'arrive-t-il si les gens commencent à en abuser? Comment le savoir quand quelqu'un en abuse? Comment évaluer cela? De plus, si votre évaluation vous donne à croire que des gens font des abus, est-ce que cela modifie la façon dont vous réagissez au cas où les gens sont vraiment blessés? De fait, allons-nous revenir à l'époque où, le plus souvent, nos combattants revenus de la Seconde Guerre mondiale, et je peux vous donner l'exemple de mon père et celui de mon beau-père, chaque fois qu'ils s'adressaient au ministère des Anciens combattants pour obtenir une rémunération, étaient considérés comme des profiteurs à la recherche d'argent facile auprès de l'État, par rapport à ceux qui peuvent justifier une demande d'indemnisation auprès de l'État, pour les sacrifices faits et les blessures subies.

Eh bien, tout comme je fais valoir la notion de l'état de santé mentale générale des forces, vous savez qu'il y a un caporal qui travaille 24 heures par jour, sept jours par semaine, pendant des mois, dans un entrepôt de Montréal, en vue de soutenir les forces qui se trouvent sur le terrain, et qu'il y a là des blessures aussi. Il y a là des cas d'abus en ce qui concerne sa capacité de continuer de travailler, et les officiers de la direction des opérations du QGDN, qui ne vont jamais à la maison, ne dorment jamais, travaillent constamment avec le fusil sur la tempe. Certains d'entre eux sont là depuis deux ou trois ans, il y a cet impact sur eux.

De façon générale, la santé mentale est une question qui n'est même pas encore abordée. C'est encore au bas de la liste des processus de rémunération et de reconnaissance. Les blessures physiques se trouvent en tête de liste; il y a une réaction immédiate. Le système a des problèmes, parce que le système comporte trop de décisions et de processus bureaucratiques de temps de paix, même pour eux. Le travail de votre comité touche certainement à cette dimension des choses. Les blessures liées au syndrome de stress post-traumatique se trouvent au milieu.

Ce que je dis, c'est que les blessures liées aux troubles de stress post-traumatique doivent être situées au même niveau d'engagement et au même degré d'innocence en ce qui concerne les victimes, que les blessures physiques, classiques, et que ceux qui souffrent d'une altération de la santé mentale, qui sont éliminés avant même qu'un groupe des forces soit déployé, oublions l'impact du déploiement, c'est une question qu'il faut soulever au point où nous allons nous occuper des gens de la même façon, étant donné la nature opérationnelle des forces, que les autres, du fait qu'il y aura la chute du membre, la gangrène et la mort.

Il y a eu beaucoup de pression, et nous avons donc dû réagir à une crise, et maintenant que c'est fait, on essaie de profiter du système, d'en abuser. Et l'autre groupe, là, celui qui a des problèmes de santé mentale, eh bien, nous n'avons pas de temps pour lui, alors nous allons laisser les choses se dérouler de la façon normale et difficile, avec les stigmates et tout le reste, en essayant de trouver pour lui une indemnité.

Sénateurs, nous sommes rendus au point approprié pour procéder à l'analyse du soutien nécessaire et, de fait, ce qui constitue la blessure à notre époque. Nous en sommes rendus à la cinquième année, depuis la première note que j'ai rédigée à la fin de 1997 à ce sujet, et le travail qui s'est fait depuis. Il y a eu d'importants progrès. Tout de même, tout comme il peut y avoir un effet de ressac si nous essayons de lier trouble de stress post-traumatique et santé mentale, il y a des soldats qui vont protester contre le fait d'être considérés comme malades du point de vue mental. Si c'est une blessure opérationnelle, c'est très bien, mais souffrir de maladie mentale, cela renvoie à un exercice différent. De même, à une époque où les blessures physiques sont traitées avec le même degré d'urgence que dans le cadre des opérations et que l'indemnisation à cet égard se fait selon les mêmes principes que ceux qui sont appliqués aux pertes normales en temps de guerre, mais non pas isolément, mais avec le reste de ceux qui sont blessés dans le cadre des opérations.

Le président: Général Dallaire, voilà un exposé utile, éclairant, une analyse complète de la situation. Je sais que cela va nous amener à poser d'autres questions. Avant de poursuivre, vous allez peut-être vouloir présenter votre collègue.

Lgén Dallaire: Je m'excuse. Voici le major à la retraite Hyman. Nous avons servi ensemble, et il est mon adjoint de recherche. Il a pris en charge la tâche qui consiste à s'occuper de beaucoup de communications avec votre comité et d'autres organismes, pendant que je travaille moi-même à différents aspects.

Le sénateur Wiebe: Votre exposé nous donne à coup sûr amplement matière à réflexion, en ce qui concerne non seulement les Affaires des anciens combattants, mais également notre comité principal, le Comité de la défense et de la sécurité. Je dois dire que vous avez répondu pendant l'exposé à plusieurs des questions que je voulais poser, mais j'aimerais vous poser la suivante, qui porte sur une émission de télévision diffusée à la CBC, lundi soir, après les nouvelles — avez-vous eu l'occasion de voir cette émission?

Lgén Dallaire: Oui.

Le sénateur Wiebe: À ce sujet, l'armée doit-elle trouver une place à la personne qui est en train de se rétablir d'un trouble de stress post-traumatique, comme on l'a expliqué à cette émission ce soir-là? La personne en question a-t-elle une bonne justification?

Lgén Dallaire: À l'époque où les Forces canadiennes étaient en période d'ascendance et qu'elles ont commencé à vivre leur attrition sous l'effet du livre blanc de 1964, et depuis, elles vivent toujours une attrition et une lutte au sevrage qui fait que, un jour, il y aura peut-être une ligne de défense où on dira: oui, aujourd'hui, vous avez une armée, mais demain, vous n'en avez pas. Au sein des unités, nous avions beaucoup d'endroits pour nous occuper des soldats blessés du régiment. Nous leur laissions s'occuper des articles de sport ou de la cantine et de choses comme cela. Les jeunes voyaient là qu'on s'occupe des nôtres, et c'était un impact positif. Ceux qui ont vécu l'expérience avaient l'impression d'avoir un chez-soi.

Tout de même, nous avons fait des choses assez horribles. À un moment donné, quand ils provoquaient trop de problèmes, on les mettait à la rue. Souvent, le ministère des Affaires des anciens combattants n'était pas au courant tant et aussi longtemps que quelqu'un ne leur venait pas en aide. À cette époque, nos blessés avaient une marge de manœuvre. Aujourd'hui, ils n'en ont aucune. Il n'y a littéralement aucune place prévue pour les éléments endommagés, comme le disent certains de mes collègues, de façon péjorative. Il n'y a pas de place pour les blessés. L'exigence opérationnelle des forces doit, certainement, compter sur l'application de l'universalité du service. Quant à savoir si les forces en question sont structurées pour mettre de l'avant réellement tout ce que nous pouvons mettre de l'avant, voilà une question pour l'autre comité.

Le président: Je m'excuse de vous interrompre; pouvez-vous expliquer, pour le compte rendu, ce que veut dire universalité du service? Est-ce le fait de pouvoir aller n'importe où, n'importe quand, pour exercer son devoir?

Lgén Dallaire: Oui. Cela veut dire répondre aux critères applicables de votre métier. Qu'il s'agisse de l'infanterie, des unités opérationnelles, des pilotes; les pilotes ont un degré élevé de capacité, capacité physique et capacité mentale. Si c'est un métier de soutien, c'est un peu moins. La question est venue à l'avant-plan au début des années 90 et a été appliquée impitoyablement au milieu des années 90, au moment où nous avons réduit les forces. Même s'il y avait des gens qui revenaient, comme je l'ai dit plus tôt, avec une médaille de la bravoure, nous les mettions quand même à la porte quelques semaines plus tard, blessés ou pas, à cause des réductions. L'universalité de service était telle que, si quelque blessure faisait que vous ne répondiez pas à l'exigence, vous étiez libéré. Il n'y avait pas de reclassification automatique ou d'attribution autre dans une catégorie moins élevée: nous libérions tout le monde, alors si vous ne répondiez pas au critère initial, vous étiez rejeté, car nous avions trop de soldats. L'ordre donné: réduire. J'ai vécu tout cela à titre de commandant adjoint de l'armée, puis de sous-ministre adjoint responsable des ressources humaines nationales.

Le principe a été appliqué de façon impitoyable; c'est un exercice qui m'a également amené à la Commission des droits de la personne, qui disait qu'il nous fallait engager des personnes handicapées pour répondre aux quatre critères de la charte des droits de la personne. Dans ce débat, de fait, est-ce qu'il y aurait place pour l'idée de répondre aux deux exigences en essayant d'adopter une reclassification plus active des soldats, en faveur d'une classification qui n'exige pas le même niveau de conditionnement physique ou de capacité, et, à l'extrême, si nous n'y arrivons pas, alors les soldats pourraient être libérés. C'est encore embryonnaire, car dans nombre de cas, on n'est pas très intéressé de voir arriver quelqu'un qui, venant d'ailleurs, n'est pas au même niveau, si vous me permettez d'employer ce terme, et j'espère que cela sera bien compris, puis il y a les limites qui s'appliquent à ces gens.

Le principe de l'universalité de service peut être appliqué de façon impitoyable. Notre espoir, c'est qu'il puisse être appliqué avec une sensibilité nettement plus grande à l'investissement, à la capacité de la personne et, oui, peut-être que nous n'allons pas envoyer la personne en question dans une zone de conflit, mais nous avons besoin de ses compétences et de son investissement. Voilà où tout le programme de santé mentale, et en particulier l'exercice relatif au SSPT entre en ligne de compte — si vous perdez un bras ou les deux jambes, il est difficile de retrouver du travail dans les forces. Par contre, si vous souffrez du trouble de stress post-traumatique, vous êtes capable de vous en remettre au point où vous pouvez travailler, vous êtes fonctionnel. Ainsi, l'investissement de peut-être quelques millions de dollars qui a été fait à votre égard, plus l'expérience, peuvent encore être maximisés. Cet aspect des choses, étant donné les limites en question et la taille des forces, a été rejeté, et des gens ont été libérés.

Maintenant, les autorités envisagent de profiter de ces capacités. Le général Couture nous a parlé de certaines des méthodes employées, mais il y a encore le stigmatisme, dans les forces, qui fait qu'on ne veut pas de ces éléments endommagés — alors on fait en sorte que la tâche soit difficile. On libère encore des gens qui seraient employables et, de fait, qui seraient utiles aux forces.

L'automne dernier, les 12 personnes et, comme je le dis dans mon mémoire, tout un groupe d'anciens combattants, d'anciens combattants de la nouvelle génération à Montréal, m'ont abordé. La plupart d'entre eux souffrent de la blessure que représente le trouble de stress post-traumatique, d'une blessure opérationnelle liée au trouble de stress post-traumatique, où le traitement qui leur a été réservé n'a pas été, selon eux, correct. Ils n'étaient même pas conscients des différents changements que cela allait supposer, et ils se préoccupaient aussi de la rétroactivité. Ils commencent à voir maintenant qu'on peut leur venir en aide, même si leurs blessures remontent à 1993.

Mon chauffeur, à l'époque où j'étais commandant adjoint de l'armée, était le photographe du bataillon qui s'est rendu à Sarajevo sous les ordres du major Lewis McKenzie. Son travail consistait à prendre des photos. Il en a gardé certaines. Des sceaux remplis de têtes sans corps et toutes sortes de choses horribles de cette nature. Ce chauffeur a vécu cela. C'était mon chauffeur, et je revenais à peine du Rwanda, alors nous formions un duo phénoménal. Le groupe en question souffre toujours, ce groupe est toujours là. Son ambition, à l'époque, était de traduire le gouvernement devant les tribunaux. Une faction a décidé d'aller de l'avant. Le groupe plus nombreux a communiqué avec moi et m'a demandé d'intervenir, et j'ai abordé les deux ministères pour essayer de combler le fossé et donner aux deux ministères l'occasion de régler les problèmes touchant non seulement les besoins actuels, mais aussi la dimension de la rétroactivité. Si les gens ne sont pas satisfaits, vous pouvez vous attendre à ce que l'autre groupe porte l'affaire devant les tribunaux encore une fois.

Le sénateur Wiebe: Ma question porte davantage sur la partie de votre réponse où vous avez dit que, peut-être, les forces armées devraient envisager à nouveau de faire une place à notre personnel, à la personne qui se remet du SSPT, si elle s'en remet, de trouver une place dans l'appareil militaire pour la personne.

Lgén Dallaire: Nous les mettions à la porte après six mois. Maintenant, cela va entre deux et trois ans, mais nous ne leur faisons toujours pas de place. Si vous me permettez de le dire, c'est en quelque sorte une impasse. Il y a toutes ces missions à remplir et il faut tous ces soldats. On n'a pas assez de soldats. On brûle les soldats. On fait augmenter le nombre de blessés. On met les gens à la porte parce qu'on n'a pas la capacité de se reconstituer ou les moyens voulus pour absorber toutes les personnes blessées dans les autres métiers et ainsi de suite, car les gens sont pressés comme des citrons. On perd de l'expérience et, en dernière analyse, on malmène des êtres humains.

Le sénateur Wiebe: Quand nous déployons nos troupes, où qu'elles aillent, elles sont extrêmement bien entraînées; elles comptent, de fait, parmi les troupes les mieux entraînées qui soient dans le monde. Est-ce que nous avons la capacité, avant le déploiement, d'éduquer ou d'entraîner — le terme «préparer» est probablement le mieux choisi — celui qui sera peut-être dépêché là-bas? Je songe à la question de la prévention. S'occuper de prévention est tellement moins cher et plus efficace que s'occuper d'un traitement. Est-ce que nous pouvons préparer la personne avant le déploiement, pour éviter le SSPT?

Lgén Dallaire: Oui, monsieur.

On déploie actuellement des efforts pour leur donner une idée de ce à quoi ils peuvent s'attendre. Il y a des personnes dans l'organisation qui possèdent les compétences nécessaires pour aider ceux qui traversent une expérience traumatique. De plus, nous avons affecté des professionnels à l'unité, afin qu'ils puissent fournir leur soutien pendant le déploiement. Nous avons accru nos efforts d'intervention précoce après le déploiement afin de repérer ceux qui sont touchés et qui doivent être débreffés.

Je crois que chacun d'eux doit être débreffé et suivi pendant environ un an, car le syndrome de stress post- traumatique ne se manifeste pas nécessairement le lendemain. Dans mon cas, cela a pris quatre ans. Pour d'autres, cela peut se produire huit ans plus tard. Il y a des efforts; toutefois, il y a encore beaucoup de recherche à faire au chapitre de la préparation. L'expérience est un facteur important, alors nous avons des soldats qui ont trois ou quatre missions à leur actif, de sorte qu'ils ont beaucoup d'expérience. On peut s'interroger sur leur état mental, mais au moins ils ont beaucoup d'expérience.

Nous avons travaillé avec les Américains. L'American Center — et le responsable en matière de syndrome de stress post-traumatique est le Dr Matthew Freedman, qui exerce ses activités à White River Junction, au Vermont. Au début de nos démarches, je suis allé le rencontrer afin qu'il nous aide à bâtir notre programme, en lui disant que nous avions non pas 15 ans pour l'élaborer, mais bien des mois. Il m'a immédiatement répondu: «Nous vous aiderons, car nous ne voulons pas que vous portiez le même fardeau que nous.» Lorsque je lui ai demandé de quel fardeau il parlait, il a dit qu'en 1998 on a déclaré 202 000 cas de suicides directement liés au service militaire au Vietnam, où ils ont perdu 58 000 soldats au combat, et le nombre de suicides continue d'augmenter. Ce n'est qu'une question de temps avant que cela se produise avec des soldats qui sont allés à Sarajevo.

L'essentiel de la question, monsieur, c'est que si on n'affecte pas de soldat, si on n'a pas suffisamment de soldats, les missions sont phénoménales. Ce sont les bonnes missions. Nous devrions être affectés au Congo et à d'autres endroits comme cela, ce n'est pas le problème. Le problème, c'est qu'on a des êtres humains qui se font littéralement détruire et que leur famille n'y échappe pas, car ces excellents soldats sont tourmentés. Ne réduisez pas les missions; ce ne serait pas la chose à faire. Mettez davantage de soldats sur le terrain.

Le président: Concernant votre allusion à l'expérience américaine, je crois comprendre que leur connaissance et leur expérience du SSPT est largement fondée sur l'expérience du Vietnam, n'est-ce pas?

Lgén Dallaire: Historiquement, mais pas à l'heure actuelle.

Le président: Je me demande si vous pourriez extrapoler et appliquer l'expérience du Vietnam aux problèmes qui découlent de nos «opérations de maintien de la paix» de l'armée canadienne, qui sont quelque peu différentes, de certaines façons.

Lgén Dallaire: J'inviterais mon collègue à répondre.

Le major (à la retraite) David S. Hyman, assistant de recherche du lieutenant-général Roméo Dallaire: Nous entretenons aussi des liens avec les Australiens, qui ont pris part aux deux guerres du Golfe, ainsi qu'à la guerre du Vietnam; ils sont plus avancés que nous en ce qui concerne le traitement du SSPT. Ils sont dotés de programmes qui reconnaissent cette dépression, les nombreuses maladies mentales que nous ne considérons pas comme faisant partie du SSPT; elles font toutes partie de la même chose. Leur programme est global. C'est un programme de santé mentale. Le SSPT n'est qu'un des éléments qui constituent leur programme de santé mentale, alors les Australiens ont fait beaucoup de chemin.

Lgén Dallaire: Nous avons assisté à une conférence aux États-Unis concernant le SSPT et d'autres problèmes du genre, et j'entretiens toujours des liens, officieux, bien sûr, avec le Dr Freeman sur ce sujet. Leurs nouvelles recherches proviennent d'événements comme le bombardement des marines au Liban, d'événements plus récents auxquels ils ont pris part. On constate une augmentation au sein des éléments plus dynamiques des forces, c'est-à-dire les forces spéciales. On y trouve des cas plus marqués et plus lourds de SSPT. Ils effectuent des recherches avec de nouvelles données. La guerre du Vietnam sert de complément d'information, bien sûr, et c'est en quelque sorte un exercice de traitement.

Le seul point de comparaison entre le Vietnam et nos soldats, c'est que nous revenions. Je suis retourné à une armée qui était déchirée, non seulement par les événements qui ont eu lieu en Somalie, mais aussi par les réductions. Le soldat revenait du Vietnam parce que la guerre était déplaisante, que les gens se foutaient d'eux et, de fait, les rejetaient. C'est le seul lien solide.

Il faut poursuivre la recherche sur les répercussions de cette nouvelle ère de conflit, et les Américains, en raison de la taille des forces déployées, ne composent pas nécessairement avec les mêmes cas spécifiques que nous, car nous avons tendance à affecter un nombre plus modeste de soldats, lesquels sont confrontés de façon plus intime aux problèmes. Les Américains avaient 22 000 soldats en Haïti. Quand le général canadien s'est rendu là-bas, sous l'égide de l'ONU, il était responsable de 2 300 soldats, dont la moitié étaient Canadiens, et la situation s'est merveilleusement améliorée. Ils sont beaucoup plus près des problèmes, des gens, des divers cas. Chaque soldat portait une part beaucoup plus grande de responsabilité.

Le sénateur Kenny: J'ai remarqué que vous utilisez constamment le mot «blessure». C'est un bon mot. C'est un meilleur mot que «maladie». Estimez-vous que ce terme fait partie de la langue courante, ou est-ce que les gens parlent toujours de maladie?

Lgén Dallaire: Ceux qui ont une vision négative de quiconque souffre de telles blessures continueront d'utiliser le terme «maladie» et de mettre ces personnes dans la même boîte que toutes les autres blessures indescriptibles qui ne sont pas honorables.

Le sénateur Kenny: Si on ne peut le voir, c'est une maladie. Si on peut le voir, c'est une blessure.

Lgén Dallaire: Oui. Cela découle de la tendance de la population civile à stigmatiser la maladie mentale, sauf que dans une organisation darwinienne comme les militaires, le phénomène est beaucoup plus marqué. Le fait de décrire cet état non pas comme une piqûre de moustique occasionnant la maladie sur le terrain, mais bien comme une blessure liée aux opérations sur le terrain, a permis de convaincre un plus grand nombre de soldats, de marins et d'aviateurs de se rendre aux cliniques ou de parler de ce qu'ils ressentent.

Anciens combattants a fait beaucoup de chemin en ce qui concerne l'utilisation de ce terme, ce qui a aussi été utile. Ce que les Australiens ont fait, c'est de lier le travail touchant la santé mentale; je tente de faire avancer les choses, de faire évoluer notre culture en matière de santé mentale et de SSPT. Si nous allons trop vite et lions la santé mentale avec le SSPT sans bien l'expliquer, les gens commenceront à dire qu'ils sont des malades mentaux: «Tu n'es pas un malade mental, tu as une blessure qui a miné ta capacité mentale.» C'est ce que c'est. Si une personne perd un bras et qu'on lui fabrique une prothèse, elle devra composer avec les répercussions mentales de cette perte, mais elle disposera d'une prothèse lui permettant au moins de s'adapter.

Dans le cas qui nous occupe, nous espérons trouver une prothèse, de sorte qu'une personne qui se sent vulnérable à une odeur ou à quelque chose pourra cerner et isoler cette faille et, au moyen de médicaments, se stabiliser afin d'obtenir un certain niveau de rendement. C'est une blessure. Elle n'est pas une maladie. Je trouve cela déconcertant de voir des blessures opérationnelles au cerveau reléguées au simple rang de maladie.

Le sénateur Kenny: Je crois que le sénateur Wiebe était dans la bonne voie lorsqu'il vous a posé des questions sur la prévention. Je comprends la situation dans laquelle vous vous trouvez, où vous regardez un groupe de personnes, y compris vous-même, qui ont subi ces blessures, et vous dites comment nous pouvons trouver des traitements pour ces gens.

Cela dit, l'analyse est incomplète si nous n'envisageons pas aussi les causes, et à long terme, il est beaucoup plus sensé, sur le plan économique, de structurer la formation ou l'ensemble de l'organisation de façon à réduire au minimum la cause de ces blessures.

J'ai été troublé par votre réponse selon laquelle il ne faut pas réduire les missions. C'est contradictoire. Ce n'est pas une réponse acceptable. Vous nous dites que l'un des problèmes tient à la réduction de l'effectif des forces; que la nature du travail actuel ne correspond pas aux opérations de maintien de la paix à Chypre. Les gens sont confrontés à une cadence opérationnelle trop rapide, et vous nous dites de ne pas la réduire. Vous nous dites: «Continuez. Laissez- nous faire le travail. Nous pouvons maintenir le même niveau d'activité que nous avions avec un effectif de 85 000 membres.» Vous ne pouvez pas gagner sur tous les tableaux.

Lgén Dallaire: Sénateur, vous avez fait une extrapolation que je n'ai pas faite.

Premièrement, notre nation, compte tenu de sa place dans le monde, de ses croyances et valeurs, de son éthique du travail, de sa maîtrise de la technologie, de son passé non colonial, de sa sensibilité aux droits de la personne et aux valeurs humaines et ainsi de suite, notre pays ne peut garder ses distances de la communauté internationale et de ceux qui cherchent de l'aide et du soutien afin d'éliminer ces problèmes d'abus des droits de la personne, d'abus de l'individu, pour se défaire des conflits et autres problèmes. Nous ne pouvons regarder tout cela et ne rien faire.

Nous n'avons aucun intérêt personnel. Afin de refléter notre nation et sa vision, nous devrions, à titre de moyenne puissance, être des chefs de file mondiaux en matière de résolution de conflits et tenter de soutenir, de prévenir, de causer des revirements et ensuite de contribuer à la résolution des crises et aux solutions par la suite. Alors je crois qu'il est moralement inacceptable que notre pays réduise son effort.

Le sénateur Kenny: Mais nous avons 52 000 personnes en activité. Comment y arriverez-vous avec 52 000 personnes?

Lgén Dallaire: La question est non pas comment je vais y parvenir, monsieur, mais comment le gouvernement y parviendra ou pas. Au cours de la dernière décennie, le gouvernement a fait reculer notre philosophie de la vie. Il ne l'a jamais articulé clairement. Il n'a jamais exprimé cette vision. Je parle à de jeunes Canadiens de partout au pays au sujet des enfants de la guerre. Ils sont beaucoup plus sensibles que nous à la responsabilité de notre nation et au rôle qu'elle joue dans le monde. Selon moi, c'est que la nation a admis qu'il ne s'agit plus, à proprement parler, d'opérations de maintien de la paix, et que nous ne sommes pas en guerre, au sens classique du terme, mais nous assurons une présence dans les zones de conflit et nous afficherons des pertes, nous échouerons et nous réussirons, mais nous aurons raison d'essayer. Il n'y a plus de missions pures pour une force ou un corps diplomatique, sauf de défendre son pays en participant à l'avancement de l'humanité dans son ensemble.

Le problème ne tient pas au fait que nous avons 52 000 soldats qui continueront de subir les contrecoups des missions; le problème tient au fait que la structure doit reconnaître que la mission est justifiée, que les ressources s'épuisent et qu'un jour on se retrouvera paralysés, incapables de maintenir la position que le pays doit conserver. Cela signifie que nous aurons beaucoup plus de pertes.

Le sénateur Kenny: Vous êtes devant un comité compatissant. Nous vous demandons des solutions. J'attends que vous nous disiez que vous avez besoin de 85 000, 75 000, 100 000 personnes.

Lgén Dallaire: J'ai parlé au CPDNAC à ce sujet, et j'ai fait savoir assez clairement qu'il faut actuellement injecter des sommes énormes non pas dans l'achat de l'équipement, mais bien pour les troupes, les gens. L'estimation que j'avais fournie prévoyait deux brigades complètes, 10 000 soldats, 3 000 pour compléter les unités actuelles et créer sept, peut-être six, nouvelles unités opérationnelles susceptibles d'être déployées, et 10 000 réservistes pour compléter l'effectif, remplacer les pertes et contribuer aux efforts que nous déployons avec la force régulière. Cela permettrait, selon moi, de répondre à nos exigences actuelles. La question, c'est comment résoudre le problème; il faut des soldats, et cela peut exiger jusqu'à quatre ans.

Le sénateur Kenny: Nous comprenons cela, général Dallaire.

Nous n'avons vu aucune volonté politique de faire cela. En l'absence d'une telle volonté politique de faire ce que vous suggérez, si nous gardons l'effectif à 52 000 personnes, qu'est-ce que les généraux devraient répondre aux politiciens lorsqu'ils les enverront encore en mission?

Lgén Dallaire: Eh bien, nous aurions dû refuser d'aller en Afghanistan.

Le président: La première fois ou la deuxième fois?

Lgén Dallaire: La deuxième fois. À moins de se retirer de la Bosnie ou d'un autre endroit.

Le sénateur Kenny: Croyez-vous que même un retrait de la Bosnie serait suffisant?

Lgén Dallaire: Si on prend six mois pour déployer des effectifs, et j'utilise six mois, trois mois pour s'adapter, alors on pourrait y arriver avec ce nombre de soldats; toutefois, les généraux disent déjà que nous ne pouvons soutenir cela dans de telles circonstances.

Le sénateur Kenny: Avec les troupes que nous avons en Bosnie, personne ne disait que nous pourrions affecter 2 000 soldats en Afghanistan. Cela semble bizarre.

Lgén Dallaire: N'oubliez pas, j'ai mentionné que, depuis 1964, nous sommes engagés dans un combat d'attrition. Nous en sommes maintenant au point où il faut adopter une position défensive ou subir une défaite humiliante. En 1998, j'ai chargé cinq personnes, pour la plupart des universitaires, de mener une étude sur la qualité de vie. Il s'agissait non pas de la qualité de vie dans les forces, sujet que M. Hyman et moi-même connaissions de façon détaillée; on se demandait pourquoi les généraux ne sont pas capables de mettre en œuvre les solutions? De nos jours, être général dans les Forces canadiennes correspond à faire partie du QGDN, car les généraux sont au QGDN. Lorsqu'on critique le QGDN, on critique aussi le corps des officiers généraux, et vice versa. Alors, je pose la question suivante: pourquoi n'arrivons-nous pas à progresser sur cette question? Pourquoi ne pouvons-nous pas bouger? C'est un cri du cœur des troupes. Toutes ces enveloppes brunes et toutes ces choses, l'ombudsman et les comités de surveillance, c'est seulement parce que nous n'avons pas permis aux troupes de s'exprimer.

Deux d'entre eux ont recommandé qu'on établisse un syndicat. Deux d'entre eux avançaient que la solution consiste à établir un syndicat afin de négocier; nous en sommes rendus là. Si vous vous souvenez de la décision de la Cour suprême sur, j'oublie le nom de l'affaire, les soldats jouissent du droit d'association. Ils peuvent légalement le faire.

Le sénateur Kenny: Je ne m'avancerai pas sur cette pente, général Dallaire. Notre comité a recommandé que l'effectif passe à 75 000 personnes. Nous avons aussi recommandé une pause de deux ans afin d'organiser et de remanier tout cela. Nous ne voyons pas le gouvernement réagir. Si nous voulons que notre nation demeure au même niveau, la réponse doit être?

Lgén Dallaire: La réponse doit être que oui. Vous arrêterez les missions.

Le sénateur Kenny: Affecter moins de soldats.

Lgén Dallaire: Oui.

Le sénateur Kenny: Sans quoi nous allons gaspiller stupidement d'innombrables vies?

Lgén Dallaire: Certes, mais non seulement par la mort, mais aussi par une augmentation considérable des blessures. Cela devient donc une décision moralement corrompue, car il est moralement impossible pour nous de renier nos responsabilités au sein de la communauté internationale en ce qui concerne les droits de la personne et les êtres humains. Le fardeau, monsieur, repose bien sûr sur votre rapport au gouvernement, mais il repose aussi sur le peuple canadien. Que veut-il? Pourquoi n'impose-t-il pas sa volonté au gouvernement? Pourquoi ne se réaligne-t-il pas? Il y a aussi l'envers de la médaille. Les gens en uniforme évaluent-ils les problèmes en mettant l'accent sur la complexité des besoins d'aujourd'hui et de demain, ou tentent-ils de maintenir le statut quo? Je me souviens clairement qu'une partie des fonctions de général consiste à s'assurer qu'on maintient le statut quo, qu'on ne se débarrasse pas de capacités de combat, et ainsi de suite. Cette position défensive ne nous a pas permis d'obtenir quoi que ce soit des gouvernements du passé, et elle n'offre certainement aucune garantie quant à l'avenir.

Le sénateur Kenny: Cela correspond à inverser les rôles, mais, histoire de répondre à votre propre question, monsieur, pourquoi n'y a-t-il pas l'appui du public? Pourquoi le public ne réagit-il pas à cette situation? Quel est votre point de vue?

Lgén Dallaire: À mon avis, certaines personnes pensent encore que les opérations de maintien de la paix ressemblent à nos activités à Chypre. Il y a aussi le point de vue selon lequel, lorsqu'il y a achat de gros équipements et de choses comme ça, nous sommes encore des forces qui, en temps de paix, se préparent pour une troisième guerre mondiale.

Troisièmement, au sein des structures gouvernementales, on a encore l'impression que les forces canadiennes, de fait, avaient plus de pouvoirs à titre de fonctionnaires qu'à titre de guerriers ou de défenseurs de la nation ou de la position internationale de la nation. Ces trois composantes ont créé une position, peut-être une solide position défensive pour le gouvernement, selon laquelle si la pression n'est pas là, et qu'il y a tellement d'autres choses à faire, allons-y. Il n'y avait pas d'EIUS disponibles pour aller au Congo. Il n'y en avait pas suffisamment pour soutenir les forces que nous avions déployées. Nous ne disposons pas de la capacité de contrôle complète pour 2 000 soldats en Afghanistan. Nous n'avons tout simplement pas cela ici.

Le sénateur Kenny: Ils s'en vont, et personne ne refuse. Personne ne dit que nous ne pouvons faire cela. Tout le monde dit oui, nous allons y aller.

Lgén Dallaire: Dans le domaine public, je suppose.

Le sénateur Kenny: À quel moment quelqu'un va-t-il prendre la parole et dire que ceci ne peut se produire, que c'est de la folie?

Lgén Dallaire: Un général l'a fait.

Le sénateur Kenny: Il est parti deux mois plus tôt?

Lgén Dallaire: Eh bien, un peu plus que ça. De toute façon, il n'a même pas eu de couverture médiatique. Ce n'est rien.

Le président: À la lumière de votre expérience, général Dallaire, je crois que nous comprenons et savons tous qu'une personne en uniforme ne peut émettre une opinion contraire aux ordres politiques qui sont donnés, mais que, lorsqu'on leur demande, et lorsque les discussions sont à huis clos, vous estimez que les porte-parole militaires présenteront-ils un portrait réaliste au gouvernement ou sont-ils dépassés par ce qu'on leur demande de faire, c'est-à-dire de partir, «Nous devrions partir. On y va»?

Lgén Dallaire: Ils fournissent plusieurs options, notamment celles de ne pas partir. J'ai participé à cela.

Le sénateur Kenny: Est-ce qu'il leur arrive de dire «jamais de la vie»?

Lgén Dallaire: C'est au gouvernement que revient la décision à l'égard de ces options. Si vous le permettez, reportons-nous aux années 90, époque où les généraux manquaient énormément de crédibilité et se faisaient attaquer de tout bord tout côté, non seulement en raison des voitures d'état-major et d'autres choses, mais, de fait, de leur capacité de faire connaître la situation lamentable des soldats et le contexte, — et pourquoi, par l'entremise d'universitaires, — deux d'entre eux sont allés jusque-là, car, de fait, on avait l'impression le message ne passait pas. Le ministre Young, au cours de l'une de ses premières rencontres avec les officiers généraux supérieurs, a déclaré: «Messieurs, je sais que vous ne subissez pas une lobotomie au moment où vous entrez au Quartier général de la Défense nationale, mais c'est l'impression qu'ont les gens de l'extérieur.» Qu'est-ce qu'on peut faire? Comment résoudre le problème? Il y a eu des réformistes dans l'armée, et il y a eu des conservateurs dans l'armée. La question qui s'impose, c'est comment des comités comme celui-ci réussissent à extraire ces dimensions et ces tensions et arrivent à exercer une influence sur le gouvernement. Des conseils sont formulés.

Revenons à la question de l'unification des services. J'étudiais au Marine Staff College, en Virginie, en 1980. L'un des principaux exemples que le général a cités à l'époque était celui de 1968, 1969 — ce sont les généraux qui ont quitté les forces.

Le sénateur Kenny: Amiral Landymore.

Lgén Dallaire: Il y en avait 21. Cela n'a pas arrêté l'unification des services.

Le sénateur Kenny: Le message est sorti.

Lgén Dallaire: Le message est sorti. Quand j'étais au Rwanda, de nombreuses personnes me disaient: «Général, pourquoi vous ne démissionnez pas afin de dire au monde que vous vous faites avoir dans cette situation?» Je répondais ce qui suit: «Combien de temps peut durer un général canadien affirmant de telles choses sur la scène internationale?» Premièrement, il y a probablement 50 personnes qui attendent de prendre mon poste. Il y a probablement 50 personnes qui attendent de s'emparer de ces postes supérieurs. Deuxièmement, je pourrais obtenir 15 secondes sur CNN. Troisièmement, est-ce que j'aide les forces ou mes troupes si je les quitte, si je les abandonne au combat? Dieu sait que mon remplacement pourrait être meilleur, mais il pourrait aussi ne pas l'être. Ma décision était de ne pas quitter pendant que j'étais en service sous l'ONU. Ma décision consistait à poursuivre et à tenter de tolérer la situation. C'est une question que chaque général se pose.

Le sénateur Atkins: Je suis certain que vous êtes au courant du major Henwood, de son témoignage devant notre comité, et de la façon dont on l'a traité au moment de sa libération. Pouvez-vous nous dire comment on vous a traité lorsqu'on vous a renvoyé pour raisons médicales, et quelle indemnité on vous a offert?

Lgén Dallaire: Eh bien, je connaissais l'affaire Henwood, car nous avions travaillé dessus. C'est devenu l'orientation d'une part importante de notre travail avec les Anciens combattants, avec l'industrie et avec la Légion et tous les autres intervenants, d'aider les gens en service qui sont soudainement exclus et jetés dans la fosse au lion à faire le pont. On a fait beaucoup de travail là. Le major Henwood a reçu beaucoup de soutien de cette façon. Il était le premier dossier. Le général Barrie a participé lorsqu'il était commandant de l'armée. C'était embryonnaire. Nous apprenions. Nous avons fait des erreurs.

Quand on m'a laissé partir, j'ai commencé par aller en thérapie en 1996, en raison des luttes internes. J'ai été en thérapie, à diverses fréquences, jusqu'à ce que je m'effondre totalement, en 1998. À l'époque, j'arrivais du tribunal international. J'étais sous-ministre adjoint aux Ressources humaines et d'autres choses. Le CEMD m'a appelé et m'a demandé si j'avais besoin d'un petit congé. J'ai répondu non, ajoutant que j'étais seulement fatigué. Ils ont suggéré que je prenne un mois de vacances pour évaluer la situation. J'ai mis plus de six mois avant de pouvoir lire juste une ligne sur un morceau de papier. J'étais déjà bien au-delà. Quand je suis revenu du Rwanda en 1994, on m'a donné trois semaines de congé, après quatre semaines de guerre et de génocide et 12 mois à l'étranger. On m'a nommé commandant adjoint de l'armée, titre dont j'étais fier. J'étais au beau milieu de la Somalie, et je devais composer avec les réductions catastrophiques des Forces canadiennes, et la politique de mes collègues et supérieurs à l'époque était la suivante: «Travaille dur, et avec le temps tout va se tasser.» Nous ne comprenions tout simplement pas.

Lorsque j'ai commandé une brigade qui avait participé à un incident majeur au Moyen-Orient, j'ai eu sous mes ordres un chef de bataillon qui a reçu une Médaille de la bravoure. Il a fini par éprouver de graves problèmes d'alcoolisme, ce que je ne comprenais pas. Nous avons fini par comprendre plus tard.

Après plus de six mois en congé de maladie, je suis revenu au travail en faisant des demi-journées, que j'ai transformées en journées complètes. On m'a donné un poste distinct de mon poste original, pour m'aider à récupérer et pour tenter de me réintroduire dans le milieu de travail; cela n'a pas fonctionné, et c'est pourquoi on m'a renvoyé pour raisons médicales. J'ai demandé une indemnité d'Anciens combattants par l'entremise de la Légion. Ce que j'essayais de faire, en 1996-1997, c'était de mettre tous les systèmes à l'épreuve. L'un des systèmes que j'ai mis à l'essai était celui de la Légion. Elle contribue à 15 p. 100 des dossiers. J'ai obtenu une indemnisation, et on l'a examinée, tout comme les dossiers réguliers.

Je suis toujours en thérapie. Je vais en thérapie trois fois par semaine. Je prends encore des pilules tous les jours, et, outre le psychologue aux trois semaines, je vois aussi un psychiatre à peu près aux deux mois, et ce traitement n'a débuté que lorsque j'ai commencé à me stabiliser. Le besoin d'aide est constant. Il m'arrive encore de me sentir suicidaire. Anciens combattants Canada m'a fourni une évaluation pour ma blessure, syndrome de stress post- traumatique, et j'ai obtenu une indemnisation d'Anciens combattants Canada, pendant que j'étais en service, ce qui m'a totalement surpris. Je ne savais même pas que cela existait. Je touche cette indemnisation depuis 1998.

Le sénateur Atkins: Selon vous, est-ce qu'on vous a traité de façon équitable?

Lgén Dallaire: La réaction a été rapide. J'avais établi des critères selon lesquels je ne voulais pas d'aide spéciale. J'avais l'intention de faire mon chemin dans le système et de tenter d'influer sur des éléments qui n'ont aucun sens afin de les changer. En faisant cela, personnellement, physiquement, de diverses façons, nous avons été en mesure d'apporter du changement. L'analyse d'un psychologue, c'est une bonne chose, et pas seulement l'analyse d'un psychiatre, car cela bloquait une foule de choses.

Il y avait des procédures au sein du QGDN. Le système a été bâti pour des gens en santé. Quand j'ai traversé tout le processus menant à mon renvoi, j'étais incapable d'en comprendre 10 p. 100. Maintenant, il y a des gens affectés aux dossiers. Nous avons maintenant reconnu qu'on ne peut appliquer aux personnes blessées un système destiné aux gens en santé; il faut l'adapter.

J'ai obtenu une indemnisation pour mon fils, qui souffre directement en raison de ma blessure. J'ai dit à mon aîné: «Je pars, tu es l'homme de la maison; prends-soin de toi.» Que se produit-il lorsqu'il découvre que son père se fait tirer dessus tous les jours pendant quatre mois? Cela commence à le ronger, ce qui occasionne des réactions subséquentes. J'ai demandé qu'une indemnisation soit versée pour la thérapie, pour les membres de la famille qui sont directement touchés par la blessure du membre. Il pourrait s'agir d'une blessure physique ou mentale. Maintenant, on le fait de façon ponctuelle. Ce n'est pas une politique complète, de sorte que cela ne constitue pour nous qu'une demi-étape. C'est de cette façon que j'ai procédé auprès d'Anciens combattants et de la Légion. Je ne peux nier qu'en raison de mon rang les gens voulaient répondre rapidement, plus rapidement qu'à d'autres personnes. Un vérificateur autonome m'a suivi tout au long du processus afin de s'assurer qu'il n'y a pas de passe-droit.

Le président: J'aimerais donner suite à une réponse que vous avez donnée au sénateur Atkins concernant le traitement: quel que soit le type de blessure, la guérison s'améliore si le traitement est reçu le plus tôt possible. Y a-t-il quelque chose que vous pourriez suggérer pour qu'on puisse traiter des blessures comme le SSPT plus rapidement? Par exemple, un déploiement pourrait être accompagné d'une équipe constituée de personnes qui possèdent une formation médicale ou qui ont souffert la même blessure et la comprennent; ou on pourrait établir une équipe tactique qui pourrait se rendre dans une zone ou se charger de personnes qui ont obtenu un diagnostic de SSPT?

Lgén Dallaire: Les thérapeutes doivent être disposés à se salir les bottes. Ils doivent la sentir, la goûter, vomir comme les autres; ils doivent y aller pour acquérir une certaine base d'expérience, et pour voir comment la situation influe sur les gens. Et je parle non seulement des analystes, mais aussi des thérapeutes. Je crois que c'est crucial.

Deuxièmement, le suivi à l'égard du SSPT est à long terme. C'est un exercice à long terme pour le major Henwood; toutefois, il a sa prothèse. De nombreux dossiers semblent éternels. De nombreux dossiers font surface plus tard. Des 12 officiers qui m'ont été confiés au début de la guerre pour remplacer les Belges qui étaient partis, dix souffrent maintenant de stress post-traumatique grave, certains d'entre eux depuis seulement six mois, et cela s'est produit il y a neuf ans.

Le président: Un élément de votre mémoire mérite d'être répété, soit l'idée selon laquelle la tradition de traiter les membres des forces armées comme d'autres fonctionnaires est une erreur. Pendant l'audience du major Henwood, ça a été une source de difficulté, car le programme de l'assurance était tout simplement lié à un programme qui entrait en vigueur dans la fonction publique. Êtes-vous d'accord avec l'affirmation selon laquelle les membres des forces armées constituent un cas particulier et ne sont pas des fonctionnaires au sens habituel du terme, en ce qui concerne les méthodes de rémunération et de traitement liées aux blessures?

Lgén Dallaire: Ils ne sont pas des fonctionnaires, quelle que soit la définition utilisée. Le parallèle avec la fonction publique est survenu vers la fin des années 60, quand de nombreuses personnes prenaient leur retraite sans le sou, car elles touchaient un salaire qui n'était d'aucune valeur, mais jouissaient de nombreux avantages pendant leur service. Quand nous avons effectué la comparaison avec la fonction publique, c'était l'occasion d'arrêter d'être traité comme des soldats, comme du personnel démobilisé en temps de paix et comme de simples employés. Le soldat col bleu n'existe plus. Le soldat est un soldat et non un fonctionnaire.

Le sénateur Kenny: Je crois qu'il est important de clarifier cette notion au compte rendu: lorsque vous parlez d'avantages, s'agit-il d'avantages non monétaires susceptibles d'être appliqués à la pension?

Lgén Dallaire: C'est ça.

Maintenant les liens avec la fonction publique sont ceux qui découlent de la capacité de la fonction publique et de son syndicat de défendre leur cause; c'est la seule raison. Ce n'est pas la méthode de rémunération que les forces préfèrent. Elle ne l'était certainement pas quand j'étais sous-ministre adjoint aux Ressources humaines.

Le président: Enfin, sur une échelle de un à dix, dix étant une note parfaite, comment évaluez-vous le degré de coopération entre le ministère des Anciens combattants et le ministère de la Défense nationale en ce qui concerne le traitement des blessures dont nous avons parlé aujourd'hui?

Lgén Dallaire: Le degré de coopération est allé de zéro à environ sept. Nous avions comme agent de liaison aux Anciens combattants un général qui a apporté d'énormes changements. Nous n'avons plus un général; nous avons un lieutenant-colonel. Voilà pourquoi je dis que la crise n'a pas été résolue, et maintenant nous pouvons accroître le niveau de priorité. Il devrait y avoir un général aux Anciens combattants maintenant.

Le président: Merci beaucoup, général Dallaire, d'être venu témoigner aujourd'hui. Nous serons heureux de vous entendre la prochaine fois.

La séance est levée.


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